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Le monde comme fantôme et comme matrice

Considérations philosophique sur la radio et la télévision

Günther Anders
In : Obsolescen ce de l’homme, 1956 (trad. de l’allemand par Christophe Davi d),
Encyclopédie des Nui sances, 2002, pp. 117-241

I. Le monde livré à domicile

II. Le fantôme

III. La nouvelle

IV. La matrice

V. Plus généralement

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I. Le monde livré à domicile

§ 1 Tout moyen est davantage qu’un moyen

Tout dépend que de ce que nous fai sons de ces inventions ? p. 117

Argument opti mist e à bannir. Il présuppose que nous pouvons librement disp oser
de la technique et qu’il exist e des fragments de notre monde qui ne seraient que de
purs moyens auxquel s on pourrait ratt acher à sa guise de bonnes fin s. p. 118

§ 2 La consommation de masse, aujourd’hui, est une activité solitai re. Chaque


consomm ateu r est un travaill eur à dom icile non rémunéré qui contribue à la
product ion de l’homme de masse.
Il s'agit de consommer collectivement, en tant que masse, les marchandi ses
stéréot ypées produit es en masse à leur int ention . p. 119

Le type de l’ermi te de masse était né. p. 121

Tout le monde est d’u ne certaine manièr e occupé et empl oyé comme travailleur à
domi cile. Le pro cessu s tourne même résol ument au paradoxe pui sque le travailleur
à do micil e, au lieu d’être rémunéré pour sa collaboration, doit au contrair e lui-
même la payer, c’est-à-dire payer les moyens de producti on dont l’usag e fait de lui
un homme de masse. Il paie donc pour se vendre. Sa propre servitude, celle-l à
même qu’il contribue à produire, il doit l’acquérir en l’achetant puisqu’ elle est,
elle au ssi, devenue un e marchandise. pp. 121-122

§ 3 La radio et l’écran d e télévisi on devi ennent la négation de la table famil iale;


la famille devient un public en miniatu re.

§ 4 En nous ret irant l a parole, les postes de radio et de t élévi sion nou s traitent
comme des enfants.

La langue n’est pas seul ement l’expr ession de l’homme, mai s l’homme est
également le produit d e son langag e; bref , parce que l’homme est articulé co mme
lui-même articul e et se désarticule quand il cesse d’articuler. p. 128

Cet ap pauvri ssement en passe de devenir univer sel a eu un précéd ent :


l’appauvri ssement de l’art épistol air e provoqué par un demi- siècl e de
co mmunications téléphoniqu es. Il a été poussé si loin que les lettres que
s’échangeaient, il y a une centaine d’années, des personnes de culture moyen ne
nous semblent maint enant toutes, à nous, hommes d’aujourd’hui, des chefs-
d’œuvre d’attenti on et de justesse. note p. 128

§ 5 Les évènem ents viennent à nous, nou s n’allons pas à eux.

Le traitement auqu el est soumis l’homme lui est fourni à domicil e, exact ement
co mme le gaz et l’électricit é. Mais ce qui est distribué, ce ne sont pas seulement
des prod uits artisti ques tel s qu e la musique ou bien des jeux radiophoniques – ce
sont au ssi les évèn ement s réel s. Du moin s ceux qui ont été sélecti onnés,
chi miquement purifiés et préparés pour n ous êtr e présent és comme une «réalité»,
ou tout si mplement pou r remplacer la réalité elle-même. p. 129

C’est le mon de qui vient à l’homme et non l’homme au monde. p. 130

1. Quand c’est le monde qui vient à nous et non l’inverse, nous ne sommes plus au
monde, nou s nous comporton s comme l es habit ant s d’un pays de cocagne qui
consommon s leur mo nde.

2. Quand il vient à nou s, mais seul ement en tant qu’i mage, il est à la foi s présent
et absent, c’est-à-dire fantom atique.

3. Quand nous le convoquons à tou t mo ment, nous déten ons un e puissance divin e.

4. Quand le monde s’adresse à n ous sans que nous pui ssi ons nous adresser à lui,
nous so mmes condam nés au silen ce, condamnés à la servit ude.

5. Nou s so mmes transfor més en espions et en voyeurs.

6. Quand un événemen t ayant eu lieu à un endroit précis est retran smi s et peut être
expédi é n’importe où sou s forme d’émissi on, il est alors transformé en une
m archandise m obile et presque o mnipr ésente.

7. Quand il est mobile et apparaît en un nombre virtuellement illimit é


d’exemplaires, il appartient alor s, en tant qu’objet, aux produits de séri e. Il faut
payer pour recevoir ce produit de séri e : c’est bien la preuve que l’év énem ent est
une m archandise.

8. Quand il n’a d’i mportance sociale que sous l a forme de reprodu ction, c’est-à-
dire en tant qu’i mage, la différence entre être et paraître, entre réalit é et i mag e,
est abolie.

9. Qu and l’événement sous for me de reproduction pr end soci alement le pas sur sa
forme origi nale, l’original doit alor s se confor mer aux exigences de la
reproduction et l’événement devenir la si mpl e m atrice de sa reprodu ction.

10. Qu and l’expérien ce dominant e du monde se nourrit d e pareils produits de


série, on peut tirer un trait sur le con cept de « monde» (po ur autant que l’on
entend e encore par monde ce dans quoi nous so mmes) . On perd le m onde, et les
émi ssion s font alors de l’homme un idéali ste. p. 131
§ 6 Puisqu’on nous fournit le monde, nous n’avons pas à en faire l’expérien ce;
nous reston s inexp érim entés.

§ 7 Le monde livré est d’abord «familiari sé».

La bo mbe à hydrogène qui ex plosa le 7 mars 1955 reçut le sobriquet affectueu x de


«Granpa» (Pépé). Ce processus visant à ét ablir une pseudo-fami liarité ne porte pas
de no m. Nou s l’appelleron s la familiari sat ion du monde. p. 138

§ 8 Les sources de la familiari sati on.

Co mme tout p hénomène hi storique de cette ampl eur, la familiari sation est
surdét ermi née, c’est- à-dire qu’elle doit son existence à différentes causes qui ont
converg é et se sont unies pour en faire une réalité hi storique.

1. La dém ocratisation de l’univers

Quand ab solu ment tout a le même droit à se faire entendre et m’est assez familier
pour que j e le reçoive dans mon inti mité; quand à toute préférence s’attache d éjà
le caract ère odieux d’un privilèg e, on présuppose alors d’une façon certain ement
incon sciente un Tout st ructurel lement démocratique, un univers auquel sont
appliqués les principes (issu s de la mor ale et de la politique) de l’égalité des
droits et de la tolér ance univer selle. p. 142

2. Le ph énomène de neutrali sati on

Il est évident que l a familiari satio n, qui place tout d an s la même proxi mité ou d ans
la même appar ence d e proximité, est un phénomène de n eutralisat ion, et que celui
qui en cherche les causes doit regarder autour d e lui, par mi l es forces
fondament ales de neutral isation du monde. L’une d’elles est la démocrati e.

3. L’attitud e du sci entifique

Une autre cause de cett e familiari sation qui place tout dans une égal e proxi mité est
l’attitude du scientifi que, légiti mement fier d’être capabl e, dans le cadr e de ses
recherch es, de rapprocher ce qui est le plus lointai n et de mettr e à dist ance,
pendant qu’il trav aille, les choses qui lui sont l e plus proche dans la vi e; de se
consacrer avec zèle à ce qui ne le concerne pas en tant qu’individu, et de
n’éprouver aucune passion pour ce qui l e touche de plus près : de neut raliser la
différence entre pro che et loint ain. p. 144

§ 9 La familiarisation est une form e raffi née de camouflage de la dist anciation.

Aussi paradoxal que cel a puisse sembler, la cause princi pale de la familiari sati on
est la di stanci ation elle- même. p. 145

Que l’on ren de le proche l ointain, comme le fait l a dist anciati on, ou le l ointain
intime, co mme l e fait la fami liari satio n, l’effet de neutralisation est le même.
Dans les deux cas, le monde et la place que l’homme y occupe so nt modifi és par
cette neutralisation. p. 147

§ 10 L’aliénation est-ell e encore un processus ?

Supposer que nous, hommes d’aujourd’hui, exclusi vement nourris de succédanés,


de stér éotyp es et de fantômes, nou s serions en core des moi ayant un soi, et que ce
serait ce régi me ali mentaire qui nous empêcherai t d’être nou s-même, ce ser ait faire
preuve d’un opti mi sme qui n’est peut-être plus de mi se. L’époque où l’on pouvait
être victi me de l’aliénat ion, où celle-ci ét ait un processus qui était effecti vement à
l’œuvre, n’est-elle pas déj à derrière nous – du moins dan s cert ains pays ? Peut-o n
dépouill er celui qui a d éjà été dépouill é ? Peut-on encore aliéner l’homme de
masse à lui-même ? L’ali énation est-el le encore un processu s ou n’est-el le déjà
plus que fait accom pli ? p. 149

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II. Le fantôme

§ 11 Le rap port entre l’homme et l e monde devient unilat éral. Le mond e, ni


présent ni absent, devient un fantôme.

La véritable présence n e suppose-t-elle pas, par essence, un rapport de réciprocité


entre l'ho mme et le mon de ? N'est-il pas devenu tel que si l'aud iteur perçoit le
monde, il n'est plu s lui-même perçu par le monde ? pp. 151-152
Parce que les événements retr ansmi s sont en même temps présent s et ab sent s, sont
en même temps réel s et app arent s; bref, parce qu'il s sont d es fantômes. p. 153

§ 12 À la télévisi on, l’image et ce qu’elle rep résent e sont synchrones. La


synch ronie est la form e appauvrie du p résent.

Dans l'hi stoire des i mages humai nes – jusqu'à nos jours -, l'image a toujour s
impli qué, par essence, un décalage tem porel par rapport à l'objet représenté,
même si ce décalage est toujour s resté implicite. La langue exprime ce décalage de
façon très rationnelle par l'expression d'a près : on pei nt une i mage ou on f abrique
un objet d'après un modèle. L'i mage vient après son suj et, elle est une copie, un
monu ment dest iné à en rappel er le souven ir ou à en démentir le caract ère p assag er;
elle vise à sauver son sujet et à fair e en so rte qu'il continue d'être présent . p. 153

Manifestement no us employon s le mot présent dans deux sens différent s. D'ab ord
pour désig ner la présence concrète, et ensuite pour indiquer la simpl e simult anéité
formelle. Mais ce n'est pas un hasard : cette doubl e signification se fonde en effet
sur l'impossibilit é de tracer avec préci sion la li mite à partir de laquelle un
événement ou un élément du monde nous concerne si peu qu'il ne nous est plus
présent qu'au sens de la si mult anéit é. p. 155

§ 13 L’homme dispersé n’habit e que da ns l’instant. Les post es de radio et de


télévi sion engend rent une schi zophrén ie artificiell e. L’individu devient un
«dividu».

Tout loisir a aujourd'h ui un air de parent é avec le désœuvr ement . p. 161

Il est aujourd'hui nor mal d e livrer si multanément des éléments di sp arates, non
seul ement pour ce qui est des matériaux, mais aussi de l'ambiance, du niveau
culturel : p erso nne d e s'étonne au jour d'hui de prendre son petit déjeun é en
regardant un dessin ani mé ou les nou velles. p. 163

Jusqu'à maintenant, la critique de la cultu re de masse n'a voulu voir la destructi on


de l'ho mme que dan s sa standardi sation, c'est-à-dire dans le fait qu'il n'étai t plus
laissé à l'i ndividu, dev enu un être de série, qu'une individualité numérique.
Aujourd'hui, même cette individualité numérique est perdue. Le résultat de la
division est à son tour divi sé. L'indivi du a été transfor mé en un di vidu, il est
désor mais un e pluralité de fonctions. La destruction de l'homme ne peut
manifest ement pas all er plus loin. p. 164

§ 14 Tout ce qui est réel devi ent fantomatique, tout ce qui est fictif devi ent réel.

S'il est vrai que les événement s, une foi s retransmi s, deviennent fantomatiqu es, il
n'est pas vrai, en revanche, qu'il s acqui èrent le car actèr e du comme si propr e à
l'art. C' est du sérieux futile ou du futile sérieux, que les retransmi ssions doivent
produire, c'est-à-dire un ét at d' oscillation et d'in certitude où l a distin ction entre
le sérieux et le futile n'a plus cours, et où l'auditeur ne peut plus savoir ni même
se deman der en quoi ce qui est retransmi s le concerne ou à quel titre il doit
réceptionner ce qui lui est livré : en t ant qu'être moral et po litique ou en tant que
consommateur de loi sir s ? p. 165

La Guerre des mondes d' Orson Welles, 1938. p. 166

Le mauvais tour qui est joué ici à la dignité du senti ment humain est désolant :
jouer avec les senti ments de per sonnes seules, pousser d es êtres humains de t ous
âges à écout er aux portes ou à devenir d es voyeurs, tout cel a est répugnant . Mais
le plus décourageant c'est qu e p. 169

§ 15 Le monde fantôme et le monde réel rentent en colli sion.

A Londres vivait une femme, une ménagère de la petite bourgeoi sie à ce point
fascin ée par une v edett e de l a tél évisi on qu'ell e ne l aissait j amai s passer une
chance de contempler cet Apollon sur son écran. Ch aque j our, à une heure précise,
elle se po mponnai t et rev êtait ses habit s du di manche en l'honneur de so n amant en
effigie, et sa pauvr e chambre- cui sine se transfor mait, pour un divin quart d'h eure,
en garçonni ère : l'affaire ét ait pour elle au plus haut point réelle.

Tout était donc en pl ace pour la farce clownesque du mari et de la femme. Il


suffisai t qu'il étei gne le po ste, afin de f aire disparaître l'obj et de sa hain e, pour
qu'elle le rallume. Pour passer sa fureur, il se mit à battre sa femme. Il n'est pas
étonnant que le désespéré se soit finalement réso lu à po ser un ulti matum à ce
maudit fantôme, c' est- à-dire à lui écrire une lettre de menace : "Disparai s, sinon
…". Co mme l' autre ter me de cette alt ernative consistait en une men ace de mort et
que le facteur était peu au fait de la subtile différence qui exist e entre les
fantô mes et l es h ommes réel s, il remit l a lettre à l'acteur qu i ignorait tout d e sa
maî tresse mai s était en revan che soucieux de sa propre vie non fantomat ique. Cel a
finit devant les tribunau x. p. 171-173

§ 16 Grâce au petit format de son écran, la télévision transforme tout évén ement
en bibelot.

Le petit format des écrans de télévi sion n'est pas une astuce technique mai s un
défaut technique, et en l’occurrence un défaut seulement provi soire auquel on
pourrait sûrement r emédi er un jour . Mai s il est douteux qu’on le veuille et qu’on
le fasse. On a tiré parti de ce défaut providentiel : on l’a utilisé afin de faire
passer le macrocosme pour un microcosme et de transformer chaque événement du
monde en bibelot . p. 174

La plupart des cadeaux de la technologi e sont des entr aves dégui sées p. 173

C’est par ce qu’elle est claire qu e l’image télévi suelle falsifi e l’ampleur de
l’événement; c’est préci sément en nous offrant une image de l’évén ement que la
télévi sion nous tro mpe. p. 177

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III. La nouvelle

§ 17 Une théorie p ragmatiqu e du jugement. Celui qu’on informe est libre,


puisque ce qui est absent est à sa di sposit ion; il n’est pas lib re, pui squ’au lieu de
la chose mêm e, il n’a doit qu’à son prédi cat.

La nouvelle qui méd iati se le fait met son destinat aire en demeure de se co mp orter
co mme si l’objet était présent, c’est-à-di re d’en tenir compt e et de l’inclure dans
ses dispo sitio ns pratiques. p. 180

Dans la lan gue de la logiqu e, ce qui est ainsi préparé s’ appell e le prédi cat . Le
prédicat est don c pour celui qui le reçoit un produit déjà fini . p. 180

Tout prédi cat est déjà un préjugé. «C’est à prendre ou à laisser» semble dir e la
nouvelle à son destin ataire. p. 182
§ 18 Les émissions effacent la différen ce entre la nouvelle et son objet. Elles
sont des jugement s app rêtés.

La présent ation du candid at aux él ections accomplit ainsi exact ement la même
chose que la nouvel le. Elle fait même davantage. Elle est une nouvell e qui enten d
faire oublier qu’elle est un jugement déj à effectué. p. 184

§ 19 Les marchandi ses sont des jugem ents camouflés. Les fantômes sont des
marchand ises. Les fantômes sont don c des jugement s camouflés.

Le caract ère de j ugement de l a marchandi se est tout aussi indiscutabl e que celui de
la nouvell e. Quand nou s avon s constat é que l’effet négatif de la nouvelle consi st ait
à priver son destin ataire d’un e partie de sa liberté, nous avons p ar la même
occasion décrit l’effet que cherche à produire la m archandise exposée en vitrine.
C’est l e cli ent qui prend maint enant la place du destinat aire, le cli ent encore
absent que le prédi cat exp osé doit transfor mer en achet eur. p. 186

Nous so mmes di spen sés d’avoi r à juger par nou s-mêmes, et ce d’autant plus
radical ement que nous ne po uvon s pas nous empêcher de pren dre le jug ement
qu’on nous livre pour la réalité ell e-même. p. 187

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IV. La matrice

§ 20 Le Tout est moins vrai qu e la somm e des vérit és partiell es qu’il conti ent. Le
camouflage réali ste des st éréotyp es vi se à faire de l’expérien ce un stéréotype.

Notre époque n’est pas celle du surréalisme mai s cell e du pseudo-réali sme; c’est
une ép oque où l’on ret ouche les i mages, et qui a ell e-même r etouch é son i mage
pour se présenter comme l’époque des rév élations. p. 191

On ne ment pas avec des photos, on ment en photographiant p. 191

Les stéréot ypes sont des formes-con ditions a priori; non seulement de
l’entendement, du senti ment, mais aussi des comportement s et des actes, c’est-à-
dire des mat rices d’un usage si répandu et d’une puissance si univer selle qu e les
plus spécul atifs d es phil osophes n’aurai ent pu i maginer, et surtout pas ceux de
notre époqu e, qui est censée être celle de l’empiri sme. pp. 193-194

§ 21 Les conditionnem ents des besoin s.

Apprends à avoi r besoin de ce qui t’est offert . Car les offres de la marchandi se
sont les co mman dements d’auj ourd’hui . p. 197

Le refus d’acheter est considéré co mme un véritabl e sabotage des vent es, comme
une menace pour l es légiti mes exigences de la marchandi se et, par co nséquen t, pas
seul ement comme une cho se inconvenante mai s aussi, posit ivement, co mme un
délit s’apparentant au vol . pp. 197-198

[histoi re du polici er et du manque de voit ure …]

§ 22 Premier axiome de l’ontologie de l’économie : ce qui n’a lieu qu’une fois


n’est pas.

§ 23 Second axiom e de l’ontologi e de l’ économie : ce qui n’est pas exploitable


n’est pas.

§ 24 Les fantômes ne sont p as seul ement des m atri ces de l’expérien ce du monde;
ils sont aussi des mat rices du monde lui-même. Le réel comme reprodu ction de
ses rep rodu ction s.

La perfection va si loin qu’il ne subsi ste plus rien après la consommation, pas un
pépin, pas un poil, pas un os. Il ne reste plus le produit (comme, par ex emple, le
livre reste après la lect ure). Comme la pilule, le bien de conso mmation s’ est
dissous et a di sparu dans sa consommation. pp. 217-218

Karl Kraus : «Au commencement était la presse, ensuit e apparut le monde». p. 219

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V. Plus généralement
§ 25 Cinq conséquences :

1. le monde «nou s va pa rfaitement »

[et l’homme va parfaitement au monde]

2. le monde di sparaît

[il appartient à la cl asse des objet s consommables]

3. le monde est post-idéolo gique

[il n’a plus besoi n d’idéolo gie. Ce qui signifie qu’il est inutil e d’arranger après
coup de fausses visio ns du monde, des visions qui diffèrent du monde, des
idéologi es, pui sque l e cour s du monde .lui-même est déj à un spect acle arrangé.
Mentir devi ent su perflu quand le mensonge est devenu vrai .]

4. ceux qui sont conditionn és ont été préparés à l’être

[Le fait que l’homme va parfaitement au monde caract érise le conformi sme
actuel .]

5. l’exi stence n’est pas libre dans ce monde

[dans ce monde du pays de cocagn e post-i déologique]

Récapitulons une foi s encor e le travail des matrices. Elles ont une do uble action :

a) Elles conditionnent les événements réel s qui – puisqu’ils n’acquièrent de réalité


soci ale, ne deviennent réel s qu’une fois reproduits – n’ont désormai s plus lieu
qu’en vue de leur reproduction.

b) Ce réel conditionne à son tour (en tant que « matri ce-fille») les âmes des
consommateur s. p. 222

§ 26 Résistan ce tragi- comique : l’homme contempo rain se crée des difficultés


artifici elles comme obj ets de jouissance.

Nous ne sommes pas nés avec le seul besoin d’être rassasi és, mais av ec le besoin
seco nd de pourvoi r à ce ra ssasi em ent. p. 228

Tout le monde, y compris les ouvrier s, appartient désor mai s à la classe des loisi rs.
Notre vie à t ous est doublement ali énée : elle n’est pas seulement fait e de travail
sans fruit mai s au ssi de fruits obtenus sans travail . p. 229

Cette seconde aliénation du travail par rapport à ses fruits est l a véritabl e
souffrance que nou s inflige notre pays de cocag ne. p. 229

Les résistances sont aujourd’hui devenu es des produits.

C’est en pu re p ert e que ces millions de gens se donnent d u mal po ur a voi r du mal
à faire quelqu e chose. Car l’industrie s’est bien sûr emparée tout au ssi
prompt ement de ce mouv ement de rési st ance (qu’elle avait elle- même provoqué)
qu’elle s’empare de tout autre mouvement qui, exprimant de nouveaux besoins,
permet la vent e de nouveaux produit s. p. 231

§ 27 Encore une foi s le réel comm e ref let de ses reflet s. La métamorphose de
l’actrice V. en rep rodu ction de sa rep roduction.

Que le cas de l’ actrice V. provienne du cinéma et non de l a radio ou de l a


télévi sion ne fait aucun e différence. « Commence par devenir more photogenic».
Après du travail sur soi (…), elle avait accédé au rang de matrice pour les
matri ces, elle va pouvoir servir de matri ce à ces i mages de fil m qui, à leur tour,
serviront de matrice à notre goût. pp. 234-236

§ 28 Ce n’est pas celui qui tient com pte d’elle qui compte pou r cell e qui compte.

En finir avec la soif qu’av ait V. de devenir une image en invoquant si mpl ement la
vanité ou le désir de gloi re serait trop facile. Comme des millier s d’autres, V.
avait grandi dans un mond e où seul s l es f antômes (imag es) avai ent de l’i mportan ce
et où seule l’indu strie des fantômes était con sidérée comme une industri e
extraordinairement réelle. C’ est même bientôt devenu l a cause d’un profond
senti ment d’infériorité et de nu llité. p. 238

Elle aurait fait preuve d’arrogance si elle avait nagé à contre-courant, si elle avait
rejeté le présuppo sé que tout le monde dans son entour age reconnai ssait co mme
une évidence : le fait de d evenir une mar chandi se const itue une promotion et
qu’être con sommé en t ant que marchandi se est bien une preuve qu’on existe. p. 241

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