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Université Ibn Zohr

Faculté des Lettres et des Sciences Humaines d’Agadir


Département de Langue et Littérature Amazighes
Filière des Etudes Amazighes
Professeur : Ayad ALAHYANE
2020/2021

Cours de phonologie

Ce cours se veut une initiation à la phonologie structurale de manière


générale et à la phonologie amazighe de manière spécifique. L’objectif
général ainsi délimité, nous aspirons par ce cours que les étudiants atteignent
les objectifs spécifiques suivants :
- Comprendre les origines de la phonologie structurale,
- Faire la différence entre la phonologie et la phonétique,
- Comprendre les sous-branches de la phonologie,
- Saisir l’importance du corpus en phonologie, sa formation et ses caractéristiques,
- Maîtriser les opérations linguistiques en phonologie notamment la commutation,
- Saisir quelques caractéristiques de l’alphabet phonologique de l’amazighe standard,
- Etudier quelques traits phoniques segmentaux,
- Etudier quelques phénomènes phonologiques dans les processus séquentiels.

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Introduction :

La phonologie est une branche de la linguistique qui étudie les sons du langage
humain d’un point de vue fonctionnel. En d’autres termes, les unités phoniques sont
appréhendées dans leurs fonctions dans la communication linguistique et la
différenciation sémantique.
Pendant longtemps, la phonologie et la phonétique ont été confondues pour la
simple raison que ces deux disciplines linguistiques ont le même objet à savoir les sons
du langage humain. Il faut attendre l’avènement de la linguistique structurale pour que
la phonologie ait un statut défini et s’érige en science à part entière avec un objet bien
délimité.
En effet, le véritable départ de la phonologie n’a été possible qu’avec les travaux
des linguistes du Cercle de Prague surtout Nicolas Sergueïvich Troubetzkoy et Roman
Jakobson. Les linguistes de ce cercle ont présenté leurs travaux de phonologie en 1928
dans le 1er Congrès International des Linguistes de la Haye. Parallèlement, des
recherches ont été entamées vers 1926 aux Etats-Unis avec des linguistes comme
Léonard Bloomfield et Edward Sapir et ont abouti presque aux mêmes résultats. Dans
le cadre de la linguistique générative la phonologie est « la partie d’une grammaire qui spécifie
la forme phonétique des suites des morphèmes engendrés par la composante syntaxique » (Mounin :
1974). Pour les générativistes, le phonème n’est pas une entité indivisible mais un
complexe de traits. Pour eux, il y a des traits phonologiques et des traits phonétiques.

Longtemps confondues, avec l’arrivée du structuralisme, les deux branches qui


sont complémentaires ont désormais chacune un objet bien délimité. La phonétique
étudie les sons du langage humain du point de vue physique, elle s’occupe de la
réalisation effective, concrète des sons indépendamment de leur valeur linguistique dans
la différence du sens. Dans le cadre de la phonétique, tout rapport au sens est exclu.
Selon Troubetzkoy c’est « la science de la face matérielle des sons du langage humain ». Elle se
subdivise en trois branches :

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-La phonétique articulatoire :
Elle s’occupe de l’aspect physiologique des sons, de la description de l’appareil
phonatoire, des mouvements des organes de la parole, c’est le moment de l’émission,
de l’encodage ou de la production linguistique.
-La phonétique acoustique :
Elle étudie les propriétés physiques des sons, c’est le stade de la transmission.
-La phonétique auditive :
Elle s’intéresse aux mécanismes de la réception des sons par l’appareil auditif, c’est le
moment de la réception et du décodage.

Cela dit, la phonologie étudie les éléments phoniques qui distinguent dans une
même langue deux messages de sens différents. C’est-à-dire des sons qui ont une valeur
linguistique « les phonèmes ». Les traits phoniques sont étudiés dans leur valeur
distinctive. La phonologie établit la liste des phonèmes d’une langue donnée (l’amazighe
marocain standard 33 phonèmes, le français 35 phonèmes, l’italien 42, l’anglais 44,
l’allemand 68, l’arabe 28…) ; elle établit également les règles de combinaison de ces
phonèmes en morphèmes. Le morphème est l’unité minimale de la première
articulation, le petit élément significatif individualisé, la première unité porteuse de sens,
alors que le phonème est l’unité minimale de la deuxième articulation, le constituant
immédiat d’un mot. (Voir André Martinet 1970). Voici un exemple :

askrz :
la 1ère articulation : as + krz (deux morphèmes)
(Respectivement morphème du nom de lieu + radical du verbe « labourer »)
La 2ème articulation : a s k r z (cinq phonèmes)

Bref, la phonologie décrit la dimension sonore du langage du point de vue de sa


fonction dans la différenciation du sens (Voir. paires minimales).

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Quand il s’agit d’étudier les unités phoniques à valeur phonologique des deux
langues ou plusieurs, nous parlons de phonologie contrastive, celle-ci permet d’établir des
divergences phonologiques entre deux langues ou plusieurs. Il existe d’autres types de
phonologies : la phonologie particulière étudie le système phonologique d’une langue
donnée (on dit par exemple la phonologie de l’amazighe, du français, de l’arabe…), la
phonologie synchronique, étudie le système phonologique d’une langue à un moment donné
de son évolution, dans un état donné de langue ; la phonologie diachronique quant à elle,
s’intéresse à l’évolution du système phonologique à travers le temps, à ses différents
changements et à sa formation.

Les branches de la phonologie :


Généralement, il y a deux domaines en phonologie : la phonématique et la
prosodie.
La phonématique :
Elle étudie les traits distinctifs ou pertinents qui opposent les phonèmes les uns aux
autres et les règles de combinaisons qui les commandent dans la chaîne parlée. « Le but
de la phonématique est de dégager l’inventaire des phonèmes de la langue ou des la ngues étudiées, de les
classer, d’étudier leurs combinaisons, etc. » (Dubois, 1973 : 371-372). L’une des méthodes
utilisées dans ce genre d’étude est les paires minimales. La phonématique « s’appuie sur
les différences de sens entre les quasi-homonymes : deux unités s’opposent en tant que phonèmes si, en
les faisant commuter dans un même contexte, on obtient des mots de sens différent » (Dubois, ibid.
372)
La prosodie :
Elle étudie les trait supra-segmentaux ; c’est-à-dire les traits phoniques qui
accompagnent la réalisation de deux phonèmes ou plusieurs et qui possèdent une valeur
distinctive. Ces traits sont : l’accent phonologique, le ton ou l’intonation et la durée.
-L’accent :
C’est un trait phonique qui consiste à mettre en relief une syllabe par rapports aux autres
dans un groupe rythmique. Il peut avoir trois fonctions :

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- Démarcative, en français par exemple il frappe toujours la dernière syllabe d’un mot
ou d’un syntagme permettant de délimiter les groupes rythmiques, les différentes
unités d’un énoncé : aujourd’hui, j’ai vu Paul.
- expressive, il est dit aussi d’insistance, quand il s’agit d’insister sur une unité comme
pour la première syllabe en français pour les mots à initiale vocalique impossible, ce
trait peut concerner aussi n’importe quel mot selon l’intention et le désir de celui
qui parle.
- Contrastive : quand il s’agit de marquer par intensité vocalique une unité par rapport
aux autres : c’est mon point de vue.
- Distinctive quand il permet de distinguer deux unités linguistiques.
En espagnol le verbe « étudier » au passé est /estudió/ et au présent /estudio/, /libro/
est « livre » alors que /libró /est le verbe librar (libérer) à la troisième personne du
singulier au passé.
En italien pápa signifie pape et papá père.
En anglais, impórt est le verbe importer et ímport est le substantif « import ».

« L’amazighe connaît deux types d’accent, à savoir l’accent tonique et l’accent d’insistance, l’accent n’est
pas contrastif. L’accent tonique se porte dur la syllabe finale quelle que soit sa structure, à savoir légère,
lourde ou superlourde » (Boukous, 2009 : 126)
Exemples : /aga’/, /agru’r/, /tamiṭa’ct/.

- La durée : c’est l’allongement des voyelles. Elle est transcrite par deux points « : », en
français par exemple, ce trait prosodique concerne la voyelle précédant les consonnes
allongentes : /r/,/z/,/j/et/v/ comme dans /ba:r/(bar), /ba:z/(base), /ca:j/ (cage) et
/ca:v/(cave) mais aussi dans grande /grã:d/, bombe /bo:mb/pâle /pa:l/, câble /ka:bl/,
sable /sa:bl/. Cependant, elle n’est pas pertinente en français ; elle ne permet pas de
distinguer deux unités linguistiques comme c’est le cas de la langue arabe où
l’allongement est distinctif :
/ḍaṛaba/ (frapper) et /ḍa:ṛaba/ (spéculer).
/ kataba/ (écrire) vs /ka:taba/ (correspondre)
/rasala/ (envoyer) vs /ra:sala/ (correspondre)

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/kacafa/ (révéler) vs /ka:cafa/ (agir ouvertement)
/ɛalamun/ (drapeau) vs/ɛa:lamun/ (monde)

En rifain, l’allongement affecte la voyelle /a/ après la chute de /r/ : [tamγa:t]


/tamɣart/, [ḍa:] /aḍaË/

Nb : la consonne peut subir en amazighe l’allongement comme dans ce contexte où le


/γ/ radical final est au contact de l’indice de la première personne /γ/ : /rad#sγγ/
[radsγ:], /rad zdγγ/ [radzdγ:]… Dans certains parlers on introduit la voyelle /a/ pour
empêcher cette rencontre [radzdɣaɣ]

-Le ton : il s’agit de la variance de la fréquence et de la hauteur de la voix lors de la


réalisation d’un mot. Il est distinctif dans certaines langues comme le chinois, le
japonais, les langues scandinaves comme le norvégien et les langues d’Afrique centrale.

L’importance du corpus dans l’étude phonologique :

Dans le cadre de la linguistique structurale (l’école de Prague, Le fonctionnalisme


de Martinet...), le corpus revêt une importance capitale pour mener à bien une
description du système phonologique. Le corpus est un ensemble d’énoncés enregistrés
ou dictés ou des documents. Il constitue une base de données pour le chercheur. Le
corpus reflète un état donné de la langue, c’est un échantillon de cette langue. Tout
corpus doit comporter les caractéristiques suivantes :

-Il doit être représentatif : autrement dit, il doit refléter de façon générale l’état des faits
linguistiques « il doit illustrer la gamme des caractéristiques structurelles » (Dubois, op.cit.p.129).
Pour cela, le chercheur doit se méfier de tout ce qui peut nuire à la représentativité de
son corpus comme les préjugés, les jugements de valeur… les échantillons collectés
doivent représenter les faits à étudier dans leur globalité.

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-Il doit être cohérent : représentatif d’un état synchronique de la langue, on ne peut pas
travailler sur des énoncés éloignés dans le temps que dans la cadre de la phonologie
diachronique.

- il doit être exhaustif : autrement dit, il doit rendre compte au minimum des phénomènes
linguistiques et ne pas présenter des anomalies, des manques. Il doit avoir un niveau de
détails adapté aux besoins de l’analyse. Selon le besoin, on peut l’enrichir, l’affiner. Il
faut ajouter à cela qu’il doit être homogène.

Après avoir collecté un ensemble de données, le chercheur doit opérer un tri pour
écarter tout énoncé qui n’est pas en rapport avec le fait à étudier. Une fois le corpus
bien défini, le phonologue structuraliste analyse les données selon deux opérations : la
segmentation et la commutation.

La segmentation phonémique se situe sur l’axe syntagmatique, c’est une opération


qui consiste à diviser un mot en unités phoniques constituantes « les phonèmes ». Et la
commutation se situe sur l’axe paradigmatique, elle sert à montrer si la substitution d’un
phonème à un autre entraîne une différence au niveau du sens (on remplace /z/ par
/ẓ/ dans /izi/-/iẓi/, cela implique le changement du sens ce qui signifie que ces deux
phonèmes sont distinctifs). C’est ce qu’on appelle les paires minimales.

Les paires minimales :


« On appelle paire minimale deux signifiants qui sont des quasi-homonymes, c’est-à-dire qui ne se
distinguent l’un de l’autre que par un seul de leurs phonèmes » (Mounin, 1974 :241)
Exemples :
En français : /kal/(cale) vs /sal/ (sale/salle)
En amazighe : /tawda/ vs /tamda/
/azur/ vs /aẓuṛ/
/izi/ vs /iÇi/

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A quoi servent les paires minimales ?
D’abord, elles constituent le corpus du phonologue pour établir l’inventaire des
phonèmes d’une langue donnée. Elles servent à montrer si deux phonèmes sont
distinctifs. Autrement dit, si leur commutation implique un changement du sens.
Analysons l’opposition de ces deux phonèmes en amazighe / z/et/Ç/.
Etablir tout d’abord un corpus de paires minimales comportant cette opposition. La
commutation doit se faire dans le même environnement phonologique.
/izi/ vs/iÇi/ (mouche vs vésicule biliaire)
/azur/ vs /aÇuË/ (toit vs racine)
/izri/ vs /iÇËi/ ( il est passé vs regard)
Nous remarquons que chaque fois, il y a un changement du sens, donc l’opposition /z/
vs/Ç/ est pertinente en amazighe, donc ces deux phonèmes sont distinctifs, ils
permettent de distinguer deux unités, les deux phonèmes doivent figurer dans
l’inventaire des phonèmes de la langue.
Cela nous amène à dire que le trait phonique [emphatique] est fonctionnel
phonologiquement en amazighe, cat il permet de distinguer deux unités (une paire
minimale) comme dans :
/adan/ (tripes) vs /aḍan/ (nuits).

Dans certains cas, la commutation des phonèmes n’implique pas le changement de sens.
C’est le cas en français par exemple du phonème /r/ qui possèdent plusieurs réalisations
entre autres: …. guttural, standard, [R] grasseyé, parisien, [r] roulé ou dental..
([kama…ad], [kamaRad] ou [kamarad] ont le même sens). Dans ces cas on parle des
allopohones libres, c’est-à-dire des différentes réalisations d’un seul phonème qui
s’explique parfois par l’implantation régionale de la langue. C’est le cas de l’indice de la
première personne du verbe en amazighe /ɣ/ qui se réalise selon les régions [x] et [ḥ].
On parle de variantes régionales :( [nniγ]= [nnix]= [nniḥ])

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Le système phonologique de l’amazighe marocain standard AMS :

Avant de parler de ce système, il ne serait sans importance de souligner le retard


considérable des études phonétiques et phonologiques dans le domaine de la
dialectologie amazighe. Un survol des études des berbérisants montre que ces aspects
ont été des fois omis et d’autres fois signalés de façon sommaire. Cela est dû
premièrement à leur formation, ils ne sont pas des phonéticiens et deuxièmement la
priorité a été donnée à l’élaboration des manuels de grammaires, didactiques (ex. Robert
Aspinion, Apprenons le berbère). Ce qui a été réalisé comme monographies des parlers ne
comporte que quelques indications sommaires des aspects phonétiques et
phonologiques qui demeurent insuffisants et qui manquent de rigueur. Cependant avec
l’arrivée des linguistes amazighes vers la fin du XXème siècle, la recherche dans ce
domaine va connaître un regain d’intérêt (Chaker, Chami, Boukous, El Moujahid,
Allati…). Plusieurs parlers ont été étudiés et on dispose aujourd’hui d’un ensemble de
données importantes qui ont aidé à élaborer dans le cadre de la comparaison
interdialectale les typologies des phénomènes marquants. Le système phonologique de
l’AMS comporte 33 phonèmes :

Les voyelles :
a : aman (eau)
u : amud (semmence)
i : ils (langue)
ə : tiləlli (liberté)

Les consonnes :
- Les labiales :
b : baba (mon père)
f : afud (genou)
m : imal (futur)

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-Les dentales :
d : tudrt (vie)
ḍ : aḍil (raisin)
t : tasa (foie)
ṭ : akiṭaṛ (étalon)
n : anu (puits)
l : alim (paille)
r : azur (toit)
ṛ : aṛam (chameau)

-Les alvéolaires :
s: askrf (entrave)
ṣ : aṣmmiḍ (froid)
z : izi (mouche)
ẓ : iẓi (vésicule biliaire)

-Les palatales :
j : ajnwi (sabre)
c: utci (repas)

-Les vélaires :
k : aknari (cactus)
g : aga (seau)

-Les labiovélaires :
kʷ : akʷfay (lait)
å : aårsl (champignon)

-Les uvulaires :
q : aqmmu (bec)
x : tixibit (cruchon)

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γ : aγrum (pain)

-Les pharyngales :
ḥ : aḥlays (surdos)
ɛ : aɛrrim (jeune)

- La laryngale :
h : tahruyt (brebis)

Les semi-voyelles :
y : aylal (oiseux)
w : awal (parole)

Les critères de l’élaboration de l’AMS :

Vu le cumul de recherches importantes sur les parlers amazighes marocain s, un


ensemble de faits ont été typologisés au moyen d’études comparatives. Comme
l’alphabet tifinagh est à tendance phonologique, un ensemble de critères ont été pris en
compte de son élaboration :

Pour éviter toute digraphie (deux graphies) l’univocité du signe est fondamentale, cela veut
dire que chaque phonème correspond à un graphème (33 phonèmes = 33 graphèmes).
Ce qui facilite la graphie des mots. En français par exemple le phonème /k/ admet
plusieurs graphèmes « c » dan car, « k » dans kilo, « qu » dans quatre, « ch » dans écho,
« cq » dans acquérir. Cela dit, la dialectologie amazighe a permis de localiser et de
mesurer en quelque sorte l’ampleur géographique d’un fait.

D’où le critère de l’extension géographique, autrement dit, les faits retenus sont communs
aux parlers de l’AMS ; ceux qui sont circonscris, localisés dans certaines aires
linguistiques ne sont pas retenus.

Et puis vient le principe du rendement fonctionnel, les faits isolés ne sont pas pris en compte
vu leur rendement faible (ex. le /j/ emphatique).

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Enfin, la neutralisation des variations phonétiques (ex. la spirantisation, la sibilance ;
l’affrication, le rhotacisme…)

Les unités phoniques non retenues :

- Les consonnes emphatiques /n/ et /ḷ/ : [aḍeḷ], [nḍḷ], [anuḍ]… ces deux phonèmes sont
considérés comme des allophones des phonèmes /n/ et /l/. Le/ḷ/ est aussi présent
dans les emprunts comme [ḷḷah], [taẓaḷḷit], [ḷbḷaṣt], [biṭḷjan], [ḷbuḷa]… Le /j/ emphatique
n’est pas retenu car il n’est pas très fonctionnel dans tous les parlers (contrairement en
tachelhit). Son rendement dans le système est faible, on le rencontre uniquement dans
quelques paires minimales /ijja/ et /ijja/, /tujjut/et /tujjut/… ou en cas de la
propagation de l’emphase /ajaËif/, /amjjuḍ/, /ijËa/, /ajnḍiḍ/…

- La sibilance : un fait circonscrit, localisé dans l’Anti-Atlas occidental, région Anzi,


Idawsmlal… L’assibilation est la transformation des occlusives dentale /t/ et /d/
respectivement en [s] et [z] comme dans :
/tasa/ (foie) prononcé [sasa]
/afud/ (genou) prononcé [afuz].

- Les consonnes labiovélaires qui ne sont pas retenues sont /xʷ/ dans /axʷlil/ (morve),
/qʷ/ dans /aqʷṛab/ (sacoche) et /γʷ/ dans /γʷli/ (monter).

- Le rhotacime : c’est un fait attesté dans les parlers de tarifit. La latérale /l/ se réalise
comme vibrante [r] :
/islman/ se réalise [isrman].
/ils/ se réalise [irs]
/awal/ se réalise [awar]

NB.
En rifain d’autres phénomènes sont marquants comme la chute de la voyelle initiale /a/
dans [fus], ou la chute de /r/ avec allongement compensatoire comme dans [tamɣa:t]…

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- La spirantisation : c’est fait présent dans un ensemble de parlers comme le kabyle, le
rifain, Aït Iznassen, les parlers du Maroc Central… C’est l’affaiblissement des occlusives
non géminées qui se transforment en constrictives :
- /b/ se réalise [b] comme dans [baba] (père)
- /d/ se réalise [d] comme dans [uday] (juif)
- /t/ se réalise [t] comme dans [tamγart] (femme)
- /k/ se réalise [k] comme dans [akal] (terre)
- /g/ se réalise [g] comme dans [aga] (seau)

Les phonèmes /k/ et /g/ peuvent aller jusqu’à la palatisation en passant par la
spirantisation :
akal → akal → acal.
agmar → agmar → aymar.

-L’affrication : la consonne géminée /ll/ se prononce [dj] comme dans /illi/ réalisé [idji]
et la suite /lt/ [tc] comme dans /taɣyult/ prononcé [taɣyutc]
Ces deux phénomènes peuvent coexister dans une seule unité comme /tamllalt/
réalisée [tamdjatc].

Le statut du schwa /∂/:

En Amazighe marocain standard le schwa n’a pas de valeur phonologique mais


démarcative, il empêche la suite de trois consonnes identiques, une relâchée et une
géminée ou vice-versa /til∂lli/, /sbb∂b/… Par contre en arabe marocain le schwa est
fonctionnel comme dans /br∂d/ et /b∂rd/, le premier est un verbe et le deuxième un
nom.
NB.

Il existe des voyelles basses ouvertes /a/, /e/ et /o/, phonologiquement, il s’agit ici de
variantes contextuelles qui apparaissent en cas de :
- chute de /r/ final comme dans le rifain [ḍa:] /aḍaṛ/.
- en cas d’emphase : [aẓoṛ[, [eẓe], [iẓoËan].
- après un /γ/ ou un /x/ : [aγo], [ixebi].
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Les consonnes labiovélaires :
De manière générale, l’amazighe connaît la labialisation de cinq consonnes et leurs
tendues respectives. Dans ce sens Boukous (Op.Cit., :122) voit que « La labialisation qui
affecte les consonnes arrière k, g, x, ɣ, q est une articulation secondaire qui se manifeste
par la projection et l’arrondissement des lèvres, à savoir kʷ, å , ʷ, ɣʷ, qʷ et les tendues
correspondantes. Ce phénomène constitue un fait marquant en amazighe et
particulièrement en tachelhite. »
La labialisation peut permettre des fois de distinguer deux unités différentes (paire
minimale)
/ikʷla/ (il a colorié) vs /ikla/ (il a passé la journée)
/igra/ (il a semé) /igʷra/(les grenouilles)
/γʷi/ (tiens) /γi/ (ici)

Voici quelques exemples de labiovélarisation


kʷ: /ikʷna/ (il s’est penché) - /akʷl /(foule verbe) - /taskʷflt/ (la marche)…
gʷ : /igʷra/ (il a ramassé) - /agʷrram/ (le saint) - /agʷl/ (suspends)…
xʷ : /ixʷla/ (il est détruit) - /ixʷla/ (il est devenu fou) - /axʷs/ (la dent)…
ɣʷ : /taγʷrit/ (le youyou) - /aγʷlil/ (l’escargot) - /iɣʷma/ (il est foncé) - /iγʷla/ (il est
cher), /aɣʷrab/ (le mur)…
Des fois, la labialisation peut concerner une consonne tendue comme dans :
/amddakʷkʷl/ (l’ami)1
/asgʷgʷas/ (l’année)
/agʷgʷrn/ (la farine)
/aqʷqʷlay/ (monte souvent)

1 A ne pas confondre la transcription phonologique de ces unités avec leur transcription orthographique.
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Quelques processus phonétiques séquentiels :
Ces faits se situent sur l’axe syntagmatique. Ce sont des phénomènes qui relèvent de la
phonétique combinatoire. La succession des unités phoniques entraînement des
changements car les unités segmentales (phonèmes) s’influencent.

Quelques cas d’assimilation :


L’assimilation est un phénomène phonétique d’influence entre les phonèmes. « On
appelle assimilation un type très fréquent de modification subie par un phonème au
contact d’un phonème voisin, et qui consiste pour les deux unités en contact à avoir des
traits articulatoires communs. » (Dubois et al., Op.Cit., 54). Cette influence peut
engendrer l’identité phonique des sons ou leur proximité. D’après Malmberg (1979 : 69)
« Toutes les fois qu’un son se rapproche d’un autre son et ce qui concerne son mode
ou son point d’articulation- et cela qu’il lui devienne absolument identique ou non- il y
a assimilation. »

La propagation de l’emphase :

La pharyngalisation ou l’emphatisation est un phénomène qui existe dans certaines


langues comme l’amazighe (/iṣiḍ/ « folie ») et l’arabe (/ṣabËun/ « patience »). C’est une
« coarticulation dans laquelle les segments concernées ont un double point
d’articulation, l’un situé à l’avant de la cavité buccale, précisément la pointe ou la
couronne de la langue, et l’autre à l’arrière de la cavité buccale au niveau du pharynx. »
(Boukous, Op.Cit., 387). L’emphase fait tache d’huile, une consonne emphatique
influence d’autres consonnes2 susceptibles d’être emphatisée. Cette contamination est
dite propagation et ce sont généralement les coronales qui sont affectées :

[eḍṛfan ], [ iẓoṛan ], [ aḍeḷ ], [ amjjoḍ ], [ afṛṣaḍ]…

Comme nous l’avons signalé ci-avant, l’emphase est un trait fonctionnel, elle a « une
fonction distinctive, son statut phonologique ressort des oppositions entre les

2 Influence également les voyelles environnantes.


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emphatiques et les non emphatiques » (Boukous, 2009 :390) comme dans ces exemples
cités par Boukous (ibid.)

ṭaṭa (toponyme) – tata (bégayer)

iḍ (nuit) – id (les, ceux de…)

ÇÇall-at (priez) – zzallat (malédiction)

aËa (donne) – ara (écris)

L’assimilation sans amalgame

L’assimilation sans amalgame (ou assimilation partielle) est un fait phonétique qui se
produit lorsqu’une consonne acquière les traits d’une autre sans se confondre à elle. Elle
peut être de deux manières : de mode (voisement/dévoisement) ou de lieu
d’articulation :
-assimilation de mode :
Par voisement : Le trait voisé est un « trait distinctif de sonorité s’opposant à non voisé
dans la terminologie de Jakobson. Un phonème voisé est caractérisé par des vibrations
périodiques des cordes vocales. » (Mounin, 1974 : 337).
Exemple :
/tzri/ → [ dzri ] : le /z/ consonne constrictive sonore influence l’occlusive sourde /t/
et la transforme en occlusive sonore/d/.

Par dévoisement régressif :


/tamzdaγt/→ [tamzdaxt] : le /t/ occlusive sourde influence le /γ/ sonore et le
transforme en [x]constrictive sourde.
/taznaɣt/→ [taznaxt]
De même pour cet exemple où il se trouve en contexte avec un /k/.
/ẓṛiγ#karima/→ [ ẓṛixkarima ]

- assimilation de lieu d’articulation : /tammemt/ → [ tammnt ].

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L’assimilation avec amalgame
L’assimilation avec amalgame (ou assimilation totale) : un phonème assimilé se confond
avec celui qui l’influence pour constituer une unité géminée :

- En cas de consonnes identiques :


- /ayt # tmazirt/ → [ ayttmazirt ]
- /ad # d # yack/ → [ addyack ]
Ce phénomène peut engendrer l’allongement de certains phonèmes :
- /tzdγ # γ # ugadir/ → [ tzdγγugadir ] → [ tzdγ:ugadir ]
De même certains verbes en /γ/ final en première personne du singulier :
-/zdγ+γ/ → [zdγγ] → [ zdγ:]
-/ffγ+γ/ → [ffγγ] → [ffγ:]

- En cas consonnes différentes :


- /tigmmi # n # lqqayd/ → [ tigmmillqayd ] → [ tigmmil:qayd ]
- /abrid # n # ṛbaḍ / → [ abridṛṛbaḍ ] → [abridṛ:baḍ]
- /ad # nawi # imkli / → [ annawiymkli ] → [an:awiymkli]
- /ddu # s # zmmur/ → [ dduzzmmur ] → [ dduz:mmur ]
- /aman # n # waḍel/ → [ amanwwaḍel ] → [amanw:aḍel]

Ce phénomène d’assimilation peut concerner les verbes causatifs/factitifs ou le


morphème /s/ ou /ss/ est assimilé par les consonnes /j/, /z/, /Ç/ ou /c/ :
- njm → /ss+njm/ → [jjnjm]
- jju → /s+jju / → [jujju ]
- jji → /s+jji/ → [jijji]
- iÇḍiy → /ss+iẓḍiy/ → [ẓẓiẓdiy]
- nz → /ss+nz/ → [ zznz]
- azzl → /s+azzl/ → [zazzl]
- kcm → /ss+kcm/ → [cckcm]
- kcf → /ss+kcf/ → [cckcf]
- ncf → /ss+ncf/ → [ccncf]

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-La dissimilation :
C’est un phénomène phonologique qui résulte de la combinaison de certains phonèmes.
« On appelle dissimilation tout changement phonétique qui a pour but d’accentuer ou
de créer une différence entre deux phonèmes voisins, mais non contigus . C’est un
phénomène de différenciation à distance. Il s’agit le plus souvent d’éviter une répétition
gênante entre deux phonèmes identiques » (Dubois 1973 : 160-161).
Exemple : en français moderne on dit couloir ; sa forme ancienne est couroir. Le phonème
/r/ est transformé en /l/ par dissimilation.
« La dissimilation est le processus par lequel des segments identiques par le point
d’articulation et/ou par le mode d’articulation tendent à se différencier. Les segments
impliqués dans ce processus peuvent être adjacents ou pas dans la chaîne sonore »
(Boukous, op.cit., 377)

Quelques exemples de dissimilation


Le phonème/m/ peut se réaliser [n] au contact d’une labiale comme /m/, /b/et /f/ :
Dans un contexte de contiguïté (voisinage immédiat) :
- /am+bur/ → [anbur]
- /am+frad/ → [anfrad]
- /am+mmal/ → [anmmal]
- /am+mɣur/ → [anmɣur]
-/am+fgur/ → [anfgur]

Il s’agit ici dans ces cas d’une dissimilation de contact.


Dans un contexte de non contiguïté, nous pouvons parler de dissimilation dilatoire.
C’est le cas de ces noms d’agent ou de patient formés par préfixation de « am ». Ce
préfixe /am/ se réalise [an] car influencé par le phonème /m/, /b/ ou /f/ :
- /am+gʷmar/ → [angʷmar ]
- /am+lmad/ → [anlmad]
- /am+ḍalab/ → [anḍalab ]
-/am+ɛḍub/ → [anɛḍub]

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- /am+kruf/ → [ankruf ]
-/am+ḍaf/ → [anḍaf]

Le hiatus :
C’est le contact des voyelles. Il prend des formes diverses selon les langues : il peut être
interne au mot comme dans « aoriste » (la voyelle /a/ et /o/) comme il peut être
transitoire, c’est-à-dire une voyelle finale qui est en contact direct avec une autre voyelle
initial. C’est ce dernier cas qui existe en amazighe. « Dans le cas d’hiatus (rencontre de
deux voyelles appartenant à deux monèmes différents), plusieurs types de correction
phonétique sont envisageables. » (Ameur, M., et al., 2006 : 69)

1- la resyllabation :
Les voyelles initiales /i/ et /u/ se réalisent respectivement des semi-voyelles [y]et [w]
comme dans ces exemples :
/inna#izlan/ → [innayzlan]
/ila#idammn/ → [ilydammn]
/ifta#urgaz/ → [iftawrgaz]
/idda#umγar/ → [iddawmγar]

2- l’insertion du yod [y] :


L’insertion de la semi-voyelle /y/ permet dans certains cas la rupture d’hiatus. D’où sa
valeur euphonique.
Les trois voyelles sont concernées par ce phénomène :
- /tirra # ad/ → [tirrayad]
- /urti # ad/ → [urtiyad]
- /agru # ad/ → [agruyad]
-/inna# iyi/ → [innayiyi]
-/da# ittini/ → [dayttini]
-/a# ul# inu/ → [ayulinu]
-/ku#argaz/ → [kuyargaz]
-/issli#ibawn/ → [issliyibawn]

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3- l’insertion du yod [y] et la chute de la voyelle /a/ :
/inna#as/ → [innays]
/ifka#as/ → [ifkays]

4- La contraction des deux voyelles finale et initiale en un seul phonème /a/ avec son
allongement vocalique :
/inna#as/ → [inna:s]

Bibliographie :

Allati, Z., (2011), Histoire du berbère I, Phonologie, PUAEFEL, Tétouan.


Ameur, M. et al., (2006), Graphie et orthographe de l’amazighe, Publications de l’Institut
Royal de Culture Amazighe, Rabat.
Ameur, M. et Abdallah Boumalk, (Dir.), (2004), Standardisation de l’amazighe, Actes du
séminaire organisé par le Centre d’Aménagement Linguistique 8-9 décembre 2003,
Publications de l’Institut Royal de Culture Amazighe, Rabat.
Basset, A., (1952), La langue berbère, Handbook of African Languages, Oxford.
Basset, A., (1946), « Le système phonologique du berbère », Comptes rendus du Groupe
Linguistique d’Etudes Chamito-Sémitiques, 4, p.33-6
Basset, A., (1950), « Réduction de diphtongue et constance de la voyelle initiale en
berbère», Comptes rendus du Groupe Linguistique d’Etudes Chamito-Sémitiques, 5, p.51-62.
Boukous, A., (2009), Phonologie de l’amazighe, Publications de l’Institut Royal de Culture
Amazighe, Rabat.
Chaker, S., (1977), Problèmes de phonologie berbère », Travaux de l’Institut de
Phonétique d’Aix, 4, p.173-214.
Duchet, Jean Louis, (1998), La phonologie, PUF, col. Que sais-je ? Paris.
Dubois, J. et al., (1973), Dictionnaire de linguistique, Larousse, Paris.
Ducrot, O., Todorov, T., (1972), Dictionnaire encyclopédique du langage, Seuil, Paris.
Jakobson, R., (1981), Elément de linguistique générale, Edition de Minuit, Collection double,
Paris.
Mounin, G., (1974), Dictionnaire de la linguistique, PUF, Paris.
Troubetzkoy, N.S., (1976), Principe de phonologie, Klincksiek, Paris.
Thomas, J. et al., (1976), Initiation à la phonétique, PUF, Paris.

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