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 Confidentiel

Le lobbyiste Thierry Coste, réputé proche d’Emmanuel Macron,

crée un nouveau think tank : Nos campagnes.

L’Etat programme le verdissement

Sciences-Po Paris
lance en avril une de l’Ecole polytechnique Acadomia (soutien
scolaire) prépare
Maison des arts et une évolution de
de la création. L’appel à candidatures pour la fonction de président du conseil d’administration son tour de table,
codétenu depuis 2018
Laurent Bernelas
de l’Ecole polytechnique, publié le 5 février au Journal officiel, prévoit que la par les dirigeants-
prend la tête de BVA future recrue garantisse « la prise en compte singulière des enjeux de la tran- fondateurs et
People Consulting, sition écologique et du changement climatique dans le cycle des études ». Le IK Investment. La
filiale 100 % dédiée poste sera vacant en septembre 2023. Interrogé sur l’éventualité d’une candida- société prévoit un
aux études corporate ture à sa propre succession, Eric Labaye, l’actuel président depuis 2018, s’est chiffre d’affaires de
et RH. 100 millions en 2023.
refusé à tout commentaire.  •
Lazard a restitué La CDC mène auprès
500 millions d’euros des collectivités une
aux investisseurs de Canfin travaille à enquête sur la
ses Spac (société un ISF international Alain Dinin notoriété et l’efficacité
d’acquisition à vocation Le président (Renew) de la commis- distingué de sa filiale Banque
spécifique) lancés en sion de l’Environnement au Parlement sans cliver des territoires.
Bruno Delessard/Challenges

2021 dans la santé et

la fintech. Faute d’avoir
européen, Pascal Canfin, met la der- Le cofondateur L’Assemblée plénière
trouvé des cibles. nière main à un appel pour taxer les et président des évêques de France
grandes fortunes, un texte qui sera sou- d’honneur de se prononcera d’ici à
Samuel Alimi a mis à plusieurs chefs d’Etat ou de gou- Nexity a reçu les la fin mars sur les
démissionné de son vernement pour relancer des discus- insignes de com- suites à donner au
poste de vice-président sions sur le sujet au sein de l’Union mandeur de la rapport Sauvé sur les
d’Hermione People violences sexuelles
and Brands (Michel
européenne et de l’OCDE. Légion d’honneur de Bernard Caze- au sein de l’Eglise.
Ohayon). Le président neuve. Devant, à gauche, François
Wilhelm Hubner a été Hollande et Claude Bartolone. Et à Le syndicat
révoqué le 27 janvier. droite Gérald Darmanin, Valérie Pé- professionnel
cresse ou Xavier Bertrand. Sans Mobilians a déposé
L’hécatombe continue compter cinq ministres du logement ! un recours devant le
dans la distribution Conseil d’Etat
textile. En concernant un décret
Alain Rolland/Rea

redressement encadrant le traitement

judiciaire, Symbiose Ionity monte en puissance des véhicules
(31 points de vente, L’opérateur de bornes de charge ultra- hors d’usage.
88 salariés) doit rapide Ionity (Volkswagen, BMW, Mer-
trouver un repreneur cedes...) va installer près d’Avignon, sur Président de Saint-
avant le 15 mars. Senequier sous la Coupole Gobain, Pierre-André
l’A7, deux stations de 16 points de de Chalendar
Samsung Electronics Le 10 février, la présidente d’Ardian, charge de 350 kW, bien plus que les 6 rejoint le conseil
envisage d’implanter Dominique Senequier, a été nommée à habituellement proposés. Un type d’im- d’administration
une méga-usine en l’Académie des sciences morales et plantation qui pourrait devenir la de Bpifrance en tant
Europe. La France politiques (Institut de France). norme. que « personnalité
est dans la course. qualifiée ».

Via son holding

Carrefour ne séduit pas Michelle Obama coûte cher Epaulé par Rothschild
personnel, Olivier la CGT pour la Saint-Valentin La maison d’édition Flammarion n’a & Co, AccorInvest
Ginon (GL Events) La direction du distribu- vendu que 49 000 exemplaires de Cette étudie un
a cédé pour 1 million teur a dû renoncer à lumière en nous. Compte tenu des à- refinancement
d’euros d’actions mettre au niveau de ses valoir, l’opération se solde par une de sa dette.
du groupe. caisses pour la Saint-Va- perte de plus de 2 millions d’euros.
La PME familiale
Alibaba réalise 98 %
lentin certains ballons Confor’Table
Challenges

de ses ventes via les de baudruches en forme Biocoop souffre (restauration collective)
smartphones dans de cœur. En cause, le L’enseigne (45 % de part de marché sur a fait l’objet d’une
le monde. En France, message inscrit sur ceux-ci : « Viens, on le secteur des magasins bio) a vu son liquidation judiciaire
ce n’est que 50 %. s’envoie en l’air… » La CGT a jugé le chiffre d’affaires reculer de 6 % en 2022, le 2 février.
propos « absolument répugnant » et sous 1,5 milliard d’euros. Le parc de
« ubuesque » vis-à-vis des caissières. 773 magasins sera légèrement réduit.

Sommaire en pages 16 et 17
16 FÉVRIER 2023 - CHALLENGES N°774  5
 Confidentiel

Le PCF est le parti qui a reçu le plus de dons de particuliers en 2021, avec
5,3 millions d’euros. Devant Renaissance (4,7 millions) et LR (3,6 millions).

En toute indiscrétion
La présidence du Christine Pirès
groupe des sénateurs Denormandie manque Beaune (PS) veut faire
macronistes (RDPI) aux agriculteurs intervenir Florent
qu’occupe François Le ministre de l’Agriculture en titre est Menegaux (Michelin)
Patriat pourrait être devant la commission
disputée après
Marc Fesneau, mais celui donc les agri­ des Finances de
les sénatoriales de culteurs en colère réclamaient le retour l’Assemblée nationale
septembre. Deux noms lors de leur manifestation du 8 février pour appuyer son

G. van der Hasselt/AFP

cités : Jean-Baptiste était Julien Denormandie, son pré­ combat en faveur
Lemoyne (Yonne) décesseur, très apprécié pour son effi­ de la taxation
et Xavier Iacovelli cacité et sa proximité avec le chef de des superprofits.
(Hauts-de-Seine).
l’Etat. Sur quelques tracteurs était Deux recrues au
Boris Vallaud, inquiet affiché ce message : « Rendez-nous cabinet de Marc
de la capacité Julien ! » Bien reçu ? Chat GPT remplacera bientôt Fesneau (Agriculture) :
d’une liste PS aux Dumont et Pradié Valérie Hatsch
européennes à franchir Roux de Bézieux redoute Excédé par les positions des députés comme directrice et
la barre des 5 %, la sortie de crise LR Aurélien Pradié et Pierre-Henri Sylvain Maestracci
estime que Raphaël (forêt et planification
Glucksmann reste
Le patronat est inquiet d’un éventuel Dumont à l’Assemblée, Eric Woerth écologique).
peut-être la meilleure passage en force de la réforme des (Renaissance) ne leur prédit pas un
cartouche. retraites. A un dirigeant syndicaliste, grand avenir. « C’est typiquement le Dans le viseur du
Geoffroy Roux de Bézieux, le président genre d’attitude qui fait que l’intelli- président de LR
Le sénateur Jérôme du Medef, a confié : « Si on ne trouve gence artificielle remplacera bientôt Eric Ciotti, Aurélien
Bascher lance pas une sortie par le haut, je redoute les élus, écorne le député de l’Oise. Il Pradié a promis
un contrôle budgétaire de réduire sa voilure
sur les prêts garantis
les ravages de l’amertume sur le climat suffit de brancher ses capteurs sur les médiatique.
par l’Etat (PGE) et social. » sondages et dire ce que les gens ont Il a décommandé
les risques pour les envie d’entendre en espérant qu’ils des rendez-vous avec
finances publiques. votent pour vous. Mais la France mé- des journalistes du
rite mieux que ça. Dans la vie, il faut Monde et du Point.
L’ex-député LREM du courage, et la démagogie est le
Jean-Baptiste Moreau Gérald Darmanin
crée son activité
contraire du gaullisme. » (Intérieur) a reçu
conseil. Il renonce plusieurs sénateurs LR
au statut d’exploitant Le RN s’embrouille sur le Place Beauvau. Pour
agricole tout en régime spécial de la RATP leur vendre son projet
A. Breznay/Réa

restant associé de Plus disciplinés que les Insoumis dans de loi sur l’immigration.
sa ferme creusoise. le débat sur la réforme des retraites, les
Thomas Cazenave
Face aux attaques
députés RN n’ont pu éviter d’afficher et Eric Woerth
contre Olivier Dussopt leurs divergences internes sur la ques­ (Renaissance) veulent
(Travail), une boucle Les retraites n’affecteront tion sensible du régime spécial des réactiver le projet de
Telegram de soutien pas les européennes retraites de la RATP. Alors que Jean- « conseiller territorial »,
au ministre s’est Une majorité de Français sont opposés Philippe Tanguy a appelé le 7 février à siégeant à la fois
constituée, avec à la réforme des retraites. Mais, note ce que « les chauffeurs de bus de toute à la région et au
plus de 80 députés département.
de la majorité.
un proche d’Emmanuel Macron, « les la France bénéficient du régime de la
mêmes sont persuadés que la loi sera RATP », sa collègue Laure Lavalette a L’ex-député LREM
Retourné à la vie votée et appliquée. Cela laissera peut- soutenu le lendemain un amendement Didier Baichère
universitaire, l’ex- être de l’amertume. Mais après le mou- pour supprimer le régime en 2035. rejoint l’Etablissement
député Cédric Villani vement des “gilets jaunes”, beaucoup français du sang,
garde une casquette prophétisaient des conséquences dé- Véran s’attaque aux plantes comme directeur
politique comme vertes de Bayrou des relations sociales.
membre du comité de
sastreuses pour la majorité. Et aux
pilotage des états européennes qui ont suivi, notre liste Le porte-parole du gouvernement Philippe Mollard
généraux de l’écologie pourtant guère aidée par sa tête a fait Olivier Véran peut parfois être un peu (Cour de cassation) est
lancés par Marine un score plutôt bon [Nathalie Loiseau à exaspéré par les sorties de François nommé président du
Tondelier (EELV). 22,4 % en 2019]. Alors, pour peu qu’on Bayrou. Au point de rebaptiser le Haut- Tribunal des conflits.
change de tête de liste, on fera encore Commissaire au Plan « Haut-Commis-
mieux ! » saire aux plantes vertes ».

6  CHALLENGES N°774 - 16 FÉVRIER 2023

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Sophie Louvancour, venue de Matignon et ex-Havas, remplace Franck
Pasquier à la communication du ministre du Numérique Jean-Noël Barrot.
VSD, le magazine
de Georges Ghosn et
Entreprendre-Lafont
Presse, en liquidation
judiciaire, a réalisé
2,9 millions d’euros de
chiffre d’affaires sur
son dernier exercice.
La production du film
La Vie pour de vrai,
avec Dany Boon,
Charlotte Gainsbourg
et Kad Merad,
en salles le 19 avril,
a signé un contrat de
licence avec le Club
Med pour l’utilisation
du nom de l’entreprise
de voyages et le
tournage de plusieurs
scènes dans un
Adjou/M6
village-club ainsi qu’au
siège du groupe.
Lactalis a retenu
l’agence FHCOM pour
ses relations presse,
centrées notamment
autour de la
valorisation du
savoir-faire laitier. Sa
première collaboration
avec une agence
indépendante.
La Société civile
des producteurs
phonographiques
observe le
développement
important du livre
audio, notamment
sur les plateformes
musicales. Mais
« il n’y a aucune mesure,
aucune étude d’usage.
Il faudra le faire ».
Le dernier défilé
Mugler de la Fashion
Week 2023, qui
cumule plus de
1,56 million de vues
sur TikTok, a été
conçu, réalisé
et produit par la
maison française
indépendante Division.
8  CHALLENGES N°774 - 16 FÉVRIER 2023
Médias
Par Thuy-Diep Nguyen
M6 multiplie les gages
pour assurer son avenir
« M6 voit loin, se réinvente… » A en
croire la vidéo d’ouverture, ce 13 fé-
vrier, l’exposé des résultats de M6 était
une répétition générale pour Nicolas de
Tavernost. Le 15, c’est devant l’Arcom
que le président plaidait l’avenir de la
chaîne pour renouveler sa fréquence.
Avec plus de 20 % de part d’audience
auprès de la femme responsable des
achats de moins
de 50 ans, cette
fréquence est
vitale. Pour la
première fois,
Tavernost a un
rival, Xavier Niel.
« Pas question
qu’un type qui a
voulu nous racheter nous morde les
mollets en nous traitant de ringards »,
peste un cador de la chaîne. A l’Arcom,
M6 est venu en masse : 19 lieutenants,
plus Marie Cheval (Carrefour), au
conseil de surveillance et présidente du
comité des rémunérations.
M6 doit donner des gages. « Depuis
l’échec de la fusion, son avenir n’est
que point d’interrogation », disait une
note d’AlphaValue mi-janvier. Si l’action
résiste depuis ce mariage raté (14 eu-
Auteurs et créateurs sont prêts
à traîner TikTok en justice
Puisque TikTok ignore superbement
les droits d’auteur, la Société des
auteurs et compositeurs dramatiques
(SACD) se tient prête à assigner le
réseau social. Circassiens, humoristes,
réalisateurs… « Les adhérents sont
susceptibles de retrouver leurs œuvres
en petits morceaux sur des comptes de
vidéastes inconnus qui parfois les
monétisent », dit la SACD, qui regroupe
plus de 50 000 membres.
Ces usines à contenus sont diaboliques :
quand le véritable auteur veut poster
son travail, TikTok le retoque. Des hu-
« Principal concurrent »,
« une autre grande
chaîne concurrente »…
ros), elle est loin des plus hauts d’avant Fiancés durant
quinze mois, TF1
la crise sanitaire (23 euros). Le groupe et M6 ont réussi
affiche 24,6 % de marge opérationnelle, l’exploit de ne jamais
malgré la baisse du chiffre d’affaires prononcer le nom
(- 2,4 %) et du profit net (- 40 % à 166 mil- de leur ex-promise
lions d’euros). Mais ce totem, un record lors de la présentation
en Europe, ne suffit plus. Surtout avec de leurs comptes
annuels mi-février.
un marché de la publicité télé tricolore
atone en 2023, selon Barclays. 43 % des lecteurs
Depuis janvier, M6 multiplie les pro- de Télé 7 Jours
messes : accords tous azimuts sur les n’achètent aucun
contenus, telle l’augmentation à 11,5 % autre titre de presse.
de la part de son chiffre d’affaires publi-
La proposition de loi
citaire pour les œuvres patrimoniales. pour créer un statut
Gouvernance rajeunie, avec trois nou- d’influenceur doit être
veaux membres au directoire, dont débattue le 27 mars à
Guillaume Charles, patron des an- l’Assemblée nationale.
tennes et contenus et dernier dauphin
présumé en date. Le site Internet
de produits tech
« Transition générationnelle » qui Les Numériques
épargne Tavernost, 72 ans, dont le teste désormais
mandat finit en 2025. Pas question de des sex-toys. Un label
partir quand le navire tangue. « Quand tech plus durable voit
vous êtes dans une bataille, vous n’en- également le jour.
visagez pas la retraite, dit-il. La
Léa Boccara,
retraite est d’ailleurs une chose que je responsable du
n’envisage pas. » Depuis décembre, pôle juridique de
Rodolphe Saadé (CMA CGM), action- l’Alliance de la presse
naire à plus de 8 %, veille aussi au grain. d’information générale
Il entre au conseil de surveillance. • (Apig), et Anna Romy,
juriste à l’Apig,
rejoignent la
Commission commune
pour la rémunération
des journalistes
et autres auteurs au
titre du droit d’auteur
moristes sont pillés : ils entendent leur et du droit voisin.
voix, leurs textes et découvrent leurs
sketchs mimés par des adolescents. Le Retrouvez la
problème est moral et patrimonial. chronique économique de
Les premiers contacts ont tourné court Gilles Fontaine
car, explique Pascal Rogard, directeur Le samedi
général de la SACD, « TikTok voulait à 7 h 10 dans LE 6/9
d’ERIC DELVAUX
rendre confidentiel le simple fait de
discuter avec eux dans l’idée de signer
un contrat de droit d’auteur ». Si la si-
tuation s’envenime, il sera compliqué
pour le Festival de Cannes de conser-
ver le partenariat signé l’an dernier
avec le réseau social. Vé. G. Fréquence Paris : 87,8 MHz
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 Radars
Par Antoine Izambard

L’ambassadeur Philippe Etienne va rejoindre l’université de Columbia en

tant que professeur invité en affaires publiques et relations internationales.

La Société générale n’en a pas

Coprésidée par
l’eurodéputé RN
Thierry Mariani,
encore fini avec la Russie Le 25 janvier, lors
de son déjeuner avec
Emmanuel Macron,
l’association Alassane Ouattara
Dialogue Franco- Mercredi 8 février, la a interrogé le chef de
Russe, a tenu Société générale a an- l’Etat sur le « soutien »
le 9 février une noncé la division par de la France en cas
conférence sur le trois de son bénéfice net de déstabilisation
thème « la fabrication en 2022. La cession pré- du pouvoir. Après les
de l’ennemi dans les coups d’Etat au Mali
démocraties qui cipitée au printemps et au Burkina Faso,
vendent la guerre », dernier de sa filiale Ros- le président ivoirien
en présence de bank, deuxième banque redoute que certains

l’ex-haut fonctionnaire
de la Défense Pierre
Conesa.
Les sénateurs
Vincent Delahaye
et Rémi Féraud,
qui enquêtent sur la
gestion immobilière
du Quai d’Orsay, se
rendront, début mars,
dans les services
diplomatiques à
Madrid et Barcelone.
Les fonds spéciaux
mis à disposition
des services de
renseignement
par Matignon
en 2023 s’élèvent
à 76 millions d’euros.
Les « services » ont
dépensé plus que
cette enveloppe en
raison d’opérations
liées à la guerre
en Ukraine.
A. Geodakyan/Tass/Sipa
de détail en Russie éléments de l’armée
qu’elle contrôlait depuis proches de
2008, lui a fait perdre l’opposition ne
passent à l’action.
3,2 milliards d’euros. Et
voilà que le groupe fran- Le président de
çais doit encore gérer Siège de Rosbank, à Moscou. La vente de sa filiale russe la commission des
une de ses vieilles af- a fait perdre 3,2 milliards d’euros à la banque française. Affaires européennes
faires. L’établissement de l’Assemblée
bancaire est en effet dans le viseur des New York, qu’elle lui communique des Pieyre-Alexandre
Anglade
avocats de l’homme d’affaires suisse informations sur son client. Petrillo, en (Renaissance)
Gerhard Ammann, qui reprochent à la faillite, n’a pu rembourser et a été se rendra à Kiev en
Société générale d’avoir manqué à ses condamné à trois ans de prison pour mars pour travailler
obligations de due diligence. En cause, escroquerie en 2018 en Russie. au processus
des virements effectués en 2009 et « La Société générale n’a pas effectué d’intégration de
2010 par Ammann vers le compte, chez les contrôles nécessaires et aurait dû, l’Ukraine au sein de
l’Union européenne.
Rosbank, d’un businessman anglais compte tenu du profil de son client,
résident russe, Vincent Petrillo, dans le bloquer les transactions », soutient L’ex-ambassadrice
cadre d’un vaste projet immobilier en l’un des avocats de Gerhard Ammann. à Pékin et Moscou
Biélorussie. Une version que conteste la banque, Sylvie Bermann
Escroqué par Petrillo, Ammann, qui qui argue du secret bancaire pour ne a été renouvelée à la
affirme avoir perdu 80 millions de pas transmettre à la justice américaine présidence du conseil
d’administration
dollars dans cette affaire, a obtenu en des informations sur son sulfureux de l’Institut des
2016 d’un tribunal londonien que son client. Dans un courrier du 23 janvier, hautes études de la
ex-associé lui verse 15 millions de la Société générale a indiqué aux défense nationale.
dollars, et exige de la Société générale, avocats d’Amman avoir respecté ses
devant la Cour suprême de l’Etat de obligations. •

Les exportations asiatiques vers Moscou L’Afrique de l’Est tire tout le continent. La French Tech performe en Europe.
fléchissent. Sous l’effet des sanctions Alors que la croissance de la zone s’est Avec 13,6 milliards d’euros levés,
occidentales, de plus en plus de pays relativement maintenue durant la crise le millésime 2022 a été un bon cru pour les
Evolution des exportations réduisent leurs Croissance du PIB sanitaire, la Banque Levées de fonds en 2022 sociétés tricolores,
vers la Russie échanges de l’Afrique de l’Est (en %) africaine de (en milliards d’euros) qui battent le
(en décembre 2022, en %) commerciaux avec la développement table record de 2021
5,6 Royaume-Uni
Chine 21,6 (11 milliards). La
+8
Russie. Si la Chine sur une hausse du
reste un partenaire 5,2 PIB de 4 % et 3,9 % France France se classe en
Taïwan
- 22
majeur et que ses en 2023 et 2024. 13,6 deuxième position,
exportations sont 4,8 L’Afrique de l’Est, Allemagne
derrière le Royaume-
Japon
- 32 à un niveau stable, avec + 5 et +5,4 % 8,9 Uni et devant
celles du Japon, de attendus, fait office l’Allemagne, où
Corée du Sud 4,4 Suède
- 53 la Corée du Sud et de bon élève. 4,7
les levées de fonds
de la Malaisie ont L’Afrique australe sur un an ont chuté
Malaisie
fortement chuté en 4 2022 2023 2024 (2,3 et 2,8 %) devrait Espagne respectivement
- 62 ESTIMATION PRÉVISION
2,9
SOURCES : ETATS. décembre dernier. SOURCE : BANQUE AFRICAINE DE DÉVELOPPEMENT. être plus à la peine. SOURCE : ESSEC. de 20 % et 45 %.

10  CHALLENGES N°774 - 16 FÉVRIER 2023

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L’inflation fait des ravages aussi

dans le budget de l’Etat LEÇON N° 1
Le retour de bâton est douloureux. Après l­’enseignement scolaire. Cette hausse Illusion
des années de relative insouciance budgé- ­brutale résulte surtout du choc inflation- Alors que la dette
taire, liée à la baisse continue des taux d’in- niste, alors que 12 % des obligations d’Etat publique n’a cessé de
térêt, l’Etat a vu le coût de sa dette bondir sont directement indexées sur l’évolution grimper depuis la crise
financière de 2009,
de 34 % en 2022, pour atteindre 51,5 mil- des prix. Mais elle tient également à la pro- les intérêts payés par
liards d’euros. La charge financière pourrait gression inexorable de la dette publique, qui l’Etat se sont atténués
ainsi dépasser le niveau des dépenses mili- se rapproche des 3 000 milliards d’euros, et à de 2012 à 2019 et
taires (dont le montant définitif pour l’année la remontée des taux de la Banque centrale même durant la crise
passée n’est pas encore connu) et redevenir européenne, qui devrait produire ses effets sanitaire de 2020. Un
le deuxième poste budgétaire, derrière dans les années à venir.  David Bensoussan paradoxe qui s’explique
par la politique
très accommodante
de la Banque centrale
européenne dans
un contexte d’inflation
Evolution (en milliards d’euros) basse.

55
LEÇON N° 2
Militarisation
Depuis les attentats
2022 de 2015, François
Choc inflationniste, Hollande puis
remontée des taux. Emmanuel Macron
ont mis le paquet
sur le budget de
la Défense, renouant
avec les créations
de postes de militaires.
50 Un effort qui s’accentue
2012 avec le soutien à
2022 l’Ukraine et la nouvelle
La Banque centrale Début du conflit
européenne initie loi de programmation
russo-ukrainien. militaire pour la période
sa politique de
rachat de dettes et CHARGE DE 2024-2030.
de baisse des taux.
LA DETTE DE L’ETAT LEÇON N° 3
Inflation
Le choc inédit sur
2018
45 les prix en 2022 a
Loi de programmation provoqué une hausse
militaire avec comme brutale de la charge
objectif de porter de la dette, en partie
le budget à 2 %
du PIB en 2025. indexée sur l’inflation.
Une tendance qui
devrait se poursuivre
BUDGET DE dans les années à venir
LA DÉFENSE avec la remontée
(PENSIONS INCLUSES) des taux de la BCE.
L’inflation alourdit aussi
40 les dépenses militaires
2020 en poussant à la
Crise sanitaire. hausse les dépenses
2015 de carburant, les
La faiblesse de l’inflation
Attentats à Paris. et des taux allège salaires et les pensions
Le président la charge de la dette. des fonctionnaires.
Hollande muscle
le budget
de l’armée.

35
2010 2011 2012 2013 2014 2015 2016 2017 2018 2019 2020 2021 2022(e)

SOURCE : DOCUMENTS BUDGÉTAIRES

12  CHALLENGES N°774 - 16 FÉVRIER 2023

 Regards

Le moteur de Google détient 85 % du marché mondial de la recherche sur ordinateur

et 96 % sur mobile.
Le tremblement de terre le plus meurtrier du xxie siècle a provoqué plus de 316 000 morts.
C’était en 2010, en Haïti.
Plus de 1 milliard de personnes dans le monde souffrent de troubles visuels.
Après une baisse de 31 % en 2020, le nombre de mariages en France a progressé de 41 %
en 2021 et de 12 % en 2022.
Nombre d’aéroports internationaux : 116 aux Etats-Unis, 88 en Chine, 32 en France.
80 % des boutons de fermeture des portes d’ascenseurs sont inactifs.
Salaire annuel moyen d’un joueur de basket de la NBA : 8,32 millions de dollars.
Un joueur de foot de la Liga espagnole touche 2,55 millions.
Les Etats-Unis représentent 33 % des investissements directs étrangers
dans l’Union européenne.
Tesla réalise 9 754 dollars de profit par véhicule vendu, 8 fois plus que Toyota.

En direct de mon Open Space, par James

© James - Dargaud/2023

14  CHALLENGES N°774 - 16 FÉVRIER 2023

 N° 774 - 16 février 2023
MUSSOLINI : L’ASCENSION DU FASCISME

Evénement
S. Boivin/AFP

Les milliards du CAC 40 font polémique

FÉVRIER 2023 – N° 914

Les résultats des grandes entreprises, en particulier ceux de

TotalEnergies, relancent le débat sur les « superprofits », qui divisent
la classe politique mais aussi les économistes. p. 18

Actuellement Avant-premières 28 Dossier. Et si Emmanuel Macron

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14 Regards.L’Open Space de James.
36 Aides à domicile sans contrôle.
38 Des milliards versés à l’aveugle
Evénement dans l’immobilier.
18 Les méga-profits du CAC divisent. 40 Les grandes entreprises accros
21 Vinci Autoroutes encaisse au crédit d’impôt recherche.
les bénéfices et les critiques.
Monde
22 Biden s’attaque aux 200 milliards.
23 L’édito d’André Comte-Sponville.
42 Dubai, refuge de l’élite russe.
44 La Corée du Sud achète sa place
France dans la course aux puces.
24 Guerre de succession à la CGT. 46 Réserves en série pour livrer
25 L’édito de Nicolas Domenach. des avions à Kiev.
26 La mixité au lycée en progrès. 47 L’homme derrière la chute
27 L’édito de Ghislaine Ottenheimer. du milliardaire indien Adani.

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16  CHALLENGES N°774 - 16 février 2023

 France
Les tabous Avant-propos
par Vincent Beaufils
fiscaux
au crible

R. Gaillard/Pool/Abacapress.com
Impôt sur la
fortune, succession,
Tabous fiscaux
aides à domicile,
taxe foncière : ce
qu’Emmanuel Macron
Pas de magie
et Bruno Le Maire
pourraient faire. p. 28 FRANÇOIS HOLLANDE CONSEILLER FISCAL ! Non,
vous n’avez pas la berlue : c’est bien l’ancien président
de la République socialiste que nous avons sollicité pour
notre enquête sur les « tabous fiscaux ». Pas seulement
parce qu’il est, parmi les trois derniers occupants de
Entreprise l’Elysée, celui qui – surprise – a le moins augmenté les
prélèvements obligatoires. Il est vrai qu’il a été épargné
Le scénario par la crise financière de 2008 et l’épidémie de Covid-19.
catastrophe Mais c’est aussi François Hollande qui, dans une
de Disney interview mémorable à Challenges, avait estimé que
Le géant américain le taux maximum de l’impôt sur le revenu ne pouvait
du divertissement L. Viteur/Getty Images/AFP dépasser 40 % ! Il était alors candidat, ce qui ne l’a pas
doit enrayer au plus empêché, plus tard dans la campagne, de prôner un
vite le déclin de ses barème exceptionnel à 75 % sur les très hauts revenus
activités historiques – mesure spectaculaire qui sera censurée par le Conseil
tout en rentabilisant constitutionnel, mais qui a peut-être contribué à faire
les récentes. p. 66 basculer le scrutin de 2012. Avant d’être un fiscaliste hors
pair, l’ex-président est d’abord un homme politique…
Ce qui ne dévalorise pas forcément son expertise.
48 Leaders. Après le séisme turc, 66 Disney cherche la formule pour Alors que retenir de ses propos ? D’abord, comme
Erdogan peut trembler. raviver sa magie, alors que son Nicolas Sarkozy et Emmanuel Macron, actant que « les
49 Les économistes du Bien ex-PDG, appelé à la rescousse, Français ne sont pas prêts à voir leur modèle social
Commun. Paul Krugman. est accueilli comme un héros. revu à la baisse », il n’imagine guère que les déficits
72 Santé et sciences. puissent être réduits par des coupes budgétaires, et donc
Entreprise s’attend à une hausse des impôts. Ensuite, il rejette sans
50 Le chinois BYD attaque l’Europe Luxes ambiguïté les solutions populistes visant à réserver
automobile par le premium. 74 Création. Les joailliers Tournaire. celle-ci aux seuls très hauts revenus : « Le discours qui
51 Toyota, roi du Made in France. 77 Griffe. Jaquett.
52 La stratégie d’Orange passe
laisse croire qu’il suffirait de taxer les grandes fortunes
78 Mode. Tendance polaire.
au second plan. pour résoudre tous les problèmes de financement du
79 Horlogerie. Tissot.
54 Chat GPT devance Bard. 80 Gastronomie. Nicolas Beaumann.
pays me paraît illusoire », précise-t-il, qualifiant même
55 Chapsvision, crack de 81 Automobile. Maserati Grecale. de « fiscalité magique » le prélèvement exceptionnel
la cybersécurité. de 400 milliards sur les 500 premières fortunes de
56 James Dyson aspire à toujours Cultures Challenges prôné par Thomas Piketty. Mais reprenant
plus d’innovation.
58 L’Odyssey périlleuse de Chatel. 82 Ecrans et scènes. néanmoins sa proposition de préremplir les déclarations
60 Le Club. Edouard Schumacher 84 Arts. Bilan des ventes 2022. à l’Impôt sur la fortune immobilière… Enfin, à l’heure
(LS Group). 88 Livres. où la réforme des retraites fait face à toutes
62 Document. La tactique tchèque 90 Double Je, par Nicolas Domenach les oppositions, il rappelle que Sarkozy comme lui-même
de Daniel Kretinsky en France. et Pierre-Henri de Menthon. s’étaient résolus à un geste pour faire passer leur texte
PUBLICITÉ Direction administrative et financière Jaye REIG.
en 2010 et 2014, augmentant symboliquement la tranche
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quand il parle fiscalité, et de hauteur de vue quand
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le mois dernier, il a lancé « l’appel de Londres » pour
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– 8e Sommet de l’Innovation » jetées sur couverture
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16 FÉVRIER 2023 - CHALLENGES N°774  17

Evénement
Le temps des milliards
du CAC 40
Les résultats des grandes entreprises, en particulier ceux
de TotalEnergies, relancent le débat sur les « superprofits » qui divise
la classe politique, mais aussi économistes et patrons.
U
n récif gigantesque s’est
dressé au beau milieu
du débat sur la réforme
qui vise à trouver 18 mil-
liards d’euros d’économies d’ici à
2030 pour équilibrer le régime des
retraites. Une paille par rapport à
l’argent qu’ont gagné l’an dernier les
grandes entreprises. Trois multina-
tionales françaises (LVMH, action-
naire de Challenges, BNP Paribas
et TotalEnergies) affichent pour
2022 des bénéfices à 11 chiffres.
Le champion de l’année est bien
sûr TotalEnergies qui bénéficie de
l’envolée des cours du gaz et du
pétrole dans le sillage de la guerre
en Ukraine. Selon le communiqué
de l’entreprise, sans les déprécia-
tions liées à la Russie, le bénéfice
aurait atteint 36 milliards de dollars
(33,5 milliards d’euros). Mieux que
les concurrents Chevron et BP.
Le PS fait marche arrière
Et pourtant, le 8 février au matin,
l’action du groupe dévissait de plus
de 2 %, plus forte baisse du CAC 40.
« Le fait qu’ils aient produit des
chiffres excellents sur la période où
les prix à la pompe explosaient peut
les exposer à une surtaxation, voire
les obliger à faire des remises à ve-
nir », estimait un trader parisien.
L’an dernier, le pétrolier a fait plu-
sieurs ristournes sur les carburants.
Un geste qui lui a coûté 550 millions
d’euros. Refaire une remise cette
année, le PDG Patrick Pouyanné est
18  CHALLENGES N°774 - 16 FÉVRIER 2023
Un niveau sans précédent tation sociale. La séquence s’est fi-
Distribution aux actionnaires du CAC 40
nalement bien passée pour la majo-
(en milliards d’euros) 80,2 rité. Dans la rue et à l’Assemblée
69,4 nationale, c’est encore et toujours la
60,2 L’an dernier, les réforme des retraites qui mobilise.
56,5 entreprises du Les députés socialistes, le 9 février,
45,6 CAC 40 avaient ont même retiré la proposition de
49,2 36
déjà versé taxation des superprofits qui figurait
56,5 milliards dans leur « niche parlementaire ».
28,6 d’euros de
23,8 23,7 « Elle n’avait aucune chance d’être
11 dividendes aux
7,4 actionnaires, adoptée, c’est un repli stratégique »,
2019 2020 2021 2022 selon la lettre se justifie la dépositaire du texte, la
dont dividendes dont rachats d’actions SOURCE : VERNIMMEN.NET.
Vernimmen. députée Christine Pirès Beaune qui
Profits des sociétés Le montant total balance tout de même quelques
(en milliards d’euros) dépassait même scuds au passage : « Nous nous
19,1 80 milliards, sommes heurtés de plein fouet au
en y ajoutant les
23,7 milliards de
mur libéral de Renaissance et des
14
rachat d’actions. Républicains et au dogmatisme du
2 10,2 Un record absolu. président de la République. »
Pour 2022, trois
3,9 5,7 multinationales Le RN monte au créneau
9,5 françaises
6 5 Aux Etats-Unis, Joe Biden, en fin
3,3 affichent des
bénéfices à
politique, n’a pas hésité à dénoncer
TotalEnergies LVMH BNP Paribas L’Oréal
dont dividendes dont rachats d’actions SOURCES : SOCIÉTÉS, CHALLENGES. 11 chiffres. dans son discours sur l’état de
l’Union (lire page 22) les « scanda-
leux » bénéfices des majors du pé-
« prêt à l’envisager » à la grande trole, mettant en avant de nouvelles
satisfaction du porte-parole du gou- taxes sur les sociétés. Rien de tel du
vernement Olivier Véran : « J’ai en- côté d’Emmanuel Macron, qui par-
tendu la volonté de Total de mettre tage sur ce point la doxa de son mi-
en place une ristourne et nous l’ac- nistre de l’Economie et des Fi-
cueillons favorablement. » nances Bruno Le Maire. « Les
Donner des gages, lâcher du lest : le superprofits, je ne sais pas ce que
patron de TotalEnergies et l’exécu- c’est », avait lancé ce dernier au sor-
tif sont sur la même ligne. Tout faire tir de l’été, devant le Medef. Une
pour éviter que le « pognon de position qui, pour l’opposition, défie
dingue » de la multinationale et du l’entendement. « Ils sont complète-
CAC 40 ne provoque une bataille ment obsédés par l’idée qu’ils ont
politique et vienne attiser la contes- envoyé un signal économique au
 Patrick Pouyanné, PDG de TotalEnergies, au Congrès mondial du pétrole, à Houston, en 2021. Avec l’envolée des cours du baril liée à la guerre
en Ukraine, le groupe a dégagé 19,1 milliards de bénéfices en 2022. Son patron est « prêt à envisager » une nouvelle ristourne sur les carburants.
reste du monde comme quoi la
France baissait les impôts, qu’elle
était pro-business, c’est une forme
de catéchisme », persifle le vice-pré-
sident du groupe Rassemblement
national à l’Assemblée, Jean-Phi-
lippe Tanguy. Les députés RN se
montrent particulièrement actifs à
l’heure de corriger les excès du ca-
pitalisme. En octobre, ils ont appor-
té leurs voix à l’amendement du
député MoDem Jean-Paul Mattei au
Budget, pour taxer les « super-divi-
dendes » (lire page 34). Pour Jean-
Philippe Tanguy, « on est là au cœur
du marinisme. Historiquement le
M. Morrison/Redux/Rea
populisme c’est la défense du ci-
toyen propriétaire et l’idée que tout
excès de richesses affaiblit l’égalité
entre les citoyens. Nous avons pour
objectif de combattre les abus du
bas, mais aussi de combattre les
abus du haut ». Une conviction qui
a surpris et gêné la gauche : « Ils
étaient prêts à aller très loin pour
voir une taxation sur les superpro-
fits adoptée, témoigne une élue de la
Nupes. Quitte à baisser le seuil de
déclenchement de la taxation. »
Les syndicats négocient
Face à cette coagulation des opposi-
tions, la majorité cherche le bon ton.
Le rapporteur général du Budget
Jean-René Cazeneuve (Renais-
sance) est sur la ligne du locataire de
Bercy. Les superprofits ? « La fluc-
tuation de la vie des entreprises. »
Les taxer ? « Il y a sur le sujet un
record de démagogie. » Derrière ce
tir de barrage, il y a une troisième
voie, celle du « partage de la valeur »
16 FÉVRIER 2023 - CHALLENGES N°774 
au sein des entreprises. Ce n’est
peut-être pas un hasard si TotalE-
nergies précise que « 65 000 action-
naires salariés se partagent
700 millions d’euros de dividendes,
contre 475 millions l’an dernier ».
La résurrection d’une vieille idée
gaulliste, ce partage de valeur.
Alors que les négociations sur le
sujet entre syndicats et patronat
traînaient en longueur, la onzième
et ultime séance entre partenaires
sociaux a accouché d’un projet
d’accord le 10 février. Une série de
propositions qui doivent encore
être soumises à la signature des ins-
tances nationales des syndicats d’ici
au 20 février. Un vrai petit miracle.
D’autant que le texte comporte une
mesure visant à « mieux prendre
en compte » les résultats ex- uuu
19
Evénement
de la vente de sa filiale américaine
La voie du bien commun Bank of the West. Un pactole excep-
tionnel de 5 milliards d’euros venant

V
oilà un livre qui tombe
à point nommé. Et fera
date. Le professeur
de finances Alex Edmans,
diplômé d’Oxford et du MIT
(Massachusetts Institute of
Technology), est une star
montante qui après un
passage au sein de la
banque d’investissement
Morgan Stanley a enseigné à
Wharton (Pennsylvanie) avant
de rejoindre la London
Business School.
Son postulat de départ est
que la valeur créée par les
entreprises n’est pas fixe,
mais a vocation à croître.
A la théorie du « partage
du gâteau » (pie-splitting),
il substitue celle de
la « croissance du gâteau »
(pie-growing), une forme de
cercle vertueux servant à
nourrir les actionnaires, mais
aussi les autres parties
prenantes (salariés, clients,
citoyens…). Edmans fait du
pie-growing un objectif de
gestion, pas forcément lié à
la maximisation du profit ou
à l’augmentation de l’activité
économique. Une exploration
convaincante et technique
de la troisième voie : celle du
bien commun. P.-H. M.
Grow the Pie, Alex Edmans,
Dunod, 480 pages, 26 euros.
s’ajouter à 3,9 milliards de divi-
dendes. Les majors pétrolières
ayant aussi eu massivement recours
aux rachats d’actions, ce type d’opé-
rations est dans le viseur. Joe Biden
a prévu de faire passer leur taxation
de 1 % à 4 % et l’un des oracles de
Wall Street, Larry Fink, PDG de
BlackRock, la plus grosse société de
gestion d’actifs au monde, s’est in-
quiété du fait que les entreprises
cotées préfèrent désormais les ra-
chats de titres aux investissements.
Les actionnaires se servent
Ancien administrateur de Total-

uuu ceptionnels réalisés dans les
entreprises de plus de 50 salariés. La
reconnaissance des superprofits dé-
clenchera le versement automatique
d’un supplément de participation
ou d’intéressement ou « le renvoi à
une nouvelle discussion sur le ver-
sement d’un dispositif de partage
de la valeur ». Le hic : le résultat
exceptionnel est « défini par l’em-
ployeur », réduisant largement sa
portée. Le groupe Renaissance, sous
la houlette du député Louis Margue-
ritte, ancien collaborateur de Bruno
Le Maire, travaille sur ces thèmes.
Le 20 février, lors de la convention
du parti présidentiel, sera ainsi re-
mise sur la table la promesse d’un
« dividende salarié ». Un dispositif
qui figurait l’an dernier dans le pro-
gramme d’Emmanuel Macron.
La Macronie défend son bilan
La matière, plutôt technique,
« n’imprime pas dans l’opinion »,
regrette un député macroniste. Sur
le terrain, face aux superprofits, le
discours le plus intelligible serait
plutôt de mettre en avant le bilan
économique. « Le meilleur moyen
de sortir de la misère, c’est d’avoir
un emploi. Et sur le front du chô-
mage, les résultats sont encoura-
geants, se félicite Cazeneuve. Nous
avons créé 1,6 million d’emplois et
le nombre d’allocataires du RSA
baisse. Faut-il casser cette dyna-
mique pour taxer les entreprises ?
Le championnat du monde de la
taxation, on l’a gagné pendant
vingt ans, et on avait un chômage
endémique. »
Même si nos grandes entreprises
réalisent parfois peu de profits en
France, leurs performances sont un
atout pour le pays. Les Français en
sont conscients. La question ne
porte donc pas tant sur les super-
profits que sur ceux qui en profitent.
Et là, le débat fait rage. Y compris
chez les experts de la finance.
D’abord, les faits. La moisson récol-
tée est largement réservée aux ac-
tionnaires, bien devant les salariés,
les clients ou a fortiori les citoyens.
Une sorte de retour à l’âge de pierre
du capitalisme. Wall Street s’est
ruée sur le titre Walt Disney (lire
page 66), non en raison de ses résul-
tats trimestriels, mais parce que le
groupe, outre 7 000 suppressions
d’emplois, a laissé entendre qu’il
pourrait verser 1,5 milliard de dol-
lars de dividendes, mettant fin à une
disette de plusieurs années.
Les actionnaires seront d’une ma-
nière générale bien servis cette an-
née, y compris en France. Le temps
du Covid où Bercy et la Banque cen-
trale européenne fustigeaient et li-
mitaient les versements de divi-
dendes est oublié. L’an dernier, les
entreprises du CAC 40 avaient déjà
versé 56,5 milliards d’euros de divi-
dendes à leurs actionnaires, selon la
lettre Vernimmen. Le montant total
dépassait même 80 milliards d’eu-
ros, en y ajoutant les 23,7 milliards
d’euros de rachat d’actions. Un re-
cord absolu depuis le lancement de
l’étude il y a dix-neuf ans. Et ce sera
sans doute encore plus en 2023.
BNP Paribas, par exemple, a décidé
de rendre à ses actionnaires le fruit
SP
Energies et conseiller de Chal-
lenges, l’économiste Patrick Artus
constate que « le rachat d’actions,
très courant aux Etats-Unis, est en
train de gagner l’Europe. Une façon
pour les managers de ces entre-
prises de donner de la valeur à
leurs stock-options, de séduire les
investisseurs et de rendre la société
mieux valorisée, donc moins
opéable ». Faut-il encadrer le phéno-
« Le ratio mène, notamment via une taxe spé-
d’équité, la cifique ? Pas évident. « Selon la théo-
différence rie libérale, qu’il ne faut pas
forcément rejeter, il peut s’agir
entre le d’une décision rationnelle, poursuit
salaire du l’économiste. L’actionnaire de To-
dirigeant et talEnergies peut, ainsi, récupérer
le salaire une partie de sa rente pétrolière et
gazière pour la placer dans des vé-
médian, est hicules purement dédiés aux éner-
désormais gies renouvelables. D’autant plus
de 80 pour que la major française n’accélère
le CAC 40, pas vraiment dans ce secteur.
Donc, mieux vaut qu’ils distri-
soit 50 % buent l’argent aux actionnaires. »
supérieur à En droit des sociétés, la distribution
son niveau des profits relève de l’assemblée
de 2019.» générale des actionnaires. La saison
des AG, au printemps, va donc re-
Bénédicte lancer le débat. Avec un autre cha-
Hautefort, pitre forcément polémique, celui de
cofondatrice du
cabinet Scalens.
la rémunération des managers au
titre de l’exercice 2022. « Le ratio
d’équité, la différence entre le sa-
laire du dirigeant et le salaire mé-
dian, est désormais de 80 pour le
CAC 40, soit 50 % supérieur à son
niveau de 2019 », note Bénédicte
Hautefort, cofondatrice du cabinet
Scalens. Ce sera chaud.
 Rémi Clément, Alix Coutures,
 Damien Pelé et Nicolas Stiel

20  CHALLENGES N°774 - 16 FÉVRIER 2023

 Vinci encaisse profits et critiques
Les bénéfices de Vinci Autoroutes alimentent la polémique sur le modèle jugé
trop généreux des concessions. Le régulateur propose d’écourter les contrats.
D
iminuer les péages, rac-
courcir la durée des
contrats ou ponctionner
les superprofits de Vinci
ou d’Eiffage ? Depuis quelques
semaines, la pression monte sur
les concessionnaires des auto-
routes qui ont relevé leurs tarifs de
4,75 % au 1er février. A moins de dix
ans de la fin des premiers contrats,
prévue entre 2031 et 2036, le bras
de fer se durcit avec l’Etat et l’Au-
torité de régulation des transports
(ART) pour déterminer quel sera le
prochain modèle économique des
autoroutes.
Premier concerné, Vinci, leader du
secteur avec plus de 4 000 kilo-
mètres d’autoroutes concédées et
des résultats annuels, publiés le
9 février, en forte hausse. En 2022,
le géant du BTP a engrangé 4,3 mil-
liards d’euros de bénéfice net dont
2,2 milliards d’euros grâce à ses cinq
filiales, Cofiroute, ASF, Escota, Ar-
cos et Arcour, en hausse de 15 % par
rapport à l’année précédente.
De quoi susciter les critiques :
citant un rapport de l’inspection
générale des Finances (IGF),
révélé récemment par le Canard
enchaîné, Eric Coquerel, le pré-
sident (LFI) de la commission des
Finances de l’Assemblée nationale,
pointe la « rentabilité très supé-
rieure à l’attendu » des deux plus
gros concessionnaires, ASF-Es-
cota (groupe Vinci) et APRR-Area
(Eiffage). Il propose de réduire les
péages de 60 % sur près des deux
tiers du réseau autoroutier.
Contrats ultra-bordés
Une option cependant peu pro-
bable, du fait des clauses ultra-bor-
dées des contrats. Idem pour l’idée
de raccourcir la durée des conces-
sions que disent étudier Bercy et le
ministère des Transports. « J’ai un
sentiment de redite et de répétition
dont on ne se lasse pas », ironisait
Pierre Coppey, président de Vinci
Autoroutes, lors de la présentation
Péage de Reventin-Vaugris (Isère) sur l’A7. Les concessionnaires ont relevé leurs tarifs de 4,75 %. Le
député LFI Eric Coquerel propose lui de réduire les péages de 60 % sur près des deux tiers du réseau.
des résultats annuels, insistant sur
« les 15 milliards d’euros investis
dans des programmes d’améliora-
tion du réseau depuis 2006 ».
ACCÉLÉRATION Conscient cependant que la manne
Chiffre d’affaires risque de disparaître avec l’arrivée à
(en milliards d’euros)
6 échéance de ses concessions, Vinci
5,3 5,5 5,5 cherche d’autres leviers pour rester
4,6 dans le jeu. Son PDG, Xavier Huil-
lard, fait ainsi du financement de la
transition environnementale un
nouveau cheval de bataille. « La
France ne respectera pas ses enga-
18 19 20 21 22 gements de réduction de CO2 à
l’horizon 2050 sans un énorme – et
Résultat net part
du groupe surtout très urgent – effort de dé-
(en milliards d’euros) carbonation de la route et en parti-
2,2
culier de l’autoroute, expliquait-il le
1,9
1,7 9 février. Il faut être prêt à trouver
1,4 des formules permettant d’investir
1,2 entre 50 et 70 milliards d’euros et le
plus rapidement possible. » En
clair, sans attendre la fin des conces-
sions actuelles.
18 19 20 21 22 « Vinci comme Eiffage vont cher-
SOURCE : VINCI AUTOROUTES.
Vinci Autoroutes
cher à négocier un prolongement de
a augmenté leur contrat pour amortir les coûts
ses profits de d’investissements dans la transi-
15 % en 2022. tion écologique, assure un bon
16 FÉVRIER 2023 - CHALLENGES N°774 
Mourad Allili/Sipa
connaisseur des discussions entre
l’Etat et les sociétés privées. Mais il
ne faudra pas refaire les erreurs du
passé et être beaucoup plus strict »,
prévient-il.
C’est bien l’avis de l’ART. Sans re-
mettre en cause le principe de la
concession, le régulateur propose
d’écourter les contrats « d’une du-
rée de l’ordre de vingt ans ».
Conclus, pour les plus anciens dans
les années 1960 ou 1970, ils ont sou-
vent été prolongés par de simples
avenants, sans appel d’offres ni re-
mise en concurrence. D’autres
pistes existent : « L’Etat pourrait
signer des contrats d’exploitation
et d’entreprise avec des partenaires
privés ou semi-privés, avance ainsi
Patrick Vieu, vice-président de
l’ART. Si l’on veut un Etat stratège,
il faut se poser les bonnes ques-
tions. » A ce sujet, le ministre des
Transports, Clément Beaune, a pro-
mis de tenir une table ronde d’ici à
l’été sur l’équilibre financier des au-
toroutes. De quoi laisser le temps à
Vinci et Eiffage de fourbir leurs
armes.  Pauline Damour u
21
Evénement
Joe Biden
à l’assaut des
200 milliards
Le président américain a mis
en place un plan de taxation des
grandes entreprises, notamment
pour freiner les rachats d’actions.
Avec 2024 en ligne de mire.
A
près les 200 familles, les
200 milliards. Il y a des
chiffres, comme cela, qui
frappent l’imagination, et
cela n’a pas échappé au fin politi-
cien qu’est Joe Biden. Mardi 7 fé-
vrier, dans son discours sur l’état de
l’Union, il a partagé son dégoût avec
les Américains : « Avez-vous remar-
qué que Big Oil vient de déclarer ses
bénéfices ? Des profits record. L’an-
née dernière, ils ont gagné 200 mil-
liards de dollars au milieu d’une
crise énergétique mondiale. Je
trouve cela scandaleux. » Big Oil ?
Ce sont bien sûr les grandes majors
mondiales du pétrole, qui ont toutes
engrangé des profits ahurissants
avec en tête les américaines Exxon-
Mobil (55,7 milliards de dollars de
résultat net pour 2022) et Chevron
(35,5 milliards). D’autres sont allés
plus loin encore que le « scanda-
leux » de Joe Biden, pour dénoncer
les « profiteurs de guerre » du pé-
trole : « Répugnant », a lâché Chuck
Schumer, le leader de la majorité
démocrate au Sénat.
Ras-le-bol des inégalités
Il ne s’agit pas seulement de petites
phrases de politiciens : l’Américain
moyen est réellement outré de voir
les grandes compagnies pétrolières
afficher de tels méga-profits, une
révulsion qui vient s’ajouter à un
ras-le-bol général face aux inégalités
et au fait de voir les citoyens et les
entreprises les plus riches large-
ment échapper à l’impôt. Dans son
discours, Biden a repris une statis-
22  CHALLENGES N°774 - 16 FÉVRIER 2023
Joe Biden, invité du Syndicat international des ouvriers d’Amérique du Nord, à
De Forest (Wisconsin), le 8 février. « Scandaleux », les profits de Big Oil, selon lui.
tique qu’il cite souvent, et qui pro- Etats-Unis. C’est encore pire pour la
vient de l’Institute on Taxation and taxation des rachats d’actions, qui
MONTANT
RECORD Economic Policy, un think tank pro- rapporterait 74 milliards sur dix ans
 Rachats d’actions
gressiste. Il s’est interrogé à voix alors que le phénomène atteint une
aux Etats-Unis haute : « Cette idée selon laquelle, en telle ampleur qu’il représente l’équi-
(en % du PIB) 2020, 55 des plus grandes entre- valent de 2 % du PIB des Etats-Unis.
4 prises d’Amérique, les Fortune 500, Les démocrates veulent donc aller
3 ont fait 40 milliards de dollars de au-delà. Dans son discours, Biden a
2 bénéfices et ont payé zéro impôt fé- proposé de quadrupler la taxe sur
1 déral sur le revenu ? Zéro ? Les les rachats d’actions, qui permettent
amis, ce n’est tout simplement pas aux entreprises d’enrichir leurs ac-
0
juste. » De fait, en 2020, 55 entre- tionnaires en soutenant le cours des
-1 prises profitables parmi les 500 plus titres en Bourse, mais n’apportent
-2 grosses ont déclaré au gendarme de pas grand-chose à l’économie. L’an
19 20 21 22 23
SOURCE : NATIXIS. la Bourse n’avoir pas payé un cent dernier, ces rachats ont atteint le
L’an dernier, les d’impôt fédéral sur le revenu en montant record de 1 260 milliards de
rachats d’action 2018, alors qu’elles avaient en- dollars et l’entrée en vigueur, en jan-
ont atteint semble dégagé plus de 40 milliards vier, de la taxe de 1 %, n’a pas ralenti
1 260 milliards de dollars de profits. les ardeurs : 132 milliards de dollars
de dollars. Le président qui prépare sa cam- annoncés pour ce seul mois.
pagne pour la réélection de 2024 a
BIG OIL, eu beau jeu de rappeler ce qu’il a fait Recettes fiscales en baisse
GROS GAIN
pour corriger le tir, notamment une Le problème de base reste le même,
Résultat net
d’ExxonMobil loi imposant aux plus grandes entre- les entreprises américaines en-
(en milliards de dollars) prises de payer un minimum de 15 % grangent toujours plus de profits et
55,7
d’impôt sur leurs bénéfices, et un paient toujours moins d’impôts. En
impôt de 1 % sur les rachats d’ac- l’espace de cinq ans, les recettes de
20,3 tions, les deux mesures entrant en l’impôt sur les sociétés sont passées
12,3 vigueur cette année. Il a aussi signé de 1,9 % à 1 % du PIB. La moyenne de
0
l’accord de l’OCDE sur un impôt l’OCDE se situe à près de 3 %. Les
mondial minimum de 15 % sur les mesures que propose Biden n’ont
- 18,3 bénéfices des grandes entreprises, sans doute aucune chance de passer
2019 2020 2021 2022 mais n’a pas réussi à le faire adopter avec une Chambre des représen-
SOURCE : SOCIÉTÉ. par le Congrès. tants contrôlée par les républicains,
Scott Olson/Getty Images Via Afp
Les majors Problème : ces mesures sont très mais elles sont populaires, à l’hori-
américaines insuffisantes, et Biden le sait. L’im- zon de la présidentielle de 2024.
du pétrole sont pôt minimum sur les profits des Qu’il s’agisse des 200 familles ou des
celles qui ont
amassé le plus
grandes entreprises concerne à 200 milliards, il y a des chiffres que
de profits en peine 150 sociétés, il devrait rappor- n’oublie pas l’électeur lambda.
2022 avec en ter 222 milliards sur dix ans, une Philippe Boulet-Gercourt
tête ExxonMobil. somme minuscule à l’échelle des (correspondant à New York)
 L’éditorial de
ANDRÉ COMTE-SPONVILLE
Du bon usage des bénéfices
record des entreprises
T
otalEnergies, BNP Paribas,
LVMH, Vinci, L’Oréal… Ces
grandes entreprises, dont
notre pays pourrait
s’enorgueillir, sont plus souvent
critiquées que célébrées. Et certes je ne
doute pas qu’elles soient en effet
critiquables, comme toute institution
humaine. Mais je m’étonne de ce que le
reproche principal qu’on leur adresse,
spécialement lorsqu’elles publient leur
bilan, soit celui-ci : elles font d’énormes
profits ! Je ne conteste pas le fait, mais
trouve curieux que l’on s’en scandalise.
Créer de la richesse, n’est-ce pas l’une
de leurs fonctions principales ? Qu’une
entreprise française y réussisse si bien,
voire si spectaculairement, ne devrions-
nous pas plutôt nous en réjouir ? Dans
beaucoup de pays, moins brouillés que
le nôtre avec l’économie de marché, on
en féliciterait d’autant plus les
dirigeants, constatant qu’ils ont bien
fait leur travail. En France, la réaction
la plus probable est à l’inverse : on les
juge moralement d’autant plus
Plutôt que de reprocher aux
grands groupes leurs bénéfices,
mieux vaut les contraindre à
faire davantage pour la planète.
coupables qu’ils ont économiquement
mieux réussi ! C’est se tromper de
perspective. Plutôt que de reprocher à
nos grandes entreprises de faire trop de
profits, demandons-leur plutôt d’en
faire bon usage (par l’investissement,
l’intéressement des salariés, la fiscalité,
et pas seulement en augmentant
indéfiniment les dividendes). A l’Etat
d’y veiller, et à nous tous. Ne sommes-
nous pas leurs clients, parfois leurs
actionnaires ou leurs salariés, voire les
S. Lagoutte/Challenges
trois à la fois ?
Les seuls patrons plutôt bien vus,
en France, sont les patrons de PME.
Je n’ai rien contre eux, bien au
contraire, mais m’inquiète d’une
préférence aussi répandue. L’avenir
souhaitable d’une PME, n’est-ce pas
de croître jusqu’à devenir une ETI,
puis une entreprise moyenne, puis une
grosse entreprise ou même, pourquoi Un manager de transition en
pas, un leader national ou mondial ?
A force de célébrer les petits, de 48h pour prendre en main
condamner les gros, sur l’air du une situation délicate.
« small is beautiful », ne risque-t-on
pas de décourager les entrepreneurs
les plus audacieux ou les plus créatifs ?
Au fond, la seule entreprise française
que j’ai vue adulée, c’était Lip, dans
les années 1970, quand les salariés,
Gestion de
après que l’entreprise eut déposé l’urgence
son bilan, essayèrent de la faire vivre
en autogestion. Cela en dit long
sur la France, mais n’avait pas suffi
à sauver l’horlogerie française… Réorganisation RH
On reproche aussi à nos grandes
entreprises de ne pas participer, ou pas
autant qu’elles le devraient, à l’urgence
du moment, qui est écologique. Au lieu
Relance
de sauver la planète, comme on dit industrielle
pour faire court, elles se contenteraient
de faire du greenwashing,
dans le simple but, là encore, Retournement
de préserver ou augmenter
leurs profits… Et je ne doute opérationnel
pas qu’il y ait là une part
de vérité. Raison de plus pour
les contraindre, notamment Cash
par la loi (si possible européenne, management
voire mondiale), à faire davantage.
Mais soyons clairs : s’il fallait, pour
sauver la planète, que nos entreprises Digitalisation
renoncent à faire du profit, la planète
serait foutue, et nous avec. Il faut, accélérée
tout à l’inverse, que nos entreprises
fassent du profit en sauvant la planète.
Le contraire du greenwashing, c’est
le green business (une écologie
créatrice de richesse). C’est notre
intérêt à tous. La transition énergétique
va coûter effroyablement cher.
Encore faut-il se donner les moyens
de la financer. C’est où l’économie nimeurope.com
et l’écologie se rejoignent.•
01 46 24 85 71
Paris • Aix-en-Provence • Lyon
Bordeaux • Metz • Lille • Toulouse
16 FÉVRIER 2023 - CHALLENGES N°774  23
 France
La guerre de succession
à la CGT affaiblit Martinez
En pleine mobilisation sur les retraites, le leader syndical, qui doit
passer la main en mars, n’arrive pas à imposer sa candidate. Une fronde
des fédérations qui pourrait faire émerger un duo plus rassembleur.  

PhotoPQR/La Provence/MaxPPP
PhotoPQR/La Montagne/MaxPPP

Capture YT/CGT
Laurent Brun (cheminots, en haut) et
Emmanuel Lépine (chimie). Les deux
Philippe Martinez et Marie Buisson au Congrès de la CGT du Cantal, en octobre 2022. Le profil leaders de fédérations cherchent une
féministe et écologiste de la candidate désignée par le numéro un de la CGT dérange. alternative à Marie Buisson.

U
n conflit social peut en
cacher un autre. Côté
face, la CGT est tout feu
tout flamme pour com-
battre la réforme des retraites.
Chaque semaine ou presque, ses di-
zaines de milliers d’adhérents
peuplent les cortèges à Paris et en
région pour mettre une pression
maximale sur l’exécutif. Après
quatre journées de manifestations
très suivies, le leader de la CGT veut
veut monter en puissance en met-
tant la France à l’arrêt le 7 mars pro-
chain. « Il faut que la mobilisation
soit du niveau de 1995 », tonne
Philippe Martinez, secrétaire géné-
ral. Une référence à la dernière
grande victoire des syndicats sur le
terrain des retraites, alors qu’Alain
Juppé avait dû renoncer à sa ré-
forme des régimes spéciaux et des
fonctionnaires en 1995.
Mais côté pile, la CGT est en pleine
guerre de succession. Philippe Mar-
tinez va céder les rênes de la cen-
trale en mars prochain, lors du
Congrès de Clermont-Ferrand,
après deux mandats. Il tente de
transmettre le flambeau à Marie
Buisson, numéro un de la fédération
de l’éducation, de la recherche et de
la culture, qu’il a lui-même désignée.
Mais un vent de fronde se lève
contre le leader, de plus en plus es-
seulé à la tête de l’organisation.
Car la candidature de Marie Buis-
son ne fait pas l’unanimité. Son pro-
fil dérange certains caciques cégé-
tistes. « On lui reproche d’être à la
tête d’une petite fédération en
nombre d’adhérents et d’avoir un
tropisme trop marqué sur l’écolo-
gie et le féminisme », commente un
observateur avisé. Sa volonté de
rapprocher son organisation d’ONG
comme Greenpeace heurte les fédé-
rations les plus dures, comme
celles de la chimie ou de la métal-
lurgie, toutes deux pro-nucléaires.
D’autres fustigent son manque d’ex-
périence et d’impartialité pour né-
gocier le rapprochement en cours
de la centrale avec la Fédération

24  CHALLENGES N°774 - 16 FÉVRIER 2023

syndicale unitaire (FSU), le premier
syndicat dans l’enseignement, avec
qui elle est en concurrence depuis L’éditorial de
des années.
En coulisses, les patrons des
NICOLAS DOMENACH
grosses fédérations, Laurent Brun
(cheminots) et Emmanuel Lépine
(chimie), sont à la manœuvre pour
chercher une alternative. Selon Les
Ces héros très discrets

D
Echos, la dernière réunion du Comi-
es héros – invisibles – de Relevons quelques vérités si peu
té confédéral national, début fé-
la démocratie et de la famille. mentionnées. D’abord dans une
vrier, sorte de parlement interne de
Ainsi peut-on voir les majorité de villes de 1 000 habitants,
l’organisation qui réunit les leaders
retraités pour peu qu’on les maires sont des plus de 60 ans.
des fédérations et des unions dépar-
veuille bien sortir des clichés sur Dans les conseils municipaux,
tementales, a été très houleuse.
les anciens tenus pour hors-jeu quand ils sont aux postes clés. Ils « assurent »
Durant six heures, les esprits se
ils sont sortis de l’univers du travail. la vie municipale. Et on les retrouve
sont enflammés autour de la succes-
Or que serait l’associatif, l’entraide et tout aussi nombreux dans les partis à
sion de Philippe Martinez sans
même la politique, sans leur bénévolat lutter contre le discrédit de la politique.
aboutir à un consensus autour de
actif ? Ce sont eux qui ravaudent Et ce sont eux qui se déplacent
Marie Buisson.
le tissu social et familial. Eux qu’on en plus grand nombre pour voter.
ignore pourtant – qui a évoqué leur La République, ce sont eux !
Scénario du putsch
existence salvatrice dans cette réforme On pourra toujours objecter que les
Pour l’instant, seul le très radical
des retraites ? – alors qu’ils font vivre choix politiques sont trop orientés en
Olivier Mateu, de l’Union départe-
gracieusement tant de structures leur direction, mais ce qui reste de vie
mentale des Bouches-du-Rhône,
essentielles pour la communauté. démocratique leur doit tant qu’il est
s’est déclaré candidat. Si ses
A commencer par le caritatif, qu’ils bon de s’en souvenir. Ne serait-ce que
chances sont nulles, d’autres sont
prennent en charge matin midi et nuit. pour incliner les générations qui suivent
en embuscade, comme Sébastien
Il faut imaginer Sisyphe avec des rides à ne pas déserter leur responsabilité
Menesplier, le secrétaire général de
et des cheveux blancs ! de façon aussi désespérante.
la fédération nationale des mines et
Non seulement ils les animent mais Ajoutons encore, puisqu’on n’en a pas
de l’énergie. « Il a l’avantage d’être
ils les président en grande majorité publiquement pris conscience, que
à la tête d’une grosse fédération,
ces associations d’aide aux souffrants. les mêmes jeunes anciens assurent
commente un connaisseur. Et sur-
Sans doute beaucoup de retraités la solidarité entre les générations.
tout, il a l’autorité et l’aura pour
font-ils tapis, de bridge ou de yoga, Ils donnent temps et argent aux
rassembler le courant réformiste et
tapis volant aussi au bout du monde. petits enfants de même qu’à leurs
les plus durs. » En off, on évoque
Mais leur place dans la vie de la cité parents qui ne peuvent payer l’Ehpad.
même un ticket gagnant avec une
est première alors qu’elle est à peine Ils sont des traits d’union affectif
femme comme numéro deux, à
et financier.
l’instar de la CFDT. Sophie Binet, la
secrétaire générale des cadres, is-
Que serait l’associatif, l’entraide Ils y trouvent sans
sue du courant réformiste et mise et même la politique, sans le bénévolat doute leur intérêt
à se rendre
sur la touche sous l’ère de Philippe
Martinez, pourrait faire son retour
actif des retraités ? Ce sont eux qui indispensables. Le
sur le devant de la scène. ravaudent le tissu social et familial. taux de dépression
et de mortalité
En filigrane, se dessine le scénario
relevée. Et souvent caricaturée ! est d’ailleurs plus faible chez ceux-là
d’un putsch comme cela avait été le
Un seul exemple : qui sait que qui donnent à la retraite une dimension
cas en 2012 lors de la succession
les anciens provoquent moins sociale vitale. Et compte tenu du
ratée de Bernard Thibault. Sa candi-
d’accidents de la route ? vieillissement de la population, ainsi
date, Nadine Prigent, une réfor-
Leur hyperprésence bénévole que de l’absence de politique publique
miste, avait été obligée de renoncer
au service des autres est ignorée. pour le très grand âge, nul doute que
pour laisser la place à Thierry Le-
Cet engagement ne vaut pas que ce rôle décisif des retraités bénévoles
paon, plus conciliant avec les ultras
pour l’entraide si fréquemment soit dans les années à venir plus
de la CGT. Une solution de secours
abandonnée aux associations essentiel encore. Ces vieux-là sont
qui avait échoué, Lepaon ayant été
caritatives. Que serait le sport en l’avenir des jeunes !
obligé de démissionner à la suite
France sans ce réseau « argenté » qui Alors, que peut changer le report
des révélations du Canard enchaî-
irrigue les clubs partout dans le pays ? de l’âge de la retraite dans cet équilibre
B. Delessard/Challenges

né sur les dépenses de rénovation

Et la politique, que deviendrait-elle sans de vie publique et privée ? Personne
de son bureau et de son apparte-
« la vieillerie » qu’on ridiculise comme ne s’est même posé la question.
ment. Etait alors apparu dans le
si l’on pouvait impunément moquer Pas même ceux qui leurs confient
paysage Philippe Martinez qui, en
une maison qu’on va un jour habiter ? leurs enfants en bas âge.•
bon manœuvrier, avait su prendre
le pouvoir.  Florian Fayolle

16 FÉVRIER 2023 - CHALLENGES N°774  25

France

La mixité au lycée en progrès

Décriée, la réforme d’Affelnet menée par Christophe Kerrero, recteur de Paris,
a permis l’ouverture sociale des établissements d’élite. Sans abaisser le niveau.

O
ui, les opposants à la ré-
forme d’Affelnet avaient
raison de publier des tri-
bunes, signer des pétitions
et alerter les politiques. La nouvelle
méthode d’affectation des collégiens
a bel et bien produit une petite révo-
lution dans les 42 lycées de Paris.
Depuis la rentrée 2021, la plateforme
nationale d’admission intègre un
nouveau critère, l’indice de position-
nement social (IPS), dans l’optique
d’améliorer la mixité sociale et sco-
laire, enjeu concentré dans les éta-

Sylvain Lhermie/Rectorat de Paris

blissements parisiens. Il s’agissait
d’en finir avec la ségrégation entre
lycées ghettos et d’excellence. Char-
lemagne, Condorcet et autres Chap-
tal tremblaient sur leurs bases, bran-
dissant la crainte d’un « nivellement
par le bas ». L’angoisse est encore
montée d’un cran cette année quand
les fameux lycées d’élite Henri-IV et
Louis-le-Grand, bénéficiant
jusqu’alors d’une dérogation et re-
crutant sur dossier, ont dû à leur
tour intégrer plus de boursiers.
De fait, le résultat présenté le 8 fé-
vrier par le recteur de Paris, Chris-
tophe Kerrero, et Julien Grenet,
économiste à l’Ecole d’économie de
Paris qui a eu accès à toutes les
données de l’académie pour réali-
ser ce bilan, est stupéfiant : les ly-
cées favorisés ont bien été secoués.
Condorcet, qui affichait un IPS très
élitiste (à 134 points), a fait un bond
en avant de mixité sociale en reve-
Remise à niveau
Part des boursiers parmi les entrants
en seconde générale et technologique à Paris
(en %)
30 Lycées publics
les moins favorisés
25
Lycées publics
20 les plus favorisés
15
10
Lycées Louis-le-Grand
5 élèves boursiers
et Henri-IV
0 au sein des
2018 2019 2020 2021* 2022**
* Réforme d’Affelnet. ** Réforme pour LLG et H4.
SOURCE : NOTES 88 ET 89 DE L’INSTITUT DES POLITIQUES.
L’économiste Julien Grenet et Christophe Kerrero, recteur de Paris, le 8 février. « L’entre-soi n’est bon
pour personne, pas même les meilleurs », a pointé le recteur lors du premier bilan de sa réforme.
nant sous la moyenne à 120. A l’in-
verse, en gagnant 10 points d’IPS,
Voltaire est devenu moins « social »
et plus attractif. A Henri-IV et Louis-
le-Grand, le choc est encore plus
fort, la part de boursiers ayant dou-
blé (voir graphique ci-contre). Et,
divine surprise, le niveau scolaire
n’en a pas pâti.
« Gaullisme social »
Celui qui a mené un tel chambarde-
ment, le Chancelier des universités
Christophe Kerrero, n’est pourtant
pas un affreux « gauchiste ». Au
contraire. Etiqueté à droite, il est
proche de Jean-Michel Blanquer,
L’indice de qu’il a connu Rue de Grenelle, du
positionnement temps de Nicolas Sarkozy, et dont il
social (IPS), le fut le directeur de cabinet jusqu’en
nouveau critère 2020. Un peu raide dans ses cos-
intégré à la
tumes trois-pièces, c’est lui qui s’est
procédure
Affelnet, tend à attaqué à cette vache sacrée de
rééquilibrer la l’Education nationale. « C’est un
répartition des personnage paradoxal », explique le
syndicaliste Pascal Vivier (Snetaa-
FO). « Il a fait plus pour la mixité
lycées parisiens. sociale à Paris que bien des gens de
gauche », s’étonne Julien Grenet.
« Je suis un gaulliste social », pré-
cise le recteur. Il est né à Neuilly-sur-
Seine, mais « par hasard ». « J’ai
vécu au Pré-Saint-Gervais. Et suivi
une scolarité chaotique », raconte-t-
il amusé. Son collège fut « atroce »,
au point d’être orienté en BEP en fin
de troisième… s’il n’avait redoublé
et rencontré un prof de français qui
l’a éveillé aux lettres modernes. Ce
pilier de l’Education nationale a eu
7/20 en maths au bac et n’a pas réus-
si Normale sup, mais le Capes, puis
l’agrégation, « sur le tard ».
Il a enseigné, des lycées profession-
nels aux classes prépas, et connaît
la « souffrance » des lycées d’élite.
« L’entre-soi n’est bon pour per-
sonne, pas même les meilleurs »,
assure-t-il, études scientifiques à
l’appui. Et quand Julien Grenet sou-
ligne que « 41 % des Parisiens sont
inscrits dans des lycées privés qui
n’accueillent que 4 % de boursiers,
alors qu’ils sont financés à 73 % par
l’argent public », Kerrero ne dit rien
sur cette incohérence, qui sort de
ses prérogatives. Et n’affiche qu’un
impassible sourire. Alice Mérieux

26  CHALLENGES N°774 - 16 FÉVRIER 2023

 L’éditorial de
GHISLAINE OTTENHEIMER
Les fourches et les piques
P
ourquoi un tel bordel ?
Pourquoi ces insultes
et cet entêtement à hystériser
le débat ? Pourquoi bloquer
l’examen du texte sur la réforme
des retraites à l’Assemblée nationale
avec un amoncellement
d’amendements bidon quand les
députés et les syndicats réclament un
débat de fond et un vote ? Notamment
sur l’article 7, qui repousse l’âge légal
à 64 ans. Tout cela au risque de faire
exploser la Nupes, car les partenaires
de La France insoumise, le PS comme
le PC, n’approuvent pas cette stratégie.
Quand le député Insoumis Aurélien
Saintoul a accusé le ministre
du Travail Olivier Dussopt d’être
un « assassin », ses propos ont aussitôt
été désapprouvés par les présidents
des groupes PS et PC. L’insulte
de trop… Quelques jours plus tôt,
un de ses collègues, Thomas Portes,
avait eu l’odieuse idée de s’exhiber
en train d’écraser du pied un ballon
à l’effigie du ministre. Et la députée
Sophia Chikirou avait qualifié Elisabeth
Borne de « bourreau ».
Au-delà du bruit et de la fureur,
les élus Insoumis ont une
stratégie réfléchie : mettre à bas
la Ve République.
Des dérapages ? Il y a sans doute
dans la jeune génération des Insoumis
un côté rebelle, une culture du clash,
qui pousse à la provocation. A l’image
du numéro deux, le sans-culotte
Manuel Bompard, qui, mâchouillant
son éternel chewing-gum, assume
cette opposition bête et méchante :
« On va déposer des amendements
autant que nécessaire. »
Christophe Lebedinsky/Challenges
Plus profondément, certains Insoumis
se voient non pas comme de simples
opposants, mais comme de véritables
révolutionnaires. A l’image de leur
« Lider Maximo » Jean-Luc Mélenchon,
toujours prêt à convoquer les fourches
et les piques. N’avait-il pas pris comme
pseudo « Santerre » pour signer ses
écrits politiques du temps où il militait
à l’OCI (Organisation communiste
internationaliste), le nom du général
qui s’enorgueillissait d’avoir ordonné
le roulement des tambours lors de
l’exécution de Louis XVI afin de couvrir
ses derniers mots. Tout un symbole.
Mais au-delà du bruit et de la fureur,
il y a une stratégie politique réfléchie :
Mélenchon veut mettre à bas
la Ve République, abolir « cette
monarchie républicaine ».
Grand admirateur des révolutions
sud-américaines, idolâtre des « gilets
jaunes », il en appelle au combat de
masse… Ignorant le verdict des urnes,
rongé par la rancune – et la haine –,
il n’hésite pas à filer la métaphore avec
l’Ancien Régime. En octobre dernier,
il tweetait : « Le 5 et le 6 octobre 1789,
les femmes marchent sur Versailles
contre la vie chère. Elles ramènent
le roi, la reine et le dauphin de force
à Paris sous contrôle populaire. Faites
mieux le 16 octobre. » C’est un appel
au désordre, à l’insurrection. Les élus
LFI s’évertuent à démontrer
que les institutions ne
fonctionnent plus. Qu’elles
ne sont pas démocratiques.
Qu’Emmanuel Macron n’est
pas légitime… En bloquant
le débat, ils veulent obliger le
gouvernement à utiliser l’article 47-1,
qui permet de faire adopter la loi
sans vote. Ensuite ils pourront
dénoncer le non-respect du Parlement,
de la démocratie, du peuple…
Heureusement, cela ne prend pas. Les
syndicats jouent le jeu démocratique.
Du coup, si les élus LFI n’ont pas
forcément tort de dénoncer le caractère
autocratique des institutions, et sont
légitimes à réclamer un régime
parlementaire, leurs méthodes sont
contre-productives. Elles inspirent plus
de crainte que d’envie, discréditent
l’idée d’une VIe République et rendent
même la Ve rassurante.•
COLLECTION
16 FÉVRIER 2023 - CHALLENGES N°774  27
France

Et s’il s’attaquait
aux tabous fiscaux...
Depuis sa réélection, Emmanuel Macron s’est fixé pour ligne intangible
de ne pas augmenter les impôts. Mais les finances publiques sont dans
le rouge et les députés ont dans le viseur les 89 milliards de niches fiscales.
Par Laurent Fargues

O
pération démi-
nage. Le 8 fé-
vrier, quelques
heures après la
publication
des bénéfices
record de
19 milliards
d’euros du géant pétrolier TotalE-
nergies, le porte-parole du gouver-
nement, Olivier Véran a écarté l’idée
d’une « taxe exceptionnelle sur les
profits ». Pas question de plier sous
la pression des élus de la gauche et
du Rassemblement national. Le gou-
vernement se bornera à « accompa-
gner » les rabais à la pompe consen-
tis par le groupe. Un désamorçage
entamé quelques semaines aupara-
vant par le ministre des Finances
Bruno Le Maire. « Moi je dis tant
mieux quand une entreprise fran-
çaise réussit », avait-il déclaré, lors AU SOMMAIRE contribution de solidarité sur les
de premiers résultats florissants de Les leçons fiscales bénéfices des groupes énergétiques,
TotalEnergies, avant de prévenir de François imposée par l’Union européenne, et
Hollande  P. 32
que « taxer plus en France, c’est les hausses de taxes foncières, large-
produire moins en France ». Des riches ment décidées par les maires. A
intouchables
Depuis sa réélection, Emmanuel  P. 34 Bercy, on fanfaronne. « Nous pour-
Macron en a fait une ligne intangible, Aides à domicile
suivons la baisse des impôts », se
un marqueur. Les impôts ne doivent sans contrôle targue Bruno Le Maire. En se félici-
pas augmenter. Et cela vaut aussi  P. 36 tant, chiffres à l’appui, de cette stra-
pour les groupes du CAC 40 ou les Des milliards tégie rentable : « Lorsque vous bais-
plus fortunés (lire page 34). En neuf versés à l’aveugle sez les impôts, vous avez plus de
mois, le président a rejeté toutes les dans l’immobilier sociétés qui créent de la richesse et
 P. 38
propositions d’alourdissement de la les recettes rentrent mieux. » Sans
Des entreprises
fiscalité, y compris venues de sa accros au crédit préciser que ces bonnes nouvelles
majorité. A l’inverse, il a tenu la plu- d’impôt recherche fiscales proviennent d’abord du re-
part de ses promesses de réduction  P. 40 gain de croissance post-Covid.
de la pression fiscale : fin de la rede- Le problème, c’est que parallèle-
vance audiovisuelle, dernier volet de ment, les dépenses publiques ont
la suppression de la taxe d’habita- explosé, bien au-delà des recettes.
tion, baisses de 8 milliards des im- Et que les comptes de la France
pôts de production d’ici à 2024… Un restent durablement dans le rouge.
tableau à peine assombri par la « Il faut arrêter de creuser les défi-

La France championne de la zone euro des prélèvements obligatoires

 Prélèvements obligatoires  Impôts sur les revenus des ménages  Prélèvements obligatoires** sur
(en % du PIB) (en % du PIB) les sociétés non financières (en % du PIB)
47 46 12,5
43,6 11,4 12,1 11,6
42,4 11,4
39 40,2 9,6 10 10,3
9,4 8,8 9,4
8,6

*
3,3

France Allemagne Italie Espagne Pays-Bas Belgique France Allemagne Italie Espagne Pays-Bas Belgique France Allemagne Italie Espagne Pays-Bas Belgique
(*) HOrS CSG ET AUTrES PréLÈvEMENTS SOCiAUX. - (**) Y COMPriS LES COTiSATiONS SOCiALES EMPLOYEUrS. - SOUrCES : EUrOSTAT, fiPECO. DONNNéES 2021.

Les Français consacrent une part de leur richesse nationale plus importante que leurs voisins à quasiment toutes les catégories d’impôts.

28  CHALLENGES N°774 - 16 février 2023

 Emmanuel Macron et Bruno Le Maire aux Rencontres de l’Union des entreprises de proximité, en 2021. La baisse des impôts est leur idée fixe.
cits publics dans ce pays, fulmine le
président Les Républicains du Sénat
Gérard Larcher. Rendez-vous
compte que nous venons de voter
450 milliards de crédits pour l’Etat
en 2023, financés à 165 milliards
par du déficit. Cela ne peut plus
durer ! » La dette tricolore va passer
le cap symbolique des 3 000 milliards
et, avec la hausse des taux d’intérêt,
elle se paie de plus en plus cher sur
les marchés financiers. Certes, Bru-
no Le Maire annonce des « réduc-
tions de dépenses significatives dès
2024 » en passant « au peigne fin »
les 1 400 milliards de crédits publics
et prestations sociales. Mais cette
méthode a été tentée lors du précé-
R. Gaillard/Pool/Abacapress.Com
dent quinquennat à travers le Comité
action publique 2022. Sans débou-
cher sur des résultats à la hauteur.
Et les Français ne paraissent pas
prêts à voir leur modèle social et
leurs services publics amputés à
coups d’économies budgétaires.
Alors, pour ramener les comptes à
l’équilibre, Emmanuel Macron va-t-il
devoir se résoudre à augmenter les
impôts, comme le prédit François
Hollande (lire interview page 32) ?
Difficile à entendre dans un pays
champion de la zone euro des prélè-
vements obligatoires. Les Français
consacrent déjà une part de leur ri-
chesse nationale plus importante
que leurs voisins à quasiment toutes
les catégories d’impôts. A 14,9 % du
PIB, nos cotisations sociales dé-
passent la moyenne de la zone euro.
Nos entreprises supportent des pré-
lèvements (12 % du PIB) largement
supérieurs à ceux payés par leurs
homologues allemandes (9,4 % du
PIB). Même l’impôt sur le revenu des
ménages, moins élevé que dans les
autres pays européens, avoisine la
moyenne de la zone euro lorsqu’on y
ajoute la CSG.
A entendre les économistes, il y au-
rait pourtant une manière de trou-
SIPHONNAGE ver des recettes substantielles sans
BUDGÉTAIRE plomber l’activité : opérer un vaste
Manque à gagner ménage dans les niches fiscales.
que représentent les
niches fiscales pour Depuis le début des années 2000, la
les caisses de l’Etat France a en effet multiplié les exo-
(en milliards d’euros) nérations, taux réduits et autres cré-
100 dits d’impôts qui adoucissent la note
90 des contribuables. Résultat, la fisca-
80 lité française est mitée par 465 dis-
70 positifs qui représentent un manque
60 à gagner de 89 milliards d’euros par
50 an. Soit deux fois et demie plus qu’il
40 y a vingt ans ! En tête de ces avan-
30 tages fiscaux, il y a le crédit d’impôt
20 recherche (lire page 40), le crédit
10 d’impôt pour l’emploi de salarié à
0 domicile (lire page 36) ou encore
2000 2022 (p) les 66 incitations fiscales desti-
SOURCE : FIPECO SUR LA BASE DES
PROJETS DE LOI DE FINANCES. nées à soutenir l’immobilier (lire
Depuis les page 38).
années 2000, Sur le papier, toutes ces incitations
les exonérations,
taux réduits et
ont des objectifs pertinents : soute-
crédits d’impôts nir l’innovation, aider un secteur en
se sont difficulté, favoriser la création d’em-
multipliés. plois, etc. Dans les faits, leur 
16 FÉVRIER 2023 - CHALLENGES N°774  29
France
uuu efficacité est rarement dé-

M. Bertrand/Challenges
montrée. La seule évaluation systé-
matique, réalisée par l’inspection
des Finances en 2011, avait conclu
que 40 milliards de ces ristournes PATRICK ARTUS
fiscales étaient « peu ou pas effi- Conseiller économique de Natixis
cientes ». Tandis que la Cour des
comptes fustige régulièrement leur
mauvais calibrage. « Les taux ré-
duits de TVA sont des outils ineffi-
Trois anomalies fiscales…
caces de politique économique », a-
t-elle encore pointé le 9 février, durables
déplorant que le gouvernement
maintienne des mesures coûteuses Les impôts sur l’héritage, les hauts patrimoines et le revenu
sans effet positif avéré. Pis, selon le des ménages sont mal ajustés. Qu’ils soient impopulaires
propre décompte de Bercy, pas ou pas assez efficaces, il y a peu de chance que cela change.
moins de 7 milliards de niches fis-

I
cales sont anti-écologiques, à
l y a trois points sur lesquels u Poids de l’impôt sur les revenus des personnes
l’image des taux réduits de taxe sur physiques (en % des recettes fiscales en 2021)
il y a une divergence entre l’avis
les carburants pour les poids lourds 29,7
des économistes et la fiscalité
ou le gazole non routier. « Par défi- 26 26,5
telle qu’elle est mise en place
nition, les réductions d’impôt sur le 23
revenu profitent en outre aux plus
en France, et qui la rend sous-optimale. 21
Le premier concerne les successions,
riches, ajoute François Ecalle, pré-
dont la taxation est globalement
sident du site spécialisé sur les fi-
assez faible : autour de 10 %, compte
nances publiques, Fipeco, puisque
tenu des exemptions, du Pacte Dutreil
les plus pauvres ne sont pas impo-
et du régime de l’assurance-vie… France Espagne Italie Allemagne Royaume-Uni
sables. » En 2019, les 10 % les plus SOUrCE : OCDE.
Et encore quand les héritages sont
aisés captaient plus de 75 % de la
taxés, ce qui est le cas de seulement d’euros. Le taux serait faible, et
manne de dix avantages passés au
60 % d’entre eux. Cette situation variable selon l’effet de rente constatée
crible par le fisc.
accentue la concentration des chaque année. Il ne s’agit donc pas
patrimoines : alors que 35 % de ceux-ci de remplacer l’ISF, mais de redistribuer
« Consentement à l’impôt »
étaient hérités en 1960, ce pourcentage cette rente, sans toucher à la taxation
A l’Assemblée nationale, les députés
monte à 60 % aujourd’hui, contre des revenus du capital, qui
macronistes de la commission des
près de 90 % constatés au début continueraient à profiter du
Finances ont déjà les niches fiscales
du xxe siècle. Cette accumulation prélèvement forfaitaire unique, qui
dans leur viseur. A l’automne, les
est inefficace, alors qu’une a des effets bénéfiques évidents sur
élus Daniel Labaronne et Mathieu
redistribution favoriserait l’émergence les investissements des entreprises.
Lefèvre avaient évoqué le plafonne-
de nouveaux entrepreneurs et Enfin, la troisième anomalie est la faible
ment des crédits d’impôts pour les
stimulerait l’économie. Pourtant, part de l’impôt sur le revenu dans les
cours particuliers à domicile, le re-
l’opinion n’y est majoritairement recettes fiscales par rapport à d’autres
centrage du crédit impôt recherche
pas favorable, entraînant une paralysie pays européens (voir graphique),
sur les investissements verts ou la
des politiques sur ce registre. qui rapporte moins de 100 milliards
réduction des niches immobilières.
Certainement plus populaire, d’euros. La préférence française
Durant la campagne présidentielle,
la taxation des actifs dont la valeur pour les cotisations sociales payées
les députés spécialistes des ques-
a augmenté grâce aux politiques par les entreprises (10,5 % du PIB)
tions budgétaires Joël Giraud et
expansionnistes des banques centrales et les impôts de production (3 %)
Laurent Saint-Martin avaient aussi
est pourtant un deuxième tabou. se traduit par un différentiel de 6 points
milité auprès d’Emmanuel Macron
Depuis la suppression de l’impôt de PIB avec l’Allemagne. L’allégement
pour un grand nettoyage des avan-
sur la fortune (ISF), seuls les biens de ces prélèvements pour les
tages fiscaux, quitte à les remplacer
immobiliers sont taxés, sans qu’une entreprises, et leur substitution par
en partie par des subventions plus
justification de ce choix ait été avancée. l’augmentation des impôts directs,
faciles à cibler. « Il n’y a plus per-
Certes les prix ont progressé de 150 % seraient beaucoup plus efficaces d’un
sonne en France, même parmi les
en vingt ans, du fait de la rareté point de vue macroéconomique.
plus affûtés hauts fonctionnaires
de l’offre et de la politique des taux Il est cependant peu probable que les
de Bercy, qui comprenne la cohé-
réduits, mais cet enrichissement sans opinions accompagnent ce mouvement,
rence de notre système fiscal,
cause touche toutes les classes d’actifs. même si les gouvernements ont déjà
confiait alors Laurent Saint-Martin.
Il faudrait donc réintroduire un impôt opté depuis longtemps en faveur
A force, cela mine le consentement
ciblant les patrimoines élevés, de la première phase de réduction
à l’impôt des Français. » Une rai-
supérieurs par exemple à 10 millions au bénéfice des entreprises.•
son de plus de s’attaquer à ces ta-
bous fiscaux.  • u

30  CHALLENGES N°774 - 16 février 2023

 CLE MEN CEA U : L’H OM ME
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France

FRANÇOIS HOLLANDE,
président de la République de 2012 à 2017

Le gouvernement va augmenter
les impôts en 2024
L’ex-chef de l’Etat anticipe des hausses de prélèvements obligatoires.
Il ne croit, ni au plan d’économies budgétaires annoncé par Bruno Le Maire,
ni à la taxation « magique » des plus fortunés préconisée par Thomas Piketty.

Challenges. Le désendettement de la France passera-t-il financiers. Quant à l’économie réalisée dans les
nécessairement par une hausse des prélèvements comptes sociaux, elle ne dépassera pas 10 milliards à
obligatoires ? l’horizon 2030 sur… près de 500 milliards de dépenses
François Hollande. Face à l’ampleur des investisse- de Sécurité sociale.
ments à engager pour la transition écologique et pour Quels impôts pourraient être augmentés ?
la réindustrialisation, le gouvernement n’aura guère Quand le gouvernement demande des efforts aux
d’autre alternative que d’augmenter les prélèvements Français, il doit parallèlement en appeler à la contri-
obligatoires. A moins bien sûr que la France ne par- bution des plus fortunés et à une participation supplé-
vienne à négocier un délai ou un aménagement des mentaire des entreprises. Ne pas l’avoir compris lui
IL L’AVAIT DIT,
L’A-T-IL FAIT ? règles budgétaires européennes, qui imposent toujours coûte cher dans l’opinion sur le débat des retraites.
de ramener le déficit sous la limite des 3 % de la Par le passé, les réformes des retraites se sont tou-
En 2010,
François Hollande ­richesse nationale. jours accompagnées de hausses d’impôts sur les plus
nous avait déjà L’un des engagements majeurs d’Emmanuel Macron aisés et de majoration de cotisations pour les entre-
détaillé ses idées est pourtant de ne pas augmenter les impôts, pourra-t-il prises.
en matière tenir cette ligne ? Vous êtes donc favorable à une taxation des superprofits
fiscale. Bien J’en doute fort. Sous le coup de l’épidémie de Covid, des grands groupes…
que candidat à les déficits publics se sont envolés dans notre pays et Oui, il pourrait être introduit un taux majoré d’impôt
la présidentielle,
il n’avait pas les Français ne sont pas prêts à voir leur modèle social sur les sociétés lorsque des profits exceptionnels sont
hésité à annoncer ou leurs services publics revus à la baisse via des réalisés. Ce qui éviterait d’entretenir un climat vindica-
une hausse coupes budgétaires. Au contraire, ils attendent des tif à l’égard d’entreprises qui sont souvent des fleurons
des prélèvements améliorations dans l’éducation, la santé, la sécurité… de l’industrie française et qui affichent des résultats
obligatoires A cela, il faut ajouter le contexte de guerre en Ukraine insolents, au moment où les Français affrontent
« pour réduire qui a conduit Emmanuel Macron à annoncer une loi de ­l’inflation et la crise énergétique.
nos déficits ».
Une fois élu, programmation qui prévoit une hausse d’un tiers du Faut-il aussi ressusciter l’ISF ?
il a effectivement budget du ministère des Armées d’ici à 2030. Sans doute pas dans son ancienne version. Le mieux
augmenté Le ministre des Finances évoque un passage en revue serait d’introduire un impôt à taux faible – disons
la tranche des dépenses publiques… 0,5 % – et à base large qui inclurait l’ensemble des patri-
supérieure Je ne vois pas où le ministre qui a utilisé le « quoi qu’il moines immobiliers et financiers. Au passage, l’instau-
de l’impôt en coûte » jusqu’à l’épuisement pourrait réaliser rapi- ration d’une déclaration préremplie, en particulier
sur le revenu,
déplafonné l’ISF, dement des économies dans la sphère de l’Etat. pour les biens immobiliers en se basant sur les évalua-
aligné la fiscalité Les dépenses publiques sont faciles à augmenter, mais tions du fisc, permettrait d’augmenter nettement son
du capital sur très rigides à faire diminuer. A mon sens, Bercy a rendement.
celle du travail. bien l’année 2024 dans sa ligne de mire pour démarrer L’économiste Thomas Piketty suggère, lui, de taxer
Mais il avait le redressement des finances publiques. Mais ce à 50 % les 500 plus grandes fortunes françaises, qui
renoncé à qu’il n’avoue pas, c’est qu’il commencera par relever se sont enrichies de 800 milliards d’euros en dix ans
fusionner l’impôt
sur le revenu les prélèvements obligatoires. C’est déjà le cas des selon le classement de Challenges, ce qui représenterait
et la CSG. impôts locaux ! un gain de 400 milliards. Qu’en pensez-vous ?
La réforme des retraites ne devrait-elle pas contribuer Cette proposition relève de la fiscalité magique. Elle
à ralentir la hausse des dépenses ? postule que l’Etat pourrait taxer l’enrichissement de
Le principal objectif de cette réforme, c’est de donner personnes qui détiennent leur patrimoine sous forme
des gages à la Commission européenne et aux marchés d’actions cotées en Bourse. Mais tant que celles-ci

32  CHALLENGES N°774 - 16 février 2023

 François Hollande, dans son bureau parisien, le 30 janvier. Pour l’ancien chef de l’Etat, il est plus juste d’augmenter l’impôt sur le revenu,
qui est progressif, que la TVA. « La tranche supérieure se situe actuellement à 45 %. Elle pourrait être portée à 50 % », dit-il.
n’ont pas été vendues et que les plus-values n’ont pas
été réalisées, il n’y a pas de base fiscale à imposer sauf
à les obliger à vendre immédiatement leurs titres. Par
ailleurs, avec une telle perspective d’imposition, les
capitaux auraient tôt fait de rejoindre d’autres places
financières en Europe.
Alors, quel autre levier fiscal le gouvernement pourrait-il
actionner ?
A l’échelle d’un pays comme la France, l’instrument le
plus simple, et le plus inégalitaire, reste la TVA. La
hausse d’un point du taux normal de la TVA (20 %) rap-
porte en effet près de 8 milliards d’euros. Et, dans un
contexte d’inflation comme aujourd’hui, plus les prix
montent, plus la recette augmente. Sans que les Fran-
çais fassent nécessairement la distinction entre la
­valeur du bien et le rendement de la taxe. Le gouverne-
ment sera certainement tenté par cette voie. Car c’est
celle de la facilité alors qu’elle ampute le pouvoir
d’achat de tous.
Y a-t-il d’autres options ?
L’autre possibilité, plus juste, est d’utiliser l’impôt sur
le revenu, qui est progressif. La tranche supérieure
se situe actuellement à 45 %. Elle pourrait être portée
à 50 %. On serait encore loin des 57 % atteints dans
Stéphane Lagoutte pour Challenges
les années 1980. Il serait aussi temps d’engager la fu-
sion de l’impôt sur le revenu et de la CSG dès lors que
le prélèvement à la source facilite cette modernisa-
tion. Au-delà d’un certain montant, les dividendes et
plus-values boursières devraient enfin être imposés
davantage en revenant sur le prélèvement forfaitaire
unique de 30 %.
Dans un pays où les prélèvements obligatoires
représentent déjà 47 % de la richesse nationale, n’est-ce
pas relancer immédiatement le « ras-le-bol fiscal » ?
Bien sûr, le risque est toujours là. C’est le paradoxe de
notre pays où le niveau des dépenses publiques est le
“ Les dividendes et plus-values
boursières devraient être
imposés davantage.”
deuxième plus élevé d’Europe, mais où la moindre
« innovation » fiscale peut déclencher une forte contes-
tation sociale. Personne n’a oublié le mouvement des
« gilets jaunes » contre la taxe carbone. D’où la néces-
sité d’une réforme globale de notre fiscalité plutôt
qu’une mesure conjoncturelle, mal calibrée et
­forcément mal comprise.
En 2010, vous nous aviez déclaré que la réforme fiscale
doit « être chronologiquement la première des réformes »,
celle qui « autorisera et facilitera les autres ». Le pensez-
vous toujours ?
Plus que jamais. La fiscalité est au fondement de la
cohésion de la société et de la justice sociale. Elle per-
met de responsabiliser la population par rapport à la
dépense publique. Elle est au cœur de tous nos débats
politiques. Dès que vous discutez « impôts » avec Retrouvez
quelqu’un, vous savez d’ailleurs assez rapidement si l’intégralité
cette personne est de gauche ou de droite. Ce clivage- de l’interview
de François
là n’a pas disparu.  Propos recueillis par Vincent Beaufils Hollande sur
 et Laurent Fargues challenges.fr u
16 février 2023 - CHALLENGES N°774  33
 France

RICHES

Des fortunes intouchables

Emblématique, l’allégement de la taxation du capital est perçu comme
un « cadeau » aux plus nantis. Les économistes sont divisés sur l’imposition
des hauts patrimoines, ultra-symbolique, mais qui rapporte peu.

P
rotéger le pouvoir d’achat
des Français face à l’infla-
tion, financer la transition
énergétique, renflouer le
régime des retraites… Chaque fois
que le gouvernement doit puiser
massivement dans ses caisses ou
veut redresser ses comptes, l’an-
tienne revient : il n’y a qu’à faire
payer les plus fortunés ! La pression
est forte sur Emmanuel Macron, éti-
queté « président des riches », de-
puis que, dès 2017, il a allégé la fisca-
lité du capital, avec l’abrogation de
l’impôt de solidarité sur la fortune
J. Faure/Leextra via opale.photo

(ISF), désormais cantonné à la seule

fortune immobilière (IFI), et l’ins-
tauration d’un prélèvement forfai-
taire unique (PFU) à 30 % sur les re-
venus du capital.
Chaque année, à l’heure des discus-
sions budgétaires, la gauche revient Boutiques de luxe à Courchevel. A l’automne 2022, un député MoDem voulait relever la taxation des
à la charge pour rétablir l’ISF. En « superdividendes » à 35 %. Le gouvernement s’y est opposé, au nom de sa politique pro-business.
2022, le Rassemblement national l’a
aussi proposé. Et, au sein de la Ma- l’allègement de la fiscalité du capital tour. D’autant que les bénéfices de
cronie, le député Modem Jean-Paul comme un marqueur de son active la réforme, qui visait à « réorienter
Mattei a porté un amendement pour politique pro-business, « qui a fait l’épargne vers les investissements
relever à 35 % la taxation des « su- de la France la destination la plus de l’économie réelle et l’emploi »
perdividendes », adopté avec le sou- attractive pour les investisseurs sont peu visibles. Un Comité d’éva-
tien de 19 élus Renaissance… avant étrangers ». luation, sous l’égide de l’organisme
d’être bloqué par le gouvernement. Mais l’ISF est un symbole populaire de réflexion France Stratégie, ratta-
Le ministre de l’Economie Bruno Le de justice sociale : plus de sept ché à Matignon, a remis trois rap-
Maire est inflexible, considérant Français sur dix souhaitent son re- ports, en 2019, 2020 et 2021. « La
bonne nouvelle est que l’exil fiscal
des grandes fortunes a été stoppé »,
indique Cédric Audenis, son pré-
LE LOBBYISTE sident : en 2020, 380 foyers taxables
SP

Régulièrement reçu à Bercy, le Meti enjoint de ne surtout pas à l’IFI sont ainsi rentrés en France,
reculer sur la réforme de la fiscalité du capital. « L’ISF affaiblissait contre 220 départs… Ce qui reste
les entreprises familiales, obligeant à verser des dividendes même maigre comparé aux 153 000 foyers
dans le rouge pour que les minoritaires puissent payer, affirme redevables. Au total, la demi-sup-
FRÉDÉRIC COIRIER Frédéric Coirier. Et, lors des successions, nombre de belles ETI ont été pression de l’ISF a coûté autour de
Coprésident 3 milliards aux finances publiques et
du Mouvement des obligées de se vendre à des groupes étrangers. » Son argument :
entreprises de taille avec la fin de l’ISF et le prélèvement forfaitaire unique (PFU), si la baisse de taxation des revenus
intermédiaire (Meti) « la France s’est juste remise au niveau de ses voisins européens ». du capital s’est faite sans perte, c’est

34  CHALLENGES N°774 - 16 FÉVRIER 2023

 parce que les actionnaires, profitant
de l’avantageuse flat tax, se sont
octroyés de plus généreux divi-

Héritage, attention danger !

dendes, gonflés de 65 % entre 2017 et
2020. Mais les riches ont-ils utilisé
cet argent pour financer des activi-
tés au soutien de la croissance ?
« Le Comité n’a pu mettre en évi- La fiscalité sur les successions est inefficace
dence d’effets marqués sur l’inves- et inéquitable. Mais les politiques n’osent pas
tissement et l’emploi », reconnaît
Cédric Audenis. Un nouveau rap- réviser à la hausse cet « impôt sur la mort ».
port sur ce point crucial est attendu
à l’automne prochain.

En attendant, les riches, dopés
par les hausses de la Bourse et de
l’immobilier, n’ont jamais été aussi
prospères. « Les 500 plus grandes
fortunes françaises sont passées
en dix ans de 200 milliards à
1 000 milliards d’euros, il suffirait
d’imposer à 50 % cet enrichisse-
ment exceptionnel pour rapporter
400 milliards »,
3 provoque, sur son
14 409 361
L
utter contre l’inégalité des Impôts payés sur
chances, valoriser le travail, l’héritage perçu
tout au long de la vie
préférer le risque à la rente : (successions et
l’identité politique d’Emmanuel donations, en euros)
Macron aurait dû le porter à taxer fort Patrimoine transmis
l’héritage. D’autant que l’idée fait Patrimoine taxable
consensus parmi les économistes, Impôt payé
aussi bien à gauche, chez Thomas
Piketty, fustigeant la montée
d’inégalités dynastiques bloquant
l’ascenseur social, que chez les plus

4 605 630

4 625 646
blog, l’économiste libéraux, préoccupés de voir la
milliards Thomas Piketty. naissance prendre le dessus sur
C’est, en euros, Une proposition le mérite. Et ceux qui ont œuvré

1 622 943
le manque

1 437 814
1 223 602
inconstitutionnelle pour la campagne du candidat Macron
à gagner pour car confiscatoire, en 2017 en sont les premiers partisans,

389 815
465 588
l’Etat de la

transformation ces grandes for-
de l’ISF en impôt tunes étant investies
sur la fortune dans des actions
immobilière (IFI). d’entreprises qu’il
leur faudrait vendre
en catastrophe, au risque de les
déstabiliser, et au profit de fonds
étrangers. « Dans les faits, c’est
pratiquement impossible de taxer
correctement le patrimoine des
grandes fortunes, illiquide et sou-
vent mal évaluable », estime l’éco-
nomiste Etienne Lehmann, membre
du Comité. De plus, fait-il remar-
quer, « l’obligation constitution-
nelle de plafonner l’ISF en fonction
des revenus faisait qu’il taxait plus
les millionnaires que les milliar-
daires ». Pour autant, au-delà même
des économistes marqués à gauche
tels la Prix Nobel Esther Duflo ou
Gabriel Zucman, qui réclament un
impôt sur la fortune frappant fort,
l’idée d’une surtaxe, faible ou tem-
poraire, sur les hauts patrimoines
ou les revenus du capital, est défen-
due par beaucoup, comme un geste
nécessaire. « A l’heure de redresser
les comptes, le blocage du gouverne-
ment n’est pas très raisonnable »,
juge Jean Pisani-Ferry, conseiller
économique de Macron en 2017.
Gaëlle Macke
tels Jean Pisani-Ferry, Philippe
Aghion ou Philippe Martin.
Fin 2021, le Conseil d’analyse
économique (CAE), rattaché à
Matignon, a d’ailleurs publié une étude
édifiante, pointant que 60 % de la
fortune des Français est aujourd’hui
héritée, contre 34 % en 1970. Avec de
très fortes inégalités : le tiers des plus
modestes n’hérite de rien, alors que
les 0,1 % les plus fortunés reçoivent
près de 13 millions, soit 180 fois
l’héritage médian, « un écart bien plus
spectaculaire que celui des revenus
du travail, où les 0,1 % les mieux
rémunérés touchent 10 fois le salaire
médian », relève un des auteurs,
Camille Landais. Pourtant, le président
Macron n’a pas dit mot sur les droits
de succession dans son programme
de 2017, et a refusé le débat que
voulaient ouvrir les chefs de son parti
Christophe Castaner puis Stanislas
Guerini. En 2022, au contraire, il a
même promis pour son second mandat
de monter le plafond d’exonération
des droits de succession de 100 000 à
150 000 euros par enfant… alors que le
patrimoine médian est de 70 000 euros.
Pourquoi une telle dissonance ? Parce
que cet impôt est très impopulaire. Les
trois quarts des Français l’estiment
injuste, plus encore dans les classes
81 029
71 707
0
0
Héritage médian Héritage perçu Héritage perçu Héritage perçu
en France par les 10% des par le 1% des par le 0,1% des
Français les plus riches Français les plus riches Français les plus riches
SOURCES : CAE, FRANCE STRATÉGIE, CHALLENGES.
populaires… qui ne savent pas qu’elles
ne l’acquitteront pas puisque quatre
successions sur cinq sont inférieures
à l’abattement de 100 000 euros !
A défaut de taxer davantage, une
réforme permettrait au moins de taxer
plus justement. Car les plus fortunés
disposent d’une panoplie
d’exonérations (patrimoines
professionnels, assurance-vie) qui
aboutit à ce que les 0,1 % des Français
les plus riches ne payent en moyenne
que 10 % sur leur legs, loin du taux
maximal théorique de 45 %. Le CAE
préconise d’instaurer un barème plus
progressif et de limiter les niches et
dérogations, tout comme Olivier
Blanchard, ancien chef économiste du
FMI, et le Prix Nobel Jean Tirole, dans
leur rapport remis à l’Elysée en juin
2021. Mais le sujet est si inflammable
que l’exécutif se garde bien d’y
toucher. Si bien que, alors que
300 milliards d’euros sont transmis
chaque année – soit 15 % du PIB
tricolore – l’impôt sur l’héritage
rapporte autour de 16 milliards à l’Etat
– soit 1,4 % des recettes fiscales. G. M. 

16 FÉVRIER 2023 - CHALLENGES N°774  35

 France

CLASSES AISÉES

Aides à domicile sans contrôle

Coach sportif, cours particuliers, jardinage… La déduction d’impôt
liée à l’emploi de salariés à la maison favorise les dépenses de confort.
Des députés comptent resserrer le dispositif.

S
on constat est implacable.
« On ne peut pas demander
aux contribuables de payer
pour le coaching sportif ou
le gardiennage de résidence secon-
daire des plus aisés. C’est n’im-
porte quoi. » Cela fait des années
que la députée socialiste Christine
Pirès-Beaune bataille contre les dé-
rives du crédit d’impôt pour l’emploi
à domicile, qui « doit servir d’abord
aux personnes dépendantes et à la
garde d’enfants », selon l’élue. En
S. Punnasuriyaporn/Alamy Stock Photo

octobre, elle a obtenu une petite vic-

toire. Dorénavant les contribuables
indiqueront, dans leur déclaration
de revenus, la nature des dépenses
dont ils demandent le rembourse-
ment : garde d’enfants, ménage,
cours à domicile, etc. Mais, pour que
le gouvernement et la droite ne
bloquent pas, elle a dû retirer Séance de yoga à la maison. Selon un rapport parlementaire, les 10 % de Français les plus riches
d’autres amendements visant à ré- se sont partagés 48 % des montants versés par l’Etat dans le cadre de l’aide à domicile en 2020.
duire le nombre d’activités éligibles
ou à baisser le plafond des dé- un levier contre le chômage et le d’enfants à charge) lors du plan
penses. Cet énième bras de fer il- travail au noir. C’est Martine Aubry Borloo de 2005, inspiré par le lobby
lustre les difficultés à encadrer cette qui a lancé le dispositif, d’abord patronal. Aucun gouvernement n’a
niche fiscale XXL, qui devrait coûter sous forme de réduction d’impôt ensuite osé y toucher, malgré les
5,7 milliards d’euros cette année et équivalente à 50 % des dépenses du critiques croissantes sur son coût
profite à 4,3 millions de ménages. foyer. Et ce quelle que soit l’activité exorbitant. « Pour chaque euro
Petit retour historique. Depuis financée. Brièvement divisé par investi par l’Etat, le secteur rap-
1991, la France soutient massive- deux sous Lionel Jospin, le plafond porte 1,90 euro en recettes et en
ment les services à la personne, des dépenses est finalement fixé à moindres dépenses », assure Brice
bien plus que ses voisins, y voyant 12 000 euros (15 000 euros en cas Alzon, le président de la Fédération
du service aux particuliers (Fesp),
s’appuyant sur des études com-
mandées au cabinet Oliver Wyman,
LE LOBBYISTE qui mettent en avant les nombreux
SP

Depuis avril 2022, l’entrepreneur de 49 ans, patron de la coopérative emplois créés.

MDSAP, a pris la relève de Maxime Aiach, fondateur d’Acadomia, Mais ce raisonnement agace vive-
à la tête de la Fesp. Cette émanation du Medef a été créée ment l’économiste Clément Car-
en 1996, lorsque les entreprises ont obtenu le droit de bénéficier bonnier, qui a consacré un ouvrage
BRICE ALZON des avantages fiscaux. Elle partage le lobbying du secteur entier au sujet (Le Retour des do-
Président de la
Fédération du service avec sa rivale, la Fedesap, affiliée à la CPME, et la Fepem, qui mestiques, Seuil). « Il y a un déve-
aux particuliers (Fesp) défend les particuliers employeurs. loppement structurel du secteur

36  CHALLENGES N°774 - 16 FÉVRIER 2023

 lié au vieillissement de la popula-
tion et à d’autres mesures (chèque
emploi services, exonérations
sociales…), relève-t-il. Pour mesu-
rer l’efficacité du crédit d’impôt,
il faut isoler son effet direct sur
les dépenses des particuliers. » La
mise en place du dispositif en 1991
aurait ainsi généré 27 500 « équi-
valents temps plein », avec un
manque à gagner pour l’Etat de
39 000 euros par emploi. Une effi-
cacité très relative, qui s’effondre
lorsque l’on étudie le relèvement
du plafond à 10 000 euros, en 2003.
Il n’aurait créé que 550 jobs, soit
un coût faramineux de 159 000 eu-
ros par emploi ! En clair, le crédit
d’impôt provoquerait des effets
d’aubaine massifs pour les ménages
aisés. En 2018, Clément Carbonnier
avait calculé que 8 % des heures fac-
turées concernaient
5,7 la garde d’enfant
et 38 % l’aide aux
milliards personnes dépen-
C’est, en euros, dantes, tandis que
le manque à les 54 % restants
gagner en 2023
pour l’Etat dû aux
finançaient pour des
niches fiscales personnes valides
pour l’emploi du ménage, du jar-
de salarié dinage, des cours à
à domicile. domicile, etc. Selon
un rapport parle-
mentaire, les 10 % de Français les
plus riches se sont ainsi partagés
48 % des montants versés par l’Etat
en 2020.
Il n’y a toutefois pas d’études ou de
données plus récentes. D’où l’inté-
rêt de l’amendement Pirès-Beaune
sur le renseignement par les contri-
buables des prestations rembour-
sées, qui éclairera le débat à partir
de 2024. En attendant, chaque camp
fourbit ses armes. Brice Alzon s’ac-
tive auprès des députés, y compris
dans la majorité, qui ont la niche
fiscale dans le viseur. « Si l’on
touche au crédit d’impôt, cela va
être le grand retour du travail au
noir », avertit le lobbyiste, qui cite
un sondage commandé à l’Ifop, indi-
quant que 31 % des Français auraient
recours à des prestations non décla-
rées en cas de suppression de
l’avantage fiscal. La proportion
tombe toutefois à 15 % s’il n’est que
diminué. La Fesp a décidé de finan-
cer une nouvelle étude d’Oliver
Wyman pour « affiner l’analyse ».
David Bensoussan
Une épargne abondante
mais mal orientée
L’avantage fiscal lié à l’assurance-vie profite
aux 10 % les plus aisés et flèche l’épargne vers
la dette d’Etat. Un mécanisme coûteux.
G
are au gouvernement qui
touchera à l’assurance-vie.
Pas vraiment utilisé
comme un outil de prévoyance
– contrairement à ce que son intitulé
laisse croire –, ce produit d’épargne
est le « placement préféré des
Français », comme aime à le rappeler
France Assureurs, le syndicat des
professionnels du secteur, loin devant
les placements en actions comme
le PEA (voir graphique). Les chiffres
sont éloquents. Avec 54 millions
de contrats d’assurance-vie,
18 millions de détenteurs et
38 millions de bénéficiaires, l’encours
atteint désormais le montant record
de 1 876 milliards d’euros. Soit 31 %
de l’épargne financière totale.
Il faut dire que ce placement cumule
les avantages. L’assurance-vie est
à la fois liquide et garanti en capital,
jusqu’à 100 % pour les fonds euros
(investis majoritairement en
obligations). Mieux, elle est assortie
d’avantages fiscaux très attractifs
et complètement décorrélés du niveau
de risque du placement. Un contrat
d’assurance-vie offre un abattement
annuel sur les intérêts perçus
allant jusqu’à 4 600 euros après
huit ans de détention. Il échappe aussi
en partie à l’impôt sur les successions
en exonérant jusqu’à 152 000 euros
par légataire l’héritage transmis via
un contrat d’assurance-vie. Au total,
le manque à gagner pour les caisses
de l’Etat s’élève à 1,5 milliard d’euros
par an. Des carottes fiscales
qui profitent d’abord aux plus riches.
Selon l’Insee, 65 % de l’épargne
placée en assurance-vie est détenue
par les 10 % des Français les plus
fortunés. Tandis que la moitié de la
population la plus modeste n’en
possède que 6,6 %.
Financièrement, l’Etat trouve
toutefois un intérêt à orienter cette
16 FÉVRIER 2023 - CHALLENGES N°774 
Encours de l’assurance-vie et du plan épargne
en actions (en milliards d’euros)
2021
1 900
1 876
Assurance-vie
1 800
1 700
111,8
1 600
17 18 19 20 21 Assurance-vie PEA
SOURCES : BANQUE DE FRANCE ET FRANCE ASSUREURS.
épargne vers l’assurance-vie. Celle-ci
est placée aux trois quarts en
emprunt public et offre donc
une manne de financement pour
la dette tricolore. Mais, pour
nombre d’économistes, le mécanisme
est peu optimal. « La France n’a
de toute façon pas de problème pour
emprunter sur les marchés
financiers, relève Christian Gollier,
chercheur à la Toulouse School of
Economics. Cette épargne est
fléchée vers la dette de l’Etat et sert
en premier lieu à financer les
salaires des fonctionnaires et
les dépenses courantes. Ce n’est
pas de l’investissement qui crée de
la valeur et qui pourrait alimenter
la croissance et la prospérité
du pays ! » Pis, la captation
d’une telle manne par l’Etat rend
les conditions de financement
des entreprises plus difficile : le
capital disponible est plus rare,
et donc coûte cher – surtout avec
la montée des taux d’intérêt. Même
l’épargnant ne s’y retrouve
pas vraiment : au XXe siècle, les
rendements réels de l’assurance-vie
en obligations n’ont jamais dépassé
l’inflation. E. A. 
37
 France

IMMOBILIER

Des milliards versés à l’aveugle

La politique du logement passe par une myriade
d’avantages fiscaux. Sans garantir que les constructions neuves
soient bâties là où les Français en ont le plus besoin.

L
es Français qui éprouvent
des difficultés à se loger
l’ignorent le plus souvent.
Chaque année, l’Etat
consacre près de 40 milliards d’eu-
ros à la politique du logement, dont
une grosse quinzaine versée via
66 types d’incitations fiscales. Cer-
taines de ces carottes sont intou-
chables, comme les dégrèvements
accordés aux constructeurs en cas
de création d’équipements publics.
Mais les plus importantes – disposi-
tifs Pinel, Censi-Bouvard, Denor-
mandie, etc. –, qui représentent un
manque à gagner de 4 milliards pour
les caisses de l’Etat, sont dans le vi-
seur du ministère des Finances car
jugées inefficaces.
La niche fiscale dite « Pinel » est
particulièrement ciblée. Cette me-
F. Henry/REA

sure, qui consiste à accorder une

réduction d’impôt aux particuliers
investissant dans des logements
neufs mis ensuite en location avec
un loyer plafonné, coûte très cher,
quelque 1,5 milliard d’euros prévus
en 2023. Et bien que le nombre de
logements neufs construits via ce
dispositif baisse d’année en année,
son coût, lui, continue d’augmenter.
La raison : la réduction d’impôt de
chaque opération s’étale sur douze
E. Tschaen/Réa
Construction d’un immeuble en loi Pinel, à Grenoble, en mars 2021. Le dispositif Pinel est plus coûteux
que des subventions directes aux logements sociaux pour des baisses de loyers « très faibles ».
ans… Sans donner de résultats pro- ments sociaux pour des baisses de
bants. Comme le soulignait, en 2020, loyers « très faibles ». Pis, ce méca-
un rapport de l’inspection des Fi- nisme n’aboutit pas toujours à créer
nances et de l’inspection générale des logements là où les demandes
du Développement durable, le dis- de la population sont les plus
positif Pinel est plus coûteux que criantes. En gros, on construit là où
des subventions directes aux loge- le terrain est le moins cher et pas
forcément là où il y a le plus de be-
soins. Dans leur rapport, les inspec-
tions des Finances et du Développe-
LE LOBBYISTE ment durable suggéraient de

Le patron de la puissante fédération du bâtiment mène l’offensive « passer d’une logique de guichet
« pour sauver le logement neuf en France ». Il accepte les critiques ouvert à un soutien maîtrisé et
sur la niche Pinel et se montre même ouvert à sa suppression. Mais, orienté au regard des besoins ».
en échange, il réclame que les particuliers qui investissent dans Mais la suppression ou même le ra-
des logements neufs ou anciens puissent déduire de leur déclaration botage des niches immobilières se
OLIVIER SALLERON de revenus entre 2 et 3 % du prix de leur bien par an, comme heurtent à de fortes résistances. Les
Président de la
Fédération française les entreprises, durant plusieurs années. Une mesure qui serait promoteurs, gestionnaires et autres
du bâtiment (FFB) aussi très coûteuse pour les finances publiques. acteurs du BTP promettent un ef-

38  CHALLENGES N°774 - 16 FÉVRIER 2023

 fondrement de la construction col-
lective neuve en cas de disparition
de ces avantages fiscaux. En oc-
tobre, leurs représentants rappe-
laient encore que la suppression du
dispositif Duflot, prédécesseur du
Pinel, s’était « traduite en division
par deux des ventes de logements
neufs ». Pour l’essayiste Robin Riva-
ton, auteur de L’Immobilier de-
main (Dunod), les conséquences
d’un arrêt brutal des incitations fis-
cales seraient aussi catastrophiques
pour l’emploi : « Si on casse la
chaîne de production, il ne faut pas
imaginer, comme le fait sans doute
Bercy, que les salariés du BTP iront
se reconvertir dans l’hôtellerie. Il y
aura de la casse ! »
Le lobbying a payé. Dans la loi de
finances 2023, le Pinel n’a pas été
supprimé, il a juste été mieux ciblé.
Pour obtenir la ristourne fiscale en
2024, les investis-
4 seurs devront ache-
ter un logement
milliards mieux équipé, isolé
Le manque et situé dans un
à gagner annuel
pour l’Etat dû aux quartier prioritaire.
niches fiscales « Le Pinel ne finan-
immobilières cera plus la spécula-
accordées aux tion foncière », se
particuliers pour réjouit Alain Tran-
les inciter à noy, professeur
investir dans des
logements neufs d’économie à l’uni-
(dispositifs Pinel, versité d’Aix-Mar-
Censi-Bouvard, seille et spécialiste
Denorman- des politiques pu-
die, etc.). bliques. Avec à la
clé, sans doute, des
opérations moins nombreuses… et
donc une dépense fiscale forcément
allégée.
Reste que le gouvernement manque
cruellement d’études solides pour
évaluer l’efficacité des milliards
d’avantages fiscaux fléchés vers la
politique du logement. En juillet
dernier, la Cour des comptes poin-
tait que l’Etat ne disposait pas de
« données fiables, exhaustives, ré-
centes et accessibles » sur ce secteur
essentiel qui pèse près de 10 % du
PIB. En 2021, l’administration fis-
cale a bien lancé l’idée de mettre en
commun les douze bases publiques
existantes : Insee, notaires, fisc,
parc locatif social, base CNAF, etc.
Mais, à ce jour, le projet n’a pas
avancé d’un pouce. Et les milliards
sont toujours dépensés à l’aveu-
glette. Eric Tréguier
L’indéboulonnable barème
de la taxe foncière
Inchangées depuis 1970, les valeurs locatives
cadastrales créent des injustices entre
contribuables. Mais leur révision attend toujours.
I
nterdit fiscal par excellence, les
« valeurs locatives cadastrales »
n’ont jamais été révisées depuis
1970. Derrière ce nom barbare,
il y a pourtant un sujet crucial pour
le porte-monnaie des Français.
Ce sont les données qui servent
de base au calcul de la taxe foncière,
de la taxe d’enlèvement des ordures
ménagères et de ce qu’il reste de taxe
d’habitation (résidences secondaires
et logements vacants). Or, elles sont
jugées depuis des années « obsolètes
et inéquitables » par la Cour des
comptes. « Elles ne correspondent
plus du tout à la réalité, confirme
Christian Escallier, directeur général
du cabinet de conseil en finances
locales Michel Klopfer. Le logement
social, par exemple, flambant neuf
dans les années 1970 au moment
où les valeurs ont été arrêtées,
supporte aujourd’hui un tarif
de “confort” bien supérieur à ce
qu’il est devenu comparativement
aux autres logements. »
Pis, les valeurs locatives cadastrales
sont le fruit d’un calcul « complexe
et opaque » pour reprendre encore
les termes de la Cour des comptes.
En bref, la surface du logement
– majorée de critères de confort,
de situation géographique, etc. –
est multipliée par un tarif fixé en
fonction de l’état du bien – huit au total
allant de « délabré » à « somptueux ».
Autant d’éléments qui sont restés
immuables depuis 1970 et créent
des injustices entre les contribuables
selon leur lieu d’habitation.
Mais les gouvernements successifs
rechignent à toucher au grisbi
cadastral. En 2013, une
expérimentation avait été lancée sur
cinq départements pour en mesurer
l’impact. Sa conclusion, affolante, n’a
été révélée qu’en 2017 : en moyenne,
les valeurs cadastrales sont sous-
16 FÉVRIER 2023 - CHALLENGES N°773 
Classement des grandes villes où la taxe
foncière est la plus élevée (en %)
Le Havre Edouard Philippe (Horizons)
54,47
Montpellier Michaël Delafosse (PS)
53,44
Toulouse Jean-Luc Moudenc (DVD)
48,93
Nantes Johanna Roland (PS)
48,92
Lille Martine Aubry (PS)
48,61
Toulon Hubert Falco (Horizons)
48,45
Rennes Nathalie Appéré (PS)
47,51
Bordeaux Pierre Hurmic (EELV)
46,56
Reims Arnaud Robinet (Horizons)
46,26
Marseille Benoît Payan (DVG)
43,03
*LES TAUX S’APPLIQUENT À 50 % DE VALEUR LOCATIVE, CENSÉE
REPRÉSENTER LE LOYER ANNUEL POTENTIEL DE CHAQUE IMMEUBLE.
SOURCE : UNION NATIONALE DES PROPRIÉTAIRES IMMOBILIERS.
estimées de 150 % avec d’énormes
disparités sur le territoire ! Difficulté
politique supplémentaire : l’évolution
n’aurait rien d’uniforme par type
de logements. « Les maisons de
65 à 74 mètres carrés du parc privé
verraient leur taxe foncière majorée
en moyenne de 26 % et les
appartements de 80 à 89 m² minorée
de 16 % », résume François Ecalle,
président du site d’information sur
les finances publiques Fipeco.
Les bailleurs et résidents de logements
sociaux, eux, paieraient deux fois
moins. Face à un tel bouleversement
fiscal, les velléités de réforme n’ont
pas franchement prospéré.
En 2020, la loi de finances a renvoyé
la révision des valeurs locatives à…
2026. Et le Budget 2023 vient
d’en décaler l’exécution à 2028.
« Ce report, après l’élection
présidentielle, après les municipales,
signe la mort de la révision »,
soupire Philippe Laurent, vice-
président de l’Association des maires
de France, qui défend la réforme.
Christian Escallier, philosophe,
rappelle l’adage : « Un bon impôt
est un vieil impôt. » A. M. 
39
 France

ENTREPRISES

Le crédit d’impôt recherche

gâte les grands groupes
La manne du CIR profite peu aux petites entreprises, davantage aux
majors, pour qui le maintien des centres de R&D en France est à ce prix.

Q
uarante ans d’existence et
autant d’années de polé-
miques pour le crédit d’im-
pôt recherche (CIR). La
Cour des comptes, France Stratégie,
des parlementaires ont tour à tour
ciblé les imperfections du dispositif,
qui permet aux entreprises d’obte-
nir une baisse d’impôt égale à 30 %
de leurs dépenses de recherche,
dans la limite de 100 millions d’eu-
ros, puis 5 % au-delà. En septembre
dernier, le CIR a subi un nouvel as-
saut, venu cette fois d’économistes
proches du macronisme. Dans une
note du Conseil d’analyse écono-
mique (CAE), boîte à idées ratta-
chée à Matignon, les universitaires
Philippe Aghion, Xavier Jaravel et
Nicolas Chanut soulignent d’emblée
Thales

que les 7 milliards que coûte le CIR

chaque année pèsent « près du bud-
get du CNRS, du Cnes et de l’Inserm
réunis ». Or, cette manne profite
« de manière disproportionnée »
aux grandes entreprises puisque les
groupes de plus de 5 000 salariés en
reçoivent plus du tiers. TotalEner-
gies et BNP Paribas en sont grands
consommateurs – tout en se gardant
bien de communiquer les montants
perçus. Effet d’aubaine, estime la
C.Saidi/Sipa
Drone UAS100 fabriqué par Thales. Des innovations de ce type n’auraient pas vu le jour sans
le crédit d’impôt recherche, estime l’Agence nationale de la recherche et de la technologie.
note, car le dispositif « subven- tites entreprises et les PME », re-
tionne des investissements de cer- lèvent les trois économistes. Ces
taines grandes entreprises qui au- dernières déposent en effet environ
raient de toute façon eu lieu ». un brevet par million d’euros de cré-
Cette répartition est d’autant plus dit d’impôt recherche perçus, soit
inefficace que « le rendement du deux fois plus que les grandes
CIR est plus avantageux lorsque firmes. D’où la recommandation des
celui-ci est dirigé vers les très pe- auteurs : à moyens budgétaires
constants, il faut réorienter les flux
vers les plus petites entreprises.
Face à ces critiques argumentées,
LE LOBBYISTE la réponse du patronat ne l’est pas

Depuis septembre, Alexandre Saubot a déjà été invité dix fois moins. « Nous avons un dispositif
par les ministres en charge de l’Economie. Preuve de la puissance qui fonctionne : surtout, ne tou-
de frappe de celui qui a été réélu en novembre à la tête de France chez à rien ! », plaide Alexandre
Industrie. L’organisation compte 48 entreprises, d’Airbus à Sanofi, Saubot, président de France
et 30 fédérations, du verre à la chimie. Une bonne raison Industrie, organisation représen-
ALEXANDRE SAUBOT
Président de France de défendre vigoureusement le crédit d’impôt recherche, dont tant les industriels. Et de lancer la
Industrie l’industrie manufacturière consomme 60 % des crédits. contre-offensive. « Ce sont princi-

40  CHALLENGES N°774 - 16 FÉVRIER 2023

 palement les grands groupes qui
ont les capacités financières pour
investir dans la recherche et déve-
loppement (R&D) et pour prendre
des risques », assure-t-il. Un bon
connaisseur du secteur renchérit :
« Augmenter les aides à destination
des PME n’aurait guère de sens, car
ces dernières ne produisent pas
suffisamment de recherche pour
absorber un accroissement signi-
ficatif de leur montant. » Quant
à l’effet d’aubaine supposée pour
les grandes entreprises, les indus-
triels martèlent que, sans le CIR, les
centres de R&D ne s’installeraient
plus dans l’Hexagone.
De fait, les milliards du CIR ont per-
mis de faire chuter le coût d’un cher-
cheur industriel en France.
L’Agence nationale de la recherche
et de la technologie (ANRT) a cal-
culé que le crédit
7 d’impôt et les sub-
ventions main-
milliards tiennent les blouses
C’est, en euros, blanches françaises
le manque dix points en des-
à gagner pour
l’Etat du crédit sous du coût de
d’impôt leurs homologues
recherche prévu allemands. Et l’orga-
pour 2023. nisme liste même
très précisément
« ces innovations qui n’auraient
pas vu le jour sans le crédit d’impôt
recherche ». Pas de CIR, pas de
Vache qui rit Blends, fabriquée avec
des pois chiches par l’entreprise
Bel. Pas non plus d’envol d’un pro-
totype de drone UAS100 fabriqué
par Thales.
Mais le débat est loin d’être clos.
Dans les prochaines semaines, les
élus qui planchent sur le plan de ré-
industrialisation verte voulue par
Bruno Le Maire reviendront à la
charge. « Le CIR doit clairement
être mis sur la table », confie Guil-
laume Kasbarian, député Renais-
sance et président de la commission
des Affaires économiques à l’As-
semblée. Plusieurs réformes sont à
l’étude. Comme la possibilité d’un
bonus pour les recherches intégrant
des enjeux environnementaux ou
pour celles qui permettent des relo-
calisations. « Projets illusoires et
dangereux », s’inquiète déjà
Alexandre Saubot, qui pointe un
risque de complexification des pro-
cédures. Le bras de fer continue.
Grégoire Pinson
Des allégements de cotisations
trop généreux
Les baisses de charges sur les salaires supérieurs
à 1,6 smic coûtent 4 milliards d’euros à la Sécu.
Sans effet sur le chômage et la compétitivité.
C
’est une politique qui
transcende le clivage gauche-
droite. Depuis trente ans,
les gouvernements successifs ont
constamment réduit les cotisations
sociales à la charge des employeurs
sur les bas salaires. Objectif :
diminuer le coût du travail pour
favoriser l’embauche de travailleurs
peu qualifiés. Edouard Balladur
a lancé la mode en 1993 avec une
baisse des charges jusqu’à 1,3 smic,
François Fillon l’a suivi en étendant
le dispositif jusqu’à 1,6 smic en 2003,
puis François Hollande a franchi
deux marches supplémentaires avec
des allégements jusqu’à 2,5 smic
en 2013, puis 3,5 smic en 2016.
Une constance qui a porté ses fruits.
Entre 1991 et 2022, le taux de
cotisations patronales a chuté
de 42,6 % à 7 % au niveau du smic.
Et le manque à gagner total
pour les caisses publiques s’élève
à 60 milliards d’euros.
Le problème, c’est que les
économistes ne soutiennent que
partiellement le bien-fondé de ces
mesures. En effet, si nombre d’études
universitaires démontrent les effets
positifs de la réduction du coût du
travail en dessous de 1,6 smic pour
l’emploi des travailleurs peu qualifiés,
ce n’est pas le cas au-delà de ce seuil.
Les baisses de cotisations sur les
rémunérations plus élevées se
traduisent généralement par des
augmentations salariales et n’ont
quasiment aucun impact sur le
chômage ou la compétitivité des
entreprises. « Les résultats sont
décevants tant sur l’emploi que sur
les exportations, confirme une note
du Conseil d’analyse économique
(CAE), le groupe d’économistes
placé auprès du Premier ministre.
Le bénéfice des exonérations au-delà
d’1,6 smic n’est pas démontré. »
16 FÉVRIER 2023 - CHALLENGES N°774 
Le poids des cotisations sociales en % du PIB
16,2
14,9
14,2
13,4 13,6
10,2 9,9
9,1 9
8
7,1
6,2
4,7 4,4
3,7
France Allemagne Italie Espagne Zone euro
Cotisations des employeurs Cotisations des ménages Total
SOURCES : EUROSTAT, FIPECO.
En 2019, le CAE a même préconisé
l’abandon pur et simple des baisses
de charges entre 1,6 et 3,5 smic qui
prive la Sécu de 4 milliards d’euros
de recettes annuelles.
Mais le lobby des industriels veille
au grain. En 2012, Louis Gallois,
ancien patron d’Airbus et de la SNCF,
avait jeté toutes ses forces dans la
bataille pour convaincre François
Hollande d’accorder des allégements
de charges jusqu’à 3,5 smic,
finalement obtenus en 2016. Depuis,
les organisations patronales plaident
la nécessaire stabilité des règles,
histoire d’éviter tout retour en arrière.
« Les grands patrons de l’industrie
cherchent à se protéger de la
concurrence, en détournant à leur
profit les politiques de baisse du coût
du travail », cingle l’économiste
Pierre Cahuc dans Le Négationnisme
économique (Flammarion). Lors
de l’examen de la loi de financement
de la Sécurité sociale à l’automne,
le député Renaissance Sacha Houlié
et 26 de ses collègues ont bien
tenté de s’attaquer aux exonérations
entre 2,5 et 3,5 smic. Avant
de finalement renoncer sous
la pression du gouvernement.
Le débat reste ouvert. L. F.
41
Monde

L’élite économique russe

trouve refuge à Dubai
Depuis un an, cadres réfractaires à la guerre en Ukraine et hommes
d’affaires sous sanctions investissent hôtels et villas de luxe de l’émirat.
Un eldorado fiscal et business friendly en plein boom.

S
’il n’avait pas posé ses va-
lises début mars à Dubai,
Denis serait probablement
aujourd’hui à Dnipro, Kher-
son ou Soledar, enrôlé dans une
« guerre stupide », aux côtés des
forces russes. Ce colosse de 29 ans
au regard bleu azur est d’ailleurs
considéré comme déserteur par
l’armée de son pays. « Lorsque j’ai
fait mon service militaire en 2017,
j’ai développé, aux yeux de mes
supérieurs, des capacités comme
tireur d’élite, confie-t-il dans son
appartement en centre-ville de Du-
bai. Et le 21 septembre, c’est-à-dire
le jour même de la mobilisation
partielle décrétée par Vladimir
Poutine, ma maman a reçu une
convocation me concernant à
3 heures du matin, à son domicile
à Moscou. » Mis en difficulté par les
contre-offensives ukrainiennes, le
Kremlin s’était résolu à recruter
300 000 hommes pour regarnir des
troupes clairsemées.
Diplômé d’une école de commerce,
Denis a démissionné fin février de
l’agence de communication dans
laquelle il officiait à Moscou.
Quelques jours plus tard, lesté de
deux valises, il débarquait à Dubai
EXIL
PRÉCIPITÉ chez un copain arrivé peu avant.
« Je voyais à Moscou beaucoup de
+ 20 % voitures taguées de la lettre Z (sym-
d’immigrés bole militaire des forces russes),
russes en un an
vers les Emirats mais aussi des gens arrêtés pour
arabes unis. avoir brandi le drapeau de la paix,
poursuit-il. Je ne me voyais pas non
60 000 plus payer des impôts pour que le
citoyens russes gouvernement aille tuer des Ukrai-
dans le pays. niens avec cet argent. » Au prin-
3 000 temps, le duo a été rejoint par cinq
entreprises autres amis d’enfance qui travaillent
russes présentes dans l’immobilier, la tech ou la li-
dans les Emirats. vraison. Montant moyen de leur sa-
laire mensuel : 5 000 euros.
Ces départs sont loin d’être isolés.
Depuis le 24 février 2021, la pre-
mière ville des Emirats arabes unis
s’est imposée comme le nouvel el-
dorado des citoyens russes, à l’ins-
tar de la Turquie ou de la Géorgie.
Le contingent russe dans le pays
s’élèverait à 60 000 personnes, en
hausse de plus de 20 % sur un an.
Passeport et visa spécial
La Golden City accueille surtout des
profils aisés, séduits par le côté bu-
siness friendly de cette ville peu-
plée à 90 % d’étrangers. Dubai a par
exemple instauré en 2020 un visa
spécial pour les télétravailleurs et
des dispositions favorables pour les
grandes fortunes, notamment la
possibilité d’obtenir un passeport
émirati. La fiscalité locale est aussi
des plus douces, l’impôt sur le reve-
nu n’existe pas. Ces nouveaux immi-
grés sont aussi accueillis à bras ou-
verts dans ce pays ami, l’un des
principaux partenaires de la Rus-
sie… Moscou est le troisième four-
nisseur d’armes des Emirats.
Ces derniers mois, la destination
phare des jet-setters a vu déferler
une vague importante d’hommes

Les Emirats dans le viseur de Washington

C
e n’est pas vraiment une
visite de courtoisie qu’a
effectuée Brian Nelson,
le 1er février, aux Emirats
arabes unis. Après une étape
en Turquie, autre pays
les sanctions prises par les
Etats-Unis contre la Russie.
Washington, qui a mis sur pied
une task force chargée de
traquer les biens des
oligarques et responsables
parlement russe Andreï Scotch,
qui mouille dans un port de la
cité-Etat. Ce navire estimé à
156 millions de dollars ne peut
recourir à des sociétés
américaines pour son entretien
A. Izambard

bienveillant envers Moscou, le russes sous sanctions, ni être l’objet de transactions

sous-secrétaire chargé du
terrorisme et du renseignement
financier au Trésor américain a
sermonné les autorités locales,
accusées de ne pas respecter
s’agace du nombre important
de bateaux et avions
stationnés à Dubai, non saisis.
Comme Madame Gu, yacht du
magnat de l’acier et député au
en dollars. Selon le Washington
Post, l’administration
Le Madame Gu. Les Etats-Unis
américaine souhaite le saisir,
voudraient saisir ce yacht d’un
mais se heurte au refus des
député russe, amarré à Dubai.
•
autorités émiraties.

42  CHALLENGES N°774 - 16 FÉVRIER 2023


d’affaires expatriés. Litasco, la fi-
liale de négoce de la major pétro-
lière russe Lukoil, a ainsi transféré
ses cadres à Dubai dans le but de
contourner les sanctions occiden-
tales. De très nombreux banquiers
d’affaires de Rothschild & Co, Gold-
man Sachs ou JPMorgan Chase,
dont les bureaux moscovites ont été
fermés après le début des hostilités
en Ukraine, sont également arrivés.
Records immobiliers
Attablé dans un restaurant au design
ultramoderne du DIFC, le quartier
financier de Dubai, Ilya, 29 ans, fait
partie de ces as de la finance qui ont
quitté leur pays. « Mon employeur
nous a proposé de venir ici, c’était
une excellente nouvelle », indique au
côté de sa compagne, Ekaterina,
29 ans, cet associé chez Roth-
schild & Co, passé par le géant russe
de la pétrochimie Sibur. Le couple,
qui clame son affection pour l’oppo-
sant russe Alexeï Navalny, bête
noire du Kremlin actuellement en
prison, affirme qu’il ne rentrera pas
en Russie tant que Vladimir Poutine
sera au pouvoir. « C’est un choix
difficile, car notre famille est restée
au pays, mais il nous est impos-
sible de vivre dans cet Etat, avec ce
régime », ajoute Ekaterina.
Le DIFC, Les nombreux palaces de Dubai
quartier financier sont remplis de cet exode. C’est le
de Dubai. cas du Mandarin Oriental, imposant
De nombreuses
banques
hôtel de luxe qui fait face au Golfe
d’affaires comme persique. Ce haut lieu des affaires
Rothschild & Co, russes, qui comprend notamment
Goldman Sachs un bar à caviar, est par exemple
ou JPMorgan prisé à chacun de ses fréquents dé-
Chase ont placements par le numéro deux du
transféré ici
leurs bureaux
fonds souverain russe (RDIF), Ana-
moscovites toly Braverman, sous sanctions oc-
et leurs cadres cidentales. Ces businessmen russes
pour éviter profitent également des multiples
les sanctions. liaisons aériennes entre les deux
pays. Malgré les appels au boycott,
les trois compagnies émiraties
(Emirates, Etihad et Flydubai) des-
servent toujours les aéroports de
Moscou et Saint-Pétersbourg.
Autre indicateur de cette immigra-
tion dorée : la spectaculaire hausse
du marché immobilier. L’an passé,
le nombre de ventes de maisons à
Dubai a augmenté de 60 %, pulvéri-
sant le précédent record établi
en 2009, et leur prix a grimpé en
moyenne de 13 %. Les contrats de
location de maisons ont également
augmenté de 11 % par rapport
à 2021. Et le loyer annuel moyen
d’une villa a bondi de près de 25 %.
« Cela tient principalement à l’ar-
rivée des Russes, confirme
Maxence Loose, agent immobilier
16 FÉVRIER 2023 - CHALLENGES N°774 
J. Hasenkopf/Alamy Stock Photo/Hemis.fr
français sur place. Chez les promo-
teurs, vous ne voyez qu’eux. Plu-
sieurs investisseurs russes
achètent par étages entiers, nous
n’avons jamais vu cela. »
Jeunesse contre oligarques
Marina, conservatrice de 35 ans qui
a quitté Saint-Pétersbourg en juillet
pour rejoindre une galerie d’art
contemporain à Dubai, affirme
qu’elle ne souffre pas de dépayse-
ment : « C’est très dur de quitter sa
famille, ses amis, son pays, mais je
retrouve ici beaucoup de compa-
triotes. Nous nous fréquentons à
l’occasion et faisons tous le constat
que cette guerre est une tragédie
humaine et économique. » Cette
jeunesse en exil ne côtoie pas vrai-
ment les nombreux oligarques et
milliardaires détenteurs de villas sur
l’île artificielle géante de Palm Ju-
meirah. C’est le cas du président de
l’AS Monaco, Dmitri Rybolovlev, ou
de Rouslan Baïsarov, homme d’af-
faires proche du dictateur tchét-
chène Ramzan Kadyrov. « La plu-
part des biens russes de la Palm
sont inoccupés, la vague d’immi-
gration concerne plus les jeunes
actifs », décrit une source diploma-
tique française.  Antoine Izambard
 (envoyé spécial à Dubai)
43
 Monde
La Corée du Sud achète sa
place dans la course aux puces
Alors que le marché se retourne, Séoul ouvre les vannes fiscales
pour maintenir la place de ses champions dans les semi-conducteurs.
Un enjeu stratégique et des opportunités à saisir.
Reuters
P
our les puces électro-
niques, la fête est finie.
Après l’explosion de la de-
mande post-Covid, qui a
fait s’envoler les prix et créé de
fortes pénuries, le marché s’est re-
tourné, alors que les ventes de
smartphones, PC et autres télévi-
sions baissent et que les entreprises
ont constitué de gros stocks. Les
champions coréens des puces mé-
moires ont encaissé la secousse. Le
résultat d’exploitation de SK Hynix
a chuté de 43 % en 2022. Et celui de
Samsung de 16 %… Mais pas ques-
tion pour ce mastodonte de ralentir
ses investissements à coups de mil-
liards de dollars dans ce secteur,
expliquant que « c’est une formi-
dable occasion de préparer l’ave-
44  CHALLENGES N°774 - 16 FÉVRIER 2023
nir ». Car si le marché est cyclique,
il reste porteur sur le long terme,
tant les puces se multiplient par-
tout, de l’électroménager aux voi-
tures électriques.
Aubaine géopolitique
Les tensions géopolitiques ouvrent
également des perspectives dont
entendent bien profiter les groupes
coréens. Les Etats-Unis ont décidé
de se passer des semi-conducteurs
chinois, forçant leurs multinatio-
nales à diversifier leurs fournis-
seurs. Début 2023, Dell a ainsi an-
noncé vouloir cesser d’utiliser tout
composant informatique produit en
Chine. Son concurrent Hewlett-­
Packard (HP) pourrait bientôt faire
de même.
Mais face à Taïwan et à son porte-
drapeau TSMC, leader mondial de la
« fonderie » de puces, la Corée du
Sud et son navire amiral Samsung
(dont le chiffre d’affaires représente
un cinquième du PIB du pays) n’est
pas favorite. De gros clients de Sam-
sung, comme les américains Nvidia
ou Qualcomm, ont décidé de se
tourner vers TSMC, qui projette de
construire six nouvelles usines aux
Etats-Unis.
Loi protectionniste
« Nous sommes en guerre »,
s’alarme la députée coréenne Yang
Hyang-ja. Cette ancienne cadre de
Samsung convertie récemment à la
politique a fait des semi-conducteurs
son cheval de bataille. Menant de
front plusieurs propositions de loi,
elle a réussi à rallier le gouverne-
ment à sa cause pour soutenir les
chaebols, les grands conglomérats
industriels locaux.
De tradition peu interventionniste
en matière de politique industrielle,
Usine SK Hynix l’Etat coréen s’est décidé à mettre
à Icheon, en la main au portefeuille. « Les semi-
Corée du Sud. conducteurs sont des biens straté-
Les industriels
vont bénéficier
giques », a déclaré fin décembre le
d’exonérations président Yoon Suk-yeol. Une exo-
fiscales de 15 % nération fiscale de 8 % a été mise en
pour leur place pour les installations indus-
production et trielles stratégiques des chaebols,
10 % pour les passée en 2023 à 15 %. Une autre, de
investissements.
10 %, s’applique aux investisse-
ments. Les petites et moyennes en-
treprises bénéficient quant à elles
d’un crédit d’impôt de 25 %.
Dans le même temps, l’Etat a dégai-
né le K-Chips Act, une version co-
réenne de la loi protectionniste pas-
sée par Joe Biden en juin dernier
pour donner un coup de fouet au
secteur américain. Ce texte raccour-
cit les démarches pour construire
 Marché en reconfiguration
Parts de marché dans les ventes mondiales
de semi-conducteurs (en %)
PRÉV.
50

40
Etats-Unis

30
Japon
Corée du Sud
20
Europe Chine
10
Taïwan
0
2005 2010 2015 2020 24
SOURCES : BOSTON CONSULTING GROUP, SEMICONDUCTOR INDUSTRY ASSOCIATION.

Séoul tente de rester compétitif pour

maintenir son rang et profiter de la fin des
commandes américaines aux chinois.

une usine sur le territoire national et

augmente le nombre d’écoles d’ingé-
nieurs spécialisées, pour tenter de
répondre au manque d’effectifs dans
l’industrie des semi-conducteurs.
Est-ce suffisant ? Les chaebols cri-
tiquent une aide jugée trop mo-
deste. « Difficile d’être compétitif
par rapport à Taïwan, qui accorde
un crédit d’impôt à 25 % sans
condition pour ses grandes entre-
prises », avance un représentant de
l’industrie qui préfère rester discret.
Mais le gouvernement conservateur
fait face aux réticences de l’opposi-
tion de gauche, majoritaire à l’As-
semblée, qui voit d’un mauvais œil
ces cadeaux aux conglomérats. Le
crédit d’impôt à son taux actuel
coûterait près de 3 milliards de dol-
lars aux finances coréennes.

« Colonne vertébrale »
Début février, en visite dans une
usine du fondeur de puces SK Sil-
tron, le président coréen a cepen-
dant réaffirmé ses intentions de ve-
nir au secours de cette industrie :
« Ce secteur est la colonne verté-
brale de notre économie. Notre
gouvernement et nos entreprises
surmonteront la crise. » Le ministre
de l’Economie et des Finances,
Choo Kyung-ho, a ainsi indiqué ré-
fléchir à de nouvelles solutions,
comme alléger les régulations
concernant l’investissement. Il s’agit
pour le pays au moins de défendre
ses positions dans la reconfiguration
mondiale du marché des semi-
conducteurs. Célio Fioretti (à Séoul)
 Monde
Réserves en série pour
livrer des avions à Kiev
Problèmes de disponibilité, de formation, de munitions :
la France et l’Europe freinent face aux demandes du
président Zelensky. Pour un impact stratégique discuté.
Jacques Witt/Pool/Rea
Volodymyr Zelensky, Emmanuel Macron et Olaf Scholz à l’Elysée, le 8 février. Ni la France, avec ses
Mirage, ni l’Allemagne, avec ses Tornado, n’ont voulu s’engager sur l’envoi d’avions de combat.
D
es avions et vite ! Tel est le
message passé par le pré-
sident ukrainien lors de sa
récente tournée à
Londres, Paris et Bruxelles. Et après
avoir obtenu de haute lutte des
chars, il demande maintenant que
les Européens passent à l’étape su-
périeure : des avions de combat.
« Plus tôt nous aurons des armes de
longue portée et des avions mo-
dernes, plus tôt l’agression de la
Russie prendra fin », a déclaré Volo-
dymyr Zelensky le 8 février, lors de
sa rencontre avec Emmanuel Ma-
cron et Olaf Scholz à l’Elysée.
Concrètement, que peut faire Paris?
Le transfert de Rafale, avions de
pointe en nombre encore très limité,
est exclu. Mais sur demande de la
présidence et du ministère des Ar-
mées, l’envoi potentiel de Mi-
rage 2000 vers l’Ukraine est étudié.
« Il y a des avions disponibles, les
46  CHALLENGES N°774 - 16 FÉVRIER 2023
Mirage 2000C qui viennent d’être
retirés de la flotte, et des appareils
qui le seront bientôt, les Mirage
2000D non rénovés », assure Bruno
Clermont, général de corps aérien,
conseiller du PDG de Dassault Avia-
tion de 2014 à 2021. De fait, une dou-
zaine de Mirage 2000C, mis au rebut
en juin, pourraient être remis en
condition. Sauf que ces avions sont
désarmés, leurs missiles Magic et
Super 530D ne sont plus produits, et
il n’y a pas de stocks. Les capacités
de frappe au sol du 2000C, conçu
pour le combat aérien, sont égale-
ment très limitées. L’appareil peut
tirer des bombes guidées laser GBU,
mais avec l’appui d’un personnel au
sol ou d’un autre avion chargé « d’il-
luminer » la cible.
Le Mirage 2000D est une bien meil-
leure option pour l’Ukraine. Dédié à
la frappe au sol, il peut tirer des
bombes guidées laser GBU et AASM
Hammer de 60 km de portée, mais
aussi le redoutable missile de croi-
sière air-sol Scalp, d’une portée de
500 km, qui « permet d’éviter d’en-
trer dans le champ d’action des sys-
tèmes de défense aérienne », estime
Clermont. Si l’armée de l’air est en-
gagée dans un programme de réno-
vation de 55 de ces Mirage, il lui en
reste une petite douzaine supplé-
mentaire. Le problème, c’est que
l’armée française en a encore be-
soin, pour ses missions au Sahel
face aux groupes armés terroristes.
F-16 américains en lice
Les aviateurs doivent composer
avec une flotte très limitée, plom-
bée par la retraite des Mirage 2000C
et par les 24 Rafale d’occasion ven-
dus à la Grèce et la Croatie, préle-
vés sur la flotte française. « S’il
faut transférer des avions occiden-
taux, le recours à l’avion améri-
cain F-16 paraît plus raisonnable,
estime le général Jean-Paul Palomé-
ros, ancien chef d’état-major de l’ar-
mée de l’air et ancien commandant à
l’Otan. Pour les mêmes raisons que
pour le char allemand Leopard 2 :
de nombreux exemplaires sont dis-
ponibles dans plusieurs pays d’Eu-
rope, ce qui permettrait de consti-
tuer un “club” de donateurs. » La
Pologne a déjà indiqué être prête à
transférer des F-16.
Au-delà, l’utilité réelle, sur le théâtre
ukrainien, d’avions de combat occi-
POTENTIEL dentaux pose question. Il faudrait
DISPERSÉ de long mois de formation aux pi-
Avions utilisables lotes locaux, formés sur des avions
en Ukraine
russes MiG-29. De plus, « pour opé-
Allemagne rer efficacement, une flotte d’avions
105 Tornado. de combat a besoin de systèmes de
Royaume-Uni commandement et de contrôle par-
30 Eurofighter faitement au point », pointe Palo-
Typhoon (ancienne
version).
méros, qui nécessitent des savoir-
faire pointus. Enfin, ces avions
France
65 Mirage 2000D devraient faire face aux systèmes de
(en service) et défense aérienne déployés par la
12 Mirage 2000C Russie. Il faudra soit pénétrer ces
(stockés). bulles, avec un risque élevé d’être
Pologne détruit, soit pouvoir tirer à distance
36 F-16C, de sécurité, ce qui suppose de trans-
23 MiG-29 et férer aussi des missiles de croisière
32 Su-22. performants, rares et très onéreux :
Italie compter 850 000 euros pour un
63 Tornado. Scalp. De quoi, en plus des craintes
Suède diplomatiques d’escalade, nourrir
71 Gripen. les réserves de Londres, Paris et
SOURCES : FLIGHTGLOBAL
WORLD AIR FORCES 2023, Berlin, qui pour l’instant n’ont rien
JANES, NEW YORK TIMES,
CHALLENGES. promis.  Vincent Lamigeon
 Indiscrétions
Meloni ostracisée
La présidente

C. Palace Press Office/Zuma/Réa

du Conseil italien
en veut à Paris et
Berlin de l’exclure.
Deux fois de suite,
Emmanuel Macron
et Olaf Scholz lui
C. Steffens/Nyt-Redux/Réa

ont damé le pion,

ne l’associant ni
à la réception de Volodymyr Zelensky
à l’Elysée ni au voyage des ministres
de l’Economie français et allemand
à Washington pour discuter des
Nathan Anderson. Spécialiste de la spéculation à la baisse, l’activiste accuse le groupe de conséquences de la loi protectionniste
Gautam Adani de « fraude comptable éhontée, manipulation d’actions et blanchiment d’argent ». IRA. Une attitude « inopportune »,
fulmine Giorgia Meloni.

Les celebrities accusées

L’homme derrière la chute
du milliardaire indien Adani

F. Harrison/Getty Images/AFP
Après la publication d’une enquête du fonds
américain Hindenburg Research, le conglomérat a perdu
plus de 100 milliards de valorisation.

ASIE © The Economist tails les grandes et petites malversations, Gwyneth Paltrow, Justin Bieber, Paris
depuis les délits d’initiés jusqu’aux manipu- Hilton, Madonna ou Kim Kardashian.

A
dani est dans la tourmente. L’énorme lations comptables. Le groupe Adani a dé- Ces celebrities ont beaucoup chanté
les louanges des cryptomonnaies.
conglomérat indien de négoce, éner- noncé des accusations sans fondement. Souvent moyennant finances.
gie, agro­alimentaire, propriétaire de « N’hésitez pas à m’attaquer en justice » a Aujourd’hui, la justice leur demande
ports et a­ éroports, qui pesait plus de 18 171 rétorqué Anderson. des comptes. Deux actions collectives,
milliards de roupies (220 milliards de dol- Les investisseurs ont appris à se fier à son dont une auprès du tribunal fédéral
lars) au début de l’année, a perdu ces der- flair. Il s’est fait connaître en 2020 lorsqu’il de Los Angeles, sont en cours,
nières semaines plus de 8 259 milliards de a accusé Nikola, start-up qui prétendait lancées par des petits épargnants
qui se sentent arnaqués.
roupies (100 milliards de dollars) de valeur vouloir produire des camions électriques,
en Bourse. Son fondateur, Gautam Adani, n’être qu’une coquille vide montée en épin­ Strack-Zimmermann grimée
un proche du Premier ministre gle à coups de vidéos promotion-
Narendra Modi, a vu fondre d’un DÉVISSAGE nelles trompeuses. Depuis, un
tiers sa fortune personnelle, qui Cours de Bourse
d’Adani Enterprises tribunal new-yorkais a inculpé
en faisait le 3e homme le plus Ltd (en roupies) son fondateur pour avoir menti
A. Rentz/Getty Images/AFP

riche au monde. 4000 aux investisseurs. Et l’action a

Tout ça par la faute d’un rapport 3500 plongé de 90 %.
publié le 24 janvier par le fonds Au cours des deux dernières
d’investissement américain Hin- 3000 années, Hindenburg a publié
denburg Research, accusant le 2500 dix-neuf enquêtes. Pourtant,
groupe de « fraude comptable difficile de faire des profits dans
éhontée, manipulation d’actions 2000 une vente à découvert : les gains Sentencieuse, la députée libérale
1 712 allemande Marie-Agnes Strack-
et blanchiment d’argent », au tra- 1500 le 13 fév. potentiels sont plafonnés alors Zimmermann s’est dernièrement
2023
vers d’un complexe système de SOURCE : BOURSORAMA. que les pertes, qui surviennent fait remarquer en pourfendant
cavalerie via des sociétés écrans si le prix des actions augmente les hésitations du chancelier Scholz
dans des paradis fiscaux. Fondé en 2017 par au lieu de baisser, ne le sont pas. Carson à autoriser le transfert de chars
le trader Nathan Anderson, spécialisé dans Block, célèbre vendeur à perte, se de- Leopard à l’Ukraine. Mais elle sait
la spéculation à la baisse, Hindenburg mande même si le stress généré en vaut la aussi s’amuser : pour le Carnaval d’Aix-
la-Chapelle, la très sérieuse présidente
épluche les comptes des sociétés qu’il soup- peine. Un autre, Bill Ackman, a annoncé de la commission Défense du
çonne survalorisées, les exposent… et l’an dernier renoncer à la vente à décou- Bundestag n’a pas hésité à se déguiser
empo­che les bénéfices lorsque leurs actions vert activiste.  • en princesse des ténèbres vampire,
dégringolent. Ses rapports révèlent en dé- © The Economist - London 2023 faisant les délices des réseaux sociaux.

16 FÉVRIER 2023 - CHALLENGES N°774  47

 Monde
Bonne semaine
A. Obreja/AP/Sipa
Le Moldave Dorin Recean
devient Premier ministre
Ancien ministre de l’Intérieur
et entrepreneur dans la fintech, le
pro-européen de 48 ans a été nommé
le 10 février Premier ministre de la
Moldavie. Il remplace Natalia Gavrilita,
au pouvoir depuis un an et demi, qui
a démissionné après le survol du
territoire moldave par un missile russe
et des fuites des services secrets sur
les pressions opérées par Moscou.
Téhéran libère
Fariba Adelkhah
L’anthropologue
franco-iranienne
a été libérée
le 10 février.
Spécialiste
du chiisme à
T. Arrive/AFP
Sciences-Po Paris,
elle avait été
arrêtée, comme
son compagnon Roland Marchal,
en juin 2019. Condamnée à cinq ans
de prison en mai 2020 pour atteinte
à la sécurité nationale, elle avait
bénéficié d’une « libération temporaire »
en octobre 2020, avant d’être à
nouveau incarcérée en janvier 2022.
Mauvaise semaine
V. Mongelli/AFP
L’eurodéputé Marc Tarabella
dans la tourmente
L’élu socialiste a été inculpé pour
« corruption », « blanchiment d’argent »
et « appartenance à une organisation
criminelle » et placé en détention
provisoire, le 11 février, dans l’enquête
menée en Belgique sur des soupçons
d’ingérence du Qatar et du Maroc au
Parlement européen. Il est la première
personnalité belge mise en cause.
48  CHALLENGES N°774 - 16 FÉVRIER 2023
L E A D E R S
©The Economist
Après le séisme turco-syrien,
Erdogan peut trembler
Déjà contesté, le président pourrait souffrir des répliques
politiques de la gestion catastrophique du tremblement de terre
le plus meurtrier de Turquie. Réponse dans les urnes, en mai.
L
es deux tremblements de terre
qui ont frappé le sud de la
Turquie et le nord de la Syrie
le 6 février ont été
dévastateurs. Selon l’ONU, le nombre
de morts pourrait dépasser les 60 000,
ce qui est bien pire que le séisme qui
avait frappé Izmit, à 100 kilomètres à
l’est d’Istanbul, en 1999, faisant
18 000 victimes.
Mais en même temps que les opérations
de secours se poursuivent, l’attention
en Turquie se tourne vers la politique.
Le président Recep Tayyip Erdogan,
qui dirige le pays depuis deux décennies,
doit affronter, en mai prochain, les
élections présidentielle et législatives,
qui s’annonçaient déjà difficiles pour lui
en raison d’une économie chancelante
et d’un taux d’inflation supérieur à 50 %.
La mauvaise gestion des secours
– les autorités locales et d’Etat ont paru
débordées, désorganisées, sans
moyens – déchaîne les critiques.
Au point que le président a dû couper
l’accès à Twitter pendant les premières
heures qui ont suivi le séisme et que
les procureurs du gouvernement
ont déjà ouvert des enquêtes sur des
journalistes pour les réduire au silence.
Quand Erdogan est arrivé au pouvoir
en 2002, son Parti de la justice et
du développement (AKP) a bousculé
un establishment qui avait gouverné
de manière inefficace. La faiblesse de
la réponse du gouvernement de l’époque
au tremblement de terre de 1999,
puis sa mauvaise gestion de la crise
financière de 2001 avaient donné
le sentiment qu’un nettoyage était
nécessaire, et l’AKP s’était retrouvé
avec deux tiers des sièges au Parlement.
Aujourd’hui, Erdogan est confronté
à des circonstances similaires : une crise
économique et une crise humanitaire.
Les électeurs le jugeront sur sa capacité
à gérer les deux. L’effondrement de près
de 6 000 bâtiments prouvera que les
conseils des experts sismiques ont été
ignorés, que les codes du bâtiment ont
été bafoués – l’une des caractéristiques
du boom économique qui a rendu
Erdogan populaire a été l’essor de la
construction – et que des superviseurs
corrompus ou incompétents ont fermé
les yeux, alors que l’on sait que
la Turquie se trouve sur l’une des lignes
de faille les plus actives du monde.
En outre, la cote du président et de son
parti est proche de son plus bas niveau.
En janvier, il a avancé les élections
générales
Erdogan est de juin à mai,
confronté aux sans doute
pour tromper
mêmes circons- l’opposition, qui
tances qu’au n’a toujours pas
moment de réussi à s’unir
son arrivée au autour d’un
candidat unique
pouvoir : crise pour le poste
économique suprême.
et crise Après le
humanitaire. tremblement
Sauf que cette de terre,
le président
fois, l’establis- a déclaré l’état
ment, c’est lui. d’urgence dans
dix provinces
du Sud pour trois mois, jusqu’à la veille
du scrutin. Il y a sans doute des raisons
pratiques à cela, mais c’est aussi
sûrement une manœuvre pour faire
taire plus facilement les critiques ou
les activités de l’opposition. Erdogan
pourrait même maintenant tirer prétexte
du séisme pour reporter les élections.
La Turquie entrait déjà dans une période
difficile. La tectonique des plaques vient
de la rendre plus dangereuse.•
 LES ÉCONOMISTES DU BIEN COMMUN
PAUL KRUGMAN
PRIX NOBEL D’ECONOMIE 2008
Les Cassandre de la dette américaine
s’époumonent à tort
E
n mars 2011, une commission
de la Maison-Blanche visant
à réduire les déficits publia
une mise en garde effrayante
à propos de la dette publique. A moins
que l’Amérique ne prît de sérieuses
mesures pour maîtriser les déficits
futurs, avertissait-elle, il fallait
s’attendre à une crise budgétaire
dans les deux années suivantes. C’était
il y a douze ans. A l’époque, le taux
d’intérêt sur les obligations américaines
à dix ans était d’environ 3,5 %. On ne fit
cependant pas grand-chose pour faire
baisser les déficits. Or fin décembre
2022, le taux à dix ans, qui a augmenté
de façon substantielle au cours de
l’année écoulée du fait que la Réserve
fédérale relève les taux pour combattre
l’inflation, était d’environ… 3,5 %.
Ce que je veux souligner, c’est qu’au
début des années 2010, soit la dernière
fois que nous avons été confrontés à un
risque de crise sur le plafond de la dette,
La dette fédérale devrait être placée
tout en bas de la liste des priorités. Bien
après le changement climatique, les
infrastructures ou la pauvreté infantile.
il existait au sein de l’élite un consensus
selon lequel les déficits budgétaires
constituaient une menace grave, voire
existentielle. Vu rétrospectivement, ce
consensus était complètement erroné.
Et ceux d’entre nous qui le contestaient
étaient traités d’excentriques, à côté
de la plaque. Aujourd’hui, les mêmes
Aristidis Vafeiadakis/Zuma/Rea
tentent d’effectuer leur retour, appuyant
les efforts déployés par les Républicains
pour prendre l’Amérique en otage
en refusant de rehausser le plafond de
la dette. Il est par conséquent important
de comprendre que les arguments de
ceux qui agitent l’épouvantail de la dette
sont encore moins convaincants qu’ils
ne l’étaient en 2011. Il est vrai que
la dette américaine est très importante
– 31 000 milliards de dollars. Mais
l’Amérique est un grand pays, ce qui fait
que presque tous ses chiffres le sont
aussi. Une meilleure façon d’aborder
la question est de se demander si le
règlement des intérêts pèse d’un grand
poids sur le budget. En 2011, ceux-ci
représentaient 1,47 % du PIB – soit
la moitié de ce qu’ils étaient au milieu
des années 1990. En 2021, c’était 1,51 %.
Certes, ce chiffre augmentera du fait
que la dette existante est refinancée
à des taux d’intérêt supérieurs, mais
l’intérêt net réel – les règlements des
intérêts ajustés à l’inflation – restera
probablement en dessous de 1 %
du PIB durant la prochaine décennie.
Cela ne ressemble pas à une crise.
Qu’en est-il côté démographie ?
L’Amérique vieillit, ce qui se traduit par
une pression
croissante
sur la Social
Security
et le Medicare.
Cela n’augure-
t-il pas de gros
problèmes
dans l’avenir ?
Certes, le vieillissement est un vrai
problème. Mais son impact budgétaire
s’est déjà en grande partie fait sentir.
Les deux tiers environ des baby-
boomers, soit les personnes nées entre
1946 et 1964, ont déjà atteint l’âge
d’éligibilité aux programmes Medicare.
La poursuite du vieillissement imposera
des exigences supplémentaires au
budget, mais cela ne concernera que
quelques points de pourcentage du PIB.
Le Congressional Budget Office publie
régulièrement des projections
budgétaires à long terme qui sont
souvent citées dans les débats. En 2011,
il avait prévu que le coût des intérêts
fédéraux en 2021 équivaudrait à 4,4 %
du PIB – plus de deux fois leur montant
réel. Il prévoyait également qu’en 2035,
la dette fédérale atteindrait 187 %
du PIB. Selon sa projection la plus
récente, elle sera de 117 %.
Cela dit, les surprises budgétaires ne
sont pas toujours positives – qui aurait
pu prévoir les énormes dépenses dues
au Covid-19 ? – et je ne soutiens pas
que la dette publique ne peut jamais
poser problème, ni que notre position
budgétaire à long terme est parfaitement
saine. Mais si vous vous préoccupez
sérieusement de l’avenir de l’Amérique,
vous devez réfléchir à des tas d’autres
questions, depuis le changement
climatique jusqu’aux infrastructures
et à la pauvreté infantile. La dette
fédérale devrait être placée tout
en bas de la liste des priorités.
Et pourtant, les Cassandre de la dette
tentent d’effectuer leur retour. C’est
en partie parce que déblatérer contre
elle donne l’impression d’être sérieux
et responsable. Mais aussi parce que les
diatribes sur le déficit sont trop souvent
mises au service d’un agenda
idéologique – la tentative de réduire
les budgets de la Social Security, du
Medicare et du Medicaid (programme
d’assurance maladie pour familles
déshéritées) – mais pas, bien entendu,
pour fournir à l’administration fiscale
les moyens de lutter contre l’évasion
fiscale. Aussi, voici ma proposition :
ne rejouons pas 2011. Ne paniquons pas
autour d’un problème monté en épingle.
N’allons pas nous imaginer que les
paons du déficit font autre chose
qu’adopter une posture. Et ne laissons
pas les médias devenir une fois encore
les complices de fait d’un agenda
idéologique partisan.•
© The New York Times 2023
16 FÉVRIER 2023 - CHALLENGES N°774  49
Entreprise

Le chinois BYD attaque

l’Europe par le premium
Deuxième constructeur mondial de véhicules électriques derrière Tesla,
ce groupe encore peu connu lance trois modèles aux tarifs proches
de Kia ou Volkswagen. L’avant-garde d’une offensive plus vaste.

C
e n’est qu’en octobre der-
nier que les Français l’ont
découverte, au Mondial de
l’auto. Une berline et deux
SUV de la marque chinoise BYD ont
suffi pour créer chaque jour un at-
troupement. Depuis, un magasin
d’exposition s’est ouvert à Paris,
17 boulevard de Sébastopol, dans le
Ier arrondissement. Il faut dire que le
constructeur chinois caresse de
grandes ambitions sur le Vieux
Continent. Le 7 février, sa vice-prési-
dente Stella Li confirmait l’intérêt de
BYD pour la reprise d’une usine de
Ford en Allemagne, tout en préci-
sant que d’autres voies sont envisa-
gées, « y compris la construction
d’une usine en Europe ».

Puissance nationale
Mais qui est donc ce mystérieux
constructeur, appuyé depuis 2008
R. Meigneux/Sipa

par la société d’investissement Berk­

shire Hathaway ? Fondé en 1995 à
Shenzhen, BYD (prononcez à l’an-
glaise « bi-ouaille-di ») est l’acro-
nyme de Build your dreams,
« construisez vos rêves ». Sa noto-
riété est montée d’un cran en oc-
tobre, quand le loueur de courte du-
rée Sixt a fait connaître son intention
de commander 100 000 électriques
du chinois d’ici à 2028. D’abord spé-
cialisée dans les batteries, l’entre-
prise ne s’est lancée dans l’automo-
bile qu’en 2003. L’an dernier, elle
accédait au second rang mondial
des véhicules électriques, derrière
Tesla et son 1,3 million d’unités,
alors qu’elle écoule 99 % de sa pro-
Le SUV Atto 3, de duction sur son marché national.
BYD, au Mondial Voilà qui « atteste de sa puissance
de l’auto à Paris, industrielle phénoménale », admire
en octobre 2022.
Avec ce SUV
un équipementier français.
compact, L’an dernier, quand Tesla augmen-
BYD cible la tait ses ventes mondiales de 40 %,
Volkswagen ID.3 BYD triplait les siennes, toutes mo-
ou le Kia Niro. torisations, à 1,9 million d’unités.
Son grand frère, Pour l’instant, près de la moitié sont
le Han, veut
affronter l’EQE
des hybrides essence-électrique,
de Mercedes. mais le groupe compte basculer vers
le 100 % électrique dès 2030 et défri-
cher de nouveaux débouchés à l’ex-
portation. A commencer par l’Eu-
rope, qui « offre un champ de
conquête plus facile que les Etats-
Unis, du fait de son ambition d’in-
terdire dès 2035 la vente de mo-
teurs thermiques », analyse Jamel
Taganza, du cabinet Inovev. Or,
l’avance prise par les Chinois leur
donne l’avantage sur ce terrain.
Pour l’heure, le poids de BYD est
insignifiant en Europe. Son offen-
sive a démarré en juin 2021 par la
livraison d’un premier contingent de
100 SUV en Norvège, où ses ventes
n’ont pas dépassé les 1 876 unités

50  CHALLENGES N°774 - 16 FÉVRIER 2023

l’an dernier (estimation Inovev).
C’est mieux que les 140 véhicules Toyota devient l’étendard
du Made in France
immatriculés aux Pays-Bas en 2022,
que les 116 en Suède, les 46 au Dane-
mark et les 34 en Belgique.
Boulevard de Sébastopol, les cu-
rieux peuvent admirer les trois mo- L’usine de Valenciennes, qui assemble notamment
dèles BYD (la berline et deux SUV), les Yaris, vise un record de production en 2023.
taxés à 10 % par l’Union européenne,
« quand il y a 25 % de taxes pour
entrer en Chine », dénonce Carlos
Tavares. Cette dissymétrie inquiète
d’autant plus le directeur général de
Stellantis que, dit-il, « les construc-
teurs chinois cherchent à se posi-
tionner nettement sous le prix des
européens ». Ce n’est pas toujours le
cas, puisque BYD ne s’affiche que 5 %
moins cher que les références euro-
péennes et coréennes. Seuls 1 000 à
3 000 euros séparent son SUV com-
pact BYD Atto 3 des Kia Niro EV et
Volkswagen ID.3. Quant au grand
SUV BYD Han, il n’est qu’à 2 000 eu-

Denis Meunier/Sp
ros du Mercedes EQE. A se deman-
der si les clients seront au rendez-
vous, quand le compatriote MG
casse les prix et propose la familiale
électrique MG4 au prix d’une Re- Chaîne de la Yaris Cross à Valenciennes. Avec 161 500 exemplaires sortis du site en 2022,
nault Zoe de taille inférieure. ce SUV a été la « voiture la plus produite en France » devant Renault et Stellantis.

D
Différence qualitative idier Leroy en est fier. Le en décembre », souligne Eric
Il existe « trois manières pour un petit SUV Yaris Cross « a été Moyère, son porte-parole. Les rai-
constructeur chinois de prendre la voiture la plus produite sons ? La proximité de Toyota avec
pied en Europe », résume Clément en France l’an dernier », claironne ses… fournisseurs japonais.
Dupont-Roc, directeur stratégie du l’ex-vice-président exécutif de La firme de Toyota City s’obstine
cabinet de conseil en marketing Toyota, qui fut le premier respon- depuis vingt-deux ans à produire
C-Ways, comparant BYD à MG et sable industriel du site de Valen- des petits véhicules en France,
Geely. Ce dernier a choisi de « voler ciennes (Nord) dans les alors que les rivales sont
au secours de marques à l’agonie », années 2000. Le japonais UN SITE quasi toutes délocalisées.
telles Volvo, Lotus et Smart qu’il en a fabriqué 161 500 en QUI ROULE « Les coûts horaires sont
contrôle dorénavant. Depuis 2020, 2022 (contre 159 170 Peu- Production
de l’usine de
totale
un gros souci, mais on
MG préfère sacrifier ses marges geot 3008 à Sochaux). Valenciennes est compétitifs », assure
« pour faire du volume et prendre « L’usine aura même (en milliers d’unités) Didier Leroy. Mieux : le
rapidement des parts de marché ». transformé 500 postes de 300 SUV Yaris Cross repré-
250
Dernier arrivé, BYD ne cherche pas CDD en CDI » entre juillet 200 sente désormais les deux
à faire la différence par le prix mais dernier et 2024. 150 tiers des volumes du site.
plutôt par la qualité de ses produits. Inédit, alors que Renault 100 Et ce modèle est « plus
En visant le premium, BYD « dégage et Stellantis réduisent les 50 générateur de marges que
une marge en ligne avec celle des emplois dans l’Hexagone. 0 la berline Yaris », sou-
05 10 15 20 21 22 23
p
marques établies » et laisse à 170 contrats ont déjà été SOURCE : SOCIÉTÉ. ligne-t-on au sein de
d’autres le créneau peu rémunéra- signés. Valenciennes dé- Toyota progresse l’usine. Toyota omet tou-
teur des voitures bon marché. Une passera les 4 000 CDI (sur en France, alors tefois de préciser que ses
stratégie pertinente sur un marché plus de 5 000 postes). Le que Renault ou mécaniques viennent de
où le gros des ventes se fait dans la site nordiste espère d’ail- Stellantis ont Pologne, aux coûts sala-
délocalisé leurs
tranche de 40 000 à 60 000 euros. Une leurs « battre son record petits modèles. riaux trois fois inférieurs
fois que la demande se sera élargie de production cette année à la France, les systèmes
vers le bas, BYD pourra puiser des à plus de 280 000 unités », selon hybrides et l’électronique du Ja-
modèles plus abordables dans son une source interne. La crise des se- pon … Valenciennes ne réalise ainsi
vaste catalogue et envisager de faire mi-conducteurs ? L’usine « fonc- que « 10 à 15 % de la valeur ajoutée
du volume. Le début de la véritable tionne sans discontinuer depuis du véhicule », reconnaît Jim Cros-
offensive, en somme. Eric Bergerolle mai 2022, avec deux jours d’arrêt bie, directeur du site. A.-G. V.

16 FÉVRIER 2023 - CHALLENGES N°774  51

Entreprise
D’abord parce que la musique ne
dépendra probablement pas tant de
la partition que des interprètes.
Comme chef d’orchestre, Christel
Heydemann semble avoir choisi les
bons musiciens. C’est notamment le
cas de Jean-François Fallacher, ré-
cemment nommé à la tête d’Orange
France. Ce polytechnicien a dirigé
plusieurs filiales du groupe, en Rou-
manie puis en Pologne, avant de
gagner son bâton de maréchal en
redressant la filiale espagnole. « De-
puis Delphine Ernotte, Orange
n’avait pas eu un patron de ce ca-
libre », apprécie un ancien diri-
geant. Autre actrice décisive, Aliette
Mousnier-Lompré, nommée direc-
trice générale d’Orange Business
Services en mai dernier, doit redres-
ser la branche entreprises du
groupe, dont l’activité historique, la
vente de connectivité, s’effondre.
Expérience opérationnelle, détermi-
nation, qualités d’écoute, l’ancienne

E. Piermont/AFP
joueuse du PSG semble avoir tous
les atouts pour y parvenir. Le nou-
veau DRH, Vincent Lecerf, venu du
groupe minier Imerys, est un véri-
Christel Heydemann. Fallacher à Orange France, Mousnier-Lompré à OBS, Lecerf à la DRH : la directrice table professionnel du métier,
s’est constitué une équipe solide. « Enfin de vrais professionnels au comex », salue un ancien du groupe.
contrairement à son prédécesseur
Gervais Pellissier, venu des fi-
nances. Tout comme la directrice de

La stratégie d’Orange
la communication Caroline Guillau-
min, venue de la Société générale.
« Pour la première fois depuis très
longtemps, de vrais opérationnels

passe du premier sont au comité exécutif », salue un

ancien du groupe.

Héritage de Richard

au second plan Ensuite parce que les fortes

contraintes qui pèsent sur l’opéra-
teur vont limiter la portée du plan.
En raison de l’héritage laissé par
Très attendue, la feuille de route de Christel Stéphane Richard, le président sor-
tant. « Les coûts de structure, colos-
Heydemann doit donner un second souffle saux, mettent Orange totalement
à l’opérateur télécoms. Mais si sa nouvelle équipe hors marché. Le nouveau siège du
groupe, pharaonique, en est le
rassure, ses marges de manœuvre restent contraintes. symbole, tacle un bon connaisseur
du groupe. Si on ne nettoie pas les
écuries d’Augias, préalable à toute

E
nfin ! Le 16 février, plus de duels, ses sous-traitants, et tous les stratégie, c’est la pérennité même
dix mois après son entrée acteurs de la filière. Encalminé en d’Orange qui est en jeu. » Pessi-
en fonction, la directrice Bourse, en panne de croissance, en miste, le cabinet d’analystes Jeffe-
générale d’Orange Chris- difficulté dans plusieurs activités, ries a d’ailleurs revu à la baisse fin
tel Heydemann a présenté son plan l’opérateur historique a besoin d’un janvier les perspectives de crois-
stratégique. Une feuille de route at- second souffle. Ce plan stratégique sance de l’opérateur et son objectif
tendue par tout l’écosystème du concentre beaucoup d’attentes, de cours. Orange souffre, en prime,
groupe : ses 142 000 salariés, mais mais le sort d’Orange se joue sans de la dégradation économique dont
aussi ses 700 000 actionnaires indivi- doute ailleurs. pâtissent tous les opérateurs en

52  CHALLENGES N°774 - 16 FÉVRIER 2023

Europe – pris en tenaille entre la
pression concurrentielle et la
nécessité d’investir massivement.
En France, « le chiffre d’affaires
des opérateurs croît moins vite que
le PIB depuis 2012, alors que les
investissements sont en hausse
constante », observe la dernière
étude de la Fédération française
des télécoms.

Omniprésence d’Aschenbroich
Dernier point limitant l’impact d’un
plan stratégique : un problème de
gouvernance, véritable éléphant
dans la pièce. Supposé non opé­
rationnel, l’ex-patron de Valeo
Jacques Aschenbroich, président
du conseil d’administration
d’Orange, s’est révélé au cours de
l’année écoulée omnipré­
sent et intrusif. « Une fois de
plus, l’Etat a été un très
« L’Etat a
mauvais actionnaire, sou­ été un très
pire un ancien dirigeant. mauvais
Avec ses gènes machistes, il actionnaire.
a choisi une femme tout en Avec ses
lui imposant un homme
autoritaire comme chape- gènes
ron. » Un autre confirme : machistes,
« Dès qu’il y a une décision il a choisi
à prendre, les cadres une femme
d’Orange consultent
d’abord Jacques Aschen- tout en lui
broich. Tout en respectant imposant
les formes, ils sentent bien un homme
que le premier centre de autoritaire
décision, c’est lui. » Et un
troisième d’appuyer : « Il se
comme
mêle des décisions à un chaperon.»
point catastrophique. Il se Un ancien
murmure qu’il s’implique dirigeant
tous les jours dans le choix d’Orange.
du futur repreneur
d’Orange Bank. » Fâcheux pour un
président non exécutif qui, par ail­
leurs, conserve un mandat d’admi­
nistrateur à BNP Paribas. Lors de
ses sorties à l’opéra, le mélomane
partagerait à la cantonade ses com­
mentaires sur tel ou tel membre du
comex en exercice.
Clairement, l’impétueux président
ne facilite pas la tâche à sa direc­
trice générale qui, de son côté, a
semblé jusqu’alors le ménager.
« Elle risque de s’installer dans
une relation toxique », s’inquiète un
proche du conseil. Dans ce
contexte, Christel Heydemann de­
vra continuer à imposer sa marque.
 Delphine Déchaux
 Entreprise

Indiscrétions
Chat GPT prend une
longueur d’avance sur Bard
Lambert fait la leçon
à Bompard
La présidente de
la FNSEA ne digère
pas le panier
En pleine course à l’IA, Microsoft et Google n’ont
anti-inflation de pas la même stratégie pour attirer les entreprises.
Carrefour. Dans
Rejouant la fable du Lièvre et la Tortue ?
E. Tschaen/Réa

une lettre à son

PDG, Christiane
Lambert dénonce

des produits
bradés sans origine française garantie.
Et de citer du porc importé « trois fois
moins cher que l’alimentation pour
chien ». Ou des bières et des sodas
plutôt qu’une « alimentation sûre,
durable et de qualité ». Précisément
le credo de l’enseigne.
A la Renfe, Taboas Suarez
fait pire que la SNCF
R
emue-méninges. Depuis que Mi-
crosoft et Google ont relancé la
course à l’intelligence artificielle,
les grands groupes s’interrogent
sur la meilleure manière d’adopter Chat
GPT. L’assistant de conversation, dévelop-
pé par la société OpenAI – et placé sous
licence par Microsoft – peut résumer des
idées complexes et s’exprimer dans un lan-
gage naturel. Mais il commet beaucoup
d’erreurs, et il faudra encore du temps
avant qu’il ne remplace des humains dans
leurs tâches quotidiennes.
Ses progrès sont néanmoins rapides. « En

J. Redmond/AFP
deux mois, un bond de géant a été fait
A. Serrano/Renfe/SP

dans l’IA générative, constate Stéphane

Des rames de TER trop larges pour les
quais de gare avaient fait scandale en
2014 en France. En Espagne, ce sont
désormais des trains trop gros pour
passer sous les tunnels qui ridiculisent
le président de la Renfe Isaias Taboas
Suarez. Leur circulation, prévue en
2024, a été repoussée, et le montant
du contrat largement revu à la hausse.
Neef fait ressurgir
le fantôme de l’Opéra
S. de Sakutin/AFP
Roder, le fondateur du cabinet AI Builders.
Toutes les entreprises veulent tester Chat
GPT dans leur organisation. » Un engoue-
ment qui n’est pas sans rappeler la grande
ruée vers le métavers de Mark Zuckerberg,
le fondateur de Facebook, l’an dernier. A
une différence près, soulignée par
Stéphane Roder : « La grande force d’Ope-
nAI a été d’ouvrir son produit aux
dévelop­peurs à un prix abordable. » De-
puis le 1er février, la société californienne
propose en effet, pour 20 dollars par mois,
à un utilisateur d’interroger son robot au-
tant de fois qu’il le souhaite, ou de payer à
la demande. Plusieurs formules permettent
aussi d’accéder au générateur d’images
(Dall-E) ou d’entraîner Chat GPT sur ses
propres bases de données (fine-tuning).
Une différence majeure avec Google, qui se
montre plus prudent dans son approche du
Satya Nadella lors d’une keynote, le 7 février.
Depuis que le PDG de Microsoft a annoncé
la mise sous licence de Chat GPT, plusieurs
start-up l’ont intégré dans leurs applications.
utilisateurs. Plusieurs start-up ont profité
de l’ouverture de Chat GPT pour l’intégrer
dans leurs applications. Parmi elles, le logi-
ciel de rédaction automatique Jasper per-
met d’écrire des articles ou des billets de
blog de manière automatique. Il compte
déjà comme clients IBM, l’éditeur Harper-
Collins ou encore la plateforme de location
Airbnb. Récemment, le site en ligne
Buzzfeed a également annoncé adopter
Chat GPT pour rendre ses contenus plus
interactifs.
En France, quelques groupes comme We-
bedia (Allociné) ou Unify (Doctissimo),

marché. Le 6 février, le groupe de Mountain racheté par Reworld Media, se branchent

Le directeur général de l’Opéra Garnier
Alexander Neef va transformer la loge
d’honneur en chambre majestueuse
pour permettre à deux voyageurs
de passer une nuit exceptionnelle et
revivre les affres du fantôme de l’Opéra
en visitant tous les recoins du théâtre,
y compris le lac souterrain. Cette
opération menée avec le concours
du mécène Airbnb s’inscrit dans
le cadre du chantier de restauration
des loges du palais Garnier.
View a présenté son logiciel Bard, qui res-
semble étrangement à Chat GPT, mais qui
ne sera proposé au grand public avant
« plusieurs semaines ». Google se réserve
une « phase de test » avant d’ouvrir l’accès
à son assistant de conversation : il préfère
s’assurer « que les réponses de Bard at-
teignent un niveau élevé en termes de qua-
lité, de sécurité et d’ancrage dans les infor-
mations du monde réel ». La conquête d’un
côté, la sécurité de l’autre.
Le modèle d’offre à la demande défendu
par Microsoft et OpenAI a déjà gagné des
déjà sur les modèles de langage d’OpenAI.
La communication et les médias ne sont
pas seuls à tester le nouvel outil magique.
« Un tas de sociétés commencent à cher-
cher des cas d’usage, atteste Olivier Marti-
nez, ancien directeur de produit d’Altice
Media et auteur d’un mémoire profession-
nel sur le sujet. Ce que permettent ces chat-
bots, c’est de converser presque comme un
humain. » Un argument qui n’a pas échap-
pé aux assureurs, ni aux banques, dont les
outils conversationnels peinent à répondre
à plus d’une question à la fois.  D. Pa.

54  CHALLENGES N°774 - 16 FÉVRIER 2023

SP
L’équipe de Chapsvision, au siège social, à Suresnes (Hauts-de-Seine). En décembre dernier, la société a été retenue à l’issue de la première
phase du projet d’OTDH, la plateforme d’analyse de données de masse de la DGSI.
Chapsvision, crack de la cybersécurité
Créée en 2019, la société a déjà racheté une dizaine de pépites françaises.
Objectif : créer un groupe suffisamment puissant pour s’imposer en Europe.
O
livier Dellenbach se sent
investi d’une mission :
rendre sa souveraineté à
la France, et si possible à
l’Europe, dans le domaine très sen-
sible de la cybersécurité. Son projet
est en bonne voie : en décembre,
Chapsvision, la société qu’il a fon-
dée en 2019, a été retenue à l’issue
de la première phase du projet d’Ou-
til de traitement des données hété-
rogènes (OTDH), la plateforme
d’analyse de données de masse de la
Direction générale de la sécurité
intérieure (DGSI). Pour la deuxième
phase, il affrontera Athea, la coen-
treprise d’Atos et Thales, et la socié-
té lyonnaise Blueway.
Sa bête noire, Palantir
Le tour de force est remarquable : il
n’aura fallu que trois ans à ce nouvel
acteur pour se faire un nom dans le
petit monde de la cyber, et du ren-
seignement en particulier. Entrepre-
neur à succès, Olivier Dellenbach a
créé Chapsvision sur sa fortune per-
sonnelle, constituée grâce à la vente
de deux entreprises dans le secteur
du high-tech. Sa bête noire : l’améri-
cain Palantir, dont la solution d’ana-
lyse de données de masse a été
adoptée par de nombreux services
de renseignement européens. Son
modèle : « Constituer un gros édi-
teur de logiciels pour produire un
effet de taille qui permette d’être
crédible », explique-t-il.
Il a déjà racheté une dizaine de pé-
pites françaises : Deveryware et
Ockham, experts en investigation
numérique, Bertin IT et sa filiale
spécialisée dans le traitement de la
voix Vecsys, ou encore Coheris,
dans la relation client. Il s’est même
positionné, récemment, sur la re-
prise d’une partie des activités de
cybersécurité d’Atos, au grand dam
de la direction de l’entreprise de ser-
vices numériques, qui a dénoncé
« une tentative de déstabilisation ».
L’intéressé ne demande qu’à avoir
accès au dossier et estime qu’il y
aurait « plus de valeur à créer en
découpant la société et en répartis-
sant les morceaux entre les diffé-
rents acteurs ».
L’homme d’affaires est focalisé sur
le développement à grande vitesse
de son entreprise : il vise 160 à
180 millions d’euros de chiffre d’af-
faires cette année et 250 millions à
la fin 2024. Pour accélérer en Eu-
rope, il a levé 130 millions l’an der-
nier auprès de Bpifrance et de Tike-
hau, qui lui permettront de réaliser
des acquisitions en Allemagne et en
Italie. « Il est très crédible et son dis-
cours est cohérent, observe le
consultant Bernard Barbier, ancien
patron de la direction technique de
la DGSE. Il a rassemblé un en-
semble de boîtes très intéressant
dont les dirigeants possèdent de
bons contacts dans les services. »
Ses rivaux, Atos et Thales
EN PLEIN La méthode est proche de celle em-
ESSOR ployée par Palantir, qui avait recruté
à ses débuts des anciens de la CIA et
160 à 180 de la NSA pour identifier les besoins
millions
d’euros de des clients. L’américain a conçu une
chiffres d’affaires solution avec un noyau unique pou-
en 2023. vant être personnalisée en fonction
des profils de chaque acteur. Chaps-
130 vision suit une voie similaire. Les
millions acquisitions viennent compléter
d’euros levés
en 2022. Argonos, sa plateforme de data in-
telligence utilisée aussi bien par la
15 % grande distribution que les banques
d’Ebitda ou le monde du renseignement.
en 2022. « Sur les marchés régaliens, nos
SOURCE : SOCIÉTÉ.
concurrents sont Atos ou Thales et
les grands intégrateurs siphonnent
99,9 % des grands projets, déplore
Olivier Dellenbach. L’Etat rêve
d’une French Tech, mais il ne nous
aide pas beaucoup : il faudrait un
peu moins d’amour et plus de
contrats. » Un contrat avec la DGSI
constituerait la meilleure des
vitrines.  Gilles Fontaine
16 FÉVRIER 2023 - CHALLENGES N°774  55
 Entreprise
Bonne semaine
Delessard/Challenges
Nicolas Dufourcq rempile
La reconduction du directeur général
de Bpifrance pour un nouveau mandat
de cinq ans, proposée par l’Elysée,
a été confirmée par un avis favorable
du Parlement. A la tête de la banque
publique d’investissement depuis
sa création en 2013, il a fait valoir
que l’institution est devenue sous
sa direction une « banque profitable »
avec « un résultat net d’à peu
près 1,5 milliard d’euros » en 2022.
Marta Ortega entend
les revendications
La fille du
fondateur d’Inditex
(Zara, Massimo
Dutti…), qui a pris
les commandes
du groupe en
2022 et s’apprête
Bestimage
à présenter
des résultats
exceptionnels, a accepté de revaloriser
les revenus de ses salariés
espagnols. La hausse, qui s’inscrit
dans une révision globale des grilles,
sera de 20 % en moyenne. L’accord
met fin à un mouvement social
des vendeuses.
Mauvaise semaine
Capture Yahoo Fiance
Mason Rothschild
est mis à l’amende
L’artiste devra verser 133 000 dollars
au groupe de luxe Hermès pour
contrefaçon. En 2021, il avait vendu
sans autorisation une collection NFT
de sacs imitant ceux de la marque
française sous le nom MetaBirkin,
pour plusieurs centaines de milliers
de dollars. Ce n’est pas de l’art,
a tranché le tribunal new-yorkais.
56  CHALLENGES N°774 - 16 FÉVRIER 2023
James Dyson
aspire toujours à
plus d’innovation
Après l’aspirateur et le sèche-cheveux, le fondateur
de la marque d’électroménager design travaille
à un casque audio avec purificateur d’air. Et tant pis
si c’est un échec. Ses valeurs sont intactes. Rencontre.
I
l pourrait passer du bon temps
sur une île au soleil ou dans
l’une de ses demeures à écrire
ses Mémoires. Pourtant, en ce
7 février, jour ensoleillé de grève
dans Paris, la première fortune bri-
tannique, avec 23 milliards de livres
sterling selon le dernier classement
du Sunday Times, est de passage
dans la capitale française. A 75 ans,
James Dyson est encore sur le pied
de guerre et réfléchit à la nouvelle
invention qui pourrait changer la
donne. « Je continue à travailler
car j’en ai encore envie. Je suis très
excité car j’ai beaucoup de chance
de côtoyer des ingénieurs brillants.
Je viens toujours au travail pour
apprendre et c’est très stimulant. »
« Changer ce qui est moche »
La veille, sir James Dyson a animé
une conférence au palais de Tokyo
pour expliquer ses influences artis-
tiques. Devant un parterre de happy
few, arborant une chemise blanche
zébrée au centre, il a déroulé une
présentation sérieuse sur le fond,
avec en main un balai d’aspirateur
afin de pointer les éléments sail-
lants. L’art du décalage. Plus que le
choix du nombre de cyclones dans
l’aspirateur, l’ingénieur a livré un de
ses ressorts intimes. « J’ai une
forme de perversion : j’aime trans-
former les choses que personne ne
trouve cool. J’ai commencé par les
aspirateurs, puis les sèche-­cheveux.
Ce sont des objets qui, à première
vue, ne sont que moches et
bruyants. » Et il a réussi à convertir
le plastique en machine à cash pour
la marque créée en 1991, qui emploie
aujourd’hui 14 000 personnes. En
2021, l’entreprise a réalisé 6,7 mil-
liards d’euros de chiffre d’affaires.
S’il ne devait choisir qu’un de ses
produits favoris, ce serait l’aspira-
teur. « C’est celui qui a permis de
financer tout le reste. » Ceux-ci rap-
portent le plus à l’entreprise, suivis
par les purificateurs d’air.
« Nous pouvons nous tromper »
Le prochain produit de Dyson tente
d’ailleurs de profiter des compé-
tences développées dans la filtration
de particules : le Dyson Zone est un
casque audio hybride, qui comporte
un purificateur d’air situé juste de-
vant la bouche. Son lancement est
espéré l’été prochain. S’il fait res-
sembler son utilisateur à Bane, le
méchant de Batman, James Dyson
croit très fort dans son potentiel,
malgré un prix à près de 1 000 euros.
« Nous avons commencé à le déve-
lopper avant le Covid. Cela permet
de ne pas attraper de maladies,
notamment dans les transports
publics. Les gens ont vu ce que cela
faisait de porter un masque. Avec
ce produit, vous pouvez porter du
rouge à lèvres et vous ne suez pas,
car rien ne touche votre visage. »
Et si le Zone ne rencontre pas son
public ? Pas grave. Bon joueur, l’in-
génieur à succès aime faire l’éloge
de l’échec. « Quel est le problème
avec le fait de se tromper ? Vous
apprenez bien plus des échecs que
des réussites. Nous faisons des
choix sur des produits sur lesquels
nous investissons beaucoup. Bien

sûr, nous pouvons nous tromper,
c’est risqué par nature. » La veille,
le septuagénaire a reconnu que
« c’était une idée stupide de déve-
lopper une voiture ». Les construc­
teurs traditionnels faisant le choix
de l’électrique, la marque n’a pas su
trouver de business model viable.
« Cinq années de développement de
perdues. La seule bonne chose que
nous avons obtenue, ce sont les per-
sonnes que nous avons recrutées. »
L’ingénieur utilise d’ailleurs cet
échec comme la meilleure preuve
de résilience d’une entreprise restée
loin des levées de fonds à six chif­
fres, toujours contrôlée par la fa­
mille du fondateur. « Notre fonc-
tionnement est beaucoup plus sain
que celui des sociétés cotées. Nous
pouvons avoir des valeurs et les
appliquer en pensant au long
terme. Accepter l’échec, comme ce-
lui de la voiture, tout en proposant
des promotions à ceux qui en
étaient en charge. »
Déroutante, sa dernière facétie se
passe dans les champs : une de ses
filiales produit des petits pois, et
même des fraises cueillies par des
robots. Cela ne l’empêche pas de
faire l’objet de polémiques. Dyson a
transféré son siège du Royaume-Uni
Le carnet
En partenariat avec
Jean-François Duboy, 40 ans,
Essec Business School, est le nouveau
directeur général de Group Vivendi
Africa (GVA). Dernièrement, il assurait
la direction des opérations Afrique
au sein de groupe Canal+.
Eline Cormont-
Girardey, 40 ans,
master en droit
des affaires
internationales
de l’université
de Tours, master
de traduction
Stéphane Lagoutte/MYOP pour Challenges
SP
juridique de l’Isit Paris, est promue
directrice juridique de Tarkett et
secrétaire du conseil de surveillance.
Elle siège au comité exécutif.
Patrick Augier, 56 ans, ingénieur
atomicien, ingénieur en chef de
sous-marins nucléaires d’attaque,
commandant de navires, sera
secrétaire général de la Compagnie
Making of à Singapour en 2019, où l’entreprise du Ponant et membre du comité
James Dyson disposait de bureaux. Pour des rai­ exécutif à partir du 1er mars.
nous a reçus sons fiscales ? « Nous payons tou-
mardi 7 février, Raffaella Cornaggia, 52 ans,
jours des impôts au Royaume-Uni, université Bocconi (Italie), est nommée
rue des Saints-
Pères à Paris, se défend le milliardaire. Mais c’est directrice générale de Kering Beauté.
à deux pas à Singapour que nous réalisions Elle siègera au comité exécutif.
de la boutique déjà beaucoup de choses pour
de son épouse l’Asie. Ce changement était com- Guillaume Collin, 39 ans, Insa Lyon,
Deirdre Dyson.
mandé par le bon sens car nous est promu directeur du développement
L’ingénieur commercial et de la stratégie de Spie
aurait préféré n’étions plus une entreprise britan-
ICS. Il intègre le comité de direction.
être entouré nique, mais tournée vers l’Orient. »
de ses produits, Cédric Barbier, 57 ans, INPG
dans son « Jake prendra le contrôle » Grenoble, devient directeur exécutif
magasin près France d’Egis. Il est membre
de l’Opéra, Le temps passe et son Range Rover
mais le trajet de est prêt à repartir. Son épouse du comité exécutif.
la manifestation Deirdre Dyson, qui réalise des tapis, Bertrand Boisselier, 56 ans, expert-
a eu raison l’attend. Juste le temps d’évoquer
de lui ce jour-là. comptable, commissaire aux comptes,
son avenir. A-t-il aimé la série Suc- Escem, est élu président du conseil
cession, sur la transmission d’une d’administration de Deloitte France et
entreprise d’un patriarche à ses en­ Afrique francophone pour un mandat
fants ? « J’ai commencé, mais j’ai de quatre ans à compter du 1er juin.
arrêté car je ne trouvais pas ça réa- Morena Bernardini, 39 ans,
liste. » La sienne semble déjà écrite. Ecole d’ingénierie aérospatiale et
« Mon fils Jake prendra le contrôle astronautique de La Sapienza (Italie),
car il travaille avec moi à temps Insead, ingénieur en aérospatiale
complet. Un autre de mes fils tra- et astronautique, est la nouvelle
vaille à temps partiel et ma fille ne secrétaire générale de MBDA.
s’y intéresse pas. » Loin des com­ En 2019, elle était devenue directrice
plots machiavéliques et des coups de la stratégie et de l’innovation
de théâtre. Dans un sourire, le mil­ d’ArianeGroup.
liardaire s’en excuse presque : « Dé- Jean-Pierre Jouyet, 69 ans, ENA,
solé, notre vie est beaucoup plus inspecteur des finances, rejoint
ennuyeuse. »  Adrien Schwyter le comité stratégique de Perceva.
16 FÉVRIER 2023 - CHALLENGES N°774  57
 Entreprise
Capture EFI/YT
L’Odyssey périlleuse
de Luc Chatel
Le groupe d’enseignement français privé à l’étranger créé par l’ex-ministre
de l’Education multiplie les revers. Il lève à nouveau des fonds.
I
l parle de « courbe en J », de
« return on investment » et se
rêve en start-upper. Reconverti
dans le business après avoir
décidé de quitter l’Assemblée en
2017, Luc Chatel parle encore
comme un politique quand il vante
les réalisations d’Odyssey, son
groupe d’enseignement privé à
l’étranger : « Quel plaisir de planter
un drapeau tricolore à Sarajevo et
d’y accueillir des familles bos-
niennes qui ne connaissaient pas
un mot de français ! » s’emballe-t-il.
L’ex-ministre de l’Education sous
Nicolas Sarkozy se pose en porte-
étendard de la francophonie face
aux mastodontes anglo-saxons. Ce-
pendant en coulisses, la société à
laquelle Chatel consacre deux jours
par semaine, où il a investi près de
400 000 euros et dont il détient 16 %,
multiplie les déconvenues.
L’aventure était pourtant promet-
teuse. C’est Jonathan Derai, son
58  CHALLENGES N°774 - 16 FÉVRIER 2023
Luc Chatel à Casablanca,
le 7 juillet 2022. Sur la
douzaine d’établissements
de la galaxie Odyssey, l’EFI
est le seul bénéficiaire,
de 1 million, mais Odyssey
n’en détient que 33 %.
ancien chef de cabinet, qui l’a fait
entrer dans ce business en 2018 en
l’intronisant au conseil d’adminis-
tration de son Ecole française inter-
nationale (EFI), à Casablanca. Il l’a
créée un an auparavant avec deux
associés marocains et un emprunt
de 10 millions d’euros. Cette école,
qui enseigne en français et en an-
glais, cartonne. « L’enseignement
bilingue a séduit une partie des
expatriés et de l’élite locale », in-
dique un diplomate. Aux côtés des
écoles publiques de l’Agence pour
l’enseignement français à l’étranger
(AEFE) et des établissements asso-
ciatifs de la Mission laïque, qui
donnent leurs cours en français,
l’EFI, établissement privé homolo-
gué par l’AEFE, a trouvé sa place.
Les Mulliez en soutien
Ses fondateurs s’emballent d’autant
que, dans un grand discours sur la
francophonie en mars 2018, Emma-
nuel Macron a fixé pour horizon de
doubler le nombre d’élèves accueil-
lis dans le réseau scolaire super-
visé par la France à l’étranger d’ici
A Bruxelles, à 2030. « Faute d’augmentation des
c’est moyens publics, cet objectif ouvre
implicitement la voie au dévelop-
un échec pement d’établissements privés »,
complet. critique Jean-Yves Leconte, sénateur
Les pertes socialiste représentant des Français
s’accu- de l’étranger. Luc Chatel sent le bon
filon et suggère de bâtir un réseau
mulent d’établissements. « Ce n’est pas une
aussi à opportunité de marché, c’est sur-
Bucarest. tout une ambition pédagogique »,
Et Odyssey positionnée sur le bilinguisme,
« qui n’est pas antinomique avec
misait le rayonnement de la France »,
beaucoup assure Jonathan Derai. Odyssey
sur la obtient le soutien financier des
Russie… Mulliez, propriétaires d’Auchan. Le
groupe ouvre dès 2019 deux écoles
primaires à Bruxelles et à Bucarest,
et prospecte à tout-va. Mais cet
expansionnisme effraie les Mulliez,
qui se retirent pour « divergence de fin de l’année scolaire et transfé-
vues », après n’avoir apporté que rer nos élèves au lycée français de
3 des 11 millions prévus. Qu’à cela l’AEFE », admet Catherine Lespine.
ne tienne, Chatel ouvre son carnet Les pertes s’accumulent aussi à Bu-
d’adresses. Ancien président du carest, de 480 000 euros en 2021. Le
groupe d’amitié France-Maroc à l’As- groupe s’y est installé malgré l’oppo-
semblée, il sollicite la famille Bensa- sition de l’établissement français as-
lah, grosse fortune du royaume, qui sociatif Anna-de-Noailles. « Avec de
entre au capital à l’été 2020. Le fonds petits effectifs, un vivier de profes-
de l’héritière Marie-Hélène Dassault seurs restreint et aucune possibili-
et de son mari, Benoît Habert, met té de s’agrandir, ils ne pourront pas
aussi de l’argent et même Pierre s’en sortir », persifle son secrétaire
Chatel, son frère. Peu après, Bpi- général, Serge Rameau. L’ouverture
france apporte 2,5 millions en capi- du collège a été reportée à 2024.
tal et 5 millions en dette. « Odyssey
a un business potentiel phénomé- Tikehau à la rescousse
nal et porte la voix de la France Odyssey a aussi joué de malchance
à l’étranger », justifie la banque en récupérant, via Scolae Mundi,
publique. En tout, le groupe récolte une école à Odessa et une à Saint-
25 millions. Et recrute une pointure, Pétersbourg… deux mois avant
Catherine Lespine, ex-patronne l’entrée en guerre contre l’Ukraine.
de l’Inseec, pour se crédibiliser. « Nous misions beaucoup sur
En 2021, il ouvre à nouveau grand la Russie », regrette Luc Chatel,
son portefeuille : 700 000 euros pour qui espérait doubler les effectifs à
reprendre le groupe scolaire Institut 300 élèves. Leur nombre a chuté à 48
EFI/SP

Saint-Dominique à Rome, 2 millions en janvier. Odyssey a jeté l’éponge

pour acquérir le réseau « La Petite
Ecole », monté par un couple d’ex-
patriés français en Asie du Sud-Est,
et un peu moins de 1 million pour
la majorité du capital de Scolae
Mundi, 6 écoles primaires dans les
Balkans, piloté par Jean-François Le
Roch, fils du fondateur d’Intermar-
ché. Au total, Odyssey réunit alors
15 écoles et plus de 3 500 élèves,
pour un chiffre d’affaires de 26 mil-
lions d’euros.
Luc Chatel et ses associés auraient-
ils eu les yeux plus gros que le
ventre ? Les déficits cumulés dé-
passaient les 7 millions d’euros à
fin août 2022. Seule l’EFI de Casa-
Un cumulard du business
blanca est bénéficiaire, de 1 million,
mais Odyssey n’en détient que 33 %.
Partout ailleurs, les établissements
sont déficitaires. Et ce n’est pas
seulement la faute des confine-
ments liés au Covid. Par exemple,
à Bruxelles, Odyssey a installé son
école dans un château au loyer élevé
et à deux pas de l’établissement de
l’AEFE, avec qui la concurrence
est féroce. Sans parler des écoles
belges, gratuites et de qualité.
Echec complet. « N’ayant jamais
réussi à dépasser les 80 élèves et
après 2 millions d’investissement,
nous avons décidé de fermer à la
et rétrocédé l’établissement à Jean-
A l’Institut Saint- François Le Roch pour 1 euro sym-
Dominique à bolique. Le groupe s’est juste engagé
Rome, racheté à finir l’année scolaire et assumer
en avril 2021. Le
groupe Odyssey
346 000 euros de dépenses… après
vise 73 millions avoir touché une subvention de
d’euros de chiffre 155 000 euros de l’AEFE, au vu des
d’affaires circonstances exceptionnelles. De
en 2026-2027. quoi agacer Franck Ferrari, conseil-
ler LR des Français en Russie.
« Quand un groupe privé prend
son risque, ce n’est pas pour appeler
l’Etat à la rescousse pour éponger
ses pertes ! »
Toutes ces mésaventures ont obligé
les dirigeants d’Odyssey à réviser le
business plan, qui pariait sur un
chiffre d’affaires faramineux de
250 millions en 2030. « Nous allons
nous concentrer sur notre réseau
existant et faire grandir nos douze

L
’ancien cadre de L’Oréal,
qui a monté sa propre
société LCH, n’a pas
seulement capitalisé sur son
expérience ministérielle à
l’Education. Ex-secrétaire
d’Etat au Tourisme, Luc
Chatel a séduit le fonds Ekkio
Capital, actif dans le secteur,
qui l’a propulsé associé. Et
son passage à l’Industrie l’a
rapproché de Laurent Burelle,
le patron de l’équipementier
automobile Plastic Omnium,
dont l’usine historique se
situe en Haute-Marne, dans
l’ex-circonscription de Chatel.
Burelle l’a sollicité fin 2017
pour présider la Plateforme
de la filière automobile (PFA),
le lobby du secteur. Chatel y
a placé son ancien directeur
de cabinet ainsi que son ex-
assistant parlementaire.
Depuis, la PFA a absorbé la
structure qui organise le
Mondial de l’Auto, et ses
4,3 millions d’euros de
réserves. Puis elle a délégué
la gestion du Salon, en perte
de vitesse, à l’agence
Hopscotch, dirigée par un
neveu de Chatel. Charge
à elle d’éponger les
éventuelles pertes alors que
l’édition 2022 n’a pas fait
d’étincelles. Une manœuvre
épinglée par Le Canard
enchaîné, qui a pointé la
rémunération du président
de la PFA : 350 000 euros
par an, pour deux jours par
semaine. « C’est faux »,
assure l’intéressé, qui refuse
toutefois de divulguer
les rémunérations que
lui versent ses trois
employeurs. • ployeur de François Fillon.
écoles, se résout Catherine Lespine.
Nous visons un effectif de
7 500 élèves en 2026-2027, avec un
chiffre d’affaires à 73 millions. »
Toujours optimiste, l’équipe assure
que le résultat d’exploitation passera
dans le vert cette année. En atten-
dant, pour éponger les pertes, Odys-
sey vient de boucler une nouvelle
augmentation de capital auprès de
ses actionnaires et va lever 20 mil-
lions de dette auprès du fonds d’in-
vestissement Tikehau… ex-em-
Alice Mérieux et David Bensoussan

16 FÉVRIER 2023 - CHALLENGES N°774  59

Entreprise le Club Entrepreneurs Challenges - Grant Thornton
Pourquoi avoir ouvert votre activité
aux marques de prestige ?
Notre groupe est issu de marques
généralistes avec lesquelles nous
avons appris les fondamentaux de
la distribution automobile. Nous
voulons nous inscrire dans un uni­
vers qui véhicule du rêve et fédère
une communauté de passionnés.
Nous avons commencé en 2015
avec Maserati dans l’Ouest parisien,
puis sont arrivés Lamborghini,
McLaren, Bugatti, Alpine, Porsche
et désormais Dallara. Ce qui repré­
sente 10 % de notre chiffre d’affaires.
Vous venez d’étendre votre
partenariat avec Maserati à Paris.
En quoi consiste-t-il ?
Paris est une étape décisive pour
cette marque rattachée à Stellantis.
Cet été, nous ouvrons un site sur la
colline de Saint-Cloud et en février,
le premier café Maserati au monde,

Mahema Productions
au sein d’Eataly.
Avec combien de marques
avez-vous signé et quel est votre
mode de rémunération ?
Nous travaillons avec vingt marques

LS Group bouscule
sur un modèle classique de négoce
d’achat-vente de véhicules sur
lequel nous percevons une marge.
Mais il est en pleine mutation : cer­

les codes du monde

tains constructeurs transforment
notre métier en agent, pour lequel
nous touchons une commission.

de l’automobile
Comment accompagnez-vous
les mutations de votre métier ?
Si notre activité opérationnelle est à
Chartres, notre bureau de Neuilly-
Edouard Schumachera fondé en 2019 avec son frère François sur-Seine fonctionne comme une
start-up. Nous développons une
et Olivier Lamirault ce groupe de distribution automobile, qui ouvrira communication disruptive autour
ses premiers bureaux à l’international, à Rome, au printemps. de nos marques via des compéti­
tions sportives ou des pop-up
stores. Nous venons de créer avec
Challenges. Votre père était lui- Comment LS Group a-t-il vu le jour ? l’entreprise Savoir-Faire une paire
La vidéo sur
même concessionnaire automobile. Challenges.fr Cette entité scelle deux histoires de sneakers à base de tissus de
Pourquoi avoir repris son activité ? familiales : la mienne et celle de la Porsche vintage. Nous accélérons
Edouard Schumacher. Mon père a famille Lamirault, dont le fils Olivier également notre présence dans le
créé le Groupe Schumacher en 1963 a débuté aux côtés de mon père. métavers. Nous modernisons le
en distribuant la marque Renault. Aujourd’hui, LS Group compte monde de l’automobile en bouscu­
Après son décès fin 2006, j’en ai 1 600 salariés répartis sur 63 établis­ lant ses codes.
repris la direction. J’avais tout juste sements, et notre chiffre d’affaires a Votre rêve de croissance ?
25 ans et je venais de terminer mes progressé de 20 % l’an dernier, pour Devenir une agence de communi­
études de droit. Le devoir familial atteindre un milliard d’euros. cation à 360 degrés, capable d’ac­
m’a porté et au bout de trois ans, j’ai Vous allez même vous déployer hors compagner nos clients dans tous les
rétabli cette entreprise, qui perdait de France… univers. •
12 millions d’euros. Et si Renault En effet. Au printemps, nous allons
nous a renouvelé sa confiance, nous nous installer à Rome. L’Italie est un UN PARTENARIAT
nous sommes aussi ouverts à d’au­ Propos pays stratégique pour notre activité,
tres marques, comme Volkswagen recueillis par et peut-être même une première
et Toyota. Laure Croiset étape sur le marché européen.

60  CHALLENGES N°774 - 16 FÉVRIER 2023

Chez votre marchand de journeaux
 Entreprise

Daniel Kretinsky. Avec CMI France,

AFP or Licensors - J. Saget

l’homme d’affaires tchèque a bâti

un solide pôle presse (Marianne,
Elle, Usbek & Rica, Le Monde…).

Daniel Kretinsky
La tactique tchèque
Energie, distribution, médias… Ce milliardaire francophile étend son
influence tricolore avec frugalité, ciblant des secteurs soumis à turbulences.
Le candidat à la reprise d’Editis pourrait toutefois sortir du Monde.
Par Thuy-Diep Nguyen (avec Guillaume Echelard)

R
ester dans la course au rachat d’Editis ?
Ce 24 janvier, Daniel Kretinsky n’est pas à
Paris seulement pour accompagner sa
sœur Tereza à son premier défilé Dior. Le
milliardaire tchèque, 47 ans, fait également le point
sur sa candidature à la reprise du numéro deux de
l’édition tricolore, en cours de cession par Vivendi.
Poussé par Denis Olivennes, président de CMI
France, son pôle presse, le dossier séduit l’homme
d’affaires : de belles marques, des promesses de
revenus réguliers, de possibles synergies avec ses
magazines… Parfait pour cet esprit analytique. Et
l’opération est accessible : quelque 150 millions
d’euros pour 30 % du capital. Une paille au regard de
sa fortune – 5,4 milliards de dollars selon Forbes. Le
double d’il y a cinq ans.
Mais l’affaire n’est pas pliée. Bruxelles doit valider
la vente et Kretinsky affronte des cadors du sec-
teur : l’italien Mondadori, le canadien Québecor,
Reworld Media, Xavier Niel et Stéphane Courbit,
proche de Vincent Bolloré, propriétaire de Vivendi.
Or ce dernier, martèle un conseiller, « n’aime pas

62  CHALLENGES N°774 - 16 FÉVRIER 2023

 Relais d’affaires

S. de Sakutin/AFP

Lebedinsky/SP
J. Witt/Sipa

Jean-Charles Naouri. En 2019, le PDG et
actionnaire majoritaire de Casino, endetté,
accepte l’aide de Kretinsky, qui a désormais
10 % du groupe. Entente de circonstances ?
Naouri s’interroge sur ses intentions.
Richard Ferrand. Macroniste des débuts,
l’ex‑président de l’Assemblée nationale,
devenu consultant, a connu Kretinsky
via Hubert Coudurier, influent patron du
Télégramme. Il lui a facilité l’accès à l’Elysée.
Gabriel Naouri. Le fils de Jean-Charles Naouri,
présenté par Denis Olivennes, est entré avec
Kretinsky, allié « exigeant mais irréprochable »,
au capital de Maisons du Monde, dont il reste
actionnaire et administrateur.

vendre à ceux qu’il ne connaît pas ». Mais le CONQUÊTE Usbek & Rica et s’est manifesté auprès de Loopsider
Tchèque tente sa chance. « Il est toujours à l’af- FRANÇAISE et Brut, en quête d’argent frais. L’an dernier, il a prêté
fût », assure un proche. Editis serait l’une de ses 2018 14 millions d’euros à Libération. « Je ne vous lis
plus belles prises tricolores. Rachète pas – quand j’ai le temps, je lis Le Figaro, a-t-il lâché

E
Marianne à quelques membres de la rédaction. Mais je juge
et devient
n cinq ans, Kretinsky a fait de la actionnaire important que le journal existe. » Frénésie qui en dit
France son terrain de chasse privilé- du Monde. long sur ses ambitions. « Il s’offre de l’influence. Cela
gié. Pas seulement par amour du 2019 n’a jamais gêné les affaires », dit un cador du PAF.
pays – francophile et francophone, il S’offre Elle, Olivennes tente un mobile plus concret : « Daniel a
a étudié à Dijon et été biberonné aux Public, bâti un groupe industriel dans l’énergie, prospère
chansons de Piaf et aux « pommes Télé 7 Jours, mais dont les possibilités de croissance externe sont
frites » de sa mère. « Ce n’est pas un philanthrope, France Dimanche, limitées par l’état du marché. Comme c’est un entre-
Ici Paris et deux
dit un membre du conseil de CMI France. Son mo- centrales à preneur, pas question pour lui de laisser dormir le
teur, c’est de faire du business. Et de l’argent. » charbon. Entre au cash-flow généré par le groupe. »

S
Entré avec fracas sur le territoire en 2018 en s’of- capital de Casino.
frant coup sur coup l’hebdomadaire Marianne, un 2020 a technique de chasse est toujours la même :
strapontin au Monde et l’essentiel des magazines de 10 % dans ultra-calculée. Dans son fief de Prague, rue
Lagardère (Elle, Télé 7 Jours, Public…), Kretinsky Casino. Offensive de Paris, une armada d’analystes souvent
ne cesse de se renforcer. Dans l’énergie, où il a fait sur Maisons formés aux Etats-Unis moulinent les don-
du Monde.
fortune, il a repris des centrales à charbon vouées à nées. Mot d’ordre : « Etre au bon endroit au bon
la fermeture, en partie ressuscitées pour cause de 2021 moment », dixit un patron français qui l’a pratiqué.
Tente le rachat
pénurie de gaz. Dans la distribution, il s’est emparé de M6. Sort
Un politique français l’a surnommé le « chasseur de
de 10 % de Casino après avoir épaulé Jean-Charles de Maisons primes ». Jean-Michel Mazalerat (ex-Veolia, EDF…),
Naouri, PDG endetté et cible de rumeurs de rachat du Monde. devenu président de GazelEnergie, filiale et exploi-
par Carrefour. Avec Gabriel Naouri, le fils, il a fait un 2022 tant de la centrale de Kretinsky en Moselle, fignole :
aller-retour juteux dans Maisons du Monde. Début Achète 20 % « Côté énergie, il a débarqué durant la crise finan-
2022, profitant d’un faible cours en Bourse, il a pris de Fnac Darty, cière, bien décidé à investir à contre-cycle dans des
20 % de Fnac Darty. Usbek & Rica secteurs essentiels à la société et souvent délaissés
Il s’est surtout imposé dans les médias. Candidat au et Louie Media. par les pouvoirs publics. »
Prête 14 millions
rachat de M6, il récupère depuis 2019 des titres de d’euros Quinze ans plus tard, la ligne n’a pas changé. Kre-
TF1, dont il détient près de 10 %. Début 2021, il a été à Libération. tinsky fait d’abord des paris « industriels » dans des
shortlisté par Bertelsmann pour racheter Prisma 2023 secteurs soumis à turbulences : le digital pour la dis-
Media, pôle magazines finalement enlevé par Viven- Candidat au tribution, les renouvelables pour l’énergie, le strea-
di. Il s’est offert le podcasteur Louie Media, la revue rachat d’Editis. ming pour la télévision… En lorgnant M6 et uuu

16 FÉVRIER 2023 - CHALLENGES N°774  63

 Entreprise
Relais d’affaires
J. Saget/AFP
J. Saget/AFP
Matthieu Pigasse. Le banquier a ouvert
à Kretinsky les portes du Monde, avant de
lui barrer la route. L’entourage du Tchèque
tacle : « Il nous a menti comme il ment à tout le
monde. » Même si officiellement, les relations
seraient restées « normales ».
uuu TF1, il joue la consolidation du PAF. Autre
critère capital, le prix. « Il ne surpaye jamais », dit
Olivennes. Un banquier détaille ce modus operandi
proche d’un fonds : « Les dossiers sont ultra-prépa-
rés et on voit bien, par les questions posées, qu’il
s’agit d’investir des sommes raisonnables pour un
retour sur investissement sous cinq ans. » Concer-
nant le dossier Prisma, Kretinsky a refusé de suren-
chérir sur Vivendi, dont l’offre ne dépassait que
d’une dizaine de millions la sienne. Même frugalité
pour M6. Avant d’opter pour la fusion avec TF1, Tho-
mas Rabe, le patron de Bertelsmann, prenait très au
sérieux sa candidature. « Rabe voulait une prime
“émotionnelle”, cela n’a pas été le cas. Il faut tenir
une discipline », a justifié le milliardaire.
L
es médias sont pourtant un secteur de
paris « émotionnels ». Lors de son entrée
au Monde, Kretinsky a volé au secours de
Pigasse en reprenant une part de son tic-
ket. Emois des rédactions, du microcosme parisien
et des actionnaires, Niel en tête. Xénophobie, peur
d’ingérence, soupçons de liens avec la Russie – une
hypothèse à ce jour non étayée par des faits… Une
« vexation » pour cet amoureux de la France. « Lui
et ses équipes ont sous-estimé la valeur affective et
patrimoniale du titre », dit un lieutenant. Début
2022, coup de théâtre : Pigasse revend la majorité de
ses parts à Niel. « J’ai perdu la connexion émotion-
nelle », confie alors Kretinsky à des proches. Lors de
son premier deal avec Olivennes, il avait prévenu :
« Je préfère un bon accord à une mauvaise guerre. »
Entamer un bras de fer ou sortir du Monde ? Il veut
régler l’affaire dans l’année. Gabriel Naouri analyse :
64  CHALLENGES N°774 - 16 FÉVRIER 2023
E. Alcock/Myop
Denis Olivennes. Homme de réseaux rodé Etienne Bertier. L’ex-journaliste devenu
au business, le président de CMI France, conseiller (CDC, EDF…) a été le premier
pôle médias du milliardaire tchèque, poisson-pilote de Kretinsky dans
que Daniel Kretinsky a rencontré l’establishment. Plus en retrait aujourd’hui,
via Etienne Bertier, est en première ligne il siège au sein du conseil de surveillance
sur le dossier Editis. de CMI France.
« Des accusations qui ont injustement visé Daniel
me rappellent celles qui visaient jadis Lakshmi
Mittal. Le microcosme parisien s’est ouvert au
monde, mais il peut encore progresser. »
D
epuis, Kretinsky peaufine ses en-
trées. Son parcours dans l’énergie
lui vaut des accointances solides :
Gérard Mestrallet (ex-Engie), Hen-
ri Proglio et Jean-Bernard Lévy
(ex-EDF), Patrick Pouyanné (Tota-
lEnergies)… A CMI France, Olivennes et Etienne
Bertier, ex-journaliste devenu conseiller – son go-
between historique –, lui ont ouvert leur carnet mé-
diatique : Michel Denisot, Hubert Coudurier, big
boss du Télégramme… Ce dernier lui a présenté Ri-
chard Ferrand, ex-président « marcheur » de l’As-
semblée, qui lui a ouvert l’accès à Emmanuel Ma-
cron, à qui il voue une admiration sans bornes.
L’occasion de montrer patte blanche ? CMI France,
rentable selon sa direction (222 millions d’euros de
ventes en 2022), n’a pas démérité depuis sa création.
« Par rapport aux années Lagardère, on est content
d’avoir quelqu’un qui investit ! » dit un journaliste
de Télé 7 Jours. Et peu importe si une récente une
de Marianne sur Alexis Kohler, secrétaire général
de l’Elysée, a froissé l’exécutif. « Il est assez malin
pour multiplier les gages de sérieux et de plura-
lisme, dit un banquier. Le coup de pouce à Libéra-
tion, c’était aussi cela. » Kretinsky a encore des en-
vies en France : grimper au capital de TF1, par
exemple, « fort bien géré » et propriété de Martin
Bouygues, avec lequel les relations sont « très cor-
rectes », dixit l’entourage. Il n’est pas pressé.  •
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Disney cherche la formule
qui ravivera sa magie
Un endettement de 40 milliards, 7 000 emplois supprimés… Un scénario
catastrophe pour le géant du divertissement, alors qu’il doit enrayer
le déclin de ses activités historiques tout en rentabilisant les récentes.
U
ne succession de mon-
tagnes russes. Valorisé
plus de 200 milliards de
dollars, The Walt Disney
Com­pany caracole en tête du box-
office, avec quatre de ses films parmi
les dix plus gros succès de 2022. Aux
Etats-Unis, ses parcs génèrent des
profits record. Ses réseaux de télé-
diffusion et de télé­vision câblée sont
rentables. Dans le streaming, il a
engrangé plus d’abonnés que Netflix
l’an dernier. Aussi, durant l’exercice
2020-2021, les investisseurs ont vu
doubler le prix de l’action. Mais
depuis, c’est le grand plongeon. Wall
Street a réalisé que les vieux formats
hollywoodiens se dégradent plus
vite que les nouveaux ne se déve-
loppent, et le cours a fondu de moi-
Des piliers fragilisés (Bénéfice d’exploitation, en milliards de dollars)
Disneyland Paris. Après le creux de la pandémie,
les familles sont de retour dans les parcs.
66  CHALLENGES N°774 - 16 FÉVRIER 2023
tié depuis son pic de 2021. Résultat,
en novembre dernier, le géant du
divertissement a démis son PDG,
Bob Chapek, et rappelé son prédé-
cesseur, Bob Iger (lire page 68), qui
s’est vu accorder deux ans pour re-
dresser la situation. Il lui faut en-
rayer le déclin des activités histo-
riques, rentabiliser les nouvelles et
trouver un successeur. En attendant,
il a rendu sa première copie le 8 fé-
vrier : un résultat opérationnel de
3 milliards d’euros (-  7  %)… et la sup-
pression de 7 000 emplois.
Stratégie inchangée
Dans les années 1950, Walt Disney
(1901-1966) avait dessiné un sché-
ma montrant comment les diffé-
rentes parties de son empire se ren-
Photos : L. Viteur/Getty Images/AFP - SP
PARCS ET TÉLÉVISION
PRODUITS ET CÂBLE
DÉRIVÉS 10
8 8
6 6
4 4
2 2
0 0
2021 2022
SOURCE : SOCIÉTÉ SOURCE : SOCIÉTÉ
(EXERCICE CLOS EN OCTOBRE). (EXERCICE CLOS EN OCTOBRE).
forçaient : « Le parc fait vendre les
films, la télévision fait vendre les
produits dérivés, le studio de ciné-
ma permet des échanges de stars
avec la télé. » Au centre, il plaçait le
département création, qui génère la
propriété intellectuelle constituant
le moteur de chacune des branches.
Cette stratégie demeure inchangée,
mais les piliers se fragilisent.
La télédiffusion et le câble sont en
déclin, au profit des plateformes de
streaming. « La télé est au bord du
précipice et elle ne va pas tarder à y
tom­ber », déclarait Bob Iger lui-
même avant son retour à la barre. Et
le streaming, malgré son succès,
perd de l’argent. Or la Bourse se fo-
calise désormais davantage sur les
profits que sur la croissance.
America’s Funniest Home Videos. Encore
2021 2022
rentable, la télé pâtit du succès du streaming.
Côté cinéma, la fréquentation n’était
en 2022 qu’à 65 % des niveaux
d’avant-Covid. Un manque à gagner
lié en partie aux réticences crois-
santes des autorités chinoises à per-
mettre la diffusion de films sur leur
territoire, par ailleurs confiné de très
longs mois. Dans quelques jours
Black Panther : Wakanda Forever
sera le premier film américain à être
distribué en Chine depuis trois ans
et demi.
Restent les parcs, où les familles se
pressent à nouveau : leur résultat
d’exploitation a été de 7,9 milliards
en 2022, soit 16 % de plus qu’avant la
pandémie. Mais la mise en place de
tarifs en fonction de l’affluence, cal-
quée sur les méthodes des compa-
gnies aériennes, écorne l’image du
groupe. Tout comme ses prises de
position sociétales. Le centenaire
Disney a une forme de devoir de
réserve vis-à-vis des Américains,
que n’ont pas forcément ses rivaux.
Coche des jeux vidéo raté
Son grand âge dote aussi le groupe
d’un solide socle du fait de sa capa-
cité à produire et faire fructifier de
la propriété intellectuelle dans les
cinémas et ses parcs. Mais la société
évolue. Le divertissement préféré de
la génération Z (les moins de 25 ans)
est, de loin, les jeux vidéo. Pro-
Le film Buzz l’éclair. Le cinéma souffre de la baisse
de fréquentation des salles depuis la crise sanitaire.
blème : Bob Iger avait, en son temps, dollars après la frénésie d’acquisi-
fermé le département dédié au sein tions à laquelle s’est livré Bob Iger,
du groupe, préférant la vente de notamment avec le rachat en 2019
licences. Netflix, Amazon et Apple, de la 21st Century Fox pour 71 mil-
eux, proposent des abonnements de liards de dollars.
jeux en parallèle du streaming. Bref,
Disney a raté le coche et se retrouve Héritage à assumer
à la traîne. L’an dernier, Bob Iger a PLONGEON Sachant que les droits de certains
raconté au New York Times qu’il Cours de Bourse personnages, comme Mickey
s’en était aperçu en cédant une (en dollars) Mouse, tombent très prochaine-
licence à Netflix : « En me réveillant 200 ment dans le domaine public, l’équa-
un beau matin je me suis dit qu’on tion est compliquée. Mais Bob Iger
était en train de vendre des armes 150 devra la résoudre avant de remplir
108
nucléaires à un pays du tiers- le 13 fév. sa dernière mission : se trouver un
monde et qu’il s’en servait mainte- successeur. Les candidats pour ce
100
nant contre nous. » poste surexposé sont rares. Pour
Comment reprendre la main ? Sans s’en sortir, il faut entretenir des rela-
doute via de la croissance externe. 50 tions tous azimuts, depuis les répu-
Avant de lancer Disney+, le groupe 2021 22 23 blicains de Floride jusqu’au Parti
SOURCE : BOURSORAMA.
avait fait l’acquisition de BamTech, communiste chinois ou les traders
Depuis 2021,
un spécialiste de la technologie du le cours a fondu de Wall Street.
streaming. Une méthode que pour- de moitié : Wall Tandis que la technologie aiguise la
rait réitérer Bob Iger dans les jeux Street a réalisé concurrence entre Hollywood et la
vidéo. Quitte à avaler Electronic que les vieux Silicon Valley, Disney va devoir trou-
Arts, qui vaut une bonne trentaine formats ver de nouvelles façons d’exploiter
de milliards de dollars. Ou en met- hollywoodiens sa propriété intellectuelle, la seule
se dégradent
tant un pied dans le métavers via plus vite que chose que ses rivaux ne peuvent en-
Roblox, une plateforme de jeux les nouveaux ne core égaler. Il lui faudra aussi assu-
pesant 20 milliards. Ou en avalant se développent. mer l’héritage. En 1954, avant l’ou-
Epic Games qui, en plus d’avoir créé verture de son premier parc, Walt
Fortnite, exploite Unreal Engine, Disney avait déclaré : « J’espère seu-
un outil de modélisation 3D dernier lement que nous ne perdrons ja-
cri. Mais les poches du groupe ne mais de vue que tout cela a com-
sont plus très profondes. Son endet- mencé par une souris. »  •
tement frise les 40 milliards de © The Economist - London 2023 u
Photos : Walt Disney Company - 2022 Lucasfilm Ltd. & TM. All Rights Reserved
CINÉMA STREAMING
ET VENTE
DE CONTENUS
4 4
2 2
2022 2021 2022
0 0
2021
-2 -2
-4 -4 La série Willow. Malgré sa montée
SOURCE : SOCIÉTÉ SOURCE : SOCIÉTÉ en puissance, Disney+ perd de l’argent.
(EXERCICE CLOS EN OCTOBRE). (EXERCICE CLOS EN OCTOBRE).
16 FÉVRIER 2023 - CHALLENGES N°774  67
Entreprise
Bob Iger
Héros
Le légendaire PDG de Disney fait un come-back réconfortant
pour Wall Street, Hollywood et les fans. Personne ne peut dire pour
autant s’il réussira à franchir la montagne qui se dresse devant lui.
Par Philippe Boulet-Gercourt (correspondant aux Etats-Unis)
D
« addy is back. » Le 20 novembre,
dans les studios Marvel au pied
des montagnes russes de Disney
World, la clameur est montée,
unanime : « Papa est de retour ! »
Moins de deux ans près avoir
passé le bâton de PDG à Bob Chapek, Bob Iger a été
rappelé aux commandes de l’empire de Mickey pour
sortir d’une période cataclysmique : en un an,
l’action a chuté de 60 %. Adieu Bob, bonjour Bob !
Le revoilà donc sur les chapeaux de roues, levé à
4 h 15, toujours en forme, bronzé, souriant. Si l’on
demandait à l’intelligence artificielle Chat GPT
d’imaginer un PDG de Disney, celui-ci ressemblerait
sans doute à Robert Allen Iger. Mais qui est-il, exac-
tement ? Surtout, a-t-il une chance de réussir le
come-back de sa vie ? Cette deuxième question
divise férocement les milieux d’affaires et de l’enter-
tainment. Les proches d’Iger et ceux qui l’admirent
n’ont aucun doute : il est l’homme de la situation.
Lloyd Greif, un investisseur de Los Angeles, n’hésite
pas à le comparer à un monument dont le visage
serait sculpté pour l’éternité, « comme les présidents
sur le Mont Rushmore ». Lui qui connaît bien le PDG
sait que sa main ne tremblera pas et qu’il saura
prendre les bonnes décisions, même les plus diffi-
ciles : « Son équipe est loyale et Bob est une pré­
sence réconfortante, c’est un peu comme si l’ancien
capitaine venait reprendre le gouvernail. » Jeffrey
Sonnenfeld, professeur à l’université de Yale spécia-
lisé dans le leadership, compare son retour à ceux,
jadis, de Steve Jobs chez Apple, Michael Dell chez
Dell ou Howard Schultz chez Starbucks : « Per­
sonne n’a plus de légitimité, d’autorité, de pouvoir
pour changer les choses en profondeur qu’un géné­
ral effectuant son retour parce que personne,
autour de lui, ne se demande s’il comprend ou non
ce qui a fait la grandeur de l’entreprise en
question. »
68  CHALLENGES N°774 - 16 FÉVRIER 2023
AMERICAN Mais d’autres sont plus sceptiques : les exemples de
DREAM retours ratés de PDG ne manquent pas, de Jack Dor-
1951 sey (Twitter) à Jerry Yang (Yahoo !) en passant par
Naît à Brooklyn. Kenneth Lay (Enron). « Remettre Iger aux comman­
des tient un peu du fantasme basé sur la nostalgie
d’un retour à l’âge d’or, estime Paul Verna, analyste
B. Strong/AFP
d’Insider Intelligence. Je ne pense pas qu’il sera fa­
cile de rééditer l’exploit : les difficultés auxquelles
Disney fait face sont multiples, notamment concer­
nant le secteur du streaming, très fragmenté et
1973 concurrentiel, sur lequel se portent aujourd’hui
Entre dans
le groupe
toutes les attentions. » L’investisseur activiste Nel-
audiovisuel son Peltz n’est pas plus intimidé par l’aura de « Dad­
américain ABC. dy » Bob. Ayant amassé près d’un milliard de dollars
1994 d’actions Disney, le financier critique les erreurs pas-
Président sées, demande un siège au conseil d’administration,
de Capital Cities/ tout en se félicitant de la suppression de 7 000 em-
ABC. plois que vient d’annoncer Iger. « Peltz est très per­
2005 sévérant et il va à l’encontre de l’idée que le héros
PDG de Disney, conquérant Iger est de retour : il y a soudain
successeur de
Michael Eisner. quelqu’un qui soulève de nombreux griefs et qui
2020
attire l’attention », remarque Verna.
A
Quitte Disney.
2022 Burbank (Californie), dans son bureau du
PDG de Disney siège de Disney, Iger doit sourire en en-
à nouveau, après tendant ces éloges et ces doutes. Il a déjà
le licenciement donné le 12 mars 2005. Ce jour-là, le nu-
de Bob Chapek. méro deux de Disney ne sait toujours pas s’il sera
nommé PDG en remplacement de Michael Eisner.
Pour tromper le temps, il emmène ses deux fils jouer
au foot dans un square : William, le plus jeune, et
Max, qu’il a failli prénommer Mickey par amour du
joueur de baseball Mickey Mantle… avant de renon-
cer – ça semblerait étrange en travaillant chez
Qilai Shen/Panos/Réa
Disney. Iger est admiré, cela ne fait aucun doute.
Depuis ses débuts à la chaîne ABC dans un boulot
insignifiant, le petit gars de Brooklyn issu d’une fa-
mille middle class d’Oceanside, à l’est de New York,
a gravi sans faillir tous les échelons. Entre- uuu
 Entreprise

Derrière « le costume » de Bob Iger En mai 2016,

avec le président
En 2015, avec son épouse, dans l’Idaho. Xi, à Pékin.
Willow Bay est la doyenne de l’USC Longtemps,
Annenberg School for Communication and les autorités
Journalism depuis 2017. chinoises ont
interdit la
diffusion de
productions
américaines en
Chine. En trois
K. Kulish/Réa

ans et demi et
depuis le 7 février,
Black Panther :
S. Olson/Getty Images/AFP

Wakanda Forever
En 2001, avec Michael Eisner, est le premier
à Burbank (Californie). Quatre ans plus film occidental à
tard, le second remplacera le premier être distribué.
à la tête de Disney, et multipliera sa
capitalisation par quatre en quinze ans.

uuu gent, nerfs d’acier, compétences irrépro- des pions sur un échiquier mais comme des êtres
chables, certes… Mais certains trouvent qu’il lui humains. Il comprend quels sont leurs intérêts et
manque une étincelle, un brin de magie. Ils l’ont d’ail- trouve un terrain d’entente sans recourir au jargon,
leurs surnommé « Le costume ». au double langage ou à la bravade, et sans essayer
La suite, on la connaît. Après sa nomination à l’una- de forcer la main aux gens. »
nimité du conseil d’administration, ce jour de mars C’est aussi vrai pour les fans de Disney, dont l’avis
2005, Iger deviendra l’un des PDG les plus fameux pèse lourd. Len Testa, auteur de livres sur les parcs
des temps modernes. En quinze ans de règne, la à thème et propriétaire du site TouringPlans.com qui
valeur boursière du groupe est multipliée par quatre leur est consacré, fut l’un des premiers à demander
et les profits par plus de trois, 70 000 nouveaux jobs le renvoi de Chapek : « Quand vous l’écoutiez com-
sont créés, 27 films parmi les 50 plus grosses recettes menter les résultats financiers de Disney, il ne par-
de l’histoire du cinéma sont produits. Le tout ponc- lait pas des gens mais de rendement, presque
tué d’une rafale d’acquisitions : Pixar (2006), Marvel comme s’il regardait les choses d’un point de vue
(2009), Lucasfilm (2012), 21st Century Fox (2019) et purement comptable. Alors qu’Iger comprend les
quelques autres. Des deals colossaux, souvent jugés
imprudents à l’époque. On lui reproche par exemple
de payer Marvel trop cher, alors que l’univers des
super-héros est aujourd’hui la poule aux œufs d’or
Ce qu’ils disent de lui
de Disney. Et quand Iger jette la firme dans le bain Jeffrey Katzenberg, Jeffrey Sonnenfeld, professeur
du streaming avec Disney+, fin 2019, les analystes producteur et de management à Yale : « Il est
sous-estiment son succès, pariant sur 60 à 90 mil- cofondateur de très clair sur ses valeurs, sur ce
DreamWorks : « J’ai eu qu’il représente. »
lions d’abonnés dans le monde à l’horizon 2024 – ils
beau supplier Bob Iger, il n’est pas
sont déjà 164 millions.

I
prêt à se présenter à la présidence Nelson Peltz, PDG de Trian Fund
des Etats-Unis. » Management : « Disney continue
l est utile d’analyser le style de management à avoir une mauvaise stratégie,
qu’Iger a pratiqué toutes ces années pour Steve Jobs(1955-2011), créateur une mauvaise discipline et
jauger ses chances de réussir son come- d’Apple : « J’aime ce type. » une mauvaise gouvernance.
Ce n’est pas Bob Iger qui va
back. Premier atout, ses qualités humaines. David Geffen, producteur : « Je restaurer la magie. »
Il faut entendre Sonnenfeld – qui connaît n’ai littéralement jamais entendu
bien les grands patrons américains – s’émer- une seule personne dire du mal Trip Miller, analyste chez
veiller : « Iger est un leader incroyablement charis- de lui, et je ne l’ai jamais entendu Gullane Capital Partners :
matique et brillant, doté d’une confiance tranquille. dire une seule méchanceté. » « Psychologiquement, son seul
retour donne un nouvel élan
A. Gallo/Zuma Studio-Réa

Il se distingue dans le monde du show-biz comme Lloyd Greif, investisseur aux investisseurs et aux équipes.
quelqu’un qui a un sens aigu des objectifs, mais à Los Angeles : « Il est hors de Je doute qu’il soit revenu juste
remarquablement peu d’ego et de grandiloquence. » question qu’il se contente d’être pour l’argent, il est revenu pour
Pour lui, le PDG n’a pas son pareil en matière d’em- un PDG intérimaire. » ce que représente Disney. »
pathie : « Il ne voit pas ses interlocuteurs comme

70  CHALLENGES N°774 - 16 FÉVRIER 2023


Kim Kyung-Hoon/AFP
En juillet 2019, avec Beyoncé, pour la sortie
du Roi Lion, à Hollywood. Le patron, aimé
de la communauté créative, a convaincu la
chanteuse de prêter sa voix à la lionne Nala.
fans. Même s’il fait des actionnaires sa priorité
numéro un, il leur parle et se soucie de leur opi-
nion. » Il sait y faire. L’encre du contrat d’achat de
Lucasfilm n’était pas encore sèche qu’il lançait :
« Nous tenons à ce que les gens qui aiment Star
Wars continuent de l’aimer. » Un discours qu’il tien-
dra de nouveau lors de l’acquisition de Marvel.
Deuxième qualité : l’obsession du contenu, qui l’a
conduit à choyer Hollywood. « Il est particulière-
ment aimé de la communauté créative, qui sait
qu’il s’engage à fond sur le contenu, souligne Lloyd
Greif. Il veut gagner des oscars, générer un énorme
box-office, et il sait dire aux créateurs : “Si vous
vous en sortez bien, vous aurez votre part de béné-
fice.” » Contrairement à Chapek, Iger n’aurait jamais
porté sur la place publique le différend avec Scarlett
Johansson – héroïne des films Avengers, qui récla-
mait sa juste part sur les recettes de Black Widow.
« Ce n’était pas tant la polémique en soi : personne
ne sait ce qu’il y avait exactement dans le contrat,
explique Testa. Le problème était que Chapek était
prêt à porter le fer contre la star du film pour
20 millions de dollars, une somme négligeable à
l’échelle du groupe. Si vous êtes une jeune actrice à
Hollywood, que vous pensez faire un film d’action
et que Disney vient vous voir, vous regarderez
comment ils ont traité Scarlett Johansson et vous
vous direz : “Peut-être que je vais plutôt aller travail-
ler pour Sony.” »
Troisième force d’Iger, qui sera peut-être la plus pré-
cieuse maintenant qu’il est revenu aux commandes :
le désir d’innover. C’est même sa devise favorite :
« Innovate or die » (« Innover ou mourir »). Quand
il a décidé de lancer Disney+, il savait qu’il allait
cannibaliser et tuer les formes traditionnelles de
business de Disney. Il l’a d’ailleurs confié dans son
autobiographie : « En substance, nous accélérions
Le 13 janvier 2023, entouré de Steven Spielberg et
James Cameron, lors des American Film Institute Awards,
à Los Angeles. Son obsession du contenu l’a conduit
à choyer Hollywood… qui le lui rend bien.
C. Gallay/Getty Images/AFP
M. Anzuoni/Reuters
la perturbation de notre propre activité, et les pertes
à court terme allaient être importantes. » Redevenu
PDG, il n’aura aucune hésitation à abandonner les
poids morts ou à investir dans les nouveaux canaux
de diffusion, comme les jeux vidéo.
R
este une grosse tâche sur son CV,
autrement immaculé : sa succession. Il l’a
ratée avec Chapek, un second choix après
avoir laissé filer d’autres lieutenants, plus
IL AIME brillants mais lassés de voir Iger s’accrocher à sa cou-
Les Yankees ronne. Car l’homme n’a jamais été prêt à dételer.
(baseball), les « Pour qu’un couple profite pleinement de la retraite,
Knicks (basket-
ball), les Green confie Lloyd Greif, il faut être deux. Or Willow Bay,
Bay Packers l’épouse de Bob, est loin d’avoir raccroché les gants :
(football elle est la doyenne de l’An­nenberg School for Com-
américain). munication and Jour­nalism de l’université de Cali-
Les costumes fornie du Sud, une école de premier ordre. Elle y fait
bien coupés.
un travail extraordinaire et je pense qu’elle n’était
Ecouter.
pas prête à renoncer à sa carrière. Bob, de son côté,
IL N’AIME PAS ne goûtait guère l’oisiveté. Donc, oui, je pense qu’il
Regarder son attendait avec impatience de se remettre en selle
téléphone avant chez Disney. »
4 h 15 du matin. Iger va devoir faire face à une montagne de défis et
Les climato- personne ne peut dire s’il réussira ou non. Une chose
sceptiques.
est sûre : malgré tous les problèmes de Disney, la
Les glucides,
pizza exceptée.
marque reste incomparable, unique dans l’esprit des
Américains. La preuve ? Les Républicains de Floride,
qui s’en sont pris à la firme pour avoir critiqué une
loi anti-gay de l’Etat, sont, en catimini… des fans de
Mickey. Randy Fine, l’élu qui a parrainé un projet de
loi pénalisant le groupe, est accro aux croisières
Disney et a posté une photo de lui (depuis effacée)
devant le château de Cendrillon. Et où donc s’est
marié Ron DeSantis, le grand rival de Donald Trump
pour la prochaine investiture républicaine ? A Disney
World, bien sûr !  •
16 FÉVRIER 2023 - CHALLENGES N°774  71
 Santé & sciences

Combattre le cancer par le cancer

Des cellules cancéreuses modifiées génétiquement facilitent
la destruction de la tumeur et activent une réponse immunitaire.
Prochain défi : un vaccin thérapeutique.

D
es cellules cancéreuses
modifiées génétiquement
pour devenir des agents
doubles anti-cancer, c’est
l’intrigante technique testée avec
succès sur la souris par une équipe
de l’université Harvard (Etats-Unis).
La cible : le glioblastome, cancer
cérébral le plus fréquent. « Avec ces
S. Sciepro/Science Photo Library/AFP
par le « ciseau de la génétique » Illustration Résultat ? Une semaine après le trai-
Crispr-Cas9 pour leur faire produire de cellules tement, les cellules tumorales rési-
en quantité deux petites protéines tumorales. Dans duelles dans la cavité ont été éradi-
le cas des
du système immunitaire. L’une faci- cancers agressifs,
quées chez 10 des 12 souris testées.
lite la destruction des cellules de la elles trouvent Dans les groupes contrôle en re-
tumeur, l’autre active et attire sur une façon de se vanche, les tumeurs sont réapparues
place des cellules immunitaires cacher des et les animaux ont dû être euthana-
pour préparer l’organisme à des ré- traitements ou siés dix jours après l’administration
ponses antitumorales sur le long du système d’autres types de traitement.
immunitaire.

tumeurs agressives, la plupart des
cellules trouvent une façon de se
cacher des traitements ou du sys-
tème immunitaire, précise Khalid
Shah, qui a dirigé ces travaux. Notre
idée est de combattre le cancer par
le cancer, le feu par le feu. » Les cel-
lules tumorales ont été modifiées
terme ; comme un vaccin.
Chez les rongeurs testés, la tumeur a
d’abord été ôtée chirurgicalement,
comme cela se fait dans un premier
temps pour 85 % des patients. Puis
les cellules génétiquement modifiées
ont été administrées dans la cavité
laissée par la résection chirurgicale.
« Notre objectif est d’adopter une
approche innovante mais transpo-
sable, afin de pouvoir développer un
vaccin thérapeutique anticancé-
reux », dont le potentiel dépasse le
glioblastome et pourrait traiter de
nombreux autres types de cancer,
conclut Khalid Shah. •

Perseverance a déposé
tous ses échantillons martiens
Ces prélèvements du sol de la planète rouge
seront rapportés sur Terre en 2031.
Nasa/Jpl-Caltech/Msss

C
’est fait ! Le rover Perseve-
rance a terminé ses dépôts
d’échantillons de sol martien
sur la planète rouge. Une étape clé
pour la mission Mars Sample Re-
turn, dont l’objectif est de rapporter
des échantillons martiens sur Terre
en 2031, pour des analyses plus
fines en laboratoire. Dix petits tubes
en titane de la taille d’une craie ont
ainsi été semés par le rover.
72  CHALLENGES N°774 - 16 FÉVRIER 2023
Ces petites carottes serviront de
réserve de secours au cas où le
programme prévu pour d’autres
tubes échouerait. Dans ce cas, deux
petits hélicoptères viendront récu-
pérer les dépôts pour les apporter Perseverance. depuis stocké dans le « ventre » du
à l’atterrisseur SRL (Sample Retrie- Le rover a semé rover Perseverance. Il se compose
val Lander) avant de les expédier sur Mars dix de roches ignées (magma solidi-
petits tubes en
vers la Terre. titane, de la
fié) récupérées dans une région
Le premier de ces échantillons a été taille d’une craie. du cratère Jezero de Mars appelée
prélevé le 31 janvier 2022 et était « South Séítah ». •
 Santé & sciences
Le glaucome soigné
par des lentilles

Bernard Martinez
Une étude coréenne démontre La veille de
pour la première fois la possibilité DOMINIQUE LEGLU
d’un traitement personnalisé
du glaucome, seconde cause de Directrice éditoriale du pôle Sciences du Groupe Challenges
cécité dans le monde. Une lentille
intelligente pourrait mesurer
la tension intraoculaire, puis,
en cas d’élévation, administrer
le médicament adapté. Plonger sur la Lune,
c’est de la robotique de pointe
Source : Université de Pohang (Corée du Sud).

C
’est une histoire très française
d’audace scientifique et
d’excellence technologique, qui
peine à trouver des financements.
Google Lab

D’autant plus étonnant qu’on y trouve

associés les noms du Roi-Soleil et de la
Lune. Non l’astre sélène, mais la frégate de

Un champignon pour
traiter la mucoviscidose
Une équipe française a découvert
le potentiel thérapeutique d’une
molécule issue du clitocybe inversé
(Lepista flaccida), un champignon
comestible peu goûtu. Elle pourrait
soigner les patients atteints
d’une forme rare de mucoviscidose
et pour lesquels les traitements
actuels sont inefficaces.
Source : Université de Lille (France).
Neveu /Leemage/AFP
la marine royale du jeune Louis XIV, qui a
coulé devant les îles d’Hyères en 1664 avec
1 millier de militaires et civils. L’épave gît
par 90 mètres de fond et seules les
technologies de pointe peuvent révéler les
secrets d’histoire du xviie que recèlent
ses centaines de milliers d’objets, hors
les écrits acrimonieux entre acteurs et
témoins de la tragédie. On sait peu que les
recherches menées sur cette épave, et plus
largement en archéologie sous-marine,
constituent un moteur essentiel
des technologies marines de pointe.
Une fouille scientifique sérieuse ? C’est une
question de sonar, photogrammétrie,
drones sous-marins autonomes, robots
téléguidés, enregistrements vidéo de la
V.Creuze - D.Degez/Drassm
Robot Arthur. Conçu par Vincent Creuze à
l’université de Montpellier, il peut fouiller des
épaves jusqu’à 2 500 mètres de profondeur.
répété Vincent Creuze lors d’un récent
colloque de l’Académie de marine titré
« France, ambition maritime », la mise
au point de technologies d’excellence
s’impose en permanence. Ce professeur de
l’université de Montpellier, du laboratoire
d’informatique, de robotique et de
microélectronique, a élaboré depuis 2014

meilleure des définitions… Avec les
quelque 200 000 épaves du domaine
maritime français, deuxième au monde, il y
a de quoi faire. Et ce serait grave de sous-
estimer le rôle déterminant au niveau
Chat GPT passe mondial que n’ont cessé de jouer les
ses examens de droit scientifiques français depuis un demi-
siècle, Michel L’Hour en tête, pendant
Le robot conversationnel de la
start-up californienne OpenAI a réussi quinze ans à la direction du Département
– de justesse – les examens de des recherches archéologiques
la faculté de droit du Minnesota subaquatiques et sous-marines (DRASSM),
(Etats-Unis) après avoir rédigé créé en 1966 par André Malraux, alors
des dissertations de droit ministre de la Culture. Prééminence qu’ont
constitutionnel, sur la fiscalité ou très bien su repérer les Américains
les délits civils. Si sa note globale
de C+ est suffisante pour être de Stanford, les Taïwanais de l’Academia
admis, l’intelligence artificielle a Sinica et bien d’autres sur la planète
toutefois fini proche du dernier bleue… A noter, si la Lune a été détectée
de la classe. en 1993, c’est grâce à Paul-Henri Nargeolet,
Source : Université du Minnesota (Etats-Unis). aujourd’hui résidant aux Etats-Unis,
aux commandes du sous-marin Nautile
Rubrique réalisée de l’Ifremer qu’il a de multiples fois fait
avec la rédaction de plonger sur l’épave du Titanic. Comme l’a
sciencesetavenir.fr
une théorie de machines, Speedy – volé
dans le port de Marseille –, Leonard,
Flipper, Basile et aujourd’hui Arthur, qui
peut descendre à 2 500 mètres. Il explique
qu’il faut les doter d’hyperqualités
haptiques. En clair, de mains robots
polyarticulées aussi habiles que celles de
l’humain à saisir sans les briser amphores
ou assiettes, quand ce n’est pas un violon
ou une montre de gousset du Titanic…
Une gageure que finance l’Agence nationale
de la recherche avec le projet Seahand.
Seulement voilà, pour enthousiasmer
les scientifiques de demain en numérique,
robotique, métavers, IA appliquée au
patrimoine et au-delà… c’est un grand
projet national à forte visibilité culturelle
qu’il faudrait créer. Michel L’Hour voit dans
l’épave provençale de la Lune une
occasion unique, sauf que les 10 millions
d’euros nécessaires à l’idée semblent
introuvables en France. Consternant.•

16 FÉVRIER 2023 - CHALLENGES N°774  73

 Luxes création

Philippe et Mathieu
Tournaire devant la boutique
du siège de Savigneux
(Loire), près de Montbrison.
Le père a transmis à son fils
le goût d’une création
N. Roux Dit Buisson

joaillière « sans règle ni

limite », déclinant symboles
et matériaux.

C
Tournaire ’est peut-être le bijou
qui résume le mieux

Joailliers
Tournaire. Son
nom, Free, exprime
la liberté totale qui

déchaînés
guide les créations de
cette maison joaillière
établie près de Mont-
brison, sous-préfec-
ture de la Loire, dans
Par Bertrand Fraysse le Forez. Ce bracelet
ouvert est l’une des
Loin de la place Vendôme, cette maison familiale polit dans premières pièces inventées par Phi-
lippe Tournaire, avant même que
ses ateliers du Forez, dans la Loire, des bijoux qui brillent par celui-ci ne crée son entreprise, en
leur originalité. Une liberté créative transmise par son fondateur 1973. « Je l’avais imaginé en trans-
autodidacte, Philippe Tournaire, à son fils Mathieu. formant une fourchette en argent

74  CHALLENGES N°774 - 16 FÉVRIER 2023

 Bague Alchimie Trilogie, en or blanc et
diamants. Emblème de la maison, ses
trois figures géométriques représentent
le passé, le présent et le futur.

Bracelet Free, en or jaune. Première pièce

inventée par Philippe Tournaire, ce best-seller
du joaillier avait été adopté par Johnny Hallyday.

tour. » D’autres monuments lui ont

que j’avais volée à ma mère »,
explique-t-il. Devenu l’un des best-
sellers du joaillier, le bracelet Free
a eu l’honneur d’être adopté par
Johnny Hallyday. « Après l’avoir vu
en concert à Saint-Etienne, je suis
allé saluer Johnny dans sa loge, à
3 heures du matin, raconte Phi-
lippe Tournaire. Je voulais lui re-
mettre une médaille pour sa femme
Laeticia. Il m’a demandé de venir
à son hôtel le lendemain pour la lui
donner en mains propres. Il a eu
alors le coup de foudre pour le bra-
celet que je portais. Il le voulait avec
des diamants noirs. Je n’étais pas
emballé mais il m’a dit que c’était
plus rock and roll. » Trois ans plus
tard, accompagné de son fils Ma-
inspiré les bagues de la collection
Architecture : la tour de Pise, le Taj
Mahal ou Notre-Dame de Paris.
Les créations des Tournaire ne se
Bague French
Kiss, en or blanc limitent pas aux bracelets, bagues,
et diamants. Avec colliers, boucles d’oreilles et autres
ses pierres serties pendentifs. Sur les présentoirs du
sur une tour Eiffel showroom se trouvent des stylos
à l’envers, elle Bic 4 couleurs en bronze ou en or,
où des diamants ont été sertis sur symbolise certains incrustés de diamants. Sur
« l’amour à la
les pieds d’une tour Eiffel inversée française ». les murs, des interrupteurs créés
formant l’anneau. « C’est le sym- pour le spécialiste de l’appareil-
bole de l’amour à la française, lage électrique de luxe Meljac sont
commente-t-il. Je l’ai imaginée un habillés de saphirs et de diamants.
jour où j’étais étendu sur la pelouse Un ensemble d’appliques en forme
du Champ-de-Mars, au pied de la de soleils attire l’attention. Il fait
partie de la série de luminaires des-
sinés par l’artiste céramiste Georges
Pelletier. En 2022, le joaillier s’est
diversifié dans la décoration en lan-
çant Tournaire Décor, une collec-
tion de lampes, meubles et acces-

P
thieu, Philippe Tournaire retournait soires pour les arts de la table.
voir Johnny en concert et lui offrait
une boucle de ceinture et une bague « our nos créations,
ornées de têtes de mort. nous n’avons ni règle,
En dépit de leurs grosses bagues et ni limite », assure Ma-
de leurs nombreux bracelets, Phi- thieu Tournaire. Cet
lippe et Mathieu Tournaire n’ont esprit libertaire trouve
pas précisément une allure de roc- son origine dans le par-
kers. L’un et l’autre parlent douce- cours romanesque de
ment et répondent avec patience et son père autodidacte.
courtoisie aux questions du journa- Elevé dans un village au pied des
liste. Dans la nouvelle boutique qui monts du Forez, Saint-Germain-La-
jouxte leurs ateliers de Savigneux, val, Philippe Tournaire vient d’une
faubourg de Montbrison, ils nous famille d’artisans et d’agriculteurs.
présentent leurs créations. La bague Son père était électricien, un de ses
Trilogie est devenue l’emblème de grands-pères, menuisier.
la maison, avec ses trois figures géo- Enfant, il trouve son bonheur en
métriques : le rond, le triangle et le sculptant des écorces d’arbre, en
carré. « Elles symbolisent le passé, démontant des réveils ou en soudant
Photos : Tournaire/SP

le présent et le futur », précise Ma- du métal. « J’étais asthmatique, on

thieu, qui a succédé à son père à la
tête de l’entreprise en 2017. « Nos
bijoux racontent tous une his-
toire », complète Philippe en nous
montrant une bague French Kiss,
Stylo 4 couleurs Bic x Orlinski x Tournaire en bronze jaune.
La maison crée sans contrainte, dans un esprit libertaire.
m’appelait “la crevure”, se rappelle-
t-il. Je ne pouvais pas courir, ni
rire, mais je me suis aperçu qu’en
me concentrant sur de petits objets,
mon asthme me gênait 

16 FÉVRIER 2023 - CHALLENGES N°774  75

Luxes création
Tournaire/SP
Lampe Soleil Georges Pelletier x
Tournaire Décor, en céramique émaillée
et bronze. En 2022, Tournaire s’est
diversifié dans la déco, avec une série
de luminaires, meubles et accessoires.
 moins, j’oubliais de respi-
rer. » Parvenu à l’âge adulte, il de-
mande à son père d’apprendre à son
côté le métier de radioélectricien.
« Lorsque j’ai commencé mon ap-
prentissage, je faisais déjà depuis
longtemps des bijoux, poursuit-il.
J’y trouvais plus de plaisir qu’à
réparer des télévisions. A 22 ans,
je me suis aménagé un atelier
dans la cave de notre maison. J’y
ai vécu en autarcie pendant sept
ans. J’essayais tout ce qui me pas-
sait par la tête, sans avoir aucune
connaissance technique. » En 1973,
Philippe Tournaire obtient le statut
de « sculpteur sur métaux pré-
cieux ». Ayant enrichi son savoir
auprès d’un tailleur de pierre, d’un
diamantaire et d’un joaillier, il finit
par se consacrer à plein temps à son
nouveau métier.
Il faudra attendre 1984 pour que le
bijoutier ouvre sa première bou-
tique-atelier, dans le centre de
Montbrison. Sa clientèle demeure
locale jusqu’à ce qu’un article dans
l’édition régionale du Figaro lui ap-
porte un début de notoriété : « Du
jour au lendemain, je suis passé du
type marginal qui fait des trucs
bizarres à quelqu’un de fréquen-
table. » Philippe Tournaire se fait
76  CHALLENGES N°774 - 16 FÉVRIER 2023
Emerisage (lissage) lors de la préparation (en haut) et recoupe lors du sertissage (en bas). Chaque
étape de fabrication est réalisée dans les ateliers de Savigneux, de la fonte du métal au polissage final.
ensuite connaître en participant à
des salons, où ses bijoux originaux
se démarquent des réalisations plus
classiques de ses prestigieux
concurrents. « Dans les expositions
parisiennes, c’était simple, il y
avait la place Vendôme et Tour-
naire, le seul créateur de pro-
vince », dit-il. Jusqu’à ce qu’en 2004,
le joaillier ouvre sa première bou-
C
tique à Paris… place Vendôme.
inq ans plus tard, son fils
Mathieu rejoint l’entreprise
familiale. « J’ai grandi à
l’atelier, où je jouais en-
fant avec des pierres de
couleur, confie-t-il. Plus
tard, j’ai réalisé des bijoux
pour m’amuser mais je
n’ai jamais envisagé d’en faire
mon métier. Après le bac, j’ai suivi
des études d’histoire et d’anthropo-
logie, puis j’ai commencé à ensei-
gner. De temps en temps, je venais
donner un coup de main à l’atelier.
Au fil du temps, j’ai pris conscience
du plaisir que j’éprouvais dans ce
milieu créatif et j’ai demandé à
mon père s’il voulait bien que je tra-
vaille avec lui. Après m’être formé
chez un bijoutier lyonnais, j’ai re-
joint Tournaire où j’ai progressive-
ment pris en charge la création.
En 2013, je présentais ma première
collection, Lock and Love. Quatre
ans plus tard, mon père me confiait
la direction de l’entreprise. »
Tournaire se distingue des autres
maisons joaillières par le fait que
tous ses bijoux sont réalisés de A
Photos : V. Chambon
à Z dans ses ateliers. Ses savoir-
faire comprennent des techniques
ancestrales, comme la fonte à cire
perdue, aussi bien que contempo-
raines : la maison a été l’une des
premières à utiliser, dès 1997, la
LÈCHE- conception 3D. Afin de contrôler
VITRINES totalement sa production, le joail-
lier a intégré une fonderie d’or.
Trois Toutes les étapes de la fabrication
boutiques des bijoux sont effectuées sur
Paris. place, de la préparation du métal
7, place Vendôme
et 362, rue brut de fonte jusqu’au polissage de
Saint-Honoré, finition en passant par le sertissage
Paris (Ier). des pierres, le plus souvent selon la
Tél. : 01-40-20-00-19.
méthode du « serti clos ».
Montbrison.
2, rue des Métiers,
Le choix des « cailloux », essentiel,
zone de Crémerieux, revient à Mathieu Tournaire. « Il
42600 Savigneux. faut que leur couleur pétille », dé-
Tél. : 04-77-96-08-84. clare son père qui n’hésite pas à lui
Lyon. donner son avis. Bien qu’officielle-
4, rue Childebert,
69002 Lyon. ment retiré, l’ancien radioélectri-
Tél. : 04-78-85-68-32. cien ne peut s’empêcher de venir
presque tous les jours respirer l’air
des ateliers. Son enthousiasme est
demeuré le même que lorsque, dans
sa cave, il imaginait, pour calmer
son asthme, ses premiers bijoux. •
griffe
Zeste d’orange
« Une touche de couleur pour donner
Jaquett du peps à une tenue de ville. » C’est
ce qu’a voulu apporter la créatrice

Nouveau avec cette nouvelle veste, une pièce chic

et décontractée pouvant être portée

genre
aussi bien le soir qu’en journée.
Collection printemps 2023.

Par Xavière Laffont

E
n octobre 2020, lorsque Arevik
Alaverdyan décide de créer sa marque de
vêtements, la guerre fait rage en Arménie.
Installée en France, la jeune femme
choisit précisément de faire fabriquer
ses pièces dans son pays d’origine. Sa manière
Uniforme
de soutenir les siens. La première collection oblige
de Jaquett voit le jour
Pas de style citadin
en 2021. Elle propose un sans trench. Pièce
vestiaire minimaliste qui intemporelle
joue avec les codes du et maîtresse d’un
masculin, pour habiller vestiaire chic
« des femmes citadines et minimaliste,
et chics d’aujourd’hui ». l’imperméable
Le costume en est le fil adopte l’allure d’un
conducteur. Dans l’air du uniforme avec
temps, la créatrice se fait ce modèle croisé à
manches et col XXL
vite remarquer sur les
se prolongeant sur
réseaux sociaux. Son plus ? Les tissus qu’elle les épaules.
utilise. Autodidacte et débrouillarde, Arevik Collection
Alaverdyan arrive à faire du beau moins cher. printemps 2023.
Et découvre Nona Source, première plateforme
en ligne de revente de matières d’exception
provenant des maisons du groupe LVMH
(actionnaire de Challenges). ). Aujourd’hui,
Jaquett élargit son offre avec des robes et des
jupes, et bientôt des accessoires. En restant
fidèle à son credo : « Less is more ».•

Bleu de travail
Arevik Alaverdyan réinterprète la veste de
costume avec ce modèle XXL bleu lavande.
Le pli sur le devant, partant du haut du modèle,
se continue sur les deux poches avant,
lui apportant une touche sophistiquée.
Veste en laine et viscose. Prix : 630 euros.

Taille ajustée
Le gilet pour homme devient mini
Courte audace
et se marque à la taille pour mieux Pari osé avec ce retour de la chemisette,
apprivoiser la silhouette et mettre en star du vestiaire masculin des
valeur la féminité. De couleur stone, années 1970. Pour ce modèle à col droit,
il se marie aussi bien avec un jean la créatrice apporte de la souplesse en
Photos : SP

qu’un pantalon de costume large. décalant l’emmanchure en bas d’épaule.

Gilet en 100 % coton. Prix : 175 euros. Chemise 100 % coton. Prix : 300 euros.

16 FÉVRIER 2023 - CHALLENGES N°774  77

 Luxes mode
hivernale
efficace, la polaire s’invite
maisons, qui la revisitent
CHRISTIAN DIOR
Mythique
Le célèbre sac Lady Dior se prête encore
une fois au jeu de la réinterprétation
avec ce modèle hivernal et casual.
Les plus ? Sa matière en peau lainée
blanc cassé à motif cannage et sa large
bandoulière brodée.
Sac Lady D-Lite Medium. Prix : 4 900 euros.
www.dior.com
INUIKII
Pratique
Elégante et imperméable, cette paire
d’après-skis en polaire et cuir de vache
offre une stabilité à toute épreuve
grâce à sa semelle en caoutchouc
antidérapante, tout en garantissant
une totale résistance au froid.
Photos : SP
Boots Curly fourrées couleur Taupe.
Prix : 309 euros.
www.smallable.com.
78  CHALLENGES N°774 - 16 février 2023
Tendance polaire
Chaleur
Pa r X av i èr e L a ffon t
Isolant thermique très
au sein des plus grandes
ou s’en inspirent.
Donnant du style à ce
matériau technique.
TOD’S
Thermique
En fausse fourrure beige à effet polaire
version XL, ces gants apportent aux
mains un confort absolu. Ils disposent de
poignets avec Velcro et un insert en
maille côtelée pour mieux isoler du froid.
Gants en fausse fourrure et cuir.
Prix : 537 euros.
www.tods.com
CELINE
Esthétique
Cosy et sophistiqué sont les maîtres
mots de ce manteau en laine
FENDI
de mouton à effet polaire.
Sa doublure en 100 % cuir d’agneau
et ses boutons « blason » sur
Iconique
les poches plaquées lui assurent Star des années 1980, la mythique
une allure chic. casquette parée de protège-oreilles
Veste col pur shearling. revient avec ce modèle en peau de
Prix : 6 900 euros. mouton à imitation polaire. Pratique, elle
www.celine.com protège à la fois du froid et du soleil. Le
logo est brodé ton sur ton sur le devant.
Casquette en peau de mouton.
Prix : 790 euros.
www.fendi.com
horlogerie
Chemin des Tourelles.
Réf. T139-207-16-011-00.
Diamètre : 34 mm.
Boîtier : acier inoxydable.
Bracelet : cuir bleu clair.
Cadran : laqué blanc.
Prix conseillé : 775 euros.
Tissot
A bonne
adresse
Par Bertrand Fraysse
C
’est au Locle, dans les Montagnes
neuchâteloises, qu’est née au début
du xviiie siècle l’horlogerie
helvétique. Depuis 1853 y est
installée la plus grande de ses
manufactures, Tissot. Son adresse depuis
1907 – chemin des Tourelles – a donné
son nom à une ligne de montres rondes
au classicisme intemporel, qui s’enrichit
cet hiver de 15 nouvelles références.
Proposées en acier seul ou bien revêtu
de PVD or rose, elles se déclinent en trois
diamètres – 34, 39 et 42 mm – et une
Chemin des Tourelles.
Réf. T139-807-36-031-00.
Diamètre : 39 mm.
Boîtier : acier inoxydable
et revêtement PVD or rose.
Bracelet : cuir alligator brun.
Cadran : laqué argent.
Prix conseillé : 845 euros.
grande variété de cadrans présentant au
Photos : SP
choix chiffres romains ou index bâtons.
On y retrouve tous les détails qui ont
fait le succès de la collection : cadran
et glace saphir bombés, index convexes
et facettés, boîte soigneusement polie. Chemin des Tourelles.
Réf. T139-407-11-091-00.
Toutes les montres sont équipées d’un Diamètre : 42 mm.
nouveau mouvement Powermatic 80 Boîtier et bracelet : acier inoxydable.
Nivachron, garantissant une réserve Cadran : laqué vert.
de marche de 80 heures. La Chemin des Prix conseillé : 845 euros.
Tourelles offrira aux amateurs de
tradition horlogère un produit raffiné et
performant à un prix très accessible.•
16 février 2023 - CHALLENGES N°774  79
 Luxes gastronomie

En cave
Par Jean-François Arnaud

JACK
DANIEL’S
BONDED,
TENNESSEE
WHISKEY

Bonded (pour
« bottled-in-bond »)
est une catégorie
nord-américaine
de whiskies
provenant d’une
seule distillerie,
produits lors
d’une seule
saison de distillation, vieillis
au moins quatre ans et
embouteillés à 50°. Version
P. Lucet Penato

Maison Rostang. Une salle de restaurant chaleureuse et racée, avec une profusion de boiseries.
Nicolas Beaumann mais l’on risque le désordre dans
l’assiette qui pour certaines cepen-
dant atteignent la plénitude. Carte
Reprise
alléchante, moins généreuse qu’elle
super-premium du classique
Old No. 7 et carburant préféré
de Frank Sinatra, ce « Jack » a
été filtré dans une couche de
charbon de cèdre d’1 mètre
d’épaisseur avant de mûrir dans
des fûts entaillés. Le résultat
est très séduisant, avec un
nez de caramel et un goût vif
légèrement boisé et fumé.

éminente
ne promet : un rien de court dans les Prix : 42,90 euros.
portions ; le bon est présent ; la salle Nicolas.
à manger, la plus racée de Paris ; le
personnel, doigt sur la couture.
Par Philippe Couderc N’empêche que les prix pourraient
être maîtrisés. L’époque n’est plus DOMAINE
au chef Denis ! DU PÉLICAN,
Beaux produits, technique millimétrée : Quenelle soufflée à la crème de ho- ARBOIS 2019,
la grande tradition gastronomique mard, riz de Camargue (plutôt sec). CHARDONNAY

se régénère dans ce temple parisien. Cèpes rôtis et escargots petits gris Un vin de saison !
(dansant jolis sous la pluie), sa- Cultivé en

C
bayon comme une meurette. Ca- biodynamie et
hampion de bridge et ency- nette Miéral liée au sang et au foie vinifié avec une
attention et une
clopédiste de la cuisine, De- gras (sauvages !), consommé de ca- délicatesse rares
nis, persuadé qu’il n’y avait nard corsé : classique de la maison. par Guillaume
plus personne pour se ruiner Pomme de terre Laura confite dans d’Angerville et
en « suprême de bécasse » et un beurre de truffe, mâche, vinai- François Duvivier,
en « dodine de canard aux grette légère de vieux Porto… sans ce cru du Jura
truffes fraîches » n’en continuait oublier Gene Tierney. Suprême de a déjà une
Ugo&Valentin

réputation qui dépasse le cercle

L’abus d’alcool est dangereux pour la santé, à consommer avec modération.

pourtant pas moins à perpétuer la
grande tradition gastronomique,
dans les années 1960. Provocateur,
il sortit même le repas le plus cher
du monde. A lui succéder en ces
lieux, Michel Rostang sut tout sentir
et saisir de ce passé dont il magnifia
ses décennies. Son dauphin, Nicolas
Beaumann, tient la route. Règne
toujours la religion du beau produit
d’abondance et il y a du millimètre
dans la technique. L’imaginaire de
Beaumann est toujours branché,
volaille de Bresse déguisée en habit
noir, céleri entier à la noisette,
Nicolas sauce Albufera (une spécialité alle-
Beaumann. mande). Dorade royale sauvage
Inventif, le chef confite tout doucement, pied de co-
concocte une chon, jus d’arêtes (!). Pour finir, un
carte branchée,
faux cigare de La Havane en pâtisse-
entre tradition
et modernité. rie fait un sacré tabac. • séduit les puristes mais effraie
Maison Rostang. Cuisine : 17/20.
Menus : 105 euros (déjeuner),
290 euros (« Voyage autour de la truffe »).
20, rue Rennequin, Paris XVIIe.
Tél. : 01-47-63-40-77.
restreint des amateurs de vins
jaunes. Le grand chef Mathieu
Pacaud (Apicius) le sert à sa
table étoilée et le recommande
pour une alliance parfaite avec
une volaille de Bresse aux
morilles. Frais, vif mais profond,
il n’a pas ce goût oxydé qui
les Parisiens. Un Jura pour tous.
Prix : 41 euros.
La Cave des Climats,
37, rue de Verneuil, Paris VIIe.

80  CHALLENGES N°774 - 16 FÉVRIER 2023

automobile

Maserati Grecale Trofeo

Moteur : V6 essence de 3,0 litres, 530 ch.
Accélération (0–100 km/h) : 3,8 secondes.
Dimensions (L x l x H) : 4,86 m x 1,98 m x 1,66 m.
Maserati Grecale Trofeo Consommation : 11,2 l/100 km.
Prix hors options : à partir de 117 900 euros.
CO2 : 254 g/km.

Charme www.maserati.com

latin
Il y a un peu de contradiction dans
ce cocktail : le grand confort de ce
SUV, lié à sa suspension pneuma-
tique, invite à une conduite déten-
due. Mais le moteur ne délivre son
Par Nicolas Meunier caractère et sa mélodie que si on le
cravache au-delà du raisonnable…
Doté du puissant V6 Nettuno, cet élégant SUV invite pourtant A bas régime, la sonorité est quel-
à une conduite détendue, grâce à un confort grand luxe. conque, presque désagréable, du
fait du système de désactivation de

T
rofeo. Voilà un nom qui
évoque le sport sans équi-
voque ! Et c’est aussi le la-
bel qui regroupe les ver-
sions les plus performantes
chez Maserati. Le Grecale,
dernier modèle en date de la
marque, n’y échappe évidemment
pas. Ce très chic cousin de l’Alfa
Romeo Stelvio voit sa puissance
culminer à 530 ch. Avec ce SUV,
Maserati compte étendre largement
Charge au Grecale de porter haut
les couleurs de la passion automo-
bile. Voilà pourquoi il adopte un
moteur de supercar : le V6 Nettuno
est issu du modèle MC20 et porte le
nom du dieu Neptune, qui a donné
son trident à la marque.
cylindres qui impose un grogne-
ment. Il faut faire monter ce V6 dans
les tours, à l’aide des splendides
palettes au volant, pour profiter de
sa musicalité.
Loin de la radicalité que suggère son
patronyme ou de l’excès de fermeté
de certains rivaux, le Grecale appa-
raît comme une expression de l’art
de vivre grand tourisme qu’affec-
tionne Maserati. Polyvalence, luxe et
performances cohabitent pour la
première fois dans une voiture de la
Photos : 2023 Copyright Maserati

son audience, surfant sur le succès marque avec un équipement de tech-

mondial de ce type de carrosserie. nologie complet. Le tout dans des
Depuis son intégration dans le giron lignes discrètes et élégantes, loin de
de Stellantis, la marque de Modène la surcharge esthétique qui domine
en est le seul blason de luxe, avec le marché actuel. Une véritable
une aura et un design plus exclusifs sculpture italienne qui saura traver-
que ceux d’Alfa Romeo ou DS. ser les années sans une ride. •
16 FÉVRIER 2023 - CHALLENGES N°774  81
 Cultures écrans Odin Lund Biron et Alyona
Mikhailova. Pour sauver
sa réputation, Tchaïkovski
s’est marié à Antonina
Miliukova qui, elle,
l’a épousé par amour.

Moscou du xixe siècle. A

la rencontre d’un per-
sonnage qui le pas-
sionne et le fascine de-
puis des années, Piotr
Tchaïkovski.
Kirill Serebrennikov
raconte le compositeur
du Lac des cygnes à
travers le prisme de
2022 - Hype Film

l’intime : celui de son

homosexualité, qu’il
devait cacher sous
peine de mort sociale.
Le cinéaste choisit logiquement de
La Femme de Tchaïkovski ne jamais l’évoquer directement,
mais explore les dommages colla-
téraux pour Tchaïkovski et pour les
Amour autres. Ou plus précisément pour
une autre : Antonina Miliukova, qu’il

dissonant
a épousée pour sauver sa réputa-
tion. Elle, l’a épousé par amour. Un
amour fou, passionné, prêt à renver-
ser toutes les montagnes – surtout
Par Thierry Chèze lorsqu’elle prend conscience de la
situation. Elle décide de ne renoncer
Sans jamais l’évoquer directement, le réalisateur de Leto raconte à rien, alors qu’elle arrive à peine à
l’homosexualité cachée du compositeur du Lac des cygnes. croiser cet homme qui la fuit.
D’une beauté formelle surpuissante,

O
pposant de longue date à
Vladimir Poutine, réguliè-
rement assigné à résidence
et empêtré dans d’intermi-
nables procès depuis des an-
nées, Kirill Serebrennikov,
aujourd’hui âgé de 53 ans, n’a pour
autant jamais cessé de créer. Des
pièces de théâtre (dont Le Moine
noir de Tchekhov l’été dernier lors
du festival d’Avignon), des opéras,
mais aussi des films. Avec un souci
permanent de se réinventer.
Après le Leningrad des années 1980
dans le très rock Leto et la Russie
post-soviétique du baroque La
Fièvre de Petrov, Kirill Serebrenni-
kov met cette fois-ci le cap sur le
La Femme de Tchaïkovski se révèle
aussi moderne sur la forme que sur
le fond, l’hypocrisie sociale dont il
est question ayant traversé les
siècles sans perdre de sa vigueur. Et
il révèle une comédienne éblouis-
sante : Alyona Mikhailova. •
De Kirill Serebrennikov. Avec Odin
Lund Biron, Alyona Mikhailova, Ekaterina
Ermishina… Durée : 2 h 23.

L’Astronaute

Amateur propulsé

J
im, ingénieur en
aéronautique pour
ArianeGroup, a les pieds
sur terre mais la tête dans
les étoiles. Depuis des années,
en secret, il travaille à réaliser
un rêve fou et qui semble
impossible : accomplir le
premier vol spatial habité en
amateur. Pour son deuxième
long-métrage, dont il tient
aussi le rôle central, Nicolas
Giraud (Du soleil dans mes
yeux) choisit une thématique
qui tranche dans le cinéma
français et évoque
spontanément des rives plus
hollywoodiennes : la conquête
spatiale. Rien ne semble
freiner son ambition, à
commencer par un budget
forcément bien moindre
qu’une superproduction
américaine. Nicolas Giraud
signe un film passionnant de
bout en bout, mû par cette idée
que l’extraordinaire peut naître
des situations les plus
ordinaires. Et a su s’entourer
d’une bande de comédiens
intenses et généreux, Mathieu
Kassovitz et Hélène Vincent
en tête.•
De Nicolas Giraud. Avec Nicolas
Giraud, Mathieu Kassovitz,
Hélène Vincent… Durée : 1 h 50.

82  CHALLENGES N°774 - 16 fevrier 2023

 scènes
Kaléidoscope new-yorkais Lucia di Lammermoor
Un coup de foudre un peu trop
beau pour être honnête entre une
cliente d’une boutique new- Noces
de sang
yorkaise de livres rares et le
propriétaire plein aux as ; un
escroc sournois ciblant les plus
grandes fortunes de Manhattan…
Benjamin Caron multiplie les
personnages ambivalents et Par Rodolphe Fouano
prend un malin plaisir à perdre le
spectateur dans les dédales d’un thriller à tiroirs tout Le chef-d’œuvre de Donizetti met en scène l’amour
sauf avare en surprises.
impossible, tout en abordant les violences sexistes.
Sharper. De Benjamin Caron. Durée 1 h 56. Disponible
à partir du 17 février sur Apple TV+.

Grenade dégoupillée
Avec le documentaire Clara Luciani : ça commence
comme ça, la compositrice-interprète de La
Grenade revient sur son parcours. Confidences,
archives de son enfance et témoignages de
proches racontent à merveille celle qui se définit
comme un clown triste. Sans rien cacher de
ses doutes et de ses failles, qui la rendent encore
plus attachante.
Clara Luciani : Ça commence comme ça. De Philippe

Sébastien Mathé
Lézin. Durée : 1 h 30. Disponible sur Amazon Prime.

Crise d’adolescence hors norme

Représentation en octobre 2016, avec une distribution différente. Un décor
périlleux qui mêle gymnase soldatesque et amphithéâtre de la Salpêtrière.

I
l y a quelque chose de Roméo
et Juliette dans Lucia di Lam-
mermoor, chef-d’œuvre roman-
tico-tragique créé à Naples en
1835 sur un livret de Salvatore
Cammarano. Fidèle au roman de
Disney+
Pas de château en Ecosse ni de
steppes brumeuses. Un décor péril-
leux qui mêle gymnase soldatesque
et amphithéâtre de la Salpêtrière où
la bourgeoisie se presse aux leçons
de Charcot sur l’hystérie féminine.

Walter Scott dont il s’inspire, le Anachronisme, avait-on dit. Pro-

Dans un monde où chacun est censé développer
naturellement un superpouvoir à l’âge de 18 ans,
comment le vivent ceux qui ne reçoivent pas ce don ?
Tel est le point de départ d’Extraordinary, série so
british à l’humour mordant. Les affres de la vingtaine
et l’angoisse de ne pas être comme les autres,
explorés par un prisme particulièrement original.
Extraordinary. Série créée par Emma Moran. 16 épisodes.
Disponible sur Disney+.
Péril danois
Une trentenaire au caractère bien trempé s’improvise
enquêtrice quand disparaît une prostituée de l’hôtel
de passe où elle travaille comme réceptionniste.
Elle plonge dans le milieu criminel de Copenhague
en dépit des menaces dont elle et ses proches sont
très vite victimes. Un polar au cordeau porté par une
actrice démente : Sara Klein Larsen.
Elvira. Série créée par Lærke Sanderhoff et Heidi Maria
Faisst. 8 épisodes. Disponible sur MyCanal.
plus populaire des opéras de Doni-
zetti (1797-1848) raconte l’amour
impossible de Lucia Ashton et d’Ed-
gardo, seigneur de Ravenswood. La
brouille entre les deux familles et la
manipulation d’Enrico, frère de la
jeune fille, conduisent Lucia à épou-
ser Arturo, un homme qu’elle n’aime
pas. Elle en deviendra folle, le tuera
le soir de leurs noces, avant de mou-
rir elle-même, tandis qu’Edgardo,
désespéré, se poignardera.
Après June Anderson, Natalie Des-
say, Sonya Yoncheva, Pretty Yende,
c’est la soprano américaine Brenda
Rae qui interprète le rôle-titre, aux
côtés de Javier Camarena (Edgar-
do), Thomas Bettinger (Arturo) et
Mattia Olivieri (Enrico). La mise
en scène d’Andrei Serban avait été
décriée lors de sa création en 1995.
bable que ce rapprochement dénon-
çant les violences faites aux femmes
soit aujourd’hui salué.
Cette reprise marque les débuts à
Bastille du jeune chef ouzbek Aziz
Shokhakimov. Son mandat vient
d’être reconduit à la tête de l’Or-
chestre philharmonique de Stras-
bourg. •
Musique de Gaetano Donizetti. Livret
de Salvatore Cammarano. En italien, avec
surtitrage en français et en anglais.
Orchestre et Chœurs de l’Opéra national de
Paris. Mise en scène d’Andrei Serban.
Direction musicale d’Aziz Shokhakimov.
Cheffe des Chœurs : Ching-Lien Wu. Décors
et costumes de William Dudley. Lumière de
Guido Levi. Opéra Bastille (Paris, XIIe). Les
18, 21, 23 et 28 février et 4, 7 et 10 mars
à 19 h 30. Le 26 février à 14 h 30.
Durée : 2 h 45 (avec un entracte). Tarifs :
de 15 à 160 euros. Tél. : 08-92-89-90-90.
Réservations : www.operadeparis.fr

16 fevrier 2023 - CHALLENGES N°774  83

 Cultures arts

Vente Artcurial
Motorcars au Salon
Retromobile, début
février. Le secteur du
luxe, dont les voitures
de collection, connaît
un fort engouement.

Ventes aux enchères du xviiie siècle, paraît se limiter aux

grandes collections et aux belles

Succès en provenances… Aucune maison de

ventes ne prévoit de développer ce

collection
secteur sans s’appuyer sur un nom
ou des pièces prestigieuses. « Le
mobilier classique, sans prove-
nance, c’est difficile, assène Cathe-
Par Clémentine Pomeau-Peyre rine Yaiche, directrice générale de
Bonhams Cornette de Saint Cyr.
Dispersions spectaculaires, délocalisations de Londres, Nous ne ferons que deux ventes
nouveaux thèmes : le marché de l’art en France a brillé classiques cette année, en essayant
de limiter le nombre de lots. » La

U
en 2022. Avec des records et des tendances prometteuses. prochaine dispersion spectaculaire
dans ce domaine sera certainement
n tableau de Degas celle des chefs-d’œuvre de Jacques
adjugé 6,1 millions Top-10 des maisons de ventes en France Garcia, prévue par Sotheby’s le
d’euros en mars Total adjugé en 2022 en France 16 mai prochain.
2022, une Femme (avec frais, hors ventes privées et ventes caritatives), en millions d’euros. En revanche, un département va
qui marche de Gia- Christie’s 492 concentrer toutes les attentions
cometti vendue près en 2023 : celui du luxe, à savoir les
Sotheby’s 449
de 27,2 millions en bijoux, les montres, les vins, les voi-
juin… Les chiffres Artcurial 216,5 tures et, surtout, les sacs à main
du marché de l’art Millon 93,5 vintage. « Nous détenons le record
en France donnent le Bonhams Cornette 92,2 mondial de 2022 pour un sac, avec
de Saint Cyr Portée par la
tournis. En haut du podium, Chris- Aguttes 77 vente Givenchy, 352 800 euros adjugés pour un
tie’s affiche une progression de 20 % Christie’s affiche Kelly Himalaya d’Hermès, se ré-
Ader 52 une progression
des montants adjugés pour l’année jouit Mario Tavella, et nous avons
Piasa 44 de 20 % en 2022.
Alexis Ruben pour Artcurial Motorcars

2022, portée notamment par la vente aussi décroché une enchère à

Givenchy, qui a totalisé 118 millions
d’euros : « Elle a marqué le retour
des arts décoratifs en France »,
affirme Cécile Verdier, présidente
de Christie’s France. Le succès de la
dispersion de la collection Al-Thani
de l’hôtel Lambert semble lui don-
Osenat 40,7 1 million pour une montre Cartier
Tajan 33,3 SOURCES : SOCIÉTÉS, CHALLENGES.
Cheich, pièce unique de 1983. »
Le directeur général de Sotheby’s
ner raison, avec ses 75,8 millions France souligne que ces départe-
d’euros adjugés en octobre. ments, dont la croissance suit celle
Mais cet engouement pour les arts du marché du luxe à l’échelle mon-
décoratifs français, principalement diale, constituent une porte d’entrée

84  CHALLENGES N°774 - 16 FÉVRIER 2023

 Danseuses (Les Coulisses de l’opéra), par Edgar Degas
(vers 1886). Cette huile sur toile a été vendue 6,1 millions
d’euros par Christie’s en mars 2022.
Sotheby’s
Sac Kelly Himalaya mat blanc d’Hermès. Ce modèle
très rare a été vendu 352 800 euros par Sotheby’s,
un record mondial pour un sac à main.
Femme qui marche (I),
Christie’s Images Limited 2022
par Alberto Giacometti
(1901-1966).
Un bronze à patine
brun foncé adjugé près
de 27,2 millions
d’euros par Christie’s
en juin 2022.
Bonhams
L’Exil de Go Daïgo dans l’île d’Oki, par Georges
Mathieu (1957). Le tableau a été vendu 1,1 million d’euros
chez Bonhams Cornette de Saint Cyr, en juin 2022.
idéale pour les nouveaux clients. programmées en 2023. Plaire à ces
Analyse partagée par les autres quadras venus de tous les continents
poids lourds du marché de l’art, qui c’est également l’objectif des ventes
comptent entre 20 et 30 % de nou- design, qui continuent à se spéciali-
veaux acquéreurs en 2022, pour ser. « Nous avons de plus en plus
l’essentiel des millenials. « Nous d’acheteurs qui cherchent du mobi-
installons un pôle luxe plus impor- lier entre 5 000 et 50 000 euros
tant, surtout autour des sacs Her- Grand pièce. C’est une tranche de prix très
mès, indique Cécile Verdier, parce Rhinocrétaire II, dynamique », s’enthousiasme Nico-
que c’est là que se situe le vivier de par François- las Orlowski, PDG d’Artcurial. L’art
nouveaux acheteurs. » Xavier Lalanne moderne confirme quant à lui sa
Du côté de Bonhams Cornette de (2002). Ce bronze domination, avec un record pour un
patiné doré a été
Saint Cyr, quatre ventes sont déjà adjugé
tableau de Georges Mathieu chez
5,4 millions Bonhams Cornette de Saint Cyr, ou
d’euros chez pour le Rhinocrétaire de la collec-
Sotheby’s. tion Lalanne chez Sotheby’s.
A
utre axe de développement,
l’arrivée dans l’Hexagone
de nouvelles thématiques.
Et pas n’importe lesquelles,
puisque nombre de ces
ventes se tenaient aupara-
vant à Londres. « Surrealism and
its Legacy », de Sotheby’s, a ainsi
été déployée à Paris pour la pre-
Sotheby’s
mière fois l’an dernier. « Picasso-
mania » chez Bonhams Cornette de
16 FÉVRIER 2023 - CHALLENGES N°774 
Christie’s Images Limited 2022
Saint Cyr sera aussi rapatriée à Paris
en juin prochain. Et la grande vente
d’art italien de Christie’s, installée
depuis vingt ans outre-Manche, aura
bien lieu à Paris en juin 2023.
Pour les maisons franco-françaises,
l’heure est plutôt aux créations de
sections ou de nouveaux concepts.
La dynamique étude Millon ouvre
cette année deux départements :
l’un consacré aux souvenirs liés au
sport et l’autre nommé « Art et en-
treprise ». « Plus on tente de choses,
plus on a une chance de trouver le
Koh-i Nor, mais nous ne voulons
pas être dépendants d’une enchère
exceptionnelle pour boucler notre
année », résume son président,
Alexandre Millon, qui précise avoir
choisi de se positionner sur la
moyenne gamme.
Chez Aguttes, le choix s’est porté sur
les instruments de musique anciens.
« C’est plutôt un retour, puisque
ces ventes existaient chez nous à
la fin des années 1990. Avec le vio-
lon Guarnerius, adjugé 3,38 mil-
lions en juin dernier, nous avons
décidé de revenir sur ce créneau »,
explique la directrice générale, Phi-
lippine Dupré la Tour. En revanche,
seul Artcurial souhaite conserver
un département NFT et organiser
de nouvelles ventes (l’étude n’en
a proposé qu’une en 2022). « Les
maisons anglo-saxonnes se sont
emballées sur ce sujet, et ont en-
suite laissé tomber… Nous pen-
sons qu’il y a encore un avenir
dans ce domaine », estime Nicolas
Orlowski. • 
85
Cultures arts
Pénélope, par Pierre-Jules
Cavalier et Barbedienne.
Bronze à patine au naturel,
édité en petite série vendu
732 euros sur Interencheres
par Debacker & Richmond,
en juin 2022.

Pierre-Jukles Cavelier/ Debacker & Richmond

Abel Boye /Adam Enchères

Bruno Béziat

Rêverie, par Abel Boye. Une étude au

fusain et craie blanche adjugée
641 euros par Adam Enchères, sur
Corps de lampe Berger à gradins, Interencheres, en décembre 2022.
porcelaine dure et frise d’émaux, par
Camille Tharaud (vers 1930-1945).
Un lot rare, adjugé 471 euros par mais ils restent les interlocuteurs
Konstanty sur Interencheres. des internautes en cas de problème.

C
aroline Rivière, commis-
saire-priseur associée de
l’étude Ivoire Chartres, a
volontairement mené une
expérience totalement ana-
chronique au cours de l’an-
née 2022 : une vente sans
« live », c’est-à-dire qui
n’était pas accessible à distance.
« Tous les acheteurs étaient dans la
salle, ils ont réglé leurs lots et sont
Interencheres, qui travaille sur le
sujet, va tenter de mettre en place un
service commun à ses 330 commis-
Les bonnes saires-priseurs. L’équation n’est pas
affaires simple, car ces derniers sont disper-
sés partout en France, et les lots ont
du live des tailles, poids et valeurs extrême-
ment variés. De son côté, Drouot a
acquis en novembre dernier un en-
trepôt de 6 000 m2 à Bagnolet pour le
Devenue indispensable, la vente à stockage de ses différentes maisons
distance génère de forts volumes avec des de ventes parisiennes.
œuvres plus modestes. Mais exige une

repartis avec. Pas d’envoi ou de
transaction à distance, c’était telle-
ment simple ! »
Anachronique et sans doute sans
lendemain. Car le système du live est
désormais devenu tellement indis-
pensable à tous les acteurs du mar-
ché des enchères qu’ils ne savent
plus comment ils pourraient s’en
passer. Un exemple ? 100 000 lots
sont vendus chaque mois sur le
live d’Interencheres. Pour un total
cumulé de 553 millions d’euros
en 2022, contre 534 millions en 2021,
déjà une année exceptionnelle post-
pandémie. Et du côté de Drouot,
même engouement : 285 millions
d’euros adjugés sur la plateforme
digitale, pour 6 451 ventes live et
online proposées (5 542 en 2021).
Si l’envolée qui a suivi la crise sani-
taire ne semble pas se démentir, elle
a néanmoins son revers… Avec la
multiplication des ventes en ligne,
T
solide logistique pour satisfaire ses clients. out irait bien si le prix des
lots (et donc les revenus des
sociétés d’enchères) augmen-
le public a perdu l’habitude de se tait aussi vite que les volumes.
déplacer. Il réclame en contrepartie C’est loin d’être le cas. Le panier
de plus en plus de photos, qu’il faut moyen d’adjudications en ligne
parfois envoyer individuellement. pour Interencheres et Drouot n’a
Et veut aussi un service de livraison pratiquement pas bougé depuis
rapide, comme celui des grandes deux ans : il est de 400 euros pour le
plateformes d’e-commerce, aux- premier et de 693 euros pour le se-
quelles il s’est habitué. cond. La solution, appliquée par un
Or le secteur n’a pas encore effec- grand nombre de maisons ? Faire le
tué sa mue, et si les grandes mai- tri dans les œuvres mises en vente,
sons de ventes (ayant leurs propres en se concentrant sur les lots impor-
systèmes d’enchères en ligne) ont tants et en écartant les moins « ban-
les moyens de se concentrer sur les kable ». Un commissaire-priseur de
belles pièces et le service, les autres la région parisienne avoue même
se sentent parfois submergées par limiter au maximum les petits lots :
le volume et la mise en avant des « Je ne prends une collection que
lots, ainsi que par l’indispensable si elle contient au moins un ou
manutention. Les commissaires-pri- deux objets que je peux inclure
seurs orientent leurs enchérisseurs dans une vente de prestige, sinon
vers des transporteurs privés (Mail la manutention devient trop chro-
Boxes Etc., MBS Transports…), nophage. » C. P.-P.

86  CHALLENGES N°774 - 16 FÉVRIER 2023

 Cultures livres
Essai
Naissance d’un
immortel
Par Maurice Szafran
Le traducteur de Mario Vargas Llosa
conte la « passion française » du nouvel
académicien et la portée de son œuvre.
S
on premier roman, La Ville et
les chiens, il l’écrivit il y a plus
de soixante ans dans une
chambre de bonne de Saint-
Germain-des-Prés, rue de
Tournon. En espagnol. Mario Vargas
Llosa n’a jamais écrit que dans cette
Emmanuel DUNAND / AFP
langue. Le voilà pourtant – et c’est
une exception – académicien fran-
çais, reçu cette semaine au fauteuil
du philosophe Michel Serres. Pour
comprendre cette incongruité,
88  CHALLENGES N°774 - 16 FÉVRIER 2023
Mario Vargas Llosa. L’écrivain
a donné à ses grands romans
un souffle hugolien avec une
multiplicité de personnages.
qu’explique son lien à la France
et à la littérature française, il
faut lire l’essai-portrait écrit
par Albert Bensoussan, traduc-
teur du prix Nobel 2010, de
l’écrivain couvert d’honneurs,
l’un des rares à être entré de
son vivant dans la prestigieuse
Pléiade, en 2016. Vargas Llosa,
écrivain universel.
Son rapport avec notre pays et
sa langue, dans laquelle il s’ex-
prime parfaitement, justifie sa
présence quai Conti. Cette
« passion française » s’ex-
plique par la littérature et les
romanciers : Flaubert d’abord,
le « maître », mais aussi Hugo.
Ses grands romans – le dernier
en particulier, le somptueux
Temps sauvages qui se passe
au Guatemala – ont d’ailleurs
un souffle hugolien, ne
serait-ce que par la multiplicité
des personnages, des pay-
sages, des situations. Le
torrent Vargas Llosa.
Dans cet ouvrage amical et
profond, Albert Bensoussan
nous montre que son « héros »
ne se contente pas d’être ro-
mancier : il est aussi essayiste et fut
journaliste. Pour lui, la politique
compte beaucoup. Il est significatif
que Vargas Llosa se réclame de
Raymond Aron et de Jean-François
Revel, deux anticommunistes assu-
més, alors qu’il fut jadis un castriste
déclaré, proche de Gabriel Garcia
Márquez avant que trop de diver-
gences ne les séparent. Son évolu-
tion, il l’assume – sa « contre-
révolution », ruminent quelques
grincheux qui ne lui ont pas pardon-
né sa candidature (droitière et avor-
tée) à l’élection présidentielle du
Pérou en 1990. Qu’importe, son
œuvre littéraire surpasse ces
contradictions. Sa description des
femmes nous intéresse davantage
que son rapport à la gauche. C’est
entre autres pour cela qu’il faut re-
mercier l’Académie française de
l’avoir accueilli parmi les siens. •
Mario Vargas Llosa, écrivain du monde,
Albert Bensoussan, Gallimard,
« Arcades », 240 pages, 18 euros.
Lire ou relire : Temps sauvages,
Mario Vargas Llosa, Gallimard, 2021.
Essai
Un islam sans
concession
Spécialiste de philosophie
médiévale, le professeur Rémi
Brague connaît bien le monde
islamique, et son nouvel opus
répond à des interrogations
majeures.
Les objectifs
de l’islam sont-
ils religieux
ou politiques ?
La violence
lui est-elle
inhérente ?
Brague n’hésite
pas à prendre des risques. Car
ses conclusions sont parfois…
rudes. Il estime que le monde
musulman ne laisse aucune
place à l’incroyant – ce qui
n’est pas le cas des religions
de la Bible. Islam figé, fermé,
incapable de se réformer :
sa vision est pessimiste. L’islam
des Lumières, que beaucoup
appellent de leurs vœux,
il ne le discerne toujours pas.
Sur l’islam, Rémi Brague,
Gallimard, 400 pages, 24 euros.
Document
L’Amérique
à bout portant
Ça donne la trouille... Spencer
Ostrander (à la photo) et Paul
Auster (à la plume) racontent
la passion meurtrière des Etats-
Unis pour la violence et les
armes, une
passion qui
oppose depuis
toujours deux
Amériques ne
se supportant
plus. Auster
est implacable
quand il tente
de cerner ces tueries de masse
qui ensanglantent régulièrement
le pays. Les lieux de ces
massacres, Ostrander les a
photographiés. Des images
faussement paisibles de collèges
ou de supermarchés, celles
des Américains qui ne s’aiment
pas et qui nous effraient.
L’Amérique, souvent, est belle.
Pas cette Amérique-là. Trump
l’adore, Paul Auster l’exècre.
Pays de sang, Paul Auster
et Spencer Ostrander, Actes Sud,
208 pages, 26 euros.
 Bill Hayton

Légendes
impériales
Remontant une histoire multimillénaire, un journaliste de la BBC démonte le mythe
d’une Chine uniforme. Une construction récente et politique. Extrait (pages 252-254).

Le manuel de Zhang Qiyun de 1928 était
également imprégné de chauvinisme ra-
cial. Une partie de son message destiné à
des millions d’écoliers était que le pays accomplis-
sait son cheminement de la barbarie à la civilisation
et que les régions frontalières sauvages, où vivaient
les minorités, devraient être domptées et dévelop-
pées. Le livre contenait un tableau des divers
groupes ethniques montrant leur degré d’assimila-
une vingtaine d’années plus tôt. II avait créé l’his-
toire d’une continuité : l’expansion d’un territoire
civilisé, depuis son berceau dans la vallée du fleuve
Jaune vers l’extérieur. Les nouveaux géographes
essayaient d’en écrire le chapitre final, celle de la
diffusion de la civilisation jusqu’aux confins de la
République.
Le thème de la menace des étrangers grignotant les
bords du pays était omniprésent. Il était renforcé

tion dans le « corps principal » (zhuti) des Han.
Décrivant le peuple Miao du Sud-Ouest, il écrivait :
« Ils conservent des coutumes d’une grande an-
cienneté qui sont totalement incompatibles avec le
peuple Han. Il est de la responsabilité du peuple
Han d’éliminer leur barbarie et de les faire chan-
ger d’us et de coutumes. » Pour lui, les Han étaient
la « norme » servant de critère pour mesurer le ni-
veau de civilisation : il fallait que les Miao de-
viennent Han.
Il partageait l’opinion de Zhu Kezhen selon laquelle le
climat était un facteur déterminant du déploiement
de la civilisation. Dans son manuel de 1933, il obser-
vait que dans la province du Yunnan, au sud-ouest, la
population indigène vivait dans les terres basses,
chaudes et humides, alors que les Han vivaient sur les
plateaux, plus frais. Il était donc naturel que ceux-ci,
vivant dans une zone tempérée, hors des influences
dégénératives de l’environnement, exercent leur in-
fluence sur les locaux. D’autres manuels expliquaient
la même chose, insistant sur les arguments de Sun
Yat-sen, qui répétait que les Han formaient 90 % de la
population et qu’il était donc naturel que les autres
groupes s’assimilent à eux. On peut faire remonter
ces arguments à ceux développés par Liang Qichao
SP
par les leçons d’histoire sur les territoires « per-
« Dans les dus » lors du siècle précédent. Les professeurs se
années 1930, servaient d’une forme particulière de nationalisme
de nombreux cartographique – la « carte de l’humiliation natio-
nale ». Les Presses commerciales et les éditions de
manuels Chine ainsi que d’autres éditeurs en avaient publié
reprenaient des dizaines dans les années 1910, 1920 et 1930,
les arguments aussi bien dans les manuels et les atlas que sous
forme d’affiches pour les salles de classe. Elles mon-
de Sun Yat-sen, traient toutes, souvent par des couleurs vives, les
qui répétait terres « concédées » aux Etats voisins au cours des
que les Han siècles passés. Derrière ces cartes, il y avait un but
politique clair : délégitimer la dynastie des Qing – en
formaient montrant leur échec à « défendre le pays », et, par
90 % de suite, légitimer la révolution. En même temps, elles
la population engendraient une angoisse au sujet de la vulnérabi-
lité des frontières nationales, angoisse qui servait à
et qu’il était promouvoir la loyauté envers la nouvelle Répu-
naturel que les blique. Il semble que cela ait fonctionné avec le
autres groupes jeune Mao Zedong : il raconta plus tard au journa-
liste américain Edgar Snow que c’était en entendant
s’assimilent parler de l’humiliation nationale qu’il avait décidé
à eux. » de devenir militant. Et il ne s’agissait pas
que de lui. Ce fut la naissance de la né-
vrose territoriale nationale.

Notre avis. Quelle histoire ! Ce livre
extrêmement érudit nous révèle que
le mot Chine n’a jamais existé.
C’est celui qu’empruntaient
les Occidentaux pour désigner
cette partie du monde, sur la foi
d’informations rapportées par des
explorateurs. Le terme proviendrait
du nom de la dynastie Qin. Ou ferait
référence à Cina, un lieu par où
transitaient les marchandises
provenant d’Inde. Selon d’autres
chercheurs, c’est une peuplade
du Yunnan qui est à l’origine de ce
mot : des poèmes épiques datant
du Ve siècle célébraient Zhina. En
réalité, la Chine se désignait par des
termes beaucoup plus somptueux :
Zhong Hua (« Splendeur du Milieu »),
Shen Zhou (« Continent divin »),
Zhong Tu (« Terre centrale »). Un
vaste empire sans nom et sans
frontières qui régnait sur les peuples
grâce à un système d’allégeance
et habité par l’idée qu’il était le
centre du monde, avec d’un côté
le peuple civilisé (Hua Xia) et
de l’autre les barbares (Yi).
Un éclairage passionnant sur
la Chine d’aujourd’hui. G. O.
L’Invention de la Chine. 5 000 ans
d’histoire, Bill Hayton, Saint-Simon,
313 pages, 23,90 euros.

16 FÉVRIER 2023 - CHALLENGES N°774  89

 Menthon
Domenach Double je
MERCREDI 8 FÉVRIER
Le Collège des Bernardins dévoile
ses nouvelles ambitions
A
l’invitation du président de la Fondation des Bernardins
Jean-Marc Liduena, on s’immerge dans une installation
vidéo et numérique de l’artiste contemporain Laurent
Grasso que présente le centre culturel catholique parisien
jusqu’au 18 février. Tournée au mont Sainte-Odile (Bas-Rhin),
« cette exploration est le fruit d’échanges et de réflexions avec
l’équipe de recherche de la chaire Laudato si’ ». Pour ceux qui
l’ignorent, Laudato si’ est le nom de l’encyclique du pape Fran-
çois détaillant la doctrine « d’écologie intégrale » de l’Eglise.
C’est ce mix entre enseignement théologique de haut vol et
ouverture au monde qui anime Liduena. Le consultant, ex-
président des anciens de l’Insead, s’est trouvé une raison d’être
à rebâtir le Collège, très secoué par le confinement et l’absence
de subventions publiques. Nouvelle gouvernance, nouvelles
équipes, nouveaux programmes diffusés via Internet, lancement
d’un incubateur de « start-up d’espérances », l’institution créée
par le moine anglais Etienne de Lexington (1198-1258) et rou-
verte en 2008 a de nouvelles ambitions terrestres : le plan « Ber-
nardin 2030 » prévoit de tripler le budget à 30 millions d’euros
tout en gardant sa « sagesse millénaire ». Avis aux mécènes.
JEUDI 9
Deloitte cherche des diplômés
qui savent dire « yes »
E
n cette période de publication de résultats par les banques,
que l’on ne compte pas sur elle pour les commenter. Tenue
par le secret professionnel, la commissaire aux comptes
Charlotte Vandeputte, qui signe ceux de BPCE et bientôt de
Crédit agricole, est en revanche intarissable sur son job de res-
ponsable des talents de Deloitte France. Outre la fidélisation de
7 000 collaborateurs, elle a pour mission d’en embaucher
2 000 cette année.
Une campagne faite de stories et de « témoignages en parole
libérée » a été lancée sur les réseaux sociaux. Conçue par une
équipe interne dédiée de 80 collaborateurs, elle vise à raconter la
vraie vie au sein du mastodonte du conseil et de l’audit (« Il est
certain que si on cherche du 9h-17h, il ne faut pas venir chez
B. Delessard/Challenges
nous. »). Et à l’heure où les jeunes diplômés sont en opposition,
notamment sur le capitalisme et ses dérives, la nouvelle « marque
employeur » prend le contre-pied : « On a d’abord pensé à “Je
dis oui”, mais cela faisait un peu engagement marital, du coup
on est passé à l’anglais ». Ce sera donc : « I say yes ! »
90  CHALLENGES N°774 - 16 FÉVRIER 2023
DIMANCHE 12
Laurent Berger, candidat
à la présidentielle de 2027 ?
C
e dimanche, lendemain de mobilisation « impressionnante »,
Laurent Berger est tendu mais pas mécontent. Le leader du
premier syndicat de France avait poussé pour des défilés
« populaires, familiaux et même festifs ». Or la démonstration
de force s’est faite à travers tout le pays – « plus de 250 manifes-
tations » – et « ce sont les syndicats qui sont la matrice du
mouvement et la CFDT qui est le centre de cette force ». Le lien
avec le cégétiste Philippe Martinez est noué, les plus radicaux
sont « pour l’instant contenus et Mélenchon marginalisé ». Mais
Berger n’ignore pas que « près de 50 % des Français souhaitent
un durcissement ». Et de plaider alors encore et encore « pour
que le pouvoir prenne démocratiquement en compte ce qui se
passe dans les profondeurs d’un pays ». Un pays qui, selon lui,
se reconnaît dans une « détermination modérée ».
Reconduit à la tête de la CFDT l’année dernière, Berger prépare
sa succession et a d’ores et déjà annoncé qu’il ne fera pas tout
son mandat. Pour mieux se présenter à l’élection présidentielle
de 2027 ? « Ce n’est pas mon boulot », évacue l’intéressé, bien
qu’il veuille « à tout prix empêcher l’extrême droite d’arriver
au pouvoir ».
LUNDI 13
Le nucléaire a trouvé son nouveau
héraut à l’Assemblée
D
éputée Renaissance des Hauts-de-Seine, l’ex-ingénieure
d’EDF Maud Bregeon présentera le texte de loi visant à
développer l’industrie nucléaire, déjà adopté par le Sénat.
« Il faut arrêter le mi-chèvre mi-chou, confie-t-elle. Ne pas hési-
ter à se montrer clivant. D’autant que nous avons l’opinion
avec nous. » Du haut de ses 32 ans, cette macroniste de combat,
qui a rejoint l’an dernier les bancs de l’Assemblée, a déjà gagné
le surnom d’« Atomic Maud » : « On a là l’occasion d’avancer
un texte utile avec un vrai gain politique. Avec le nucléaire, on
a un marqueur fort. » Il est vrai que les écologistes sont « inau-
dibles sur cette question à force de multiplier les polémiques
hors sol et de montrer de l’hostilité au progrès ». Pour autant,
« il ne faudra pas passer sous silence les questions qui fâchent,
par exemple celle des déchets industriels ».
Celle qui pourrait décrocher un maroquin ministériel feint de ne
pas y songer : « On s’amuse plus au Parlement, on s’imprègne
de la situation, des rapports de force. » Un tour de piste. •
A la semaine prochaine