Vous êtes sur la page 1sur 168

UNIVERSITE MOHAMMED PREMIER

FACULTE DES LETTRES ET DES SCIENCES HUMAINES


-Oujda-

Études françaises
Cours déposés sur la plate-forme
Semestre : 5

❑ Phonologie : Mme Ouafae Tangi


❑ Pragmatique : M. Kharbouche
❑ Ecoles et tendances linguistiques : Mme Belhoucine
❑ Corpus oraux : Mme Bouali Rachida
❑ Sémantique : M. Med EL BOUZIKI
❑ Introduction aux sciences de l’éducation : M. Mehdi Kaddouri

Assemblage & Mise en page de Nasreddine YACOUBI

ANNEE UNIVERSITAIRE : 2020-2021

1
Table des matières
❑ Phonologie : 03
…………………………………………………………………………………………….………………….

❑ Pragmatique : 20
………………………………………………………………………………………………………….

❑ Ecoles et tendances linguistiques : 51


………….…………………….…

❑ Corpus oraux : : 71
……………………………………………………………………………………………….

❑ Sémantique : 112
…………………………………………………………………………………….…………………….

❑ Introduction aux sciences de l’éducation : 128 ……

2
Phonologie
S5, Option Linguistique 20/21

❑ Module : Phonologie
❑ Professeur : Mme Ouafae Tangi
❑ Option : Linguistique
❑ Objectifs : Acquérir les principes de la phonologie générative
(SPE)
❑ Objectifs spécifiques :
➢ Distinguer les phonèmes des sons et des allophones
➢ Etablir les matrices de traits distinctifs
➢ Formuler des règles phonologiques
➢ Appliquer les règles formulées
ème
❑ Public ciblé : Etudiants du 5 semestre, Licence
fondamentale
Filière : Etudes françaises, Option linguistique
❑ Pré-requis :
➢ Transcription phonétique (API)
➢ Définitions des termes phonologiques et phonétiques

Mise en page de : Nasreddine YACOUBI

3
Contenu du cours
I. Révision générale
1. L’Alphabet Phonétique International
2. Les sons du français
3. Les phonèmes du français
4. Définitions : son, phonème et allophones

II. Traits distinctifs et règles phonologiques


1. Le système des traits distinctifs du cadre standard de la phonologie
générative (SPE (1968)).
2. Petite introduction
A. Les traits distinctifs des classes majeures
B. Les traits distinctifs de lieu d’articulation
B.1. Traits pertinents de lieu d’articulation des consonnes
B.2. Traits pertinents de lieu d’articulation des voyelles
B.3. Traits pertinents de lieu d’articulation des semi-voyelles
3. Les règles phonologiques
Les règles dérivationnelles
1) Règle d’insertion ou d’épenthèse
2) Règle d’élision (ou d’effacement ou de syncope)
3) Règles d’assimilation
4. Exercices

4
Révision générale
1. L’Alphabet Phonétique International (un sous-ensemble de l’API)
Consonnes et semi-voyelles (les voyelles, cf. les sons du français) :
(1) [p] « pie »
(2) [b] « bi- »
(3) [m] «mie »
(4) [f] « fi »
(5) [v] « vie »
(6) [θ ] --- / « think » « penser » (anglais) (ce son n’existe pas en français)
(7) [ð] --- / « this » « ce/cette » (anglais) (ce son n’existe pas en français)
(8) [ ð] --- / « that » « celui-là/celle-là » (anglais) (ce son n’existe pas en français)
(9) [t] « tout » / [tub] « tissu » (arabe dialectal oujdi)
(10) [ṭ] « taux » / [ṭob] « motte » (ar. dialect. Oujdi)
(11) [ţ] --- / [ţah] «perdu »
(12) [s] « scie » / [sif] « épée » (arabe dialectal)
(13) [s] « sceau » / [sef] « été » (arabe dialectal)
( 13) [d] « doux » / [dar] « faire 3ème m.s. » (arabe dialectal)
(14) [ḍ] « dos » / [ḍar] « maison » (arabe dialectal)
(15) [z] « zoom » / [izi] « moche » (amazigh)
(16) [ẓ] ---- / [eẓe] « vésicule biliaire » (amazigh)
(17) [ƶ] « Zeus »
(18) [ᶊ] « tsar »
(19) [r] « rire » [rir] / [ræb] « (se) démolir » (arabe dialectal)
(20) [ṛ] ---- [ṛab] « fermenter (lait) » (arabe dialectal)
(21) [n] « nid »
(22) [ l ] « lit »
(23) [ʒ] « gîte »
(24) [ ʃ ] « chic »
(25) [ž] « gadget »
(26) [č] « check-up »
(27) [j] « voyage »
(28) [ẅ] ou [ɥ] « huit »
(29) [w] « oie »
(31) [Φ] [θajjaΦt] (« petite fille » (amazigh)) (ce son n’existe pas en français)

5
(32) [ɲ] « Agnès »
(33) [g] « Guy »
(34) [k] « qui »
(35) [ç] [seçsu] (« couscous » (amazigh))(son inexistant en français)
(36) [R] « rire » [RiR] / [Rajma] « nuage » (arabe classique)
(37) [x] « frais » [fxɛ] / [xajma] « tente » (arabe classique)
(38) [ŋ] « casting » [kastiŋ]
Les sons ci-dessous n’existent pas en français. Ils font partie des sons de l’arabe
classique, de l’arabe dialectal et de l’amazigh par exemple.
(39) [q] [qa:l] « dire, 3pms. accompli »
(40) [ʕ] [ʕa:l] « haut »
(41) [ħ] [ħa:l] « état »
(42) [h] [ha:l] ou [hi:l] « cardamome »
(43) [Ɂ] [Ɂa:l] « devenir »
*les deux points (:) qui suivent la voyelle a indiquent son allongement (vocalique).
• Signes à retenir :
[ ] : ces crochets sont utilisés pour une transcription phonétique
/ / : les barres obliques sont utilisées dans les représentations phonologiques, c’est-à-
dire que tout ce qui est représenté entre /----/ est sous-jacent et appartient au niveau
phonologique abstrait.
2. Les sons du français
• Phonétiquement, un locuteur natif du français de la métropole prononce l’ensemble des
sons suivants :
• [m, p, b, f, v, t, t, d, d, s, s, z, z, n, r, l, ʃ, ʒ, ƶ, ᶊ, č, ž, j, ẅ, w, ɲ, k, g, R, x, ŋ]
* Remarque : [ƶ, ᶊ, č, ž] sont des sons prononcés dans certaines langues en un seul temps,
en français ils le sont en deux temps, à savoir [dz, ts, tʃ, dʒ] respectivement.
• [j, w, ẅ]
• [ɛ,̃ œ̃, ɔ,̃ ɑ̃, ɑ, a, ɔ, o, u, œ, ə, ø, y, ɛ, e, i]
* Les sons soulignés sont prononcés emphatiques quand ils sont suivis de voyelles semi-
ouvertes ou ouvertes, comme dans : dos, tôt, saut, zoo, etc. Cependant ces mêmes
consonnes sont réalisées sans emphase dans : dire, tire, sire, zigue, par exemple.
Soulignons que le trait [emphatique] n’est pas un trait distinctif en français.
3. Les phonèmes du français :
• Comme toute langue, le français compte plus de sons que de phonèmes. Ainsi on y
énumère les phonèmes suivants :
• / m, p, b, f, v, t, d, s, z, n, r, l, ʃ, ʒ, ƶ, ᶊ, č, ž, ɲ, k, g, (R)/
• / j, w/
• / ɛ,̃ œ̃, ɔ̃, ɑ̃, ɑ, a, ɔ, o, u, œ, ə, ø, y, ɛ, e, i /
• Le R a un statut particulier. Toutefois, /r/ est le phonème de base dans la langue
française et non R. Les données et les analyses le démontrent clairement.

6
4. Définitions : son, phonème et allophone
(J. Dubois et al., 2012, Le dictionnaire de linguistique et des sciences du langage, Larousse, Paris)
A. Définition du terme « son »
❑ « Le son est une onde qui se déplace dans l’air (ou dans d’autres corps) à une certaine
vitesse (340 m/s environ dans l’air), produite par une vibration qui peut être périodique
ou apériodique, simple ou composée.
❑ Les sons habituellement perçus par l’homme sont ceux qui sont produits par des
vibrations. ».
❑ « Parmi les sons utilisés dans la phonation, certains sont les ondes produites par la
vibration périodique des cordes vocales renforcées différemment par les cavités du
canal vocal qu’elles traversent : ces ondes périodiques ou quasi périodiques sont les
voyelles ou tons. D’autres sons du langage sont produits par des vibrations non
périodiques : il s’agit des consonnes ou bruits. »
B. Définition du terme « phonème » (J. Dubois et al. 2012)
❑ « Le phonème est l’élément minimal de la représentation phonologique d’un énoncé,
dont la nature est déterminée par un ensemble de traits distinctifs.
❑ Le phonème est défini comme la plus petite unité dépourvue de sens que l’on puisse
délimiter dans la chaîne parlée.
❑ Chaque langue présente, dans son code, un nombre limité et restreint de phonèmes (une
vingtaine à une cinquantaine selon les langues).
❑ …le phonème est souvent défini comme l’unité distinctive minimale
❑ Le phonème est … défini, en référence à sa substance sonore
❑ Un même phonème est donc réalisé concrètement par des sons différents, formant une
classe ouverte mais possédant tous en commun les traits qui opposent ce phonème à
tous les autres phonèmes de la même langue
❑ Deux phonèmes appartenant à deux langues différentes ne peuvent jamais être
semblables puisque chacun se définit par rapport aux autres phonèmes de la langue à
laquelle il appartient.
❑ Moins les phonèmes sont nombreux dans une langue et plus ils présentent de variantes ».
C. Définition du terme « allophone »
Les « sons différents, qui réalisent un même phonème sont appelés des variantes ou des
allophones :
❑ […] Ainsi, le phonème espagnol / d / a deux allophones, un [ð] fricatif en position
intervocalique ([naða] « rien »), un [d] occlusif au contact d’une consonne ou en initiale
absolue ([fonda] « auberge »). (Dubois, p.25)
❑ Dans le mot français rare, le phonème /r/ peut être prononcé comme une vibrante
dentale [r] dite « r bourguignon », comme une vibrante uvulaire [R] dite « r grasseyé »,
comme une fricative uvulaire [ʁ] dite « r parisien » : il s’agit de trois sons différents,
ou de trois variantes différentes (ici, des variantes régionales et sociales) réalisant un
même phonème ». (Dubois, p. 259)

Remarque : Pour des raisons typographiques la fricative uvulaire [ʁ] dite « r


parisien », sera transcrite en utilisant le symbole suivant : [R].

7
Traits distinctifs et règles phonologiques
❑ Seront utilisés dans ce cours les traits distinctifs utiles pour l’établissement des matrices
de traits des sons et phonèmes du français. Certains traits, pertinents et distinctifs pour
certaines langues ne le sont pas pour le français, comme par exemple l’emphase, la
gémination, etc. Ces traits ne figureront pas dans les matrices des segments de la langue
française.
❑ Voici l’ensemble des traits distinctifs empruntés à F. Dell (1985) sans le trait [relâchement
retardé] : [consonantique], [syllabique], [sonant], [continu], [nasal], [arrondi], [coronal],
[haut], [bas], [antérieur], [arrière], [voix].
(*A propos de la définition du terme « segment » cf. J. Dubois et al. 1973 ou 2012)

Les traits pertinents du français selon le cadre standard de la phonologie générative


(Chomsky & Halle 1968 et F. Dell 1985).
1. [consonantique] :
La production des sons consonantiques ([+consonantique]) nécessite la fermeture totale ou
partielle du tube pharyngobuccal.
→ Le trait [+consonantique] est attribué à toutes les consonnes.
→ Le trait [-consonantique] est attribué à toutes les voyelles et les semi-voyelles.
2. [syllabique] :
Sont [+syllabique] les sons qui peuvent à eux-seuls constituer une syllabe.
→ le trait [+syllabique] est attribué à toutes les voyelles en français.
→ le trait [-syllabique] est attribué à toutes les consonnes et les semi-voyelles.
3. [sonant] :
Le terme sonant désignait anciennement les voyelles capables d’être entendues sans le
soutien d’un autre son, par opposition aux consonnes (« qui sonnent avec »), inaudibles
isolément.
Dans la linguistique moderne, on emploie souvent le terme [+sonant] pour désigner un type
de consonnes qui présentent le degré d’obstacle le plus faible (nasales, liquides, vibrantes,
semi-voyelles) et se rapprochent par là des voyelles, par opposition aux fricatives et aux
occlusives. (Dubois :447)
→ Selon S.P.E., le trait [+sonant] est attribué à toutes les voyelles, toutes les semi-voyelles,
les nasales et les liquides.
→ Le trait [-sonant] est attribué à toutes les consonnes à l’exception des liquides et des nasales
qui sont [+sonant].
4. [continu] :
Un son [+continu] est un son dont la prononciation comporte un écoulement continu de
l’air laryngé (en partie ou dans sa totalité). Les voyelles sont des continues, ainsi que
toutes les consonnes autres que les occlusives et les vibrantes. En effet, les voyelles, les
glides et les consonnes fricatives ne comportent pas d’occlusion du conduit vocal. Les
latérales et les nasales comportent des occlusions buccales, mais celle-ci s’accompagnent

8
d’un écoulement simultané de l’air, soit à travers la cavité buccale, de part et d’autre de
l’occlusion, soit à travers la cavité nasale.
→ Donc, sont [+continu] les consonnes fricatives, les liquides, les nasales, les voyelles et les
glides.
→ Seules sont [-continu] les consonnes totalement occlusives.
5. [nasal]:
❑ Au repos le velum pend vers le bas, ce qui permet à tout ou partie de l’air en provenance
du pharynx de s’écouler vers l’extérieur en empruntant la cavité nasale. Les sons ainsi
produits sont dits [+nasal].
❑ Le velum peut aussi se relever à l’horizontal, interdisant toute communication entre la
cavité nasale et la cavité pharyngobuccale. L’air en provenance du pharynx est alors
forcé de passer par la bouche uniquement. On obtient dans ce cas des sons [-nasal].
❑ Tous les sons [-nasal] sont oraux.
6. [arrondi]
La projection en avant et l’arrondissement des lèvres ont pour effet d’augmenter la
longueur totale du tube pharyngobuccal et de réduire la taille de l’ouverture par laquelle il
communique avec l’extérieur.
→ Les sons ainsi produits sont dits [+arrondi] (comme [u, y, o, ɔ, œ, ə, ø, ɔ,̃ w, ẅ].
→ Les autres sont dits non-arrondis [-arrondi] (comme toutes les consonnes du français et [j,
a, e, ɛ, i, ɛ]̃ .
7. [coronal] :
→Sont [+coronal] toutes les consonnes dont l’articulation met en jeu la lame de la langue à
savoir les alvéolaires et les post-alvéolaires.
→ le trait[-coronal] est attribué aux labiales, aux inter-dentales, aux labiodentales, aux
palatales, aux post-palatales, aux glides (semi-voyelles) et à toutes les voyelles.
8. [haut] et 9. [bas]
La masse de la langue peut se déplacer dans deux dimensions : de bas en haut (axe vertical)
et d’avant en arrière (axe horizontal (voir [antérieur] et [arrière])) ; le mouvement de la
mâchoire n’accompagne que les déplacements verticaux de la masse de la langue. A mesure
que la masse de la langue s’élève vers le haut, le dos de la langue se rapproche de la voûte
de la bouche (palais), et le diamètre du tube pharyngobuccal se rétrécit.
→ Les sons durant la production desquels la masse de la langue est abaissée au maximum
sont [+bas] comme [a, ɛ, ɔ, œ,… ], ceux durant la production desquels la masse de la
langue est à son élévation maximale sont [+haut] comme [i, y, u, ɔ,̃ j, ẅ, w, k, g, R, x, ŋ].
→ Il suit de cette définition qu’aucun son ne peut être à la fois [+haut] et [+bas]. Les sons qui
sont à la fois [-haut] et [-bas], sont ceux produits avec une élévation moyenne de la masse
de la langue, comme [e, o, ə, ø].
10. [antérieur] :
→ Les labiales et les dentales, toutes les consonnes dont le point d’articulation est situé au
niveau de [s, z] ou plus en avant, sont des antérieures [+antérieur] par opposition aux
consonnes non-antérieures [-antérieur] comme [ʃ, ʒ, k, g, R…] dont le point d’articulation
est situé en arrière de celui de [s] et [z].

9
→ Aucun son ne peut être à la fois [+antérieur] et [+arrière]. Les sons qui sont à la fois [-
antérieur] et [-arrière], sont ceux produits avec entre les alvéolaires et les palatales,
comme [ʃ, ʒ, č, ž, ɲ, j, ẅ] et toutes les voyelles.
11. [arrière] :
→ Les sons, durant la production desquels la langue est massée dans la partie arrière de la
bouche, sont [+arrière] comme [u, ɔ,̃ ɛ,̃ a, k, g, R…]. Les sons arrière sont les sons dont
le point d’articulation est situé entre le milieu du palais dur et le larynx.
→ Le trait [-arrière] est attribué à tous les sons [+antérieurs] et à tous les sons [-antérieur, -
arrière].
12. [voix] :
Lorsque les cordes vocales sont gonflées, rapprochées vers le milieu avec les extrémités
légèrement écartées, les sont sonores sont produits. C’est le cas de toutes les voyelles,
les semi-voyelles, les liquides [l, r], les nasales [m, n, ɲ, ŋ] et le reste des consonnes
sonores, à savoir [b, v, d, z, ʒ, ž, g, R]. Ces sons sont tous [+voisé]. Les sons produits
sans vibrations des cordes vocales sont [-voisé]. Tel est le cas des consonnes [-voisé], à
savoir [p, f, t, s, ʃ, ᶊ, č, k, x].

10
Traits distinctifs et règles phonologiques
1.Petite introduction
Ce cours se base, comme nous l’avons dit plus haut sur la théorie développée par N.
Chomsky et M. Halle à savoir le modèle SPE (The Sound Pattern of English). Ce modèle
est caractérisé par deux contributions importantes :
➢ L’introduction des règles
Et
➢ L’introduction des représentations phonologiques
La représentation phonologique est organisée autour de deux axes :
▪ L’axe syntagmatique (appelé axe « horizontal ») qui donne l’ordre de succession
des éléments.
▪ L’axe paradigmatique (appelé « axe vertical » qui donne la composition interne
des matrices segmentales.
Une fois les deux axes combinés, on peut représenter toute séquence phonologique. Un
mot comme « bateau » sera représenté de la manière suivante :

+consonantique -consonantique +consonantique -consonantique


-syllabique +syllabique -syllabique +syllabique
-sonant +sonant -sonant +sonant
-continu +continu -continu +continu
-arrondi -arrondi -arrondi +arrondi
-nasal -nasal -nasal -nasal
-coronal -coronal +coronal -coronal
-haut -haut -haut -haut
-bas +bas -bas -bas
+antérieur -antérieur +antérieur -antérieur
-arrière +arrière -arrière +arrière
+voisé +voisé -voisé +voisé

On remarque à partir de cette représentation que ce sont les traits distinctifs qui sont les
constituants ultimes des représentations phonologiques et non les phonèmes.
Chaque matrice est composée des traits binaires qui définissent le segment. Autrement dit,
rien qu’en observant la matrice de chaque segment avec la valeur de chaque trait nous
arrivons à savoir qu’il s’agit du /b/ dans la première colonne, de /a/ dans la deuxième, de /t/
dans la troisième et de /o/ dans la dernière.
Certains traits de la matrice sont distinctifs, c’est-à-dire qu’ils permettent d’établir des paires
minimales. Les autres traits sont redondants ; on peut les éliminer pour alléger le contenu
des représentations.

11
2. Le système des traits distinctifs :
A. Traits distinctifs les classes majeures :
Dans le cadre standard de phonologie générative, la première version des traits des
catégories majeures, on distingue trois types de segments : les syllabiques (ou vocalique),
les consonantiques et les sonnants.
a. [+syllabique] (ou vocalique) : La catégorie des segments syllabiques regroupe les voyelles
(dans la première version de SPE on y trouvait les liquides aussi); c’est-à-dire l’ensembles
des sons caractérisés par un degré de constriction du conduit vocal inférieur ou égal à
celui des voyelles hautes et par un voisement spontané produit par les cordes vocales.
→ [-syllabique] :(ou non vocalique): concerne les semi-voyelles, les consonnes nasales, les
liquides et les vraies consonnes (obstruantes).
b. [+consonantique] : regroupe toutes les consonnes : obstruantes, liquides et nasales.
→ [-consonantique] : regroupe toutes les voyelles et toutes les semi-voyelles.
Les semi-voyelles sont [-syllabique]et [-consonantique]
c. [+sonant] : les segments sonnants sont les voyelles, les semi-voyelles les liquides et les
nasales.
→ [-sonant] : les sons non sonnants sont les vraies consonnes, à savoir les obstruantes.
Ce trait [sonant] permet de distinguer deux grandes classes de consonnes : les obstruantes
qui sont [-sonant] et les résonantes qui sont [+sonant].

Le tableau ci-dessous résume ce que nous venons d’expliquer:

Vraies Nasales &


Voyelles Semi-voyelles
consonnes liquides

[Syllabique] + _ _ _

[Consonantique] _ + + _

[Sonant] + _ + +

Afin de spécifier les matrices de traits distinctifs du cadre standard, il faut inclure trois traits
de mode d’articulation qui ne sont pas des classes majeures :
a) le trait [voisé] pour les consonnes qui permet de distinguer les sourdes [-voisé] des
sonores [+voisé]. Cependant ce trait est redondant pour les sonantes qui ne peuvent être que
[+voisé] (du moins en français)
b) le trait [arrondi] pour les voyelles : il permet de différencier les voyelles articulées avec
l’arrondissement des lèvres [ɔ, o, u, œ, ə, ø, y, œ̃, ɔ]̃ de celles articulées sans l’arrondissement

12
des lèvres [ɛ, e, i, ɑ̃, ɑ, ɛ]̃ . Il permet aussi d’opposer les semi-voyelles arrondies [w] et [ẅ] à
[j] qui est [-arrondi]. Ce trait est redondant pour les consonnes car elles sont toutes [-arrondi].
c) le trait [nasal] pour les consonnes et voyelles car il distingue les sons nasaux
[+nasal] des sons oraux [-nasal].

B. Les traits distinctifs de lieu d’articulation


B.1. Traits distinctifs de lieu d’articulation des consonnes et glides (semi-voyelles)
(du français) :
a) Les bilabiales : [+antérieur, -coronal]
b) Les dentales et alvéolaires : [+antérieur, +coronal]
c) Les post-alvéolaires : [-antérieur, -arrière, +coronal]
d) Les médio-palatales : [-antérieur, -arrière, -coronal, +haut]
e) les palatales et post-palatales : [+arrière, +haut]
B.2. Traits distinctifs de lieu d’articulation des voyelles (du français)
a) les voyelles hautes : [+haut, -bas]
b) les voyelles basses : [-haut, +bas]
c) les voyelles moyennes : [-haut, -bas]
d) les voyelles antérieures : [+antérieur, -arrière]
e) les voyelles postérieures : [-antérieur, +arrière]
f) les voyelles centrales : [-antérieur, -arrière]

3. LES RÈGLES PHONOLOGIQUES


Le modèle SPE comprend deux types de règles phonologiques : les règles dérivationnelles
et les règles transformationnelles utilisées afin de décrire n changement modifiant l’ordre
des segments (ABC → ACB) . Nous nous contenterons des premières dans ce cours.
LES RÈGLES DÉRIVATIONNELLES
Les règles dérivationnelles sont utilisées pour décrire un changement phonologique qui
modifie un segment en un autre, l’insère ou l’efface.
Voici le format général des règles dérivationnelles :
(1) A → B / C ___ D
=> (1) se lit de la manière suivante :
Le segment A se transforme en un segment B dans le contexte C ___ D
❑ A : est appelé le segment affecté car il représente le segment ou la classe de segment
qui a subi la transformation.
❑ B : représente le changement de A après lui avoir appliqué la règle.
❑ → : se lit « se réécrit comme » ou « se transforme en »
❑ / : se lit « dans le contexte »

13
❑ C ___ D : délimite le contexte phonologique qui cause la transformation ou le
changement de A en B.
❑ ___ : la ligne horizontale représente la position du segment affecté (A)
❑ C : est le contexte de gauche,
❑ D : représente le contexte de droite.

Afin de formuler une règle, plusieurs conditions doivent être remplies :


(2)
1) A, B, C, D : sont des matrices de traits.
2) B : doit être spécifié seulement pour le trait qui change.
3) A ou B peut être un élément nul (égal à zéro), mais jamais les deux
4) C ou D (ou les deux) peuvent être absents.
5) C ou D peuvent être et peuvent contenir des frontières de morphème (+) ou des frontières
de mot (# #).

Les éléments A, B, C, D peuvent être absents ou nul (= zéro) dans le formant de la règle
dérivationnelle. Ainsi on peut avoir les types de règles suivants :
(3)
1) Ø → B / C ___ D (épenthèse (ou insertion) du segment B entre les contextes C et
D)
2) A → Ø / C ___ D (élision (ou effacement) du segment A entre les contextes C et D)
3) A → B / C ___ (assimilation progressive: est une assimilation qui se produit de
gauche à droite, l’élément de gauche influence l’élément situé à sa droite)
4) A → B / ___ D (assimilation régressive: est une assimilation qui se produit de
la droite vers la gauche)

Reprenons toutes les règles de (3) en les spécifiant (c-à-d avec des exemples concrets).
1) Règle d’insertion ou règle d’épenthèse :
Ø → B / C ___ D
Dans plusieurs langues du monde, lorsqu’on rencontre des structures contenant une
succession de deux voyelles par exemple, on insère un glide afin de briser le hiatus. Prenant
un exemple de l’arabe dialectal marocain :
[gilli] «personne originaire de Beni Guil, masculin singulier) »
[gilli j a] «personne originaire de Beni Guil, féminin singulier)»
Lorsque le locuteur a ajouté le morphème du féminin /a/, un yod s’est inséré entre le /i/
final du masculin et cette voyelle morphémique. Ainsi la réalisation phonétique attestée
est [gilli j a] et non * [gillia].

Formulons la règle qui rend compte de ce cas phonologique.


Ø→ B ∕ C _______ D

14
−𝑐𝑜𝑛𝑠𝑜𝑛𝑎𝑛𝑡𝑖𝑞𝑢𝑒 +𝑠𝑦𝑙𝑙𝑎𝑏𝑖𝑞𝑢𝑒
∅ → [ −𝑠𝑦𝑙𝑙𝑎𝑏𝑖𝑞𝑢𝑒 ] / [ +ℎ𝑎𝑢𝑡 ] ________ [+𝑠𝑦𝑙𝑙𝑎𝑏𝑖𝑞𝑢𝑒]
−𝑎𝑟𝑟𝑜𝑛𝑑𝑖 −𝑎𝑟𝑟𝑜𝑛𝑑𝑖

Ou Ø→ [j] ∕ V [+haut, -arrondi] _____ V

2) Règle d’élision ou d’effacement


A → Ø / C ___D
Cette règle efface un segment dans une suite comprenant un contexte qui favorise cette
élision. Prenons le cas du ″e″ muet en français :
[sablə] « sable »
[sabl] se prononce sans la réalisation du ″e″ muet en position finale du mot.
Formulons la règle qui rend compte de cette élision.
/ ə / → Ø / [+consonantique ] _____ # #
A → Ø / C _____ D
3) Règles d’assimilation
Quand un segment se transforme phonétiquement sous l’influence d’un autre segment qui
lui est adjacent (voisin), la règle d’assimilation décrit ce changement.
❑ Lorsque l’élément de gauche influence l’élément situé à sa droite, il s’agit d’une
assimilation progressive.
❑ Lorsque l’élément de droite influence l’élément situé à sa gauche, il s’agit d’une
assimilation régressive.
(a) Règle d’assimilation progressive
Considérons l’exemple suivant :
1- Entrée (ou l’input) : « craie », « frais », « très » et « près »
2- Transcription phonétique : [ kx ɛ ], [fxɛ ], [txɛ ] et [pxɛ ]
3- Insertion des frontières : [ # # kx ɛ # #], [# # fxɛ # # ], [# # txɛ # # ] et [# # pxɛ # # ]
4- Représentation phonologique : / # # kRɛ # # /, /# # fRɛ # # /, /# # tRɛ # # / et / # # pRɛ #
#/
5- Observation : le phonème / R/ se réalise phonétiquement [x] lorsqu’il suit une consonne
[- voisé] (sourde) (ici il s’agit de [K], [f], [t] et [p]).

A → B / C ___
-A : représente le phonème / R /
-B : représente le changement de A à savoir /R/ en [ x ]
- / : dans le contexte
- C ____ ce trait représente / R / dans le contexte.
- C : remplace la consonne qui a causé le changement de / R/ en [ x].
On peut formuler une règle pour chaque cas ; mais puisque les segments
responsables de l’assourdissement de /R/ sont tous des [+consonantique, -voisé] nous

15
formulerons une seule règle qui sera généralisée. Elle concerne tous /R/ précédé d’une
consonne [-voisé] :
A → B / C ______
/R/ → [x] / [+consonantique, -voisé] ______

(b) Règle d’assimilation régressive


A → B / ___ D
Exemples :
Entrée (input) : « absente » « obtenir »
1 - Transcription phonétique : [apsɑ̃t], [ɔptəniR]
2 - Insertion des frontières morphémiques [# # apsɑ̃ + t # #] [# # ɔptən + iR # #]
3 - Observation : le phonème / b/ se réalise phonétiquement [p] lorsqu’il est suivi d’une
consonne [- voisé] (sourde) (ici il s’agit de [s] et [t]).
4 - Représentation phonologique : / # # absɑ̃ + t # # / / # # ɔbtən +iR # # /
A → B / ___ D
- A : représente le phonème / b /
- B : représente le changement de A à savoir /b/ en [p]
- / : dans le contexte…
- C ____ : _____ : le trait horizontal représente / b / dans le contexte.
C : remplace la consonne / s / qui a causé le changement de / b / en [p].
5- Formulons une règle dérivationnelle qui rend compte de cette assimilation observée dans
la langue française en mettant en application ce que nous avons appris plut haut :

+consonantique
−syllabique
−continu
−sonant
−nasal
−arrondi +consonantique
→ [−voisé] / _______ [ ]
−coronal −voisé
−haut
−bas
+antérieur
−arrière
[ +voisé ]

16
En abrégé nous pouvons écrire la règle comme ceci :

/b/→ [p] / ____ [- voisé ]


Ou
/b/→ [- voisé ] / ____ [- voisé ]

6- Application de la Règle d’assimilation régressive de /b/ à la structure phonologique (4)


# # absɑ̃ + t # # / / # # ɔbtən +iR # # /
│ │
Règle A-R _________ [p] _____________ [p]

7- Résultat obtenu après l’application de la règle (ou l’output): [ apsɑ̃t] [ɔptəniR]

EXERCICE 1
Observer le paradigme suivant :
( A (B)
1. [ dRese] « dresser » 5. [ txese ] « tresser »
2. [ abRØve] « abreuver » 6. [ apxuve] « approuver »
3. [ gRã ] « grand » 7. [ kxã ] « cran »
4. [ uvRiR] « ouvrir » 8. [ ofxiR ] « offrir»

1. En observant les données de la colonne (B) et en les comparant à celles de la colonne (A),
nous relevons un type d’assimilation. Lequel ?
2. Formuler la règle qui rend compte de cet aspect phonologique.
3. Donner la structure phonologique hypothétique de la forme (6) de la colonne (B) du
paradigme ci-dessus (l’input).
4. Appliquer la règle que vous avez formulée à la structure phonologique de la forme (B6).
5. Donner le résultat obtenu (l’output).

CORRECTION
Observer le paradigme suivant :
(A) (B)
1. [ dRese] « dresser » 5. [ txese ] « tresser »
2. [ abRØve] « abreuver » 6. [ apxuve] « approuver »
3. [ gRã ] « grand » 7. [ kxã ] « cran »
4. [ uvRiR] « ouvrir » 8. [ ofxiR ] « offrir»

17
1. En observant les données de la colonne (B) et en les comparant à celles de la colonne
(A), nous relevons un type d’assimilation. Lequel ?
Il s’agit d’une assimilation progressive car la consonne /R/ s’est dévoisée à cause de la
consonne sourde qui la précède et s’est réalisée [x].
2. Formuler la règle qui rend compte de cet aspect phonologique est :
Règle de dévoisement de /R/ (R dév.) :
R dév. /R/ → [-voix] / [-voix] ───
3. Donner la structure phonologique hypothétique de la forme (6) de la colonne (B) du
paradigme ci-dessus (l’input).
La structure phonologique hypothétique de la forme (6) de la colonne (B) du
paradigme ci-dessus est :
/ ## apRuve ## /
4. Appliquer la règle que vous avez formulée à la structure phonologique de la forme (B6).
/ ## apRuve ## /

R dév. _________ [x]

5. Donner le résultat obtenu (l’output).


L’output est : [apxuve]

EXERCICE 2
Soit la suite suivante :
« Prononciation des obstruantes »
1. Transcrire la suite entière (input).
2. Insérer les frontières morphémiques.
3. Décrire les aspects phonologiques observés.
4. Donner une structure phonologique hypothétique à l’input en tenant compte des
aspects phonologiques relevés (Q3).
5. Formuler les règles phonologiques qui rendent compte des aspects observés (en vous
appuyant sur S.P.E. 1968).
6. Appliquer les règles formulées à la structure hypothétique (Q4).
7. Donner l’output résultant de (Q6).

18
CORRECTION
1. Transcription de l’input « Prononciation des obstruantes » : [pxonɔs̃ jasjɔ̃ dez ɔpstxyãt]
2. Insérer les frontières morphémiques : [## pxonɔs̃ + j + asjɔ̃ + dez + ɔpstxyãt ##]
3. Les aspects phonologiques observés :
a) /R/ situé après /p/ et /t/ s’est dévoisé lors de sa réalisation phonétique (assimilation
progressive)
b) /b/ se dévoise devant /s/ (assimilation régressive)
c) les deux /i/ précédant respectivement les voyelles /a/ et /ɔ̃/ deviennent [j].
d) le morphème du pluriel qui s’est réalisé devant une voyelle s’efface en fin de mot.
4. Voici la structure phonologique hypothétique de l’input en tenant compte des aspects
phonologiques relevés (Q3) :
/ ## pRonɔs̃ + i + asiɔ̃ + dez + ɔbstRyãtz ## /
5. Formulons les règles qui rendent compte de aspects phonologiques observés :
a) R1-dév. /R/ : /R / → [-voisé] / [-voisé] ______
b) R2-semi-vocalisation de /i/ : /i/ → [-syll., -cons.] / ______ [+syllabique]
c) R3-dév. /b/ : /b / → [-voisé] / ______ [-voisé]
d) R4-Elision de /z/ : /z/ → Ø / _____ ##
6. Application des règles formulées à la structure hypothétique (Q4).
/ ## pRonɔs̃ + i + asiɔ̃ + dez + ɔbstxyãtz ## /

a) R1-dév. /R/ ----[x]


b) R2-semi-voc. /i/-------- [j] --- [j]
c) R3-dév. /b/ ---------------------------------- [p]
d) R4-Elision de /z/ ------------------------------------ Ø
7. L’output résultant de (Q6) après l’application des règles est : [pxonɔs̃ jasjɔ̃ dez ɔpstxyãt]

19
Pragmatique

S5, Option Linguistique 20/21

❑Module : Pragmatique
❑ Professeur : M. Kharbouche
❑ Option : Linguistique
❑Faculté des Lettres & sciences Humaines Oujda
❑ Mise en page de : Nasreddine YACOUBI

20
Présentation du cours

Avertissement

Nous tenons à avertir les étudiants qu’il s’agit dans


ces fichiers mis en ligne d’un canevas du cours de
pragmatique prévu pour le cinquième semestre de la
filière Etudes françaises (option linguistique).
Autrement dit, il s’agit de notes préparées pour le
cours en classe et non du cours lui-même qui reste
malheureusement irremplaçable. Il n’est donc pas
question d’un texte à apprendre par cœur pour le
réciter tel quel lors des épreuves d’examen de fin de
semestre. Il faut absolument croiser les informations
qu’il dispense avec les références bibliographiques
fournies et, surtout, se souvenir que le cours constitue
une totalité homogène sur le plan thématique.

21
Avant-propos

Les étudiants qui sont admis à ce cours ont choisi, en passant en


deuxième cycle, l’option linguistique au lieu de l’option littérature.
Que signifie le passage au second cycle ainsi que le choix de ladite
option ?
En premier cycle, l’étudiant était tenu de former un discours correct
en langue française ainsi que de parvenir à une compréhension plus
ou moins profonde des textes littéraires au programme. En deuxième
cycle, il doit dorénavant apprendre à tenir un discours sur la langue
française et sur les textes littéraires écrits dans cette langue. Le
choix de l’option linguistique implique pour lui qu’il doit s’initier à
des disciplines qui lui fourniront les concepts nécessaires pour
pouvoir formuler ce discours (parallèlement, l’option littérature
permet à l’étudiant d’assimiler les concepts de base des théories
littéraires).
Il s’agit donc d’un passage qualitatif important et les étudiants sont
vivement invités à constituer leur propre culture linguistique en
consultant les textes classiques formateurs en science du langage.
Tous les cours dispensés en second cycle constituent un balisage et
une orientation que l’étudiant doit compléter par ses travaux
personnels de lecture et de recherche.

22
Progression prévue du cours

En une douzaine de séances, le cours adoptera la


progression générale suivante et traitera d’une
manière progressive des centres thématiques suivants :
A- La linguistique et la pragmatique :
1. L’objet de la linguistique : activité de langage, langue,
communication
2. Les composantes de la linguistique et l’étude du
fonctionnement du langage
3. La pragmatique et l’étude des usages inhérents au
langage :
a. La pragmatique comme une partition de la sémiotique
b. La pragmatique et la communication langagière
comme jeu socioculturel.
B- Langage et action : l’énonciation performative et les
actes de discours
1. Le positivisme logique et les types de propositions
2. Enonciations performatives vs énonciations
constatives
3. L’acte de discours et ses composantes
4. Taxinomie des actes illocutoires

23
Bibliographie du cours

Il s’agit du texte de référence pour le cours ainsi que d’un choix


bibliographique complémentaire fait d’ouvrages de nature encyclopédique.
Nous invitons cependant vivement les étudiants à se constituer leur propre
bibliographie aussi bien à travers les bibliothèques qu’à travers la Toile, en
évitant le plus possible les informations approximatives fournies par certains
sites tel que Wikipédia qui font plus de mal que de bien à leur formation de
futurs chercheurs.
A- Texte fondateur de la recherche pragmatique :
John Langshaw Austin, Quand dire, c’est faire, Seuil, 1970, réédition en
poche dans la collection Points en 2002. Il s’agit de la version française, très
bien faite, du livre posthume de l’auteur publié en 1962 sous l’intitulé How to
do Things with Words (littéralement : «Comment faire des choses avec des
mots »). Il s’agit de douze conférences au ton oral et détendu et d’une écriture
très agréable à lire.
Même si le terme pragmatique n’apparaît pas dans le texte, cet ouvrage est
considéré comme celui qui a fait connaître et popularisé la recherche autour
du thème pragmatique central des rapports entre le langage et l’action. Sa
lecture est fondamentale.
B- Références générales au sujet de la pragmatique :
1. Oswald Ducrot et Jean-Marie Schaeffer, Nouveau dictionnaire
encyclopédique des sciences du langage, Seuil/Points, 1995. Ouvrage
fondamental pour tout étudiant en linguistique. Son prédécesseur est tout aussi
fondamental : Oswald Ducrot et Tzvetan Todorov, Dictionnaire
encyclopédique des sciences du langage, Seuil/Points, 1982. A consulter
absolument.
2. Patrick Charaudeau et Dominique Maingueneau, Dictionnaire d’analyse du
discours, Seuil, 2002. Même s’il est centré sur la problématique typiquement
française de l’« analyse du discours », cet ouvrage fournit de très nombreuses
entrées de qualité touchant au champ de la pragmatique et de la linguistique.
Sa consultation est recommandée.
3. Jacques Moeschler et Anne Reboul, Dictionnaire encyclopédique de
pragmatique, Seuil, 1994. Cet ouvrage, dû à un couple d’universitaires franco-
suisse, contient de très bonnes informations sur les différentes propositions
théoriques et conceptuelles dans le champ de la pragmatique. Cependant,
l’adoption du ton nonchalant des ouvrages didactiques américains, ainsi que

24
l’abus des mots en « -isme » et l’usage excessif du terme « théorie » (tout fils
de sa mère devient pour eux fondateur d’une théorie !), ne servent pas sa
lecture. Il reste quand même une référence généraliste importante.

25
Linguistique et pragmatique

A. L’activité de langage
❖ Une communauté d’hommes et de femmes parlent et écrivent en s’adressant les uns aux
autres. On dit qu’en faisant cela, ils « communiquent » leurs pensées et leurs sentiments
à autrui, et qu’ils agissent les uns sur les autres. C’est cette communication et cette action
qu’on appelle activité de langage, à savoir une activité qui ne relève pas du somatique
mais de la parole ou de l’écriture.
❖ Comme les membres d’une communauté humaine se comprennent entre eux, on dit qu’ils
parlent et/ou écrivent la même langue. Autrement dit, ils dénomment les choses et les
états de choses de la même manière, et quand ils tiennent des propos sur leur monde, ces
propos sont généralement équivalents et donc assimilables par les uns et les autres.
❖ Une « langue » est ainsi constituée par un ensemble commun à une collectivité humaine
de dénominations et de schèmes d’énonciation qui rendent possible aussi bien la tenue
de propos sensés sur le monde que la compréhension mutuelle. Les sociétés à écriture
objectivent la langue et rendent possible son enseignement sous forme de dictionnaires
(les dénominations) et de grammaires (les schèmes d’énonciation).
❖ Au sein d’un état moderne, les choses peuvent se présenter d’une manière plus ou moins
complexe. Au Maroc, par exemple, la situation sociolinguistique est faite du partage des
centres d’intérêts communautaires entre deux types de langues :
✓ Langues de communication quotidienne (orales) : l’arabe marocain moderne avec ses
variantes régionales et le berbère marocain moderne qui, en fait, subsume trois langues
différentes avec chacune ses propres variations régionales : le tarifit, le tamazignt et le
tachlhit ;
✓ Langues d’administration et de culture, principalement des langues écrites : l’arabe
littéral moderne et classique ainsi que le français standard moderne, Des tentatives
récentes sont faites pour standardiser une version écrite du berbère marocain sous le
nom de l’amazigh, qui deviendrait lui aussi une langue de culture et d’administration.
❖ On peut donc, en plus de confectionner des dictionnaires et des grammaires pour les
langues de culture et d’administration, faire la même chose pour les langues de
communication quotidienne, sans jamais perdre de vue, bien sûr, qu’une langue de culture
qui rend possible la généralisation, l’abstraction et donc la conceptualisation de plus en
plus sophistiquée rendant possible la philosophie et la science, se constitue à travers des
siècles de développement culturel lié aux apports des différentes ethnies qui l’utilisent
(l’arabe classique standardisé à l’époque abbasside dérive de l’arabe coranique mais il
est aussi le résultat de l’apport des arabes du nord ainsi que des persans, des andalous,
des berbères…). En Italie et en Allemagne, alors qu’on dispose de plusieurs langues de
communication quotidienne (les « dialectes » régionaux), on ne connaît qu’une seule
langue de culture et d’administration : l’italien standard constitué à partir des poèmes de
Dante et l’allemand standard dérivé de la bible de Luther.

26
❖ L’activité de langage qui correspond à l’usage oral ou écrit d’une langue à des fins de
communication au sein d’une communauté socioculturelle se ramène, comme nous
l’avons dit, à deux opérations complémentaires :
✓ L’activité de dénomination de nature plutôt collective et qui a pour visée d’organiser
le monde de la communauté grâce à un travail taxinomique de classement. En effet,
chaque communauté attribue des noms aux « entités » concrètes et abstraites,
perceptibles ou imperceptibles qui constituent son univers d’expérience réel et/ou
imaginaire, à savoir les êtres et les objets ainsi que les relations spatiales, temporelles
et logiques entre les êtres et les objets. Cette activité de langage se trouve, généralement
pour les langues de culture, consignée et objectivée par le travail des lexicographes
sous forme de dictionnaires ou de lexiques. Notons que la dénomination peut être
motivée pour les membres de la communauté, c’est-à-dire qu’ils peuvent lui trouver
une justification, par exemple à travers l’étymologie populaire, ou être arbitraire dans
le cas de l’absence de toute justification aux yeux de la communauté. L’unité de
dénomination est ce qu’on appelle « mot » ou « expression » et dont la structure
formelle et sémantique varie d’une langue à l’autre. Par exemple, les langues
indoeuropéennes ont généralement recours à la structure Radical + Affixes, alors que
les langues sémitiques font usage de la structure complexe Racine consonantique +
Schème vocalique. Cet aspect du procès de la dénomination correspond
essentiellement aux servitudes formelles ou morphologiques, différentes d’une langue
à l’autre, que les sujets parlants intègrent inconsciemment. Rappelons le mot de Roman
Jakobson selon lequel ce qui fait la spécificité d’une langue n’est pas ce qu’elle permet
de dire mais ce qu’elle oblige à dire.
✓ L’activité d’énonciation, c’est-à-dire de la production des énoncés, chaque fois
spécifiques, par les sujets parlants dans des situations de communication particulières.
Si la dénomination est collective et relève de la « langue », l’énonciation est
individuelle et relève du « discours ». Un énoncé, par exemple une phrase, possède
plusieurs aspects déterminés par l’activité de langage : un aspect grammatical (la
structure morpho-syntaxique), un aspect phonétique (l’intonation et l’accentuation),
un aspect sémantique (la prédication). C’est ce dernier aspect qui va nous retenir ci-
après car les deux autres sont assez connus. La prédication est un terme qui appartient
à la logique formelle qui conçoit la proposition, à savoir un « propos » sur le monde
qui peut être jugé comme vrai ou comme faux et faire ainsi partie d’un raisonnement
valide ou non valide, comme constituée d’un prédicat rapporté à l’aide d’une copule à
un sujet. Par exemple, la proposition : « La terre est ronde » est constituée d’un sujet
(la terre) auquel est rapportée la propriété qu’est la rotondité grâce à la copule qu’est
le verbe être. Le sujet est donc ce dont on parle, à propos de quoi on affirme quelque
chose de vrai ou de faux et le prédicat est ce qu’on dit du sujet.
En linguistique, on ne parle pas de proposition mais d’énoncé ou de phrase, même si
certains grammairiens recourent à ce terme en lui donnant un sens plus général que
celui de la logique formelle, car, pour le linguiste, il ne s’agit plus du problème de la

27
vérité ou du raisonnement valide mais de la manière dont une langue donnée permet de
dire quelque chose sur la réalité d’une communauté à un moment particulier de son
histoire. Ainsi, le sujet est tout ce dont on peut dire quelque chose et le prédicat tout ce
qu’on peut dire d’un sujet grâce à la langue. Et, c’est connu, on peut tout dire dans une
langue, même des choses insensées ou contradictoires du point de vue logique :
* Paul est marié et non marié.
* Ce cercle est carré.
La prédication est donc constitutive de tout discours produit dans un échange verbal,
oral ou écrit, et dont les unités ne sont pas les mots mais les énoncés ou les phrases. Les
philosophes ont constaté depuis longtemps qu’avec les phrases on agit les uns sur les
autres. Cependant, il faut préciser qu’une phrase ne constitue pas une action sur autrui
en elle-même. C’est son usage dans le processus de communication qui fait d’elle une
action. Notons que les grammairiens de la langue française (et d’autres langues aussi)
ont répertorié les types de phrases selon les différentes actions possibles qu’on peut
réaliser avec elles dans un procès de communication :
✓ Phrase assertive qui permet de faire une assertion (= l’action d’asserter) affirmative
ou dénégative dans la mesure où, avec ce type de phrase, on déclare une certitude et on
réclame implicitement des autres d’y adhérer et de nous croire :
o La terre est ronde.
o La terre n’est pas ronde.
✓ Phrase interrogative qui implique la volonté de voir autrui réagir à notre parole pour
nous informer de quelque chose qu’on est censé ignorer :
La terre est-elle ronde ?
✓ Phrase intimative, dite aussi impérative dans la mesure où l’on manifeste la volonté
de voir autrui agir conformément à notre désir : Sors !
NB : La phrase dite exclamative n’est qu’un cas particulier, emphatique, de l’assertion.
B- La linguistique : son objet et ses composantes
❖ Le langage et les langues
✓ On affirme généralement que l’objet de la linguistique, à savoir ce qu’elle vise à étudier
et à expliquer, est constitué par le langage et les langues, celles-ci n’étant que des
réalisations différentes et variables, historiquement et géographiquement localisées, de
la faculté du langage constitutive de la nature humaine ; on le sait, l’homme est un bipède
parlant. Le langage est donc universel et transhistorique alors qu’une langue est limitée
à une communauté à une période donnée de son histoire.
✓ Il faut préciser cependant que le langage est l’objet de la linguistique mais non pas en
tant qu’il est étudié par la médecine, par l’anthropologie, la préhistoire, la psychologie,
etc. mais en tant que saisi et cerné à travers les langues. Il ne l’est pas donc, comme chez
les disciplines mentionnées, qui ne s’intéressent au langage qu’en tant que lié à l’activité
cérébrale ou psychique ou encore culturelle et symbolique.
✓ La linguistique ne prend pas pour objet la faculté du langage qui est visée par diverses
disciplines tels que la neurologie, la psychologie, la sociologie ou encore l’archéologie,

28
etc., ni l’activité de langage dans toute son extension en tant que faisant partie de
l’appartenance ethnique ou sociale (les variables socio-historiques ne sont pas du ressort
du linguiste). Son objet est constitué par l’intérêt porté à l’activité de langage mais
seulement en tant que communication de l’homme avec ses semblables, activité que
l’être humain exerce grâce à la faculté du langage qui le caractérise dans le règne animal
dont il fait partie.
✓ La communication est la production d’un signe verbal, oral ou écrit, révélateur de ce que
l’individu veut dire à autrui, de son rapport au monde qui l’environne ainsi que la
transmission de ce vouloir-dire, à travers le signe verbal produit, à ses semblables, en
établissant de cette manière des rapports intersubjectifs constitutifs de tous les rapports
sociaux. En fin de compte la société humaine n’est pas envisageable en dehors de
l’exercice de la faculté du langage à des fins de communication (vouloir-dire et
intersubjectivité).
✓ Distinguons donc entre la faculté du langage qui fait partie du patrimoine génétique de
l’homme et qui est inscrite dans son ADN, et l’activité de langage, à savoir les divers
usages du langage, aussi bien l’usage lié à des variables socio-culturelles que son usage
en tant qu’activité signifiante de communication. Le langage est donc défini soit par sa
nature (quoi ?) comme une faculté spécifiquement humaine, soit par sa fonction (à quoi
sert-il?): la communication intersubjective. L’objet de la linguistique est constitué par
le deuxième terme de l’alternative, c’est-à-dire ce qui l’intéresse est ce qui rend possible
la communication langagière entre les hommes et par conséquent la formation des liens
sociaux et communautaires.
❖ La communication
La notion de « communication », essentielle pour l’étude de l’homme et de la culture,
renvoie, au sein des différentes écoles linguistiques, à trois aspects langagiers différents:
1. L’aspect cognitif de l’activité de langage.
La cognition étant l’acquisition du savoir, il s’agit dans notre cas de la communication
comme faire-savoir quelque chose à autrui, autrement dit de l’« informer » de quelque
chose qu’il est censé ignorer. La communication linguistique est ainsi, comme l’affirme
André Martinet, une « compréhension mutuelle ». Dans la description d’une langue
par le linguiste adoptant ce point de vue, l’accent sera mis sur les notions conjointes de
« code » et de « message », dans la mesure où la langue sera conçue comme un code
qui permet la construction et la transmission de messages en nombre indéfini.
Pratiquement, le code linguistique est ramené à la fois à un « lexique » (ensemble
d’unités) et à une « grammaire » (ensemble de contraintes formelles pour conjoindre
les unités du lexique au sein des « messages »). Un « message » ne sera «encodé » ou
« décodé » qu’en mettant en œuvre le code (lexique et grammaire).
2. L’aspect psychosocial de l’activité de langage.
Dans les études linguistiques qui privilégient cet aspect, la communication langagière
est considérée comme la mise en relation intersubjective ou interindividuelle (Emile
Benveniste, Oswald Ducrot). L’accent est ainsi mis sur la manifestation de la «

29
subjectivité » (affectivité, points de vue, …) dans le langage ainsi que sur les rapports
de force ou de domination liés aux « rôles sociaux » des participants à l’activité de
langage. En effet, chaque rôle social (métier, degré de parenté, sexe…) implique
nécessairement un « statut social » (cette distinction entre « rôle » et « statut » est due
à John Lyons), à savoir le degré de domination exercé lors du procès de communication.
L’idée d’une communication transparente et bienveillante est rejetée pour mettre en
avant une facette conflictuelle et polémique de l’activité de langage : selon de le mot
de Algirdas Julien Greimas, « quelqu’un de convaincu est quelqu’un de vaincu ! »
3. L’aspect sémiotique (= signifiant) de l’activité de langage.
Depuis Ferdinand de Saussure, on caractérise une langue comme une « institution
sémiotique » : d’une part, une langue est une institution car elle relève du domaine
social et s’impose à l’individu qui ne peut exercer sur elle aucune action, et, d’autre
part, elle est sémiotique dans la mesure où l’activité de langage est signification,
production du signe verbal qui suppose un vouloir-dire quelque chose ou un vouloir-
signifier quelque chose à autrui. En plus, avec Saussure, on s’est rendu compte que la
« culture », produite par la « société », est un ensemble de « systèmes de signes » parmi
lesquels la langue constitue le plus important système, dans la mesure où c’est grâce à
elle qu’on peut donner sens à tous les autres en permettant d’expliciter leur contenu
(par exemple, pour faire signifier un morceau de musique, on le caractérise verbalement
comme « triste » ou comme « gai », comme « complexe » ou «folklorique», etc.). La
langue constitue ainsi le signifiant de la culture. Autrement dit, une culture se manifeste
et se signifie à travers la langue ou les langues parlée(s) dans la société qui a produit
ladite culture. Par exemple, on peut se demander si la culture signifiée par le berbère
marocain (ou l’une de ses variantes) est différente, et dans quelle mesure, de la culture
manifestée par l’arabe marocain (ou l’une de ses variantes). Les études linguistiques
qui privilégient cet aspect de l’activité de langage mettent l’accent, dans leurs
descriptions, sur les rapports entre la communication verbale et la culture, en
s’intéressant aussi bien aux champs notionnels ou lexicaux que renferme une langue
qu’aux discours codifiés et formulaires produits dans cette langue (traditions
populaires, chants, proverbes, mais aussi littérature, droit, etc.).
❖ L’activité de langage étudiée par la linguistique est donc la communication verbale (orale
ou écrite) dotée de trois aspects corrélés mais indépendants : l’aspect cognitif ou la
compréhension mutuelle, l’aspect psychosocial ou la mise en relation intersubjective et
sociale, l’aspect sémiotique ou la culture en tant que signifiée par la langue. Ces trois
aspects peuvent être synthétisés pour caractériser la communication langagière qu’on peut
définir donc comme la volonté de se faire comprendre d’autrui en exerçant la faculté du
langage dans le cadre d’une langue donnée et en tenant compte, consciemment ou
inconsciemment, des institutions et des conventions de la société où ladite langue est
employée.

30
Les composantes de la description linguistique

❖ Il faut se rappeler que la réalisation de toute activité de langage qu’elle soit orale ou écrite
possède une nature double ou duelle dans la mesure où elle a un côté perceptible saisi par
l’ouïe ou la vue et un aspect intelligible, à savoir un contenu compréhensible. En effet, il
est bien connu que la langue, réalisation sociale du langage, est forme (comment en parler
?) et sens (de quoi parler ?).
❖ La linguistique qui n’est pas à confondre avec la « grammaire » (voir infra), étudie tous les
moyens formels (forme) et sémantiques (sens) qu’offre une langue donnée pour se faire
comprendre d’autrui en disant quelque chose du monde et en établissant des rapports
cognitifs et affectifs avec les autres membres de la société. La question centrale à laquelle
tente de répondre la linguistique dans ses descriptions et qui constitue son principe de
pertinence (ce qu’elle retient de toutes les données langagières) parmi les autres sciences
qui s’intéressent au langage est : quels sont les éléments (unités et agencements) d’une
langue qui rendent la communication possible ? Il s’agit donc pour elle de mettre au jour,
au sein d’une langue donnée, des conditions formelles et sémantiques de la communication
avec ses trois aspects : cognitif, psycho-social et sémiotique.
❖ Il ne faut jamais confondre, comme on le fait parfois sous l’influence de l’usage du mot
grammar par la linguistique américaine, la linguistique et la grammaire. Celle-ci adopte
un point de vue normatif (usage correct d’une langue) dans la mesure où son champ
d’application est l’enseignement des langues normalisées ou la fixation de la lecture des
textes sacrés ou littéraires. Pour sa part, la linguistique adopte un point de vue scientifique
qui consiste en décrire et expliquer le fonctionnement de la communication langagière
réalisée dans une langue particulière sans aucun jugement de valeur.
❖ Traditionnellement, le champ couvert par la linguistique se répartit en plusieurs
composantes. C’est ainsi qu’elle articule son champ d’investigation, à savoir le langage
saisi à travers les langues parlées ou seulement écrites, mortes ou vivantes, grâce à des
corpus d’énoncés oraux et/ou écrits (le linguiste remonte ainsi du corpus particulier vers
la langue qui a permis sa production et de celle-ci, par comparaison et généralisation, vers
le langage) en trois composantes susceptibles chacune de comporter plusieurs
subdivisions. Le tableau suivant présente ces composantes en les mettant en parallèle avec
l’attitude normative de l’enseignement des langues :

Lexicologie Morphosyntaxe
Phonologie
Linguistique (point (Morphologie (Contraintes
(Phonématique et
de vue scientifique) lexicale et morphologiques et
Prosodie)
Sémantique lexicale) Syntaxiques)
Vocabulaire
Enseignement des Prononciation
(acquisition d’un Grammaire
langues (point de (Phonétique
stock de mots et (Le Bon usage)
vue normatif) corrective)
d’expressions)

31
❖ S’agissant d’étudier une langue, deux points de vue sont donc possibles :
✓ Le point de vue normatif qui débouche sur la didactique des langues : comment enseigner
à communiquer correctement dans telle ou telle langue ? En didactique du français, par
exemple, visant l’enseignement de cette langue à de non natifs, on a proposé comme
moyen de communication à assimiler le « F.L.E. » ou encore le « français fondamental
»;
✓ Le point de vue scientifique de la linguistique se formulant sous forme de l’interrogation
suivante : comment la communication entre les individus parlant telle ou telle langue est
possible par l’usage de ladite langue ?
❖ On ne prenant en considération que les trois domaines d’étude que sont la phonologie, la
lexicologie et la morphosyntaxe, on peut dire que la linguistique s’intéresse au
fonctionnement de l’activité de langage, c’est-à-dire à ce qui rend la communication
possible dans une langue donnée ou comment une langue fonctionne pour rendre la
communication possible. Cependant, un autre point de vue sur l’activité de langage est
possible si l’on suit l’adage, souvent mal compris, de Ludwig Wittgenstein « meaning is
use» : le sens, c’est l’usage ou, plus exactement, le sens d’une expression linguistique (mot
ou énoncé) est ce qu’on peut faire avec elle dans un cas particulier de l’interaction sociale
médiatisée par l’activité de langage, à savoir ce que Wittgenstein appelle « jeu de langage»,
language game ou Sprachspiel. On peut donc tabler sur l’usage de l’activité de langage et
non seulement sur son fonctionnement : que fait-on avec le langage dans le cadre des
interactions sociales ? Que nous permet de faire le langage dans le cadre des relations entre
les individus partageant la même langue ?
❖ Pour comprendre cette distinction entre le fonctionnement et l’usage, on peut faire appel à
un exemple simple : la connaissance du fonctionnement mécanique de l’automobile ne
permet pas nécessairement de prévoir son usage en société qui, lui, obéit à d’autres
impératifs culturels (= sémiotiques) tels que, par exemple, le respect du code de la route.
Autrement dit, on peut être bon mécanicien et ne pas savoir conduire correctement une
voiture !
C. La pragmatique : langage et action
❖ La réponse à la question : que nous permet de réaliser l’activité de langage au sein de la
société ? semble évidente dans la mesure où l’on sait qu’elle rend la communication
intersubjective (compréhension mutuelle liée aux conventions socioculturelles) possible au
sein de la société. Mais, au fond, qu’est-ce que communiquer avec autrui ? Et, plus
généralement, quelles sont les conditions de la communication sociale médiatisée par
l’activité de langage ? C’est là l’objet propre à la pragmatique qui vise donc à étudier la
communication langagière comme pratique, action ou faire : que faisons-nous quand nous
communiquons avec autrui grâce à l’activité de langage ?
❖ L’activité de langage peut donc être approchée de deux façons différentes mais
complémentaires : par la linguistique qui vise son fonctionnement ou par la pragmatique
qui, elle, table plutôt sur son usage.

32
❖ Il faut quand même préciser que la pragmatique n’étudie pas l’usage extrinsèque de
l’activité de langage dans les rapports humains, à savoir ce qu’on peut faire avec le
langage: convaincre, persuader, manipuler, tromper, séduire, etc. Si cela était le cas, la
pragmatique ne serait qu’une simple continuation généralisante de la rhétorique, surtout
de la composante de celle-ci dite Elocutio, visant à connaître l’usage optimal qu’on peut
faire de l’activité de langage pour convaincre autrui et l’amener à adopter notre façon de
voir. En effet, outre que la pragmatique est descriptive et la rhétorique normative, il faut
ajouter que celle-là étudie ce qu’on fait en parlant et non ce qu’on fait par la parole. Il s’agit
donc de l’usage inhérent à l’activité de langage. Donnons un exemple pour clarifier cette
distinction entre les deux types d’usage : une chaise est faite pour s’asseoir ; en tant qu’objet
manufacturé reconnu socialement, elle est prévue pour cela et pas pour autre chose ; c’est
son usage inhérent (constitutif). Cependant, la chaise peut parfaitement être utilisée comme
échelle pour changer une lampe grillée ou comme arme pour frapper quelqu’un ; c’est son
usage extrinsèque non prévu socialement et lié à des variations individuelles imprévisibles.
❖ Historiquement parlant, le terme « pragmatique » qui désigne en premier lieu la théorie de
l’action développée par les philosophes, découle du terme anglais « pragmatics ». Celui-ci
renvoie à une composante de la « sémiotique » (« semiotics », étude de la sémiosis) telle
que la conçoit, dans la lignée de Charles Sanders Peirce, le philosophe américain Charles
William Morris et, à sa suite, tout le positivisme (ou empirisme) logique. Pour Morris, la
sémiosis, à savoir la mise en rapport du « signe », de l’« objet du signe » et de l’« interprète
du signe » (par exemple, une phrase, l’état de choses qu’elle désigne et le récepteur qui
interprète la phrase comme renvoyant à l’état de choses), possède trois dimensions étudiées
chacune par une discipline indépendante au sein de la sémiotique (voir, Charles William
Morris, « Fondements de la théorie des signes », traduction des trois premiers paragraphes
de « Fondations of the theory of signs » publié dans International Encyclopedia of Unified
Science , 1, 2, University of Chicago Press, 1938, dans Langages, 35, 1974, Paris, Larousse,
p. 19) :
❖ La « syntactique » étudie la dimension syntaxique de la sémiosis, à savoir les conditions
formelles de sa « bonne formation ».
❖ La « sémantique » prend en charge la dimension sémantique de la sémiosis, à savoir ses
conditions de vérité.
❖ La « pragmatique » étudie la dimension pragmatique de la sémiosis, c’est-à-dire ses
conditions d’efficacité.
Par exemple, soit l’énoncé suivant proféré d’une certaine manière, dans certaines conditions
: Ferme la porte !
Ce cas particulier de sémiosis, mettant en rapport des signes verbaux et des signes non verbaux
(gestes, mimiques) a trois dimensions :
❖ Syntaxique : la mise en rapport des différents signes : l’énoncé doté d’une certaine
intonation et le comportement somatique qui peuvent fonctionner comme des interprétants
les uns des autres.

33
❖ Sémantique : la mise en rapport des différents signes avec la réalité dans laquelle se trouve
situé ce cas de sémiosis : il faut qu’il y ait une porte ouverte, par exemple, sinon nous avons
un cas absurde de sémiosis (un « non-sens »).
❖ Pragmatique : c’est l’interprétation de ce cas de sémiosis par le récepteur : est-ce qu’il a le
droit de me donner un ordre, de s’adresser à moi en agitant la main de cette façon, en
élevant la voix, etc. ?
Dans les manuels francophones de linguistique, on définit la dimension pragmatique comme
«le rapport des signes avec leurs utilisateurs », alors que Morris écrit clairement qu’il s’agit
de « la relation des signes aux interprètes », c’est-à-dire que la sémiotique visera l’étude de
l’efficacité des signes sur les interprètes (réels ou éventuels) de ces signes. Par exemple, quand
je donne un ordre et qu’on m’obéit, ma communication est efficace, sinon elle ne l’est pas.
❖ Comme étude de la seule activité de langage et non de l’activité sémiotique en général, on
peut dire que l’objet de la pragmatique est d’envisager cette activité comme étant un « jeu
socio-culturel », selon le mot de Ducrot. Sachant qu’un jeu est une confrontation réglée
entre partenaires, chacun des partenaires visant à être efficace en l’emportant, il s’agit donc
pour la pragmatique de prendre en considération les participants à l’activité de langage et
les règles socio-culturelles qui la régissent [une règle est la formule prospective qui indique
la voie à suivre pour atteindre un certain but]. Donc, on peut dire que l’« usage inhérent »
au langage correspond à la communication verbale en tant qu’activité socioculturelle et
intersubjective supposant des partenaires (intersubjectivité) et des règles régissant cette
activité, règles établies par la société et la culture auxquelles appartiennent les partenaires.
❖ Il faut préciser, pour terminer, que la pragmatique est loin de constituer un champ d’études
unifié. Il s’agit plutôt de plusieurs points de vue sur l’activité de langage. Cela est dû au
fait que la pragmatique est le lieu de rencontre d’études provenant aussi bien de la
philosophie du langage qui a pour but de conceptualiser l’activité de langage, c’est-à-dire
de mettre en avant l’élaboration de concepts [un concept est un terme subsumant une classe
d’objets sur la base d’une définition mettant en évidence des traits distinctifs de plus en
plus précis] permettant d’étudier le thème philosophique des rapports entre le langage et
l’action, que de la linguistique visant à décrire le fonctionnent des langues en mettant
toujours en rapport la forme et le sens : toute variation sur l’un des deux plans implique
nécessairement une variation concomitante sur l’autre (cf. la commutation, la substitution,
les variantes contextuelles, etc.). Le philosophe du langage, lui, met plutôt l’accent sur le
sens et la forme ne l’intéresse qu’accessoirement.
❖ Il faut ajouter aussi que, parmi les linguistes, certains considèrent que la pragmatique est
une discipline indépendante de la linguistique même si toutes les deux visent à élucider
l’activité de langage. D’autres, au contraire, considèrent que la pragmatique peut
légitimement faire partie de la linguistique et parlent donc d’une pragmatique linguistique.

34
Langage et action :
L’énonciation performative et les actes de discours

A- La philosophie analytique et les types de propositions


❖ Les concepts de speech act (acte de discours) et de performative utterance (énonciation
performative), à la base du développement de la recherche en pragmatique linguistique,
ont été mis au jour par John Langshaw Austin (1919-1960), un philosophe anglais de
l’école analytique dite d’Oxford.
❖ La « philosophie analytique » est un courant typiquement anglo-saxon qui a commencé à
se développer au cours de la première moitié du XXème siècle. Il considère que les
problèmes philosophiques (« antinomies » et « apories ») sont d’abord des problèmes de
langage et que, pour les résoudre, il faut pratiquer, comme le faisait d’ailleurs Socrate, l’«
analyse linguistique » (= analyse des énoncés) vue comme la seule pratique philosophique
valable. Les penseurs relevant de ce courant arrivent ainsi à la conclusion que la plupart
des problèmes philosophiques ont à leur origine un usage « hors propos » du langage
ordinaire. En effet, les philosophes pensent que le langage sert avant tout à décrire la
réalité (les états de choses) et que, par conséquent, ce qui est en jeu c’est la vérité de la
description (= l’adéquation qu’on peut vérifier entre l’énoncé qui décrit et l’état de choses
décrit). De cette façon, ces philosophes mettent l’accent sur la dimension sémantique de
la sémiosis langagière. Ils oublient, cependant, que, dans la vie quotidienne, c’est la
dimension pragmatique qui est mise en avant, dans la mesure où le « langage ordinaire »
(ordinary speech), vise avant tout l’efficacité dans l’action sur autrui. Par exemple, les
philosophes traitent de la même manière les deux énoncés suivants :
❑ Ce livre est rouge.
❑ Ce plat est bon.
En les considérant tous les deux comme des descriptions d’états de choses. Le premier est
effectivement une description dans la mesure où la qualité chromatique (être rouge) peut
être vérifié d’une manière plus ou moins précise (par la simple vue ou par des instruments
de mesure) et l’énoncé peut être jugé, par conséquent, comme vrai ou faux. Le second
énoncé, par contre, et malgré qu’il possède la même structure grammaticale que le
premier, n’est pas une description du plat, car, par exemple, proféré dans un restaurant, il
est équivalent à un acte : l’acte de recommander le plat. On ne peut donc plus l’évaluer
en termes de vérité mais plutôt en termes d’efficacité puisqu’il s’agit d’une action et non
d’une description : il est efficace si le plat est commandé et inefficace dans le cas contraire.
❖ Les philosophes distinguent trois aspects dans l’activité de langage correspondant à des
types d’énoncés marqués grammaticalement et phonétiquement dans les différentes
langues :
➢ Aspect émotif : expression des affects et des émotions correspondant généralement aux
énoncés exclamatifs et emphatiques ;

35
➢ Aspect pratique : expression des relations sociales dans les énoncés interrogatifs et
impératifs ;
➢ Aspect cognitif : expression de la connaissance du monde qui nous entoure dans les
énoncés assertifs (affirmatifs ou négatifs).
Seul l’aspect cognitif est mis en avant par les philosophes car il a trait à l’établissement de
la vérité, problème central pour la logique et la théorie de la connaissance dans son
ensemble.
❖ En général, la philosophie traite de trois thèmes fondamentaux qui concernent l’aspect
cognitif du langage : le Vrai (l’aléthique), le Beau (l’esthétique) et le Bien (l’éthique).
C’est trois champs thématiques ont trait aux valeurs, et le problème pour le philosophe
est de déterminer le statut de ces valeurs. Par exemple, est-ce que les valeurs morales
(éthiques) sont-elles des valeurs objectives ? Dire par exemple :
❑ Pierre est bon.
Correspond-il à un quelconque état de choses contrôlable et vérifiable ou s’agit-il d’une
simple évaluation qui a pour but d’agir sur autrui en favorisant le personnage de Pierre ?
C’est pourquoi, pour la philosophie analytique, l’« analyse linguistique » est primordiale
comme elle l’a été pour Socrate.
❖ C’est par rapport à cette manière générale de penser l’aspect cognitif de l’activité de
langage que le point de départ d’Austin a été la critique de ce qu’il appelle « l’illusion
descriptive » tenace chez les philosophes et qui consiste à soutenir qu’étant donné que le
but essentiel du discours est de dire le vrai, un énoncé pour qu’il ait un sens (être sensé)
doit décrire la réalité et être évalué comme vrai ou comme faux. Cette illusion conduit les
philosophes à considérer que pour parler du sens d’un énoncé, il faut nécessairement
mettre au jour ses conditions de vérité : dans quelles conditions, l’énoncé peut être dit vrai
ou faux? Donc, pour eux produire un énoncé cognitif, c’est avant tout décrire un état de
choses. Cela est dit d’une façon catégorique par Ludwig Wittgenstein : une proposition
(= le contenu d’un énoncé cognitif formulé comme une phrase assertive du genre Pierre
est bon) doit être une sorte de tableau (Bild) d’un état de choses donné dans la réalité
correspondante.
❖ Pour établir les conditions de vérité d’un énoncé, il suffit donc, selon le point de vue
dominant, d’examiner la description qu’il fait de la réalité. Rappelons que tous les énoncés
examinés relèvent de l’aspect cognitif du langage et ont tous deux facettes liées :
❑ Une forme : phrase assertive (affirmative ou dénégative)
❑ Un sens : proposition (logique).
Une proposition au sens logique du terme est la formulation d’un acte de jugement qui
peut être de fait (aléthique) ou de valeur (éthique ou esthétique). C’est donc un propos sur
le monde qui peut être évalué comme vrai ou comme faux selon certains critères de
vérification (les conditions de vérité). Notons qu’une seule phrase simple peut contenir
plusieurs propositions, par exemple : Le roi de France est sage

36
Contient deux propositions, la première aléthique (jugement de fait) et la seconde éthique
(jugement de valeur) : P1 : Il existe un roi de France (=le roi de France est) ; P2 : Il est
sage.
❖ Les philosophes du positivisme logique (dit aussi, « empirisme logique ») d’où s’inspirent
largement les tenants de la philosophie analytique, proposent une typologie des
propositions qui a été largement adoptée. Ils ne retiennent donc que les phrases assertives
qui véhiculent des propositions dont la forme logique : Sujet-Copule-Prédicat, correspond
à la formulation d’un jugement (une phrase assertive simple comme Paul marche est dite
contenir la proposition :
Paul (sujet) est (copule) marchant (prédicat)) et classent les différentes propositions
logiques en trois types :
➢ La proposition analytique qui est nécessairement vraie dans la mesure où le prédicat
est impliqué par le sujet (= contenu dans le sujet comme une de ses caractéristiques
connues) :
❑ Le célibataire est un homme non marié
❑ 4 = 2+2 (4 est égalant à 2+2)
❑ Le triangle a trois angles.
Ces propositions formulent ce qu’on appelle des tautologies. Dans ce cas, le critère de
vérité est la non-contradiction : le prédicat ne doit pas être contradictoire avec les
caractéristiques connues du sujet, ce qui serait le cas par exemple dans : Le célibataire
est un homme marié !
Les propositions analytiques sont spécifiques aux disciplines formelles (= qui étudient
la forme du savoir et non pas son contenu) où la vérification se fait par démonstration
(= par l’« analyse » du sujet, on montre la contradiction ou l’absence de contradiction
avec le prédicat): la logique et la mathématique considérées d’ailleurs comme des «
langues bien faites ». On peut appeler le type de vérité correspondant à ce genre de
proposition « vérité-cohérence ».
➢ La proposition synthétique (ou empirique) où l’acte de jugement consiste à apporter
une nouvelle connaissance du monde par l’application du prédicat au sujet :
❑ L’eau bout à 100 degrés (= l’eau est bouillante à 100 degrés).
❑ La terre n’est pas plate ; elle est ronde.
Ici, le critère de vérité est l’expérimentation, à savoir qu’il faut vérifier par expérience
(par les sens ou par les instruments de mesure dans un laboratoire, etc.) la
correspondance de la proposition avec l’état de choses dont elle juge. Ce genre de
proposition est propre aux sciences expérimentales où il s’agit de prouver l’adéquation
de la proposition avec les faits décrits. Le type de vérité qui préside à ces sciences est
la « vérité-correspondance ».
➢ La pseudo-proposition est formulée par un énoncé assertif à teneure cognitive mais elle
ne peut être évaluée ni comme vraie ni comme fausse. Il s’agit généralement des
propositions véhiculées par les énoncés éthiques et esthétiques qui dominent dans le
discours philosophique et dans celui des humanités traditionnelles. A leur propos, on

37
ne peut trouver de critère de validation ou de vérification (ni vérité-cohérence, ni vérité-
correspondance). En effet, comment établir des conditions de vérité pour les énoncés
suivants qui, en fait, manifestent tous des jugements de valeur :
❑ L’Etre se connaît lui-même à travers l’histoire.
❑ Dans la Joconde s’exprime la Beauté absolue.
❑ La bonté est constitutive de l’homme.
❑ Marie est fidèle à son mari. ?
Ainsi, les énoncés éthiques et esthétiques véhiculent des pseudo-propositions et ils
doivent être évacués, malgré leur ressemblance formelle avec les propositions
analytiques et synthétiques, du domaine cognitif du langage pour être intégrés dans les
domaines émotif et pratique. Une morale ou une esthétique ne relèvent ni de la
connaissance analytique, ni de la connaissance expérimentale. A leur sujet,
Wittgenstein préconise le silence de la pensée ! « Sur ce dont on ne peut parler, il faut
se taire » est, en effet, l’aphorisme pessimiste qui clôt d’une manière spectaculaire le
Tractatus logico-philosophicus.
➢ C’est à ce niveau qu’intervient la critique d’Austin en parlant d’« illusion descriptive
». En effet, on ne peut établir ce genre de typologie des propositions que si l’on soutient
que le but essentiel du langage, dans son fonctionnement cognitif, est de décrire la
réalité. Or, en observant le « langage ordinaire », on constate que ce n’est pas le cas.
Austin, fait donc partie de cette branche de la philosophie analytique qui prennent
comme point de départ pour résoudre les problèmes philosophiques l’analyse du «
langage ordinaire ». Il fait ainsi partie du courant d’Oxford dit des « philosophes du
langage ordinaire » qui se sont progressivement éloignés des thèses du positivisme
logique.
➢ Notons, pour terminer cette section du cours qu’il ne faut surtout pas oublier qu’Austin
n’est pas un linguiste mais un philosophe. La démarche du philosophe du langage ne
doit pas être confondue avec celle du linguiste : celui-ci étudie le langage en lui-même
et pour lui-même, alors que le philosophe étudie le langage pour arriver à autre chose :
résoudre des problèmes philosophiques.

B- l’énonciation performative et l’énonciation constative


❖ Le long des douze conférences qui constituent Quand dire, c’est faire, Austin va s’évertuer
à mettre en question l’idée dominante que l’usage principal du langage est de décrire la
réalité, les états de choses. Cette idée que notre philosophe qualifie comme « illusion
descriptive » est la cause principale de la (mauvaise) manière dont certains problèmes
philosophiques sont posés. Pour mener à bien sa démonstration, Austin va mettre au jour
et préciser deux concepts fondamentaux à l’origine de l’essor de la recherche en
pragmatique: l’« énonciation performative » (par opposition à l’« énonciation constative
») et l’ « acte de discours ».
❖ La traduction française du livre d’Austin a généralisé l’usage de l’expression « énoncé
performatif » pour dire « performative utterance ». Cependant, la démarche du philosophe

38
montre qu’il s’intéresse à l’acte producteur de l’énoncé et non à l’énoncé réalisé. C’est
pourquoi nous retenons dans ce cours et à l’encontre de l’usage francophone généralisé, la
traduction « énonciation performative » et « énonciation constative » (Constative
utterance). En effet, en linguistique française, le terme « énonciation », comme nous
l’avons vu lors des séances précédentes, correspond à la dénomination du procès de
production d’un énoncé. Donc, l’énoncé qui peut être fait d’une phrase elliptique, d’une
phrase complète ou d’une suite de phrase formant un « discours » est le résultat objectivé
de l’acte d’énonciation.
❖ Austin part d’un ensemble de quatre phrases déclaratives ou assertives qu’il situe
explicitement dans leurs situations d’énonciation (p. 41 de la traduction française) :

Exemples :
❑ (E. a) « Oui [je le veux] (c'est-à-dire je prends cette femme comme épouse légitime) »
- ce « oui » étant prononcé au cours de la cérémonie du mariage.
❑ (E. b) « Je baptise ce bateau le Queen Elizabeth » - comme on dit lorsqu’on brise une
bouteille contre la coque.
❑ (E. c) « Je donne et lègue ma montre à mon frère » - comme on peut lire dans un
testament.
❑ (E. d) « Je vous parie six pence qu'il pleuvra demain. »

Il constate que, malgré les apparences, chacune de ces quatre phrases, quand on tient
compte des circonstances de son énonciation, correspond non pas à la description d’un
état de choses mais à la réalisation d’un acte (noté entre barres obliques) :

Dire Faire
« Oui (je le veux) » /se marier/
« Je baptise… » /baptiser/
« Je donne et lègue… » /léguer/
« Je vous parie… » /parier/

Donc, chacun de ces énoncés pris dans les circonstances de son énonciation (« jeu de
langage ») ne décrit pas un fait mais accomplit un acte : ici, « dire », c’est « faire ».
Sachant qu’un acte c’est « faire être quelque chose » (= faire advenir quelque chose qui
n’existait pas auparavant), on peut dire que chacune de ces énonciations ne consiste pas
en la description d’une réalité antérieure et indépendante d’elle mais en la création d’une
nouvelle réalité (= nouvel état de choses).
❖ Ces énoncés assertifs (= phrases déclaratives) ne décrivent aucun fait et ne sont, par
conséquent, ni vrais ni faux. Cependant, ils ne peuvent être dits des « non-sens » car, dans
l’usage usuel de l’activité de langage, ils sont caractérisés par deux traits complémentaires
qui font d’eux une classe à part :

39
1. leur énonciation correspond à la réalisation d’un acte ;
2. ils ne décrivent pas une réalité déjà donnée car, en tant qu’actes, leur énonciation
instaure une nouvelle réalité.
❖ A ces énonciations performatives (appelées ainsi car elles accomplissent des
«performances», des actes) s’opposent les énonciations constatives (= constat d’un état de
choses) qui, elles, consistent en la description d’une réalité existante avant l’énonciation et
sont par conséquent vraies ou fausses :
➢ J’ai six pence dans ma poche.
➢ Il pleut sur Londres.
❖ Précisons avec Austin que si les énonciations performatives ne sont pas réglées par les
conditions de vérité, on peut dire qu’ils le sont en tant qu’actes par ce qu’on peut appeler
les conditions d’efficacité (échec / réussite, ou « bonheur » / « malheur », comme le dit
Austin). Si les énonciations constatives relèvent de la dimension sémantique du langage,
les énonciations performatives, elles, mettent en avant sa dimension pragmatique. C’est
pourquoi la réussite de ces énonciations nécessite le respect de certaines conditions de
nature à la fois sémiotique et psychosociale qui constituent ce que Austin appelle leurs
«circonstances appropriées ». En effet, les énoncés cités par Austin comme produits par
des énonciations performatives sont liés à certaines conventions sociales et ont la forme de
formules : il s’agit ici de l’aspect sémiotique de l’activité de langage comme
communication (cf. séance 3 du cours). En plus, seules certaines personnes dotées de rôles
sociaux spécifiques et de certaines intentions (aspect psychosocial de l’activité de langage)
peuvent les utiliser dans les circonstances appropriées. Par exemple, si l’énonciation
performative liée à l’institution du mariage est réalisée sur une scène de théâtre, le mariage
n’est pas réalisé. De même, si les nouveaux mariés n’ont pas l’intention de consommer
leurs noces dans le cas d’un « mariage blanc », nous avons un échec de l’énonciation
performative. Donc, en plus du respect des conventions socioculturelles, les conditions
d’efficacité des énonciations performatives reposent sur les « circonstances appropriées »
liées aux rôles et aux statuts sociaux des participants ainsi qu’à leurs intentions impliquées.
❖ Récapitulons : dans l’activité de langage se réalisent deux types d’énonciation qui
produisent des énoncés semblables du point de vue formel : ce sont des phrases déclaratives
ou assertives qui normalement doivent relever de l’aspect cognitif du langage. Cependant,
si les énonciations constatives relèvent de cet aspect car elles font le « constat » d’une
réalité antérieure à l’énonciation en la décrivant et sont donc soit vraies soit fausses, les
énonciations performatives qui correspondent, quand les circonstances de leur réalisation
sont appropriées, à l’accomplissement d’un acte qui crée une nouvelle réalité, ne décrivent
aucun état de choses antérieur et ne sont pas vraies ou fausses mais sont évaluées comme
efficaces (réussite de l’acte) ou inefficaces (échec de l’acte) selon leur adéquation avec des
conditions socioculturelles. Ces énonciations montrent que, dans l’activité de langage
usuelle ou ordinaire, ce qui est mis en avant ce n’est pas la dimension sémantique mais la
dimension pragmatique : ce n’est pas la vérité qui prime dans la communication
quotidienne mais l’efficacité du dire.

40
❖ Cependant, on peut faire remarquer à Austin que les exemples qu’il donne et qui constituent
le point de départ de sa démonstration relèvent d’une activité de langage plutôt stéréotypée
dans la mesure où les énonciations performatives semblent faire partie des actes rituels ou
conventionnels. En effet, le mariage, le baptême, le legs et même le pari constituent des
moments peu fréquents dans la pratique quotidienne du langage. On peut donc à juste titre
soutenir que ces exemples ne remettent pas en cause l’idée que la majorité des énoncés
assertifs dans le langage ordinaire correspondent à des descriptions du monde. Pour
répondre à cette objection, Austin va opter pour montrer que l’énonciation performative
n’est pas seulement liée à la zone rituelle de l’activité de langage et va donc procéder à une
généralisation du caractère performatif (dire, c’est faire) de l’énonciation à l’ensemble du
langage ordinaire.

C- L’énonciation performative : primaire et explicite


❖ En vue de généraliser davantage le concept d’énonciation performative et de montrer que
ce type d’énonciation n’est pas limité à la zone rituelle du langage ordinaire, Austin va
procéder progressivement en aboutissant finalement à mettre au jour un nouveau concept
très général : Speech act (acte de discours ; on le traduit aussi parfois par « acte de langage
» ou « acte de parole »).
❖ Austin constate que tous les énoncés donnés en exemple et qui constituent son point de
départ ont des caractéristiques formelles identiques : ils correspondent tous à des phrases
assertives (déclaratives) avec un verbe (qui signifie l’acte accompli par l’énonciation) à la
première personne du mode indicatif présent et à la voix active. Est-ce que ces quatre
caractéristiques grammaticales (première personne, mode indicatif, temps présent, voix
active) doivent être toujours présentes pour que nous ayons une énonciation performative
? Austin répond par la négative et avance les exemples suivants d’énonciations
performatives qui ne se réalisent pas sous forme de phrases déclaratives possédant les
quatre caractéristiques formelles énumérées :
❑ La voix et le mode ne sont pas respectés dans les énonciations suivantes qui, dans les
circonstances appropriées, correspondent à l’accomplissement d’un acte (/ordonner/,
/nommer/, /licencier/) :
➢ Les passagers sont priés de descendre du train (proféré dans les hauts parleurs d’une
gare) ;
➢ M. x est nommé et titularisé professeur agrégé (écrit dans un arrêté ministériel) ;
➢ Vous êtes viré (un patron qui s’adresse à son employé).
❑ Le mode indicatif est absent de l’énonciation performative suivante qui réalise, quand
les circonstances sont adéquates, l’acte d’/ordonner/ (l’énoncé final n’est même pas une
phrase assertive) : Ferme la porte !
❑ Le temps grammatical du présent n’est pas non plus nécessaire pour que nous ayons une
énonciation performative comme le montrent les exemples suivants :
➢ A ta place, je voterais x (/menacer/ ou /conseiller/ selon les circonstances de
l’énonciation) ;

41
➢ Chien méchant (écriteau devant la porte d’une villa réalisant l’acte d’/avertir/) ;
➢ Fumer peut-être dangereux pour votre santé (inscription sur les paquets de cigarettes
: /avertir/) ;
➢ Est-il venu ? (Énonciation réalisant l’acte de /demander/).
Austin aboutit donc à la conclusion que les énonciations performatives ne sont pas liées à des
conditions formelles qui permettraient de toujours les identifier. Elles sont très générales et
comme le montrent les exemples donnés plus haut, elles ne sont pas limitées à des activités
de langage rituelles.
❖ Ainsi, on peut dire que les deux énoncés suivants correspondent tous les deux, quand les
circonstances sont appropriées, à une énonciation performative en réalisant l’acte
d’/ordonner/ même si leurs caractéristiques grammaticales ne sont pas les mêmes :
➢ Je t’ordonne de fermer la porte.
➢ Ferme la porte !
On peut dire qu’à la différence de la deuxième, la première énonciation contient les quatre
caractéristiques grammaticales énumérées par Austin et, en plus de réaliser l’acte
d’/ordonner/, se présente explicitement comme un ordre grâce au verbe « ordonner ». Ce type
d’énonciation performative est dénommée par Austin : « énonciation performative explicite
». L’autre type laisse donc implicite la nature de l’acte accompli par l’énonciation. Celui-ci
est cependant reconnaissable et explicitable quand on prend en compte l’ensemble de la
situation dans laquelle l’énonciation est proférée. Austin nomme ce type d’énonciation
performative : « énonciation performative primaire » (primaire veut dire que l’énoncé réalisé
n’a pas le caractère de formule élaborée comme c’est le cas pour l’autre type).
❖ Donc, pour Austin, dans l’activité de langage usuelle, nous avons deux types d’énonciation:
l’énonciation constative comme quand on dit : « La terre est ronde » et l’énonciation
performative subdivisée en deux classes :
a. l’énonciation performative explicite, comme :
Je te promets de venir
ayant la forme d’une phrase déclarative avec un verbe qui indique clairement la nature de
l’acte accompli par l’énonciation et qui est doté des quatre caractéristiques grammaticales
énumérées par Austin ;
b. l’énonciation performative primaire du genre :
Je vais venir.
Dans ce cas, c’est la situation de discours (les rôles et les statuts sociaux des participants
et le cadre spatio-temporel, ainsi que les mimiques, les gestes ou l’intonation) qui permet
de savoir quel acte a été réalisé. Dans le cas du dernier exemple, cela peut correspondre,
selon la situation, aussi bien à l’acte de menace qu’à celui de promesse.
❖ Pour Austin, toute énonciation performative primaire peut être explicitée en la transformant
par paraphrase en énonciation performative explicite. En effet, par exemple, l’écriteau
apposé devant la porte d’une villa : Chien méchant (Beware for the dog) peut être
paraphrasé comme suit dans un énoncé correspondant à une phrase déclarative avec un
verbe qui indique l’acte réalisé par l’énonciation (/avertir/) et qui est doté des

42
caractéristiques grammaticales mentionnée par Austin : Je vous avertis qu’il y a ici un chien
méchant.
❖ Cette dernière constatation a amené Austin à se poser la question de l’existence des
énonciations constatives. Celle-ci ne seraient-elles pas que des énonciations performatives
primaires paraphrasables sous formes d’énonciations performatives explicites ? Austin
répond par l’affirmative, car il constate qu’une énonciation constative du genre :
La terre est ronde
est parfaitement explicitable par une énonciation performative explicite où l’acte accompli
est /affirmer/ :
J’affirme que la terre est ronde.
En effet, l’affirmation comme tout acte crée une nouvelle réalité : l’engagement personnel
du locuteur vis-à-vis de ce qu’il affirme et la demande d’adhésion à ce qui est affirmé
adressée implicitement à l’allocutaire. Nous savons tous qu’on peut être puni ou
récompensé à cause ou grâce à de simples affirmations publiques.
❖ Donc, ce que nous croyons être des énonciations constatives ne sont en fait que des
énonciations performatives primaires et, dans le langage ordinaire, il n’existe, par
conséquent, que des énonciations performatives, soit explicites, soit primaires. L’activité
de langage est dominée par la logique de l’efficacité (échec/ réussite) et non par la logique
de la vérité (vrai/faux). Dire, c’est faire dans le langage ordinaire et les philosophes se
trompent quand ils analysent une affirmation comme étant une description d’une réalité
antérieure, ce qui les fait tomber dans l’« illusion descriptive ». Une affirmation est tout
aussi bien un acte comme l’est l’avertissement, la promesse ou l’ordre.

D- les actes de discours


❖ Austin constate cependant que la conclusion sur laquelle il débouche dans sa
démonstration visant à généraliser le caractère performatif à l’ensemble de l’activité
ordinaire du langage est tout aussi excessive que l’est l’idée que le langage a pour unique
fonction de décrire la réalité. En effet, cette conclusion ne tient pas compte du fait que,
dans la vie quotidienne, le langage sert aussi à dire des choses vraies ou fausses sur le
monde, et que le caractère descriptif de l’énonciation ne doit pas être écarté totalement.
❖ Austin est amené donc à construire un nouveau cadre conceptuel qui peut tenir compte du
fait que, à part les exemples que cite le grammairien peut illustrer les règles linguistiques,
tous les énoncés, en tant qu’ils font l’objet d’une énonciation dans des circonstances
précises, sont des actes efficaces ou inefficaces, tout en ayant un caractère descriptif qui
peut être vrai ou faux. Prenons les deux énonciations suivantes :
➢ Je te promets de venir.
➢ Il est venu hier.
La première, quand les circonstances de l’énonciation sont appropriées, réalise l’acte de
/promettre/ qui, en tant qu’acte, dépend des conditions d’efficacité. En même temps,
l’énoncé produit décrit la venue future du locuteur, autrement dit, il véhicule le propos
suivant : /moi venir plus tard/. En cela, il peut être vrai ou faux. Le second énoncé décrit

43
clairement une réalité antérieure à l’énonciation et peut donc être vrai ou faux mais en
même temps, quand les circonstances sont adéquates, son énonciation accomplit l’acte
d’affirmation et peut par conséquent réussir ou échouer.
❖ Donc, chaque énonciation possède un aspect performatif (= acte accompli par
l’énonciation) et un aspect constatif qui correspond au contenu propositionnel véhiculé par
l’énoncé et qui décrit un état de choses (passé, présent ou futur). Par exemple, les trois
énonciations performatives primaires suivantes sont différentes quant à l’acte accompli
(/affirmer/, /ordonner/, /demander/) mais véhiculent le même aspect constatif : les trois
parlent de la venue future de l’interlocuteur :
➢ Tu viendras.
➢ Viens !
➢ Viendras-tu ?
❖ Toutes les énonciations sont donc à la fois performatives et constatives et la différence
entre elles réside dans le fait que certaines mettent en avant leur aspect constatif comme
dans l’énonciation :
➢ La terre est ronde.
Alors que dans d’autres, c’est l’aspect performatif qui est accentué comme dans les
énonciations performatives explicites :
➢ Je baptise ce vaisseau le Queen Elisabeth.
Austin propose donc de remplacer l’opposition entre énonciation constative et énonciation
performative (primaire et explicite) par un concept plus englobant : l’acte de discours (=
acte fait avec le langage et non avec le corps). Ainsi, étant donné que dire, c’est faire,
énoncer dans une certaine situation, la phrase exclamative :
➢ Bonne année !
Revient à réaliser trois actes de discours différents et simultanés :
1. Un acte locutoire dans la mesure où, comme pour toute énonciation, j’ai dû accomplir
une activité phonétique (articulation des phonèmes, intonation, etc.), une activité
grammaticale (le choix de la structure grammaticale de l’énoncé : au lieu de dire je
vous souhaite une bonne année, j’ai choisi la formulation Bonne année !), et une
activité d’ordre sémantique (la proposition sous-jacente à mon énoncé et qui peut être
vraie ou fausse). Ces trois activités qui constituent l’acte locutoire sont dénommées
respectivement par Austin : acte phonétique, acte phatique et acte rhétique. Il précise
que l’acte locutoire est présent dans toute énonciation et, dans la mesure où il est
indépendant de la situation d’énonciation, chaque fois qu’un énoncé est formulé, même
un exemple de grammaire, l’acte locutoire est réalisé. Cet acte crée donc une nouvelle
réalité (c’est pour cela qu’il est dit « acte »), c’est l’énoncé lui-même : l’énoncé
n’existait pas ; il existe dorénavant. Notons que l’acte rhétique subsume l’aspect
constatif de toute énonciation.
2. Un acte illocutoire (le préfixe ill- indique qu’il s’agit d’une activité inhérente à
l’énonciation) qui crée de nouveaux rapports intersubjectifs entre le locuteur et ses
interlocuteurs. Par exemple, dans notre cas, les conventions sociales mettent mon
interlocuteur dans l’obligation de réagir à mon énonciation en me remerciant, etc. (il

44
peut bien sûr ne rien dire, mais le silence est aussi une réaction qui sera cataloguée
socialement comme « impolitesse ») Cette obligation de réagir à mon dire n’existait
pas auparavant pour lui ; elle a été créée par mon énonciation. L’acte illocutoire est
donc la détermination par l’énonciation de nouveaux rapports intersubjectifs entre les
interlocuteurs et ces rapports sont liés aux conventions socioculturelles. L’acte
illocutoire accompli par l’énonciation peut toujours être montré par l’énonciation
performative explicite qui manifeste clairement la nature de l’acte illocutoire accompli,
ici le souhait :
➢ Bonne année !
➢ Que dis-tu ?
➢ Je te souhaite une bonne année.
➢ Merci, mais le futur s’annonce sombre…
Dans cet échange verbal banal, on voit comment se trouve explicitée par paraphrase la
nature de l’acte réalisé par l’énonciation. Avec l’acte illocutoire, l’énonciation produit
un effet direct (les nouveaux rapports intersubjectifs) sur l’interlocuteur en disant
quelque chose : il s’agit de faire quelque chose, en disant quelque chose ; c’est l’aspect
performatif de l’énonciation.
3. Un acte perlocutoire (le préfixe per- signifie que l’acte en question est une
conséquence de l’énonciation ou réalisé par elle) qui correspond à l’effet second
produit par l’énonciation ou à la visée liée à l’énonciation (l’effet que le locuteur veut
produire sur son interlocuteur). En effet, en disant « Bonne année » je peux viser des
résultats très différents : lier connaissance avec mon interlocuteur, le provoquer, le faire
rire…L’acte perlocutoire consiste donc en la production d’un effet par le fait de dire
quelque chose. La nouvelle réalité qu’il crée est constituée par l’effet qu’a l’énonciation
sur l’interlocuteur.
❖ Pour Austin donc, chaque énonciation consiste en l’accomplissement de trois actes de
discours simultanés, et donc réaliser un acte locutoire en produisant un énoncé qui, une
fois proféré dans une situation particulière, implique nécessairement la création de
nouveaux rapports intersubjectifs entre les interlocuteurs, permet aussi la réalisation d’un
troisième acte dit perlocutoire. En effet, dire quelque chose dans certaines circonstances
impliquera nécessairement certains effets sur les sentiments, les pensées ou les actes de
l’interlocuteur et le locuteur peut justement viser à les susciter par le fait de dire quelque
chose.
❖ Austin propose le test de réécriture suivant (il s’agit de rapporter en discours indirect les
paroles ainsi que les actes qu’elles impliquent) pour bien distinguer entre l’acte illocutoire
et l’acte perlocutoire (x = énoncé ; y = acte illocutoire ou perlocutoire accompli) :
✓ L’acte illocutoire : « En disant x, je faisais (ou j’ai fait) y » = faire quelque chose en
disant quelque chose ;
✓ L’acte perlocutoire : « Par le fait de dire x, je faisais (ou j’ai fait) y » = Faire quelque
chose par le fait de dire quelque chose.
Par exemple, en disant à quelqu’un qui m’a énervé : « Espèce de con ! », tout le monde
dira que je l’ai insulté. Mon énonciation a donc réalisé l’acte socialement reconnu comme

45
/insulter/. S’agit-il d’un acte illocutoire ou d’un acte perlocutoire ? Appliquons le test
paraphrastique : « En disant ‘espèce de con !’, j’ai fait une affirmation » ; l’acte illocutoire
est donc /affirmer/ : J’affirme que tu es un (une espèce de) con. Quant à l’acte perlocutoire,
il correspond à l’effet que je veux produire sur mon interlocuteur et qui peut se réaliser ou
non (je l’ai insulté, mais il m’a ignoré) : « Par le fait de dire ‘espèce de con ! ‘, je l’ai
insulté». De toutes façons, on ne peut pas paraphraser « Espèce de con ! » par une
énonciation performative explicite qui explicitera l’acte d’/insulter/ : *je t’insulte comme
espèce de con est un énoncé non acceptable en français.
❖ Pour récapituler, toute énonciation située dans circonstances particulières (les
interlocuteurs et leurs positions sociales, le lieu et le moment de l’énonciation) accomplit
simultanément trois actes de discours :
✓ Un acte locutoire (subsumant trois actes différents : phonétique, phatique et rhétique)
qui crée l’énoncé avec une certaine intonation, une certaine structure grammaticale et
un certain sens (la proposition véhiculée) et une certaine référence (l’état de choses
auquel renvoie la proposition et qui fait qu’elle soit jugée comme vraie ou comme
fausse) ;
✓ Un acte illocutoire, dans la mesure où le fait de dire quelque chose a toujours une
certaine valeur socioculturelle et détermine les rapports intersubjectifs entre les
interlocuteurs : c’est l’aspect performatif de l’énonciation : faire en disant ;
✓ Un acte perlocutoire qui, par l’énonciation, crée des effets sur les interlocuteurs et ces
effets peuvent être voulus par le locuteur ou être imprévisibles : je veux souhaiter une
bonne année à quelqu’un pour lui monter qu’il m’est cher mais il est agacé et me répond
qu’il ne considère pas que la nouvelle année sera bonne !
❖ Donc, si l’acte locutoire est lié aux conventions linguistiques et l’acte illocutoire aux
conventions socioculturelles, l’acte perlocutoire n’est pas conventionnel et relève de
variables psychologiques déterminées par l’énonciation et qui sont parfois imprévisibles.
En assistant à un échange verbal entre deux personnes de ma culture société que je ne
connais pas, je peux dire quel actes locutoires et illocutoires sont accomplis mais pas quels
actes perlocutoires, dans la mesure où les effets peuvent ne pas être extériorisés et les
intentions du locuteur sont par définition hors de ma connaissance directe.

46
E. Taxinomie des actes illocutoires
❖ En formulant l’opposition entre énonciation performative explicite et énonciation
performative primaire, Austin avait pensé à la possibilité d’une taxinomie (= classement
raisonné ou justifié) des « verbes performatifs », à savoir les verbes qui, dans une langue
donnée, désignent clairement l’acte accompli par l’énonciation en faisant partie de la phrase
déclarative réalisée par l’énonciation performative explicite en étant doté des quatre
caractéristiques grammaticales que sont la première personne, le temps présent, le mode
indicatif et la voix active. Par exemple, « affirmer » est un verbe performatif car il peut
figurer dans la phrase qui manifeste une énonciation performative explicite :
J’affirme que la terre est ronde
Alors que le verbe « insulter » n’est pas un verbe performatif dans la mesure où, en français,
on ne peut pas dire :
*Je t’insulte comme espèce de con.
Austin s’était dit qu’il serait facile à partir de là de faire la taxinomie de tous les « verbes
performatifs » que contient une langue, c’est-à-dire des verbes qui, du point de vue du sens,
indiquent l’acte accompli par l’énonciation et qui, du point de vue de la forme, sont dotés
des quatre caractéristiques formelles au sein de la phrase déclarative réalisée par
l’énonciation performative explicite.
Arrivé à ce stade de sa démonstration, Austin pense qu’avec la mise au jour du concept
plus général d’acte de discours, ce qu’il faut établir, c’est plutôt une taxinomie des actes
illocutoires. En effet, les actes locutoires producteurs de l’énoncé relèvent des conventions
linguistiques et donc des classes grammaticales, sémantiques et rhétoriques d’une langue
donnée ; les actes perlocutoires, puisqu’ils correspondent à des effets psychologiques
variables et parfois imprévisibles, ne peuvent relever d’aucune taxinomie valable. Seuls les
actes illocutoires peuvent faire l’objet d’une taxinomie basée sur des traits pragmatiques (=
usage inhérent : faire en disant) car ils appartiennent aux conventions socioculturelles liées
aux aspects psychosocial et sémiotique de la communication langagière dans une société
donnée : qui a le droit de dire telle chose ? à qui ? Quand ? Où ? etc., ce que Austin appelle
les « circonstances appropriées » à l’énonciation.
❖ Austin va dégager, à partir de son classement, cinq types d’actes illocutoires. Pour lui,
chaque type subsume une classe de « valeurs illocutoires » (= valeur que prend
l’énonciation, selon les conventions socioculturelles, en créant de nouveaux rapports
intersubjectifs) manifestées sous forme de « verbes performatifs » :
Sens : valeur illocutoire (création de nouveaux
rapports intersubjectifs)
Acte (de discours) illocutoire

Forme : verbe performatif doté des 4 traits formels


❖ Austin note cependant que son classement n’a pas un caractère définitif et qu’il est par
certains aspects insatisfaisant car, comme, on le verra, un même verbe peut relever, selon
les circonstances de l’énonciation, de deux classes à la fois. Donc, la taxinomie qu’il nous
présente est plutôt un premier essai qu’un classement définitif :

47
1. Actes illocutoires « verdictifs » : Ce type d’acte illocutoire est caractérisé par le fait
qu’un « verdict » est énoncé par un locuteur qui a le droit de le faire, autrement,
l’énonciation est inefficace : un jury, un arbitre, un juge, … :
✓ Nous déclarons, après examen, que X est digne du grade de docteur ès Lettres.
✓ Pénalty ! (énonciation performative primaire que l’arbitre assistant peut
formuler dans les écouteurs de l’arbitre central lors d’un match de football,
paraphrasable comme : Je juge que c’est un pénalty)
✓ Nous condamnons X à six mois de prison ferme.
Les actes illocutoires verdictifs peuvent aussi se formuler comme une estimation ou une
évaluation :
✓ J’estime que l’élève X a fait beaucoup de progrès dans ses études.
✓ Je comprends ta colère.
Ces actes illocutoires se réalisent clairement dans des situations d’énonciation très
formelles (tribunal, soutenance de thèse, …) et leur efficacité dépend dans ce cas de la
qualification socioculturelle du locuteur : de son rôle et son statut sociaux, ainsi que du
lieu et du moment où il parle et à qui il s’adresse. On les trouve aussi, comme le montrent
les exemples donnés, dans les situations informelles de la vie quotidienne : un enseignant
qui parle de son élève, quelqu’un qui s’adresse à son ami, etc. Le locuteur est toujours
doté d’un certain degré de domination (permanent ou momentané) par rapport à son
interlocuteur, ce qui l’autorise à émettre son verdict.
2. Actes illocutoires « exercitifs » : Ce type d’acte illocutoire renvoie à « l’exercice » de
pouvoirs, de droits ou d’influences. Si dans le cas des actes illocutoires verdictifs, le
locuteur se prononce sue ce qui est (l’état de choses présent), dans les exercitifs il s’agit
plutôt de préconiser ce qui devrait être (état de choses futur). Il s’agit donc d’un
jugement qui porte sur ce qui devrait être que sur ce qui est :
✓ Nous nommons X professeur titulaire.
✓ J’ordonne la libération immédiate de X.
✓ Je proclame X vainqueur du combat.
A côté de ces énonciations formelles qui dépendant de la qualification socioculturelle du
locuteur et du lieu et du moment de l’énonciation, nous avons des cas qui relèvent plutôt de
la communication quotidienne :
✓ Je dédie ce mémoire à mes parents.
✓ Je sollicite ton amitié car j’ai besoin d’être aidé.
✓ Je te conseille de partir.
3. Actes illocutoire « promissifs » : Cette classe d’actes illocutoires est caractérisée par le
fait que l’on promet ou, plus généralement, que l’on prend en charge quelque chose. Les
actes illocutoires de ce type engagent donc le locuteur à une action future. Ils l’obligent
à adopter une certaine conduite à la suite de son énonciation. Ici, ce sont les intentions
et les sentiments du locuteur ainsi que la conduite postérieure à son énonciation qui
déterminent l’échec ou la réussite de ces actes :
✓ Je te promets de te rester fidèle toute ma vie.
✓ Je te parie un million qu’il se mariera l’année prochaine.

48
✓ Nous nous déclarons en faveur de la motion de censure.
✓ Je m’engage à t’aider dans ton entreprise.
4- Actes illocutoires « comportatifs » : Cette classe a trait aux attitudes vis-à-vis des autres
et au comportement social. Il s’agit donc de la réaction, socialement établie, à la conduite et
au sort d’autrui. Il s’agit de formules plus ou moins figées qui relèvent du domaine rituel ou
formel de l’activité de langage. Par exemple, le « Oui, je le veux » de la cérémonie du mariage
relève de cette classe, de même que les énonciations suivantes :
✓ Je m’excuse de te déranger
✓ Merci ! (= Je te remercie pour le cadeau que tu m’as fait).
✓ Je te présente mes condoléances pour la perte de ton chat.
✓ Je te félicite pour ton nouveau travail
✓ Je désapprouve ton attitude.
Il s’agit d’énonciations relevant de cette zone de l’activité de langage, généralement désignée
comme « hypocrisie sociale » que le Misanthrope de Molière condamnait catégoriquement
sans se rendre compte qu’elle est indispensable à l’établissement des rapports intersubjectifs
au sein de la société. Ici, la réussite ou l’échec de l’acte illocutoire sont déterminés par le
choix des formules appropriées ou non aux circonstances de l’énonciation : « on ne parle pas
de corde dans la maison d’un pendu », comme l’affirme la sagesse populaire.
5- Actes illocutoires « expositifs » : Cette dernière classe est difficile à cerner, comme l’avoue
Austin lui-même. Cependant, il ne soutient que les verbes performatifs qui manifestent ce
type d’actes illocutoires permettent l’exposition d’un point de vue, d’une opinion. Il s’agit
d’expliquer sa façon de voir, de conduire une argumentation, de clarifier le sens des
expressions utilisées, etc. :
✓ J’affirme que la terre est plate.
✓ Je remarque que tu es toujours en retard.
✓ Je concède que le parti X a bien mené sa compagne électorale.
✓ Je te signifie que tu n’es pas le bienvenu ici.
✓ Je soutiens fermement que Maradona est le meilleur.
Comme pour les comportatifs, c’est le choix des formules qui détermine l’efficacité de ce
type d’énonciation : par exemple, à la première énonciation, l’interlocuteur peut rétorquer : «
Ne sois pas si tranchant, la terre peut aussi être ronde », etc. Cela explique aussi le fait que
certaines formulations sont généralement rejetées dans des exposés de nature académique :
on préfère l’usage du « nous » à la place du « je » ou encore le recours à des atténuations
comme « il semble que… », etc. Si les comportatifs relèvent de l’« hypocrisie sociale », on
peut dire que les expositifs sont le lieu de l’émergence d’une « hypocrisie cognitive » qui rend
moins conflictuels les rapports intersubjectifs entre les participants à l’activité de langage
qu’est le débat d’idées ou la discussion.
La taxinomie d’Austin a été reprise plusieurs fois aussi bien par des philosophes que par des
linguistes sans déboucher sur quelque chose d’indiscutable, comme l’est le cas dans le
domaine des classifications des sciences naturelles. Et cela est compréhensible, car l’activité
de langage est instable par nature et vouloir la stabiliser à tout prix, comme on le fait parfois,
conduit à des excès indéfendables aussi bien chez les linguistes que chez les philosophes.

49
A propos de l’examen de pragmatique

L’examen aura la forme d’une épreuve écrite qui durera une


heure. Il s’agit de contrôler l’assimilation par les étudiants des
concepts mis au jour et étudiés le long des séances qui ont
constitué le cours. TOUT ce qui a été enseigné peut faire l’objet
de l’examen.
L’épreuve consistera en une ou deux questions et les étudiants
sont appelés à y répondre en évitant le bavardage hors-sujet (la
réponse à chaque question peut se formuler en une vingtaine de
lignes). Il faut aussi soigner la rédaction en respectant la
construction des phrases, la ponctuation et l’orthographe.
Le corrigé de l’épreuve d’examen sera mis en ligne
ultérieurement.
Bonne chance à tous.

50
Ecoles et tendances linguistiques
Semestre 5 – Option Linguistique
Mise en page de : Nasreddine YACOUBI

Plan du cours

❑ La linguistique : Aperçu historique.


❑ Le structuralisme.
❑ Le distributionnalisme.
❑ Le générativisme.
❑ Le fonctionnalisme.

Prof : Mme Belhoucine


Année universitaire : 2020-2021

51
La linguistique : Aperçu historique

52
La linguistique : Aperçu historique

La linguistique générale peut être appelée « linguistique moderne », car c’est une science
récente, elle ne date que de la première moitié du XXème siècle. Le mot « linguistique »
n’existe qu’à partir du XXème siècle. D’une façon générale, le statut de la linguistique comme
étude scientifique du langage a été donné à partir de la publication en 1916, du cours de
Linguistique générale de Ferdinand De Saussure. A partir de cette date, toute étude
linguistique sera définie comme apparue avant ou après Saussure.
Dès l’Antiquité, les hommes se sont intéressés au langage et ont rassemblé un énorme
héritage (observations et explications importantes).

A- La grammaire Antique :
Il est très difficile de parler d’un commencement de la linguistique.

1. Les Indiens, hindous = population de l’Inde.


a. Les anciens Indiens étudiaient leur langue pour des raisons religieuses. Ils s’intéressent à
l’interprétation des textes anciens où on y retrouve les rites (les textes homériques → cf. 1-
2 Le Véda). En étudiant ces textes anciens, on constate l’évolution de la langue. En se
laïcisant, ce travail donne naissance à la philologie (cf. note).
La valorisation du texte ancien bloque l’évolution de la langue, une résistance au
changement s’opère, d’où l’apparition d’une attitude : le purisme.
Remarque : Il était très important pour les hindous, que les textes sacrés, réunis dans le
Véda ne subissent aucune modification au moment où ils étaient chantés pendant les
sacrifices, pour pouvoir les garder dans leur pureté première.
Notes :
1. Homère : Poète grec épique, auteur de l’Iliade et l’Odyssée. Ses vers ont été enseignés
pendant des siècles.
2. Véda : Livres sacrés, en langue sanscrite, au nombre de 4. Ce sont des recueils de prières,
d’hymnes, se rapportant au sacrifice et à l’entretient du feu sacré.
b. Par la suite, les grammairiens indiens fuient les plus anciennes réflexions et observations
sur leur langue : emploi des mots, leur description phonétique et grammaticale ; etc. Ils font
ainsi un travail admirable et précis, le plus célèbre est Panini (vers le IVème S. Avant J.C).
c. Longtemps oubliées, ces descriptions ont été découvertes par les savants occidentaux, à
la fin du 18ème siècle, et ont permis la création de la grammaire comparée. Il faut cependant
relever qu’il s’agit d’études faites sur le sanscrit qui se limitaient à simplement classer les
faits, sans chercher d’explications, autrement dit, ce sont des études statiques, sans
explications historiques ou autres.
53
2. Les Grecs :
a. Les Grecs n’ont laissé aucune description de leur langue (contrairement aux Indiens). On
n’a pas de renseignements sur les populations avec lesquelles ils ont été en contact.
Hérodote a beaucoup voyagé dans de nombreux pays, mais il n’a écrit aucun renseignement
sur la langue de leurs habitants.
Remarque : Les Hellènes avaient un complexe de supériorité intellectuelle ; ils méprisaient
les langues étrangères qu’ils n’étudiaient que pour des raisons pratiques. Ils donnaient le
nom de « barbare » à toutes ces langues étrangères qu’ils ne comprenaient pas et qu’ils
comparaient à « babil » qui signifie le gazouillis des oiseaux (valeur péjorative).

b. Les Grecs ont donc complétement négligé les idiomes « barbares », mais par contre ils
ont étudié avec une grande importance leur langue sur le plan esthétique (les procédés de
style) et sur le plan philosophique (adéquation du langage à la pensée) : le problème était
de définir les rapports entre la notion et le mot qui le désigne (question débattue chez les
sophistes et les philosophes antiques). Tous les chercheurs chercheront à savoir si le langage
a été crée par la nature ou à la suite d’une convention, autrement dit, est ce qu’il y a un
rapport entre les mots et leur signification, entre le signifiant et le signifié ?

c. La civilisation grecque ne dissocie pas le langage de la pensée. Sa réflexion sur le langage


l’amène à développer et distinguer deux approches très différentes du langage :
❖ Le point de vue rhétorique : lié à la naissance de la sophistique (Rhétorique d’Aristote).
Les sophistes sont les techniciens de la parole (persuasion politique).
❖ Le point de vue logique : Peu a peu va se dégager une réflexion grammaticale (grammaire
des Alexandrins).
d. Les grammairiens grecs ont donc laissé deux grands débats (à partir du 2ème s. avant J.C)
de philosophie du langage qui ont traversé toute la culture occidentale :
❖ D’un côté les analogistes : comme Aristote, ils pensent que les rapports entre les signes et
ce qu’ils désignent est conventionnel, immotivé.
Pour eux, la langue est principalement régulière et exceptionnellement irrégulière (Vs
anomalistes). Donc les analogistes ont établi des modèles (« paradigmes ») selon lesquels
les mots peuvent être classés, et ils corrigeaient toutes les irrégularités, de façon à ce
qu’ils suivent ces « moules » (ils obtenaient ainsi des listes de mots « réguliers »).
Ainsi, les analogistes pensent que la structure de la langue est régulière et elle peut donc
faire l’objet d’une science. Les recherches des analogistes ont beaucoup contribué à
l’établissement de la grammaire (Aristote).
❖ D’un autre côté, les « anomalistes » pensent que la relation entre les mots et la réalité est
naturelle. Contrairement aux analogistes, ils insistent sur l’importance des irrégularités
dans la langue grecque.

54
« Pour eux, la langue n’est pas le produit d’une convention humaine, source de régularités,
mais plutôt de la nature ». (J. Dubois, Dictionnaire de Linguistique, p.35).
❖ Revenons aux analogistes, plus particulièrement à Aristote. Le mérite d’Aristote ne s’arrête
pas à l’aspect « conventionnel » de la langue, mais va au-delà. En effet, ses recherches sur
le langage le mènent à la constitution de la grammaire. Aristote est le premier à avoir fait
une analyse précise de la structure linguistique : théorie de la phrase, distinction des parties
du discours, énumération des catégories grammaticales, etc…
❖ Les Alexandrins (qui sont les grammairiens de la ville d’Alexandrie au III ème s.av.J.C) ont
développé et perfectionné les théories grammaticales. Parmi eux Denys de Thrace est
devenu le modèle auquel on se réfère pendant des siècles, il écrit la première grammaire
où il distingue les parties du discours : verbe/pronom/etc.
Chez les Alexandrins, l’intérêt pour la langue est subordonné à un intérêt philologique :
rendre lisible les textes littéraires prestigieux, les œuvres d’Homère, surtout dont la
langue était de plus en plus éloignée du grec pratique au IIème et IIIème siècle.

Conclusion :
Pour les Grecs, la grammaire a dès le début fait partie de la philosophie, c à d de l’étude
générale de l’univers et des institutions sociales : les philosophes grecs se demandaient si la
langue était régie par la nature ou par la convention. Cette opposition nature/convention
constituait un lien commun de la philosophie grecque. Donc deux doctrines mènent à des
querelles : les analogistes → doctrine normative(conventionnelle)/aux anomalistes qui
semblent être des lettrés voulant respecter l’usage.
3. Les Latins : (période romaine, à Rome, à partir du IIème s.av.J.C.)
Les Latins, étant les élevés des Grecs, les ont suivis dans leurs travaux concernant les langues
étrangères. La structure du latin était assez proche de celle du grec. La grammaire grecque
privilégie la morphologie (c à d l’étude du mot considéré avec ses différentes désinences). Il
fallait que la langue latine suive le même chemin, c à d dispose de déclinaisons pour que le
passage du grec au latin se fasse facilement.
Remarque : Le grammairien latin le plus connu est Varron, qui a, mieux que les grecs montré
l’opposition aspectuelle dans le système du verbe ; son livre s’intitule De Linga Latina. Il y a
aussi Donat, Priscien, Cicéron : ce sont des auteurs de manuels d’enseignement du latin
classique qui seront utilisés jusqu’au 17ème siècle en Europe.

B. La grammaire médiévale : (Moyen-Age)


a. Le latin joue un rôle dominant dans l’éducation. C’était la langue universelle de la
diplomatie, de la culture, etc… C’était donc une langue étrangère qu’on devait apprendre à
l’école, avec beaucoup de manuels scolaires.
Remarque : Les traductions ne posaient pas de problèmes de rapport entre les langues, car
les Evangélisateurs considéraient les langues comme des instruments de propagande et non

55
pas d’études et réflexion : on a traduit la Bible en gothique, en arménien au Vème siècle, en
slave au IXème siècle, etc…

b. Les grammairiens médiévaux ont affiné la grammaire latine (Alexandre De Villedieu par
exemple, vers 1200). Ces améliorations vont être intégrées à ce qu’on appelle la grammaire
traditionnelle.

c. Par contre, le travail grammatical élaboré par Denys De Thrace reste inchangé (jusqu’à la
renaissance et bien au-delà). Mais dans l’étude de la grammaire (une des trois branches, à
côté de la rhétorique et de la logique) renaît la vielle opposition entre réalistes (→ les mots
ne sont que les reflets des idées) et nominalistes (ceux qui croient que les noms ont été
donnés arbitrairement aux choses).

d. C’est alors que des philosophes dits modistes considèrent que la grammaire est la même
dans toutes les langues. Pour eux, il existe une structure grammaticale unique et universelle
commune à toutes les langues, et que par conséquent les règles de grammaire sont
indépendantes des langages particuliers dans lesquels elles se trouvent.

e. Ces philosophes « modistes » s’intéressent aux modes de signification, aux principes


universels selon lesquels le signe linguistique est lié au monde et à l’esprit de l’homme. Pour
eux, « la langue est le miroir de la réalité » : l’essentiel de l’apport médiéval réside au
développement au 18ème siècle de cette théorie philosophique de la signification, qui
débouche sur cette grammaire spéculative (=la langue est le miroir de la réalité).
Remarque : Dante (poète et savant), en cette période médiévale, s’intéresse aux rapports
entre dialectes ; aux concepts de dialectes, de langue littéraire, de langue vulgaire.

C. La grammaire humaniste (17ème s – 18ème s Renaissance) :


A la Renaissance, il y a un double mouvement :
❖ On met à l’honneur le grec et le latin, et en même temps.
❖ On se met à étudier les langues vernaculaires propres à chaque pays. :
✓ On étudie le français, on cherche à montrer sa conformité avec le latin et le grec. (Cf. H.
Etienne, Traité de la conformité du langage français avec le grec, 1569).
✓ Il y a un intense mouvement philologique de restitution des textes antiques qui se
développe, favorisé par l’apparition de l’imprimerie.
En 1539, le français devient officiellement la langue de l’administration.
Vers 1530, apparaissent les premières grammaires françaises. Il y a aussi l’apparition des
dictionnaires polyglottes avec le développement des voyages, des échanges commerciaux,
etc…

56
D. La grammaire classique :
A partir du 17ème siècle se codifie progressivement la notion de « bon usage », avec le
développement d’une vie de Cour et de monarchie. Pour ces gens, « bien parler » c’est
connaitre un ensemble de conventions, un code, celui d’une élite sociale. Ce « bon usage »
prend pour référence les textes des écrivains du « classicisme1 » (enseignement du français)
❑ Richelieu (Dictionnaire) va fixer le bon usage du français.
Dans le domaine, proprement grammatical, l’ouvrage qui marque cette époque est « la
grammaire de Port-Royal (1660) » de A. Arnaud et Lancelot : étude des formes
grammaticales, théories des relations logiques qui fondent la langue.
Le langage est une représentation de la pensée par des signes : grammaire dite mentaliste.
Cette perspective va dominer jusqu’à la fin du 18ème siècle.
❑ Remarque :
Complétez votre cours en lisant :
John Lyons, Linguistique générale, introduction à la linguistique théorique, Larousse,
Paris, 1968. Chapitre 1, pp 5-42.

1
Classicisme : Doctrine des artistes qui à partir du 16è s. ont trouvé dans l’Antiquité gréco-romaine, leurs
sources d’inspiration et leurs exemples. Doctrine littéraire et artistique fondée sur le respect de la
tradition classique. Le classicisme s’oppose au romantisme.
Dans l’histoire littéraire de France, l’époque classique se limite à la période de Louis XIV : elle est illustrée
par Molière, La Fontaine, Racine, Boileau, Bossuet, La Bruyère. Ces écrivains, tout en gardant leur
originalité propre, ont des tendances communes 57 : Admiration des anciens, rigueur dans la composition,
recherche du naturel, pureté et clarté du style, etc… Les génération précédentes (Malherbe, Descartes,
Corneille, Pascal) avaient préparé cette période.
Au 18ème siècle, le gout classique se transforme avant de disparaitre.
Le structuralisme

Ferdinand De Saussure (1857-1913) a donné son nom à la « Linguistique moderne » en


Europe. Le cours de Linguistique générale a été élaboré par deux disciplines (étudiants)
de Saussure, Charles Bally et A. Sechehaye à partir des notes prises durant les trois cours
de linguistique générale, donnés par Saussure de 1906 à 1911, à Genève (Suisse). Ce
cours lui-même est le résultat de réflexions d’abord à l’Ecole des Hautes études (Paris),
puis en 1891 à l’Université de Genève.
La démarche de Saussure est à la fois « systémique et historique ». Les lignes directrices
de son cours se basent sur les concepts de système, de valeur et d’arbitraire du signe.

1. La linguistique est une science descriptive :


Pour Saussure, la grammaire traditionnelle est « normative », c à d elle vise
essentiellement à produire des règles pour ensuite parler de formes « correctes »
et formes « incorrectes ». Pour lui, elle n’est pas une discipline scientifique car elle se
limite à la pure observation.
Alors Saussure adopte un point de vue strictement descriptif qui exclut les jugements de
valeur : la linguistique décrit et cherche à comprendre, elle fait l’observation des faits et
s’intéresse au fonctionnement du système de la langue (Nous verrons plus loin que ce
sont ici des points communs avec la linguistique distributionnelle).
Nous venons d’aborder ici l’écart entre la grammaire traditionnelle et la linguistique.

2. La linguistique affirme la primauté de l’oral sur l’écrit :


Pour deux raisons majeures :
❖ La parole est plus ancienne et plus répandue que l’écriture (il y a des sociétés sans
écriture).
❖ L’enfant apprend à parler avant d’écrire.

3. La linguistique fait partie de la science générale des


systèmes de signes ou sémiologie.
Saussure définit la langue comme une institution sociale et de là, envisage une « science »
qui étudie « la vie des signes au sein de la vie sociale », c à d la Sémiologie. La linguistique
fait partie de cette science.
❖ Le langage est défini comme la faculté naturelle de communiquer.
❖ La langue est le produit collectif des communautés linguistiques, un système de signes
qui permet l’expression et la transmission de chaque expérience humaine possible.

58
Pour cela, Saussure note que la langue est le plus grand système de signes et elle intervient
comme composante ou relais dans tous les systèmes de signes. Cette dominance de la
langue est si grande que la linguistique peut devenir le « patron général de toute
sémiologie », bien que la langue ne soit qu’un système particulier.

4. La linguistique : ses tâches :


La linguistique doit faire la description et l’histoire de toutes les langues (synchronie
/diachronie). Elle doit dégager les lois générales à partir de la diversité des langues.

5. Les concepts fondamentaux du cours :


a. Synchronie / diachronie :
✓ La synchronie désigne un état de langue considéré dans son fonctionnement à un
moment donné du temps.
✓ La diachronie est une phase d’évolution de la langue ; « à chaque instant, le langage
implique à la fois un système établi et une évolution ». (Cf. C.L.G.p24).
Il y a une différence de points de vue, selon le travail des linguistes :
o Soit, je décris les rapports entre les éléments simultanés (point de vue
synchronique).
o Soit, je décris les éléments dans leur successivité, j’essaie d’expliquer les
changements survenus dans la langue.
D’abord Saussure, ensuite la linguistique structurale ont privilégié (ont donné la
primauté) au point de vue synchronique pour rompre avec la grammaire comparée.
Mais,
➢ Ils considèrent que la diachronie est une succession de synchronies.
➢ Ils donnent la primauté à la synchronie par rapport à la diachronie, car pour eux, on n’a
pas besoin de connaitre l’histoire d’une langue pour l’apprendre. En plus, on ne peut
pas faire une étude diachronique sans passer par une étude synchronique.
b. Langue / Parole :
La langue est l’objet de la linguistique. Le langage est une faculté naturelle.
o La langue est un produit social, une convention adoptée par les membres d’une
communauté linguistique. C’est un pur objet social, un ensemble systématique
de convention indispensables à la communication.
o La parole est un acte individuel, puisque les combinaisons de signes
linguistiques dépendent de la volonté des locuteurs.
Donc, la langue : acte social, virtuel,
et la parole : acte individuel, réalisé, liberté, choix, créations.
o La langue est un système grammatical et lexical, elle existe virtuellement dans
chaque cerveau, opposée à la parole qui réalise cette virtualité.
La distinction entre langue (comme forme) et la parole (comme réalisation de suites
de sons doués de sens) a donné la définition :

59
« La langue est un système de signes et de valeurs » (Saussure)
« La langue est considérée comme un système en ce sens qu’à un niveau donné
(phonème, morphème, syntagme) ou dans une classe donnée, il existe entre les
termes un ensemble de relations qui les lies les uns par rapport aux autres, si bien
que si l’un des termes est modifié, l’équilibre du système est affecté. »
(Jean Dubois, Dictionnaire de linguistique, p481)
NB : Certains linguistes ont donné le nom de code (langue) /message (parole).
c. Signe / valeur / système :
Saussure écrit dans son cours : « la langue est un système de signes ». Comment
définit-il le signe ?
D’après Saussure, le signe linguistique est une entité double : il ne rassemble pas une
chose et un nom, mais un « concept » et une « image acoustique ».
Le signe est comparé au recto-verso d’une feuille, prenons l’exemple de « table » ;
le signe « table » comporte deux éléments inséparables : le concept, l’idée de table
d’une part, et d’autre part, la représentation des sons qui constituent « table ».
Saussure parle de « signifiant » et de « signifié », qui sont toutes deux des faces
psychiques. Il précise que l’image acoustique n’est pas le son matériel mais
l’empreinte psychique de ce son. Le signe est donc une entité psychique à deux faces,
la combinaison indissociable, à l’intérieur du cerveau humain du signifié et du
signifiant.
Le signe linguistique présente trois caractéristiques essentielles :
i. L’arbitraire du signe :
Le lien qui unit le lien le signifiant et le signifié est arbitraire (ou encore immotivé)
autrement dit, il n’y a pas de lien, pas de rapport entre la suite de sons « table » et
l’idée « table ». Cette idée de « table » peut être représentée par des signifiants
différents dans d’autres langues (Rq : Benveniste dit que le signe est nécessaire).
ii. Caractère linéaire du signifiant :
Le signifiant est une suite de sons qui se présentent les uns après les autres formant
la chaine parlée, d’où une structure linéaire (analysable et quantifiable), c à d qu’on
ne peut pas prononcer deux éléments à la fois.
Ces combinaisons d’unités successives, Saussure les appelle « syntagmes ». Le
syntagme se compose de deux ou plusieurs unités consécutives.
En plus des rapports « syntagmatiques », les termes d’une langue ont aussi entre eux
des « rapports associatifs », c à d, que s’établissent, dans le cerveau du locuteur, des
rapprochements entre les mots.

60
Exemples :
o « refermer » est lié à « enfermer » (même radical).
o « armement » et « changement » ont le même suffixe.
o « éducation » et « apprentissage » sont voisins par le sens.
Ces rapports sont appelés « paradigmatiques », le terme « paradigme » désigne
l’ensemble des unités entretenant entre elles un rapport virtuel de substitutions.
→ Donc chaque unité linguistique se trouve située sur les deux axes qui ordonnent
le mécanisme de la langue.
iii. Immutabilité et mutabilité du signe.
(Cf. Jean Dubois Dictionnaire de Linguistique)
➢ Immutabilité : La langue est un moyen de communication. Les signes sont
stables et ce, pour plusieurs raisons : Le caractère arbitraire du signe, le caractère
très complexe du système de la langue, la résistance de la collectivité à toute
innovation linguistique, la multitude des signes rendent impossible toute
tentative de modifier délibérément les signes. Le signe est arbitraire et
conventionnel.
➢ Mutabilité : Le système complexe de la langue est en même temps changeable
par l’altération qui est assurée par le temps, nécessaire pour le développement et
la continuité de la langue.
Le terme « structuralisme » s’applique selon les personnes et les moments, à toutes les écoles
linguistiques assez différentes. Elles ont en commun un certain nombre de conceptions et de
méthodes qui appliquent la définition de structures en linguistique.

6. Le structuralisme pose d’abord le principe d’immanence :


La linguistique se limite à l’étude des énoncés réalisés (corpus) et tente de définir leur
structure. En revanche, tout ce qui touche à l’énonciation (sujet, situation) est laissé de coté
(sauf pour générativisme). Ils fondent tous la linguistique sur l’étude des énoncés réalisés.

7. L’unité linguistique est une valeur :


Elle est comparée par Saussure à un objet ou une pièce de monnaie qui ont une valeur. (Cf.
C.L.G2)

8. Pour les structuralistes, leur théorie repose sur une


distinction entre forme et substance :
(Contenu vs expression) ; une langue est considérée comme une hiérarchie de structures
formelles associant l’ensemble des sons (forme) à l’ensemble des idées (substance).

2
Consultez le C.L.G de Saussure pour plus d’explications.
61
Conclusion :
L’étiquette « linguistique structurale » ou « structuralisme » recouvre diverses théories qui
ont en commun de faire l’hypothèse qu’une langue se définit par sa ou ses structures. Ces
théories se sont développées en parallèle : Bloomfield et Harris aux Etats unis ; Saussure,
Hjelmslev, Troubetzkoy en Europe, dans la première moitié du XXème siècle.
Retenons aussi que le trait le plus marqué de la linguistique moderne, c’est le
« structuralisme » : ce terme signifie que toute langue est considérée comme un système de
relations, c.à.d. un ensemble de systèmes reliés les uns aux autres, dont les éléments (sons,
mots, etc. …) n’ont aucune valeur indépendamment des relations d’équivalence et
d’opposition qui les relient. Pour Saussure, toute langue constitue un système intégré de
relations :

Système / relation Synchronie / diachronie.

Remarque :
Consultez le C.L.G. de Saussure pour plus d’explications.

62
Le distributionnalisme

Le distributionnalisme est un courant linguistique qui est apparu aux états unis vers 1930, au
moment où en Europe se constitue la phonologie, liée à la diffusion de la pensée de Saussure.
❑ Les similitudes entre le distributionnalisme et les courants européens permettent de les
regrouper comme étant autant de variantes du structuralisme. Donc au moment où
Saussure commence à peine à être connu en Europe, l’américain Bloomfield propose de
façon indépendante une théorie générale du langage, le distributionnalisme, qui a dominé
la linguistique américaine jusqu’à 1950.
❑ Les différences sont dues aux conditions de développement différentes. Autrement dit,
en Europe, la linguistique est la réflexion théorique à partir de l’étude de langues bien
connues, anciennes ou modernes ; Saussure est le spécialiste de l’Indo-Européen (C.L.G).
Par contre, la linguistique américaine s’intéresse aux langues amérindiennes encore
inconnues et peu décrites.
Le premier objectif du distributionnalisme est la description de langues très différentes du
modèle indo-européen, et sa réflexion vise à se donner une méthode pour y parvenir.

1. L’anti-mentalisme :
La linguistique de Bloomfield a pour départ la psychologie behavioriste (qui triomphe aux
Etats -Unis en 19203) [lire les définitions de la psychologie du comportement = le
behaviorisme (chien de Pavlov).]
Le behaviorisme soutient que le comportement humain est explicable (ou prévisible) à partir
des situations dans lesquelles il apparait indépendamment de tout facteur interne.
Bloomfield conclut de là que la parole, elle aussi, doit être expliquée par ses conditions
externes d’apparition : il appelle cette thèse le mécanisme opposé au mentalisme qu’il refuse.
Le mentalisme signifie que la parole est le résultat de pensées, de croyances, d’intentions, de
sentiments.
Face à ce caractère mécaniste de parole, Bloomfield propose d’abord de décrire ces paroles
d’où la notion de descriptivisme, opposé à l’historicisme des néogrammairiens et le
fonctionnalisme.
Il propose alors pour éviter les préjugés que la description se face en dehors de toute
considération mentaliste et sans qu’elle fasse allusion au sens des paroles prononcées.

2. Les postulats théoriques :


Ils sont comparables à ceux de Saussure :

3
Le behaviorisme est une théorie psychologique qui explique les phénomènes linguistiques en analysant les seuls éléments
observables et en les ramenant à des réponses de situations (stimulus/réponse). Donc la communication est un
stimulus/réponse. 63
❑ L’objet d’étude est la langue par opposition à la parole, appelée aussi code.
❑ Cette étude doit être synchronique ; on a affaire à des langues sans écritures, dont le passé
est inconnu.
❑ La langue est composée d’unités discrètes que la segmentation permet de dégager.
Alors que Saussure réfléchit sur le signe linguistique, sa nature, …, pour les
distributionnalistes, cela ne les intéresse pas. Ce qui les intéresse, c’est comment dégager
les morphèmes (=signes) ; quels sont les critères pour le faire. Les discutions sur
« morphèmes » se réduisent à des problèmes de forme, sans parler de sens.
❑ Chaque langue constitue un système spécifique (arbitraire selon Saussure). La place de
chaque terme dans une structure se définit par rapport aux autres termes.
❑ Ainsi, les éléments se définissent par leurs relations, à l’intérieur d’un système, c.à.d. par
leur rapport avec les autres éléments, d’où l’importance des relations syntagmatiques chez
les distributionnalistes.
Remarque :
Il est important de souligner les liens entre distributionnalisme et la psychologie behavioriste
(comportement) qui existe aux Etats-Unis à la même époque (stimulus / réponse)
Pour les distributionnalistes, maîtriser une langue, c’est donner à un stimulus, une réponse
adéquate ou pouvoir déclencher la réponse voulue en utilisant un stimulus approprié.
Exemple : Si je veux que quelqu’un ferme la porte, il faut que je sache le lui demander par
des paroles : la situation va montrer si j’ai réussi ou échoué ( il fermera la fenêtre).
C’est une conception mécaniste du langage.

3. Méthode : décrite par Harris (en 1951).


❑ Première chose : réunir un corpus, c.à.d. un ensemble d’énoncés, qui sera envisagé comme
un échantillon de la langue. Il faut donc qu’il soit homogène et « représentatif », chose
qui n’est pas facile, surtout dans une langue qu’on ne connait pas. C’est pour cela que la
grammaire générative prend une position radicale, elle étudie une langue connue, en se
fiant à son intuition ; tandis que le distributionnalisme se borne à la description d’un
ensemble de faits et essentiellement attestés.
❑ Deuxième chose : Ce corpus, une fois recueilli, on le segmente. Pour cela, on cherche à
rapprocher des morceaux d’énoncés comparables. Grâce à cette comparaison, elle nous
permet, de proche en proche, à déterminer quels sont les morphèmes.
❑ On trouvera des séquences de morphèmes ayant la même distribution qu’un morphème
unique.
Exemple : « il » (morphème unique) et les séquences comme « mon camarade » peuvent
être suivis des mêmes morphèmes comme « viendra demain ». Ils sont donc équivalents
à un certain niveau. Ainsi, sans s’interroger sur le sens, on fait apparaitre les régularités
dans le corpus. Sens et fonction mis de côté, la seule notion qui sert de base pour la
recherche de régularités est celle de contexte linéaire ou d’environnement.

64
En travaillant sur les séquences, on arrive ainsi à dégager des constituants, à les hiérarchiser
dans une phrase (voir exemple précédent). Ces constituants sont représentés par des boites
qui rentrent les unes dans les autres.
Ce type d’analyse est appelé analyse en constituants immédiats, celle-ci est restée une
procédure intuitive et empirique.
Les distributionnalistes sont plus à l’aise au niveau des unités isolées qu’à celui des fonctions.

Conclusion :
❑ La linguistique distributionnelle repose principalement sur quelques idées simples et
lorsqu’on est face à une langue inconnue, on est obligé de se comporter en
distributionnaliste. Mais ses limites apparaissent vite ; par exemple, il est très difficile de
découper un texte en français en morphèmes, car en français, les unités sont très
enchevêtrées (vs swahili) ; prenons comme exemples des signifiants discontinus comme
« ne … pas » ou l’amalgame « au » (= à le).
❑ La linguistique distributionnelle refuse le sens comme critère. Décrivant les éléments de
la langue par aptitude de s’associer entre eux de manière linéaire, elle ne peut rendre
compte des phrases ambigües.
Elle ne rend pas compte de la créativité du sujet parlant et elle est purement descriptive.
De ces lacunes, nait la grammaire générative.

65
La grammaire générative

Elève de Haris, l’américain Noam Chomsky (né en 1928) après s’être intéressé aux notions
distributionnelles de base, a proposé une conception nouvelle, dite générative de la
linguistique. Nous allons voir (plus bas) que les travaux de Chomsky s’opposent à ceux de la
linguistique distributionnelle.
Voyons en quoi la conception de Chomsky (1950-60) contredit le modèle distributionnel et
le modèle des constituants immédiats de la linguistique structurale.
❑ Du distributionnalisme, Chomsky retient le caractère explicite. Le distributionnalisme est
explicite : les descriptions des langues ne nécessitent pas la connaissance ou la
compréhension des langues décrites ; la notion d’environnement (telle unité dans tel
énoncé est entourée par telles et telles unités) est comprise par n’importe qui ne parlant pas
la langue ; c’est là pour Chomsky la supériorité du distributionnalisme sur les grammaires
traditionnelles et le fonctionnalisme.
❑ La linguistique distributionnelle a pour objectif de décrire seulement des phrases réalisées
et ne peut expliquer un grand nombre de données linguistiques (comme l’ambiguïté, les
constituants discontinus, etc. …). Autrement dit, elle décrit un corpus fini. Tandis que
Chomsky rend compte du fait que tout sujet parlant une langue peut émettre et comprendre
un nombre illimité de phrases. Il définit ainsi une théorie capable de rendre compte de la
créativité (cf. Note) du sujet parlant, de sa capacité à émettre et comprendre des phrases
inédites.
Le langage humain repose sur l’existence de structures universelles innées (comme la
relation sujet/prédicat) qui rendent possible l’acquisition (apprentissage) par l’enfant des
langues (voir plus loin universaux ling.)
❑ La grammaire générative se présente comme un ensemble de règles qui apporte une
description explicite de toutes les structures susceptibles d’être les phrases d’une langue.
Elle est dite générative car ses règles, une fois correctement formulés, engendrent
automatiquement à partir d’un nombre limité d’unités, une infinité de phrases possibles.
Autrement dit, la grammaire est un mécanisme qui permet de générer (d’engendrer)
l’ensemble infini de phrases grammaticales (bien formées, correctes) d’une langue.
La formulation des règles de la grammaire s’élabore à partir de l’intuition des sujets
parlants qui ont des jugements d’acceptabilité permettant d’opposer les structures qui sont
des phrases de la langue à celles qui n’en sont pas.
Formées de règles, cette grammaire constitue le savoir linguistique des sujets parlant une
langue, c.à.d. leur compétence linguistique. L’utilisation particulière que chaque locuteur
fait de la langue dans une situation particulière de la communication relève de la
performance4.

4
Note : (Dictionnaire de linguistique de J. Dubois)
66
❑ La grammaire est formée de trois parties ou composantes :
➢ Une composante syntaxique.
➢ Une composante sémantique.
➢ Une composante phonétique et phonologique (Cf. p.5)
Et une théorie syntaxique universelle.
❑ L’orientation Chomskyenne se démarque nettement de celle de Saussure : toute définition
de la langue comme objet social et historique est éliminée chez Chomsky (pas de théorie
arbitraire), d’où absence d’intérêt pour l’ethnographie des langues et absence de
sémiologie.
❑ Les composantes de la grammaire générative :
La grammaire est formée de trois parties :
➢ Une composante syntaxique, système de règles définissant les phrases permises dans
une langue.
➢ Une composante sémantique, système de règles définissant l’interprétation des
phrases générées par la composante syntaxique.
➢ Un composant phonologique et phonétique, système de règles réalisant en une
séquence de sons les phrases générées par la composante syntaxique. La composante
syntaxique, ou syntaxe, est formée de deux grandes parties :
✓ La base, qui définit les structures fondamentales.
✓ Les transformations, qui permettent de passer des structures profondes,
générées par la base, aux structures de surface des phrases, qui reçoivent alors
une interprétation phonétique pour devenir les phrases réalisées.
Conclusion :
Non seulement depuis trente ans, la théorie Chomskyenne a subi d’importantes
reformulations mais encore le « modèle génératif » s’est pluralisé en une série de grammaires
(exemple, celles dites grammaires cognitives).

Bibliographie :
✓ Oswald Ducrot, Tzvetan Todorov, Dictionnaire encyclopédique des sciences du langage,
Ed. du Seuil, 1972.
✓ J. Filliolet, D.Maingueneau, Linguistique française : initiation à la problématique
structurale, Tome 1, Hachette ; Paris. (Date à vérifier).

La créativité est l’aptitude du sujet parlant à produire spontanément et à comprendre un nombre infini de phrases qu’il n’a
jamais prononcées ou entendues auparavant. On peut distinguer deux types de créativités :
✓ La première consiste dans les variations individuelles.
✓ La deuxième consiste à produire des phrases nouvelles au moyen de règles de la grammaire :
67
• La première dépend de la performance (ou parole).
• La deuxième de la compétence (ou langue)
Le fonctionnalisme

A* 1. Définition :
Une des innovations de la linguistique de Saussure est de déclarer à la langue son rôle
d’instrument de communication. De là, certains de ses successeurs que l’on appelle souvent
« fonctionnalistes » considèrent l’étude d’une langue comme la recherche des fonctions
jouées par les éléments, les classes et les mécanismes. Cette tendance apparait
particulièrement dans la méthode d’investigation des phénomènes définie, d’abord sous le
nom de « phonologie » par N. Troubetzkoy et développée par A. Martinet et R. Jakobson.
Fidèles aux préoccupations de l’époque, les recherches de Martinet ont d’abord porté sur
l’indo-européen et sur la phonologie, mais elles se sont très vite élargies à des problèmes de
linguistique générale. Autrement dit, le fonctionnalisme est un courant qui crée des
méthodes pour analyser la phonologie et de là les généralise aux autres niveaux
(morphologie, lexicologie, syntaxe). Il prône une grammaire fondée sur la reconnaissance
de « fonctions » et le point central de la doctrine réside dans le concept de la « double
articulation ». (Voir définition plus bas).

2. Le cercle linguistique de Prague :


Le C.L.P. ou l’école de Prague a été un ensemble de linguistes du XXème siècle. Son activité,
qui s’étend d’octobre 1926 à la seconde guerre mondiale, a une influence significative et
durable en linguistique et sémiotique. Ses membres furent nombreux (L. Brun, A. Martinet,
S. Karchevsky, N.S Troubetzkoy). R. Jakobson a été son vice-président. Les thèses ou
théories de l’école de Prague, présentées en 1929 sont illustrées dans les huit volumes des
« Travaux du Cercle de Linguistique de Prague » publiés de 1929 à 1938. Sa méthodologie
est fondée sur une conception de la langue analysée comme un système qui a une fonction,
une finalité (celle d’exprimer et de communiquer).

B. La phonologie fonctionnelle :
1. Les trois fonctions fondamentales de Martinet :
Martinet a fait un classement des éléments phoniques d’une langue selon leurs fonctions
dans cette langue.
❑ Leur fonction est distinctive ou oppositive lorsqu’ils contribuent à identifier, en un point
de la chaine parlée, un signe par opposition à tous les autres signes qui auraient pu figurer
au même point si le message avait été différent. Par exemple, dans l’énoncé « c’est une
bonne bière », le signe « bière » [bje:r] est identifié comme tel par ses quatre phonèmes
successifs, chacun d’eux jouant son rôle par le fait qu’il est distinct de tous les autres
phonèmes qui pourraient figurer dans ce contexte.
❑ A coté de cette fonction phonologique essentielle, les éléments phoniques d’une langue
peuvent assurer des fonctions contrastives lorsqu’ils contribuent à faciliter, pour
l’auditeur, l’analyse de l’énoncé en unités successives. C’est ce que fait l’accent en
général dans une langue comme le Tchèque où il se trouve régulièrement sur la première
syllabe de chaque mot.
68
❑ La dernière fonction phonologique est la fonction expressive qui est celle qui renseigne
l’auditeur sur l’état d’esprit du locuteur.
2. La double articulation :
On appelle « double articulation » dans l’hypothèse fonctionnaliste de Martinet,
l’organisation spécifique du langage humain selon laquelle tout énoncé s’articule sur deux
plans :
❑ La première articulation intervient sur le plan de l’expression et sur le plan du contenu.
Grâce à elle, un nombre indéfini d’énoncés est possible à partir d’un inventaire limité
d’éléments appelés monèmes. Cette articulation concerne la première des deux fonctions
externes de la langue. La communication se décompose dans une langue en une
multitude de concepts représentés par des signes ou monèmes qui sont les plus petites
unités porteuses de sens de la langue.
❑ La deuxième articulation concerne les phonèmes qui sont des unités distinctives (ils
changent le sens d’un mot : (pont / bon ; quand / banc). Ces phonèmes ne sont
constitués que d’un signifiant sans signifié.

C. La grammaire fonctionnelle :
1. Les niveaux de fonctions :
La grammaire est la description complète des principes d’organisation de la langue. La
notion de « fonction » concerne la classification habituelle entre « sujet » et « objet ». La
grammaire fonctionnaliste distingue trois types de fonctions, dans les éléments du
discours :
a. Une fonction sémantique : Elle décrit le rôle des unités dans la situation ou l’action
exprimée.
b. Une fonction syntaxique : Elle définit les différents points de vue dans la présentation
d’une expression linguistique.
c. La fonction pragmatique : Elle définit le contenu informatif des unités (interaction
entre les mots).
2. La classification des fonctions :
On distingue dans un énoncé un noyau obligatoire, qui est composé du « prédicat » et des
éléments qui l’actualisent (sujet, par exemple), et tout le reste est appelé « expansion ».
Martinet repère différents types de classifications des fonctions (fonctions primaires /
fonctions non primaires). Il travaille sur les principes qui aboutissent à la classification
des monèmes.

D. La syntaxe fonctionnelle :
On appelle « syntaxe » la partie de la grammaire décrivant les règles par lesquelles on
combine en phrases les unités significatives. Elle se distingue de la morphologie. Elle étudie
les formes et les parties du discours.
La fonction syntaxique présuppose un choix entre plusieurs relations possibles pour une unité
donnée vis-à-vis du monème auquel il est relié. D’autre part, elle ne doit pas être assimilée au
monème fonctionnel qui l’introduit. Un même monème fonctionnel, en ; peut marquer
différentes fonctions, une fonction temporelle (en mars), une fonction locative (en Italie), etc.

69
Conclusion :
Le langage est l’une des facultés humaines ; il se présente comme un instrument de
communication entre les hommes. L’homme s’y intéresse et l’étudie pour savoir comment il
fonctionne. Le fonctionnalisme a élaboré le concept de la phonologie, en dégageant plusieurs
fonctions qui se sont généralisées sur les autres concepts de la langue (morphologie,
lexicologie et syntaxe).
Du fait de la multitude des écoles, les linguistes ont travaillé sur des concepts et des méthodes
universellement admises. Ils ont apporté un foisonnement d’orientations, de démarches et de
terminologies.

Bibliographie :
➢ J. Dubois, Dictionnaire de linguistique, Larousse Paris, 1973.
➢ A. Martinet, Eléments de linguistique générale, Armand Colin, Paris, 1970.
➢ A. Martinet, Syntaxe générale, Armand Colin, Paris, 1985.

Fin du programme.

70
Corpus oraux

71
UNIVERSITE MOHAMMED PREMIER
FACULTE DES LETTRES ET DES SCIENCES HUMAINES
-Oujda-
ANNEE UNIVERSITAIRE : 2020-2021 PROFESSEURE : BOUALI RACHIDA
FILIERE : Études françaises SEMESTRE : 5 Mise en page de Nasreddine YACOUBI

Corpus oraux
La création d’un corpus oral ou écrit repose sur une démarche méthodologique rigoureuse.
Dans ce cours nous essayerons d’en présenter certains aspects en insistant particulièrement
sur deux phases :

❖ La phase préparatoire qui précède la saisie des données : durant celle-ci doivent être
déterminés les types de corpus et de documents que l’on souhaite obtenir, les objectifs de
recherches que l’on se fixe, la taille envisagée. À partir de ces différents éléments, il est
possible de développer un protocole qui peut par la suite être joint au corpus pour le
documenter.
❖ La phase de transcription et d’annotation : celle-ci est essentielle pour faire d’un
ensemble de données saisies un corpus linguistique exploitable. Pour les corpus oraux, une
attention particulière doit être accordée aux tâches de segmentation et de transcription, dans
la mesure où les conventions et principes retenus imposent des restrictions sur les
utilisations ultérieures. Pour les annotations linguistiques (syntaxiques, morphologiques et
prosodiques), il est également important de bien choisir les étiquettes et la méthode
utilisées. Dans bien des cas ces choix seront en partie guidés par les objectifs de recherche
visés.
Pour ce semestre, nous allons prêter une attention particulière aux corpus oraux, et cela pour
servir la recherche ultérieure de l’étudiant ; en semestre 6, l’étudiant est confronté à une
analyse de ce type pour accomplir son projet de fin d’études.

72
Le but visé est donc d’aborder quelques problèmes méthodologiques rencontrés lors de la
création de tels corpus et d’essayer de présenter clairement les différentes recommandations
en matière de constitution et d’annotation de corpus oraux et de parole.

Nous serions tentés dans ce cours, d’étiqueter les corpus oraux comme unités de langue -
grand corpus - non clos - brut - oralité - non construit. Le corpus ciblé est en effet un corpus
de mots (et expressions) ; il est de grande taille, ouvert (susceptible d'être enrichi à la lumière
d'études nouvelles), brut (c'est un recueil de formes attestées), fait de matériaux de l'oralité,
non construit (il se donne à voir comme tel sans constituer l'argument d'une démonstration).
Pourtant, en pratique, bien des questions restent en suspens : peut-on parler de corpus brut ou
non construit? Autrement dit, peut-on encore parler de corpus de l'oralité ?

Cependant, le plus souvent, les questions que soulève le linguiste mettent en jeu non pas
une grande quantité de données mais une infinité de données, dans la mesure où celui-ci doit
rendre compte non seulement des faits attestés mais encore des faits possibles.

Plan succinct du cours :

❖ Définition du corpus.
❖ Les domaines de corpus.
❖ Les caractéristiques d’un corpus bien formé.
❖ Les formes de corpus.
❖ Place des corpus oraux.
❖ Les sortes d’enregistrement.
❖ Les types de corpus.
❖ La transposition.
❖ Les types de données.
❖ Les relations entre l’enquêteur et le témoin.
❖ Les types de données : données attestées et situées VS masse de données.
❖ Annotation, étiquetage et balisage du corpus oral.

73
Bibliographie
➢ Baude, O., Coord. (2006), Corpus oraux, Guide des bonnes pratiques 2006, CNRS éditions et PUO, Paris
et Orléans.
➢ Baude, O. (2004), Les corpus oraux entre science et patrimoine. L’expérience de l’observatoire des
pratiques linguistiques. In Actes du Colloque international du GRESEC « La publicisation de la
science » (Grenoble), 7-11.
➢ Beaud, S. et Weber, F. (1997), Guide de l’enquête de terrain : produire et analyser des données
ethnographiques. Paris, La Découverte.
➢ Bergounioux, G. (ed.) (1992), Enquêtes, Corpus et Témoins. Langue Française 93.
➢ Bilger, M. (ed.) (2000), Linguistique sur corpus, études et réflexions. Cahiers de l’université de
Perpignan, Perpignan, Presses Universitaires de Perpignan.
➢ Bilger, M. (ed.) (2000), Corpus, Méthodologie et applications linguistiques. Paris, Champion.
➢ Blanche-Benveniste, C. et Jeanjean, C. (1987), Le français parlé : transcription et édition. Paris, Didier-
Erudition.
➢ Blanche-Benveniste, C. (1997), Transcription et technologie. Recherches sur le Français Parlé 14, 87-
100.
➢ Blanche-Benveniste, C., Rouget, C. et Sabio, F. (2001), Choix de textes de français parlé : trente-six
extraits. Paris, Champion.
➢ Bourdieu, P. (1982), Ce que parler veut dire. L’économie des échanges linguistiques. Paris, Fayard.
➢ Calas, M-F. et Fontaine, J-M (1996), La conservation des documents sonores. Paris, CNRS Editions.
➢ Callu, A. et Lemoine, H. (2004), Patrimoine sonore et audiovisuel français : entre archive et
témoignage : guide de recherche en sciences sociales. Paris, Belin, 7 vol., 1 CD-Rom, 1 DVD-Rom.
➢ Condamines, A. (ed.) (2006), Sémantique et corpus. Paris, Hermes.
➢ Cribier, F. et Feller, E. (2003), Projet de conservation des données qualitatives des sciences sociales
recueillies en France auprès de la « société civile ». Rapport au Ministre délégué à la Recherche et aux
nouvelles technologies, dactylogr., 2 vol.
➢ http://www.iresco.fr/labos/lasmas/rapport/Rapdonneesqualita.pdf
➢ Habert, B., Nazarenko, A. et Salem, A. (1997), Les linguistiques de corpus. Paris, A. Colin.
➢ Jacobson, M. (2004), Corpus oraux en linguistique de terrain. Traitement Automatique des Langues,
45/2, 63-88.
➢ Jacobson, M. (2004), Les archives sonores au LACITO. Bulletin de liaison de l’AFAS 26
(http://afas.mmsh.univ-aix.fr/bulletin/Bulletin AFAS 26.pdf).
➢ Kennedy, G. (1998), An introduction to Corpus Linguistics. Londres, Longman.
➢ Labov, W. (1972), Sociolinguistic Patterns. Philadelphie, University of Pennsylvania Press.
➢ Mondada, L. (1998), Technologies et interactions sur le terrain du linguiste. Le travail du chercheur sur
le terrain. Questionner les pratiques, les méthodes, les techniques de l’enquête. Actes du Colloque de
Lausanne (13-14.12.1998), Cahiers de l’ILSL 10, 39-68.
➢ Sacks, H. (1984), Notes on methodology. In J.M. Atkinson & J. Heritage (eds.), 21-27.
➢ Sinclair, J. (1991), Corpus, Concordance, Collocation. Londres, OUP.
➢ Sinclair, J. (1996), Preliminary recommendations on corpus Typology. Technical Report, Eagles.
➢ Sinclair, J. et Coulthard, R.M. (1975), Towards an Analysis of Discourse. Londres, OUP.
➢ Speech Communication (2001) Speech Annotation and Corpus Tools. Vol. 33, 1-2, S. Bird & J.
Harrington (eds.).

74
Séance 2

Définition du corpus

La notion de corpus paraît, de prime abord, assez simple et bien ancrée dans certaines
traditions des sciences humaines et sociales, philologique ou juridique par exemple. Il s'agit
d'un recueil, formé d'un ensemble de données sélectionnées et rassemblées pour intéresser
une même discipline. Néanmoins, dans le champ linguistique, la notion s'est complexifiée au
cours des dernières décennies en fonction de la diversité des pratiques et des objectifs assignés
à la constitution et à l'exploitation des corpus.

Il est recensé dans les dictionnaires d'usage courant, un corpus est un recueil de pièces ou de
documents qui concernent une même matière, discipline ou doctrine. Le petit Robert
mentionne prudemment « recueil de pièces », et de fait, ce corpus peut être constitué de textes
certes, mais aussi de mots, de témoignages oraux (enregistrés ou transcrits), etc.

Le corpus5 est un ensemble de textes ou de documents, artistiques ou non, regroupés dans


une optique précise, établis selon un principe de documentation exhaustive, un critère
thématique ou exemplaire en vue de leur étude linguistique. Le corpus des textes parus d'un
journal, d'une revue ; un corpus littéraire ; le corpus du vocabulaire.

Selon André Martinet, le corpus : « est un recueil d’énoncés enregistrés au magnétophone ou


pris sous la dictée » (1980 : 31)

Dans les sciences du langage, un corpus est un ensemble d'éléments sur lequel se fonde l'étude
d'un phénomène linguistique. Il s’agit d’un ensemble de documents, artistiques ou non (textes,
images, vidéos, etc.), regroupés dans une optique précise.

Le terme a pourtant conservé, en linguistique, un peu de son acception d'origine, d'où une
certaine ambivalence. Corpus renvoie effectivement, en un premier sens, à une collection de
textes présentant une certaine unité de genre ou bien d'époque ; ainsi furent élaborés au
XIXème siècle le Corpus grecs et le Corpus latins. Toutefois Corpus devient même un mot

5
On rencontre le composé sous-corpus, (partie d'un corpus).
75
français à part entière dès lors qu'il ne s'inscrit plus dans un syntagme latin, et l'on parle
de Corpus des Troubadours ou de Corpus des poètes de la Renaissance.

Ce type de corpus n'est nullement l'apanage du linguiste : l'historien, le philologue, le juriste


entre autres travaillent de leur côté sur des objets analogues même si leur perspective se révèle
sensiblement différente ou si les matériaux eux-mêmes sont différents.

Certains chercheurs suggèrent, comme l'expliquent Mitchell Marcus et al. (1994:273) que le
terme corpus soit réservé aux groupes de textes qui ont été choisis de façon très précise
pour répondre à des besoins et critères particuliers. De plus, ils proposent d'utiliser les
termes archive ou collection, qui sont des termes beaucoup plus généraux, pour signifier
l'accumulation de textes sur ordinateur. Quoique ces distinctions soient utiles, les termes
archive et collection ne sont pas encore implantés dans l'usage.

Pour cette thèse, notre définition de corpus sera un amalgame de définitions. Ainsi, ce terme
désigne une compilation de textes informatisés, parlés ou écrits, qui servent de point de
départ pour la description linguistique ou pour prouver une hypothèse sur la langue. Cette
définition semble assez complète, car elle décrit d'abord de quoi il est question et en précise
ensuite le rôle.

Le cours s’est fixé pour premier objectif de fournir des informations nécessaires à la
constitution d’un corpus de données orales (corpus de requêtes en langue maternelle) et
d’offrir des propositions concernant les aspects matériels, touchant la collecte, la
structuration, la mise en forme des données, l’exploitation et la conservation de ces données.

L’intérêt est porté sur les corpus oraux :


❖ Le recueil du corpus ;

❖ L’exploitation et le devenir du corpus ;

❖ Bien faire le choix, sinon, certains choix initiaux peuvent révéler leur importance à des
étapes ultérieures du processus, alors qu’il est trop tard de faire une modification
quelconque.

❖ Permettre la sauvegarde d’un riche patrimoine sur les pratiques linguistiques de la


langue.

76
Corpus oral vs corpus écrit :
Le corpus oral se forme autour d’une langue, d’un dialecte d’un lieu géographique …. C’est
un regroupement des documents correspondant à des transcriptions alignées ou non sur le
signal. Ces données peuvent servir pour mener des recherches sur l’oral (syntaxe de l’oral,
prosodie ...) et ont souvent été collectées dans des situations diversifiées.

Les combinaisons multiples de ces choix binaires engendrent évidemment, en définitive, une
palette assez riche de corpus.

Les corpus écrits regroupent des documents (ou textes) écrits sélectionnés selon des critères
variés (catégorie de corpus littéraires).

La collecte et l’utilisation des corpus oraux doivent se faire selon le respect de « bonnes
pratiques», comme cela se fait pour celles des corpus écrits. Nous savons tous combien une
phrase, sortie de son contexte et diffusée sans retenue, peut devenir risquée pour son auteur,
un groupe de personnes ou une communauté.

Sous corpus :
On peut traiter les textes dont un corpus est composé de deux façons. D’abord, ils peuvent être
pris dans leur ensemble en bloc, ce qui permet d’en arriver à une vision plus générale de la
langue ; ou encore, on peut les diviser en sous blocs, c’est-à-dire en sous corpus selon le type
de recherche à laquelle on se livre ; si par exemple, on veut faire des études comparatives entre
divers genres littéraires ou divers types de textes (vérifier l’aire d’utilisation d’un mot,
comparer les variantes stylistiques entre divers domaines), il s’avère utile de sélectionner un
corpus en sous corpus. Ces sous corpus peuvent être composés selon divers critères, notamment
la langue des textes, l’aire géographique d’origine, leurs genres et leurs registres.

Or quel que soit le domaine ou le champ linguistique à étudier, le volume de données est si
considérable que l'on ne saurait tout prendre en compte dans le cours de l'analyse. De sorte
que l'on est conduit à faire l'hypothèse que les régularités susceptibles d'être découvertes par
l'analyste sont potentiellement récursives et donc qu'une analyse limitée à un sous-ensemble
de faits peut être de nature à rendre compte de l'ensemble (échantillon).

Séance 3

77
La grammaire descriptive d’une langue s’établit à partir d’un ensemble d’énoncés qu’on
soumet à l’analyse et qui constitue le corpus de la recherche. Le corpus n’est pas collecté pour
soi-même mais il est collecté pour être analysé. Il est utile de distinguer le corpus des termes
voisins désignant des ensembles d’énoncés :

L’« univers » est l’ensemble des énoncés tenus dans une circonstance donnée, tant que le
chercheur n’a pas décidé si ces énoncés entraient en totalité ou en partie dans la matière de sa
recherche. Ainsi, un dialectologue qui s’intéresse aux mots d’origine étrangère dans un parler
donné, réunira d’abord ou fera réunir un grand nombre d’énoncés produits librement ou sur
incitation des enquêteurs. Beaucoup de ces énoncés pourront fort bien n’avoir aucun des mots
qui intéressent le linguiste. La totalité des énoncés recueillis est l’univers.

À partir de l’univers des énoncés en vrac, le linguiste tire les énoncés qu’il va soumettre à
l’analyse; ça pourra être l’ensemble des phrases ou groupes de phrases, comprenant des mots
présentant tels traits phonétiques ou bien une terminaison ou une origine étrangère. Ce sont
uniquement ces segments d’énoncés qui seront soumis à l’analyse et qui constitueront le

corpus. Types de corpus :


❖ Corpus ouvert vs corpus fermé (dit aussi stratifié) :

Pearson ne fait pas une distinction de base entre des corpus ouverts (auxquels on ajoute
constamment de nouveaux textes) et fermés (qui restent « stables »).

Les corpus ouverts, bien que plus à jour, impliquent un entretien constant et minutieux.
Ceci les rend plus difficile à gérer.

❖ Les corpus de parole vs corpus oraux :

La distinction est généralement faite entre ces deux types de corpus :

Corpus de parole : il s’agit de base de données contenant des données orales. Le contenu
peut être très variable : liste de logatomes, liste de mots, liste de phrase, liste de texte (etc.).

Les corpus de parole sont toujours accompagnés d’un enregistrement. La présentation se


fera sous forme d’audio et la transcription est souvent alignée sur le signal.

Les corpus oraux : représentation de la dimension orale de la langue dans tous ces aspects
(formel, informel, etc.). Elle peut se faire sous forme écrite. Ce type de corpus peut
apparaître soit sous la forme d’une transcription orthographique, soit sous la forme d’une

78
transcription alignée. Son étude se fait sur la dimension sonore, mais également sur la
syntaxe, le discours, etc.

L’opposition entre les corpus oraux et les corpus de parole tend à disparaître pour trois raisons
à savoir :

✓ Capacité de mémoire des ordinateurs a énormément évolué et permet donc de stocker de


nombreuses données, mais sous un format audio « lourd » ;

✓ Outils pour le traitement des données audio se développent, et permettent d’analyser un


volume important de données ;

✓ Amélioration des outils d’enregistrement.

➢ Les corpus dits « spécialisés » ou « de spécialité », à savoir, des corpus contenant des textes
traitant d’un sujet lié à un domaine de la connaissance comme la médecine, le droit ou
l’informatique.

➢ Certains chercheurs favorisent l’utilisation d’un corpus témoin dans leurs travaux pour tenir
à jour le contenu du corpus. Ce corpus moniteur contient des textes entiers, dont on prélève
éventuellement des échantillons pour intégration au corpus principal. Cependant, un corpus
moniteur peut fournir des données qualitatives sur de nouveaux mots ou usages, mais sont
moins utiles pour des données qualitatives. Donc, l’utilité d’un corpus moniteur varie selon
son usage.

Formes de corpus :
Il existe plusieurs formes de corpus ; entre autres on cite :

• Le corpus arboré (phrases) ;

• Le corpus annoté (étiquettes qui fournissent des informations),

• Le corpus dynamique contraire de statique (évolution temporelle) …

Conditions de corpus :
1. Conditions de signifiance :
Le corpus prend sens par rapport à un objectif d’analyse. Il est constitué en vue d’une étude
déterminée (pertinence), portant sur un objet particulier, une réalité telle qu’elle est perçue

79
sous un certain angle de vue (et non sur plusieurs thèmes ou facettes indépendants,
simultanément) (cohérence)

2. Conditions d’acceptabilité : contient 3 aspects :


❖ Représentativité : le corpus doit apporter une représentation fidèle (échantillon) ;

❖ Homogénéité : il ne doit pas être parasité par des contraintes externes (régularité) ;

❖ Complétude : il doit avoir une ampleur et un niveau de détails adaptés au degré de


finesse et à la richesse attendue en résultat de l’analyse.

3- Conditions d’exploitabilité :
Les textes qui forment le corpus doivent être commensurables (homogénéité). Le corpus doit
apporter suffisamment d’éléments pour pouvoir repérer des comportements significatifs (au
sens statistique du terme/volume).

Les caractéristiques d’un corpus significatif :


1. L’homogénéité ;

2. La synchronie ;

3. La moindre redondance possible

Le travail sur échantillon se révèle donc être un impératif pratique. Mais pour que l'analyse
prétende à quelque validité, on ne saurait se contenter d'un échantillon aléatoire.

En revanche un corpus est adéquat ou non à une tâche en fonction de laquelle on peut
déterminer les critères de sa représentativité et son homogénéité. Tout corpus dépend
étroitement du point de vue qui a présidé à sa constitution.

Cependant,

« le corpus quel qu’en soit le type, n’est jamais obtenu à l’aide d’une seule technique
et il est rare que deux chercheurs organisent leur travail de façon identique. En
outre, quelles que soient les précautions théoriques prise pour la constitution de
corpus, le choix des informateurs, un maximum d’objectivité ou de non-ingérence de
la part de l’investigateur, il faut avant de procéder à l’enquête proprement dite,
définir les situations de communication ou d’interaction avec une précision
rigoureuse » (Konopczynski 1990)

80
Le corpus joue un rôle de premier plan dans le travail quotidien du linguiste ; sachant bien que
l’usage de corpus n’est pas réservé aux linguistes. Leurs analyses portent sur des productions
linguistiques ou langagières non finies dont l’étude ne peut s’opérer que sur un échantillon.
Mais pour que l’analyse prétende à quelque validité, cet échantillon doit être représentatif
d’une réalité qui à la fois préexiste à l’analyse et qu’il contribue à cerner et à établir. D’où toute
une palette de corpus dont les principaux types en usage dans la discipline, selon les matériaux
utilisés, selon la clôture imaginée, selon la fonction assignée…, sont brièvement rappelés. La
réflexion est ensuite centrée sur la délimitation de la place et de la fonction du corpus entre
faits, analyses et théories ; il est montré, quelques exemples à l’appui, empruntés à la démarche
du dialectologue et du lexicologue, que le corpus ne saurait être qu’un construit et que sa
construction fait partie intégrante du prisme théorique à travers lequel le linguiste entend
appréhender le réel.

Séance 4
Il est relativement facile de recenser les principaux critères de classification des corpus. On
peut distinguer ainsi, selon la nature des matériaux constitutifs, les corpus de textes et les
corpus d'unités de langue (entendons par là des phrases, des mots, des phonèmes…).

On gagne à dissocier également parmi ces derniers, compte tenu notamment des méthodologies
induites et de la pesanteur des traditions, ceux qui relèvent de l'écrit et ceux qui relèvent de
l'oralité. Une autre division est opérée entre les corpus conçus comme des échantillons
représentatifs des faits linguistiques et ceux qui se veulent exhaustifs dans un champ donné.
Sont à prendre en compte également le caractère clos ou non-clos d’une part, brut ou traité de
l’autre, des data constitutives du corpus.

Au niveau méthodologique, les chercheurs proposent de séparer un corpus initial en deux sous
corpus : le corpus d’apprentissage et le corpus de test.

❖ Le corpus d’apprentissage sert à retirer un modèle ou un classement à partir d’un


nombre suffisant d’informations (quantité) ;

❖ Le corpus de test sert à vérifier la qualité de l’apprentissage à partir du corpus


d’apprentissage.

Par ailleurs, construire un corpus n'implique pas nécessairement une analyse spécifique en
arrière-plan ; mais le type de données sélectionnées n'est jamais innocent et traduit une
préoccupation sous-jacente. Pour prendre un exemple simple, les corpus rassemblés par des

81
linguistes chargés d'enquêter, dans le cadre de la même localité, en obéissant aux mêmes
consignes, afin de réaliser une étude sur la même thématique ne sont pas complètement
semblables. Certains d’entre eux se soucient, lors des enquêtes, de noter les données négatives,
tandis que les autres ne le font pas. Cela ne peut manquer d'avoir un impact sur les
interprétations ultérieures.

Schématiquement on distingue deux phases dans une étude linguistique :

1. la phase d'analyse d'un ensemble fini de données ;

2. la phase de confrontation des résultats de cette analyse, c'est-à-dire des hypothèses avancées,
à la réalité.

3. Il s'ensuit que le recours explicite au corpus peut intervenir dans une phase liminaire de la
recherche au moment où l'on tente de cerner les faits pertinents ou en fin de recherche au
moment de valider les hypothèses émises.

Dans le cadre de la première attitude, lorsqu'on travaille avec un corpus-échantillon, on


délimite les faits à étudier puis on procède à leur analyse. Cela implique deux conséquences :
la clôture du corpus relève de la responsabilité du chercheur, et la représentativité du corpus -
dont dépend la validité de l'analyse- est exclusivement du ressort du chercheur. Le corpus
apparaît dès lors clairement comme un objet construit. On discerne alors le double glissement
de la notion «générique » de corpus :

1. ensemble de faits présentant une certaine homogénéité ;

2. ensemble de faits pertinents ;

3. ensemble construit de faits.

La notion de « collection d'objets » réunis parce qu'ayant en partage, au moins


superficiellement, une ou plusieurs propriétés, on passe à un ensemble trié d'objets, c'est-à-dire
à un ensemble de données filtrées, puis à un ensemble de données construit, c'est-à-dire
complété ou remodelé par rapport à l'ensemble précédent.

Le corpus échantillon représentatif :


Il est relativement aisé de délimiter un échantillon représentatif de données, à condition
d'assumer les exclusions (délimitation des données).

82
Si le linguiste veut parvenir à un résultat et fournir une analyse cohérente, il sera peut-être tenté
d'agir sur le corpus, non pas en modifiant les données, mais en découpant celles-ci de manière
à rendre les structurations plus sensibles.

Le point qui nous intéresse est que le corpus n'est pas un simple sous-ensemble des données de
la réalité mais que cet échantillon est déjà travaillé. Il reste que l'analyse ne vaut que ce que
vaut le corpus. Les spécialistes ont trop souvent critiqué les corpus introspectifs.

Le corpus échantillon construit :


Le linguiste qui « fait du terrain », qui explore une aire dialectale peu ou mal connue, vit en
permanence les métamorphoses de son corpus. Pour dire les choses très schématiquement, le
dialectologue, en face d'un idiome6 nouveau, qu'il découvre dans le cadre d'une enquête,
recueille dans un premier temps du « tout venant », ne sachant pas à l'avance quel type de traits
caractérise, diachroniquement, le parler dont il consigne pour la première fois les
manifestations. Il procède ensuite, avant de revenir au terrain, à une analyse des faits stockés
et se trouve confronté à un certain nombre de difficultés (séquences phoniques inhabituelles
pour lui et pour lesquelles il ne dispose que d'un nombre insuffisant d'exemples, mode de
fonctionnement des enchaînements (liaison, élision) pour lequel les séquences enregistrées
n'illustrent pas tous les cas de figure possibles, opposition phonématiques fugitives ou
douteuses, corrélations morphologiques incomplètes, etc. Ce sont ces points qui vont aiguiller
la suite de l'enquête : les bonnes questions à poser aux témoins, celles qui vont faire la lumière
sur les spécificités du parler, celles qui vont faire surgir les réponses les plus riches
d'enseignement, que ce soit dans une perspective de description synchronique ou de
reconstruction diachronique, ce sont celles qui vont amener des réponses aux originalités que
le premier regard a cru décelé, celles qui vont livrer les clefs de tous ces comportements
imprévus que la langue aura donné à voir lors de ses premières manifestations: les résultats
(provisoires) de l'analyse conditionnent pour partie les questions et configurent le futur corpus
représentatif. L'enquêteur ne reçoit et n'exploite que ce à propos de quoi il s'était posé des
questions.

6
C’est un terme général qui recouvre aussi bien la notion de la langue que les notions de dialecte, de parois, etc. Il s’agit d’un
ensemble de moyens d’expression propre à une communauté
83
Séance 5

Corpus représentatif
Le contenu d’un corpus devrait être choisi sans prendre en considération la langue étudiée,
mais plutôt l’usage et la fonction communicatifs des énoncés (privilégier les critères externes).
Il est essentiel de viser à la représentativité.

Choisir entre tels ou tels corpus dépend des objectifs visés :

❑ Étude de la morphosyntaxe (apprentissage par un programme d'étiquetage


morphosyntaxique

❑ Étude de la grammaire, de la phonétique ou phonologie … ;

❑ Analyse terminologique ;

❑ Création et test d'un système de reconnaissance de la parole (conversations téléphoniques


par exemple) ;

❑ Construction d'un dictionnaire d'une variante d’une langue : l’arabe ou le français ;

❑ Recherche de néologismes ;
❑ Étude comparative (dans le domaine de la traduction par exemple …).

D’un point de vue statistique, on peut considérer un corpus comme un échantillon d’une
population (d’événements langagiers). Comme tout échantillon, un corpus est passible de
deux types d’erreurs statistiques qui menacent les généralisations « l’incertitude » et « la
déformation ».

❑ L’incertitude survient quand un échantillon est trop petit pour représenter avec précision la
population réelle.

❑ Une déformation se produit quand les caractéristiques d’un échantillon sont


systématiquement différentes de celles de la population que cet échantillon a pour objectif
de refléter.

Le corpus doit être représentatif c’est-à-dire qu’il doit illustrer toute la gamme de
caractéristiques structurelles. On pourrait penser que les difficultés sont levées si un corpus est

84
exhaustif, c’est-à-dire s’il réunit tous les textes produits. En réalité, le nombre d’énoncés
possibles étant indéfini, il n’y a pas d’exhaustivité véritable.

Le linguiste doit se méfier de tout ce qui peut rendre un corpus non représentatif (méthode
d’enquête choisie, anomalie que constitue l’intrusion du linguiste, préjugé sur la langue ...).

Le chercheur doit constamment veiller à éviter tout ce qui conduit à un artefact (phénomène
d’origine artificielle ou accidentelle).

Deux grandes catégories de corpus existent et se distinguent en fonction de leur contenu et de


ce qu’il représente :

❑ Les corpus de référence ;

❑ Les corpus spécialisés ou sous-langage.

Dans un corpus de référence, les documents constitutifs doivent être suffisamment


représentatifs pour donner une image de la langue telle qu’elle est dans toute sa diversité. Les
données doivent provenir de différentes situations de communication, représenter plusieurs
styles de documents écrits, etc. Un corpus de spécialité regroupe au contraire des données
linguistiques sélectionnées pour représenter une dimension particulière : un domaine (français
juridique, etc.), un thème, une situation de communication (interactions en classe de langue,
etc.)...

En tant que linguistes, nous devons suivre les fondements définis par les prédécesseurs en vue
de la constitution d’un corpus bien fini. Parmi ces principes on cite parmi d’autres :

1. Le contenu d’un corpus devrait être choisi sans prendre en considération la langue étudiée,
mais plutôt l’usage et la fonction communicatifs des énoncés (privilégier les critères externes);

2. Il est essentiel de viser à la représentativité.

À la question « comment le choisir un échantillon représentatif ? »

Il faut respecter :

❑ L’orientation choisie dans la construction d’un corpus (normativité, etc.) ;

❑ Les critères retenus :

➢ Le mode (comment a été véhiculé ce langage: parole, par écrit) ;

➢ Le type des documents ;

85
➢ Le domaine ;

➢ L’origine géographique…

Le choix des critères doit être précis et rigoureux afin de collecter un échantillon représentatif.

Corpus homogène vs corpus hétérogène :

L’homogénéité est longtemps restée un critère fondamental de constitution des corpus. On


parle d’une homogénéité de corpus oraux lorsque ces derniers sont construits sur le même
modèle et resteront compréhensibles pour les chercheurs à venir. De même, l’homogénéité est
importante pour que les corpus oraux soient connus et reconnus par le regard public : il faut
qu’ils puissent être immédiatement identifiés.

On parle de l’hétérogénéité d’un corpus en rapport avec les données. Autrement dit,
l’hétérogénéité n’est pas conçue comme un constat ou un résultat lié à un souci de
représentativité des usages d’un phénomène (langue), mais comme un moyen pour étudier la
langue en usages par le biais de méthodologie de corpus.

Bibliographie (supplémentaire)

➢ Blanche-Benveniste, C. (2000), Approches de la langue parlée en français, Paris : Éditions Ophrys.


➢ Boulton, A., et Tyne, H. (2014), Des Documents Authentiques aux Corpus. Démarches pour
l'Apprentissage des Langues, Paris : Didier.
➢ Bruxelles, S., Jouin-Chardon, E., Traverso, V. et Guinamard, I. (2015), « Du coup » dans l'interaction
orale en français : description de ses usages situés à partir d'une base de données multimédia, et
considérations didactiques, Dans Guinamard I., Jouin-Chardon E., Traverso V., Thai T. D. (dir.), Langues
parlées, interactions sociales. Une variété d'usages pour l'apprentissage du français, Paris : L'Harmattan,
p.p. 131-153.
➢ Chambers, A. (2009), Les corpus oraux en français langue étrangère : authenticité et pédagogie,
Mélanges Crapel, 31, p.p. 15-33.
➢ Cuq, J. P. (2003), Dictionnaire de didactique du français. Paris : CLE international.
➢ Debaisieux, J. M., et Boulton, A. (2007), Alors la question c'est...? Questions pragmatiques et annotation
pédagogique des corpus, Cahiers de l'AFLS., 13(2), p.p. 31-59.
➢ GARRIC, N. et LONGH, J. (2012), « L’analyse de corpus face à l’hétérogénéité des données d’une
difficulté méthodologique à une nécessité épistémologique », Langages, n° 187.
➢ Janot, S. (2017), Constitution d’un corpus multimédia pour travailler la compréhension orale, Etude
menée auprès d’un public migrant, Mémoire de Master sous la direction de Virginie André, Université de
Lorraine.
➢ Ravazzolo, E., Traverso, V., Jouin, E., et Vigner, G. (2015), Interactions, dialogues, conversations: l'oral
en français langue étrangère, Paris : Hachette.
➢ Sinclair, J. (1996), Preliminary recommendations on corpus typology. EAGLES Document TCWG-
CTYP/P. Récupéré de
- http://www. ilc. pi. cnr. it/EAGLES/corpustyp/corpustyp. Html

86
Séance 6

Problématique de terrain :

Modalités d’approches du terrain et de recueil de corpus

On pourra réfléchir aux exigences multiples qui se posent au chercheur à différentes étapes
du recueil de données (quelles que soient leurs formes) :

❑ Quelles peuvent-être les modalités d’approches du terrain (en termes contacts, forme de
négociation, etc.) ? Comment prépare-t-on le recueil de données sur un terrain
(autorisation, accès, etc.) ? Quels sont les choix à faire, quels sont les choix qui s’imposent?

❑ Quelles sont les contraintes diverses auxquelles doit penser le chercheur (psychologiques,
éthiques, matérielles, institutionnelles, temporelles, techniques, juridiques, etc.) ?

❑ Quelles articulations et mises en cohérence peuvent s’opérer entre les objectifs de la


recherche, les contingences du terrain et la constitution de corpus ? ….

La question majeure qui se pose pour tout chercheur est la suivante :


Face à des données (nombreuses et complexes), quels choix (méthodologiques, théoriques,
analytiques, etc.) se présentent au chercheur pour exploiter au mieux son corpus (en terme
d’efficacité, de représentativité, de pertinence, d’outils d’exploitation, etc.).

Pour répondre à cette question on doit d’abord résoudre le problème de méthode.

Échantillonnage et problèmes de méthode

Au niveau méthode, le corpus en général souligne deux objectifs à savoir : l’objectif


théorique et l’objectif pratique.

❑ L’objectif théorique est que deux chercheurs, opérant sur une même langue à partir de
corpus différent, peuvent aboutir à des descriptions différentes de la même langue.

87
❑ L’objectif pratique est le fait qu’à tout moment le descripteur peut ressentir le besoin de
compléter ou de vérifier son information.

1- Quelques méthodes
Il est très rare qu’on puisse analyser exhaustivement le parler d’une population dans un pays
ou dans une région sans être obligatoirement confronté à deux types de réduction de l’objet
de l’étude : l’une opérant au niveau sociologique, l’autre au niveau linguistique.

Il est en effet impossible d’enquêter auprès de tous les habitants d’une région ; les sociologues
admettent le principe de la réduction et travaillent sur des échantillons représentatifs. De
nombreux travaux et enquêtes de terrain négligent ce principe de représentativité. Martinet
rappelle que « le corpus doit être parfaitement représentatif de l’objet de l’étude : langue,
dialecte, idiolecte aspect particulier d’un idiome … »7 . Afin de pouvoir avoir une valeur
statistique, cet échantillon doit représenter un minimum 1/1000ème et 1/10000ème de la
population à l’étude. Pour une population de 419 063 habitants 8, l’échantillon doit donc
comprendre au minimum entre 50 et 500 personnes. Les groupes étudiés ne peuvent avoir une
population représentative inférieure à 15 personnes (Ghiglione, 1992 : 51-52) et le corpus doit
rester ouvert, c’est-à-dire susceptible d’être complété à un stade ultérieur de la recherche »9.

D’autre part, il est impossible de recueillir tous les énoncés émis et écrits par les informateurs
choisis ; l’analyse d’un parler à travers un corpus fermé soulève de nombreux problèmes,
entre autres celui des critères qui permettent la réduction d’un corpus qui est logiquement
infini. En outre, les gestes qui accompagnent la parole traduisent beaucoup de procédés qui
sont souvent négligées. Néanmoins les relations qu’entretiennent le chercheur ou l’enquêteur
et le témoin ou l’enquêté sont capitales pour mener à bien la démarche entreprise.

2-Les relations entre enquêteur et témoin10.


Le linguiste de terrain est perpétuellement confronté à la disparition progressive des données
de son objet d’étude. Toutefois, il faut toujours garder une trace d’une identification
déterminée de témoin. La forme du message à l’oral permet de distinguer nettement les

7
André Martinet, Analyse linguistique et présentation des langues, in : Annalidella faculta di Magistero
dell Universita di Palermo, 1969, p.4.
8
Le Maroc en chiffres, Ministère chargé de la population, Bull de la direction des statistiques, 1994, p.9.
9 André Martinet, ibid. 88
10 Nous reviendrons en détail sur ce point.
locuteurs qui viennent d’ailleurs. La manière de prononcer, le rythme et l’intonation des
énoncés attirent d’abord notre attention ; puis viennent les particularités lexicales qui sont
spécifiques à chaque environnement culturel. Quelques structures syntaxiques font également
en sorte que nous reconnaissons la façon de parler des locuteurs.

Les réactions face à un enquêteur peuvent varier selon le sexe du sujet, son statut social, son
âge et son niveau scolaire …

Toutefois il est nécessaire de mettre l’informateur à son aise en gardant la parité entre les
hommes et les femmes. L’enquêteur doit être invisible et neutre dans sa position et ne doit
pas toucher à l’information recueillie. En outre il doit absolument maitriser les techniques de
communication pour ne pas choquer son interlocuteur

3-Type des données et de locuteurs


Certaines données sont « sollicitées ». On fait par exemple venir dans des laboratoires de
phonétique des locuteurs qui, agissant en tant que « cobayes », fournissent des types de
prononciations et d’intonations dans de très bonnes conditions d’enregistrement. On leur fait
prononcer des mots ou des listes de mots, des nombres ou des listes de nombres, ou on leur
fait lire des textes ou fragments de textes. Ces corpus servent à différentes exploitations soit
pour consigner et étudier les prononciations en tant que telles, soit pour tester un
comportement langagier (comme c’est le cas dans les services hospitaliers qui étudient des
phénomènes d’aphasie) soit pour établir des analyses qui servent à la synthèse de la parole ou
à la lecture automatique de textes écrits ou aux dialogues Homme-machine.

Dans toutes ces situations, les locuteurs savent généralement qu’ils sont enregistrés et ils ont
une idée précise ou approximative sur la finalité de leur prestation. La seule présence de
l’observateur, lors d’une enquête, suffit à modifier le comportement linguistique du témoin,
lequel a tendance à se rapprocher de la validité standard ou de prestige. De plus, la nature des
questions pose quelques problèmes au témoin, lorsqu’il est surpris par une question dont il
ignore la réponse, même s’il s’agit d’un informateur averti.

D’autres données sont dites « de parole continue », avec divers degrés de spontanéité.
Certaines sont recueillies dans des situations qui n’ont pas été provoquées par le chercheur.
D’autres plus ou moins « sollicitées », sont organisées par le chercheur. L’idéal du spontané
total serait d’enregistrer les locuteurs sans qu’ils s’en doutent (micro caché, enregistrement

89
pirate), l’objectif étant de saisir leur langage en toute liberté, avec un minimum de contrôle
(la présence de l’enquêteur et des appareils apporte un frein à cette liberté).

L’enregistrement d’interactions authentiques et leurs transcriptions nécessitent non seulement


des connaissances méthodologiques avancées, mais aussi un équipement technique spécialisé.
L’enquêteur doit avoir un matériel bien testé et est obligé de maitriser les techniques de
communication pour ne pas choquer son interlocuteur.

Séance 7

La linguistique de corpus
La linguistique de corpus ne cherche pas nécessairement les formalismes mais plutôt à révéler
les choix linguistiques opérés par des locuteurs dans des contextes réels. C’est une discipline
qui relève de la linguistique appliquée et qui cherche à comprendre les mécanismes de la
communication et à apporter des solutions à des questions pratiques. Par conséquent, la
linguistique de corpus s’est fait une place dans l’enseignement des langues, la lexicographie,
la traduction, et plus récemment, la terminologie. Cependant elle n’est pas simplement une
méthodologie ; elle s’est révélée comme une discipline en soi avec sa propre philosophie.
Deux approches fondamentales se côtoient, l’une déductive qui utilise le corpus pour
confirmer ou infirmer une hypothèse, et l’autre inductive, qui cherche à explorer les données
sans a priori. Les deux sont complémentaires.

La linguistique de corpus est un domaine qui s’intéresse aux textes concrets, c’est-à-dire
palpables, produits pour des raisons de communication entre êtres humains et non des
productions artificielles produites par l’introspection des linguistes, des textes entiers ou du
moins des échantillons qui dépassent le stade de la phrase. Les corpus dépassent le simple
texte pour constituer des ensembles de textes choisis et ordonnés selon des critères précis.
Cependant, il serait inutile de restreindre les communications à une définition trop stricte car
ceci exclurait automatiquement les corpus littéraires et les corpus non constitués. La notion
de corpus doit pouvoir englober des corpus mono source, basés sur des journaux par exemple,
en tant que ressource textuelle.

La linguistique de corpus a été développée pour extraire d’un corpus les connaissances
linguistiques nécessaires à l’enseignement des langues ; un corpus étant un ensemble collecté
et ordonné de données langagières réelles. Faisant partie de la linguistique appliquée, la

90
linguistique de corpus n’a jamais revendiqué réellement de cadre théorique propre.
Cependant, elle a procuré une manière nouvelle de regarder le langage. La linguistique de
corpus situe la signification dans le discours, dans l’interaction entre les gens, plutôt que dans
l’esprit des locuteurs. Seuls les mots pris dans leur contexte ont du sens, et ce qu’ils signifient
est déterminé par leurs colloquas contextuels. Donner du sens à un segment textuel signifie
explorer les liens intertextuels qui le relient à la dimension diachronique du discours.

Dans la linguistique du corpus le contenu doit être choisi sans prendre en considération la
langue étudiée, mais plutôt l’usage et la fonction communicatifs des énoncés (privilégier les
critères externes). Il est essentiel de viser à la représentativité.

En conséquence, la linguistique de corpus représente un outil extrêmement intéressant pour


la traductologie et l’enseignement de la traduction. Il est dorénavant possible de comparer
des traductions pour étudier les stratégies adoptées par les traducteurs ou simplement pour
comparer l’usage dans des combinaisons de langues différentes que ce soit pour les langues
proches, comme l’italien et le français, ou plus éloignées comme le français ou l’arabe.

Le corpus du linguiste
Élaboration du corpus
C'est de proche en proche que le corpus s'élabore, d'hypothèses trop hâtives balayées par les
faits en propositions plus subtiles qui cadrent mieux les données, de retouches en retouches
et en vérification (indirecte et implicite) auprès des témoins. La trame structurelle du discours
oral se dessine ainsi progressivement en même temps que le corpus se construit. De
l'exécution d'un questionnaire11 qui se voulait standard au départ, le travail d'enquête, au fur
et à mesure que les faits se dévoilent, s'adapte et s'approfondit là où cela en vaut la peine et le
produit résultant, peut n'avoir plus qu'une relation lointaine avec le questionnaire initial qui a
servi de base.
Donc on peut dire que le corpus s'élabore, se dévoile au fur et à mesure que l'investigation
du chercheur avance. De sorte que c'est finalement le corpus qui fait la théorie. Cependant
on voit bien que les relations corpus de données et faisceau d'hypothèses peuvent aisément
s'inverser, en ce sens que, bien vite, ce peut être la délimitation du corpus qui « fait » l'objet
et qui configure la théorie.

11
Voir le protocole pour une enquête par questionnaire dans un cours ultérieur.
91
La clôture du corpus partie intégrante de la théorie
L'analyse phonématique, l'analyse étymologique et la conduite de l'enquête linguistique de
terrain répondent à des cas où le modèle d'analyse est connu et défini par avance. Mais il n'en
est pas toujours ainsi. Dans certains domaines, même le découpage approximatif initial (celui
qui est censé intervenir avant corrections ou affinements) fait défaut. Si l'on se propose
d'étudier telles ou telles structures lexicales d'une langue à un moment donné, sait-on vraiment
en quoi consiste l'étude ? A priori, cela semble évident : il faut procéder à l'analyse d'un corpus
lexical, susceptible d'être fourni, par exemple, par la consultation des dictionnaires du
moment.

Protocole, échantillonnage et typologie


Pour constituer un corpus, le linguiste doit définir une méthodologie et élaborer une liste de
critères. Cela permet de sélectionner les données et de décider des enregistrements qui doivent
être faits. Parmi ces critères peuvent être mentionnés :

❑ Les objectifs de recherche visés : si l’utilisateur veut construire un corpus pour étudier le
vocabulaire des jeunes, il ne choisira pas les situations d’enregistrement et les documents
à retenir de la même façon que s’il veut travailler sur des discours politiques ;
❑ Le type de corpus : si le but est de constituer un corpus de référence, plusieurs critères
interviennent en parallèle pour obtenir une meilleure représentativité possible. Il faut en
effet tenir compte des différences socio-économiques et géographiques entre les locuteurs,
des différentes situations de communication, des nombreux types de documents écrits
(textes littéraires, rapports professionnelles, articles de presse, etc.). En revanche, pour
créer un corpus de spécialité, il faut réfléchir aux paramètres qui permettent de bien choisir
des données représentatives pour tel ou tel aspect de la langue.
❑ Les modalités d’enregistrement des données : si le corpus est construit pour travailler sur
les caractéristiques acoustiques d’un son, il est important que les enregistrements soient
faits dans des situations expérimentales optimales (utilisation d’une chambre sourde,
enregistrement numérique, etc.). Si au contraire, le linguiste veut avoir une idée de la
langue parlée dans certains quartiers populaires, il est préférable qu’il enregistre les
locuteurs dans leur milieu ambiant, voire avec un informateur.

92
La question de la taille :
Lorsqu’on soulève la taille de corpus, on parle de la dimension et de la variété des corpus
collectés ou construits pour des études et recherches linguistiques ou littéraires. La question
de la taille du corpus reste toujours en relation avec la question de la pertinence du corpus.
La France est en retard pour la constitution de grands corpus de référence, mais très en avance
par rapport aux corpus oraux. Les travaux de Claire Blanche Benveniste sont bien connus. Ils
fournissent un cadre pour les études sur les corpus de paroles et démontrent l’existence et
l’importance d’une grammaire de la langue française parlée.

Pour la majorité des chercheurs, la taille du corpus est un des premiers facteurs à considérer.
Les prédécesseurs ont travaillé sur multiples domaines (lexique, …). Sinclair (1991 : 18),
entre autres, recommande pour des recherches sur le lexique, de composer un corpus ouvert
qui contient des millions de mots parce que la moitié du vocabulaire d’un texte, même très
long, peut être constituée de lexies qui n’apparaissent qu’une seule fois. Pour étudier leur
comportement en contexte, il faut disposer d’un grand nombre d’occurrences. De plus, dans
un texte, certains des mots qui reviennent le plus souvent sont des articles, des mots
grammaticaux.

Bowker et Pearson (2002 : 45) nuancent le critère de la taille du corpus. Un petit corpus bien
construit peut contenir plus d’informations qu’un vaste corpus ne répondant pas aux besoins
du chercheur. Néanmoins il n’existe pas de règles pour déterminer la taille idéale d’un corpus.
Il faut prendre en considération les besoins ciblés auparavant par le chercheur, la disponibilité
des sources, le temps et les moyens dont on dispose. Cependant, il est reconnu que les corpus
utilisés pour étudier les langues de spécialité peuvent être de taille plus modeste que ceux
utilisés pour analyser la langue générale.

La question des objectifs linguistiques du corpus est primordiale pour Kennedy (1998 : 68)
qui doute de la nécessité des méga-corpus12 et propose de privilégier la qualité des données
plutôt que leur quantité. La qualité des données signifie pour Kennedy la prise en

12
La nécessité de corpus de très grande taille est défendue par Sinclair, qui considère que « grand » est la
valeur par défaut de la quantité de données (Sinclair, 1996) et préconise un corpus « aussi grand que possible
», se basant en cela sur la loi de Zipf ((1991 : 18).
NB : La loi Zipf est une observation empirique fondée93 sur l’évidence et l’expérimentation. Il s’agit d’une
méthode appréciée par les scientifiques. Son but est de tester une hypothèse à partir d’un objectif défini au
préalable.
considération des objectifs linguistiques du corpus. Kennedy évoque quelques exemples,
selon lesquels la quantité de données nécessaire à une analyse prosodique serait de 100 000
mots, sous la condition que ces données soient du type « parole spontanée » ; ou qu’une étude
sur la morphologie des formes verbales nécessiterait entre 500 000 et un millions de mots.

Qu’un corpus soit plus grand qu’un autre, ou enrichi avec le temps, peut paraître
indiscutablement positif. Mais les auteurs sont nombreux à plaider pour des corpus plus
spécifiques, mieux construits, plus accessibles et surtout plus adaptés aux besoins du linguiste.
Cappeau et Gadet rappellent que si l’évolution de l’informatique a permis la constitution et
l’exploitation de corpus de grande taille, cette évolution doit rester pour les linguistes « une
condition nécessaire, mais non suffisante, pour espérer disposer d’un recueil exploitable. »
Les auteurs poursuivent en mettant en garde contre les expansions injustifiées d’un corpus :

"En contrepartie, on peut craindre que le linguiste ne s’enivre d’une accumulation de


données, avec l’idée implicite que plus il y en a, mieux c’est : cent mille mots, c’est
forcément mieux que cinq mille, même si ces cinq mille-là devaient bouleverser la
représentation d’un champ." Cappeau et Gadet (2007 : 101)

Pour résumer la question de la taille adéquate des corpus, nous dirons que bien qu’il faille
des corpus de très grande taille pour des études lexicographiques, le calcul des collocations
ou une description exhaustive de la langue qui reposerait uniquement sur des données
attestées, la qualité des résultats de dépend pas du volume des données, et pourrait même en
souffrir. En effet, il est de notoriété que plus de 90 % des phénomènes langagiers apparaissent
dans des corpus restreints ; d’une part le gain obtenu grâce aux méga-corpus ne compensera
pas les efforts matériels et humains fournis pour la constitution de tels corpus, et d’autre part
la manipulation d’un volume de données largement inaccessibles à l’esprit humain risque
d’être discontinu.

Déterminer la taille d’un corpus amènera donc le chercheur à définir ses besoins, prendre en
compte les possibilités humaines et matérielles entrant en jeu ainsi que les outils
d’exploitation dont il dispose. Pour Kennedy (1998 : 68), la linguistique de corpus n’est pas
– encore ou ne le sera-t-elle jamais, – une science exacte.

94
Donc on peut affirmer que la taille minimum d’un corpus bien construit dépend de deux
éléments à savoir :

❑ Le type des requêtes qui peuvent être faites par les chercheurs ;
❑ La méthodologie utilisée pour étudier les données.

Supplément bibliographique

➢ Arbach Najib et Ali 1Saandia (2013), « Aspects théoriques et méthodologiques de la


représentativité des corpus », Corela [En ligne], HS-13 | , mis en ligne le 15 mai 2014, URL
: http://journals.openedition.org/corela/3029U; DOI : https://doi.org/10.4000/corela.3029
➢ BAUDE, O. et ABOUDA, L. (2006), "Constituer et exploiter un grand corpus oral : choix
et enjeux théoriques. Le cas des ESLO", à consulter sur :
➢ http://icar.univ-lyon2.fr/ecole_thematique/idocora/documents/Abouda-Baude-ESLO.pdf
➢ BURNARD, L. (2007), " Une introduction au British National Corpus dans son édition
XML", Texte et Corpus, 3, pp.17-34.
➢ CAPPEAU, P. et GADET, F. (2007), "L’exploitation sociolinguistique des grands corpus",
Revue française de linguistique appliquée, 12 (1), pp. 99–110.
➢ CHOMSKY, N. (1965), Aspects of the Theory of Syntax (Vol. 119), Cambridge (Mass.) :
The MIT Press.
➢ Comby, Émeline. Mosset, Yannick. (2016), Corpus de textes : composer, mesurer,
interpréter. DOI: 10.4000/books.enseditions.7368
➢ Falbo, Caterina. (2019), La collecte de corpus d’interprétation : un défi permanent. Meta,
63. DOI: 10.7202/1060167ar
➢ GEYKEN, A. (2008), "Quelques problèmes observés dans l’élaboration de dictionnaires à
partir de corpus", Langages, (3), pp.77–94.
➢ DOI : 17T10.3917/lang.171.0077
➢ GRANGER, S. (2007), " Corpus d’apprenants, annotation d’erreurs et ALAO : une synergie
prometteuse", Cahiers de lexicologie, 91, 2, pp.117-132.
➢ HABERT, B. (2000). "Des corpus représentatifs : de quoi, pour quoi, comment". In Bilger,
M. (ed.) : Linguistique sur corpus. Études et réflexions, (31), 11–58, Perpignan : Presses
Universitaires de Perpignan.
➢ LEON, J. (2008), "Aux sources de la « Corpus Linguistics » : Firth et la London School".
Langages, 3, 12–33, DOI : 10.3917/lang.171.0012
➢ SINCLAIR, J. (1991), Corpus, concordance, collocation, Oxford : Oxford University Press.
➢ SINCLAIR, J. (1996), "Preliminary recommendations on corpus typology". EAGLES.
Consulté sur : http://www.ilc.cnr.it/EAGLES/corpustyp/corpustyp.html
➢ SINCLAIR, J. (2004), "Corpus and Text - Basic Principles". Developing Linguistic Corpora
: a Guide to Good Practice, à consulté sur :
http://www.ahds.ac.uk/creating/guides/linguistic-
➢ TEUBERT, W. (2010), "Corpus Linguistics : An Alternative", Semen, Critical Discourse
Analysis I, Les notions de contexte et d’acteurs sociaux, 27. http://semen.revues.org/8912
➢ VÁRADI, T. (2001), "The linguistic relevance of corpus linguistics", Proceedings of the
Corpus Linguistics 2001 Conference, UCREL Technical Papers, 13, pp.587–593.

95
Séance 8
La conduite du recueil des données est un moment important dans le travail de recherche. Il
ne faut pas se « précipiter » pour les collecter. Une erreur, un oubli est difficilement
rattrapable par la suite, surtout dans le cadre d’un travail académique.
Le choix de matériel est guidé par les objectifs de recherche et les conditions de travail sur le
terrain.
Type de recueil de données :
Pour définir les données à recueillir, il suffit de répondre à quelques questions :
Est-ce que mes données sont :
❑ Des actions (filmées) ;
❑ Des paroles (enregistrées et/ou filmées) ;
❑ Des écrits (copies d’élèves) ….
Donc, données écrites ou données orales/visuelles ?
Les principales méthodes du recueil d’informations :
Une fois qu’on a déterminé ce que l’on veut recueillir comme informations, il est nécessaire
d’élaborer une stratégie de recueil de données, stratégie qui elle-même va faire appel à des
méthodes de recueil d’informations.
Les méthodes principales sont au nombre de 4 :
➢ L’observation ;
➢ La pratique d’entretien ou d’interviews ;
➢ Le recours à des questionnaires ;
➢ L’étude de documents.
L’observation, le questionnaire, l’entretien et l’étude des documents constituent donc les
outils du travail quotidien du chercheur. La réussite de toutes démarches fondamentales est
liée à la qualité des informations sur lesquelles elles s’appuient.
Dans toute démarche, il est primordial de se poser quelques questions importantes telles :

✓ « Est-ce que je sais bien dans quel but je veux recueillir des informations ? »
✓ « Ai-je bien choisi l’information sur laquelle je vais travailler ? »
✓ « L’information que je recueille est-elle bien celle que je voulais recueillir ? »
✓ « Cette information est-elle de qualité suffisante ? »
✓ « Que vais-je faire de cette information ? » etc.

96
Trop souvent, les informations sur lesquelles on travaille sont de mauvaises informations, des
informations insuffisantes, des informations déformées, des informations mal traitées.
Au départ de toute recherche scientifique, il importe donc de bien cerner le rôle du recueil
d’informations, les précautions à prendre et l’utilisation que l’on peut faire de l’information.
L’observation du comportement d’une population ne pourra être considérée comme un
recueil d’informations que si le chercheur précise les objectifs, s’il connait les sujets et les
objets de son observation.
L’enquête ne pourra relever d’un véritable recueil d’informations que si le chercheur étudie
le lien entre les questions posées et l’objectif poursuivi, s’il précise son échantillon et s’il
respecte un certain nombre de règles avant de tirer des conclusions.
L’analyse préalable ne pourra relever d’un véritable recueil d’informations que si le
chercheur se donne un certain nombre de critères de choix.
Le recueil d’informations peut dès lors être défini comme le processus organisé mis en œuvre
pour obtenir des informations auprès de sources multiples en vue de passer d’un niveau de
connaissance ou de représentation d’une situation donnée à un autre niveau de
connaissance ou de représentation de la même situation, dans le cadre d’une action
délibérée dont les objectifs ont été clairement définis, et qui donne des garanties suffisantes
de validité.
L’observation participante
L’enquêteur peut pratiquer l’observation « de l’intérieur » au sens strict, auquel cas (le
chercheur est témoin). Par contre si la situation relève de l’interaction (le chercheur est
coacteur). Les situations ordinaires combinent selon des dosages divers l’une et l’autre
composante.
Dans tous les cas, les informations et connaissances acquises peuvent soit être consignées
plus ou moins systématiquement par le chercheur, soit resté informelles ou latentes. Si les
observations et interactions sont consignées, elles se transforment en données et corpus.
Sinon, elles n’en jouent pas moins un rôle, qui est de l’ordre de l’imprégnation.
Le chercheur s’attache à multiplier et organiser ses observations, c’est pour en garder autant
que possible trace. Il lui faut donc procéder à des prises de notes, sur le champ ou a posteriori,
et tenter d’organiser la conservation de ce à quoi il a assisté, sous forme de descriptions écrites
(parfois enregistrées en vidéo). Par là il produira des données et constituera des corpus qui
seront dépouillés et traités ultérieurement. Ces corpus ne sont pas, comme chez l’historien,

97
des archives, ils prennent la forme concrète du carnet de terrain, où le linguiste consigne
systématiquement ce qu’il voit et ce qu’il entend. D’où l’importance de ces carnets : seul ce
qui y est écrit/transcrit existera ultérieurement comme données, fera fonction de corpus, et
pourra être ensuite dépouillé, traité et restitué.
Bien évidemment, les données, au sens où nous l’entendons ici, ne sont pas des « morceaux
de réel » ’Goffman parle de (séquence) cueillis et conservés tels quels par le chercheur’
(illusion positiviste), pas plus qu’elles ne sont de pures constructions de son esprit ou de sa
sensibilité (illusion subjectiviste). Les données sont la transformation en traces objectivées
de «morceaux de réel » tels qu’ils ont été sélectionnés et perçus par le chercheur. Bien sûr
l’observation pure et « naïve » n’existe pas et depuis longtemps le positivisme scientiste a
perdu la partie dans les sciences sociales. On sait que les observations du chercheur sont
structurées par ce qu’il cherche, par son langage, sa problématique, sa formation, sa
personnalité. Mais on ne doit pas sous-estimer pour autant la « visée empirique » du linguiste.
Le désir de connaissance du chercheur et sa formation à la recherche peuvent l’emporter au
moins partiellement sur ses préjugés et ses affects (sinon aucune science sociale empirique
ne serait possible). Une problématique initiale peut, grâce à l’observation, se modifier, se
déplacer, s’élargir. L’observation n’est pas le coloriage d’un dessin préalablement tracé : c’est
l’épreuve du réel auquel une curiosité préprogrammée est soumise. Toute la compétence du
chercheur de terrain est de pouvoir observer ce à quoi il n’était pas préparé (alors que l’on
sait combien forte est la propension ordinaire à ne découvrir que ce à quoi l’on s’attend) et
d’être en mesure de produire les données qui l’obligeront à modifier ses propres hypothèses.
L’enquêteur est mis par le groupe d’accueil, dans une position d’« étranger sympathisant »
ou de « compagnon». Son « intégration » est relative mais réelle.
La posture d’observation porte sur les interactions verbales dans lesquelles le chercheur n’est
que peu ou pas engagé, c’est-à-dire ce qui se donne à entendre. Le chercheur est un voyeur,
mais c’est aussi un « écouteur ». Le chercheur est en effet engagé sans cesse dans de multiples
interactions. Loin d’être seulement témoin, il est en permanence immergé dans des relations
sociales verbales et non verbales, simples et complexes : conversations, bavardages, jeux,
étiquette, sollicitations, etc. Le chercheur évolue dans le registre de la communication banale,
« il épouse les formes du dialogue ordinaire ». Or de nombreux propos ou actes du registre
de la communication banale où l’enquêteur est partie prenante relèvent de sa curiosité
professionnelle, c’est-à-dire concernent directement ou indirectement son thème de

98
recherche. Parfois ces propos ou ces actes ne sont pas ou ne sont que fort peu modifiés par le
fait que le chercheur participe à l’interaction. Parfois ils sont modifiés de façon significative.

Toujours comme pour la simple observation, le chercheur s’efforce donc, chaque fois que cela
peut être utile, de transformer les interactions pertinentes en données, c’est-à-dire d’en organiser.

Séance 9

L’entretien comme « négociation invisible »

L’enquêté n’a pas les mêmes « intérêts » que l’enquêteur ni les mêmes représentations de ce
qu’est l’enquête. Chacun, en un certain sens, essaye de « manipuler » l’autre. L’informateur
est loin d’être un pion déplacé par le chercheur ou une victime prise au piège de sa curiosité. Il
ne se prive pas d’utiliser des stratégies actives visant à tirer profit de l’entretien (gain en
prestige, reconnaissance sociale, rétribution financière, espoir d’appui ultérieur, légitimation de
son point de vue particulier…) ou des stratégies défensives visant à minimiser les risques de la
parole (donner peu d’information ou des informations erronées, se débarrasser au plus vite d’un
gêneur, faire plaisir en répondant ce qu’on croit que l’enquêteur attend…).
Le problème du chercheur, et c’est un dilemme qui relève du double lien, c’est qu’il doit à la
fois garder le contrôle de l’enregistrement (car il s’agit pour lui de faire progresser son enquête)
tout en laissant son interlocuteur s’exprimer comme il l’entend et à sa façon (car c’est une
condition de la réussite de l’entretien). Le chercheur est censé gérer l’entretien. Celui-ci est
en quelque sorte tenu professionnellement d’accorder crédit aux propos de son interlocuteur
(aussi étranges ou suspects qu’ils puissent apparaître dans l’univers de sens du chercheur). Ce
n’est pas simplement une astuce d’enquêteur. Telle est la condition d’accès à la logique et à
l’univers de sens de ceux que le linguiste étudie, et c’est par cette prise au sérieux qu’il peut
combattre ses propres préjugés et préconceptions.
La « réalité » que l’on doit accorder aux propos des informateurs est dans la signification que
ceux-ci y mettent. En même temps une nécessaire vigilance critique met en garde le chercheur
contre le fait de prendre pour véridique tout ce qu’on lui dit. Il ne s’agit pas de confondre les
propos de quelqu’un sur une réalité et cette réalité elle-même. C’est là un vrai dilemme.
La question qui se pose est comme suit : Comment combiner empathie et distance, respect et
méfiance ? Comme tout dilemme, il n’a pas de solution radicale. Mais il est sans doute de bonne

99
politique de recherche que de tenter de différer dans le temps les deux opérations. Celle de la
prise au sérieux imperturbable précédera celle du doute méthodique : elle est même une
condition de cette dernière.
Pendant l’entretien, on crédite les propos de son interlocuteur de sens : on ne peut en effet
accéder à ce sens qu’en prenant au sérieux l’intégralité de ce qui est dit. L’entretien est donc
géré à partir de ce préjugé favorable.

L’entretien et la durée
L’insertion de l’entretien dans une dimension diachronique constitue une autre forme de
contraste. Un entretien est au moins pratiquement le début d’une série d’entretiens et, au-delà,
d’une relation (même si, souvent, celle-ci tourne court). Dans ce cas l’entretien n’est pas un
dossier fermé, bouclé, mais un Dossier ouvert, qui peut toujours s’enrichir.
Plusieurs entretiens avec le même interlocuteur sont une façon de se rapprocher du mode de la
conversation. Un entretien ultérieur permet souvent de développer et de commenter des
questions soulevées lors d’un entretien précédent. De plus, à chaque nouvel entretien avec le
même interlocuteur, celui-ci crédite le chercheur de plus de compétence : ce crédit est un atout
majeur pour le chercheur. En effet, plus on a le sentiment d’avoir affaire à un étranger
incompétent, plus on peut lui raconter des histoires.
Les entretiens : dirigés, semi-dirigés, libres :
L'entretien dirigé ou "directif" consiste à interroger les sujets de manière un peu "rigide" à
l'aide d'un questionnaire fermé où les réponses attendues ne peuvent se prêter à un grand
développement. Les questions nécessitent une fine élaboration. Le traitement est ici Quantitatif.
L'entretien semi-dirigé ou semi-directif (appelé observation indirecte par les sociologues) est
plus souple puisque les questions peuvent donner libre cours à de larges développements.
L'ordre des questions et leur formulation même peuvent varier. L'entretien libre est non
directif. Il s'agit de laisser parler l’informateur après avoir lancé un thème, une idée, une
question et de se laisser porter par la discussion. Le rôle de l'enquêteur sera de rester très vigilant
aux paroles de l'autre afin de relancer ou d'orienter le cours de la discussion dans le sens qu'il
considérera comme nécessaire tout en évitant les marques de subjectivité trop fortes (préjugés,
jugement des paroles, valorisation/dévalorisation de la personne…). Dans ce cas le traitement
sera obligatoirement qualitatif.

100
Quel que soit le type d'entretien, la présence de l’enquêteur entraîne inévitablement des
modifications dans le comportement et le discours de l'enquêté.
Les différents types d'enquêtes et de techniques peuvent bien sûr se combiner les uns aux autres,
cette combinaison est parfois même indispensable pour le bon déroulement d'une recherche.
Le rôle de l’enquêteur
Avant de commencer l’enquête, il faut que l’enquêteur s’interroge impérativement sur sa propre
place dans l’interaction.
La situation en sa présence est forcément transformée : à lui de savoir comment, de réduire cet
impact au minimum et d’en tenir compte dans l’analyse des données.
Le paradoxe de l'observateur (Labov)13

Le rôle de l'enquêteur a été longuement étudié. Son influence est évidemment forte s'il ne fait
pas un effort d'objectivité et de neutralité (dans son comportement, ses attitudes, ses questions,
ses propos, etc.).
Le respect de la personne interrogée se situe à plusieurs niveaux : elle doit rester maîtresse de
son temps, de son espace, de sa langue. La langue dans laquelle se déroule l'enquête doit être
celle de l'enquêté (c'est à l’enquêteur de faire l'effort et pas l'inverse). Le pouvoir que confère
la situation d'enquêteur doit à tout prix être amoindri afin de gagner la confiance de la personne
et d'instaurer l'ambiance la moins tendue possible. Toutefois, l'ensemble de ces précautions ne
suffisent pas à éviter l'influence de la présence de l'enquêteur que l'on voudra "satisfaire" ou
"séduire".

13
Labov a insisté sur le paradoxe de l'observateur qui vise à restituer des éléments au plus près de la réalité vécue alors
que cette réalité doit être soumise à l'artificiel de l'observation systématique. Il semble que cette notion de paradoxe de
l'observateur a souvent été entendue au sens d'une prégnance relationnelle, porteuse en germe des déformations dues au
blocage du regard systématique. En quelque sorte, le chercheur et l'informateur seraient en relative difficulté pour se
rencontrer car la densité des interactions leur donne un sens plurivoque qui ne peut pas être élucidé à l'instant de leur
réalisation. Il est donc nécessaire de passer par la transition d'un autre regard qui pose à son tour le problème du rapport
entre observation et réalité. Aussi juste soit-elle, il nous semble que comprise en ce sens exclusif la notion perd de sa
valeur heuristique et fait négliger une autre donnée aussi importante qui est le recours à une médiatisation nécessaire pour
la suite de l'utilisation du matériau. L'opération d'engrangement
101 des données mérite donc réflexion si l'on ne veut pas
céder à l'illusion du calque du corpus recueilli sur le fragment de vie observé. Plusieurs points doivent être examinés sous
l’angle de la possible déperdition d'informations entre le modèle et son double. Ce dernier aspect est bien connu des
techniciens qui opèrent des copies de bandes son ou de bandes vidéo et qui savent que la copie est toujours mutilée par
rapport à la quantité d'informations à restituer. Le risque s'aggrave lorsqu'il s’agit de mettre en mémoire une réalité
fortement irréductible à la perception. Dans ces conditions, il convient de partir du fait que toute réalité humaine est
perçue d'abord par des éléments sensoriels : par exemple les réalisations de parole sont saisies par l'ouïe et par la vue.
Peut-on dire que le passage au magnétophone ou au magnétoscope ne modifie pas la perception elle-même ?
Si tout cela est indispensable à signaler, notons qu'il ne faudrait pas penser que toute enquête
avec présence de l'enquêteur sera "biaisée" et donc inutile. Les réponses des sujets varient bien
en fonction de la situation d'interaction, mais poser cette variation en termes de biais ou de
déformation est erroné. Cette problématique tenterait à poser qu'il existerait une VÉRITÉ du
sujet en dehors de toute interaction. Toute réponse est toujours donnée dans une situation
d'interaction, qu'elle soit une situation d'observation, provoquée ou non.
La variabilité des réponses est une donnée de fait qui ne remet pas en cause l'authenticité des
propos : ils sont authentiques dans la situation d'une interaction au cours de laquelle ils ont été
produits.
La situation d'interview est une situation sociolinguistique parmi d'autres. Il convient de tenir
compte de ces éléments au cours de l'analyse.
Les écueils de l'interview
Les limites de l'interview quand il s'agit d'obtenir de la langue naturelle ont souvent été
soulignées. Les interviews dites informelles (dans lesquelles l'enquêteur s'efforce de “ mettre
l'interviewé à son aise ”) se présentent alors comme un compromis pour une méthode qui a pu
constituer une ressource tentante, pour sa facilité de mise en place, et pour la comparabilité
qu'elle permet. Cependant, parce qu'elles laissent une place non marginale à un enquêteur qui
la plupart du temps n’est pas un familier, le degré de naturel de la relation a pu être mis en
cause, et du même coup la qualité (en tant qu'ensemble de données) de la langue ainsi obtenue.

102
Séance 10

Enregistrement et transcription des données

Les corpus oraux impliquent donc toujours l’enregistrement de données et la transcription


de celles-ci, deux étapes lourdes en temps et en ressources humaines en raison du travail de
terrain nécessaire à la première, et de la transcription manuelle des données.
Meyer (2002 : 32) rapporte ainsi qu’une minute de la parole enregistrée nécessite six heures
de travail pour la transcription et l’annotation d’une minute de parole. Ces difficultés
matérielles impliquent, toujours selon Meyer, des considérations triviales quant à la taille
désirée du corpus.
L’enregistrement des corpus est une opération matérielle et technique qui doit être conçue et
réalisée en fonction d'objectifs et d'objets d'analyse. Cette opération vise à capturer des
données audio/vidéo afin de rendre disponibles, et donc analysables, les détails linguistiques,
multimodaux et situationnels (regards, gestes, mouvements, actions, objets, cadre physique)
pertinents pour l'interaction enregistrée.
Les enregistrements sont donc régis par la nécessité de prendre en compte : le déroulement
temporel de l’interaction, la manière dont elle se déploie dans l’espace, le cadre de
participation qui caractérise l’interaction et les objets qui sont mobilisés par les interactants.
Ces exigences posent toute une variété de problèmes pour l’enregistrement. La réussite de
l'opération dépend fortement de la qualité de la phase de terrain réalisée avant
l’enregistrement lui-même. Les choix à opérer pour l'enregistrement sont guidés par des
considérations de technique et de savoir-faire qui sont elles-mêmes dépendantes d'exigences
théoriques et analytiques. On peut également rappeler que les dispositifs d'enregistrement
doivent aussi prendre en compte dans leur conception le degré d'intrusion qu'ils peuvent
représenter et/ou que les participants sont prêts à accepter.
Chaque texte est balisé au début et à la fin de la transcription. Il reçoit le code du locuteur
principal de l’enregistrement.
Enfin, on peut dire que la transcription de données orales est une démarche cruciale, de
laquelle dépendent étroitement les résultats de la recherche. Les choix de transcription ont
évolué en fonction du développement des outils informatiques, lesquels offrent de nouvelles
perspectives de recherche.

103
Grands principes de conventions de transcription :
Toute analyse linguistique de productions orales est impossible à partir de la seule source
sonore. En effet, le chercheur aura beau écouter et réécouter les enregistrements, il ne peut
les appréhender uniquement par le biais du son. Ceux-ci ne pourront devenir des objets
d’étude à part entière qu’à partir de leur mise par écrit. La parole reste fluide, essentiellement
fugace, même après avoir été capté sur bande sonore. Cependant,
« On ne peut pas étudier l’oral par l’oral, en se fiant à la mémoire qu’on en garde.
On ne peut pas sans le secours de la représentation visuelle, parcourir l’oral en
tous sens et en comparer les morceaux » (Blanche-Benveniste 2000 : 24)
Les corpus oraux ont pour particularité qu’aux données primaires (les enregistrements)
s’ajoutent des données secondaires (la transcription) nécessaires à leur exploitation.
Transcrire les données
Dans le cas des corpus oraux ou de parole continue, la collecte des données constitutives d’un
corpus s’effectue sous la forme d’enregistrements. Même lorsque ces derniers ont été
numérisés en respectant des formats de codage audio standardisés, ils ne sont pas exploitables.
En effet, des données audio brutes ne peuvent pas être analysées sans un travail préalable de
transcription et de segmentation. Donc en quoi consiste la tâche de transcription.
Qu’est-ce que transcrire ?
Transcrire des données sonores consiste à fournir une représentation symbolique du signal14.
Cette représentation n’est pas équivalente au signal, dans la mesure où elle est le résultat d’une
analyse, ou plutôt d’une abstraction, des données réelles. Mais plusieurs types ou niveaux de
transcription peuvent être définis selon les caractéristiques ci-après :
❑ La transcription à partir des scripts d’enregistrement : si les enregistrements ont été
effectués à partir de la lecture de scripts, le niveau de transcription le plus aisé et le plus
facile à fournir est de « reprendre » intégralement les scripts.
❑ La transcription orthographique consiste à encoder sous forme orthographique standard
les éléments contenus dans le signal. Ce niveau est très souvent utilisé pour transcrire les
corpus oraux de taille assez importante. À partir de la représentation orthographique, il est

14
Valibel : est le Centre de recherche sur les Variétés linguistiques du français en Belgique. Il a mis au point des conventions de
transcription de l’oral.
104
possible d’obtenir une représentation phonémique à l’aide de systèmes de conversion
graphème-phonème.
❑ La transcription correspondant à une représentation phonémique : à ce niveau, tous les
items linguistiques (ou mots) sont transcrits sous la forme d’une « représentation
phonologique sous-jacente », qui correspond à la façon dont chaque item est prononcé en
isolation.
❑ La transcription phonétique large : bien que la transcription reste phonémique à ce niveau,
certains phénomènes de sindhi ou de joncture sont notés (liaison, insertion de schwa,
«intrusive», etc.).
❑ La transcription phonétique étroite : consiste à transcrire tous les sons qui ont été produits,
en tenant compte des variantes allophoniques. Ce niveau de transcription ne repose pas
nécessairement sur une segmentation et une analyse du signal. En revanche, il est surtout
réservé à des corpus de taille limitée et nécessite l’utilisation de symboles phonétiques
(API, SAMPA, etc.).
❑ La transcription acoustique-phonétique15 : ce niveau de transcription repose sur une
analyse et une segmentation précise du signal de parole, dans la mesure où il encode des
informations aussi précises que les phases de fermeture et d’explosion lors de la production
des plosives, les dévoisements, etc. Il est surtout utilisé pour transcrire des corpus courts et
servant à des travaux de recherche précis en phonétique ou en traitement du signal.
Ces différents niveaux de transcription ne fournissent pas les mêmes informations. Pour
choisir celui qui sera utilisé pour transcrire un corpus, plusieurs éléments entrent en ligne de
compte : la taille du corpus, le degré de détails recherché et les objectifs visés. Si le corpus a
été construit pour étudier les modalités des interactions et des prises de parole
(chevauchements, silences, etc.), une transcription orthographique est suffisante. En
revanche, si le but est d’étudier les variantes de prononciation pour certains termes, une
transcription phonétique étroite est recommandée, au moins pour les parties pertinentes du
corpus.

15
Praat : est un logiciel scientifique qui peut être utilisé pour analyser la phonétique et la parole et manipuler des signaux de
discours acoustiques. Cet outil est devenu très utile aux phonéticiens pour la conduite d'analyse spectrale et d’exploration de la
tonalité, les formants et l’intensité de la parole. 105
Il faut aussi noter que la difficulté de la tâche de transcription dépend bien du niveau choisi,
mais également du type de documents. Transcrire un texte n’est pas la même chose que
transcrire de la parole spontanée, surtout s’il s’agit d’une conversation entre plusieurs
personnes.
Difficultés et contraintes de la transcription orthographique
Conventions et pratiques
Il est à rappeler que transcrire orthographiquement un document sonore consiste à représenter
symboliquement, sous forme orthographique, ce qui est contenu dans le signal. Ce niveau de
transcription est très souvent retenu pour les corpus oraux. Mais, bien que des outils
informatiques aient été développés pour aider le transcripteur dans sa tâche, celle-ci est
souvent rendue difficile pour plusieurs raisons. Tout transcripteur doit faire face à de
nombreux problèmes. Parmi ceux-ci, nous pouvons mentionner :
❑ Les problèmes liés à la difficulté d’écoute, d’autant que les enregistrements et l’écoute
monophonique sur magnétophone provoquent des déformations ;
❑ Les difficultés résultant de la reconstruction perceptive : en écoutant les données sonores,
le transcripteur peut avoir tendance à reconstruire certains éléments inexistants sur le signal
(mots erronés, etc.) ;
❑ Le poids des préjugés, notamment linguistiques : le transcripteur, en s’appuyant sur sa
compétence linguistique et sa représentation de la langue, voire du « bien parler », peut être
amené à modifier ce qu’il entend. Ainsi, par exemple, le « ne » de négation, bien que
souvent absent à l’oral, peut être inséré dans des transcriptions ;
❑ Les ambiguïtés propres au code oral : dans de nombreux cas, une même séquence sonore
peut correspondre à plusieurs interprétations à l’écrit.
Dans certains cas, ces ambiguïtés peuvent être levées par le contexte linguistique ou
communicatif, mais dans d’autres, le transcripteur ne peut pas décider et doit donc retenir les
différentes possibilités.
Outre ces difficultés, la tâche de transcription relève d’un paradoxe :
« Transcrire la langue parlée tient un peu du paradoxe : garder dans une représentation
écrite certaines caractéristiques de l’ « oralité » ; faire le « rendu » de la chose orale tout en
restant dans des habitudes de lecture établies depuis longtemps pour l’écrit… Le chercheur
va se trouver entre deux exigences : la fidélité à la chaîne parlée et la lisibilité de son rendu
par écrit. »

106
Pour essayer de représenter au mieux l’oral sous la forme d’une transcription orthographique,
les transcripteurs doivent décider de deux choses :
❑ Ce qu’il faut noter : dans une transcription orthographique, on peut se limiter à encoder
ce qui est dit par les locuteurs sur le signal sonore, mais on peut aussi noter les changements
de locuteurs et les tours de parole, les faux départs, les hésitations, les chevauchements, les
évènements non linguistiques, qu’ils soient sonores ou non (aboiements d’un chien, toux,
rires, hochements de tête, etc.), communicatifs ou non (rires, pleurs, éternuements, etc.).
❑ Comment il faut encoder les informations : les transcripteurs doivent définir comment ils
souhaitent utiliser le code orthographique (respect ou non de l’orthographe standard,
utilisation de la ponctuation, etc.), comment ils vont représenter typographiquement
certains phénomènes (chevauchements, faux départs, etc.) et comment les transcriptions
vont être mises en forme (représentation sur plusieurs tires ou sur une seule, etc.)
Les choix faits doivent généralement être explicités sous forme de conventions et respectés
par tous les transcripteurs du corpus. Ils doivent impérativement être diffusés avec les données
pour en permettre leur réutilisation.

Valorisation de l’oralité des corpus :


❑ Disfluence :
Nous conservons dans la transcription des traces de l’élaboration de l’énoncé, traces
souvent appelées dans la littérature « disfluences ». Nous notons ainsi :
➢ Les pauses pleines ou ponctuant (euh, ben, bon ...) ;
➢ Les répétitions de mots ou de suite de mots ;
➢ Les amorces de morphèmes (cou/pure).
Ce travail nécessite une grande attention de la part du transcripteur, pour noter des
phonèmes qui sont habituellement gommés dans une écoute ordinaire. En effet, notre
oreille semble ignorer totalement ces marques qui passent donc la plupart du temps
inaperçues tant elles sont communes dans l’oral spontané.
En pratique, disfluences signifie éléments qui brisent le déroulement syntagmatique de
l’énoncé.
➢ Segments abandonnés, amorces de morphèmes : c’est pas loin tu j’y vais ;
➢ Segments repris/répétés : c’est pas loin tu tu y vas ;
➢ « Euh » ;

107
➢ Allongement syllabique excessif (ne correspondant a priori pas à une démarcation
structurale (il y a:::::)
❑ Tour de parole :
Définir le tour de parole de façon « neutre » c’est dire qu’un tour de parole correspond à
l’occupation matérielle du canal de parole par un locuteur. Cette occupation guide la
transcription, indépendamment des paroles prononcées. Le tour de parole s’achève lorsqu’un
nouveau locuteur prend la parole à son tour. Ainsi, le cas des régulateurs verbaux de type mm
ou oui, souvent appelés « pseudo-tours » dans l’analyse interactionnelle : si la séquence
régulatrice est prononcée en même temps que les paroles du locuteur qui occupe le canal, elle
figure dans le tour de parole de celui-ci ; si elle n’est pas prononcée de façon superposée
(pendant une pause de l’autre locuteur par exemple), elle apparait dans un tour séparé. La
seule analyse du transcripteur concerne donc bien le chevauchement ou non des paroles, et
non le statut à leur accorder.
Dans les présentations de transcription, la succession de tours de parole se présente de manière
horizontale : les paroles des locuteurs se succèdent, de haut en bas et chaque paragraphe
présente l’intervention d’un locuteur.
❑ Chevauchement de la parole :
Dans les conversations, il est fréquent que deux (ou plusieurs) locuteurs parlent en même
temps. On a alors des séquences où la parole est superposée. Dans les études
interactionnelles, il est important de garder une trace de ces chevauchements.
Dans le tour de parole, c’est l’occupation du canal qui guide la transcription, indépendamment
des paroles prononcées. Ainsi, le cas des régulateurs verbaux de type « mm » ou « oui »,
souvent appelés « pseudo-tour ».
Dans les transcriptions du GARS, les chevauchements du locuteur apparaissent visuellement
dans un tour de parole séparé, alors que dans les conventions VALIBEL il est inséré dans la
ligne d’un autre locuteur : il est de ce fait moins visible et risque de ne pas être interprété
comme un tour de parole à part entière. Pour le tour de parole, le découpage opéré par le
GARS en fait deux tours de parole, là où VALIBEL en conserve un seul.
Le logiciel Praat offre des fonctions étendues dans l'étude de la phonétique. Il peut être utilisé
pour réaliser des expériences d’écoute comme des tests d’identifications et de discrimination
et est très utile pour changer les tonalités et les contours de durée. Ce logiciel gratuit est
convivial puisqu'il a un langage de script programmable fondamentale et qu’il fonctionne

108
avec d'autres programmes. En outre, il génère un graphisme de très haute qualité et des
fichiers, appropriés pour les phonéticiens. Il permet de traiter des sons très longs : il accepte
les fichiers d’une taille maximale de 2 giga bytes, ce qui correspond à 3 heures de son stéréo
de qualité CD ou à 12 heures de son mono échantillonné ;
➢ le fichier de sortie d’une transcription alignée sous Praat est un format ouvert, qui prend
la forme d’un fichier texte structuré de telle manière que chaque segment de transcription
correspond à un intervalle temporel du fichier son ; le fichier texte résultant est peu lisible
comme tel, mais peut être transformé à l’aide d’un script ou d’un logiciel en un fichier
texte qui adopte le format (vertical, en colonnes) choisi par l’utilisateur ;
➢ Le format texte permet d’attribuer une couche d’annotation par locuteur, afin de noter les
phénomènes spécifiques à l’oral (chevauchements de parole, silences, etc.).
➢ Certains types d’interaction, qui font intervenir un grand nombre de locuteurs (comme
une interaction en classe), compliquent la manipulation de l’interface car les paroles de
chaque locuteur sont inscrites dans une couche d’annotation séparée.
Dans les transcriptions du GARS, les chevauchements du locuteur apparaissent visuellement
dans un tour de parole séparé, alors que dans les conventions VALIBEL il est inséré dans la
ligne d’un autre locuteur : il est de ce fait moins visible et risque de ne pas être interprété
comme un tour de parole à part entière. Pour le tour de parole, le découpage opéré par le
GARS en fait deux tours de parole, là où VALIBEL en conserve un seul.
Conventions de transcription Valibel
/ pause brève ;
// pause longue ;
(silence) silence ;
(toux), (rire), (chuchotement) commentaires para-verbaux de type : toux, rire, chuchotement,
etc. ;
(x) passage incompréhensible d’une syllabe ;
(xx) passage incompréhensible de plusieurs syllabes ;
(xxx) passage incompréhensible relativement long ;
cou/ amorce de morphème ;
cou/ -pure amorce achevée sans reprise antérieure ;
? question de forme déclarative à contour intonatif montant ;
|- début de chevauchement ;

109
-| fin de chevauchement ;
|-- début de chevauchement impliquant plus de 2 locuteurs ;
--| fin de chevauchement impliquant plus de 2 locuteurs ;
|§ début de conversations en parallèle (séquences simultanées) ;
§| fin de conversations en parallèle (séquences simultanées) ;
§ sépare 2 conversations en parallèle ;
{choix1 , choix2} multitranscriptions ;
{incertain} transcription incertaine ;

L’annotation
L’annotation de données recueillis des corpus de parole est très importante, et cela dans de
nombreux domaines : traitement automatique de la parole (synthèse de la parole,
reconnaissance automatique de la parole, identification de locuteurs, etc.), dialogue homme-
machine, linguistique, didactique des langues, etc.
Pour constituer et échanger de tels corpus ou collections de données, il ne suffit pas
d’effectuer des enregistrements et de les numériser sous un format standardisé ; il est
également nécessaire de segmenter le signal sonore et de transcrire au moins
orthographiquement les informations qu’il contient. Bien que les tâches de segmentation et
de transcription restent très lourdes, elles sont rendues plus aisées grâce au développement
d’outils d’aide à la transcription.
La tâche d’annotation consiste toujours à assigner une étiquette à un intervalle, et cela quel
que soit le niveau de segmentation ou le choix de l’intervalle : phonème, mot, syntagme
syntaxique, groupe prosodique, énoncé ou tour de parole. Les spécialistes ont développé un
formalisme linguistique qui permet de représenter toute forme d’annotation, indépendamment
du format physique dans lequel elle est sauvegardée. En effet, les annotations sont
représentées sous la forme de graphes orientés appelés « graphes d’annotation ».
Enfin on peut dire que la diversité des outils d’aide à la transcription est intéressante,
dans la mesure où chaque utilisateur n’a pas les mêmes objectifs et les mêmes attentes.
Conclusion
Le corpus du linguiste est à priori l'ensemble des faits sur la base desquels celui-ci
entend conduire son analyse. Ce corpus est, au premier chef, de l'ordre des données brutes :

110
il consiste en un certain nombre d'unités linguistiques recueillies selon divers modes et
rassemblées. Il est indissociable de l'analyse.
L'extrapolation/l’application qu'il convient de faire pour étendre les résultats de
l'analyse de l'échantillon à la langue impose que cet échantillon ait un caractère représentatif.
La clôture du corpus ne peut plus être aléatoire ni seulement d'ordre quantitatif ; des
contraintes qualitatives viennent s'ajouter, le corpus est alors de l'ordre des données
pertinentes. Par ailleurs la décision de garder le corpus ouvert a pour corollaire l'implication
plus franche du linguiste dans le modelage de celui-ci ; le corpus est alors de l'ordre des
données construites.

Pour les corpus oraux, l’orthographe traditionnelle (standard) a été toujours adaptée (dans la
volonté de marquer les particularités de prononciation).

Les adaptations graphiques multiples de transcription ont indéniablement des implications sur
l’analyse. Cependant, une transcription sans aucune autre segmentation que les espaces
entre les mots et les changements des locuteurs est très difficilement lisible. C’est pourquoi
la plupart des systèmes de transcription s’accordent à reconnaître deux ou trois degrés de «
pauses », étant entendu qu’il ne s’agit pas nécessairement de pauses silence, (rendues par un
silence acoustique mesurable) mais bien d’une perception subjective de segmentation,
laquelle peut être rendue par une pause, par un allongement vocalique, par un contour
intonatif, voire par la présence d’une frontière syntaxique qui influence le découpage du
discours.

111
Sémantique

112
Année universitaire : 2020-2021 Prof : Med EL BOUZIKI

Licence fondamentale - Semestre : 5

Sémantique
Mise en page de Nasreddine YACOUBI
Séance du mardi (10 novembre) et du vendredi (13 novembre)

Introduction générale
On ne trouvera pas ici une étude détaillée des diverses théories (et de leurs nombreuses
variantes) qui ont émaillé l’histoire de la sémantique française au XXe siècle (et de la
sémantique en général). L’accent sera mis plutôt sur la sémantique structurale.
Rappelons que pour Saussure, le signe linguistique unit non une chose et un nom, mais un
concept et une image acoustique. Le triangle d'Ogden et Richards rejoint le schéma de
Saussure et réintroduit le référant dans la définition du signe.
La sémantique relève de trois sciences distinctes : la psychologie, la logique et la
linguistique, d’où une définition plutôt large du mot.
Rappelons que la sémantique linguistique traditionnelle a abouti à un haut degré dans le
cadre de la synchronie, elle analyse le contenu des unités lexicales et décrit les rapports
entre ces unités dans les plans paradigmatique (polysémie, homonymie, synonymie,
antonymie, etc.) et syntagmatique (interdépendances des éléments constituants de la
phrase) ; dans le cadre de la diachronie, elle a cherché à expliquer tous les changements de
sens, leurs causes et leurs résultats.
Les sémanticiens structuralistes ont souvent fait table rase afin de pouvoir présenter des
faits selon sous des horizons nouveaux. Sur le plan synchronique, B. Pottier et A. J. Greimas,
entre autres, ont fait un essai de synthèse dans leurs travaux portant sur l’analyse sémique.
Ils ont présenté une théorie sémantique nouvelle.

La sémantique structurale
Il faut remonter jusqu'à F. de Saussure pour trouver l’explicitation la plus claire des
fondements théoriques de la sémantique structurale moderne qui a comme principes :
❖ Priorité doit être accordée (pour la linguistique en général, et la sémantique en particulier)
à la perspective synchronique.
❖ Le sens d'un mot n’existe qu’en tant que composante de ce mot qui, pour Saussure, se
constitue de l'association d'un signifiant (Sa) et d'un signifié (Sé).

113
1- L’analyse sémique
La sémantique structurale européenne est pour l’essentiel une sémantique lexicale.
Contrairement au modèle classique d’Aristote, l’analyse sémique ne se place pas sur le
terrain de la référence. Elle a une visée strictement « linguistique » en développant une
approche du sens intralinguistique et différentielle.
L’analyse sémique16 a pour origine les travaux de l’allemand Jost Trier. L’idée de base
consiste en ce que les mots sont organisés en champs lexicaux et que leur analyse
sémantique doit être différentielle.
L’analyse sémique a reproduit les principes de l’analyse phonologique. Le sème sera le trait
minimal de signification, non susceptible d’une réalisation autonome et manifesté
uniquement en combinaison avec d’autres sèmes. (C’est donc l’équivalent sémantique du
trait pertinent en phonologie).
Vers 1963, Bernard Pottier aborde l’analyse du champ lexical des sièges, et ce par une
décomposition des lexèmes (tels que fauteuil, pouf, canapé, chaise en unités plus petites ou
sèmes : /pour s’asseoir/, /avec dossier/, etc.). Toujours dans les années 1960 plus
précisément en 1966 paraît un ouvrage qui reste toujours d’actualité, il s’agit de Sémantique
structurale d’Algirdas Julien Greimas et qui caractérisera davantage l’analyse sémique.

2- Les méthodes de l’analyse sémique


Pour se prémunir contre les dangers de la subjectivité, la sémantique s’est dotée de
méthodes rigoureuses pour faciliter les découvertes comme dans toute discipline
scientifique. Parmi les méthodes adoptées, celle de la décomposition des unités lexicales en
traits minimaux ou sèmes a connu un véritable succès lorsqu’elle est appliquée à des
microsystèmes fermés. De quoi s’agit-il au juste ?
Selon J. Dubois « L’analyse sémique vise à établir la composition sémantique d’une unité
lexicale par la considération de traits sémantiques ou sèmes, unité, minimales de
signification non susceptibles d’une réalisation indépendante. L’analyse sémique calque ses
unités sur celle, de l’analyse phonologique. Le trait sémantique, ou sème*, sera le trait
pertinent de signification. » (1973 : 477).
L’analyse sémique s’applique à une série de mots relevant d’un micro-ensemble lexical qui
est composé d’unités lexicales qui partagent une zone commune de signification. Par
exemple, en français « cargo » et « paquebot » constituent une paire minimale, ils ont un
trait commun : « moyen de transport maritime » et ils s’opposent par les traits « pour les
marchandises » et « pour les personnes ».

16
L’analyse sémique et l’analyse componentielle sont deux démarches similaires. Elles se distinguent seulement par leur origine
: l’analyse sémique (pratiquée par B. Pottier, A.-J. Greimas, E. Coseriu) est européenne, l’analyse componentielle (représentée
par J.-J. Katz et J.-A. Fodor) est américaine. 114
Références bibliographiques

R. Galisson, Analyse sémique, actualisation sémique et approche du sens en méthodologie. In:


Langue française, n°8,1970. Apprentissage du français langue étrangère. pp. 107-116. doi :
https://doi.org/10.3406/lfr.1970.5532
A. J. Greimas, Sémantique structurale, Paris, Larousse, 1966.
G. Mounin, Dictionnaire de linguistique, Paris, PUF, 2004.
Marie-Françoise Mortureux, La lexicologie entre langue et discours, Paris, A. Colin, 2008.
J. Picoche, Précis de lexicologie française, l’étude et l’enseignement du vocabulaire, Paris,
Nathan, 1992.
A. Polguère, Lexicologie et sémantique lexicale, Paris, Coll. Paramètres, 2016.
B. POTTIER, Sémantique générale, PUF, Collection « Linguistique nouvelle », déc. 1992, 238
p.
F. RASTIER, Sémantique interprétative, Paris, P.U.F., 1987, 277 p.
F. RASTIER, M. CAVAZZA et A. ABEILLÉ, Sémantique pour l'analyse, Paris, Masson, 1994,
240 p.
Niklas-Salminen, La Lexicologie, Paris, Armand-Colin, 1997.
Irène Tamba, Le Sens figuré, Paris, Presses Universitaires de France, coll. « Linguistique
nouvelle », 1981.

115
Séance du mardi (17 novembre) et du vendredi (20 novembre)

I- Typologie des sèmes


Rappelons que la sémantique structurale focalise son attention sur la notion de différence. De même
qu’en phonologie le phonème est défini par un ensemble de traits distinctifs (mode et point
d’articulation par ex.), le signifié est constitué de traits distinctifs appelés sèmes et dont l’ensemble
de ces traits constituent le sémème.

1. Le sème
Le sème est, selon J. Dubois, « l’unité minimale de signification, non susceptible de réalisation
indépendante, et donc toujours réalisée à l'intérieur d’une configuration sémantique. Par exemple,
l'analyse sémique rend compte de l'opposition chaise vs fauteuil par l'adjonction, au sémème de
chaise (composé des sèmes S1, S2, S3, S4, ≪ avec dossier ≫, ≪ sur pieds ≫, ≪ pour une seule
personne ≫, ≪ pour s’asseoir ≫), du sème ≪ avec bras ≫, absent du sémème de chaise et présent
dans le sémème de fauteuil. » (1973 : 423)

2. Le sémème
D’après le même linguiste, « Dans l’analyse sémique, le sémème est l’unité qui a pour correspondant
formel le lexème. Il est composé d’un faisceau de traits sémantiques appelés sèmes (unités minimales
non susceptibles de réalisation indépendante). Le sémème de chaise comporte les sèmes S1, S2. S3.
S4, (≪ avec dossier ≫, ≪ sur pieds≫, ≪ pour une seule personne ≫, ≪ pour s’asseoir ≫) ; on
remarque que l'adjonction d’un sème S5, (≪ avec bras ≫) réalise le sémème de fauteuil » (1973 :
424).

3. L’archilexème
La lexicologie structurale a adopté la terminologie de l’analyse phonologique. Dans ce sens, la notion
d’archilexème est « parallèle à celle d’archiphonème ». L’archilexème représente selon J. Dubois
«la neutralisation d’une opposition de traits sémantiques, c’est-à-dire qu’il présente l’ensemble des
sèmes communs aux diverses unités d’une même série lexicale. A ce titre, [SIEGE] est l'archilexème
de la série pouf, tabouret, chaise, fauteuil. » (1973 : 48).

4. les sèmes génériques


Les sèmes génériques permettent selon B. Pottier de « rapprocher deux ou plusieurs sémèmes
voisins, par référence à une classe plus générale. Les sèmes génériques d'un sémème
constituent le classème » (1974 : 330).
5. Les sèmes spécifiques
Les sèmes spécifiques permettent d'opposer deux sémèmes voisins, par une caractéristique
propre. Ils constituent le sémantème (équivalent de « noyau sémique » chez Greimas (1966)).
Remarquons aussi que les sèmes génériques et les sèmes spécifiques permettent de dessiner
une arborescence de sémèmes. Autrement dit, aucun sème n'est générique ou spécifique par
nature.
Ainsi, pour le sémème ‘épouse’ par exemple, /sexe féminin/ est un sème générique, qu'il
partage avec "fille" (au sens de femme non mariée), tandis que pour ‘femme’, /sexe féminin/
est un sème spécifique qui permet de distinguer ‘femme’ de ‘homme’.
Bernard Pottier (Linguistique générale : théorie et description, 1974) distingue à l'intérieur du
sémème, trois grands ensembles de sèmes, appelés « sémantème », « classème » et « virtuème ».

116
a. Le Classème
Le classème est constitué par l’ensemble des sèmes génériques. D’après J. Dubois, « toute
unité lexicale se définit, du point de vue sémantique, par un ensemble de sèmes (traits
sémantiques minimaux), ou sémème. Ce sémème se compose de sèmes de nature diverse :
a) un ensemble de sèmes purement virtuels, de nature connotative (rouge = ≪danger≫),
l’ensemble de ces sèmes constitue le virtuème (ces sèmes virtuels ne s’actualisant que dans
certaines combinaisons données de discours) ;
b) un ensemble de sèmes constants, mais spécifiques : c’est par des sèmes spécifiques que
rouge se distingue de vert (autre couleur) et de pourpre (nuance du rouge). Cet ensemble
constitue le sémantème ;
c) enfin, un second ensemble de sèmes constants, mais génériques. Un sème générique
indique l’appartenance à une classe (pour rouge : couleur). » (1973 : 88).
b. Le Sémantème
Le sémantème est constitué par l’ensemble des sèmes spécifiques d'une unité linguistique
constituant un des éléments composant le sémème. Pour B. Pottier, le sémantème « est un des
éléments composant du sémème. Parmi les sèmes, trois groupements sont possibles à
l'intérieur du sémème : les sèmes génériques constituent le classème, les sèmes occasionnels
le virtuème; c'est l'ensemble des sèmes spécifiques de l'unité qui constitue son sémantème »
(1974 : 55)
c. Le virtuème
L’ajout du virtuème par B. Pottier constitue une innovation par rapport à la doctrine
dominante qui garde le sémème au niveau du système fonctionnel de la langue. Le virtuème
constitue «la partie connotative du sémème. Il demeure très lié aux acquis socio-culturels des
interlocuteurs. » (1974 : 62)
Dans le but de développer davantage l’analyse sémique, François Rastier (1987 : 49-52)
instaure une typologie des classes sémantiques que nous présentons dans ce qui suit :
➢ Le taxème est la classe minimale où les sémèmes sont inter définis. Les sèmes spécifiques
sont définis à l'intérieur du taxème, ainsi que certains sèmes génériques. On peut lui
appliquer cette définition de Cosériu : « structure paradigmatique constituée par des unités
lexicales (« lexèmes ») se partageant une zone commune de signification et se trouvant en
opposition immédiate les uns avec les autres » ...
Exemple : "cigarette", "cigare", "pipe" s'opposent au sein du taxème //tabac// ». Le taxème
//couvert// comprend les sémèmes ‘couteau’, ‘fourchette’ et ‘cuillère’. (Les couverts de table
sont les ustensiles utilisés pour manger durant un repas. Un couvert de base se compose de quatre pièces :
un couteau, une fourchette, une cuillère à soupe et une cuillère à café. Avec les verres, les assiettes, et les
autres ustensiles de table, il forme le service de table. Wikipédia)

➢ Le domaine est un groupe de taxèmes. Ainsi, Le taxème //couvert//, par exemple, appartient
au domaine //alimentation// qui comprend aussi les taxèmes : //ingrédients//, //personnel de
cuisine//, //aliments//, etc.
➢ La dimension est une classe de généralité supérieure. Elle inclut des sémèmes comportant
un même trait générique du type /animé/, ou /humain/, par exemple. Les dimensions

117
subsument selon F. Rastier « diverses oppositions. Leurs lexicalisations donnent par
exemple en français : ‘vénéneux’ vs ‘venimeux’ pour l’opposition //végétal// vs //animal//,
‘bouche’ vs ‘gueule’ pour l’opposition // humain// vs //animal// » (Rastier, 1989, p. 56).
Les dimensions sémantiques sont organisées en petites catégories fermée et s’opposent
généralement deux à deux : //animal// vs //humain// ; //nature//vs //culture// ; //humain// vs
//divin// .
Signalons que les sèmes qui notent l’appartenance à un taxème sont appelés par F. Rastier des
sèmes microgénérique. Les sèmes qui notent l'appartenance à un domaine sont appelé selon
le même auteur sème mésogénérique. Enfin, les sèmes qui notent l'appartenance à une
dimension sont appelés des sèmes macrogénériques.

118
Séance du mardi (17 novembre) et du vendredi (20 novembre)

Devoir N°1
Dans les exercices suivants, faites l’analyse sémique des mots et présentez vos résultats sous forme
d’un tableau qui rend visibles les sèmes qui les différencient.
N.B. : Les définitions données sont celles du dictionnaire Petit Robert :

I- tabouret, fauteuil, chaise, strapontin, canapé, pouf, transat.


Tabouret : Siège sans bras ni dossier, à pied(s).
Fauteuil : Siège à dossier et à bras, à une seule place.
Chaise : Siège à pieds, à dossier, sans bras, pour une seule personne.
Strapontin : Siège d'appoint à abattant (dans une voiture, une salle de spectacle).
Canapé : Long siège à dossier (à la différence du divan) où plusieurs personnes peuvent s'asseoir
ensemble et qui peut servir de lit de repos.
Pouf : Siège bas, gros coussin capitonné, généralement cylindrique, posé à même le sol.
Transat : Chaise longue pliante en toile, d'abord en usage sur les ponts des paquebots, puis sur les
plages, les terrasses, dans les jardins.

II- chalet, villa, cabane, chaumière, bicoque


Chalet : Maison de bois des pays européens de montagne
Villa : Maison moderne de plaisance ou d'habitation, avec un jardin
Cabane : Petite habitation grossièrement construite
Chaumière : Petite maison rustique et pauvre couverte de chaume (paille).
Bicoque : Petite maison de médiocre apparence. Habitation mal construite ou mal tenue.

III- voiture, taxi, autocar, autobus, métro


Voiture : véhicule monté sur roues, tiré ou poussé par un animal, un homme.
Taxi : Voiture automobile de place, munie d'un compteur (➙ taximètre) qui indique le prix de la
course.
Autocar : Grand véhicule automobile équipé pour le transport de plusieurs dizaines de personnes.
Autobus : Véhicule automobile de transport en commun, dans les villes
Métro : Chemin de fer à traction électrique, partiellement ou totalement souterrain, qui dessert une
grande agglomération urbaine.

IV- Cheval, étalon, jument, poulain


Cheval : Grand mammifère ongulé (hypomorphes) à crinière, plus grand que l'âne, domestiqué par
l'homme comme animal de trait et de transport.
Etalon : Cheval entier destiné à la reproduction (opposé à hongre).
Jument : Femelle du cheval
Poulain : Petit du cheval, mâle ou femelle (jusqu'à trente mois).

V- Allocution, causerie, communication, conférence, exposé, sermon


Allocution : Bref discours adressé par une personnalité, dans une circonstance particulière et à un
public précis.
Causerie : Discours, conférence sans prétention. Une causerie littéraire, scientifique.
Communication : Exposé oral fait devant une société savante. Les communications d'un colloque.
Conférence : Discours, causerie où l'on traite en public une question littéraire, artistique, scientifique,
politique
Exposé : développement méthodique sur un sujet précis, didactique. Exposé oral

119
Sermon : Discours prononcé en chaire par un prédicateur (en particulier, catholique).

Correction du devoir N°1

Analyse sémique de mots


En analyse sémique, on cherche dans un premier temps à trouver, à partir des définitions de
chaque lexème, les unités minimales de signification ou traits pertinents sémantiques
appelés par les sémanticiens « sèmes ».
1. Tabouret, fauteuil, chaise, strapontin, canapé, pouf, Transat
L’exemple célèbre qu’on trouve dans la majorité des ouvrages de lexicologie est celui
que donne B. Pottier pour « siège » et pour les mots de son « champ ».
Légende des tableaux :
+ : oui
- : non
0 : n’est pas considéré (pas de valeur différentielle)

Sèmes S1 S2 S3 S4 S5 S6
Pour s’asseoir Sur pieds Pour une personne Avec dossier Avec bras Matériel rigide
Lexèmes
Chaise + + + + - +
Fauteuil + + + + + +
Tabouret + + + - - +
Canapé + + - + + 0
Transat + 0 + - - -
Pouf + + + - - -
Strapontin + + + - - +

Rappel :
➢ L’archisémème est le noyau sémique partagé par les différents lexèmes opposés.
➢ Le sème générique : marque l’appartenance du sémème à une classe sémantique.
➢ Le sème spécifique : oppose le sémème à un ou plusieurs sémèmes du taxème auquel
il appartient. Il permet de distinguer deux sémèmes voisins.
Dans cet exemple, l’archisémème est constitué du sème s1/pour s’asseoir/

2. Chalet, villa, cabane, chaumière, bicoque


Sèmes S1 S2 S3 S4 S5
Habitation Montagne Avec du bois Confortable Avec jardin
Lexèmes
Chalet + + + + +
Villa + - - + +
Cabane + + + - -

120
Chaumière + + + - -
Bicoque + - + - -

3. Voiture, taxi, autocar, autobus, métro


Moyen de transport Sur roues Sur rails Intra-urbain Extra-urbain
Voiture + + - + +
Taxi + + - + -
Autocar + + - - +
Autobus + + - + -
Métro + - + + -

4. Cheval, étalon, jument, poulain


/Mammifère/ /Grand/ /Mâle/ /Femelle/
Cheval + + + -
Etalon + + + -
Jument + + - +
Poulain + - 0 0

5. Allocution, causerie, communication, conférence, exposé, sermon


Discours Plusieurs Public Sujet En Religieux
locuteurs précis précis public
Allocution + - + + + -
Causerie + + - - - -
Communication + - + + + -
Conférence + + - - + -
Exposé + - - + + -
Sermon + - + 0 + +
NB : N°5 Non traité dans la correction. Réponse personnelle

121
Séance du mardi (01 décembre) et du vendredi (04 décembre)

1- Sèmes inhérents / sèmes afférents


Une autre distinction fondamentale opérée par François Rastier institue une distinction entre
sèmes inhérents et sèmes afférents.
Commençons par remarquer que la notion de sèmes afférents chez Rastier ressemble à celle
de sème virtuel selon Pottier. La distinction entre sème inhérent et sème afférent repose en
grande partie sur celle de langue fonctionnelle et de contexte.
Selon Rastier « un sème inhérent est une relation entre sémèmes au sein d'un même taxème,
alors qu'un sème afférent est une relation d’un sémème avec un autre sémème qui n'appartient
pas à son ensemble strict de définition : c'est donc une fonction d'un ensemble de sémèmes
vers un autre. La distinction entre sèmes inhérents et sèmes afférents permet d'introduire un
nouveau type de relations fonctionnelles entre sémèmes : les relations établies par les sèmes
inhérents sont des relations symétriques et/ou réflexives. Les relations établies par les sèmes
afférents sont antisymétriques et/ou non réflexives ; dans leurs cas, il convient toujours de
distinguer explicitement le sémème-source et le sémème-but de la relation fonctionnelle. »
(1987, p.54)
Au moyen de l’exemple suivant, Rastier entend montrer combien il importe de prendre en
considération, dans la description de la langue, non seulement les sèmes inhérents mais
également les sèmes afférents socialement normés.
Le Petit Larousse définit ainsi caviar : “ Œufs d’esturgeon salés ”. Ce type de définition nous
paraît insuffisant, car le trait /luxueux/ devrait y figurer. [Suit le résultat d’une enquête auprès
de collégiens.] Si l’on tient compte de la compétence réelle de la population questionnée, le
trait /luxueux/ a tout autant de raisons que /poisson/ de figurer dans la définition. Pourtant,
/luxueux/ est un trait afférent. » (1987 : 63).
F. Rastier montre à travers un article du journal le « Canard enchaîné » intitulé « le caviar
et les arêtes » le rôle capital des sèmes contextuels : « Le contenu de l’article et les
connaissances encyclopédiques du lecteur permettront à ce dernier de laisser dans la virtualité
le sème générique inhérent /partie de poissons/ et d’actualiser en revanche dans son
interprétation le sème générique afférent /condition économique/. Or la relation d’afférence
ne s’est pas établie de façon directe entre les deux taxèmes que permettent de constituer les
sèmes génériques inhérent et afférent. Les sèmes spécifiques des sémèmes appartenant au
taxème //condition économique// sont également actualisés dans l’interprétation. C’est ainsi
que ‘caviar’ actualise le sème spécifique /luxe/ et ‘arêtes’, le sème spécifique /misère/ » (1987
: 53-54).
Rastier remarque que “ La sémantique structurale est exclusivement concernée par le niveau
du système (niveau des oppositions fonctionnelles). Mais comment se fait la transition entre
le niveau du système (…) et ceux de la norme et du discours ? Nous souhaitons que l’étude
des afférences puisse contribuer à résoudre ce problème, au prix d’un nécessaire
approfondissement théorique : en élargissant l’objet de la sémantique à la norme. Le rapport

122
entre système et norme peut alors être pensé en microsémantique comme un rapport entre
traits inhérents et afférents. » (1987 : 55).
Pour plus de précision et moins de confusion, des linguistes comme Pottier et Rastier ont créé
des signes conventionnels pour la représentation des différentes notions :
➢ « Signe » (guillemets) signifiant (italiques)
➢ 'Signifié' (apostrophes) /sème/ et /isotopie/ (barres obliques)
➢ ‘‘Signe ’’ ; /sème/ ; ‘sémème’ ; //classe sémantique//

Actualisation sémique
Si B. Pottier institue les sèmes virtuels comme une classe distincte des sèmes génériques et
spécifiques, Rastier quant à lui, refusant la notion de connotation, établit une distinction au
sein des sèmes génériques et spécifiques entre sèmes inhérents et sèmes afférents. Le sème
afférent représente en quelque sorte le sème virtuel selon Pottier.
Pour B. Pottier le sémantème et le classème représentent la structure du sémème du côté de
sèmes dénotatifs, définitoires, codifiés dans le lexique. Quant aux traits virtuels, ils
représentent la dimension connotative de la langue.
Développant les apports de B. Pottier, F. Rastier dépasse la distinction connotatif / dénotatif.
Il a élaboré une nouvelle représentation du sémème en introduisant la distinction inhérent /
afférent pour désigner « les sèmes relativement stables (définitoires) et ceux qui relèvent de
normes socialement attestées ou qui apparaissent uniquement en contexte. » (1987 : 72)
Là, nous arrivons à la notion d’actualisation sémique qui se définit de la manière la plus
générale comme l’opération par laquelle une unité de la langue passe en discours. Selon J.
Dubois, l’actualisation sémique est « le passage du sens des unité lexicales de la langue à la
parole » (1973 : 209).
Considérons les mots suivants : cargo, paquebot, bateau.
Cargo : Navire destiné surtout au transport des marchandises
Paquebot : Grand navire principalement affecté au transport des passagers
Bateau : Construction flottante destinée à la navigation.

Sèmes Pour
Moyen de De fort Pour
Par mer marchandis
transport tonnage personnes
Lexèmes es
Cargo + + + - +
Paquebot + + + + -
Bateau + + + 0 0

Dans cet exemple d’analyse sémique, nous avons travaillé sur le lexique, c’est-à-dire sur le
plan de la langue. Qu’en est-il au niveau du discours ?
Exemple 1 : J’ai fait la traversée en bateau

123
Exemple 2 : Il a monté un bateau à son frère (inventer une plaisanterie pour tromper
quelqu’un).
Exemple 3 : Un marin dit : « paquebot ou cargo pourvu que je trouve de l’embauche ».
- Les trois procédés de l’actualisation sémique
1. La transposition
Dans l’exemple 1, on retrouve l’ensemble des sèmes dégagés en langue et qui sont repris en
discours, dans ce cas on parle de transposition.
Dans la transposition, l’unité lexicale, lors de son passage de la langue au discours, reste
intacte, c’est-à-dire le sémème tout entier passe de la langue au discours sans aucun
changement.
2. La transformation
Dans l’exemple2, les sèmes dégagés en langue sont neutralisés, effacés au niveau du discours.
Dans cet exemple, bateau n’est plus « un moyen de transport ». Les sèmes en langue se
trouvent transformés en discours. On dit qu’il y a transformation quand une unité lexicale
perd tous les sèmes de la langue et en acquiert d’autres, c’est-à-dire quand le transfert
s’accompagne d’un changement sémique ; autrement dit, quand le sémème en discours n’est
plus le même en langue, mais un dérivé de celui-ci.
3. La réduction
Dans l’exemple3, l’essentiel pour le marin est de travailler, peu importe la nature du moyen
de transport. Dans cet exemple les sèmes /pour personne/, /pour marchandise/ n’ont pas
d’importance. Ces sèmes sont effacés, on dit qu’il y a réduction.
On dit qu’il y a réduction quand l’unité lexicale garde certains sèmes de son sémème et
neutralise d’autres en fonction du message. Une partie seulement du sémème qui se trouve
transférée dans le discours sans aucun changement.
On dira que lorsqu’une unité lexicale se trouve actualisée dans un contexte, trois cas se
présentent : la transposition, la transformation ou la réduction. Remarquons que les procédés
de l’actualisation sémique sont appliqués surtout dans les figures du discours comme la
métaphore, la métonymie, la synecdoque, etc.
Ces trois procédés de l’actualisation sémique se trouvent illustrés dans ce propos de Robert
Galisson (1970 : 115) « II y a transposition quand le sémème tout entier passe de la langue
au discours, sans aucun changement. Les langages techniques usent régulièrement de la
transposition pour limiter les risques d'interprétation fallacieuse. Dans un contexte comme
«ON OBTIENT LE COKE PAR DISTILLATION DE LA HOUILLE », les mots « COKE,
DISTILLATION, HOUILLE » conservent toute la charge sémantique qu'ils ont en langue.
II y a réduction quand une partie seulement du sémème (un ou plusieurs sèmes) est transférée,
sans aucun changement. C'est ce qui se passe pour « MÉTRO » et « TRAIN » dans le propos
du banlieusard : les sèmes actualisés (« en commun », « sur rail », etc.) restent identiques à
eux-mêmes.

124
II y a transformation quand le transfert s'accompagne d'un changement sémique, c'est-à-dire
quand le sème en discours n'est plus le même que le sème en langue, mais un dérivé de celui-
ci. Dans « JE NE PEUX PAS M'HABITUER AU MÉTRO », ce n'est pas exactement le
sème « souterrain » qui est actualisé, mais une de ses conséquences : la raréfaction de l'air et
de la lumière provoque une sensation « d'étouffement » chez le campagnard.
II arrive parfois qu'aucun sème du sémème d'un mot présent dans l'énoncé ne soit actualisé.
Si je dis « LE FACTEUR M'A ENCORE RÉVEILLÉ CETTE NUIT », voulant signifier
par-là que « Mon voisin, dont j'ignore le nom mais qui est facteur, m'a tiré du sommeil pour
la Xème fois, en rentrant chez lui », le nom commun « FACTEUR » joue alors le rôle d'un
nom propre et se charge des traits que je prête à cet homme (« bruyant », « intempérant »,
etc.), à l'exclusion de ceux qui devraient être les siens (« employé », « des postes », etc.) ».

Séance du mardi (22 décembre) et du vendredi (25 décembre)

Devoir N°2

I- Exercices (analyse sémique)


Appliquez l’analyse sémique aux mots suivants :
‘Charrette’, ‘cabriolet’, ‘char à bancs’, ‘tilbury’, ‘carriole’.
➢ Charrette Voiture à deux roues, à limons, à ridelles, servant à transporter des choses
pesantes.
➢ Cabriolet : Voiture légère à cheval, à deux roues, à capote mobile.
➢ Char à bancs : véhicule à suspension, attelé de quatre chevaux, composé de quatre roues,
garni de bancs et servant au transport des personnes.
➢ Tilbury : Voiture à cheval, cabriolet à deux places, découvert et léger.
➢ Carriole : Petite voiture campagnarde à deux roues servant à transporter des choses
pesantes.

II- Exercices (actualisation sémique)


Dans les énoncés suivants, indiquez les types d’actualisation sémique (transposition,
transformation, réduction) et justifiez vos réponses.
➢ Le scientifique a fait une analyse de l’atome
➢ « Mon âme est un vieux boudoir plein de souvenirs »
➢ « Mon père, je suis femme et je sais ma faiblesse »
➢ Le lion est animal féroce
➢ Cette femme est une rose
➢ Cet homme est un lion
➢ Il a obtenu la part du lion
➢ « Bergère ô Tour Eiffel, le troupeau des ponts, bêle ce matin ».
➢ « La blanquette apparut, servie dans un saladier, le ménage n’ayant pas de plat assez grand ».

125
Correction du devoir N°2

Exercice I : Analyse sémique


Rappelons que l’analyse sémique met en opposition les termes d'un microsystème pour les
décomposer en unités minimales de signification ou sèmes et indiquer ce qui les rapproche
(sèmes identiques) et ce qui les distingue (sèmes spécifiques). Autrement dit, l'analyse
sémique consiste en une comparaison des unités lexicales faisant partie d'un même champ
sémantique. Son but est de dégager des traits communs d'une unité lexicale ainsi que des
traits distinctifs.
1. Relevé des définitions
Le premier pas est de relever les définitions de ces mots dans le dictionnaire. Le Petit
ROBERT fournit les réponses suivantes :
➢ Charrette Voiture à deux roues, à limons, à ridelles, servant à transporter des choses
pesantes.
➢ Cabriolet : Voiture légère à cheval, à deux roues, à capote mobile.
➢ Char à bancs : véhicule à suspension, attelé de quatre chevaux, composé de quatre
roues, garni de bancs et servant au transport des personnes.
➢ Tilbury : Voiture à cheval, cabriolet à deux places, découvert et léger.
➢ Carriole : Petite voiture campagnarde à deux roues servant à transporter des choses
pesantes.

On constate que ces définitions s’articulant toutes autour de voiture ou véhicule comme
générique commun.
2. Décomposition de la définition en traits définitoires
Chaque définition est décomposée en traits définitoires ou sèmes. Ensuite, on procédera à la
reformulation de ces sèmes en traits à valeur binaire notées + ou – qu’on représentera dans
un tableau ou grille sémique.
3. Grille de l’analyse sémique

Sèmes
Transport de Transport de Voiture à 4 Voiture à
Voiture
personnes choses roues deux roues
Lexèmes
Charrette + - + - +
Cabriolet + 0 0 - +
Char à bancs + + - + -
Tilbury + + - 0 0
Carriole + - + - +

126
Une confrontation des signes "+" et "-" dans le tableau permet de dégager les sèmes
génériques et spécifiques à une unité lexicale. Le trait sémantique /voiture/ est commun à
l’ensemble des unités lexicales du champ sémantique. Il constitue le sème générique. Les
autres traits sémantiques sont valables uniquement pour certaines unités lexicales ; ils sont,
au contraire, des sèmes spécifiques servant à distinguer les unités lexicales du champ
sémantique.
Exercice II : actualisation sémique
Dans les énoncés suivants, indiquez les types d’actualisation sémique (transposition,
transformation, réduction) et justifiez vos réponses.
1- Le scientifique a fait une analyse de l’atome
2- « Mon âme est un vieux boudoir plein de souvenirs »
3- « Mon père, je suis femme et je sais ma faiblesse »
4- Le lion est animal féroce
5- Cette femme est une rose
6- Cet homme est un lion
7- Il a obtenu la part du lion
8- « Bergère ô Tour Eiffel, le troupeau des ponts, belle ce matin ».
Corrigé
Selon R. Galisson, « l’actualisation sémique pondère le contenu théorique du mot en
fonction de son entourage ». D'une manière générale, on peut considérer que l'actualisation
transpose, réduit, ou transforme le sémème de base.
Dans (1) et (4), II y a transposition puisque le sémème tout entier passe de la langue au
discours, sans aucun changement. Constatons que la transposition se manifeste surtout au
niveau des langages techniques, et ce pour limiter les risques d'interprétation erronée. Ces
deux énoncés gardent toute la charge sémantique qu’ils ont en langue.
Dans (2), iI y a réduction puisqu’une partie seulement du sémème (un ou plusieurs sèmes)
est transférée. Dans ce vers, le poète va s’identifier à un lieu : le « vieux boudoir » (le
boudoir est un petit salon élégant, réservé à l’usage des femmes). Étant un boudoir inactif, il
est comme un cimetière qui garde les souvenirs des femmes venues l’utiliser.
Pour le reste, il y a transformation puisque le transfert s'accompagne d'un changement
sémique, c'est-à-dire quand le sème en discours n’est plus le même que le sème en langue,
mais un dérivé de celui-ci. Par exemple, « cet homme est un lion », ce n'est pas exactement
le sème /mammifère/, /grand/ qui sont actualisés, mais le /courage/ et la /bravoure/.

127
Introduction aux
sciences de l’éducation

128
Introduction aux sciences de l’éducation
(S5-Toutes options 2020-2021)
Diapos du Prof : Mr Mehdi KADDOURI
Mise en page de : Nasreddine YACOUBI

Objectifs
✓ Initier les étudiants aux sciences de l’éducation.
✓ Distinguer sciences de l’éducation et Pédagogie.
✓ Maîtriser les différents concepts relatifs au processus d’enseignement/apprentissage.
✓ Distinguer les différents styles d’apprentissage.
✓ Distinguer les différents types d’enseignement.
✓ Distinguer les différents types de connaissances.
✓ Analyser une situation éducative.
✓ Evaluer un dispositif de formation.

Plan du contenu
❖ Introduction.
❖ Pédagogie et sciences de l’éducation.
❖ Les acteurs clés des pratiques éducatives.

✓ Apprenant.
✓ Comment apprendre.
✓ Les savoirs.
✓ L’enseignant.

❖ De la motivation.
❖ Les styles d’apprentissage.
❖ Les styles d’enseignement.
❖ Les intelligences multiples.
❖ L'intelligence artificielle et intelligence humaine.
❖ Perspectives : L'éducation à l'ère du numérique

129
130
131
Retour sur la notion de pédagogie :
❖ Pédagogie comme science normative.
❖ Sciences de l’éducation.
❖ Essai de définition.
❖ Science descriptive.
❖ Au carrefour de plusieurs disciplines.
❖ Sociologie.
❖ Psychologie.
❖ Anthropologie.
❖ Sciences cognitives.
❖ Sciences du langage.

Citation :
« Certes, les sciences de l'éducation apportent, chacune en son champ des moissons de faits
vérifiables. Mais la pédagogie… est une pratique de la décision concernant cette dernière.
L’incertitude est donc son lot. Incertitude conjoncturelle, augmentée par la mobilité parfois
vertigineuse des repères contemporains, mais incertitude essentielle dès lors qu’une
connaissance et une action sont à conjoindre dans une théorie de la pratique »

132
Chez les tenants des deux disciplines :
✓ Désir de former les enseignants.
✓ Pour les Sc de l’éducation dans une perspective positiviste.
✓ Pour la pédagogie, il convient d’établir « une distinction entre une démarche de
recherche scientifique et une rigueur spécifique de l’action.".
✓ Pédagogie.
• Pratique de la décision.
• Incertitude.
• Mobilité des repères.
• Joindre la connaissance à l’action.
• Logique de l’action.
✓ Sc. de l’éducation.
• Faits vérifiables.
• Souci méthodologique.
• Souci de cohérence théorique.
• Logique de connaissance.

Analyse de document
«les sciences de l'éducation ont fait l'objet d'une institutionnalisation universitaire
relativement récente et, au moment où elles ont été reconnues, certains, comme Gilles Ferry,
dans un article retentissant de 1967, n'ont pas manqué d'affirmer qu'elles marquaient la
"mort de la pédagogie": "La substitution des "sciences de l'éducation" à la "pédagogie", si
elle n'est pas une concession purement formelle au langage anglo-saxon, signifie, tout à la
fois, l'abandon de spéculations normatives au profit d'études positives et, à l'intérieur des
sciences humaines, la délimitation et l'organisation d'un champ de recherches orientées vers
la compréhension du fait éducatif. »

Courants pédagogiques

Pédagogie Sciences de l’éducation


Pratique de la décision Souci méthodologique
Incertitude Faits vérifiables
Mobilité des repères Souci de cohérence théorique
Joindre la connaissance à l’action Outils d’observation, de description et d’analyse
Logique de l’action Logique de connaissance

133
Pédagogie traditionnelle
La plus connue et pratiquée, elle repose sur la centralité de l’enseignant, la transmission du
savoir (souvent coupé de la vie), l’asymétrie dans la relation, une normalisation de
l’éducation.

Centralité de l’enseignant et de la transmission des savoirs

Pédagogie Montessori
Fondée par la pédagogue Maria Montessori, elle se base sur un accompagnement à
l’autonomisation de l’enfant grâce à l’environnement et du matériel adapté, cultivant les
capacités de l’enfant (sensorielles, d’observation, etc.).

134
Accompagnement à l’autonomisation des apprenants

Pédagogie Freinet
Fondée par Célestin Freinet, elle place l’égalité des individus au cœur de la démarche avec
une volonté de rendre l’enfant plus libre, renversant ainsi les modèles de la pédagogie
traditionnelle. Le texte libre, le dessin libre, les correspondances et journaux scolaires sont
autant de supports utilisés dans cette pédagogie.

Liberté de choisir les supports d’apprentissage

Pédagogie Steiner
Fondée par Rudolf Steiner, assez controversée car elle intègre une dimension spirituelle
dans les enseignements. Au cœur de la démarche : on y trouve la volonté d’équilibrer les
activités cognitives, créatives et techniques.

135
Activités cognitives, créatives et techniques

Pédagogie Decroly
Fondée par Ovide Decroly, elle met en évidence les intérêts de l’enfant comme moteurs des
apprentissages. L’expérimentation, le milieu naturel de l’enfant et la globalisation (l’enfant
apprend globalement) y ont une place importante.

Intérêts de l’apprenant

136
Pédagogie Reggio
Fondée par Loris Malaguzzi son nom vient de sa ville Reggio Emilia, elle repose sur la
coopération et les motivations de l’enfant à apprendre. L’enfant comme dans toutes les
pédagogies dites actives est au cœur de la démarche d’apprentissage, en accordant une place
particulière à l’art, la nature, les relations sociales.

Apprenants en activité et en autonomie

Triangle pédagogique

Jean Houssaye (1988)

137
Pédagogie (selon Hubert, 1949)
1. Art d'instruire et d'éduquer.
2. Réflexion sur :
❑ L’éducation, s
❑ Les systèmes.
❑ Les procédés d'éducation.
3. Visée :
❑ Agir sur l'action des éducateurs.
❑ Appliquer les résultats des sciences humaines et de la philosophie à l'art de
l'éducation.
4. « Théorie pratique de l’éducation" (Durkheim, 1911).
Questions pertinentes de la pédagogie :
❑ Que voulons-nous obtenir ?
❑ Quel genre d'homme voulons-nous former ?

❑ Dévalorisation de l'approche doctrinale.


❑ Centration sur l'étude des moyens.
❑ "Révolution scientifique ».
❑ Extension de l'objet de l'éducation.
❑ Désir de récognition/reconnaissance universitaire.
❑ Le domaine de l'éducation intéresse d'autres disciplines.

138
DES SCIENCES DE L’EDUCATION
Une institutionnalisation universitaire récente Pour certains, comme Gilles Ferry (1967), elles
marquaient la "mort de la pédagogie » : abandon de spéculations normatives au profit d'études
positives et délimitation et organisation d'un champ de recherches orientées vers la
compréhension du fait éducatif. »

Conclusions de l’axe 1
❑ Les deux disciplines ont tendance à fusionner en une seule : les Sciences de
l’éducation.
❑ Discipline avec double orientation.
❑ Son orientation normative se fonde sur la compréhension objective des faits de
l’éducation.

139
AXE II
Les acteurs éducatifs
On mettra l’accent ici sur trois acteurs :
• L’apprenant
• L’enseignant
• Le savoir
Observons la situation suivante :

140
L’enseignant

L’apprenant, Centre et raison d’être du processus éducatif

L’apprenant Centre et raison d’être du processus éducatif

141
L’apprenant
Il est l’acteur principal du processus éducatif. Mais, « sans le désir de connaître et la volonté
de savoir, pas de mobilisation possible de l’élève » (Ph Meirieu).
❑ De l’élève à l’apprenant
❑ Changement de rôle
❑ Changement d’identité
❑ Prise en compte du désir d’apprendre du

L’apprenant : de la motivation
« Pourquoi apprendre ? »
Qu’est-ce qui alimente le désir d’apprendre ?
La motivation est ce « processus par lequel on active, maintient et dirige un comportement
pour satisfaire un besoin (Viau, 1984). »
Cette quête de satisfaction met l’apprenant au cœur du dispositif Ainsi, « l’apprentissage ne
peut être forcé » (De lièvre) l’enseignant a pour mission non pas « de motiver l’apprenant,
mais de l'aider à se motiver lui-même. » De lièvre
L’apprenant : Pourquoi Apprendre
La motivation renvoie à un état dynamique qui a ses origines dans les perceptions et l’univers
de l’élève par rapport à un contexte donné. Celles-ci l’incitent ou non à faire des choix, à
s’engager dans une activité et à persévérer dans son accomplissement (Viau, 1994).

142
L’apprenant : Indicateurs de motivation
❑ Le choix : « Choisir est le signe d'un intérêt, donc d’une motivation à entamer une
activité »
❑ L’acte de choisir présuppose donc que l’apprenant soit autonome vis--à--vis d’une
formation
❑ Choix d’une formation, d’une discipline, d’un cours, d’un mode de formation, des
outils, etc.

L’apprenant : Indicateurs de motivation


L'engagement cognitif correspond au : « degré d'effort mental que l’élève déploie lors de
la réalisation d'une activité d’apprentissage. » -- Participation active dans les tâches prévues
pour apprendre. Cette participation peut être visible ou invisible.
Persévérance : « temps alloué à la réalisation d’une tâche » « Plus l’apprenant consacre à sa
tâche du temps, plus il augmente ses chances de réussir. » « Plus ce temps lui permet d'aller
au terme de la tâche assignée, plus sa réussite est probable. » « Si la performance qui se traduit
par la mobilisation pertinente des connaissances et de stratégies pour résoudre un problème
est la conséquence finale de la motivation, elle en est également la source car elle-même
influence les perceptions de l’élève à l’origine de sa motivation dans le contexte
d'apprentissage (Viau, 1994) ».

L’apprenant : Sens des apprentissages


Les retombées : personnelles, professionnelles, sociales de mon apprentissage les savoirs
acquis jugés utiles les buts.

143
L’apprenant : Motivation intrinsèque
La motivation se réalise au niveau du sujet apprenant :
❑ L’apprenant s’assigne des objectifs de maîtrise ou de compétence.
❑ Les activités sont réalisées pour l'intérêt et le plaisir d’apprendre.

L’apprenant : Motivation externe


La motivation externe mobilise d’autres facteurs que le sujet apprenant. Elle se manifeste
dans les situations où l’individu tente d’obtenir quelque chose en échange de la pratique
de l’activité ou pour éviter des conséquences négatives.

144
Axe III

LES STYLES D'APPRENTISSAGE DE KOLB

❑ Les styles d'apprentissage de Kolb


En1984, David A. Kolb publie "Experiential Learning". Dans cet ouvrage, il expose
essentiellement le principe qu'une personne fait son apprentissage par la découverte et
l'expérience.
David Kolb a étudié l’apprentissage et a remarqué que toute personne qui se trouve en
situation d’apprentissage passe par un cycle de quatre phases. Selon ce dernier les styles
d'apprentissage peuvent être perçus selon deux continuums allant de concret à abstrait et
d'actif à réflectif. On retrouve donc le continuum du traitement de l'information et celui de la
perception de l'information.
Selon le modèle de Kolb, l'apprenant évolue sur ces continuums selon ses appréhensions mais
également selon ses préférences à traiter ou à percevoir l'information. Kolb considère qu'il est

145
préférable d'apprendre selon un cycle permettant d'expérimenter les quatre modes
d'apprentissage afin de bien comprendre un sujet.
Cependant, il a également observé que chaque personne préfère en général une phase de ce
cycle.
❑ Le cycle des phases d’apprentissage.
Expérience concrète d’une action/idée.
Observation de façon réfléchie et attentive.
Conceptualisation abstraite et théorique.
Mise en application de l’idée/action en fonction de l’expérience initiale.
❑ Les quatre styles d’apprentissages de Kolb
Kolb a donné un nom aux différents types d’apprenants, en fonction de la phase du cycle
d’apprentissage qu’il préfère.
➢ Le divergent :
Il préfère les phases d’expérience concrète et de réflexion sur cette expérience. Les
divergents s’intéressent aux gens et aux émotions. Il a le sens de l’observation, il est habile
à percevoir un objet ou un problème sous différents angles. Il apprécie les activités
novatrices, il a une imagination fertile et des intérêts variés. Il s’intéresse aux personnes et
accorde de l’importance aux sentiments.
Il apprécie apprendre par l’expérience.
➢ L'assimilateur :
Il préfère les phases de réflexion sur une expérience et de conceptualisation abstraite et
théorique d’une expérience. Les assimilateurs aiment créer des modèles théoriques et
s’intéressent moins que les autres aux gens et aux applications pratiques des connaissances.
Il réorganise logiquement des informations, jongle avec les idées et les théories.
Il apprécie les cours théoriques.
➢ Le convergent :
Il préfère les phases de conceptualisation abstraite et théorique de l’expérience et de mise
en application de l’idée/action. Les convergents aiment être pratiques et ont tendance à être
peu émotifs. De plus, ils préfèrent composer avec des choses plutôt qu’avec des gens. Il
préfère résoudre des problèmes donc la solution est unique. Il a des facilités dans les taches
techniques et dans la prise de décision.
Il apprécie les projets et les activités autogérés
➢ L'accommodateur :
Il préfère les phases d’expérience concrète et de mise en application de l’idée/action fondée
sur cette expérience. Les accommodateurs s’adaptent facilement à de nouvelles
expériences et ont tendance à trouver des solutions. Il apprend par manipulation, exécutant
les tâches. Il aime être impliqué dans la planification et la réalisation d’activités, il
fonctionne par essais/ erreurs plutôt que par la logique ; Il a tendance à se fier aux réflexions
des autres plutôt que sa propre analyse, il accepte facilement de prendre des risques.
Il apprécie les exercices en petit groupe.

146
Références
ATKINSON, G. 1991. « Kolb’s Learning Style Inventory: a Practitioner’s Perspective”.
Measurement and Evaluation in Counseling and Development.
N°23, pp. 149-161.
CHARTIER, D. (2003). Les styles d’apprentissage entre flou conceptuel et intérêt pratique.
Savoirs, N°2. 9-28.
KOLB, D.A. 1984. Experiential Learning. Experience as the Source of Learning and
Development. Englewood Cliffs. NJ, Prentice-Hall.

147
Description des huit types d’intelligence
selon Howard Gardner
Inspiré de divers documents, dont « Intelligences multiples » de Howard Gardner et de la revue « Educational
Leadership », septembre 1997

1. L'intelligence linguistique
L’intelligence linguistique (ou verbale) consiste à utiliser le langage pour comprendre les
autres et pour exprimer ce que l’on pense. Tout comme l’intelligence logico-mathématique,
on la mesure dans les tests de QI. Elle permet l’utilisation de la langue maternelle, mais aussi
d’autres langues. C’est aussi l’intelligence des sons, car les mots sont des ensembles de sons.
Les personnes auditives ont ainsi beaucoup plus de facilité à entendre des mots que de voir et
retenir des images.
Tous les individus qui manipulent le langage à l’écrit ou à l’oral utilisent l’intelligence
linguistique : orateurs, avocats, poètes, écrivains, mais aussi les personnes qui ont à lire et à
parler dans leur domaine respectif pour résoudre des problèmes, créer et comprendre.
Victor Hugo maîtrisait à merveille ce type d’intelligence.

2. L'intelligence logico-mathématique
Les chercheurs et chercheuses en biologie, en informatique, en médecine, en science pure ou
en mathématique font preuve d’intelligence logico-mathématique. Ils utilisent les capacités
intellectuelles qui y sont rattachées, soient la logique, l’analyse, l’observation, la résolution
de problèmes. Cette forme d’intelligence permet l’analyse des causes et conséquences d’un
phénomène, l’émission d’hypothèses complexes, la compréhension des principes pas toujours
évidents derrière un phénomène, la manipulation des nombres, l’exécution des opérations
mathématiques et l’interprétation des quantités.
Il existe une dimension non-verbale et abstraite dans ce type de fonctionnement du cerveau,
car des solutions peuvent être anticipées avant d’être démontrées. Einstein est représentatif
de cette forme d’intelligence.

3. L'intelligence musicale
L’intelligence musicale est la capacité de penser en rythmes et en mélodies, de reconnaître
des modèles musicaux, de les mémoriser, de les interpréter, d’en créer, d’être sensible à la
musicalité des mots et des phrases… À l’âge de pierre, la musique jouait un rôle rassembleur.
C’est d’ailleurs encore le cas dans un certain nombre de cultures. Dès la petite enfance, il
existe une capacité « brute » concernant l’aspect musical.
Les virtuoses en ce domaine manifestent leur intelligence en vous faisant vibrer par des
nuances, des changements de rythme et d’autres variantes transmises par leur instrument de
musique ou leur voix. Mozart est un bon modèle de cette forme d’intelligence.

4. L'intelligence visuelle spatiale


L’intelligence spatiale permet à l’individu d’utiliser des capacités intellectuelles spécifiques
qui lui procurent la possibilité de se faire, mentalement, une représentation spatiale du monde.
Les Amérindiens voyagent en forêt à l’aide de leur représentation mentale du terrain. Ils
visualisent des points de repère : cours d’eau, lacs, type de végétation, montagnes … et s’en

148
servent pour progresser ; des navigateurs autochtones font de même et naviguent sans
instrument dans certaines îles du Pacifique.
L’intelligence visuelle permet de créer des œuvres d’art et artisanales, d’agencer
harmonieusement des vêtements, des meubles, des objets, de penser en images.
Les géographes, les peintres, les dessinateurs de mode, les architectes, les photographes, les
caméramans mettent à profit ce potentiel intellectuel. L’architecte Le Corbusier est un bon
exemple.

5. L'intelligence kinesthésique
L’intelligence kinesthésique est la capacité d’utiliser son corps ou une partie de son corps
pour communiquer ou s’exprimer dans la vie quotidienne ou dans un contexte artistique ; pour
réaliser des tâches faisant appel à la motricité fine ; pour apprendre en manipulant des objets
; pour faire des exercices physiques ou pratiquer des sports.
Mario Lemieux est un bon exemple, on dit de lui qu’il fait des feintes et des passes
intelligentes. Il existe donc un potentiel intellectuel qui permet par exemple au joueur de
ballon panier de calculer la hauteur, la force et l’effet du lancer au panier. Le cerveau anticipe
le point d’arrivée du ballon et met en branle une série de mouvements pour résoudre le
problème. L’expression de ses émotions par le corps, les performances physiques ainsi que
l’utilisation adroite d’outils indiquent la présence d’un potentiel intellectuel à ce niveau.

6. L'intelligence naturaliste
L'intelligence naturaliste est l’intelligence de l’amérindien, du biologiste, du botaniste, de
l’écologiste, de l’océanographe, du zoologiste, de l’explorateur, du chasseur, du pêcheur et
du chef cuisinier. L’individu est capable de classifier, de discriminer, de reconnaître et
d’utiliser ses connaissances sur l’environnement naturel, les animaux, les végétaux ou les
minéraux. Il a une habileté à reconnaître des traces d’animaux, des modèles de vie dans la
nature, à trouver des moyens de survie ; il sait quels animaux ou plantes sont à éviter, de
quelles espèces il peut se nourrir. Il a un souci de conservation de la nature.
Souvent les personnes chez lesquelles cette forme d’intelligence est bien développée aiment
posséder un cahier de notes d’observation ou garder leurs observations en mémoire ; elles
aiment prendre soin d’animaux, cultiver un jardin et sont en faveur de l’établissement de parcs
dans leur ville ; elles sont adeptes de la conservation de leur environnement. Les peuples
indigènes utilisent cette forme d’intelligence de façon exceptionnelle.

7. L'intelligence interpersonnelle
L’intelligence interpersonnelle (ou sociale) permet à l’individu d’agir et de réagir avec les autres de façon
correcte. Elle l’amène à constater les différences de tempérament, de caractère, de motifs d’action entre les
individus. Elle permet l’empathie, la coopération, la tolérance. Elle permet de détecter les intentions de
quelqu’un sans qu’elles ne soient ouvertement avouées. Cette forme d’intelligence permet de résoudre des
problèmes liés aux relations avec les autres ; elle permet de comprendre et de générer des solutions valables
pour aider les autres. Elle est caractéristique des leaders et des organisateurs.
Dans les sociétés préhistoriques, l’organisation sociale était importante, la chasse nécessitait
la collaboration et la participation du clan. Les groupes gravitaient autour d’un chef qui en
assurait la solidarité et la cohésion.
Mère Téresa mettait à profit son intelligence interpersonnelle de façon exceptionnelle.

149
8. L'intelligence intrapersonnelle
L'intelligence intrapersonnelle est l’aptitude à faire de l’introspection, c’est-à-dire à revenir à
l’intérieur de soi, à identifier ses sentiments, à analyser ses pensées, ses comportements et ses
émotions. Cette forme d’intelligence permet de se comprendre soi-même, de voir ce qu’on
est capable de faire, de constater ses limites et ses forces, d’identifier ses désirs, ses rêves et
de comprendre ses réactions. C’est aussi la capacité d’aller chercher de l’aide en cas de besoin.
En somme, c’est être capable d’avoir une représentation assez juste de soi.
Cette forme d’intelligence permet de résoudre des problèmes reliés à notre personnalité et de
travailler sur soi. Elle fonctionne en étroite relation avec l’intelligence interpersonnelle, car
pour bien fonctionner avec les autres, il faut être conscient de ses propres émotions et savoir
les contrôler. Goleman, l’auteur de L’intelligence émotionnelle est un exemple de ce type
d’intelligence.
Pierrette Boudreau, cp CS de la Rivière-du-Nord et Ginette Grenier, cp, CS des Affluents, 2003 4

150
Intelligences multiples
- Diapos du Prof

Howard Gardner distingue 7 types d’intelligence. Selon lui, on a recours à toutes ces
intelligences, mais avec une dominante de l’une ou l’autre intelligence qui détermine notre
apprentissage
1. Intelligence linguistique
• C’est cette capacité à utiliser les différents systèmes linguistiques présents dans notre
contexte immédiat.
• On pourrait parler d’une intelligence sémiotique, dans la mesure où l’apprenant utilise
différents types de signes, autres que les signes linguistiques
2. Intelligence logico-‐mathématique
Il s’agit de cette capacité à développer des pensées logiques et abstraites
3. Intelligence Spatiale
• C’est la capacité de visualiser :
• Concevoir des plans, inventer des objets, des réseaux, des systèmes complexes
4. Intelligence musicale
C’est cette capacité à être sensible aux rythmes et aux sons de la musique
5. Intelligence corporelle-‐ kinesthésique
• Capacités physiques mises en œuvre dans divers contextes
• Il s’agit d’individus qui sont attirés par la pratique des sports et se caractérisent par
une bonne coordination au niveau de leur gestuel
6. Intelligence interpersonnelle
• C’est la capacité à interagir avec les autres. C’est une intelligence portée sur la
dimension sociale.
• Les individus ayant développé cette intelligence ont le sens de l’organisation, de la
médiation et du travail d’équipe. Ils peuvent être aussi de grands manipulateurs.
7. Intelligence intrapersonnelle
C’est la capacité à se prendre en charge et avoir de l’assurance et de l’aisance à travail
seul.
8. Intelligences dominantes
Selon Thomas Armstrong, les systèmes éducatifs mettent l’accent exclusivement sur
linguistique et logico- mathématiques. Les détenteurs des autres intelligences sont
pénalisés.

151
Intelligence artificielle &
intelligence humaine
Complémentarité

Améliorer la façon dont humains et machines travaillent ensemble. C’est l’ambition de


Microsoft, réaffirmée lors d’un événement à Londres le 12 juillet 2017.
Microsoft y a annoncé la création d’une nouvelle équipe – cent ingénieurs et chercheurs – au
sein de son département de recherches en intelligence artificielle, comme le rapporte
la MIT technology review. Le but ? Abaisser les barrières et améliorer les synergies entre les
personnes ayant jusque-là travaillé séparément sur les différents aspects de l’IA. Il s’agit donc
d’un gros investissement sur l’avenir visant à développer des solutions innovantes pour
faciliter davantage l’interaction entre les hommes et les machines. D’après Eric Horvitz,
directeur de Microsoft Research AI, cette initiative placera Microsoft sur la bonne voie pour
comprendre pleinement les mystères de l’intellect humain. Une stratégie ambitieuse et
prometteuse de manière à créer une réelle harmonie entre le mode de fonctionnement d’un
cerveau humain préalablement étudié et une IA parfaitement optimisée pour interagir avec
celui-ci, avec pour objectif une augmentation non négligeable de l’efficacité des utilisateurs
dans leur quotidien.

Les bases de l’intelligence artificielle pour votre entreprise


Préparez-vous à rejoindre le 85 % des entreprises qui utiliseront l’intelligence artificielle d’ici 2020.

Construire un monde où intelligence artificielle et intelligence humaine


coexistent
A l’heure où certains craignent un futur où l’intelligence artificielle les aura dépouillés de
leurs emplois et rendu la compétence humaine obsolète, totalement remplacée par un robot
intégré dans un corps et doté de conscience, Microsoft cherche au contraire à construire une
collaboration productive et efficace, autour de cette conviction : intelligence artificielle et
intelligence humaine peuvent coexister et sont même parfaitement complémentaires. La
promesse de l’intelligence artificielle est qu’elle serait capable de nombreuses prouesses que
le cerveau humain ne peut réaliser seul, en réduisant le temps de traitement de l’information
par exemple, ou en réduisant le risque d’une erreur humaine. Au niveau éthique, le métier du
salarié serait préservé. Cependant, sa capacité de réflexion dépasserait largement celle des
hommes ordinaires, et en termes d’efficacité, ils seraient capables de traiter des milliards de
données aussi vite qu’un ordinateur. L’IA serait donc un outil précieux et nécessaire au
progrès s’appuyant sur le digital dont les applications diverses se comptent par millions. Un
152
seul homme pourrait donc accomplir le travail de toute une équipe sans difficulté. En limitant
la marge laissant place aux erreurs humaines, la qualité du travail réalisé en sera directement
impactée.
L’objectif est donc d’atteindre le stade où hommes et machines travailleront ensemble, en
parfaite harmonie et par la même occasion effacer cette idée que les machines remplaceront
l’ensemble des hommes. C’est pour construire ce monde que la nouvelle équipe IA a été
créée.

L’intelligence artificielle pour « combler les trous » de l’intelligence humaine


Cette technologie se présente comme un moyen de connecter directement une IA avec notre
cerveau pour qu’il puisse décupler ses capacités de calcul et de traitement au niveau des
opérations réalisables par ordinateur. Il s’agit là d’un réel atout permettant à coup sûr de tirer
le meilleur des deux partis. Cela permettrait de « combler les trous » de l’intelligence
humaine, comme notre faible capacité d’attention ou notre propension à oublier des
informations, puisque ce serait une forme d’extension de notre cerveau, indépendante de notre
attention, de notre humeur ou de notre niveau de fatigue, capable de traiter une grande quantité
d’informations avec une précision et une exactitude redoutables. Une coalition entre
intelligences artificielle et humaine, dans laquelle un robot intelligent serait capable de par
son algorithme de venir en support au cerveau humain pour les tâches répétitives, ou un simple
calcul. Autre application possible : dans le cadre de la médecine, et plus précisément d’un
diagnostic, une intelligence artificielle pourrait déceler des problèmes complexes plus
rapidement que l’homme. Un outil indispensable pour la médecine qui, de par son progrès
naturel, se voit naître un besoin de connaissance des données du patient et de la diversité des
différentes pathologies toujours plus grandes.
S’il est, de nos jours, compliqué de saisir pleinement le cheminement de pensée au bout
duquel un système de deep learning est arrivé à une décision, Microsoft se donne pour but
d’apporter une solution à ce problème épineux, et ainsi réconcilier les personnes les plus
réticentes avec les machines dotées d’une IA poussée. En effet, certaines décisions prises par
des machines pouvant avoir des conséquences significatives, cette question demeure une
source de nervosité. De nombreux experts mettent en doute les capacités de réflexion des
machines. Néanmoins, selon Eric Horvitz, cette dernière pourrait s’estomper quand la
technologie sera parfaitement démocratisée.

153
Pourquoi le rôle de l’intelligence artificielle
sera d’assister l’intelligence humaine –
Complémentarité
Par Mydigitalweek - jeu 1 Fév 18

Pourquoi le rôle de l’intelligence artificielle d’assister l’intelligence humaine


Par François Ajenstat, Chief Product Officer chez Tableau Software
Parmi le flot de prédictions négatives au sujet de l’intelligence artificielle qui inonde
l’actualité, il est nécessaire d’expliquer que ses effets dépendront surtout de l’usage que nous,
humains, en ferons. L’IA représente une réelle chance, un outil de productivité à fort
potentiel. En prenant en charge les tâches répétitives ou chronophages, elle permettra à
l’humain de se recentrer sur ses compétences propres et d’aborder son travail dans une
logique « métier » au sens le plus noble du terme.
Un usage intelligent de la complémentarité intelligence artificielle
❑ Intelligence humaine.
En libérant les collaborateurs de certaines tâches, l’intelligence artificielle peut augmenter
la productivité des collaborateurs. C’est sur ce point qu’insiste le rapport de synthèse* de
l’initiative #FranceIA, lancée par le gouvernement en mars 2017. Bien qu’elle soit décriée,
l’automatisation de certaines tâches s’accompagnera de la création de nouveaux postes, et
induira de nouveaux modes de travail. Elle se révélera particulièrement utile dans certains
domaines tels que la maintenance ou la création assistée. Ces bénéfices ne sont toutefois
pas l’apanage des entreprises. Ils se feront également sentir sur le plan individuel. Libérés
des nombreuses tâches ingrates et répétitives, les collaborateurs pourront endosser un rôle
plus stratégique et explorer de nouvelles manières de se diversifier. L’intelligence
artificielle va continuer de changer notre façon de travailler en nous permettant de
consacrer davantage de temps à la réflexion et à la créativité, ainsi qu’aux tâches nécessitant
des capacités d’analyse et de l’expérience. Des tâches qui ne peuvent pas être intégrées
dans un algorithme.

154
❑ L’action combinée homme-machine pour une exploitation plus fine des données
Les entreprises recherchent déjà des profils qualifiés dans l’exploitation des données.
Même si les algorithmes exploitant le machine learning facilitent et accélèrent déjà l’accès à des
données pertinentes et leur analyse, l’intelligence artificielle ne remplace pas pour autant la
puissance de l’intuition humaine. L’être humain est le mieux placé pour poser des questions
pertinentes en fonction d’un contexte donné et relier les réponses à des problématiques métier.
L’IA est loin d’égaler les compétences humaines nécessaires à la résolution de problèmes liés au
contexte de l’entreprise et à ses données. De tels enjeux ne peuvent être abordés qu’à l’aide de
l’expérience du passé et de la prise en compte du contexte. Les décisions qui en découlent
requièrent des capacités cognitives, une certaine intelligence émotionnelle et une ingéniosité qui
ne relèvent que de l’esprit humain.
Alors que l’IA est capable de repérer des valeurs atypiques et d’identifier des tendances dans les
données, l’analyse humaine joue donc un rôle crucial dans l’obtention d’informations
exploitables. Les utilisateurs doivent s’assurer que les hypothèses générées par les algorithmes
soient raisonnables et déterminer les mesures à prendre en fonction des résultats obtenus.
❑ La complémentarité homme-machine, un facteur de progrès déjà prouvé.
Dans de nombreux domaines, la collaboration entre l’humain et l’intelligence artificielle a
déjà prouvé son efficacité. En la matière, les secteurs de l’automobile, de l’aéronautique et
des télécoms atteignent d’ailleurs un niveau de maturité qui dépasse les 50%, selon le
Forum Economique Mondial**.
Dans le domaine médical, les algorithmes complexes et le machine Learning ont permis
aux chercheurs de mieux traiter certains phénomènes physiologiques et biologiques
(mutations génétiques, formation de mélanome), et d’analyser d’énormes quantités
d’informations (rapports et études cliniques, dossiers des patients,…). qui nécessiteraient,
en temps normal, plusieurs vies humaines. Ces avancées, sans précédent, permettront aux
praticiens de mettre en place des traitements adaptés aux caractéristiques génétiques et à
l’environnement des patients, ce qui est totalement inédit.
Toutefois, seule l’intelligence humaine peut surveiller les fonctions vitales d’un patient,
ou, dans un autre registre, trouver des informations stratégiques dans une partie d’échecs
et les appliquer à une problématique métier.
Il est nécessaire de nuancer le discours autour de l’intelligence artificielle. Les entreprises ont
tout intérêt à saisir les opportunités qu’elle présente. La véritable vocation de l’IA, loin d’être
une intelligence de substitution, réside dans la capacité des entreprises à l’associer à la
créativité et à l’ingéniosité humaines.
*Evènement de présentation de la stratégie française en matière d’intelligence artificielle. Regarder
l’évènement ici
**Rapport de synthèse France IA, consultable ici
*** Etude réalisée par Infosys et Vanson Bourne en janvier 2017 dans 7 pays (France, Etats-Unis, Royaume-
Uni, Allemagne, Chine, Inde et Australie) intitulé « Amplifying Human Potential : Towards Purposeful
Artificial Intelligence » (L’intelligence Artificielle à l’ère de la maturité : vers l’amplification du potentiel
humain), à l’occasion du WEF de Davos.

155
Les cartes heuristiques

156
157
158
159
160
161
162
163
164
Apprendre à Apprendre
Diapositives de l’année passée

Les stratégies d’apprentissage évoluent en fonction du travail de métacognition réalisé par


l’apprenant
Ce travail de retour sur ses activités d’apprentissage se traduit par :
1. Prise de conscience par l’apprenant de ses activités cognitives et de ses produits
2. Jugement exprimé ou non par le sujet sur ses activités cognitives et sur ses produits
3. Décision métacognitive de l’apprenant de modifier ou non ses activités ou leurs produits
Le travail de métacognition permet à l’apprenant de prendre conscience de ses stratégies
d’apprentissage et de la possibilité de les améliorer

Pour agir sur son propre processus d’apprentissage, l’apprenant pourrait recourir aux
stratégies:
1. de planification : analyser au préalable une tâche à réaliser, se fixer des objectifs de travail
et adopter les stratégies d’apprentissage qui lui permettront de la réaliser de manière efficace.
2. de monitoring qui est utilisée lors de l’accomplissement d’une activité. L'apprenant y
évalue l’efficacité des stratégies d’apprentissage adoptées.
3. d’auto-évaluation : mesurer le degré d’atteinte des objectifs qu’on s’était fixé.

Qu’est-ce Que le savoir ?


Selon Astolfi (1992) :
« Le savoir doit être le point de départ de la pensée et constituer des réponses à des questions
que se posent l'apprenant. Il ne vient pas remplir le vide de l’ignorance mais transforme les
représentations déjà existantes chez l’individu »

Types de connaissances
❑ Connaissances déclaratives
❑ Connaissances procédurales
❑ Connaissances conditionnelles

Connaissances déclaratives
C’est la connaissance :
➢ Des faits,

165
➢ Des lois, des principes, des concepts et des règles.
➢ Elle répond à la question = Quoi ?
➢ Il s’agit d’est une connaissance de type statique
Connaissances procédurales
Connaissances qui se rapportent au comment :
➢ Elles sont de nature dynamique
➢ Elles se rapportent au savoir-faire
➢ Elles mettent l’apprenant dans un contexte d’action
➢ Elles sont maitrisées via des stratégies de répétition et d’automatisation

Connaissances conditionnelles
➢ Elles concernent le quand et pourquoi faire de quelque chose
➢ Elles renvoient aux contextes et conditions d’utilisation des connaissances
procédurales et déclaratives

Savoirs et transposition didactique

❑ Savoirs savants : soumis à la logique scientifique, celle de la discipline


❑ Savoirs à enseigner : choix d’un contenu scientifique qui pourrait faire l’objet d’un
apprentissage
❑ Savoirs enseignés : contenu qui fait l’objet d’un acte d’enseignement
❑ Savoirs intégrés : savoirs acquis, maîtrisés par l’apprenant

Types d’enseignants
1. Un enseignant distingue le mauvais et le bon apprenant.
2. Un enseignant se concentre exclusivement sur son faire.
3. Un enseignant s’intéresse à ce que fait l’élève.
Or, l’apprentissage se réalise par le faire de l’élève et non par celui de l’enseignant

Types d’enseignants
❑ L'enseignant transmissif se centre exclusivement sur le savoir.
❑ L'enseignant incitatif se centre à la fois sur le savoir et les apprenants.
❑ L'enseignant permissif ne s'intéresse ni au savoir ni aux apprenants.
❑ L'enseignant associatif privilégie les apprenants au détriment du savoir.

166
Styles d’enseignement
Le style d'enseignement est l'agencement spécifique de six facteurs principaux :
❑ L’enseignant comme expert ;
❑ L’enseignant comme représentant de l'autorité ;
❑ L’enseignant comme agent socialisateur ;
❑ L’enseignant comme facilitateur ;
❑ L’enseignant comme modèle ;
❑ L’enseignant comme personne.

Pour Mc Alpine (1992), le style d'enseignement repose sur :


➢ La planification de l'enseignement ;
➢ L’acte d'enseigner ;
➢ Les pratiques d'évaluation ;
➢ Les relations interpersonnelles.

167
168

Vous aimerez peut-être aussi