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La Phonétique et la Phonologie sont deux domaines de la Linguistique s’intéressant à l’aspect sonore

du langage. Ces deux disciplines se complètent. Le phonéticien identifie et décrit expérimentalement


les caractéristiques des sons de parole au moyen de divers appareils. Le phonologue construit un
modèle permettant de comprendre le fonctionnement des sons dans la langue.

Partons du concret vers l’abstrait et allons de la phonétique vers la phonologie.

La phonétique.

Ses caractéristiques.

C’est une science interdisciplinaire par essence.

Elle emprunte à plusieurs disciplines : physiologie, acoustique, physique, psychologie, médecine,


sociologie, anthropologie, linguistique…

Elle irrigue plusieurs champs : psycho-acoustique de la parole, pathologie du langage, didactique des
langues, informatique, synthèse et reconnaissance automatique de la parole, audiométrie…

La phonétique comprend trois grands domaines

phonétique articulatoire : concerne la physiologie de la phonation et les particularités articulatoires


des sons de parole ;

phonétique acoustique : traite de l’aspect physique des sons de parole en analysant le signal de
parole ;

phonétique perceptive : s’applique à la perception des sons paroliers.

Un aperçu de la méthode de travail et de la problématique.

La phonétique est l’étude scientifique des sons du langage. Elle se fixe comme but de fournir une
description très fine de tous les sons. Elle y parvient grâce à divers instruments.

Prenons un exemple simple. Un phonéticien travaille sur la phrase papa va tard à la gare. Il en
analyse tous les « A ». Et prouve qu’ils sont tous physiquement différents. Ce qui pose une série de
questions

pourquoi identifions-nous « A » alors qu’on a affaire à des sons différents;

sur quels critères faut-il classer « A » : quels traits retenir afin d’en souligner sa spécificité ; parmi les
différences relevées, lesquelles sont secondaires et ne doivent pas être retenues ?

Allons plus loin, toujours avec « A »

En tant que Toulousain, je prononce toujours « A » de la même façon. Et ne fais aucune distinction
entre les mots pattes et pâtes. Mais la situation est différente dans d’autres régions de France.
Certains Français distinguent pattes de pâtes ; mal de mâle ; ma de mât. L’environnement phonique
est le même mais on a affaire à des doublets sémantiques.
Face à ces problèmes, le phonologue va se demander quelles sont les différences permettant, à elles
seules, de distinguer entre deux mots.

Il relève une différence entre le « A » de pattes et celui de pâtes. Cette distinction n’est pas due au
contexte : le voisinage de « A » est le même dans pattes et pâtes, ma et mât, etc. C’est la façon dont
la voyelle est articulée qui explique la différence. Le phonologue stipule alors l’existence de deux
unités linguistiques distinctes, les phonèmes /a/ et /ɑ/. Il les note entre barres penchées. Il précise
que la différence entre eux est pertinente. Au contraire, les différences physiques relevées par le
phonéticien entre les [a] de la phrase analysée sont dues au contexte ; elles ne sont pas pertinentes.
Ces variantes sont notées entre crochets.

Cet exemple permet de préciser une différence essentielle entre Phonétique et Phonologie:

la phonétique étudie les sons dans toutes leurs dimensions et variations. Elle accumule un maximum
de détails. A la limite, il n’est pas besoin de connaître la langue à laquelle appartient tel ou tel son de
parole;

la phonologie aborde les sons en mettant en évidence en quoi ils se distinguent les uns des autres
afin de permettre la signification entre unités de rang supérieur que nous appelons « mots ». C’est
une phonétique fonctionnelle qui travaille uniquement sur les sons distinctifs de sens. Le phonologue
établit le système des sons distinctifs d’une langue.

phonétique et phonologie

phonétique et phonologie

La phonologie.

Le critère de pertinence.

Il est fondamental. il permet de distinguer ce qui est essentiel, parce que distinctif, dans chaque
langue ou chaque usage. Et ce qui est accessoire, c’est-à-dire déterminé par le contexte ou certaines
circonstances.

La phonologie dégage tous les faits phoniques à partir du critère de pertinence. Elle les hiérarchise
selon leur fonction dans la langue. Ainsi, le contingent ne s’impose jamais au détriment de l’essentiel.
Par exemple,

pour certains Français il y a 2 phonèmes /a/ antérieur et /ɑ/ postérieur là où le Toulousain ne connait
que la réalisation antérieure;

l’articulation de [k] dépend de la voyelle suivante: son point d’articulation est plus avancé dans kilo
que dans courage. Ce qui n’a aucune incidence en français où il y a un seul phonème /k/. Mais joue
en esquimau où le locuteur choisit l’un ou l’autre selon ce qu’il veut dire; il y deux phonèmes;

en français, on distingue très bien /t/ et /d/ dans douche et touche, donc 2 phonèmes. Mais un seul
phonème dans certaines communautés linguistiques en Polynésie où les locuteurs prononcent
indifféremment [t] ou [d] selon le contexte ou l’humeur (Ces deux exemples sont empruntés à A.
Martinet La linguistique synchronique Partis, PUF, 1974).
Décrire une langue, ce n’est pas dégager tous les traits physiques, mais dégager la pertinence. Qui
correspond à la réalité exprimée par les habitudes linguistiques de telle ou telle communauté. La
pertinence permet de

compter le nombre de phonèmes distincts dans la langue ou l’usage considéré;

compter le nombre de phonèmes successifs dont un mot est composé. Ainsi, les locuteurs de langues
comportant des diphtongues ou des affriquées les traitent comme une seule unité sonore là où les
Français perçoivent deux sons successifs: comme dans le mot anglais flight ou espagnol mucho;

d’établir une hiérarchie des faits phoniques selon leur rôle dans le système.

Méthodes de travail en phonologie.

L’identification des unités phonologiques d’une langue.

Cet inventaire s’opère par l’épreuve de commutation. Le principe est d’extraire un élément de la
chaîne, de le substituer par un autre, sans modifier le contexte. Ceci permet de chercher en quoi un
élément est différent de tous les autres pouvant figurer à sa place. La commutation s’opère sur l’axe
paradigmatique. Elle doit être distinguée de la permutation qui s’effectue sur l’axe syntagmatique –
et qui est à l’origine des contrepèteries-.

Le principe du test de commutation

Le principe du test de commutation

C’est la commutation d’un son par un autre son qui provoque une modification de sens. Prenons
d’autres exemples : d’un point de vue sonore, le changement de sens entre bureau et bourreau est
dû à la différence entre [y] et [u]; si je commute avec [a], je réalise barreau qui a un autre sens. Si
maintenant je remplace le [ʁ] de barreau avec [l] j’obtiens ballot et bateau avec [t], etc. Ces sons ont
une fonction distinctive; ils sont à la base d’un changement de sens entre les unités lexicales de la
langue dans un même contexte phonétique. Ce sont donc des phonèmes. Ils doivent être notés entre
barres penchées.

Le but de l’épreuve de commutation est de parvenir à isoler des unités distinctives (fonctionnelles,
pertinentes) dans des positions bien déterminées. Le phonologue parvient ainsi à dégager un nombre
fini d’unités fonctionnelles constituant l’inventaire des phonèmes d’une langue.

Le phonème est une forme sonore constituée d’un faisceau de traits distinctifs. Il a un signifiant et
pas de signifié. Par commutation, il contribue à produire un changement de sens pour des unités de
rang supérieur, les « mots ». Il a une fonction distinctive. C’est la plus petite unité linguistique.

La description phonologique des unités fonctionnelles.

Le principe est de dégager les caractéristiques constantes des phonèmes. Quelles sont celles qui sont
pertinentes, autrement dit qui permettent de distinguer ce phonème de tous les autres phonèmes
du système. Soit le tableau ci-après qui définit le statut phonologique de 3 consonnes. Il se fonde sur
la combinaison de 4 propriétés articulatoires distinctives.

/k/ /t/ /d/


oral oral oral

occlusif occlusif occlusif

non voisé non voisé voisé

vélaire dental dental

Le statut phonologique de 3 consonnes

On constate que

le phonème /d/ partage deux traits avec les autres consonnes: « oral » et « occlusif »; il s’en
distingue par 2 traits: « voisé » et « dental »;

les phonèmes /k/ et /t/ ont 3 traits en commun: « oral », « occlusif », « non voisé »; ils ne se
distinguent que par un trait: /k/ est vélaire, /t/ est « dental ».

/d/ et /t/ sont des paires minimales: ils ne s’opposent que par un seul trait pertinent: le voisement.
Par contre, /k/ et /d/ ne sont pas des paires minimales: ils s’opposent par plusieurs traits
simultanément. Donc, un phonème dans une langue donnée

comporte et réalise simultanément plusieurs caractéristiques (articulatoires, perceptives, physiques);

est identifié sur la base de ses traits distinctifs. Ils assurent la distinction entre lui et les autres
phonèmes de la langue;

existe parce qu’il s’oppose par un trait au moins aux autres phonèmes du système. Ce trait est appelé
trait pertinent;

existe aussi par la notion de réciprocité: il aide à définir le statut phonologique des autres phonèmes;
son propre statut est défini par les autres unités fonctionnelles du système.

Deux phonèmes appartenant à deux langues différentes ne peuvent jamais être semblables: chacun
se définit par rapport à la langue à laquelle il appartient. Soit le statut de /s/ en français et en
espagnol. En français, /s/ et /z/ sont deux phonèmes distincts constituant une paire minimale. Ils ne
s’opposent que par le trait pertinent de « voisement ». En espagnol, les sons [s] et [z] existent, mais

[z] apparaît automatiquement devant consonne sonore: desde, rasgo, mismo...

[s] apparaît dans tous les autres cas: casa, mes… A l’initiale, on a [ɛs] devant consonne: estación; et
[s] devant voyelle: saber.

Les deux langues connaissent une différence phonétique identique entre [s] et [z]. Elle est
fonctionnelle en français. Elle n’est pas pertinente en espagnol (les natifs ne s’entendent pas
prononcer la sonore) où elle constitue une variante. Un phonème n’a pas forcément une réalisation
unique. Il peut donner lieu à des variantes. Le phonologue poursuit son travail de classement et de
hiérarchisation des éléments phoniques en distinguant les divers types de variantes.

Les divers types de variantes.


Les variantes libres.

Ces variantes sont dites libres car elles se situent en dehors du système linguistique. Et rien dans le
système ne permet de justifier leur apparition. Elles sont une manifestation du principe, omniprésent
à l’oral, de la variation. Je l’ai abordé dans un autre article. Elles donnent des indications sur le
locuteur. Ce dernier ne choisit pas de les produire. Elles sont dues à des raisons extralinguistiques et
fournissent un certain nombre d’indices:

variation dialectale origine géographique

variation sociolectale indications sur l'appartenance socio-culturelle du sujet, son âge...

variation idiolectale aspects idiosyncrasiques de la façon de prononcer d'un individu

variation stylistique (pouvant faire l'objet d'un choix, chez un acteur par exemple) dépend de la
situation de communication

état physique ou psychique voix rauque du fumeur, voix nasillarde d'une personne enrhumée...

Facteurs de variation entraînant l'apparition de variantes libres

Un exemple très classique pour le français est de rappeler les différentes façons de produire le
phonème /ʁ/ décrit comme une dorso-vélaire dévibrée. Il peut également être rendu par

un [r] apico-alvéolaire dit « roulé »: l’apex (pointe de la langue) vibre au niveau des alvéoles (un ou
plusieurs battements);

un [R] dorso-vélaire dit « grasseyé » ou encore « parisien »: le dos de la langue vibre au niveau du
velum, le palais mou;

une variante [ᴚ] correspondant à une dorso-uvulaire vibrée au niveau de la luette, uvula en latin.

Les phones [ʁ], [r], [R], [ᴚ] correspondent à un même phonème /ʁ/. Ils sont en commutation, non en
opposition. Leur variation est libre, elle dépend exclusivement du sujet parlant. C’est toujours le
même mot qui est réalisé, quelle que soit la variante utilisée pour le prononcer.

Les variantes combinatoires.

Ce sont des variations que le système permet de prévoir à coup sûr. Elles sont dues à des raisons
strictement linguistiques et se manifestent dans un certain contexte d’apparition. Pour un phonème
donné, une seule variante est possible dans un contexte précis et toujours identique, une autre
variante se produit dans un autre contexte tout aussi précis et identique. Ces variantes
combinatoires se produisent en un point précis de la chaîne, elles s’excluent mutuellement, ce sont
les allophones d’un phonème. Voici plusieurs exemples:

✔︎ selon les règles d’assimilation consonantique, quand 2 consonnes se suivent, c’est la 2ème qui
assimile la 1ère. Donc,

sonore + sourde devient sourde: vodka se prononce [votka], médecin [mɛtsɛ̃], obscur [opskyʁ];

sourde + sonore devient sonore: examen se prononce [ɛgzamɛ̃], adjudication [adʒydikasjɔ̃]


✔︎ la coarticulation explique pourquoi le point d’articulation de /k/ est plus antérieur quand suivi de
[i] ou [e] et davantage reculé avec [u] ou [o].

✔︎ cas des voyelles d’aperture moyenne. En français méridional on applique strictement la règle
voyelle ouverte en syllabe fermée vs voyelle fermée en syllabe ouverte. Ce n’est pas le cas partout. Et
le Parisien de se gausser du Toulousain quand celui-ci prononce [ʁɔ:z] pour rose ou [ɑ̃ tʁəkɔt] pour
entrecôte.

En résumé, un phonème se réalise concrètement par d’innombrables variantes

libres: elles sont individuelles et dépendent du locuteur;

combinatoires: elles dépendent du contexte linguistique.

Les variantes ne sont pas fonctionnelles (pertinentes). Elles n’ont pas d’impact sur le contenu du
message. Le locuteur n’est d’ailleurs pas conscient de sa façon de les prononcer.

Neutralisation et archiphonème.

Prenons quelques exemples.

Comme déjà mentionné en supra, certains Français distinguent entre /a/ et /ɑ/ d’où l’existence de
doublets sémantiques dus à la façon de prononcer patte et pâte, mal et mâle, etc. Le Toulousain ne
connaît que le /a/ et prononce mal et mâle indifféremment [mal]. L’opposition entre [a] et [ɑ] n’a pas
de valeur distinctive pour le Toulousain; on dit alors qu’elle est neutralisée.

Certaines personnes établissent une différence dans la façon de prononcer homme et heaume,
pomme et paume, sol et saule, etc. Ils distinguent les deux phonèmes /o/ et /ɔ/. Le Toulousain ne
connaît que le [ɔ] et prononce homme et heaume indifféremment [ɔm]. L’opposition entre [o] et [ɔ]
est neutralisée pour le Toulousain dans cette position.

Tous les Français prononcent [o] en syllabe finale ouverte: chapeau, bateau, cageot… L’opposition [o]
vs [ɔ] est neutralisée dans la position considérée.

En russe, une consonne sonore se prononce comme son homologue sourde en finale absolue. C’est
ainsi que le [k] final de [rɔk] peut être celui de rog « corne » ou de rok « destin ». Le contexte
situationnel permettant de trancher. Là encore, l’opposition [k] vs [g] est neutralisée dans cette
position.

On remarque que la neutralisation

se produit dans des positions bien précises;

se réalise entre deux phonèmes ayant les mêmes traits distinctifs, sauf un. Dit autrement, les 2
phonèmes ne s’opposent que par un seul trait;

résulte de la suspension d’une opposition entre 2 phonèmes possédant les mêmes caractéristiques.

L’archiphonème est la base commune, les traits distinctifs communs qu’ont les 2 phonèmes dans la
position de neutralisation considérée. Il est généralement noté par une majuscule [O], [A], [K].
Pour conclure…

Cet article est un simple rappel des différences essentielles entre phonétique et phonologie. Ces
deux termes posent souvent problème aux étudiants découvrant la linguistique. Je me suis efforcé
d’être le plus clair possible. Et me suis situé dans la tradition de l’école structuraliste et du Cercle de
Prague. Les théories phonologiques contemporaines sont plus complexes à aborder. Je ne les ai pas
évoquées dans ce billet.

Le tableau suivant reprend quelques points importants évoqués dans cet article.

PHONÉTIQUE PHONOLOGIE

but: décrire toutes leurs caractéristiques: acoustiques, articulatoires, perceptives but:


interpréter et rendre compte de l'utilisation des sons par l'humain pour communiquer

prise en compte de toues les différences phoniques mise en relief des traits phoniques à valeur
distinctive (tri): critère de pertinence

science des sons concrets science des sons immatériels

étude des sons de parole sans tenir forcément compte de leur appartenance à une langue étude
des sons selon la fonction (distinctive) qu'ils remplissent dans une langue déterminée

étude du signifiant étude du signifiant en relation avec le signifié en vue de l'intercompréhension

étude physique des sons étude fonctionnelle des sons

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