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SA MUEL BECIŒIT

Tous ceux
qui tombent

tES t.VI'110NS /JE .lIINI:I1'


MADA)lE ROONEY (Maddy) L'ne vieille damt. .
CnRISTY •...• . .••.•... Un cllarrt.lier.
MONSIEUR TYLER Un coulissier en
retraite.
MO!'OSIEUR SLOCU)I .••.•• Secr~taire ail çhamp
de courses.
TO'\!)lY • .•.••..• , ..••.. Un parleur.
MOXSIS C R BARREI.L Un chef dt gaU!.
MAl.IE'MOISELLE Fln Une dt.moist.lte
entre deux âges.
UNE VOTX OF. FEMME
DoLLY . . .•••.•••••.•.• Unt pt.lilt fille .
MONSJEUR ROQNEY ( Dan 1 Le mari de Madam e
Rooneu.
JERR\' ." •.•• , . . . . . • • . Un ptlit garçon.

Bruits de la campagne. Mouton, oiseau,


vache, coq, séparément, puis ensemble.
Silence.
() I?S7 by us EPinoNS DE M INUIT
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TOUS CEUX QUI TOMBENT TOUS CEUX QUI TOMBENT

Madame Rooney avance sur la raille, se Silence.


rendant à la gare. Bruit de ses pas IraÎ- 1
MADAME ROONEY. - Pourquoi vous
nanl~ .
1 arrêtez-vous? (Un temps.) Mais pourquoi
D'une maison en bordure de la roule m'arrêté-je?
vient une faible musique. « lA jeullé fille et Silence.
la Mort ». l.es pas ralentissent, s'arrêtent.
CHRISTY. - Beau temps pour les cour -
MADAME ROONEY. - Pauvre femm e!
ses, Ma'ame.
Toute seule dans cette vieille baraque en MADAME ROONEY. - Sans doute, sans
ruine. (Musique plus fort, dans /e silence. doule. (Un temps.) Mais se maintiendra-
Les pas reprennent. lA musiqu~ meurt. t-i1? (Un temps. Avec émotion.) Se main-
Mme Rooney murmure /0 mé/ot/ie. Son tiendra-t-il?
murmure meurt. Bruit d'une charrellt! qui Silence.
arrive, s'arrête. Les pas ralentissent,
CHRISTY. - Vous n' auriez pas besoin
s'arrêtent.) C'est vous, Christy?
des fois-
CHRISTY. - C'est lui, Ma'ame.
MADAME ROONEY. - Chut! (Un temps.)
MADAME ROONEY. - Il me semblail bien Le rapide déjà? C'est pas Dieu possible!
reconnaitre le bardot. Comment va voIre
pauvre femme?
Silence. Le bardot hennit. Silence.
CHRISTY. - Pas mieux, Ma'ame. CHRISTY. - Rapide mes fesses,
• MADAME ROONEY, - Oh Dieu soit loué!
MADAME ROONEY. - VoIre sœur alors?
J'aurais juré que c'était lui, ce bruit de ton-
CHRISTY. - Pas pire, Ma'ame. nerre au loin. (Un temps.) Alors, comme

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TOUS CEUX QUI TOMBENT TOUS CEUX QUI TOMBENT

ça, ça hennit, les bardots. Dans le fond , MADAME ROONEY. - Du fumier? Qu'est-
pourquoi pas? ce qu'on en ferait à notre âge? (Un temps.)
CHRISTY.- Vous n'auriez pas besoin Pourquoi allez-vous à pied? Pourquoi ne
des fois d'un petit tombereau de fumier? pas grimper là-haut sur votre fumier et
MADAME ROONEY. - Du fumier? Quel. vous laisser voiturer? Vous êtes sujet au
genre de fumier? vertige?
CHRISTY. - Du fumier de cochon . Silence.
MADAME ROONEY. - De cochon... Au CHRISTY (au bardot). - Hue, saleté! (Un
moins vous êles franc. (VII temps .) J'en temps. Plus forl.) Hue, saleté de bourri-
parlerai à mon mari. (Un temps.) Chri sty. que!
CHRISTY. - Oui Ma'ame. Silence.
MADAME ROONEY. - Vous né Irouvez
MADAME ROONEY. - 11 ne bouge pas
pas ma façon de parler un peu ... bizarre?
d'un poil. (Un temps.) Moi aussi je ferais
(Un temps.) Je ne parle pas de la voix. (Un
bien de me trotter, si je ne veux pas être
temps.) Non, je parle des mots. (Un temps.
en retard à la gare. (Un temps.) 11 y a un
Presqu'à elle-même.) Je n'emploie que les
instant il piaffait, il hennissait, et le voilà
mots les plus simples, j'espère, el cepen-
qui refuse d'avancer. Flanquez-lui donc un
dant quelquefois je trouve ma façon de vache coup sur les fesses. (Coup de bâton.
parler très ... bizarre. (Urt temps.) Miséri-
Un temps.) Plus fort! (Coup de bâton. Un
corde! Quel est ce bruit? temps.) Eh ben! Si on en faisait autant
CHRISTY. - C'est rien, Ma'ame. Il pète pour moi, ça ne traînerait pas. (Un temps.)
le feu aujourd'hui. Comme il me fixe, de ses grands yeux qui
Silence. pleurent sous la morsure des taons! Si je

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TOUS CEUX QUI TOMBENT TOUS CEUX QUI TOMBENT

poursuivais mon chemin, qu'il ne me voie c'est tout ce que je demandais, un peu
plus... (Coup dé bâton.) Non! Assez! Pre- d'amour, tous les jours, deux fois par jour,
nez-le par la bride et tournez-lui la tête, cinquante ans d'amour deux fois par jour,
qu'il ne me voie plus! Oh c'est affreux! à Paris, dans les bras d'un boucher cheva-
(Elle repart. Pas trainanls) Qu'est-ce que lin, quelle femme normale a besoin d'affec-
j'ai encore fait au bon Dieu? (Pas Irai- tion? Un bécot le matin sur la mâchoire
nanls.) II y a si longtemps... Avant le prés de l'oreille, et un autre le soir, bec
temps... Non! (Pas trainants. EII~ cite.) bec, jusqu'à ce qu'un bouc vous pousse.
« Avant le temps au lac qui erre, Par le ... Ah joli cytise, te revoilà!
(elle cherche, ne retrouve pas)... tamtam-
Pas trainants. Timbre de bicyclette.
me de la nuit. » (Elle s'arrêle.) Comment
C'est le vieux M. Tyler qui arrive der-
continuer, je ne peux pas. Ah, me répandre
rière elle, se rendant à la gare. Grin-
par terre comme une bouse et ne plus bou-
cement de freins. 1/ ralentit et roule
ger. U ne grosse bouse couverte de pous-
lentement à la hauteur de Madame
sière et de mouches, on viendrait m'en-
Rooney .
lever à la pelle. (Un temps.) Mon Dieu,
encore ce rapide qui arrive" qu'est-ce que MONSIEUR TYLER. - Madame Rooney 1
je vais devenir? (Les pas trainants repren- Vous permettez que je garde ma casquette,
nent .) Oui, oui, je sais, je ne suis qu'une si j'y touche je ramasse une pelle. Quel
vieille folle, pourrie de chagrin et de temps exquis pour les courses.
remords et de bonnes manières et de priè- MADAME ROONEY. - Oh monsieur Tyler
res et de graisse et de douleurs et de stéri- vous m'avez fait mourir de peur! Me tom-
lité. (Un temps. Voix brisée.) Minnie! ber dessus comme ça sans crier gareJ
Petite Minnie 1 (Un temps.) De l'amour, comme un Sioux! Oh !

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TOUS CEUX QUI TOMBENT TOUS CEUX QUI TOMBENT

MONSIEUR TYLER (badin). - Ah pardon, camionnette de Connolly! (Elle s'arrête.


j'ai fait marcher mon timbre, dring, dring, Bruit de la camionnefte qui se rapproche,
dès que je vous ai repérée, n'allez pas me passe à grand tracas et s'éloigne.) Ça va,
dire le contraire. monsieur Tyler? (Un temps.) Où est-il?
MADAME ROONEY. - Votre timbre et (Un l emps.) Ah vous voilà! (Les pas traî-
vous, mons.ieur Tyler, ça fait deux. Com- nal/ts reprennent.) 11 s'en est fallu d'un
ment va votre pauvre fille? cheveu.
MONSIEUR TYLER. - Pas mal, pas mal. MONSIEUR TYLER. - J'ai atterri à point
Ils lui ont tout enlevé, vous savez, tout nommé.
le ..• tremblement. Dans l'eau, mes petits- MADAME ROONEY. - Sortir, de nos jours
enfants. c'cst le suicide assuré. Mais rester chez soi,
Pas traînants. monsieur Tyler, rester chez soi, qu'est-ce
MADAME ROONEY. - Seigneur, comme que c'est? S'éteindre à petit feu . Nous
vous zigzaguez! Descendez, je vous en voilà blancs de poussière de la tête aux
supplie, ou alors filez en avant. pieds. Plaît-il?
MONSIEUR TYLER. - Et si je posais MONSIEUR TYLER. - Rien, madame,
légèrement ma main sur votre épaule, rien. Je ne faisais que maudire, doucement,
madame Rooney, qu'en diriez-vous? (Un Dieu et les hommes, tQut doucement, et le
temps.) Oui? samedi après-midi où, par un temps de
MADAME ROONEY. - Non, monsieur chien, cet enfant mâle fut conçu. Mon pneu
Rooney, Tyler je veux dire, j'en ai ma cla- arrière est à plat. Je l'ai gonflé à bloc avant
que des vieilles mains légères sur mon de partir et me voilà sur la jante.
épaule et autres endroits insensés, toujours MADAME ROONEY. - Pauvre!
à côté, ma claque. Seigneur, voilà la MONSIEUR TYLER. - Si c'était l'avant,

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passe encore. Mais l'arrière. L'arrière! La instant, le temps que cette saleté de pous-
chaîne! L'huile! La graisse 1 L'essieu 1 Le siere retombe sur cette saleté de terre.
dérailleur! Non! C'en est trop! Silence. Bruits de /a campagne.
Pas traînants. MONSIEUR TYLER. - Quel ciel! Quelle
lumière! Ah madame, malgré tout, quelle
MADAME ROONEY. - Sommes-nous tres bénédiction d'être vivant par un temps
en retard, monsieur Tyler? Je n'ai pas le pareil, et sorti de l'hOpita!.
courage de regarder ma montre. MADAME ROONEY. - Vivant?
MONS lEUR TYLER (amer). - En retard! MONSIEUR TYLER. - Eh bien ... disons à
Tout allait bien, je roulais comme un ange, moitié.
et j'etais dejà en retard. Nous sommes MADAME ROONEY. - Parlez pour vous,
donc maintenant doublement en retard, tri- monsieur Tyler, moi je n'en suis pas là,
plement, quadruplement en retard. Que ne loin de là. (Un temps.) Mais qu'est-ce qu'on
vous ai-je doublée, sans l'ouvrir! fait plantés là? Cette poussiere ne retom-
Pas tralnan/s. bera pas de notre vivant. Et pourquoi
retomberait-elte? Pour se faire renvoyer
MADAME ROONEY. - Vous allez au-
tourbillonner au ciel par le premier bolide
devant de qui, monsieur Tyler?
qui passe?
MONSiEUR TYLER. - Hardy. (Un temps.)
MONSIEUR TYLER. - Alors on y va ?
Nous faisions de la montagne ensemble. Je
MADAME ROONEY. - Non.
lui ai sauvé la vie, une fois. Moi. je ne l'ai
MONSIEUR TYLER. - Voyons, mada-
pas oublié. me-
Pas tralnants. Ils s'arrêtent. MADAME ROONEY. - Allez, monsieur,
MADAME ROONEY. - Arrêtons-nous un passez votre chemin et laissez-moi là, à

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TOUS CEUX QUI TOMBENT TOUS CEUX QUI TOMBENT

écouter roucouler les palombes. (Roucou- MADAME RooNEY (voix brisée). - Elle
lemenl.) Si vous voyez mon pauvre aveugle aurait dans les quarante ans, à présent,
de Dan, dites-lui que j'aliais à sa rencon- je ne sais pas, cinquante, tremblant de tout
tre quand tout m'est retombé dessus, son joli petit corps, au seuil du retour
comme une cataracte. Dites-lui, Votre pau- d'age.
vre femme vous fait dire que tout lui est MONSIEUR TYLER. - Voyons, madame,
retombe dessus, comme une avalanche et... courage, venez, le rapide
(la voix se brise) ... qu'elle est rentrée ... à MADAME ROONEY (explosanl). - Allez-
la maison ... lout simplement... à la mai- vous me ficher la paix, monsieur Rooney,
son ... Tyler, je veux dire, allez-vous me ficher la
MONSIEUR TYLER. - Voyons, madame, paix, à la fin? Vous ne m'avez pas encore
courage, venez, le rapide n'est pas encore assez tourmentée? Quel est ce pays où une
passé, prenez mon bras libre et nous y femme ne peut pas se promener tranquille-
serons bien avant l'heure. ment par monts et par vaux en pleurant
MADAME ROONEY (sanglolant). - Quoi? toutes les larmes de son corps sans être
Qu'est-ce qu'il y a encore? Vous ne voyez empoisonnée par des coulissiers à la
pas que j'ai de la peine? (Avec colère.) retraite! (M. Tyler s'apprêle à remonler
Vous n'avez donc aucun égard !l0ur ceux sur sa bicyclette.) Mon Dieu, vous n'allez
qui souffrent? (Sanglolanl.) Minnie! Ma pas rouler à plat 1 (M. Tyler monte.) Mais
petite Minnie 1 votre chambre à air 1 Vous allez la mettre
MONSIEUR TYLER. - Voyons, madame, en lambeaux! (M. Tyler s'élance. Saccades
courage, venez, te rapide n'est pas encore de la bicycletle qui s'éloigne. Silence. Rou-
passé, prenez mon bras libre et nous y coulements.) Oiseaux de Vénus 1 Se béco-
serons bien avant l'heure. tant dans les bois tout le long de l'été. (Un

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temps.) Maudit corset! Si je pouvais le mon vieux flirt monsieur le Secrétaire


délacer sans outrage à la pudeur. Mon- Général, dans sa limousine!
sieur Tyler! Monsieur Tyler! Revenez vite MONSIEUR SLOCUM. - Puis-je vous
me desserrer derrière la haie! (éclal de rire déposer quelque part, madame? Vous
débridé.) Mais qu'est-ce que j'ai, qu'est-ce allez dans ma direction?
que j'ai? jamais tranquille! Vieille peau MADAME ROONEY. - Dame, nous y
qui péte, vieux crâne qui éclate 1 Ah partir allons tous. (Un temps.) Comment va votre
en .atomes, en atomes! (Frénélique.) ATO- pauvre mère?
MES! (Silence. Roucoulemenls. Faible-
MONSIEUR SLOCUM. - Merci, il ne faut
menl.) Jésus 1 (Un lemps.) Jésus!
pas se plaindre. Nous veillons à ce qu'elle
Bruit d'une voilure qui arrive der- ne souffre pas trop. C'est là le principal,
rière elle. Elle ralentit et s'arrêle a sa n'est-ce pas?
hauteur. Le moleur laurne taujours. MADAME ROONEY. - En effet, monsieur,
C'est monsieur Sloeum, secrétaire au c'est là le principal, je me demande
champ de courses. comment vous vous y prenez. (Un temps.
Elle s'envoie une claque relen/issante sur
MONSIEUR SLOOJM. - Quelque chose la joue.) Ah ces guêpes!
qui ne va pa s, madame Rooney? Vous
MONSIEUR SLOOJM (avec froideur). -
voilà pliée en deux. Voüs avez mal au ven-
Puis-je donc vous déposer quelque part?
tre?
MADAME ROONEY (avec enthousiasme).
Silence. Rire débridé de Madame - Oh quelle joie ce serait pOllr moi, cher
Rooney. ami, quelle joie 1 (Dubitative.) Mais vais-je
MADAME ROONEY. - Ça par exemple, pouvoir monter, vous avez J'air très haut

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TOUS CEUX QUI TOMBENT TOUS CEUX QUI TOMBENT

perché aujourd'hui, ces nouveaux pneus MADAME ROONEY. - Comme si j'étais


ballon sans doute. (M. Sloeum ouvre la une balle de son, n'ayez pas peur. (Bruit
portière, Mme Rooney essaie de monter.) d'efforts.) Voilà 1 (Bruit d'efforts.) Plus
Pas moyen d'ouvrir cette capote, non? bas! (Bruit d'efforls.) Attendez! (Un
(Efforts de Mme Rooney.) Non, rien à temps.) Non, ne me lâchez pas! (Un
faire, je n'y arriverai jamais. Descendez, temps.) Mettons que j'arrive à monter,
mon cher, et poussez-moi par derrière. arriverai-je à redescendre?
(Un temps.) Vous dites? (Un temps. MONSIEUR SLOCUM (haletant). - Vous
Vexée.) C'est vous qui m'avez fail des pro- descendrez, madame, vous descendrez.
positions, monsieur, moi je ne vous ai rien Nous n'arriverons peut-être pas à vous
demandé. Passez votre chemin, monsieur J
faire monter, mais je vous garantis que
passez votre chemin. nous arriverons à vOus faire descendre.
MONSIEUR SLOCUM (coupant le moteur).
Il reprend ses efforts.
- J'arrive, madame, j'arrive. Une se-
conde! Je sufs raide moi aussi. MADAME ROONEY. - Oh 1... Plus bas 1. ..
N'ayez pas peur 1. .. Nous avons passé l'âge
On l'entend s'extraire de son siège
de ... Là 1. .. Votre épaule par-dessous 1. ..
et sortir.
Oh 1... (Petit rire.) Ciel 1. .. Plus haut, plus
MADAME ROONEY. - Raide! Moi? Ce haut!... Ah !... Je suis dedans! (Halètement
monceau de gèlatine ! (Un temps.) Vieux de M. Sloeum. Il claque la portière.) Ma
beau! robe ! Vous avez coincé ma robe ! (M.
MONSIEUR SLOCUM (en place derrière Sloeum rouvre la portière. Mme Rooney
elle). - Voilà, madame Rooney, je suis dégage sa robe. M. Sloeum claque la por-
prêt. Comment est-ce qu'on s'y prend? tière, regagne l'autre portière en jurant

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TOUS CEUX QUI TOMBENT TOUS CEUX QUI TOMBENT

entre ses dents. Oeignarde.) Ma jolie robe, teur rontle. Criant pour se taire el/tendre.)
regardez ce que vous avez fait de ma jolie Je lui laissais trop d'air!
robe! (M. Siocum s'installe, claque la por- fi réduit le régime du moteur ,
tière, appuie sur le démarreur. Le moteur démarre dans un grincement de
ne part pas. 1/ lâche le démarreur.) Que vitesses.
dira Dan quand il verra ça? MADAME ROONEY (avec angoisse). - La
MONSIEUR SLOCUM. - Il a donc recou- poule! (Orineement de treins. Cri de poule.)
vré la vue? Depuis quand? Aïe, vous l'avez écrasée 1 Plus vite 1 Plus
MADAME ROONEV. - Non, je veux dire vite! (M. Sloeum accélère.) Quelle fin ! On
quand il saura, que dira-t-il quand il sentira picore son crottin, tout heureuse, au bon
le trou? (M. Sloeum appuie $ur le démar- soleil, un petit bain de poussière par-ci
reur. Même jeu.) Qu'est-ce que vous faites? par-là, et tout d'un coup, crac! adieu.
MONSIEUR SLOCUM. - Je regarde droit (Un temps.) Adieu œufs, pou ssins adieu.
devant moi, à travers le pare-brise, dans le (Un temps.) Un cri, un seul, puis... rideau.
vide. (Un temps.) On lui aurait tordu le cou de
MADAME ROONEV. - Mettez-ta en toute façon, tôt ou tard . (Un temps.) Voici
marche, je vous en supplie, et partons 1 la gare, je descends. (La voiture ralentit,
C'est affreux 1 s'arrête. Le moteur tourne toujours. Coup
MONSIEUR SLOCUM (rêveusement). - de klaxon. Un temps. Plus fort. Un temps.)
Depuis l'aube elle roule comme un ange et Qu'est-ce que vous fabriquez encore? Nous
la voilà fichue. Les bonnes actions, ah, sommes arrêtés, il n'y a plus de danger, et
parlons-en. (Un temps. Reprenant espoir.) vous cornez. Si au lieu de corner mainte-
Et si j'essayais avec l'étrangleur ... (fi le nant vous aviez corné. pour cette malheu-
tait, puis appuie sur le démarreur. Le mo- reuse -

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Violent coup de klaxon. Tommy le TOMMY (en la tiran/). - Votre plume!


porteur apparaît en haut des marches (Bruit d'efforts.) N'ayez pas peur.
menant au quai. MADAME ROONEY. - Doucement, bon
MONSIEUR SLOCUM (appelant). Dieu, tu veux me décapiter?
Descend s, Tommy, et aide la dame à sortir TOMMY. - Courbez-vous, m'dame..
de là, elle est coincée. (Tommy descend les courbez-vous, et passez la tête.
marches.) Ouvre la portière, TommYI et MADAME ROONEY. - Me courber!
délivre-la. Encore 1 A mon âge 1 C' est de la démence!
TOMMY. - Oui m'sieur. (II ouvre la TOMMY. - Pesez dessus, m'sieur.
portière.) Belle journée pour les courses, Bruit de leurs efforts réunis.
m'sieur. Vous n'auriez pas un tuyau pour-
MADAME ROONEY. - Pitié !
MADAME ROONEY. - Mais je vous en
TOMMY. - Ça vient, ça vient 1 Redres-
prie ! Ne vous occupez pas de moi. Je
sez-vous, m'dame. Ça y eiit.
n'existe pas. Le fait est notoire.
MONSIEUR SLOCUM. - Fais ce qu'on te M. Slocum claque la portii!re.
demande, Tommy, pour J'amour du ciel. MADAME ROONEY. - Je suis sortie?
TOMMY. - Bien m'sieur. Voix furieuse de M. Barrell, chef de
/1 commence à lirer Mme Rooney gare.
hors de la voiture. MONSIEUR BARRELL. - Tommy! Tom-
MADAME ROONEY. - Doucement, Tom- my ! Oil est cet enfant de salaud ?
my, doucement, ne me bouscule pas.
Laisse-moi seulement pivoter, que je puisse
M. Slocum engage sa première
poser le pied par terre. (Ses efforts pour ce
vitesse avec un grincement.
faire .) Voilà. TOMMY (avec précipitation). - Vous

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TOUS CEUX QUI TOMBENT TOUS CEUX QUI TOMBENT

n'auriez pas un tuyau pour le Prix des MONSIEUR BARRELL. - Allez, grouille,
Dames, m'sieur? On m'a fil~ Flash Harry. tu entends, ou gare au rapport. (Pas de
MONSIEUR SWCUM (méprisanf). Tommy qui monte lentement les marches.)
Flash Harry! Cette haridelle! Tu veux mon pied quelque part? (Les pas
MONSIEUR BARRELL (en haut des mar- vont plus vite, s'éloignent.) Ah cette vie!
ches, hurlant). -,Tommy! Je vais t'arra- (Un temps.) Eh bien, madame Rooney, ça
cher les (ft voit Mme Rooney.) Oh pardon, fait plaisir de vous revoir sur pied. Vous
madame. (M. Siocum démarre dans un êtes restée longtemps au lit.
grincement de vitesses.) Qui c'est qui MADAME ROONEY. - Pas assez, mon-
m'esquinte cette boite à vitesses ? sieur Barrell, pas assez. (Un temps.) Ah
TOMMY. - C'est cette vieille tanle de être encore au lit, monsieur Barrell , être
Siocum. encore dans mon bon lit, en train de fondre
tout doucement, sans dou.leur, me susten-
MADAME ROONEY. - Vieille tante ! En
tanl de bouillies et de blanc de poulet, et
voilâ une façon de parler de ses supérieurs.
finir plate comme une limande sous les
Vieille tante! Toi, un enfant trouvé!
couvertures. (Un temps.) Oh sans tousser,
MONSIEUR BARRELL (Jurieux, li Tommy). bien sOr, ni cracher, ni saigner, ni vomir,
- Qu'est-ce que tu fous là à Irainer sur dégringoler gentiment dans la vie éternelle
la route? Tu n'as rien à faire ici. Allez, en me rappelant, me rappelant ... (la voix se
ouste: file sur le quai et sors-moi le diable. brise) .. . tout ce piètre malheur ... comme si...
Tu ne sais pas que le midi trente va nous il .n'avait jamais ... été ... Qu'est-ce que j'ai
tomber dessus en moins de deux? fait de ce mouchoir ? (Elfe se mouche
TOMMY (amer). - Rendre service aux bruyamment.) Ça fait combien de temps
gens, ah, partons~en . que vous êtes chef de gare ici?

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TOUS CEUX QUI TOMBENT TOUS CEUX QUI TOMBENT

MONSIEUR BARRELL. - Ma foi, madame, temps.) Et cependant le rapide n'est pas


là vous m'en demandez trop. encore passé. (Un temps.) Ou si vite que
MADAME ROONEY. - Vous avez rem- je ne m'en suis pas aperçue? (Un temps.)
placé votre père, si je ne me trompe, quand Car tout à l'heure, maintenant ça me
il a amené ses drapeaux. revient, j'étais tellement ablmée dans ma
MONSIEUR BARRELL. - Pauvre papa ! douleur que je n'aurais pas entendu un
(Seconde de silence.) Il n'a pas eu le temps rouleau compresseur me passer dessus. (M.
de planter beaucoup de choux. Barrell décroche.) Ne partez pas, monsieur
MADAME ROONEY. - Je le revois comme Barrell 1 (M. Barrell s'en va.) Monsieur
si c'était hier. Un petit veuf rougeaud, à la Barrell ! (Un temps.) Monsieur Barrell !
figure de fouine, sourd comme un pot, M. Barrell revient.
toujours en train de grogner et de geindre.
MONSIEUR BARRELL (agacé). - Qu'est-
(Un temps.) Et vous-même? Ce n'est pas
ce que c'est, madame Rooney? j'ai du
bientOt l'heure du repos? Au milieu de vos
travail, moi.
rosiers? (Un temps.) Vous disiez que te
midi trente allait bientôt nous tomber Silence. Bruit du vent.
dessus, si j'ai bien compris. MADAME ROONEY. - Le vent se lève.
MONSIEUR BARRELL. - Ça, vous l'avez (Un temps. Vent.) Fini le beau temps pour
bien compris. aujourd'hui. (Un temps. Vent. Réveuse-
MADAME ROONEY. - Mais si j'en crois ment.) Bientôt la pluie va tomber, tomber,
ma montre, dont l'heure est celle - ou tout l'après-midi. (M. Barrell s'en va.)
l'était - de l'horloge parlante, il doit être Puis ce sera Je soir, le ciel se dégagera, le
maintenant pas loin de midi... (elle soleil brillera un instant, avant de plonger,
consulte sa montre.) ... trente-six. (Un derrière les collines. (elle s' aperçoit que

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TOUS CEUX QUI TOMBENT TOUS CEUX QUI TOMBENT

M. Barrell est parti.) Monsieur Barrell! MADEMOISELLE FITT. - Madame Roo-


Monsieur Barrell 1 (Un temps.) Je les indis- oey! Je vous ai vue, mais sans vous voir.
pose tous. Ils viennent à moi, sans que je MADAME ROONEY. - Dimanche dernier
les appelle, sans rancune, pleins de gentil- nous étions ensemble au temple. Nous nous
lesse, prêts à m'aider. .. (la voix se brise) ... sommes agenouillées devant le même autel.
sincèrement heureux ... de me revoir. .. si Nous nous sommes abreuvées au m~me
fralche... et dispose... (Mouchoir.) Deux calice. Ai-je donc tellement changé depuis
mots, de mon cœur, et me revoilà seule, lors?
une fois de plus. (Mouchoir. Véhémente.) MADEMOISELLE FITT (choquée). - Mais,
Je ne devrais plus sortir! Plus jamais! madame, au temple je suis seule avec mon
Plus bouger de l'enceinte 1 (Un temps.) Créateur. Vous pas? ( Un temps.) Le
Tiens, la fille Fitt 1 Je me demande si elle sacristain lui-même, quand il fait la quête,
va me saluer. (Pas de Mlle Fitt qui arrive . sait qu'il est inutile de s'arrêter devant moi,
en fredonnant un cantique. Elle commence je ne vois même pas ,'assiette, ou la bourse,
à monter les marches.) Mademoiselle Fit! ! enfin la chose qu'on vous tend, comment le
pourrais-je? (Un temps.) Même lorsque
(Mlle Fili s'arr~te, cesse de fredonner.)
tout est fini et que je me retrouve dehors,
SuisOje donc invisible, mademoiselle? Ce
à l'air pur, même à ce moment-Jà, sur deux
mà fil à fleurs me va donc si bien que je cents mètres au moins, je titube dans une
me confonds avec le mur? (Mlle Fili des- sorte d'êblouÎssement, sans voir les autres
cend une marche.) C'est ça, mademoiselle, fidèles. Et ils sont gentils, je dois le dire, la
écarquillez bien les yeux et vous finirez par plupart, très gentils et compréhensifs. Ils
distinguer une ci-devant silhouette de me connaissent maintenant, et ne m'en
femme. tiennent pas rigueur. La voilà, disent-ils,

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TOUS CEUX QUI TOMBENT TOUS CEUX QUI TOMBENT

la brune demoiselle Fitt, la voilà qui s'en Vous avez l'air - comment dire? - si
va toute seule avec son Créateur, fichons- drôle. Si courbée. Si penchée.
lui la paix. Et ils descendent du trottoir MADAME ROONEY (avec amer/ume). -
pour m'éviter de leur renlrer dedans. (Un Maddy Rooney, née Dunne, espèce de
temps.) Ah oui, je suis distraite, très grosse tache pâle. (Un /emps.) Vous avez
distraite., même en semaine. Demandez à un Œil de lynx, mademoiselle, vous ne vous
maman, si vous ne me croyez pas, Hetty, rendez pas compte, littéralemenl de lynx.
me dit-elle, quand je me mels à manger ma
Un temps.
serviette au lieu de ma tartine de beurre,
Hetty, me dit-elle, comment peut-on être MADEMOISELLE FITT. - Eh bien ...
lellement distraite? (Soupir). A vrai dire puisque je suis là maintenant, qu'y a-t-il
je pense que je ne suis pas là, madame pour votre service?
Rooney, toul simplement pas là. Je vois, MADAME ROONEY. - Si vous m'aidiez à
j'entends, je sens, et ainsi de suite, je escalader cette falaise, mademoiselle, je
m'acquitte des gestes habituels, mais le pense que votre Créateur vous le revau-
cœur n'y est pas, madame RooneYJ le cœur drait, lui au moins.
n'y est pas du tout. Laissée à moi-même, MADEMOISELLE FITT. - Allez, allez,
sans personne pour me retenir. je serais madame Rooney, rentrez vos griffes.
vite envolée ... dans ma vraie patrie. (Un Revaudrait! Ces corvées je les fais gra-
temps.) N'allez donc pas croire que j'ai fail cieusement - ou pas du tout. (Elle descend
exprès de ne pas vous voir, ce serait me quelques marches, s'arrête.) Vous voulez
faire une injure. Je n'ai vu qu'une espèce sans doute vous appuyer sur moi?
de grosse tache pâle, encore une. (Un MADAME ROONEY. - J'ai demandé à
temps.) Ça ne va pas, madame Rooney? monsieur Barrell de me prfter son bras,

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TOUS CEUX QUI TOMBENT TOUS CEUX QUI TOMBENT

simplement de me prêter son bras. (Un MADAME ROONEY. - Les fourmis le font
temps.) Il a touJOc les talons et m'a planlée entre elles. (Un lemps.) j'ai vu des limaces
Ill. le faire . (Mlle Filt lend son bras.) Non,
MADEMOISELLE FITT. - Alors c'est mademoiselle, le droit, si ça ne vous fait
Illon bras que vous voulez? (Un temps. rien, je suis gauchère, pour comble de
Impatiente.) C'est mon bras que VOus bonheur. (Elle prend le bras droit de Mlle
voulez, madame, ou quoi? Fitt.) Aïe, vous n'êtes qu'un sac d'os 1
MADAME ROONEY (explosant). _ Votre Il vOus faut vous remplumer! (Bruil
bras! N'importe quel bras! Un bras! Ulle d'ascension.) C'est pire que le Matterhorn,
main secourable 1 Cinq secondes! Jésus, vous y êtes montée? Toujours noir de
quelle planéte ! jeunes mariés. (Bruit d'ascension.) Pas
MADEMOISELLE FITT. - Vraiment... même une rampe 1 (Halèlements.) Atten-
vous voulez que je vous dise? j'ai l'impres- dez, que je souffle. (Un lemps.) Ne me
sion que ça ne vous vaut rien de sortir. lâchez pas! (Mlle Filt fredonne son can-
MADAME ROONEY (Ollee violence). _ Iique. A sa voix, après un instant,
Descendez, mademoiselle, descendez de là Mme Rooney unifia sienne, en chanlanlles
et donnez-moi le bras, ou j'ameute la paroles.) Mon rocher, ma forteresse ...
paroisse. (Mlle Fitt s'arrêle de fredonner).. . mon
Un lemps. Venl. Mlle Fitt descend tamtamtam protecteur 1 (A pleine voix.)
les dernières marches. Mon recours dans la détresse, c'est-
MADEMOISELLE FITT (hyslérique). -
MADEMOISELLE FITT (résignée). - C'est Arrêtez, madame Rooney, arrête.z ou je
bon, allons jusqu'au bout de nos devoirs rie vous lâche!
protestante. MADAME ROONEY. - Ce n'est pas ça

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TOUS CEUX QUI TOMBENT TOUS CEUX QUI TOMBENT

qu'ils ont chanté Sur le Lusilania 7 Ou est- MONSIEUR TYLER. - En voilà une façon
ce que je confonds avec « Mon Dieu, plus de traiter des subordonnés sans défense,
prés de toi» ? Ça devait cltre émouvant. Ou monsieur Barrell. A coups de poing sans
est-ce que je confonds avec le Titanic? préavis dans le bas-ventre 1
Alliré par le bruit un groupe, donl MADEMOISELLE FITT. - Est-ce que
M. Tyler, M. Barrell et Tommy, se quelqu'un a vu ma mère?
rassemble en haut des marches. MONSIEUR BARRELL, - Qui est-ce?
MONSIEUR BARRELL. - Nom de TOMMY. - La brune demoiselle Fit!.
Silence. MONSIEUR BARRELL. - Où est sa telte?
MONSIEUR TYLER. - Beau temps pour MADAME ROONEY. - Voilà, mon enfant,
les courses. je suis à vous, quand vous voudrez. (Elles
Eclat de rire de Tommy, auquel monlenl péniblemenl les dernieres mar-
M. Barrell coupe court d'un coup de ches.) Arriére, manants 1
poing dans le ventre de celui-là. Bruit Bruit confus de pas.
approprié de Tommy.
VOIX DE FEMME. - Attention. Dolly!
VOIX DE FEMME (perçante). - Oh Dolly,
MADi\ME ROONEY. - Merci, merci, ça
regarde 1
suffit, vous n'avez pius qu'à m'appuyer
DOLLY. - Quoi, maman? contre le mUf, comme si fêtais un tapis
VOIX DE FEMME. - Elles sont coincées. roulé, et ce sera tout, pour l'instant. (Un
(Rire aigu.) Elles sont coincées! temps.) Je suis désolée de tout ce branle-
MADAME ROONEY. - Nous voilà la risée bas, mademoiselle. Si j'avais su que vous
des vingt-six comtés. A moins qu'ils ne cherchiez votre maman, je ne vous aurais
soient trente-six. pas importunée, je sais ce que c'est.

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TOUS CEUX QUI TOMBENT TOUS CEUX QUI TOMBENT

VOIX DE FEMME. - Viens, Dolly, viens MONSIEUR TYLER (à Mlle Fitf). - Quand
mon agneau, allons nous poster devant vous dites le dernier train -
l'arrêt des premières, non fumeurs. Donne MADAME ROONEY. - Ne vous flattez pas
ta menotte et tiens-moi ferme, quelquefois un scul instant, parce que je me tiens 010-
on est aspiré SOus les roues. mentanement à l'écart, que j'aie cessé de
MONSIEUR TYLER. - Vous avez perdu souffrir. Non. Je vois la scéne, les collines,
votre mère, mademOiselle? la plaine, le champ de courses avec ses
MADEMOISELLE FITT. - Bonjour, 1110n- kilomètres de clôture blanche et ses trois
sieur Tyler. tribunes rouges, et ce petit bijou de gare
de campagne, oui, et vous-mêmes, je ne
MONSIEUR TYLER. - Bonjour, made-
plaisante pas, et par-dessus toutes ces lai-
moiselle Fitt.
deurs J'azur qui se couvre, oui, je me tiens
MONSIEUR BARRELL. - Bonjour, made- là et je vois tout ça, avec des yeux ... (la
moiselle Fitl. voix se brise) ... des yeux... ah si vous aviez
MADEltIOISELLE FITT. - Bonjour, 1110n- mes yeux ... vous comprendriez ... les choses
sieur Barrell. qu'ils ont vues ... sans se détourner ... tout
MONSIEUR TYLER. - Vous avez perdu ça n'est rien ... rien ... Qu'cst-ce que j'ai fait
votre mère, mademoiselle? de ce mouchoir?
MADEMOISELLE FITT. - Elle m'a di! Un lemps.
qu'elle arriverait par le dernier train.
MONSIEUR TYLER (à Mlle Fitt). - Quand
MADAME ROONEY. - Ne vous imaginez vous dites le dernier train - (Mme Rooney
pas, parce que je me tais, que je ne suis se mouche longuemenl et bruyamment.)
pas là, et attentive à tout ce qui se passe. Quand vous dites le dernier train, made-

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TOUS CEUX QUI TOMBENT TOUS CEUX QUI TOMBENT

moiselle, sans doute faites-vous allusion au plaise ou non, que le midi trente n'est pas
midi trente. encore arrivé.
MADEMOISELLE FITT. - A quel autre MADEMOISELLE FITT. - Pas d'accident,
pourrais-je faire allusion, monsieur Tyler, au moins? (Un temps.) Ne me dites pas
à quel aUlre est-il concevable que je fasse qu'il est sorti des rails! (Un temps. Avec
allusion? désespoir.) Petite maman chérie 1 Avec la
MONSIEUR TYLER. - En ce cas, made- limande de notre déjeuner!
moiselle, vous n'avez pas fi VOus tour-
menter, car le midi trente n'est pas encore Eclat de rire de Tommy, réprimé
arrivé. Regardez. (Elle regarde.) Non, en comme précédemment par M. Barrel/ .
amont. (Elle regarde. Patiemment.) Non, MONSIEUR BARRELL. - Assez déconné,
mademoiselle., suivez mon index. (EI/e toi! File à la cabine et demande à mon-
regarde .) Voilà, vous voyez maintenant. Le sieur Case s'il y a du nouveau.
sémaphore. A l'obscène horizontale de
neuf heures. (Se reprenant avec mélanco- Tommy s'en va.
lie.) Ou de trois heures, hélas 1 (Monsieur MADAME ROONEY. - Pauvrè Dan!
Barrel/ étouffe un éclat de rire .) Merci, MONSIEUR TYLER. - Allons allons,
monsieur Barrell. mademoiselle Fitt, ne vous -
MADEMOISELLE FITT. - Mais il va être MADAME ROONEY (avec véhémence). -
bientôt - Pauvre Dan!
MONSIEUR TYLER (patiemment). - Nous MADEMOISELLE FITT. - Un malheur!
savons tous, mademoiselle, nous ne savons Je le savais!
tous que trop bien ce qu'il va être l)ientOt. MONSIEUR TYLER. - Allons allons,
Il n'en reste pas moins, que cela nous mademoiselle FitL, ne vous laissez pas

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TOUS CEUX QUI TOM8ENT TOUS CEUX QUI TOMBENT

aller... au désespoir. Tout s'arrangera ... à onze minutes de retard , sur ce bref par-
la fin. (A part à M. 8arrell.) Entre nous, cours, sans motif, j'imagine. (Un temps.)
monsieur Barrell, de quoi s'agit-il, au Que votre gare soit la plus coquette de
juste? D'une collision? Je ne peux pas le l'ensemble du réseau, nous le savons tous.
croire. Mais il y a des moments où cela ne suffit
MADAME ROONEY (avec enthousiasme). pas, non, vraiment pas. (Un temps.) Allons,
- Une collision! Oh ce serait merveil- mOllsieur Barrell, assez de broutiller votre
leux ! moustache, nous attendons une explication,
MADEMOISELLE FITT. - Une collision 1 nous les parents les plus proches, sinon les
plus chers, de vos infortunés demi-tarif.
Je le savais!
MONSIEUR TYLER. - Venez, mademoi- Un temps.
selle, allons un peu sur le quai. MONSIEUR TYLER (Sllf un ton raisonna-
MADAME ROONEY. - C'est ça, allons-y ble). - II me semble en effel qu'on nous
tous. (Un temps.) Non? (Un temps.) Vous doit quelques éclaircissements, ne serait-ce
avez changé d'avis? (Un temps.) Tout à que pour nous tranquilliser.
fait d'accord, on est mieux ici, à l'ombre MONSIEUR BARRELL. - Je ne sais rien.
de la salle d'attente. Il y a eu un accident technique, c'est toul
MONSIEUR BARRELL. - Excusez-moi un ce que je sais. Le trafic est retardé sur
instant. toute la ligne.
MADAME ROONEY. - Avant de vous MADAME ROONEY (ironique). - Retardé!
esquiver, monsieur Barrell, une petite mise Un accident technique! Ah ces célibatai-
au point, je l'exige. Même l'omnibus le plus res! Nous sommes là en train de nous
poussif n'a pas dix minutes, que dis-jc, ronger les sangs pour nos bien-aimés et il

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TOUS CEUX QUI TOMBENT TOUS œux QUI TOMBENT

appelle ça un accident technique! Ceux « Boghi/l! Boghill ! » A lue-Iête.) Dan !...


d'entre nous qui ont le cœur et la ratc Tout va bien ? ... Où est-il 7... Dan ! ... Vous
dilatés - et c'est mon cas - peuvent n'avez pas vu mon mari ?... Dan L. (Bru il
s'affaler d'une seconde à l'autre et il appelle de la gare qui se vide. Sifflet du chef de
ça un accident technique! Dans nos fours train. L'omnibus repart, s'éloigne. Silence.)
le rOti du samedi est en train de se carbo- Il n'est pas dedans! Toules les tortures
niser el il appelle ça - que j'ai endurées pour venir jusqu' ici et il
MONSIEUR TYLER. - Voici Tommy qui n'est pas dedans! Monsieur Barrell! Il
arrive, au pas de course. Je suis content n'était pas dedans! (Un temps .) Ça ne va
d'avoir vu ça, avant de mourir. pas? Vous avez vu un fantôme? (Un
temps.) Tommy! Il n'était pas dedans?
TOMMY (excite, de loin). - Il arrive!
TOMMY. - Il arrive, m'dame. Jerry s'en
(Un temps . De plus pres.) Il est au passage
occupe.
à niveau!
M. Rooney surgit sur le quai. 1/
Aussitôt bruits de gare. Sonneries
avance, appuyé sur l'épaule du petit
et sifflets. Sifflement du rapide qui
ferry. 1/ est aveugle. 1/ frappe le sol
passe. de sa canne et halète sans arrêt
MADAME ROONEY (criant pour se faire
entendre). - Le rapide! Le rapide (Le MADAME ROONEY. - Dan! Te voilà
enfin! (Elle s'élance vers lui. Bruit de ses
rapide s'éloigne, croise l'omnibus qui
arrive, entre en gare à grand bruit de pas traînants. 1/5 se rejoignent, s'arrêtent.)
vapeur et de ferraille, s'arrête. Bruit des D'où sors-tu, pour l'amour du ciel?
passagers qui descendent, des portières MONSIEUR ROONEY (avec froideur) . -
qui claquent, elc. M. Barrell hurle,' Maddy.

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TOUS CEUX QUI TOMBENT TOUS CEUX QUI TOMBENT

MADAME ROONEY. - Mais d'ou sors-tu ', MONSIEUR ROONEY. - Je n'ai rien
MONSIEUR ROONEY. - Des cabinets. entendu.
MADAME ROONEY. - Embrasse-moi 1 MADAME ROONEY. - Mais je t'ai donné
MONSIEUR ROONEY. - T'embrasser 7 une cravate 1 Tu l'arbores.
En public? Sur le quai 7 Devant le petit? Un temps.
Tu es tombée sur ta tête? MONSIEUR ROONEY. - j'ai quel âge
MADAME ROONEY. - Jerry s'en fiche.
maintenant?
N'est-ce pas, Jerry? MADAME ROONEY. - T'occupe pas de
JERRY. - Oui m'dame. ça. Viens.
MADAME ROONEY. - Comment va ton
MONSIEUR ROONEY. - Pourquoi n'as-tu
pauvre papa 7 pas décommandé le petit? Maintenant il
JERRY. - Ils l'ont emporté, m'dame.
va falloir lui donner un penny.
MADAME ROONEY. - Alors te voilà seul
MADAME ROONEY (malheureuse). - j'ai
au monde 7 oublié. j'ai cru que je n'allais jamais arri-
JERRY. - Oui m' dame.
ver. Tous ces gens épouvantables! (Un
MONSIEUR ROONEY. - Pourquoi es-tu
temps. Suppliante.) Sois gentil, Dan, sois
venue? Tu ne m'as pas prévenu.
gentil avec moi aujourd'hui.
MADAME ROONEY. - Je voulais te faire
MONSIEUR ROONEY. - Donne-lui un
une surprise. Pour ton anniversaire.
MONSIEUR ROONEY. - Mon anniver- penny.
MADAME ROONEY. - Tiens, Jerry, voici
saire 7 un pennYJ cours vite acheter un rocher
MADAME ROONEY. - Tu ne te rappelles
pas 7 Je te l'ai souhaité dans la salle de praliné.
JERRY. - Oui m'dame.
bains.

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TOUS CEUX QUI TOMBENT TOUS CEUX QUI TOMBENT

MONSIEUR ROONEY. - Viens me oher- MONSIEUR ROONEY. - Finissons-en avec


cher lundi, si je vis encore. ce précipice.
JERRY. - Oui m'sieur. MADAME ROONEY. - Mets ton bras
autour de moi.
1/ se sauve. MONSIEUR ROONEY. - Tu as encore bu?
MONSIEUR ROONEY. - Nous aurions pu (Un temps.) Tu trembles comme une feuille.
economiser six pence. Nous en avons éco- Vas-tu pouvoir me guider? (Un temps.) On
nomisé cinq. (Un temps.) Mais il quel prix? va tomber dans le fossé.
MADAME ROONEY. - Oh Dan! Ce sera
I/s partent le long du quai bras des- comme autrefois 1
sus bras dessous. Pas trainants. Hale-
tements. Bruit de la canne qui frappe MONSIEUR ROONEY. - Ressaisis-toi ou
j'envoie Tommy chercher le fiacre. Alors
le sol.
au lieu d'avoir économisé six pence, non,
MADAME ROONEY. - Tu n'es pas bien 7 cinq, nous en aurons perdu ... (il calcule en
I/s s'arrêtent, M. Rooney le premier. marmonnant) ... deux et trois moins six un
et non plus un un et non plus trois un
MONSIEUR ROONEY. - Une fois pour et neuf et un dix et trois deux et un ... (voix
toutes, ne me demande pas de parler et normale) nous aurons dilapidé la somme
d'avancer en même temps. Je ne te le de deux shillings et un penny. (Un temps.)
redirai plus, dans cette vie. Maudit soleil qui se cache. A quoi ressem-
I/s reparlent. Pas trainants, etc. Ils ble le ciel?
s'arrêtent en haat des marches. Vent.
MADAME ROONEY. - Tu n' cs pas - MADAME ROONEY. - A un ciel qui se

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TOUS CEUX QUI TOMBE.NT TOUS CEUX QUI TOMBENT

voile. Fini le beau temps ... pour aujour- MADAME ROONEY. - Ne me demande
d'hui. (Un temps.) Ce sera bientôt la pluie, pas de compter, Dan, pas maintenant.
les premières grosses gouttes, piaf! piaf! MONSIEUR RODNEY. - Pas compter! Un
dans la poussière. des rares plaisirs de la vie 1
MADAME ROONEY. - Pas les marches,
MONSIEUR ROONEY. - Et ce salopard Dan, je t'en prie, je me trompe toujours.
de baromètre au beau fixe. (Un temps.) Je pourrais te faire tomber sur ta blessure,
Rentrons vite nous installer devant le feu. j'ai assez de boue sur la conscience sans
Nous tirerons les rideaux. Tu me liras un ça. Non, tu n'as qu'à bien t'accrocher à moi
chapitre. Je sens qu'Ellie va coucher avec et tout ira bien.
le major. (Pas trainants.) Attends! (Les Bruit de descenJe. Halètements, tré-
pas s'arrêtent. La canne frappe les mar- buchements, exclamations, j u r 0 n s.
ches.) J'ai monté et descendu ce s marches Silence.
ciuq mille foi s et je ne sais pas encore MONSIEUR ROONEY. - Bien! C'est ça
combien il y en a. Quand je crois qu'il y en que tu appelles bien!
a six il y en a quatre ou cinq ou sept ou MADAME ROONEY. - Nous Sommes en
huit, et quand je me rappelle qu'il y en a bas, et à peu près indemnes. (Silence. Un
cinq il y en a troi s ou quatre ou six ou sept, âne brait. Silence). Tu entends? Un vrai
et quand finalement je me rends compte âne! Son père et sa mère étaient de vrais
qu'il y en a sept il y en a cinq ou six ou ânes.
huit ou neuf. Parfois je me demande si on
ne vient pas les changer pendant la nuit.
Silence.
(Un temps. Agacé.) Eh bien? 11 y en a MONSIEUR ROONEY. - Tu sais une cho-
combien aujourd'hui, d'après toi? se, je crois que je vais prendre ma retraIte.

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TOUS CEUX QUI TOMBENT TOUS CEUX QUI TOMBENT

MADAME ROONEY (épouvantée) . - Ta qu'à poser un pied devant le suivant, c'es~


retraite? Et vivre à la maison? De ta pen- comme ça qu'on dit? (Pas trainants, etc.)
sion? Voilà, nous sommes lancés. (Pas traî-
MONSIEUR ROONEY. - Ne plus me bat- nants, etc. Ils s'arrêtent, Mme Rooney la
tre avec ces maudites marches. Ne plus me première.) Ah ! Je savais bien qu'il y avait
trainer sur cette route infernale. Rester à la quelque chose. Avec toutes ces émotions je
maison, sur les débris de mon cul. à comp- n'y pensais plus.
ter les heures - jusqu'au prochain repas. MONSIEUR ROONEY (calmement). - Bon
(Un temps.) Je revis, rien qu'à y penser. En Dieu.
avant, tant que ça dure! MADAME RODNEY. - Mais tu dois savoir
Dan, bien sOr, tu étais dedans. Qu'est-ce
Ils repartent. Pas trainants, halète-
qui s'est passé? Dis-moi.
ments, canne sur le sol,
MONSIEUR ROONEY. - Il ne s'est jamais
MADAME RODNEY. - Attention au trot- rien passé, que je Sache.
toir!... Et hop là !. .. Bravo! Nous voilà MADAME RODNEY. - Mais tu dois -
tranquilles, plus qu' à filer droit devant MONSIEUR RODNEY (avec violence). -
nous. Ah ces arrêts, ces redeparts, c'est infer-
MONSIEUR ROONEY (sans s'arrêter, en nal, infernal! A peine je me mets en branle
haletant). - filer ... droit... Elle appelle et COmmence à me sentir emporte par l'élan
ça ... filer ... droit... que tu t'arrêtes pile! Cent kilos de cellu-
MADAME ROONEY. - Tais-toi. Ne parle lite! Qu'est-ce qui t'a pris de venir me
pas en marchant. Tu sais très bien que ce chercher? Lâche-moi!
n'est pas bon pour ton rétrécissement MADAME ROONEY (très agitée). - Non,
mitral. (Pas trainants, etc.) Ne pense plus je veux savoir 1 On ne décollera pas d'ici

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TOUS CEUX QUI TOMBENT TOUS CEUX QUI TOMBENT

avant que tu me le dises. Un quart d'heure vont nous lancer des pierres aujourd'hui?
de retard! Sur un parcours de trente minu- Cris.
tes ! Ça n'existe pas !
MONSIEUR ROONEY. - Je ne sais rien. MADAME ROONEY. - Faisons volte-face
et bravons-les. (Cris. Ils font volte-face.
Lâche-moi ou je l'envoie valser.
Silence.) Menace-les de ta canne. (Silence.)
MADAME ROONEY. - Mais tu dois savoir!
Ils se sont enfuis.
Tu étais dedans! C'était au départ? Vous
êtes partis à l'heure? Ou pendant le tra- Un temps.
jet? (Un temps.) Il s'est passé quelque cho- MONSIEUR ROONEY. - Tu n'as jamais
se pendant le trajet? (Un temps.) Dan! eu envie de tuer un enfant? (Un temps.)
(Un temps.) Pourquoi ne veux-tu pas me le Couper court à un fiasco en neur. (UII
dire? temps.) Que de fois la nuit, l'hiver, sur celte
Silcnce. Ils repartent. Pas tral- route noire, j'ai failli tomber sur le gosse.
nants, etc. Ils s'arrêtent. Pauvre Jerry! (UII temps.) Qu'est-ce qui
MONSIEUR ROONEY. - Pauvre Maddy! me retenait alors. (Un temps.) Pas la crain-
(Un temps. Cris d'enfants.) Qu'est-cc que te des hommes. (Un temps.) Si on conti-
c'est?
nuait un peu à reculons?
Un temps. MADMIE ROONEY. - A reculon s?
MONSIEUR ROONEY. - Oui. Ou toi droit
MADAME ROONEY. - Les petits Lynch,
devanl toi et moi à recutons. Le coupte
les jumeaux, qui se fichent de nous.
idéal Comme les damnés de Dante, la tête
Cris. vissée à l'envers. Nos larmes arroseront
MONSIEUR ROONEY. - Tu crois qu'ils nos fesses.

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TOUS CEUX QUI TOMBENT TOUS CEUX QUI TOMBENT

MADAME ROONEY. - Qu'est-ce qu'il y a, de vent) ... remue à peine les feuilles et les
Dan? Tu n'es pas bien? oiseaux... (bref gazouillis)... sont las de
MONSIEUR ROONEY. - Bien! Est-ce que chanter. Les vaches ... (bref beuglement) ...
j ' ai jamais été bien? Le jour où tu as fait et les moutons ...(bref bêlement) .. . ruminent
ma connaissance j'aurais dû être au lit. Le en silence. Les chiens ... (bref aboiement) ...
jour où tu m'as demandé en mariage les sont assoupis et les poules ... (bref caquete-
médecins me condamnaient. Ça tu le savais ment) ... couchées dans la poussiére. Nous
n'est-ce pas? La nuit où tu m'as épousé on sommes seuls. Personne à qui demander.
m'a emporté sur une civière. Ça tu ne l'as Silence.
pa s oublié, je pense. (Un temps.) Non, on MONSIEUR ROONEY (s'éclaircissanl la
ne peut pas dire que je sois bien. Mais je voix, ton de narrateur). - Nous avons
ne suis pas plus mal. Je suis même plutôt
démarré à midi pile, ça je peux le certifier.
mieux. La perte de mes yeux m'a donné un j'étais -
coup de fouet. Si je pouvais devenir sourd
et muet je serais foutu de me trainer jus- MADAME ROONEY. - Comment peux-tu
le certifier?
qu'à mes cent ans. (Un temps.) Ou est-ce
chose faite? (Un temps.) Ai-je cent ans MONSIEUR ROONEY (ton normal, avec
aujourd'hui? (Un temps) . Ai-je cent ans, colère). - Je peux le certifier, je te dis. Tu
Maddy? veux mon rapport, oui ou non? (Un temps.
Ton de narrateur.) A midi pile. j'étais seul
Silence. dans le compartiment, comme d'habitude.
MADAME ROONEY. - Tout est catme. Du moins je l'espère, car j'ai été d'un sans-
Pas âme qui vive. Personne à qui deman- gêne ... (Un temps.) D'une inconvenance ...
der. Le monde mange. Le vent... (bref coup (Un temps.) Enfin ... Mon esprit - (Ton

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TOUS CEUX QUI TOMBENT TOUS CEUX QUI TOMBENT

normal.) Mais pourquoi ne pas nous vide mon esprit s'est mis à travailler, com-
asseoir quelque part? Aurions-nous peur me souvent cela m'arrive, après le turbin,
de ne plus pouvoir nous relever? sur le chemin du retour, au chant des
MADAME ROONEY. - Nous asseoir sur bogeys. Je me disais. Tu paies ton abonne-
quoi? ment douze Jivres par an et tu gagnes, "un
MONSIEUR ROONEY. - Sur un banc, par dans J'autre, sept shillings par jour, soit
exemple. juste juste de quoi acheter les sandwichs,
MADAME ROONEY. - Il n'y a pas de
banc.
petits verres, tabac et illustrés qui te per-
mettent de rester debout, ou assis, en atten-
1
MONSIEUR ROONEY. - Alors sur un dant de pouvoir rentrer à la maison et
talus, laissons-nous tomber sur un talus. t'écrouler sur ton lit. Saos parler du reste
MADAME ROONEY. - Il n'y a pas de - loyer et assurances, souscriptions diver-
talus. ses, chauffage et éclairage, permis et licen-
MONSIEUR ROONEY. - Alors on ne peut ces, entretien des locaux, sauvegarde des
pas, (Un temps.) Je rêve d'autres routes, apparences, par-ci par-là un timbre-
dans d'autres pays. (Un temps.) D'une poste, cheveux et barbe, tramway aller et
autre maison, d'une autre... (il hésite) ... retour, pourboires aux guides bénévoles, et
d'une autre maison. (Un temps.) De quoi tu en passes. Il est donc évident qu'à rester
est-ce que je voulais parler? couché chez toi, jour et nuit, hiver comme
MADAME ROONEY. - De ton esprit. été, en changeant de pyjama tous les quinze
MONSIEUR ROONEY (saisI). - Mon jours, tu augmenterais considérablement
esprit? Tu es sare? (Un temps. Incré- tes revenus. Les affaires, disais-je - (Un
dule.) Mon esprit? (Un temps.) Ab en effet. cri. Un lemps. Nouveau cri. Ton normal.)
(Ton de narraleur.) Dans le compartiment Quelqu'un a crié?

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TOUS CEUX QUI TOMBENT TOUS CEUX QUI TOMBENT

MADAME ROONEY. - Ça doit être mada- toute la sale marmaille des voisins, brail-
me Tully. Son pauvre mari souffre sans lant el pétant de vie el de bonheur. Enfer
trêve et la bat sans merci. des fins de semaine, tu en sais quelque
Si/ence. chose. Mais qu'est-ce que ça doit être les
jours ouvrables? Un mercredi? Un ven-
MONSIEUR ROONEY (déçu).-C'est tout? dredi? Qu'est-ce que ça doit être un ven-
(Un lemps.) Où est-ce que je voulais en dredi ! Et je me suis repris à songer à mon
venir? bureau dans l'impasse, à mon sous-sol
MADAME ROONEY. - Les affaires. silencieux, avec sa plaque où le temps a
MONSIEUR ROONEY. - Ah oui, les etfacé mon nom, son lit de repos et ses
affaires. (Un lemps. Ton de narrateur.) Les tentures de velours, et à tout ce que ça
affaires, mon cher, me disais-je, reti.re-toi représente d'y être enterré vif ne fat-ce que
des affaires, elles se sont retirées de toi. de dix à cinq, mes rafraîch issements à por-
(Ton normal.) On a de ces momenls de tée de main. Rien, me disais-je, même pas
clairvoyance. la mort dûment constatée, ne pourra jamais
MADAME ROONEY. - Je suis glacée, je remplacer ça. (Un temps.) Ce fut alors que
n'en peux plus. la réalité me reprit. Tiens, me suis-je écrié,
MONSIEUR ROONEY (Ion de narraleur). - l'arrêt! (Un lemps. Ton normal. Agacé.)
D'autre part, me disais-je, il y a les hor- Qu'est-ce que tu as à te pendre à mes bas-
reurs de la vie chez soi - brossage, frot- ques comme ça? Tu perds connaissance?
tage, balayage, grattage, cirage, suçage, MADAME ROONEY. - Je suis transie, je
polissage, raclage, lavage, séchage, arro- n'en peux mais. Le vent... (sifflement du
sage, brassage, rinçage, grinçage, malaxa- venl) ... siffle à travers ma robe d'été comme
ge, claquage, en un mot le ménage. Et si je n'avais rien par-dessus mon pantalon.

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1
TOUS CEUX QUI TOMBENT TDUS CEUX QUI TOMBENT

Je n'ai rien avalé de solide depuis mes dix Hé/ement déchirant.


heures.
MONSIEUR ROONEY (effraye). Bon
MONSIEUR ROONEY. - Tu ne m'écoutes
Dieu 1
plus. Je parle - et tu écoutes le vent.
MADAME ROONEY. - Oh le joli petit
MADAME ROONEY. - Non, non, je suis
agneau frisé qui pleure après sa maman!
tout ouie. Dis-moi tau!. Puis en avant, à
pleines voiles, sans halte ni trêve, jusqu' au
La leur n'a pas changé, depuis l'Arcadie.
havre. Un temps.
Un temps. MONSIEUR ROONEY. - Où en étais je de
MONSIEUR ROONEY. - Sans halte ni trê- mon discours?
ve 1... Jusqu' au havre!... Tu sais, Maddy, MADAME ROONEY. - A l' arrêt.
on dirait quelquefois que tu te bats avec MONSIEUR ROONEY. - Ah oui. (II
une langue morte. s'éclaircit la voix, ton de narrateur.) J'en ai
MADAME ROONEY. - C'est vrai, Dan, je conclu, naturellement, que nous étions
ne sais que trop bien ce que tu veux dire, entrés en gare et n'allions pas tarder à
j'ai souvent cette impression, c'est indici- repartir, et je suis resté à ma place, sans
blement pénible. inquiétude. C'est calme aujourd'hui, me
MONSIEUR ROONEY. - J'avoue que moi- disais-je, personne ne monte, personne ne
même je l'ai par moments. Quand il m'arri- descend. Puis comme le temps fuyait et
ve de surprendre ce que je suis en train de toujours rien, j'ai compris mon erreur.
dire. Nous n'étions pas entrés en gare.
MADAME ROONEY. - Eh bien, tu sais, MADAME ROONEY. - Et tu ne t'es pas
elle finira bien par mourir, tout comme levé d'un bond pour te pencher à la por-
notre pauvre vieux gaélique, après tout. tière.

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TOUS CEUX QUI TOMBENT TOUS CEUX QUI TOMBENT

MONSIEUR ROONEY. - A quoi cela m'au- MONSIEUR ROONEY. - Au bout de ce qui


rait-il avancé? m'a semblé une éternité nous sommes
MADAME ROONEY. - Eh bien, tu aurais repartis, pour ne plus nous arrêter. J'en-
crié jusqu'à ce qu'on vienne te dire ce qui tends la voix de Barreil qui gueule le nom
n'allait pas. exécré. Je descends. Jerry me conduit aux
MONSIEUR ROONEY. - Je m'en fichais de cabinets. Déception. (Un temps.) Et voilà.
ce qui n'allait pas. Non, je suis simplement (Un temps.) Tu ne dis rien? (Un temps.)
resté à ma place, en me disant, Ce convoi Dis quelque chose, Maddy 1 Dis que tu me
ne bougerait jamais plus d' ici que cela me crois!
serait à peu près égal. Puis petit à petit un MADAME ROONEY. - Je me souviens
besoin de... comment diraj.je ? .. un d'avoir assisté un jour à une conférence
besoin ... tu sais ... de Rlus en plus pressanl. donnée par un de ces nouveaux spécialis-
Nerveux probablement. Oui, maintenant tes du mental, j'oublie le terme exact. Il
j'en suis sûr. Tu sais, la sensation d'être disait -
claustré. MONSIEUR ROONEY. - Un aliéniste?
MADAME ROONEY. - Oui oui, je suis
MADAME ROONEY. - Non non, simple-
passée par là.
ment la détresse mentale. j'espérais qu'il
MONSIEUR ROONEY. - Je me disais, Si
jetterait un peu de lumière sur ma vieille
cette situation se prolonge, je ne sais vrai-
hantise des fesses de cheval.
ment pas ce que je vais faire. Je me suis
levé et j'ai marché de long en .large, entre MADAME ROONEY. - Un vétérinaire?
les banqueltes, comme un fauve en cage. MADAME ROONEY. - Non non, simple-
MADAME ROONEY. - Oui, ça aide quel- ment la misère mentale, le nom me revien-
quefois. dra dans la nuit. Ii nous a raconté l'histoire

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TOUS CEUX QUI TOMBENT TOUS CEUX QUI TOMBENT

d'une petite fille très étrange et malheureu- ment, voilà ce qu'elle avait 1 (Un temps.) II
se et comment, après l'avoir soignee sans a parlé sans notes d'un bout à l'autre. (Un
succès pendant des années, il avait da fina- temps.) Je suis partie avant la fin .
lement y renoncer. Il ne lui avait rien trou- MONSIEUR ROONEY. - Rien au sujet de
vé d'anormal, disait-il. elle n'avait rien. La tes fesses? (Mme Roone)' pleure. Sur un
seule chose qu'elle avait, selon lui, c.'est ton de remontrance affeclueuse.) Maddy!
qu'elle était en train de mourir. Il s'en est MADAME ROONEY (en pleurs). - Il n'y
donc lavé les mains et elle est morte en a rien à faire pour ces gens-là!
effet, peu de temps après. MONSIEUR ROONEY. - Pour lesquel s y
MONSIEUR ROONEY. - Eh bien, qu'est- en a-t-il? (Un temps.) On dirait du san s-
ce qu'il y a là de si extraordinaire? crit. (Un temps.) Je sui s tourné dans quel
MADAME ROONEY. - Non, c'est seule- sens?
ment quelque chose qu'il a dit, et sa façon MADAME ROONEY. - Quoi?
de Je dire, qui me poursuivent depuis. MONSIEUR ROONEY. - Je ne sais plu s
MONSIEUR ROONEY. - Tu y penses la dans quel sens je suis tourné.
nuit, dans ton lit, en te tortillant comme un
MADAME ROONEY. - Tu t'es détourné.
ver, sans pouvoir fermer l'œil.
Tu es courbé sur le fossé..
MADAME ROONEY. - A ça et à d'autres ...
MONSIEUR ROONEY. - 11 Y a un chien
horreurs. (Un temps.) Quand il en a eu fini
avec la petite fille il est resté courbé sur sa crevé là-dedans.
table un bon moment, deux minutes au MADAME ROONEY. - Non non, rien que
moins, puis brusquement il a relevé la tête des feuilles pourries.
et s'est écrié, comme s'il venait d'avoir une MONSIEUR ROONEY. - En juin? Des
révélation, Elle n'était jamais née réelle- feuilles pourries en juin?

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TOUS CEUX QUI TOMBENT TOUS CEUX QUI TOMBENT

MADAME ROONEY. - Oui, mon chéri. De n'était pas le petit d'un âne, tu sais, pas du
l'année dernière, et de l'année d'avant, et tout. J'ai demandé au professeur de théo-
de l'année d'avant encore. (Silence. Vent logie.
de pluie. I/s repartent. Pas trainants, etc.) Un temps.
Revoilà mon joli cytise. Le pauvre, il perd MONSIEUR ROONEY. - 11 devrait savoir,
toutes ses grappes. (Pas trainants, etc.)
lui.
Voilà les pr~miéres gouttes. (Pluie, Pas MADAME ROONEY. - Oui, c'était un bar-
trainants, etc.) Bruine d'or... (Pas traî- dot, il est entré à Jérusalem - c'était bien
nants, etc.) Ne t'occupe pas, mon chéri, je Jérusalem? - sur le dos d'un bardot. (Un
baragouine toute seule. (Pluie plus fort. Pas
temps.) Ça doit signifier quelque chose.
traînants, etc.) Je me demande si les bar- C'est comme les passereaux, que beaucoup
dots peuvent procréer.
desquels nous valons plus. Ce n'était pas
I/s s'arrêtent, M. Rooney le premier. des passereaux du tout.
MONSIEUR ROONEY. - Que beaucoup
MONSIEUR ROONEY, - Tu dis?
desquels ! .. . Tu exagères, Maddy.
MADAME ROONEY. - Viens, mon chéri,
MADAME ROONEY (émue). - Ce n'était
ne t'occupe pas, on va se faire saucer.
pas des passereaux du tout!
MONSIEUR ROONEY (avec force). - Si
MONSIEUR ROONEY. - Ça fait monter
les quoi peuvent quoi?
notre prix?
MADAME ROONEY. - Les bardots. Pro-
créer. (Un temps.) Tu sais, les bardots, ou
Silence. Ils repartent. Vent et pluie.
tes hémiones, enfin, tu vois, n'est-ce pas Pas traînants. I/s s'arrêtent.
qu'ils sont impuissants, ou stériles, enfin tu MADAME ROONEY. -Tuveux du fumier?
vois ce que je veux dire. (Un temps.) Ce (Un temps. Ils repartent. Vent et pluie. Pas

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TOUS CEUX QUI TOMBENT TOUS CEUX QUI TOMBENT

trainants, etc. Ils s'arrêtent.) Pourquoi tu me! Elle doit être vieille comme le monde
t'arrêtes? Tu veux parler? maintenant.
MONSIEUR ROONEY. - Non. MONSIEUR ROONEY (d'une voix étouffée).
MADAME ROONEY. - Alors pourquoi tu - La Mort et la Jeune Fille.
t'arrêtes? Silence.
MONSIEUR ROONEY. - C'est plus facile MAOAME ROONEY. - Tu pleures? (Un
MADAME ROONEY. - Tu es trés mouillé 7 temps.) Est-ce que tu pleures?
MONSIEUR ROONEY (avec violence). -
MONSIEUR ROONEY. - Jusqu'au tro-
Oui! (Ils reparlent. Vent et pluie. Pas tral-
gnon.
nants, etc. Ils s'arrêtent. Ils repartent. Vent
MADAME ROONEY. - Trognon? et pluie. Pas traînants, etc. Ils s'arrêtent.)
MONSIEUR ROONEY. - Origine celtique. Qui prêche demain? Le vieux?
MADAME ROONEY. - Nous mettrons nos MADAME ROONEY. - Non.
vêtements à sécher et nous passerons nos MONSIEUR ROONEY. - Dieu soit loué!
douillettes. (Un temps.) Mets ton bras Qui?
autour de moi. (Un temps.) Sois gentil MAOAME RODNEY. - Hardy.
avec moi, Dan 1 (Un temps. Reconnais- MONSIEUR R.OONEY. - « Le Moyen
sante.) Ah Dan' (Ils reparlent. Vent et d'être Heureux quoique Marié? »
pluie. Pas trainants, etc. Faiblement, la MONSIEUR ROONEY. - Mais non, il est
musique du débuJ. Ils s'arrêtent. Musique mort, tu te rappelles. Aucun rapport.
plus fort, dans le silence. La musique MONSIEUR ROONEY. - On a annoncé le
meurt.) Toute ta journée le même vieil air. texte?
Toute seule dans cette ruine. Pauvre fem- MADAME ROONEY. - « L'Eternel sou-

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TOUS CEUX QUI TOMBENT TOUS CEUX QUI TOMBENT

tient tous ceux qui tombent. Et il redresse MADAME ROONEY. - Montre. (EI/e
tous ceux qui sont courbés .• Silence. /ls prend l'opje!.) Qu'est-ce que c'est? (EI/e
éclatent ensemble d'un rire sauvage. /ls l'examine.) Quelle est celte chose, Dan?
reparlent. Venl el pluie. Pas Irainanls, elc.) MONSII',UR ROONEY. - Ce n'est peut-
Serre-moi plus fort! (Un lemps.) Ah être pas à moi.
oui! JERRY. - Monsieur Barrell a dit que si,
m'sieur.
/ls s'a.rrêtent.
MADAME ROONEY. - On dirait comme
MONSIEUR ROONEY. - j'entends quel- une petite balle. (Un lemps.) Et cependant
que chose derrière nous. ce n'est pas une balle.
MONSIEUR ROONEY. - Donne-moi ça.
Un temps.
MADAME ROONEY (lui donnanl l'objet).
MADAME ROONEY. - On dirait Jerry. Qu'est-ce que c'est, Dan?
(Un lemps .) C'est lui. MONSIEUR ROONEY. - C'est une chose
Bruil des pas de ferry qui arrille en que je garde sur moi.
courant. /1 s'arrêle auprès d'eux. MADAME ROONEY. - Oui, mais qu'est-
ce -
JERRY (halelant). - Vous avez laissé-
MONSIEUR ROONEY (avec violence). -
MADAME ROONEY. - Prends ton temps, C'est une chose que je garde sur moi!
mon petit bonhomme, ton petit cœur va
péter. Silence. Mme Rooney cherche un
JEHRY (haletanl). - Vous avez laissé
penny.
tomùer quelque chose, m'sieur, monsieur MADAME ROONEY. - Je n'ai pas de peti-
Barrell m'a dit de vous courir après. t.e monnaie. Tu en as, toi?

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TOUS CEUX QUI TOMBENT TOUS CEUX QUI TOMBENT
MONSIEUR ROONEY. - Je n'en ai d'au- MADAME ROONEY. - Qu'est-ce que
cune sorte. c'étail, Jerry?
MADAME ROONEY. - Nous sommes à JERRY. - C'était un petit enfant, m'dame.
court de monnaie, Jerry. Rappelle à mon-
sieur Rooney lundi qu'il doit te donner un M. Rooney gémit.
penny pour ta peine. MADAME RODNEY. - Qu'est-ce que tu
JERRY. - Oui m'dame. veux dire, un petit enfant?
MONSIEUR ROONEY. - Si je vis encore. JERRY. - Un petit enfant qui est tombé
JERRY. - Oui m'sieur. du train, m'dame. (Un temps.) Sur la vole,
m'dame. (Un temps.) Sous les roues
Jerry se sauve en courant vers la m'dame.
gare.
Silence. ferry se sauve. Ses pas
MADAME RODNEY. - Jerry! Uerry s'ar- s'éloignent. Tempête de vent et de
rête.) Tu sais ce qui s'est passé? (Un pluie. Elle s'apaise. Ils repartent. Pas
temps.) Tu sais pourquoi le train est arrivé Iraînants, etc. Ils s'arrêtent. Tempête
en retard? de vent et de pluie.
MONSIEUR ROONEY. - Comment vewe-
tu qu'il le sache? Viens.
MADAME ROONEY. - Qu'est-ce que
c'était, Jerry?
JERRY. - C'était un
MONSIEUR ROONEY. - .Laisse-Ie tran-
quille, il ne sait rien. Viens.

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