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Richard Awono
University of Yaoundé II, Yaoundé, Cameroon
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Richard Awono
La communication territoriale :
constructions d’un champ
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Référence électronique
Richard Awono, « La communication territoriale : constructions d’un champ », Communiquer [En ligne], 15 | 2015,
mis en ligne le 17 octobre 2015, consulté le 17 octobre 2015. URL : http://communiquer.revues.org/1686 ; DOI :
10.4000/communiquer.1686
Éditeur :
http://communiquer.revues.org
http://www.revues.org
Résumé
Depuis bientôt une trentaine d’années, la littérature sur la communication des territoires s’est largement répandue,
en particulier dans la recherche francophone. Pour autant, la « communication territoriale » reste profondément
marquée par une sorte de dispersion (conceptuelle, géographique, etc.), ainsi que par une faible stabilisation
théorique. Comment expliquer un tel contraste, à l’heure où de nouvelles préoccupations (citoyenneté, réseaux, crises
identitaires…) interpellent la ville et l’espace local et, avec eux, la communication en tant que domaine de production
de la théorie et des modes d’intervention publique ? À partir d’une étude sociohistorique, l’article revisite les processus
de sédimentation de ce champ (la communication territoriale), tout en esquissant des explications de sa « crise de
croissance » théorique. Une synthèse des perspectives de renouvellement théorique est également proposée, à la
lumière de quelques récents travaux.
Mots-clés : communication territoriale, communication municipale, communication locale, collectivités
territoriales, espace local, territorialité numérique.
1. Parmi d’autres, l’ouvrage de Jacques Noyer, Bruno Raoul et Isabelle Pailliart (dir.) (2013), Médias et territoires,
l’espace public entre communication et imaginaire territorial, témoigne, une fois de plus, de l’incessant intérêt pour
ce thème de la part des chercheurs en sciences de la communication.
2. La littérature anglo-saxonne privilégie, bien souvent, l’expression de local government public relations (Brown,
Gaudin et Moran, 2013 ; Moran, 2012 ; USAID, 2007).
3. La liste des travaux, ici, est purement indicative. Une liste plus étendue (mais loin d’être exhaustive) figure en fin
d’article.
4. Centre universitaire de recherches administratives et politiques de Picardie. Désormais appelé Centre
universitaire de recherches sur l’action publique et le politique, épistémologie et sciences sociales.
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communication territoriale (aussi bien comme champ de pratiques que comme champ de
recherche) découle, avant tout, d’un travail social d’institutionnalisation. Aussi, la diffusion
de la communication territoriale dans la recherche francophone est à considérer dans
le contexte spécifique de son foyer d’émergence dans cet espace, à savoir la France et le
Québec. À partir d’une étude sociohistorique, nous proposons tout d’abord un bref éclairage
sur la terminologie éclatée de la communication territoriale, en soulignant les fondements
conceptuels d’une telle dispersion. Ensuite, le processus de son institutionnalisation est
revisité, à partir d’un regard centré sur la France et le Québec. Puis, nous essayons de dégager
quelques traits spécifiques de la communication des collectivités locales dans l’espace de
tradition anglo-saxonne, avant de proposer, enfin, une synthèse de quelques perspectives
de renouvellement théorique qui se dégagent des travaux en rapport aux problématiques de
la territorialité numérique.
5. Pour des besoins de simplification, nous utilisons prioritairement cette appellation pour désigner l’objet de cet article.
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davantage pris corps au Québec (Huot, 1990 ; Thériault, 1991 ; Lavigne, 1995), c’est sans
doute en raison de l’organisation politique locale de ce territoire, ancrée principalement
sur la notion de « municipalité », qui fonde, de manière prédominante, l’identité nominale
des entités territoriales de la décentralisation : municipalités régionales de comté (MRC)
et municipalités (locales). Les acteurs qui, ailleurs, se présentent comme « communicants
territoriaux » s’identifient au Québec comme « communicateurs municipaux ». D’après
l’analyse de Lavigne (1994, 1995), le succès de la communication (ou de l’information) dite
« municipale » au Québec ne serait pas sans lien avec la loi sur la « démocratie municipale »
de 1980, réforme qui s’accompagne, en 1982, d’une loi sur l’accès aux documents des
organismes publics et sur la protection des renseignements personnels, visant un plus
grand accès des citoyens à l’information.
Par ailleurs, la notion de communication locale permet de saisir la diversité des acteurs
locaux que sont non seulement les collectivités locales mais aussi les médias locaux (Tétu,
1995b ; Pélissier, 2003 ; Demers, 2001), de même que les acteurs privés à l’exemple
des consultants en communication locale. Prend alors sens la notion fondamentale de
« médiations locales » (Tétu, 1995a), par lesquelles les divers acteurs locaux organisent
et font vivre l’espace local. Partant de l’analyse du contexte camerounais, Laurent-Charles
Boyomo Assala (2001) met ainsi en lumière le rôle structurant d’un médiateur local
spécifique, la radiotélévision d’État (la CRTV). À travers son réseau de stations régionales,
la CRTV contribue, à sa manière, à redessiner les territoires locaux par une distribution
implicite de l’accès à l’espace public local, une telle ressource conditionnant, dans ce
contexte sociopolitique, l’accès des groupes sociaux et des individus à des positions de
pouvoir. L’auteur soutient alors que « la communication locale entendue comme production
de messages dans un espace donné est indissociable des contradictions sociales en œuvre
dans l’espace qui lui donne son fondement social » (Boyomo Assala, 2001, p. 154).
Une autre dimension de ces enjeux théoriques apparaît dans l’évolution terminologique
qui a consacré, vers le milieu des années 1980, le passage de l’ « information locale » à
la « communication locale ». Comme le montrent des auteurs comme Dominique Mégard
et Bernard Deljarrie (2003) ou encore Dominique Bessières (2009), ce changement
terminologique traduit, en fait, un changement de paradigme. En effet, dans la décennie
1980, la relation de l’institution publique locale avec l’habitant serait progressivement passée
de la transmission de l’information (qui prévalait encore dans les années 1970) à l’échange
ou à la communication. C’est, du moins, ce que traduit le changement lexical intervenu
dans la littérature des années 1980, en rupture avec celle de la décennie précédente. Un
titre, en particulier, est révélateur d’un tel changement, l’article d’Isabelle Pailliart (1984),
« Municipalités : de l’information à la communication », paru dans le Bulletin de l’IDATE.
À défaut d’être le reflet exact de la réalité de terrain, ce titre rappelle au moins le discours
dominant de l’époque, lui-même inspiré par deux mutations majeures de la décennie 1980 :
d’une part, dans le champ politique, la prétention à prendre plus en compte le citoyen dans
la gestion publique (d’où l’idée de communication) ; d’autre part, dans le champ scientifique,
le paradigme du « tournant communicationnel », qui fait émerger une forme d’idéologie de
la communication comme mot d’ordre général pour la société nouvelle et, en particulier,
pour l’organisation. Ainsi, les titres tels que La Démocratie, un préalable : l’information
dans la cité (Beaunez et Kohn, 1975), L’information locale (Mabileau et Tudesq, 1980),
L’information municipale, pédagogie de la participation (Gontcharoff, 1980) ou encore
L’information municipale (Langenieux-Villard, 1985) sont, dans l’univers éditorial français,
parmi les derniers à afficher cette tonalité « informationnelle », laissant place, peu à peu,
au nouveau « paradigme », celui de la communication locale. Il est à noter qu’au Québec,
en revanche, la notion d’« information municipale » continuera d’être prégnante dans la
littérature universitaire au moins jusqu’à la fin des années 1990 (Huot, 1990 ; Lavigne,
1993, 1994, 1995), tandis que les professionnels (ACMQ, 1990), eux, adoptent l’expression
de « communication municipale ».
Par ailleurs, on peut observer, dans les années 1990, un relatif retour en surface – bien
qu’il ne semble pas consacrer un changement lexical majeur – du concept d’« information »,
à la faveur du paradigme de l’Internet, mais aussi du fait que, pour certains auteurs (Balima,
2000 ; Leyval-Granger, 1999), une dimension informationnelle demeure dans la relation
habitant-institution locale, celle qui met en avant la communication comme service public,
comme un droit du citoyen d’être informé. Dans ce sens, Lavigne (1995) utilise le concept
d’« information municipale » en assumant qu’il désigne ainsi la communication municipale.
8. D’après le Mercator, on peut définir le marketing territorial comme « l’effort d’attractivité des territoires à des
marchés concurrentiels pour influencer, en leur faveur, le comportement de leurs publics par une offre dont la valeur
perçue est durablement supérieure à celles des concurrents » (www.marketing-territorial.org).
9. Cette acception est, de fait, différente de celle qui a cours en Amérique du Nord, où la communication publique
est plutôt comprise comme toute forme de communication qui a trait aux enjeux sociaux et qui se traduit ainsi
par la participation au débat public par un individu, un groupe, un organisme ; ce qui touche, entre autres, des
champs comme la communication des organisations, la communication politique, la communication marketing
et publicitaire, la communication journalistique, etc. La conception nord-américaine de la communication
publique s’intéresse donc moins au statut juridique (privé/public) de l’émetteur qu’aux formes et aux lieux de la
communication dans la sphère publique.
10. En effet, théoriquement, une ligne de démarcation peut être établie entre la communication publique (à la
française) et la communication politique. La première repose sur l’intérêt général alors que la seconde vise la
promotion d’un individu ou d’un parti. Ce que laisse d’ailleurs entendre la séparation fonctionnelle, au Québec (à
la différence de certaines communes françaises), entre, d’un côté, la communication du maire, gérée par le maire
lui-même ou un attaché de son cabinet et, de l’autre, la communication de la municipalité, assurée par un service en
charge de la communication rattaché plutôt au directeur général de la municipalité (Lavigne, 1995).
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11. Il a été démontré (cf. Revue internationale de communication sociale et publique, (3-4)) que la communication
s’est plus ou moins fortement institutionnalisée selon les traditions universitaires. Érigée en discipline en France
(les sciences de l’information et de la communication), elle s’est surtout développée en Amérique du Nord comme un
champ de recherche (les Communications Studies).
12. Nous ne prétendons pour autant pas proposer une recension exhaustive de tels acteurs. Il s’agit simplement
de nous en tenir à ceux qui, du point de vue de notre perspective théorique, se présentent comme les principaux
intervenants dans le processus et, après tout, ceux pour lesquels nous pouvons facilement repérer, pour les besoins
de l’analyse, des traces documentées de production discursives.
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L’université
Comme le rappelle Leeds-Hurwitz, « les disciplines sont des constructions sociales 13 » (cité
dans Robles, 2012, s.p.), et les formes de leur officialisation dans le monde universitaire leur
donnent l’apparence d’être des territoires « naturels ». Sans être le seul – ni même le premier
– lieu d’institutionnalisation de la communication territoriale, l’université n’en constitue pas
moins un producteur majeur de discours, voire, tout simplement, le principal prescripteur.
Par ailleurs, c’est essentiellement à l’université que s’est construite la communication
territoriale comme objet de recherche 14. C’est d’ailleurs à ce titre que nous choisissons de
mettre l’université en avant dans l’analyse, en rapport avec le thème de réflexion qui nous
préoccupe ici (les perspectives en sciences de la communication). L’institutionnalisation
de la communication territoriale, en particulier en France, s’est essentiellement réalisée à
l’université suivant deux axes : l’axe épistémique et l’axe pédagogique.
Un tel fait permet peut-être également de comprendre en partie pourquoi, jusqu’à la fin
des années 1990, les sciences de la communication sont devancées par la science politique
sur le thème de la communication dans l’espace local. En effet, jusqu’au tournant des
années 1990, la science politique, notamment sous l’avantage d’une meilleure implantation
institutionnelle (départements, structures de recherche comme le CERVL, ancienneté
disciplinaire, nombre d’enseignants, etc.), semble s’attribuer une légitimité « naturelle » sur
la communication des collectivités locales en tant qu’objet d’étude. Celle-ci est d’abord pensée
comme un objet politique (la question des politiques de communication locales, ou encore
la problématique de la communication comme action politique locale). On comprend ainsi
que l’un des ouvrages fondateurs dans la recherche universitaire sur ce thème en France,
L’information locale (Mabileau et Tudesq, 1980), soit institutionnellement issu du champ
de la science politique, puisqu’il est produit au sein du CERVL et sous la codirection d’un
politologue (Albert Mabileau) et d’un historien (André-Jean Tudesq). On peut citer, pour
la même période, de nombreux travaux de pionniers de la recherche sur la communication
locale issus de la science politique (Dauvin, 1990 ; CURAPP, 1991 ; Le Bart, 1992 ; Lavigne,
1993, 1995 ; Dubois, 1993a, 1993b ; Legrave, 1994 ; Bessières, 1998). Soulignons, néanmoins,
que nombre de ces universitaires, comme Alain Lavigne ou Dominique Bessières, vont
finalement rejoindre, à l’université, un département estampillé « communication ».
Bénéficiant de la légitimation par le discours universitaire, les praticiens n’ont pourtant pas
attendu ce discours pour s’engager dans un travail d’institutionnalisation et de fabrique de
la reconnaissance de leur groupe. En effet, dans les années 1970 déjà, les praticiens sont les
premiers à écrire sur la communication locale (alors appelée information locale). Une telle
littérature puise essentiellement dans le registre doctrinaire et contribue à asseoir, à défaut
d’un « savoir » professionnel susceptible d’être au moins clairement documenté, un mode
de parler sur les rapports entre la communication, la collectivité locale et le citoyen. Ainsi,
pour Roger Beaunez et Francis Kohn (1975), la démocratie locale repose sur un préalable :
« l’information dans la cité 17 ». De même, ces propos du rédacteur-en-chef du Rennais 18
de l’époque illustrent bien l’idéologie des premières années de la communication locale
professionnelle : « Beaucoup n’ont pas compris que le discours ne passait plus par un sens
politique, c’est ce qu’a enseigné la publicité et la communication moderne ; on ne peut plus
communiquer avec les outils du 19e siècle » (cité dans Dauvin, 1990, p. 70).
Les professionnels de la politique (en particulier, les élus locaux) ont d’abord assuré la
promotion de la communication locale sous forme d’implication directe dans l’action et
sur la base du flair de quelques pionniers. Les travaux présentant un aperçu historique des
pratiques de communication locale en France 23 citent régulièrement en référence le cas
22. Ceci bien que les deux associations entretiennent de multiples actions communes et que l’association
Communication publique regroupe, elle aussi, des professionnels de la communication des collectivités territoriales.
23. Pour une lecture approfondie sur cet aspect de la question : Mabileau et Tudesq (1980, 1992), CURAPP (1991),
Garry (1993), Cardy (1997b), Legrave (1994), Mégard et Deljarrie (2003).
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Les élus locaux ont également vite accaparé la communication au travers du discours.
Dans cette perspective, il a souvent été question de défendre la communication comme un
impératif démocratique. Pierre Mauroy, maire de Lille de 1973 à 2001 24, exprime ainsi sa
lecture de la place de la communication dans la vie politique locale :
L’information des citoyens, condition nécessaire à la démocratie locale, doit mettre à la disposition
de chacun les éléments permettant de se forger un jugement sur le moyen d’associer le plus grand
nombre à la vie communale et d’établir un dialogue permanent entre habitants et élus (cité dans
Dauvin, 1990, p. 67).
Par ailleurs, l’adoption de la communication par les élus s’inscrit dans une perspective
d’adaptation à la nouvelle donne du management. L’extension des responsabilités du
maire impose à celui-ci d’adopter une nouvelle posture, celle du manager, ce qui invite à
plus de professionnalisme. Or, avec la montée de la légitimation organisationnelle de la
communication des années 1980, management professionnel rime avec communication
managériale. Ceci explique également en partie, selon Garry (1993), pourquoi les élus
locaux adoptent, à cette époque, l’approche de l’externalisation de la communication de la
collectivité : en faisant appel aux cabinets externes, ils faisaient preuve de professionnalisme
dans leur management, à une époque où les compétences internes dans le domaine de la
communication étaient encore relativement rares 25.
De manière générale, les publics des territoires ne sont que très faiblement pris en
compte dans la littérature sur les questions locales et, spécifiquement, dans le champ de
la communication locale. La plupart des études privilégient l’analyse des politiques, du
personnel politique local, des contenus médiatiques et des discours, et des environnements
organisationnels.
Quelques rares auteurs ont pourtant souligné l’apport déterminant des publics dans la
construction du champ de la communication territoriale. Parmi eux, on peut citer Mégard
et Deljarrie (2003) ou encore Lavigne (1995), qui, tous, mettent en lumière le rôle joué
dès les années 1970 par des mouvements de citoyens des territoires, tels les célèbres GAM
(Groupes d’action municipale), des groupes de pression qui plaçaient au cœur de leurs
revendications le droit à un plus grand accès à l’information. Lavigne souligne ainsi le
fondement – démocratique – d’une telle implication des publics dans la constitution du
champ de la communication territoriale :
Pour les publics (citoyens, groupes d’intérêt et associations), l’information municipale peut être
définie, en substance, comme un droit d’accès. L’argument le plus fréquemment avancé est que
cette information est nécessaire à l’émergence d’une meilleure démocratie locale, en tant que
préalable à la participation (Lavigne, 1995, p. 265).
Aujourd’hui encore, même sans que cela soit explicitement reconnu par les acteurs,
l’abondante invocation par les collectivités territoriales des dispositifs dits « de
participation » (carrefours de citoyens, ateliers participatifs, etc.) apparaît, entre autres,
comme une prise en compte de tels enjeux démocratiques. Bien plus, de nouveaux réseaux
d’acteurs non institutionnels, mieux structurés et mieux outillés que ceux des années 1970,
Chris Galloway (2013), ayant effectué sur le même sujet une recherche documentaire
par Google mais limitée à l’Australie, indique n’avoir trouvé aucun document scientifique
pertinent. Du reste, plusieurs autres chercheurs (Jeffres et Lin, 2006 ; Killingsworth, 2009 ;
Simmons et Small, 2012) remarquent, dans la recherche « anglo-saxonne », la rareté de
travaux portant sur le thème de la « local government communication ». De plus, lorsque
de tels travaux existent, ils visent rarement à analyser la « communication locale » en
elle-même, mais davantage d’autres objets de la communication, appliqués à la ville ou la
collectivité locale. Autrement dit, la « local government communication » y est surtout
conçue comme un simple échelon de l’action communicationnelle de l’État, et le local
comme simplement un lieu d’implémentation de l’enquête et non comme un objet d’étude.
26. Il s’agit des revues American Communication Journal, Communication Theory, International Journal of
Communication, Journal of Communication, Public Opinion Quarterly, Public Relations Review, Canadian
Journal of Communication, Communication Research, New Media & Society, Journal of Computer-Mediated
Communication, Electronic Journal of Communication et European Journal of Communication.
27. Certes, nous ne perdons pas de vue que tous les travaux existant ne sont pas référencés en ligne, mais ce constat
n’en constitue pas moins un indicateur significatif, comparé aux centaines de travaux identifiés sur la même
thématique dans la littérature scientifique francophone.
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Ainsi, lorsqu’Amanda Sturgill (2007) parle dans son article de « Municipal Information
Web Sites and the Language Divide », sa préoccupation porte davantage sur le phénomène
de la « fracture langagière » (domination de l’anglais) dans la société américaine que sur
la notion d’« information municipale ». De même, lorsqu’Abaasi Muzenze et al. (2013)
écrivent sur « Communication Practices and Quality Service Delivery Tradition: Uganda’s
Local Government Perspective », c’est avant tout pour analyser les relations entre la
communication et la qualité du service dans les administrations publiques, avec comme
corpus d’étude les gouvernements locaux. La communication des gouvernements locaux n’y
apparaît pas comme une forme spécifique d’action produite par des acteurs donnés, mais
davantage comme un niveau d’intervention des pouvoirs publics.
On peut alors comprendre la remarque de Peter Simmons et Felicity Small, lorsque ces
universitaires qualifient la local government communication en ces termes : « a growing
but under-researched area of communication specialisation » (2012, s.p.). Traduction : un
domaine (de pratiques) de la communication en expansion, mais encore faiblement traité
comme objet de recherche. La chercheuse britannique Wendy Moran arrive à la même
conclusion :
Although there is extensive literature examining the roles of the PR practitioner, there is limited
academic research and questionable professional research on the roles of the local government
public relations practitioner 28 (Moran, 2012, s.p.).
Esquissons une synthèse théorique – dont nous savons, d’emblée, qu’elle ne peut saisir
que superficiellement les contours du problème. Il est possible d’affirmer, en reprenant
l’analyse de Dominique Bessières, que l’organisation de la vie politique locale « conditionne
les formes de la communication » (Bessières, 2000, p. 10). Ainsi, la décentralisation ne
semble pas représenter les mêmes enjeux politiques et théoriques en France ou en Afrique
francophone qu’en Amérique du Nord – le Québec faisant relativement exception –, par
exemple. Tandis que les municipalités canadiennes se battent depuis des centaines d’années
pour accéder à un statut constitutionnel, les collectivités territoriales en France ont été
investies d’un rôle de premier plan par la loi. Un pays comme le Cameroun a adopté en 1996
une constitution qui en fait un « État unitaire décentralisé ». Dans l’espace francophone
– et d’ailleurs d’autant plus dans les pays en développement –, la communication
gouvernementale sur la décentralisation fait de celle-ci un événement politique et historique
primordial. De la sorte, la décentralisation met les collectivités territoriales à l’avant-plan
de la scène en matière d’intervention publique, les poussant ainsi – lorsqu’elles en ont les
ressources comme en France – à assumer un devoir de construction de soi, de mise en
mots et de mise en scène de soi dans l’espace public national. Dans les pays francophones
africains, à défaut, pour l’instant, de pouvoir s’affirmer du point de vue communicationnel,
en raison de la faiblesse des ressources financières et du manque d’expertise, les collectivités
territoriales et la décentralisation sont surtout mobilisées dans le champ politique comme
28. Bien qu’il y ait une vaste littérature examinant les rôles du praticien en relations publiques, il n’existe qu’une
recherche académique limitée et une « recherche » professionnelle peu convaincante sur les rôles du professionnel
en relations publiques dans les collectivités locales [notre traduction].
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29. À titre d’exemple, souligne Hill, en 1995, les nouvelles mesures fiscales ont permis au pouvoir central de
contrôler 80 % des ressources fiscales locales (Hill, 2003, p. 178).
30. Nous rappelons que toutes ces données sur le fonctionnement politique local en Angleterre sont tirées de l’article
de Michael Hill cité.
La communication territoriale : constructions d’un champ | 101
territoires est aujourd’hui abondamment réinvesti sous une diversité de prismes, sans pour
autant que la pensée communicationnelle arrive à formuler clairement un cadre théorique
opératoire.
ce sens, bien qu’un auteur comme Pierre-Léonard Harvey (2014) met en avant la notion de
« délocalisation » des relations et celle de réseau, on peut dire que sa proposition de design
communautique, c’est-à-dire « la configuration d’outils collaboratifs adaptés, configurés et
personnalisés selon les groupes et les communautés de façon délocalisée » (Harvey, 2014,
p. XX), se présente également comme un nouveau paradigme pour aborder notre rapport
communicationnel au territoire et qui, en tout cas, mérite d’être testé. Dans le même sens,
le rôle joué par un acteur comme l’association Villes Internet, qui promeut l’Internet citoyen
dans les territoires 32, traduit peut-être une certaine appropriation sociale de la territorialité
numérique, faisant de celle-ci un nouvel enjeu de questionnement pour la recherche sur la
communication territoriale.
De l’autre côté, une tendance modérée, voire pessimiste, est celle de ceux qui pensent
que l’Internet opère plutôt « contre » le territoire, dans la mesure où les stratégies de
communication en ligne des producteurs de l’information dite « territoriale » (municipalités,
presse régionale) conduisent davantage à la marchandisation de l’information et, finalement,
au brouillage et à la dilution de l’information citoyenne – ou territoriale – dans de telles
stratégies (Demers, 2000, 2001 ; Pélissier, 2001, 2003).
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