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Année universitaire 2020-2021

Master MEEF
Mention 2nd degré
2ème année

L’ÉCOUTE MUSICALE À TRAVERS UNE


APPROCHE PSYCHOLOGIQUE ET UNE
PÉDAGOGIE PLURISENSORIELLE
Mots Clefs : écoute musicale, attention, approche par les émotions, distinction visuel-auditif-
kinesthésique, apprentissage par le mouvement

Présenté par : Laure HAINAUX-RIGOT

Encadré par : Anne DUBREL

———————————————————————————————————————————————
Institut Supérieur du Professorat et de l’Éducation de l’académie de Paris
10 rue Molitor, 75016 PARIS – tél. 01 40 50 25 92 – fax. 01 42 88 79 74
www.espe-paris.fr
INSTITUT NATIONAL SUPÉRIEUR DU PROFESSORAT ET DE
L’ÉDUCATION DE L’ACADÉMIE DE PARIS

Métiers de l’Enseignement, de l’Éducation et de la Formation


MASTER 2nd degré – Éducation musicale et chant choral

L’ÉCOUTE MUSICALE À TRAVERS UNE


APPROCHE PSYCHOLOGIQUE ET UNE
PÉDAGOGIE PLURISENSORIELLE

Remerciements

Je tiens à remercier tout particulièrement Anne DUBREL pour l’aide apportée tout au long
de ce mémoire. Par ses questions lors de la préparation de ce travail, elle m’a permis de conduire
plus loin ma réflexion. Ses relectures précises et consciencieuses, même dans des délais très
contraints, tous ses conseils avisés ainsi que son soutien psychologique dans les derniers moments
m’ont été d’une aide très précieuse.
Merci également à François GIROUX pour tous ses conseils techniques et pratiques ainsi
qu’à l’ensemble des formateurs de l’INSPE, et notamment Catherine SAJOUS, qui m’ont amenée
tout au long de l’année à une réflexion pédagogique et didactique.

Résumé

L’écoute musicale est une activité multiforme qui se présente au cœur de l’ensemble des
compétences travaillées. Elle présente différentes fonctions et diverses finalités.
Si le but ultime d’une écoute musicale est d’aboutir à une analyse précise de l’œuvre afin de
construire une culture musicale, il n’en reste pas moins que les aspects psychologiques doivent être
pris en compte pour optimiser l’écoute active des élèves. En outre, la musique n’est pas qu’un objet
d’étude mais elle est aussi source d’émotions et de plaisir. Il convient donc de développer également
une approche émotionnelle de l’écoute musicale.
L’apprentissage de l’écoute musicale conduit à un développement de l’ouïe. Toutefois, une
pédagogie plurisensorielle, associant à l’écoute, des représentations visuelles et des mouvements
permet une optimisation de l’apprentissage des compétences et des connaissances musicales liées à
l’écoute en les ancrant au plus profond de chaque élève.
SOMMAIRE

Introduction ……………………………………………………………………………….………..1

1. L’écoute musicale : au cœur de l’ensemble des compétences travaillées ...…….…………….2


1.1. Les différents types d’écoute …………………………………………………...………2
1.1.1. Des différentes fonctions aux diverses finalités de l’écoute ………………….2
1.1.2. Les pratiques mises en place dans la classe ………………….……………….8
1.2. Le codage de la musique ………………………………………….…………...………12
1.2.1. Les représentations du sonore ……………………………………………….12
1.2.2. Réflexions avec les élèves sur le codage de la musique …………...………..13

2. Une prise en compte des aspects psychologiques ……………………………………………..15


2.1. L’attention, une condition indispensable à une écoute active ………………………....15
2.1.1. L’attention et la mémoire ………………………………………………….…15
2.1.2. L’attention au cours des pratiques mises en place dans la classe ………….…17
2.2. L’émotion, un point de départ dans l’apprentissage …………………………………...18
2.2.1. Les émotions ……………………………………………………………...….18
2.2.2. La prise en compte des émotions dans les pratiques mises en place dans la classe..21

3. Un enseignement plurisensoriel …………………………………………………………….….22


3.1. Un enseignement qui associe la vue à l’écoute musicale ……………………………...22
3.1.1. La distinction visuel-auditif-kinesthésique …………………………………..22
3.1.2. L’association de la vue dans les pratiques mises en place en classe ………....24
3.2. Un enseignement qui associe le mouvement à l’écoute musicale ....…………………..26
3.2.1. Les pédagogies actives associent le mouvement à l’apprentissage de la musique...26
3.2.2. L’association du mouvement dans les pratiques mises en place en classe …….28

Conclusion ………………………………………………………………………………………....29

Bibliographie ………………………………………………………………………….……….…..30

Annexes …………..………………………………………………….……………….………...…..33
- Annexes 1 à 3 bis ……………………………………………………………..…………..33
- Annexes 4 à 9 ……………………………………………………………………...……...34
- Annexes 10 à 13 …………………………………………………………………………..35
Introduction

J’effectue mon stage dans l’un des collèges de Herblay-sur-Seine (95), dans l’Académie de
Versailles. Cet établissement est classé en cinquième catégorie. Il m’a été confié trois niveaux
d’enseignement : 3 classes de 6e, 3 classes de 5e et 3 classes de 3e.
La quasi-totalité des élèves sont non musiciens. Le plupart d’entre eux ne sont pas habitués à
écouter de la musique, quel que soit le genre musical. Cinq élèves sur la totalité des neuf classes se
sont déjà rendus à un concert. Néanmoins, tous les élèves issus d’écoles de la ville d’Herblay ont
bénéficié d’un intervenant spécialisé en musique au cours de leur scolarité dans le premier degré.
Toutefois, il semblerait que cet enseignement soit exclusivement consacré au chant et non à l’écoute
musicale.

Il m’est apparu dès les premières séances et pour les trois niveaux d’enseignement des
difficultés d’attention lors des écoutes musicales aveugles au-delà de une minute. En effet, à partir
de une minute d’écoute, la fatigue auditive des élèves se manifestait, par exemple, par des
mouvements de chaises ou des bavardages avec les voisins.
De plus, il est ressorti que l’expression des émotions ou sensations issues d’une écoute
musicale était extrêmement difficile. Cette difficulté pouvait provenir d’un problème de
verbalisation des émotions tant par un manque de vocabulaire que par une pudeur face à la classe.
Mais elle pouvait aussi être issue d’une absence de prise de conscience des émotions ressenties.
Il est également apparu une difficulté à définir un caractère de l’œuvre écoutée. Que la
question du caractère de l’œuvre soit posée avant ou après l’écoute n’influait pas sur la réponse des
élèves. Même en posant ou réitérant la question du caractère de l’œuvre, les élèves éludaient la
question pour citer les instruments entendus.
Enfin, il a été constaté, pendant une écoute musicale, la nécessité pour les élèves d’associer
des mouvements. Par exemple, des élèves imitaient le chef d’orchestre ou des instrumentistes ou
dansaient légèrement sur leur chaise. En effet, la plupart des élèves effectuaient des mouvements,
soit du corps par un mouvement de balancier le plus souvent, soit des bras, soit des jambes.

Ainsi, il conviendrait de développer le ressenti et les émotions engendrées par l’écoute


musicale. De plus, afin de diminuer la fatigue auditive et d’augmenter le temps d’attention des
élèves, un support visuel ou l’association de mouvements pourraient être employés. De cette façon,
en quoi une approche psychologique et une pédagogie plurisensorielle permettraient-elles
d’améliorer l’écoute musicale des élèves ?

-1-
Afin de répondre à cette question, nous nous attacherons, dans un premier temps, à définir
l’écoute. En effet, celle-ci n’est pas une activité uniforme et isolée mais se présente au cœur de
l’ensemble des compétences travaillées.
Puis, dans un second temps, nous examinerons comment la prise en compte des aspects
psychologiques peut favoriser l’écoute musicale.
Enfin, nous observerons, dans un troisième temps, comment une pédagogie plurisensorielle
qui associe la vue et le mouvement permet d’améliorer plus efficacement l’écoute des élèves.

1. L’écoute musicale : au cœur de l’ensemble des compétences travaillées

1.1. Les différents types d’écoute

1.1.1. Des différentes fonctions aux diverses finalités de l’écoute

D’après les définitions du dictionnaire Le Littré1, entendre signifie « être frappé de son » et
écouter « prêter l’oreille pour entendre les sons ». Par conséquent, entendre un son ne serait que la
perception d’un son sans volonté délibérée, à notre insu, alors que l’écoute sous-entend une
intention d’entendre, une volonté d’orienter son ouïe vers un son. Ainsi, l’écoute musicale nécessite
une action délibérée de la part de l’auditeur d’entendre une musique dans le but de la comprendre.

L’écoute musicale constitue une pratique tant culturelle que sociale et présente différentes
fonctions2.
L’écoute forme une activité de communication et d’échange. L’écoute de l’autre lorsqu’il
parle est un acte de socialisation. Au sein d’un groupe, écouter l’autre nécessite respect et
bienveillance de la parole des autres. Ainsi, dans la classe, l’écoute de l’élève présente des formes
diverses. Lors de l’écoute d’une œuvre musicale, son écoute est déjà extérieure, tournée vers
l’œuvre écoutée, puis intérieure, vers son propre ressenti et les émotions que la musique a
engendrés. Ensuite, cette écoute permet d’instaurer un moment d’échange entre tous les élèves de
la classe. L’écoute devient alors une confrontation entre ce qu’un élève ressent, pense et dit
oralement au reste de la classe et ce que les autres élèves ressentent, pensent et disent. Ainsi,

1 SCHAEFFER, P. (1966). Traité des objets musicaux. Paris : Éditions du Seuil, p. 103

2 TERRIEN, P. (2006). L’écoute musicale au collège. Paris : L’Harmattan, p. 23-31

-2-
l’écoute, comme activité culturelle, permet la découverte d’œuvres musicales mais elle se
transforme aussi en une activité sociale.
Mais l’écoute peut aussi apparaître comme une activité de partage. En effet, l’œuvre écoutée
se transforme en un objet culturel mis en commun entre toute la classe. L’écoute permet alors de
partager un moment, une information et des émotions. Ce sont d’abord les émotions qui sont
échangées, en comparant son propre ressenti à celui des autres mais aussi en les verbalisant et les
expliquant à la classe, ce qui facilite une meilleure identification. Ainsi, l’écoute de l’œuvre va aussi
entraîner une écoute de soi-même et des autres et permettra aux élèves de se construire. Ces
ressentis explicités vont constituer des repères sur lesquels des connaissances pourront être
acquises. L’écoute est donc aussi une activité cognitive.
De plus, l’écoute est aussi une pratique musicale car elle est une activité en elle-même en
musique. En effet, les élèves écoutent avant de reproduire un son, que ce soit en chant ou en
pratique instrumentale. Mais les élèves doivent aussi s’écouter les uns les autres lorsqu’ils
pratiquent de la musique ensemble. Et lorsqu’ils chantent ou jouent d’un instrument, ils doivent
écouter intérieurement l’œuvre produite. Outre la pratique vocale et instrumentale, l’écoute est aussi
une activité en tant que telle autour des œuvres du répertoire. L’élève est alors en position de
mélomane. À partir des œuvres déjà écoutées, il va se construire une base de référence qui lui
permettra de comparer les nouvelles œuvres entendues. Son écoute sera de cette façon, de plus en
plus exigeante.
Ainsi, l’écoute est une pratique musicale, sociale, culturelle et cognitive.

La perception auditive met en œuvre des mécanismes complexes3.


Le processus débute par la détection d’un son, puis par l’identification de ce son. Lors de
l’identification, le son perçu est comparé à un modèle stocké en mémoire. La mémoire forme donc
une sorte de catalogue qui s’enrichit par toutes les expériences vécues. Vient alors la discrimination,
au cours de laquelle deux événements sonores sont comparés pour rechercher les ressemblances et
les différences. Cette étape fait aussi intervenir la mémoire mais mobilise également le vocabulaire
pour discriminer les deux sons. Cette étape nécessite une capacité d’abstraction et d’analyse des
particularités des sons. La dernière étape de perception est dénommée l’estimation et peut être de
différentes natures. L’estimation peut conduire à des appréciations quant à l’effet psychologique ou
émotionnel ressenti ou à des jugements objectifs relatifs au matériau sonore. Elle peut aussi
déboucher sur des jugements normatifs comme des appréciations personnelles ou des références à
des normes culturelles ou encore sur des jugements de signification, c’est-à-dire une association de

3 WALCZAK, S, Pédagogie de l’écoute : les mécanisme de la perception, Site Éduscol, p. 1

-3-
la musique à un contenu extra-musical, par exemple une association d’images mentales sonores à
des images visuelles ou littéraires. L’écoute active comprend ces diverses conduites perceptives.
Ces conduites perceptives sont progressivement développées chez l’enfant de 3 à 15 ans. De 3
à 6 ans, les capacités d’identification se développent petit à petit mais la perception reste globale.
Les sensations sont juxtaposées, il est difficile pour des enfants de cet âge de percevoir une
organisation et les tâches de discrimination sont difficiles voire impossibles. À 6 ans, l’écoute
devient progressivement plus analytique. L’enfant sélectionne des informations et les met en
relation. Les capacités de discrimination se développent et l’enfant peut discerner la ressemblance
ou la différence. De 7 à 15 ans, les associations liées au sens, les capacités d’estimation, l’écoute
polyphonique et l’organisation dans le temps se développent. Dans ce développement progressif des
capacités de perception auditive, le développement physique issu du patrimoine génétique ainsi que
la formation culturelle de l’enfant jouent un rôle important.
Les psychologues de l’école gestaltiste ont démontré que la perception visuelle comme
auditive procédait à une tendance universelle de groupement d’éléments. Ainsi, c’est par rapport
aux éléments déjà perçus et mémorisés que les nouvelles perceptions sont comparées et décryptées.
Par ailleurs, il a été démontré 4 que la perception musicale globale ne variait quasiment pas entre des
musiciens et des non musiciens. Ainsi, les apprentissages explicites issus d’un enseignement
spécialisé ne modifieraient pas tant la cognition musicale. En revanche, les apprentissages
implicites provenant d’une immersion dans une culture donnée jouent un rôle déterminant. Les
personnes non musiciennes ont donc une connaissance implicite des règles de la tonalité.
L’écoute musicale peut donc être menée suivant deux modalités. D’une part, une écoute
globale privilégie le plaisir ou le ressenti physique ou émotionnel et, d’autre part, une écoute
analytique repose sur des éléments objectifs et concrets musicaux.

D’après Pierre SCHAEFFER5, la perception auditive recouvre quatre fonctions qui sont
complémentaires. La théorie des quatre écoutes distingue 1. Écouter, 2. Ouïr, 3. Entendre et 4.
Comprendre. Toutefois, ces divisions ne sont pas chronologiques ni logiques dans le mécanisme de
la perception mais concomitantes.
Écouter correspond à « prêter l’oreille, s’intéresser à ». De façon volontaire, on oriente son
attention vers quelqu’un ou quelque chose signalé par un son. Toutefois, ce n’est pas le son en lui-
même auquel on fait attention mais au sens, à l’idée transmise par le son. À travers ce son, on
cherche à en déduire des renseignements.

4 MADURELL, F, Les pratiques d’écoute : Perception musicale, quelques réflexions, Site Éduscol, p. 1
5 SCHAEFFER, P. (1966). Traité des objets musicaux. Paris : Éditions du Seuil, p. 104-122

-4-
Ouïr est la perception par l’oreille. Cette attitude est moins active que écouter. Elle fait
néanmoins intervenir la conscience qui donne au fond sonore une réalité. Mais il n’est possible de
prendre conscience de ce fond sonore qu’indirectement, par la réflexion ou la mémoire.
Entendre est étymologiquement « avoir une intention ». Ce qui est ouï est fonction de cette
intention. Devant la multiplicité et la complexité de ce qui est ouï, il est pratiquement impossible de
ne pas exercer une sélection des sons. Par exemple, un fond sonore ne joue ce rôle que par rapport à
d’autres sons qui sont premiers.
Comprendre permet de saisir le sens et interagit avec écouter et entendre. Comprendre est
donc la finalité de la perception auditive. Ce qui était recherché dans écouter permet de comprendre.
Et, réciproquement, ce qui est déjà compris oriente l’écoute et renseigne sur ce qui est entendu.
Ainsi, la compréhension coïncide exactement avec l’écoute. La déduction, la comparaison et
l’abstraction issues de l’écoute permettent de comprendre et dépassent le simple contenu de ce qui
est ouï. Mais c’est souvent le recoupement avec d’autres perceptions ou par un ensemble de
déductions que la cause exacte de ce qui est entendu peut être compris.
Lorsqu’un objet sonore est écouté, « il y a toujours plus à entendre ; c’est une source jamais
épuisée de potentialités6 ». Lorsqu’une personne écoute plusieurs fois le même son enregistré, si
l’objet sonore est toujours identique, elle ne l’entend jamais de manière analogue. Aussi, lorsque
plusieurs auditeurs écoutent le même objet sonore, ils ne l’entendent pas tous de façon similaire car
ils sélectionnent des éléments différents. Leurs appréciations divergeront également car ils auront
porté leur attention à différentes caractéristiques du son, ce qui conduira à des qualifications
diverses du même objet sonore. Ces qualifications varieront non seulement en fonction des éléments
auxquels les auditeurs auront porté leur attention mais aussi en fonction de leur expérience
antérieure et de leur goût. Par conséquent, des écoutes collectives d’objets sonores nouveaux
déboucheront probablement sur des différences notables entre les auditeurs. Mais plusieurs écoutes
du même objet sonore permettront d’approfondir cet objet et d’améliorer simultanément les
résultats des quatre fonctions de la perception auditive de écouter, ouïr, entendre et comprendre.
Ainsi, suite à une série d’écoutes, il sera possible de mettre en commun les résultats et de tendre
vers une objectivité.
Il existe donc, d’un côté, un son produit, objectif, qui véhicule un matériau sonore concret,
une matière affective et psychomotrice et, d’un autre côté, une perception de l’auditeur qui est une
reconstitution subjective.

6 SCHAEFFER, P. (1966). Traité des objets musicaux. Paris : Éditions du Seuil, p. 115

-5-
Mais l’acception des mots « entendre » et « écouter » a évolué depuis. Dans le sens actuel, « à
la différence d’entendre, écouter est volontaire et implique toujours de l’attention 7 ». Entendre est
donc devenu un processus passif qui nécessite peu d’implication mentale. Les pédagogies musicales
depuis la fin du XIXe siècle, ont donc cherché à instaurer une activité pour optimiser la
transmission aux élèves. Ces pédagogies, dénommées méthode active, requièrent non seulement une
activité, c’est-à-dire une action, mais aussi l’initiative des élèves. Ces pédagogies, déclinées à
l’écoute, ont abouti au terme d’écoute active. Ainsi, pour induire une écoute active, il est nécessaire
d’établir une organisation spécifique qui permet aux élèves de s’engager mentalement pour susciter
des réactions émotionnelles. En effet, un son déclenche toute une série de fonctionnements
complexes chez l’auditeur. Il a été observé que lors de l’écoute chez des auditeurs non habitués à
cette activité, il se produisait une activité cérébrale asymétrique avec prédominance de l’hémisphère
droit. En revanche, l’écoute de la même musique par des auditeurs habitués à l’écoute musicale
engendrait une activité intense dans l’hémisphère gauche qui fonctionnait en relation avec
l’hémisphère droit. De plus, l’activité mentale est quantitativement plus importante chez l’auditeur
habitué à l’écoute musicale. Ainsi, une écoute plus approfondie, analytique et structurelle nécessite
d’utiliser davantage de zones cérébrales, ce qui augmente le degré de l’activité cérébrale8.
Kémâl AFSIN a donc élaboré une autre classification de l’écoute musicale qui s’intègre dans
un processus de complexité croissante et complémentaire. En fonction de la variation progressive de
l’activité cérébrale, sa classification établit différents types d’écoute, de l’écoute intuitive qui
nécessite une attention globale à l’écoute intérieure qui requiert une assimilation optimale. Chaque
type d’écoute nécessite un degré d’activité et constitue donc une écoute active différenciée.

Niveau d’assimilation optimale


Perception conceptuelle et intériorisation
Information
musicale Niveau de représentation auditive imagée
Niveau de réception empathique
Attention globale
1 2 3 4 5
Écoute Écoute Écoute Écoute Écoute
intuitive empathique descriptive, analytique et intérieure
imagée culturelle Audition
mentale

Figure 1 : Schéma de classification de l’écoute musicale illustrant le procédé de complexité


croissante et complémentaire

7 ROBERT, P. (2008). Le nouveau petit Robert. Paris : Le Robert, p. 816


8 AFSIN, K. (2009). Psychopédagogie de l’écoute musicale. Bruxelles : Groupe De Boeck, p. 47

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Parmi les différentes étapes de l’écoute musicale, le degré minimal nécessite une attention
globale et correspond à l’écoute intuitive. Celle-ci perçoit les signaux sonores, de façon
inconsciente la plupart du temps. L’auditeur reconnaît des éléments sonores limités et identifie les
groupements sans apprentissage préalable. À ce stade, la mémoire implicite, appelée non-
déclarative, joue un rôle important.
Le stade suivant requiert un niveau de réception empathique et correspond à l’écoute
empathique. La musique est donc ressentie en fonction d’affects selon son vécu et son passé
socioculturel. L’auditeur compare ce qu’il perçoit à des impressions présentant des ressemblances
avec des caractéristiques musicales déjà intériorisées et assimilées. Dans ce processus, la mémoire
émotionnelle intervient.
L’étape ultérieure fait appel à une représentation auditive imagée et correspond à l’écoute
descriptive imagée. L’enfant présente une psychologie bien davantage inspirée de représentations
visuelles que l’adulte. La musique lui suggérera des descriptions libres et lui évoquera alors des
images.
À l’écoute descriptive et imagée succède l’écoute analytique et culturelle. Cette écoute
nécessite une perception conceptuelle et une intériorisation. En effet, l’écoute analytique cherche à
percevoir notamment la forme de l’œuvre par une mémorisation du thème principal ou par la
découverte de forme élaborée. Cette étape vise donc à découvrir l’organisation et la structuration
profonde de l’œuvre. Les mémoires tant non-déclarative (de l’ordre de l’implicite) que déclarative
(de l’ordre de l’explicite) jouent un rôle capital.
Le niveau ultime de l’écoute musicale correspond à l’assimilation optimale de l’œuvre, qui est
rendu possible par une écoute intérieure, une audition mentale. Ainsi, sans avoir recours au moindre
instrument ou à la voix, l’auditeur peut néanmoins entendre dans sa tête l’œuvre de manière
immédiate et autonome. L’auditeur peut donc procéder à une représentation mentale des sons
musicaux et de leurs rapports.
Ce n’est que par un apprentissage de la musique que l’auditeur pourra progressivement passer
de l’écoute intuitive à l’écoute intérieure.

Le développement et l’approfondissement de l’écoute musicale poursuivent plusieurs


finalités9.
L’un des buts est la découverte d’un répertoire et d’une culture. D’après Paul RICOEUR 10,
une œuvre se caractérise par trois éléments distinctifs : sa composition, son appartenance à un genre

9 TERRIEN, P. (2006). L’écoute musicale au collège. Paris : L’Harmattan, p. 40-46


10 RICOEUR, P. (1986). Du texte à l’action. Paris : Seuil, p. 107

-7-
et son style individuel. Ainsi, à travers l’écoute d’œuvres, les auditeurs découvrent la musique et
une culture. Les œuvres sont le témoin de pratiques musicales d’une époque précise, d’un style,
d’une aire géographique et d’une conception de la musique à un moment de l’histoire. Grâce à la
musique, l’auditeur peut découvrir d’autres représentations du monde et accéder à des mondes
autres que le sien, que ce soit historiquement ou géographiquement.
L’écoute des œuvres peut aussi viser à un savoir. L’œuvre est la création d’un artiste. Elle est
le fruit d’un agencement de paramètres musicaux dont la finalité est de transmettre des émotions et
une esthétique. Pour révéler une œuvre, il est nécessaire de la transposer par une didactique
appropriée. Lors de cette transposition, l’œuvre musicale perd sa dimension artistique pour devenir
un objet de savoir.
Mais l’écoute d’œuvres permet également d’apprendre. L’écoute remémore des connaissances
acquises et les adapte aux situations nouvelles en les validant, les modifiant ou les abrogeant. À
travers l’écoute d’œuvres, l’élève pourra développer ses compétences.

1.1.2. Les pratiques mises en place dans la classe

Si l’écoute musicale est une compétence spécifique, désignée dans les programmes par
« Écouter, comparer, commenter » au cycle 3 et « Écouter, comparer, construire une culture
musicale » au cycle 4, l’écoute musicale est néanmoins présente dans l’ensemble des compétences
travaillées en éducation musicale.
En effet, « Chanter et interpréter » au cycle 3 et « Réaliser des projets musicaux
d’interprétation ou de création » au cycle 4 requièrent aussi l’écoute. Ils nécessitent d’abord
d’écouter un exemple musical à reproduire, puis à écouter intérieurement l’œuvre à reproduire. Il
faut ensuite écouter son interprétation afin de comparer par rapport à l’exemple donné et pouvoir
apporter une correction le cas échéant. Enfin, il est nécessaire d’écouter l’interprétation des autres
dans une production de groupe.
En outre, l’écoute est aussi présente dans « explorer, imaginer, créer » au cycle 3 et « explorer,
imaginer, créer et produire » au cycle 4. Afin de pouvoir explorer et créer, il est nécessaire d’avoir
écouté et de connaître des œuvres musicales afin de s’inspirer de procédés musicaux. Il faut aussi
pouvoir écouter intérieurement le fruit de son invention. Et pour pouvoir comprendre et commenter
la création des autres, il est également nécessaire de l’écouter et d’écouter les explications des
autres élèves.

-8-
Par ailleurs, « échanger, partager et argumenter » au cycle 3 et « échanger, partager,
argumenter et débattre » au cycle 4 nécessite d’écouter les autres pour débattre et de s’écouter
également soi-même.
Ainsi, l’écoute est au cœur de l’ensemble des compétences travaillées.

Il a donc été cherché une activité en classe qui puisse contribuer au développement des
différentes écoutes musicales. Le dessin a été utilisé pour servir de vecteur entre l’œuvre étudiée et
l’élève.
Il leur a ainsi été proposé, lors de la première écoute aveugle d’une œuvre nouvelle étudiée,
de réaliser un dessin. L’expérience a été réalisée avec deux classes de 6 e sur une séquence intitulée
« Comment la musique peut-elle nous donner des émotions ? ». La notion principale travaillée est
les nuances. L’œuvre choisie est issue de Peer Gynt d’Edvard GRIEG, « Dans l’antre du roi de la
montagne ». L’extrait dure 2 minutes 59 et est interprété par l’orchestre philharmonique de Berlin.
Avant l’expérience, les élèves ont été prévenus que l’extrait serait diffusé deux fois, à la suite,
sans support visuel. Il leur a été demandé de réaliser un dessin à chaque écoute donc deux dessins
au total sur la même feuille mais chacun sur une page. Le dessin devait traduire l’atmosphère
dégagée par la musique. Ce dessin pouvait soit exprimer les émotions, les sensations ressenties lors
de cette écoute soit être la manifestation du geste induit par la musique, le dessin étant alors la trace
écrite du geste, ce qui sera développé dans la partie 3.2 intitulée « un enseignement qui associe le
mouvement à l’écoute musicale ». Par conséquent, il a été préconisé de plutôt réaliser un dessin
abstrait et non figuratif. Les élèves ont ensuite été informés que les volontaires présenteraient et
expliqueraient oralement leurs dessins au reste de la classe, notamment en explicitant la
correspondance entre les éléments graphiques employés et les caractéristiques musicales. Ainsi,
cette expérience a fait l’objet d’une longue présentation aux élèves, qui se sont montrés très
intéressés, et ont posé de nombreuses questions avant l’expérience.
Deux écueils pouvaient compromettre l’expérimentation. D’une part le temps du dessin
pouvait ne pas correspondre au temps de la musique. Dans la présentation faite aux élèves, il a été
précisé que chaque dessin devait être réalisé pendant l’écoute associée. Par conséquent, le temps
consacré à chaque dessin était court et le dessin devait être rapide. Le fait d’inciter les élèves à
réaliser des dessins abstraits visait aussi à contourner cette difficulté. D’autre part, il ne fallait pas
que le dessin devienne l’activité principale et que la musique soit secondaire et reléguée à un fond
sonore. L’explication préalable précisant que le dessin devait être leur interprétation visuelle de la
musique écoutée et de leur ressenti personnel avait notamment pour but d’axer leur attention sur la
musique. De plus, la présentation orale succédant les écoutes faites par les élèves devait expliquer le

-9-
dessin et le rapport entre les éléments dessinés et les éléments musicaux, visait entre autres à les
inciter à se concentrer sur la musique.

Cette expérience a permis de travailler les trois fonctions de l’écoute définies par Pascal
TERRIEN.
L’élève a exercé son écoute extérieure en découvrant un extrait de Peer Gynt de GRIEG et
son écoute intérieure en percevant son propre ressenti et ses émotions. Ce travail a engendré un
moment de communication et d’échange entre tous les élèves quant au caractère de l’extrait, les
caractéristiques musicales et leur représentation graphique.
Cette expérience a aussi été une activité de partage dans la classe où l’œuvre écoutée est
devenue un objet culturel mis en commun entre tous les élèves. Ceux-ci ont pu partager et
confronter leurs émotions et leur propre ressenti de la musique avec ceux des autres élèves.
L’écoute de l’œuvre leur a permis de s’écouter eux-mêmes et d’écouter les autres.
Mais ce travail est apparu aussi comme une activité musicale dans laquelle les élèves étaient
en position de mélomanes. De cette façon, les dessins n’étaient que des outils pour améliorer
l’écoute musicale. Mais les élèves étaient aussi positionnés en tant que transcripteurs de la musique.
En ce sens, les dessins devenaient une finalité.

L’ensemble des mécanismes de perception a été mis en œuvre. En effet, les élèves ont détecté
puis identifié des sons. Ensuite, ils ont discriminé les éléments sonores entendus en utilisant un
vocabulaire spécifique comme nous le verrons à la fin de cette partie et plus spécifiquement dans la
partie intitulée « Réflexions avec les élèves sur le codage de la musique ». Enfin, ils ont estimé
l’extrait écouté en décrivant les émotions ressenties, des jugements objectifs sur le matériau sonore.
L’un des élèves a effectué un jugement de signification en associant la musique écoutée à un
contenu extra-musical. En effet, Dans l’antre du roi de la montagne lui a évoqué un jeu vidéo
d’enquêtes policières et lui rappelait les enquêtes de Sherlock Holmes.
Sans qu’aucune consigne à ce niveau n’ait été donnée, la quasi totalité des élèves ont procédé
selon les mêmes modalités. Lors de la première écoute, ils ont réalisé un dessin privilégiant leur
ressenti émotionnel. Ils ont donc pratiqué une écoute globale. Et au cours de la seconde écoute, ils
ont cherché à transcrire la musique avec leur propre graphie dans une écoute analytique (annexes 1,
1bis, 2 et 2bis).

Ainsi que Pierre SCHAEFFER évoquait le « toujours plus à entendre » et « la source jamais
épuisée de potentialités », aucun élève n’a réalisé exactement le même dessin deux fois, néanmoins

- 10 -
pour certains, les deux versions étaient proches. Ils n’ont pas entendu de façon similaire les deux
diffusions de l’œuvre (annexes 3 et 3bis). D’eux-mêmes, ils ont écouté sous le prisme émotionnel
lors de la première écoute et de façon analytique au cours de la seconde. Pourtant l’expérience a été
réalisée début mars avec des élèves de 6 e. Aucune habitude d’écoute n’avait pu être intégrée après
seulement six mois de cours d’éducation musicale. De plus, sur les écoutes antérieures, le travail
avait été réalisé en fonction d’éléments notionnels. Par conséquent, aucune méthode identique
n’avait été employée.
En outre, si les élèves ont écouté le même extrait sonore, des qualifications très différentes ont
été apportées, de joyeux, entraînant, dansant à mystérieux, inquiétant et déprimant. Comme
l’explique Pierre SCHAEFFER, lorsque plusieurs auditeurs écoutent le même objet sonore, ils
n’entendent pas tous de façon similaire car ils sélectionnent des éléments différents. Les élèves,
avec un passé personnel et des goûts différents, n’ont pas porté leur attention sur des éléments
musicaux analogues. En effet, lors de la restitution, certains ont évoqué l’accélération du tempo,
d’autres l’augmentation du volume sonore, d’autres la densification de la masse orchestrale et
d’autres le changement de registres du grave vers l’aigu. Toutefois, compte tenu du nombre de
diffusions de l’extrait limité à deux fois, il n’a pas été possible que les élèves trouvent la majorité
des paramètres. Chacun n’en a trouvé qu’un.

Lors de la première écoute, les élèves ont perçu la musique à travers un niveau de réception
empathique. En effet, ils ont ressenti la musique en fonction de leurs émotions. Ils ont donc mené
une écoute empathique correspondant à la deuxième étape de la classification de Kémâl AFSIN.
Toutefois, pour la seconde écoute, la quasi totalité des élèves ont perçu la musique de façon
conceptuelle. Ils ont approfondi leur écoute et ont atteint le quatrième stade de l’écoute, l’écoute
analytique et culturelle. Un seul élève, celui pour lequel la musique évoquait les enquêtes de
Sherlock Holmes, est resté au niveau de la représentation auditive imagée (annexe 4). Son dessin,
très figuratif, en est le témoin. Pourtant, cet élève a montré depuis le début de l’année scolaire une
très bonne oreille et une perception fine de la musique. On peut donc se demander si c’est la
réalisation d’un dessin figuratif ou une conception trop imagée de la musique qui a bloqué cet élève
à ce stade d’écoute d’approfondissement de la musique ou si son dessin n’est que le reflet de son
écoute.
Néanmoins, aucun élève n’a pu rechanter le thème de l’œuvre après ces deux écoutes. Aucun
n’a donc pu accéder à un niveau d’assimilation optimale avec une écoute intérieure bien que
l’œuvre soit répétitive et le thème revienne très fréquemment. Toutefois, aucune consigne relative à
une mémorisation du thème n’avait été donnée au préalable. Les élèves n’avaient pas été avertis

- 11 -
qu’ils devraient chanter le thème à l’issue des écoutes. De plus, le thème de l’extrait est assez long
et, de ce fait, plus difficile à mémoriser.

À travers l’écoute de l’extrait de Peer Gynt de GRIEG, « Dans l’antre du roi de la


montagne », les élèves ont découvert la Norvège et la culture scandinave. L’écoute a été l’occasion
d’évoquer le pays du compositeur et de situer sur une carte la Norvège. Les élèves ont aussi cherché
la légende de Peer Gynt pour repérer l’extrait écouté dans les aventures du héros. Toutefois, c’est
l’écoute en elle-même qui a permis de découvrir cette culture et non l’activité du dessin en écoutant
la musique.
L’œuvre a aussi été un objet de savoir. En effet, la présentation et les explications orales des
élèves ont abouti à un échange et à un partage de leurs perceptions musicales. Comme évoqué
précédemment, chaque élève n’avait perçu qu’une caractéristique musicale de l’extrait. Ces
présentations ont donc permis une mise en commun des élèves qui a révélé l’ensemble des
paramètres musicaux souhaité : l’accelerando, le crescendo, l’évolution des registres et de l’écriture
orchestrale ainsi que les pizzicati du début. Les présentations des élèves ont réellement abouti non
seulement à la définition des paramètres musicaux mais également au vocabulaire musical
approprié.
Cette écoute d’œuvre a aussi permis aux élèves d’apprendre, dans le sens donné par Pascal
TERRIEN. En effet, les caractéristiques musicales perçues avaient été étudiées dans les séquences
précédentes. Les élèves se sont donc remémoré les notions acquises pour les réemployer dans cette
œuvre nouvelle.

Cette expérimentation a remporté l’adhésion et l’enthousiasme des élèves qui ont demandé à
la réitérer. Cette pratique du dessin dans l’écoute musicale peut être utilisée lors de la découverte de
paramètres musicaux. Elle permet à chaque élève non seulement d’essayer de percevoir en lui-
même une caractéristique musicale nouvelle mais aussi de la ressentir et de l’interpréter
personnellement en fonction de leur vécu et de leur curiosité personnelle. De plus, l’emploi du
dessin sur des œuvres aux caractéristiques musicales connues permet aux élèves de réinvestir leurs
connaissances et savoir-faire.

- 12 -
1.2. Le codage de la musique

1.2.1. Les représentations du sonore

La plus grande partie du patrimoine musical mondial est de tradition orale ou fondée sur
l’instant. Par conséquent, aucune référence à un procédé de notation n’existe. La notation
traditionnelle occidentale, appelée solfège, n’est donc qu’un moyen de codage parmi d’autres. Des
logiciels peuvent aussi représenter le son graphiquement ou élaborer des musicogrammes.
Ainsi, de nombreux types de représentation du sonore existent11.
Le musicogramme permet de visualiser la forme d’une œuvre écoutée et de construire un
schéma synthétique de l’extrait.
La partition traditionnelle, même pour des élèves ne connaissant pas le solfège, laisse voir la
direction des lignes, la densité du matériau sonore voire une organisation sonore particulière. La
partition d’orchestre montre graphiquement le rôle des différentes familles d’instruments, la densité
de l’écriture orchestrale ou la répétition de certains éléments.
La partition graphique utilisée notamment dans la musique contemporaine permet de
visualiser l’originalité et les spécificités de ce type de musique.
Le sonagramme indique visuellement la dynamique ou le spectre d’un son. Il permet de
mettre en évidence l’évolution des intensités.

1.2.2. Réflexions avec les élèves sur le codage de la musique

Lors de la présentation par les élèves de leurs dessins, ceux-ci expliquaient, pour leur
deuxième dessin, la correspondance entre les éléments graphiques et les éléments sonores entendus.
Ainsi, les élèves explicitaient le codage qu’ils avaient utilisé. Cette mise en commun a montré que
les élèves employaient chacun un codage qui leur était propre.

La plupart des élèves ont employé instinctivement un système où les sons lents et piano
étaient représentés par des petits éléments graphiques et où l’élément graphique s’agrandissait avec
l’accélération du tempo et le crescendo, par exemple des points puis des petits traits puis des traits
moyens puis des grands traits (annexes 5 et 6) ou des ronds de plus en plus grands (annexe 7). Par
conséquent, le système employé est inversement proportionnel au temps et contraire au solfège
traditionnel.
Seuls quelques élèves ont employé un système de représentation proportionnelle au temps,
comme le système classique du solfège où les sons lents et doux sont représentés par des traits longs
11 Les codes écrits et les représentations du sonore, site Éduscol, p. 1

- 13 -
et les sons rapides et forts par des traits courts (annexe 8) ou des segments longs et courts continus
(annexe 9).
Deux élèves ont dessiné une représentation proche du sonogramme (annexe 10) où l’intensité
du son est schématisée.
Ainsi, les représentations du sonore réalisées montrent une conception personnelle de la
musique. Il n’a toutefois jamais été prononcé devant les élèves le nom de « représentation » du son
mais toujours celui de « dessin ».

Il a dans un premier temps été demandé aux élèves s’il serait possible de reconstituer la
musique à partir de leurs dessins. Les élèves se sont eux-mêmes rendu compte que la chronologie
de l’extrait musical n’était le plus souvent pas prise en compte dans les dessins, y compris le
deuxième dessin. En effet, le dessin superposait les différentes étapes de l’extrait. Pour les quelques
élèves ayant inclus le déroulé du temps, celui-ci pouvait prendre diverses formes ; de haut en bas
(annexe 7) ou temps concentrique de l’extérieur vers l’intérieur (annexe 9). La représentation de
gauche à droite n’a quasiment pas été employée, à l’exception des deux élèves ayant représenté
l’extrait sous une forme proche du sonagramme. Une autre élève a réorganisé ses symboles entre le
premier dessin où les différentes étapes de l’extrait sont superposées (annexe 11) et le deuxième
dessin où les symboles apparaissent de gauche à droite.(annexe 11bis).
Dans un second temps, les élèves ont été amenés à s’interroger sur la représentation des
quatre paramètres du son, découverts lors des séquences précédentes, dans leurs dessins afin de
poser un regard critique sur leur représentation du sonore. Ils se sont ainsi aperçus qu’au-moins un
des quatre paramètres n’apparaissaient pas sur leurs dessins et ont pu identifier le ou les paramètres
manquants. Toutefois, l’examen de partitions avec des représentations graphiques diverses était
destiné à observer que tous les paramètres du son ne figuraient pas nécessairement dans tous les
types de partitions. À l’instar de ces partitions, il est donc possible de limiter sa représentation du
sonore aux paramètres considérés comme principaux.
Dans un troisième temps, il était envisagé d’examiner différents types de partitions afin de
réfléchir sur la pertinence et les limites de ces représentations graphiques : les neumes de l’écriture
sangallienne, l’écriture carrée de la notation grégorienne et des partitions contemporaines comme
les Récitations de Georges APERGHIS ou Stripsody de Cathy BERBERIAN. Toutefois, ce travail
n’a pas pu être mené à son terme compte tenu des modifications du calendrier scolaire liées au
contexte sanitaire. Ce travail était difficilement réalisable en distanciel.

- 14 -
Ainsi, l’écoute est une activité qui présente différentes facettes et se situe au cœur de
l’ensemble des compétences travaillées. Si le but ultime d’une écoute musicale est d’aboutir à une
analyse précise de l’œuvre afin de construire une culture musicale, il n’en reste pas moins que les
aspects psychologiques doivent être pris en compte. En effet, le cours d’éducation musicale est le
seul à traiter spécifiquement de l’ouïe. Par conséquent, l’une de ses finalités est aussi d’améliorer
l’attention auditive. En outre, la musique n’est pas qu’un objet d’étude mais elle est aussi source
d’émotions et de plaisir. Il convient donc de développer également une approche émotionnelle de
l’écoute musicale.

2. Une prise en compte des aspects psychologiques

2.1. L’attention, une condition indispensable à une écoute active

2.1.1. L’attention et la mémoire

L’écoute active nécessite le silence qui permet non seulement d’être disponible au message
sonore perçu mais aussi attentif, c’est-à-dire avec la volonté de se tourner vers ce qui va être
entendu.

« L’attention peut être définie comme l’ensemble des mécanismes par lesquels le cerveau
sélectionne une information et en oriente le traitement 12 ». L’attention comprend trois systèmes :
l’alerte qui module globalement le niveau de vigilance, l’orientation de l’attention qui sélectionne
un objet et le contrôle exécutif qui choisit l’ensemble des traitements à effectuer pour atteindre une
tâche donnée et en vérifie la bonne réalisation. Chacun de ses aspects modifie massivement
l’activité cérébrale et peut ainsi faciliter les apprentissages mais il peut aussi l’en détourner s’il est
orienté dans une mauvaise direction.
Le système d’alerte et de vigilance signale quand il convient de faire attention.
Le système d’orientation de l’attention précise quel doit être l’objet de l’attention. L’attention
amplifie les signaux sélectionnés mais réduit aussi fortement tous ceux qui sont jugés non-
pertinents. Ainsi, prêter son attention sur un objet ne permet pas de percevoir les autres stimuli
pourtant perceptibles. Cette orientation de l’attention peut être issue d’un processus volontaire,
contrôlé de l’intérieur13. Cette orientation endogène permet de définir consciemment la tâche à
réaliser et de s’y investir sans se laisser distraire par les stimuli secondaires. Mais cette orientation

12 DEHAENE, S, L’attention et le contrôle exécutif, site du Collège de France, p. 1


13 GOUDREAU, R, Le développement des processus de contrôle attentionnels, site TDAHBE blog

- 15 -
de l’attention peut être aussi automatique donc exogène si un stimulus imprévu vient capter
l’attention de la personne. Son caractère nouveau et attrayant va détourner la personne de la tâche
donnée.
Le système d’attention exécutive définit les traitements à réaliser à partir des informations
sélectionnées. Ce système est constitué par l’ensemble des processus à mettre en œuvre. C’est cet
assemblage de stratégies nouvelles, non habituelles qui permettra de réaliser la tâche donnée en
sélectionnant les actions appropriées, en supprimant les stratégies non adéquates et en détectant et
corrigeant les erreurs.

L’attention sélective utilise le système cérébral central dont la capacité est limitée. À ce
niveau, le traitement de l’information est lent et en série. Le cerveau ne parvient pas à réaliser deux
tâches simultanément. L’attention forme comme « un goulot d’étranglement » qui soit rend les
stimuli non perceptibles soit en ralentit fortement le traitement. Lorsqu’il est demandé de réaliser
deux tâches en même temps, l’une des deux au moins est nécessairement ralentie ou occultée. Pour
que l’attention puisse être partagée entre deux tâches, il faut que l’une des deux ait été automatisée
au préalable pour permettre de libérer une partie des capacités de l’attention pour la seconde tâche.
Le processus des différents systèmes de l’attention met en œuvres plusieurs capacités. Il est
possible de se concentrer volontairement sur une tâche et de se laisser distraire par un autre
stimulus. La flexibilité cognitive permet de déterminer si cet autre stimulus est prioritaire ou
secondaire. Les mécanismes de la flexibilité cognitive et de la résistance à la distraction sont en
interaction et en alternance en permanence. Toutefois, après avoir déterminé si le second stimulus
est prioritaire ou pas, il sera possible de retourner sur la tâche initiale grâce à la mémoire de travail
qui a conservé l’objet de cette tâche principale.

La mémoire de travail permet de stocker des informations à court terme. Elle utilise un
support visuel, un support auditif et un administrateur central qui gère ces deux composantes. Cet
administrateur permettra de prendre la décision du support le plus approprié à utiliser visuel ou
auditif. La mémoire de travail est un système de capacité limitée qui ne peut retenir qu’une petite
quantité d’informations pendant quelques secondes. Seules les informations émises lors des quinze
dernières secondes et seulement sept éléments en moyenne pourront être mémorisées par la
mémoire à court terme14. Celle-ci permet non seulement de retenir l’information mais aussi de la
traiter en même temps ou de réaliser une autre tâche. Les trois composantes de la mémoire de
travail ne se développent pas en même temps chez l’enfant. Sa mémoire repose d’abord sur la

14 LIEURY, A. (1992). Des méthodes pour la mémoire. Paris : Dunod, p. 193

- 16 -
composante visuelle avec une dimension non-verbale. C’est seulement lorsque le langage intérieur
sera bien maîtrisé que la composante auditive se développe entre 3 et 5 ans. Et elle n’arrivera à
maturité qu’entre 9 et 12 ans selon les enfants.
Ces informations, d’abord retenues par la mémoire à court terme, appelée mémoire de travail,
seront ensuite transformées par un stockage à long terme dans la mémoire à long terme 15. La
mémoire de travail peut être aléatoire mais lorsque des agencements entre les éléments sont
effectués, les derniers éléments chassent les premiers qui sont alors stockés dans la mémoire à long
terme. Ces formes de mémoire consciente sont regroupées sous le nom de mémoire déclarative.
Mais il existe aussi une mémoire inconsciente, appelée mémoire non déclarative. La
caractéristique de ces genres de mémoire est de ne pas être normalement accessible à la conscience.
La mémoire non déclarative comporte « différentes capacités motrices et perspectives, les
habitudes, les apprentissages émotionnels ainsi que des formes élémentaires d’apprentissage comme
l’habituation ou la sensibilisation16 ». La mémoire motrice, qualifiée de mémoire musculaire,
comme la coordination de la main gauche et de la main droite chez les instrumentistes, fait partie de
la mémoire non déclarative. Ces habiletés sont stockées de façon inconsciente dans le cerveau par la
mémoire non déclarative. En musique, ce type de mémoire est souvent utilisé en parallèle des
formes déclaratives et s’assimile à l’habituation.

2.1.2. L’attention au cours des pratiques mises en place dans la classe

L’un des constats initiaux concernait les difficultés d’attention des élèves au-delà d’une
minute d’écoute musicale aveugle et avait conduit au présent questionnement. Au cours de cette
expérimentation, les élèves ont donc écouté à l’aveugle l’extrait de 2 minutes 59, deux fois de façon
enchaînée, soit près de six minutes d’écoute. Il a été observé que l’ensemble des élèves était
particulièrement attentif et très concentré sur la totalité des six minutes.
De plus, chaque élève a vraiment montré une implication personnelle et individuelle. Les
élèves se sont efforcés, comme il leur avait été expliqué en préalable de l’activité, de faire ressortir
la singularité de leur écoute et de montrer dans leur dessin leur perception personnelle de la
musique. Cette implication individuelle tranchait fortement par rapport aux situations d’écoute
antérieures où le travail était mené à l’oral collectivement. En effet, certains élèves très moteurs
participaient largement à l’oral alors que d’autres, moins actifs, avaient tendance à se reposer sur

15 AFSIN, K. (2009). Psychopédagogie de l’écoute musicale. Bruxelles : Groupe De Boeck, p. 54-55


16 SQUIRE, L. R. et KANDEL, E.R. (2002). La mémoire. Bruxelles : Groupe De Boeck, p. 33-34

- 17 -
ces élèves. Et parmi ces élèves, moins actifs à l’oral dans un travail collectif, certains ont présenté et
expliqué à la classe leurs dessins.

Par ailleurs, la présentation de l’activité et les réponses à leurs nombreuses questions ont
permis de canaliser leur attention. Elles ont constitué le système d’alerte et de vigilance. Cette phase
préparatoire a engendré une magnification de l’activité.
La pratique du dessin au cours d’une écoute aveugle est apparue aux élèves comme une
activité attrayante. Le dessin est pour eux une activité connue depuis leur jeune enfance. De plus, la
nouveauté de l’activité a concouru à la réussite de cette expérimentation. Toutefois, on peut
s’interroger si ce type d’activité était ritualisé pour les premières écoutes aveugles, est-ce qu’elle
remporterait toujours l’adhésion des élèves et leur permettrait-elle d’approfondir leur écoute active
de la même manière.

En outre, il a systématiquement été employé devant les élèves le mot de dessin, qui présente
un côté plus intuitif pour eux, que la dénomination de représentation graphique de la musique. Ce
vocable avait pour but d’éviter les doubles tâches qui ralentissent voire occultent au-moins l’une des
tâches. Représenter la musique par des graphismes aurait très certainement conduit les élèves à se
poser de très nombreuses questions sur quel graphisme utiliser par rapport à quel son. L’écoute
serait probablement passée au second plan. Alors que le dessin est une activité qui est devenue
automatisée pour des élèves de collège et permet ainsi de mener deux tâches simultanément.

Leurs dessins constituent une image qui illustre la musique écoutée. Ils permettent de
constituer un support à la mémorisation de l’œuvre étudiée à la fois dans une mémoire déclarative et
une mémoire non déclarative. En effet, les élèves ont consciemment réalisé leur dessin, par
conséquent, les rapports entre les caractéristiques musicales et les éléments graphiques sont stockés
à travers une mémorisation déclarative. Mais une part de mémorisation inconsciente est aussi
intervenue et la vue ultérieure de leurs dessins leur rappellera la musique écoutée.

2.2. L’émotion, un point de départ dans l’apprentissage

2.2.1. Les émotions

En musique, l’émotion occupe une place capitale. En effet, les compositeurs, à travers leurs
œuvres, veulent transmettre des éléments qui provoqueront des émotions chez les auditeurs.
L’émotion est donc étroitement liée à l’existence même de l’œuvre. Mais si les affects sont la

- 18 -
source du matériau musical dans l’acte de création, ils le sont aussi dans l’acte de perception
musicale. Ainsi, de l’émotion est issu l’acte créateur du compositeur puis celui du jeu de l’interprète
et enfin celui de perception de l’auditeur.

D’après Jung, le terme d’émotions et celui d’affect ont la même signification et sont donc
synonymes. « Par affect, il faut entendre un état de sentiment caractérisé et par une innervation
perceptible du corps, et par un trouble spécifique du cours des représentations17 ».
L’émotion recouvre plusieurs fonctions18 : l’évaluation du milieu culturel qui permet de traiter
l’information, la régulation des réactions physiologiques, la préparation de l’action, la
communication des intentions avec ses expressions motrices et la réflexion. C’est à partir de cette
réflexion qui est constituée d’un état affectif subjectif que le processus de construction des
connaissances va s’élaborer.

Depuis 2000 avec le Plan pour les arts et la culture à l’école, l’intelligence sensible est
reconnue et son rôle essentiel est affirmé. Ainsi, il est prescrit de développer conjointement
l’intelligence rationnelle de l’enfant et son intelligence sensible pour aboutir à un épanouissement
équilibré. De plus, il est reconnu que l’éveil de la sensibilité est une condition de la maîtrise de la
langue et permet de développer les autres formes d’intelligence. L’art est une discipline où
l’apprentissage des savoirs mobilise l’affectif, l’intelligence sensible et l’émotion. Ainsi,
« l’éducation artistique apporte aux enfants une sensibilité capable de structurer leur corps, d’élever
leur esprit, d’aiguiser leur sens critique et de développer la compréhension de l’autre19 ».
Ainsi, l’intelligence sensible est intégrée aux programmes de 2015 dans le socle commun de
connaissances, de compétences et de culture par la reconnaissance des langages artistiques, de la
place de la créativité, de l’inventivité et de l’imagination.

L’intelligence sensible participe donc fortement au développement de l’esprit et à la formation


de l’élève en tant qu’individu et en tant que futur citoyen 20. Une pédagogie du sensible favorise la
construction de la fonction symbolique et le passage à l’abstraction. Elle développe les capacités
d’invention et d’expression de l’élève ainsi que ses aptitudes citoyennes. La culture de la sensibilité
et l’apprentissage des émotions permettent non seulement l’acquisition de compétences et la

17 JUNG, C. G. (1993). Types psychologiques. Genève : Librairie de l’Université Georg et Cie SA, p. 404
18 TERRIEN, P. (2006). L’écoute musicale au collège. Paris : L’Harmattan, p. 72
19 LANG, J. et TASCA, C. (2001). Plan pour les arts et la culture à l’école. CNDP, p. 7
20 Les enseignements et l’éducation artistiques, Une éducation de la sensibilité par la sensibilité,
site Éduscol, p. 2

- 19 -
construction de connaissances mais aussi l’accès à d’autres types de savoirs et la possibilité
d’apprendre autrement.
En outre, la verbalisation de ses émotions, de ses perceptions, de ses sensations et la
comparaison avec celles des autres élèves permet d’acquérir de nouvelles connaissances et
compétences en mobilisant ses acquis. La verbalisation fait passer de l’émotion au sentiment et
constitue un véritable moment d’apprentissage. Par ailleurs, plus le langage est riche et plus la
description et l’interprétation des émotions comme de la musique pourront être subtiles et nuancées
et plus le partage avec les autres pourra être riche et diversifié.

Ainsi, il est important d’accorder une réelle place à la prise en compte des affects dans les
situations d’apprentissages. En pédagogie musicale, « l’émotion reste un des moteurs les plus
puissants de transmission, d’acquisition et de mobilisation des processus cognitifs 21 ». Pour Pascal
TERRIEN, l’émotion représente même le point de départ identifiable de l’acte d’apprentissage. Elle
constitue non seulement la source de toute communication mais aussi de toute activité. De cette
façon, l’émotion occupe une place importante dans le fonctionnement de l’apprentissage et peut être
utilisée comme un outil pour la construction de connaissances.
En effet, l’émotion est l’origine de l’interaction entre la personne et l’objet culturel. Et
l’apprentissage est issu du processus de cette relation entre l’esprit et l’objet. L’émotion est seule à
permettre cette connexion.
« Nous sommes de plus en plus nombreux à comprendre l’importance
de ne pas séparer l’affectif du cognitif, de les concevoir comme une même
unité. […] [L’émotion] n’influence pas simplement l’activité cognitive,
[elle] en fait partie, [elle] en est inhérente. Intention, réflexion et émotion
sont des éléments inséparables pour apprendre22 ».

Ainsi, non seulement il serait bénéfique de prendre en compte les émotions, ressentis et
affects des élèves dans un processus cognitif mais ceux-ci en feraient partie et n’en seraient alors
pas détachables.
C’est, en effet, à partir de ses émotions que l’élève construit des représentations qui vont
prendre appui sur ses connaissances musicales antérieures. Mais les réponses du reste de la classe
pourront modifier ou remettre en cause ces représentations, d’autant plus si les autres élèves
semblaient ressentir les mêmes émotions. Ainsi, l’enfant emploie le vocabulaire technique musical
pour expliquer son émotion et vérifie aussi, d’après ses camarades, la pertinence de son choix. Un

21 TERRIEN, P. (2006). L’écoute musicale au collège. Paris : L’Harmattan, p. 81


22 BARTH, B. M. (2002). Regards croisés sur l’éducation. Paris : L’Harmattan, p. 221

- 20 -
travail de construction important sera alors réalisé par des ajustements permanents dû à la
réactivation des savoirs et leur questionnement. Ce stade marque l’avancement de l’apprentissage.
L’émotion joue donc un rôle de rappel de souvenirs ou d’amorce.
Toutefois, se souvenir d’un terme technique musical et l’employer fait sortir de l’univers
émotionnel pour entrer dans celui des connaissances.

2.2.2. La prise en compte des émotions dans les pratiques mises en place dans la classe
Comme nous l’avons évoqué précédemment, les élèves ont instinctivement réalisé leur
premier dessin en fonction des émotions ressenties. À travers cette expérience sensible, ils ont
appréhendé autrement la musique en dessinant la spécificité de leur propre regard. De façon quasi-
intuitive, ils ont fait jaillir des signes en fonction de leurs divers ressentis et l’examen de leurs
dessins a montré qu’ils ont réutilisé ces signes intuitifs mais de façon consciente, réfléchie et
organisée dans leur deuxième dessin. Ainsi, ils ont dans un premier temps développé une fonction
symbolique, parallèle au langage verbal. Les élèves ont donc évoqué la musique par des symboles
et des signes, ce qui leur a permis de saisir la musique autrement.
Les élèves ont pu s’approprier différemment la musique, développer de nouveaux modes de
représentation et construire de nouvelles connaissances grâce à cette expérimentation. Avec ces
deux dessins consécutifs, ils ont pu percevoir la musique d’une façon sensible et l’appréhender de
manière réfléchie et raisonnée.

Dans un second temps, les élèves ont verbalisé leurs émotions en décrivant et expliquant leurs
deux dessins. Cette activité a ainsi généré un moment de partage avec les autres et la classe s’est
aperçue qu’à partir d’une même musique, des sentiments différents avaient pu être ressentis comme
il a déjà été expliqué précédemment. Cette expérience a donc aussi contribué à un développement
du langage. Certains élèves qui ne participaient pas ou peu au travail collectif antérieur d’écoute
musicale ont souhaité présenter leurs dessins au reste de la classe. Il était donc manifeste que les
élèves avaient l’envie de dire et d’exprimer leurs ressentis et perceptions de la musique. En effet,
davantage de temps, un travail individuel et une absence de consigne ont été propices à leur
introspection et leur expression. Ces élèves se sont montré plus à l’aise dans le travail individuel
que dans la construction collective habituelle. Ceux-ci avaient plus de temps que lors du travail
traditionnel dans lequel les élèves les plus rapides donnent les premiers les réponses et empêchent
l’aboutissement du travail des moins rapides. Avant cette expérience, seule la première écoute
n’était pas accompagnée de consigne préalable pour faire émerger la diversité des écoutes des
élèves et découvrir le plaisir que l’écoute musicale pouvait engendrer.

- 21 -
Par ailleurs, alors qu’il avait été constaté qu’il était difficile de caractériser un extrait sonore
depuis le début de l’année scolaire ; dans cette expérience, chaque élève a spontanément donné un
caractère de l’extrait écouté. Comme il l’a déjà été mentionné, un élève l’a même écrit sur son
dessin (annexe 1). Non seulement un temps plus long mais aussi leur support visuel individuel les
ont aidés à définir le caractère de l’œuvre. De plus, la seule recommandation quant aux dessins
réalisés était de matérialiser l’atmosphère de cet extrait et les émotions ressenties à cette écoute, ce
qui a favorisé la caractérisation de l’œuvre écoutée.

Ainsi, il est bénéfique pour le processus cognitif de prendre en compte les émotions.
Néanmoins, une pédagogie plurisensorielle associant la vue et le mouvement à l’ouïe permet
d’améliorer encore l’écoute active des élèves.

3. Un enseignement plurisensoriel

3.1. Un enseignement qui associe la vue à l’écoute musicale

3.1.1. La distinction visuel-auditif-kinesthésique

L’idée selon laquelle les personnes présentent des aptitudes différentes pour apprendre des
choses nouvelles selon un sens particulier - la vue, l’ouïe ou le mouvement - est très répandue.
L’information serait mieux apprise lorsqu’elle est présentée dans le même format que la modalité
sensorielle dominante d’un élève. Ainsi, un élève visuel devrait voir les connaissances à apprendre,
une élève auditif les entendre et un élève kinesthésique les percevoir par le mouvement.
Toutefois, de nombreuses recherches ont été consacrées à ce sujet sans qu’aucune donnée
probante n’ait pu être constatée23. Cette distinction entre visuel, auditif et kinesthésique apparaît
donc comme un mythe scientifique.

Le rôle du sens dominant, appelé modalité, dans la mémoire a été étudié dans plusieurs
recherches24. Or il a été démontré que le souvenir est habituellement stocké dans la mémoire
indépendamment de sa modalité. Les souvenirs sont conservés selon leur sens, et non en tant que
souvenirs visuel, auditif ou kinesthésique. La perception initiale qui a permis d’apprendre une

23 ROUSSEAU, L., GAUTHIER, Y. et CARON, J. (2018). L’utilité des « styles d’apprentissages »


VAK (visuel, auditif, kinesthésique) en éducation : entre l’hypothèse de recherche et le mythe
scientifique. Revue de psychoéducation, 47 (2), p. 409
24 WILLINGHAM, D, (traduction APPY, F.) Demandez aux scientifiques cognitivistes : Est-ce que
les apprenants visuels, auditifs, et kinesthésiques ont besoin d’un enseignement visuel, auditif et
kinesthésique ?, site Form@PEx, p. 2

- 22 -
connaissance a pu être visuelle ou auditive mais la représentation mentale qui en découle n’est ni
visuelle ni auditive. Elle est relative au sens.
De plus, l’esprit est capable de mémoriser des souvenirs sous différents formats. Ainsi, une
seule expérience conduit généralement à plusieurs types de représentations. Lorsqu’une personne
regarde une histoire en images, elle stocke à la fois une représentation visuelle des images et une
représentation liée au sens. Si la mémoire stocke ces différents types de représentation, c’est parce
que chaque représentation est plus ou moins efficace en fonction des divers types d’informations.
Par exemple, les représentations visuelles ne sont pas efficientes pour mémoriser du sens car une
image peut se prêter à plusieurs interprétations. Ainsi, les différentes représentations visuelles,
auditives, kinesthésiques ou basées sur le sens ne peuvent pas se substituer les unes aux autres.
En outre, la plupart des enseignements dispensés visent à transmettre aux élèves des notions,
soit le sens des choses. La vision et l’audition ne sont que des supports pour transmettre
l’information. La modalité dominante de mémoire ne leur donne donc aucun avantage.
Par conséquent, la meilleure modalité pour transmettre des connaissances est celle qui est
adaptée au contenu et non celle en fonction de l’élève. La modalité retenue a donc la même
importance pour tous les élèves.

Par ailleurs, les expériences menées par Alain LIEURY dans lesquels des personnes devaient
mémoriser des mots présentés de façon visuelle ou auditive ont montré que les résultats aux tests de
mémoire n’étaient pas constants dans le temps 25. Certains individus étaient identifiés comme
auditifs lors des premiers tests puis visuels à long terme. Par conséquent, il n’y a pas d’auditifs ou
de visuels en soi mais en fonction des situations. En effet, une distinction doit être effectuée entre la
mémoire sensorielle et la mémoire lexicale. « Les codes sensoriels visuels et auditifs ne servent que
d’entrées dans le lexique de la mémoire. À long terme, les codes visuels et auditifs sont recodés
dans un autre code : le code lexical26 ».

De plus, d’un point de vue physiologique, les perceptions visuelles, auditives et


kinesthésiques sont traitées par des régions distinctes du cerveau 27. Lorsqu’une expérience a conduit
à plusieurs types de représentations, les diverses régions sensorielles corticales partagent entre elles
de nombreuses interconnexions synaptiques. Il est donc faux que le cerveau de chaque individu

25 LIEURY, A. (1990). Auditifs, visuels : la grande illusion. Cahiers pédagogiques, 267, p. 61


26 Ibid. p. 60
27 ROUSSEAU, L., GAUTHIER, Y. et CARON, J. (2018). L’utilité des « styles d’apprentissages »
VAK (visuel, auditif, kinesthésique) en éducation : entre l’hypothèse de recherche et le mythe
scientifique. Revue de psychoéducation, 47 (2), p. 414

- 23 -
possède une zone sensorielle dominante qu’il faut davantage stimuler pour améliorer
l’apprentissage.

Par conséquent, non seulement l’adaptation des styles d’apprentissages suivant la modalité
sensorielle dominante d’un élève est infondée mais elle peut même être néfaste 28. En effet, limiter
l’apprentissage à un seul style particulier diminue les opportunités d’apprentissage. Cette théorie ne
permet pas aux élèves de développer toutes les habiletés nécessaires à l’apprentissage. « Elle
présume que toutes les différences individuelles sont des différences intrinsèques, alors qu’en fait,
les différences individuelles sont très souvent le résultat d’un manque d’opportunité ou d’une
instruction inadéquate29 ».

Ainsi, pour favoriser l’apprentissage, un enseignement plurisensoriel est plus efficace qu’un
enseignement unisensoriel. SEITZ, KIM et SHAMS ont mené une expérience entre deux groupes
d’individus, l’un avec un entraînement unisensoriel visuel et l’autre avec un entraînement
multisensoriel auditif et visuel. Leurs conclusions sont que « les interactions multisensorielles
peuvent être exploitées pour rendre plus efficace l’apprentissage des informations nouvelles. Les
programmes d’entraînement multisensoriel sont plus efficaces pour l’acquisition de nouvelles
habiletés30 ».
D’autres recherches ont également démontré que l’ajout de perceptions haptiques à des
stimuli visuels nouveaux permet d’être plus performant que la seule exploration visuelle. Il ne faut
donc pas se limiter à une seule modalité sensorielle mais les combiner pour rendre l’apprentissage
plus efficace. Ainsi, les différentes modalités sensorielles sont essentielles et ne dépendent pas du
profil des élèves. Mais elles sont complémentaires et indispensables pour l’apprentissage.

3.1.2. L’association de la vue dans les pratiques mises en place en classe


Ainsi, les dessins réalisés par les élèves pendant l’écoute musicale constituent un support
visuel. Les stimuli visuels ajoutés à la perception auditive pouvaient être variés : vidéo des
musiciens exécutant l’œuvre, images, tableaux ou représentation schématique du son comme un
sonogramme. Toutefois, il n’a pas été souhaité un support figuratif comme des images, des tableaux

28 BERNARD, É. (2012). Les élèves sont auditifs ou visuels. Un neuromythe chez les enseignants
du secondaire II ? (Mémoire professionnel de master of advanced studies non publié). Haute école
pédagogique, Lausanne, p. 19-22
29 SNIDER, V. (2006). Myths and misconceptions about teaching : What really happens in the
classroom. Maryland : Rowman & Littlefield Publishing Group, p. 107
30 SEITZ, A. R., KIM, R. et SHAMS, L. (2006). Sound facilitates visual learning. Current Biology,
16, p. 1422

- 24 -
ou des vidéos des musiciens afin que l’attention des élèves ne soit pas détournée de l’écoute
musicale. Par ailleurs, il a été souhaité que le support visuel soit personnel à chaque élève pour
avoir un maximum de sens pour eux et optimise leur écoute musicale.

Par ailleurs, le paramètre sonore abordé dans cette séquence est l’intensité du son. Cette
séquence visait donc l’apprentissage des nuances et la révision des notions de tempo, registres,
timbres avec les divers instruments et modes de jeu. L’écoute de l’extrait musical était destinée à
percevoir les différentes notions musicales pour les identifier et mieux les comprendre : crescendo,
accelerando, évolution des registres, pizzicato. Leur support visuel a permis de diversifier les
modes de perceptions de ces notions. En effet, non seulement ils ont perçu auditivement ces notions
dans l’extrait écouté mais aussi visuellement sur leurs représentations graphiques intuitives. De
cette façon, ils ont pu mieux comprendre ces notions et accéder à leurs sens. Ainsi, ils ont pu se
fabriquer une représentation mentale de ces notions à partir de ces deux perceptions. Par ailleurs,
d’un point de vue physiologique, cette expérience a fait travailler davantage de zones cérébrales des
élèves et a contribué à développer les connexions synaptiques entre ces zones.
Ainsi, les élèves devaient se former une représentation mentale de ce qu’est l’intensité du son.
Cette représentation doit permettre de différencier les nuances du tempo, ce qui est fortement
confondu par les élèves. La compréhension, la mémorisation et l’intégration de la définition de
l’intensité du son correspondent à ce que Willingham nomme le sens. En effet, que la découverte de
la notion de nuances ou d’intensité ait été perçue par l’ouïe lors de l’écoute musicale ou par la vue
sur des schématisations du son, l’élève va garder en mémoire ce que sont les nuances. Sa
représentation mentale sera donc basée sur le sens. Cette écoute associée aux dessins permettait
aussi d’approfondir la mémoire lexicale relative aux notions citées ci-dessus afin de les conforter et
les compléter.

De plus, outre la représentation basée sur le sens, la représentation auditive était aussi
importante. En effet, la mémorisation de l’extrait de Peer Gynt contribue à accroître la culture
musicale des élèves en découvrant une œuvre du patrimoine musical. Mais cette connaissance de
« Dans l’antre du roi de la montagne » est fondée sur la double entrée auditive et visuelle. L’œuvre
peut ainsi être remémorée à la fois par un souvenir auditif et par un souvenir visuel.

- 25 -
3.2. Un enseignement qui associe le mouvement à l’écoute musicale

3.2.1. Les pédagogies actives associent le mouvement à l’apprentissage de la musique

Au début du XXe siècle, des pédagogies actives de l’enseignement de la musique sont


apparues, notamment avec JAQUES-DALCROZE et WILLEMS. Dans ces méthodes, les élèves
doivent s’investir de façon sensori-motrice dans l’apprentissage, c’est-à-dire que le mouvement est
utilisé comme moyen d’apprendre.

Ainsi, Émile JAQUES-DALCROZE a élaboré une méthode d’apprentissage de la musique


par le corps qu’il a dénommée « rythmique ». Dans sa méthode, la musique est transcrite par le
corps31. En effet, celui-ci est un intermédiaire entre la pensée et le son. La conscience du son se
forme autant par les gestes et par la voix que par l’oreille. Puis, dans une phase d’extériorisation, le
corps restitue la musique. Les mouvements réalisés sont alors une transposition visuelle directe. De
cette façon, JAQUES-DALCROZE cherche à harmoniser l’audition intérieure, la pensée et le
geste32.
Ainsi, dans la pédagogie préconisée par Dalcroze, le mouvement naturel du corps est utilisé
pour développer une sensation musicale à travers celui-ci. Contrairement au nom donné de
« rythmique », cette pédagogie n’est pas seulement destinée à enseigner le rythme mais c’est une
méthodologie complète33. Celle-ci vise à vivre par les sens toutes les notions musicales pour
développer non seulement les capacités rythmiques de l’élève mais aussi ses aptitudes auditives. Le
propre corps de l’élève est considéré comme le premier instrument à travers lequel la musicalité est
ressentie et transmise. Le développement de l’écoute musicale s’appuie donc sur l’expérience de
l’organisme tout entier, en relation avec l’espace qui l’entoure.
La méthodologie de DALCROZE s’articule en trois étapes 34. Au cours de la première, l’élève
suit la musique corporellement et réagit aux propositions sonores de façon intuitive. Dans la
seconde étape, l’enfant prend conscience de ce qui a été travaillé dans divers exercices. Lors de la
troisième étape, il analyse et reconnaît la notion travaillée dans des pièces du répertoire et les utilise
dans ses propres combinaisons. Les acquisitions nouvelles sont alors consolidées par une mise en
pratique dans des partitions. Ainsi, plus les expériences sont riches et diversifiées, plus la notion
nouvelle est intégrée. Les élèves peuvent ainsi retrouver ces sensations et les employer dans leur

31 TERRIER, A, La rythmique de Jaques-Dalcroze, entre pratique et utopie, site de l’opéra


comique, p. 2
32 L’institut Jaques Dalcroze et la rythmique, site ijd, p.3
33 La pédagogie Dalcroze, site Dalcroze France, p. 1
34 Qu’est-ce que la pédagogie Jaques-Dalcroze ?, site Vox.radiofrance, p. 1

- 26 -
pratique personnelle. De cette façon, l’écoute musicale est toujours abordée à la fois par le corps et
les sens avant les notions théoriques.

Par ailleurs, la méthode d’Edgar WILLEMS fait aussi partie des méthodes actives et recourt
également aux mouvements naturels de l’enfant comme les balancements, marche, sautillés, courses
ou galops35. Cette méthode vise à faire ressentir et vivre la musique corporellement à travers les
sensations musculaires. Comme DALCROZE, son enseignement repose sur les divers sens et le
mouvement. L’apprentissage doit d’abord s’inscrire dans le corps avant toute conceptualisation.
Dans les apprentissages, la méthode WILLEMS sollicite les diverses mémoires visuelle, auditive et
corporelle36. Ainsi, la mémoire visuelle est activée à travers des graphismes ou l’écriture
traditionnelle, la mémoire auditive par la mémorisation de sons, de mélodies ou d’accords et la
mémoire corporelle par la mémorisation de gestes.

De plus, les documents d’accompagnement des programmes scolaires confirment que toute
activité musicale engage le corps, en tant que transmetteur ou récepteur, y compris dans le domaine
de la perception37. En outre, l’écoute déclenche spontanément chez les enfants des mouvements du
corps pour approcher le mouvement du son. Ces documents prescrivent même qu’« il est important
que l’enfant ait pu expérimenter avec […] son propre geste toutes sortes de dynamiques sonores
liées à ses émotions38 ». Ils recommandent notamment des pratiques rythmiques avec des
percussions corporelles et des pratiques d’écoute avec la sollicitation du geste et du graphisme.
Dans l’écoute, le geste révèle la pensée musicale. Il répond à un stimulus musical par une
mise en mouvement ou un graphisme. Au cours de ce geste, les élèves doivent être vigilants aux
sensations issues de ce geste. À chaque sensation correspond un élément sonore particulier. L’enfant
exploite ainsi sa mémoire corporelle qui précise et complète sa représentation mentale du son.
L’apprentissage passe, de cette façon, par sa mémoire sensorimotrice qui combine la mémoire du
geste et du son. La construction de ses connaissances et ses compétences repose à la fois sur ses
perceptions kinesthésiques et auditives.

35 MASSON, C. et BEZENÇON, I. (2015). L’adaptation des théories de Maria Montessori et Edgar


Willems dans l’enseignement de la musique au primaire (Mémoire de Bachelor of Arts en
enseignement préscolaire et primaire non publié). Haute école pédagogique, Vaud, p. 5-8
36 La pédagogie Willems, site musique en mouvement, p. 1
37 Place du corps en éducation musicale, site Éduscol, p. 1-3
38 Ibid. p. 1

- 27 -
3.2.2. L’association du mouvement dans les pratiques mises en place en classe

Comme il a été expliqué dans la partie 1.1.2., le dessin pouvait soit exprimer les émotions, les
sensations ressenties lors de l’écoute de Peer Gynt soit être la manifestation du geste induit par la
musique. Le dessin n’était alors que la trace écrite du geste. Le dessin était, dans ce cas, la
matérialisation du mouvement ressenti à l’écoute de la musique (annexe 12).

En ce sens, les dessins effectués par les élèves sont une transposition de la pédagogie de
DALCROZE. Le mouvement n’est certes pas dans l’espace mais représenté visuellement. Le dessin
devient alors l’intermédiaire entre le son et l’élève. À la façon de DALCROZE, les enfants ont
d’abord ressenti corporellement la musique et ont réagi de façon intuitive par des mouvements dont
la trace a été figée dans leur premier dessin. Puis ils ont pris conscience des différents éléments
musicaux de l’extrait écouté et ont repris et agencé dans leur deuxième dessin les traces des
mouvements intuitivement laissées sur le premier dessin. Enfin, dans leurs descriptions et
explications orales, ils ont reconnu et analysé les caractéristiques musicales de « Dans l’antre du roi
de la montagne » et les ont nommées avec le vocabulaire technique approprié.

En outre, de même que la méthode WILLEMS, les élèves ont mobilisé trois types de
mémoires dans cette expérimentation avec les dessins. Leurs perceptions visuelles grâce aux
dessins, auditives à travers l’écoute musicale et corporelles par le geste du dessin ont ainsi concouru
à une meilleure construction des connaissances.

Par ailleurs, le mouvement a aussi été développé sur ce même extrait à travers l’apprentissage
de percussions corporelles reproduites en annexe 13. L’une de nos interrogations évoquées en
introduction était relative aux gestes spontanément effectués par les élèves pendant les écoutes
musicales. Toutefois, le mouvement constitue un besoin normal chez l’enfant.
La pratique des percussions corporelles a permis non seulement de canaliser ces gestes mais
aussi de faire sentir physiquement les caractéristiques musicales de l’extrait. Ainsi, le corps a d’abord
ressenti les différents aspects musicaux en jouant ces percussions corporelles en même temps que la
diffusion de l’extrait. Puis dans un second temps, il a été décidé de varier l’agencement de ces
caractéristiques musicales, par exemple un tempo lent avec une nuance forte puis un tempo lent avec
nuance piano ou encore un decrescendo en accélérant. Les percussions corporelles devaient alors être
jouées en fonction de ces paramètres préalablement définis. Le corps est alors venu pratiquer et créer
les nouvelles notions acquises afin de conforter et ancrer ces connaissances.

- 28 -
Conclusion

Ainsi, comme Émile JAQUES-DALCROZE l’a écrit dans Notes bariolées « On n’écoute pas
la musique uniquement avec les oreilles, on l’entend résonner dans le corps tout entier, dans le
cerveau et dans le coeur. »
En effet, l’écoute n’est pas une activité uniforme et isolée mais se présente au cœur de
l’ensemble des compétences travaillées. L’écoute musicale présente différentes fonctions et diverses
finalités. De plus, afin de faciliter la mémorisation d’une écoute musicale ainsi que du travail réalisé
sur cette écoute, une trace écrite est nécessaire, ce qui a conduit à une réflexion avec les élèves sur
le codage de la musique.
Si le but ultime d’une écoute musicale est d’aboutir à une analyse précise de l’œuvre afin de
construire une culture musicale, il n’en reste pas moins que les aspects psychologiques doivent être
pris en compte pour optimiser l’écoute active des élèves. Le cours d’éducation musicale est le seul à
traiter spécifiquement de l’ouïe. Par conséquent, l’une de ses finalités est aussi d’améliorer
l’attention auditive. En outre, la musique n’est pas qu’un objet d’étude mais elle est aussi source
d’émotions et de plaisir. Il convient donc de développer également une approche émotionnelle de
l’écoute musicale.
L’apprentissage de l’écoute musicale conduit à un développement de l’ouïe. Toutefois, une
pédagogie plurisensorielle permet d’y parvenir plus efficacement. Si la distinction entre les élèves
visuels, auditifs ou kinesthésiques ne semble être qu’un mythe scientifique et n’est validée par
aucune recherche, une pédagogie plurisensorielle associant la vue permet d’améliorer l’écoute
musicale des élèves. De plus, des pédagogies musicales dénommées « pédagogie active » ont
montré que l’association du mouvement à l’ouïe permettait aux élèves de mieux ressentir la
musique et contribuait à développer également l’écoute.
Par conséquent, l’association à l’écoute musicale de la sensibilité, de la sensation, de la
représentation visuelle et du mouvement permet une optimisation de l’apprentissage des
compétences et des connaissances musicales en les ancrant au plus profond de chaque élève.

Afin de favoriser l’écoute active des élèves, il a été mis en place une activité de dessins et des
percussions corporelles. Les résultats satisfaisants de cette expérimentation méritent que
l’expérience soit reproduite et ritualisée avec les classes de 6 e mais aussi généralisée à l’ensemble
des classes du collège. La répétition de cette pratique permettrait une automatisation des élèves dans
leur codage propre et donc une représentation schématique du sonore plus poussée. À cette fin,

- 29 -
l’établissement d’une légende par chaque élève favoriserait l’enrichissement de sa schématisation
sonore.
Par ailleurs, il serait intéressant de mener parallèlement une activité de mouvement libre du
corps dans l’espace pendant de nouvelles écoutes musicales. De la même façon que le dessin, à
partir des gestes intuitivement réalisés, les élèves construiraient un système de correspondance entre
les mouvements exécutés et les éléments sonores entendus. La gestuelle retenue serait alors destinée
à représenter corporellement mais aussi visuellement la musique entendue. Les dessins réalisés et
cette expression corporelle exécutée procéderaient du même principe. Toutefois, autant les
graphiques utilisés sont individuels et personnalisés par chaque élève, autant il serait judicieux
d’opter pour un codage collectif des mouvements. En effet, il serait intéressant que les élèves
échangent et mettent en commun leurs idées de gestes afin d’aboutir à un code commun, partagé
entre toute la classe. Ce codage commun présenterait l’avantage de n’être pas que corporel mais
aussi visuel pour l’ensemble des élèves qui évolueraient en même temps. Ainsi, les élèves
bénéficieraient d’une triple perception, auditive par l’écoute musicale, kinesthésique par les
mouvements réalisés eux-mêmes et visuelle par les gestes effectués par les autres élèves. Ainsi,
l’écoute musicale participerait à la construction d’une culture commune de classe.

Bibliographie
1. Ouvrage
AFSIN, K. (2009). Psychopédagogie de l’écoute musicale. Entendre, écouter, comprendre.
Bruxelles : Groupe De Boeck.
BARTH, B. M. (2002). Regards croisés sur l’éducation. Paris : L’Harmattan.
JUNG, C. G. (1993). Types psychologiques. Genève : Librairie de l’Université Georg et Cie SA.
LANG, J. et TASCA, C. (2001). Plan pour les arts et la culture à l’école. CNDP.
LIEURY, A. (1992). Des méthodes pour la mémoire. Paris : Dunod.
RICOEUR, P. (1986). Du texte à l’action, essai d’herméneutique. Paris : Seuil.
ROBERT, P. (2008). Le nouveau petit Robert. Paris : Le Robert.
SCHAEFFER, P. (1966). Traité des objets musicaux. Essai interdisciplines. Paris : Éditions
du Seuil.
SNIDER, V. (2006). Myths and misconceptions about teaching : What really happens in the
classroom. Maryland : Rowman & Littlefield Publishing Group.
SQUIRE, L. R. et KANDEL, E.R. (2002). La mémoire. Bruxelles : Groupe De Boeck.

- 30 -
TERRIEN, P. (2006). L’écoute musicale au collège. Fondements anthropologiques et
psychologiques. Paris : L’Harmattan.

2. Mémoire de recherche

BERNARD, É. (2012). Les élèves sont auditifs ou visuels. Un neuromythe chez les
enseignants du secondaire II ? (Mémoire professionnel de master of advanced studies non publié).
Haute école pédagogique, Lausanne. https://www.patrinum.ch/record/17199?ln=fr
MASSON, C. et BEZENÇON, I. (2015). L’adaptation des théories de Maria Montessori et
Edgar Willems dans l’enseignement de la musique au primaire (Mémoire de Bachelor of Arts en
enseignement préscolaire et primaire non publié). Haute école pédagogique, Vaud.
https://core.ac.uk/download/pdf/43673174.pdf

3. Article dans une revue

LIEURY, A. (1990). Auditifs, visuels : la grande illusion. Cahiers pédagogiques, 267, 58-62.
ROUSSEAU, L., GAUTHIER, Y. et CARON, J. (2018). L’utilité des « styles
d’apprentissages » VAK (visuel, auditif, kinesthésique) en éducation : entre l’hypothèse de
recherche et le mythe scientifique. Revue de psychoéducation, 47 (2), 409-448.
https://doi.org/10.7202/1054067ar
SEITZ, A. R., KIM, R. et SHAMS, L. (2006). Sound facilitates visual learning. Current
Biology, 16, 1422-1427.

4. Page sur internet

DEHAENE, S, L’attention et le contrôle exécutif, Collège de France, en ligne :


https://www.college-de-france.fr/site/stanislas-dehaene/course-2015-01-13-09h30.html (consulté
le : 10/03/2021).
GOUDREAU, R, Le développement des processus de contrôle attentionnels, TDAHBE blog,
en ligne : https://tdahbe.wordpress.com/2012/05/03/le-developpement-des-processus-de-controle-
attentionnels/ consulté le : 10/03/2021).
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en ligne : https://eduscol.education.fr/education-musicale/se-former/eclairages-sur-la-pedagogie/
pratiques-decoute/les-pratiques-decoute-perception-musicale-quelques-reflexions.html (consulté le :
18/03/2021).

- 31 -
TERRIER, A, La rythmique de Jaques-Dalcroze, entre pratique et utopie, opéra comique,
11/03/2021, en ligne : https://www.opera-comique.com/fr/actualites/rythmique-jaques-dalcroze-
entre-pratique-utopie (consulté le : 17/03/2021).
WALCZAK, S, Pédagogie de l’écoute : les mécanisme de la perception, Éduscol, en ligne :
https://eduscol.education.fr/education-musicale/se-former/eclairages-sur-la-pedagogie/pratiques-
decoute/pedagogie-de-lecoute-les-mecanismes-de-la-perception.html (consulté le : 18/03/2021).
WILLINGHAM, D, (traduction APPY, F.) Demandez aux scientifiques cognitivistes : Est-ce
que les apprenants visuels, auditifs, et kinesthésiques ont besoin d’un enseignement visuel, auditif et
kinesthésique ?, Form@PEx, en ligne : www.formapex.com/etudes/1095-demandez-aux-
scientifiques-cognitivistes-est-ce-que-les-apprenants-visuels-auditifs-et-kinesthesiques-ont-besoin-
dun-enseignement-visuel-auditif-et-kinesthesique-?
616d13afc6835dd26137b409becc9f87=2b4c0d3cb6a94c4e9b25d485886ec3e0 (consulté le :
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college/les-codes-ecrits-et-les-representations-du-sonore.html (consulté le : 10/03/2021).
Les enseignements et l’éducation artistiques, Une éducation de la sensibilité par la
sensibilité, Éduscol, en ligne : https://cache.media.eduscol.education.fr/
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570448.pdf (consulté le : 10/03/2021).
L’institut Jaques Dalcroze et la rythmique, ijd, en ligne : https://www.dalcroze.ch/ijd-
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%20et,des%20sons%20et%20des%20rythmes%20joués%20par%20l’enseignant. (consulté le :
17/03/2021).
Place du corps en éducation musicale, Éduscol, en ligne :
https://cache.media.eduscol.education.fr/file/Arts_plastiques_et_education_musicale/45/7/11_RA_
C2_C3_Place_du_corps_EM_570457.pdf (consulté le : 10/03/2021).
Qu’est-ce que la pédagogie Jaques-Dalcroze ?, Vox.radiofrance, en ligne :
https://vox.radiofrance.fr/_flysystem/sftp-vox/media/media/documents/238/PedagogieDalcroze.pdf
(consulté le : 17/03/2021).

- 32 -
Annexes

Annexe 1 : Exemple d’écoute globale privilégiant le ressenti Annexe 1bis : Exemple d’écoute analytique
émotionnel élève A élève A

Annexe 2 : Exemple d’écoute globale élève B Annexe 2bis : Exemple d’écoute analytique élève B

Annexe 3 : Exemple 1ère écoute élève C Annexe 3bis : Exemple 2e écoute élève C

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Annexe 5 : Exemple de codage inverse au solfège
avec agrandissement des traits pour l’accelerando et
le crescendo
Annexe 4 : Exemple d’écoute descriptive imagée

Annexe 6 : Exemple de codage inverse au solfège avec Annexe 7 : Exemple de codage inverse au solfège avec
agrandissement des traits pour l’accelerando et le agrandissement des ronds pour l’accelerando et le
crescendo crescendo

Annexe 8 : Exemple de codage semblable au solfège


avec diminution des traits pour l’accelerando et le
crescendo
Annexe 9 : Exemple de codage semblable au
solfège avec diminution des segments pour
l’accelerando et le crescendo

- 34 -
Annexe 10 : Exemple de représentation du son proche
du sonogramme

Annexe 11 : Exemple de représentation où le temps est Annexe 11bis : Exemple de représentations où le temps
superposé élève D 1er dessin est représenté de gauche à droite élève D 2e dessin

Annexe 12 : Exemple de dessin comme manifestation du


mouvement ressenti

Annexe 13 : Percussions corporelles répétées en boucle


sur « Dans l’antre du roi de la montagne »
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