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Cours 6 Les raisons d'une prononciation défectueuse en langue étrangère

Dès qu'elles s'expriment oralement dans une langue étrangère, beaucoup d’apprenants
sont en butte avec des problèmes de prononciation qui paraissent insolubles. Ces
obstacles phonétiques révèlent souvent l'appartenance à la communauté linguistique
d'origine. Ces difficultés de prononciation sont normales. Il est certainement rassurant
pour les professeurs comme pour les élèves d'apprendre, que les problèmes qu'ils
rencontrent pour réaliser convenablement les sonorités d'une langue étrangère (L2)
sont naturelles. Elles trouvent leurs origines dans un ensemble de phénomènes dont
certains vont être expliqués dans ce cours.
1.L’oreille :

Sur un plan théorique comme montré dans le schéma ci-dessous, l'oreille humaine
perçoit les sons sur une bande de fréquences s'étendant de 16 Hertz à 16 000 Hertz.
Certains considèrent que des personnes dotées d'une ouïe très fine peuvent atteindre 20
000 Hz (les musiciens par exemple).
Au delà de 16 000 Hz, l’oreille ne perçoit pas des sons appelés ultra sons que certains
animaux peuvent capter. A titre d’exemple, les chiens et les chats entendent jusqu’à
35000 Hz, les chauve-souris jusqu’à 120 000Hz !.. En deçà de 16 Hz, les infra sons ne
sont pas non plus perçus par l’oreille humaine mais peuvent être corporellement
ressentis, ce qui peut être précieux dans certaines rééducations orthophoniques

La perception dans la gamme des fréquences audibles – de 16 à 16 000 Hz- est


discontinue. Certaines bandes de fréquences peuvent ne pas être perçues, ceci est très
variable d’un individu à l’autre. Chaque personne a son audition propre ce que des
tests réalisés à partir d’audiogrammes permettent d’établir.

Les parties de l’oreille :

1.L'oreille externe est la seule partie de l'oreille en communication directe avec


l'extérieur. Elle a donc un rôle de transmission, de protection et de résonance. L'oreille
externe est composée de deux éléments : le pavillon et le conduit auditif. Ils permettent
de capter les ondes sonores et les transmettent vers le tympan, une petite membrane
vibrant comme la peau d'un tambour, qui délimite l'entrée de l'oreille moyenne.
2.L'oreille moyenne est une cavité remplie d'air. Elle contient les trois osselets les
plus petits de notre corps, le marteau, l'enclume et l'étrier. Ils transmettent les
vibrations du tympan à l'oreille interne grâce à une fine membrane. La trompe
d'Eustache met en communication l'oreille moyenne et la gorge.

3.L'oreille interne est composée de l'appareil récepteur auditif : la cochlée qui a pour
rôle le traitement des signaux, et les canaux semi-circulaires qui sont responsables de
l'équilibre de l'être humain dans l'espace. Le canal cochléaire, rempli d'un liquide, est
muni de milliers de cellules ciliées qui vibrent selon les vibrations transmises par les
osselets de l'oreille moyenne. Ces cellules ciliées activent le nerf auditif, qui transmet
les informations sonores au cerveau, qui sont ensuite interprétées et comprises par
celui ci.
2 .Raisons « individuelles » d’une mauvaise prononciation

La perception auditive varie considérablement d’un individu à l’autre. Sur le plan


pédagogique, deux éléments au moins doivent retenir l’attention préalablement à une
explication des difficultés de prononcer correctement une langue étrangère :

a) Tout d’abord, il se produit un phénomène naturel de perte d’audition avec l’âge. Ce


phénomène appelé presbyacousie commence aux alentours de 16 ans et est
irréversible. L’oreille devient de moins en moins sensible aux fréquences aigues au fur
et à mesure que l’on vieillit et cette détérioration de l’audition peut avoir une incidence
sur la reconnaissance de certains sons tels que [s], [z] ainsi que sur celle des mots avec
parfois comme résultat une altération de la qualité de vie.

Une conséquence évidente est que plus on apprend une langue jeune plus on a de
chances d’en capter les spécificités sonores... D’où l’intérêt d’exposer des enfants à
une autre langue vivante très tôt.

Dans tous les cas se pose la question de la formation des professeurs des écoles (on
ne s’improvise pas enseignant de langue), la création de ressources pédagogiques
utilisables à l’oral et adaptées précisément aux différentes tranches d’âge, la question
essentielle du temps d’exposition en L2, etc.
b) La notion de fatigue auditive est également à considérer. Entre autres facteurs,
lorsque l’on se retrouve dans un milieu bruyant ou encore à certains moments de la
journée, la sensibilité de l’oreille est affectée et il y a un décrochage en ce qui
concerne la perception des fréquences hautes. Concrètement, des cours de langue
étrangère doivent être placés à des créneaux horaires idoines et se tenir dans des
salles réunissant de bonnes qualités acoustiques tant à l’intérieur que par atténuation
des bruits provenant de l’extérieur (rue bruyante par exemple).

3. Prononciation /Perception

3.1. Une mauvaise perception des sonorités de la langue étrangère.

Le principe en est simple en apparence. Tout individu est conditionné par les
spécificités sonores originales de sa langue maternelle. Elles déterminent la façon dont
il « entend » les sons d’une autre langue.

3.2. Le phénomène de surdité phonologique.

le concept de surdité phonologique en L2 a été exposé dans les années 30 par le


linguiste russe Polivanov qui fait cette constatation capitale : « Les phonèmes et les
autres représentations phonologiques élémentaires de notre langue maternelle (par
exemple les représentations d’accent en tant que non moins susceptibles, dans une
langue donnée, de différencier les mots que les représentations de voyelles et de
consonnes), se trouvent si étroitement liés avec notre activité perceptive que même en
percevant des mots (ou phrases) d’une langue avec un système phonologique tout
différent, nous sommes enclins à décomposer ces mots en des représentations
phonologiques propres à notre langue maternelle ».1

La métaphore du crible phonologique.

C’est Troubetzkoy, le père de la phonologie, qui illustre quelques années plus tard ce
concept de surdité phonologique en L2 par sa métaphore célèbre du crible
phonologique : « Le système phonologique d’une langue est semblable à un crible à

1
(Polivanov, 1931, pp. 79-80)
travers lequel passe tout ce qui est dit. Seules restent dans le crible les marques
phoniques pertinentes pour individualiser les phonèmes.

Tout le reste tombe dans un autre crible où restent les marques phoniques ayant une
valeur d’appel; plus bas se trouve encore un crible où sont triés les traits phoniques
caractérisant l'expression du sujet parlant…Mais s’il entend parler une autre langue, il
emploie involontairement pour l’analyse de ce qu'il entend le "crible phonologique"
de sa langue maternelle qui lui est familier. Et comme ce crible ne convient pas pour la
langue étrangère entendue, il se produit de nombreuses erreurs et incompréhensions.
Les sons de la langue étrangère reçoivent une interprétation phonologiquement
inexacte, puisqu'on les fait passer par le "crible phonologique" de sa propre langue.»2

3.3. Mécanismes de production /réception

En langue étrangère, quatre configurations au moins sont susceptibles de se produire

1. mauvaise perception et mauvaise production : C'est le cas le plus fréquent avec


les (faux) débutants ou même des gens possédant bien la L2 mais dont la surdité
phonologique est intacte;

2. bonne perception et bonne production : Elle se produit quand l'apprenant a


intégré toutes les unités de la L2 dans son crible phonologique et est capable de les
restituer convenablement. De façon générale, beaucoup d’élèves réalisent des progrès
plus ou moins sensibles mais atteindre une prononciation dénuée de toute trace
d’accent étranger s’avère être très difficile sinon carrément utopique pour certains
auteurs;

3. bonne production et mauvaise perception : Ce cas peut se produire quand le sujet


produit un son dans son discours sans en avoir conscience. Il réalise une unité
segmentale qui n'a pas statut de phonème dans sa langue. C'est le cas de
l'hispanophone qui produit [z] devant une sonore -mismo, desde- mais qui en français
affirme que sa femme est un "poisson" alors qu'il la voit effectivement comme un

2
Troubetzkoy, 1939, p.54.
"poison". Le problème soulevé ici est celui de la distribution des unités, c’est-à-dire de
l'ensemble des contextes et des positions où elle est susceptible d'apparaître.

Les problèmes de distribution expliquent certaines erreurs : le Russe prononçant [Rɔp]


pour robe puisque la sonore s'assourdit en finale absolue; l'Espagnol voulant un [ɛstilo]
pour stylo car /s/ est toujours produit [ɛs] à l'initiale absolue devant la consonne dans
sa langue, etc.

4. Bonne perception et mauvaise production

C’est ce qui se produit quand un étranger a conscience de la singularité du /R/ français


qu’il ne parvient pas à réaliser et s’obstine à prononcer un « [r] « roulé ». Ou du
Français qui entend bien les particularités correspondant à la prononciation du [ɵ]
anglais qu’il réalise [z] faute de mieux…

De même, selon Billières, il est réducteur de considérer l'erreur commise par un


apprenant en renvoyant au seul crible phonologique. L'état de son système d'écoute,
son niveau d'expertise dans la L2, son degré de stress et la situation de communication
sont également des paramètres à considérer, qui interviennent dans ce que nous avons
appelé le crible psychologique de l'élève. On pourrait également dire que la culture
détermine la façon d’écouter d’une personne.

La perception catégorielle

La psycholinguistique et la psychologie cognitive utilisent des protocoles


expérimentaux rigoureusement contrôlés destinés à mettre à jour et décrire les
mécanismes et les multiples processus se produisant lors du traitement des sonorités
langagières.

La perception catégorielle permet en quelque sorte de ranger les événements en


provenance de l’environnement dans des tiroirs mentaux à disposition de l’individu.

Le processus de perception catégorielle débute très tôt chez le bébé. Chaque enfant
catégorise ainsi progressivement des unités sonores produites par son entourage et
qu’il entend fréquemment ; il délimite graduellement des frontières entre elles ce qui
assure leur discrimination. Ces différentes unités sonores familières contribuent au
processus de communication et sont donc fonctionnellement pertinentes.

C’est ainsi qu’en français, les formes sonores suivantes prononcées isolément n’ont
aucune signification propre : /l/, /s/, /b/, /m/, /v/, /f/, etc. Mais, apparaissant dans un
même contexte linguistique (environnement identique des unités considérées) et
associées avec des unités linguistiques de rang supérieur communément appelés mots,
l’emploi de telle ou telle forme sonore permet de distinguer relu, reçu, rebut, remue,
revue, refus, etc.

Ces unités sonores pertinentes font partie du système de la langue. Ce sont des
phonèmes. Ils forment une catégorie fermée, c’est-à dire en nombre fini et limité dans
chaque langue (en moyenne autour de 30 phonèmes pour la plupart des langues). Ceci
s’explique par des questions d’économie, d’efficience et aussi en raison des contraintes
de notre appareil perceptif et articulatoire.

De façon générale, il est admis que tout individu acquiert la maîtrise du système
sonore de sa langue maternelle vers l’âge de 5 ans. Le « crible phonologique » est
installé mais il est relativement poreux pendant quelques années, jusqu’à la puberté.
Par contre, à partir de ce moment, le crible devient imperméable et l’adolescent
devient phonologiquement sourd aux sonorités d’une autre langue.

L’enfant est un remarquable imitateur prosodique, capable de très bien restituer les
rythmes et intonations d’une L2 entre 4 et 8 ans. Par contre, certains auteurs évoquent
un « âge critique » pendant lequel l’apprentissage d’une L2 est rendu très difficile. Les
chercheurs ne s’accordent pas sur cet âge critique, il n’est pas rare de trouver dans la
littérature que la période charnière se situe aux alentours de 7-8 ans et que dans tous
les cas les performances commencent à diminuer à partir de la 9ème année. Les raisons
avancées sont variées : perte d’une certaine plasticité cérébrale naturelle à l’approche
de la puberté, modification de certaines capacités d’apprentissage, apparition de
nouvelles stratégies d’apprentissage…

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