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Chantale STE-MARIE,
Conseillère, Samson Bélair Deloitte & Touche, Montréal (Canada).
Martin BEAULIEU,
Professionnel de recherche au Groupe de recherche CHAÎNE à HEC Montréal.
rain, il nous semblait nécessaire de réaliser al., 2001). Dans ce contexte, différentes prati-
une revue de la littérature qui nous permettrait ques de réapprovisionnement continu, soit un
de circonscrire et de définir les conditions de processus de réapprovisionnement des points
succès énumérées dans des études sur le de vente avec le bon produit et ce, avec le
cross-docking ou plus globalement sur toute minimum d’effort (Jobin et al., 1997), ont été
pratique d’intégration de la chaîne. Cet article mises de l’avant. Le cross-docking (ou trans-
synthétise nos recherches dans ce domaine. Il bordement) constitue ainsi l’une de ces prati-
se composera de quatre parties. La première ques.
offre une définition du cross-docking pour
bien saisir les implications de cette approche. Pimor (2001) précise que cette pratique
La seconde identifie les conditions de réussite consiste à faire effectuer par le fournisseur, la
recensées dans la littérature. La troisième pro- préparation des commandes pour chaque sur-
cède à des regroupements de conditions afin face commerciale de telle sorte que le distri-
de faciliter la présentation de leur définition. buteur n’a plus qu’à rassembler les
Finalement, la dernière section discute des différentes palettes […] pour effectuer le
implications de ces conditions. chargement de ses camions (p. 331). En fait, il
existe une variété de définitions pour décrire
Nous sommes d’avis que cet article présente la pratique du cross-docking1. Nous retien-
des bénéfices tant pour les gestionnaires que drons la définition relativement générique du
les chercheurs. Pour les praticiens, la présen- CCDE (1995) qui traduit le cross-docking
tation de ces conditions de réussite leur rap- comme étant le mouvement des produits à
pelle que la mise en œuvre de pratiques l’intérieur d’une installation de distribution
d’intégration de la chaîne doit s’insérer dans sans qu’il y ait entreposage du produit
une logique de gestion du changement. Pour (p.104). Ainsi, lors de leur arrivée au centre de
les chercheurs, l’identification de ces prati- distribution, les palettes uniques, multiples ou
ques circonscrit un domaine qui permettra de promotionnelles sont déchargées et immédia-
réaliser des recherches ultérieures dans le tement transférées au quai d’expédition pour
domaine du cross-docking ou plus générale- être acheminées dans les points de vente
1 - Précisons que cette pratique
logistique peut emprunter d’autres ment dans celui du réapprovisionnement (Figure 1 - démarche A). Cette définition cor-
expressions, comme par exemple le continu. respond en fait à la description offerte par
terme transbordement. Celle-ci n’est
pas retenue dans le texte car selon les Pimor (2001). Parfois, les palettes uniques
régions du globe le terme n’aura pas sont brisées afin de procéder au montage
la même signification ce qui pourrait Définir le cross-docking d’une palette de produits multiples, dans une
entraîner de la confusion. D’autres
expressions sont porfois utilisées Pouvant difficilement accroître le prix des zone d’assemblage prévue à cet effet, pour
comme celles d’opération physique
d’éclatement à quai (Thiel, 1997), de produits, les distributeurs alimentaires ont ensuite être expédiée chez le détaillant
plates-formes d’éclatement (Lalonde réalisé que la maximisation de leur marge (Figure 1 - démarche B). L’aspect innovateur
et Masters, 1995) ou de distribution
en flux tendus (flowthrough) (Wagar, bénéficiaire proviendrait d’un meilleur con- du cross-docking est d’abord et avant tout
1995; PCIECR, 1996). trôle de leurs coûts logistiques (Ste-Marie et relié au fait que la marchandise ne demeure
pas longtemps au centre de distribution.
Généralement, le délai alloué pour accuser la
Figure 1 - Schématisation du cross-docking réception de la marchandise et l’expédier dans
les magasins peut varier de 3 heures à 48 heu-
res, mais dans la plupart des cas, le cross-doc-
king s’effectue dans un délai de 24 heures
(Andel, 1994 ; Tixier et al., 1998 ; Anonyme,
1998b). Certaines formes de cross-docking,
notamment celles qui exigent le tri et le réas-
semblage de produits, requièrent plus d’une
journée (Anonyme, 1998b).
Précisons que cette pratique logistique s’arti-
cule autour de la manipulation de trois types
de palettes. Premièrement, la palette de pro-
duit unique est une palette qui est composée
d’un seul produit d’un même fournisseur.
Deuxièmement, la palette de produits multi-
ples est une palette qui est composée de plu-
sieurs produits différents provenant d’un ou
de plusieurs fournisseurs. Finalement, la
Adapté de Tompkins associates, 1998 palette promotionnelle contient plusieurs uni-
l’implantation. L’organisation a donc une cul- nement de la marchandise se fait sans filet de
ture et celle-ci est un levier sur lequel l’organi- sécurité; sans stock au centre de distribution.
sation peut agir pour changer l’organisation.
En contrepartie, la culture d’une entreprise À cet effet, la mise en œuvre du changement
peut créer une barrière au changement (Baba doit s’incarner dans une vision articulée. Les
et Falkenburg, 1996). observations de Kotter (1995) l’ont mené à
affirmer que plusieurs projets d’entreprises
échouaient en raison de l’absence de vision.
Le CCDE (1995) considère d’ailleurs que le Sans vision adéquate ou devant l’absence
changement de culture au sein des organismes d’un mandat clair de la haute direction, un
concernés est le plus grand défi de l’ECR et du projet d’intégration de la chaîne peut facile-
réapprovisionnement continu; l’ECR étant ment se dissoudre en une liste confuse et
composée à 20 % de technologies et à 80 % de incompatible de projets qui mènent l’organi-
personnes (Bryan, 1994). La proportion de sation dans la mauvaise direction (Poirier et
80 % est d’autant plus significative que les Reiter, 1996). C’est pourquoi Kotter (1995)
employés perçoivent souvent le changement affirme que cette condition de réussite est
comme une menace; ils sont alors plus enclins nécessaire pour guider tout type de change-
à lui résister. Hunsucker et Loos (1989) identi- ment. Il maintient que la vision doit clarifier la
fient la participation des employés et la com- stratégie d’entreprise; elle est un portrait de la
munication comme moyens d’y remédier. direction vers laquelle une organisation se
Reda (1998) souligne que le cross-docking dirige pour les années à venir.
exigera la transition d’une mentalité où les
adjoints de catégorie géraient des stocks et où Cette vision n’est qu’une des manifestations
les magasins commandaient de l’entrepôt, à de l’engagement de la haute direction dans
une autre mentalité qu’il ne spécifie pas mais la création d’un climat propice à un projet de
qui nous semble évidente, celle où l’achemi- cross-docking. Cette condition est fréquem-
ment citée dans les écrits portant sur l’intégra- comme étant une condition de réussite alors
tion de la chaîne d’approvisionnement (Kurt que Stern et al. (1996) voient l’incompatibi-
Salmon Associates, 1993 ; Bryan, 1994 ; lité des buts et des objectifs entre les partenai-
Allen, 1995 ; Buzell et Ortmeyer, 1995 ; res de la chaîne d’approvisionnement comme
CCDE, 1995 ; Fiorito et al., 1995 ; Melnyk et étant une source de conflit majeure.
Wassweiler, 1998). Selon Hunsucker et Loos
Enfin, la vision doit être élaborée mais elle
(1989), cet engagement doit être tangible et
doit également être communiquée (Kotter,
concret et peut s’exprimer par la création
1995; PCIECR, 1995), commune et partagée
d’une équipe de projet disposant de suffisam-
au sein même de l’organisation qui entame le
ment de pouvoir pour diriger le changement,
projet (Kotter, 1995, PCIECR, 1995; Garry,
l’investissement des ressources financières et
1996). Bryan (1994) ainsi que Fawcett et Clin-
technologiques suffisantes et l’engagement
ton (1996) indiquent que l’entreprise initia-
personnel du dirigeant pour communiquer la
trice d’un projet d’intégration de la chaîne doit
vision (Bryan, 1994). Selon les propos tenus
s’assurer que la vision qu’il a du projet qu’il
par Hunsucker et Loos (1989), les employés
entame doit aussi être comprise et partagée
basent leur niveau d’engagement à un projet
par ses partenaires externes. Ainsi, le change-
d’après leur perception qu’ils ont de l’engage-
ment de culture évoqué en premier lieu ne se
ment de la haute direction, ce qui les pousse à
manifestera pas sans un effort de communi-
affirmer qu’un engagement personnel de la
direction est le type d’appui qui inciterait une cation. Elle est un moyen par lequel les diri-
masse critique d’individus à incarner dans geants d’entreprises arrivent à créer une
l’action les buts et les objectifs poursuivis par volonté de changement au sein de leur organi-
un projet. Par exemple, les dirigeants peuvent sation (PCIECR, 1995). Ce mécanisme per-
suivre les programmes de formation ciblés met de rappeler la vision et de clarifier les buts
pour réaliser le changement avant que les et les objectifs du projet. Elle ne doit pas relé-
employés y assistent (Hunsucker et Loos, guer les employés à un rôle passif où on ne fait
1989). que gérer leurs attentes. Au contraire, la com-
munication devrait être une invitation à la par-
À propos de l’engagement personnel, il peut ticipation et à la rétroaction. Ainsi, si les
arriver que le dirigeant s’implique beaucoup dirigeants instaurent une communication adé-
au départ mais que cette implication diminue quate et directe avec leurs employés, leur
au fur et à mesure que le projet progresse ce adhésion au projet aura non seulement ten-
qui pourrait mener à l’échec de la transforma- dance à augmenter, mais elle permettra de
tion. À cet effet, Hall et al. (1993) répartissent plus l’émergence de champions à tous les
le temps que les dirigeants doivent consacrer à niveaux qui s’efforceront à leur tour de favori-
la mise en œuvre d’un projet à 20 % au ser l’implantation du changement. Divers
moment de l’initiation jusqu’à 50 % pendant modes de communication sont possibles : le
l’implantation. face-à-face, l’envoi de mémos, le téléphone,
le courrier électronique, les réunions et les
L’étude du PCIECR (1995) spécifie qu’une
vidéos corporatifs.
organisation qui entame un projet d’intégra-
tion de la chaîne doit choisir un point de départ La mise en œuvre du projet
et une destination finale en prenant soin de tra-
Les conditions précédentes ne visaient qu’à
duire ce que la compagnie veut être et la façon
offrir un climat propice au déploiement d’une
dont elle veut opérer dans les années futures.
nouvelle pratique. Il faut donc mettre en place
Ainsi, la vision demeure une intention géné-
les conditions qui vont assurer la mise en
rale; elle doit être articulée par des buts et des
œuvre du cross-docking. Compte tenu de
objectifs tangibles. Un projet de cross-doc-
l’ampleur des changements, cette pratique ne
king doit avoir ces deux éléments afin de gui-
peut être implantée du jour au lendemain. Sa
der les efforts de l’entreprise et de ses
mise en œuvre doit être méthodique et ainsi
partenaires vers un point commun, pour invi-
s’inscrire à l’intérieur d’un projet. À cet effet,
ter les employés à participer activement à la
nous identifions dans ce second regroupement
transformation et finalement pour faciliter
les conditions suivantes : la planification du
l’évaluation de la performance (Hunsucker et
projet, les équipes de projet, la formation, les
Loos, 1989). Lorsque les buts et les objectifs
mesures de performance et la collaboration.
d’un projet sont déterminés, ils doivent être
communiqués, puis partagés au sein même de La planification d’un projet de cross-doc-
l’organisation qui initie le projet mais aussi king doit partir des buts et des objectifs visés
avec ses partenaires. L’harmonisation des buts pour ensuite élaborer les étapes qui permet-
est en fait citée par Moncza et Morgan (1996) tront de les atteindre (PCIECR, 1995). Le
PCIECR (1995) affirme que le besoin de pla- à l’ECR sont entamés et ceci, autant à
nifier un projet est évident mais il précise que l’interne qu’auprès des partenaires externes.
la plupart des organisations échouent dans Ce type de structure permet de regrouper
l’accomplissement de cette tâche. À cet égard, l’expertise de chacune des fonctions de
le PCIECR (1995) identifie une série d’élé- l’entreprise et d’assurer que chacune d’elle a
ments à considérer lors de la planification son mot à dire dans la façon dont un change-
d’un projet : les personnes qui seront en ment est amené. C’est aussi à travers l’équipe
charge de le planifier, les personnes qui seront multifonctionnelle que les liens avec les par-
affectées par le projet et leurs besoins, les obs- tenaires externes du projet sont créés. Le suc-
tacles qui seront rencontrés et la façon de les cès de Wal-Mart est entre autres attribuable à
surmonter, la définition claire et précise de cette approche multifonctionnelle, à travers
l’état désiré à des moments précis de l’implan- laquelle une compagnie arrive à créer des rela-
tation. Ainsi, la planification du projet doit tions d’affaires étroites avec ses partenaires.
être détaillée et minutieuse ce qui va permettre
de coordonner les efforts de tous et chacun Nous l’évoquons fréquemment, le cross-doc-
autant à l’interne qu’avec les partenaires com- king altère les rôles traditionnels des acteurs
merciaux. de la chaîne. Il est ainsi nécessaire d’offrir de
la formation aux individus pour qu’ils soient
La planification du projet prendra forme dans aptes à réaliser leurs nouvelles tâches. Selon
une équipe de projet, mais soulignons qu’un le CCDE (1995), le manque de formation
projet de cette ampleur nécessite différentes interne serait la deuxième raison citée pour
équipes. En effet, les écrits nous ont permis expliquer l’échec de la stratégie de l’ECR.
d’identifier trois types d’équipes pour mener Dans le même ordre d’idées, Melnyk et Wass-
un projet à terme : d’abord, l’équipe de transi- weiler (1998) notent que l’absence des habile-
tion, ensuite, celles qu’elle chapeaute et enfin, tés appropriées et le manque de gens
l’équipe multifonctionnelle. Dans les grandes correctement formés sont des obstacles à une
organisations qui entament des projets transformation réussie. Il appert que des
d’envergure, une équipe de transition est employés ayant reçu une formation adéquate
créée (Martin, 1994; Hunsucker et Loos, amènent les changements culturels qui font
1989). Elle est composée de hauts dirigeants, évoluer le projet du stade d’implantation à son
de consultants et d’employés possédant une institutionnalisation plus rapidement qu’une
expertise spécifique. L’équipe de transition organisation où la formation est moins
est en charge de concevoir les changements, poussée. Ces considérations nous permettent
de planifier les échéanciers en termes d’activi- de dire que sans la formation adéquate le
tés à réaliser ainsi que de dates à respecter et cross-docking peut être mal compris et l’ini-
elle doit suivre le déroulement de l’implanta- tiative ne pourrait qu’obtenir un appui mitigé
tion du changement. Cette équipe est aussi de la part des employés.
celle qui chapeaute les autres équipes de pro-
jets qui exécutent les activités identifiées par Il faut envisager dès le début l’évaluation du
l’équipe de transition. De façon générale, les projet pour en apprécier objectivement sa
personnes les plus performantes sont assi- réussite. Plusieurs auteurs considèrent la
gnées à ces autres équipes qui doivent possé- mesure de la performance comme une
der tous les outils nécessaires pour mener le condition de réussite de l’intégration de la
projet à terme. chaîne d’approvisionnement (Lee et Billing-
ton, 1992; Buzell et Ortmeyer, 1995; Fawcett
Martin (1994) et Bryan (1994) identifient un et Clinton, 1996) et du cross-docking (Witt,
autre type d’équipe, l’équipe multifonction- 1998). La mesure de performance agit à titre
nelle, que les firmes qui s’engagent dans de mécanisme de rétroaction et de feed-back.
l’ECR doivent former. Ce genre d’équipe vise Rondeau (1999) affirme que les organisations
une certaine réorganisation de la structure qui réussissent les changements sont celles
d’entreprise qui favoriserait une approche qui savent mettre en place un tel mécanisme.
multifonctionnelle, horizontale, qui dépasse La mesure de performance permet donc à une
les frontières départementales et organisa- organisation d’apprendre du changement et
tionnelles pour se rendre chez les partenaires de s’en servir comme mécanisme d’améliora-
externes, plutôt qu’une approche par silos, tion continue pour ainsi corriger les erreurs à
verticale. L’équipe multifonctionnelle est une mesure qu’elles progressent à l’intérieur du
équipe d’entreprise généralement formée projet.
d’employés de chacune des diverses fonctions
de l’entreprise qui sont mandatés à représen- Pour mesurer la performance, les gestionnai-
ter leur département lorsque des projets reliés res peuvent utiliser des mesures financières et
non-financières (Buzell et Ortmeyer, 1995) Les produits transbordés dans les supermar-
qui doivent être liées aux buts et aux objectifs chés possèdent souvent des caractéristiques
à atteindre (PCIECR, 1995). À cet égard, spécifiques et appartiennent à des catégories
Bryan (1994) identifie quelques mesures qui peuvent faciliter ou complexifier leur
quantifiables pertinentes : l’analyse de profi- cross-docking. Selon Wagar (1995), les pro-
tabilité, l’analyse de coût, le volume de ventes duits qui génèrent un volume de ventes élevé
exprimé en dollars, l’intégrité des données, justifient plus aisément le coût de les transbor-
les délais de livraison, le taux de commande, der tout en étant un appât pour les fournis-
la fiabilité des fournisseurs et l’historique du seurs. D’une part, le volume de ventes élevé
service après-vente. Finalement, cet auteur permet aux acheteurs de s’approvisionner
mentionne que les mesures de performance d’une quantité de produits appréciable qui
doivent être établies communément entre les maximise l’espace cubique des camions des
partenaires de la chaîne d’approvisionne- fournisseurs. Ce dernier point est non négli-
ment. Cette dernière caractéristique est geable car les fournisseurs sont réticents à être
d’autant plus importante que les partenaires partenaires dans cette stratégie en raison des
commerciaux doivent comprendre les élé- livraisons fréquentes exigées qui ne permet-
ments de coûts de chacun pour se concentrer tent pas toujours d’optimiser l’espace cubique
sur des objectifs avantageux pour tous de leurs remorques (Pimor, 2001). Selon
(CCDE, 1995). Wagar (1995), les produits dont le volume de
ventes est moins élevé peuvent être transbor-
Enfin, le projet ne doit pas être réfléchi en vase
dés; c’est alors que la distribution en flux ten-
clos. Il est impératif d’adopter une attitude de
dus ou le bris des palettes entre en jeu.
collaboration. En effet, Witt (1992), Bryan
(1994), Allen (1995) ainsi que Buzell et Le taux de roulement ou la vélocité des pro-
Ortmeyer (1995) mettent l’accent sur la duits est le rythme auquel un produit s’écoule
nécessité de la collaboration inter-organisa- en magasin. Dans le cadre du cross-docking,
tionnelle pour réaliser un projet relié à l’ECR les produits dont le taux de roulement est
ce qui est encore plus vrai dans le cas du élevé sont indiqués car ils permettent de gar-
cross-docking qui implique un transfert de der plus facilement les produits en mouve-
responsabilités entre les partenaires. La colla- ment. Ceci n’exclut pas la possibilité de
boration inter-organisationnelle démontre, transborder des produits dont le taux de roule-
par le biais du partage des ressources et de ment est peu élevé. Par exemple, Supervalu,
l’expertise, la volonté des partenaires de réus- en Alabama, a ouvert en 1996 un centre de dis-
sir un tel projet. Elle serait entre autres néces- tribution pour transborder des produits à
saire pour éviter une focalisation purement faible vélocité (Reda, 1998). Mais dans cer-
interne qui ne prend pas en considération les tains cas, les produits dont le taux de roule-
besoins des partenaires internes et externes ment est peu élevé sont souvent jumelés aux
(PCIECR, 1995) et identifier les moyens de produits dont le taux de roulement est élevé.
minimiser les coûts qui sont encourus par le Par exemple, ICA combine des items à haute
fournisseur dans un projet de cross-docking vélocité qui sont transbordés avec des items à
(Garry, 1993; Schaffer, 1998). faible vélocité qui sont entreposés au centre de
Le flux physique distribution (Reda, 1998).
Une fois le projet mis sur les rails, il faut L’espace cubique des produits est une caracté-
rendre opérationnelle la pratique du ristique qui a sensiblement le même impact
cross-docking, soit assurer la cohésion du flux que le volume de ventes en magasin. En effet,
physique. Ainsi, les conditions de succès les produits à haut espace cubique, comme le
identifiées sont : la sélection des produits, la papier hygiénique, permettent de placer des
fiabilité du fournisseur, la proximité et commandes qui maximisent l’espace des
l’espace. camions. De plus, ces produits permettent de
libérer de l’espace nécessaire au centre de dis-
La sélection des produits fait l’objet de nom- tribution lorsqu’ils sont gérés selon une
breux débats dans les écrits car tous les pro- logique de cross-docking (Reda, 1998).
duits ne se prêtent pas à cette pratique. Garry
(1994) attire l’attention sur les divergences Soulignons que les produits transbordés pos-
d’opinions qui existent quant aux produits qui sèdent rarement une seule de ces caractéristi-
se prêtent au cross-docking. D’après Harring- ques. De plus, dans certains cas, les produits
ton (1993), les gestionnaires assument à tort ne possèdent aucune des caractéristiques et ils
que le cross-docking fonctionne avec tous les font pourtant l’objet de cross-docking, comme
produits. les mélanges à sauce et les épices qui sont des
Pour ce qui est des magasins, il appert que cer- Ce ne sont pas toutes les organisations qui
tains magasins ne soient pas en mesure entament des programmes de réapprovision-
d’avoir suffisamment de place pour garder les nement continu qui partagent de l’informa-
produits transbordés. À cet effet, la taille des tion. Deux raisons peuvent expliquer cette
magasins est une entrave au cross-docking. situation : les longues relations d’adversités
Leur surface de vente trop petite les empêche qui caractérisent les échanges entre fournis-
d’accueillir des commandes dont les quantités seurs et distributeurs de même que la nature
de produits livrés excèdent leur capacité parfois stratégique de l’information à partager
d’absorption, ce qui oblige les centres de dis- comme les données aux points de vente. Ce
tribution à conserver des stocks (Garry, 1993). dernier point nous amène à parler de l’identi-
Quant aux fournisseurs, Witt (1992) dit que le fication du type d’information à partager. Le
cross-docking réduit leurs besoins en espace. CCDE (1995) a déjà fait un bout de chemin en
Il appert qu’au fur et à mesure que le volume ce sens en ciblant les données à partager : les
de marchandise transbordée augmente, plans de réapprovisionnement des comman-
l’espace où ils entreposent leurs biens des du point de réapprovisionnement jusqu’au
s’amoindrit. point de consommation, les données du point
de vente, les niveaux de stocks et/ou les res. Le premier concerne le terme même de
besoins de commandes planifiées. Devant la condition de réussite. Les différents docu-
variété des données qu’il est possible de parta- ments étudiés ne retiennent pas tous cette
ger, les partenaires doivent faire preuve de dis- expression. En effet, certains analystes adop-
cernement en identifiant l’information qui tent les termes obstacle ou barrière au chan-
leur sera le plus utile pour gérer avec efficacité gement. Comme nous le mentionnions
les opérations quotidiennes. précédemment, nous avons adopté le terme
condition de réussite pour son caractère plus
Par ailleurs, il est nécessaire de s’assurer de la positif. De plus, l’expression tend à souligner
fiabilité des informations échangées; le que le succès d’un projet demeure possible
CCDE (1995) ayant fixé à 99 % le niveau devant l’absence d’une condition spécifique
d’intégrité des données permettant d’assurer mais le risque d’échec du projet est alors plus
l’efficacité des divers systèmes informatiques élevé. La condition de succès peut ainsi être
requis au réapprovisionnement continu. vue comme une barrière au changement.
L’intégrité des données est une condition de
réussite qui concerne autant les données à la Le second point est relié au nombre de condi-
source que les données contenues dans les tions identifiées. Nous avons tenu à adopter
systèmes d’information. D’après Tompkins une démarche plus exhaustive dans l’identifi-
Associates (1998), il appert que la réception cation de ces conditions de réussite. Au-delà
de la marchandise au centre de distribution est des quatre regroupements proposés, il serait
l’opération qui requiert le plus haut niveau très facile de fusionner certaines conditions
d’intégrité des données car lorsqu’une erreur autour d’un terme plus générique. Par
est commise à ce niveau, elle se répercute exemple, les conditions suivantes : technolo-
rapidement sur le processus de réapprovision- gies et systèmes d’informations, intégrité des
nement en entier. Nous affirmons que la données et échange d’information pourraient
réception parfaite de la marchandise au centre être amalgamées sous une seule rubrique
de distribution joue donc un rôle important s’intitulant, par exemple, le canal de commu-
vers l’obtention de données intègres. Au nication. Cependant, à ce stade-ci de nos tra-
niveau des magasins, l’exactitude des don- vaux, nous préférons conserver une liste plus
nées peut être obtenue à l’aide de la lecture exhaustive qui laisserait plus de latitude lors
optique des produits qui permet de maintenir de l’analyse de données provenant du terrain.
un inventaire permanent exact si les codes à
barres des produits reflètent la bonne informa- Dans le même ordre d’idées et comme le fait
tion (CCDE, 1995). remarquer Lalumière (1997), plusieurs condi-
tions de réussite sont interdépendantes,
Enfin, ce partage d’informations sera sup- c’est-à-dire que l’absence d’une condition
porté par un ensemble de technologies et de donnée peut réduire l’efficacité d’une autre.
systèmes d’information qui sont à la base du Justement, nos regroupements permettaient
réapprovisionnement continu et du cross-doc- de voir rapidement des liens naturels entre les
king. Leur présence ainsi que les fonctionnali- conditions de succès. Par exemple, la commu-
tés appropriées (Lee et Billington, 1992; nication doit permettre de diffuser la vision
Allen, 1995; Reda, 1998) combinées à du per- ainsi que les buts et objectifs, un exercice qui
sonnel ayant développé une expertise techno- amorcerait le processus de changement. Par
logique (Kurt Salmon Associates, 1993; ailleurs, les liens ne se situent pas uniquement
Buzell et Ortmeyer, 1995) est primordiale entre les conditions d’un même regroupement
puisque l’information au sein des installations mais aussi entre les regroupements. Par
de cross-docking ainsi que celle entre les par- exemple, une formation inadéquate n’amè-
tenaires doit circuler rapidement et sans nera pas les changements culturels nécessai-
erreurs. res à une implantation réussie. La gestion du
flux des matières ne peut être découplée de la
gestion du flux d’information accentuant ainsi
Discussion les relations entre ces deux regroupements.
ments et des relations qui peuvent exister paramètres à intégrer lors d’un projet de
entre les différentes conditions. réapprovisionnement. Ainsi, notre liste de
conditions de succès peut les aider dans la pla-
Par ailleurs, la description des conditions de
nification de leur projet.
succès adoptait une vision linéaire, alors que
l’implantation d’une pratique de cross-doc- Par ailleurs, nous sommes conscients qu’il
king est davantage un processus itératif, où il y reste des études à produire pour arriver à une
a des essais et des réajustements en cours de typologie plus rigoureuse des conditions de
route même lorsque la pratique est largement résussite. Nous en mènerons une au niveau de
déployée. Ainsi, nous avons bien mentionné projets de cross-docking. Ceci n’empêche pas
que l’engagement de la haute direction ne doit d’autres chercheurs de démarrer leurs recher-
pas être ponctuel mais doit se manifester de ches sur un thème similaire en s’inpirant de
façon régulière selon les différentes étapes du notre liste de conditions pour évaluer leur pré-
projet. Au contraire, d’autres conditions sence dans d’autres projets d’intégration de la
auront un caractère ponctuel, comme la sélec- chaîne d’approvisionnement.
tion des produits. Les décideurs doivent faire
de bons choix à ce niveau et assumer les
conséquences de ceux-ci. Ici encore, une Références
étude terrain permettrait de clarifier l’effet du ANONYME. «Crossdocking : A Common
temps sur l’importance relative de certaines Practice Today, Sure to Grow Tomorrow»,
conditions. Modern Materials Handling, mi-mai 1998b,
Enfin, notre présentation adopte une attitude p. 19-21.
très consensuelle d’un projet de cross-doc-
ANONYME. «Flow-thru Warehousing :
king. Cependant, les relations traditionnelles
Large-Scale, Short Term Staging Inventory»,
de la chaîne d’approvisionnement se caracté-
Modern Materials Handling, vol. 53, no. 6,
risent par des jeux de pouvoir entre les acteurs.
1998, p. 22-24.
Comme l’ont démontré Landry et Trudel
(1993), même lorsqu’il y a la mise en œuvre ANONYME. «Crossdocking in Supply Chain
d’un projet commun, les risques d’abus d’une Flow», Material Handling Engineering, vol.
entreprise sur son partenaire peuvent toujours 53, no. 9, 1999, p. A12-A13.
être présents. Dans la mesure où le cross-doc-
king peut entraîner un déplacement de coûts ALLEN, R. M. «Quick Response : The Con-
du centre de distribution aux fournisseurs, le sumer’s Handshake with Manufacturing at
risque d’abus est présent si des mécanismes de Union Tools», National Productivity Review,
répartition des bénéfices n’ont pas été mis en été 1995, p. 27-38.
place (Pimor, 2001). Ainsi, le succès d’un pro- ANDEL, T. «Define Cross-docking Before
jet d’intégration de la chaîne ne peut se mesu- You Do It», Transportation & Distribution,
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