La gestion des achats en

JAT/Flux tendus:
approche typologique
d’un changement
interorganisationnel

Richard Calvi

Gestion 2000
Recherches et Publications en
Management A.B.S.L.
 Richard Calvi,
ESA-ENSGI, Grenoble, France.

La gestion des achats en

JAT/Flux tendus: approche
typologique d’un changement
interorganisationnel
D epuis une dizaine d’années, le “juste à temps” (JAT) fait florès tant dans la littéra-
ture de gestion que dans les pratiques affichées par de nombreuses entreprises
industrielles occidentales. En production, le terme de JAT est souvent défini comme une
“philosophie” universellement applicable (R.Schonberger, 1982) mais surtout comme
un ensemble de techniques ad hoc1. Lorsque ce terme est appliqué à une politique
d’achat, les situations de gestion qu’il recouvre s’avèrent fort variables car le JAT ne
bénéficie pas alors d’une “boîte à outils” spécifique similaire à celle utilisées pour son
application en production2. Pourtant, face à ce vide méthodologique les praticiens
agissent et ceci souvent dans un tissu industriel fort différent de celui du Japon où est
née cette démarche.
Le principal objectif de cette recherche est donc d’ordonner cette réalité observée dans
les entreprises industrielles françaises pour enrichir notre connaissance des pratiques
se cachant derrière les termes génériques de “JAT d’approvisionnement” et de “mise
en flux tendus des fournisseurs”.

Pour cela, nous nous sommes attachés
à définir le JAT, non pas de façon sta-
tique comme la réalisation d’un résul-
tat particulier, mais de façon dyna-
mique comme un projet d’entreprise,
1 Voir par exemple S.Shingo (1983, 1987).
2
R.Hall (1989, p 272-273) présente l’appro-
che JAT comme une généralisation de la notion
de “client/fournisseur” à l’ensemble des opéra-
tions qui permettent l’élaboration d’un produit,
qu’elles soient internes ou externes. Il évacue
ainsi l’existence d’une approche spécifiquement
“achat”.
la diffusion d’un changement visant à
la rationalisation des flux dans et hors
de l’entreprise. Cette définition, volon-
tairement large, précise notre angle
d’approche: le changement et le pro-
cessus qui le sous-tend.
Cette approche s’est concrétisée par
une étude empirique portant sur un
échantillon de 550 établissements pro-
ductifs de plus de 200 salariés sus-
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Gestion 2000 4 juillet - août 1998
ceptibles d’avoir initialisé une dé-
marche de tension avec leurs fournis-
seurs et ce dans des secteurs d’activité
variés3.
La gestion des achats
en JAT/Flux tendus:
les fondements de
la recherche
Le JAT dans les approvision-
nements: une réalité…
Comme le note I.Ansoff et E.Mc
Donnell (1990) depuis la fin des
années 1970, de nombreuses entre-
prises se heurtent à des environne-
ments où l’incertitude sur les états
futurs est telle que la seule gestion par
anticipation (management by anticipa-
tion of change) devient insuffisante.
Précédées dans cette voie par les
entreprises japonaises, de nombreuses
firmes occidentales privilégient à l’heu-
re actuelle la flexibilité (management
by flexible/rapid response) dans la
conduite de leur stratégie. Cela se tra-
duit, pour les entreprises les plus expo-
sées aux turbulences de l’environne-
ment, par le développement de ce que
J.C.Tarondeau (1993) appelle “la ges-
tion stratégique du temps”. Au niveau
logistique, cette évolution se concrétise
par la diffusion au sein du tissu indus-
triel français des pratiques de “juste à
temps” (JAT). Mais, si la diffusion du
JAT dans la filière automobile est un
84
domaine d’étude médiatisé4, la diffu-
sion de ses principes fondamentaux
dans les autres secteurs d’activité nous
apparaît comme un champ d’étude
toujours en expansion et moins usité.
Pour C.O’Neal et K.Bertrand (1991),
la demande du client industriel dési-
reux de tendre ses flux d’approvision-
nement doit évoluer de la façon sui-
vante:
– des approvisionnements par lots de
petites tailles;
– avec de fortes exigences en termes
de qualité;
– faisant l’objet de livraisons fré-
quentes et ponctuelles;
– dans des quantités variables cor-
respondant aux besoins exacts du
client.
Ainsi, aux ordres fermes connus plu-
sieurs mois à l’avance et portant sur
des quantités importantes se substi-
tuent:
– un programme prévisionnel indica-
tif qui informe, mois après mois, des
quantités à livrer;
– des appels à court terme qui préci-
sent les livraisons à effectuer pour
chaque référence.
3 Hors constructeurs automobiles par souci
d’homogénéité de notre échantillon car ceux-ci
étaient, au moment de l’étude en 1994, trop
avancés dans la diffusion du changement.
4 Voir par exemple les analyses très détaillées
du Centre d’Etude de l’Emploi (A. Gorgeu et
R. Mathieu, 1991; B. Gomel, A. Gorgeu et
R. Mathieu, 1992).

approche typologique d’un changement interorganisationnel
…aux contours flous
Si les objectifs du JAT appliqués aux
approvisionnements sont clairs et uni-
voques, il n’en est pas de même de
leur transcription dans les relations
d’achat. On peut concevoir trois
grands “modèles” théoriques de JAT
d’approvisionnement qui jalonnent un
véritable continuum de situations.
Le JAT “de livraison”
Dans ce modèle, le client demande et
reçoit des livraisons en fonction de la
demande de ces chaînes de produc-
tion, mais le fournisseur continue lui à
produire sur la base de lots importants
en livrant son client sur stock. Le client
évite la rationalisation de son système
de commande et laisse à la charge du
fournisseur l’effort d’adaptation au
changement en jouant sur son pouvoir
de marché (S. Landry et Y. Trudel,
1993). Toutefois, comme l’indique
P. Zipkin (1991) “toutes les entreprises
ne sont pas forcément à même de
dominer leurs fournisseurs à la maniè-
re de Toyota. Si une entreprise veut des
livraisons just-in-time, elle doit s’at-
tendre à payer pour ce service”
(p 55). Si c’est le cas, les flux ont bien
l’apparence du JAT sans en avoir la
vertu majeure: celle d’une démarche
systématique de réduction des coûts.
On ne peut alors pas parler d’un chan-
gement interorganisationnel mais
d’une simple nouvelle demande com-
merciale.
5 Voir à ce sujet l’article de C.K.Hahn, P.A.Pinto
et D.J.Bragg (1983).
La gestion des achats en JAT/Flux tendus:
Le JAT “organisé”
Comme dans le modèle précédent, le
fournisseur peut continuer à produire
indépendamment des cadences de
livraison que lui impose son client,
mais cette fois le modèle se caractérise
par l’existence d’actions menées par le
client et visant à rendre économique-
ment acceptable la demande qu’il
adresse au fournisseur5. L’action sur
les coûts de commande passe par une
baisse des coûts de transport (ex:
organisation de collectages), de condi-
tionnement (ex: standardisation et
compatibilité avec les mises en
chaînes) ainsi que d’administration
des commandes (ex: simplification et
accélération de leur circuit de traite-
ment). Dans ce modèle, le client dimi-
nue la charge du changement à réali-
ser, mais continue à transférer cette
charge vers le fournisseur, sans l’aider
directement dans son effort d’adapta-
tion.
Le JAT “d’intégration”
Il s’agit de tirer pleinement parti de la
dynamique de progrès inhérente au
JAT, et ce sur la totalité du système
d’approvisionnement. L’objectif est
donc d’étendre au fournisseur la
démarche JAT et ainsi partager la
charge d’adaptation à la nouvelle
donne de l’échange. Cette évolution
constitue une application effective du
concept anglo-saxon de “Supply
85
Gestion 2000 4 juillet - août 1998
Chain Management”6 qui incite l’ac-
teur pivot d’une filière de production à
rechercher des gains de productivité
par des actions d’organisation en
amont et en aval de sa sphère produc-
tive7. Pour R.Lamming (1993), franchir
cette étape ne signifie pas seulement
accomplir des modifications dans la
gestion logistique de l’approvisionne-
ment, mais véritablement réaliser une
remise en cause profonde du modèle
relationnel existant avec les fournis-
seurs impliqués dans le JAT. L’auteur
emploie alors le terme de “partnership
model” pour marquer le nécessaire res-
sèrement des liens entre client et four-
nisseur qu’induit ce type de démarche.
Ce rapide état des lieux a précisé
notre intuition première quant à l’exis-
tence d’un véritable continuum de
situations se cachant derrière la réali-
sation effective d’une tension des flux
entre un fournisseur et un client indus-
triel. Dans la suite de cette recherche
nous utiliserons donc ce terme géné-
rique de “JAT/Flux tendus d’approvi-
sionnement” pour marquer cette idée
d’un continuum de solutions relation-
nelles attachées à un même objectif
logistique de tension des flux (Figure 1).
Les travaux existants
On trouve principalement deux orien-
tations dans la littérature ayant trait au
JAT d’approvisionnement. Il y a tout
d’abord les approches prescriptives du
sujet. Dans ces écrits8, les auteurs tirent
les leçons de l’expérience des entre-
86
prises japonaises. De cette démarche
inductive émerge une “one best way”
définissant les spécificités attendues
d’une tension des flux d’achat efficace.
La transférabilité du modèle normatif
sous-jacent au contexte des entreprises
occidentales soulève toutefois quel-
ques interrogations9. Parallèlement,
des approches descriptives se sont
développées visant à cerner l’évolution
des pratiques d’achat dans les entre-
prises déclarant pratiquer l’approvi-
sionnement en JAT10. Le plus souvent,
ces enquêtes comparent les évolutions
observées à celles prédites par le mo-
dèle normatif. Ce raisonnement circu-
laire impose une approche univoque et
statique d’un phénomène que nous
pressentons polymorphe et dynami-
que. Le constat des carences de ces
deux approches nous amène à propo-
ser une démarche alternative pour
notre enquête.
6 On retrouve par exemple ce concept au coeur
de l’expérience de l’entreprise Hewlett Packard
(Davis, 1993), et notamment, depuis 1996, au
travers de son programme SMI (Supplier
Managed Inventory).
7 Il s’agit ici, pour le client, d’adopter ce que
R.M.Emerson (1962) appelle un “giving status”,
c’est-à-dire de ne pas abuser de sa situation de
dominance. L’auteur met en fait l’accent sur un
des paradoxes du pouvoir : l’utilisation dans ses
actes de son pouvoir potentiel par l’acteur domi-
nant peut entraîner, à terme, une perte de pou-
voir s’il met par là même en danger le contexte
relationnel dans lequel il acquiert le statut d’ac-
teur dominant.
8 Citons notamment A. Ansari et B. Modarress
(1990), D.N. Burt (1989), R. Schonberger et
J. Gilbert (1983).
9 Voir J. Mc Millan (1990) et K. Sakai (1990).
10 Citons notamment C.R. O’Neal (1987,
1989), Freeland (1990), L.C. Giunipero
(1990), T.J.Billesbach, A. Harrison et S. Croom-
Morgan (1991), Mannocherhi (1984).
 La gestion des achats en JAT/Flux tendus:
approche typologique d’un changement interorganisationnel

Figure 1: Le JAT/Flux tendus comme un continuum de situations: les 3 modèles envisagés

FOURNISSEUR CLIENT

stock stock programme stock stock

prévisionnel
JAT de livraison
appels fractionnés

programme
prévisionnel
stock stock stock stock
appels fractionnés
JAT organisé
rationalisation des
paramètres d'approt

programme
prévisionnel

stock stock appels fractionnés

stock stock
JAT d'intégration
modification des
fondements de l'échange

Champ
Champd’intervention effectif
d'action JAT du clientdu client

Présentation du cadre tif vers l’extérieur. Fort de ce nouvel

théorique de la recherche
Dans cette recherche, nous nous
sommes attachés à construire un modè-
le capable de décrire le JAT/Flux ten-
dus comme le résultat d’un double pro-
cessus. Tout d’abord un processus de
changement à l’intérieur de l’entrepri-
se acheteuse visant à tendre les flux et
à imposer au service achats-approvi-
sionnements une diffusion de cet objec-
objectif, les acheteurs peuvent mettre
en place des actions visant à changer
la façon de travailler avec les fournis-
seurs impliqués en les incitant à évo-
luer vers une prestation en flux tendus.
Une fois définis, ces deux processus de
changement seront intégrés dans le
modèle qui nous servira d’architecture
générale pour la construction du ques-
tionnaire en vue de l’analyse typolo-
gique (Figure 3).

87
Gestion 2000 4 juillet - août 1998
Le JAT/Flux tendus comme
la résultante d’un changement
organisationnel dans l’entreprise
cliente…
L’idée sous-jacente est que le dévelop-
pement du JAT/Flux tendus dans les
entreprises correspond à la diffusion
d’un véritable changement stratégique
et que ses conséquences doivent être
étudiées comme telles. Le “change-
ment stratégique” suppose le rempla-
cement d’une stratégie par une autre
ou une transformation de la stratégie
existante. Le changement organisation-
nel concerne lui la mise en oeuvre de
cette stratégie au coeur de l’organisa-
tion réformée (P. Morin, 1988). Ces
deux concepts sont donc les deux
faces d’un même questionnement:
quelle réforme adopter et comment
réformer ? Pour N. Tichy (1983), le
changement stratégique touche aux
systèmes techniques, politiques et cul-
turels de l’organisation. Ce sont les dif-
férentes composantes de cette diffusion
des objectifs du JAT/Flux tendus au
sein de l’organisation cliente que nous
tenterons d’analyser au travers d’une
typologie.
• Les différentes dimensions du
changement
Pour l’instant nous avons raisonné sur
la base d’une notion univoque de
changement appliquée à la gestion
des approvisionnements dans un
contexte “juste à temps”. Pourtant, le
88
changement stratégique peut prendre
diverses formes selon son étendue, sa
profondeur et son rythme de diffusion.
Le changement peut tout d’abord être
global ou partiel selon l’ampleur des
modifications à apporter au fonction-
nement de l’entreprise.
– Un JAT “global” dans l’entreprise,
piloté au plus haut niveau comme un
véritable projet d’entreprise et nécessi-
tant notamment une profonde remise
en cause de la politique d’achats.
– Un JAT “partiel” limité aux approvi-
sionnements avec pour seul objectif de
réduire le coût de détention des stocks.
Le changement peut être majeur ou
marginal selon l’importance de la dis-
continuité qu’il induit par rapport à la
situation passée ainsi que l’irréversibi-
lité des changements effectués.
– Une démarche JAT qui incite le ser-
vice achats à développer des relations
spécifiques pour asseoir les change-
ments réclamés en matière de logis-
tique d’approvisionnement (majeur).
– Une démarche JAT qui se résume à
la simple émission d’objectifs de ten-
sion des flux adressés au service
achats (marginal).
Le changement peut encore être lent ou
rapide. Il peut laisser le temps à l’or-
ganisation existante de s’adapter pro-
gressivement ou, au contraire, jouer
sur des échéances courtes pour réali-
ser le changement en créant un climat

approche typologique d’un changement interorganisationnel
de crise favorable aux remises en
cause plus générales et profondes.
N. Giroux (1991) propose de synthéti-
ser ces différentes dimensions du chan-
gement en deux classes; à savoir le
changement radical et le changement
évolutif.
• Le changement radical
Le changement radical peut être quali-
fié de majeur, global et rapide. “Il sur-
vient en situation de crise réelle ou
appréhendée. Il est décrété au sommet
par le Dirigeant qui développe une
métastratégie, c’est-à-dire une théorie
du changement qui peut le guider
dans son intervention” (N. Giroux,
1991, p 10). Cette métastratégie va
d’abord avoir une action au niveau
des structures et de la culture existant
dans l’organisation. Ce type de chan-
gement semble particulièrement adap-
té aux situations marquées par une
forte instabilité de l’environnement
(P. Drucker, 1969) ou lorsque le chan-
gement à réaliser induit une remise en
cause profonde et multidimensionnelle
du fonctionnement de l’organisation
(A. Levy, 1986). Le changement radi-
cal est donc un changement qui vient
du sommet et se diffuse vers le bas par-
fois grâce à un “champion” servant de
relais entre la Direction et les niveaux
opérationnels.
11 Notamment J.B. Quinn (1977) et D.C.
Dunphy (1981).
La gestion des achats en JAT/Flux tendus:
• Le changement évolutif
“Il se caractérise par une transforma-
tion graduelle qui se produit dans le
cours normal des activités de l’Orga-
nisation” (N. Giroux, 1991, p 12). Le
courant de pensée rattaché à l’O.D.
(Organization Development) met en
évidence la supériorité de ce type de
pilotage du changement11 plus parti-
culièrement lorsque l’entreprise est
confrontée à une évolution progressive
de son environnement lui imposant une
adaptation constante (F.M. Fiol et
M.A. Lyles, 1985). On peut distinguer
deux types de changement évolutif
selon que l’initiative du changement
vient du sommet de l’entreprise (chan-
gement incrémental) ou qu’elle est
située plus bas dans la hiérarchie
(changement réactif).
– Le changement incrémental
J.B. Quinn (1980) le définit comme
une démarche consciente et proactive
de changement par incréments où le
dirigeant tente d’orienter par touches
successives le changement. L’action du
dirigeant est ici moins directive que
dans le changement radical. Il fixe
l’ordre des priorités à explorer, sélec-
tionne les suggestions et s’assure de
l’existence d’une bonne circulation de
l’information dans le processus de
changement. C’est le plus souvent par
négociation interfonctions que les déci-
sions seront prises sans qu’il existe un
projet formel de tension des flux à l’in-
térieur de l’entreprise.
89
Gestion 2000 4 juillet - août 1998
– Le changement réactif.
I.Ansoff (1982) le définit comme une
série d’adaptations en réaction à une
évolution de l’environnement. Il
dépend de l’initiative des personnes
situées au niveau opérationnel et de la
volonté des dirigeants de laisser ces
initiatives de développer. Ainsi, sous la
pression de l’environnement, les per-
sonnes en charge des processus d’ap-
provisionnement vont développer des
actions visant à assurer la tension des
flux dans l’organisation. Dans ce type
de changement, le service achats-
approvisionnements agit en “franc
tireur”, souvent avec un temps d’avan-
ce sur l’évolution du reste de l’entrepri-
se. Les actions vont se développer au
cas par cas sans générer de réelles
mutations en termes de structure et de
culture “achats”.
• Synthèse
Chacune de ces trois configurations
théoriques représente ce que nous
appelons un “vecteur de changement”.
Ce dernier définit la dynamique du
changement au sein de l’organisation
et donc la façon dont l’objectif de ten-
sion des flux a été transféré vers la
fonction achats-approvisionnements.
Cette taxonomie nous amène à avan-
cer une première hypothèse explora-
toire.
Selon D.C. Dunphy et D.A. Stace
(1988), le changement radical est la
meilleure réponse lorsque l’organisa-
90
tion est en décalage avec les attentes
de son environnement et lorsque le
changement est vital pour la survie de
l’organisation. Nous pensons que le
JAT nécessite un changement en pro-
fondeur des règles de l’achat pour être
pleinement efficace. Donc l’instaura-
tion d’un changement de type radical
nous semble la réponse la plus adé-
quate a priori au développement du
JAT d’achat. A l’inverse, dans un chan-
gement de type réactif, la Direction
des achats agit seule pour définir les
nouvelles relations avec les fournis-
seurs. Sans le support de sa hiérar-
chie, ses décisions seront moins ambi-
tieuses et donc plus coercitives que
partenariales. Les effets attendus d’un
changement de type incrémental en
matière de JAT d’achat sont intermé-
diaires entre les deux situations
décrites précédemment.
…Ayant des conséquences
interorganisationnelles
Introduire une relation d’approvision-
nement en JAT, c’est vouloir induire un
changement dans la prestation du four-
nisseur et donc dans sa façon de tra-
vailler avec son client. C’est donc dans
la théorie du changement organisa-
tionnel que nous avons cherché un
modèle qui, par analogie, nous per-
mettrait d’analyser la situation ainsi
créée. L. Coch et R.P. French (1948)
par exemple soulignent que souvent,
dans le processus de changement, la
résistance n’est pas à l’encontre des

approche typologique d’un changement interorganisationnel
aspects techniques du changement,
mais plutôt relative aux modifications
dans les relations sociales qui les ac-
compagnent. Pour P. Lawrence (1954),
modifier les aspects techniques (chan-
ger les routines élaborées dans le
cadre du travail de l’ouvrier) sans
modifier les données sociales (c’est-à-
dire la place des acteurs dans l’orga-
nisation) revient à briser l’équilibre
pré-existant dans la relation de travail
et ainsi générer la résistance au chan-
gement. Enfin, H.J. Leavitt (1964) défi-
nit le changement dans les organisa-
tions comme un système d’actions mul-
dimensionnel dans lequel au moins
quatre dimensions interagissent: “La
Tâche” renvoie à la raison d’être de la
relation (la définition du travail d’un
point de vue opérationnel). “La Tech-
nologie” renvoie à la définition des
outils mais aussi aux modes de résolu-
tion des problèmes capables d’aboutir
à la réalisation de la tâche définie par
l’organisation. “Les Acteurs” fait réfé-
rence aux caractéristiques des per-
sonnes travaillant dans l’organisation
(nouvelles compétentes attendues, nou-
velles rémunérations...) mais aussi aux
actions visant à modifier la nature des
relations qu’ils entretiennent (confian-
ce, atmosphère de travail, pouvoir...).
“La Structure” renvoie aux modifica-
tions à apporter dans le système de
hiérarchie existant dans l’organisation.
Par analogie, nous avons construit une
grille d’analyse simple destinée à l’étu-
de de l’instauration de relations JAT
avec les fournisseurs. Le développe-
La gestion des achats en JAT/Flux tendus:
ment d’un JAT d’achat peut ainsi se
définir à travers quatre types d’actions.
“Flux” fait référence aux changements
en termes de délais, qualité et condi-
tionnement réclamés pour chaque rela-
tion d’achat. “Outils” renvoie aux
investissements (humain et matériel)
fait par le client pour faciliter l’accep-
tation du changement par le fournis-
seur, ainsi que la gestion de ce chan-
gement. “Aspects relationnels” renvoie
aux changements dans les politiques
de sources et les contrats élaborés par
l’entreprise cliente. “Organisation” fait
référence aux modifications observées
dans la structure du service achats,
mais aussi dans le système de commu-
nication et de travail avec les autres
fonctions incluses dans le projet JAT.
Toutes les décisions prises dans ces
quatre domaines définissent ce que
nous nommons le “Mix JAT-achat”
(Figure 2). Ainsi, en suivant les conclu-
sions de H.J.Leavitt pour le change-
ment organisationnel, une de nos
hypothèses est que la capacité qu’au-
Figure 2: Le Mix JAT-achat
Organisation
Flux Outils
Aspects relationnels
91
Gestion 2000 4 juillet - août 1998

ra la firme cliente à développer des Le modèle de l’étude

actions équilibrées sur ces quatre
dimensions sera une règle primordiale
pour limiter les résistances au change-
ment de ses fournisseurs et donc pour
l’atteinte d’un JAT d’achat ambitieux.
La Figure 3 révèle les principaux fac-
teurs considérés dans cette étude
comme a priori déterminants dans la
définition des pratiques de tension des
flux avec les fournisseurs.

Figure 3: Modèle général de l’étude

Environnement du client
Marché aval Marché amont Interne

- Incertitude - Pouvoir de - Système

négociation technique Mode de
- Complexité des
produits diffusion du
- Complexité du - Taille de projet JAT
- Pression marché l'organisation
concurrentielle fournisseur achat chez le client:
vecteur du
changement

Réactif Radical

Incrémental

ORGANISATION

FLUX OUTILS

ASPECTS RELATIONNELS

Mix JAT-achat

Intensité de la tension des flux

+ –

JAT d'intégration JAT de livraison

92
 La gestion des achats en JAT/Flux tendus:
approche typologique d’un changement interorganisationnel

• Les facteurs environnementaux observées dans l’étude ne pourront

Comme N.C.G. Campbell (1985)
nous pensons que l’échange est tout
d’abord affecté par les caractéris-
tiques des firmes cliente et fournisseur
incluses dans la démarche JAT. Pour
P.N. Khandwalla (1973) l’efficacité
des choix structurels de l’entreprise
dépend de la cohérence existant entre
ces choix et les variables de contexte
qui caractérisent son environnement.
En d’autres termes, les actions de ten-
sion des flux d’approvisionnement
mises en place par les entreprises
Tableau 1: Les différents “vecteurs de changement”
être pleinement analysées qu’à la
lumière du contexte ayant présidé à
leur élaboration. Dans la définition de
ce contexte, on trouvera des éléments
relatifs au contexte externe (marchés aval
et amont) et interne de l’entreprise12.
• Le mode de diffusion du JAT
Une de nos hypothèses est que l’inter-
action sera influencée par le mode de
diffusion du projet JAT au sein de la
firme cliente: radical, incrémental ou
réactif (Tableau 1).

Types de changement RADICAL EVOLUTIF

Incrémental Réactif

Caractéristiques Un pilotage assuré par Un changement impulsé Un pilotage du change-

le Top Management car par le Top Management ment décentralisé avec
ce dernier perçoit une mais avec un pilotage une forte autonomie de
crise réelle. La pression collégial des fonctions moyens pour le niveau
temporelle est forte. Le impliquées. La pression opérationnel. La pres-
champ d’application du temporelle est moyenne sion temporelle est
changement est large et le champ d’applica- moyenne et le champ
(structure, culture, sys- tion centré principale- d’application centré
tèmes et processus) et la ment sur les systèmes et principalement sur
démarche formalisée. les processus au travers les systèmes et
d’une démarche peu les processus.
formalisée.

Hypothèses Ce pilotage du change- Le changement est plus La vision est de court

exploratoires ment procure une vision long à mettre en place terme ce qui réduit le
sur la diffusion du JAT de long terme propice à que dans la version champ d’application du
vers les fournisseurs l’instauration d’un JAT “radicale” mais peut changement.L’isolement
d’achat ambitieux (JAT être aussi efficace s’il des acteurs fait antici-
d’intégration). s’accompagne du déve- per une approche plus
loppement d’outils coercitive est à prévoir
“achats” ad hoc pour la devant déboucher
gestion des relations en sur un simple JAT de
JAT. livraison.

12 Dans notre étude, le poids de ces dimensions a principalement

été évalué à l’aide d’une échelle d’attitude à sept points de type
Likert, appliquée à une sémantique différentielle. L’horizon de
réflexion a été fixé à cinq ans pour toutes les questions demandant 93
une mise en perspective des évolutions perçues.
Gestion 2000 4 juillet - août 1998

Les mesures relatives à ces caractéris- L’observation des

tiques du changement ont été réalisées
pratiques de mise en
à partir des perceptions du Dirigeant
d’achat ou de l’acheteur interrogé13. tension des flux d’achat
dans les entreprises
• Le Mix JAT-achat industrielles françaises
Les caractéristiques environnementales
Notre objectif était de réaliser une
de l’échange, ainsi que le mode de dif-
photographie “ordonnée” des pra-
fusion du changement en interne sont
tiques de mise sous tension des flux
des éléments influençant les orienta-
d’approvisionnement. Courant 1994,
tions prises en matière de Mix JAT-
un questionnaire (14 pages pour 189
achat. Comme dans le modèle de H.J.
variables) a été envoyé à 550 respon-
Leavitt (1964), nous pensons que la
sables d’achat dans des secteurs d’ac-
réalisation d’un changement ambitieux
tivité divers. 135 réponses utilisables
en termes de “Flux” (délais réduits et
(25 %) ont été reçues parmi lesquelles
exigences de qualité accrues) doit aller
87 confirmaient avoir instauré un pro-
de pair avec le développement
gramme de tension des flux dans leur
d’”Outils” spécifiques de gestion de la
stratégie d’achat. Les variables étu-
relation (organisation de journées
diées, qui reprennent l’ensemble des
“fournisseurs”, instauration de nou-
éléments représentés dans la Figure 3
veaux critères de contrôle de la per-
sont regroupées de la façon suivante:
formance du fournisseur...), d’”arran-
gements contractuels” adaptés (allon- • Les variables actives14:
gement de la durée des contrats et – variables définissant le “vecteur du
modification des politiques de sources) changement”:
ainsi que l’instauration d’une “organi- – variables définissant 3 dimensions
sation” de la fonction achat ad hoc. Le du “Mix JAT-achat” (“Outils”, “Aspects
succès de ces choix dépend de l’adap- relationnels” et “Organisation”).
tation du JAT d’achat aux évolutions de
l’environnement ainsi que de la façon • Les variables descriptives15:
dont le projet JAT s’est développé à – intensité de la tension des flux avec
l’intérieur de l’entreprise cliente. les fournisseurs en JAT;

13 L’évaluation s’est faite à l’aide d’une échelle

d’attitude à sept points de type Likert, appliquée

à une sémantique différentielle.
14 Il s’agit des variables incluses dans l’analyse

typologique et participant à la constitution des

groupes.
15 Il s’agit des variables permettant de définir

94 les spécificités des groupes issus de la typolo-

gie.

approche typologique d’un changement interorganisationnel
– facteurs de contingence interne et
externe;
– réduction du nombre de fournis-
seurs;
– principaux problèmes rencontrés
dans la démarche de tension des flux.
Précisions sur la méthodologie
Compte tenu du nombre élevé de
variables à inclure dans l’analyse,
deux analyses en composantes princi-
pales (ACP) ont été pratiquées comme
préalable pour faciliter l’interprétation
de la typologie. Celles-ci ont porté sur
les deux dimensions les plus com-
plexes de notre questionnaire: le “vec-
teur du changement” et les “outils” de
mise en flux tendus des fournisseurs.
A l’issue de ces ACP16, les scores fac-
toriels (coordonnées des observations
par rapport aux axes de l’ACP) ont été
inclus dans l’analyse typologique,
avec les autres variables actives, pour
identifier des groupes d’entreprises ho-
Figure 4: L’analyse multivariée adoptée pour l’étude empirique
Vecteur du Outils du
changement changement
(13 variables) (29 variables)
ACP ACP
3 facteurs 3 facteurs
Algorithme hiérarchique
16 Voir Annexe.
17 Cette méthode est bien adaptée à des don-
nées métriques telles que les scores factoriels.
La gestion des achats en JAT/Flux tendus:
mogènes en termes de pratique d’achats
en JAT. La Figure 4 illustre l’enchaîne-
ment des opérations ayant conduit à
la réalisation de cette typologie.
La typologie a été réalisée sur SPSS en
adoptant une méthode polythétique
hiérarchique ascendante sur la base
du critère de Ward17. Notre choix
s’est porté sur une typologie en quatre
groupes.
Proposition d’une typologie
des pratiques
Ces groupes représentent quatre
approches différentes des pratiques se
cachant sous le même qualificatif de
“JAT d’approvisionnement” ou “flux
tendus fournisseurs”. Le tableau 2 résu-
me ces différences inter-groupes, tant
sur les variables actives que sur les
variables descriptives inclues dans
l’analyse. Les traits caractéristiques
émergents de cette analyse nous ont
Aspects
Organisation relationnels
(6 variables) (2 variables)
Variables
Groupes descriptives
95
 Gestion 2000 4 juillet - août 1998

Tableau 2: Description des groupes issus de la typologie

Variables incluses dans l’étude Groupe 1 Groupe 2 Groupe 3 Groupe 4

(32) (17) (15) (23)
JAT achat Simple JAT JAT
“contrôlé” tension “équilibré” pragma-
des flux tique
Ces valeurs correspondent aux valeurs moyennes observées
dans chaque groupe. Le chiffre entre parenthèses indique le
ou les groupes présentant une moyenne significativement
Variables actives différente au seuil de 0.05 (test de Duncan)
Vecteur du changement (scores factoriels)20
- intensité du contrôle interne du projet JAT 0.0587 -0.7099 (321) 0.4311 (2) 0.1494
- intensité du contrôle externe du projet JAT -0.1111 (3) -0.8335 (3,4) 0.8697 (1,2) 0.1497
- étendue du champ d’application du changement 0.3816 (4) -0.1854 0.4598 (4) -0.5732 (1,3)

Outils du changement (scores factoriels)

- d’organisation logistique du JAT -0.4035 (3) -0.3031 (3) 0.9975 (1,2,4) 0.0761 (3)
- de contrôle de la relation en JAT 0.1618 (2) -0.8947 (1,4) 0.108 0.3728 (2)
- d’incitation non coercitive au changement -0.3132 (3) -.04802 (3) 0.6683 (2,1) 0.3203

Organisation22
- intégration de l’assurance qualité par les achats 2.2813 (2) 1.4118 (1,3) 2.4667 (2) 2.0435
- changement dans l’organigramme achat avec le JAT 1.4375 (2,4) 0.5294 (1,3) 2.1333 (1,2,4) 0.2174 (1,3)
- fournisseurs JAT en relation avec d’autres fonctions 1.9375 (2) 1.1176 (1,3) 2.3333 (2,4) 1.6522 (3)
- élargissement du “centre d’achat” avec le JAT 2 (2) 0.588 (1,3,4) 2.4667 (2,3) 1.7391 (2,3)
- existence d’une structure inter-fonctions de pilotage du JAT 0.9375 (2,3) 0.235 (1,3,4) 2.3333 (1,2,4) 0.8261 (2,3)
- augmentation de la communication inter-fonctions avec le JAT 2.5 (2,4) 1.042 (1,3) 2.5524 (2,4) 1.441 (1,3)

Aspects relationnels
- allongement de l’horizon contractuel avec le JAT 2.1429 1.5462 (3) 2.3619 (2) 1.9379
- tendance à la source unique d’approvisionnement avec le JAT 0.8273 0.6611 (3) 0.946 (2) 0.8199

Variables descriptives23
Indice de tension des flux24 3.5 2.7647 (3,4) 4.4667 (2) 4.1364 (2)
réduction du nombre de fournisseurs réguliers sur les
deux dernières années - 12% (2) +0.4%(1,3,4) - 18.2% (2) - 21.2% (2)
faible pouvoir de négociation vis-à-vis des fournisseurs 4.3750 (3) 3.9412 3.6 (1,4) 4.6087 (3)
existence de clients contraignants en matière de flux 6.0625 (2) 4.941 (1,3,4) 5.8 (2) 6.2174 (2)
effectif des établissements 901 408 (4) 877 1 103 (2)
production de grandes séries 0.5626 0.2941 (4) 0.4 0.6957 (2)

20 voir Annexe.
21 indique que les entreprises du groupe 2 présentent un comportement sig-
nificativement différent (au seuil de 0.05) de celui observé au sein du grou-
pe 3 sur cette variable.
22 La réponse à ces questions se faisait sur une échelle à quatre points (1 =

jamais utilisé, à 4 = systématiquement utilisé.

23 Seules apparaissent dans ce tableau les variables montrant des différen-

ces significatives dans les réponses des groupes (au seuil de 0.05).
24 Ce score est la combinaison pondérée de deux items du questionnaire:

(1) le pourcentage des achats considérés comme approvisionnés sur des

bases JAT,
(2) sur ces mêmes achats, la répartition en termes de cadences de livrai-
96 sons (5 propositions).

approche typologique d’un changement interorganisationnel
conduit à leur attribuer les noms sui-
vants.
Groupe 1 (32 entreprises):
Le JAT achat “contrôlé”
Ce groupe (le plus important en effec-
tif) rassemble des entreprises d’assez
grande taille (la moyenne se situe à
900 salariés). Elles ne possèdent pas
de profil marqué en ce qui concerne
leur secteur industriel d’appartenan-
ce18 (la répartition est similaire à celle
de l’échantillon). Elles ont subi une
forte pression de la part de leurs
clients pour évoluer vers une prestation
JAT. Ces entreprises voient principale-
ment dans le développement de la ten-
sion des flux un changement à contrô-
ler et organiser sans réellement modi-
fier leurs pratiques d’achats. Ce grou-
pe est représentatif d’entreprises où le
pilotage du changement laisse une
large part d’autonomie aux services
“achats-approvisionnements” et où
leur pouvoir de négociation vis-à-vis
des fournisseurs est perçu comme fort.
Ces éléments orientent la nature des
outils développés pour gérer le JAT:
principalement des outils de contrôle
de la performance du fournisseur
visant à s’assurer de sa soumission aux
nouvelles exisgences de l’acheteur,
sans toutefois que ce dernier ne s’im-
plique réellement dans la dynamique
du changement.
Illustration: Dans cette entreprise qui
18 Dans notre étude, l’appartenance sectoriel-
le n’est pas un facteur contingent discriminant
pour les pratiques de JAT d’achats (test de
Chi-2 > 0.1)
La gestion des achats en JAT/Flux tendus:
fabrique des acticles de sport, la flexi-
bilité est un objectif prioritaire depuis
1990. Un projet JAT s’est développé et
se répercute dès 1992 dans les objec-
tifs de la fonction achats. Travaillant
avec de nombreux petits sous-traitants
fortement dépendants, la mise en flux
tendus passe essentiellement, au
moment de l’étude, par la création
d’un logiciel spécifique de suivi de la
performance logistique. Le système de
notation élaboré permet, dans un pre-
mier temps, de réaliser une sélection à
l’intérieur du portefeuille de fournis-
seurs, puis de motiver les partenaires
restant en liant le volume d’affaires
traité aux performances logistiques
observées.
Groupe 2 (17 entreprises):
“La Simple tension des flux”
En termes d’effectif, ce groupe com-
porte principalement deux sous-
groupes représentés de façon équiva-
lente: de petites entités (environ 200
salariés) et des entreprises de taille
plus importante (environ 600 salariés).
Leur environnement se distingue forte-
ment de celui des entreprises du grou-
pe 1 par la faible pression exercée par
leurs clients en faveur d’une rationali-
sation de leur flux. De plus, elles évo-
luent dans un environnement productif
sensiblement moins orienté vers la
grande série que les autres entreprises
de l’échantillon de référence. Partant
de ce contexte environnemental, les
entreprises du groupe 2 s’avèrent très
97
Gestion 2000 4 juillet - août 1998
“typées” et s’illustrent par la faible spé-
cificité des achats qu’elles considèrent
comme étant réalisés sur la base du
JAT/Flux tendus. Partant d’un projet
aux contours flous (de type “réactif”)
ces entreprises s’avèrent incapables
de réaliser une réelle mutation de leurs
pratiques d’achats. Sur toutes les
dimensions du “Mix JAT-achats” identi-
fiées dans l’étude, les entreprises de ce
groupe réalisent systématiquement les
scores les plus bas. Ici, le JAT/Flux ten-
dus n’apparaît que comme une modifi-
cation de la demande d’achat ne
devant pas entraîner de réels change-
ment de comportement pour l’ache-
teur. Ce groupe semble une bonne
illustration du JAT de livraison évoqué
précédemment. Le niveau de tension
des flux observé y est significativement
moins élevé que dans les groupes 3
et 4.
Illustration: Courant 1992, le mot
d’ordre affiché par le PDG de cette
grande entreprise du secteur de l’élec-
troménager est une baisse généralisée
des coûts. Dans l’usine étudiée, cet
objectif est répercuté sur le respon-
sable des achats auquel on impose
d’obtenir dans l’année une baisse de
10% des coûts d’achats. Outre une
renégociation des prix, ce dernier
décide d’agir sur les stocks en tendant
les flux d’approvisionnements. Dans
cette usine, où aucun véritable projet
de tension des flux n’existe, le seul
indicateur logistique suivi par la
Direction Générale est la baisse du
niveau des stocks. De plus, cette der-
98
nière oriente la politique de sources
vers une mise en concurrence des four-
nisseurs accrue pour faire face à la
période de crise. Au moment de l’en-
quête, et compte tenu de ce contexte
organisationnel, la tension des flux se
résume à un rapport de force entre le
client et ses fournisseurs.
Groupe 3 (15 entreprises):
Le JAT “équilibré”
Ce groupe comprend majoritairement
de grandes entreprises (environ 800
salariés) qui, malgré un pouvoir de
négociation considéré comme faible
avec leurs fournisseurs, affichent les
meilleurs résultat en matière de tension
effective des flux. A l’opposé du grou-
pe 2, le groupe 3 illustre parfaitement
une approche “équilibrée” dans le
développement du “Mix JAT-achat
avec pour objectif de limiter les résis-
tances aux changement de ses parte-
naires. C’est principalement dans la
nature du “vecteur de changement”
que ces entreprises se distinguent. Le
JAT y est considéré comme une véri-
table stratégie d’entreprise nécessitant
une forte coordination entre les diffé-
rentes fonctions impliquées (change-
ment “radical”). Fort de cet appui, le
service achats peut entamer des
réformes de fond qui, notamment,
remettent en cause la philosophie
même de ces relations (actions de
conseil auprès des fournisseurs, réduc-
tion de la base fournisseurs, ...) ainsi
que son action directe dans le chan-

approche typologique d’un changement interorganisationnel
gement (reprise en main des trans-
ports, de l’assurance qualité...).
Illustration: La fabrication de machines
à air conditionné nécessite l’assembla-
ge de nombreux composants. Dans un
tel processus productif, la gestion au
plus juste des points de stockage est un
facteur important de compétitivité.
Dans cette usine française d’un grand
groupe international, le JAT est depuis
1991 au centre d’un vaste projet de
restructutation du site industriel. Les
achats représentant 70% de la valeur
du produit, la fonction a été très tôt
impliquée dans la réflexion relative à
la tension des flux. Pour le responsable
des achats, le niveau de performance
logistique attendu de la part des four-
nisseurs ne pouvait être atteint dans le
cadre des relations d’achats existant
au début du projet de tension de flux.
De profonds changements ont donc été
initialisés avec le JAT:
– adaptation des contrats (ex: en cas
de modification tardive de la demande
du client, le stock de pré-ébauches
engagé par le sous-traitant est à la
charge du client);
– actions chez les fournisseurs (ex:
détachement de personnel chez les
trois principaux fournisseurs pour faire
progresser la relation);
– modification de la structure (ex:
spécialisation d’un acheteur dans la
gestion des pièces livrées en JAT).
La gestion des achats en JAT/Flux tendus:
Groupe 4 (23 entreprises):
Le JAT “pragmatique”
Dans les entreprises de ce groupe (les
plus grandes en taille de l’échantillon),
il n’existe pas de réel projet JAT mais
plus une démarche générale de ratio-
nalisation de la politique d’achats (ex:
baisse importante du nombre de four-
nisseurs). Ainsi, comparativement aux
entreprises du groupe 3, dont elles
sont proches en termes de perfor-
mances logistiques, le développement
du JAT modifie peu la communication
inter-fonctions et induit peu de change-
ment dans la structure même du servi-
ce achats. S’appuyant sur un rapport
de force largement en leur faveur, les
entreprises de ce groupe imposent lar-
gement le poids du changement aux
fournisseurs en développant des outils
de contrôle de la relation et en recher-
chant des solutions ad hoc.
Illustration: Dans cette usine de fabri-
cation d’ustensiles de cuisine, la part
toujours croissante des Centrales
d’achats dans son portefeuille de
clients induit une pression supplémen-
taire sur les coûts et la flexibilité. Si
aucun plan affiché de JAT n’existe,
l’évolution est toutefois au fractionne-
ment des lots de production et d’ap-
provisionnement. Pour le responsable
des achats, pas question de remettre
en cause la mise en concurrence systé-
matique des fournisseurs avec la ten-
sion des flux car la pression sur les prix
99
Gestion 2000 4 juillet - août 1998
doit être un objectif constant. Il incom-
be aux acheteurs de rendre économi-
quement rentable leurs nouvelles exi-
gences en agissant au cas par cas en
modifiant la conception des produits
ou en aidant le fournisseur à baisser
ses quantités économiques de lance-
ment.
Conclusion
Lorsque l’on évoque, dans la littérature
de gestion, le problème de la tension
des flux d’approvisionnement, c’est le
plus souvent à travers l’exemple du
secteur automobile que l’on cherche à
définir l’archétype d’une “bonne”
démarche en la matière. Dans notre
étude, nous avons cherché à mettre en
évidence les “stratégies types” déve-
loppées par les entreprises industrielles
sous les termes génériques de “mise en
flux tendus des fournisseurs” et “JAT
d’approvisionnement”, car notre intui-
tion était que ces derniers recouvraient
un continuum de situations. Tout en
étant conscient des limites d’une telle
recherche19, nous pouvons toutefois
avancer que celle-ci a permis de
mettre en évidence: (voir tableau 2)
1) que deux dimensions prédominent
pour différencier les pratiques de ten-
sion des flux d’approvisionnement:
– le “vecteur de changement”:
Cette dimension rend compte notam-
ment des efforts déployés par la
100
Direction Générale (DG) pour faire en
sorte que le JAT soit un véritable projet
coordonné et formalisé dans l’entrepri-
se. On a ici la confirmation d’une de
nos hypothèses de départ: plus le pilo-
tage du changement est de type “radi-
cal” (comprendre fortement soutenu et
coordonné par le DG), plus grande est
l’adaptation des pratiques d’achats au
contexte spécifique du JAT.
– l’implication de l’acheteur dans la
dynamique du changement:
Il s’agit ici de mesurer les “investisse-
ments spécifiques” opérés par l’orga-
nisation cliente dans la gestion des
relations en JAT. Là encore, une de nos
hypothèses semble validée: les plus
fortes tensions des flux vont de pair
avec le développement d’“Outils”, la
modification des “aspects relationnels”
de l’échange ainsi qu’une modification
de l’”Organisation” même de la fonc-
tion achats.
Négliger ces deux dimensions exacer-
be les résistances aux changements
des fournisseurs et limite de facto l’am-
pleur potentielle du JAT d’approvision-
nement.
2) que si l’allongement de la durée des
contrats et la réduction du nombre des
fournisseurs semblent aller de pair
avec le développement de la tension
des flux, ces deux critères s’avèrent
19 Notamment la nature statique des données
recueillies alors même que l’objet étudié est un
processus en cours.

approche typologique d’un changement interorganisationnel
non discriminants dans la caractérisa-
tion de nos groupes. On est en droit
de penser que si les actions sur deux
variables sont nécessaires, elles ne
sont en aucun cas suffisantes pour mar-
quer une orientation décisive vers la
réalisation d’un JAT d’intégration tel
que décrit précédemment.
Les entreprises se lançant dans l’”aven-
ture” d’un flux tendus avec leurs four-
nisseurs ne doivent donc pas se
contenter de solutions purement con-
tractuelles, mais investir véritablement
dans ces relations en recherchant des
solutions managériales spécifiques.
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 La gestion des achats en JAT/Flux tendus:
approche typologique d’un changement interorganisationnel

Annexe

Mode de diffusion du changement (“vecteurs de changement”)

Cette Analyse en Composantes Principales (ACP) décrit le mode de diffusion du JAT

à l’intérieur de l’entreprise cliente (13 variables). Après l’étude des communautés,
seules 11 variables sont retenues dans l’analyse. Les trois premiers facteurs extraits
représentent 57.5% de la variance totale. Les résultats de l’ACP sont les suivants:

Poid
Variables du Descriptif
facteur

Fact 1: Contrôle interne du projet JAT Cet axe factoriel

marque l’impor-
Le JAT est une priorité dans la politique achat. 0.81 tance du JAT
dans les achats
Degré de formalisation et contrôle de la diffusion du 0.74 ainsi que les
JAT. efforts de maîtrise
du processus de
Existence d’une contrainte de temps forte dans la diffu- 0.63 changement
sion du JAT. développés en
interne par les
Standardisation de l’approche JAT dans les achats. 0.50 responsables du
service.

Fact 2: Contrôle externe du projet JAT Cet axe factoriel

marque la
Intensité de la coordination des actions JAT. 0.74 nécessité, pour le
service achats,
Le JAT est imposé par la Direction Générale. 0.67 de ne pas agir
seul en matière
Il existe une structure formelle de pilotage du projet. 0.66 de tension des
flux et donc le
La Direction Générale donne des objectifs précis en 0.61 niveau de coordi-
matière de développement du JAT. nation induit par
le projet.

Fact 3: Champ d’application

La diffusion du JAT induit de grands changements dans 0.81 Cet axe factoriel
la structure du service achat. définit le champ
d’application du
La diffusion du JAT induit de grands changements dans 0.81 changement tel
les relations client/fournisseurs. qu’il est perçu
par les responsa-
La gestion des achats en JAT est vraiment spécifique. 0.68 bles achats

103
Gestion 2000 4 juillet - août 1998

Les outils du changement

Cette ACP permet d’identifier les principaux outils du changement liés à la diffusion
du JAT dans les achats (29 variables). Après l’étude des communautés, seules 13
variables sont retenues dans l’analyse. Les trois premiers facteurs extraits représen-
tent 52.3% de la variance totale. Les résultats de l’ACP sont les suivants:

Poid
Variables du Descriptif
facteur

Fact 1: Organisation logistique du JAT d’achat Ce facteur

témoigne des
Organisation d’un collectage fournisseurs 0.86 efforts réalisés par
l’entreprise ache-
Passage d’achats “Rendus” à des achats “Départ usine”. 0.79 teuse pour tenter
de résoudre, de
Signature d’accords tripartites (transporteur inclus). 0.73 façon proactive,
les problèmes
Réalisation d’un manuel “JAT” pour les fournisseurs 0.42 logistiques posés
par le JAT.

Fact 2: Outils de contrôle de la relation

Création d’un contrôle spécifique de la performance 0.82 Cet axe est corré-
logistique du fournisseur lé avec des
variables indi-
Instauration de la transparence des coûts avec les four- 0.65 quant une spécifi-
nisseurs impliqués dans le JAT. cité du contrôle
des relations en
Signature de contrats d’approvisionnement spécifiques 0.56 JAT/Flux tendus.
avec les fournisseurs.

Fact 3: Utilisation d’outils coopératifs pour

convaincre le fournisseur

Chantage aux alternatives d’approvisionnement. - 0.63 Les variables défi-

nissant cet axe
Utilisation de pénalités de retard. - 0.60 constituent toutes
des outils
Organisation de “journées fournisseurs”. 0.59 capables d’inciter
le fournisseur au
Formation du fournisseur au JAT. 0.57 changement en
facilitant la muta-
Utilisation de l’EDI pour communiquer. 0.49 tion qu’il doit
accomplir, sans
Développement de l’assistance au fournisseur. 0.40 coercition.

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