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L'Appel de Cthulhu Berlin La Dépravée
L'Appel de Cthulhu Berlin La Dépravée
B N
ERLI
LE MYTHE
LA DÉPRAVÉE
DANS L ’A LLEMAGNE DE WEIMAR
David Larkins
avec Mike Mason et Lynne Hardy
Illustrations intérieures : Antonio Maínez, Paco Dana, Sam Beck, Kristina Carroll,
Caleb Cleveland, Emanuele Desiati, Trevor Henderson, Chris Huth, Pat Loboyko,
Michelle Lockamy, Magdalena Mieszczak, Löic Muzy, Odessa Sawyer et Dimitar Stoyanov
Dehors vous attend un paysage plus animé encore. Les rues se développe au sein du peuple.
humides de la pluie de la veille luisent comme du verre sous
l’éclairage des néons et des lumières électriques ornant les bâti- Mais le vrai péril vient de la vie nocturne de la ville. Très tard dans la
ments grisâtres qui entourent le parc. Les automobiles disputent nuit, des cabarets célèbres dans le monde entier offrent une quantité
l’espace aux voitures à cheval et aux autobus à impériale. Les trains apparemment illimitée de musique, de danse et de divertissements
et les trams filent en vibrant sur leurs passerelles aériennes. Par- émoustillants, offrant un contraste saisissant avec les bâtiments
tout déambulent des piétons, hommes et femmes, jeunes et vieux. gris qui s’étendent sur des kilomètres le long des chemins de tra-
Un vendeur de journaux installé sur un tabouret à pied, les quo- verse tentaculaires.
tidiens du jour accrochés autour du cou, annonce les gros titres à A ce bouillonnement, Berlin la Dépravée ajoute les éléments sur-
tue-tête : la valeur du Reichsmark dégringole toujours et on parle naturels du Mythe de Cthulhu. La ville est un foyer d’organisations
d’effondrement économique.
occultes, de sectes singulières et de légendes chuchotées au détour
Vous avisez le taxi dont le numéro correspond au vôtre. Vous d’une rue. La population de la ville a explosé, avec une croissance
vous hâtez de tendre le billet au chauffeur avant de vous glisser à de 400 pour cent lors des 50 dernières années, et ces nouveaux habi-
l’arrière. Vous lui donnez l’adresse où vous comptez vous rendre : tants amènent avec eux d’indicibles secrets et d’étranges nouveaux
le Hundegustav, un cabaret mal famé au nord de Berlin. Votre dieux. Dans l’air malsain de la capitale mondiale de la débauche, la
contact sur place, un débauché que vous ne connaissez que comme nature humaine est remise en question. Et tandis que Berlin se préci-
« l’Anti-Franz » a mis la main sur un fascinant vieil ouvrage qui, pite inexorablement vers un destin funeste, l’atmosphère oppressante
selon lui, pourrait vous intéresser. s’alourdit encore, mettant à rude épreuve la raison des investigateurs.
Que contient cet ouvrage ? les détails du paysage urbain. Les penchants hédonistes de la ville
nous amènent à nous intéresser au rapport qu’elle entretient avec la
prostitution, la boisson, la bonne chère et les cabarets. Souvent, ceux
Le Chapitre 1 : La ville présente un aperçu de la ville de Berlin des
que l’on connaît comptent davantage que ce que l’on sait : vous trou-
années 1920 telle que les visiteurs et les habitants la connaissent à
verez là divers contacts pour les investigateurs. Le chapitre s’achève
l’époque. Vous y trouverez des conseils pour créer des investigateurs
par une série de tableaux permettant de développer des quartiers et
destinés à une campagne locale, ainsi que pour y incorporer des per-
des rencontres urbaines : le Gardien y trouvera l’inspiration pour ses
sonnages existants. Des organisations sont fournies pour vous aider à
cabarets et ses night-clubs, des détails architecturaux et des informa-
assurer la cohésion du groupe, et les bagages d’expérience ajouteront
tions sur les commerces. Les outils fournis ici devraient lui permettre
une nouvelle dimension aux personnages qui le composent. Un bref
d’entrapercevoir le caractère unique de Berlin et de disposer de tout
tour d’horizon de l’histoire de Berlin et de sa topographie regroupe
le nécessaire pour lui donner vie à la table de jeu.
les quartiers, les rues et les parcs qui reflètent le mieux le caractère
de la ville. Vous y trouverez des détails concernant les déplacements, Le Chapitre 3 : Oh! You Pretty Things présente des personnages
les communications, le logement, les crimes et les peines associées, historiques qui participeront à l’ambiance de la ville. Qu’il s’agisse
l’usage de la drogue, la pègre et la grande culture berlinoise. de Marlene Dietrich ou de Joseph Goebbels, leurs courtes biogra-
phies s’attachent essentiellement à leur séjour ou à leur visite à
Le Chapitre 2 : Berlin démasquée vous présente toutes sortes de
Berlin, afin d’inspirer des rencontres et des scénarios.
lieux intéressants pour les investigateurs, des bibliothèques et musées
aux cafés et aux boîtes de nuit. Compte tenu de la taille de la ville, plu- Le Chapitre 4 : Berlin et le Mythe se penche sur l’influence délétère
tôt que de procéder à une description exhaustive par quartier, nous du Mythe de Cthulhu, qui s’infiltre dans les recoins sombres de la
avons préféré nous concentrer sur quelques sites qui ne manque- ville. Vous y trouverez toutes sortes d’idées d’aventures à intercaler
ront pas de piquer l’intérêt des investigateurs, pour remplir ensuite entre les trois grands scénarios qui suivent, afin de démarrer une
les vides avec un système simple permettant de générer à la volée campagne d’horreur couvrant toute la décennie.
La porte de Brandebourg
Statue de Guillaume II
Les Chapitres 5 à 7 consistent en trois scénarios qui couvrent l’his- Le deuxième scénario, Le ballet du vice, de l’horreur et de l’ex-
toire de Berlin, de la fin de la Grande Guerre à l’avènement d’Adolf tase, se déroule en grande partie en 1928, après un court prélude
Hitler et du parti nazi. Nombre de facettes intéressantes de la ville en 1926. La ville connaît là son âge d’or, jouissant d’une stabilité
et de sa population figurent dans les scénarios, que vous pouvez et d’une prospérité superficielles. Un sorcier raté, une danseuse
jouer indépendamment ou enchaîner pour former une mini cam- débauchée et une étrange secte gnostique d’adorateurs de Saturne
pagne. Ils font partie d’une continuité, et sont conçus dans l’idée menacent de bouleverser cet équilibre et de transformer Berlin en
qu’au moins certains des investigateurs survivent de l’un à l’autre. un véritable cloaque de démence et de dépravation.
Un Gardien désireux de les jouer indépendamment peut bien sûr
adapter le niveau de démence et de dangerosité de chacun : les Schreckfilm, le scénario final, se déroule pendant l’hiver 1932, alors
outils nécessaires lui sont fournis. Attention toutefois, car ces récits que Berlin s’achemine vers son funeste sort. Les investigateurs se
sont déjà conçus pour mettre en péril l’intégrité physique et men- retrouvent face à une cabale regroupant les gros bonnets de la ville et
tale des investigateurs, et pour les pousser jusqu’à leurs limites. déterminée à détourner l’industrie cinématographique locale, célèbre
dans le monde entier, à des fins malfaisantes. Prisonniers d’un laby-
Le diable mange des mouches* se déroule durant l’été 1922, dans rinthe qu’ils ont eux-mêmes conçu, et poursuivis sans relâche par des
une Allemagne au bord de la ruine économique et du chaos poli- forces pernicieuses qui les dépassent, les investigateurs sont confron-
tique. Le spectre d’un fou hante la ville, montant les citoyens les uns tés à une question fondamentale : où est la réalité et où est l’illusion ?
contre les autres et exacerbant les forces monstrueuses qui nous Sacrifieront-ils leur identité à leur instinct de survie ?
habitent tous. Afin d’arrêter cet esprit démoniaque et de sauver une
princesse russe en exil, les investigateurs doivent conclure un pacte Ce livre s’achève par une sélection d’inspirations diverses – livres,
avec des forces malfaisantes et se demander quelle vie ils sont prêts films et séries télévisées – pour ceux qui souhaitent explorer les
à sacrifier pour sauver la ville. mystères, l’histoire et la géographie de Berlin.
* NdT : le titre de ce scénario provient d’un proverbe allemand qui dit que « dans le besoin, le diable mange des mouches ».
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L’histoire et les environs de Berlin, ses institutions et ses habitants. Comment s’y déplacer et
comment y chercher des ennuis (ou y échapper). Rôle des expatriés, des partis politiques et des
sociétés occultes. Visages célèbres aperçus dans des cabarets aux lumières tamisées.
« Répugnante ville que Berlin, où nul ne croit plus à rien. »
— Cagliostro, 1775
B
erlin offre un terrain d’investigation extrêmement et des femmes de toutes les couleurs, issus des quatre coins du
vaste aux personnages qui enquêtent sur le Mythe. C’est une monde, portés par l’alchimie enivrante de l’atmosphère festive et
ville bouillonnante et chaotique où, à en croire la rumeur, de l’effervescence nocturne. Pour référence, les touristes les plus
celui qui est prêt à en payer le prix et sait où chercher saura nombreux, par nationalité, sont les Suédois, les Hollandais, les
trouver tout ce que son imagination peut concevoir. Même pour Français, les Britanniques, les Turcs et les Japonais.
celles et ceux originaires de la ville, Berlin est à la fois familière
et stupéfiante. Ceux qui viennent à Berlin pour chercher du travail ne sont pas
dupes du glamour et des invitations à passer du bon temps : ils
En l’espace d’une seule soirée, les investigateurs peuvent passer d’un voient la ville à la fois comme le paradis et l’enfer sur Terre. Pour
Page opposée : La porte de Brandebourg
meeting d’anarchistes et de communistes radicaux à un cocktail beaucoup – journalistes et écrivains, musiciens, individus ambi-
huppé dans l’un des hôtels chics de la ville, du dédale des coulisses
tieux et talentueux, Allemands ou étrangers – Berlin ressemble à
d’une revue de danseuses nues à une boîte miteuse où les agents de
ce que New York évoque aux Américains : c’est ici que l’on aboutit
la brigade des mœurs côtoient proxénètes et prostituées… et cela
forcément, que l’on finisse par percer ou par être broyé par les impi-
n’a rien d’inhabituel à Berlin ! L’adjonction du Mythe et des phéno-
mènes surnaturels rend l’atmosphère plus étrange encore. toyables rouages de la ville.
Nous recommandons fortement aux investigateurs d’appartenir à La capitale de l’Allemagne attire également ceux qui ont déjà enduré
un groupe ou une organisation (officielle ou non) : reportez-vous le pire. Au lendemain de la Grande Guerre, les rues grouillent de
aux sections Organisations pour investigateurs page 16 et à vétérans démunis et autres personnes déplacées, victimes du grand
Cultiver son réseau page 60. Non seulement c’est la norme dans effondrement consécutif à l’armistice. Le problème ne fait que s’ag-
une ville où chacun appartient à un club, un groupe ou un parti graver avec l’inflation des années 1922-23, qui détruit l’épargne
politique, mais les liens nés d’intérêts mutuels et les soutiens qui et plonge nombre de familles bourgeoises autrefois aisées dans la
les accompagnent fournissent un tant soit peu de stabilité dans un misère : c’est la fameuse « classe moyenne en déconfiture » chère à
environnement qui incarne le chaos et le changement. Christopher Isherwood.
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Finalement, les immigrants d’Europe de l’Est qui cherchent à refaire académique que l’on apprend en cours, même si la différence ne
leur vie, très remarqués et souvent méprisés, font eux aussi par- suffit pas à en faire deux compétences distinctes.
tie du décor. Les perspectives d’avenir ne sont pas fameuses pour
Après la révolution bolchévique de 1917, les émigrés et réfugiés russes
ces nouveaux arrivants, qui débarquent à la gare de Silésie, dans affluent à Berlin : on attribue le sobriquet de « Charlottengrad » au quar-
le quartier populaire de Friedrichshain. La plupart disparaissent tier de Charlottenbourg en raison de ses nombreux habitants russes, et
dans la nature et s’abstiennent de se faire enregistrer par la police, parler leur langue peut s’avérer fort utile dans certains secteurs.
comme on l’exige normalement des nouveaux arrivants. Leur pau-
vreté, leur incapacité à parler la langue, leur méconnaissance de la Malgré l’éloignement, les émigrés français entretiennent depuis
rue et leur statut de sans-papiers en font des victimes idéales pour longtemps une relation complexe avec Berlin, relation qui remonte
aux huguenots du 17e siècle. Il n’est pas rare d’entendre parler fran-
tous ceux qui cherchent à exploiter les miséreux. D’innombrables
çais dans les milieux chics, la langue ayant conservé son statut de
individus au destin tragique viennent dans l’espoir de refaire leur
lingua franca en Europe continentale. L’anglais le remplace toutefois
vie, mais au bout du compte, peu s’en sortent.
rapidement, en particulier à Berlin dont les habitants se sont enti-
chés des Américains et de leur culture.
Langues D’autres langues se pratiquent plus couramment et exclusivement
On parle de nombreuses langues dans une capitale cosmopolite parmi les communautés d’immigrants. Pas besoin de parler yiddish
comme Berlin. D’abord l’allemand, bien sûr, encore que l’on dis- pour s’entretenir avec la majorité des Berlinois, mais ce talent peut
tingue le Berliner Schnauze (le « museau berlinois ») de l’allemand se révéler utile dans les rues du Scheuenviertel et du Schöneberg,
deux quartiers abritant une vaste population juive. Le polonais per-
met également de communiquer avec le grand nombre d’immigrés
venus de l’Est.
Prononcer l’allemand sans peine
La prononciation de l’allemand peut parfois intimider. Voici
un petit guide destiné aux nouveaux arrivants au Fremden- Autochtones
verkehrsbüro (le « bureau d’information touristique »). « La ville de Berlin, je le constatai, avait trouvé une
Bonne nouvelle : la prononciation de l’allemand est extrê- couleur qui lui était propre. Elle était devenue, tout
mement cohérente. Face à un mot composé (comme celui simplement, une métropole mondiale… Voilà que
qui clôt le paragraphe précédent), prononcez une syllabe à Berlin adoptait une authentique personnalité. Celle-ci
la fois en mettant l’accent sur la dernière. Ça ne fonctionnera procédait de la jeunesse, et se composait essentiellement
pas exactement à chaque fois, mais cela suffira amplement ! du discernement, et de l’acceptation un tant soit peu
L’alphabet allemand fonctionne plus ou moins comme celui amère mais imperturbable, de toutes, je dis bien toutes les
du français, à quelques exceptions près. réalités de l’existence. Et à ce que je vis, aucun espoir ne
venait illuminer cette attitude, nulle part. L’optimisme et
Les voyelles sont identiques, à l’exception du « u » que l’on
l’assurance romantiques que l’on s’attend à trouver chez
prononce « ou ». Le v se prononce comme un « f », et le
les jeunes brillaient ici par leur absence. Cette posture
« w » comme un « v ». Le « j » se prononce comme un « i ».
laissait entendre qu’ils avaient subi tant de trahisons,
Un h suivant une voyelle indique un son allongé.
tant d’hypocrisie et d’affirmations infondées qu’ils en
L’alphabet comporte une modification essentielle, le umlaut, venaient à considérer toute considération lénifiante,
deux points pouvant coiffer les voyelles a, o et u. Le « ä » se toute gratification communément célébrée, comme
prononce « é », le « ö » se prononce « eu », et le « ü » se des mensonges. »
prononce comme notre « u ».
— Joseph Hergesheimer, Berlin
L’alphabet allemand comprend en outre un caractère unique
appelé eszett : « ß ». Il apparaît pour remplacer deux « s » Les Berlinois ont longtemps été tristement célèbres en raison de
dans un mot. Ainsi, au lieu d’écrire Strasse (la rue), il faut leurs qualités caractéristiques. La dichotomie qui faisait de la ville
utiliser cette graphie : Straße. un arsenal industriel aussi bien qu’un creuset culturel aux 18e et 19e
siècles a laissé là une marque indélébile. Dans les années 1920, à une
Une terminaison en « e » ou « en » dénote généralement époque où un Londonien sur cinq et un New-Yorkais sur trois se
le pluriel. rendent à l’église chaque dimanche, il ne se trouve qu’un Berlinois
sur vingt pour agir de la sorte.
Note finale : tous les noms, propres ou communs, com-
mencent par une majuscule en allemand. L’attitude des Berlinois rappelle un peu celle de l’Américain type :
dédaigneux vis-à-vis des autorités factices, légèrement cyniques et
grossiers, et manifestant de facétieux penchants anti-autoritaires.
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Méthode : tirez dans la colonne de nom de famille de votre choix, ou faites un jet de dé pour chacune afin de créer un nom
composé. Rappelez-vous : les noms en « von » passent toujours en premier.
Exemple : un résultat de 1 en colonne A et de 5 en colonne B donne le nom composé « von Meyernick-Grünbaum ».
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L’esprit vif des Berlinois est légendaire : on parle souvent de leur Parallèlement, le blocus imposé par la Grande-Bretagne et d’autres
Berliner Schnauze, qui désigne non seulement leur accent, mais le bouleversements issus du conflit ont provoqué, selon les estimations,
fait qu’ils ont toujours dans leur manche une répartie caustique ou un demi-million de victimes de malnutrition et de maladies chez
un trait d’humour noir. les civils. Des pans entiers de la classe moyenne allemande ont été
Les autres germanophones identifient facilement l’accent des Berli- balayés par une pauvreté naissante qui a conduit des familles à vendre
nois : ils parlent un peu la bouche en coin, faisant traîner les mots des héritages précieux et des demeures ancestrales ne serait-ce que
et plaçant l’accent sur les sons brefs et aigus. Cela dit, le « g » dur se pour subsister. Par la suite, une fois les ressources matérielles épui-
transforme chez eux en « j », et ils contractent les mots composés sées, nombre d’Allemandes ont fini par vendre le seul bien qui leur
jusqu’à les rendre méconnaissables (« Kurfürstendamm » devenant restait : leur corps. La Grande Guerre a métamorphosé la solide
par exemple « Ku’damm »). Ils adoptent en outre les termes et les société wilhelmienne, abattant certes nombre de barrières sociales,
mœurs étrangers, et en particulier les anglo-américanismes. mais suscitant la perplexité des Allemands moyens, qui se deman-
daient bien où avait pu passer le monde où ils avaient grandi.
Au milieu des années 1920, une véritable folie pro-américaine
commence à déferler sur Berlin : les habitants raffolent de comédies Compte tenu de l’omniprésence des effets de la guerre, les investiga-
burlesques, de matches de boxe, des danseuses des Ziegfeld Follies, teurs d’origine allemande, hommes et femmes, doivent décider de
des mots croisés et du régime de beauté des vedettes de Hollywood. ce qu’ils ont fait pendant le conflit qui a influencé la vie de chacun.
Les hommes en âge de se battre (donc nés dans les années 1880 et
1890) ont 40% de chances d’avoir servi sous les drapeaux, même
Qu'avez-vous fait durant la guerre ?
s’ils n’ont pas forcément combattu dans les tranchées du front de
Pour l’Allemagne, la Grande Guerre s’est révélée catastrophique, l’Ouest. Le conflit s’est étendu sur le front de l’Est, de 1914 à 1917,
presque apocalyptique. Plus de deux millions d’hommes, pour la plu- dans des territoires qui s’étendaient de la Baltique aux Balkans.
part dans la fleur de la jeunesse, ne sont jamais revenus du champ de
bataille. Ajoutés à cela, 4,2 millions sont rentrés chez eux estropiés et Albin Grau, l’imprésario à l’imagination fertile à qui l’on doit le
victimes d’affections chroniques à long terme. Quant aux vétérans qui Schreckfilm (film d’horreur) classique de 1922 Nosferatu (réalisé
souffrent des effets psychologiques de la guerre, on ne les compte plus. par F.W. Murnau), a eu l’idée de faire un film de vampire alors
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Les occupations suivantes, issues du Manuel de l’Investigateur (disponible séparément chez Edge), sont
particulièrement adaptées à l’atmosphère distinctive d’une campagne à Berlin : artiste plasticien, artiste
scénique, barman, comédien, conducteur (chauffeur de taxi), correspondant, criminel (en particulier arnaqueur,
faussaire, petite frappe, receleur et voyou), dilettante, écrivain, fanatique, gourou, homme politique, journaliste,
libraire, musicien, occultiste, parapsychologue, photographe (et photojournaliste), inspecteur/officier de police,
prostituée, psychiatre et syndicaliste.
Tous les bagages d’expérience fournis dans la section appropriée du Manuel de l’Investigateur conviennent
parfaitement à des personnages berlinois. En voici trois autres, qui sont liés à des aspects particuliers de l’époque
et de la ville.
BAGAGE ACTIVISTE
Depuis la fin de la Grande Guerre et l’effondrement du Reich, il devient évident que la bataille pour l’avenir
de l’Allemagne ne se livre pas que dans les urnes : elle a lieu dans les rues. Que vous représentiez la gauche, les
centristes ou la droite, vous êtes un agitateur expérimenté, un activiste toujours prêt à faire le coup de poing,
voire à balancer des pavés pour défendre la cause… une cause que vous croyez fermement être la clef du
salut national.
• Vous devez être âgé de 35 ans au maximum.
• Retirez 1D10 points de Santé Mentale.
• Ajoutez une ligne dans la catégorie « Séquelles et cicatrices » de votre profil.
• Distribuez 60 points dans les compétences suivantes : Baratin, Combat rapproché (Corps à corps), Conduite,
Discrétion, Droit, Mécanique, Esquive, Intimidation, Lancer, Premiers soins, Psychologie.
• Notez sur la fiche d’investigateur : immunisé aux pertes de Santé Mentale subies en étant témoin de violences
contre un autre être humain ou en voyant un cadavre.
BAGAGE SOUS-PROLÉTAIRE
Vous faites partie du sous-prolétariat agité de Berlin. Vous n’êtes pas un criminel professionnel, mais il vous
est arrivé de recourir au crime quand les temps étaient durs, et vous conservez quelques contacts parmi les
organisations louches de la ville. Vous pouvez être chanteuse de cabaret, prostitué·e, imprésario de théâtre dans
la dèche, vétéran estropié, immigrant d’Europe de l’Est, orphelin, ou encore une combinaison de plusieurs
de ces occupations. Quoi qu’il en soit, vous avez appris à survivre grâce au système D dans cette ville grise
et impitoyable.
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Dans votre jeunesse, vous étudiiez au sein d’une université allemande et vous avez fait partie d’un « Corps », une
sorte de fraternité estudiantine. Composés de camarades issus de la même région, les Corps sont bâtis autour
de deux piliers : l’idéalisme germanique et la Mensur (l’escrime). Le premier s’exprime dans les convictions des
Corpsstudenten, qui épousent une philosophie apolitique et tolérante. N’importe quel homme peut y adhérer
à condition de prouver sa force de caractère. On y parvient en partie au travers d’un rituel lié à la Mensur, un
type d’escrime aux règles extrêmement strictes, où les deux adversaires, éloignés d’un mètre, s’agitent des épées
aiguisées comme des lames de rasoir au visage. Les participants portent des lunettes spéciales protégeant les yeux
et le nez, ainsi qu’une protection rembourrée pour la gorge, le torse et le bras, mais qui expose le reste du visage
et le haut du crâne. Ces règles, associées à l’usage d’une lame particulièrement flexible et d’une position de garde
haute, débouchent sur des blessures sanglantes à la tête… ce qui est précisément le but de ce sport. La Mensur
n’est pas une épreuve de puissance offensive, mais plutôt de bravoure et de virilité. Esquiver un coup, ou même
flancher en le voyant venir, conduit à la défaite. Les cicatrices provoquées par les duels sont considérées comme
des marques honorifiques témoignant du courage de leur porteur.
Plus importants encore, les liens qui naissent entre membres d’un Corps durent toute la vie. Longtemps après
l’université, ils peuvent compter les uns sur les autres et échangent des faveurs ou se portent secours en cas
de besoin.
• Vous devez être de sexe masculin.
• Retirez 3D10 à votre APP.
• Votre Crédit doit être supérieur ou égal à 60% après avoir distribué les points de compétence indiqués
ci-dessous.
• Ajoutez les éléments suivants à votre profil : une Séquelle ou cicatrice au visage ou à la tête par tranche de
10 points d’APP perdus.
• Distribuez 50 points dans les compétences suivantes : Combat rapproché (Épées), Crédit, Intimidation.
• Avec l’accord du Gardien, vous pouvez bénéficier d’un dé bonus à tout test opposé de compétence sociale
(Baratin, Charme, Intimidation et Persuasion) contre un personnage que vos balafres pourraient impressionner
(c’est-à-dire à peu près toutes les personnes un peu vieux jeu ou à tendance nationaliste). À l’inverse, vous
subissez dans ce cas un dé malus contre ceux que ces scarifications faciales horrifient ou dégoûtent.
• Vous commencez automatiquement la partie avec un contact. Choisissez son champ d’expertise : Politique,
Sciences empiriques, Sciences sociales ou Beaux-arts. En outre, par la suite, tout jet de dé destiné à obtenir un
autre dans le même champ d’expertise bénéficie d’un dé bonus, une réussite indiquant que vous avez renoué
des liens avec un vieux camarade du temps des Corps.
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N’oubliez pas non plus que servir dans l’armée ne signifie pas pour Ils prennent d’ailleurs leur nom très à cœur : depuis leur aire dans
autant combattre au front. Les armées modernes nécessitent un per- l’hôtel de l’Aigle rouge, ils veillent, toujours à l’affût des vermines
sonnel considérable qui opère loin des lignes, des chirurgiens aux occultes qui perpètrent leurs méfaits de nuit.
officiers d’intendance en passant par ceux qui s’occupent de remon- Concept : justiciers occultes.
ter le moral des troupes, comme les comédiens et les orchestres.
Si un investigateur a servi lors de la Grande Guerre et assisté à des Origine : membres d’une association à thème animal, comme
batailles, n’oubliez pas de lui donner le Bagage militaire (cf. page beaucoup d’autres dans le monde anglophone au tournant du
57 du Manuel de l’Investigateur). siècle (les Élans, les Wapitis, etc.), les Hiboux ne se prenaient pas
vraiment au sérieux jusqu’à ce qu’ils découvrent d’étranges acti-
Pour ceux qui n’ont pas servi dans l’armée et pour les investigatrices, vités parmi les autres sociétés secrètes opérant à Berlin. Actuel-
il serait bon de réfléchir à la façon dont la guerre a influencé leur lement, l’Ordre se concentre sur ce qu’il considère comme un
existence. Ont-ils perdu des êtres chers ? Leur gagne-pain ou leur réseau sataniste dissimulé derrière les masques guindés de la
fortune ? L’Allemagne ayant perdu des territoires après le traité de haute société de Berlin. Ils n’ont pas encore croisé le Mythe lors
Versailles, ont-ils dû déménager d’Alsace ou de Prusse-Occidentale de leurs enquêtes, mais ce n’est plus qu’une question de temps.
pour Berlin en ne prenant que ce qu’ils pouvaient porter ?
Organisation : malgré la gravité de leur mission, les membres du
Comment ont-ils subi l’« hiver des navets » (1916-1917, où l’on doit groupe ont conservé un peu de la légèreté qu’ils manifestaient à
remplacer les pommes de terre par ces légumes en raison notam- leurs origines : la loge est qualifiée de « nid » et le dirigeant de
ment d’une récolte catastrophique), où le blocus britannique a fait l’organisation est appelé le « Sagace Strigidé ». En dehors de cela,
planer le spectre de la famine sur une nation autrefois prospère ? l’ordre manifeste quelques autres touches cosmétiques caracté-
Qu’ont fait les personnages pour survivre ? À quoi ont-ils dû renon- ristiques des ordres fraternels pseudo-maçonniques : poignée de
cer ? Ont-ils participé aux émeutes déclenchées par la famine qui main secrète, rituels d’initiation d’un sérieux douteux pour les
se sont abattues sur l’Allemagne pendant la seconde moitié de la nouveaux membres, etc. Actuellement, le groupe ne comprend
guerre et immédiatement après ? En répondant à ces questions que des hommes, mais une femme déterminée pourrait fort bien
délicates, les joueuses créeront des investigateurs réalistes et feront s’y faire accepter (à plus forte raison si elle dispose d’une certaine
le lien avec les traumatismes affligeant chaque fêtard allemand qui expertise dans le domaine occulte).
passe la nuit à boire et à danser dans les clubs de Berlin. Ressources : l’ordre dispose d’un « nid » au dernier étage de l’Hôtel
Roter Adler (l’hôtel de l’Aigle rouge), majestueux bâtiment ancien
situé au 6 Schützenstraße, au cœur du Friedrichstadt. La vaste
suite comprend des logements et des chambres pour les membres.
L’Adler abrite en outre une bibliothèque modeste mais en pleine
expansion d’ouvrages de référence occultes et ésotériques (livres et
brochures). La location mensuelle de la suite est remboursée par la
cotisation annuelle des membres, qui se monte à 10$ par personne.
Occupations suggérées aux membres : aliéniste, antiquaire, biblio-
thécaire, chasseur professionnel, dilettante, explorateur, gentil-
homme/dame, occultiste, parapsychologue.
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Une brève histoire de Berlin qui absorba plusieurs villes voisines, portant sa population à plus
de 100 000 habitants au milieu du siècle.
Nombre des aspects uniques de Berlin à l’Ère du Jazz ressortent des Le plus célèbre des dirigeants prussiens, Frédéric II (surnommé « le
scénarios présentés plus loin dans cet ouvrage. Ici, nous nous inté- Grand » déjà de son vivant) monta sur le trône en 1740. Il perpé-
resserons à une facette plus prosaïque de la ville, ce qui ne rend pas tua la tradition du premier roi prussien en déployant des ambitions
les informations qui suivent moins précieuses pour autant. Bien au politiques qui associaient puissance militaire et raffinement cultu-
contraire, liebchen ! rel et artistique. Le père de Frédéric avait été un monarque éclairé
modèle : sous sa direction, on instaura l’instruction universelle et
Les documents consacrés à l’histoire de Berlin sont légion, qu’ils
le grand hôpital, la Charité, ouvrit ses portes. Ce fut sans doute à
soient imprimés ou disponibles en ligne, et nous ne nous attarde-
cette époque que Berlin reçut l’un de ses surnoms les plus tenaces,
rons donc pas sur le sujet. Vous trouverez donc ici un condensé qui
« l’Athènes de la Spree », en raison de son statut de centre pédago-
donnera aux joueuses les bases concernant la ville et la façon dont
gique et culturel. Malgré cette réputation, la ville reporta l’essentiel
elle s’est développée.
de son attention économique sur l’entretien d’une puissante armée
Localisé sur une plaine marécageuse et boisée le long des rives de de métier et la production de munition pour alimenter sa machine
la Spree, le site qui allait un jour accueillir l’immense métropole de guerre.
de Berlin reçut sa première colonie de peuplement au 12e siècle,
Frédéric le Grand fit bon usage de tout ce dont il avait hérité et hissa
sans doute durant le règne d’Albert l’Ours, premier margrave de
la Prusse au rang de principal état allemand d’Europe, une réputa-
Brandebourg. Dès le siècle suivant, Berlin était devenue un foyer
tion qu’elle conserva jusqu’au 19e siècle et jusqu’à la naissance de
de peuplement reconnu. On date de 1237 sa fondation officielle. À
l’Empire allemand. Frédéric continua de promouvoir des politiques
cause du surnom d’Albert, ou peut-être parce que la première syl-
favorables à l’immigration, permit que perdure la libre expression
labe de son nom correspondait à celui de l’animal (ours se dit Bär en
et refusa que l’on censure la presse, réforma le système judiciaire et
allemand), Berlin a adopté l’ours comme symbole dès les origines.
ouvrit les postes de fonctionnaires aux non-aristocrates, qui furent
La lignée d’Albert l’Ours s’éteignit en 1320. Après une série de autorisés à monter dans la hiérarchie selon leurs mérites et non en
dirigeants temporaires, sous Frédéric Ier, la famille Hohenzollern raison de leur naissance. À la même époque, il développa encore
s’empara en 1415 des rênes du margraviat de Brandebourg pour les l’armée déjà redoutable de son père. Quatre cinquièmes du budget
conserver pendant 500 ans. L’ascension des Hohenzollern allait éga- national étaient alloués à l’armée, et un énorme pourcentage de la
lement marquer celle de Berlin. Le centre de pouvoir du margraviat population masculine de Prusse servait sous les drapeaux en per-
déménagea de Brandebourg à Berlin quand Frédéric Ier y installa manence. Cette situation conduisit Mirabeau à tancer le pays en
sa résidence. Son fils et successeur, surnommé « Eisenzahn » (« aux déclarant : « La Prusse n’est pas un État qui possède une armée,
dents de fer ») y bâtit un palais royal, mâtant au passage « l’indigna- mais une armée qui possède un État. » Quoi qu’il en soit, l’armée
tion » de la population : même à l’époque médiévale, les Berlinois prussienne défendit efficacement les domaines éparpillés de l’État
ne supportaient pas les fastes de l’autorité. en question et les relia lors d’une série de conflits, dont le plus
remarquable fut la guerre de Sept Ans (1756-1763). Cela dit, Fré-
Peu à peu, Berlin acquit une influence politique qui lui était propre.
déric, un réaliste politique endurci malgré tous ses idéaux éclairés,
Électeurs du Saint-Empire romain, les Margraves disposaient eux-
participa volontiers au premier partage de la Pologne, s’appropriant
mêmes d’un considérable prestige. Berlin se retira de la Ligue han-
une bonne partie du nord du pays pour relier ses domaines de l’est
séatique en 1451. Le protestantisme y arriva dans les années 1530,
et de l’ouest.
et on confisqua nombre de domaines et de possessions de l’Église
afin de financer la construction de la grande avenue baptisée Kur- Frédéric régna pendant 46 ans, et son ombre plana sur tout le reste
fürstendamm (l’avenue du prince-électeur). de l’histoire allemande. Des générations de nationalistes allemands
vénérèrent sa mémoire : le parti nazi lui vouait quasiment un culte
Pour compenser les immenses pertes de la guerre de Trente Ans,
et ses membres allaient jusqu’à penser que leur ascension au pou-
le « Grand Électeur » Frédéric-Guillaume commença à encourager
voir concrétisait ses ambitions. Son règne constitua un tournant
l’immigration dans les années 1640, attirant en particulier les hugue-
décisif, non seulement pour Berlin et l’État prussien, mais pour
nots français qui finirent ainsi par former une minorité importante
toute l’Europe.
de la population. À l’aube du 18e siècle, un Berlinois sur trois était
français, et cette tendance s’accentuait. On doit une autre grande Le sort de la Prusse prit un autre tournant dramatique en 1861, avec
avenue de Berlin à Frédéric-Guillaume, l’Unter den Linden (« sous l’affectation d’Otto von Bismarck au poste de ministre-président
les tilleuls ») dont les six rangées de tilleuls éponymes font un des sous le roi Guillaume Ier. Sans doute le plus grand diplomate de
sites les plus reconnaissables de la ville. À l’époque, le margraviat de son temps, Bismarck développa habilement le pouvoir de la Prusse
Brandebourg, personnellement associé au duché de Prusse pendant au sein de la vaste sphère germanique, créant peu à peu un État
près d’un siècle, fut érigé en royaume de Prusse après avoir combiné allemand unifié au moyen d’une série de traités, d’alliances et
les deux titres. Malgré son nom, les principaux centres décisionnels de guerres courtes mais décisives contre le Danemark (1864),
et de population en demeurèrent l’état de Brandebourg et Berlin, l’Autriche (1866) et la France (1870-1871). Au terme de la dernière,
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l’Empire allemand fut instauré, avec Bismarck comme chancelier et de « capitale mondiale de la débauche » ainsi qu’une réputation de
Guillaume Ier comme empereur. Le « Second Reich » (le premier « terreau fertile pour le mal », selon l’expression du Chicago Tribune.
ayant été le Saint-Empire romain germanique dissout durant les
guerres napoléoniennes) allait durer 47 ans. Une telle métamorphose ne s’est pas produite ex nihilo. Elle résulte
en réalité des bouleversements consécutifs à la Grande Guerre.
Bismarck fut limogé en 1890 par le nouvel empereur, Guillaume II, Désastre à tous les niveaux pour le pays, la guerre a ruiné l’écono-
lequel s’affaira à défaire, durant les deux décennies qui suivirent, le
mie, sonné le glas de la monarchie, fait des millions de victimes
réseau d’alliances que le chancelier avait mis 30 années à bâtir pour
et instillé chez la population une profonde méfiance envers les
assurer la sécurité de l’Allemagne. Ce délitement déboucha sur la
Grande Guerre, qui dura quatre ans, trois mois et deux semaines « hommes de fer » autrefois invincibles qui présidaient au sort de
pour s’achever le 11 novembre 1918. En plus de faire plus de six l’Allemagne depuis des décennies.
millions de victimes allemandes, elle mit fin à une dynastie qui avait Pour les Allemands qui ont traversé la guerre loin du front, les
régné pendant cinq siècles et provoqua la chute de l’économie ger- dernières années du conflit ont été marquées par les privations. La
manique. Les habitants de Berlin souffrirent énormément pendant
corruption s’est répandue à mesure que les ressources s’épuisaient,
les dernières années du conflit, des millions d’entre eux et des envi-
et d’anciens liens de confiance et de service mutuel se sont rom-
rons subissant les privations et la faim.
pus. Prêtres et fonctionnaires ont cédé aux sirènes de la fortune
Le 9 novembre 1918, le prince Maximilien de Bade, chancelier alle- facile ou se sont impliqués dans de scabreux scandales sexuels.
mand, déclara l’abdication du Kaiser Guillaume II à Berlin. Le chef Pour la première fois de leur vie, les membres de la classe moyenne
communiste Karl Liebknecht s’empressa aussitôt de proclamer la
se sont frottés aux réalités des délits et du marché noir. Les gros-
« République socialiste libre d’Allemagne » au château de Berlin,
sesses imprévues ne sont plus de simples sujets de ragots, mais le
tandis que le social-démocrate centriste Philipp Scheidemann ins-
taurait quant à lui, prématurément, la « République allemande » lot trop répandu de toutes les classes. La survie au jour le jour a
au Reichstag. remplacé les idéaux plus abstraits de vertu et de patriotisme dans
bien des esprits. Les séquelles psychiques de ces bouleversements
Toujours capitale du pays, Berlin fut secouée durant les mois qui sont encore cuisantes.
suivirent par des affrontements dans les rues, des marches et des
tentatives de révolution venant d’abord de la gauche (la révolte La transparence de Berlin concernant le sexe résulte elle aussi des
spartakiste de janvier 1919), puis de la droite (le putsch de Kapp en traumatismes de la guerre. Au front les soldats allemands rece-
mars 1920). L’assassinat de Karl Liebknecht et de son associée Rosa vaient un carnet de tickets à utiliser dans les bordels locaux, ce qui
Luxemburg en janvier 1919 par des membres des Freikorps, milice était censé leur permettre de réguler et de maîtriser leurs pulsions.
paramilitaire contre-révolutionnaire, choqua la nation tout entière, Les tickets en question indiquaient la catégorie de prostituées dis-
mais ce ne fut que le premier de plusieurs centaines d’assassinats ponibles pour les soldats, ainsi que les dates possibles, la durée du
de ce genre qui se succédèrent pendant trois ans dans le pays. Du
séjour et les services disponibles. Le tout était calculé avec une effi-
bouleversement de l’après-guerre s’éleva alors la fragile république
cacité procédurière, très prussienne, tenant compte de toutes sortes
de Weimar, qui tire son nom de la ville où fut élaborée la consti-
tution, loin du chaos de Berlin. Telle est la situation explosive de de variables comme le rang, la classe et la durée de service sur le
l’Allemagne dans les années 1920. Le fait que le peuple allemand ne front. Les zones situées derrière le front (Etappe) étaient notoire-
s’accorde même pas sur le nom de son nouvel État est révélateur : ment équipées pour répondre aux besoins obscènes des officiers
certains parlent encore de « Reich germanique », d’autres de « l’État supérieurs, qui se livraient à la débauche en compagnie des pros-
du peuple allemand », et d’autres encore de « république germa- tituées locales et vidaient des magnums de champagne dans des
nique ». L’expression « république de Weimar » n’apparaît pas avant décors luxueux, que rappellent nombre de cabarets de Berlin dans
1929, dans la bouche d’Adolf Hitler, et ne se répandra qu’après la la décennie qui suit.
chute de la république en 1933.
Pendant ce temps, au pays, pendant les derniers mois de la guerre,
Comme pour défier le monde éclaté qui l’entoure, Berlin continua on vendait les héritages de famille et autres biens précieux, et plus
à se développer en 1920 pour incorporer officiellement sept villes,
d’une Hausfrau ou « Strohwitwe » (veuve de paille : une expres-
59 villages et 27 domaines. Les villes de Charlottenbourg, Neukölln,
sion qui désigne les femmes séparées de leur époux par la guerre)
Spandau et Wilmersdorf, entre autres localités, sont devenues des
faubourgs officiels de la ville, qui s’étendent désormais sur plus de 883 finit par devoir vendre son corps pour mettre du pain sur la table.
km2 et abrite quatre millions d’âmes. Au bout de 500 ans d’existence, À Berlin, les rues regorgent d’adolescentes venues de la campagne,
Berlin fait ses débuts de ville mondiale, de métropole tentaculaire à puis des banlieues bourgeoises, pour faire commerce de leurs
même de rivaliser avec Londres ou New York. Cette transformation charmes. Ce recours à la prostitution sonna le glas de la respectabi-
physique s’accompagne d’une profonde mutation morale, touchant lité de la classe moyenne allemande.
aussi bien la sphère publique que privée, et qui lui vaut le surnom
25
Topologie de la ville
Lorsque le Grand Berlin est instauré en 1920, la ville absorbe plu-
sieurs communautés voisines et, ce faisant, se transforme en métro-
pole tentaculaire couvrant une surface quatre fois supérieure à celle
de Paris. La ville est officiellement divisée en 20 districts. Dans le
cadre de cet ouvrage, nous avons plutôt opté pour une division en
« zones » basées sur la personnalité locale et les ressources régio-
nales. Chacune présente des aspects idéaux pour y développer des
scénarios, ou simplement fournir un peu de couleur locale à des
investigateurs se déplaçant aux environs de la ville. Chaque des-
cription de zone s’achève sur une liste d’éléments et de rencontres
où puiser pour poser l’atmosphère.
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les touristes qui souhaitent voir les panoramas les plus célèbres de la À partir de la zone de la porte de Brandebourg, on accède à deux
capitale allemande. Beaucoup séjournent à l’hôtel Adlon, à quelques grands parcs publics : Pariser Platz (où l’on trouve les ambassades
minutes à pied de la porte de Brandebourg. L’hôtel lui-même est américaine et française, ainsi que le grand Adlon) et la Platz der Repu-
une sorte de palais miniature, doté de tous les aménagements pos- blik (ancienne Königsplatz) où se trouve la Colonne de la Victoire.
sibles et imaginables. Une véritable parade de clients célèbres ou
De l’autre côté de l’île aux Musées, la rive nord de la Spree constitue le
louches traverse le hall d’entrée dorée chaque nuit.
Vieux Berlin, le site d’origine de la ville. On y trouve le Rotes Rathaus
En tout, le Linden à proprement parler s’étend sur environ 1,6 km, (« l’hôtel de ville rouge ») avec sa tour, la zone densément peuplée
depuis la célèbre porte de Brandebourg à l’entrée du Tiergarten autour de Marienkirche (« l’église Sainte-Marie »), la Bourse de
(cf. section ci-contre) jusque vers l’est et la Spree. Là, il bifurque sur Berlin, le Neues Stadthaus (un nouveau bâtiment administratif) et le
la Kaiser-Wilhelm-Straße et se poursuit dans l’Alt-Berlin, le centre mini quartier de Nikolaiviertel (le quartier Saint-Nicolas). Ce dernier
historique de la ville. Il doit d’abord traverser une vaste île au milieu consiste en une section préservée de la Berlin médiévale, centrée sur
de la Spree, site de l’ancienne ville de Cölln. La moitié nord de cette la basilique romane du 13e siècle de l’église Saint-Nicolas. Des ruelles
île est désormais connue sous le nom d’île aux Musées (cf. page 46). étouffantes et des rues à l’ombre serpentent de l’église jusqu’à la ville.
Au nord de l’avenue, on trouve le Lustgarten (le jardin d’agrément) C’est pourtant ici que l’on trouve certaines des résidences les plus
et le Berliner Dom (la cathédrale de Berlin). splendides de Berlin : la splendeur rococo du palais Ephraïm (qui
serait le « nec plus ultra » de la capitale ) et l’aile de la Kurfürstenhaus
Le Lustgarten servait autrefois aux parades militaires : les rois prus-
(la maison du Prince-Électeur) de grès rouge bordant la rivière, où
siens regardaient passer les troupes depuis le balcon du château
l’électeur Jean Sigismond se réfugia et mourut de peur après avoir vu
de Berlin (cf. page 46). Aujourd’hui, l’ancien jardin du siècle des
une Dame Blanche dans les couloirs du château de Berlin en 1619.
Lumières, encadré par les éminents bâtiments de la cathédrale et
du Vieux Musée (cf. page 46), sert avec ses vastes allées et ses pro-
menades géométriques de parc public et de lieu de rassemblement Le Tiergarten
pour les meetings politiques contestataires. Dans la plus grande Le Tiergarten (qu’on peut traduire par « le jardin des animaux »)
assemblée de ce genre, le parc accueillit 500 000 protestataires de couvre actuellement 255 hectares, et il s’agissait autrefois d’une
gauche en août 1921. réserve de chasse des rois de Prusse, peuplée de cerfs. Aujourd’hui,
Bien qu’il ait toujours existé un grand bâtiment de culte sur le site
de la cathédrale de Berlin depuis 1451, l’église actuelle ne fut ache-
vée qu’en 1905. Une immense coupole s’élevant à plus de 115 m
coiffe la basilique de style néo-Renaissance, et lui donne un aspect
curieusement ostentatoire pour une église protestante.
Si on descend le Linden depuis l’île aux Musées, on voit l’impo-
sant Staatsoper (l’Opéra d’État), le dôme néoclassique de la cathé-
drale Sainte-Edwige, la Bibliothèque prussienne d’État (cf. Biblio-
thèques et musées de Berlin, page 45) et le campus de l’université
Frédéric-Guillaume (simplement appelée université de Berlin la plu-
part du temps). C’est ici que commencent les célèbres allées de tilleuls.
En remontant l’imposant boulevard, on voit la porte de Brande-
bourg dominant l’extrémité. Il y a longtemps, c’est ici que s’ouvraient
les portes de la cité : en 1791, lorsque fut achevé ce monument néo-
classique, Berlin reçut le surnom de « l’Athènes de la Spree ». Une
statue d’Eiréné, déesse de la paix, surmonte la porte qui sépare le
trafic en cinq voies grâce à ses colonnes doriques.
Une fois passée la porte, le Linden bifurque sur Charlottenbourger
Chaussee et traverse le Tiergarten.
Au nord du Linden, à son extrémité occidentale, se trouve le
Reichstag, siège de parlement national, et l’immense Siegessäule
(Colonne de la Victoire) que les habitants surnomment Goldelse
(« Lizzie la dorée ») en raison de la sculpture de bronze de la victoire
étincelante qui se dresse au sommet de ses 61 mètres. Ce monu-
ment célébrant les victoires prussiennes sur les Danois, les Autri-
chiens et les Français dans les années 1860 et 1870 est bordé sur
toute sa longueur des fûts de canon pris aux pays ennemis.
Le Jardin zoologique
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Site touristique ordinaire Jardin zoologique En poursuivant vers l’extrémité de l’Alt-Moabit et en traversant
le pont d’Alsen et port Humboldt, on arrive au plus grand hôpi-
Site touristique peu Institut de sexologie du tal de Berlin, la Charité. Fondé en 1709 par Frédéric Ier pour
commun Dr Hirschfeld tenir en quarantaine les victimes de la peste, il fait ensuite office
Principal contact Juge à la cour d’assises d’hôpital universitaire associé à l’université Frédéric-Guillaume
depuis 1810.
Gang ou organisation Libelle (les libellules)
Pique-nique et
Vie nocturne Alexanderplatz
promenades du soir
Un des grands parcs publics de la ville, l’Alexanderplatz (« l’Alex »)
Problème persistant Agresseurs dans le parc est situé dans le district du Mitte (le « milieu ») de Berlin. Les dix
Prostitution Line-boys, Sauterelles pâtés de maisons encerclant la place abritent plus de 320 bordels
ou endroits où l’on peut se rencontrer pour un bref rendez-vous
« galant » (« hôtels à l’heure » et autres « quartiers de transit »).
Parmi les plus luxueux établissements « convenables », l’un d’entre
eux est réservé aux femmes hétérosexuelles. Nombre de petits
on y trouve des « animaux » différents, les « sauterelles », qui y font commerces de rue du quartier offrent deux types de services,
commerce de leurs charmes (cf. Prostitution, page 54). comme ce marchand de glace sur la Mehnerstraße, chez qui l’ex-
pression « cornet à deux boules » prend un sens bien différent
Les coins isolés de ce parc public, le plus grand de la ville, sont
après 22h.
mal éclairés et dangereux la nuit, mais la Siegesallee (avenue de
la Victoire) est un trajet de promenade très populaire. Ce grand Les prostitués les plus désespérés, de tout sexe et de tout genre, cir-
boulevard est orné de 32 statues en marbre représentant les rois, culent autour de l’Alex, où l’on trouve les tripots les moins recom-
margraves et électeurs de l’histoire de Prusse et du Brandebourg, mandables. Et pourtant, la place demeure un vrai moteur de vie, où
remontant jusqu’à Albert l’Ours. Derrière chaque statue, un banc de circulent piétons et véhicules sous les rugissements du Stadtbahn.
marbre en demi-cercle est flanqué de bustes figurant deux conseil- Ceux qui recherchent les expériences et les plaisirs interdits
lers du dirigeant en question. devraient commencer ici.
Le Zoologischer Garten, grand zoo abrité également par le parc, Comme si on lui avait confié la surveillance des habitants louches
a ouvert ses portes il y a près d’un siècle et fut le premier de son du parc, le Polizeipräsidium (le QG de la police) domine le square
genre en Allemagne. Plus de 13 000 animaux y vivent, parmi les- du haut de sa tour à coupole vitrée grandiose, de style néo-baroque.
quels des lions, des éléphants et des tigres. Beaucoup sont parqués À l’intérieur, dans une petite annexe du rez-de-chaussée, on trouve
dans des enclos et bâtiments aux architectures caractéristiques : la un musée du crime ouvert au public et comportant plusieurs petites
porte principale est de style japonais, la maison des antilopes de salles d’exposition. Chacune contient des tables et des vitrines
type mauresque et le pavillon des autruches rappelle l’ancienne pleines d’indices ayant servi lors de procès criminels : couteaux
Égypte. Donnant sur le Kurfürstendamm, mais accessible depuis le de cuisine, morceaux de corde, noix de muscade empoisonnées,
zoo, on trouve l’aquarium municipal, ouvert en 1913 et abritant des vieux bocaux, vêtements en lambeaux, etc. Y figurent en outre de
poissons, crocodiles et amphibiens d’eau fraîche et douce, et même copieuses quantités de photos des criminels, de leurs victimes et
un « insectarium » au dernier étage. Une rue isolée et tranquille du des scènes de crime, ainsi que divers éléments liés aux technolo-
parc abrite également l’Institut für Sexualwissenschaft (cf. L’Insti- gies d’identification (empreintes digitales, photos de lobes d’oreille)
tut de sexologie, page 50). et des babioles poussiéreuses associées aux sciences forensiques
(tubes à essai et divers accessoires de labo).
La Spree forme la frontière nord du Tiergarten, mais le district com-
prend également des terres au nord de la rivière. Dans le cadre de ce À côté du square, la Karl-Liebknecht-Haus, ancienne usine de cinq
livre, on considère que la « zone » du Tiergarten borde l’Alt-Moabit étages qui sert dorénavant de QG au parti communiste allemand,
et comprend le Kleiner (petit) Tiergarten ainsi que le complexe souligne encore le caractère populaire du quartier. Centre névralgique
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Nollendorfplatz
Ce quartier ouvrier, qui regroupe les zones voisines de Nollendorf-
platz et de Wilmersdorf, est situé au sud de l’extrémité ouest et pleine
de vie de Berlin. C’est également une plaque tournante de la commu-
nauté homosexuelle et lesbienne de Berlin, et le berceau du théâtre
communiste d’Erwin Piscator, le Neues Schauspielhaus, qui peut
accueillir 1200 spectateurs. À l’étage, la Mozartsalle est aujourd’hui
un grand cinéma qui organise des avant-premières de films.
Le Schubert-Saal, un théâtre « populaire », accueille régulièrement
des bals homosexuels et lesbiens, ainsi que les « fêtes de plage »
organisées par le Damenklub Altes Geld (Le Club des Dames de
Vieilles Fortunes). Le quartier regorge de Dielen (bars) et de boîtes
de nuit homosexuels et lesbiens. En 1928, le célèbre drag club
Eldorado ouvre une succursale juste à côté de la Nollendorfplatz.
C’est le quartier de Christopher Isherwood, de W. H. Auden, de
Jean Ross et de nombreux écrivains expatriés et bohémiens. Le bas- « Vicki »
tion du prolétariat joue également le rôle de centre de distribution
de cocaïne et abrite divers clubs sadomasochistes et bordels desti- Les appartements délabrés sont noircis de suie, et un smog y plane en
nés aux clients des deux sexes. permanence, issu de la multiplication des feux au charbon issus de
poêles et de chaudières. Les bâtiments autrefois somptueux tombent
en ruine, victimes de l’effondrement économique. Le stuc et le plâtre
se détachent et tombent comme des flocons sur le sol. Selon les termes
de Sir Stephen Spencer : « une odeur particulière et envahissante,
wNollendorfplatz x celle de la décrépitude et du désespoir, émane de l’intérieur de ces
demeures grandioses désormais converties en taudis snobinards. »
Site Nom/détails
Schoneberg
Site touristique ordinaire Le Neues Schauspielhaus Situé au sud de Nollendorfplatz, Schöneberg, petit village presque
provincial, s’est métamorphosé en l’un des quartiers les plus chics et
Site touristique peu
Les clubs Eldorado huppés de la ville. Ses habitants d’origine, en grande partie bavarois,
commun
lui valent parfois le surnom de Quartier Bavarois. C’est toutefois à la
Organisateur du parti population juive du quartier que l’on doit l’essentiel de sa transforma-
Principal contact
communiste tion. À partir du 19e siècle, le fabricant de textile Salomon Haberland
Gang ou organisation Berliner Ring et son fils Georg commencèrent à acheter des propriétés dans le vil-
lage de Schöneberg et à faire bâtir de grandes maisons de style cam-
Le Club Pyramid pour
pagnard dans l’objectif de créer une banlieue capable d’attirer les Ber-
Vie nocturne Femmes (cf. Claire
Waldoff, page 86) linois argentés. Leur plan fonctionna encore mieux que prévu, et à
l’aube de la Grande Guerre, la ville s’était remplie d’immeubles à dix
Problème persistant Délabrement urbain chambres, tous décorés dans le plus pur et splendide style Wilhelmien.
Prostitution Chevaux de course La pièce maîtresse du quartier est la Viktoria-Luise Platz (que les
habitants surnomment « Vicki »). À moins de deux kilomètres au sud
du Ku’damm, avec ses fontaines et ses colonnades, on la croirait venue
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d’un autre monde. C’est ici que l’on trouve certains des plus beaux
manoirs de Schöneberg, ainsi que toutes sortes de restaurants et de
cafés destinés aussi bien aux habitants du quartier qu’aux touristes.
Les alentours de la Bayerischer Platz, eux, accueillent divers artistes
et intellectuels, parmi lesquels le psychanalyste Erich Fromm et le
réalisateur et scénariste Billy Wilder. Le plus célèbre de ses habi-
tants demeure toutefois le physicien Albert Einstein, qui réside au
5 Haberlandstraße de 1911 à 1933.
La Grunewald
À 10 kilomètres au sud-ouest du centre animé de la ville, les 3000
hectares de la forêt de Grunewald offrent un spectacle bucolique et
un contraste saisissant par rapport à l’effervescence urbaine de Berlin.
Associant forêt de conifères et lacs glacés, elle est également semée
de « colonies manoriales », demeures des industriels et des gros bon-
nets de la ville. Le ministre des Affaires étrangères Walther Rathenau
est assassiné en 1922 alors qu’il se rend en voiture de son manoir de
Grunewald au Reichstag. Mais la Grunewald n’est pas que la retraite
exclusive des richissimes Berlinois. Bien que les environs de Berlin ne
manquent pas de forêts luxuriantes et de lacs, l’endroit demeure la des-
tination favorite des Berlinois de tous milieux lorsqu’ils veulent s’éva-
der un après-midi ou un week-end pour se divertir et se détendre.
La Grunewald à proprement parler comprend huit lacs, et le lac de
Wannsee (en réalité une boucle de la majestueuse Havel), avec sa
célèbre plage artificielle, se trouve tout près des bois. Les Berlinois
affluent au bord des lacs pendant les mois les plus chauds pour se
rafraîchir dans l’eau ou profiter du spectacle de toute beauté en se Le cimetière des suicidés
promenant en bateau ou en petit yacht. Sur les rives de l’un de ces
lacs, le Halensee, tout au bout du Ku’damm, s’étend le Luna Park, un des théâtres, des cabarets et des brasseries, ainsi qu’un grand tobo-
immense parc d’attractions qui imite délibérément le Coney Island ggan aquatique, une piscine à vagues artificielles, des montagnes
de New York. Il s’agit du plus grand d’Europe, avec des restaurants, russes et un escalier à vibrations pourvu d’un ventilateur en bout
de parcours pour vous remonter la jupe ! Fermé pendant la Grande
Guerre, le parc rouvre en 1918, mais il n’est plus que l’ombre de lui-
même, vestige délabré et abîmé de sa gloire d’antan (le Luna Park
figure dans le scénario Schreckfilm, cf. page 208).
w La Grunewald x
Parmi les autres points touristiques de la forêt, mentionnons la
tour de briques de l’Empereur Guillaume (haute de 50 mètres), qui
Site Nom/détails
se dresse au sommet du Karlsberg et offre une vue spectaculaire
Lieu de culte Grunewaldkirche sur les environs, en compagnie du Grunewald Casino, restaurant
et établissement de jeux. On peut également citer le bâtiment qui
La Funkturm (la tour radio,
Site touristique ordinaire donne son nom à la région : le pavillon de chasse de Grunewald.
cf. page 154)
Plus ancien château prussien de Berlin (il date de 1543), il devient
Site touristique peu propriété de l’État en 1918 après avoir passé 350 ans aux mains de
Le cimetière des suicidés
commun la noblesse des Hohenzollern. On projette actuellement de le trans-
Principal contact Un riche industriel former en galerie d’exposition artistique. Qui sait quels étranges
fantômes peuvent hanter ses couloirs ?
Gang ou organisation Wild-boys
Et puisque nous évoquons les spectres, rappelons que les touristes
Vie nocturne Le Luna Park enthousiastes évitent une zone de la Grunewald, celle que l’on sur-
nomme le cimetière des suicidés (cf. page 64). Par un malencon-
Problème persistant Suicides dans la Havel
treux phénomène naturel, le courant porte ceux qui se suicident en
Prostitution Sauterelles se jetant dans la Havel et ses affluents jusqu’au même point de la
rive, loin hors de la ville. Pour plus de détails, consultez la section
Cimetières de Berlin (cf. page 64).
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L’atmosphère berlinoise
Ce passage présente différents aspects de Berlin, dont le climat, les wLes Verwaltungsbezirke de Berlin x
moyens de transport, les communications et le logement.
Berlin se compose de 20 districts administratifs, ou Verwal-
tungsbezirke regroupés selon leur statut administratif
Le temps qu’il fait d’avant l’unification de 1920.
Ceux qui condamnent la ville et la traitent de foyer de décadence et Les joueuses qui créent des investigateurs vivant à Berlin
de malfaisance ne manquent jamais de mentionner qu’elle fut bâtie peuvent choisir où ceux-ci résident, ou bien s’en remettre
sur un marais. On y respire un air particulier et alcalin (le « Berliner au hasard. Pour un résultat complètement aléatoire, lancez
Luft »), lequel, à en croire la rumeur, stimulerait autant qu’il dégra- 1D20 sur la table des Districts de Berlin. Si vous souhaitez
derait le système nerveux central, aboutissant à un déchaînement un résultat plus conforme à la réalité démographique et à
des pulsions réprimées, du moins à ce que prétendent les moralistes. la répartition de la population, lancez 1D100. Le Gardien
peut bien sûr se servir de cette table pour déterminer l’ori-
Berlin bénéficie d’un climat maritime tempéré. En hiver, la tem- gine de PNJ mineurs.
pérature oscille autour de zéro, tandis que les étés, plutôt doux,
ne sont pas terriblement humides. Le printemps demeure frais
jusqu’en mai, et l’automne s’installe rapidement après les moissons. wDistricts de Berlin x
Les précipitations sont modérées (environ 2,5 à 5 cm par mois)
mais régulières, et le ciel peut devenir gris et pluvieux à peu près 1D20 1D100 District
en toute saison, encore que les mois d’été se révèlent plutôt enso- 1 01–09 Friedrichshain
leillés et agréables. La neige commence généralement à tomber en
2 10–19 Kreuzberg
décembre et persiste jusqu’en février, mais jamais en grande quan-
tité : il y en a juste assez pour donner à la ville une allure de village 3 20–27 Mitte
de conte de fées et pour givrer les fenêtres. 4 28–35 Prenzlauer Berg
Pour vous, Gardien, tout ceci revient à dire que vous avez le droit d’ap- 5 36–42 Tiergarten
pliquer à la ville n’importe quel temps en fonction de l’atmosphère de 6 43–51 Wedding
votre scénario. Un vent froid accompagné de brouillard ? Une pluie
battante ? Le silence inquiétant d’une chute de neige ? Pendant une 7 52–60 Charlottenbourg
grande partie de l’année, certains de ces phénomènes météorolo- 8 61 Köpenick
giques, voire tous, conviennent tout à fait. Comme le fit remarquer le 9 62–66 Lichtenberg
reporter désenchanté Joseph Roth : « Pourtant, à Berlin, on gèle déjà
par plus de 15 degrés. » Il parlait certes de la froideur et de l’insen- 10 67–74 Neukölln
sibilité qu’il percevait, mais il n’existe aucune raison pour ne pas les 11 75–80 Schöneberg
transmettre par l’intermédiaire du climat bien réel de votre scénario. 12 81–83 Spandau
13 84–87 Wilmersdorf
Se déplacer 14 88–89 Pankow
35
(pour le Stadtbahn) ou toutes les 6 à 15 minutes (pour le Ringbahn). Là où les trams et les trains urbains ne suffisent pas, on a toujours un
Les passagers exceptionnels peuvent acquérir des billets de seconde bus ou un taxi sous la main. Les bus sont des véhicules à étage qui ne
classe (différents des billets de troisième classe habituels), mais même dépayseront pas les Londoniens. Le soir, des bus hippomobiles sont
les wagons de seconde classe sont pleins à craquer aux heures de pointe. disponibles pour ramener les spectateurs des théâtres chez eux. Les
taxis prolifèrent : on peut les héler depuis le trottoir ou les appeler
L’U-bahn (abréviation d’Untergroundbahn, ou chemin de fer
(moyennant un surplus). La police ne garantit la sécurité des passa-
souterrain) est une ligne de métro électrique. Malgré son nom,
gers que dans un rayon défini par Pankow au nord, Friedrichsfelde
le métro circule par endroits sur des plateformes aériennes ou
à l’est, Britz et Friedenau au sud et Grunewald à l’ouest. Au-delà, les
dans des tranchées de voie ferrée. Il y a sept lignes en tout, cha- chauffeurs sont également libres de pratiquer les tarifs qu’ils désirent.
cune permettant de se rendre au centre-ville. Les trains effectuant
le trajet de l’Alexanderplatz à la Wittenburgplatz (au bout de la Un des éléments les plus inhabituels est la Cyklonette, un véhicule
Tauentzinstraße du Ku’damm) passent toutes les 5 minutes, tandis ouvert à trois roues qui remplace avantageusement les taxis auto-
que le temps d’attente sur toutes les autres lignes et aux autres gares mobiles (le tarif étant 25% moins élevé) mais offre un trajet évi-
est plutôt de l’ordre de 10 à 20 minutes. Comme pour le Stadtbahn, demment moins salubre. En outre, le véhicule ne peut contenir au
on peut acquérir ici des billets de seconde ou de troisième classe. mieux qu’une valise, et au mieux deux passagers.
Les wagons de l’U-Bahn, extrêmement populaire, grouillent tou-
jours de passagers ; aux heures de pointe et pendant les vacances,
on y est serré comme des sardines. Médias et communication
Des itinéraires de tramway (le Straßenbahn) quadrillent la ville : 103 En sa qualité de capitale, Berlin bénéficie de toutes les formes de médias
en tout, les dernières voitures quittant Mitte à 1h45 du matin. Les et de communication disponibles, du télégraphe à la radio, du cinéma
tarifs et les services varient énormément. Les tramways desservent aux journaux. C’est dans ce dernier domaine que la ville se distingue.
surtout les quartiers du centre, mais trois lignes mènent aux ban- L’Allemagne connaît un véritable âge d’or du journalisme, et Berlin en
lieues de Spandau et de Köpenick ainsi qu’aux quartiers du sud-ouest. est la géante incontestée pour tous ceux qui veulent travailler dans cette
36
industrie. La ville dispose d’une quantité invraisemblable de publi- de Heiligegeist Straße dans l’Alt-Berlin, tout près à pied de Marienkir-
cations : 60 quotidiens, qu’accompagnent 630 journaux mensuels ou che. Les lettres peuvent être livrées à n’importe quel bureau, mais on
hebdomadaires. Les journaux (Zeitungen) constituent de loin la plus ne peut envoyer les paquets qu’à de grands centres de distribution.
répandue des formes de communication par mass médias de Berlin, Quant aux lettres par avion, on peut les expédier par l’intermédiaire
dépassant même la radio, et l’on croise nombre de Berlinois avec un de la boîte aux lettres rouge de l’hôtel Bristol sur l’Unter den Linden.
journal sous le bras, ou occupés à le lire au café ou dans le tram.
Quelle que soit leur taille, les bureaux de poste ouvrent de 8h à 19h
Parmi les journaux populaires, on trouve le conservateur Berliner du lundi au samedi, mais seulement de 8h à 9h45 les dimanches et
Lokal-Anzeiger, le centriste Voßische Zeitung (fondé en 1722, c’est le pendant les vacances. Presque tous offrent également divers ser-
plus ancien périodique de Berlin), le socialiste Vorwärts, le commu- vices pour une somme modique : télégraphe, téléphone et courrier
niste Rote Fahne et le nationaliste et antisémite Deutsche Zeitung. Des pneumatique. On peut envoyer un télégramme grâce à l’un des 113
journaux en anglais sont également disponibles dans les kiosques. Le bureaux rattachés aux bureaux de poste (ou parfois isolés pour cer-
Chicago Tribune dispose d’un bureau et d’une salle de lecture à l’hô- tains) et ouverts 24 heures sur 24.
tel Adlon, tandis que le Chicago Daily News a un bureau sur l’Unter On trouve des cabines téléphoniques publiques dans les postes,
den Linden, et le Manchester Guardian sur Potsdamer Straße. Finale- dans certains bâtiments administratifs et publics, ainsi que dans
ment, un journal produit localement et baptisé The Daily Berlin Ame- les grands parcs (Alexanderplatz, Wilhelmplatz). Les appels locaux
rican imprime des articles consacrés à des sujets locaux en anglais. sont tarifés par tranches de trois minutes. Les appels interurbains
Les innombrables bureaux de poste de Berlin sont répartis en neuf (appels à longue distance payés d’avance) peuvent être effectués
districts, chaque bureau étant désigné par une lettre (correspon- depuis l’un des 63 bureaux de poste.
dant au district) et un nombre. Les lettres en poste restante (livrai- La ville tout entière est reliée par un réseau en toile d’araignée de 402
son ordinaire) et les paquets peuvent être récupérés au bureau C2 km de tubes pneumatiques souterrains, appelé le Rohrpost. Ce sys-
tème permet aux lettres, aux cartes, aux télégrammes et aux petits colis
de transiter depuis l’un des 90 bureaux de la ville jusqu’au destinataire
Aviation en deux heures seulement. Les bureaux de poste proposant ce service
se distinguent par la lampe rouge suspendue à la porte, au-dehors.
Aéroport de Tempelhof
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hôtels garnis, équivalents des « bed and breakfast » anglais, dont les voleurs et les meurtriers. Les Berlinois parcourent les articles
certains proposent des déjeuners et soupers chauds ou froids. Les consacrés aux crimes dans les quotidiens avec une certaine fas-
pensions de famille accueillent quant à elles ceux qui envisagent un cination : après tout, n’importe qui pourrait devenir la prochaine
séjour de plus longue durée en ville. victime. Chacun a l’impression que la sécurité n’est plus qu’un sou-
venir en voie de disparition, et que la loi se désagrège peu à peu.
Mietskaserne Au moment où la ville est reconnue à sa juste valeur, les élé-
À partir de 1860 environ et jusqu’à la Grande Guerre, Berlin a ments criminels se révèlent eux aussi. Après tout, il faut bien que
connu une véritable explosion de la construction qui l’a littéralement quelqu’un gère le commerce du sexe et de la drogue ! Ceux qui s’en
métamorphosée. Nombre des bâtiments qui ont poussé comme occupent se qualifient, sans que nul ne soit dupe, de membres de
des champignons dans la capitale du nouveau Reich étaient des « clubs de sport professionnels », de « clubs de divertissement » ou
immeubles baptisés Mietskaserne (« appartements »). Ces bâtiments de « sociétés de bienfaisance » (regroupés sous le terme Ringvereine,
massifs occupent jusqu’au dernier centimètre carré du terrain où ils ou « clubs à l’anneau », en raison des bagues et autres symboles
se dressent et accueillent autant d’occupants que possible. Ils for- qu’arborent les membres). Ces clubs donnent tout à fait l’impres-
ment un vaste cercle autour de la vieille ville, une sorte de quartier sion d’être organisés pour les amateurs de sports ou autres, avec
officieux : le Wilhelminischer Ring (« l’anneau whilhelmien »). Ces des cotisations, des statuts et des règlements, et même des réunions
immeubles de cinq étages, avec leurs façades en stuc qui semblent hebdomadaires. Cette façade de sociétés d’entraide dissimule en
émerger du trottoir, comprennent de célèbres couloirs formant un réalité des syndicats du crime particulièrement sophistiqués.
réseau de minuscules cours, chacun mesurant 28 mètres carrés, le
Comme le montre le film M le maudit réalisé par Fritz Lang en
minimum légal pour permettre l’accès à un camion de pompiers.
1931, les Ringvereine ont autant pour objectif d’alpaguer et de neu-
Le plan et l’aménagement privilégient le gain de place, le confort traliser les individus dangereux et les meurtriers psychopathes –
des occupants passant après. Les appartements qui donnent sur la électrons libres du monde du crime – que de faciliter les activités
rue sont les plus luxueux, avec des moulures de bois, de beaux par- criminelles. En fait, si les Ringvereine sont généralement réservés
quets et d’autres touches architecturales attentionnées, sans parler de aux repris de justice, les clubs interdisent généralement l’entrée à
la lumière naturelle généreuse que fournissent les fenêtres. Mais les tout individu reconnu coupable d’homicide, de meurtre, de viol ou
autres, la majorité des appartements des Mietskasernen, ressemblent encore d’agression contre des enfants. L’usage des armes à feu y est
plutôt à des boîtes à chaussures : de longs rectangles avec des chambres interdit, tout comme la violence contre la police. Les membres vont
aux deux extrémités et un salon-cuisine au milieu. Plus on s’enfonce jusqu’à cultiver une certaine image du « gentleman cambrioleur »,
dans l’immeuble, plus les logements sont petits et sinistres, certains et développent parfois des relations avec certains policiers, jouant
ne comportant même pas de fenêtres. En tout, environ un sur sept avec eux une sorte de jeu du chat et de la souris.
seulement dispose de toilettes et d’une salle de bain privée, les deux
Cependant, la plupart des crimes commis à Berlin sont perpé-
tiers n’en ayant pas du tout et devant se contenter des WC du palier.
trés par de petits filous : agresseurs, cambrioleurs et braqueurs de
La population des Mietskasernen se compose plutôt de membres de la banques, ou agents politiques cherchant à déstabiliser leurs rivaux
classe ouvrière, ceux de la classe moyenne occupant les appartements ou à rallier des soutiens. La violence connaît des hauts et des bas,
qui donnent sur la rue. Nombre de logements sont sous-loués : leurs mais elle semble s’aggraver sans cesse. Un grand sentiment d’im-
habitants les occupent par tranche horaire, à différentes périodes du puissance afflige des citoyens qui ne savent plus à quel saint se vouer
jour et de la nuit. Presque un locataire sur cinq (ceux qu’on appelle les et qui en conçoivent un grand ressentiment.
« locataires-lit ») est trop pauvre même pour ce genre d’hébergement
et doit se contenter de louer un lit à l’heure. Un pâté de maisons de Face à cette illégalité croissante se dresse la redoutable police locale,
ce genre peut accueillir jusqu’à 2000 personnes, et nécessite à lui seul la Police Criminelle de Berlin (alias la Kripo). Employant près
son propre policier attribué pour patrouiller dans les locaux. de 15 000 personnes pour couvrir les 4 millions d’habitants de la
ville, les forces de l’ordre de la ville comptent essentiellement sur
Un détail important : en Allemagne (et encore de nos jours), on ne des inspecteurs parfaitement entraînés et déterminés à retenir les
numérote pas les appartements ; le courrier, par exemple, est livré hordes de délinquants. Les nouvelles recrues (généralement issues
en fonction du nom de famille, et non d’un numéro. de la campagne plutôt que de la ville) passent une année entière en
formation, puis servent 3 à 4 ans dans les unités anti-émeutes (la
Sicherheitspolizei ou Sipo). Ce n’est qu’ensuite qu’ils peuvent com-
mencer leur service en commissariat.
Beinls et Bulls : Crime et châtiment En général, les membres de la Kripo sont considérés comme des
Tout comme l’Amérique des années 1930, les Allemands de l’Ère monarchistes réactionnaires, en particulier pour ce qui est des plus
du Jazz sont fascinés par le crime, les criminels et les gangsters. La gradés des officiers. Ils s’opposent aux réformes démocratiques de
tourmente financière et politique de l’après-guerre est un riche ter- la République et lorgnent vers l’extrême droite et l’autoritarisme.
reau pour la criminalité. Berlin est devenue une grande ville mon- Malgré leur manque d’affection pour le régime démocratique et les
diale, une métropole imposante, et ses habitants réalisent tout juste partis de gauche ou centristes, les policiers s’astreignent à une dis-
que ce statut s’accompagne d’une forme d’anonymat qui enhardit cipline professionnelle rigoureuse : en dehors des actions visant à
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39
Le système pénal
La république, mal assurée et toujours victime de divers assauts,
oscille entre de brutales mesures autoritaires et d’authentiques
tentatives de réforme et de réhabilitation. Au fil de la décennie, la
Kripo s’inspire de plus en plus des brigades de la Sipo, adoptant
une philosophie du « coup de pied dans la porte » qui privilégie la
capture des suspects aux enquêtes minutieuses.
Ceux qui se retrouvent pris dans le système pénal ont de quoi s’in-
quiéter, en particulier si on les identifie comme étant politique-
ment de gauche. Les magistrats, réactionnaires et antidémocrates
comme la police, appliquent presque systématiquement des sanc-
tions plus dures aux suspects communistes et socialistes, tandis que
les membres de partis d’extrême droite s’en sortent avec une simple
tape sur les doigts, à la grande indignation des journalistes, pam-
phlétaires et activistes « rouges ». Les prisons deviennent un creuset
de frustration révolutionnaire où les affrontements entre détenus et
gardiens sont monnaie courante. La répression est radicale, même
pour des infractions mineures : il n’est pas rare que des prisonniers
soient grièvement blessés, voire tués pendant ces émeutes. Les pro-
blèmes systémiques ne sont pas étrangers à la situation : mauvaise
nourriture, surpeuplement des cellules, hygiène déplorable…
La philosophie carcérale divise les détenus entre « réformables » et
« irrécupérables ». Ceux de la première catégorie sont susceptibles
de recevoir de meilleurs traitements, voire d’être réhabilités. Quant
aux autres, on se contente de les laisser pourrir sur place. La police à Berlin
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Les règles présentées ci-dessous s’appliquent lorsque l’in- tests augmente d’un cran) pour chaque heure passée sans
vestigateur « boit pour oublier », fait la fête ou tente tout boire, jusqu’à un maximum de deux dés malus/deux crans
simplement de se saouler. Boire modérément en société de difficulté supplémentaires. Ces pénalités disparaissent
n’entraîne jamais ni bonus ni malus, tandis qu’essayer de dès lors que le personnage boit. Toutefois, à cet instant,
suivre le rythme d’Anita Berber ou de Klaus Mann pen- l’investigateur doit réussir un test de POU pour éviter de
dant une soirée devrait bel et bien imposer une pénalité ! se livrer à une beuverie et de boire autant d’alcool que pos-
La consommation d’alcool se mesure en « verres » (un sible, aussi vite qu’il le peut.
verre à liqueur d’alcool fort ou une pinte de bière). Repor-
tez-vous à la table des Effets de l’alcool pour découvrir les Les personnages alcooliques et en manque doivent réussir
effets associés aux diverses doses et leur durée. un test de POU pour s’abstenir de boire n’importe quelle
forme d’alcool à portée de main, y compris les plus dange-
Effets : en plus des déficiences physiques mentionnées reuses (comme de l’alcool à briquet, de l’alcool à friction,
dans la table des Effets de l’alcool, un investigateur qui voire du parfum).
consomme une quantité d’alcool modérée ou élevée s’im-
munise aux pertes de Santé Mentale (dans une certaine Trois jours passés sans boire éliminent cet effet, mais une
mesure, comme indiqué sur la table). fois devenu alcoolique, la moindre ébriété réactive l’accou-
tumance. En outre, si le personnage est resté dépendant
Accoutumance : consommer une quantité élevée d’alcool pendant plus de trois mois, il y a 35% de chances que le
plus de 1D6 fois dans la semaine provoque l’accoutumance sevrage s’accompagne de symptôme comme le delirium
en cas d’échec à un test de CON. Une fois dépendant, le tremens, qui l’immobilise pendant 1D6 jours ; un test de
personnage doit consommer au moins une boisson alcoo- CON réussi est alors nécessaire pour éviter une hospitali-
lisée par heure lorsqu’il est éveillé. En cas d’échec, il subit sation prolongée (un échec critique peut alors entraîner la
un dé malus à toutes les compétences (ou la difficulté des mort si le Gardien le souhaite).
EFFETS DE L’ALCOOL
Quantité Exemple Durée Déficience physique Effets sur la
consommée Santé Mentale
Légère 1-4 verres 1 heure Aucune Aucun
Modérée 5-8 verres 3 heures Faites un test de CON : en cas d’échec, la difficulté Temporairement immunisé
de tous les tests de compétence et de caractéristique aux pertes de Santé Mentale
augmente d’un cran pendant 3 heures. n’excédant pas 2 points*.
Élevée 9-14 verres 4 heures Faites un test de CON : en cas d’échec, la difficulté Temporairement immunisé
de tous les tests de compétence et de caractéristique aux pertes de Santé Mentale
augmente d’un cran pendant 4 heures. n’excédant pas 4 points*.
Excessive 15 verres 6 heures Faites un test de CON : en cas d’échec, la difficulté de Temporairement immunisé
et plus et plus tous les tests de compétence et de caractéristique aug- aux pertes de Santé Mentale
mente d’un cran pendant 6 heures. En outre, tous les n’excédant pas 6 points*.
tests effectués sur cette période reçoivent un dé malus.
* Si la perte de Santé Mentale est inférieure ou égale à la quantité annulée par l’alcool, aucune perte ne se produit. Si
elle est supérieure, le Gardien la note en secret. Une fois la durée arrivée à son terme, l’investigateur effectue un test de
Chance : en cas d’échec, il se rappelle l’événement ayant provoqué le choc et subit immédiatement la perte dans sa totalité.
En cas de réussite, il ne s’en souvient que vaguement, et la perte est divisée par deux.
Exemple : Paul a bu une quantité élevée d’alcool et croise une qu’il se rappelle clairement l’expérience, et subit immédiatement
créature dont la vue cause une perte de 6 points de Santé Mentale. la perte supplémentaire de 4 points (ceux que l’alcool lui avait
L’ébriété de Paul annule 4 de ces points et il n’en perd donc que 2. permis d’ignorer sur le coup).
Une fois dessaoulé, Paul rate son test de Chance, ce qui signifie
« Mon père m’avait dit de me méfier des hommes et Accoutumance : l’investigateur devient dépendant après
de l’alcool, mais il n’avait jamais parlé des femmes et 1D4 prises, ce qui le force à prendre une dose par jour.
de la cocaïne. » S’il passe 24 heures sans prendre de dose, tous ses tests
de compétence et de caractéristique subissent un dé
— Tallulah Bankhead malus. Pour se désintoxiquer, l’investigateur doit s’abs-
tenir de prendre de la cocaïne pendant 1D4+3 semaines,
En dehors du sexe, les drogues et autres substances psy- ce qui nécessite de sa part un test majeur de POU chaque
chotropes sont les vices préférés des Berlinois. La cocaïne semaine s’il est toujours capable (au moins en théorie) de
est omniprésente, mais beaucoup apprécient également les s’en procurer.
opiacés (héroïne, morphine et opium) ainsi que le cannabis.
L’alcool demeure le poison de prédilection dans un pays où Mythe de Cthulhu : ne s’applique pas.
la Prohibition n’existe pas.
Durée : 1D3x10 minutes par dose. Effets secondaires : nausée, constipation et immobilité
pendant 1D3 heures. L’investigateur doit effectuer un test
Effet : un dé bonus aux tests de Baratin, Écouter et de Chance (qui peut être remplacé par un test de Méde-
Trouver Objet Caché, ainsi qu’aux tests de CON cine effectué par celui qui lui administre la drogue) chaque
pour lutter contre l’épuisement. L’investigateur ignore fois qu’il s’injecte de l’héroïne. En cas d’échec, il perd 2D6
les conditions requises pour effectuer un test de CON points de vie. Un échec critique inflige, en plus de ces
afin de rester conscient après une blessure grave. Il est dégâts, la perte permanente de 1D3-1 fois 5 points de CON
immunisé contre les coups assommants (cf. Manuel du et de POU.
Gardien, page 128) et ne perd connaissance qu’une fois
réduit à 0 PV. Accoutumance : l’investigateur devient dépendant après
1D3 prises, ce qui le force à prendre une dose par jour. S’il
Effets secondaires : un dé malus à tous les tests de passe 24 heures sans prendre de dose, il devient particuliè-
compétence nécessitant une concentration mentale. rement agité et tous ses tests de compétence (à l’exception
L’investigateur perd 0/1D3 points de Santé Mentale par de Mythe de Cthulhu) subissent deux dés malus. S’il par-
dose supplémentaire après la première s’il les enchaîne vient à se priver d’héroïne pendant 1D3+3 semaines, ce qui
à moins d’une heure d’intervalle (il est possible de som- nécessite un test extrême de POU chaque semaine, les dés
brer dans une démence persistante à cause de la prise malus sont retirés.
de drogue). Il effectue un test de Chance pour chaque
dose après la première : un échec inflige la perte de 1D4 Mythe de Cthulhu : un test réussi de Mythe de Cthulhu
points de vie. Pendant la période où il « redescend », il indique que l’investigateur reçoit des visions d’un autre
subit un dé malus à tous les tests de CON et de POU monde, lesquelles lui font perdre 1/1D8 points de Santé
(ainsi qu’à certains tests de compétence à la discrétion Mentale chaque fois qu’il prend de l’héroïne. Les visions
du Gardien) pendant 1D6 heures (plus une heure pour en question peuvent se révéler bénéfiques dans le cadre du
chaque dose supplémentaire). scénario en cours si le Gardien le souhaite.
Effet : un dé bonus à tous les tests de Santé Mentale. Les Effet : un dé bonus à tous les tests de Santé Mentale. Les
effets de folie que l’investigateur devrait subir sont annu- effets de folie que l’investigateur devrait subir sont annu-
lés tant que la drogue fait effet. En outre, l’investigateur lés tant que la drogue fait effet. En outre, l’investigateur
ignore tous les tests de CON liés à la douleur (dans le cas ignore tous les tests de CON liés à la douleur (dans le cas
d’une blessure grave, par exemple). d’une blessure grave, par exemple).
Effets secondaires : nausée, constipation et immobilité pen- Effets secondaires : nausée, constipation et immobilité
dant 1D3 heures. L’investigateur doit effectuer un test de pendant 1D2 heures. Chaque fois qu’il fume de l’opium,
Chance (qui peut être remplacé par un test de Médecine l’investigateur doit effectuer un test de Chance. En cas
effectué par celui qui lui administre la drogue) chaque fois d’échec, il perd 1D2 points de vie.
qu’il s’injecte de l’héroïne. En cas d’échec, il perd 1D6 points
de vie. Un échec critique inflige, en plus de ces dégâts, la Accoutumance : l’investigateur devient dépendant après
perte permanente de 1D3-1 fois 5 points de CON. 1D6 prises, ce qui le force à prendre une dose par jour. S’il
passe 24 heures sans prendre de dose, il devient particuliè-
Accoutumance : l’investigateur devient dépendant après 1D6 rement agité et tous ses tests de compétence (à l’exception
prises, ce qui le force à prendre une dose par jour. S’il passe 24 de Mythe de Cthulhu) se font à un cran de difficulté supé-
heures sans prendre de dose, il devient particulièrement agité rieur (un test ordinaire devient majeur, etc.) ou subissent un
et tous ses tests de compétence (à l’exception de Mythe de dé malus. S’il parvient à se priver d’opium pendant 1D3+3
Cthulhu) subissent un dé malus. S’il parvient à se priver de semaines, ce qui nécessite un test majeur de POU chaque
morphine pendant 1D3+3 semaines, ce qui nécessite un test semaine, le modificateur/le malus est retiré.
extrême de POU chaque semaine, les dés malus sont retirés.
Mythe de Cthulhu : un test réussi de Mythe de Cthulhu
Mythe de Cthulhu : un test réussi de Mythe de Cthulhu indique que l’investigateur reçoit des visions d’un autre
indique que l’investigateur reçoit des visions d’un autre monde, lesquelles lui font perdre 0/1D3 points de Santé
monde, lesquelles lui font perdre 1/1D6 points de Santé Mentale chaque fois qu’il prend de l’héroïne. Les visions
Mentale chaque fois qu’il prend de l’héroïne. Les visions en question peuvent se révéler bénéfiques dans le cadre du
en question peuvent se révéler bénéfiques dans le cadre du scénario en cours si le Gardien le souhaite.
scénario en cours si le Gardien le souhaite.
CANNABIS
2
« Cette époque ne serait pas difficile à reconnaître, car l’humanité d’alors se serait rapprochée
des Grands Anciens : les hommes libres et sauvages, affranchis du bien et du mal, rejetant
lois et morale, hurleraient et massacreraient dans l’euphorie. Alors les Grands Anciens libérés
leur enseigneraient de nouveaux moyens de hurler et de massacrer dans l’euphorie, et toute la
terre s’embraserait dans un holocauste d’extase et de liberté. »
L
e but de ce chapitre ne consiste pas à fournir un cata- Musée de la Marche de Brandebourg (Märkisches Museum) :
logue exhaustif des sites de la ville, mais plutôt à mettre l’accent situé sur la Märkischerplatz de l’Alt-Berlin, au sud de l’endroit où
sur les lieux les plus remarquables, sélectionnés comme échan- la Spree se sépare autour de l’île aux Musées, se trouve le musée
tillon représentatif de ce que Berlin peut offrir aux investigateurs. de la Marche. Méli-mélo d’architecture romane, gothique et de la
Vous y trouverez plusieurs tables (En ville, page 56) permettant Renaissance, le musée fut fondé en 1874 et abrite des reliques liées à
au Gardien d’étoffer les zones inexplorées de la ville au cas où ils l’histoire de la Marche de Brandebourg ainsi qu’à celle de Berlin, de
s’éloigneraient des avenues les plus fréquentées. D’autres endroits et la préhistoire jusqu’à la période moderne.
quartiers figurent dans les scénarios de ce livre.
Musée national du costume et des industries domestiques :
proche du musée de la Marche, ce bâtiment est rempli de manne-
quins taille réelle portant des tenues historiques et ethniques de
Bibliothèques et musées de Berlin toutes les classes et toutes les régions d’Allemagne.
Musée de l’art industriel : sur une note quelque peu ésotérique, la
Berlin dispose de nombreuses collections érudites. Vous trouverez bibliothèque du musée de l’art industriel (dirigé par le Dr Jessen)
ici une sélection de bibliothèques et musées à découvrir en ville. est adjacente au musée ethnologique et ouvre au public de 9h à
Musée ethnologique : situé près de la garde de Potsdam sur la 21h. Elle abrite la « bibliothèque des costumes » (30 000 plaques et
Königgrätzer Straße, cet énorme complexe aux couloirs exigus 12 000 volumes) de la collection du baron Lipperheide, ainsi que
rassemble des reliques et objets du monde entier, à une échelle 135 000 autres plaques graphiques et gravures. Le musée accueille
qui lui permet de rivaliser avec le célèbre British Museum de fréquemment des conférences.
Londres. La cour vitrée et son vestibule en plein air abritent Musée d’histoire naturelle : situé sur Invaliden Straße, en face de
déjà une immense sculpture japonaise du Bouddha, une pirogue la Charité, le musée d’histoire naturelle comprend en réalité trois
polynésienne, une énorme (10 m de haut) reproduction en
établissements : le musée géologique et paléontologique, le musée
plâtre de l’entrée du stūpa de Sanchi en Inde, un char de l’Inde
des minéraux et pétroglyphes, et les instituts zoologiques. Chacun
du Sud, un moulage d’un portail pré-Inca du monolithique
Page opposée : Un cabaret de Berlin
45
une vaste salle de lecture sous dôme capable d’accueillir jusqu’à 400
lecteurs sous son plafond de 38 m, ainsi que la bibliothèque uni-
versitaire (réservée aux étudiants et contenant 678 000 volumes. La Littérature perdue
principale collection de la Bibliothèque d’État date de la dotation
du Grand Électeur en 1661. Elle s’agrandit sous Frédéric le Grand La Bibliothèque prussienne d’État se distingue par un autre
et contient désormais quelque 1 777 000 volumes et 64 000 manus- aspect : bombardée et détruite entre 1941 et 1945, sa
crits, ainsi que 250 000 œuvres musicales. collection fut dispersée dans toute l’Allemagne. Nombre
d’ouvrages finirent entre les mains de « collectionneurs »
On y trouve des manuscrits enluminés remontant jusqu’au cin-
polonais, russes, américains et britanniques, et l’on estime
quième siècle de l’Ère commune, et même quelques manuscrits de
que 700 000 volumes furent détruits ou perdus à jamais.
la fin de l’Empire romain reliés en ivoire sculpté. La bibliothèque
abrite en outre les 95 thèses d’origine de Martin Luther, le brouillon En d’autres termes, bien que cette catastrophe se déroule
manuscrit de « Deutschland Deutschland Über Alles », la bible à hors du cadre de cet ouvrage, l’endroit se révèle tout indi-
42 lignes de Gutenberg, le seul exemplaire existant de la traduction qué pour y faire apparaître des « grimoires emplis du savoir
du Necronomicon effectuée par Wormius et imprimée au 15e siècle, de jadis » qui ne survivront pas à la Seconde Guerre mon-
les rares Cronicke von Nath du 17e siècle (rédigées et publiées à diale ou pourront disparaître d’une façon ou d’une autre.
Berlin par l’alchimiste Rudolf Yergler), le trait du 19e siècle consa-
cré par Vogel aux sectes allemandes et européennes (Von denen
Verdammten) et la première bible imprimée en allemand (aux envi-
rons de 1465). des œuvres de littérature et des brochures des révolutions de 1848,
De 9h à 21h, la salle de lecture reste ouverte au public, mais il faut des livres de proverbes et des ouvrages de la révolution de 1918. La
demander les livres aux bibliothécaires, qui vont les chercher dans bibliothèque ouvre au public de 9h à 21h, dispose de sa propre salle
des dépôts fermés et les remettent dans un kioske situé au pied de lecture et prête les ouvrages à ses membres.
du grandiose escalier qui mène à l’étage. Il s’agit avant tout d’une Musée du château : côté sud de la Kaiser-Wilhelm-Straße, reliant
bibliothèque de recherche, et on demande donc des références aca- l’extrémité est du Linden à son homologue de la porte de Brande-
démiques (ou sinon, la réussite d’un test de compétence sociale ou bourg, se trouve le Stadtschloß (le « château de la ville »). Ancien
de Crédit) pour autoriser l’accès aux ouvrages pointus. Plus le livre palais royal (et auparavant, château érigé en 1451), cette résidence
est précieux et rare, plus il sera difficile de l’obtenir, même si les d’hiver des rois de Prusse, puis des empereurs allemands, est deve-
investigateurs ne veulent qu’y jeter un coup d’œil. nue un musée. Le musée du château abrite essentiellement des
Note : la Bibliothèque prussienne d’État figure dans le scénario tableaux, des sculptures et des œuvres d’« art industriel » des 18e et
Schreckfilm, page 219. 19e siècles, mais également des tapisseries et des pièces de ferron-
nerie de la Renaissance et du Moyen-Âge.
Monument national de Guillaume Ier : situé côté ouest du musée
L’île aux Musées du château et érigé en 1897, ce monument est dédié au premier
empereur allemand, Guillaume Ier (1797-1888). Ce monolithe néo-
Le cours sinueux de la Spree autour du centre de Berlin se sépare
baroque est la plus grande œuvre d’art sculptural du pays, mesu-
pour former une vaste île où se trouvait autrefois la ville de Cölln.
rant près de 21 m de haut. Il est dominé par la statue équestre de 9
En face de l’île, sur la rive nord, on trouve le Vieux Berlin, tan-
m de l’empereur, flanquée de quatre déesses de la Victoire. Sur les
dis qu’au sud, l’Unter den Linden s’étend vers la porte de Brande-
marches de granit rouge menant au piédestal se dressent des statues
bourg. Le tiers nord de l’île, démarqué par le trajet est-ouest de la
monumentales personnifiant la Guerre et la Paix. À chaque coin se
Kaiser-Wilhelm-Straße au sud et la rivière sur tous les autres côtés,
dresse un lion, ce qui a conduit les Berlinois, dont c’est l’habitude,
est désigné sous le nom d’île aux Musées.
à surnommer avec facétie ce monument « l’empereur dans la fosse
En effet, c’est ici que sont rassemblés nombre des sites culturels aux lions ». En raison de sa position centrale, de sa taille et de son
majeurs de la ville : la cathédrale de Berlin, le château de Berlin agencement (il borde le Lustgarten et l’Unter den Linden, page 24),
et son immense monument en l’honneur de Guillaume Ier, le il accueille fréquemment des événements civiques, des rassemble-
Lustgarten et la zone qui donne son nom à l’île, un groupe de gran- ments politiques et des rendez-vous clandestins.
dioses musées et de galeries d’art.
Altes Museum (le « vieux musée ») : en se dirigeant au nord de l’île,
Bibliothèque municipale : il s’agit là de l’autre grande bibliothek on tombe sur le premier véritable musée. L’Altes Museum, achevé
de la ville, dirigée par le Dr A. Buchholtz. Situé aux étages supé- en 1830, est le deuxième plus ancien musée d’Allemagne. Énorme
rieurs des anciennes écuries royales de l’île aux Musées, le bâtiment et splendide échantillon d’architecture néoclassique, il ressemble
contient 225 000 volumes, parmi lesquels une collection de 40 000 à un temple grec géant. Après avoir passé les colonnes ioniques,
volumes d’œuvres politiques allemandes et d’ouvrages consacrés les visiteurs découvrent à l’intérieur une collection essentielle-
à l’histoire de Berlin. Parmi les autres spécialités de la collection : ment vouée à l’art gréco-romain : des sculptures, des poteries, de la
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ferronnerie et des pièces de verre couvrant une période qui va de de l’Asie orientale sont en construction. Au-delà, une ligne de
la Grèce archaïque à la fin de l’Empire romain. Le vestibule d’entrée Stadtbahn traverse l’île.
constitue l’exception : on y expose des statues d’artistes et collec-
Musée de l’empereur Frédéric : situé à l’extrémité nord de l’île
tionneurs allemands réputés. Aux murs, les fresques représentant
aux Musées, le musée de l’empereur Frédéric fut achevé en 1903.
l’émergence de l’humanité à partir du chaos originel se dégradent à
Sa collection met l’accent sur les sculptures et tableaux du Moyen-
une vitesse alarmante.
âge et de la Renaissance. Le rez-de-chaussée contient des sculptures
Neues Museum (le « nouveau musée ») : en traversant la anciennes d’origine chrétienne, byzantine et gothique, ainsi que
Kaiser-Wilhelm-Straße, le voyageur arrive au Neues Museum. des œuvres d’art issues d’Afrique du Nord et de Perse (et que l’on
Malgré son nom, le début de sa construction ne date que d’une doit aux chrétiens coptes et aux musulmans ; on y trouve plusieurs
décennie après l’ouverture du vieux musée, mais les difficultés dues sarcophages chrétiens très anciens). On y expose aussi des mou-
à un sol trop tendre et à la révolution de mars 1848 retardèrent son lages de sculptures italiennes et allemandes, des retables italiens
ouverture au public jusqu’en 1855. Dès l’origine, le nouveau musée et d’anciennes monnaies. D’autres pièces (350 000, précisément)
a plus ou moins récupéré les œuvres que le vieux musée ne pouvait attendent le visiteur au « cabinet des pièces » du sous-sol du musée.
plus accueillir, un lien que souligne la passerelle piétonne reliant les L’étage contient quant à lui des tableaux de maîtres italiens, hollan-
deux bâtiments et enjambant la Kaiser-Wilhelm-Straße. dais et allemands : van Eyck, van der Weyden, Holbein, Cranach
l’Ancien, Rubens, Giotto, Fran Angelico, Titien, le Caravage (en
Le nouveau musée est surtout connu pour sa vaste collection de abondance), Dürer, Altdorfer, des maîtres allemands du 14e siècle,
reliques d’ancienne Égypte, et en particulier pour le buste peint Donatello, Verrocchio, Botticelli, Raphaël, Michel-Ange… Les
emblématique de Nefertiti, une œuvre de calcaire qui ne fut expo- salles se succèdent et abritent également nombre de tableaux des
sée qu’à partir de 1924. La pièce maîtresse du rez-de-chaussée est 17e et 18e siècles.
une cour entourée de colonnades conçue pour évoquer un temple
égyptien. La collection compte un obélisque du règne de Ramsès II,
une maquette d’une tombe royale datant du 28e siècle avant notre
ère, une momie du 21e siècle avant notre ère (le spécimen le plus
ancien et le mieux préservé au monde), une momie « déroulée »
Autres sites intéressants
de la période du Nouvel Empire, des momies prédynastiques (cou-
Haus Vaterland
sues dans des sacs de cuir) et d’innombrables artefacts, cercueils,
meubles, objets du quotidien et trésors couvrant 3000 ans d’histoire Dominant complètement la Potsdamer Platz, se dresse le temple
égyptienne, d’avant la 1re dynastie jusqu’au crépuscule et à la domi- de style baroque et moderniste des plaisirs de la consommation,
nation romaine. le « grand magasin des restaurants », le Haus Vaterland. Immé-
diatement reconnaissable à sa grande tour à la coupole lumi-
Le premier étage du nouveau musée abrite le « cabinet des gra- neuse, il se dresse comme un phare vaguement phallique dans la
vures » (immense collection composée de 300 000 gravures et nuit berlinoise.
lithographes), des livres enluminés et manuscrits des 11e-16e siècles
et une vaste collection de croquis d’artistes datant d’avant 1800, Après avoir acquitté le prix d’entrée d’un mark, les visiteurs passent
accompagnée de photos et de reproductions de tableaux célèbres. les portes (sous une enseigne lumineuse clamant : « Toutes les
On y trouve des œuvres de Dürer, Rembrandt, Botticelli et divers nations sous un même toit ! ») et peuvent vagabonder parmi les
maîtres italiens et hollandais. On peut consulter les gravures en pre- cinq étages de cet immense palais des plaisirs, où s’offre à eux un
nant rendez-vous du mardi au samedi, entre 10h et 15h. choix de 12 restaurants ainsi que le spectacle de variétés de la Salle
de Bal du Palmier (dont l’entrée coûte 3 marks supplémentaires).
La colonnade est abrite les plus importantes statues attendant d’être
installées au musée de Pergame lorsqu’il sera achevé. Les restaurants du Vaterland offrent un véritable tour du monde
culinaire, depuis le Biergarten bavarois de Löwenbräu (avec ses ser-
La Galerie Nationale : située à l’est du nouveau musée, la galerie veuses girondes aux joues roses et ses chanteurs tyroliens) au café
nationale consiste en un édifice de colonnes doriques en grès rouge. viennois de Grinzing, à la version kitsch de culture américaine du
Une énorme statue équestre de Frédéric-Guillaume IV se dresse au Wild-West-Bar (où les serveurs portent des chapeaux immenses et
sommet du grandiose escalier d’entrée, et une frise d’Otto Geyer portent leurs carnets de commandes dans des étuis à pistolets tout
représentant l’histoire allemande accompagne le visiteur dans l’es- en servant des cocktails au son de la musique jazz qu’égrène le bat-
calier intérieur. Les tableaux contenus dans les trois étages de la teur germano-somalien Willi MacAllan).
galerie en forme de temple couvrent la totalité des traditions artis-
Parmi les autres styles de cuisine disponibles dans les divers restau-
tiques allemandes du 19e siècle, du romantisme à l’idéalisme, au
rants à thème, on trouve des plats turcs (dans un café populaire),
naturalisme et à la Sécession berlinoise.
espagnols (dans un cellier), japonais (dans une maison de thé),
Au nord de la Galerie Nationale se trouve un vaste chantier où les nord-allemands (dans le port de Brême), italiens (dans un bistro
bâtiments qui abriteront le Grand autel de Pergame et le musée milanais), hongrois (dans un village de paysans) et prussiens (dans
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une brasserie berlinoise à l’ancienne). Si l’offre n’est peut-être pas Le Haus Vaterland est en réalité le deuxième palais des plaisirs à occu-
réellement « mondiale » comme le prétendent les publicités, elle per ce site : ouvert à l’origine en 1912 sous le nom de Haus Potsdam
reste impressionnante. (qu’il conserva jusqu’en 1927), le site était alors dévolu à un mélange
de bureaux et de petits commerces. Les étages inférieurs compre-
À la Terrasse viticole de Rhénanie, un fleuve artificiel coule tout
naient un vaste cinéma de 1200 places (le Lichtspieltheater im Pic-
autour de la salle devant une fresque murale représentant les pit-
cadillyhaus) et l’immense Café Piccadilly, qui pouvait accueillir 2500
toresques ruines des châteaux de la vallée du Rhin. Une fois par
convives. Quand le site ouvre de nouveau ses portes sous le nom de
heure, « l’orage sur le Rhin » interrompt brièvement le dîner : des
Haus Vaterland en 1928, la salle de cinéma, rebaptisée Kammerlichts-
nuages de plomb obscurcissent la salle, des éclairs et des coups de
piele im Haus Vaterland, s’agrandit pour recevoir 1415 spectateurs.
tonnerre offrent un spectacle grisant et la pluie se met à tomber
à l’intérieur. Mais bientôt, perce un soleil artificiel, fourni par des Dans ses deux incarnations, le Haus est un site de prospection
lumières électriques, créant un effet d’arc-en-ciel sur le « fleuve » populaire pour les prostituées. Les Demi-soies y rôdent le soir dans
sous les applaudissements des clients ravis. l’espoir d’ajouter une forme inédite de dessert à l’expérience de cer-
tains dîneurs.
Le Haus Vaterland ouvre ses portes jusqu’à 3 heures du matin et
peut recevoir jusqu’à 6000 convives à la fois, en plus des clients qui L’auteur et voyageur britannique Sydney Clark écrit au sujet du
sont venus assister à l’un des 50 spectacles de cabaret du Palmier Haus Vaterland, en 1934 : « Je ne connais pas meilleur moyen de
parmi les feuilles argentées et paradisiaques qui lui donnent son parachever une nuit à Berlin […] qu’une heure – ou deux, voire
nom, et voir les célèbres girls du Vaterland et le Jazzmeister Bill Bar- trois – passées dans le Haus Vaterland. Pas vraiment snob, mais pas
tholomew avec son orchestre. modeste non plus, c’est l’essence même de ce qui fait Berlin. »
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Romanisches Haus
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Les hôtes du Ciel pénètrent dans une salle où règne une lumière Romanischen Hauses, à l’opposé du Romanisches Café par rapport
bleue diffuse, et on les installe à des tables éclairées par des cierges à la place) et le Marmorhaus (« la maison de marbre », tirant son
parmi des statues d’anges. À chaque place, des bols d’« eau bénite » nom d’une façade de marbre de cinq étages). On trouve également
et des menus enluminés, rédigés sur des rouleaux de parchemin. sur place des théâtres secondaires accueillant des spectacles en
Les murs sont ornés de vieux sermons et passages de la bible impri- public, ainsi que toutes sortes de petits cafés, bars et restaurants, le
més. Des palmiers en pot isolent les tables pour plus d’intimité. Des tout s’associant pour transformer, la nuit, le Romanisches Forum
serveurs séraphiques circulent entre elles, le visage poudré de blanc, en une stupéfiante combinaison de lumières clignotantes, de trafic
avec des halos en fil de fer et des ailes de gaze. Le son d’un orgue tonitruant et de bacchanales. On pourrait presque comparer l’en-
d’église se mêle au vacarme des conversations et aux tintements droit au quartier de Broadway à New York.
des couverts.
Pour entrer dans l’Enfer, on traverse une salle dont les lampes
rouges, à la lueur phosphorescente, confèrent des allures de L’Institut de sexologie
chambre chtonienne aux murs de plâtre. Comme de bien entendu, Situé dans un coin arboré du Tiergarten (au 3 Beethovenstraße), le
les serveurs y sont vêtus en diablotins et se comportent comme tels. complexe biscornu de l’Institut für Sexualwissenschaft (l’Institut de
« Cette bockwurst vous bouchera les tripes pendant 20 ans ! » ricane sexologie) s’étend sur deux anciennes propriétés et comprend trois
l’un d’entre eux en vous servant. bâtiments en tout. Parmi les 65 pièces de l’institut, on trouve des
Les revues du Ciel et l’Enfer sont toujours complexes et paillardes. salles de conférence, des cliniques de consultations externes, des
Généralement élaborées autour d’un thème salace par la choré- laboratoires, des salles de rayons X, des bureaux, des quartiers de
graphe française Madeleine Nervi, elles portent des noms comme logement et domestiques, et bien sûr le musée de sexologie.
« La Française nue : son reflet dans l’art », « Le corps splendide Ouvert en 1919, l’institut procède de la vision d’un homme : le
dévoilé » et « 25 scènes de la vie du Marquis de Sade ». Jusqu’à 50 Dr Magnus Hirschfeld (cf. page 78), à qui l’on doit cette fondation à
danseuses, dont certaines, voire la plupart, évoluent complètement but non lucratif, un des premiers centres de ce genre au monde. Là,
nues, peuvent occuper la scène en même temps, et rares sont les Hirschfeld et son équipe traitent les maladies sexuellement trans-
clients qui sortent du Ciel et l’Enfer en regrettant de ne pas en avoir missibles, offre une éducation consacrée aux moyens de contracep-
eu pour leur argent. tion et de prévention, mène des recherches sur la sexualité humaine,
Contrastant avec l’intelligentsia du Romanisches Café et les plaisirs offre des conseils maritaux et des soins pédiatriques, effectue des
hédonistes proposés par Le Ciel et l’Enfer, l’église du Souvenir de avortements clandestins, et se livre à des opérations chirurgicales
l’empereur Guillaume domine le parc. Le chantier initié par l’empe- destinées à soigner l’impuissance et la frigidité, mais aussi à des opé-
reur Guillaume II en 1891 s’acheva en 1895, dédié au premier empe- rations de « correction sexuelle ». Il milite pour l’émancipation des
reur, Guillaume Ier. Avec sa flèche de 113 m de style néo-roman, femmes et le droit à l’avortement (interdit dans tous les cas jusqu’en
c’est un point de référence dans la ville. Accueillant jusqu’à 2000 1926, ou une loi l’autorise en cas de danger pour la mère), ainsi que
paroissiens, elle fait partie de la Fédération des Églises évangéliques pour la reconnaissance des droits des gays et des transgenres.
allemandes, regroupant 22 églises protestantes du pays. Le fait
Il s’agit du premier institut de ce genre au monde, et les études
qu’un site aussi sacré soit bordé de cinémas et de cabarets égrillards
menées dans ses murs représentent le premier effort destiné à
constitue une source de consternation constante pour les agitateurs
comprendre la sexualité humaine d’un point de vue rationnel et
de droite : dans son allocution à la radio en 1928, Joseph Goebbels
scientifique. La discipline étant encore jeune, le Dr Hirschfeld et ses
condamne cette situation scandaleuse.
assistants conservent une ouverture d’esprit extraordinaire quant à
Dès que l’on entre dans l’église, on découvre une mosaïque de sol ce qu’ils considèrent comme « rationnel ». Ils ne tiennent pas seu-
représentant la lutte de l’archange Michael contre un dragon. Du lement compte de l’anatomie et de la biologie, mais également de la
reste, les mosaïques sont omniprésentes ici, couvrant près de 2800 médecine populaire et culturelle, de la psychologie, de la religion,
mètres carrés de surface. Ces images, comme les statues et les des arts, de la criminologie, de la phrénologie et de l’hypnose. Les
vitraux, figurent des sujets séculaires et spirituels : les représenta- problématiques eugéniques sont envisagées et analysées. La bio-
tions des empereurs et électeurs, ainsi que des princes et princesses chimie et l’endocrinologie figurent parmi les études disciplinaires.
Hohenzollern, y voisinent avec des personnages bibliques plus Hirschfeld fait de gros efforts pour engager des employés considé-
familiers, comme Jean le baptiste, Saint-Pierre et Saint Paul, Moïse rés comme des « transitionnels » afin qu’ils s’occupent de la prépa-
et les prophètes, des archanges et les pères de l’Église. De grandes ration des repas, de l’organisation des archives et des dossiers, ainsi
rosaces vitrées ouvrent les murs nord, ouest et sud. que d’autres tâches ordinaires.
Avec l’ouverture de l’Ufa-Palast am Zoo en 1919, le Forum devient L’institut effectue plus de 1800 consultations (les patients les plus
également un centre essentiel de divertissement cinématogra- pauvres étant traités gratuitement) et accueille les visites de plus
phique. On n’y trouve pas moins de quatre cinémas répartis autour de 1100 docteurs chaque année. Hirschfeld s’intéresse en perma-
du square : l’Ufa-Palast am Zoo, le Capitol (ouvert en 1925), le nence au travestissement et à la dysphorie de genre, et nombre des
Gloria-Palast (ouvert en 1925, aux deuxième et troisième étages des consultations de l’institut concernent ceux qu’il désigne comme
50
« de sexualité intermédiaire », ceci en dépit de l’opposition forcenée Karl prend son travail très au sérieux : seuls les individus de bonne
des organisations nationalistes et catholiques conservatrices, et ce réputation passent sans mal l’examen approfondi auquel il les sou-
bien que le docteur traite même plusieurs travestis nazis. met de ses yeux plissés. Des investigateurs dotés d’une valeur de
Crédit d’au moins 65% peuvent se faire appuyer par un client habi-
Les patients doivent remplir un rigoureux « questionnaire psycho-
tué afin d’obtenir l’autorisation d’entrer.
biologique » comprenant des questions incroyablement variées,
comme « pendant l’acte sexuel, avez-vous imaginé vous trouver avec Le Bas Bleu est l’exemple même du tripot berlinois standard, et peut
un ou une autre partenaire ? » (question n°104), « un ou une de vos servir aussi bien tel quel que comme modèle à un Gardien souhai-
frères et sœurs manifeste-t-il ou elle des aspects du sexe opposé ? » tant développer son propre établissement.
(question n°17), « êtes-vous gaucher ou gauchère ? » (question
Sur un signal de Karl, un petit déclic, les lourdes portes s’ouvrent.
n°61), ou encore « savez-vous siffler ? » (question n°44). Au bout du
Un court escalier mène les clients à une salle minimaliste faible-
compte, 18 000 Berlinois répondront à ce questionnaire.
ment éclairée dans des tons bleus froids. Les visiteurs peuvent
Le musée de sexologie attire 20 000 visiteurs chaque année, s’asseoir à l’une des 15 tables de l’établissement ou s’accouder au bar
autochtones ou touristes étrangers venus contempler la col- et bavarder avec le « Gonflé », un vieil amateur de ragots que tout
lection unique au monde d’objets érotiques et sexuels issus de le monde appelle simplement « oncle Hans ». L’endroit demeure
tous les pans de l’histoire. Parmi les visiteurs célèbres, on peut généralement calme jusqu’aux environs d’une heure du matin, où le
citer George Gershwin, Douglas Fairbanks, André Gide, Sergei Bas Bleu s’anime et gagne sa réputation nocturne de « carrefour des
Eisenstein et Anita Loos. débauchés de Berlin ». La clientèle peut comprendre des prostituées,
des Graviers à qui il manque un bras ou une jambe (cf. page 54)
Le musée abrite d’anciens sex toys, des manuels sexuels en sanscrit,
avec des vétérans estropiés pour cavaliers, des boxeurs finis, des
ce que l’on suppose être des ceintures de chasteté, des vibromas-
accros à la Kokain, des trafiquants divers et variés, des pickpockets,
seurs à vapeur, des appareils de torture issus d’un bordel sadomaso-
de riches voleurs de bijoux et autres perceurs de coffres, ainsi que
chiste local, et même toute une collection de sous-vêtements fémi-
des maquereaux en costume tape à l’œil. Bref, il s’agit d’un repaire
nins retrouvés sur le cadavre d’officiers allemands tués au combat
d’infâmes malandrins, même pour Berlin, ce qui n’est pas rien !
pendant la Grande Guerre. Bien plus troublante est la collection de
dessins sadiques et de sculptures primitives retrouvés dans les cel- Le peu de divertissements que l’on y trouve est fourni par un
lules des hommes condamnés pour Lustmord (meurtre à caractère joueur de cithare qui gratte quelques accords dans un coin. La plu-
sexuel) avant leur exécution. part des nuits, un habitué du Bas Bleu (que la rumeur tient pour
un membre déchu du Komische Oper – l’Opéra-Comique – de
La bibliothèque de l’institut, adjacente au musée, contient la plus
Berlin), Franz-la-Chansonnette, clôt les festivités en enchaînant
vaste collection européenne de littérature sexuelle, érotique et por-
de vigoureuses et comiques chansons paillardes, illustrées par ses
nographique. Comme la plupart des services de l’institut, elle est
« danseuses » aux seins nus, deux Beinls du nom d’Ente la Frigide
ouverte au public.
et d’Else Botte d’Amour. Parmi les autres piliers du Bas Bleu, on
L’institut fournit également des logements à un tarif mensuel rai- trouve de pittoresques personnages comme Adolf Goutte-au-nez
sonnable : parmi ceux qui y séjournent à un moment ou à un autre, ou Hedwig la Main Froide, dont les surnoms colorés vous donnent
citons Christopher Isherwood, Anita Berber, l’activiste communiste une idée du genre de patronyme dont écopent les membres des
Willi Münzenberger et les transsexuels postopératoires Dörchen milieux louches à Berlin.
Richter et Lili Elbe.
L’oncle Hans constitue un contact idéal pour des investigateurs issus
des classes populaires. C’est une formidable source d’informations
sur tout ce qui se passe dans les milieux interlopes, et il sera ravi de
Le Bas Bleu partager ce qu’il sait avec des amis et des associés.
Lorsqu’on se rend sur Oranienburg Straße en traversant le quar-
tier pauvre de Scheuenviertel, on voit apparaître l’immense galerie
marchande du Friedrichstraßenpassage qui domine le paysage du
haut de ses cinq étages. En face de la galerie se trouve la modeste
rue baptisée Linienstraße. Lorsqu’on s’y engage, on débouche après
une courte marche sur l’Église évangélique Saint-Jean en briques
rouges. Là, parmi les maisons mitoyennes, se trouve une porte quel-
conque où figure un texte peint presque effacé : « Cave à vins ». À
la porte, assis sur un vieux bloc de bois, attend Karl, qui ressemble
plus à une grosse carcasse de bœuf défraîchie qu’à un homme. C’est
l’entrée du célèbre Bas Bleu à la sulfureuse réputation, un établisse-
ment qui ouvrit en 1923, au plus fort de l’inflation.
51
— Joseph Hergesheimer, Berlin Mais les tribulations de l’Allemagne profitent aux touristes, Berlin
attirant des foules d’étrangers désireux de dépenser leur argent à
La vie nocturne de Berlin tranche par rapport à tout ce que l’on pra- un taux de change scandaleux : quiconque possède quelques livres
tique en Europe ou en Amérique. Les bars ferment officiellement sterling ou dollars en or devient un véritable prince ! L’hyperinfla-
à 3 heures du matin, nombre d’établissements ne connaissant une tion s’achève lorsque l’Allemagne revient à l’étalon-or en 1924, où le
véritable affluence qu’aux petites heures du jour. L’un des attraits mark retrouve sa valeur d’avant-guerre, mais la réputation de Berlin
de Berlin, pendant la période de Weimar, réside dans le caractère comme Mecque du tourisme est alors bien installée.
56
Nourriture et boisson
Ville cosmopolite, refuge des immigrés, Berlin offre une cuisine dif-
férente du reste de l’Allemagne traditionnelle à certains égards. Les
wValeur du mark x
huguenots y ont importé le chou-fleur, l’asperge blanche (Spargel)
et les pois pour compléter l’ancien régime de base berlinois, essen- Équivalent en Équivalent en
Année marks pour 1 livre marks pour
tiellement composé de betteraves et de choux. Le Spargel compte sterling (£) 1 dollar ($)
désormais parmi les mets les plus appréciés. L’influence de Frédéric
le Grand a poussé les Berlinois à développer un véritable amour Avant-guerre 20.4 4.2
pour le concombre et la pomme de terre : ces deux légumes issus du 1920 (Fév.) 340 100.5
Nouveau Monde, très peu coûteux, correspondaient bien à sa sen-
1920 (Avr.) 240 60.5
sibilité prussienne. La pomme de terre devint peu à peu un ingré-
dient essentiel des plats berlinois (et allemands), le concombre une 1920 ( Juin) 160 40.25
fois mis en saumure donnant naissance à ce que l’on allait connaître 1920 (Oct.) 240 70.45
désormais sous le nom de cornichon.
1921 ( Jan.) 215–262 57–74
Les pommes de terre servent dans des recettes berlinoises clas- 1921 ( Juin) 245–280 63–75
siques comme le Senfeier : des œufs durs servis sur une purée de
pommes de terre et recouverts d’une sauce moutarde. L’Eisbein, 1921 (Oct.) 463–712 124–180
autre classique simple, se compose de jarret de porc bouilli ou cuit 1922 ( Jan.) 790–862 186–201
à la valeur, servi avec des pommes de terre et de la choucroute. Le 1922 (Fév..) 873–1,009 204–227
Hoppel Poppel est un plat de déjeuner ou de dîner composé de restes
de viande et de pommes de terre frits avec des œufs et des oignons. 1922 (Mar.) 1,022–1,485 230–338
Et bien sûr, il y a les délicieuses et toutes simples galettes de pomme 1922 ( Juil.) 1,770–2,975 402–670
de terre frites, ou Kartoffelpuffer. 1922 (Août) 2,860–8,850 644–1,975
1922 (Oct.) 7,925–20,350 1,815–4,500
1922 (Déc.) 31,000–39,000 6,750–8,470
1923 ( Jan.) 32,000–225,000 6,890–48,390
1923 ( Juin) 265,000– 900,000 57,000–193,500
4.5 millions –52 900,000– 11.4
1923 (Août)
millions millions
1 milliard–8 250 millions
1923 (Oct.)
milliards –1.7bil
15 milliards –25 3.43 milliards
1923 (Déc.)
milliards –5.72 milliards
1924 ( Jan.) 19 milliards 4.47 milliards
1925 20 4.22
1926 20.3 4.18
1927 20.4 4.2
1928 20.45 4.21
1929 20.4 4.2
1930 20.4 4.2
1931 ( Jan.) 20.4 4.2
1931 (Oct.) 17 4.36
1932 14.25 4.24
57
Cela dit, si les plats au porc abondent, par exemple le Schweinsfilet Les bars ou Dielen (pluriel de Diele) sont les lieux d’interaction
mit Parmesan (« côtelettes de porc au parmesan »), le veau reste sociale par excellence, contrairement au saloon américain tradition-
sans doute la viande préférée des Berlinois, du moins lorsqu’ils nel. Ils ressemblent davantage à des bars d’hôtel, avec un éclairage
dînent au restaurant. Un menu typique de l’époque propose neuf sophistiqué, ainsi qu’un indispensable musicien qui taquine l’ivoire
plats de porc et 26 variétés de veau. Les plats de nouilles sont les d’un piano à queue dans un coin. Les messieurs et les dames viennent
plus populaires juste après le veau. s’installer pour converser aux tables, ou sur les hauts tabourets de
Parmi les accompagnements, la soupe de pois domine les entrées, bar, buvant de la bière ou d’étranges cocktails (l’Ohio est particu-
mais rien ne surpasse le Pfannkuchen, que tout le monde surnomme lièrement prisé) et mangeant du caviar. Un observateur américain
un « Berlinois »… sauf les Berlinois eux-mêmes. Il s’agit d’une sorte écrit au sujet du bar de l’Eden : « les hommes, des Allemands, des
de beignet rempli de confiture ou de marmelade, et couvert de gla- Anglais, ou bien ceux qui venaient d’Amérique du Sud et de France,
çage ou de sucre en poudre. Friandise classique des jours de fête, on se montraient très délicats dans leurs attentions : on y pratiquait
le sert également comme casse-croûte rapide à emporter pour les le baise-main, on s’y fiançait, on y commandait des boissons, tout
habitants toujours pressés de la ville. ceci avec une politesse absolue. Nul ici, apparemment, n’était jamais
ivre… Les filles, gaies comme des oiseaux de paradis dont les tabou-
Berlin représente un véritable rêve pour les restaurateurs. Avec plus rets eussent été les perchoirs, buvaient à petites gorgées… »
de 20 000 établissements, on compte un restaurant pour 280 habi-
tants ! Par comparaison, à l’époque, New York ne dispose que d’un Comme les cabarets, les Dielen n’accueillent généralement qu’une
restaurant pour 433 habitants. Les établissements sont répartis en clientèle triée sur le volet. Certains ne servent que des membres
deux catégories : vin ou bière. Parmi les premiers, les meilleurs se privés, un privilège très particulier. En tout, on trouve 400 Dielen
situent souvent dans des hôtels, comme le Kaiserhof ou Central, officiels à Berlin en 1932. En 1930, 85 d’entre eux ne servent que
mais on trouve aussi des établissements indépendants, comme les membres de la communauté lesbienne de la ville. Rien qu’au
Kempinski & Cie et le Rheingold. Les restaurants « de vin » sont Friedrichstadt, 38 Dielen n’accueillent que les couples homosexuels
toujours des lieux raffinés où l’on peut dîner au son de la musique, masculins, la ville tout entière comptant de 65 à 80 établissements
le soir, une fois les théâtres fermés. Les restaurants à bière peuvent de ce genre. Le Diele est l’un des divertissements sociaux principaux
également se révéler chics, en particulier les ravissants « jardins à des autochtones homosexuels berlinois, nombre d’entre eux servant
bière » (qui disposent souvent d’une splendide vue sur le fleuve) simplement de lieux de drague. D’autres offrent un thème sédui-
qui ouvrent à l’aube et ne ferment que tard la nuit. Les restaurants à sant (le « Lion Club » est décoré comme un saloon du Far West)
bière servent des breuvages de Bavière, de Bohême et du cru. On a
le droit d’y fumer, et l’atmosphère y est bien souvent plus fruste que
dans les restaurants à vin. Quoi qu’il en soit, la plupart accueillent
comme il se doit les femmes qui viennent dîner.
Certains restaurants se spécialisent également dans les liqueurs,
voire dans les vins espagnols et portugais. Toutefois, la boisson à
base de vin préférée de nombre de Berlinois demeure cette curieuse
mixture que l’on baptise Bowle. Particulièrement apprécié l’été, le
Bowle se compose de champagne (ou de Sekt) et de vin blanc du
Rhin en parts égales. À ce mélange, on ajoute des fraises et du zest
de citron mariné dans le sucre ou l’eau-de-vie. En mai, le Maibowle
contient également des brins d’herbes aromatiques fraîches.
Naturellement, Berlin abrite toutes sortes de restaurants proposant
des plats étrangers. Les établissements russes sont particulièrement
courants après la Révolution, autour de Charlottenbourg. Notons
également la présence du Biltmore, un restaurant spécialisé dans la
« grande cuisine américaine ».
Les cafés de Berlin présentent un agencement typiquement euro-
péen, avec terrasses et tables disposées le long du trottoir, avec
ou sans séparation sous forme d’une petite barrière. C’est sur le
Ku’damm qu’on trouve les plus actifs, la majorité se trouvant répar-
tis le long de cette vaste artère, reflet de l’orientation plus cosmo-
polite du côté ouest de la ville. Lieu de rendez-vous des artistes
et des intellectuels, la plupart proposent toutes sortes de cafés, par-
fois allongés de brandy, ainsi que de petits gâteaux et autres amuse-
gueules. Comme le reste de la ville, les cafés restent actifs jusque
tard dans la nuit.
L’El Dorado
58
59
Sur une note finale et plus ordinaire, Berlin est également le berceau
du fast-food d’origine, l’« automatisches restaurant », ou « automat ».
Quand les investigateurs Le premier automat ouvrit en 1897 sur Leipzigerstraße, et ces éta-
blissements demeurent très répandus dans toute la ville. L’intérieur
possèdent un club ressemble à un restaurant de classe moyenne, avec un sol carrelé et
Un Diele ou un Lokal possédé par un investigateur consti- des tables en formica. Dans une cabine vitrée, un préposé échange
tue une excellente base d’opérations, voire le début du QG des billets contre des pièces de monnaie, premier signe distinctif.
d’une vaste organisation d’enquêteurs. L’afflux constant La différence essentielle de l’automat réside dans ses murs ; on y
de clients fournit également un moyen idéal pour propo- trouve des rangées de compartiments vitrés de la taille de boîtes
ser des accroches de scénario et des personnages non- postales, chacun contenant un plat qui vient d’être préparé : soupes,
joueurs intéressants.
sandwiches, plats chauds et desserts. Il suffit d’insérer une ou deux
pièces, de tourner une poignée et de récupérer le plat voulu. En
Le club peut appartenir à un ou plusieurs investigateurs : cuisine, derrière, les cuisiniers remplissent les compartiments afin
encouragez-les à créer leur propre atmosphère, avec un que ceux-ci proposent toujours des plats frais. Les automats attirent
nom intéressant, une description de la clientèle voulue, le les employés et commis de bureau, les cols bleus et les créatifs
type de divertissement proposé, etc. sous-employés. Dépourvus de serveurs et de prétentions culinaires,
ils deviennent des établissements curieusement démocratiques,
Le site et le succès du club dépendent alors de la moyenne où des Berlinois de presque tous les milieux se rassemblent pour
des valeurs de Crédit des propriétaires (un minimum de déguster de bons petits plats peu onéreux.
40% est nécessaire). Un club dont le Crédit se situe entre
40% et 60% est en difficulté. Entre 61% et 75%, l’établisse-
ment prospère, et une valeur plus élevée encore désigne Cultiver son réseau
une affaire en plein essor.
Comme dans toutes les grandes villes, à Berlin, le plus important
Des stratagèmes astucieux (comme présenter un ours n’est pas ce que vous savez, mais qui vous connaissez. Un coup de fil
dressé qui fait semblant de servir au bar, proposer des judicieux ou une carte acheminée par Rohrpost peuvent ouvrir (au
boissons insolites ou des numéros célèbres pendant le sens propre comme au figuré) des portes qui demeuraient fermées
spectacle) peuvent améliorer le Crédit effectif de l’établis- jusque-là aux investigateurs.
sement, mais en réduisant la capacité de dépense de ses Pour plus de détails concernant les règles de jeu associées, consultez
propriétaires. En outre, le site du club correspond à leur la section Contacts du Manuel du Gardien (cf. page102) ainsi que,
fortune : une boîte de nuit sur la Friedrichstraße ou le dans le Manuel de l’Investigateur, les Compétences et contacts (cf.
Ku’damm coûte bien plus cher qu’un tripot sur Oranien- page 224) et les idées de contacts pour chacune des occupations
burger Straße ou à Friedrichshain. recensées aux pages 13 à 15 de ce supplément.
Vous trouverez ici d’autres idées de contacts basées sur le mélange
sociopolitique particulier de Berlin. Considérez-les comme un
sur les Ziegfield Follies d’Amérique et autres spectacles du genre à ajout à ceux proposés dans le Manuel de l’Investigateur ou comme
Paris, les revues de Berlin repoussent encore les frontières jusqu’aux un moyen de donner une saveur toute berlinoise à vos PNJ.
extrêmes, proposant d’innombrables numéros de danseuses aux
seins nus paradant sur la scène de revues aux noms évocateurs : Ce Partis politiques
que le monde n’a jamais vu, Berlin sans chemisier, Strictement inter- Un des meilleurs moyens de développer son réseau au sein de la
dit, D’un lit à l’autre ou Tout le monde à poil ! Elles comptent souvent ville consiste à rejoindre un parti, un club ou une organisation
jusqu’à 50 numéros distincts, des farces érotiques aux chansons politique. Une quarantaine de partis sont représentés au Reichstag,
mélo en passant par les danses façon french cancan à la chorégra- sans compter les mouvements marginaux ou issus de schismes qui
phie impeccable effectuée par des rangées de Tiller-girls nues. n’ont même pas réussi à obtenir un siège, sans parler des syndicats
ouvriers ou politiques et des groupes paramilitaires. Bref : il existe
L’évolution des goûts du public et le krach de 1929 mirent un terme un nombre ahurissant de groupes politiques en activité à Berlin,
à la belle époque des grandes revues, dont le coût augmentait de bien plus qu’il n’en faut pour recouper toutes les tendances poli-
façon exponentielle chaque année, tous les producteurs s’efforçant tiques possibles et imaginables.
de surpasser leurs homologues. À bien des égards, la revue en vient Avant 1930, les partis les plus importants sont le Kommunistische
à symboliser le bref interlude de l’âge d’or de Berlin, entre les crises Partei Deutschlands (parti communiste d’Allemagne) et le Sozial-
économiques de 1924 et 1929, ainsi que l’influence écrasante des demokratische Partei Deutschlands (parti social-démocrate d’Alle-
régimes autoritaires. magne), généralement désignés sous le nom de KPD et SDP, pour
60
la gauche ; le Deutsche Demokratische Partei (parti démocrate alle- entraîner un autre : des investigateurs capables de prouver l’existence
mand) de centre-gauche ; le Deutsche Zentrumpartei (le Centre) d’une menace imminente contre l’idéologie d’un parti peuvent très
social et conservateur ; et finalement le Deutsche Volkspartei (parti bien se retrouver accompagnés d’un groupe de vétérans endurcis
populaire allemand) de centre-droite. Après les élections de sep- lorsqu’ils partiront affronter les forces du Mythe !
tembre 1930, le Nationalsozialistische Deutsche Arbeiterpartei (parti
national-socialiste des travailleurs allemands, ou NSDAP, le parti
Sociétés occultes
nazi) commence à gagner du terrain au Reichstag mais demeure
immensément impopulaire à la capitale elle-même : ce n’est pas Presque aussi prodigues que les organisations politiques, il existe
pour rien que Joseph Goebbels surnomme Berlin la « ville la plus des sociétés secrètes vouées à l’étude des sciences occultes. La plus
rouge à l’ouest de Moscou ». Les contacts issus de partis politiques célèbre à Berlin est l’Ordo Templi Orientis (OTO). Fondé par
vont du simple ouvrier d’usine jusqu’au membre du Reichstag, l’Autrichien Karl Kellner en 1895, l’OTO ne prend de l’importance
selon les origines des investigateurs eux-mêmes. que lorsque Theodor Reuss en prend la tête en 1905. Associant rites
maçonniques et ésotériques divers, les membres de l’OTO se répar-
Si les joueuses cherchent des contacts plus orientés vers le combat, tissent en loges et gravissent des degrés d’initiation. Sous la férule
chacun des trois groupes politiques (la gauche, le centre et la droite) de Reuss, l’OTO déborde des frontières d’Autriche et d’Allemagne
est associé à des organisations paramilitaires. Elles se développent pour ouvrir des loges en France, en Grande-Bretagne, aux États-
lors de la turbulente période d’après-guerre, lorsque les marches Unis, en Suisse et dans d’autres pays d’Europe.
et les manifestations politiques sont sujettes à de violentes pertur-
bations de la part de leurs opposants. Ces groupes paramilitaires En 1912, Reuss rencontre l’occultiste et sorcier britannique Aleister
soi-disant formés pour « fournir une protection » aux rassemble- Crowley. Tous deux s’entendent si bien que Reuss octroie à Crowley
ments de leurs propres camps adoptent rapidement une approche la charge de toutes les loges de l’OTO en Grande-Bretagne et en
proactive et commencent à prendre pour cible les rassemblements Irlande. L’influence de Crowley au sein de l’ordre continue à croître,
« ennemis », employant un mélange d’intimidation et de violence et en 1922, il en prend la direction globale lorsque Reuss est vic-
directe qui débouchent souvent sur des bagarres de rue. time d’une crise cardiaque. Crowley introduit peu à peu les rituels
et les rites de son propre système religieux, Thelema, parmi ceux de
À gauche, la Roter Frontkämpferbund (l’Union des combattants du l’OTO, provoquant un schisme majeur du groupe en Allemagne.
front rouge) représente le KPD et compte à son apogée quelque Bien que le nom du sorcier britannique soit désormais intimement
130 000 membres. Les actions qu’elle mène contre les partis de lié à celui de l’OTO, nombre de sectes allemandes préfèrent conser-
droite et la police berlinoise deviennent de plus en plus violentes ver une version « pure » de leurs rituels d’origine, tandis que d’autres
au fil de la décennie. L’organisation, interdite en 1929, devient sim- se détachent pour tracer leur propre chemin.
plement secrète.
Parmi ces factions dissidentes, on trouve la Fraternitas Saturni (la
Les combattants du front rouge affrontent le plus souvent les « che- « Fraternité de Saturne ») fondée par l’occultiste Gregor A. Gregorius
mises brunes » de la Sturmabteilung (section d’assaut, ou SA) du (cf. Le ballet du vice, de l’horreur et de l’extase, page 152). En
NSDAP, mais il existe d’autres groupes paramilitaires de droite, partant des rituels de magie sexuelle de l’OTO et de la Thelema
moins extrêmes et actifs à Berlin. Le plus remarquable est le de Crowley pour les mélanger à la franc-maçonnerie, au culte du
Jungdeutscher Orden (ordre des jeunes allemands). Inspiré par celui diable et à l’alchimie, la fraternité obtient un résultat qui ne peut
des chevaliers teutoniques, il s’agit d’un ordre nationaliste, mais qui naître que dans la Berlin de Weimar.
rejette la philosophie de Hitler et de ses amis, s’alignant plutôt avec
les vues du parti démocrate allemand. Inspirés des idéaux du mou- Il existe d’innombrables autres sociétés, des vestiges de la Société
Théosophique jusqu’à son rejeton, la Société Anthroposophique de
vement des Wandervögel (cf. Les Éclaireurs apaches, page 20), ils
plus en plus laïque ; de l’Orion-Bund à l’Ordre Ancien des Druides ;
deviennent le plus vaste groupe paramilitaire d’Allemagne en 1933
de la Fraternité hermétique de la Lumière à la nouvelle Église Gnos-
(et sont alors interdits par le parti nazi), comptant alors au total
tique ; de l’École Pansophique Générale à la Société Pansophique ;
quelque 300 000 membres.
de l’Ordre du Graal à l’Ordre des Chevaliers du Saint Graal. Et
Même les centristes ont leurs propres groupes paramilitaires. Le pourtant, même ces ordres ésotériques paraissent connus comparés
plus connu est la Reichsbanner Schwarz-Rot-Gold (la bannière à ceux que l’on n’évoque qu’à mots couverts.
noire, rouge et or du Reich). Regroupant des factions du GDP, du
La Société du Vril, particulièrement obscure, compte parmi ceux-là.
Centre et du SDP, elle se dresse contre l’extrémisme et la subversion
Fondée en 1925, elle se donne pour mission d’étudier et de maîtri-
issus à la fois de la droite et de la gauche, utilisant sa force organisa-
ser la mystérieuse source d’énergie baptisée « vril », et décrite pour la
tionnelle pour promouvoir le respect envers la nouvelle république.
première fois dans le roman The Coming Race (« La race à venir ») de
Quelle que soit sa couleur politique, un contact paramilitaire repré- l’auteur anglais Edward Bulwer-Lytton. Malgré la nature clairement
sente une ressource potentiellement très efficace pour les investi- fictionnelle du concept, nombre d’importants théosophes européens
gateurs. Combattant des rues, voire vétéran de l’armée, il dispose affirment que le Rose-Croix Bulwer-Lytton avait tout simplement
de toutes sortes d’informations sur le marché noir, le commerce manifesté une vérité longtemps cachée sous forme d’un récit inventé,
des armes illégales, et ainsi de suite. En outre, un contact peut en et prennent donc le vril très au sérieux. La Société du Vril, très fermée,
61
Le cinéma Babylon
62
Les clubs non officiels les plus modestes adoptent souvent des noms
évoquant les clubs de sport ou caressant les idéaux de la classe
moyenne : « les Toujours Vrais », « les Échos du Foyer », « la Main
dans la Main »… Derrière ces titres à l’eau de rose se cachent des
groupes de repris de justice endurcis qui dirigent des opérations de
racket, participent aux vols et cambriolages, et aident leurs frères à
se dépêtrer des ennuis avec la justice.
Un contact criminel appartenant à l’un de ces cercles pour-
rait rendre le même genre de service à des investigateurs qui se
retrouvent du mauvais côté de la barrière (en toute innocence,
bien sûr…). Les membres d’un Ringverein porteront volontiers
de faux témoignages pour garantir un alibi, et n’hésiteront pas à
payer une caution pour faire sortir un bon ami de prison. Bien
sûr, ils espéreront qu’on leur rende la pareille. En outre, si l’on en
croit la rumeur qui prétend que chaque portier, chaque cireur
de chaussures, chaque vendeur et chaque prostituée est employé
par les Ringvereine, un contact bien placé au sein d’un tel groupe À droite : Le Kaiser-Friedrich-Museum
pourrait se comporter comme les Francs-tireurs de Baker Street
vis-à-vis de Holmes : en fournissant des informations et des don- L’architecture du Berlin des années 1920 présente un choc entre
nées sur le terrain, en pistant certains individus et en rapportant les excès fin-de-siècle du boom des constructions wilhelmiennes
les derniers ragots de la rue. d’une part, et des designs modernes, audacieux et provocateurs
d’autre part. Bien que Berlin compte encore des quartiers dont le
style remonte à la Renaissance et au début de l’époque moderne (en
particulier dans le Nikolaiviertel de la vieille ville), la majorité des
Détails locaux et rencontres bâtiments datent du 19e siècle. Les grands édifices culturels sont
généralement de style habituel, néoclassique, tandis que nombre
en pleine rue d’autres bâtiments, officiels ou résidentiels, arborent un aspect
typique de la renaissance italienne, avec d’immenses constructions,
Bien que les scénarios de cet ouvrage proposent toutes sortes de sites
des arches romanes et des briques colorées.
intéressants à visiter et à découvrir, il est légitime de s’attendre à ce que
les joueuses aient envie, à juste titre, d’explorer la ville par elles-mêmes. L’explosion de la construction qui a succédé à la naissance de l’em-
Qu’il s’agisse de décrire en détail le quartier où ils séjournent ou les pire germanique s’est accompagnée de l’apport du style néo-ba-
ruelles d’une zone méconnue de la ville lorsqu’ils partent à la chasse roque, épris de colonnades et d’excès décoratifs, avec ses dômes
aux indices, les investigateurs voudront savoir ce qui les entoure : le coiffant tous les bâtiments, des atriums aux coupoles. Au début
Gardien doit donc se préparer à répondre à leurs questions. de la Grande Guerre, on s’intéresse à un style totalement inédit :
le modernisme. Comme beaucoup de choses dans l’Allemagne
Si les investigateurs décident d’oublier leurs ennuis pour une d’après-guerre, le sujet bascule vite dans la politique, les traditio-
soirée, consultez la table des Cabarets et clubs aléatoires nalistes de droite critiquant la simplicité brutale de cette forme
(cf. page 66), où vous trouverez des noms et de quoi esquisser d’architecture tandis que les socialistes et la gauche applaudissent là
un portrait de divers établissements en ville. Lorsqu’ils bifurquent l’aspect d’un avenir communautaire.
dans une rue inconnue, quelques jets de dés sur les tables des
Détails architecturaux et des Commerces aléatoires (respecti- Le premier bâtiment moderniste, la Cité-jardin Falkenberg, est
vement pages 69 et 64) vous fourniront un moyen rapide et facile construit pendant la guerre, au sud-est de la ville, dans le petit dis-
pour évoquer la couleur locale. trict de Bohnsdorf (la « cité-boîte de peinture », tirant son nom
des façades de stuc aux couleurs vives de toutes les maisons),
Inutile, toutefois, d’accorder trop d’importance à la cohérence. mais le grand boom de la construction moderniste devra attendre
Un des thèmes centraux d’une campagne basée à Berlin est le le milieu, voire la fin des années 1920, avec des bâtiments qui
chaos, le changement. Ne vous inquiétez pas si vous baptisez poussent à la périphérie de la ville, de Wedding à Reinickendorf et
du même nom deux commerces situés dans des quartiers diffé- Charlottenbourg. Ces propriétés sont bâties dans le cadre d’un plan
rents. Servez-vous plutôt du doublon pour souligner un certain de logement du gouvernement, conformément à une clause de la
malaise, une perte des points de repère : « Attendez, je croyais constitution de Weimar prévoyant que chaque Allemand a droit à
que S. Schropp se situait sur le Ku’damm ? » « Non, non. Nous « être logé de façon humaine ». C’est un impôt spécial sur les loyers
exerçons ici depuis 30 ans ! » qui finance ces projets de construction.
63
wCommerces aléatoiresx
x
1D10 Librairie Café Restaurant Pension de famille Théâtre
1 Amelang Bauer Ratskeller Barbe Deutsches Opernhaus
2 Gsellius Victoria-Café Gourmania Bavaria Komsiche Oper
3 Akademische Kaiser-Café Atelier Bismarck Komödien-Haus
4 Nikolaische Palast-Café Peltzer’s Fortuna Küntzler-Theater
5 Speyer & Peters Café Austria Kempinski & Co. Gretsel-Behr Lessing
Café Woerz
6 S. Schropp Le Jockey Korfu Metropol
(billards)
7 Eisenschmidt Englisches Café Rheingold Ludwig Opera House
8 Martin Breslauer Luisen-Café Höhn’s Oyster Saloon Stinde-Cranz Schiller
Café Josty La Compagnie Continen-
9 Paul Graupe Von Lützow Volksbühne
(terrasse) tale de Bodega (espagnol)
Inveha*
10 Konditorei Kämmerer (végétarien) Von Saucken Des Westens
(librairie occulte)
* Pour plus de détails sur l’Inveha, cf. Le ballet du vice, de l’horreur et de l’extase, page 175.
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69
3
YOU PRETTY THINGS
L
a séduction de Berlin réside dans son caractère animé, Bertolt Brecht, l’une des figures essentielles et significatives du
que la ville tire en partie du vaste éventail d’autochtones et théâtre du 20e siècle, naquit en Bavière en 1898. Après un bref pas-
d’expatriés qui se mêlent et se croisent parmi les vestiges de sage à l’armée à la fin de la Grande Guerre, Brecht entreprend une
plus en plus fanés de l’ère wilhelmienne et les splendeurs nouvelles carrière littéraire. Sa première pièce, Baal, est montée en 1923 et
du modernisme. Vous trouverez ici quelques biographies de cer- provoque un scandale dès la première, inaugurant une tradition
tains de ses plus remarquables habitants : artistes, dilettantes et que suivront nombre de ses œuvres ultérieures. Brecht déménage
politiciens, entre autres personnages. Le Gardien peut s’en servir en 1924 à Berlin, où il travaille d’abord comme dramaturge, mais
pour ajouter un peu de couleur locale à l’exploration de la ville, ou en écrivant toujours des pièces et des poèmes. En outre, en col-
comme points de départs ou étapes dans ses scénarios.
laboration avec d’autres producteurs de théâtre comme Erwin
Certains ont vécu toute leur vie à Berlin, ou s’en servent simplement Piscator (cf. page 80), il raffine la vision de ce que l’on appellera
de quartier général à partir duquel ils voyagent dans le monde, tan-
dis que d’autres ne font qu’y passer, mais en y laissant leur marque
indélébile. Le cas échéant, les dates de leur séjour sont indiquées
à côté de leur nom. Les biographies présentées se focalisent sur le
séjour en question et leur importance pour la ville durant la période
de Weimar : pour le reste, avant ou après cette époque, vous pourrez
vous renseigner sans difficulté ailleurs.
Dernier détail : certains résidents notables de la ville, comme
Aleister Crowley ou Anita Berber, apparaissent dans les scénarios
de cet ouvrage, et nous n’avons pas voulu répéter les informations
les concernant ici.
71
le « théâtre épique ». En 1927, il est également devenu un marxiste Une fois installée, elle danse dans des revues de music-hall, y com-
engagé appréciant les bolchéviques, et ses opinions politiques radi- pris celles du célèbre Wintergarten. Elle tourne pour le cinéma dès
cales transparaissent non seulement dans son écriture, mais égale- 1921, et en 1922, ses regards incandescents, ses paupières lourdes et
ment dans ses productions. sa coupe au carré, noire et courte, ont déjà captivé l’imagination du
public, la conduisant à mener une carrière où on la catalogue dans
Le théâtre épique est agressif, et vise à souligner le caractère artificiel
des rôles de vamp.
de l’expérience théâtrale pour rappeler au public que sa propre réalité
est elle aussi artificielle. Entre les mains de Brecht, il s’agit d’un outil De Putti atteint le sommet de sa popularité en 1925 lorsqu’elle appa-
de propagande transmettant sa vision de la justice sociale, du sys- raît dans le film Variété (réalisé par E. A. Dupont) avec Emil Jan-
tème de classes, de la religion et du marxisme. L’Opéra de quat’sous nings. Invitée à Hollywood par la suite, elle part pour l’Amérique
de Brecht, sur une musique de Kurt Weill (cf. page 87), débute en en février 1926.
1928 et devient bientôt le plus grand succès du théâtre dans l’Alle-
Pendant son séjour à Berlin, de Putti fréquente assidûment les
magne de Weimar. Durant les cinq ans qui suivent, on le traduit dans
boîtes de nuit et les soirées de Friedrichstadt et du Ku’damm. Les
18 langues et on le joue plus de 10 000 fois dans toute l’Europe.
Téléphone-girls cherchent souvent à imiter son apparence.
Tout comme ses pièces, Brecht lui-même est agressif, provocateur,
chaotique… C’est un coureur de jupons, qui défend tous les excès
des bolchéviques, bref : un personnage haut en couleur qui ne Marlene Dietrich (1901-30)
manque pas de mettre de l’animation dans n’importe quelle soirée
ou assemblée, mais pas toujours au goût des participants. « Dieu merci, je suis Berlinoise. »
— Marlene Dietrich
Lya de Putti (1920-26) Née dans le district de Schöneberg fin 1901, Dietrich grandit à
Berlin où elle rêve de devenir violoniste de concert. Une blessure au
Née dans ce qui est aujourd’hui la Slovaquie, au sein d’une famille poignet met un terme à ces ambitions, mais elle trouve en 1922 un
hongroise de l’empire austro-hongrois de l’époque, la danseuse et emploi de choriste dans plusieurs productions de Max Reinhardt
actrice Lya de Putti se rend à Berlin après avoir divorcé de son (cf. page 81), même si elle est exclue de son école d’art dramatique.
magistrat de mari en laissant derrière elle deux filles et en partant
en quête d’une vie plus aventureuse. Durant les années 1920, Dietrich apparaît de façon constante au
cinéma et sur les planches, passant à des rôles de plus en plus
importants pendant la décennie. Elle explose tout d’abord dans la
revue Es Liege in der Luft (« C’est dans l’air ») où elle chante avec
Margo Lion un duo (Wenn die beste Freundin) qui devient instan-
tanément l’hymne de la communauté lesbienne. C’est toutefois le
rôle de la chanteuse de cabaret Lola Lola dans L’Ange bleu (1930)
de Josef von Sternberg qui la propulse au statut de vedette. Le bat-
tage publicitaire qui précède le film suffit à lui assurer un billet pour
Hollywood avant même qu’il ne sorte sur les écrans. Dietrich assiste
à la première de L’Ange bleu à Berlin, fait sa révérence à la fin du
film, et embarque dans un train pour commencer à voyager vers
l’Amérique.
Dietrich épouse l’assistant-réalisateur Rudolf Sieber en 1923 et
donne naissance à sa seule enfant, Maria, l’année suivante. Bien
qu’elle reste mariée toute sa vie, elle est notoirement libérée et vit
des aventures avec une foule d’hommes et de femmes jusqu’à plus
de soixante-dix ans.
Pour beaucoup Dietrich incarne les qualités matérielles, sensuelles
et transgressives du Berlin de Weimar. C’est une incarnation de
la mode qui mélange tenues masculines et féminines, sans jamais
hésiter à franchir la frontière séparant les genres. Pendant son
séjour à Berlin, elle s’entraîne avec le boxeur professionnel Sabri
Mahir, et c’est une des rares femmes à pratiquer dans son gymnase.
Bien que son passage dans la ville ait précédé son statut de vedette
internationale, c’est un des piliers de la vie nocturne de la ville et
de l’industrie cinématographique allemande avant son départ de
l’autre côté de l’Atlantique.
Lya de Putti
72
Marlene Dietrich
Otto Dix
73
L’expressionnisme
Ce mouvement artistique naquit en Allemagne juste avant
la Grande Guerre et englobe aussi bien la peinture que le
théâtre, le cinéma, la danse, la musique et la littérature. Ten-
dance essentiellement moderniste, l’expressionnisme vise
à présenter le monde sous un angle subjectif, déformant
le naturel pour susciter une atmosphère, un thème ou une
idée spécifique en réaction aux effets déshumanisants de
l’industrialisation de masse et au passage d’une vie rurale
à un cadre urbain. On pourrait dire que l’expressionnisme
rejetait l’idéologie du réalisme. L’art qui en découle est
intense, opposé au naturalisme et profondément émotion-
nel. Ces œuvres étaient censées émaner de « l’intérieur »
de l’artiste, plutôt que représenter le monde qui l’entourait.
Par conséquent, leurs thèmes gravitent souvent autour de
la critique et de l’aliénation sociales.
Premier président de la République allemande, Ebert est un leader qui Sous les assauts constants de la droite et de la gauche, la santé
se retrouve souvent sans alliés. Bien qu’il dirige le Parti social-démocrate d’Ebert se dégrade rapidement. Lorsqu’un juge détermine qu’Ebert
d’Allemagne (le SPD) et soit ouvertement socialiste, ses politiques cen- s’est techniquement rendu coupable de trahison en soutenant une
tristes exaspèrent d’autres leaders de gauche : les socio-démocrates grève des ouvriers pendant la Grande Guerre, son état empire et il
indépendants et le parti communiste allemand se détachent du SPD en meurt en poste en 1925.
réaction à ses décisions politiques pendant la Grande Guerre.
Ebert s’efforce désespérément de préserver la monarchie à la fin de la
guerre, mais une fois qu’il a accepté la déchéance inévitable de cette
Albert Einstein (1914-32)
institution, il finit par vouer toute son énergie à l’édification d’une Albert Einstein, l’un des plus brillants scientifiques au monde,
République démocratique. En janvier 1919, Ebert est élu président. quitte sa demeure de Zurich en Suisse pour déménager à Berlin
Au fil des deux années qui suivent, il passe le plus clair de son temps à en 1914, attiré par des offres de Max Planck et Walther Nernst.
réprimer de violents soulèvements venus de droite comme de gauche. Une fois dans la ville, il est reçu comme membre de l’Académie des
C’est sa décision d’engager les Freikorps nationalistes pour écraser la sciences de Prusse et reçoit une chaire de professeur non enseignant
révolte spartakiste qui lui attire définitivement l’hostilité des com- à l’université de Berlin. Il installe un bureau dans son appartement
munistes et des autres partis d’extrême gauche. Même les modérés de Schöneberg et termine ses travaux sur la théorie de la relativité
critiquent cette décision qui entache à jamais la politique de l’ère de générale, remportant le prix Nobel de physique en 1921.
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Albert Einstein
Ruth Fischer
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Après 1928, Fischer n’exerce plus qu’un pouvoir politique infime L’arrivée du « Marat de la Berlin rouge, cauchemar sur pied et gobe-
à Berlin. Elle fuit le pays en 1933, avant que Hitler ne s’empare du lin de l’Histoire » en 1926 est un jour funeste pour l’histoire de la
pouvoir. Plus tard, elle deviendra ouvertement antistalinienne et ville. Nazi dévoué et maître de la propagande, Goebbels métamor-
anticommuniste, témoignant contre son frère ainsi que d’autres phose le parti à Berlin : ce groupe autrefois marginalisé et indisci-
associés lors des sessions de la House Unamerican Activities pliné devient rapidement une machine destinée à promouvoir les
Committee (Commission de la chambre surveillant les activités intérêts du national-socialisme et le mythe du Führer.
anti-américaines).
Joseph Goebbels naît dans une famille catholique stricte en 1897.
Bref, Fischer est un personnage fascinant, plein de contradictions La difformité de son pied, séquelle de la polio qu’il subit durant l’en-
et de passion, capable d’inspirer autant de dévotion que d’agressi- fance, l’empêche de participer à la Grande Guerre, mais provoque
vité, et jamais dans la modération. C’est un contact idéal pour des vraisemblablement chez lui un complexe d’infériorité maladif.
investigateurs de gauche ; en outre, avant 1928, elle dispose d’une
Opportuniste avant tout, Goebbels, après avoir rejoint le NSDAP
considérable influence politique.
en 1922, retourne remarquablement sa veste en 1926, passant de
la corédaction d’une brochure appelant à exclure du parti le « petit
bourgeois » qu’est Hitler en début d’année, à son affectation comme
Joseph Goebbels (1926-45) chef du district de Berlin-Brandebourg par le même Hitler avant la
« Ce que l’homme manifestait en termes de talent oratoire fin de celle-ci.
et organisationnel est unique. Il n’existait aucun défi qu’il Poète et auteur frustré, Goebbels redirige son énergie créative vers
ne pût relever. Les membres du parti s’attachaient à lui, lui l’organisation, la création de mythes et l’incitation à la révolte. Il
témoignant une grande affection. Les S.A. se seraient fait fonde et dirige un journal, Der Angriff (l’attaque), conçoit des
réduire en charpie pour lui. Goebbels, c’était comme Hitler affiches, organise des parades et déploie ses Sturmtruppen au
lui-même. Goebbels, c’était simplement notre Goebbels. » moment politiquement opportun pour déclencher des bagarres de
rue, provoquer des troubles dans les bars et perpétrer des attentats
— Horst Wessel à l’arme à feu depuis des voitures. Tout ceci a pour but de semer un
chaos que seul Hitler, déifié et tenant lieu de brave protecteur des
justes face aux agents de la zizanie, saurait réprimer.
Goebbels parle ouvertement de détruire le système de l’intérieur.
Lorsqu’il entre au Reichstag en 1928, il déclare : « nous entrons au
Reichstag afin de venir prendre les armes de la démocratie dans son
propre arsenal afin de nous en munir. Nous deviendrons les députés
du Reichstag afin que l’idéologie de Weimar elle-même nous aide à
provoquer sa destruction. »
Malgré tous ses efforts, la popularité du parti nazi de Berlin
demeure toutefois modeste. Mais la crise économique de 1929
change la donne, les électeurs désespérés cherchant un sauveur
providentiel, ce qui conduit à le faire élire chef de la propagande
du Reich pour le NSDAP. Au fil des trois années qui suivent,
Goebbels aide le parti à obtenir davantage de sièges au Reichstag,
puis à prendre le pouvoir en janvier 1933. En mai de la même
année, il organise un des actes les plus infâmes de la propagande
nazie, en installant à Berlin des bûchers où l’on brûle des livres
considérés comme « anti-allemands ». Ceux-ci comprennent des
œuvres communistes et marxistes, des livres pacifistes et juifs, des
œuvres consacrés à « l’art dégénéré », des textes issus de politi-
ciens et penseurs libéraux de Weimar comme Walther Rathenau,
et l’essentiel de la bibliothèque du Dr Hirschfeld (cf. page 78) sur
la sexualité humaine.
Goebbels est totalement cynique et dépourvu de moralité. Mû par
une profonde haine envers lui-même, il la retourne contre la race
humaine en général et les juifs en particulier. C’est l’un des diri-
geants nazis les plus violemment antisémites, un sentiment qu’il
exprime ouvertement et sans réserve.
Joseph Goebbels
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Dr Magnus Hirschfeld
Max Hermann-Neiße
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Christopher Isherwood
78
Von Harbou rédige en outre la novélisation de la plupart des films Harbou, discrète et effacée, manifeste une vive intelligence et une
et joue divers rôles sur le plateau, y compris éplucher des pommes véritable passion vis-à-vis de la politique nationaliste.
de terre et préparer le repas de l’équipe. Pour sa part, Lang est le
modèle du réalisateur dictatorial classique, arpentant le studio avec
un monocle à l’œil, criant des ordres, maintenant la production dans Vladimir Nabokov (1922-37)
une poigne de fer et disposant les acteurs dans ses plans comme les
pièces délicates d’un puzzle visuel. On raconte même qu’il aurait Perdu parmi les quelque 300 000 émigrés russes qui déferlent sur
poussé Peter Lorre dans un escalier avant de tourner la dernière Berlin durant les années suivant la révolution bolchévique, durant
scène de M le maudit, où le personnage de l’acteur vient d’être passé son séjour de 15 ans en ville, Vladimir Nabokov n’est pas encore le
à tabac, afin de lui donner l’apparence ensanglantée adéquate. géant de la littérature qu’il deviendra un jour, même s’il commence
à obtenir cette réputation.
Les films de Lang gravitent autour du thème de l’individu écrasé
par la botte d’institutions cruelles et insensibles. Cet aspect, asso- Il arrive à Berlin peu après avoir obtenu son diplôme à l’université
cié à son héritage juif, le place en porte-à-faux vis-à-vis du régime de Cambridge, pour rejoindre sa famille qui vit ici depuis 1920. La
nazi. Il fuit l’Allemagne pour se rendre à Paris en 1933, avant de tragédie s’abat peu après lorsque le père de Nabokov (également
partir pour Hollywood. prénommé Vladimir) meurt tué d’une balle en empêchant l’assassi-
nat du politicien libéral Pavel Milyukov. Le reste de la famille quitte
Von Harbou, qui admire Hitler et ne s’en cache pas, reste sur place la ville après ce drame, mais Vladimir reste. Il ne s’intégrera jamais
où elle finira par adhérer au parti nazi, réalisant des films pour l’in- réellement à la communauté allemande, n’apprenant que des bribes
dustrie cinématographique nationale désormais dirigée par l’état. de la langue et demeurant au sein de la vaste population d’expatriés
Elle et Lang divorcent l’année de son départ. russes du côté ouest de la ville, mais Berlin le touche profondément
Pendant la période dorée de leur mariage, Lang et von Harbou et nourrira sa plume jusqu’à la fin de sa carrière.
comptent parmi les stars les plus éblouissantes de Berlin. Leur Son œil acéré lui permet de remarquer des détails qui échappent à
maison sur place est un véritable musée rempli d’objets exotiques tous les autres. Il décrit en particulier la situation parmi la commu-
rassemblés en Asie et en Polynésie ; leurs films et leurs livres font nauté des émigrés, d’anciens bourgeois et aristocrates (comme lui)
d’eux la coqueluche de la ville. En tête à tête, Lang est un person- désormais forcés de mener une existence incertaine dans un pays
nage difficile lorsqu’il n’obtient pas ce qu’il veut, tandis que von étranger, « des vagabonds urbains que la soif taquine dès le soir
venu » comme il l’écrit dans son récit La lutte en 1925. Bien que
trilingue, puisqu’il parle aussi bien français et anglais que russe, il
n’écrit presque que dans cette dernière langue pendant la période,
sous le pseudonyme de « Sirin ».
Sa production littéraire prolifique est bien accueillie parmi la com-
munauté russe, mais ne suffit pas à payer ses factures, et Nabokov
consacre une grande partie de son temps à donner des cours parti-
culiers de langues, à enseigner le tennis et la boxe, ou encore à jouer
les figurants au cinéma. En 1921, lors d’un bal masqué, il rencontre
une femme portant un « masque noir au profil de loup » : c’est Vera
Slonim, une juive russe qui deviendra bientôt sa femme.
Bien que Vladimir apprécie la vie originale qu’il mène à Berlin,
il doit finalement y renoncer. Le régime nazi lui complique l’exis-
tence en raison du passé politique de gauche de sa famille et de son
épouse juive : lui et Vera (ainsi que leur fils de trois ans, Dmitri)
laissent tout derrière eux pour recommencer leur vie en France.
Lola Niedlich
Vedette des spectacles du cabaret « le Nid de Cigogne » où elle
chante à califourchon sur une chaise, avec ses cheveux blonds
en cascade, ses yeux langoureux et sa voix rauque, Lola Niedlich
(« Lola la mignonne ») est l’archétype même de la chanteuse
d’avant-garde. Tout comme le Nid de Cigogne inspire le cabaret de
l’Ange bleu dans le film du même nom, Niedlich est le modèle de la
Lola Lola interprétée par Dietrich. Toujours soucieuse de sa propre
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Asta Nielsen
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Joseph Roth
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Après avoir été renvoyé à la vie civile pour raisons médicales, Au bout du compte, il tourne dans 119 films. La plupart sont
Veidt rentre à Berlin et s’y fait un nom en brûlant les planches au filmés à Berlin, mais il bénéficie, chose unique, d’une carrière à
Deutsches Theater de Max Reinhardt (cf. page 81). « Que Dieu le Hollywood. Le premier se présente lorsque John Barrymore, qui
préserve du cinéma ! » déclare un critique de théâtre, mais Veidt, l’a vu dans Le Cabinet des figures de cire, insiste pour l’emmener à
comme tant d’autres, suit l’argent où il va : à l’écran. Hollywood jouer avec lui dans la saga historique The Beloved Rogue
(Crosland, 1927). Bien qu’ayant prévu de revenir en Allemagne
Il y fait ses marques en jouant le rôle principal de Différent des autres
dès le tournage achevé, Veidt, chaleureusement accueilli par la
(réalisé par Oswald). Coécrit par le Dr Hirschfeld (cf. page 78), il
communauté de réalisateurs émigrés de Los Angeles, y séjourne
s’agit du premier film de l’histoire à représenter explicitement des
deux ans de plus, figurant dans plusieurs autres films, dont le plus
personnages homosexuels, avec compassion qui plus est. L’année
remarquable est L’Homme qui rit (1928, Leni) : le terrifiant maquil-
suivante, la popularité de Veidt explose lorsqu’il interprète Cesare,
lage de Veidt, qui interprète un homme dont le visage est balafré
un meurtrier somnambule, dans le classique de l’horreur expres-
pour lui donner un sourire permanent, inspirera le Joker, célèbre
sionniste, Le Cabinet du docteur Caligari (Wiene, 1920).
méchant des comics.
Veidt tient également la vedette en compagnie de la fougueuse
L’avènement du film parlant oblige Veidt, affligé d’un accent à cou-
danseuse Anita Berber dans une série de films parmi lesquels
per au couteau, à revenir à Berlin. À l’époque, Hitler et ses nazis
l’anthologie d’horreur Cauchemars et hallucinations (Oswald,
entament leur accession au pouvoir, et Veidt se sert de sa célébrité
1919), et devient un habitué de la vie nocturne berlinoise. De
pour les critiquer aussi fréquemment et publiquement que possible.
petits plaisantins affirment même qu’il arpente les rues déguisé
Il s’implique de façon plus personnelle encore lorsqu’il épouse sa
en prostituée, simples calomnies que rien n’avère jamais. Devenu
troisième femme, Ilona « Lily » Prager, une juive allemande.
une sorte de pionnier du cinéma de genre, Veidt tient également le
premier rôle dans trois autres films d’horreur/thrillers essentiels En 1933, lorsque de nouvelles lois obligent tous les employés de
et très bien reçus : Le Cabinet des figures de cire (Leni et Berinski, l’industrie cinématographique à remplir des « questionnaires
1924), Les Mains d’Orlac (Wiene, 1924) et L’Étudiant de Prague raciaux », Veidt se déclare juif alors qu’il est né luthérien et a été
(Galeen, 1926). élevé comme tel. Cet acte de défi sonne le glas de sa carrière d’acteur
en Allemagne, et il fuit bientôt le pays avec Lily et leur fille.
Avant elle, Veidt avait épousé l’artiste de cabaret Augusta « Gussy »
Holl (leur mariage dura de 1918 à 1922) et la dilettante Felizitas
Radke (1923-29).
Pendant l’ère du muet, peu d’acteurs masculins peuvent rivaliser
de popularité avec Veidt en Europe. Il se dévoue discrètement aux
causes sociales progressistes et utilise sa célébrité et sa fortune pour
appuyer ses convictions. Pendant la Seconde Guerre mondiale, il
donne l’argent amassé pendant toute sa carrière, et presque tous ses
gains, pour participer à l’effort de guerre britannique. Beaucoup se
souviennent de lui pour son rôle dans Le Voleur de Bagdad (Powell,
Berger et Whelan, 1940) et pour son interprétation du major
Strasser dans Casablanca (Curtiz, 1942).
Des investigateurs qui le rencontrent pendant son séjour à Berlin
sont confrontés à un individu passionné qui comprend toutefois la
nécessité de prendre un peu de bon temps à l’occasion.
Conrad Veidt
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Après la guerre, Hindenburg fut l’un des principaux artisans de mondial de 1929. Hindenburg n’aime pas les nazis et abhorre Hitler
la théorie du « coup de poignard dans le dos » (impliquant que (qu’il mentionne rarement par son nom, le désignant comme « ce
l’Allemagne avait failli gagner la guerre, mais que les politiciens caporal autrichien ») : sa propre popularité en fait le candidat idéal
égoïstes et les communistes l’avaient vendue) et il déteste aussi bien pour vaincre Hitler dans la course à la présidence.
la constitution de Weimar que son gouvernement. Il fait toutefois
Taciturne au point d’en paraître lâche (un trait de personnalité qui
serment de la respecter, ce qu’il fait au tout début.
l’aura suivi toute sa vie), de santé précaire, Hindenburg, à 83 ans,
Une coterie de conseillers officieux (parmi lesquels son fils Oskar) laisse d’autres faire campagne pour lui et remporte l’élection par une
appelée la Kamarilla l’influence en coulisse et le pousse à un « coup courte majorité. Malgré sa détermination à contrecarrer son rival,
d’État mou » au sein du gouvernement. En exploitant un trio d’ar- au bout de trois ans, la république est à terre, aux pieds de Hitler.
ticles de la constitution de Weimar, Hindenburg et sa Kamarilla L’année suivante, Hindenburg meurt et Hitler fusionne les postes de
tentent de former un « gouvernement présidentiel » qui pourrait président et de chancelier, s’autoproclamant Führer.
gouverner par décret plutôt qu’en recourant au consentement du
Dans la réalité, Hindenburg est une sorte de vieil ours bougon,
Reichstag. Hindenburg n’y voit qu’une étape vers l’installation d’une
entouré de conseillers et de lèche-bottes. Après la victoire de
dictature « antimarxiste, antiparlementaire » et, au bout du compte,
Tannenberg qui forge sa carrière en 1914, son ego boursouflé ne
vers la restauration de la monarchie des Hohenzollern. Ce sont donc
désenfle plus : il se prend réellement pour le sauveur de l’Allemagne,
ces manœuvres politiques qui scellent le destin de la république.
son ultime espoir. Ceux qui partagent cette opinion, ou une sorte de
Le gouvernement présidentiel de Hindenburg prend forme en 1930, féauté à l’ancienne (comme son proche confident Franz von Papen,
juste avant la fin de sa présidence. Il faut pousser le vieux général, qui lui prête personnellement serment d’allégeance) gagnent son
qui se plaint souvent en privé de souffrir du stress associé à son respect et son soutien. Il déteste tous les marxistes et mène une
poste et de ne pas comprendre complètement les complexités de la guerre presque personnelle contre les sociaux-démocrates.
politique nationale, à se présenter de nouveau. Cette fois, la menace
vient de la droite, car Hitler et ses nationaux-socialistes gagnent
en popularité dans le contexte incertain du krach économique Claire Waldoff (1906-35)
Reine du cabaret de Berlin, la rousse et râblée Waldoff se fait un nom
grâce à ses représentations neutres et dégourdies, évitant les œillades
et les sourires habituels dans ce genre de spectacle pour recourir plu-
tôt à la moquerie et à la provocation sans fard. Son élocution inou-
bliable, rauque et traînante, un sprechgesang (chanté-parlé) énoncé
dans un argot des rues caractéristique de Berlin. En fait, Waldoff
semble l’archétype parfait de la berlinoise, alors qu’il s’agit d’une fille
de province, arrivée seulement en ville à l’âge de 22 ans. Elle tombe
bien vite amoureuse de Berlin et se l’approprie littéralement.
Son ascension comme artiste se produit assez vite, avec un numéro
en trois chansons au cabaret Roland von Berlin en 1907. Au fil
de sa carrière, et bien qu’elle bâtisse au fil du temps un répertoire
de 300 œuvres, Waldoff s’en tient scrupuleusement au format de
trois chansons sans rappel, ce qui lui permet de se produire dans
plusieurs établissements chaque nuit et d’y proposer des nuances
à chaque représentation, conservant à ses apparitions un carac-
tère frais et enthousiasmant. Après avoir brièvement résidé au
Roland, elle déménage au Chat Noir sur la Friedrichstraße et au
Linden-Cabaret dans l’Unter den Linden, bien qu’elle se produise
dans toute la ville pendant les trois décennies que dure sa carrière.
Ouvertement lesbienne, Waldoff est aussi connue pour son style
vestimentaire, portant généralement des costumes masculins et
des cravates aussi bien à la ville que sur la scène. Elle et sa com-
pagne de toujours, Olga « Olly » von Roeder organisent des « soi-
rées gays et lesbiennes » au Club Pyramid pour femmes près de
la Nollendorfplatz. Malgré cette appellation, le salon est ouvert à
tous (hommes et femmes, gays, bisexuel·le·s, hétérosexuel·le·s ou
autres) tant que les participants se montrent capables de contribuer
de façon pertinente à la conversation.
Claire Waldoff
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L Sectes de Berlin
es scénarios qui terminent cet ouvrage présentent des
exemples de la présence du Mythe à Berlin, mais une ville qui
s’est bâti une réputation de « ville la plus débauchée au monde »
ne peut qu’attirer l’influence perfide et omniprésente du Mythe : L’entraîneuse de Nyarlathotep
que le Gardien se rassure, car on peut en trouver les signes où que
l’on tourne les yeux. La rumeur circule parmi les cabarets et autres Nachtlokals les plus
louches de Berlin, qu’une étrange maîtresse de cérémonie appa-
Des sorciers étudient des ouvrages prohibés à la Bibliothèque raîtrait parfois à l’improviste lors de soirées de débauche pour
prussienne d’État, vouent un culte à Yog-Sothoth et à Azathoth et les transformer en événements inoubliables. Elle se fait appeler
invoquent ces Grands Anciens pour obtenir un pouvoir venu de Néfertiti et présente en effet une saisissante ressemblance avec le
l’au-delà. Certains ne servent que leurs propres intérêts, tandis que célèbre buste du Neues Museum, bien qu’avec une silhouette plus
d’autres veulent exploiter ce pouvoir pour leurs propres desseins androgyne. Quoi qu’il en soit, Néfertiti ne se présente que dans les
politiques, mais tous représentent une menace pour les habitants établissements les plus obscurs et les plus fermés, et uniquement
de Berlin. Pendant ce temps, les adeptes de la Fraternitas Saturni lorsque la fête bat son plein.
se livrent à des rituels employant la magie des miroirs pour contac-
Lorsque Néfertiti prend la direction des opérations, l’atmosphère
ter Tsathoggua et son engeance sur la lointaine Saturne, tandis que
bascule, de plus en plus étrange. Les serveurs apportent de curieux
Shub-Niggurath intensifie l’atmosphère d’abandon hédoniste et
cocktails colorés à la place du champagne et des numéros imprévus
de fornication échevelée à Friedrichstadt ou sur le Ku’damm. Des
se déroulent sur scène : des comiques passent de la farce exubérante
prêtresses-prostituées prêtent serment d’allégeance à la Chèvre
à une sorte d’extase nihiliste, se lançant dans de longs monologues
Noire des Bois aux Mille Chevreaux, lui demandant de les protéger
soulignant l’absurdité de la vie et le caractère à la fois grotesque et
contre « la polenta, les huileux et les puces » (la police, les maque-
hilarant de l’existence ; des chanteuses entonnent des classiques
reaux et clients, respectivement) qui représentent des dangers per-
traduits en araméen ou se contentent de hurler à la figure des
manents dans leur profession.
spectateurs ; des prestidigitateurs font disparaître des gens qui ne
La drogue, le sexe et la débauche en général attirent d’autres sectes et reviendront jamais ; et les numéros de nus se révèlent plus trou-
Page opposée : Le Mythe à Berlin
adeptes sur place, ainsi que des horreurs inimaginables qui rôdent à blants qu’émoustillants, pour des raisons que nul ne parvient à
la frontière de la conscience humaine, murmurant leurs mensonges comprendre exactement.
et leurs tentations à l’oreille des désespérés et des dépravés, parmi
Le simple fait d’assister à une fête animée par Néfertiti peut infli-
lesquelles elles trouveront nombre d’adorateurs involontaires… et
ger un test de Santé Mentale (perte de 1/1D3 points ou plus, en
d’enveloppes à habiter.
fonction des agissements observés). Ceux qui le ratent se laissent
Finalement, Nyarlathotep, grand pourvoyeur de tentations, déam- emporter par la folie de la fête, sombrant dans la folie temporaire ou
bule, anonyme, parmi les foules de l’Alex, ou chuchote à l’oreille de permanente, développant une obsession pour Néfertiti et ne son-
ses disciples dans les fougères et les roncières de Grunewald et du geant plus qu’à un moyen d’assister au prochain événement où elle
Tiergarten. Qu’ils prennent la forme d’un artiste de nightclub, d’un se montrera et de gagner ses faveurs. En son absence, ceux qui sont
présentateur, ou bien d’un gentleman ou d’une dame instruite, le affectés de la sorte subissent une sorte de malaise léthargique qui ne
Chaos Rampant et ceux qui le servent ne sont pas difficiles à trouver disparaît qu’en s’adonnant aux drogues ou en recevant la promesse
parmi les couloirs brumeux et enfumés de Berlin. de revoir bientôt Néfertiti.
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La solution de Liao
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car un petit groupe d’historiens et d’anthropologue a pris Quoi qu’il en soit, Fritz et Thea ne facilitent pas la tâche aux inves-
l’habitude de s’en servir pendant ses réunions bimensuelles. tigateurs. Ils forment un couple particulièrement agité : Lang a un
Peut-être que l’un des amis des investigateurs fait partie des sale caractère et veut tout régenter, tandis que Harbou manifeste
toxicomanes, qu’il s’agisse de ceux de la Nollendorfplatz ou des sympathies pour les nazis. Ces créatifs brillants se révèlent être
des plus érudits… des êtres humains particulièrement exaspérants.
Note à l’intention du Gardien : développez cette accroche Quand une porte se ferme
comme une confrontation classique avec le culte de Cthulhu
et ses adeptes monstrueux, mais se déroulant cette fois loin i Lieu : sur n’importe quel mur vide assez vaste.
des lieux de pouvoir habituels de la secte. Vous pouvez i Découverte : un portail somptueux est apparu dans une
également en faire une fausse piste pour changer un peu de ruelle de la ville. Il n’y était pas auparavant, et paraît déplacé
rythme ou duper des joueuses aguerries : les « adeptes » sont sur son site actuel. L’imposant encadrement rectangulaire
en réalité des membres d’une famille d’antiquaires dégénérés est composé de briques sombres décorées de nombreuses
sur lesquels Lang et Harbou ont surenchéri lors de la vente plaques en terre cuite formant une mosaïque de portraits et
de l’idole, et ils veulent tout simplement la voler. S’ils de plantes. La double-porte semble faite de métal martelé,
évoquent des rêves et des cultes étranges, c’est simplement mais il s’agit peut-être simplement d’une décoration sur une
pour paraître mystérieux et dangereux afin qu’on leur base de bois. Chaque porte se compose de quatre panneaux
fiche la paix. autour d’un médaillon central où figurent les portraits
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d’hommes à l’air grave qui se toisent, chacun depuis grotesques et bestiales, et on reconnaît certains aspects des
son côté de la porte. Seule la porte de droite comporte créatures du Mythe parmi les motifs décoratifs entourant les
une poignée. médaillons aux portraits.
i Recherche : ceux qui connaissent l’architecture classique de
Berlin reconnaîtront là un portail presque identique à ceux
de la Bauakademie, l’établissement d’enseignement supérieur
conçu par l’urbaniste et architecte Karl Friedrich Schinkel,
Je pense, donc je suis
et situé près du Stadtschloß (L’île aux Musées, page 46).
i Lieu : Romanisches Forum
i Découverte : un jeune artiste fervent se fait une réputation
Note à l’intention du Gardien : il existe (au moins) deux parmi les milieux artistiques en affirmant avoir créé un dieu
destinations possibles pour ce portail : soit il mène à la à l’image de l’homme. L’artiste affirme que son œuvre est
Bauakademie, soit dans un monde étrange qui fait partie des presque achevée et qu’elle déambulera bientôt dans les rues
Contrées du Rêve de Berlin. Si vous décidez que la porte ouvre de Berlin tel un dieu vivant.
sur la Bauakademie, ceux qui la traversent débouchent dans i Recherche : le « Manifeste de la Divinité » (le nom que
un placard tout à fait ordinaire des archives photographiques l’artiste lui a donné) comprend certaines phrases comme
de la Staadtliche Bildstelle, situées au sous-sol de l’académie « neb-lon Yog-Sothoth », « k’luu muuni Asastari » et « Ia !
et abritant plus de 20 000 négatifs sur verre représentant en Dak-Nyarlat » qui mettront sans doute la puce à l’oreille
majorité des édifices historiques. Pour des raisons inconnues des investigateurs. Il y a deux mois, un exemplaire du
(mais peut-être à cause des expériences en sorcellerie d’un Rituale von toten Fleisch (« les rituels de la chair morte »),
des membres du personnel ou de l’acquisition d’un puissant qui serait une traduction non autorisée de certains
artefact par l’institut), la porte apparaît sur le mur latéral du passages de l’édition française du Culte des Goules, a été
bâtiment dont le négatif a été regardé en dernier au moyen volé dans la collection privée de la Bibliothèque d’État
d’une lanterne magique particulière, actuellement stockée Prussienne. Ceux qui consultent les rapports relatifs à
dans la salle de visionnage adjacente. Elle tient lieu de Portail ce vol constatent que le voleur présente des similitudes
menant à n’importe lequel des bâtiments de l’archive, dont les physiques avec l’artiste susmentionné.
photos couvrent non seulement Berlin et l’Allemagne, mais
d’autres chefs-d’œuvre architecturaux du monde entier. Un des
membres de l’institut pourrait-il s’en servir pour commettre Note à l’intention du Gardien : l’artiste construit bel et
des crimes bizarres, en apparaissant et disparaissant à volonté bien un dieu. En exploitant les étranges incantations du
dans toute la ville ? À moins que l’utilisateur du portail ne Rituale von toten Fleisch, il a conçu de nouveaux rituels qu’il
s’en serve pour un autre but ? Un collectionneur aurait-il récite devant sa hideuse créature : un mélange grotesque de
entendu parler de la lanterne magique, et souhaiterait-il la métal, de bois, de morceaux d’animaux et de chair humaine
mettre au service de ses noirs desseins ? Et qu’adviendrait-il assemblés pour former la caricature cauchemardesque
si la lanterne magique était utilisée par les conférenciers d’un dieu tel qu’il l’imagine. Avec ses mains griffues, sa tête
de l’académie une fois que celle de la salle de conférence élaborée à partir d’un crâne d’ours hérissé de pointes de
principale a été endommagée par accident ? métal, couverte de peau humaine déposée çà et là et mesurant
La porte peut également donner sur un monde sylvestre plus de 2.40 m, le monstre sera imprégné de l’énergie vitale
inspiré des nombreux adeptes du « retour à la nature » arrachée par le rituel à Yog-Sothoth lui-même ! Quelle
allemands : c’est la manifestation d’un passé idéalisé et rêvé abomination se déchaînera contre la ville si les investigateurs
par les habitants blasés de Berlin sous une forme qu’il n’a ne trouvent pas le moyen de l’arrêter ?
jamais eu dans la réalité. La forêt abrite nombre de petits
villages, dont deux ressemblent beaucoup aux villages de
pêcheurs qui ont évolué pour devenir la ville moderne.
Précieux fluides corporels
Mais il s’agit des Contrées du Rêve, où les apparences sont
trompeuses. Ce lieu peut mener à d’autres régions des
i Lieu : Prenzlauer Berg
Contrées et permettre de les explorer, ou constituer un monde
clos, peuplé de mythes et légendes germaniques revisités. Si le i Découverte : on a trouvé une curieuse substance organique
Gardien opte pour cette dernière solution, les plaques et les dans une réserve d’eau de Berlin, et ceux qui en ont
motifs de la porte peuvent donner une idée de ce vers quoi consommé involontairement se plaignent de malaises.
elle mène : les plus grandes représentent des activités telles i Recherche : une petite cellule d’anarcho-communistes
que la chasse, l’agriculture et la pêche, mais les plantes sont antibolchéviques a exhumé une étrange capsule de
difformes, les représentations des anges du linteau paraissent métal, apparemment enterrée depuis longtemps sous le
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95
5
DES MOUCHES
M
eurtres sanglants dans un monde postapocalyptique.
Dans l’atmosphère d’hyperinflation et de troubles politiques,
un esprit cannibale voyageant de corps en corps rôde dans les Note de l’auteur
rues, perpétrant d’abominables crimes à caractère sexuel ; une folle
affirme être l’héritière d’un trône déchu et une alliance russo-germa- Le thème de ce scénario est le lustmord (crime à carac-
nique échafaude un plan visant à sacrifier le plus grand politicien tère sexuel). Il est organisé comme une sorte de procédure
d’Allemagne sur l’autel de ses dieux païens… semblable aux œuvres de Lang où plusieurs factions se
heurtent les unes aux autres, sans que les investigateurs
sachent à qui se fier. La violence y tient lieu de métaphore
de la réaffirmation brutale de l’esprit national d’une Alle-
Résumé pour le Gardien magne « émasculée » par la défaite de la Grande Guerre :
la masculinité fragile abonde ici. Selon l’analyse de Stephen
« Les horreurs de la guerre et celles, pires encore, du bolchévisme,
nous ont enseigné que rien n’est trop atroce pour être vrai. » King, qui distingue l’horreur en trois catégories dans le
recueil Anatomie de l’horreur, ce scénario appartiendrait à
— Gerald Bliss, The Door of the Unreal la catégorie de « La révulsion» : « quand la lumière s’éteint
Le scénario débute, après un peu de violence de rue, lorsque les et qu’une substance verte et poisseuse vous éclabousse
investigateurs s’impliquent dans une enquête consacrée au possible le bras. »
meurtre à Berlin de la Grande Duchesse Anastasia Romanova,
de la main du tristement célèbre tueur en série et cannibale
Page opposée : Carl Großmann frappe à nouveau
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Contexte
Images de la ville « Dans les jours à venir, les gens auront du mal à croire
La Grande Inflation a commencé. Nul ne saurait en prévoir que les volontés d’un mort pouvaient contraindre les
la portée exacte, mais les signes annonciateurs sont clairs. vivants… »
Lorsque les investigateurs se déplacent à Berlin, émaillez
— Walther Rathenau, Von kommenden Dingen
vos descriptions de présages de la tempête à venir.
Nous sommes le mercredi 21 juin 1922. La Grande Guerre s’est
i Des boutiques aux vitrines barricadées.
achevée il y a trois ans, sept mois et six jours, mais son souvenir
i Des vendeurs à la sauvette qui fourguent des marque encore tous les aspects de la vie à Berlin.
cartes postales pornographiques, de la drogue, des Dans la ville elle-même, la plus violente pulsion politique s’est
allumettes ou des devises étrangères. éteinte après l’échec du Kapp en 1920, quand des milliers de vété-
i Des tableaux placardés sur la devanture des clubs rans armés, membres des « Freikorps » (les « corps francs ») sont
descendus en ville occuper les bâtiments du gouvernement afin de
et la façade des banques pour indiquer la valeur
mettre en place un gouvernement de droite, ultra-nationaliste, qui
du mark par rapport au dollar et à la livre sterling,
se serait dressé face au catastrophique Traité de Versailles. Les ten-
laquelle change d’heure en heure. Chaque fois que sions politiques agitent toujours la population, et les heurts sont
les investigateurs en aperçoivent une, le taux a nombreux, verbaux comme physiques, entre factions de droite et
changé, toujours pour le pire. de gauche.
i Des policiers patrouillent en groupe, le fusil à La ville grouille d’émigrés venus de l’est, des juifs orthodoxes
l’épaule, officiellement à l’affût des troubles de Ostlander aux monarchistes russes en exil, qui se regroupent tous
l’ordre public et des pillards. Toutefois, la plupart dans des quartiers ethniques, renforçant l’impression d’isolement
semblent ne se soucier aucunement des délits et et de ségrégation urbaine.
crimes perpétrés autour d’eux. Le récent échec des conférences de dédommagement interna-
i Un mendiant, un vétéran amputé des deux jambes tionales a provoqué la chute de la valeur du mark : 1 $ valait 320
marks il y a un mois, et 1000 marks aujourd’hui. Il y a deux mois,
pendant la Grande Guerre, hurle pour attirer
le ministre des Affaires étrangères Walther Rathenau, héritier du
l’attention et couvrir la voix d’un bonimenteur qui
géant de l’industrie AEG et visionnaire reconnu de tous, a fait naître
vante les « femmes nues garanties ! » que l’on une lumière d’espoir pour nombre d’Allemands. En négociant
trouve dans le Cabinet des Curiosités Anatomiques. le traité de Rapallo, il s’est assuré que l’Allemagne ne doit aucun
dédommagement à l’Union soviétique qui s’est récemment for-
mée sur les vestiges de la Russie impériale. En retour, l’Allemagne
a été le premier pays à reconnaître officiellement le gouvernement
Lorsqu’il a fallu combler les vides laissés par les archives histo- bolchévique, choquant à la fois les Alliés de l’Ouest et les factions
riques, nous avons opté pour les solutions les plus macabres et sen- anticommuniste et monarchiste locales. Beaucoup s’inquiètent
sationnelles, celles qui penchaient du côté de la conspiration, dès désormais que Rathenau n’ait ouvert la porte à un renversement
lors qu’elles servaient l’atmosphère de ce scénario. Großmann, par bolchévique du gouvernement et s’interrogent sur les véritables
exemple, n’avoua que le meurtre de trois femmes, et les rumeurs loyautés du ministre, des soupçons qu’exacerbent ses origines juives
prétendant qu’il vendait de la viande humaine dans les rues n’ont et son cursus d’industriel.
jamais été avérées.
En plus des inquiétudes liées à un soulèvement politique et à l’ef-
fondrement économique, les signes d’un désastre imminent se font
sentir depuis un mois chez les plus sensibles. Dans toute la ville,
des artistes rêvent de femmes sauvagement assassinées pendant
un acte sexuel, ce qui correspond à l’expression lustmord. Cer-
tains, comme l’artiste Otto Dix, ont tenté d’exorciser ces visions
au travers de leurs tableaux. D’autres se contentent de noyer leurs
angoisses dans les satisfactions fugaces qu’offrent l’alcool, la drogue
et la vie nocturne à Berlin.
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wChronologie x
Date Événement
Großmann se suicide. Les investiga-
Mercredi 21 juin teurs sont engagés pour enquêter sur
l’affaire Großmann/ « Sasnovski ».
premiers échos de violents meurtres
en ville (Les meurtres, page 127).
Dans la soirée, le baron von Kleist
Jeudi 22 juin parle de son « invitée spéciale »
(Anna fait la une, page 126). Anna
Tchaïkovski est attaquée le soir même
(La première attaque, page 124).
les lustmorde se multiplient. Anna
Tchaïkovski s’enfuit pour se réfugier
Vendredi 23 juin
au zoo de Berlin. Manfred von Killinger
propose son pacte avec le diable.
Samedi 24 juin Walther Rathenau est assassiné.
Anita Berber
Note à l’intention du Gardien : lorsque les investigateurs
qui ont fait ce rêve rencontrent Anna Tchaïkovski, ils la
reconnaissent comme la fille de leur songe. La vision du
Visions nocturnes Moulin Rouge provoque une perte de 0/1 point de Santé
Mentale, et celle d’Anna Tchaïkovski une perte de 1/1D3
Au début de ce scénario, le Gardien doit déterminer si certains points ; si les investigateurs n’ont jamais mis les pieds dans le
des investigateurs sont sensibles à l’art. C’est naturellement le cas cabaret ou rencontré Anna (voire ni l’un ni l’autre), la perte
des artistes professionnels, mais également de ceux qui disposent de Santé Mentale ne se produit que lorsqu’ils sont confrontés
de traits tels que « rêveur » ou « hédoniste ». En cas de doute, dans la réalité aux éléments en question.
demandez à tout investigateur dont le POU est supérieur ou égal
à 65 d’effectuer un test de POU : en cas de succès, le person- 2. Vision à la première personne : rapport sexuel avec une pros-
nage est affecté. Comme toutes les âmes sensibles de la ville, les tituée dans un appartement (chez Großmann). L’image se dissipe
investigateurs en question sont hantés par des images troublantes rapidement pour passer au rêveur étendu nu sur son lit tandis que
qu’ils voient dans leurs rêves. Durant l’enquête, chaque matin, la femme, nue elle aussi, fume debout devant la lucarne. Le corps du
ils doivent effectuer un test d’INT s’ils veulent se rappeler ces rêveur n’est pas le sien, mais celui d’un homme d’âge mûr, maigre,
songes dérangeants. Ceux qui réussissent reçoivent les visions mais à la peau flasque et veineuse.
suivantes (et la perte de Santé Mentale correspondante) dans
l’ordre qui suit :
Note à l’intention du Gardien : le rêveur perd 0/1 point
1. Vision à la première personne : le personnage entre dans un de Santé Mentale. Si l’investigateur a visité l’appartement
nightclub bondé (le cabaret du Moulin Rouge, même s’il l’ignore de Großmann et reconnaît l’environnement, il perd 1 point
à moins de s’y être déjà rendu dans la réalité). L’air est saturé de supplémentaire. Sinon, le point en question n’est perdu qu’à la
fumée de cigarette, et l’atmosphère animée. Une prostituée s’ap- visite de l’appartement.
proche, souriant d’un air engageant. Le rêveur regarde autour
de lui et découvre une jeune fille slave à la tenue très simple. Il 3. Vision à la première personne : une prostituée différente est
chasse la prostituée et se dirige vers la jeune fille pour engager étendue sur le lit du même appartement (celui de Großmann), ligo-
la conversation. tée, bâillonnée, en nage et inconsciente. Le rêveur baisse les mains
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Plan du Ku’damm
et découvre ses mains couvertes de sang : ce sont bien les siennes 5. Vision à la première personne : l’investigateur est sur la ban-
et non celles de Großmann ! Les draps qui recouvrent en partie la quette arrière d’une voiture décapotable. Son corps n’est pas le sien,
femme sont imbibés de sang. mais diffère de celui des autres rêves : c’est celui d’un homme en
costume élégant. Le chauffeur en uniforme de la voiture ralentit
pour traverser une voie ferrée. À cet instant, une autre voiture se
Note à l’intention du Gardien : le rêveur perd 1/1D3 points gare juste à côté. Un homme que les investigateurs reconnaissent
de Santé Mentale. comme étant Kern (de l’Incident au parc Romanisches page 106)
se penche par la vitre côté passager et ouvre le feu avec une mitrail-
4. Vision à la première personne : un plan de découpe de boucher, lette MP 18. Le rêveur sent les balles lui perforer la peau, lui déchi-
couvert de sang, dans une cuisine (celle de Großmann). Le lino rer la gorge et lui fracasser les vertèbres. Ensuite, un autre homme
du sol est couvert de sang, et des morceaux de viande ensanglan- assis sur la banquette arrière du deuxième véhicule lance une gre-
tés s’empilent sur le comptoir carrelé. Parmi eux, on distingue une nade de type « presse-purée » qui atterrit aux pieds du rêveur. Un
main humaine et la tête d’une femme. Le visage est différent de ceux instant avant qu’elle n’explose, l’investigateur se réveille, baigné de
des femmes des autres rêves. sueur, persuadé d’avoir été abattu par balles.
Note à l’intention du Gardien : le rêveur perd 1/1D4 points Note à l’intention du Gardien : le rêveur perd 1D3/1D8
de Santé Mentale. points de Santé Mentale.
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Commencement : Incident la rue, non loin de leur territoire habituel dans la Tauentzinstraße.
Elles prennent la température de la foule de midi pour y chercher
au parc Romanisches d’éventuels clients. À l’intérieur du café, on trouve le mélange habi-
tuel d’artistes et d’intellectuels. Le Gardien peut d’ailleurs en profi-
ter pour introduire quelques célébrités du chapitre Oh! You Pretty
Note à l’intention du Gardien : avant d’entamer le scénario Things (cf. pages 71 à 87) pour enrichir le décor.
proprement dit, demandez aux joueuses de faire un test de La vue donnant sur le centre du parc, à peine gênée par les voitures et les
Chance. Notez celles qui ont échoué, mais ne leur révélez pas bus qui circulent tout autour, permet de voir l’immense flèche (113 m)
la raison de ce test pour le moment : il déterminera qui sera de l’Église du Souvenir de l’Empereur Guillaume, somptueux édifice
la cible lors d’une scène ultérieure (cf. La première attaque, même aux yeux des athées. Au-delà de l’église, de l’autre côté du parc,
page 124). on trouve le Ciel et l’Enfer, un club qui n’ouvrira pas avant plusieurs
heures, ainsi que la façade de marbre massif du cinéma Marmorhaus.
Que le spectacle commence…
Les vendeurs de journaux passent autour du parc, criant les gros
C’est l’heure du déjeuner et les investigateurs sont rassemblés au titres du jour : l’infâme meurtrier cannibale, Carl Großmann, a
Romanisches Café de l’Auguste-Viktoria-Platz (cf. Le Ku’damm, échappé à la justice en se pendant dans sa cellule ! Tous ceux qui
page 31) où ils profitent du beau temps de cet été. Peut-être sont-ils vivaient à Berlin en 1921 se souviennent du cas Großmann, cette
venus manger ensemble, à moins qu’ils ne se trouvent par hasard affaire à sensation dont les événements sont résumés dans l’Indice :
au même endroit pour une raison qui leur appartient et ne soient Diable 1. Si tous les investigateurs sont arrivés dans la ville récem-
installés non loin les uns des autres. ment, l’article les mettra au courant : les vendeurs de journaux ont
des titres en français et en anglais si nécessaire.
Une chaude brise agite les branches des arbres du Jardin zoologique
non loin de là, et sur le trottoir déambule la foule habituelle d’ache- Tandis que les investigateurs sirotent leur café et lisent les nouvelles,
teurs et de touristes. Une mère et sa fille, des T-girls toutes deux très l’arrivée d’une douzaine d’hommes et d’adolescents perturbe un
à la mode (cf. Prostitution, page 54) se détendent de l’autre côté de tant soit peu l’atmosphère de confort bohémienne. Tous portent des
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uniformes de type militaire élégants, gris anthracite. Quelques-uns des vases et des verres pleins. L’un d’entre eux, dont le rictus appa-
arborent des médailles militaires, et même quelques cicatrices de rent gâche les traits séduisants, s’arrête à la table des investigateurs.
guerre : un bandeau sur l’œil pour l’un, une peau grêlée des cicatrices Il tire de sa poche un morceau de craie et y dessine une hakenkreutz
infligées par le gaz moutarde pour un autre… Tous portent, épinglé à (croix gammée) tournant vers la droite – communément appelée
la manche gauche, un insigne en étain représentant un bateau viking svastika – avec un sourire provocateur.
fendant les flots et surmontant le nom « Ehrhardt ». Les personnes
Des investigateurs allemands, ou des expatriés qui vivent en
originaires de Berlin et ceux qui y vivent depuis un moment peuvent
Allemagne depuis plus d’un an peuvent effectuer un test de
reconnaître ce nom grâce à un test de Connaissance : Herman
Connaissance : en cas de succès, ils se rappellent que le parti natio-
Ehrhardt était l’un des principaux leaders du putsch de Kapp en 1920.
nal-socialiste des travailleurs basé à Munich emploie ce symbole. Une
Les autres clients du café ne manquent pas d’identifier l’emblème et réussite majeure permet également de se rappeler que le svastika du
l’uniforme des arrivants : les huées éclatent çà et là. Le plus âgé des NSDAP tourne dans l’autre sens. Même sans jet de dés les joueuses
hommes en uniforme se contente de saluer poliment, une cravache en concluront sans nul doute que ces hommes appartiennent au
calée sous le bras. Certains jeunes entonnent une chanson enjouée parti nazi. Ce n’est pas le cas… même s’ils sont aussi infects.
sur un air de chant de Noël, mais la mélodie guillerette contraste
Opérant actuellement sous forme d’un Ringvereine (cf. Beinls et
avec les paroles satiriques et choquantes qui prédisent le retour
Bulls : Crime et châtiment, page 38) baptisé « l’association spor-
imminent du Kaiser et appellent à la violence contre le Chancelier
tive Olympia » (Sportverein Olympia), ils font en réalité partie d’un
Joseph Wirth et le ministre des Affaires étrangères Walther Rathe-
infâme groupe terroriste appelé l’organisation Consul. Certains
nau. La chanson se finit sur un répugnant couplet :
d’entre eux sont originaires de Berlin, tandis que les autres sont
« Renversons Walther Rathenau, récemment arrivés du QG du groupe à Munich pour d’autres rai-
sons (qui seront dévoilées ultérieurement dans ce scénario, cf. Le
Ce maudit porc juif ! »
sacrifice de Baldur, page 131), mais n’étant pas du genre à manquer
Tout en chantant, les jeunes hommes circulent parmi les clients ins- une occasion d’agacer leurs ennemis, ils ont décidé de s’éloigner un
tallés à la terrasse, marchant d’un bon pas comme s’ils se trouvaient peu de leur poste de recrutement près du parc pour chercher des
encore dans la rue, bousculant délibérément des tables, renversant ennuis au notoirement gauchiste Romanisches Café.
Indice : Diable 1
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Fauteurs de trouble
Le mouvement völkisch L’homme le plus âgé, celui qui porte la cravache, s’appelle Manfred
Freiherr von Killinger (cf. Personnages, page 102 ; son profil figure
« En 1875, l’année où Blavatsky fondait sa Société Théoso- en page 138). Il a récemment été acquitté, malgré toutes les preuves
phique à New York, List invoquait Baldur, le dieu du soleil l’accablant, des charges pesant sur lui pour l’organisation de l’as-
teutonique, sur une colline près de Vienne. En l’honneur de sassinat en 1921 de Matthias Erzberger, ministre des Finances,
ce dernier, il enterra huit bouteilles de vin formant un motif et se trouve donc de fort belle humeur. Il est arrivé à Berlin le
de svastika et se voua au culte des Grands Anciens… » matin même.
— Peter Levenda, L’Alliance infernale Le jeune homme qui a dessiné le svastika sur la table des investiga-
teurs est Erwin Kern, étudiant en droit de 23 ans, antisémite d’ex-
L’information qui suit est de notoriété commune en Alle- trême droite complètement fanatisé (vous trouverez son profil dans
magne, et n’importe quel étranger doté d’une valeur d’au la section Personnages et monstres, page 138). Contrairement à
moins 35% en Anthropologie ou en Occultisme la pos- ce que peuvent se figurer les joueuses, le svastika représente pour
sède également. lui son héros personnel, Hermann Ehrhardt, et il ne s’agit ni d’un
signe de son antisémitisme ni d’une marque de son appartenance
Il existe dans chaque langue des mots difficiles à traduire. au NSDAP.
C’est le cas de völkisch en allemand. Proche du mot « folk »
(le peuple), mais d’un sens plus vaste, le mouvement Killinger, Kern et leurs camarades tentent de provoquer une réac-
völkisch naquit après l’éveil du nationalisme allemand au tion chez les clients du café, selon le protocole bien établi au sein
de Consul : inciter la violence de la part de la gauche à la moindre
19e siècle, culminant avec la formation de l’Empire alle-
occasion, afin de provoquer un soulèvement de gauche que Consul
mand en 1871.
pourrait réprimer en menant un coup d’État en douce. Consul
Les sociétés völkisch prirent leur essor durant la décen- souhaite semer la zizanie en toute occasion : plus vite la société se
nie consécutive à la naissance de l’Empire, manifestant un délite, plus vite ils pourront s’emparer du pouvoir.
désir de renouer avec un passé mythique. Par conséquent, Le plan fonctionne. Même si les investigateurs gardent leur calme
völkisch n’est pas seulement à rapprocher de « folklore », face aux provocations, d’autres clients voient rouge. On passe des
mais également de « populisme » et de « nationalisme ». insultes aux coups et aux tables retournées. Les investigateurs
Il désigne un Peuple avec un grand P. Le mouvement évo- peuvent judicieusement déguerpir (avec la plupart des autres
quait un héritage commun chez les Allemands, remontant clients et des passants des alentours) ou participer un moment à
à des dizaines de millénaires, et présentait le destin des la mêlée (utilisez le profil d’Erwin Kern, page 138, pour tous les
peuples germaniques comme une lutte permanente contre autres membres de Consul). À cette étape, personne n’utilise d’arme
plus redoutable que ses poings ou ses bottes, et tous s’enfuient si
des influences « polluantes » : celles des pays latins, des
quiconque sort un couteau ou une arme à feu.
Slaves, et en particulier des juifs. Il rejetait les religions
sémitiques quelles qu’elles fussent, y compris le chris- Les investigateurs qui décident de décamper sans se battre peuvent
tianisme, considéré comme ayant dilué le glorieux passé effectuer un test de Trouver Objet Caché : en cas de succès, ils
païen de l’Allemagne. remarquent un homme aux traits pincés, vêtu d’un costume élé-
gamment taillé, qui observe le pugilat avec attention. Il remarque
Dans sa forme la plus bénigne, le mouvement völkisch en bien vite celui ou ceux qui l’observent et disparaît dans la foule qui
appelait à une philosophie de « retour à la nature » appelée se rassemble.
Lebensreform (réforme de vie) qui rejetait le mode de vie
urbain corrupteur au profit d’une existence campagnarde Note à l’intention du Gardien : l’homme aux traits pincés
propre, affranchie des drogues, de l’alcool et des autres est le prince Gabriel Constantinovitch, que les investigateurs
vices, tout en admirant ouvertement les spécimens les plus rencontrent dans L’affaire de la princesse imprévisible,
harmonieux de corps germaniques (abondamment repré- page 109.
sentés dans des portraits et des photos de nu). Sous son
aspect le plus pernicieux, le mouvement völkisch justifiait Au bout de 1D3 rounds de pugilat, Killinger intervient avec sa cra-
toutes sortes de croyances antisémites et nationalistes, vache pour sauver la face, appelant au calme tandis que des sifflets
ainsi que des théories délirantes concernant les races, la de police résonnent au loin. La confrontation s’achève aussi vite
biologie et la cosmologie. qu’elle a commencé, et la vie reprend son cours, les serveurs ramas-
sant d’un air morose tasses et soucoupes en morceaux… Un jour
comme un autre à Berlin.
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Indice : Diable 2
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C’est bientôt le solstice d’été, et il fait encore jour lorsque les inves- Il parle dans la langue principale du groupe d’investigateurs, et s’ex-
tigateurs arrivent à l’hôtel pour leur rendez-vous de 20h. En traver- prime aussi aisément en allemand, en français ou en anglais, bien
sant le lobby élégant au haut plafond, ils perçoivent déjà les rires et qu’il les parle avec un accent évident.
les conversations provenant du café de l’hôtel et de son « American
Le prince ne se lance pas dans les explications avant d’être sûr
Bar und Grill ». On parle ici aussi bien russe qu’allemand. que tous ses invités sont présents. Il se révèle un hôte gracieux, et
La chambre 415 se trouve au quatrième étage du bâtiment, le der- répète la proposition de Fedor (cette fois dans une langue que tout
nier. Lorsqu’on toque à la porte, apparaît un homme au teint cireux le monde comprend) avant de bavarder agréablement en attendant
en tenue de chauffeur. La chambre est une vaste suite donnant sur les derniers invités. Si on lui demande pourquoi et comment il a
le zoo de Berlin, aux teintes vertes et dorées sous les lueurs du cou- contacté les investigateurs, il se contente de sourire et de répondre
chant. Le chauffeur, un type austère du nom de Fedor, offre sans que leur réputation les a précédés.
un mot des cigares aux investigateurs et des cigarettes aux dames. Des investigateurs qui ont vu l’homme aux traits pincés au Roma-
Il demande également (en russe, et sans grande conviction) si qui- nisches Forum un peu plus tôt reconnaissent le prince. Si on l’inter-
conque souhaite boire un verre. Si personne ne répond en russe, il roge sur ce sujet, il secoue la tête, l’air grave.
ne répète pas son offre en allemand.
« Nous vivons une époque bien turbulente, mais quoi de plus nor-
À ce moment, le prince entre dans la pièce. Il porte l’uniforme d’ap- mal, lorsqu’une monarchie divine est renversée par la plèbe ? Que
parat d’un officier de cavalerie de la Russie tsariste, dont il est jus- disait le poète Yeats ? Ah oui : «Tout se disloque. Le centre ne peut
tement occupé à boutonner le haut du col. Fedor le salue, mais le tenir. L’anarchie se déchaîne sur le monde. Comme une mer noircie
prince ne répond que par un geste évasif. de sang…» En effet. »
« Bonsoir. Je suis le prince Gabriel Constantinovitch, à votre service. Arrivé à ce point, il tire une bouffée de son cigare, l’air songeur,
Merci infiniment d’avoir répondu à ma convocation. » avant de changer de sujet.
Indice : Diable 3
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Plan de Friedrichshain
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i Une Kontroll-girl (qui entame la conversation par un « alors, Cabaret « Le Moulin Rouge »
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Tenter de se renseigner sur « Sasnovski » parmi ces clients tur- Tout autochtone allemand et tout étranger qui réussit un test d’Arts
bulents et issus de la classe moyenne risque de se révéler péril- et métiers (Danse ou Cinéma) reconnaît immédiatement Anita
leux. Les investigateurs peuvent utiliser Charme, Baratin, Berber, danseuse, poète et actrice de cinéma transgressive. Quant
Intimidation ou Persuasion, mais les tests sont majeurs si leur à son cavalier, nul ne le connaît.
Crédit dépasse 50%, et extrêmes s’il est supérieur à 75%. Même
Des clients du bar ne manqueront pas d’identifier Anita et de lui
Erich risque de se montrer peu affable vis-à-vis des bien lotis. Les
adresser des cris enthousiastes. Elle répond par un sourire aux
investigateurs qui ont eu une vision du Moulin Rouge dans leurs
dents écartées et un geste de la main. Erich se précipite auprès d’elle
songes (Visions nocturnes, page 104) bénéficient d’un dé bonus à
en s’inclinant comme un flagorneur. « Puis-je vous débarrasser de
leurs jets, une fois passé le choc éprouvé en reconnaissant le décor.
votre manteau, Fräulein ? » s’enquiert-il. « Mais certainement »,
Des investigateurs qui offrent un peu d’argent sous forme de tour-
répond Berber.
née (il leur en coûte 1£, 5$ ou 1000 marks) peuvent également
obtenir un dé bonus. Dans un concert de sifflements et de hoquets de surprise, elle retire
En cas de test de compétence sociale réussi, un couple d’habitués le manteau et révèle son corps mince, pâle et nu, contre lequel se
se rappellent vaguement une femme qui correspond à la descrip- presse le petit singe. Même l’orchestre s’interrompt dans la stupé-
tion et au nom fourni, même si l’un d’entre eux se souvient plutôt faction générale. Berber, parfaitement maîtresse de la situation, se
du nom « Schamzkowski » ou « Schamzkowska », ou de quelque déplace parmi les tables. Devant celle des investigateurs, elle prend
chose d’approchant. Elle faisait partie des piliers du club. « Mais elle son animal de compagnie et le tend à celui ou celle d’entre eux qui
a arrêté de venir après s’être jetée dans le Landwehr, quand ils l’ont dispose de l’APP la plus élevée en lui demandant : « Tiens, prends
emmenée chez les dingues », explique l’un des nouveaux confidents soin de mon singe. »
des investigateurs. Une tentative d’intimidation trop insistante Son compagnon se dirige aussitôt vers l’orchestre et s’entretient avec
ou un échec conséquent aux tests débouche au contraire sur une le violoncelliste tandis que Berber circule dans la salle, s’arrêtant
bagarre dans la ruelle (dans le cas d’un investigateur) ou sur une ici et là pour sourire ou roucouler devant un client estomaqué.
gifle énergiquement administrée par un client costaud et bien émé- Alors que le musicien entame le Nocturne en ré mineur de Tchaï-
ché (dans le cas d’une investigatrice). En cas de besoin, utilisez le kovski, Berber poursuit sa pavane dénudée et déclame un poème
profil de l’Ivrogne du Moulin Rouge dans la section Personnages (« Orchidées ») :
et monstres (cf. page 139).
Je suis allée au jardin
Une entrée en scène digne d'intérêt Le jardin débordait d’orchidées
À ce moment, l’orchestre achève son interlude et on installe sur Si épanouies, si riches
scène une pancarte annonçant le numéro suivant : Jack, le roi de Il fleurissait, vivant, frémissant
l’évasion. Un homme retire d’ailleurs avec soin des chaînes hui- Je n’ai pas pu m’arracher à sa douce étreinte
lées et des menottes d’un coffre non loin de là. Son numéro sera Je les aime à la folie
toutefois retardé indéfiniment par l’arrivée impromptue de deux Elles sont pour moi tels des femmes et des garçons…
étranges personnages : un homme et une femme manifestement Je les ai embrassées et goûtées, toutes, jusqu’à la dernière
ivre d’amour et de cognac. Les yeux maquillés de kohl de l’homme
Toutes sont mortes, rouges, sur mes lèvres
soulignent encore son teint basané. Ses cheveux sont coiffés en
boucles savamment élaborées reposant sur ses joues et son front. Il
De mes mains
porte une veste boléro ornée de broderies et de brocart, sans che- Dans mon absence de sexe
mise, des bracelets et des anneaux en or, un pantalon turc et des Qui englobe tous les sexes
bottes à boucles d’argent. Je suis pâle comme l’argent de la lune
La tenue de sa compagne contraste par sa simplicité, mais elle Un tonnerre d’applaudissements salue la performance. La moitié
attire aussitôt tous les regards. Malgré la chaleur, elle porte un des occupants de la salle sont sous le charme, les autres simplement
manteau de vison. À son cou et à ses poignets étincellent divers stupéfaits. Anita retourne en riant auprès de l’investigateur qui tient
bijoux : rubis rouge sang et diamants brillants. Les jambes nues,
son chimpanzé. « Merci, mon chou. »
elle porte des talons hauts en cuir de crocodile. Un bébé chim-
panzé est accroché à son cou, apparemment effrayé par la fumée Berber passe le reste de la soirée à tenir sa cour dans une vaste alcôve
et le vacarme. La chevelure de la femme, coupée au niveau des privée, nue comme au premier jour et reniflant de la cocaïne dans
épaules, est d’un roux flamboyant. Elle porte un maquillage épais, une bague conçue pour abriter la drogue. Elle passe un excellent
comme si elle sortait de scène : sa bouche au rouge à lèvres écar- moment avec son nouvel amant, Sebastian Droste (l’éphèbe à la
late barre d’un trait de sang une peau couleur craie. À son œil coiffure stupéfiante). Les investigateurs peuvent rester au club et
gauche, un monocle. s’amuser, encore qu’il soit difficile de tenir le rythme qu’imposent
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1. Max Hartung (47 ans) : cet homme replet et en sueur, mal pei- 6. Helene Itzig (54 ans) : cette femme à l’ample poitrine et à la per-
gné, vit dans l’appartement du fond du couloir où se trouve celui sonnalité plus volumineuse encore s’est autoproclamée surveillante
de Großmann. Il avait pour habitude d’attendre que son voisin d’étage. Elle se fait fort de tout savoir sur tout le monde, y compris
revienne avec une ou plusieurs prostituées, tard le soir, pour aller Großmann, mais elle est la seule à ne pas s’émouvoir d’avoir mis
jouer les voyeurs en regardant par le trou pratiqué par Herr Itzig. si longtemps à agir pour faire arrêter le meurtrier. Elle s’en attri-
Il affirme n’avoir jamais assisté à des actes violents ou dépravés, bue d’ailleurs tout le mérite, oubliant un petit détail : elle savait
mais un test de Psychologie réussi révèle qu’il ment. Hartung allait pertinemment que Großmann assassinait des femmes dans son
parfois boire avec Großmann au Moulin Rouge (cf. page 114). « Il appartement, des mois avant d’appeler la police. Helene est com-
aimait bien y emmener ses poulettes », se rappelle Hartung. plètement dépourvue de moralité, mais les investigateurs peuvent
penser qu’elle était impliquée dans les meurtres s’ils découvrent
2. Frieda Klippel (29 ans) : la peau grêlée de marques, mal fago- cet élément.
tée, Fräulein Klippel vit dans l’appartement situé directement sous
celui de Großmann. Ayant emménagé au printemps 1920, elle
entendait souvent des bruits de hachoir venant de chez lui, tard la
nuit (entre 3 et 5 heures du matin). Elle lui avait d’ailleurs demandé
ce qu’il pouvait bien fabriquer, et s’il coupait du bois. « C’est ça, je
S’éloigner des pistes principales
coupe du bois », avait-il répondu. Ce souvenir lui donne encore des
frissons d’effroi.
La police
Les investigateurs peuvent penser à demander les dossiers que
3. Konrad et Annie Böhm (30 ans tous les deux) : les Böhm
détient la police sur l’affaire Großmann. Comme indiqué dans
venaient de se marier en 1920 et se trouvaient dans un apparte-
l’Indice : Diable 1, celle-ci était dirigée par l’inspecteur Krieg, qui
ment mitoyen de celui de Großmann. Ils entendaient donc une
occupe un bureau au poste de police principal (le Polizeipräsidium)
grande partie de ce qui s’y passait : gémissements, grognements,
de l’Alexanderplatz. Un test de Droit réussi permet d’en faire l’un
cris, etc. Ils font toutefois remarquer avec insistance qu’il s’agis-
des contacts des investigateurs. Dans le cas contraire, un test de
sait de cris de douleur (Scherzensschreie) et non d’appels à l’aide
Crédit ou de Persuasion permet d’obtenir un entretien avec lui
(Hilfeschreie). Ils en déduisirent simplement que Großmann avait
(après une attente de 1D3 heures).
d’étranges penchants en matière de sexualité, sans se poser davan-
tage de questions. Un test de Psychologie réussi indique qu’ils Krieg peut raconter l’arrestation de Großmann et l’enquête, répé-
cachent quelque chose. Un test d’Intimidation ou de Baratin tant en grande partie ce que les investigateurs ont appris dans les
réussi pousse Konrad à avouer qu’il voyait souvent Großmann journaux. Il pense quant à lui que le meurtrier a pu tuer 100 per-
quitter son appartement dans la journée avec des paquets enve- sonnes en tout, essentiellement des femmes et des enfants, mais il
loppés dans du papier de boucher, et dont émanait une odeur dissimulait si bien ses traces qu’ils n’ont pu l’accuser que de trois
nauséabonde. Il avait interrogé Großmann à ce sujet, un jour, et meurtres. L’inspecteur révèle toutefois un détail qui ne figure pas
le meurtrier lui avait répondu qu’un de ses lapins s’était échappé. dans l’article. Lorsqu’on l’a conduit en prison, Großmann a fait une
Annie se rappelle que Großmann parlait d’une « cabane de jar- curieuse déclaration, qui a marqué Krieg : « Jetzt habe ich jeden Ein-
din » sur Landsberger Chausee, où il emmenait la viande « pour zigen dran. » (« Désormais, j’ai tous les tours. »)
la découper ».
Si un ou plusieurs investigateurs sont impliqués professionnelle-
4. Herta Natusch (39 ans) : femme au teint hâlé et à l’attitude ment dans le maintien de l’ordre ou réussissent un test de Crédit,
nerveuse, Herta faisait partie des voisins de Großmann, mais elle Krieg sort également le journal personnel de Großmann de la salle
déménagea deux étages plus bas après l’avoir interpelé pour lui dire des preuves. Il contient diverses remarques au quotidien mal ortho-
ce qu’elle pensait de ses mœurs dissolues. Elle se rappelle très exac- graphiées, des recettes de saucisse, les règles d’une sorte de jeu de
tement ce qu’il lui a répondu : « Ferme ta gueule, salope ! » société qu’il élaborait et des noms curieusement griffonnés, mêlés
de symboles incompréhensibles et de ce qui ressemble à des mes-
5. Mannheim Itzig (51 ans) : voisin d’en face de Großmann, Mann-
sages codés.
heim se caractérise par ses yeux globuleux et d’un bleu délavé. C’est
lui qui a percé le trou dans la porte du meurtrier. « Pour le tenir Krieg désigne les noms : il y en a près de cent. « Les noms de ses
à l’œil et savoir ce qu’il mijotait. » Au bout du compte, c’est lui et victimes, si vous voulez mon avis. Je crois qu’il se préparait bien à
son épouse Helene qui ont averti la police. Il faut réussir un test l’avance chaque fois. Il tuait rarement une femme qu’il rencon-
de Psychologie pour comprendre qu’Itzig devait une forte somme trait pour la première fois. Il se renseignait sur elle, lui demandait
d’argent à Großmann quand ils l’ont livré. Mannheim buvait sou- son nom. Il le notait ici, puis il s’en prenait à elle. » Il note qu’un
vent au Moulin Rouge avec le meurtrier, malgré le comportement « X » figure à côté de certains noms. « Je crois que ce sont celles
inquiétant de ce dernier. et ceux qui ont réussi à s’échapper d’une manière ou d’une autre. »
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Si les investigateurs pensent à vous le demander, un test de Trouver ville. Située au milieu d’une immense forêt entretenue comme un
Objet Caché réussi permet de trouver le nom « Sasnovski » dans le parc, l’institution revêt une touche rurale bien qu’elle se situe au
carnet, avec un X à côté. beau milieu d’un paysage urbain. Le meilleur moyen de s’y rendre
consiste à emprunter le Stadtbahn en descendant à Wittenau pour
faire le reste du chemin à pied.
Le secret du journal
Ce que ni Krieg ni personne ne peut deviner, c’est que le journal L’asile ouvre au public de 9h à 19h. Un test réussi de Crédit, de
de Großmann est en réalité un livre du Mythe (cf. Grimoire, page Charme, de Baratin, d’Intimidation ou de Persuasion est néces-
saire pour convaincre la réceptionniste et obtenir un entretien avec
145). Il commence par une version en écriture automatique du sor-
un membre du personnel au sujet des patients. Même dans ce cas,
tilège Ressemblance Dévorante (cf. Manuel du Gardien, page 272),
seul un investigateur psychologue ou médecin peut espérer avoir
basé sur une incantation que Großmann a entendue dans ses rêves
accès aux dossiers des patients. Des joueuses créatives échafaude-
lorsqu’il purgeait sa peine de prison pour agression d’enfants en
ront bien sûr d’autres stratégies : la réceptionniste peut se laisser
1914. Il contient également des détails du « jeu » de Großmann et
soudoyer pour une somme modeste, un peu de flirt pourrait attirer
de la « stratégie » qu’il emploie pour « gagner la partie » : transcen-
l’attention d’un docteur, etc.
der sa chair par le suicide pour devenir un démon de la gourman-
dise et de la luxure grâce aux modifications qu’il a apportées au
sort, étendant la portée du rituel. Ces détails n’apparaîtront qu’après Effraction ?
avoir étudié le contenu du carnet, ce qui prend 10 semaines… donc Il reste également possible de s’introduire par effraction dans le bâti-
bien plus longtemps que ce scénario. ment en dehors des heures d’ouverture. La tactique, quoique viable,
est un peu extrême. L’asile n’emploie pas de personnel de sécurité
Obtenir le journal spécifique, et le bâtiment est assez vaste pour qu’on y entre sans trop
de mal par une porte isolée que le temps a rendue moins résistan-
Comme l’affaire est désormais classée, Krieg pourrait se laisser tel. Un test de Crochetage réussi ou une vitre brisée (accompagnée
convaincre de prêter le carnet aux investigateurs, mais uniquement d’un test de Discrétion pour que personne n’entende) permettent
si l’un des leurs travaille dans le maintien de l’ordre. Même alors, il d’entrer. Les dossiers médicaux se trouvent dans un bureau du sous-
faut réussir un test de Baratin ou de Persuasion. Le Gardien peut sol, derrière une porte fermée à clef (qui nécessite d’effectuer un
s’il le souhaite autoriser d’autres stratégies visant à s’approprier le autre test de Crochetage ou de briser la vitre de la porte). Un test de
journal grâce à un discours subtil, mais le test de compétence asso- Bibliothèque révèle les dossiers adéquats (cf. ci-dessous). Chaque
cié nécessite alors un succès extrême. jet de dés représente un intervalle de 30 minutes et nécessite un test
de Chance commun pour éviter qu’un membre du personnel de
Le cadavre de Großmann nuit ne découvre le groupe.
Si les investigateurs pensent à le demander, Krieg leur révèle que
le corps de Großmann est stocké dans un casier réfrigéré de la Les dossiers des patients
morgue, au sous-sol, à côté de la salle des preuves. Krieg peut mon- Quels que soient les moyens employés, les investigateurs ne trou-
trer le cadavre aux curieux s’ils lui font bonne impression ou lui veront parmi les dossiers de l’asile aucun patient admis sous le
donnent une bonne raison de l’examiner. Ils découvrent alors un nom de Schamzkovska, de Sasnovski ou approchant, pendant la
homme d’une bonne cinquantaine d’années, mais qui paraît bien 10 période à laquelle ils s’intéressent. La survivante d’une tentative de
ans de plus, maigre et presque filiforme, avec des mains noueuses et suicide a toutefois été internée en février 1920 : on a repêché une
un corps qui a traversé beaucoup d’épreuves. Même dans la mort, « Fräulein Unbekannt » dans le Landwehrkanal et on l’a amenée
ses yeux porcins conservent leur expression haineuse. ici. Un test réussi de Médecine est nécessaire pour déchiffrer les
notes des docteurs : la patiente souffre d’amnésie et de crises d’hys-
L'inspecteur Krieg térie à son arrivée ; elle présente de nombreuses plaies et cicatrices
aux bras, aux mains, aux jambes, aux pieds, au cou et au crâne ;
Sauf si les investigateurs se ridiculisent complètement, l’inspecteur la plupart des blessures sont récentes et résultent apparemment de
Krieg demeure un contact précieux lorsque le démon-Großmann morsures humaines.
entame sa série de meurtres.
Un élément ressort clairement des notes : le vrai nom de l’incon-
nue n’a jamais été établi pendant son séjour. L’année dernière, elle
a commencé à se faire appeler Anna Tchaïkovski, et c’est sous ce
L’asile de Dalldorf
nom qu’elle est sortie en mai cette année, remise à la garde du baron
Les investigateurs qui posent des questions au cabaret du Moulin Arthur von Kleist. Un examen des annuaires locaux révèle que le
Rouge peuvent se voir orienter vers « l’asile d’aliénés et d’idiots de baron possède un appartement sur Savignyplatz (cf. Rencontre
Dalldorf » situé à Reinickendorf à la périphérie nord-ouest de la avec Anna Tchaïkovski, page 122).
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Le jardin en lotissement
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La cabane est plus vide encore que l’appartement du tueur. On caisses de wurst et de viande en boîte. Quand la cabane ne
n’y trouve qu’un petit poêle à bois, contenant uniquement le lui servait pas de garçonnière, Großmann y préparait et y
cadavre momifié d’un oiseau qui est tombé dans la cheminée et distribuait la viande qu’il vendait au marché noir. Elle l’avait
n’a pas pu ressortir. Des dizaines de petits crochets sont vissés interrogé à ce sujet, et le meurtrier avait répondu que ces
dans les chevrons et les poutres, et des étagères vides s’alignent ventes faisaient partie de son travail de boucher, affirmant
aux murs. Aujourd’hui encore, il règne ici une vague odeur de qu’il vendait du porc et du bœuf, mais en demeurant évasif
saucisse fumée. quant à la provenance de la viande. Les ventes lui rappor-
taient gros. Si on le lui demande, Pagenkopf se rappelle que
la dernière datait d’une semaine avant son arrestation, il y
Les nains de jardin a six mois.
Si un investigateur pense à examiner l’un des nains de jardin, lais-
sez-lui faire un test de Trouver Objet Caché. En cas de succès, il
découvre une poupée de chiffon cousue main à l’intérieur d’une des Note à l’intention du Gardien : les investigateurs qui
petites statues creuses lorsqu’il la retire du chevron où elle repose. réussissent un test d’INT comprennent que ces conserves de
Quiconque déclare fouiller systématiquement tous les nains fait viande pourraient fort bien se trouver encore dans le garde-
la même trouvaille sans jet de dés. Les yeux en bouton de la pou- manger de nombreuses familles en ville. Se rendre compte que
pée luisent étrangement dans la pénombre. Les investigateurs qui de la viande humaine circule à Berlin comme si de rien n’était
décident de la conserver pourront lui trouver un usage plus tard déclenche une perte de 0/1D4 points de Santé Mentale.
dans ce scénario (cf. Le sacrifice de Baldur, page 131).
Johanna Pagenkopf
Quel que soit le moment où les investigateurs se rendent sur place Rencontre avec Anna Tchaïkovski
et la discrétion dont ils font preuve, Johanna Pagenkopf remarque Les investigateurs peuvent apprendre l’existence du baron Arthur
leur intrusion. Cette femme grêle d’une bonne cinquantaine d’an- von Kleist de deux manières : en se procurant le dossier médical
nées passe son temps sur le lotissement et se fait fort de connaître d’Anna Tchaïkovsky (Fräulein Unbekannt) à l’asile de Dalldorf
toutes les allées et venues. Elle répondra volontiers aux questions (cf. page 120) ou en remarquant un article de journal le soir du
sur Großmann, qu’elle détestait. Voici les éléments pertinents des 22 juin (cf. Anna fait la une, page 126). La formulation de l’ar-
réponses qu’elle donne, parmi une grande quantité de ragots et de ticle peut conduire les investigateurs à penser qu’ils auront du
spéculations sans intérêt. mal à se faire accepter chez le baron et à obtenir un entretien avec
Tchaïkovsky. Rien ne saurait être moins vrai.
i Großmann se servait manifestement de la cabane pour se
livrer à toutes sortes de magouilles ; il s’y rendait souvent le L’appartement se situe à quelques pâtés de maisons à l’ouest de
week-end, accompagné d’une à quatre femmes à la fois. l’Hôtel Éden, au cœur de la communauté des émigrés russes de
Charlottenbourg, que les Berlinois surnomment effrontément
i Lorsque Großmann entraînait des femmes dans la cabane, « Charlottengrad ». Même dans ce contexte, la foule de Russes qui
il ne fallait pas longtemps pour qu’en émanent des bruits circule chez le baron paraît surprenante. L’appartement occupe un
de violence et de molestation. Pagenkopf affirme (à juste étage entier de l’immeuble, avec son ascenseur privé permettant
titre) qu’elle leur a parfois offert un refuge, mais un test d’y accéder directement. Une fois publiée la nouvelle de l’existence
de Psychologie réussi révèle qu’elle éprouve encore des d’Anna (cf. Anna fait la une, page 126), et presque à toute heure
sentiments mitigés pour cet acte de charité, car il s’agissait du jour et de la nuit, les quartiers très élégants du baron accueillent
de toute évidence de prostituées. une foule de Russes blancs en exil, de monarchistes et de soi-disant
i Quand Großmann se rendait seul à la cabine, il manifestait proches des Romanov, tous à bavarder. Le soir, l’intérieur de l’ap-
un vif intérêt pour les enfants des voisins. Il leur distribuait partement prend des airs de soirée cocktail. Lors de leur première
généreusement des friandises, du chocolat, de la viande visite, laissez les investigateurs effectuer un test de Trouver Objet
salée et même des vêtements. Les usagers du lotissement Caché pour apercevoir Manfred von Killinger (cf. Incident au parc
refusaient en bloc ces actes de charité apparente, et Romanisches, page 106) parmi les convives. Il se faufile dehors
interdisaient à leurs enfants de s’approcher de Großmann. lorsqu’on présente les investigateurs au baron.
Même s’il ne leur a finalement rien fait, Pagenkopf pense Anna ne sort pas de sa suite privée. Quiconque souhaite la voir doit
que Großmann mijotait un sale coup. passer par le baron, qui se trouve fort occupé par cette horde de
i Frau Pagenkopf parle également du travail de Großmann. visiteurs qui vont et viennent en permanence. Cela dit, il ne faut
Des camions de livraison issus de distributeurs divers pas croire qu’il s’en offusque : au contraire, il est ravi d’être ainsi le
venaient souvent à la cabane, où elle les voyait charger des centre de l’attention.
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Le baron se fera un réel plaisir de présenter les investigateurs à cf. Indice : Diable 3, page 110). Les investigateurs peuvent éga-
Anna, si et seulement si ces derniers lui donnent l’impression qu’ils lement se rappeler que la Grande Duchesse Anastasia avait une
pourront l’aider à authentifier la jeune femme ou lui permettre d’ac- réputation d’amie des animaux et possédait une véritable ména-
croître sa renommée, ou encore si c’est le prince Constantinovitch gerie (avec un test de Connaissance ou automatiquement, s’ils
qui les lui présente. Sans lui, les flatteries et les fausses promesses sont personnellement liés à la cour des Romanov). Finalement,
leur permettront de gagner les faveurs du baron. Il n’y regardera les investigateurs peuvent songer à mettre Anna sous sédatif ou
pas à deux fois s’ils recourent à de fausses références (Baratin) ou sous hypnose. Elle résistera évidemment à ce genre de procédé, et
à un déguisement aristocratique (Art [Comédie] ou Imposture). il faudra user de force physique pour lui administrer une dose de
Un investigateur dont le Crédit est supérieur ou égal à 75% est morphine ou un sédatif similaire (faites alors un test de Médecine
automatiquement accueilli à bras ouverts ; si tout le reste a échoué, pour savoir si l’opération entraîne des séquelles ; cf. Morphine,
faites effectuer un test de Crédit à l’investigateur qui a la valeur la page 43). Un test d’Hypnose sera quant à lui opposé à la Psycho-
moins élevée. logie de 45% d’Anna.
Quelle que soit la compétence employée, on ne peut procéder qu’à
Note à l’intention du Gardien : si la rencontre se déroule le une tentative (plus un test redoublé éventuellement) par jour. Si un
soir du 22 juin ou après, une attaque interrompt l’entretien investigateur échoue, aucun autre ne peut tenter sa chance avant le
initial des investigateurs (cf. La première attaque, page 124). lendemain : à l’exception d’un test redoublé, Anna ne se soumettra
pas à des essais répétés de la part du même investigateur. Si un test
Une fois autorisés à pénétrer dans le saint des saints, les investi- redoublé échoue, Anna explose littéralement et jette dehors tous
gateurs découvrent une suite bien meublée et une jeune femme les investigateurs, et le baron avec eux, avec perte et fracas avant de
débraillée qui correspond exactement à la description que le prince s’enfermer dans sa suite. Elle refusera catégoriquement de revoir les
a faite d’Anna Tchaïkovsky. Vêtue d’une robe de chambre et d’une investigateurs par la suite.
robe, elle affiche les marques d’insomnies chroniques et d’une
angoisse constante. Elle se comporte en outre avec une réserve qui Un test réussi (Hypnose, Médecine, Persuasion, Charme ou
frise la paranoïa. Curieusement, toute tentative visant à communi- Psychanalyse) révèle les informations suivantes.
quer avec elle en russe ne débouche que sur un silence de plomb
de sa part. i Réussite ordinaire : Anna se rappelle avoir été tirée du
Landwehrkanal, mais pas ce qui l’a poussée à sauter du pont.
« Anna préfère éviter de s’exprimer dans sa langue natale, explique le Si on la confronte au nom Franziska Schamzkovska, elle a
baron. Elle dit que cela fait remonter de mauvais souvenirs. » un trou de mémoire.
À vrai dire, même les tentatives de converser avec elle dans une i Réussite majeure : mêmes effets, mais Anna se souvient
des autres langues qu’elle connaît (allemand, français ou anglais) du nom Franziska Schamzkovska : elle s’en servait
risquent de ne rien donner. Anna est épuisée par le défilé perma- comme pseudonyme. Anna admet qu’elle est en réalité la
nent de visiteurs qui ont envahi l’appartement du baron et craint Grande Duchesse Anastasia. « Mais je ne vous révèle cette
que les « assassins bolchéviques » ne s’en prennent à elle. Malgré information qu’en toute confidentialité », déclare-t-elle en les
tout, certains éléments du passé d’Anna restent perceptibles même foudroyant du regard.
si elle reste muette. i Réussite extrême : mêmes effets que la réussite majeure,
mais Anna, en larmes, se rappelle les détails de son évasion
i Un test de Trouver Objet Caché réussi permet de remar- et de sa fuite : la balle du peloton d’exécution bolchévique
quer de grandes cicatrices sur son cou et ses mains. qui l’a seulement égratignée et lui a fait perdre connais-
i Un test d’INT réussi révèle que nombre de ces cicatrices sance ; son réveil sous les cadavres des membres de sa
ressemblent à des marques de morsure humaine. famille ; ce soldat du nom d’Alexander Tchaïkovsky qui l’a
i Un deuxième test de Trouver Objet Caché révèle une trouvée et l’a fait fuir ; son amour avec Alex, qu’elle a épousé
grande balafre triangulaire sur son pied droit nu. La blessure et à qui elle a donné un enfant qu’elle a dû faire adopter ;
semble avoir été infligée par une baïonnette. Alex mourant à Budapest (un sujet sur lequel elle refuse de
s’étendre) et sa fuite, seule, à Berlin.
Il faut que les investigateurs fassent preuve d’astuce et d’empathie i Réussite critique : mêmes effets que la réussite extrême,
pour l’amener à s’ouvrir : un test de Persuasion, de Charme ou mais en plus, le souvenir de son agression par Großmann,
de Psychanalyse est requis pour passer la carapace d’Anna. Tou- qu’Anna avait refoulé, refait surface. Elle commence à hurler,
tefois, pour pouvoir effectuer un tel test, l’investigateur qui le fait et revoit l’attaque se dérouler sous ses yeux. Elle gesticule
doit disposer d’un « catalyseur », une relique ou un autre élément et bafouille en russe : « Les yeux ! Les yeux qui percent mon
rappelant la cour des Romanov : il peut par exemple mentionner âme et me condamnent à l’enfer ! »
le symbole personnel de la Tsarine (que leur a montré le prince ;
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Dès que le fragment spirituel s’enfuit ou habite un investigateur, si Le démon-Großmann peut demeurer dormant chez un
elle est encore en vie et consciente, Traudl s’effondre en sanglotant hôte autant qu’il le souhaite, en attendant le moment idéal
sur le splendide tapis persan de la suite. En plus des éventuelles pour frapper. Lorsqu’un investigateur est possédé, donnez
blessures qu’elle a subies lors de l’altercation, le phénomène la à la joueuse qui l’interprète une note l’informant de ce qui
laisse hébétée et la bave aux lèvres : son esprit a lâché prise pour le s’est passé et lui demandant d’attendre d’autres instruc-
moment. Un test réussi de Psychanalyse l’apaise et lui permet de tions. Si possible, prenez la joueuse à part et expliquez-lui
prononcer quelques mots, comme : « un démon s’est emparé de mon ce qui s’est passé, en l’encourageant à ajouter des touches
corps ! » En dehors de cela, on ne peut rien tirer d’elle, du moins sinistres à son interprétation, en particulier si le démon
pour la journée. Pour sa part, Anna expulse tout le monde de sa
réussit à s’emparer entièrement de son corps. Quand le
chambre et s’y enferme à double tour. Elle commence aussitôt à
démon est prêt à agir, informez la joueuse qu’elle a tempo-
planifier son évasion de l’appartement du baron.
rairement perdu le contrôle de son personnage. Le Gardien
Si des investigateurs reviennent interroger Traudl par la suite, ils peut également décider de la laisser jouer son investiga-
découvrent bien évidemment que le baron l’a fichue à la porte. Ce teur possédé, en lui donnant des instructions quant à la
dernier fournit son adresse personnelle si on la lui demande (un
marche à suivre.
immeuble sans ascenseur près de l’Oranienburg Straße). Ceux qui
s’y rendent peuvent, au moyen d’un test de Charme, de Baratin ou
de Persuasion, obtenir une description plus détaillée des événe-
ments. Traudal explique qu’elle a senti une « présence maléfique »
investir son corps au moment où elle servait le thé. Elle s’est alors paiement du service rendu. S’ils ont également arraché une confes-
retrouvée à la merci de la présence en question, qui s’est servie de sion à Anna, le prince y ajoute un bonus de 50£.
son corps tandis qu’elle ne pouvait qu’observer, impuissante. Fina- Le chèque fourni aux investigateurs ne comporte curieusement pas
lement, le démon est parti comme il était venu. le nom du prince, mais provient d’un compte professionnel, celui de
l’Aufbau Vereinigung (l’association de la construction). Les investi-
Note à l’intention du Gardien : l’Indice : Diable 6 gateurs sont susceptibles de le remarquer lorsqu’ils vont encaisser
concerne l’attaque contre Anna et doit être donné aux le chèque : dans la mesure où le prince leur remet ce paiement dans
investigateurs le 23 juin au matin, qu’ils y aient assisté ou une enveloppe, l’examiner devant lui témoignerait d’un catastro-
non. Compte tenu de leurs agissements s’ils étaient présents, phique manque d’éducation.
le Gardien devra peut-être altérer légèrement le contenu de Des investigateurs curieux peuvent obtenir des informations sur
l’article pour qu’il corresponde au mieux à l’agression. l’Aufbau Vereinigung en effectuant une visite au Neues Stadthaus
(le bâtiment de l’administration municipale) dans l’Alt-Berlin. Un
test de Bibliothèque réussi et une heure de recherches dévoilent
Un chèque inhabituel les archives publiques consacrées à la prétendue « association de la
Une fois que les investigateurs ont localisé Anna Tchaïkovsky, par construction » : il s’agit d’une société de portefeuille enregistrée au
leurs propres efforts ou en lisant le journal, ils ont parfaitement nom d’un certain Pyotr Shabelsky-Bork. L’adresse du groupe n’est
le droit de contacter le prince Constantinovitch et de réclamer le autre que celle où loge le prince Constantinovitch, à l’Hôtel Éden.
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Anna en fuite
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Killinger organise le groupe de recherche du zoo, composé des Anna a entendu arriver ceux qui la cherchent : elle s’est approchée
investigateurs, de trois membres de Consul et de trois Russes. discrètement de l’entrée du pavillon et jette un coup d’œil au travers
Malheureusement, à l’insu de tous, l’un des hommes de Killinger, de son portail. Un test de Trouver Objet Caché majeur permet de
Sigfried Schröder (cf. Personnages et monstres, page 142), est l’apercevoir parmi les ombres. Si les investigateurs la manquent,
possédé par le démon-Großmann. c’est Killinger qui la voit en s’approchant du pavillon par une autre
direction, Schröder à sa suite. Killinger pousse un cri dès qu’il avise
la jeune femme. Anna, surprise, bat en retraite à l’intérieur.
La fouille du zoo
Passer le portail verrouillé nécessite un test de Crochetage réussi.
Le Jardin zoologique est fermé, mais lorsque les investigateurs En cas d’échec, on peut se contenter de tirer dans le cadenas, ce
arrivent à la porte des éléphants, quelqu’un les y attend pour leur dont Schröder se charge volontiers si personne d’autre n’est armé
ouvrir. De toute évidence, Killinger a joué de ses relations pour leur où n’y pense.
permettre l’accès. « Déployez-vous », ordonne-t-il. Le groupe com-
mence à quadriller le zoo.
L'enclos des casoars
Le zoo enténébré n’est éclairé que par la lune et quelques réverbères.
Un éléphant barrit, et le rugissement d’un lion lui répond. Les arbres Le pavillon des autruches abrite un enclos pour les casoars, de
étouffent le bruit de la circulation sur l’Auguste-Viktoria-Platz : il grands oiseaux non volants venus de Nouvelle-Guinée et du nord
s’agit d’un îlot de calme au milieu d’une métropole animée. de l’Australie, que seules les autruches dépassent en taille. On
entend les pas d’Anna qui se replie en direction de cet enclos.
Les investigateurs finiront par arriver au pavillon des autruches. Le
bâtiment est construit pour évoquer un temple égyptien, dont l’en- Avec son plumage noir et sa caroncule bleue et rouge, le casoar
trée est flanquée de fresques représentant les colosses de Memnon moyen mesure plus de 1,80 m et pèse 82 kilos. Plus inquiétantes
dans la nécropole de Thèbes. sont ses serres, une à chaque patte, aussi grandes et acérées qu’un fer
130
de lance, et capables d’éventrer un humain si on provoque l’animal. Si Shabelsky-Bork révèle son véritable nom, tout membre de la
Un test de Naturalisme ou de Sciences (Biologie ou Zoologie) communauté des émigrés russes ou du parti communiste recon-
permet de se rappeler ce détail alarmant. naît aussitôt en lui l’homme qui a abattu Vladimir Nabokov père. Si
un échange de noms d’oiseaux s’ensuit, Shabelsky-Bork défend ses
Dans l’enclos à l’atmosphère de jungle, les investigateurs aper-
actes en invoquant l’ordre souverain de Saint-Jean, affirmant dans
çoivent de grandes silhouettes qui évoluent dans l’obscurité : tout ce
une certaine panique qu’il est un descendant des véritables défen-
remue-ménage nocturne a alerté les animaux, qui sont désormais
seurs de l’Hôpital, et ainsi de suite.
sur leurs gardes. Anna, paniquée, s’est réfugiée dans l’enclos des
casoars, où elle se cache parmi la végétation. Et si des mots, on passe aux actes ? Laissez la bagarre se prolonger
C’est le moment de frapper pour le démon-Großmann, qui agira un round ou deux, et autorisez même que l’on tire un seul coup de
par l’intermédiaire de sa marionnette, Schröder. Si plusieurs inves- feu. Si Shabelsky-Bork est blessé, tant mieux, mais il ne devrait pas
tigateurs sont possédés, il s’en servira également, mais avec suffi- mourir (du moins pas maintenant).
samment de prudence pour garder un atout dans sa manche : il ne Subitement, un des courtisans russes, puis un autre, éclatent d’un
révèle pas la possession d’au moins l’un d’entre eux pour l’utiliser rire tonitruant. Tous deux sont possédés par des fragments spiri-
plus tard. tuels (d’un POU maximal de 100 chacun). Leur rire monte dans
Lorsque Schröder laisse libre cours à son côté monstrueux (cf. les aigus et se mue en un hurlement dément tandis qu’ils se jettent
Sigfried Schröder, page 142), un combat éclate. Killinger, ce qui est sur les autres invités. Utilisez le profil des monarchistes russes
tout à son honneur, n’hésite pas à tirer pour tuer s’il s’agit de protéger (cf. pages 139-140) en tirant une fois sur la Table des mutations
Anna. Bien sûr, les casoars compliquent la situation. Des coups de démoniaques (cf. page 144) pour chaque victime possédée et
feu les agaceront à coup sûr, et le Gardien peut lancer sans hésiter un en lui appliquant immédiatement les effets tandis que le démon
ou deux oiseaux dans la mêlée pour compliquer la tâche aux inves- se manifeste.
tigateurs, ou au contraire comme un deus ex animalia pour sauver
Anna des monstres qui en veulent à sa vie (cf. Casoar, page 143). Note à l’intention du Gardien : le chaos qui en résulte
Si tout se passe bien, Anna est « secourue » et reconduite à l’apparte- correspond exactement à ce qu’attendait le démon-Großmann.
ment de von Kleist. La moindre effusion de sang suffit à la convaincre Pendant le tumulte, il envoie l’un des Russes possédés dans
d’y retourner sans faire d’histoire : elle n’a jamais eu l’intention de cau- la chambre d’Anna pendant que l’autre continue à distraire
ser du tort à quiconque. S’il reste possible qu’Anna succombe lors de l’assemblée. Dans la mêlée, assurez-vous que Shabelsky-Bork
cette rencontre (le prince et le baron étant alors bien déterminés à se subisse une blessure handicapante ; il tombe et se foule la
venger de la créature qui a provoqué sa mort, et engageant les inves- cheville, ou se fait poignarder à un endroit non vital. Bien que
tigateurs à cet effet comme indiqué dans les sections qui suivent), toujours capable d’agir, il est physiquement diminué.
mieux vaut éviter cette issue autant que faire se peut.
Avec l’aide de Shabelsky-Bork et de Killinger, les investigateurs ne
devraient pas avoir de mal à mater les hôtes possédés, mais l’évé-
nement permet de souligner qu’aucun lieu n’est sûr dans la ville, et
Le sacrifice de Baldur que le démon est bien décidé à continuer à s’en prendre à la pauvre
Anna. Shabelsky-Bork l’explique très clairement après l’échauffou-
Les cloches de la ville ont sonné 23 heures, et également les der- rée si personne n’en fait la remarque.
nières minutes de cette aventure. De retour à l’appartement de von
Kleist, l’atmosphère est sombre. Anna (si elle est encore en vie) se « Oui, mais il reste une chose que cette entité démoniaque n’a pas
retire dans sa suite, épuisée et inconsolable. Killinger paraît songeur. prévue, intervient Killinger avec un sourire acide. Demain matin,
Le prince Constantinovitch, debout devant une fenêtre, fronce les lorsque le soleil du solstice se lèvera, mes agents se livreront à un
sourcils, son monocle reflétant les lumières de la ville. Il ne reste sacrifice sanglant. Un homme de bien, un homme de la lumière, pren-
plus ici que quelques-uns des invités du baron. dra la place de l’ancien dieu teutonique Baldur et donnera sa vie pour
l’avenir et la prospérité de la patrie. Si je me souviens bien, mon cher
Que peuvent bien en déduire les investigateurs ? Les liens qui Pyotr, le jour de saturne se prête tout particulièrement aux rituels de
unissent leur employeur et une sinistre organisation d’assassins bannissement, n’est-ce pas ? »
leur sautent sans doute aux yeux désormais, et peut-être en ont-ils
même découvert davantage. Shabelsky-Bork hoche la tête.
S’ils mettent le prince ou Killinger au pied du mur, les deux conjurés « Je propose donc de faire d’une pierre deux coups : procédons au
se rendent compte que l’heure des impostures est passée et avouent rituel de bannissement et utilisons la puissance magique conférée par
(dans une certaine mesure) la vraie nature de leur relation. Ils en le sacrifice de Baldur pour nous débarrasser, nous et le reste de cette
brosseront naturellement l’image la plus positive possible, désignant ville, bien sûr, de cet esprit malfaisant une bonne fois pour toutes !
l’Aufbau Vereinigung comme une association de défense mutuelle Qu’en dites-vous ? »
ayant à cœur les intérêts de l’Allemagne autant que de la Russie.
131
Le fétiche
« Et voilà ! » Shabelsky-Bork a rédigé le rituel et en prend la direc-
tion (Indice : Diable 7). Le texte est écrit dans une langue complè-
tement inconnue des investigateurs (Shabelsky-Bork l’a reproduit
phonétiquement) et implique de curieux gestes, qu’il leur enseigne
aussi vite que possible.
« Il nous faut un objet, une sorte de fétiche, imprégné d’une impor-
tante charge magique. Tout ce qui peut être investi d’une forte émo-
tion. Plus il sera dramatique, mieux ce sera… » dit-il. Deux objets
paraissent tout à fait indiqués :
132
133
« Mais il ne nous reste plus qu’une demi-heure ! », s’exclame le baron Juste avant qu’ils ne partent, Shabelsky-Bork prodigue un dernier
von Kleist après avoir consulté sa montre à gousset. conseil inquiétant aux investigateurs : « Le rituel est bien plus effi-
cace si l’on répand du sang sur le fétiche, ou si vous détruisez des objets
Shabelsky-Bork acquiesce.
qui vous sont chers. Faites-le au début du rituel, ou une fois par heure,
« Dans l’idéal, il faudrait opérer sur un site important pour le démon. au tout début de l’heure. »
Des idées ? »
Les investigateurs peuvent proposer un lieu. Voici quelques
possibilités : Accomplir le rituel
Les investigateurs arrivent sur le site choisi avec quelques minutes
i L’Andreasplatz : le terrain de chasse habituel de Großmann d’avance, et ils ont donc le temps de parcourir rapidement les ins-
se trouve commodément en plein air, et constitue le site tructions écrites de Shabelsky-Bork (Indice : Diable 7) pour savoir
idéal pour le rituel… si l’on ne craint pas d’être surpris par comment procéder.
d’éventuels passants.
1. Il faut tout d’abord tracer un vaste cercle d’invocation. Pour
i L’appartement de Großmann : on peut ouvrir la vaste
ce faire, on peut employer de la craie, ou simplement le tracer
fenêtre de la mansarde, si les investigateurs préfèrent un lieu
dans la poussière ou la suie, par terre. (Le cercle n’offre aucune
plus intime. En outre, l’énergie psychique du meurtrier (et
protection particulière, à moins qu’on y jette le sortilège Signe
de ses victimes) y est particulièrement concentrée, ce qui
des Anciens, auquel cas il doit être inscrit de façon indélébile ou
rendrait le rituel d’autant plus efficace.
gravé, pas simplement tracé.)
i La cabane de Großmann : les investigateurs peuvent songer
à effectuer le rituel depuis la cabane de jardin de Großmann. 2. Au moins trois personnes sont nécessaires tout le long du rituel.
Il faut s’y rendre en voiture pour arriver à temps : cette Elles doivent rester debout dans le cercle, le fétiche étant déposé
option risquée n’est pas la meilleure. au centre de l’espace qu’il entoure.
3. D’autres participants peuvent se joindre aux trois premiers pour
accroître l’efficacité du rituel, mais le nombre total d’officiants doit
Note à l’intention du Gardien : d’autres sites conviendraient toujours être divisible par trois.
également, mais l’Andreasplatz et l’appartement de Großmann
sont les deux destinations les plus adaptées. Comme dans le 4. D’autres personnes peuvent rester à portée pour protéger les par-
cas du fétiche, c’est au Gardien d’exercer son bon sens pour ticipants, prêtes à intervenir pour remplacer ceux qui sont « inca-
savoir si d’autres sites fournissent des bonus. pables de poursuivre » selon la formule des instructions.
5. Tous ceux qui participent doivent se familiariser avec les étranges
syllabes à prononcer, ce qui nécessite un test d’INT. Le Gardien
Soutien possible note ceux qui échouent ou obtiennent une maladresse au test : s’il
y a au moins un échec, le test de POU opposé final reçoit un dé
Une fois qu’un site a été choisi, le baron propose d’utiliser sa ber- malus, tandis qu’une maladresse ou plus inflige deux dés malus
line Horch qui peut accueillir huit personnes sans broncher. Le au même jet de dés.
baron, pour sa part, reste à l’appartement pour veiller sur Anna
avec Shabelsky-Bork, un pistolet au poing. « Je garderai les deux 6. Tous les participants actifs doivent dépenser 1D4+3 points de
dernières balles pour la Grande Duchesse et moi-même s’il le faut », magie dès qu’ils se joignent à l’invocation ; ils perdent aussitôt
déclare-t-il avec un sourire sinistre. 1D4 points de Santé Mentale.
Killinger et Shabelsky-Bork peuvent tous deux proposer leur aide 7. L’incantation doit se poursuivre pendant au moins une heure, de la
aux investigateurs, mais ne le font que s’ils n’en sont pas venus aux bouche de trois participants. Shabelsky-Bork suggère de persévérer
mains un peu plus tôt dans cette scène. jusqu’au lever du soleil pour optimiser l’opération (en réalité, cet excès
de zèle n’a absolument aucun effet, mais Shabelsky-Bork l’ignore).
i Un test de Persuasion ou de Baratin réussi peut convaincre Heureusement, nous sommes à la veille du solstice d’été, et il ne reste
Killinger d’accompagner les investigateurs et de les assister plus que cinq heures avant l’aube (cf. Le démon frappe, page 137).
lors du rituel ; sinon, il prend congé pour aller se livrer aux 8. Lorsque le rituel s’achève, le participant ayant la plus haute valeur de
préparatifs du « grand sacrifice » qui aura lieu le lendemain. POU effectue un test opposé au POU total du démon-Großmann,
i Shabelsky-Bork possède une « crux ansata » (une croix qui est normalement de 300, mais peut avoir diminué si des hôtes ont
ansée, ou « ânkh ») créée selon les directives du De Vermiis été complètement détruits lors de l’enquête, ou si des investigateurs
Mysteriis. S’il est bien disposé envers les investigateurs, il la assaillis par des fragments spirituels qui cherchaient à les posséder ont
confie à celui qui dispose de la plus haute valeur de POU réussi à leur résister, voire à les forcer à s’enfuir (pour plus de détails, cf.
en lui disant de s’en servir lors du rituel : la croix octroie un « Possession » et « Combat » dans la section Le démon-Großmann,
dé bonus au test opposé de POU effectué à la fin de la scène page 140). Rappelez-vous : les points de POU perdus lors de la
Accomplir le rituel (ci-dessous). destruction d’une enveloppe ou si celle-ci a résisté à la possession
134
Le rituel
135
Si l’investigateur remporte le test de POU opposé, on entend un Finalement, on assiste à une augmentation notable des crimes
cri abominable qui semble venir de partout à la fois. Les oiseaux cannibales en Allemagne durant la décennie : l’esprit démoniaque
s’envolent et les bébés se mettent à vagir dans leurs berceaux dans voyage par l’intermédiaire des hôtes qu’il possède : à Düsseldorf, à
toute la ville lorsqu’il résonne. Il s’agit là d’un geste d’impuissance Hanovre, et au-delà.
du démon-Großmann, littéralement battu à son propre jeu. Tout
hôte possédé qui a plus de zéro point de POU reprend sa forme
Une très mauvaise idée
d’origine et le contrôle de ses actes. Ceux qui sont tombés à zéro en
POU s’effondrent, morts, mais leur âme repose désormais en paix. Si les investigateurs décident d’employer le journal de Großmann
comme fétiche, ils améliorent remarquablement leurs chances de
Si l’investigateur perd le test de POU opposé, c’est la douche froide : mener à bien le rituel, mais d’une façon tout à fait imprévisible.
le fétiche est détruit, mais aucun cri ne résonne. À la place, une
affreuse impression se répand dans l’atmosphère. Tous les indivi- Le démon est attiré dans l’ouvrage même qui lui a donné vie, et
dus présents sont pris d’un doute atroce, craignant que le démon reçoit par conséquent une forme physique. Au terme du rituel, si
ne rôde encore quelque part, attendant son heure… et c’est effecti- le lanceur remporte le test de POU opposé, la créature jaillit des
vement le cas. pages de chair du carnet sous forme d’un véritable torrent de
bouches et de tentacules. Servez-vous du profil d’un shoggoth ordi-
À moins que les investigateurs ne prennent des mesures pour la naire (cf. page 322 du Manuel du Gardien). Quiconque se trouve
faire déménager ailleurs, chez un hôte plus responsable, Anna à l’intérieur du cercle de protection subit immédiatement l’attaque
Tchaïkovsky se fait assassiner six jours plus tard, ainsi que le baron « d’enveloppement » du shoggoth lorsque la masse globuleuse de
von Kleist et plusieurs de ses invités. On peut convaincre von protoplasme surgit du livre. Si le lanceur a perdu lors du test opposé
Kleist de laisser partir Anna (à contrecœur) : elle part alors dans le de POU, il n’obtient « heureusement » que le résultat ordinaire
domaine à la campagne d’un certain inspecteur Grünberg à Zossen, détaillé dans la section Accomplir le rituel : l’impression tenace
à 32 kilomètres de la ville. que tout ceci n’est pas terminé.
136
Le démon frappe de Sion », est parti avec une équipe d’assassins de Consul abattre
Cinq heures, c’est long… suffisamment pour que le démon-Groß- le ministre sur le chemin de son bureau (Rathenau travaille sou-
mann comprenne ce qui est en train de se passer. À moins que le vent les week-ends). Ils attendent dans une voiture près de la mai-
journal de Großmann ne serve de fétiche, le démon n’entend pas son du ministre, à Grünewald, puis suivent son véhicule, roulent
laisser les investigateurs et leurs alliés mener le rituel à bien. à côté et ouvrent le feu avant de lui jeter une grenade pour faire
bonne mesure.
Le démon-Großmann possède actuellement trois hôtes (les inves-
tigateurs éventuellement possédés comptant parmi ce nombre). Munis de ces informations, les investigateurs disposent de tout
Choisissez les hôtes supplémentaires parmi les exemples fournis le nécessaire pour empêcher l’assassinat s’ils arrivent à temps.
dans Exemples d’hôtes (cf. page 142). Comme toujours, le démon Killinger refusera de donner l’ordre de l’arrêter lui-même, mais il
cherche à semer le chaos par la terreur et la surprise : il envoie ne se mettra pas en travers du chemin d’un groupe d’investigateurs
ses hôtes contre le groupe en commençant par ceux qui ont subi déterminés, préférant sauver sa peau. Les assassins fanatiques de
le moins de mutations, et par ordre croissant, et en finissant par Consul, quant à eux, ne renonceront pas si facilement : une fusil-
d’éventuels investigateurs possédés. Les attaques se produisent à lade est à prévoir. Pour obtenir le profil des assassins, cf. Erwin
deux heures d’intervalle, les Scheusals faisant le trajet jusqu’au site Kern page 138.
du rituel ; la première commence à 0h30 du matin. Bien sûr, des investigateurs qui auraient déjà compris qui était la
Les investigateurs sont de toute évidence très vulnérables pen- victime grâce à leurs rêves peuvent empêcher l’assassinat même si
dant le rituel, le cercle d’invocation ne les protégeant nullement Killinger est mort. Toutefois, sans cette information essentielle, l’as-
contre les attaques. Si l’opération se déroule dans l’appartement de sassinat a lieu comme prévu, que Killinger soit vivant ou pas.
Großmann, il est plus facile d’empêcher les hôtes en maraude de
la perturber en se contentant de bloquer la porte. Dans ce cas, le
démon-Großmann alterne entre la tromperie et la force brute. Tan-
tôt il essaie de forcer la porte, tantôt il parle avec la voix d’origine de
l’hôte qu’il utilise : « Au secours, je vous en prie ! Il y a un monstre
Conclusion
Que les investigateurs réussissent dans leurs entreprises ou non, la
dehors, et il veut me prendre ! Au secours, pour l’amour de Dieu !
vague de lustmord s’éteint. Mais c’est une question de détails : un
Ouvrez la porte, je vous en supplie ! »
rituel de bannissement raté entraîne bien plus de morts et d’inci-
Tant qu’une heure s’écoule en incantation, le rituel a une chance de dents de cannibalisme durant la décennie à venir qu’il n’y en aurait
réussir, même si les assauts des Scheusals l’interrompent. Au bout eu en temps normal.
d’une heure, si le nombre de participants actifs se réduit en dessous
Si Anna Tchaïkovsky survit, elle persiste à affirmer qu’elle est bien la
de trois, demandez immédiatement le test de POU opposé en pre-
nant le POU le plus élevé parmi les lanceurs de sort. Grande Duchesse Anastasia. Elle finit par se faire rebaptiser Anna
Anderson, et c’est la plus célèbre femme à prétendre être la prin-
cesse russe. On lui consacrera même un film avec Ingrid Bergman
(Anastasia, Litvak, 1956).
L’assassinat de Rathenau
Si Rathenau est tué, les investigateurs se rendent compte qu’il
En supposant qu’il survive aux événements de la nuit, s’il est présent s’agissait du « sacrifice » dont parlait Killinger (s’ils ne le savaient
lors de la fin du rituel (quelle qu’en soit l’issue), Killinger affirme
pas déjà). Une heure après sa mort, la nouvelle se répand dans
que le dernier ingrédient nécessaire pour bannir le monstre est le
tout Berlin, et des centaines de milliers d’ouvriers d’usine aban-
sacrifice de « Baldur ».
donnent leur activité pour manifester dans les rues. Les environs
Des investigateurs méfiants ne seront pas dupes et pourront se du Ku’damm grouillent de marcheurs brandissant le drapeau rouge
rendre compte que ce sacrifice n’a aucune influence sur le succès du communisme et le drapeau noir et or de la République, le son
de leur rituel de bannissement : un test de Mythe de Cthulhu ou de leur pas constituant le seul accompagnement sonore de cette
un test d’Occultisme majeur confirme cette impression. Ils peuvent inquiétante procession.
même vouloir empêcher l’assassinat, s’ils découvrent l’identité de la
L’Allemagne sombre dans le chaos économique. Le mark subit une
victime (en supposant qu’ils ne la connaissent pas déjà en raison
inflation galopante, débouchant sur l’annus horribilis de 1923, où
de leurs rêves, dans Visions nocturnes et Le sacrifice de Baldur,
il a tellement perdu de valeur que les gens brûlent des billets en
respectivement pages 104 et 131). S’ils l’ignorent, Killinger ne leur
tas pour se chauffer ou s’en servent pour tapisser leurs murs. Le
donnera pas son nom de bonne grâce : un test d’Intimidation ou
bouleversement social marque durablement la psyché allemande.
des brutalités physiques (avec la perte d’au moins 1 point de vie)
En novembre 1923, Adolf Hitler tente son « putsch de la Brasse-
sont nécessaires pour lui faire cracher le morceau.
rie » à Munich. Il échoue, mais bénéficie désormais d’une tri-
Killinger donne alors d’autres détails : son larbin, Erwin Kern, bune nationale durant son procès et grâce à la publication de son
auquel on a fait croire que Rathenau était l’un des mythiques « sages ouvrage Mein Kampf, rédigé en prison lorsqu’il purge une peine
137
Combat
Personnages non-joueurs Corps à corps 60% (30/12), dégâts 1D3+1D4
MANNFRED FREIHERR VON KILLINGER, Automatique calibre 32 65% (32/13), dégâts 1D8
36 ans, assassin en mission Esquive 40% (20/8)
Compétences
FOR 50 CON 70 TAI 75 DEX 55 INT 70
Arts et métiers (Poésie) 45%, Baratin 50%, Bibliothèque 50%,
APP 50 POU 65 ÉDU 70 SAN 65 PV 14 Charme 45%, Combat à distance (Fusils) 60%, Conduite 45%,
Imp : +1D4 Carrure : 1 MVT : 7 PM : 13 Crédit 65%, Équitation 60%, Histoire 55%, Imposture 65%,
Intimidation 50%, Langues (Allemand 75%, Anglais 45%,
Combat Français 65%, Russe 90%), Mythe de Cthulhu 14%,
Corps à corps 70% (35/14), dégâts 1D3+1D4 Occultisme 60%, Persuasion 70%, Premiers soins 50%,
Cravache 70% (35/14), dégâts 1D3+ 1/2 Imp Psychologie 60%
Luger modèle P08 50% (25/10), dégâts 1D10 Sortilèges : Bannissement d’Yde Etad, Crux Ansata de Prinn
Esquive 27% (12/5) Équipement : Crux Ansata de Prinn
138
Combat
Corps à corps 45% (22/9), dégâts 1D3 Monarchistes russes
Automatique calibre 32 45% (22/9), dégâts 1D8
FYODOR VIKTOROVITCH VINBERG
Esquive 40% (20/8)
FOR 50 CON 50 TAI 50 DEX 60 INT 70
Compétences
Baratin 75%, Comptabilité 35%, Discrétion 45%, APP 50 POU 60 ÉDU 80 SAN 60 PV 10
Droit 65%, Écouter 55%, Grimper 60%, Impos- Imp : 0 Carrure : 0 MVT : 6 PM : 12
ture 25%, Intimidation 45%, Lancer 40%, Langues
(Allemand 75%, Anglais 25%, Polonais 15%, Russe 20%), Combat
Persuasion 75%, Psychologie 80%, Trouver Objet Corps à corps 45% (22/9), dégâts 1D3
Caché 80% Esquive 30% (15/6)
Compétences
Crédit 65%, Histoire 45%, Langues (Allemand 40%, Russe 80%)
139
PRINCESSE NATASHA ALEXANDROVNA abandonner ses hôtes à tout moment afin de rassembler
son essence à sa guise, allant jusqu’à se concentrer dans
FOR 35 CON 55 TAI 45 DEX 65 INT 70 une seule enveloppe.
APP 65 POU 60 ÉDU 80 SAN 60 PV 10 Si elle échoue lors du test opposé de POU, la victime est
Imp : -1 Carrure : -1 MVT : 8 PM : 12 possédée par le démon-Großmann, et se trouve entière-
ment soumise à sa volonté. Elle demeure malheureuse-
Combat ment consciente de tous les actes auxquels il la force à se
Corps à corps 25% (12/5), dégâts 1D3-1 livrer ainsi que des métamorphoses que subit son corps.
Esquive 32% (15/6) L’énergie vitale de la victime se consume peu à peu
lors de la possession. Une fois par jour, demandez un
Compétences test opposé de POU à chaque individu possédé : en cas
Charme 45%, Crédit 75%, Langues (Allemand 40%, d’échec, l’enveloppe de l’hôte perd 3D10 points de POU.
Russe 80%) Si c’est la victime qui l’emporte, le démon perd 2D6 points
de POU. Ces pertes sont permanentes dans les deux
cas. L’esprit s’enfuit si un hôte lui fait perdre au moins
Monstres la moitié des points de POU dont il disposait lorsqu’il
l’a possédé. Si un hôte tombe à zéro point de POU, il
meurt et n’est plus animé que par la volonté de l’esprit :
LE DÉMON-GROßMANN, lorsque ce dernier l’abandonne, le cadavre s’effondre. À
Esprit meurtrier mesure que son POU lui est ôté, l’hôte montre des signes
de décrépitude monstrueux, de plus en plus alarmants.
FOR − CON − TAI − DEX − INT 65 En pratique, le fragment spirituel qui l’habite transforme
cette enveloppe pour qu’elle tende vers la véritable forme
APP − POU 300 ÉDU − SAN − PV −
du démon-Großmann.
Imp : − Carrure : − MVT : − PM : 60
La force démoniaque possède son enveloppe jusqu’à la
Combat dernière cellule. Par conséquent, même un démembre-
Attaques par round : 1 ment ne l’empêche pas de continuer à agir. En fait, il ne
sert qu’à permettre à des morceaux plus petits de l’hôte
Combat rapproché 70% (35/14), dégâts 1D3+Imp*
d’agir indépendamment ! Cette possession cellulaire altère
Esquive Utiliser la compétence de l’hôte fondamentalement le métabolisme et la physionomie de
De l’hôte possédé. l’hôte. La métamorphose commence par les yeux : même
si le corps ne subit aucun autre changement, les hôtes
Compétences possédés ont tous les petits yeux porcins de Großmann.
* Celles de l'hôte possédé. Plus curieux encore, l’ombre qu’ils projettent est
Protection : aucune désormais la sienne (perte de 0/1 point de Santé Mentale
lorsqu’on remarque ce phénomène). Le corps et les autres
Pouvoirs distinctifs fluides corporels prennent des teintes vives (blanc, sombre
Possession : la forme spirituelle de Carl Großmann est une ou rouge clair, noir ou vert). Au fil de la perte d’APP (cf.
effroyable entité, capable de posséder ceux qui ont ci-dessous), la victime adopte une apparence qui rappelle
consommé à leur insu de la chair humaine préparée par le celle d’un cadavre. La créature s’exprime généralement
meurtrier et de les transformer en monstrueuses carica- par un grondement démoniaque, encore qu’elle puisse
tures de ce sinistre personnage. Plus le fragment spirituel utiliser d’autres voix, comme un chant évoquant une
possède l’hôte, plus ce dernier devient « inhumain », comptine enfantine.
jusqu’à ce qu’il ne soit plus qu’une incarnation Pour chaque tranche de 15 points de POU qu’il perd,
des lustmord. l’hôte perd également 5 points d’APP de façon perma-
La victime doit effectuer un test opposé de POU lorsqu’un nente et doit lancer les dés sur la Table des mutations
fragment du démon tente de la posséder. Heureusement démoniaques (cf. page 144) afin de déterminer quels
pour elle, ce dernier distribue son POU équitablement changements bizarres l’affectent.
entre le nombre d’hôtes qu’il possède déjà, plus elle. Par Une fois qu’il a totalement possédé une enveloppe, le
exemple, si le démon-Großmann habite cinq autres corps démon-Großmann peut donner l’illusion que celle-ci
et tente d’en posséder un sixième, son POU dans chaque retrouve son APP d’origine, s’exprimant comme avant
corps est de 50. Le démon-Großmann ne tente générale- la possession et retrouvant son aspect normal. Le
ment pas de posséder davantage que six hôtes à la fois, démon-Großmann a accès à tous les souvenirs de l’hôte,
et se limite la plupart du temps à trois, pas plus. Il peut qu’il peut exploiter pour duper amis et êtres chers et leur
140
141
FOR 50 CON 50 TAI 40 DEX 50 INT 45 FOR 65 CON 60 TAI 70 DEX 55 INT 50
APP 55 POU 40* ÉDU 40 SAN 40 PV 9 APP 45 POU 39* ÉDU 55 SAN 39 PV 13
Imp : 0 Carrure : 0 MVT : 9 PM : 8 Imp : +1D4 Carrure : 1 MVT : 7 PM : 7
* 100 en POU pour le fragment spirituel * 100 en POU pour le fragment spirituel
Combat Combat
Attaques par round : 1 Attaques par round : 1
Corps à corps 70% (35/14), dégâts 1D3 Corps à corps 70% (35/14), dégâts 1D3+1D4
Esquive 50% (25/10) Luger modèle P08 65% (32/13), dégâts 1D10
Esquive 50% (25/10)
142
Compétences Combat
Conduite 5%, Fusil 75%, Intimidation 65%, Langues (Alle- Attaques par round : 1
mand 60%, Anglais 20%, Italien 25%), Pister 25%, Premiers Corps à corps 70% (35/14), dégâts 1D3
soins 45%
Esquive 27% (12/5)
Mutations : projection de vomissures sanglantes (jusqu’à
1,50 m, avec une précision de 50 %, les cibles touchées Compétences
subissent une perte de 1/1D2 points de Santé Mentale Bibliothèque 85%, Discrétion 35%, Écouter 55%, Histoire 45%,
et doivent réussir un test de CON pour ne pas passer le Langues (Allemand 80%, Anglais 45%, Français 65%,
round qui suit à vomir ; les cibles touchées sont vulné- Grec ancien 25%, Hébreu 40%, Latin 35%, Yiddish 65%),
rables à la possession). Occultisme 25%, Persuasion 40%, Psychologie 40%,
Perte de Santé Mentale : aucune perte de base ; 1/1D2 Trouver Objet Caché 45%
points à la vue du monstre utilisant sa projection de Mutations : 12 yeux supplémentaires, visages hurlants, queue
vomissures. préhensile (60 cm), doigts démesurés (12,5 cm de plus
que la normale), deuxième visage.
KARLHEINZ HAAS, Perte de Santé Mentale : 1/1D6 points à la vue du bibliothé-
Docker caire métamorphosé.
Possession : 15 heures
AUTRE
FOR 75 CON 70 TAI 85 DEX 60 INT 50
APP 20 POU 00* ÉDU 35 SAN 00 PV 15 CASOAR,
Imp : +1D4 Carrure : 1 MVT : 10 PM : 0
Oiseau le plus dangereux du monde
JOHANN CASPERSOHN,
Bibliothécaire
Possession : 10 heures
143
4 Dents pointues comme des aiguilles (+1 aux dégâts de morsure) 1/1D2
Pointes (Lancez 1D6 : 1-2 = aux épaules ; 3-4 = sur la tête ; 5 = sur le torse ;
6 1/1D4
6 = sur les jambes)
Ventouses aux mains et aux pieds (+1 en carrure lors d’une lutte ;
13 1/1D4
dé bonus aux tests de Grimper)
Deuxième visage (une version réduite du faciès de
14 1/1D6
Großmann apparaît derrière la tête)
15 Corps ouvert de plaies suppurantes (plaies qui palpitent et d’où s’écoule du pus) 1/1D2
Odeur de viande pourrie (en combat rapproché, les adversaires doivent réussir un
16 1/1D2
test de CON pour pouvoir agir lors du premier round au lieu de le passer à vomir)
Note : la perte de Santé Mentale peut augmenter d’un cran en cas de mutations multiples.
144
Sortilèges
Promotion
du Pion Notez que si le cadavre possédé est celui d’un mort-
(Possession de Cadavre) vivant (vampire, momie animée, zombie, etc.), le
sorcier doit faire un test opposé de CON chaque
Coût : 1 point de magie, 1D8+2 points de round où il veut garder le contrôle du corps. S’il
Santé Mentale échoue, son esprit est renvoyé dans son propre
corps (déclenchant le test de CON mentionné au
Temps d’incantation : 2 rounds
paragraphe précédent). En règle générale, on ne
Permet de posséder et d’animer une créature morte peut posséder qu’un cadavre à la fois, encore que
pour un maximum de 10 minutes. La << créature des variantes (de magie approfondie) existent et
morte >> peut être un squelette, un cadavre animal permettent des possessions multiples ou plus faciles.
(y compris s’il a subi une opération de taxidermie ou
s’il est conservé dans le formol), une peau d’animal
ou même un cadavre humain. L’esprit du sorcier est Fin de Partie (Possession)
transféré dans le cadavre pour toute la durée du
sortilège : il peut lui imposer de se déplacer et de se Coût : 15 points de magie ; 1D8 points de
mouvoir, en fonction de sa condition. Santé Mentale
Tant que le sorcier possède la créature morte, son Temps d’incantation : 4 rounds
propre corps est immobile et il ne peut plus respirer Permet la possession d’êtres humains vivants. En se
(son cœur cesse de battre). Lorsque le sorcier le déplaçant d’un corps à l’autre, le sorcier peut ainsi
réintègre, il doit effectuer un test de CON : bénéficier d’une très longue espérance de vie. Le
- S’il revient après 1-4 rounds, le test est normal et coût élevé en points de magie pousse toutefois à
il bénéficie d’un dé bonus. employer ce sortilège avec parcimonie, les sorciers
- S’il revient après 5-7 rounds : difficulté normale. préférant rester le plus longtemps possible dans un
- S’il revient après 8-9 rounds : difficulté majeure. corps qu’ils ont investi.
- S’il revient après 10+ rounds : difficulté extrême. Le sorcier doit pouvoir voir sa cible à l’œil nu.
En cas d’échec au test de CON, le corps du sorcier Il prononce ensuite à voix haute l’incantation
ne reprend pas vie, et son esprit demeure prisonnier nécessaire, et doit remporter un test opposé de
de ce cadavre. Une autre personne peut alors tenter POU contre sa cible pour y transférer sa conscience.
un test de Médecine ou de Premiers soins pour Le sorcier est incapable d’accéder aux souvenirs de
ranimer le corps : la période durant laquelle cette sa victime lorsqu’il habite son corps. Lorsqu’il le
résurrection reste possible est laissée à la discrétion quitte, l’ancienne victime n’a aucun souvenir de
du Gardien. ce qui s’est passé pendant la possession, juste un
immense trou de mémoire.
6
DE L’HORREUR ET ,
DE L’EXTASE
L
a sulfureuse Anita Berber est de retour en ville avec
son dernier mari, mais son séjour en ce monde risque fort d’être
écourté. La mystérieuse Fraternité de Saturne conspire avec un Note de l’auteur
mystérieux sorcier afin d’exploiter la célèbre danseuse pour arriver
à ses fins blasphématoires. Un vent froid s’immisce dans les rues Le thème de ce scénario est l’Überschreitung (la « trans-
de Berlin, la mort rôde parmi les berceaux et crèches de la ville, les gression »). Une clique de mortels tente de créer un dieu,
inhibitions s’évanouissent, les abominations et la vermine grouillent déclenchant un chaos qui dépasse de loin ses attentes et
dans les rues comme dans les clubs. Les investigateurs doivent trouver que les investigateurs devront gérer. Eux-mêmes visitent
un moyen de rétablir l’équilibre du monde avant qu’une nouvelle une version sombre de Berlin et risquent de s’enfon-
Babylone ne s’élève sur les rives de la Spree. cer encore davantage dans le péché et la transgression.
Selon l’analyse en trois parties que fait Stephen King de
l’horreur, la principale catégorie horrifique de ce scénario
serait « l’horreur», qu’il définit comme : « des araignées
Résumé pour le Gardien contre-nature, de la taille d’ours, les morts qui se réveillent
Le ballet du vice, de l’horreur et de l’extase poursuit la thématique et se promènent, c’est quand la lumière s’éteint et qu’une
du Diable mange des mouches, plongeant jusque dans les entrailles créature griffue vous saisit le bras. » En d’autres termes, des
occultes comme ordinaires des bas-fonds berlinois. Réparti entre frissons viscéraux et surnaturels.
deux périodes (1926 et 1928), ce scénario propose une vaste palette
de pistes que les investigateurs peuvent suivre jusqu’à l’une des
diverses issues possibles. Le Gardien dispose de personnages non-
joueurs (PNJ) utiles pour aider à maintenir l’enquête sur les rails. Le fait est que le dernier mari de Berber, Henri Châtin-Hofmann, est
Attention : il s’agit d’un scénario potentiellement complexe, aux un sorcier du dimanche, qui utilise la considérable puissance de son
Page opposée : Abyzou veille sur la rêverie
enjeux énormes, et il convient de l’exploiter en conséquence. épouse pour alimenter ses sortilèges. Incapable de maîtriser correc-
tement son art, il envoie par inadvertance les investigateurs dans une
En 1926, lors d’un gala de danse dans la Friedrichstraße, les inves-
tigateurs rencontrent Anita Berber, plongée dans une véritable spi- dimension parallèle remplie de monstres mangeurs de chair humaine.
rale d’autodestruction. Elle exécute trois numéros en finissant par Le scénario saute alors à l’année 1928, deux ans plus tard. Berber
« Astarté », une œuvre dédiée à la déesse du même nom à laquelle revient à Berlin, coquille presque vide aux portes de la mort. Pen-
Berber s’identifie (pour découvrir un autre de ses hommages à la dant ce temps, Albin Grau n’a pas chômé : après avoir été témoin
déesse, cf. Astarté page 156). Mais cette fois, à la grande perplexité des pouvoirs magiques de Berber sur la scène du cabaret, il contacte
(voire au désarroi) de son public, elle manifeste une sorte de qualité ses camarades de la Fraternitas Saturni, groupe d’adeptes de la
divine sur la scène. magie sexuelle qui projettent d’exploiter cette énergie pour accom-
Les investigateurs assistent au spectacle avec le célèbre occultiste plir une œuvre phénoménale. Ils conspirent avec Châtin-Hofmann
Albin Grau, qui les charge de l’aider à comprendre ce qui s’est passé avant son départ, mettant en place les étapes d’un grand sacrifice.
au cours de cette représentation. Aussi pénible et droguée qu’à l’ac- La mort de Berber sonne la fin du rituel, et une déesse nouveau-née
coutumée, Berber semble n’avoir sincèrement pas conscience d’un déambule dans les rues de Berlin, avec des conséquences désas-
quelconque événement étrange pendant les numéros. treuses pour les habitants.
147
L’Ordre indépendant des Hiboux : il est tout naturel Comme c’était le cas pour la violence et le sang dans Le
qu’un groupe d’investigateurs occultes connaisse Albin diable mange des mouches, c’est au Gardien et à ses
Grau, qui leur a demandé d’assister à un spectacle à la joueuses qu’il appartient de déterminer si ce genre de
Weiße Maus ce soir pour des raisons qui dépassent le détails les heurte ou non. Nous nous sommes efforcés de
pur divertissement. Grau soupçonne Anita Berber d’être décrire ces scènes de sorte que le Gardien puisse en faire
davantage qu’une simple artiste, et souhaite solliciter l’opi- varier l’intensité pour l’adapter au mieux à ses envies et
nion d’un groupe de Hiboux érudits à ce sujet. Il promet à celles de son groupe, qu’il s’agisse de « jeter un voile
de les emmener dans les coulisses pour s’entretenir avec la pudique sur la scène », d’opter pour un « contenu pour
danseuse après son numéro. adultes avertis », ou d’adopter une vision intermédiaire.
Dans tous les cas, nous avons plutôt penché vers la pre-
Hilde-Film : une autre organisation logique, compte tenu mière option.
du passé de Grau dans l’industrie cinématographique. Lui et
Hilde se connaissent de longue date, et en guise de salaire
cette semaine, elle offre les billets à certains membres de
son équipe (les investigateurs).
S’ils y parviennent, ils auront banni un esprit monstrueux et permis
Association des locataires de Landsberger : le proprié- à l’âme d’Anita Berber de reposer en paix. S’ils échouent, ou sont
taire du pâté de maisons de Landsberg, un certain baron contraints de consentir à l’ultime sacrifice pour réussir, il est fort
von Grunau, fait également parti des vieux amis de Grau. possible qu’on ne les revoie plus jamais, du moins sous la forme
C’est d’ailleurs lui qui a acheté les billets pour le spec- qu’ils occupaient jusqu’alors.
tacle et les a donnés à Gray, lequel a décidé de remercier
la générosité du baron en organisant une loterie pour les
locataires de son bâtiment. Et bien sûr, ce sont les person- À propos des investigateurs
nages qui ont gagné. Ce scénario débute par une invitation envoyée par Albin Grau à un
Les Éclaireurs apaches : Albin Grau, qui possède quelques
ou plusieurs investigateurs, pour assister à un spectacle de danse
au club de la Weiße Maus (« la souris blanche »). Grau possède
billets de trop, décide d’organiser un concours à la radio
suffisamment de billets gratuits pour tous les investigateurs, qu’ils
pour distribuer le surplus. Dommage qu’il n’ait pas pensé à
soient ses invités ou accompagnent ces derniers.
imposer un âge limite ! Décidez lequel des Éclaireurs rem-
porte le concours (il peut s’agir de l’investigateur ayant le Si les investigateurs ont joué Le diable mange des mouches et fini
plus de Chance), les autres l’accompagnant comme invi- en bons termes avec le baron von Kleist, c’est lui qui, incapable de se
tés supplémentaires. rendre à l’invitation de Grau, les a recommandés à sa place. Sinon,
un investigateur impliqué dans le monde des arts, l’industrie ciné-
matographique ou les sociétés occultes de Berlin connaît Grau par
l’intermédiaire d’un contact mutuel, auquel cas les billets sont un
simple cadeau gracieux de la part d’un vieil ami.
Les investigateurs sont ramenés dans le scénario par l’intermédiaire
d’un mystérieux allié qui entretient des rapports avec les conspi- S’il s’agit du premier scénario berlinois des joueuses, ou si elles
rateurs, mais fournit des indices aux personnages par téléphone. interprètent des expatriés sans aucun lien avec la ville, suppo-
Au fil de l’aventure, ces derniers rencontrent la nouvelle déesse, sez que ceux-ci arrivent indépendamment à la Weiße Maus et se
découvrent les détails macabres du rituel qui l’a amenée à Berlin trouvent simplement placés à côté de Grau par hasard, sa table étant
et trouvent le moyen de la renvoyer d’où elle vient. Il ne reste qu’un la seule qui compte encore des places disponibles. Les investiga-
problème : les investigateurs doivent l’accompagner dans l’Ombre- teurs peuvent venir en voyage organisé, ou simplement chercher à
Ville et sauver d’eux-mêmes des milliers de Berlinois fou furieux, s’amuser dans la Friedrichstraße ce soir. Bien sûr, ils vont en avoir
ou découvrir un moyen de détruire son corps tangible sur Terre. largement pour leur argent…
148
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permanence pour l’argent. Elle n’a aucun scrupule à vendre activités secrètes. En 1926, les investigateurs découvriront en
son corps, ce qu’elle fera sans la moindre hésitation. Les lui un jeune homme sincère, mais qui pourrait passer pour
investigateurs qui lui offrent de l’argent liquide ou de la un bon à rien. En 1928, deux ans de tribulations et d’études
drogue deviendront aussitôt ses meilleurs amis et se verront approfondies consacrées à d’indicibles rites magiques en ont
gratifiés de longues digressions consacrées à la déesse de la fait un homme suspicieux, qui sursaute pour un rien.
lune, Astarté, ainsi qu’à la beauté des roses blanches. i Motivations : de l’extérieur, Châtin-Hofmann passe pour
un mari et partenaire artistique dévoué, toujours prêt à
promouvoir la carrière de son épouse et à minimiser les
rumeurs néfastes à son sujet. En réalité, il la prépare pour une
Henri Châtin-Hofmann, 26 ans, entreprise magique de grande envergure. Albin Grau, occul-
Danseur et dilettante tiste et adepte d’une secte sulfureuse, entraîne Henri dans une
Troisième et dernier époux d’Anita Berber (mais aussi sorcier machination mortelle destinée à faire s’incarner une déesse
amateur), Henri Châtin-Hofmann est un homme dépassé par la sur terre : le projet, commencé en 1926, porte finalement ses
fruits en 1928. Bien que Châtin-Hofmann le mène à bien, il
situation. Né Heinrich Hofmann à Baltimore dans le Maryland en
en ressort brisé, fuyant le résultat de ses efforts.
1900, c’est le fils unique d’un pasteur de l’église luthérienne de Sion
locale. Châtin-Hofmann change l’orthographe de son nom et ajoute
le nom de jeune fille de sa mère au sien lors de sa confirmation, à
l’âge de 15 ans. Quelques années plus tard, bien qu’il ne parle pas Erma Kore, paraît 17 ans,
un traître mot d’allemand, il part de chez lui et prend le bateau pour
Téléphone-girl qui cache quelque chose
Berlin. C’est là, en 1924, qu’il rencontre et épouse Berber.
Kore est une Téléphone-girl, une prostituée spécialisée qui réserve ses
i Description : un visage enfantin, qui ne fait qu’accentuer clients par téléphone. Il s’agit d’individus qui recherchent le frisson illi-
sa naïveté naturelle. C’est un homme séduisant et à la cite d’une relation sexuelle pédophile (certaines Téléphone-girls n’ont
silhouette fine, mais il est extrêmement athlétique. pas plus de 14 ans*), mais souhaitent également assouvir leur obsession
moderniste envers le culte de la technologie et de la célébrité. Comme
i Traits : généralement discret et réservé, Châtin-Hofmann se
toutes les Téléphone-girls, Kore a adopté l’apparence et la personnalité
satisfait de laisser son épouse occuper le devant de la scène
d’une célèbre actrice : Marlene Dietrich, en ce qui la concerne.
(dans leur vie artistique comme à la ville), un penchant
naturel, auquel s’ajoute la crainte d’attirer l’attention sur ses * Cf. Majorité sexuelle, page 54.
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Départ : Babylone-sur-la-Spree (1926) Et là… ne serait-ce pas Manfred von Killinger ? (Si Killinger est
mort durant les événements du scénario Le diable mange des
mouches, il s’agit simplement d’un sosie.) L’homme porte de nou-
Anita Berber ne dévoile pas lascivement le vice veau un uniforme paramilitaire, différent toutefois du vieux cos-
Anita Berber ne calcule pas froidement la possibilité de tume de la Sportverein Olympia. Il s’agit de la tenue de la Bund
s’adonner au stupre Wiking (la « ligue des Vikings »), organisation politique fondée
Anita Berber est le vice en 1923 pour rassembler les divers groupes nationalistes parami-
litaires désormais prohibés pour la plupart, dont l’organisation
Autant qu’elle est l’horreur Consul. Killinger est attablé avec ses compatriotes Wiking et leurs
L’horreur et l’extase prostituées, des Nutte (de jeunes garçons manqués).
— Sebastian Droste,
La danse comme forme et comme expérience Note à l’intention du Gardien : parmi les Wikings se trouve
un jeune proxénète du nom de Horst Wessel. Il n’hésitera pas
C’est la fin de l’été à Berlin, le 7 août 1926. Anita Berber se produit à sortir son coup-de-poing américain et à déclencher une
à la Weiße Maus, et les investigateurs ont reçu des billets offerts bagarre si les investigateurs manifestent la moindre hostilité
par Albin Grau, producteur exécutif raté du cinéma. Un test de ouverte envers la table des Wikings. S’il le faut, utilisez le
Connaissance permet de se rappeler que c’est sa société, Prana profil d’un Malfrat du Ringverein (cf. page 195) pour le
Films, qui a produit en guise de premier film un échec du nom de représenter. Il deviendra par la suite l’un des chefs de la
Nosferatu en 1922. Sturmabteilung de Berlin avant d’être abattu d’une balle en
1930 par les membres du KPD.
Il est presque minuit lorsque les investigateurs se rendent de l’ar-
rêt d’U-Bahn de la Französische Straße au club, situé un pâté de
En s’asseyant, les investigateurs remarquent que la table voisine de
maisons au nord sur la Jägerstraße. Une bruine d’été s’est mise à
la leur est occupée par des femmes qui bavardent gaiement. À en
tomber, muant la rue en miroir d’obsidienne qui reflète les lumières
croire ce que l’on saisit de leur conversation sonore, on comprend la
vives d’un des quartiers de divertissement les plus animés de Berlin.
raison de leur présence : il s’agit d’admiratrices lesbiennes de Berber.
Malgré le temps maussade, une véritable foule circule encore sur
les trottoirs. Grau devise agréablement avec les investigateurs, le contenu de leur
entretien dépendant des circonstances de leur invitation (cf. À pro-
Quand le groupe bifurque de la Friedrichstraße vers la Jägerstraße,
pos des investigateurs, page 148). Si c’est la première fois qu’il les
une enseigne d’un blanc aveuglant clignote dans la nuit : le Weiße
rencontre, il se montre poli et conciliant. Il parle volontiers d’art
Maus, un des cabarets les plus chauds de la ville. Lorsqu’on traverse
(il gagne essentiellement sa vie comme peintre ces temps-ci), de
le hall d’entrée exigu, on aperçoit l’hôtesse du vestiaire dans son
l’industrie du cinéma ou de sujets occultes ou ésotériques. Il ne dis-
petit box, à droite, occupée à inhaler oisivement la fumée de sa ciga-
simule ni les divers aspects de sa personnalité ni ses intérêts.
rette, à la française, entre deux chapeaux. Il fait affreusement chaud
dans la salle enfumée, qui résonne de rires tapageurs. Les inves- Les investigateurs ont tout juste le temps de prendre leur com-
tigateurs voudront sans doute s’approcher de la scène, mais l’ac- mande de boisson avant que les lumières ne s’éteignent. Seules les
cès est bloqué par une autre jeune femme, porteuse celle-ci d’une bougies disposées sur les tables éclairent désormais la salle. Les
robe noire et argent bordée de paillettes. Elle tient également un chuchotements s’arrêtent. Les investigateurs vivent un moment
panier large, mais peu profond contenant deux rangées de masques inquiétant en se retrouvant installés dans une salle obscure remplie
« domino » : les blancs et les noirs. « Si vous préférez l’anonymat, d’étrangers masqués.
mesdames et messieurs », fredonne-t-elle en tendant les masques. À
Le directeur du cabaret se présente devant les rideaux, le rond
chaque investigateur de choisir s’il veut en prendre un.
de lumière d’un petit spot le suivant maladroitement. Le public
Dans la zone de représentation, les investigateurs découvrent que applaudit poliment.
la majorité des membres du public ont décidé de dissimuler leur
« Mesdames et messieurs, Damen und Herren, nous sommes réunis
identité. Douze tables de dîner sont disposées dans la salle, accueil-
ce soir, car nous partageons une passion peu commune. L’amour… de
lant une soixantaine de convives. Celle des investigateurs les attend
la beauté. Oui ! Je vous affirme en vérité que nous sommes ici ce soir
près de la scène avec son rideau. Albin Grau compte parmi les rares
pour célébrer la Beauté, pour l’adorer comme la déesse qu’elle est. »
invités à ne pas porter de masque. On le reconnaît à l’œillet rouge
qu’il porte au revers de sa veste, comme il l’avait annoncé (si les Ce discours suscite une vague de rires dans le public. Tout le monde
investigateurs ne le connaissent pas de visu). est venu ici pour voir de scandaleuses danseuses nues, et chacun le
sait, le directeur comme les autres.
En se faufilant parmi la foule qui bruit, les investigateurs découvrent
que le reste du public forme un mélange intéressant. Tout d’abord, « Ce soir, nos danseurs, qui ne tarderont pas à quitter la ville pour ce
ils longent un groupe de gentlemen âgés aux masques mal fixés sur qui sera certainement un spectacle très applaudi à Amsterdam, sont
des visages osseux. Là-bas, ce sont des représentants en sueur, sortis Frau Anita Berber ainsi que son époux et partenaire de danse, Henri
s’amuser en ville avec le dirigeant local de leur société ; on devine Châtin-Hofmann. Le premier numéro est une représentation en solo
sans mal, malgré leurs masques, qu’ils sont ivres et déjà émoustillés. par Frau Berber intitulée «Morphine». »
153
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Astarté boussé de sang sur son pourtour. Un homme entre côté cour, vêtu en
garde du palais romain. Il traîne derrière lui une femme en cape écar-
late qui rampe par terre, apathique. Tous les spectateurs reconnaissent
Goutte d’argent, lune d’argent, argent muet, Berber, qui s’approche ainsi du récipient et en hume le contenu.
Roulent les vagues, nappes d’eau floue,
Flottant au-dessus, l’éther L’odeur du sang paraît la dynamiser. Entamant une lente spirale,
Brume, midi, des enfants jouent
elle se lève. Le Vitaphone joue désormais la « danse des sept voiles »
Comme une femme divine
Ce n’est pas une femme de Richard Strauss, et Berber-Salomé tourbillonne autour du réci-
Ce n’est pas un garçon pient, arborant une expression lubrique lorsqu’elle en contemple
Ce n’est pas un animal le contenu sanglant. Sous la cape, elle est nue mais danse avec un
Ce n’est pas un dieu grand éventail en plumes d’autruche, n’offrant que de brefs aperçus
C’est la lune, Argent
Suspendue, répandant l’argent sacré émoustillants tandis qu’elle tourne et se déplace.
Vingt mille femmes cavalent, Lâchant enfin l’éventail, Berber plonge les mains dans le chau-
Mordent avec une furieuse voracité,
Cinq mille garçons peints en blanc dron et les ressort ensanglantées. Elle se redresse et les frotte sur
Lacèrent, mus par un désir intense son abdomen dénudé, laissant le liquide écarlate ruisseler sur ses
Un frère assassine sa sœur cuisses. Transportée d’extase, elle vacille sur la scène, s’arrêtant fina-
Un enfant réclame du sang lement pour lever la cape et y disparaître.
Tous les esclaves se languissent des coups de fouet
Tous les étalons hurlent après les juments Elle se relève et laisse tomber la cape. Elle se dresse, entièrement
Gouttes d’argent tombées du ciel, argent de lune nue à l’exception de la couronne de palmes argentées qui lui ceint le
Argent sacré, argent doux, argent fluide
Qui lacère, qui souffle, qui s’évapore enfin front. Elle retourne en virevoltant au chaudron et s’étend au-dessus,
Astarté laissant pendre sa tête par-dessus le bord tandis qu’elle arque le dos
Elle se vêt de la pèlerine du vice divin et hisse son pelvis ensanglanté vers le ciel. Le rideau tombe.
Elle arbore la coiffe du désir divin
Elle porte l’émeraude verte de l’angoisse Désormais, même ceux qui doutaient jusqu’alors sont sous le charme.
Elle flagelle, elle arrache, elle hurle, elle danse Le public applaudit bien plus fort, sans chahuter cette fois. Grau
Tous les esclaves se recroquevillent, toutes les putains gémissent compte parmi ceux qui la saluent avec le plus d’enthousiasme. « Elle a
Tous les garçons grondent, tous les étalons hennissent
Et la lumière de la lune ruisselle, et l’argent brille encore le feu sacré, pas vrai ? » s’exclame-t-il. Une fois encore, les inves-
Et Astarté sourit tigateurs ont l’occasion d’évoquer entre eux leur réaction au numéro.
Terre, autel, offrande, encens,
Courtisans, jeunes prostitués, vieillards, animaux Le directeur reparaît devant le rideau. « Et pour le dernier numéro
Plantes, papyrus, lotus, Nil, du soir, une danse en solo par Frau Berber, intitulée «Astarté». »
Astarté danse
Tollé tremblant, nue
Coiffe, émeraude, hanches
Elle danse la grande danse, Astarté
Les garçons s’offrent
Les femmes se tuent Le rideau se lève une fois encore. Le Vitaphone joue désormais un
Les animaux se souillent interlude de Tchaïkovski. Berber surgit sur scène vêtue d’une longue
Les plantes se déchirent cape argentée et d’un casque argenté lui aussi, et orné de plumes
Astarté danse d’autruche. Un masque noir lui couvre le visage, rappelant ceux que
Puis elle prend le grand bol du désir
Le saisit de ses mains abrasives portent les spectateurs. En dehors de ces accessoires, elle ne porte rien.
Et prend la tête des garçons L’effet est saisissant : le masque cachant ses traits accentue encore
La tête des putains
La tête des étalons son androgynie. Les plumes lui confèrent l’aspect d’un curieux
Les feuilles des fleurs oiseau, que soulignent les premiers mouvements de sa danse, un
Et rit cri perçant suivi d’un rire cristallin. L’ensemble devrait paraître ridi-
Rit et danse cule, mais le public est ensorcelé.
La cape tombe des épaules de Berber lorsqu’elle se met à danser,
d’abord sur scène, puis parmi les spectateurs. Sous la lumière du
projecteur qui la suit, son corps élancé semble brûler comme une
torche au magnésium. Le masque tombe, dévoilant son visage élec-
trisé par la frénésie de la danse. Toutes les têtes se tournent pour
la suivre. Çà et là, dans le public, des spectateurs commencent à se
lever de leurs chaises.
156
À ce moment, chaque investigateur doit réussir un test de POU de CON majeur pour éviter de perdre connaissance à la fin et de
extrême pour conserver le contrôle de ses actes. Ceux qui portent perdre 1D4 points de magie dans l’opération. Ils perdent également
un masque subissent un dé malus : l’anonymat les rend plus suscep- 1D3 points de Santé Mentale en raison du sentiment d’impuissance
tibles de succomber au sortilège de Berber. Ceux qui échouent sont qu’ils ressentent à avoir subi l’emprise du sortilège.
forcés par magie à se joindre aux festivités qui vont suivre.
Les investigateurs qui n’ont pas été affectés peuvent naturellement
La plupart des occupants de la salle tombent sous le charme de choisir de partir à tout moment, mais ils doivent porter physi-
Berber. Certains commencent à danser, entamant de sauvages quement leurs camarades affectés s’ils veulent sortir ensemble.
bacchanales : ceux-là versent du vin et du champagne dans les Même hors du Weiße Maus, le charme s’exerce pendant la période
bouches qui s’ouvrent et poussent des cris d’euphorie impie. D’autres indiquée (mais dans ce cas, Berber n’en tire aucun avantage – cf.
se tournent vers leur voisin ou leur voisine et se jettent l’un sur Festivités sans Fin, page 199).
l’autre, quels que soient leur relation, leur genre ou leur orientation
Albin Grau compte parmi ceux que le sortilège n’affecte pas, mais
sexuelle. Berber éclate de nouveau de son rire cristallin. Après avoir
il reste malgré tout. Le spectacle qui se déroule sous ses yeux
effectué une brève génuflexion, elle grimpe sur une table, brandit
le fascine : il n’en fait part à personne pour l’instant, mais il sait
un magnum de champagne et crie : « À la santé d’Astarté ! » Nombre
reconnaître l’usage de la magie quand il y assiste. S’ils échappent
de spectateurs font écho à ce toast. Berber se renverse en arrière et
au charme, un ou plusieurs investigateurs peuvent également com-
verse le breuvage sur son corps nu. Certains viennent aussitôt le
prendre ce qu’ils voient en réussissant un test de Mythe de Cthulhu
laper à même sa peau.
ou d’Occultisme.
Les investigateurs soumis au sortilège peuvent choisir de compter
Cette scène compte également un autre personnage, qui demeure
parmi ceux-là, ou se livrer à d’autres actes insolites. Laissez une
toutefois à l’abri des regards. Encore vêtu de son costume de Romain,
certaine marge de manœuvre aux joueuses dans la description du
l’époux d’Anita, Henri Châtin-Hofmann, observe en souriant depuis
comportement de leurs personnages, qui devrait dans l’idéal tirer
les coulisses. Ce sort, Festivités sans Fin, est son œuvre, et c’est lui
parti de leurs traits ou du passé mentionné sur leur fiche. Vous pou-
qui va en recueillir les fruits. Chaque danseur ou danseuse qui s’ef-
vez également, si le groupe le préfère, jeter un voile pudique sur les
fondre à l’intérieur du cabaret transfère 1D4 points de magie à sa
festivités de la soirée passé ce point.
femme. Au fil de la nuit, celle-ci accumule l’énergie, se transformant
L’effet du sort sur les clients et les investigateurs dure 1D10 heures en véritable pile magique vivante. Grâce aux brochures publiées
par personne ; tous ceux qui sont affectés doivent réussir un test par la Fraternitas Saturni (cf. Entretien avec Berber, page 158),
157
Châtin-Hofmann sait qu’il pourra y puiser ultérieurement en sacri- de nuit… Il ne peut offrir de compensation financière, mais rap-
fiant sa femme lors d’un rituel magique. Il ignore encore la nature pelez aux joueuses qu’il dispose d’un réseau exceptionnel, et que
du rituel en question, mais un certain Albin Grau ne va pas tarder s’il leur doit une faveur, il pourra se révéler fort utile (ce sera le cas
à lui en suggérer un. dans ce scénario).
Si les investigateurs acceptent, Grau organise une rencontre par
Note à l’intention Gardien : vous trouverez le texte du le truchement d’un intermédiaire à l’Hôtel Excelsior, la résidence
poème Astarté à la page 156. actuelle de Châtin-Hofmann et Berber, d’ici une heure (cf. Entretien
avec Berber, ci-après). Les investigateurs sont libres d’élaborer eux-
mêmes leur couverture. Sinon, Grau prend rendez-vous sous pré-
texte que ce sont des admirateurs de Berber qui veulent simplement
Il est désormais 11h30. Le soleil brille trop fort et les feuilles qui L’Excelsior, le plus grandiose hôtel d’Europe, abrite suffisamment
pendent aux branches des arbres ont l’air épuisées, haletantes. Une de restaurants pour servir 15 000 couverts par jour. Le hall d’entrée
journée brûlante en perspective. Soudain, le téléphone sonne. Mais est un immense labyrinthe moquetté, plein de robustes colonnes et
chez qui ? Le Gardien doit choisir en fonction des circonstances qui de fauteuils bien rembourrés, dont beaucoup sont occupés par des
ont amené les investigateurs au Weiße Maus et de la nature de leur fumeurs de cigares à l’air bourru occupés à lire le journal.
discussion avec Grau avant le début du spectacle, car celui qui les À l’accueil, on attend les investigateurs, que le réceptionniste dirige
appelle n’est autre qu’Albin Grau justement. Il souhaite parler avec vers la chambre 333 avec un reniflement de mépris bien visible : de
eux des événements de la veille. toute évidence, le personnel ne tient pas Frau Berber en très haute
En premier lieu, il demande aux investigateurs leur opinion concer- estime. Un trajet à bord de l’ascenseur aux parois de noyer et de lai-
nant ce qui s’est passé. Il écoute attentivement la réponse, quelle ton conduit les investigateurs au deuxième étage, où ils trouvent la
qu’elle soit. Si les investigateurs laissent entendre qu’il s’agissait chambre des heureux époux. On vient leur ouvrir quelques secondes
d’une forme de magie, il en convient avec enthousiasme. Sinon, il après qu’ils ont frappé à la porte. C’est Henri Châtin-Hofmann,
partage sa théorie avec eux. encore vêtu de sa robe de chambre et de ses pantoufles. « Ah, hello »,
dit-il en anglais. « Please… » Il leur fait signe d’entrer.
« Voici ce que je crois : nous avons assisté hier à un phénomène sur-
naturel. De ceci je n’ai aucun doute. Manifestation intentionnelle ou À l’intérieur, ils trouvent Anita Berber déjeunant de son « élixir
pur hasard ? C’est ce que j’aimerais découvrir. Toutefois, mon intérêt matinal » préféré : un bol de chloroforme et d’éther où elle laisse
pour les affaires ésotériques est bien connu. Si les événements d’hier tomber un à un des pétales de rose. Elle-même est assise en tail-
leur, entièrement nue, à la petite table située près de la fenêtre
soir procèdent bel et bien d’un acte volontaire, je risque d’exposer mes
ouverte du balcon, où une brise tiède agite les rideaux. Elle porte
intentions avant même que l’enquête ne puisse débuter dans les règles
encore son maquillage de scène de la veille, qui lui barbouille
de l’art. Ce qui nous amène au but de cet appel : je me demande si
désormais le visage. Tout en mordant délicatement dans un pétale
vous et vos amis pourriez tenter de… vous lier d’amitié avec Frau
de rose givré, elle invite les investigateurs à s’asseoir où ils le sou-
Berber ? C’est beaucoup exiger de votre part, je le sais bien… »
haitent… ce qui est plus facile à dire qu’à faire, la chambre étant
Grau veut un rapport détaillé sur Anita Berber et son époux : leurs un véritable capharnaüm. Le sol est jonché de vêtements et de
habitudes, leurs centres d’intérêt, leurs occupations de jour comme costumes. Les draps sont empilés au pied du lit. Des cendriers
158
sales débordent de mégots. Il faut regarder où l’on marche de peur Un autre test de Trouver Objet Caché révèle, enterrés sous les bou-
de poser le pied sur une des bouteilles d’alcool éparpillées un peu teilles vides et les vêtements sales, quelques brochures éparpillées,
partout sur le sol. intitulées Magische Briefe (Lettres magiques) et rédigées par Gregor
Gregorius. Derrière chacune figure une adresse. Les sujets qu’elles
Berber reconnaît les investigateurs qu’elle a rencontrés durant les
couvrent (et leur date de publication) sont les suivants : « Magie des
événements de l’aventure Le diable mange des mouches, encore miroirs et des cristaux » (15 mai 1925), « Magie de séparation » (16
que la clarté de ses souvenirs dépende de la durée de leur entretien octobre 1925) et « Magie satanique » (25 février 1926).
au cabaret du Moulin Rouge : en fonction de ce paramètre, elle peut
se les rappeler vaguement, ou au contraire les prendre dans ses bras Si on interroge Berber au sujet des livrets, elle éclate de rire et
comme de vieux amis. Elle se rappelle également les investigateurs répond qu’un de ses invités les aura sans doute laissés là : un test
qui l’ont entraînée la veille dans leurs actes de débauche ou qui se de Psychologie réussi confirme qu’elle n’éprouve quasiment aucun
sont particulièrement donnés en spectacle. intérêt pour eux. Châtin-Hofmann prétend lui aussi tout ignorer à
leur sujet, mais un test de Psychologie distinct révèle qu’il ment. En
Si Berber se souvient d’au moins un investigateur, l’entretien présence de Berber, il n’admettra sous aucun prétexte qu’il sait quoi
en sera facilité : tous les tests de compétences sociales béné- que ce soit sur les brochures, mais une fois qu’elles sont découvertes,
ficient d’un dé bonus. Son attitude générale se révèle bien plus il refuse de les quitter des yeux et les protège jalousement jusqu’au
accommodante, même si elle reste sujette à des sautes d’humeur départ des investigateurs. « Si c’est un ami qui les a laissés, il voudra
imprévisibles, comme les investigateurs ne vont pas tarder à s’en certainement les récupérer ! » se défend-il si on s’étonne de cet ins-
rendre compte. tinct protecteur suspect.
Si on lui demande des nouvelles de son chimpanzé, elle raconte tris- Si des investigateurs parviennent malgré tout à les subtiliser au
tement comment une nuit, elle a senti les petits bras se relâcher et moyen d’un test de Pickpocket, leur contenu pourra ultérieure-
refroidir autour de son cou. « La pauvre créature a étouffé sous mon ment se révéler utile. La rencontre L’Inveha, librairie occulte (cf.
châle », déclare-t-elle d’un air mélancolique, juste avant d’éclater de page 175) présente une autre occasion d’acquérir des exemplaires
son rire cristallin et de mordre dans un autre pétale gelé. des Lettres magiques en question. L’usage (non lié au Mythe) des
manuscrits est détaillé dans l’encart Grimoires, cf. page 198).
Châtin-Hofmann, pour sa part, laisse Berber demeurer le centre
de l’attention. Étendu sur le lit, il picore les restes d’un Wiener Peu après l’arrivée des investigateurs, les effets du « petit déjeuner »
Schnitzel (une escalope viennoise). Bien qu’ayant l’air vaguement de Berber commencent à se faire sentir. En gloussant, elle s’installe
abattu (et affamé), il évoque avec animation les remarquables sur les genoux du plus réservé d’entre eux et se met à lui chatouil-
talents de sa femme. Si on l’interroge, il refuse de trop en dire sur ler le nez pour l’aguicher. Châtin-Hofmann intervient (en anglais) :
son passé, se contentant d’admettre qu’il vient de Baltimore et que « Viens, Liebchen. Wir mussen… te faire prendre un bain, hein ? » Il
son père n’approuvait pas sa carrière dans la danse. la prend par la main pour la conduire jusqu’à la vaste salle de bain
au carrelage blanc, puis on entend couler l’eau tandis que Berber rit
de plus belle. Bientôt, Châtin-Hofmann revient : « Mes excuses »,
Note à l’intention du Gardien : rappelez-vous la valeur dit-il, toujours en anglais, « il ne faut pas qu’elle se baigne toute seule
lamentable de Châtin-Hofmann en Langues (Allemand) ; quand elle est dans cet état. Je vous en prie, prenez quelques… »
si nul ne parle anglais, il ne peut contribuer à la conversation
que par des louanges mal formulées en anglais de cuisine. Il écarte une pile de détritus sur la table de l’entrée et trouve des
prospectus chiffonnés : il donne un récital de piano le soir même au
Clärchens Ballhaus (cf. plus loin) sur l’Auguststraße. « J’adorerais
Si les investigateurs fouinent pour trouver des traces d’activité
vous y voir », dit-il avec un curieux éclat dans le regard. Puis il dis-
occulte ou de sorcellerie, ils reviendront bredouilles. Berber fait
paraît de nouveau dans la salle de bain et ferme la porte derrière lui
beaucoup de choses, mais ce n’est pas une sorcière, ce qui devrait
(en emportant les Lettres magiques si les investigateurs ont mis le
tomber sous le sens assez rapidement grâce à un test de Psychologie,
doigt dessus précédemment).
comme décrit ci-dessous, ou par un test d’Occultisme destiné à
sonder ses connaissances en la matière.
Rapport à Albin Grau
Un test de Trouver Objet Caché permet de repérer sur la table
de chevet des ouvrages consacrés à la mythologie babylonienne et Si les investigateurs souhaitent contacter Albin Grau pour lui rap-
égyptienne. Si un investigateur manifeste de l’intérêt à leur sujet, porter les détails de l’entretien, il se montre tout à fait intéressé par
Berber s’illumine et se met à parler gaiement de la déesse de la lune, les Lettres magiques. « Je connais bien l’auteur », déclare-t-il. « Peut-
être se rappellera-t-il avoir vendu les brochures à Henri ou à Anita,
Astarté, ainsi que des rites de fertilité pratiqués par ses adeptes et
si elles leur appartiennent bel et bien. Je vais l’appeler. J’imagine que
des prostituées sacrées de son culte. Bien qu’il ne s’agisse apparem-
vous prévoyez d’assister au récital de piano, ce soir ? »
ment que d’une posture de sa part, un test de Psychologie dévoile
qu’elle s’intéresse réellement au sujet, quoiqu’à un niveau superficiel Si les investigateurs y invitent Grau, il refuse poliment : « Je préfère
plutôt qu’universitaire. conserver mon anonymat encore un moment, dans cette affaire. »
159
Le Clärchens Ballhaus et Berber arrivent. Le mari porte une tenue de soirée et transpire abon-
damment. Son épouse a opté pour la robe noire de « Morphine », à
Situé à quelques pâtés de maisons au nord de l’Alex, au cœur du laquelle s’ajoutent un monocle et un air renfrogné.
Scheuenviertel juif (cf. La boutique du fabricant de poupées, page Châtin-Hofmann tente de conduire Berber jusqu’à son siège, mais
172), « la salle de bal de Clara » occupe un modeste bâtiment de elle le repousse impérieusement. Sans ralentir ni manifester la
pierre grise sur l’Auguststraße. Devant, le patio est rempli de tables moindre gêne, il s’approche du piano et annonce : « Damen und
de café, et une enseigne peinte à la main (par Otto Dix) est sus- Herren, danke schön für… être venus ce… Abend. » Il s’éclaircit la
pendue à l’entrée, représentant un couple qui danse et annonçant voix et s’installe au piano. Le silence s’abat. Les investigateurs, qui
le nom de l’établissement. Malgré l’heure tardive de l’événement remuent sur leurs chaises, voient leurs reflets (sans doute) mal à
(20h), la chaleur de la journée ne s’est pas encore dissipée. l’aise et en sueur dans les immenses miroirs qui occupent les trois
Après être entrés par une porte séparée, à droite de l’entrée prin- quarts des murs.
cipale, les investigateurs montent un escalier en angle qui grince Finalement, Châtin-Hofmann se met à jouer. Il a choisi la Totentanz
et les mène à la célèbre Spiegelsaal (« la salle aux miroirs »), où ils (« la danse macabre ») de Liszt, un morceau rythmé et dynamique
découvrent un piano à queue installé à peu près au centre du parquet dont la mélodie paraphrase le chant grégorien Dies Irae (le jour du
de danse. Deux rangées de chaises dépareillées sont posées en demi- jugement). La musique explose depuis le piano et emplit la petite
cercle autour de l’instrument, et une douzaine de personnes y sont salle de concert. Le pianiste a vraiment du talent.
assises ou bavardent à côté. Tous les occupants de la pièce s’éventent,
car il règne ici une chaleur plus oppressante encore que dehors. Au fil des 16 minutes que dure le morceau, les investigateurs s’aper-
çoivent, eux et Berber, dans les miroirs. Ils remarquent un détail
L’heure prévue arrive… et passe. Certains des invités s’agitent dans
curieux : chacun y paraît légèrement différent. Le visage de Berber y
la pièce étouffante. Un couple se lève et sort, puis quelques autres.
est bien plus dur et hagard, plus âgé que ses 27 ans. Son maquillage
Bientôt, il ne reste plus que les investigateurs.
de scène ressemble à un masque aux lèvres pincées et sévères. Plus
À 20h25, peu après le départ des derniers spectateurs – et peut-être au stupéfiant : sa robe noire de « Morphine » prend un ton cramoisi
moment où les investigateurs songent à les imiter – Châtin-Hofmann qui évoque les viscères.
160
Les investigateurs paraissent différents, eux aussi. Faites le tour de Dans l’Auguststrasße, un spectacle similaire attend les investiga-
la table et encouragez chaque joueuse à décrire (brièvement) ce teurs. Sous le ciel gris et dépourvu de soleil, les rues s’étendent à
que son investigateur voir dans le miroir. Quelles vérités affreuses, perte de vue, désertes et mornes. Il n’y a aucun trafic, ni piétons
quels secrets réprimés se reflètent sur la surface totalement objec- ni véhicules à moteur. On n’entend aucune voix, aucun chant d’oi-
tive du miroir enchanté ? Leurs vêtements ont-ils changé ? Ou leur seau. Ici règne une impression d’isolement presque tangible. Çà
âge apparent ? Peut-être même leur genre ? Ces visions troublantes et là, de monumentales statues néoclassiques se dressent sur des
menacent le bien-être mental des investigateurs et imposent un test socles bordant la rue : ces figures nues de marbre froid n’ont pas de
de Santé Mentale (perte de 0/1 point à la vue de leur moi intérieur visage. Vers l’ouest, un bâtiment coiffé d’une coupole, absolument
dans le miroir). immense, se dresse au-dessus de la grisaille, à 800 mètres environ.
Cette vision surnaturelle impose un test de Santé Mentale (perte
Le morceau s’achève. Lorsque l’écho des dernières notes s’éteint,
de 0/1D2 points).
les investigateurs comprennent soudain qu’en un clin d’œil, ils ont
pris la forme étrange de leurs reflets. En outre, Châtin-Hofmann et Dans quelle direction partent les investigateurs ? Le moyen de
Berber ont disparu. La température de la pièce a considérablement transport qu’ils ont employé pour se rendre au Ballhaus (tram, taxi,
baissé, de sorte qu’il y fait désormais froid. Demandez un autre test bus ou voiture privée) a disparu, et il leur faut donc marcher. Pen-
de Santé Mentale (perte de 1/1D4 points). dant le trajet, ils entendent un étrange son rythmique, comme le
Les investigateurs remarquent également que la porte de la salle des grincement de milliers de gonds. Peu à peu, ils se rendent compte
miroirs est fermée. Les hautes fenêtres laissent désormais passer les que toutes les fenêtres de tous les bâtiments du quartier s’ouvrent et
rayons laiteux du jour plutôt que d’ouvrir sur le ciel nocturne. Pour se ferment à l’unisson, dans un rythme régulier, qui correspond à
réussir à grimper et jeter un coup d’œil dehors, il faut réussir un test de leur souffle, ce qui inflige un test de Santé Mentale (perte de 0/1D4
Grimper. Les fenêtres offrent alors une vue dérangeante (cf. Totentanz, points). Dès qu’ils ont pris conscience du phénomène, celui-ci s’ar-
plus bas, pour plus de détails sur le panorama qui s’offre aux investiga- rête. Le silence s’installe à nouveau. Mais attendez… qu’est-ce que
teurs et les éventuelles pertes de Santé Mentale qui en découlent). c’était, ça ?
Faites effectuer des tests d’Écouter : ceux qui réussissent entendent
Note à l’intention du Gardien : il existe un moyen de des pas, comme des bruits de pieds nus sur les pavés. Pourtant,
mettre un terme immédiat à l’enchantement, et qui consiste aux alentours, il n’y a rien à voir. Il faut à présent faire des tests de
à jouer la Totentanz à l’envers, d’un bout à l’autre. Comme Trouver Objet Caché pour remarquer de vifs mouvements derrière
Châtin-Hofmann n’a utilisé aucune partition, il faut le faire une fenêtre… Là ! Et là-bas, dans cette ruelle ! Peut-être que les
de mémoire. Un test d’Arts et métiers (Piano) est possible, investigateurs ne sont pas seuls, après tout !
mais seul un succès extrême permettrait aux investigateurs de
sortir de l’impasse. Fracasser les miroirs ou le piano ne donne Les rabisu se montrent
aucun résultat (excepté une salle en désordre). Si le morceau
Une porte s’ouvre en grinçant sur la façade d’une maison de ville, de
est joué à l’envers, passez à De retour à la maison (cf. page
l’autre côté de la rue. Il fait noir à l’intérieur, mais les investigateurs
163). Les investigateurs ont évité d’éventuelles pertes de Santé
distinguent une forme humaine, tapie dans les ombres, parfaite-
Mentale, mais risquent d’avoir raté des indices qui pourront se
révéler précieux par la suite. ment immobile comme si elle attendait leur passage. Aucun appel
ne suscite de réponse de sa part.
Si les investigateurs décident d’attendre sur place, ils découvrent Maintenant, même ceux qui ont raté leurs tests ne peuvent plus
que la lumière qui passe par les fenêtres ne change jamais. La nuit s’y tromper : l’endroit est occupé. Avec une démarche vacillante,
ne tombe pas. Bientôt, ils ont faim. Il n’y a rien à faire excepté des formes humanoïdes émergent des escaliers, des façades de
s’aventurer au-dehors. boutiques désertes, des ruelles et des parcs. Elles portent des uni-
formes noirs, et des épingles en forme de crâne argenté luisent au
revers de leurs vestes, mais elles ne sont pas humaines. Elles ont
Totentanz une peau gris pâle, et leurs traits se limitent à une gueule de lam-
proie béante, hérissée de dents pointues. Dépourvues d’yeux et
En descendant les marches qui grincent, les investigateurs arrivent
d’oreilles, elles hument l’air pour flairer l’odeur des investigateurs.
au patio du café, totalement désert. En dehors des papiers gras
Elles avancent sans parler ni répondre si on les appelle. Lors-
qu’agite un vent fort et régulier, on n’y décèle aucun mouvement,
qu’elles se rapprochent, elles prennent le pas, fondant vers l’odeur
aucun signe de vie. Le silence est omniprésent et écrasant.
de chair humaine. Au bout du compte, les créatures émettent des
Autour du parc, les arbres et la végétation , sont tous morts, à une bruits, mais il ne s’agit pas de morts. Un chœur de grondements
seule exception : çà et là fleurissent des roses blanches. L’enseigne étranges se fait entendre. Les grognements sourds gagnent en
du Clärchens Ballhaus, rouillée et défraîchie, pend dangereusement volume pour se muer en une cacophonie de hurlements et de cris
à son support. Le bâtiment lui-même paraît vétuste et mal entre- aigus. Et voilà que les créatures se jettent sur les investigateurs,
tenu : de gros morceaux de pierre manquent à la façade. tendant les mains vers eux !
161
Lorsque les rabisu s’accumulent dans les rues et commencent à se dévorés eux aussi. Tout investigateur qui s’arrête pour lutter se fait
diriger vers les investigateurs, ceux-ci doivent effectuer un autre également réduire en chair à pâté en quelques secondes. Ceux dont
test de Santé Mentale (perte de 1/1D6 points) devant la horde de le MVT est de 9 parviennent à garder une longueur d’avance sur
monstres qui se jettent sur eux. Sans nul doute, ceux qui conservent les monstres.
toutes leurs facultés voudront s’enfuir, tandis que ceux qui ont
sombré dans la démence prendront également (dans l’idéal) leurs
Note à l’intention du Gardien : ceux qui meurent pendant
jambes à leur cou.
la scène ne sont pas vraiment morts (cf. De retour à la
maison, page 163).
Fuyez !
La horde déchaînée pousse inexorablement les investigateurs Les plus lestes des investigateurs s’enfuient, les poumons en feu,
vers l’édifice en dôme, à l’ouest. Ils traversent en courant des rues tandis que les monstres en uniforme vocifèrent sans jamais cesser
désertes, flanquées par des bâtiments monolithiques de style futu- la poursuite. Et pendant tout ce temps, le dôme démesuré se dresse
riste, sous le regard froid des fenêtres grises et des façades bruta- devant eux, de plus en plus haut, comme une tour de Babel cher-
listes. Des passerelles relient les étages supérieurs, enjambant le chant à griffer les nuages gris et immobiles. Un autre type de hurle-
boulevard. S’agit-il d’une vision de la Berlin du futur ? Pas le temps ment se fait entendre dans le monumental édifice, comme un vent
de chercher refuge à l’intérieur : les monstrueuses créatures sont violent s’infiltrant dans un puits sans fond, ou le cri désespéré d’un
sur les talons des investigateurs. million de voix.
Tout investigateur dont le MVT est inférieur ou égal à 7 se fait Les bâtiments de 10, 15 et 20 étages qui bordent la tour paraîtraient
automatiquement rattraper par la horde et disparaît sous les griffes colossaux si le dôme lui-même ne les écrasait pas de sa taille de
d’un groupe d’entre elles, qui le taillent en pièces. Les victimes géant. Aux fenêtres et aux arches de ces édifices pendent des ban-
meurent heureusement très vite, et n’ont que quelques secondes nières rouge sang où figurent d’étranges symboles inconnus des
pour hurler. Les investigateurs dont le MVT est de 8 doivent réus- investigateurs : ils rappellent à la fois les runes nordiques, les lettres
sir un test de DEX majeur : en cas d’échec, ils sont rattrapés et hébraïques et les caractères cunéiformes de Sumer.
162
163
est prise d’une violente quinte de toux. Le sang écume à ses lèvres, et
… et sa renaissance
une masse visqueuse, rouge et noire, de la taille d’une petite racine
de mandragore, sort de sa bouche et se déverse sur son menton. Berber est enterrée quatre jours plus tard au cimetière de Neukölln.
Châtin-Hofmann la recueille pour la placer dans un bocal, qu’il À cette date, développée au moyen d’un mélange de magie sexuelle
glisse dans la poche de son manteau avant d’appeler l’infirmière. saturnienne et d’anciens rites d’Égypte et de Babylone, la magie de
Châtin-Hofmann a fait effet.
Cette nuit-là, alors que sa femme vient de mourir, il danse
ses fiançailles avec sa nouvelle partenaire, Helena Schelda, au Avant de quitter Berlin en 1926, Châtin-Hofmann, poussé par
Weidenhof-Casino de la Friedrichstraße. Les critiques remarquent Grau, a laissé des instructions chez un fabricant de poupées du
l’énergie démente qu’il déploie, mais l’attribuent au chagrin. Scheuenviertel. Avec une grande partie de l’argent qu’Anita comp-
tait utiliser pour la drogue, ainsi que des finances supplémentaires
fournies par Gregorius, il lui a commandé une série de poupées
d’une qualité exceptionnelle (des manikins de taille humaine, com-
posés de céramique et de cheveux). L’un de ces manikins sera réservé
La secte Borborite à un usage ultérieur. Sur ordre de Châtin-Hofmann, les autres ont
Albin Grau n’a toujours participé que du bout des lèvres à été lentement mais sûrement animés par le fabricant de poupées au
la Fraternitas Saturni. Après la dissolution de la loge panso- moyen d’un ancien rite kabbalistique, et envoyés dans le monde, où
la magie leur donne l’aspect d’hommes et de femmes vivants.
phique d’Orient, après la désastreuse conférence de Weida
en 1925 (durant laquelle la question qui consistait à savoir Depuis deux ans, ces manikins circulent dans les rues, les bordels
s’il fallait ou non accepter la religion d’Aleister Crowley, et les arrière-salles privées des bas-fonds de Berlin, volant l’essence
la Thelema, provoqua un schisme au sein de la commu- vitale de leurs clients. A son retour à Berlin il y a une semaine, grâce
nauté occulte allemande), Grau fut attiré par une étrange à cette immense réserve de pouvoir magique, Châtin-Hofmann a
branche gnostique de la secte appelée les Borborites. Il préparé un sérum qui est un dérivé du « gestohlener Blitz » (« la
foudre volée »), l’élixir utilisé pour donner vie aux manikins. En
conserva des relations cordiales avec Frater Gregorius, et
injectant le sérum à Berber au moment de sa mort, il lui a fait vomir
rejoignit finalement la Fraternitas Saturni après sa fonda-
une partie de son essence vitale, une manifestation vivante sem-
tion par opportunisme. blable à un nouveau-né impie.
La secte Borborite fut importée en Allemagne par l’ami Entre son passage à l’hôpital et son spectacle de danse, Châtin-
et bienfaiteur de Grau, le baron von Grunau, qui l’avait Hofmann a rendu visite au fabricant de poupées. Dans son sous-sol,
rencontrée dans les déserts d’Égypte de l’ouest lorsqu’il avec l’aide de Grau et Gregorius, il a placé l’homoncule fragmentaire
dirigeait des fouilles archéologiques autour de l’oasis de d’Anita Berber dans la poitrine du dernier manikin. Après avoir
Siwa. Le terme « Borborite » dérive d’un mot grec signifiant versé le gestholener Blitz dans son torse, le quatuor d’inconscients
« boue » et se réfère également à l’autre nom de la secte : a mené à bien les anciens rites nécessaires. Ils ont donné un corps
« les malpropres ». physique à Abyzou, Grand Éon et Nom Trois-fois Androgyne, Mère
des Abominations.
Et ce nom leur convient tout à fait, car les Borborites sont
La vue de la déesse qui rayonne d’une énergie obscure et se lève sur
des libertins, même selon les critères gnostiques. Leurs
la table provoque une démence particulière chez chacun des parti-
rites répugnants et dépravés impliquent la consommation
cipants. Châtin-Hofmann, sorcier amateur complètement dépassé,
de sang et d’autres fluides corporels, des rites de magie est victime d’amnésie hystérique et s’enfuit de la boutique en ruine.
sexuelle et des sacrifices d’enfant. Selon la cosmologie des Grau et Gregorius, deux occultistes vétérans, tombent à genoux et
Borborites, il existe trois divinités : le Père de tout, Jésus vénèrent la déesse nouvelle. Grau s’imagine que son plan a porté ses
Christ et Berbeli, fiancé androgyne de Dieu qui est la véri- fruits, mais il se rend bientôt compte qu’il se trompe lourdement
table mère du Christ. (cf. L’Inveha, librairie occulte, page 175). Quant à Belshazzar le
fabricant de poupées, son destin est détaillé dans La boutique du
Grau et Grunau emploient les rites magico-sexuels de fabricant de poupées (cf. page 172).
la Fraternitas Saturni comme couverture pour se livrer à
leurs propres rites, et aussi pour recruter de nouveaux Et Abyzou ? Elle émerge du sous-sol et sort dans la nuit froide, le
adeptes. La secte Borborite de Berlin reste minuscule, car vent charriant derrière elle des miasmes infects.
ses adeptes se montrent très prudents lorsqu’il s’agit d’at-
tirer de nouveaux membres, qui doivent être corrompus
et dépravés d’une part, mais également respectables et
« Le centre ne peut tenir… »
stables. La secte compte parmi ses rangs des banquiers, Bien qu’il n’existe pas de chronologie à proprement parler dans
des dilettantes et des artistes. ce scénario, le Gardien doit tenir le compte des jours qui passent
durant l’enquête. L’influence corruptrice d’Abyzou (cf. L’Empire
d’Abyzou, page 183), accrue par les rafales de vent qui charrient sa
164
165
Émeutes et batailles dans les rues, actes sexuels en public, bien près du point de rupture. D’autant que le vent répand d’étranges
hordes de rats et meutes de chiens errants. Une minorité brumes dans les rues. Ces vastes nappes cotonneuses rappellent à
de membres de la Kripo et de la Sipo (cf. Beinls et Bulls, plus d’un vétéran les nuages de gaz empoisonné. La comparaison
page 38) luttent encore pour la bonne cause, mais à ce point, n’est pas injustifiée.
ce ne sont plus que des justiciers isolés, sans directives ni
Après l’incarnation d’Abyzou, la veille de l’anniversaire de la fin de
soutien de la part des échelons supérieurs corrompus de
la guerre, les obstétriciens des hôpitaux de la ville commencent à
leur hiérarchie.
parler d’une augmentation des fausses couches. Un peu partout, des
i Deuxième semaine et au-delà : des parades de fêtards parents en détresse appellent prêtres et médecins pour soigner leurs
déchaînés, ivres, forniquent dans les rues et taillent en enfants, qui tombent soudain gravement malades. Et le vent ne cesse
pièces tous les passants faibles ou sans défense qui ne par- de souffler, et le brouillard s’infiltre par les interstices des fenêtres et
viennent pas à leur échapper. D’énormes sangsues rampant des portes.
dans les artères principales. Des hommes et des femmes à
tête de chien, de taureau ou de lion. Des cadavres d’enfants,
parfois très jeunes, déversés dans des fosses communes. Note à l’intention du Gardien : ce n’est pas le vent qui
Les policiers et les avocats qui n’ont pas été corrompus provoque ces morts, mais des créatures intangibles connues
par Abyzou sont à bout de forces, incapables de juguler ce sous le nom d’engeance des brumes (cf. Monstres et créatures
déferlement de crimes et de phénomènes étranges : la loi n’a page 195 pour plus de détails). L’engeance peut s’en prendre
plus cours à Berlin. à n’importe qui, mais privilégie les jeunes. Les investigateurs
ont-ils des proches qui pourraient y être vulnérables ? Des frères
et sœurs plus jeunes, voire leurs propres enfants ? Des épouses
Tombent les enfants ou des sœurs enceintes ? Tous peuvent subir les effets néfastes
de ce vent malfaisant. Servez-vous de la crainte de la mort d’un
L’arrivée d’Abyzou sur Terre, phénomène surnaturel et incongru, a
être cher pour accroître la tension : on a clairement l’impression
un effet catastrophique. Les vents, déjà glaciaux, gagnent en inten-
que chaque nuit pourrait être fatale aux victimes potentielles.
sité pour ne plus jamais retomber : ils soufflent jour et nuit, sept
Au bout du compte, ne faites intervenir la mort d’un enfant
jours par semaine. La ville tout entière et ses habitants sont à cran,
directement lié aux investigateurs que si ces derniers tardent
trop à lutter contre la menace que représente Abyzou.
Indice : Ballet 1
166
d’anciennes tablettes d’argile contenant des rituels blasphématoires C’est Erma qui téléphone à la table des investigateurs au Residenz-Casino
permettant d’incarner une déesse sur Terre. (elle est installée à une table au fond du club, à l’abri des regards) et qui
glisse une petite poupée de porcelaine pleine de gestohlener Blitz dans
Grunau, amateur de cinéma, entretient une amitié de longue date
le système de tubes (cf. Nouveau départ : Au Resi, page 168).
avec Herr Albin Grau. C’est essentiellement l’argent de Grunau qui
a financé la société Prana Films de Grau, et tous deux sont res- Par l’intermédiaire de son vaste réseau de clients (dont beaucoup
tés proches. font partie des bas-fonds occultes de Berlin), elle suit de près les
progrès des investigateurs. Bien qu’elle les contacte à l’origine uni-
Erma Kore est au courant. Comme son alter ego cinématogra-
quement par téléphone, elle les convoque l’heure venue pour avoir
phique, Marlene Dietrich, elle est bien plus avisée et au fait des
un étrange entretien avec eux (cf. Rencontre avec Erma, page 181).
choses de ce monde que son âge ne le laisse penser, et elle écoute
les conversations qui lui parviennent du petit salon, en bas de Erma constitue l’arme secrète du Gardien dans ce scénario. Elle reste
l’escalier, ou qui se déroulent au téléphone. Elle connaît le projet à portée de la main pour fournir des indices, mais ne peut pas trop
Berbelo. Elle sait qui a transmis au naïf danseur-magicien les infor- en révéler, du moins tant qu’ils ne la rencontrent pas en personne,
mations relatives au rituel et aux méthodes permettant de l’accom- et ce de crainte que des oreilles indiscrètes ne l’écoutent sur la ligne
plir. Elle est également au courant des « poupées vivantes » qui téléphonique. Utilisez ses appels avec parcimonie, lorsque les inves-
circulent en grand nombre dans la ville (cf. … et sa renaissance, tigateurs piétinent. S’ils se débrouillent par leurs propres moyens,
page 164) car elle en fait partie. Elle souhaite partager ce qu’elle sait vous pouvez la laisser de côté jusqu’à leur rencontre en personne.
avec les investigateurs. Elle peut leur envoyer ces indices cryptiques par téléphone.
Indice : Ballet 2
167
Nouveau départ : Au Resi Les investigateurs vaquent à leurs occupations habituelles. Un court
article dans les dernières pages des journaux (Indice : Ballet 3),
intercalé entre des publicités pour des revues portant des noms évo-
C’est l’automne à Berlin. Le temps est clair et froid, et des bour-
cateurs (Enlève tout ! Les Demeures de l’Amour ou Bon sang de bois !
rasques secouent par intermittence les fenêtres, arrachant parfois
1000 femmes nues !) , fait état du retour en ville d’Anita Berber, la
leur chapeau aux imprudents. Nous sommes le 10 novembre, le jour
première danseuse nue de Berlin. Ce qui donnera peut-être à réflé-
de la mort de Berber.
chir aux investigateurs qui n’ont certainement pas oublié leur der-
nière rencontre avec elle deux ans auparavant.
Mais ces considérations mélancoliques sont bien vite laissées de
côté : ce soir, le groupe a prévu de se retrouver pour boire et se
Le réseau d’Erma divertir au Residenz-Casino, plus communément baptisé « le
Pourquoi Erma Kore se repose-t-elle sur les investigateurs Resi ». Bien que son ouverture ne date que de l’an dernier, il fait déjà
pour l’aider à déjouer le projet Berbelo ? Les investigateurs partie des palais des plaisirs les plus réputés de Berlin, ne le cédant
se poseront sans doute la question. en la matière qu’au Haus Vaterland (cf. page 47).
Erma est un personnage discret et mystérieux. Son rôle Les investigateurs arrivent autour de 22h à l’adresse prévue, sur la
dans ce scénario consiste à susciter une sorte de malaise
Blumenstraße, au sud de l’Alexanderplatz. Le vent souffle fort, infil-
trant ses doigts glacés entre les boutons des manteaux et le long
surnaturel chez les investigateurs, en premier lieu par la
des jambes.
nature malsaine et étrange de sa vocation. Conservez le
mystère sur la façon dont elle les a trouvés, mais soyez prêt Le bâtiment lui-même n’est pas particulièrement engageant avec
à leur donner une réponse malgré tout. ses excès néobaroques de style fin de siècle de Berlin, mais une
fois qu’ils ont échappé au froid de la nuit, c’est un tableau éton-
Si au moins un des investigateurs a participé au scénario namment moderne qui attend les investigateurs : un club à étages
Le diable mange des mouches, il remarquera la ressem- entourant un parquet de danse et dont les niveaux comptent près
blance frappante entre la petite Erma et le séduisant assas- de 100 tables, chacune surmontée d’une petite boule à facettes qui
sin Erwin Kern, qu’ils ont rencontré pendant l’Incident au tourne sur elle-même. Deux orchestres, l’un entièrement masculin
parc Romanisches (cf. page 106) et peut-être plus tard lors et l’autre féminin (et dont les musiciens et musiciennes, tous remar-
de cette aventure. Kern était l’instigateur du complot visant quablement séduisants, ont été engagés pour leur charme plutôt
à assassiner Walther Rathenau, et il a été pris et abattu un
que pour le moindre talent musical) interprètent des foxtrots et du
jazz américain aux deux extrémités du club, tandis que les boules à
mois après le meurtre (à moins que les investigateurs eux-
facettes tournent et s’ouvrent en rythme. Ici et là, de petites fontaines
mêmes ne l’aient tué).
émettent des jets d’eau colorés en arcs et en colonnes gracieuses.
Erma n’est pas tout à fait une réincarnation de Kern, même En tendant le cou, les investigateurs voient que le plafond est lui
s’il a inspiré ses traits (cf. La boutique du fabricant de aussi étagé : le centre est un dôme de verre motorisé, où figurent
poupées, page 172), mais contrairement à lui, elle suscite des motifs japonais de grues et d’orchidées peintes. Toute la salle est
la pitié. remplie de convives joyeux qui rient de bon cœur.
Si les investigateurs ont effectivement rencontré Kern par Un maître d’hôtel apparaît et, après avoir débarrassé les arrivants
le passé, c’est en raison de la magie d’association inhérente de leurs chapeaux et de leurs manteaux, les escorte jusqu’à l’étage
au processus qui a permis de la créer qu’Erma a ressenti le qui se trouve juste au-dessus de la piste de danse, pour les installer à
besoin de les contacter, sachant qu’ils pourraient l’aider. une table portant une vaste enseigne montée sous la boule à facette
Même elle serait bien en mal d’expliquer rationnellement
et affichant le numéro 58. D’ici, ils bénéficient d’une excellente vue
non seulement sur la piste, mais sur la plupart des autres tables ainsi
ce phénomène.
que sur trois des quatre bars. Comme toutes les autres tables de
Si ce scénario est joué à part ou si aucun investigateur cette section du club, celle-ci comporte son propre téléphone monté
n’a participé à Le diable mange des mouches, Erma a sur le mât supportant la boule, ainsi qu’un panier d’osier placé sous
entendu parler d’eux lorsqu’elle épiait Albin Grau évoquant ce qui ressemble à un tube de Rohrpost (cf. Médias et communica-
l’expérience inhabituelle qu’ils ont vécue au Weiße Maus et tion, page 36). Le phone sert à appeler d’autres tables du club pour
entamer une conversation.
au Clärchens Ballhaus il y a deux ans de cela. Comprenant
qu’ils avaient été transportés dans l’Ombre-Ville, domaine Un serveur arrive avec des menus où l’on trouve nourriture et
d’Abyzou, elle comprend en un éclair qu’ils disposent du boisson, ainsi qu’un « menu cadeau » comportant 135 tchotchkes
vécu nécessaire pour servir sa cause. (de petites babioles) que l’on peut acquérir et envoyer anonyme-
ment à l’une des tables numérotées de la salle par un système de
tubes pneumatiques.
168
Le repas proposé de compose de plats prussiens, très lourds : jarret importés d’Autriche, de France et d’Italie. L’atmosphère y diffère du
de porc rôti sur lit de choucroute et autres recettes du même ton- reste du club, tranquille et intime : c’est l’endroit idéal pour des ren-
neau. Le menu des boissons se révèle quant à lui très fourni, avec contres clandestines. Ici, une table sur deux seulement est équipée
toutes sortes de bières, de vins, de liqueurs et de cocktails. d’un téléphone.
Une fois les commandes de boissons effectuées, les investigateurs Le manège et le stand de tir occupent une vaste pièce inspirée du
peuvent s’installer confortablement. Autour d’eux, ils remarquent Luna Park dans le Grunewald. Les investigateurs qui ont grandi à
qu’il y a environ cinq femmes pour chaque homme dans le club. Berlin ont peut-être de bien beaux souvenirs des journées d’été
En outre, la plupart de ces femmes sont manifestement issues de passées dans le parc d’attractions désormais en ruines et cette salle
la classe moyenne : pas le genre de dames qu’on s’attendrait à voir s’efforce de recréer ces souvenirs en miniature. Des fêtards avinés
dans un club si près de l’Alex. Pourtant, il n’y a rien d’inhabituel : il mettent en gloussant leurs talents à l’épreuve dans les divers stands
s’agit bien du genre de foule que le Resi attire tous les soirs. Laissez de tir à jets d’eau. D’autres poussent des hourras sur le manège un peu
les investigateurs flirter, s’amuser et faire la fête en général, comme trop petit à huit chevaux, qui tourne gaiement au centre de la salle.
bon leur semble. Ils peuvent effectuer des appels ou envoyer des
cadeaux à d’autres tables, danser, boire et manger, ou explorer le Le téléphone sonne...
club à leur guise avant qu’Erma Kore ne se décide à les appeler.
Une fois que les joueuses se sont adonnées à toutes les frivolités
En plus de la zone comprenant la piste de danse principale, qui peut qu’elles désirent, l’intrigue progresse. Il se fait tard, plus de 2h du
accueillir jusqu’à 1000 danseurs à la fois, ceux qui se promènent matin, et la fête perd un peu de son allant. Peut-être que les investi-
un peu découvriront deux autres zones particulières : le manège gateurs songent à rentrer chez eux, ou au moins à trouver un endroit
et le stand de tir d’une part, et le cellier d’autre part. Le nom de ce un peu moins bruyant pour finir la nuit. Tout le monde s’est retrouvé
dernier annonce la couleur : c’est une salle au sous-sol, pourvue à la table 58 pour voir où chacun en est de sa soirée. C’est le moment
de quelques box et tables où les clients peuvent goûter nombre des un peu gênant où personne ne veut être le premier à proposer de
meilleurs vins du Rhin disponibles au Resi, ainsi que certains crus rentrer, mais où chacun n’attend que ça.
Plan du Resi
169
L’examen de la poupée
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Indice : Ballet 4
171
172
Numéro 39
Quant à la boutique de poupées, le numéro 39 occupe une ruelle
humide un peu à l’abri du vent, mais où celui-ci siffle malgré tout
dans la cour intérieure. Des fenêtres vides toisent les investigateurs ;
des tiges de lierre mortes rampent encore sur le stuc effrité et les
briques exposées.
Plusieurs portes promettent l’accès à d’autres zones, mais l’attention
des investigateurs est attirée par l’une d’entre elles en particulier,
en raison de l’enseigne qui la surmonte : elle porte le symbole du
fabricant de poupées et le mot Belshazzar écrit deux fois, en lettres
romaines et en caractères hébreux. Quelle que soit l’heure du
jour ou de la nuit à laquelle ils passent, les investigateurs trouvent
la porte ouverte. À l’intérieur de la boutique, il fait noir et froid.
Peut-être n’y a-t-il personne ?
Une fenêtre crasseuse constitue la seule source de lumière exté-
rieure : l’endroit ne contient aucune lumière électrique ou au gaz.
Si les investigateurs ne se sont pas munis de source d’éclairage, ils
trouvent, après une brève fouille, trois bougies dans des chandeliers
incrustés de cire.
Ils se trouvent dans une minuscule boutique. Des poupées en por-
celaine de tailles diverses reposent sur les étagères, dans des vitrines
qui font le tour de la pièce. Elles fixent sur eux leurs yeux inanimés.
On aperçoit çà et là d’autres pièces de céramique, y compris un ou
deux nains de jardin. Un test de Trouver Objet Caché réussi révèle
une poupée tombée d’une des étagères et dont le visage adorable est
désormais fendillé.
173
L’endroit présente des traces d’activité récente, notamment des La majorité des murs de la pièce est couverte de bibliothèques. Les
traces de pas fraîches dans le sol de terre battue. Un test majeur livres qui s’y trouvent couvrent toutes sortes de sujets, des mathé-
de Pister permet de déterminer qu’il a pu y avoir jusqu’à une matiques à l’histoire et à la géographie en passant par la technique
demi-douzaine de personnes ici à la fois. Il s’agit de traces de de cuisson de la céramique, le tout dans des langues diverses : latin,
chaussures masculines, à une exception près : des empreintes de grec, allemand et hébreu en particulier. Si l’un des investigateurs
pieds nus et de petite taille, qui conduisent du centre de la pièce connaît la dernière, il remarque que nombre des ouvrages rédigés
jusqu’aux marches ; probablement celles d’une femme ou d’une dans cette langue concernent des sujets extrêmement ésotériques,
jeune fille. liés à l’étude de la kabbale.
La pièce comprend également un autre objet insolite et facile à Une des rares œuvres d’art affichées au mur est un imprimé sans
remarquer : un bocal en verre pourvu d’un couvercle à visser. Bien cadre, légèrement enroulé, datant du 17e siècle. Il représente un
qu’il soit vide, l’intérieur est maculé d’une substance visqueuse et vieil homme assis sur une chaise et tenant un symbole à 10 pointes
clairement organique, comme du mucus sanguinolent. Un test de où figurent diverses lettres en hébreu. Un test d’Occultisme réussi
Médecine réussi révèle qu’il s’agirait, au moins en partie, de tissu permet d’identifier là les Séphiroth, les dix « émanations » de la
pulmonaire. Le sous-sol ne contient rien d’autre. Kabbale. Un test de Trouver Objet Caché, ou l’examen minutieux
de l’imprimé, révèle qu’il s’agite de temps à autre, comme si un
courant d’air entrait dans la pièce. Une fois qu’ils l’ont découvert,
À l'étage les investigateurs peuvent (au moyen de la flamme d’une bougie
Les investigateurs qui montent l’escalier du vestibule arrivent ou au toucher, tout simplement) déterminer d’où il vient. Il semble
dans une modeste chambre qui tient également lieu de salon. provenir du bord d’un des rayonnages qui fait face à l’entrée de la
Là, ils trouvent un lit chiffonné, une petite table de toilette, ainsi pièce. Bien sûr, l’étagère en question est une porte secrète étroite.
qu’une zone qui faisait sans doute office de table de dîner près d’un En poussant fort du côté le plus proche du mur, le meuble oscille
poêle à bois. Près du lit, une fenêtre donne sur la cour de devant. sur son pivot à contrepoids et dévoile un autre escalier qui monte.
Au sous-sol
174
En haut de l'escalier dérobé Une fois ses blessures pansées, après s’être reposé une heure et avoir
En montant ces marches, les investigateurs accèdent à une petite bu un peu de thé chaud, Belshazzar se sent davantage d’humeur
pièce pourvue d’une lucarne donnant sur le Scheuenviertel. Elle est à parler. Il ne révèle pas grand-chose, expliquant simplement qu’il
ouverte, et ce maudit vent s’y engouffre en sifflant. Un télescope en fabrique des poupées et s’intéresse à l’ésotérisme et à la Bible. Tou-
cuivre jaune est disposé près de la fenêtre et pointé vers la constel- tefois, si on lui montre la poupée du Resi, ou si un investigateur
lation de la Vierge, comme le révèle un éventuel test de Sciences réussit un test de Persuasion ou de Charme, il comprend qu’il est
(Astronomie). La chambre contient d’autres livres, la plupart en démasqué et s’épanche un peu plus.
hébreu, en grec ancien et en latin, ainsi qu’un grand bureau (rap-
pelant celui d’un moine copiste) et des tas de papiers et de parche- i Il y a deux ans, un homme qui se faisait appeler « Pacitius »
mins, la plupart éparpillés par le vent. lui a commandé deux douzaines de poupées à taille
humaine. Il n’évoquera pas l’usage auquel on les destinait,
Un test de Trouver Objet Caché réussi révèle un dossier en papier même si un test de Psychologie révèle qu’il jette des coups
kraft contenant plusieurs dizaines de photos d’hommes et de d’œil furtifs en direction de la poupée du Resi si elle est
femmes, tous adolescents ou d’une vingtaine d’années. Certaines visible pendant la conversation.
ont été prises sur le vif, dans la rue, tandis que d’autres proviennent
de journaux. Parmi elles se trouve une image d’Erwin Kern décou- i Un peu plus tôt dans la semaine (le 10 novembre), il
pée dans un journal (cf. Erma Kore : Téléphone-girl, page 166). a participé à un rituel magique dans le sous-sol de ce
Les investigateurs n’ont aucun moyen de le savoir, mais il s’agit bâtiment. Pacitius était là, ainsi que deux autres hommes :
des photos de référence dont Belshazzar s’est servi pour fabriquer un jeune danseur américain, et un autre homme plus âgé, à
les manikins. l’apparence plus austère, avec de grands yeux perçants.
i Le but du rituel consistait à créer « une créature qui
En entrant dans la pièce, les investigateurs aperçoivent quelque
n’est point de ce monde », selon ses propres mots. Il ne
chose : presque caché, sous des papiers soufflés par le vent au coin
divulgue pas plus d’informations, même si un test de
de la pièce, gît un homme immobile. Il est couvert de feuilles imbi-
Psychologie permet de détecter un immense regret qu’il
bées de son sang coagulé.
dissimule à peine.
i « J’ai posé mon regard sur une vision extatique. Je suis satisfait
Le vieillard de mourir. Je veux mourir ! Car jamais ne verrai visage à
L’homme est très âgé, il a au moins 90 ans. Il porte une kippa et une celui-ci pareil. Ô Ashtoreth ! »
longue soutane, ce qui le désigne probablement comme un immi-
gré venu de l’Est. Il s’est manifestement tailladé les poignets, et tient À ce moment, il se met à délirer. Il finit par se remettre, mais
encore un couteau sanglant dans la main. Bien que pâle et froid au refuse de s’exprimer davantage sur le sujet, suppliant qu’on le
toucher, il est miraculeusement en vie. Apparemment, les papiers laisse dormir.
éparpillés, en adhérant à ses plaies, ont tenu lieu de bandages et l’ont
La description du « jeune danseur américain » correspond à Henri
empêché de se vider de son sang.
Châtin-Hofmann (un test d’INT permet aux joueuses qui n’y ont
Il suffit de prodiguer quelques soins au vieillard pour qu’il pas pensé de faire le rapprochement). Un test d’Occultisme ou
reprenne connaissance (un test de Premiers Soins l’aide à se d’Anthropologie révèle qu’Ashtoreth est le nom hébreu de la déesse
remettre, mais n’est pas indispensable). Il est faible, certes, mais Astarté, assimilée par la suite au démon Astaroth.
ne cesse de croasser les mêmes mots, qu’il répète sans cesse. Un
test de Langues (Yiddish) est requis pour en comprendre le sens :
« Laisse-moi mourir, Seigneur. Laisse-moi mourir. » Si aucun des L’Inveha, librairie occulte
investigateurs ne pratique cette langue, ceux qui parlent allemand
comprennent vaguement malgré tout. Le blessé est heureusement La librairie a ouvert en 1926 dans une rue du nord de Berlin appe-
bilingue, et répond à quiconque s’adresse à lui en allemand ou lée Zionskirchstraße (la rue de l’église de Sion), à l’intersection avec
en yiddish. l’Anklamer Straße. Sa devanture simple introduit les visiteurs dans
un modeste espace rempli de bibliothèques pleines à craquer et de
C’est Belshazzar le fabricant de poupées, ou du moins se pré-
tables croulant sous les livres. Une cloche sonne lorsqu’on ouvre la
sente-t-il comme tel. On ne saurait déterminer son âge exact ou
porte. À l’intérieur règne une âcre odeur d’encens.
même son nom, mais l’allemand et le yiddish qu’il emploie sont des
dialectes archaïques. Un peu d’aide et de persuasion permettent Les sujets des ouvrages vont de l’architecture égyptienne et des
de convaincre Belshazzar de descendre de son observatoire et de rites sacrificiels péruviens à la psychanalyse, à l’hypnose et à la
se mettre au lit dans sa chambre. Il refuse catégoriquement qu’on physique non euclidienne. On trouve également ici des livres
l’emmène à l’hôpital, mais consent à se faire examiner si un méde- sur le yoga, la Kabbale, l’électromagnétisme et l’astrologie, entre
cin se déplace chez lui (ou si un investigateur possède les compé- autres volumes. Un investigateur qui prend une demi-heure pour
tences adéquates). explorer les étagères et réussit un test de Bibliothèque remarque
175
quelques livres consacrés au gnosticisme, en particulier l’évangile une déesse nue et ailée, aux pieds remplacés par des serres. Elle se
gnostique de Saint-Jean, ainsi qu’un traité intitulé « Les Gnostiques tient debout sur des lions (ou des hyènes) flanqués de hiboux. La
de Berbelo ». Un test d’Occultisme ou d’Anthropologie appliqué légende l’identifie comme Lilith.
au dernier sujet permet de se rappeler vaguement d’une histoire de
dieu tripartite, de femme de Yahweh et de sectes hérétiques à l’aube Brochures
du christianisme.
Sur des présentoirs en grille, au comptoir, s’étalent diverses brochures
publiées par la Fraternitas Saturni, et qui rappelleront à ceux qui les
Note à l’intention du Gardien : on peut obtenir davantage ont vus les exemplaires similaires éparpillés à l’Hôtel Excelsior, deux
d’informations en achetant ces livres ou en effectuant ans auparavant. Parmi divers tracts parlant d’astrologie, de pendules
des recherches dans la Bibliothèque d’État Prussienne et de coït sacré, on trouve quelques exemplaires d’un magazine de
(cf. Bibliothèques et musées de Berlin, page 45). Un test de grand format intitulé La Gnose de Saturne, et imprimé sur du papier
Bibliothèque réussi dans cette dernière révèle les informations épais, avec des inserts en couleur. L’éditeur et illustrateur du magazine
concernant les Borborites qui figurent dans les pages de Von est Albin Grau. Finalement, un tas de tracts annoncent la prochaine
denen Verdammten, et résumées dans l’encadré « La secte conférence de la Fraternitas Saturni, présentée par un certain « frère
Borborite » (cf. page 164). Leonardo » et consacrée au « Leadership Spirituel comme Réalité
Magique ». Elle aura lieu dans cette librairie d’ici deux jours, le soir.
176
i Albin Grau : « Herr Grau est un vieil ami. Je crois qu’il s’est leur explique de lui-même : « Je crois qu’il prévoit de participer à
investi dans un tout nouveau projet artistique… Nous n’avons notre prochaine cérémonie. Dans deux jours, à 19h. » Il leur tend un
pas parlé depuis des mois. Il est coutumier du fait lorsque tract expliquant le sujet, le lieu et l’heure, mentionnés plus haut.
l’inspiration lui vient. » (Il s’agit d’un demi-mensonge,
Gregorius restant en contact régulier avec Grau.)
Le bureau du fond
i Henri Châtin-Hofmann : « Oui, je crois qu’il est passé
On passe à l’arrière de la boutique en traversant un rideau violet et doré
ici quelques fois. Il a acheté certaines de mes brochures.
qui masque le passage. Derrière se trouve un petit couloir débouchant
Un amateur, rien de plus, je crois… J’espère que rien de
sur la « salle de conférence » (cf. Assister à la conférence, page sui-
fâcheux ne lui est arrivé ? » (Encore un demi-mensonge, car
vante). À gauche, une porte pourvue d’une fenêtre en verre dépoli, où
Gregorius a revu Châtin-Hofmann lors du rituel d’invoca-
figure l’inscription « Gérant » tient lieu de bureau et d’étude à Gregorius.
tion d’Abyzou ; cela dit, le mépris qu’il éprouve à son endroit
et qui transparaît dans son ton est bien réel). Des investigateurs ambitieux peuvent tenter de s’y introduire par
i La Fraternitas Saturni : « Ah, un groupe d’études ésotériques effraction. Gregorius ferme la porte de son bureau à clef lorsqu’il ne
que je dirige. Nous proposons des conférences consacrées s’y trouve pas. Il faut réussir un test de Crochetage pour l’ouvrir, ou
au savoir secret, des cours sur les domaines occultes les plus fracasser la vitre si les investigateurs ne s’embarrassent pas de subtilité.
complexes et un enseignement général sur ces sujets, le tout Derrière la porte, la petite pièce est presque entièrement rem-
dans la salle attenante au fond. Seriez-vous intéressés ? » plie par un bureau couvert d’éraflures. Une lampe de chez Tiffany
fournit l’éclairage sur le bureau, accompagnée d’une ampoule nue
Les investigateurs qui manifestent des aptitudes pour les études suspendue au plafond. Les murs disparaissent entièrement derrière
d’Occultisme en réussissant un test de la compétence correspon- les bibliothèques et les casiers, les premières ployant sous le poids
dante, et en particulier ceux qui montrent leur intérêt pour la Fra- des livres et les seconds débordant de papiers, de lettres, de reçus et
ternitas Saturni, sont les plus susceptibles de faire bonne impression de notes. S’il existe le moindre système de classement ici, il réside
à Gregorius. S’ils se sont également renseignés sur Grau, Gregorius dans la tête de Gregorius.
177
Fouiller le bureau en quête d’éléments compromettants prend une Une porte s’ouvre au fond de la salle, pour laisser entrer Gregorius,
heure. Cette durée décroît de 10 minutes par investigateur partici- Grau et un troisième homme. Les conversations s’arrêtent peu à
pant, mais n’oubliez pas qu’en raison de l’exiguïté du bureau, on ne peu et chacun s’installe sur une chaise. Après quelques remarques
peut s’y serrer qu’à quatre au plus si l’on souhaite fouiner. Par consé- préliminaires, Gregorius présente « frère Pacitius », qui n’est autre
quent, la prospection prend au minimum 20 minutes. qu’Albin Grau lui-même, naturellement. Ce dernier paraît un peu
dérangé : le col de sa chemise n’est pas boutonné et il a les cheveux
Un test de Trouver Objet Caché révèle plusieurs petits tiroirs rem-
en bataille. Il paraît avoir beaucoup vieilli depuis sa dernière ren-
plis de diverses substances illicites. Selon leur passé, ou en réussis-
contre avec les investigateurs.
sant un test de Sciences (Chimie ou Pharmacologie), les investi-
gateurs identifient de la cocaïne, du hachich et du peyotl, tous en « Pacitius » monte sur scène et présente frère Leonardo, « l’un de nos
quantité non négligeable. membres les plus talentueux, maître de la magie des miroirs ».
Un test de Bibliothèque permet de trouver des liasses de notes Le troisième homme, frère Leonardo, monte à son tour et com-
éparpillées, où figure apparemment la traduction allemande d’un mence son discours. Grau s’assied pour l’écouter poliment.
texte médiéval en latin (cf. Das Necronomicon dans l’encart Gri-
moires, page 198). « Il m’a toujours semblé qu’un élément manquait lorsque, si sou-
vent au sein de notre cercle, l’élan de la nouvelle ère a été abordé,
Un test de Comptabilité réussi révèle plusieurs reçus dont les plus commence Leonardo. Ce qui me manque, c’est l’absolu acquérant
récents datent d’il y a deux semaines, tandis que les plus anciens la pleine conscience, l’articulation radicale que chacun d’entre nous
remontent à 1926. Tous concernent des « manikins » commandés à ressent en sa chair et en son sang. À cet égard, nous ne saurions trop
« Belshazzar le fabricant de poupées ». Si on les regroupe, il apparaît revenir aux similitudes entre la situation actuelle et celle des premiers
que 26 manikins ont été acquis pendant une période de deux ans. La gnostiques dans la Rome classique. Depuis les innombrables cata-
moitié des reçus sont signés par Grau ou Gregorius, le reste portant combes, ils nous envoient une mystérieuse admonestation ! En cette
la signature de Châtin-Hofmann. époque où ils vécurent leur existence dans la vérité absolue, un monde
À moins que les personnages ne mettent en place une surveillance entier sombra. Ce fut avec la chute de Rome que le dernier empire
particulière, demandez-leur un test de Chance (basée sur celle des classique fut réduit en poussière. Et pourtant, même à l’époque, les
investigateurs présents) pour chaque tranche de 10 minutes pas- rares initiés sentaient que tout passe, tout s’en va comme dans un
sée dans le bureau. En cas d’échec, Gregorius arrive. Il n’hésite pas vent formidable. »
à user de magie pour se venger des intrus, utilisant Domination, Le discours continue dans la même veine pendant une demi-
Instiller la Peur ou Suggestion Mentale au début, et recourant à Flé- heure. À la fin, frère Leonardo conclut : « L’horloge du monde va
trissement si on l’attaque ou si les autres sortilèges ont échoué (cf. le
bientôt sonner sa dernière heure ! Qui sait si les forces bénéfiques
profil de Gregor Gregorius, page 195).
et harmonieuses l’emporteront, nous épargnant ainsi l’amer calice
d’une nouvelle guerre ? Car elle provoquerait la chute de cultures
Assister à la conférence entières. À moins que ces souffrances ne soient nécessaires, selon une
En fonction de l’impression que les investigateurs ont faite à Grego- volonté supérieure, pour permettre à l’humanité de grandir encore ?
rius, ils peuvent recevoir une invitation à la prochaine conférence Nous l’ignorons. »
de la Fraternitas Saturni ou peuvent également décider d’y assister Le temps que la conférence s’achève (sous les applaudissements
d’eux-mêmes après avoir vu les prospectus dans sa librairie. Leur généraux), Gregorius s’est retiré dans son bureau, mais Grau est
présence n’est pas indispensable, mais les événements de la soirée encore là, et les investigateurs peuvent encore l’aborder, encore que
leur permettront de combler quelques vides. ce qu’ils découvriront pourrait bien les surprendre.
Une fois revenus à la librairie le soir convenu (deux jours après leur « Mes chers amis ! » dit Grau avec un sourire dément. « Je suis si
première visite) à 19h, les investigateurs traversent le couloir du content de vous revoir ! » Qualifier son humeur de radieuse serait
fond et pénètrent dans la vaste salle au haut plafond qui offre un un euphémisme : rien ne semble à même de le décontenancer. « Je
contraste saisissant, en termes d’espace, avec le reste des pièces exi- suis ravi de vous voir ici. Assurément, vous vous engagez sur la bonne
guës du bâtiment. Au fond de la petite scène, on a tendu un rideau voie ! Frère Leonardo a raison : un vent nouveau s’est levé. Vous l’avez
rouge où figure un symbole d’étoile à six branches entourant une sans doute remarqué ? Il souffle jour et nuit depuis qu’Elle est là. »
tête de taureau. Un test d’Occultisme identifie là un Talisman de
Saturne, utilisé en magie rituelle. Si les investigateurs l’interrogent sur le « Elle » en question, Grau se
contente de répondre : « Venez au Schauspielhaus, mes amis, et vous
Plusieurs rangées de chaises font face à la scène, où se dresse éga- serez transformés tout comme je l’ai été ! » Sa ferveur atteint alors son
lement un pupitre bancal. Une quarantaine de personnes, autant
paroxysme délirant. « Toute la ville sera au courant. Elle règne sur la
de femmes que d’hommes, assistent à la conférence. Le public se
nuit, tenant sa cour entre le coucher du soleil et l’aube. Bientôt, tout
compose d’aristocrates et de personnes des classes moyennes, de
ne sera plus que nuit… » ajoute-t-il en gloussant.
professeurs et de politiciens. Peut-être y trouve-t-on un ou deux
personnages issus de Oh! You Pretty Things (cf. page 71) : au Gar- Si on le cuisine au sujet de Belshazzar le fabricant de poupées et
dien de décider. ce qui s’est passé dans le sous-sol, ou si on lui demande d’expliquer
178
le projet Berbelo, Grau se contente de ricaner. « Oui, c’est vrai. J’ai sur « Astarté » ou « Ashtoreth » à la bibliothèque : le bibliothé-
participé à ce grand œuvre. Mais ce qui est venu à nous dépasse de caire conseille aux investigateurs de contacter Andrae, la personne
loin toutes mes attentes ! » Son regard s’illumine et, plongé dans la plus susceptible de fournir des informations sur les divinités
une vision que lui seul perçoit, il s’esclaffe au comble de l’extase. antiques du Proche-Orient.
« Abreuvez-vous de Son lait et soyez métamorphosés ! » déclare-t-il
tandis que d’autres membres du public, attirés par les élucubrations Sur l’île aux Musées, entre la Galerie Nationale et une ligne de
de Grau, s’approchent et les poussent. Stadtbahn qui traverse l’île et le fleuve, se trouve un vaste chantier :
c’est là que l’on s’apprête à terminer le musée de Pergame, après près
Si les investigateurs souhaitent rester avec lui, il les conduit volon- de deux décennies de construction interrompue par la guerre et les
tiers au Großes Schauspielhaus (cf. page 184) pour leur présen- crises économiques.
ter Abyzou.
Le musée a été conçu spécialement pour accueillir le Grand autel
de Pergame, extrait de l’acropole du même nom entre 1878 et 1886
Rudolf von Laban par Carl Humann. Le premier musée de ce genre, ouvert en 1901,
se révéla tout à fait inadéquat, et on traça les plans d’un édifice
Les investigateurs peuvent vouloir se renseigner sur l’Ikosaeder plus vaste qui abriterait non seulement le Grand autel, mais égale-
du sous-sol de Belshazzar (cf. La boutique du fabricant de pou- ment nombre de reliques du Proche-Orient et de la Méditerranée
pées, page 172) en contactant son inventeur, Rudolf von Laban. conservées à Berlin. Les plans du musée comprennent un service
Ils trouvent le Hongrois en cherchant son nom dans l’annuaire de du Proche-Orient, où une installation monumentale prend forme
Berlin, où figure l’adresse de la Tanzschule Laban (l’école de danse en ce moment même.
de Laban) au 10 Gillstraße à Grunewald.
L’archéologue Robert Koldeway dirigea des fouilles étendues sur le
Lorsqu’ils arrivent, ils trouvent un Laban terriblement pressé. Lui
site de l’ancienne Babylone au tournant du siècle. Parmi ses décou-
et sa compagnie doivent partir en tournée en Allemagne et en Italie
vertes les plus remarquables figure le portail que l’on a baptisé
le lendemain du jour où les investigateurs lui rendent visite, et il
« porte d’Ishtar », entrée d’une somptueuse voie processionnelle
a beaucoup à faire avant son départ. Un test réussi de Baratin, de
située dans les murs nord de Babylone et construite par le roi Nabu-
Charme ou de Persuasion est nécessaire ne serait-ce que pour l’al-
chodonosor II il y a 2500 ans. La totalité du complexe entourant la
paguer quelques minutes afin de l’interroger. Un investigateur dis-
posant de la compétence Arts et métiers (Danse) peut également porte a été démontée et transportée à Berlin, où Koldeway et ses
l’employer pour obtenir son attention. assistants, dont Walter Andrae, ont rebâti l’édifice de brique dorée
aux motifs de lapis-lazuli.
L’obligeance de Laban dépend de la qualité de la réussite. Les infor-
mations obtenues sont indiquées ci-dessous en fonction du résultat Aujourd’hui, après des années de travail, la grande porte est presque
du test (chaque résultat révélant également tout ce qu’octroient les achevée. Elle a retrouvé sa gloire d’antan sous l’œil vigilant d’An-
réussites inférieures, jusqu’à quatre informations en tout, donc). drae, promu directeur du service du Proche-Orient après la mort de
Laban n’a pas le temps de bavarder : un seul et unique test est pos- Koldeway en 1925. Il faut 1D3 jours pour obtenir un rendez-vous
sible (avec un redoublement). avec le directeur extrêmement occupé, mais un test d’Archéologie
réussi, ou une valeur de Crédit supérieure ou égale à 50% réduisent
i Réussite ordinaire : Laban confirme qu’il a vendu un l’attente à 1D3 heures.
Ikosaeder récemment, mais refuse de dire quand et à qui.
Lorsqu’ils arrivent au musée pour le rendez-vous, un fonction-
i Réussite majeure : Laban révèle le moment de la vente, naire débutant les guide au-delà de la clôture de bois qui entoure la
deux semaines auparavant. propriété. Il escorte le groupe jusqu’à une aile de l’immense com-
i Réussite extrême : Laban laisse échapper qu’il l’a vendu à plexe, qui résonne encore d’une symphonie de bruits de marteaux
Albin Grau, mais ne révèle pas pourquoi. et de scies. Une fois à l’intérieur, les investigateurs découvrent un
i Réussite critique : l’œil brillant, Laban déclare : « Je crois que spectacle des plus incongrus : un immense complexe babylonien
Grau et ses associés prévoient de s’en servir pour transcender la reproduit en intérieur, sous la lumière diffuse des lucarnes. Un
quatrième dimension sexuelle. Maintenant, bonne journée ! » homme d’une cinquantaine d’années, à la peau bronzée et à la cri-
nière d’argent, supervise les travaux de la guérite d’un œil perçant,
tandis qu’une équipe d’ouvriers évoluent sur des échafaudages pour
disposer les carreaux de lapis-lazuli. Presque tous les murs et tours
Le musée de Pergame du complexe sont couverts de ces mosaïques, ponctuées des briques
Les investigateurs qui suivent un des indices fournis par Erma dorées représentant taureaux, lions et étranges créatures hybrides.
(cf. Erma Kore : Téléphone-girl, page 166) et cherchent Walter Stupéfaits, les investigateurs reconnaissent les sept portes de leur
Andrae trouvent son nom dans l’annuaire, où il est désigné comme vision onirique de l’Ombre-Ville, ce qui leur inflige un test de Santé
« directeur du service Proche-Orient du musée de Pergame ». Mentale (perte de 0/1 point). Ce sont ces murs et ces tours étranges
Un autre moyen d’accéder à Andrae consiste à se renseigner qui remplaçaient en partie la porte de Brandebourg dans leur songe.
179
Walter Andrae tend son porte-bloc à un assistant, puis s’approche des Selon la teneur des entretiens de 1926, Châtin Hofmann peut se
investigateurs pour leur serrer vigoureusement la main. Il se montre souvenir des investigateurs, mais s’ils lui parlent de son récital au
assez amical, bien que manifestement agacé de devoir s’interrompre Clärchens Ballhaus (cf. page 160), il prétend que celui-ci n’a jamais
dans la réalisation de son plus important projet. « Nous approchons eu lieu. Un test de Psychologie révèle qu’il dit la vérité, ou du moins
du but. Naturellement, il n’y a pas assez de place ici pour rebâtir le com- y croit dur comme fer.
plexe tout entier, mais je crois qu’on saisit l’effet général, pas vrai ? »
La démence de Châtin-Hofmann le pousse à oublier son passé sor-
Les investigateurs ont tout intérêt à poser des questions brèves et dide, à se distancier autant que possible de l’horrible marché qu’il a
précises. Voici les réponses aux plus importantes. conclu et des compromis qu’il a faits. On l’a convaincu que le projet
Berbelo était le meilleur moyen de sauver sa bien-aimée Anita, mais
i Concernant la porte d’Ishtar : on l’a extraite des ruines après ce spectaculaire fiasco, il ne veut plus rien avoir à faire avec
de Babylone et baptisée porte d’Ishtar (cf. plus haut pour cette entreprise ni avec quelque opération magique que ce soit. Le
d’autres détails). Andrae explique qu’il y avait à l’origine sept lendemain du rituel, il a brûlé tous ses documents occultes et ésoté-
portes de cèdre, appelées les Sept Portes des Cieux. « Elles riques, coupant le contact avec Grau et Gregorius.
ont pourri depuis longtemps, et nous n’avons la place que pour
Si on le contacte le 2e jour (le 11 novembre), Châtin-Hofmann
une seule, ici au musée. »
affiche une façade froide et réservée, mais craque sous la moindre
i Concernant « Astarté » et « Ashtoreth » : il s’agit respec- pression : si on lui montre la poupée du Resi, si on lui parle du récit
tivement du nom grec et hébreu de la déesse mésopota- de Belshazzar, ou même si on lui parle des événements survenus
mienne Ishtar (également appelée Inanna). deux ans auparavant au Weiße Maus… Ces stimuli suffisent à le
i Concernant Ishtar/Inanna : déesse babylonienne/ bouleverser, auquel cas il se met à bredouiller, prostré.
sumérienne de la fertilité, de l’amour et de la beauté. On
« Nous ne savions pas ! Nous ne savions pas ! » gémit-il en anglais en
l’associait à la lune et elle avait un clergé actif composé de
se tenant la tête entre les mains. « Nous pensions agir pour le bien. Je
prostituées sacrées. Par la suite, quand Ishtar devint Astarté,
pensais agir pour le bien… pour la ramener, faire d’elle davantage que
on la rapprocha de deux autres déesses dans une incarnation
tripartite. Il s’agissait d’Anat et de Qudshu, déesse virginale ce qu’elle était déjà ! Elle voulait devenir Astarté, et j’ai cru pouvoir
de la guerre et déesse du plaisir sexuel et de l’extase. Certains l’aider ! » Il se tourne vers les investigateurs, écarquillant les yeux.
érudits récents établissent un parallèle entre Ishtar/Astarté « Mais on m’a trompé, vous voyez ? Je ne suis qu’un pigeon. Un pigeon
et la figure mythologique de Lilith, Mère des Abominations idiot. C’étaient ces bons à rien malfaisants à la librairie. L’Inveha. Oh,
du Talmud, alias la Prostituée de Babylone. « Mais il ne s’agit que je regrette d’avoir fréquenté ce lieu ! Qu’ils soient maudits, eux et
que de théories marginales, au mieux », renifle le Dr Andrae. leurs hérésies dégoûtantes de dégénérés ! »
Les légendes ultérieures relient Lilith au mythe du vampire, Helene Schelda intervient alors et menace d’appeler le directeur du
et en font une véritable créature de la nuit. « Dans ces récits, théâtre et la police si les investigateurs ne partent pas. La dernière
Lilith perd la majeure partie de ses pouvoirs durant le jour, image qu’ils ont de Châtin-Hofmann est celle d’un homme pathé-
s’affaiblissant et devenant vulnérable tant que le soleil brille. » tique, brisé, recroquevillé sur le sofa de sa loge, en pleurs. « Je n’y
i Concernant les Borborites : Andrae ne connaît que pouvais rien… Je n’y pouvais rien… »
vaguement les Borborites et refusent de croire qu’ils soient
encore actifs de nos jours à Berlin.
Après la rencontre
Secoué par sa rencontre avec les investigateurs, Châtin-Hofmann
fait ses bagages et s’enfuit avec Schelda, emménageant dans un
À propos d’Henri hôtel bon marché de l’Alex, où il réfléchit à ce qu’il va pouvoir faire
ensuite. Malheureusement, Abyzou le trouve la première.
Les investigateurs qui se rappellent leur rencontre avec Henri
Châtin-Hofmann en 1926, ou songent à lui après leur visite chez Mue par le fragment d’elle-même qui était autrefois Anita Ber-
Belshazzar ou à cause d’un indice donné par Erma (cf. Erma Kore : ber, Abyzou cherche à retrouver son « époux ». La nuit qui suit
Téléphone-girl, page 166) voudront peut-être le revoir. la rencontre de ce dernier avec les investigateurs, son engeance
des brumes le localise. Schelda est tuée dans l’attaque qui s’ensuit,
Châtin Hofmann, artiste et personnage public, n’est pas difficile à trou-
mais Châtin-Hofmann s’en sort en vie. Pendant les 24 heures qui
ver de prime abord : il réside au Weidenhoff-Casino. Cela dit, l’amener
suivent, c’est un fugitif, qui échappe à plusieurs reprises, d’un che-
à révéler des informations pertinentes est une autre paire de manches.
veu chaque fois, aux « animaux de compagnie » d’Abyzou. S’il leur
Lorsqu’il revient en 1928 à Berlin, Châtin-Hofmann a une nouvelle survit, c’est uniquement parce qu’elle les a chargés de le capturer
partenaire de danse, Helene Schelda, et il se produit dans les clubs plutôt que de l’occire, mais les créatures ne sont pas assez intelli-
et cabarets de toute la ville. Lorsqu’on l’aborde dans sa loge après gentes pour mener à bien cette mission. Finalement, éperdu, en
une représentation, on découvre un homme qui tente désespéré- plein délire, il se rend à l’appartement d’Erma Kore (cf. L’invité
ment de se détacher de son passé. Malheureusement pour lui, le d’Erma, page 183), où les investigateurs peuvent le croiser une
passé en question le rattrape à toutes jambes. nouvelle fois.
180
Ils le considéreront sans doute comme un individu pathétique, mais De toute évidence, les deux hommes sont des criminels, sans doute
il ne faut pas sous-estimer son rôle dans l’apocalypse qui s’abat sur membres d’un Ringverein local. Aux investigateurs de décider s’ils
Berlin. Plus tard durant ce scénario, ils découvriront qu’il est une veulent prendre le risque de monter à bord du véhicule. S’ils le font,
clef potentielle permettant de bannir Abyzou de notre monde. on les conduit jusqu’à une section tranquille et bordée d’arbres de
Viktoria Straße (située non loin de Potsdamer Platz) où s’alignent
les maisons chics.
Rencontre avec Erma
Le chauffeur demeure à l’intérieur, mais l’autre escorte les inves-
Le moment où les investigateurs rencontreront Erma Kore est laissé à tigateurs à l’intérieur d’un des bâtiments, et monte avec eux des
la discrétion du Gardien. Dans l’idéal, ils ont exploité leurs indices et marches à la luxueuse moquette menant à un palier au premier
le résultat de leurs propres investigations pour avoir une idée du péril
étage. Il toque discrètement à la porte. De l’intérieur, une voix juvé-
qui rôde dorénavant dans les rues de Berlin, et tentent sans doute de
nile et familière dit : « Entrez. »
trouver le moyen de l’arrêter. La rencontre ne doit toutefois en aucun
cas avoir lieu avant le soir du 12 novembre, pour laisser à Châtin-Hof-
mann le temps de se rendre à son appartement (cf. L’invité d’Erma, Note à l’intention du Gardien : la clef de la scène qui
page 183). En outre, elle se déroule vraisemblablement de nuit. s’ensuit consiste à souligner la maturité et le Weltschmerz (une
Quand l’heure est venue, une berline Ford se gare non loin des inves- mélancolie désenchantée) de la fille qui vit ici. Erma Kore est
tigateurs qui s’apprêtent à partir pour une destination ou une autre. victime d’un complot surnaturel, mais également d’une société
Un des gros durs balafrés qui occupent les sièges avant baisse la vitre dépravée qui n’a aucun scrupule à faire commerce du corps
et les salue en ces termes : « Si vous affrontez le mal qui ronge cette des adolescents.
ville, vous pourrez entrer. »
« Si vous affrontez le mal qui ronge cette ville, vous pourrez entrer. »
181
Les investigateurs se retrouvent dans un salon à la décoration somp- qu’elles se réfèrent à la substance qu’elle contenait. « Les manikins
tueuse et aux meubles antiques français (datant essentiellement opèrent dans la rue ou dans des bordels, vous me suivez ? Ces ingré-
des époques Louis XIV et Louis XV). Debout à la fenêtre donnant dients… sont plus faciles à récupérer pour des prostitués. Et ils jouent
sur la rue, une jeune fille menue, vêtue d’une robe et d’un négligé un rôle essentiel dans leurs rites magiques, et dans le projet tout entier. »
amples scrute l’extérieur au travers des rideaux diaphanes. Elle ne
Elle s’approche de l’investigateur doté du POU le plus élevé et s’age-
peut pas avoir plus de 17 ans. Elle porte ses cheveux d’un blond
nouille devant lui. Lorsqu’elle plonge dans son regard des yeux
doré mi-longs, et elle est maquillée d’une main d’experte. On dirait
inquisiteurs, soulignés de faux cils et de sourcils peints, elle donne
une version adolescente de Marlene Dietrich. Elle présente en outre
l’impression poignante d’une jeune fille qui a vu bien plus de choses
un visage curieusement familier à certains investigateurs : ceux qui
qu’elle ne le devrait à son âge.
ont rencontré Erwin Kern durant le scénario Le diable mange des
mouches jureraient presque qu’il s’agit de sa petite sœur. « Vous vous demandez comment je sais tout ceci, n’est-ce pas ? »
L’homme qui les escortait prend congé. Il attend sur le palier le Elle pivote sur ses genoux et porte la main à sa nuque, dont elle écarte
signal d’Erma pour les raccompagner. les cheveux pour la dévoiler. Juste sous l’implantation des cheveux
figure la marque familière de Belshazzar le fabricant de poupées
« Je vous en prie, asseyez-vous », dit la jeune fille. Sa voix enfantine
(Indices : Ballet 4). Voir ce signe caractéristique dans un tel contexte
contraste avec le décor sophistiqué de sa chambre. Tandis que les
provoque un test de Santé Mentale (perte de 0/1D2 points).
investigateurs s’asseyent sur le sofa et les fauteuils disposés près de
la cheminée en marbre, elle traverse la pièce, ouvre une vieille boîte « Je faisais partie de ceux qui ont recueilli le gestohlener Blitz pendant
et y prend une cigarette qu’elle fixe dans un fume-cigare. Elle attend les deux dernières années, poursuit-elle. Je suis une Téléphone-girl
alors qu’un investigateur (de préférence masculin) la lui allume. qui travaille pour le baron von Grunau, chef de la secte Borborite.
« Servez-vous, je vous en prie, dit-elle en soufflant de la fumée. Maintenant que je connais les terribles conséquences de mon travail,
Je vous connais déjà tous, mais il me faut me présenter moi-même. je me tourne vers des étrangers, vers vous, pour m’aider à réparer ce
Mes clients m’appellent Marlene, mais mon véritable nom est Erma. tort. » Erma se relève et retourne se poster près de la cheminée.
Erma Kore. » Elle jette sa cigarette à moitié consumée dans le feu. « Alors, que
voulez-vous savoir ? »
Tout investigateur un tant soit peu familiarisé avec l’industrie du
sexe à Berlin devrait comprendre qu’Erma est une prostituée, et en Comme tous les autres Manikinmenschen, Erma se sent intrin-
particulier une « Téléphone-girl » : toujours jeunes (de 14 à 18 ans), sèquement liée à Abyzou. Mais alors que la plupart des poupées
ces jeunes filles sont maquillées et habillées pour ressembler à des humaines ont volontiers cédé à la volonté de la déesse, Erma tient
vedettes de cinéma, et prennent leurs rendez-vous exclusivement bon, torturée par ses remords, ce qui ne manquerait pas de stupéfier
par téléphone. Belshazzar et les Borborites qui s’imaginent que les manikins sont
dépourvus de conscience.
Erma a convoqué les investigateurs pour mettre cartes sur table
et tout dévoiler, dans la mesure de ses connaissances. Elle peut les En raison du lien qu’elle entretient avec la déesse, Erma peut divul-
aider à remplir certains blancs, mais sert essentiellement à leur guer des détails utiles.
faire comprendre contre quoi ils s’apprêtent à lutter, s’ils ne l’ont pas
encore compris. i Abyzou possède un charme surnaturel. Ceux qui sont
susceptibles de tomber amoureux d’une belle femme en
Erma fait le tour de la pièce pour saluer chaque investigateur par
seront presque assurément victimes dès qu’ils poseront les
son nom. « Je dois vous présenter des excuses : je vous ai épiée de
yeux sur elle.
loin », explique-t-elle. Elle leur demande ce qu’ils savent des
Manikinmenschen. Les investigateurs ayant peu de chances de i Une terrible pestilence, qui provoque maladie et mort,
connaître ce terme, elle expose les détails qui les concernent. l’accompagne. Elle affecte d’abord les plus jeunes et les plus
vulnérables, mais finira par ravager toute la population.
« Belshazzar le fabricant de poupées. C’est lui qui a réalisé ces… créa- Plus elle séjourne longtemps quelque part, plus l’épidémie
tures. Au début, ce sont des poupées de porcelaine, de taille humaine, devient mortelle.
mais il les anime par sorcellerie. Elles prennent alors apparence
i Elle a été invoquée depuis un autre lieu, une dimension de
humaine, et ressemblent à des êtres de chair et de sang. »
ténèbres qui reflète la nôtre, et souhaite transformer notre
Si on lui demande comment elle est au courant, elle se contente de monde à l’image de cette dernière.
sourire d’un air sinistre avant de poursuivre. i La meilleure solution pour débarrasser le monde de ce fléau
« Les manikins, une fois qu’on leur a insufflé la vie, ou ce qui y res- consiste à se rendre dans sa dimension d’origine et à trouver
semble, ont été envoyés en ville pour rassembler des ingrédients rituels, un moyen de l’y attirer de nouveau. Il n’existe sur cette Terre
qu’ils appellent « gestohlener Blitz », « la foudre volée ». La secte du aucun rituel capable de la renvoyer.
baron en a besoin pour son grand œuvre. Qui est le baron ? Ne vous i Comment peut-on y parvenir ? « Vous devez boire le lait
en inquiétez pas pour l’instant. La secte avait besoin de cette substance sacré de son calice, puis traverser les Sept Portes des Cieux,
en grande quantité pour fabriquer son élixir. Peut-être en avez-vous encore que j’ignore ce que sont exactement les portes en
déjà vu ? » Les investigateurs qui ont brisé la poupée au Resi sentent question. »
182
L'invité d'Erma
Que les invités aient déjà cherché et interrogé Châtin-Hofmann L’Empire d’Abyzou
ou pas, l’homme est là : il s’est réfugié dans la chambre à coucher Quand Abyzou s’est réveillée dans le sous-sol de la boutique de
d’Erma. Assailli à trois reprises par l’engeance des brumes, il n’en a poupées de Belshazzar, elle ne savait pas grand-chose du monde
réchappé que de peu et souffre désormais d’agoraphobie. qui l’entourait. Il a suffi d’une soirée dans les clubs louches et les
Après ce premier entretien avec les investigateurs, Erma s’excuse et cabarets de Berlin pour y remédier. Quelle qu’ait pu être sa nature
disparaît dans la chambre à coucher. Les investigateurs entendent une originelle, elle est devenue un parangon de vice et de dépravation,
voix masculine, tremblante et effrayée, ainsi que la voix d’Erma qui lui un être criminel dont la seule présence crée un cercle vicieux ampli-
répond sur un ton rassurant. La jeune fille sort alors en conduisant fiant l’immoralité de la ville.
Châtin-Hofmann dans le salon, lui tenant la main comme à un enfant. Dès le premier jour de son existence, Abyzou rassemble une
« Henri, ce sont les gens dont je vous ai parlé », lui dit-elle, consola- clique d’adorateurs issus des classes supérieures et inférieures :
trice, dans un anglais au fort accent. Si les investigateurs ont inter- des malfrats à la petite semaine et des parrains du crime des
rogé Châtin-Hofmann avant les attaques, ils ont presque du mal à Ringvereine, des juges et des avocats, des flics des mœurs et des
le reconnaître : mal rasé, hagard, il a les yeux rouges et injectés de prostitué·e·s. En une nuit, elle devient la plus puissante figure de
sang. Il porte un pantalon, des bretelles et une chemise, mais ses la pègre berlinoise.
mains et ses pieds nus sont couverts de terre séchée, et les genoux
de son pantalon, déchirés, révèle des abrasions sanglantes. Erma se
tourne vers les investigateurs et leur dit en allemand : « Il est arrivé Le Hundegustav
cet après-midi, délirant au sujet de «monstres de la brume». Je crois
qu’il a trop peur pour retourner dehors, mais il ne doit pas rester ici. » Après son incarnation le soir du 10 novembre, Abyzou est sortie
dans la froide nuit berlinoise et a erré sans but dans les rues étroites
Les investigateurs peuvent tenter un test de Charme, Baratin, du Scheuenviertel, pour se retrouver devant la robuste porte de
Intimidation ou Persuasion pour convaincre Châtin-Hofmann de
fer du Hundegustav, un des bouges les plus célèbres de la ville
les accompagner, mais ils n’ont qu’une seule chance par compétence
(cf. Nourriture et boisson, page 57).
(accompagnée d’une tentative de redoublement). En cas d’échec, il
refuse catégoriquement de partir. On peut bien sûr l’y contraindre Une fois à l’intérieur, la déesse nue, à la peau noire et aux cheveux
physiquement : Erma appelle Pesch le porte-flingue pour les aider blonds, a naturellement attiré l’attention des clients ivres du bar,
si les investigateurs optent pour une solution musclée. mélange de beinls et de bulls, dont beaucoup se sont aussitôt pros-
ternés devant elle. Il s’agissait là de la première victoire d’Abyzou, la
S’ils ne parviennent pas à le persuader ou décident de partir sans
lui, Châtin-Hofmann disparaît du scénario, victime de la colère du graine de ce qui allait devenir un réseau criminel couvrant toute la
baron comme Erma (cf. Émouvants adieux, ci-dessous). La tâche ville. Aussi, bien qu’elle en soit partie, siégeant désormais au Großes
qui consiste pour eux à bannir Abyzou de ce monde va se compli- Schauspielhaus (cf. page 184), le chaos demeure dans son sillage.
quer considérablement, et nécessitera un sacrifice considérable de Les investigateurs peuvent avoir été orientés vers le Hundegustav
la part d’un ou plusieurs d’entre eux. par un coup de téléphone d’Erma (cf. Erma Kore : Téléphone-girl,
page 166), mais le fait de fouiner dans le quartier où se trouve la mai-
Émouvants adieux son de Belshazzar permet également de trouver l’endroit, comme
indiqué dans La boutique du fabricant de poupées (cf. page 172).
Une fois qu’elle a répondu de son mieux aux questions des investiga-
teurs et leur a présenté Châtin-Hofmann, Erma appelle son homme La porte du club est grande ouverte et le portier a disparu. Dans
de main : « Pesch ! Ces braves gens souhaitent prendre congé. » la vieille cave à charbon, les investigateurs découvrent un véritable
Pesch ramène les investigateurs à la voiture. Lorsqu’elle démarre, ils capharnaüm : chaises et tables renversées, plusieurs hommes et
remarquent que leur guide et le chauffeur (un homme du nom de femmes évanouis, voire morts, dans les coins… Le bar est vide et
Georg) pleurent en silence. Si on leur en demande la cause, Georg désert : toutes les bouteilles ont été vidées ou cassées. L’atmosphère
répond : « C’est la dernière fois que nous verrons cette sainte. Le étouffante et inconfortable est envahie de fumée et d’une brume
baron von Grunau a des yeux partout dans la rue, et il ne tardera pas malsaine. Quelques hommes et femmes se tiennent la tête entre les
à savoir que vous lui avez rendu visite. Il ne lui faudra pas longtemps mains ou fument en silence. Ces clients jettent tous aux investiga-
pour comprendre ce qui s’est passé. Et ensuite… » Un silence de glace teurs des regards hostiles.
s’abat à l’intérieur du véhicule. À tout moment, une rixe peut éclater dans le bar. Un seul client
Désormais, les investigateurs sont seuls. Quelques heures plus tard, manifeste un tant soit peu de sympathie aux investigateurs :
Erma Kore n’est plus. Les morceaux de son corps de porcelaine ont un Camerounais du nom d’Emil, qui fait de son mieux pour les
été jetés dans une poubelle derrière son ancienne résidence sur convaincre de partir avant que la situation tourne court. « Le bar est
Viktoria Straße. Si Châtin-Hofmann est resté sur place, on retrou- fermé, les amis. Mieux vaut ne pas vous attarder ici », conseille-t-il
vera son cadavre flottant sur la Havel un peu plus tard dans la nuit, avec un accent ouest-africain à couper au couteau. « Non, vraiment.
après une mort par suffocation. Rien à voir, rien à faire. Allez, ouste ! »
183
Un test réussi de Baratin, Charme ou Intimidation permet de sou- autour d’eux, tandis qu’un autre bloque l’escalier. Tout investiga-
tirer quelques informations à Emil, qui les chuchote entre ses dents. teur qui réussit son test les voit (ou les entend) faire à temps pour
« Elle n’est pas là. Elle est partie au Großes Schauspielhaus, près du déguerpir avant que la sortie ne soit barrée. Il y a deux Malfrats
Passage. Évitez l’endroit si vous le pouvez. » du Ringverein (cf. profil page 195) de plus que les investigateurs.
Les investigateurs qui insistent pour traîner sur place risquent Durant la bagarre qui s’ensuit, une des beinls qui applaudit les mal-
bien de se faire molester. À moins que quelqu’un ne réussisse un frats est violemment bousculée. Elle tombe contre un coin du bar,
test d’Écouter ou de Trouver Objet Caché, aucun d’entre eux ne la tête la première, et se fracasse le crâne… d’une façon spectacu-
remarque que plusieurs messieurs costauds et au visage tavelé, laire. La moitié de sa tête se brise comme celle d’une poupée de por-
portant tous un gros anneau au petit doigt où figure le mot Immer- celaine. Mais au lieu de la cervelle, c’est de l’élixir gestohlener Blitz
treu (« toujours fidèle »), se sont déplacés pour former un cercle moucheté de sang qui s’en écoule : un manikin ! Demandez aux
investigateurs un test de Santé Mentale (perte de 1/1D6 points),
ainsi qu’un test de Chance en groupe pour savoir si les malfrats
sont affectés eux aussi. Si c’est le cas, ils s’interrompent un moment,
Trouver le théâtre donnant aux investigateurs l’occasion de s’enfuir (les malfrats ne les
poursuivront pas). Sinon, les costauds ne s’arrêteront pas tant qu’ils
Initialement, les changements issus d’Abyzou ne sont n’auront pas assommé tous les investigateurs, ou au moins tant
pas apparents au premier coup d’œil pour un étranger qu’ils ne les ont pas capturés, après quoi ils les traîneront au Großes
qui passerait devant le bâtiment plutôt morne du Großes Schauspielhaus où ils les jetteront dans le théâtre principal, sous les
Schauspielhaus, lequel ressemble encore au marché cou- yeux d’Abyzou (Le Großes Schauspielhaus, ci-dessous).
vert qu’il était à l’origine. La présence de la déesse passe
donc inaperçue, du moins au début.
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185
qu’on croirait issue d’un tableau de Bosch. Quelques-uns des adora- Pour rompre l’emprise de la déesse sur un investigateur, il faut
teurs portent des atours de carnaval, même lorsqu’ils sont dénudés, le faire sortir par la force du bâtiment ou lui administrer un bon
voire entièrement nus, ce qui confère à la scène un surplus de sur- direct dans la figure (ou lui infliger une douleur, la condition essen-
réalisme : des masques de Pierrot, d’immenses perruques poudrées, tielle consistant à lui faire perdre 1 point de vie). En cas d’échec
des turbans, des masques grotesques et démesurés en papier mâché, d’une telle intervention, une fois qu’Abyzou leur donne un ordre,
des masques domino et des coiffes à plumes. les investigateurs affectés le mènent à bien, sauf si un test réussi
de Psychanalyse les ramène à la raison avant. Tant que ce n’est pas
La scène, qui se projette au centre de l’espace circulaire du théâtre, le cas, ils risquent d’accomplir la volonté de la déesse, même s’ils
tient lieu de salle du trône à Abyzou. C’est là qu’elle siège, une jambe restent maîtres de leurs facultés mentales. Toute tentative d’action
sur l’accoudoir du trône doré qu’on lui a trouvé dans le sous-sol, contrevenant à un commandement d’Abyzou provoque un test de
riant et caressant la tête de ceux qui se pâment autour d’elle, nus et POU majeur : en cas de succès, l’instigateur agit comme il le sou-
en sueur, rampant comme des bêtes. haite, mais le stress et la pression mentale lui font perdre 1D3 points
Elle ne porte qu’un châle écarlate qui ceint ses hanches volup- de Santé Mentale.
tueuses. Du lait perle au bout de ses seins, et ruisselle en filets Ce qui se produit à présent dépend énormément des raisons qui ont
luisants et mouchetés de sang depuis sa poitrine nue jusqu’à son poussé les investigateurs à venir ici.
ventre et ses cuisses. Ses cheveux d’or tombent en cascade sur ses
épaules. Sur sa tête repose une couronne à dix pointes, une coiffe i S’ils sont venus s’abreuver du « lait de Shub-Niggurath » au
trouvée parmi les accessoires du théâtre. Dans une main, elle tient Graal d’Abyzou, volontairement ou sous son emprise, ils
un autre accessoire, une coupe en « or », où elle boit de temps à peuvent le faire sans problème. Elle appelle les suppliants à
autre avant d’essuyer le fluide opalescent qui lui macule les lèvres venir à elle et à s’agenouiller, après quoi elle incline la coupe
chaque fois. Lorsque la coupe est vide, elle la remplit de son propre au-dessus de leur bouche. Ceux qui boivent sont immédia-
lait. La scène est tellement saisissante et révoltante qu’elle inflige un tement fécondés par la déesse et sente sa larve abominable
test de Santé Mentale (perte de 0/1D4 points). se tordre et se débattre dans leur abdomen (test de Santé
Mentale ; perte de 1/1D6 points) ; si la victime meurt, son
Abyzou s’est incarnée dans la chair d’Anita Berber, dont une par-
cadavre se déchire pour libérer la larve (pour plus de détails,
tie de la conscience a survécu, ce que trahit son sourire aux dents cf. encadré Le lait d’Abyzou page 187).
écartées comme celles de la danseuse. Ce détail saute aux yeux de
i Des investigateurs plus belliqueux sont peut-être venus
tout investigateur qui la voit de près et s’abreuve à sa coupe, car elle
dans l’intention de tuer Abyzou. Si leur séjour dans
sourit toujours lorsqu’un nouvel arrivant succombe à ses charmes.
l’Ombre-Ville (cf. page 188) se solde par un échec, il s’agit
Ceux qui ont connu Berber voient dans la Prostituée de Babylone
peut-être de leur dernière option. Et bien sûr, c’est bien
les vestiges de la Madone de Dresde.
plus facile à dire qu’à faire. Tout d’abord, du crépuscule à
l’aube, Abyzou est normalement invulnérable aux attaques
Note à l’intention du Gardien : consultez le profil d’Abyzou physiques. Ensuite, dès qu’elle sent un danger (une attaque
(cf. page 196). Tous les investigateurs attirés sexuellement par physique ou magique), elle demande à ses fidèles ménades
les femmes doivent réussir un test de POU extrême dès qu’ils de la protéger. Il y a 100+3D100 ménades (hommes et
la voient pour éviter de tomber sous son charme soporifique, femmes) dans le théâtre à tout moment. Finalement, si elle
la contemplant d’un air béat. Ils deviennent alors des proies tombe à zéro point de vie, elle s’écroule, mais son cadavre
faciles pour les serviteurs qui grouillent autour d’elle et les se déchire pour libérer sa forme monstrueuse, celle d’une
nombreuses tentations qu’ils offrent, mais Abyzou à des créature énorme, semblable à un Gug (cf. Abyzou, page
projets plus ambitieux pour eux. 196). Les ménades terrorisées fuient l’effroyable monstre
qui s’avance en dévorant tous ceux qui passent à portée
de griffes (y compris les malheureux investigateurs qui
i S’ils ont amené Châtin-Hofmann avec eux, reportez-vous à auraient la mauvaise idée de se trouver sur son chemin)
la section Par les Sept Portes (cf. page 187). pendant 1D6+1 rounds avant de disparaître (pour plus de
i S’ils sont venus sans lui, Abyzou désigne les investigateurs détails, cf. Le retour d’Abyzou page 191).
ensorcelés, apparemment pris au hasard dans la foule.
D’une voix suave et douce, évoquant le vent qui souffle
parmi les vénérables ruines de Babylone, elle leur Sous l'emprise d'Abyzou
ordonne de retrouver son « bon à rien de mari, Henri » Bien qu’Abyzou passe ses jours et ses nuits à tenir sa cour au
et de le conduire jusqu’à elle. Une image du visage de Großes Schauspielhaus, elle projette sa volonté dans tout Berlin
Châtin-Hofmann se forme dans l’esprit de chaque investi- en permanence, utilisant pour ce faire son engeance des bru-
gateur affecté. « Mais d’abord, roucoule-t-elle, approchez et mes, de répugnantes entités invisibles qu’elle engendre à volonté
trempez les lèvres à ma coupe… » et qui émanent de sa peau comme une vapeur méphitique.
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187
i S’ils échouent, ou répondent tout simplement « non », Abyzou se dresse devant la porte de Brandebourg, invitant ses fidèles
Abyzou entre dans une colère terrible. Les investigateurs à traverser les sept passages, et offrant sa coupe à ceux qui veulent
ont le droit de redoubler le test, mais dans ce cas, un échec y boire. Les investigateurs qui s’arrêtent pour regarder remarquent
indique qu’ils trahissent le rôle que Châtin-Hofmann a joué que les ménades semblent disparaître avant de passer de l’autre côté,
dans la mort d’Anita et sa transformation (dans la mesure de ce qui inflige un test de Santé Mentale (perte de 0/1D3 points). Les
ce qu’ils en savent). investigateurs qui n’ont pas bu à la coupe d’Abyzou peuvent le faire
à présent. Ceux qui s’y refusent resteront derrière, pour le meilleur
Dans tous les cas, elle se lève de son trône. « J’ignore le chemin du et pour le pire.
monde du dessous, mais je souhaite vivement m’y rendre à présent. Il
Une fois passé le portail, chaque investigateur perd 1D6 points de
me faut traverser les Sept Portes. Dites-moi où je peux les trouver. »
magie et voit devant lui une immense porte de cèdre au bout d’un
Les investigateurs qui ont parlé à Walter Andrae (cf. Le musée de long passage. Elle est ouverte, laissant entrer la procession, mais
Pergame, page 179) ou qui se rappellent la vision onirique de la au-delà, on ne distingue que brumes et ténèbres.
porte de Brandebourg transformée (cf. Totentanz, page 235) se
souviennent que l’édifice comportait sept portes. Effectivement,
la porte de Brandebourg comprend cinq passages, plus un de L’Ombre-Ville
chaque côté, soit sept en tout ! Si aucune d’entre elles, n’y pense,
le Gardien peut autoriser les joueuses à effectuer un test d’INT De l’autre côté de la porte de cèdre, les investigateurs se retrouvent
pour faire le rapprochement avec la vision que leurs investigateurs dans l’Ombre-Ville de leurs cauchemars d’autrefois, ce qui leur
ont eue dans les songes autrefois. S’ils restent dans l’impasse, une coûte immédiatement 1 point de Santé Mentale en raison des sou-
des ménades peut les aider à faire le rapprochement avec la porte venirs affreux qui resurgissent.
de Brandebourg. Alors qu’ils devraient se trouver de l’autre côté de la porte de
Une fois qu’ils sont pourvus de cette information, Abyzou annonce Brandebourg, en se retournant, ils voient qu’elle ressemble désor-
à toute l’assemblée : « Venez, mes fidèles ! Nous nous rendons à mais à la porte d’Ishtar de Pergame, mais sous son aspect neuf, du
l’Ombre-Ville ! » Elle sort alors royalement du Schauspielhaus, temps de l’ancienne Babylone.
quelle que soit l’heure, en traînant derrière elle un Châtin-Hofmann Devant eux s’étend Charlottenburger Chausee, la principale ave-
docile et intimidé. nue qui traverse le Tiergarten d’est en ouest. Du côté nord de la
S’ensuit un spectacle tout à fait remarquable, tandis que la déesse rue, d’immenses façades de style futuristes se dressent toutefois,
nue émerge pour la première fois et traverse la Friedrichstraße, comme dans leurs vieux cauchemars. Des toits pendent des ban-
interrompant le trafic. Ses fidèles la suivent en masse, poussant des nières rouge sang, figées dans l’air immobile. Des niches disposées
hourras et applaudissant. Nombre de passants tombent aussitôt à intervalles réguliers, au niveau du sol, contiennent des sculptures
sous le charme d’Abyzou et rejoignent la foule, alors que d’autres de nus idéalisés, mais sans visage.
s’enfuient en hurlant. Les milliers d’adeptes qui accompagnent Abyzou embrassent du
Les investigateurs la suivent-ils ? Ceux qui sont tombés sous le joug regard ce paysage étrange, émerveillés, ne sachant quoi en penser.
de la déesse n’ont pas le choix. Si aucun d’entre eux n’est affecté, ils « Venez, mes enfants ! » s’écrie la déesse en les conduisant dans une
peuvent naturellement choisir de rester. Le Gardien doit toutefois sorte de canyon entre deux bâtiments cyclopéens.
bien leur faire comprendre que des centaines, voire des milliers de Si les investigateurs les suivent, ils pénètrent dans une place abso-
Berlinois se dirigent d’un bon pas vers ce qui pourrait bien être une
lument immense, mesurant 34 400 m2, soit 34,4 hectares. La foule
mort certaine.
pourtant massive y semble minuscule.
La procession d’Abyzou descend la Friedrichstraße et traverse le
Les investigateurs sursautent en apercevant, tous les 30 mètres
vaste (61 m) pont en fer forgé de Weidendammer qui enjambe la
autour du périmètre, des rabisu à gueule de lamproie en uniforme
Spree, paré de représentations d’aigles impériaux et de splendides
noir. Heureusement, ils restent au garde-à-vous et ne semblent pas
Page opposée : Le Grand Arbre
lampadaires. Sur l’Unter den Linden, la file bifurque à droite. À
se soucier d’Abyzou et de ses adeptes.
présent, des milliers de Berlinois marchent dans le sillage d’Abyzou
sous un vent déchaîné, tandis que des nappes de brume nauséa- De l’autre côté de la place se dresse un bâtiment dont la taille n’a rien
bondes se répandent sur l’avenue. L’image semble tout droit sortie à lui envier. Les investigateurs reconnaissent aussitôt l’immense
d’un cauchemar. dôme (près de 300 m de haut) qu’ils avaient aperçu lors de leur
première visite dans l’Ombre-Ville. Jusqu’alors, ils ne l’avaient vu
Devant eux se dresse la porte de Brandebourg. Seuls ceux qui ont
que de loin, et sont écrasés par sa taille immense.
bu au Graal d’Abyzou peuvent la traverser avec elle : chacun le com-
prend instinctivement. Les investigateurs ne l’ont pas fait ? C’est Sous le dôme se trouve une entrée à colonnes flanquée de deux
leur dernière chance. S’ils souhaitent tenter d’arrêter Abyzou par la énormes statues représentant une femme à trois visages vêtue d’une
force, c’est également leur dernière chance : une fois la porte passée, robe grecque. Abyzou conduit la foule de l’autre côté de la place,
ils n’en auront plus l’occasion. jusqu’aux marches menant au temple. En entrant, les investigateurs
188
découvrent un espace clos si vaste que des nuages planent près du Ceux qui regardent dans la fosse doivent effectuer un test de Santé
sommet du dôme. L’oculus, à son point culminant, semble minus- Mentale (perte de 1/1D10 points). Quiconque y tombe finit par
cule, à 300 mètres de distance, mais il mesure en réalité 46 mètres heurter la paroi en pente, où les mains des morts le saisissent avant
de large. La lune argentée y brille, alors qu’on ne voyait aucune qu’il ou elle ne se fasse dévorer. Même Abyzou ne pourrait échapper
source de lumière de ce genre à l’extérieur. à ce sort.
Le sol de l’intérieur du dôme est extrêmement restreint : un gouffre
obscur en occupe le centre. Au-dessus de l’abysse flotte un arbre L'œ il à trois lobes
immense qui tourne lentement sur lui-même, avec ses branches en Un test réussi de Mythe de Cthulhu permet d’identifier l’œil brû-
pleine floraison et ses racines qui pendent dans le vide, noircies et lant à trois lobes au centre de l’arbre comme un possible aspect de
sans vie, pour s’enfoncer dans le vide. Nyarlathothep, et l’arbre lui-même comme une forme de la Mère
Lorsque leurs yeux s’habituent à la pénombre, les investigateurs se Obscure, Shub-Niggurath.
rendent compte que l’arbre est composé d’une sorte de chair orga- Abyzou lève les bras dans un geste de supplication. « Mère ! Maî-
nique. Les « feuilles » sont en réalité des pans de peau, et les racines tresse ! Je t’en implore ! Donne-moi le pouvoir, que je rassemble
mortes de la chair desséchée et momifiée. ces deux mondes. J’ai apporté avec moi le sacrifice de sang que ton
L’arbre cesse sa rotation. À l’endroit où le tronc s’arrête et où com- cœur désire. »
mencent les racines, un immense œil à trois lobes s’ouvre, répandant Abyzou parle évidemment des milliers de Berlinois qui se pressent
dans la pièce une lumière orange. D’autres yeux plus petits, à un seul désormais autour du puits des trépassés. Il lui suffit d’un mot pour
lobe ceux-là, s’ouvrent également : il y en a neuf au-dessus et neuf en leur ordonner de plonger tête la première dans le gouffre, avec les
dessous, chacun ajoutant sa faible lueur à l’éclat principal. On aper- investigateurs qui sont sous son emprise. Il existe plusieurs issues à
çoit des mouvements parmi les branches, où une forme serpentine, cette situation.
plus massive que le plus grand des anacondas, se glisse et se coule
parmi les membres de chair de l’arbre qui palpitent doucement. Une
i Abyzou se tient près du bord de la fosse, où les investiga-
des extrémités de l’énorme ver se sépare en sept têtes, toutes pourvues
teurs peuvent tenter de la pousser. Il s’agit d’une manœuvre
d’une gueule de lamproie rappelant celles des rabisu.
de Combat rapproché (Corps à corps) opposée à l’Esquive
La dernière surprise se produit lorsque l’œil à trois lobes semble d’Abyzou, qui est de 50%. Les investigateurs peuvent tenter
concentrer et intensifier la lumière qu’il émet, aveuglant les inves- de tous se ruer sur elle en même temps : prenez la meilleure
tigateurs. La lumière diminue peu à peu et, lorsqu’ils y voient à compétence de Combat rapproché (Corps à corps) parmi
nouveau, ils découvrent une apparition des plus singulières flottant eux et appliquez un dé bonus pour chaque investigateur en
devant eux, au-dessus de l’arbre : une tête de femme gigantesque, plus du premier (pour un maximum de deux dés bonus).
à trois visages pointés dans des directions différentes. Chacun Les investigateurs qui sont sous l’emprise d’Abyzou doivent
partage ses yeux avec son voisin, ce qui fait que la tête ne com- réussir un test de POU majeur pour tenter cette action :
prend que trois globes oculaires, une vision dérangeante. La tête, en cas d’échec, ils se recroquevillent, incapables de bouger.
tout comme l’arbre, pivote lentement, mais dans l’autre sens. Ce Bien que cette méthode soit sans doute la plus judicieuse,
spectacle troublant impose un test de Santé Mentale (perte de elle présente un défaut : afin de percuter Abyzou avec
1D3/1D8+2 points). assez de force pour la faire basculer dans le puits, le ou les
investigateurs doivent sauter avec elle. Autorisez chacun
Nombre des individus présents ne le supportent pas et sombrent
d’entre eux à effectuer un test de DEX pour se rattraper
dans la folie. Certains s’enfuient en hurlant, d’autres perdent aussi-
au bord de la fosse, ainsi qu’un test opposé de FOR contre
tôt connaissance, et d’autres encore se jettent en riant vers l’arbre et
les bras hérissant les parois du gouffre (FOR 65). Si l’un
tombent dans le gouffre. Lorsqu’ils disparaissent dans les ténèbres,
des deux tests est raté, l’investigateur tombe et n’y survit
un chœur de gémissements inquiétants venus des profondeurs se
pas. Si Abyzou tombe, la déesse à trois visages qui flotte
joint à leurs cris. Un spectacle stupéfiant attend les investigateurs
au-dessus de l’arbre pousse un cri effroyable. Le temple tout
qui osent jeter un coup d’œil dans le puits.
entier commence à imploser. Un hurlement interrompt
l’explosion, accompagné d’une sensation étrange, comme
Le puits des trépassés si une intelligence malfaisante tentait de s’accrocher à
Le trou d’environ 90 mètres de large est une fosse immense, dont les l’esprit des investigateurs. Quelques moments plus tard,
parois inclinées forment un long cône, apparemment sans fond. C’est ceux qui n’ont pas sauté dans la fosse se réveillent dans leur
à ces parois qu’il doit son nom, car elles sont composées de 11 mil- lit (cf. Conclusion, page 192).
lions de cadavres, tous vêtus de divers uniformes militaires. Empi- i Si les investigateurs préfèrent sauver leur peau et ont
lés, pressés par le poids de leurs camarades putréfiés, les cadavres rassemblé assez d’informations sur l’implication de
tendent les bras vers l’extérieur de la fosse, et leurs gorges pourris- Châtin-Hofmann dans le projet Berbelo, il suffit d’in-
santes émettent un gémissement mélancolique. Ce sont les morts de former Abyzou (et l’infime fragment de la conscience
la Grande Guerre, affamés et désireux de dévorer les vivants. de Berber qui l’habite) du rôle qu’il a joué dans la mort
190
et la « résurrection » d’Anita pour rediriger le courroux Jouez les événements décrits dans les sections précédentes, mais rem-
de la déesse sur le misérable qui tremble à ses pieds. Sans placez-y Châtin-Hofmann par les investigateurs, y compris lorsque
plus de cérémonie, elle le jette dans la fosse. Condamner Abyzou insiste pour qu’ils se jettent dans le puits des trépassés.
quiconque, même un individu abject, à un tel sort inflige
Heureusement pour les autres, la colère d’Abyzou s’apaise dès que
un test de Santé Mentale à tous les investigateurs présents
le premier investigateur est tombé… mais comment choisir la vic-
(perte de 0/1D3 points). Ce geste sauve des milliers de vies, time ? C’est aux investigateurs eux-mêmes de s’en débrouiller.
mais laisse Abyzou libre de retourner poursuivre son œuvre
malfaisante à Berlin. Toutefois, la mort de Châtin-Hofmann Si aucun d’entre eux n’est prêt à se sacrifier, ils peuvent bien sûr déci-
dans le puits éveille la magie reliant Abyzou à notre monde, der de fuir, ce qui aura de graves conséquences sur la ville (cf. Le
et la déesse perd son invulnérabilité nocturne, même si retour d’Abyzou, ci-dessous).
elle ne le sait pas encore. Elle oublie également le plan qui
consistait à sacrifier ses adeptes, rongée qu’elle est par la
colère contre ce traître de Châtin-Hofmann. Elle retourne à Le retour d’Abyzou
Berlin avec les habitants qui la suivent.
Si les investigateurs échouent à détruire Abyzou dans l’Ombre-
i Poussés par la folie ou l’instinct de survie, les investiga- Ville, ils n’ont d’autre choix que de tenter de l’anéantir une fois reve-
teurs peuvent tenter de s’enfuir du temple. Les sentinelles nus à Berlin.
rabisu passent alors immédiatement à l’action et les
Après son retour, Abyzou règne depuis son trône au Großes
poursuivent, reproduisant leur affreux cauchemar d’au-
Schauspielhaus. Si Châtin-Hofmann est mort, le fragment de
trefois… mais pas tout à fait. Cette fois, si les créatures les
Berber qui habitait la déesse a disparu pour de bon, emportant
rattrapent, ils ne se réveilleront pas sains et saufs dans leur
avec lui ses derniers vestiges de compassion mortelle. Si ce n’est
lit. Les rabisu chassent les investigateurs dans l’immense
pas encore le cas, elle s’affaire à ouvrir une connexion permanente
place et jusqu’à la porte d’Ishtar/de Brandebourg. S’ils
entre l’Ombre-Ville et Berlin par la porte de Brandebourg, ce qui
réussissent à la passer, les investigateurs émergent dans
lui prend 1D6 jours.
la Berlin de 1928… mais avec les rabisu aux trousses ! Le
Gardien peut utiliser les règles de poursuite (cf. Chapitre Les investigateurs doivent employer tous les moyens à leur dis-
Sept du Manuel du Gardien) pour déterminer l’issue de position pour lutter contre Abyzou, y compris des relations dans
cette chasse, ou simplement décrire les monstres qui s’en l’armée ou le maintien de l’ordre restées à l’abri de l’influence
prennent aux habitants, leur déchirant la gorge et poussant de la déesse, voire des troupes paramilitaires. S’entretenir avec
des hurlements de plaisir impie tandis que les investiga- Belshazzar est un excellent moyen de s’informer sur les forces et
teurs s’échappent. Pendant ce temps, les ménades qui ont faiblesses d’Abyzou, y compris son invulnérabilité nocturne (n’ou-
suivi Abyzou jusqu’à l’Ombre-Ville s’acheminent vers le bliez pas que si Châtin-Hofmann est mort dans le puits des trépas-
bord du gouffre et vers une mort certaine, pour constituer sés, la déesse a perdu cette précieuse protection).
un immense sacrifice humain. Maintenant que l’offrande Comme indiqué précédemment, Abyzou ne meurt pas une fois
a été faite, un Portail permanent s’est ouvert, permettant réduite à zéro point de vie. Au contraire, elle génère alors sa propre
à d’autres monstruosités de s’infiltrer à Berlin sans que abomination, une créature géante et monstrueuse, semblable aux
personne ne s’y attende. Gugs des Contrées du Rêve. Cette créature n’a que deux mains
i Les investigateurs qui ont fui à cause de la folie ne subissent contrairement à eux (qui en ont quatre), mais dispose d’une énorme
pas d’autre perte de Santé Mentale, mais ceux qui sont gueule verticale, hérissée de crocs, qui s’ouvre entre son entrejambe
poussés par la couardise et l’égoïsme doivent effectuer et le haut de son buste. Elle se déchaîne, saisissant ses victimes dans
un test de Santé Mentale (perte de 1D8/2D10 points) en ses griffes pour les enfourner dans cette bouche béante. L’abomina-
comprenant quelle catastrophe ils viennent de laisser se tion ne peut toutefois pas survivre longtemps dans notre monde.
produire. Reportez-vous à la section Le retour d’Abyzou Au bout de 1D6+1 rounds, elle disparaît tout simplement, mettant
(sur cette page) pour en savoir plus. un terme définitif à la présence d’Abyzou sur Terre.
191
la dernière. Officiellement, l’incident figure dans les archives comme Si les investigateurs ont vaincu Abyzou dans l’Ombre-Ville, ils se
un soulèvement politique ordinaire. La République s’engage davan- réveillent dans leur lit, chez eux, lors d’une scène qui leur rappelle le
tage sur une pente glissante, car le parti nazi profite de ces troubles début de cette seconde partie de scénario. Un mois s’est écoulé. Ont-
sans précédent pour obtenir plus de sièges à l’élection qui suit. ils réellement vécu tout ceci ? Risquent-ils de perdre leur emploi ?
Après tout, personne n’a plus entendu parler d’eux pendant tout
ce temps. Le vent ne fait plus vibrer les vitres, et bien que Berlin
Refermer définitivement le Portail
demeure une ville de débauche, la vie semble avoir repris son cours
Si Abyzou arrive à ouvrir un Portail entre Berlin et l’Ombre-Ville, ordinaire. Le Großes Schauspielhaus est redevenu le lieu où l’on
on peut lui faire obstacle en rompant cette connexion, même si l’op- assiste à des pièces de théâtre et à des opérettes, et presque personne
tion n’est accessible qu’à des investigateurs aguerris à force d’expé- n’évoque sa brève carrière de temple du crime et du vice.
riences et d’études occultes (et consacrées au Mythe). Un test réussi
de Mythe de Cthulhu révèle que l’on peut couper le lien entre Si les investigateurs se renseignent sur Erma Kore, ils découvrent
l’Ombre-Ville et Berlin en plaçant un Signe des Anciens sur chacun qu’il n’existe aucun dossier sur elle : apparemment, elle faisait partie
des sept passages de la porte de Brandebourg. Il faut l’y inscrire des habitants sans existence juridique. Dans son appartement, un
de façon permanente : laissez les joueuses faire preuve de créativité vieux couple de retraités vient d’emménager : ils ne savent rien de la
pour échafauder leur plan. Cette méthode a également l’avantage de précédente occupante des lieux.
mettre un terme définitif aux cauchemars qui hantent les investiga- En guise de conclusion finale, décrivez la scène suivante à l’un
teurs depuis août 1926. des investigateurs.
Deux jours avant Noël, il rentre à la maison en tramway ou en bus
après avoir fait un peu de shopping pour les fêtes. Aujourd’hui, les
Conclusion gros titres parlent d’un décès étrange à la Bibliothèque prussienne
d’État (Indice : Ballet 5). Ce rapport augure des événements du
Si les investigateurs ont vaincu Abyzou, dans l’Ombre-Ville ou dans dernier scénario de ce livre, Schreckfilm (cf. page 201), bien que
notre monde, ils se retrouvent malgré tout avec une belle pagaille sur les investigateurs l’ignorent pour le moment. Au travers des vitres
les bras. Le charme de la déesse est immédiatement rompu, laissant embuées, on voit tomber les premiers gros flocons de neige, présa-
un peu partout d’anciennes ménades choquées et honteuses. Beau- geant d’une grosse tempête d’hiver le soir. La plupart des occupants
coup perdent la raison, commotionnés par les excès auxquels ils se du bus reviennent de leurs courses de Noël et s’apprêtent à passer
sont livrés. D’autres courent dans les rues en hurlant et en se couvrant les fêtes. Le véhicule s’arrête. L’investigateur remarque un homme
le visage, mortifiés. Les habitants honteux ferment discrètement les qui se lève de son siège, à quelques rangées du leur. Quelque
yeux sur l’étrange règne d’Abyzou sur Terre et font mine de l’oublier. chose accroche son regard : sur sa nuque, juste sous l’implantation
Au moins, on est débarrassés des nuées de hiboux et de cafards… des cheveux, l’inconnu porte une marque… celle de Belshazzar
Indice : Ballet 5
192
i Pour avoir vaincu/détruit Abyzou : +1D10+2 points de Les indices trahissant la nature réelle de ces personnages
Santé Mentale. sont rares mais significatifs. Tout d’abord, ils ont de fré-
i Pour avoir refermé définitivement le Portail donnant sur quentes impressions de déjà vu, car Belshazzar a comblé
l’Ombre-Ville : +1D6+1 points de Santé Mentale. les vides de leur personnalité avec sa propre expérience
i Pour chaque semaine écoulée pendant le séjour d’Abyzou quotidienne. Deuxièmement, ils ne se rappellent jamais
sur Terre : -1D2 points de Santé Mentale. leurs songes : en réalité, ils sont désormais incapables de
i En cas d’échec total à arrêter Abyzou : -2D10 points de Santé rêver. Dans les campagnes mettant en scène les Contrées
Mentale. du Rêve, les investigateurs-manikins ne peuvent s’y rendre
que physiquement, jamais par les rêves. En dehors de cela,
ils se comportent exactement comme leurs homologues
Pour les investigateurs qui sont vivants : ils transpirent, saignent, mangent et excrètent tout
tombés dans le gouffre à fait normalement… à une exception près.
Cette section propose une option pour les personnages qui se sont Si un investigateur-manikin vient à subir une blessure
sacrifiés dans le puits des trépassés. Le Gardien peut décider que
grave, sa véritable nature apparaît aux yeux de tous. Le Gar-
leur mort est permanente, mais aussi leur proposer une sorte de
dien peut utiliser la table optionnelle des jets de localisa-
seconde chance.
tion (cf. Manuel du Gardien, page 130) dans ce genre de
Si des investigateurs sont restés en bons termes avec le fabricant de situation. Le résultat indique à quel endroit de l’anatomie
poupées, Belshazzar peut faire de son mieux pour récompenser leur du personnage le choc a percé un énorme trou dans la por-
héroïsme. Malheureusement, il ne peut guère proposer autre chose celaine qui compose son corps, un trou par lequel fuit une
que de réaliser un manikin à l’image du ou des investigateurs décé-
substance laiteuse striée de sang. Curieusement, l’investi-
dés. Une fois que les survivants ont terminé leur phase de dévelop-
gateur est toujours capable de bouger, de marcher et de
pement et reçu leurs récompenses en Santé Mentale, tournez-vous
parler. Ses blessures superficielles guérissent normalement,
vers ceux qui sont tombés dans le puits.
mais le traitement d’une blessure grave nécessite les talents
Tu te réveilles en sursaut. Tu es de retour dans ton lit, chez toi ! Le de Belshazzar : tant que ce dernier n’est pas intervenu, l’in-
séjour à l’Ombre-Ville s’efface peu à peu de ta mémoire. En fait, c’est vestigateur ne peut jamais récupérer plus de la moitié de
déjà à peine si tu t’en souviens, comme d’un songe qui s’estompe. En ses points de vie, et il a un trou particulièrement visible dans
te redressant, tu découvres que ta chambre est un peu poussiéreuse,
le corps, dans un membre ou même à la tête ! Ceux qui sont
et qu’il y règne une odeur de renfermé, comme si tu t’étais absenté un
témoins de ce genre de blessure perdent 1/1D6 points de
bon moment.
Santé Mentale. Quant au manikin qui prend conscience de
Les investigateurs concernés se rendent compte qu’ils ont disparu sa vraie nature, son esprit risque lui aussi de se briser, car il
un mois. Ils ont peut-être perdu leur travail et devront affronter subit une perte de 2/2D10+1 points de Santé Mentale.
divers problèmes logistiques, trop nombreux pour s’interroger
sur la manière dont ils ont bien pu revenir après cette chute dans Note finale : si ce scénario est joué en one-shot, ou si une
l’abominable puits des trépassés. Pour plus d’informations sur leur ou plusieurs joueuses ont besoin d’un personnage de rem-
nouvelle condition, consultez l’encadré Investigateurs-manikins, placement durant l’aventure, il peut se révéler amusant de
ci-contre. leur faire interpréter un Manikinmensch.
193
HENRI CHÂTIN-HOFMANN,
Personnages et monstres 26 ans, danseur et sorcier amateur
Compétences
Arts et métiers (Tableau) 75%, Baratin 55%, Bibliothèque 55%,
ERMA KORE,
Discrétion 50%, Électricité 45%, Histoire 40%, Lan- 17 ans, Téléphone-girl mystérieuse
gues (Allemand 85%, Anglais 20%, Français 50%),
Mécanique 55%, Mythe de Cthulhu 12%, Orientation 85%, FOR 35 CON 65 TAI 35 DEX 60 INT 65
Psychologie 50% APP 90 POU 60 ÉDU 50 SAN 54 PV 10
Sortilèges : Chant de Thoth, Crux Ansata de Prinn, Signe des Imp : -1 Carrure : -1 MVT : 8 PM : 12
Anciens, plus 1D4 sortilèges à la discrétion du Gardien
Combat
Corps à corps 25% (12/5), dégâts 1D3-1
ANITA BERBER, Esquive 30% (15/6)
27 ans, prêtresse de la débauche
Compétences
FOR 60 CON 40 TAI 40 DEX 85 INT 75 Arts et métiers (Comédie) 75%, Baratin 55%, Charme 75%,
APP 70 POU 90 ÉDU 55 SAN 80 PV 8 Discrétion 55%, Écouter 60%, Imposture 50%, Lancer 50%,
Langues (Allemand 50%, Anglais 20%, Hollandais 20%),
Imp : 0 Carrure : 0 MVT : 9 PM : 32* Occultisme 25%, Persuasion 65%, Pickpocket 35%,
* Les points de magie ont augmenté artificiellement grâce aux Psychologie 80%
rituels magiques de Châtin-Hofmann, ce qui la transforme en
accumulateur humain d’énergie magique. BELSHAZZAR LE FABRICANT DE POUPÉES,
Combat 90 ans (?), artisan kabbalistique
Corps à corps 30% (15/6), dégâts 1D3
FOR 40 CON 45 TAI 50 DEX 65 INT 75
Esquive 42% (21/8)
APP 40 POU 80 ÉDU 80 SAN 70 PV 9
Compétences Imp : 0 Carrure : 0 MVT : 2 PM : 16
Arts et métiers (Comédie 35%, Danse 80%, Poésie 55%),
Baratin 65%, Charme 60%, Discrétion 40%, Histoire 30%, Combat
Lancer 45%, Langues (Allemand 55%, Anglais 20%, Fran- Corps à corps 25% (12/5), dégâts 1D3
çais 45%, Russe 20%), Occultisme 35%, Pickpocket 30%, Esquive 32% (16/6)
Psychologie 40%
194
195
196
Compétences
Charme 100%, Discrétion 100%, Inspirer autrui 100%
Protection : ne peut être blessée par aucune attaque
physique entre le coucher et le lever du soleil. Durant le
jour, Abyzou peut être blessée normalement. Elle peut
également récupérer 1 point de vie pour chaque point de
magie qu’elle dépense. Si elle tombe à zéro point de vie,
Abyzou prend sa forme monstrueuse (cf. ci-dessous).
Sortilèges : Atrophie d’un Membre, Flétrissement, Fusion de Un rabisu
la Chair, Immunisation, Phagocytose, Poigne de Nyogtha,
Stimulation d’Engeance des Brumes*
* Cf. Sortilèges, page 199
Perte de Santé Mentale : 0/1D4 points à la vue d’Abyzou.
wPhases de la lune x
LA FORME MONSTRUEUSE D’ABYZOU,
Le teint d’Abyzou variant d’un noir absolu à un blanc
FOR 225 CON 140 TAI 285 DEX 50 INT 65 argenté au fil du mois lunaire, le Gardien aura peut-être
APP − POU 50 ÉDU − SAN − PV 42 besoin de la table suivante indiquant les phases de la lune
en novembre 1928 pour avoir une idée de son apparence
Imp : +5D6 Carrure : 6 MVT : 7 PM : 10
en fonction des jours.
Combat i 12 novembre : nouvelle lune ; Abyzou est noire.
Attaques par round : 1 ou 2 (1 morsure ou 2 coups de
griffes) i 20 novembre : premier quartier ; Abyzou a la peau
Combat rapproché 40% (20/8), dégâts 4D6+5D6 gris acier.
Morsure 60% (30/12), dégâts 1D10 i 27 novembre : pleine lune ; Abyzou a la peau d’un
Esquive 25% (12/5) blanc laiteux, presque luminescent.
Protection : 8 points (cuir ridé). Si elle tombe à zéro point de i 3 décembre : troisième quartier ; Abyzou a la peau
vie, Abyzou quitte cette dimension. gris acier.
Perte de Santé Mentale : 1/1D10 points à la vue d’Abyzou
sous sa forme monstrueuse.
197
Créationde Poupée Vivante pendant 1D10 heures. À chaque heure d’un tel
régime, chaque victime doit réussir un test de CON
(variante de Création de Golem) majeur pour éviter de perdre connaissance.
Coût : 15 points de magie ; 25 POU ; 1d6 points de
Une fois satisfait des festivités qu’il a déclenchées, le
Santé Mentale
sorcier peut sacrifier 1 point de magie supplémentaire
pour s’affranchir lui-même de la danse. Les autres
Temps d’incantation : 1D6+4 jours
danseurs continuent jusqu’à ce que le sortilège
Permet de réaliser et de donner vie à un être artificiel s’achève ou qu’ils s’effondrent. Pour chaque danseur
composé de porcelaine, un Manikinmenschen. qui s’écroule, le sorcier gagne 1D4 points de magie à
Contrairement à un golem, ces << poupées condition de rester à portée de vue des réjouissances.
vivantes >> peuvent comprendre et parler toutes
sortes de langues, et mener une vie autonome si elles
en ont l’occasion. Stimulation d’Engeance
des Brumes (variante)
Une fois le manikin fabriqué à partir de porcelaine
et de cheveux humains, c’est le gestohlener Blitz, Coût : 25 points de magie ; 10 POU ; 1D6 points de
associé à un mot d’activation (la marque du fabricant, Santé Mentale
emet, dans le cas des produits de Belshazzar) et
aux incantations appropriées qui lui donne vie. La Temps d’incantation : 5 rounds
création du manikin nécessite au moins une semaine,
un test d’Arts et métiers (Confection de poupées) et D’ordinaire, ce sortilège nécessite la larve d’une
la dépense des coûts associés au sort. entité du Mythe venue d’une autre dimension (parfois
appelée << Gish-rla >>, mais qui porte des noms très
Les poupées vivantes ignorent leur vraie nature à divers). Le sort doit être lancé dans un brouillard
moins de recevoir une blessure grave, qui dévoile dense qu’aucune lumière ne peut pénétrer. Le sorcier
aussitôt leur statut de produits fabriqués. Le seul étale une goutte de son sang sur la larve et paie le
moyen de << tuer >> un manikin consiste à le réduire coût du sortilège. Dans le cas d’Abyzou, la déesse
en pièces, le vidant ainsi complètement de son élixir peut faire surgir le brouillard et la larve de sa propre
et détruisant le mot qui l’anime. peau instantanément, et sans coût supplémentaire.
7
,
U
ne secte aristocratique projette de tourner une adap-
tation cinématographique du Necronomicon. Ses machinations
magiques font peser une lourde menace sur Berlin. Lorsqu’un Note de l’auteur
reporter les embrigade dans son entreprise périlleuse, les investiga-
teurs s’immiscent dans l’industrie du cinéma à Berlin et la secte qui Le thème sous-jacent du scénario est l’algolagnie (la
en dirige une bonne partie, flirtant avec la catastrophe et risquant de recherche du plaisir sexuel par la douleur), exprimée par
subir une servitude éternelle… les machinations d’une secte qui tient entre ses griffes les
réseaux de pouvoir berlinois grâce à son réseau de Domi-
nas opérant depuis le bordel du Salon Kitty. Selon l’ana-
lyse de Stephen King, la catégorie d’horreur de ce scénario
Résumé pour le Gardien serait la Terreur, qu’il définit ainsi : « quand les lumières
s’éteignent et que vous sentez quelque chose derrière
Ce scénario final de la trilogie de Berlin la Dépravée est le plus per-
sonnel. Contrairement aux deux aventures précédentes, il ne met vous, que vous l’entendez, que vous sentez son souffle sur
pas en danger la ville tout entière. Dans ce récit, les investigateurs votre nuque, mais que vous vous retournez pour découvrir
affrontent leurs propres démons et connaissent un isolement total qu’il n’y a rien… »
au milieu d’une ville comptant quatre millions d’âmes.
Deux factions distinctes y interviennent, déjouer les plans de l’une
ne neutralisant pas forcément l’autre. D’une part, les investigateurs
sont personnellement menacés par la comtesse Ágnes Esterházy
Contexte
Page opposée : Ágnes la marionnettiste
201
202
Personnages Une fois qu’elle les a trouvés, c’est une alliée précieuse, en
dépit de son terrible secret : « Lina Desmond » est en réalité
la sœur d’Ágnes Esterházy, Alma !
Lina Desmond, 27 ans,
Reporter d’investigation
Femme mystérieuse qui déclenche ce scénario, Desmond est une Le baron von Grunau, 58 ans,
journaliste d’investigation complètement dépassée. Sur la piste Occultiste et réalisateur
d’une secte de sorcières berlinoises, elle n’était considérée que
comme une enquiquineuse jusqu’à ce qu’elle mette la main sur le Archéologue amateur, dilettante débauché, occultiste dépravé
bien le plus précieux de la comtesse Esterházy : un morceau appa- et producteur de cinéma. Après l’échec de la société Prana Films
remment anodin de film en 35 mm. d’Albin Grau (essentiellement financée par Grunau) en 1922, le
baron commença à chercher un autre moyen de transmettre son
intérêt pour le monde occulte au peuple. Il le trouva dans la tra-
i Description : plutôt blonde quand on la compare à sa sœur,
duction du Necronomicon effectuée par Gregor Gregorius (cf. Das
elle conserve les traces d’une beauté autrefois raffinée, même
Necronomicon, page 198), et son souhait d’en consulter la source
si les mois passés à vivre à la dure ne l’ont pas épargnée.
a mené à un meurtre sanglant à la Bibliothèque prussienne d’État,
Amaigrie et manquant de sommeil, elle n’a eu ni le temps ni
comme révélé à la fin du Ballet du vice, de l’horreur et de l’extase
l’envie d’acheter des vêtements d’hiver adaptés et se retrouve
(cf. Indice : Ballet 5, page 192).
en tenue d’été malgré la température glaciale.
i Traits : la détermination de cette femme se lit dans son regard Par la suite, Grunau entreprit de rédiger un scénario cinématogra-
d’acier et sa mâchoire volontaire. Une fois concentrée sur son phique exposant certains éléments du livre maudit, à la manière du
but, rien ne peut l’en détourner, même si elle court à sa perte. pseudo-documentaire de Benjamen Christensen, Häxen (« les sor-
Culpabilisant d’entraîner les investigateurs dans son enquête cières ») en 1922. Mais Grunau, ne parvenant à hisser ses efforts créatifs
périlleuse, Desmond fait de son mieux pour se racheter. Elle à la hauteur de sa vision délirante, se tourna vers la secte de sorcières
est secrètement soulagée de recevoir de l’aide : elle ne savait d’Ágnes Esterházy, qui ne fut que trop heureuse de lui fournir son aide.
pas combien de temps elle parviendrait à rester en cavale. Grunau est l’un des deux principaux antagonistes de ce scénario
i Motivations : Desmond est bien décidée à faire publier avec Ágnes Esterházy. Seul membre encore réellement vivant du
son article et la perte de son dossier la désespère. Elle duo, il recourt à des méthodes directes pour déjouer les efforts des
recherche les investigateurs avec autant d’acharnement que investigateurs, qui ne se rendront peut-être pas compte qu’il s’agit
ses adversaires, en priant pour les contacter la première. d’un serpent avant qu’il ne soit trop tard.
Indice : Schreckfilm 1
203
i Description : cet homme corpulent, aux joues roses, décennie, peu après avoir tenu la vedette dans le classique de l’horreur
approche la fin de sa vie. Il ressemble tout simplement à un L’Étudiant de Prague, réalisé par Galeen en 1926, elle s’est acoquinée
Père Noël sans barbe. avec des membres des bas-fonds occultes de Berlin, et on a commencé
i Traits : ce sociopathe use de son charme et de son aspect à associer son nom aux messes sataniques et à la magie noire, ce qui
inoffensif pour parvenir à ses fins. Son sourire débonnaire n’a fait que stimuler la fascination qu’éprouvent les Berlinois blasés à
s’efface bien vite lorsqu’il n’a pas à se présenter sous son son égard ! Elle dirige désormais un convent comptant treize sorcières.
meilleur aspect, et ses yeux étincellent d’une lueur diabo- Après les catastrophes simultanées du Krach boursier et de l’avènement
lique dès qu’il se voit offrir l’occasion de détruire ceux qui du cinéma parlant, la carrière d’Esterházy a toutefois entamé un grave
lui barrent la route (comme les investigateurs). déclin. Elle a joué son dernier grand rôle en 1930 : c’était peut-être hier,
i Motivations : Grunau est l’hôte parfait, que les investiga- mais cela correspond à une éternité dans le contexte de l’industrie ciné-
teurs lui rendent visite chez lui ou sur le plateau. Toutefois, matographique allemande qui progresse tambour battant. Heureuse-
il fait volte-face lorsqu’il se sent menacé ou repère une ment pour elle, ses dernières œuvres magiques vont lui permettre de
faiblesse, employant tous les moyens à sa disposition demeurer associée à tout jamais aux rêves en celluloïd du cinéma.
(faveurs politiques, poison, force brute, voire magie) pour Contactée par le baron von Grunau, connaissance de longue date
réduire au silence ses adversaires. au sein des cercles les plus obscurs de l’occultisme berlinois, la
comtesse a concocté une potion spéciale à utiliser dans le dévelop-
pement de son film Das Necronomicon. La substance confère une
stupéfiante énergie aux visions cauchemardesques du film telles que
Ágnes Esterházy, 33 ans, les verront les spectateurs. En la réalisant, la comtesse a également
Sorcière et vedette de cinéma découvert un moyen de devenir quasiment immortelle sur l’écran :
Issue de la très ancienne noblesse hongroise, Esterházy est à la fois en lançant un sort particulier sur une bande de nitrate où figure son
vedette de cinéma et comtesse authentique. Après l’effondrement de image, elle est devenue une projection de cinéma tridimensionnelle
l’Empire austro-hongrois et le déclin parallèle de la fortune fami- qui marche et qui parle, immunisée contre toute atteinte physique,
liale, elle s’est tournée vers le cinéma pour gagner son pain. Après toute maladie, et même les effets du temps.
avoir figuré dans de petits films hongrois, elle a vite obtenu des rôles
i Description : voir la comtesse Esterházy en personne constitue
à Vienne, à Munich et à Berlin.
une expérience remarquable. Elle ressemble à une sorte d’holo-
Esterházy obtient régulièrement du travail dans les années 1920, gramme en nitrate d’argent, tridimensionnelle, mais intangible.
même si ce n’est que dans des œuvres peu prestigieuses. Au milieu de la Curieusement, même sa voix présente la sonorité métallique et
204
un peu parasitée des premiers films parlants. Elle ressemble à au Putsch de Kappe en 1920. Il est membre du NSDAP depuis 1924
une projection cinématographique complètement autonome. et, depuis son arrivée à Berlin avec Goebbels, il joue un rôle actif dans
Pour en savoir plus sur la perte de Santé Mentale correspon- l’organisation d’agressions antisémites dans toute la ville (y compris
dante lorsqu’on la croise « en chair et en os », consultez son l’émeute qui a lieu au début de ce scénario). Ces derniers temps, il passe
profil dans la section Créatures et monstres, page 240. le plus clair de son temps à vivre aux crochets du médium Erik Jan
i Traits : comme beaucoup de ceux qui sont nés dans le Hanussen ou à jouir de l’atmosphère conviviale du Salon Kitty.
privilège et le confort, mais à qui on a tout arraché après
1918, Esterházy ne va plus très bien depuis la fin de la Grande i Description : Helldorf est affligé d’un visage de chérubin
Guerre. Sa transition vers l’état de créature filmique immaté- qui dissimule sa nature de débauché.
rielle a rongé les dernières traces de sa santé mentale fragile. i Traits : le chef des Sturmabteilung (SA) est devenu dépendant
Elle est complètement mégalomane et arrogante, des défauts à divers plaisirs, comme les courses de chevaux et de lévriers,
que des investigateurs astucieux pourraient exploiter. la bonne chère et la douleur administrée des mains d’une
i Motivations : si Esterházy cherche à tout prix à retrouver le maîtresse dominatrice. Ces addictions bouillonnent toujours
dossier volé (cf. Indice : Schreckfilm 2), c’est parce que se en lui, prêtes à se déchaîner à tout moment. Ces habitudes ont
trouve à l’intérieur son unique faiblesse, le court ruban de un point commun : elles lui coûtent cher. Helldorff n’hésite
pellicule qui contient son âme ! Elle tuera sans hésiter un inves- pas à emprunter de l’argent, voire à voler des objets précieux
tigateur qui le détient si elle croit pouvoir le faire sans mettre (il lui est déjà arrivé de partir d’un parking au volant d’une
en danger le précieux fragment de film. S’entretenir avec elle Mercedes qu’il avait « oublié de payer »). En public, Helldorf
lorsqu’on détient la pellicule revient à danser avec un cobra : à est un parfait nazi, austère et imposant dans son uniforme
la moindre erreur, au moindre faux pas, tout est terminé. des SA. Mais en privé, c’est un minable pathétique : lorsqu’il
ne joue pas ses maigres biens après s’être saoulé, il subit la
douleur et les humiliations infligées par ses Dominas et
Boot-girls préférées (cf. Prostitution, page 54).
Wolf-Heinrich von Helldorff, 35 ans,
i Motivations : Helldorff est le maillon faible des cercles
Chef des SA de Berlin occultes de Berlin, celui que les investigateurs peuvent exploi-
Héritier débauché d’une ancienne famille noble de Thuringe, ter. Proche de Hanussen, il l’est donc également du baron von
Wolf-Heinrich, comte de Helldorf, est une étoile montante au firma- Grunau et de la comtesse Esterházy. Ses dettes phénoménales
ment du chapitre berlinois du parti nazi. Après avoir servi lors de la et ses addictions le rendent vulnérable : il n’hésitera pas à
Grande Guerre, il a rejoint un certain nombre de Freikorps et participé vendre ses prétendus amis si on y met le prix.
206
i Description : les investigateurs qui se rappellent du Krieg Lion fait ses débuts sur scène en 1923, dans une des revues de Schiffer,
ayant participé à l’enquête consacrée à Karl Großmann ne Wild Bühne (« la scène sauvage ») et joue dans plusieurs spectacles,
seront pas surpris de découvrir que l’inspecteur a mal vieilli. dont le plus célèbre est Es Liegt In Der Luft (1928), où elle fait sensa-
Ses cheveux sont presque entièrement tombés, et ceux qui tion dans son duo « Wenn Die Beste Freundin » avec l’étoile montante
restent ont viré au blanc. Sa peau est cireuse et molle, ses qu’est Marlene Dietrich. On raconte d’ailleurs que le style androgyne
doigts jaunis par la nicotine. Une menace sourde émane de de Lion a énormément influencé Dietrich. À partir de 1926, elle fait
ses yeux clairs et injectés de sang. fructifier sa carrière à l’écran, et joue dans dix films au cours des
i Traits : Krieg fume toujours comme un pompier, mais il est huit années qui suivent. Elle épouse Schiffer en 1928, et tous deux
désormais affligé de fréquentes quintes de toux. deviennent un des couples influents de la vie nocturne berlinoise.
i Motivations : ce sbire fidèle de la comtesse lui obéit à la Au début de ce scénario, Lion est en pourparlers pour obtenir le
lettre, poursuivant sans relâche les ennemis de la secte rôle de Jenny dans l’adaptation cinématographique française de
(c’est-à-dire les investigateurs), et exploitant les connais- L’Opéra de Quat’sous de Brecht et Weill.
sances en criminalistique et en droit de toute une vie pour
faire de leur vie un enfer. Il n’y a qu’un moyen de neutraliser i Description : on ne pourrait confondre Margo Lion
son agressivité : lui montrer la photo où il porte un collier et avec personne d’autre, avec sa silhouette mince, ses longs
une laisse (Indice : Schreckfilm 2). Cette preuve le désarme membres sinueux et son nez gaulois. Elle accentue ces lignes
totalement, en raison de la honte qu’il éprouve et de la en portant des vêtements ajustés (qu’il s’agisse de costumes
présence des investigateurs sur la photo. masculins ou de robes), des bijoux et une coupe au carré.
i Traits : Lion considère la vie comme un spectacle, et ne rate
jamais une occasion de se faire remarquer par son appa-
rence ou son jeu de scène. Dernièrement, elle s’inquiète de
Margo Lion, 31 ans, la santé de son époux bien-aimé, Marcellus, dont les crises
Chanteuse de cabaret androgyne de dépression se multiplient, de plus en plus graves.
Née de parents français à Constantinople sous le nom de Margue- i Motivations : Lion est la vedette de cabaret par excellence, qui
rite Hélène Barbe Elisabeth Constantine Lion, Margo arrive à Ber- a vu tout ce que la vie nocturne de Berlin pouvait offrir (ou du
lin en 1921 pour y étudier la danse classique. En ville, elle rencontre moins le croit-elle…). Il en faut beaucoup pour impressionner
Marcellus Schiffer, artiste et illustrateur qui commence à fréquenter Frau Lion, qui se montre généralement détachée et lointaine
le monde du cabaret. envers ceux qui n’ont pas suscité sa confiance ou son intérêt.
207
Départ : Le Luna Park une carte postale, une coupure de presse jaunie et un petit morceau
de pellicule de film. Bien que les investigateurs n’aient aucun moyen
En cette nuit glaciale du Nouvel An, les investigateurs font de leur de le savoir, ce dossier contient tous les indices nécessaires pour
mieux pour oublier leurs soucis en dînant et en se promenant au élucider les mystères de ce scénario.
Luna Park. Mais le parc d’attractions autrefois prestigieux, situé au
bout du Ku’damm à côté d’un petit lac de la Grunewald appelé le
Halensee, a connu des jours meilleurs… comme toute la ville.
Les façades des attractions, naguère à la mode, peintes sous un
Westend
angle curieux et dans un style expressionniste, sont usées et écail- Le Luna Park se trouve dans un quartier de Berlin appelé
lées. Le plus beau manège du parc, le toboggan aquatique (fermé Westend. Situé près de Charlottenbourg, au bout du
pour l’hiver) est rouillé et abîmé. Des tas d’ordures gisent près des Ku’damm et proche de la Grunewald, Westend est l’un des
poteaux des clôtures et dans des coins isolés. quartiers les plus élégants et dynamiques de la ville. On
Au crépuscule, les investigateurs dînent ensemble dans l’un des trouve ici de nouvelles villas, un hôpital et deux bars à bière
nombreux restaurants du parc. Hors-saison, l’endroit est à moitié en plus du parc d’attractions.
vide. Depuis leurs places près de la fenêtre, ils distinguent la Mai-
son Pivotante, une attraction notoirement étrange : il s’agit d’une
208
209
Rebrousser chemin sur le pont pour regagner le Luna Park serait Il s’agit d’un félinoïde (cf. profil page 240), serviteur du convent de
une mauvaise idée : les portes du parc sont déjà fermées. Les inves- Berlin qui poursuit les investigateurs depuis le Luna Park. À l’ori-
tigateurs qui ne se font pas piétiner par la foule d’habitants pani- gine lancé aux trousses de Lina Desmond, il a changé de proie en les
qués qui ont eu la même idée (en réussissant un test de DEX pour voyant ramasser le dossier. Le félinoïde croit (à tort ou à raison) cet
éviter de subir 1D4 dégâts) basculent par-dessus la rambarde du investigateur en possession des documents et entend bien le tuer
pont dans l’Halensee, et doivent réussir un test de Nager – ou béné- pour les rapporter à ses maîtresses.
ficier d’un coup de main – pour regagner la berge.
La créature se bat sauvagement, mais s’enfuit une fois réduite à la
Si un investigateur est assez imprudent pour rester sur le Ku’damm, moitié de ses points de vie ou moins. S’il est tué ou neutralisé, l’in-
il entend résonner des coups de feu. À moins qu’il ne déclare qu’il se vestigateur dispose désormais d’une preuve tangible de l’acharne-
jette à terre ou se met à couvert, demandez-lui d’effectuer un test de ment de forces étranges… à condition de conserver le cadavre.
Chance : en cas de maladresse, il risque bien de recevoir une balle.
Dans ce cas, faites un test avec la compétence Combat à distance
(Fusils) de 45% du policier (avec un dé malus en raison du manque Note à l’intention du Gardien : si on montre le félin hideux
de visibilité) pour savoir si l’investigateur est touché. Les investi- à Aleister Crowley, l’occultiste le trouve tout à fait fascinant
gateurs touchés de la sorte subissent 1D6 dégâts à cause d’une (cf. Consulter Crowley, page 215).
balle perdue. Si besoin est, vous trouverez le profil d’un Officier de
police berlinois standard page 239. Si l’investigateur tombe sous les coups de la chose, il se métamor-
phosera ultérieurement lui-même en félinoïde. S’il portait bel et
Le plus sûr consiste encore à se disperser et à se réfugier dans une bien le dossier, celui-ci retourne entre les mains du convent. Ses
rue latérale, ce qui nécessite un test d’Orientation. Ceux qui le homologues ont désormais moins d’éléments, mais tout n’est pas
réussissent peuvent choisir de rester près d’un autre investigateur, perdu. Lina Desmond part à la recherche du dossier, et sa présence
tandis que ceux qui échouent se retrouvent séparés de leurs compa- peut remettre l’enquête sur les rails (pour plus de détails, cf. Lina
gnons par la foule, et doivent donc se débrouiller tout seuls. fait son entrée page 213).
210
Indice : Schreckfilm 2
211
La carte de visite
Le symbole figurant sur la carte se réfère à une organisation spi-
En lieu sûr ritualiste, l’Argentum Astrum, fondée par l’occultiste britannique
Une fois que les investigateurs prennent conscience du Aleister Crowley.
genre de kartoffel chaude qui vient de leur tomber entre les
mains – en particulier quand Krieg et les SA commencent Note à l’intention du Gardien : un test d’Occultisme réussi
à leur tomber dessus (cf. Les activités du convent, permet d’identifier le symbole (les personnages disposant
page 213) –, ils songeront peut-être à déposer le dossier et d’au moins 50% dans cette compétence le reconnaissent
son précieux contenu dans un coffre à la banque. automatiquement). Il n’existe ni loge ni établissement public
pour les A∴A∴ à Berlin. Ceux qui connaissent le symbole savent
Comme dans n’importe quelle capitale mondiale, on trouve
également qu’Aleister Crowey réside à Berlin depuis deux ans.
à Berlin nombre de banques prestigieuses et de bonne taille.
Elles sont regroupées le long de l’Unter den Linden et dans
les rues voisines de la Friedrichstraße. Toutes ouvrent de 9h à La carte postale
13h chaque jour excepté le dimanche et pendant les vacances.
Tout habitant de Berlin identifie la grande tour de brique comme la
En voici quelques exemples : Reichsbank (34 Jägerstraße), Kaiser-Wilhelm-Turm, site bien connu du quartier de Grunewald.
Deutsche Bank (9-13 Behrenstraße), S. Bleichröder (13 Unter Si les investigateurs sont nouveaux en ville, il leur suffit de la mon-
den Linden), Delbrück, Schikler & Co (61-65 Mauerstraße), trer autour d’eux pour que des passants en identifient le lieu.
ainsi que Hugo Oppenheim & Sohn (1 Parizer Platz). On peut
y ouvrir un coffre en réussissant un test de Crédit, et y accé-
La coupure de presse
der ensuite aux heures d’ouverture.
Il s’agit de l’Indice : Ballet 5 du Ballet du vice, de l’horreur et de
Notez également que tous les hôtels de bonne réputation l’extase (cf. page 192).
disposent de leurs coffres où les clients peuvent conserver
leurs biens précieux, et que le grand magasin Wertheim,
Le morceau de pellicule
sur Leipziger platz, abrite également sa propre banque et
C’est un ruban de nitrate au format 35 mm, et donc issu d’un tour-
son coffre. Ces deux options offrent un accès permanent
nage professionnel. Les images représentent environ un tiers de
au contenu du coffre, mais s’accompagnent d’un risque :
seconde en temps réel, pas suffisamment pour ne serait-ce qu’une
les employés de ces établissements, moins scrupuleux que
brève action. Si on les tient à la lumière, on y voit une femme debout,
ceux des banques, seraient plus faciles à soudoyer. Au Gar- l’air inquiet, qui porte la main à sa gorge. En arrière-plan, une sil-
dien de décider si le bras du convent est assez long pour houette sombre, apparemment masculine et floue, impossible à iden-
influencer les membres d’ordinaire irréprochables de l’in- tifier. La femme est de toute évidence la même que celle de la photo
dustrie bancaire allemande. sur papier glacé en 8 par 10, à savoir la comtesse Ágnes Esterházy.
212
Les activités du convent à cause d’un coup monté, pour avoir soi-disant perturbé
l’ordre public, ne permet pas de mener l’enquête dans des
conditions idéales – mais le risque devrait être évident aux
Les investigateurs sont désormais engagés dans une course contre
yeux des joueuses, afin de semer les germes de la paranoïa
la montre : dès lors qu’ils ont ramassé le dossier, il ne faudra pas
et de l’isolement parmi les investigateurs. On ne peut faire
longtemps à la secte de sorcières pour découvrir leur existence et
confiance à aucune institution, et s’en remettre aux autorités
comprendre qu’ils sont au courant de l’enquête de Lina Desmond.
constitue le plus sûr moyen de finir jeté aux oubliettes.
Ceci pourrait se produire la nuit même où ils obtiennent le dossier,
Même sans se faire arrêter, les investigateurs qui se tournent
si le félinoïde survit pour faire son rapport, encore qu’ils puissent
vers les puissants se heurteront à de véritables murs, leurs
réussir à dissimuler leur implication jusqu’à ce qu’ils décident
tentatives pour obtenir de l’aide ne leur rapportant qu’hos-
de montrer leur jeu (ou pas). Il reste possible de jouer ce scéna-
tilité et sous-entendus menaçants. Lina Desmond peut
rio tout en échappant à la vigilance du convent, mais les chances
expliquer aux investigateurs quelle menace pèse sur eux s’ils
restent minces : après tout, les sorcières ont des yeux et des oreilles
ne s’en sont pas rendu compte par eux-mêmes.
partout. Une fois qu’elles découvrent que les investigateurs sont
impliqués, elles emploient contre eux le même genre de tours que i En faisant chanter ses leaders gays et en exploitant
contre Desmond. l’influence de Joseph Goebbels (l’un des clients les plus
enthousiastes du convent au Salon Kitty), la secte de sor-
i Le convent déploie ses relations au sein de la criminelle cières peut envoyer des Rotte (des équipes) de SA harceler
(cf. Beinls et Bulls, page 38) pour traquer et persécuter les et intimider les investigateurs. Chacun de ces groupes
investigateurs. Esclave volontaire des sorcières, l’inspecteur compte deux membres de plus que les investigateurs et ne
Krieg s’acharne contre eux, n’hésitant pas à les faire recule devant rien pour arriver à ces fins, excepté peut-être
faussement accuser de cambriolage, voire de meurtre. À le meurtre, qui n’est pas totalement exclu s’il peut être
moins que les investigateurs n’ajoutent d’eux-mêmes de perpétré en toute impunité. En outre, si les investigateurs
l’eau à son moulin, aucune de ces charges ne tiendra, mais recourent à des moyens létaux pour se défendre, les SA
elles se révéleront particulièrement pénibles puisqu’on les leur rendront la pareille sans hésiter. La secte n’abusera
convoquera sans cesse pour des interrogatoires et autres toutefois pas de ce privilège, et n’enverra pas plus de trois
formalités. Et s’ils se sont réellement livrés à des activités Rotte contre les investigateurs avant de se tourner vers
telles que des entrées par effraction, des agressions ou des des méthodes occultes. Le profil d’un Membre des Rotte
meurtres, ils feraient mieux de se rappeler qu’ils ont un figure page 239.
inspecteur de police hostile aux trousses, bien déterminé à
les faire coffrer. Le convent dispose de ressources magiques puissantes et de ter-
ribles créatures, que le Gardien peut employer comme bon lui
i Les sorcières ont également mis leurs griffes sur le système
semble : cf. le profil des Sorcières du convent et des Félinoïdes
judiciaire, ce qui garantit à tout investigateur arrêté une
(page 240) pour plus d’informations.
sentence d’emprisonnement sans pitié s’il passe devant un
juge. Naturellement, on ne devrait jamais en arriver là – se
retrouver condamné aux travaux forcés pendant cinq ans
213
dossier que j’ai perdu au Luna Park. Vous devez savoir que vous courez Desmond s’entretient alors en toute sincérité avec les investiga-
un grave danger. Je peux vous aider. » Un test de Psychologie réussi teurs, auxquels elle parle de son enquête sur un convent de sor-
révèle qu’elle dit la vérité. Pourtant, la femme qui se fait appeler Lina cières opérant parmi la jet-set berlinoise. « Elles tirent les ficelles de
Desmond ne ressemble plus à l’inconnue croisée au Luna Park. Bien la police et de la justice. Par l’intermédiaire de divers Ringvereine,
qu’elle ait conservé la même silhouette et porte encore des vête- elles se livrent au trafic de drogue et à l’esclavage sexuel. Les nazis
ments bien trop légers pour la saison, son visage a entièrement de Berlin leur obéissent au doigt et à l’œil, indirectement comme
changé, ce qui ne manquera pas de sauter aux yeux de quiconque Goebbels ou directement comme le comte Helldorff et ses SA. En fait,
l’a vue au parc. ils recrutent en grande partie grâce au Salon Kitty, cette maison close
grand standing sur la Giesebrechtstraße que les SA affectionnent tout
Si on lui parle de cette métamorphose, Desmond s’illumine. « Il
particulièrement. »
s’agit d’une des méthodes grâce auxquelles je peux vous aider. Je
connais un homme qui, si on y met le prix, peut changer vos traits Si on le lui demande, elle explique que le contenu du dossier a été
sans poser de questions. » Si les investigateurs l’interrogent, elle rassemblé au cours de son investigation, et vient de divers contacts
leur donne le nom d’Aleister Crowley et leur indique où le joindre dans toute la ville. Elle ne connaît pas directement toutes ses
(le numéro correspond à celui qui figure sur la carte de visite de sources, mais nourrit quelques doutes (cf. liste ci-dessous).
l’Indice : Schrekfilm 2). Pour en savoir plus, reportez-vous à L’offre
Desmond explique qu’elle avait pris en filature les investigateurs
de Crowley, page 218.
au Luna Park après avoir reconnu leurs visages d’après la photo du
dossier. Elle souhaite savoir quel rôle ils jouent dans ce mystère, où
la photo a été prise, et pourquoi ils se trouvaient là à ce moment.
Le fait qu’aucun d’entre eux ne se rappelle avoir été présent l’in-
quiète énormément.
Si les investigateurs l’interrogent, Desmond peut transmettre les
informations suivantes.
214
Le Gardien peut désormais utiliser Lina Desmond comme bon Belshazzar est au courant du culte que voue le convent à
lui semble. Voici quelques suggestions des rôles qu’elle peut jouer Hécate, et sait que la comtesse Esterházy réside au Salon
dans le récit. Kitty, où ont lieu d’ignobles rituels et sacrifices. Il ignore
toutefois sa transformation, mais s’il venait à l’apprendre, il
i Alliée : Desmond elle-même est une investigatrice tout à pourrait sans doute comprendre pourquoi elle tient tant au
fait compétente, et ferait une excellente remplaçante si l’un morceau de film. Il tient moins à détruire la comtesse qu’à
des personnages joueurs subissait un sort funeste. En outre, se servir de l’objet comme monnaie d’échange, mais ne
dans des groupes plus modestes, ses compétences peuvent protestera pas si les investigateurs souhaitent l’incinérer.
constituer un atout inestimable.
i Victime : Desmond peut disparaître de nouveau. Par la
suite, un investigateur se réveille à côté de son cadavre,
au moment où l’inspecteur Krieg fait irruption dans son
logement pour l’arrêter et l’accuser de meurtre. Desmond
peut également réapparaître sous la forme d’une horrible
félinoïde. Elle peut aussi subir les effets néfastes d’un des Consulter Crowley
sortilèges impies de sa sœur sous les yeux des investigateurs,
une scène qui leur servira de mise en garde vis-à-vis des Note à l’intention du Gardien : cet indice dépend de la date.
pouvoirs des sorcières.
La vie d’Aleister Crowley se complique énormément à partir
i Traîtresse : Desmond a un secret ; c’est en réalité la sœur du 4 janvier, où il se brouille avec son ami et assistant Karl
d’Ágnes Esterházy, Alma. Même si Ágnes ne peut plus Germer. Ensuite, il n’aura plus le temps d’aider une bande
la reconnaître étant donné qu’elle a changé de visage, d’occultistes amateurs.
Alma lui conserve une certaine affection, malgré les
actes malveillants auxquels Ágnes s’est livrée et sa propre
Les investigateurs peuvent appeler le numéro inscrit sur la carte de
métamorphose. Le Gardien peut faire d’Alma une bonne
visite (Indice : Schreckfilm 2), à moins que Lina Desmond ne le
poire, complice volontaire des intrigues obscures de la
secte. Dans ce cas, « Desmond » a délibérément pris pour leur ait indiqué directement. S’ils appellent après 18h, personne ne
cible les investigateurs afin de les attirer dans la toile décroche. Pendant le reste de la journée, après d’innombrables son-
de la secte et de les guider vers leur propre destruction. neries, une voix masculine bougonne se fait entendre à l’autre bout
Naturellement, un test majeur de Psychologie révèle qu’elle du fil. Elle demande, en anglais et avec un fort accent britannique :
en sait davantage qu’elle ne veut le dire sur le morceau de « Oui, qu’y a-t-il ? »
film et son origine. Cette option fonctionne mieux avec un
Les investigateurs comprennent bien vite qu’ils ont affaire au
groupe d’investigateurs aguerris, possédant des grimoires,
plus célèbre occultiste d’Europe, voire du monde : Aleister
des artefacts et des connaissances dangereuses que la secte
Crowley. Bien qu’il ait la gueule de bois et ne soit pas de très
de sorcières désire se procurer.
bonne humeur, Crowley est disposé à parler. En premier lieu, il
Si l’un des investigateurs propose de rendre le dossier à Desmond souhaite savoir comment son interlocuteur a obtenu son numéro,
pour s’en laver les mains, celle-ci leur explique qu’après l’avoir eu car il ne connaît ni son nom ni sa voix. La meilleure tactique en
en leur possession, ils sont désormais marqués, et constituent des la matière repose sur l’honnêteté : mieux vaut parler à Crowley
cibles pour le convent. « Si vous voulez vous en sortir vivants, vous du dossier et des étranges indices qu’il contient. Mentionner
devez m’aider à abattre cette ignoble conspiration. Tous les éléments Desmond, si les investigateurs l’ont déjà rencontrée, est un bon
sont en place, mais nous devons agir sans plus tarder, et surtout moyen pour piquer sa curiosité, en particulier s’ils mentionnent
avec prudence ! » son nouveau visage.
215
Ce mystère intrigue l’occultiste, a fortiori si les investigateurs ont tomber d’un ciel de plomb, Crowley émerge de l’intérieur du
commencé à découvrir le réseau occulte associé au contenu du dos- cinéma en tirant quelques bouffées sur la pipe qu’il vient d’allumer.
sier ou s’ils disposent d’un cadavre de félinoïde (cf. Fantômes dans « Sympathique endroit, pas vrai ? fait-il. Le type qui l’a bâti, un archi-
la brume, page 209). Ceux qui usent de faux-fuyants doivent réus- tecte du nom de Poelzig, conçoit aussi des théâtres. Il me consulte
sir un test majeur de Charme ou de Persuasion, car Crowley est pour un projet de film récent. Mais trêve de bavardage. Je crois que
passé maître dans l’art de percer à jour ce genre de subterfuge. S’ils vous m’aviez promis de m’inviter à dîner ? »
ont suscité son intérêt, il leur donne une adresse sur la Bülowplatz
Crowley emploie cette méthode pour dîner à l’œil et ne pas perdre
et leur demande de l’y retrouver d’ici une heure (cf. Dîner avec la
Bête, ci-après). entièrement son temps. Il souhaite manger au Gourmania Palast,
l’un des plus récents restaurants de la ville (ouvert en 1929), près
de l’August-Viktoria-Platz et du Jardin zoologique. Grand prince,
il offre la course en taxi (à moins que les investigateurs ne soient
Dîner avec la Bête venus dans leur propre véhicule). Pendant le trajet, il parle de tout
À l’adresse fournie, les investigateurs trouvent le cinéma Babylon et de rien avec les investigateurs et tente d’avoir un aperçu de leur
(dont le nom risque de faire frémir ceux qui ont survécu au Ballet personnalité et de leurs mobiles.
du vice, de l’horreur et de l’extase). Ce bâtiment de cinq étages est
Ils traversent le Tiergarten, aux arbres sans feuilles et aux pelouses
de style moderniste, avec un extérieur en stuc jaune moutarde. L’in-
mortes et couvertes de givre. Lorsque le taxi se gare devant le
térieur poursuit le motif Neue Sachkichkeit (Nouvelle Objectivité)
Gourmania, les investigateurs découvrent qu’il se situe à l’intérieur
de la façade, avec des lignes claires et des formes colorées, grises,
d’un long bâtiment bas, aux lignes élégantes, très moderne, qui
rouges et jaunes.
borde le côté nord de la Budapester Straße. On aperçoit le clocher
Une fois que les investigateurs ont passé quelques minutes à patien- de l’église du Souvenir de l’Empereur Guillaume, pointant vers les
ter dans le froid de l’hiver, en observant les flocons occasionnels cieux, au-dessus du Romanisches Café, à l’ouest.
216
217
Crowley peut obtenir une invitation pour les personnages à la prévoit pas expressément qu’ils l’emploient. Toutefois, son utilité
séance de spiritisme de Hanussen. Il refuse toutefois de se pencher devrait sauter aux yeux des investigateurs. Grâce à lui, ils peuvent
sur le cas du morceau de film, affirmant qu’il en émane quelque échapper aux sbires lancés à leurs trousses par la secte, voire s’infil-
chose d’extrêmement troublant. trer dans les réunions du culte, même si cela a un prix. Au bout du
compte, les investigateurs courront peut-être d’eux-mêmes à leur
perte, et c’est précisément ce que souhaitent la comtesse et ceux qui
L'offre de Crowley
la servent.
Si les investigateurs ont mentionné le nouveau visage de Lina
Desmond ou évoquent des déguisements, des méthodes pour se
dissimuler aux yeux de la secte ou autres sujets connexes, Crowley
flaire la bonne affaire et propose de leur enseigner une technique
magique. Il s’agit de celle qu’il a déjà transmise à Desmond, qui s’en
La chanteuse de cabaret
est servi pour se débarrasser de la secte des sorcières. Les investigateurs peuvent se renseigner sur la vedette de cabaret
qui figure sur la photo du dossier, Margo Lion. Ceux qui ont des
relations parmi les noctambules de Berlin ou disposent de la com-
Note à l’intention du Gardien : au cas où les investigateurs
pétence Arts et métiers (Chant) – voire d’autres spécialités issues
ne rencontreraient pas Crowley, ils peuvent apprendre le
du monde du divertissement – apprennent rapidement qu’on peut
rituel de la bouche de Lina Desmond, qui le leur apprend
trouver Frau Lion au Silhouette, un bar de travestis bien connu de
gratuitement s’ils insistent (par pure bonté d’âme ou dans le
la Geisbergstraße à Wilmersdorf, non loin de la Nürnberger Platz.
cadre des machinations subtiles de la secte, selon ses mobiles).
L’entrée de l’établissement, flanquée de tentures artistiques, se
« Je dois vous mettre en garde : il s’agit d’un des rituels les plus trouve au coin du bâtiment. Une fois à l’intérieur, les investigateurs
sinistres, les plus ignobles que j’aie jamais croisés dans mes études. Je traversent une longue pièce étroite éclairée par la lumière douce
ne vous le propose que parce que votre désespoir m’émeut. » Crowley et rose de lanternes en papier japonaises. Un épais nuage de tabac
en demande 5000 marks (ce qui correspond à 350£ ou 1750$). Un bleu flotte dans l’air. Deux bars munis de grands miroirs flanquent
test de Charme ou de Persuasion réussi permet de négocier à 4000 l’entrée. Les serveurs, de jeunes hommes aux cheveux gominés,
marks (280$/1400$). ignorent fréquemment les clients pour contempler leur propre
reflet dans le miroir d’en face.
Apprendre le sortilège ne pose pas de problème, car il met en œuvre
des ingrédients simples. Il convient toutefois de passer une heure à Une petite piste de danse recouverte de moquette rouge permet de
l’étudier avec celui ou celle qui l’enseigne (Crowley ou Desmond) se trémousser au rythme d’un modeste orchestre, mais la plupart
et de réussir un test d’INT majeur. Un seul investigateur peut l’ap- des clients viennent là pour se détendre, siroter un verre et échan-
prendre, car on peut lancer le sort sur autrui. ger des ragots. Un coup d’œil permet de comprendre qu’au moins
la moitié des occupants de la salle sont des hommes habillés en
Le rituel est connu sous le nom de Semblance d’Autrui (cf. Sorti-
femme et des femmes en tenue masculine.
lèges, page 242) et nécessite la peau écorchée du visage d’une autre
personne, vivante ou récemment décédée. La peau en question Des canapés bas bordent les deux côtés de la piste de danse. Der-
perd son efficacité si plus de 24 heures se sont écoulées entre le pré- rière un cordon de velours et un préposé qui en interdit l’accès,
lèvement et l’utilisation. un escalier permet d’accéder à des box privés, isolés derrière une
balustrade. C’est dans l’un d’entre eux que se trouve actuellement
Si on lui pose la question, Desmond explique qu’elle a obtenu la
Margo Lion, accompagnée de son époux Marcellus Schiffer. Obte-
sienne à la morgue de l’hôpital de Westend (en soudoyant le pré-
nir un entretien avec Lion nécessite de parler au préposé, au pied
posé). Les investigateurs peuvent bien évidemment concevoir
des marches, et de réussir un test de Charme ou de Baratin. Les
leurs propres méthodes pour se procurer des visages de cadavres.
personnages dont le Crédit est supérieur ou égal à 60% sont dis-
Prélever la peau impose un test de Santé Mentale (perte de 1/1D3
pensés de jet de dé.
points) à quiconque en-dehors des professionnels du corps médi-
cal. Si un investigateur emploie un spécimen vivant (même s’il s’agit Lion présente une apparence saisissante, avec sa silhouette très
d’un membre de la secte des sorcières ou d’un autre « méchant » mince et son proéminent nez gaulois. Née à Constantinople en
avéré), il doit rater un test de Santé Mentale automatiquement 1898, elle a autour de trente-cinq ans et vit à Berlin depuis plus de
pour entreprendre cet acte de meurtre et de mutilation, ce qui lui dix ans. Son accent français s’est presque estompé. Les Berlinois la
coûte aussitôt 1D6+1 points de Santé Mentale par victime. connaissent surtout pour son duo de 1928 avec l’étoile montante
Marlene Dietrich, « Wenn Die Beste Freundin », ode à l’amour
Si c’est Desmond qui enseigne le rituel aux investigateurs, elle omet
entre femmes qui est rapidement devenue l’hymne de la commu-
de leur apprendre le sortilège inverse (une fois encore, par simple
nauté lesbienne de la ville. Ce soir, elle porte une tenue androgyne
oubli ou par pure malveillance, selon ses mobiles).
composée d’une veste de chasse, d’un pantalon d’équitation et d’un
Ils peuvent s’en servir ou l’ignorer : le choix leur appartient. Le sor- chapeau d’homme à large bord. Son mari, Marcellus, est presque
tilège n’est pas indispensable pour survivre au scénario, et la fin ne ivre mort, alors qu’il n’est pas encore très tard.
218
La Bibliothèque prussienne d’État morphose, les malheureuses victimes se rappellent vaguement qui
elles étaient autrefois.
Si les investigateurs suivent la piste de l’article de journal consacré Les investigateurs qui veulent se renseigner sur la déesse Hécate
au meurtre à la Bibliothèque d’État (Indice : Ballet 5), ils n’auront peuvent découvrir une ou plusieurs des informations qui suivent
pas grand-chose à se mettre sous la dent : les faits datent tout de en réussissant un test de Bibliothèque.
même de quatre ans. Si un investigateur pense à demander à voir
le Necronomicon de Wormius, il doit réussir un test combiné de i Hécate est la triple déesse grecque associée aux ténèbres, aux
Crédit et de Bibliothèque. En cas d’échec, on lui en refuse l’accès. carrefours, aux esprits, à la lune et à la sorcellerie.
Un succès lui permet de revenir le lendemain matin pour étudier
une heure durant l’ouvrage tristement célèbre. i Ses trois visages représentent les trois stades de la féminité :
la vierge, la mère et la vieillarde.
En arrivant, les investigateurs sont escortés jusqu’à un bureau haut i Hécate règne sur la terre, le ciel et la mer. En outre, fille des
de plafond, décoré de tapisseries et contenant nombre de biblio- titans, elle n’est pas soumise aux mêmes restrictions que
thèques fermées à clef. Là, sur une grande table de bois, au centre les dieux de l’Olympe et peut intervenir librement dans les
de la pièce, repose le Necronomicon. Ou du moins le croit-on… En affaires des mortels.
ouvrant le fermoir, on découvre qu’il s’agit d’une simple reproduc-
tion, très habile. De l’extérieur, le livre paraît authentique, mais les i C’est depuis le Macbeth de Shakespeare qu’on l’associe
pages qu’il contient ne sont que des copies des Principia de Newton. définitivement aux sorcières.
Supercherie ! i Hécate est parfois assimilée à Lilith, mais le lien est pour le
moins ténu.
Note à l’intention du Gardien : bien que les investigateurs Si les investigateurs n’ont pas encore découvert le nom des individus
risquent de ne jamais l’apprendre, c’est le baron von Grunau figurant sur la photo en 3 par 5, un test de Bibliothèque réussit
qui a organisé le vol et le remplacement du Necronomicon, leur permet d’identifier Erik Jan Hanussen, Margo Lion et le comte
ainsi que le meurtre du pauvre bibliothécaire, Ralph Helldorf après avoir consulté divers articles de presse.
Schneider. Le véritable livre est actuellement dissimulé dans
un « monde onirique » élaboré par la comtesse Esterházy,
comme révélé dans la section À l’intérieur de l’église
(cf. page 236).
219
Le Palais de l’Occulte terrestre plus grand qu’un homme. Les lumières encastrées pro-
jettent des teintes jaunes et vertes dans ce décor décousu, et d’autres
Après qu’Aleister Crowley ou Margo Lion leur a présenté le « Palais de signes astrologiques toisent les personnages depuis le haut plafond,
l’Occulte » d’Erik Jan Hanussen, les investigateurs sont invités à parti- éclairés par des néons rouges.
ciper à une séance de spiritisme de minuit pour la jet-set berlinoise. Dans la salle de spiritisme, des canapés si grands qu’on les croirait
Situé au 18 Lietzenburger Straße sur le Ku’damm, au sud du célèbre destinés à des géants encadrent une table de verre circulaire. Une
grand magasin KaDeWe (cf. Le Ku’damm, page 31), l’appartement lampe, au-dessus, éclaire vivement le plateau qui semble étinceler
de Hanussen occupe les deux étages supérieurs de l’immeuble d’une lumière intérieure. Le centre de la table, creux, accueille un
néo-baroque. Les investigateurs arrivent autour de 23h30, en se grand fauteuil pivotant, inoccupé pour le moment.
serrant dans leurs manteaux pour se protéger du froid. Une foule d’invités qui bavardent occupe le Palais. Les investiga-
Le hall d’entrée est dominé par un énorme bouddha de bronze teurs dotés d’une valeur de Crédit particulièrement élevée (75% et
entouré d’un halo de symboles astrologiques, peints à même le mur plus) reconnaissent (et sont reconnus par) divers princes et comtes.
auquel il est adossé. Une fois dans l’appartement, les sens des inves- L’auteur raté et sympathisant nazi Hans Heinz Ewers (auteur du
tigateurs subissent un violent assaut. Une mosaïque arc-en-ciel au roman Alraune et du scénario du premier film intitulé L’Étudiant
sol les conduit jusqu’à l’intérieur où règne une lumière tamisée. Ils de Prague tourné en 1913 et réalisé par Wegener et Rye) tient une
traversent la salle de bal, la salle de spiritisme, la ménagerie et le petite cour au salon, divertissant un troupeau d’admirateurs grâce à
salon, passant devant des fontaines qui gargouillent et des aqua- ces récits sur la Berlin décadente d’avant la Grande Guerre. Un peu
riums pleins de bulles. partout, on voit des hommes en uniforme du parti nazi.
Dans la ménagerie, une immense cage qui va du sol au plafond Margo Lion se trouve dans la salle de bal, près de l’immense chemi-
abrite une nuée de petits oiseaux qui pépient. Non loin de là, dans née en marbre, vêtue d’une robe noire et blanche aux rayures de sucre
une serre, des serpents rampent et des lézards clignent de l’œil d’orge. Elle porte un monocle et rit. Sa tenue paraît familière : c’est
parmi des plantes tropicales, et un peu plus loin se trouve un globe celle qu’elle porte sur la photo en 3 par 5 du dossier de Desmond !
220
Si Anna Tchaïkovsky a survécu aux événements du scénario Le Hanussen continue de déambuler parmi la foule. Il finit par se pré-
diable mange des mouches, elle est également dans la salle de bal, senter aux investigateurs et les remercie de leur venue. Lorsqu’il se
et revient d’un long séjour en Amérique, où elle a adopté le nom dirige vers d’autres invités, ils voient un homme presque nu que l’on
d’Anna Anderson. Elle est accompagnée de son avocat, Edward mène par une laisse et auquel on a appliqué un bâillon. C’est l’ins-
Fallows, ainsi que de son dernier partisan royal, le prince Frédéric pecteur Krieg, de la Police criminelle. Son apparition pathétique
de Saxe-Altenbourg. Si les investigateurs la saluent, elle se souvient suscite énormément de rires. Helldorf prend sa laisse. « Regarde,
d’eux et réagit en fonction de la façon dont ils l’ont traitée précé- Erik ! Maintenant, moi aussi j’ai un chien ! » De nouveaux rires.
demment. Quoi qu’il en soit, elle paraît plus stable et plus assurée
Un photographe est présent. Les investigateurs se retrouvent dans
désormais. Elle porte une coupe de cheveux au carré à la mode,
le cadre lorsque Hanussen pose avec Helldorf, Margo Lion, l’ins-
ainsi qu’une tenue manifestement issue des meilleures boutiques de
New York (utilisez son profil dans Le diable mange des mouches, pecteur Krieg et le caniche : c’est le cliché qu’ils ont déjà entre les
cf. page 139). mains ! Lorsque le flash de l’appareil-photo les éblouit, demandez
à chacun un test de Santé Mentale pour avoir vécu cette distorsion
La porte de la cuisine ne cesse de s’ouvrir et de se refermer pour temporelle surréaliste (perte de 1/1D3 points).
laisser passer des serveurs portant des plateaux de hors-d’œuvre et
des flûtes de champagne. Pendant que les investigateurs se mêlent
aux convives et circulent dans les pièces du palais, demandez à Note à l’intention du Gardien : si les investigateurs ont fait
chacun un test de Psychologie. Un succès indique une sensation tout leur possible pour porter des vêtements différents, s’ils ont
distincte de malaise, comme si tout le monde les fixait et disait du changé de visage ou pris des mesures, délibérément ou non, pour
mal d’eux dans leur dos. Pourtant, quand les investigateurs essaient modifier leur aspect, un coup d’œil rapide à la photo « d’origine »
de saisir des bribes de conversation ou de surprendre quelqu’un à les révèle dans leur tenue et sous leur apparence actuelle sur le
les observer, ils n’y parviennent pas. Cette impression de paranoïa cliché (ce qui leur coûte 1 autre point de Santé Mentale).
croissante les met mal à l’aise, mais ne leur coûte aucun point de
Santé Mentale. Avant que les investigateurs puissent faire quoi que ce soit, le
médium se dirige vers la table de verre et s’installe dans le grand fau-
teuil central. La lampe au plafond l’éclaire, et une autre, placée dans
Entrée en scène d'Erik Jan Hanussen le dossier du siège, répand autour de lui un halo de saint. « Je vous en
Et voici que l’homme du jour émerge de ses appartements privés. prie, venez à la table si vous cherchez des réponses à vos questions »,
Erik Jan Hanussen est un gentleman de carrure ordinaire, mais doté annonce-t-il. En parlant, il regarde chacun des investigateurs tour à
de sourcils broussailleux et de grandes oreilles. En premier, on voit tour (où qu’ils se trouvent), avec une expression perplexe, comme
ses yeux, enfoncés et intenses. Son regard perçant traverse comme s’il cherchait à savoir où il les a déjà vus. Il fait signe à chacun d’eux :
un rayon l’assemblée, dont il avise chaque membre d’un seul coup « Je crois qu’il vous faut tous venir à la table. »
d’œil circulaire dans la pièce. Il tient en laisse un caniche noir, ce qui
pourrait inquiéter les investigateurs. À mesure qu’approche minuit,
La séance de spiritisme
tous les invités convergent vers la salle de spiritisme, où Hanussen
prononce son discours de bienvenue. Le compte Helldorf et d’autres convives se joignent aux investiga-
teurs pour qu’il y ait un total de douze personnes à la table. Une fois
« Mesdames et messieurs », dit-il avec un léger accent, « je vous qu’ils sont installés, Hanussen leur demande de placer les mains
remercie de votre présence ce soir. Comme toujours, je suis venu pro- sur le plateau de verre, doigts écartés. La lumière d’en haut décroît,
poser mes humbles talents à ceux qui cherchent des réponses. » En ainsi que celles de l’ensemble de la pièce, et une lampe située sous
circulant parmi ses invités, il pose un doigt sur sa tempe. « Je vois le verre dépoli de la table s’allume, éclairant par en-dessous tous
déjà la vérité qui rayonne de certains d’entre vous. Une personne ici les participants et leur donnant une allure spectrale. Celle qui illu-
affirme être la Grande Duchesse Anastasia Romanova. Je puis confir- mine Hanussen par-derrière demeure allumée, et les investigateurs
mer qu’elle dit la vérité. » (Si Anna Anderson n’est pas là, il s’agit
remarquent que son siège le place légèrement plus haut qu’eux, lui
d’une des nombreuses autres femmes qui prétendent être Anasta-
conférant une place d’autorité.
sia.) « Nous devrions tous être honorés de l’avoir parmi nous. » Un
murmure approbateur parcourt la foule. Peu à peu, Hanussen se met à pivoter sur lui-même, fixant chaque
participant d’un regard intense. Finalement, il s’arrête. Il regarde l’un
Il s’arrête devant un groupe de nazis. « Mon cher comte Helldorf »,
des investigateurs (déterminé au hasard, à moins qu’il s’agisse de celui
dit-il en s’adressant à un homme portant l’uniforme des Sturmtrup-
qui a le moins de Chance). « Vous : fermez les yeux. Que voyez-vous ? »
pen. « Votre parti va bien s’en tirer aux prochaines élections. Très
bien, même. » Les investigateurs, stupéfaits, se rendent compte que Si l’investigateur s’exécute, il ne voit d’abord rien. Il sent les doigts
Hanussen parle à l’autre homme figurant sur la mystérieuse photo de Hanussen qui s’agitent devant son visage pour l’hypnotiser.
du dossier ! Demandez-lui d’effectuer un test majeur de POU : en cas de succès,
221
il résiste à la tentative de Hanussen pour le plonger dans une pro- Les autres invités assis à la table observent l’investigateur qui
fonde hypnose, et le médium passe à un autre investigateur. Conti- transpire et marmonne tout d’abord, puis se raidit sur son siège
nuez jusqu’à ce qu’ils aient tous réussi leur test de POU ou que l’un et commence à pousser d’incoercibles hurlements. Il perd aussitôt
d’entre eux échoue. En cas d’échec, la scène suivante se déroule. 5 points de Santé Mentale et sombre dans la folie temporaire, subis-
sant une crise de folie passagère : les troubles psychosomatiques,
Peu à peu, toute sensation sonore ou tactile s’estompe pour l’inves-
l’évanouissement ou l’hystérie manifeste sont particulièrement
tigateur hypnotisé : il a l’impression de flotter dans un néant froid
appropriés. La séance s’achève dans le chaos.
et infini. Il n’y a plus de haut ni de bas. Il ne peut pas ouvrir les
yeux malgré tous ses efforts. Soudain, presque instantanément, l’in- Même une fois remis de sa folie passagère, l’investigateur affecté
vestigateur se sent victime d’un terrible assaut psychique, comme continue de voir le visage hilare de la comtesse Esterházy un peu
si des doigts glacés plongeaient dans son crâne dans une tentative partout : dans le reflet des vitrines, parmi les nuages et dans la
pour lui arracher le cerveau. Il voit brièvement un visage hilare, brume, et en particulier dans ses rêves. Jusqu’à la fin de ce scénario, il
qui ressemble à la projection d’un film en noir et blanc : la com- perd 1 point de Santé Mentale par nuit en raison de ces cauchemars.
tesse Esterházy ! Son rire s’interrompt brusquement, et son visage
se transforme en masque furieux, aux traits d’acier. « Rendez-moi le Qu'arrive-t-il si tout le monde
dossier et j’aurai la grâce de vous laisser vivre. Dans le cas contraire, réussit son test de pouvoir ?
vous me supplierez de vous laisser mourir. »
Si tous les investigateurs ont réussi leur test majeur de POU, Hanussen
hypnotise un autre invité, qui subit la terrifiante vision de la comtesse.
Note à l’intention du Gardien : si les investigateurs ont Lorsqu’il revient à lui, l’invité en question se tourne immédiatement
perdu le dossier d’une façon ou d’une autre, la comtesse insiste vers les investigateurs pour leur rapporter les exigences de la comtesse :
pour qu’ils lui livrent Lina Desmond. « Elle a dit que si vous ne faites pas ce qu’elle demande, elle me tuera ! »
La séance de spiritisme
222
La comtesse ne plaisante pas : s’ils ne lui remettent pas le dossier Né en 1869, Helldorff a servi comme lieutenant pendant la Grande
(ou Lina Desmond), le cadavre de l’invité en question est découvert Guerre, à partir de 1915, et il a rejoint les Freikorps en 1919. Puis
quelque part 24 heures plus tard. L’inspecteur Krieg exploite cette il est devenu membre du parlement prussien de 1924 à 1928, et
mort comme motif raisonnable pour accuser l’un des investigateurs également du Nationalsozialistische Freiheitspartei (NSFP, le parti
de meurtre et demande à un juge de lui fournir un mandat d’ar- national-socialiste de la liberté), qui devint le NSDAP en 1926. En
rêt. Et s’il peut déposer le cadavre chez l’un des investigateurs, c’est 1931, il rejoint les Sturmabteilung (les SA), qu’il dirige à Berlin. Par
encore mieux ! la suite, il dirige les SA dans de nombreux attentats antisémites,
ainsi que des bagarres de rue et des altercations avec des groupes
de gauche. Ses relations avec Joseph Goebbels sont bien connues.
Se renseigner sur le comte Helldorff Poser des questions sur un homme comme Helldorf revient à cher-
cher des ennuis. Membre actif du parti nazi et ami de Goebbels, il
S’ils n’ont pas encore identifié le comte Helldorff sur la photo risque fort de s’offusquer qu’une bande de fouineurs se renseignent
en 3 par 5, les investigateurs ont l’occasion de le croiser à la à son sujet si jamais il en a connaissance. Si les investigateurs ne se
séance de spiritisme (cf. Le Palais de l’Occulte, page 220). S’ils méfient pas et parlent de Helldorff à n’importe qui, demandez-leur
souhaitent se renseigner sur lui, ils trouveront les informa- un test de Chance commune pour déterminer si le comte en entend
tions suivantes dans des journaux récents (Bibliothèque) ou en parler. Selon l’approche pour laquelle ils ont opté, le Gardien peut
demandant autour d’eux (un test de compétence sociale à la dis- envoyer un groupe de chemises brunes leur demander d’où leur
crétion du Gardien). vient cet intérêt pour le comte. Utilisez le profil du Membre des
Rotte (cf. page 239) pour ces brutes, qui préfèrent parler avec
leurs poings.
Les investigateurs peuvent tenter de prendre le comte en filature
L’étrange incident de la après la séance, ou bien en le remarquant dans un bar pour SA ou
dans un rassemblement politique. Ce genre d’entreprise ne révèle
photo mystérieuse rien qui sorte de l’ordinaire mais devrait les conduire au Salon Kitty
Mais à quoi rime cette fameuse photo, au fait ? La réponse (cf. ci-dessous), que Helldorff fréquente régulièrement.
est floue. Le but de la photo est de créer une impression
de malaise, de brèche dans la réalité et de distorsion tem-
porelle : proposer une explication claire en saperait l’ef-
fet. Contentons-nous de dire que la magie de la comtesse Le Salon Kitty
Esterházy semble avoir des effets néfastes sur la trame de Les investigateurs ont pu suivre Wolf-Heinrich von Helldorff au
la réalité à Berlin. Salon Kitty, à moins – c’est plus probable – que Lina Desmond ne
leur ait révélé que le comte fréquentait ce bordel, réputé pour ses
Des investigateurs méfiants pourraient se tourner vers
Dominas (cf. Prostitution, page 54). Ce qu’ils ignorent, au même
Albert Einstein, à sa résidence de Schöneberg (cf. page 33).
titre que Desmond, c’est que le Salon Kitty est la résidence de la com-
Le professeur voyage souvent à l’étranger pour des tour- tesse Esterházy depuis que cette dernière a pris sa nouvelle forme.
nées de conférences et des échanges académiques, et
le Gardien peut décider qu’il est justement absent en ce Situé au 11 Giesebrechstraße, dans une rue qui bifurque à un
angle curieux depuis le Ku’damm, ce bordel affiche le même
moment. Sinon, les investigateurs munis de références
charme sophistiqué que le reste du quartier. À l’intérieur règne
académiques ou d’un Crédit suffisant (50% au moins)
une odeur riche de fumée de cigare et de crème pour la peau hors
peuvent passer une heure ou deux dans le confortable de prix, le décor rappelant un salon littéraire fin de siècle ou un
appartement d’Einstein pour y discuter des complexités salon wilhelmien.
de l’espace-temps et des trous de ver. Ce sera peut-être
même l’occasion de leur laisser entendre qu’il pourrait exis-
L’établissement est dirigé par Kitty Schmidt, dont il tire son nom.
Cette femme voluptueuse, aux airs de Mae West, vient d’avoir cin-
ter d’autres réalités, une perspective des plus inquiétantes.
quante ans, et use de son charme autochtone et de sa vivacité d’es-
Toutefois, ils n’obtiendront pas beaucoup d’informations,
prit pour mettre ses invités à l’aise. Elle est toujours dans les parages
même si la photo fascine Einstein, au même titre que l’his- pour accueillir les visiteurs et les guider au petit salon où les attend
toire qui l’accompagne si les investigateurs la lui révèlent. un album contenant des photos des 20 filles travaillant ici. Kitty
Ceux qui ont investi des points dans la compétence encourage le client à choisir celle qui correspond le mieux à ses
Sciences (Physique) acquiert un jet d’expérience à venir besoins, puis elle téléphone à la prostituée en question, qui rejoint le
après cette discussion édifiante. client dans le parloir où ils peuvent s’asseoir et discuter. Après avoir
bu et bavardé, ils se retirent dans l’une des chambres du deuxième
ou du troisième étage.
223
224
225
Penderie
L’immense garde-robe de Kitty, composée de robes à paillettes, de Deuxième et troisième étages
fourrures de prix, de chaussures italiennes et de chapeaux de Paris, Les deux étages sont agencés de la même façon et comprennent les
est contenue dans ce vaste dressing. « locaux de travail » du Salon Kitty. C’est là que les sorcières du
convent et leurs sœurs non initiées divertissent les clients payants.
Bains
Une immense pièce carrelée, au papier peint satiné bleu ciel, aux Penderie
robinets de cuivre jaune et aux vastes miroirs. Une cheminée et C’est ici que les prostituées du salon se retirent pour changer de
une immense baignoire (suffisante pour accueillir cinq ou six per- tenue, faire leur toilette ou se détendre en privé.
sonnes) dominent la pièce. Le comte Helldorff la loue fréquemment
pour s’y divertir avec deux ou trois de ses filles préférées. Comme
tous les autres locaux affectés aux affaires, celui-ci comporte un Chambres à coucher
mouchard permettant d’enregistrer les conversations. Chaque chambre est conçue pour deux personnes. Un grand paravent
de papier placé entre les lits fournit un peu d’intimité. Les fouets,
badines, menottes et autres liens que l’on trouve dans chacune offrent
Deuxième penderie un certain contraste avec le confort feutré et inoffensif des parloirs
Un autre dressing, de taille similaire à celui de Kitty, mais curieuse- du rez-de-chaussée. Sauf demande particulière de la part d’un client,
ment vide. On n’y trouve ni vêtements, ni chaussures, ni chapeaux… Kitty affecte une fille par chambre pendant les heures d’ouverture.
226
Salle de couture
Deux machines à coudre, plusieurs mannequins et des rouleaux de
tissu permettent aux dames du salon d’entretenir et de créer les élé-
ments de leur garde-robe.
Chambres à coucher
Identiques à celles des deuxième et au troisième étages, ces chambres
sont toutefois réservées aux membres du convent et à leurs alliés.
Salle de cérémonie
Ce vaste espace était peut-être une grande suite autrefois, avec
sa propre cheminée. Aujourd’hui, l’âtre est froid, et le parquet
nu et taché de sang. Sur les murs s’alignent des vitrines pleines
d’étranges reliques destinées aux rituels (un crâne défraîchi gravé
de runes d’un autre monde, une dague de cuivre, de la corde de
soie rouge, etc.).
227
w Wild-boys x
w Wild-boysx
x
Rejetons inattendus du mouvement des Wandervogel (cf. Les Le look standard, si tant est qu’il existe, consiste en un assor-
Éclaireurs apaches, page 20), les Wild-boys de Berlin forment timent hétéroclite de bracelets, de créoles, d’écharpes colo-
un groupe plus ou moins cohérent de prostitués bohémiens. rées, de chapeaux tyroliens et de lederhosen. D’autres bandes
Ces garçons de 14 à 18 ans, généralement des fugueurs, optent pour un aspect plus cohérent : costumes et chapeaux
vivent en périphérie de la ville, au sens propre comme au haut-de-forme, calot et robe de diplômé, voire masques de
figuré. On les trouve pratiquant un style de vie rappelant celui bison en papier mâché.
de Peter Pan et des Enfants Perdus dans des parcs publics,
des entrepôts abandonnés ou sur les docks, squattant dans On les considère généralement comme un fléau urbain, car
des immeubles d’habitation ou vivant en pleine nature dans ils ne gagnent leur vie qu’au moyen d’activités criminelles :
la Grunewald. pickpocket et vol, effraction, vol de voitures, cambriolage et (la
méthode la plus connue) prostitution. Les Taureaux envoient
Ces groupes sont dirigés par un « Taureau », le plus âgé des souvent les plus jeunes membres de la bande arpenter l’Alex
membres. Les nouvelles recrues subissent pour leur initiation ou les Dielen afin d’y trouver des clients.
un bizutage sadique ou scatologique, au terme duquel ils
doivent prêter un serment d’allégeance sur leur sang. Chaque Comme chez les Enfants Perdus, l’âge adulte met un terme
bande (il en existe plus de 200, portant des noms comme « La à la carrière d’un Wild-boy, encore qu’une sorte de rude
bande des sauvages libres », « Pas peur de la mort », « Les fraternité demeure entre les anciens membres qui circulent
pirates de la forêt », « Far West », « Santa Fe », « Gypsy Love » désormais en ville en costume-cravate ou dans l’uniforme
ou « Les garçons cochons ») arbore une apparence distinctive. paramilitaire des SA.
228
Plan de la Kaiser-Wilhelm-Turm
229
Audition ouverte
Jusqu’alors, les investigateurs n’ont pas rencontré le baron von
Grunau, mais ils en ont entendu parler, soit lors d’une conversation
avec Lina Desmond (cf. Lina fait son entrée, page 213), soit en
passant par Aleister Crowley (cf. page 206). Il existe une maigre
chance pour que les investigateurs croisent le baron s’ils se rendent
au Salon Kitty (cf. page 223), encore que dans ce cas, on suppose
qu’ils n’auront pas vraiment l’occasion de s’entretenir avec lui.
S’ils essaient de le trouver, ils trouveront en temps utile la piste
idéale, quoique par un moyen inattendu : le matin du 4 janvier,
un article paraît dans les journaux locaux (Indice : Schreckfilm
3). Si les investigateurs décident de jouer les figurants dans le
film, ils doivent arriver à la Kaiser-Wilhelm-Turm à l’heure indi-
quée dans l’article. Des gardes postés à 400 m du site de tournage
empêchent les curieux d’approcher, à moins qu’ils ne puissent se
servir d’une carte de presse ou de toute autre couverture plausible
pour passer.
Arrivée à l'audition
Il fait encore noir lorsque les investigateurs arrivent à la tour pour
l’audition ouverte. Il fait également très froid, une nappe de brouil-
lard glacé enveloppant la forêt. Lorsque le ciel s’éclaircit, la tour
apparaît vaguement dans la pénombre. Le spectacle qu’elle offre est
un peu inquiétant.
Une centaine d’autres cœurs vaillants se sont aventurés là, interpe-
lés par la publicité du journal. Pour la plupart, il s’agit de désespérés
Note à l’intention du Gardien : les investigateurs qui ont
attirés par la promesse d’un repas chaud et d’un peu d’argent : de
identifié le film du dossier de Desmond se rappellent que
pauvres immigrants, des travailleurs itinérants, des vétérans sans
domicile, etc. Si les investigateurs sont déjà venus à la tour et ont Galeen a réalisé la version de 1926 de L’Étudiant de Prague
rencontré les Wild-boys du coin, ils les reconnaissent également dont il est extrait.
parmi la foule.
Le sommet plat de la colline sur laquelle se dresse la tour accueille
désormais toutes sortes de véhicules et de camions, ainsi que de La comtesse Esterházy
l’équipement de cinéma, y compris trois caméras. Le réalisateur,
Henrik Galeen, circule sur les lieux, gérant la position des camé- En supposant qu’elle n’ait pas succombé à une confrontation avec
ras et dirigeant son équipe. Un test de Trouver Objet Caché réussi les investigateurs (cf. Le Salon Kitty, page 223), la personne qui
permet de repérer une limousine… peut-être y a-t-il également observe ces événements derrière un rideau, à l’arrière de sa berline
une vedette de cinéma dans les parages ? (Cf. La comtesse de luxe, n’est autre que la comtesse Esterházy, accompagnée de son
Esterházy, ci-après.) félinoïde favori (un ancien investigateur, peut-être ?).
230
Berlin est le centre de l’industrie cinématographique euro- Là, elle menace d’arrêter le cœur de l’investigateur (cf. Sortilèges :
péenne, les studios de Babelsberg rivalisant avec ceux de Arrêt Cardiaque, page 242) et d’infliger le même sort à ses com-
Hollywood aux États-Unis. Bien qu’on ait tourné des films pagnons, à raison d’un par jour à compter du coucher du soleil, à
à Berlin presque depuis les débuts du cinéma, la ville n’en-
moins qu’ils ne lui remettent le morceau de pellicule. S’il riposte en
la menaçant à son tour, elle se contente d’éclater de rire et de lui pro-
tame son ascension dans ce domaine qu’en 1912 avec le
mettre des représailles plus graves encore. « Vous avez rencontré mes
tournage de Der Totentanz (La Danse Macabre) avec Asta
familiers, n’est-ce pas ? Tous étaient autrefois mes ennemis, comme
Nielsen, à Babelsberg. D’autres studios se sont installés vous. À présent ils me servent pour l’éternité. Et vous les rejoindrez
dans les banlieues de Weißensee et de Tempelhof, mais bientôt si vous ne faites pas ce que j’exige. »
aussi à bonne distance de la ville, comme à Woltersdorf.
Bien sûr, d’autres événements vont rendre la tentative de coer-
La société de production la plus importante est sans nul cition de la comtesse nulle et non avenue, mais les investigateurs
doute Ufa, en réalité un consortium de sociétés modestes, l’ignorent encore. S’ils lui rendent son morceau de film, elle les
qui possède une chaîne de cinémas à Berlin et dans toute laisse tranquilles… pour le moment.
l’Allemagne. En plus des studios et plateaux de Babelsberg,
Ufa loue des hangars à l’aéroport de Tempelhof pour cer-
tains de ses projets. Au milieu des années 1920, Ufa est Lumière, caméra…
assez importante pour obtenir des contrats de distribution Après avoir déambulé pendant une heure, durant laquelle on distri-
internationale avec la Paramount et la MGM, un vaste seg- bue du café chaud aux figurants qui piétinent et tremblent de froid,
ment de l’économie locale berlinoise étant consacré à la Galeen se dresse sur la base en porphyre de la tour, un mégaphone
production cinématographique et aux nombreux emplois à la main. Le ciel a pris une teinte gris acier, l’aube à proprement
qui en découlent. parler ne se levant que dans une heure.
Le quasi-monopole d’Ufa sur l’industrie du cinéma alle- Parlant dans son mégaphone, Galeen expose le déroulement de la
mande n’est qu’une des clefs de l’émergence de Berlin journée de tournage. Les figurants vont jouer les adorateurs d’un dieu
comme centre cinématographique de premier plan. Un antique, participant à un rituel destiné à l’implorer. Au fil de l’heure
qui suit, on distribue des costumes ainsi qu’une page du script. Les
autre facteur entre en jeu : l’immense vivier de talents que la
tenues sont celles de paysans médiévaux, mal ajustées et de confec-
ville attire. Des réalisateurs comme Fritz Lang, F. W. Murnau,
tion médiocre. On a installé des rideaux dans l’atrium de la tour pour
Josef von Sternberg et G. W. Pabst collaborent avec des que ceux qui se changent disposent d’un minimum d’intimité. Sur
acteurs tels que Conrad Veidt, Emil Jannings, Pola Negri, Lya le script figure une incantation que les figurants doivent prononcer
de Putti, Greta Garbo, Marlene Dietrich et même quelques pendant que les caméras tournent. On distribue du Schnitzel et du
Américains comme Louise Brooks, pour donner lieu à cer- café supplémentaire pendant les derniers préparatifs avant le plan.
taines des visions les plus mémorables du cinéma muet et
Les investigateurs qui veulent fouiner, peut-être dans l’espoir de
des premiers films parlants : Le Cabinet du Docteur Caligari
trouver le Necronomicon volé, reviennent bredouilles : aujourd’hui,
(Wiene, 1920), Nosferatu (Murnau, 1922), Les Nibelungen on filme la grande scène de foule ; pas besoin d’accessoires.
(Lang, 1924), Le Dernier des hommes (Murnau, 1924), Metro-
polis (Lang, 1927), Loulou (Pabst, 1929), L’Ange bleu (Stern-
Les caméras
berg, 1930), M le maudit (Lang, 1931) et bien d’autres encore.
Trois caméras, toutes équipées de pellicule enchantée, sont mises en
place. L’une est stationnaire, réglée pour les gros plans sur Grunau.
La deuxième est montée sur une plateforme mobile dotée de quatre
Il lui faut un moment pour distinguer le visage des investigateurs gros pneus en caoutchouc afin de réaliser les travelings. La troi-
dans la foule, mais elle ne tarde pas à remarquer leur présence (à sième est fixée sur une grue en col de cygne servant aux plans
moins, bien sûr, qu’ils n’aient pris des mesures pour dissimuler leur larges. Compte tenu de cette disposition, seuls ceux qui prennent
identité par des moyens ordinaires ou magiques – cf. Semblance des précautions hors du commun sont à l’abri de l’influence méphi-
d’Autrui page 242, par exemple). tique de la pellicule enchantée : en gros, il faut pour y échapper
se trouver de l’autre côté de la Kaiser-Wilhelm-Turm dès que les
Si elle les reconnaît et n’a pas encore récupéré le morceau de film, la caméras se mettent à tourner. Même alors, le Gardien peut deman-
comtesse se livre à une dernière tentative désespérée pour y parvenir. der un test de Chance si l’investigateur fait quoi que ce soit d’autre
Elle ordonne à un membre de l’équipe du film d’aller chercher un des que de rester sur place et hors champ.
231
L'arrivée du baron Finalement, après des heures d’attente, le site se met à bourdonner
Une fois les caméras installées, une autre limousine se gare et le baron d’activité. D’énormes projecteurs s’allument, de grandes perches de
von Grunau en émerge, vêtu d’un costume bien mieux réalisé, évo- prise de son se déploient, Galeen demande le silence sur le plateau,
quant celui d’un évêque médiéval, mais dépourvu de tout symbole et… ACTION !
chrétien. Il porte à la place des signes bizarres : un test de Mythe de
On entend brièvement le bruit des caméras qui tournent avant
Cthulhu réussi révèle qu’il s’agit de ceux associés au dieu Yog-Sothoth.
que les figurants n’entonnent leur chant. Tous ceux qui se trouvent
L’extrémité de sa crosse représente une déesse à trois visages.
dans le champ des caméras perdent 1D6 points de magie. Ceux
Von Grunau se dirige vers « l’arrière » du décor de la tour, et vers l’escalier qui se trouvent juste à côté d’elles, ou qui peuvent tracer une ligne
qui mène à l’édifice lui-même. Après avoir disparu derrière la base de por- de vue jusqu’à elles sans être pris dans le plan, perdent 1 point
phyre une minute, il reparaît, regagnant le côté de la tour pour prendre de magie.
ses marques au pied, dominant la foule des figurants en contrebas.
Grunau se tourne vers la tour, les bras écartés, la crosse pointée
vers l’extérieur, à l’horizontale. « Yog-Sothoth connaît la Porte.
Note à l’intention du Gardien : si les investigateurs Yog-Sothoth est la Porte. Yog-Sothoth est la clef et le gardien de
souhaitent l’approcher, chacun peut tenter un test de Charme la Porte… »
ou de Baratin pour convaincre l’assistant-réalisateur de les
positionner à l’avant, à une dizaine de mètres ou moins de Quiconque est filmé par les caméras perd encore 1D6+2 points de
von Grunau. La base de la tour se trouve à 4,6 m du sol : un magie ; tous les autres perdent 1D3 points de magie (à moins qu’ils
investigateur qui voudrait agresser physiquement le baron ne soient entièrement dissimulés derrière la tour, comme décrit
devrait faire le tour et passer par les escaliers situés de l’autre précédemment). Ici et là, certains figurants parmi les plus fragiles
côté, comme von Grunau vient de le faire. s’évanouissent.
Tournage à la tour
232
D’étranges nuages se forment au-dessus de la tour. Au bout d’une Celui-ci permet d’accélérer la perte de points de magie, nécessite
minute de tournage, tandis que Grunau et la foule poursuivent leur 2 rounds d’incantation et déclenche un test opposant le redoutable
incantation, tous ceux qui se trouvent dans le champ de vision des POU de 120 dont dispose Esterházy à celui de l’investigateur. Si elle
caméras perdent encore 2D6 points de magie, tandis que les plus l’emporte, elle vole 1D6 points de magie à sa victime. Si elle perd,
proches des caméras perdent 1D6 points. Des dizaines de figu- l’inverse se produit. En outre, la comtesse peut également recourir
rants perdent connaissance, ainsi que certains membres de l’équipe aux sortilèges Déflagration Mentale, Rasoir Spectral, Arrêt Car-
de tournage. diaque et Atrophie d’un Membre si nécessaire.
Les pellicules enchantées gagnent en puissance et pompent l’es- Dès que tous les investigateurs sont tombés à zéro point de magie,
sence vitale de l’assistance. Chaque minute qui s’écoule arrache 2D6 passez à Au plus profond des bois ci-après. Si certains investiga-
points de magie aux figurants et à l’équipe, jusqu’à ce que tous gisent teurs restent éveillés, ils ne font pas le même étrange rêve sylvestre
à terre, inconscients, et que l’on n’entende plus que le ronronnement que leurs homologues, et sont libres d’échafauder les plans de leur
des caméras. choix pour mettre un terme au chaos environnant. Notez toute-
fois que brûler le film qui est en train d’être tourné et ce, une fois
Tant qu’au moins une caméra continue de tourner, les points de
que quiconque a perdu connaissance à cause des effets de ce der-
magie s’évanouissent. Bientôt, tout le personnel et les figurants
nier, serait une très mauvaise idée (cf. Conclusion, page 237, pour
vacillent et s’effondrent. Étrangement fasciné par l’énergie magique
savoir pourquoi).
du film, Galeen refuse de couper.
233
centimètres de sol. En outre, leur forme est clairement artifi- infligés à l’investigateur sont déduits de sa Santé Mentale et
cielle : ils ressemblent davantage à des caricatures qu’à de vrais non de ses points de vie). Sinon, si un ami proche ou un être
arbres, avec des branches disposées selon des angles impossibles, cher à l’investigateur a succombé autrement par le passé,
formant un motif inquiétant, un sombre foisonnement qui part il apparaît sous forme de cadavre vengeur et se plaint de la
dans toutes les directions. même manière. Utilisez le profil des Cadavres vengeurs
Ceux qui lèvent les yeux ne voient pas le ciel, mais une lumière page 241 puis, à la conclusion de cette rencontre, passez à
diffuse et une étendue de néant obscur dépourvue d’étoiles. On Totentanz Noch Einmal (cf. page 235).
éprouve ici la sensation de se trouver sur un plateau géant, mais i L’investigateur peut rencontrer une personne importante
dont on ne perçoit pas les limites, comme s’il s’agissait d’une (mentionnée dans son profil), qui présente désormais la
immense forêt de théâtre. lividité des défunts récents. D’une voix lugubre, elle affirme
être morte, tuée à cause des actes ou de la négligence de
Une intense sensation onirique imprègne l’ensemble du paysage.
l’investigateur (que cette accusation soit fondée ou non).
Un silence absolu règne dans ces bois. Aucun animal ne s’y agite,
Cette vision peut suffire à déclencher un test de réalité :
aucun souffle de vent n’y passe. La température, moyenne plutôt
si l’investigateur refuse de croire à cette nouvelle, il peut
que glaciale, trahit elle aussi un environnement factice. Peu à peu,
effectuer un test de Santé Mentale. En cas de succès, il
les investigateurs avisent des formes spectrales qui se déplacent
émerge du rêve (cf. Conclusion, page 237). En cas d’échec,
dans la brume. Qu’ils restent immobiles ou se mettent à bouger,
il perd 1D8 points de Santé Mentale. S’il subit une folie
l’une d’entre elles se rapproche.
passagère, reportez-vous à Seul et pris de folie dans les
Soudain, une vision effroyable surgit de la brume. Sa nature varie bois, page 235. Sinon, passez à Totentanz Noch Einmal
d’un investigateur à l’autre, et devrait être personnalisée en fonction (cf. page 235).
de leur passé, des événements de ce scénario et de ceux survenus
i Finalement, l’investigateur peut se retrouver face à face
lors des précédentes aventures. Voici quelques suggestions.
avec… lui-même ! Ce double est vêtu d’un costume plus
ordinaire et semble troublé par la présence de l’investigateur.
i Si l’investigateur a utilisé le rituel de Crowley pour
Il affirme que c’est lui l’individu d’origine, prisonnier d’un
changer de visage, l’ancien propriétaire de celui qu’il porte
rêve où l’investigateur n’est qu’une manifestation onirique.
désormais veut récupérer le sien. Les muscles faciaux et la
« Regarde un peu tes vêtements ! On dirait un figurant dans
chair à nu du cadavre brillent dans la pénombre, et ses yeux
un mauvais film ! » Là encore, ceci peut pousser l’investiga-
sans paupière se braquent sur l’investigateur. Dépourvu de
teur à effectuer un test de réalité, avec les mêmes résultats
lèvres, il baragouine en claquant des dents, réclamant sa
que plus haut. Sinon, à la conclusion de cette scène, passez à
peau et griffant son visage (cf. Cadavres vengeurs, page
241). Si la créature inflige au moins 4 dégâts en une seule Totentanz Noch Einmal (cf. page 235).
fois, elle plante ses ongles dans le front de sa victime et
commence à lui arracher la peau. Tous les dégâts infligés
dans le monde des rêves sont déduits de la Santé Mentale Tests de réalité
et non des points de vie (cf. Tests de réalité, ci-après).
Étrangement, l’ancien visage de l’investigateur, ensanglanté L’aspect artificiel de ces bois en noir et blanc peut mettre la puce
et à vif comme de la chair écorchée, se trouve juste en à l’oreille d’investigateurs méfiants et leur laisser penser qu’ils se
dessous. À la conclusion de cette rencontre, au terme de trouvent dans un monde imaginaire. La magie qui a permis à la
laquelle l’investigateur peut tout à fait s’enfuir, passez à comtesse Esterházy de traiter le film les a emprisonnés dans un
Totentanz Noch Einmal page 235. monde onirique qu’ils ont eux-mêmes créé. Même si la comtesse a
i Un des amis ou des contacts de l’investigateur s’est suicidé été détruite auparavant, la vision persiste.
au cours du scénario ? La personne en question sort du La seule issue, pour le moment, consiste à comprendre qu’il ne s’agit
brouillard, les vêtements trempés, la peau boursouflée et que d’une terrible illusion, rien de plus. En effet, les investigateurs
livide, couverte d’innombrables lésions et plaies infligées ne peuvent pas être blessés physiquement dans la forêt de rêve : tous
par les poissons de la Havel à sa chair morte. Ce cadavre les dégâts qui leur sont infligés ici sont déduits de leur Santé Men-
vengeur n’attaque pas physiquement l’investigateur, mais se tale plutôt que de leurs points de vie.
met à sangloter et à gémir, les poumons pleins d’eau, en lui
demandant pourquoi il n’a rien fait pour le sauver. Deman- Le seul moyen d’échapper aux bois oniriques avant que la folie per-
dez-lui un test majeur de POU : en cas d’échec, il perd 1D8 manente ne s’installe consiste à réussir un test de réalité (cf. Manuel
points de Santé Mentale. Le cadavre continue à le suivre du Gardien, page 163). Les tests de réalité sont toujours volontaires,
et à le haranguer de la sorte à moins que l’investigateur ne et un échec provoque la perte de 1 point de Santé Mentale tandis
l’attaque : il fuit alors après avoir perdu au moins la moitié qu’un succès ramène l’investigateur au monde réel (cf. Conclusion,
de ses points de vie (rappelez-vous que tous les dégâts page 237).
234
Comme les investigateurs ont peu de risques de subir une folie pas- et l’architecture expressionniste de l’église sont d’autres indices
sagère au début de leur vision, l’idée de recourir à un test de réalité quant à la nature irréelle de la situation.)
ne leur viendra peut-être pas à l’esprit. Un Gardien généreux peut
Certains squelettes portent des robes de prêtres, d’autres des vête-
leur laisser des indices quant au caractère irréel, cauchemardesque
ments de paysans médiévaux. Un groupe d’entre eux jouent de fifres
et artificiel des bois et de leurs habitants. Des indices issus des règles
taillés dans des fémurs et tapent sur des tambours avec des tibias.
de jeu (comme la perte de Santé Mentale au lieu de points de vie)
C’est une mélodie funèbre, mélancolique : un test d’Arts et métiers
peuvent leur mettre la puce à l’oreille. Finalement, si un investiga-
(Musique) identifie une Totentanz (une danse macabre) du 15e siècle.
teur subit une folie passagère dans les bois, l’effet (ironiquement)
les conduit à croire qu’il a une hallucination, et lui suggère qu’un Sans doute avec une pointe de soulagement, les investigateurs res-
test de réalité est à l’ordre du jour. Si tout échoue, un test d’INT aide tants s’aperçoivent les uns les autres, émergeant tous de différents
l’investigateur à comprendre la situation. points des bois. Ils voient une procession qui pénètre dans le cime-
tière. Elle porte au moins un cercueil, et peut-être davantage. Si des
Les investigateurs qui réussissent leur test de réalité sont hors-jeu investigateurs ont subi une folie passagère dans les bois, il y en a un
pour le moment. Le Gardien ne doit pas leur révéler immédiate- de plus par personne affectée de la sorte. La scène effrayante inflige
ment leur sort, et se contentera donc de leur dire : « Vous fermez les un test de Santé Mentale (perte de 0/1D3 points).
yeux de toutes vos forces. Tout devient noir et silencieux. »
La première inhumation ne se déroule pas sans heurt. De l’inté-
rieur du cercueil proviennent les cris étouffés d’un homme qui se
Seul et pris de folie dans les bois débat désespérément pour sortir. Si des investigateurs sont eux
Si un investigateur subit une folie passagère lorsqu’il est seul dans aussi dans des cercueils, ils ajoutent leurs propres hurlements à
les bois, il s’évanouit. À son réveil, impossible de dire combien de la cacophonie.
temps s’est écoulé. Il se rend d’abord compte qu’il est étendu sur le
Heureusement, il est relativement facile d’intervenir. Les squelettes
dos, et qu’il oscille doucement. En ouvrant les yeux, il ne découvre
sont vulnérables aux dégâts physiques (cf. Squelettes, page 241) et
que le noir absolu. S’il tente de bouger les bras ou les jambes, il com-
il est facile de les disperser. Une fois qu’on en a détruit un ou deux,
prend qu’il se trouve dans un cercueil, et entend le son étouffé d’un
les autres s’effondrent, réduits en tas d’os et de poussière.
tambour et d’un fifre au travers des parois de sapin.
Si les investigateurs ouvrent le cercueil, ils découvrent le baron von
Soudain, on le dépose brusquement. Puis vient le bruit des pelletées
Grunau en personne. Toujours vêtu de sa curieuse robe ecclésias-
de terre sur le couvercle du cercueil. On l’enterre vivant ! Deman-
tique, il est en nage, les yeux exorbités, presque fou de terreur. Si
dez-lui un test de Santé Mentale (perte de 1D3/1D6 points). L’in-
les investigateurs l’ont tué avant de s’évanouir, il porte les traces des
vestigateur malheureux se trouve encore dans le monde onirique
blessures qu’ils lui ont infligées, mais semble intact par ailleurs. Il
et peut tenter un test de réalité s’il songe à le faire. Sinon, il est
s’extrait du cercueil et les regarde, comme pour s’assurer qu’ils le
impossible de s’échapper du cercueil. Pour plus de détails sur ce qui
suivent. « Vite, à la chapelle ! »
se déroule à l’extérieur, consultez la section Totentanz Noch Ein-
mal, ci-dessous. Si les investigateurs hésitent, Grunau s’arrête devant la porte. « Je
crois que notre seule issue se trouve ici. Suivez-moi si le cœur vous en
dit, ou restez ici à vos risques et périls ! » Sur ces mots, il disparaît à
Totentanz Noch Einmal
l’intérieur dans un dernier effet de cape. Si d’autres investigateurs
Après son affreuse rencontre dans les bois (ou après l’avoir fuie), sont prisonniers des cercueils, c’est le moment de les en libérer.
l’investigateur entend sonner une cloche au loin. En suivant le bruit
dans la forêt artificielle, il aperçoit une église médiévale sur une col-
line escarpée. Les dimensions et les proportions du bâtiment sont Note à l’intention du Gardien : si la comtesse a été brûlée
exagérées, dans un style déformé et anguleux rappelant les décors dans le monde réel, elle peut réapparaître ici, car c’est
des films expressionnistes d’il y a dix ans : tous les angles sont sub- désormais sa demeure, son monde onirique personnel. Elle
tilement biaisés, dessinant des formes démentes et se terminant a repris un aspect charnel (bien que noir et blanc, comme
tout le reste ici), mais sa peau est affreusement brûlée, et ses
en pointes menaçantes. Le clocher se tord et tourne sur lui-même,
traits affreux infligent un test de Santé Mentale (perte de
s’élançant vers le ciel terne, son beffroi s’inclinant tellement qu’on
1/1D4 points). L’investigateur qui a brûlé le film perd 1 point
craint qu’il ne s’effondre à tout moment.
de Santé Mentale supplémentaire. La comtesse ne peut pas
Une enceinte de pierre basse borde l’église, à l’intérieur de laquelle être tuée dans son propre rêve : toutefois, lui infliger 1 dégât
se trouve un cimetière. Les pierres tombales s’y dressent comme la « dissipe » assez longtemps pour que les événements qui
des rangées de dents brisées, penchées et inclinées dans des angles suivent se déroulent jusqu’au bout. Comme dans le monde
délirants, à l’image de l’église elle-même. Parmi ces tombes titubent réel, elle laisse libre cours à sa colère contre les investigateurs,
des squelettes animés qui se meuvent par à-coups, comme contrô- mais ne leur fait perdre que de la Santé Mentale et non des
lés par un marionnettiste invisible. (Leurs mouvements saccadés points de vie.
235
À l'intérieur de l'église complètement fou, sacrifie les derniers vestiges de sa Santé Mentale,
L’église est vide : ni bancs, ni autel, ni statues... Juste un sol de pierre se lardant de coups à l’aide d’un morceau de verre et répandant un
nu et, au bout de la nef, un vaste pupitre. Les murs, le sol et le pla- flot de sang tandis qu’il invoque Yog-Sothoth.
fond sont manifestement peints pour ressembler à de la pierre, et
une odeur de peinture fraîche est même perceptible. Sur le pupitre « Par l’œil lunaire, par le captif, par celui qui fut libéré,
repose un ancien in-folio de plusieurs centaines de pages, relié dans Par Samas, Gibil et Nusuku, par le Très Haut
une sorte de cuir noir désormais craquelé et écaillé. Nom d’Ea,
Par les Sept Démons, Gardien, que s’ouvre la Porte !
Quand les investigateurs entrent, Grunau déclare : « La comtesse
Par le Chaos, par le Néant, par la Lumière,
Esterházy m’a aidé à cacher ici le Necronomicon que j’avais volé à la
Bibliothèque d’État. Quel dommage que ce jeune homme nous y ait par les Ténèbres,
surpris, mais de toute évidence, tous ceux qui cherchent à employer Par l’Air, par le Feu, par l’Eau, par la Terre,
cet ouvrage doivent le payer avec du sang. » Clef, ouvre la Porte !
Par mon serment sacré,
Si on l’interroge sur cette cachette, le baron explique : « Oui, c’est
Laisse passer ceux qui veulent sortir !
un espace qui existe hors de notre plan. La pellicule des caméras crée
un pont vers ce monde des rêves, voyez-vous. Les rêves de la com-
Laisse passer ceux qui veulent entrer !
tesse, d’ailleurs. Elle vit ici, dans ce monde. » Il observe les environs Laisse-nous contempler la Lumière Secrète !
et tressaille, puis se dirige vers le livre. « Tout ce rituel n’était qu’une Laisse-nous contempler l’Obscurité Aveuglante !
absurdité, une farce pour les caméras. Mais de toute évidence, il a Déchire le Voile ! Brise le Miroir ! Révèle l’Illusion !
bien eu un effet, car nous sommes bel et bien ici. Ce n’était pas censé Vois, la Porte s’ouvre ! »
arriver. Du moins, pas à moi… »
Assister à ce terrible rituel inflige un test de Santé Mentale (perte
Le baron déverrouille le fermoir de la couverture. Avec un effort de 1/1D6 points). La peau en lambeaux, la robe trempée de sang, le
évident, il ouvre le livre à un endroit marqué, à peu près au milieu, baron termine son incantation en crescendo, et un bruit de déchire-
et passe le doigt sur la page enluminée. Des investigateurs curieux ment assourdissant provient des poutres du toit. Celui-ci se détache
qui regarderaient par-dessus son épaule voient des images d’une dans un fracas épouvantable, comme emporté par une tornade.
vaste gueule hérissée de crocs qui s’ouvre dans le ciel, tandis que des
hommes s’agenouillent dans une posture de supplication. Effectivement, un vent terrifiant souffle dehors et s’abat sur l’église.
Haut dans le ciel, de grands nuages scintillants se rassemblent,
« Voici le rituel d’origine. La Canalisation de Yah-Zek. Elle invoque déferlant et bouillonnant comme une mer déchaînée. Contraire-
la Clef et la Porte. Vu que nous nous trouvons actuellement dans une ment au reste du décor irréel, ils apparaissent dans des couleurs
autre dimension que la nôtre, je crois que la meilleure solution pour vives : verts, jaunes, orange et bruns. Parmi les nuées une multitude
s’en échapper consiste à appeler cette… chose. » d’yeux écument et tournoient. Puis une gigantesque gueule aux
Les investigateurs sont libres d’accepter ou non. C’est leur dernière grandes dents s’ouvre, aspirant le vent, les arbres factices, les pierres
chance de demander un test de réalité et de s’échapper sans mal du tombales, les squelettes et l’église elle-même.
rêve. Rien ne saurait persuader le baron de faire de même : il est Assister à cette apparition de l’effroyable Yog-Sothoth inflige un test
bien trop ancré dans cette réalité pour s’en évader par un simple de Santé Mentale (1D10/1D100), mais le rituel fonctionne ! Dans le
effort de volonté. Pour lui, c’est Yog-Sothoth ou rien. chaos et la confusion, les investigateurs regagnent le monde réel…
Si les investigateurs acceptent de l’aider, il en est ravi. « Excellent ! à l’exception de ceux qui sont tombés à zéro en Santé Mentale. Ces
Vous savez déjà ce que vous avez à faire : prononcer l’incantation âmes infortunées restent prisonnières à jamais d’une vision oni-
de vos scripts. Vous pouvez également participer en versant du sang. rique issue de leur propre cerveau : leur esprit retourne à leur der-
Mais pas d’inquiétude ! Juste un peu ! Ou un peu plus, si vous vou- nier souvenir heureux avant qu’ils ne soient impliqués dans toutes
lez… » Il glousse, commençant à sombrer dans la démence. « Brisez ces mésaventures. Complètement catatoniques dans le monde réel,
céans ces vitraux et mortifiez votre chair, mes disciples ! » ils arborent un sourire béat qu’ils conserveront jusqu’à leur mort :
mentalement, ils glissent sur le toboggan aquatique d’un Luna Park
Si les investigateurs acceptent, ils peuvent contribuer à la réserve
de rêve ou en empruntent les montagnes russes. Peut-être est-ce
de succès en y ajoutant autant de points de vie qu’ils le souhaitent.
mieux ainsi.
Rappelez-vous qu’ils n’ont pas de points de magie à fournir pour le
moment. Toutefois, s’ils ont évité les dégâts « physiques » jusqu’ici Une dernière note : si la comtesse Esterházy n’a pas été détruite, l’ir-
dans le monde onirique, ils découvrent qu’ils perdent des points ruption de Yog-Sothoth dans son monde onirique suffit largement
de Santé Mentale plutôt que des points de vie lorsqu’ils s’entaillent, à triompher de son insignifiante magie. Au moment où ils sont
même s’ils saignent bel et bien. Des investigateurs qui ne souffrent aspirés dans la gueule de Yog-Sothoth, les investigateurs l’entendent
pas d’une folie passagère ne peuvent pas sacrifier plus de 5 points pousser un cri à glacer le sang tandis que son essence, réduite en
de Santé Mentale de la sorte. Chaque point sacrifié augmente de charpie, se trouve expédiée aux quatre coins de l’univers et que son
1% les chances de succès du sort. Le baron von Grunau, désormais univers onirique s’effondre sur lui-même.
236
Conclusion
Les investigateurs qui se réveillent en ayant conservé leur Santé Men- Caméra gâchée ?
tale se retrouvent de nouveau au pied de la Kaiser-Wilhelm-Turm. Quel effet aurait le film, si on le terminait et s’il sortait ?
Tout autour, des hommes et des femmes gisent, inconscients ou Eh bien, dans l’esprit de la nouvelle Nyarlathothep de
en train de gémir. Certains reprennent connaissance et regardent
Lovecraft et de la pièce maudite Le Roi en Jaune dont parle
autour d’eux, paniqués. Les membres de l’équipe de tournage
Robert Chambers, ceux qui assistent à ce spectacle étrange
observent, hébétés. Galeen a enfin crié « coupez ! » Quelques
en reviennent changés à jamais, et pas dans le bon sens.
secondes seulement se sont écoulées en temps réel.
Il n’est point de lieu à l’abri de son influence et, pourtant,
La situation dépend évidemment de la présence ou non de la com- bien qu’au courant des horreurs qu’il provoque, les specta-
tesse Esterházy. Si elle est encore « vivante » (une possibilité si le teurs sont attirés par le film comme des papillons par une
baron a échoué à invoquer la Clef et la Porte, en particulier si per-
flamme. Peu à peu, il répand démence et malheur, reflet
sonne ne l’a secouru lorsque les squelettes l’enterraient), il est temps
estompé, mais toujours puissant des vérités troublantes
pour elle de déchaîner ses pouvoirs magiques, ainsi que de requérir
l’aide de son félinoïde favori. qu’abrite le véritable Necronomicon, et le monde s’enfonce
peu à peu dans le chaos et la violence.
Si les investigateurs ont tué von Grunau avant de s’évanouir, il reste
mort, et son âme se déchire lorsque l’église du monde des rêves s’ef-
fondre autour de lui. S’il est encore en vie, il se relève péniblement
lui aussi. Il regarde les investigateurs, puis les caméras, le visage
transformé en masque dément. « Vous devez… vous devez brûler exposition au film enchanté et des étranges événements dont il a
la pellicule. TOUTE la pellicule. DÉTRUISEZ TOUT ! » Il termine été témoin au pied de la tour. S’il parvient à conserver le script, il
cette admonestation dans un cri déchirant. Des flammes lui lèchent pourrait persévérer dans son désir de réaliser le film.
alors le visage, surgissant de sous sa robe. En quelques secondes,
il n’est plus qu’une torche vivante : ce sont les ultimes représailles
exercées par la comtesse tandis que son âme et le monde onirique Et la comtesse ?
qu’elle habitait éclatent en morceaux à cause de l’invocation de
Yog-Sothoth par le baron. Il reste concevable que la comtesse survive à ce scénario. Si d’autres
aventures attendent nos braves investigateurs dans cette période où
Si les investigateurs ont déjà réglé le cas de la comtesse, ou s’ils la République de Weimar s’apprête à basculer, elle peut intervenir
sont revenus grâce au rituel de von Grunau et l’ont donc anéantie pour leur mettre des bâtons dans les roues, voire pour s’opposer
indirectement, plus personne ne les empêche de brûler le film tan- directement à eux. Après le Machtergreifung des nazis, de janvier
dis que l’immolation du baron provoque la panique et que tout le à mars 1933, la comtesse Esterházy s’attire lentement et habile-
monde se rue en hurlant dans les bois. ment leurs bonnes grâces, établissant une étroite relation de travail
Le film est en nitrate et prend feu comme s’il n’attendait que ça. Les avec Goebbels et Himmler. Le Salon Kitty devient une source
investigateurs ont-ils seulement pris la peine de réveiller tous les d’espionnage pour la Gestapo et le Sicherheitsdienst (la branche du
figurants, ainsi que leurs propres amis encore inconscients ? Si tel renseignement des SS). Nous souhaitons bonne chance aux investi-
n’est pas le cas, l’instant cathartique se transforme en épouvantable gateurs qui chercheront à l’arrêter après cela.
spectacle : tout autour d’eux, les figurants endormis se mettent à
hurler en se tordant de douleur, leurs corps émettant une épaisse
fumée. Ils prennent subitement feu, tous en même temps, et brûlent Récompenses
de l’intérieur comme le baron. Si les investigateurs n’ont pas pensé
à les réveiller, 6D10 personnes étaient encore inconscientes et pri- Accordez une dernière phase de développement à la fin de ce scé-
sonnières de la forêt des songes. Reportez-vous aux Récompenses nario, puis chaque investigateur survivant reçoit les points de Santé
ci-après pour connaître les conséquences de cet acte inconsidéré. Mentale suivants :
Maintenant que von Grunau est mort et que la pellicule de Das i pour avoir détruit le film enchanté : +1D10 points
Necronomicon est détruite, les investigateurs, mentalement trau-
i pour avoir laissé les figurants brûler vifs dans le bois des
matisés et peut-être physiquement changés à jamais, peuvent se
songes : -2D6+2 points
consoler en se disant qu’ils viennent d’empêcher une catastrophe
à l’échelle planétaire. Ils songeront peut-être à récupérer tous les i pour avoir détruit la comtesse Esterházy : +1D8 points
exemplaires du script, et seraient bien avisés de le faire. Von Grunau i pour avoir détruit toutes les copies du script de Das
n’est peut-être plus de ce monde, mais d’autres pourraient reprendre Necronomicon : +1D6 points
le flambeau et tenter de réaliser ce film étrange. Henrik Galeen,
en particulier, en ressent curieusement le besoin, en raison de son
237
238
Compétences
OFFICIER DE POLICE BERLINOIS, Baratin 50%, Charme 40%, Discrétion 50%, Grimper 60%,
Intimidation 30%, Lancer 50%, Langues (Allemand) 50%,
FOR 55 CON 65 TAI 55 DEX 55 INT 60 Psychologie 35%
APP 55 POU 60 ÉDU 60 SAN 60 PV 12
Imp : 0 Carrure : 0 MVT : 8 PM : 12 CAMIONNEUR COSTAUD,
Combat FOR 75 CON 60 TAI 85 DEX 50 INT 65
Corps à corps 45% (22/9), dégâts 1D3
APP 55 POU 80 ÉDU 55 SAN 80 PV 14
Luger modèle P08 50% (25/10), dégâts 1D10
Imp : +1D4 Carrure : 1 MVT : 7 PM : 16
Fusil Gewehr-98 45% (22/9), dégâts 2D6+4
Esquive 40% (20/8) Combat
Corps à corps 60% (30/12), dégâts 1D3
Compétences
Esquive 25% (12/5)
Comptabilité 20%, Conduite 40%, Droit 50%, Écouter 40%,
Équitation 25%, Grimper 40%, Intimidation 35%, Langues
(Allemand) 60%, Pister 35%, Premiers soins 50%, Psycho-
logie 50%, Trouver Objet Caché 65%
Combat
Corps à corps 70% (35/14), dégâts 1D3+1D4 ou coup de
poing américain 1D3+1+1D4
Petite matraque 70% (35/14), dégâts 1D6+1D4
Nahkampfmesser* 70% (35/14), dégâts 1D4+2+1D4
Esquive 30% (15/6)
* Terme allemand désignant un couteau de tranchée.
239
240
Sortilèges : Absorption d’Énergie*, Arrêt Cardiaque*, Atrophie Résistant : il est relativement facile de briser des os séchés
d’un Membre, Déflagration Mentale, Domination, et friables d’un bon coup. Hélas, aucune partie d’un
Malédiction du Félinoïde*, Rasoir Spectral*, Signe des squelette n’est plus vulnérable qu’une autre. Toute
Anciens, Terrible Malédiction d’Azathoth attaque endommageant un squelette a une chance de le
Perte de Santé Mentale : 0/1D6 points à la vue d’Ágnes détruire égale à cinq fois les dégâts infligés (sur 1D100).
Esterházy sous sa projection tridimensionnelle. Par exemple, un coup de hache infligeant 8 dégâts à un
squelette a 40% de chances de l’anéantir. S’il n’est pas
* Cf. Sortilèges, page 242
détruit par une attaque, le squelette l’ignore totalement.
Compétences Appliquez un dé malus aux attaques effectuées à l’aide
Arts et métiers (Comédie) 60%, Charme 75%, Langues d’une arme pouvant empaler, dont les balles, puisque la
(Allemand 50%, Anglais 40%, Français 50%, Hongrois 60%, cible est « creuse ».
Russe 30%), Mythe de Cthulhu 35%, Occultisme 85%, Protection : résistant (cf. ci-dessus)
Persuasion 55%, Psychologie 45% Perte de Santé Mentale : 0/1D6 points à la vue d’un
squelette.
CADAVRES VENGEURS,
Combat
Attaques par round : 1 (griffes, morsure)
Combat rapproché 30% (15/6), dégâts 1D3+1D4
Esquive : n’ayant aucune volonté, le cadavre vengeur n’a pas
cette option.
Protection : les blessures graves infligées au corps font
perdre un membre. Pour le reste, ignorez les dégâts,
exceptés ceux portés à la tête (un dé malus pour les tests
e
.
'
el
vengeur.
F
SQUELETTES,
Combat
Attaques par round : 1 (griffes, morsure)
Griffes 45% (22/9), dégâts 1D3
Esquive 30% (15/6)
241
Semblance d’Autrui Crée une lame invisible qui peut servir d’arme. Le
sortilège coûte 2 points de magie par round où la
Coût : 10 points de magie ; 5 POU ; 1D6 points de lame immatérielle perdure. Le lanceur l’emploie à
Santé Mentale l’aide de la compétence Combat rapproché (Corps
Temps d’incantation : 2 rounds à corps), comme s’il maniait un couteau réel (il doit
donc frapper pour percer et taillader avec la main qui
Permet au lanceur du sort ou à quelqu’un d’autre << tient >> le couteau intangible). La lame inflige
d’adopter le visage d’autrui. Le lanceur doit avoir 1D6 dégâts en cas d’attaque réussie, peut empaler
accès à la peau du visage d’une autre personne (mais ne bénéficie pas de bonus aux dégâts) et peut
(qui doit avoir été écorchée durant les dernières blesser les créatures que seule la magie affecte. Elle
24 heures). En posant l’épiderme ensanglanté ne peut pas rester plantée dans la victime.
sur le visage à transformer, le lanceur récite une
Si le lanceur du sort devient fou alors qu’il tient
courte prière à Nyarlathothep. La peau se fond
encore le rasoir, la lame prend vie et lui échappe
dans le visage de la cible, lui conférant l’apparence
pour s’envoler aux alentours et attaquer au hasard
de son précédent propriétaire (l’APP change en
tous ceux qui se trouvent là. Dans ce cas, les
conséquence). Le nouveau visage est permanent,
tentatives visant à esquiver la lame subissent un
mais peut être retiré en inversant la prière et en
dé malus, et si l’esquive est ratée, le rasoir touche
payant à nouveau le coût.
automatiquement. Il continue de frapper de la sorte
Note à l’intention du Gardien : malheureusement, pendant 1D4+1 rounds avant de disparaître.
à l’insu d’Aleister Crowley, ce nouveau visage
ne dure qu’un nombre de jours égal au double du
POU de celui qui le porte. Ensuite, la peau se met Arrêt Cardiaque
à pourrir, réduisant l’APP de 5 points par jour. À (variante approfondie)
moins qu’on n’inverse le sortilège et qu’on retire le Coût : 14 points de magie ; 2D6 points de Santé Mentale
visage, le porteur ressemble à un cadavre ambulant
et risque de provoquer des tests de Santé Mentale Temps d’incantation : 2 rounds
chez ceux qui le voient (perte de 0/1D3 points). Si Inflige à la cible une grave crise cardiaque. Pour que
le porteur ne parvient pas à retirer le visage et que le sortilège fasse effet, le lanceur doit réussir un
son APP tombe à zéro, il subit une perte de 1 point test de POU opposé à celui de la cible, qui doit se
de Santé Mentale par jour jusqu’à ce qu’il sombre trouver dans son champ de vision. En cas de succès,
définitivement dans la folie. la cible perd 4D6 points de vie. Si elle survit, elle ne
peut rien faire pendant 2D10 rounds.
Les livres et autres médias qui suivent ont constitué une inspiration Levenda, Peter. L’Alliance Infernale : Une histoire de l’implication
directe ou thématique durant la création de Berlin la Dépravée, et nazie dans l’occulte. New York: Continuum, 2002, traduit en fran-
pourront également servir aux Gardiens et aux joueuses. çais chez Camion Noir, 2008.
Lutes, Jason. Berlin T01 : La Cité des pierres . Montreal, Quebec:
Drawn& Quarterly, 2001, traduit chez Delcourt, 2009.
Publications Lutes, Jason. Berlin T02 : Ville de fumée. Montreal, Quebec: Drawn
& Quarterly, 2008, traduit chez Delcourt, 2009.
Baedeker, Karl. Berlin et ses environs, 1923, traduit chez Nabu
Press, 2012 Lutes, Jason. Berlin T03 : Ville de lumière. Montreal, Quebec: Drawn
& Quarterly, 2018, traduit chez Delcourt, 2019.
Baum, Vicki. Grand Hôtel, 1929, traduit chez Phébus, 2007
Magida, Arthur J. The Nazi Seance: The Strange Story of the Jewish
Churton, Tobias. Aleister Crowley: The Beast in Berlin: Art, Sex, and Psychic in Hitler’s Circle. New York: Palgrave Macmillan, 2011.
Magick in the Weimar Republic. Rochester,
Metzger, Rainer et Christian Brandstätter. Berlin. Les années vingt:
Vermont: Inner Traditions, 2014. (Lire en français, du même auteur Art et culture 1918-1933. New York: Abrams, 2007, traduit chez
« Aleister Crowley, la Biographie », Camion Noir, 2016)
Hazan, 2006.
Flowers, Stephen E. The Fraternitas Saturni—or Brotherhood of
Nabokov, Vladimir et Dmitri Nabokov. Nouvelles. Paris : Robert
Saturn: An Introduction to Its History, Philosophy and
Laffont, 1999
Rituals. Smithville, TX: Runa-Raven, 2006.
Roth, Joseph, Michael Hofmann et Michael Bienert. What I Saw:
Gill, Anton. A Dance between Flames: Berlin between the Wars. New Reports from Berlin, 1920–1933. New York: Norton, 2003.
York: Carroll & Graf, 1994.
Tucholsky, Kurt et Eva C. Schweitzer. Berlin! Berlin! Dispatches from
Gordon, Mel, Sebastian Droste et Anita Berber. The Seven Addic- the Weimar Republic, 1907–1932. New
tions and Five Professions of Anita Berber: Weimar
York, NY: Berlinica LLC, 2013.
Berlin’s Priestess of Depravity. Los Angeles, CA: Feral House, 2006.
Ulrich, Barbara. Hot Girls of Weimar Berlin. Los Angeles, CA: Feral
Gordon, Mel. Voluptuous Panic: The Erotic World of Weimar Berlin. House, 2002.
Los Angeles: Feral House, 2000.
Yeats, W. B. “The Second Coming.” The Collected Poems of W.B.
Isherwood, Christopher. Adieu à Berlin. New York: James Laughlin, Yeats. New York: Macmillan, 1956.
1954, traduit en français chez Grasset, 2014.
Jung, Carl Gustav, Sonu Shamdasani, Mark Kyburz, et John Peck.
Le Livre Rouge. New York (NY): W. W. Norton, 2009, traduit chez
Les Arènes, 2012.
243
244
Indice : Diable 1
245
Indice : Diable 2
Indice : Diable 3
246
Indice : Diable 6
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Indice : Ballet 2
249
Indice : Ballet 3
Indice : Ballet 5
250
Indice : Schreckfilm 3
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Indice : Schreckfilm 2
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Plan du Ku’damm
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Max Hermann-Neiße..................................................................................... 77
G Max Reinhardt.............................................................................................. 81
George Grosz..................................................................................... 73 s., 244 Médias et communication........................................................................ 36 s.
Gestohlener Blitz, élixir................................................. 164, 182 s., 187, 199 Ménades........................................................................................ 184, 186, 196
Gregor Gregorius..................................................... 61, 152, 176 s., 195, 198
Großes Schauspielhaus, théâtre............................................................. 184 s.
Grunewald, forêt de.................................................................. 34, 227 s., 233
N
Natasha Alexandrovna, princesse............................................................. 140
H Nyarlathotep........................................................................ 89, 190, 198, 242
Hécate....................................................................................... 214 s., 219, 224
Henri Châtin-Hofmann................................. 150, 157 s., 163 s., 180 s., 194
Hilde-Film............................................................................... 19, 99, 148, 202 O
Occupations des investigateurs.............................................................. 16 s.
Ombre-Ville............................................................................................. 188 s.
I Ordre indépendant des Hiboux........................................... 18, 99, 148, 202
Institut de sexologie............................................................................ 50 s., 78 Organisations pour investigateurs.......................................................... 18 s.
Inveha, librairie occulte.......................................................................... 175 s. Otto Dix............................................................................................. 73 s., 244
Investigateur.rice.s LGBTQI.................................................................... 52 s.
Ishtar..................................................................................................... 176, 180
P
Palais de l’Occulte.................................................................................... 220 s.
J Paul von Hindenburg.............................................................................. 85 s.
Jean Ross........................................................................................................ 82 Prostitution ............................................................................................... 54 s.
Joseph Goebbels............................................................................................ 76 Puits des trépassés.............................................................................. 190, 193
Joseph Roth.....................................................................................................82 Pyotr Shabelsky-Bork (alias le prince Gabriel Constantinovitch)...... 101,
109 s., 138
K
Käthe Kollwitz.................................................................................... 73 s., 244 R
Kitty Schmidt...................................................................... 208, 223, 226, 240
Rabisu................................................................................................. 161 s., 195
Krieg, inspecteur de police.............................................. 102, 119 s., 139,
206 s., 238 Residenz-Casino (« Le Resi »)................................................................... 168 s.
Kurt Tucholsky....................................................................................83 s., 243 Rotte, membre des.............................................................................. 213, 239
Kurt Weill...................................................................................... ..................87 Rudolf von Laban.............................................................................. 173, 179
Ruth Fischer................................................................................................. 75 s.
L
Lilith..................................................................................... 176, 180, 184, 219 S
Lina Desmond..................................................................................... 203, 238 Salon Kitty................................................................................................. 223 s.
Lola Niedlich.............................................................................................. 79 s. Sasnovski.............................................................................................. 101, 112
Luna Park.................................................................................................. 208 s. Scénario, accroches de.............................................................................. 91 s.
Lustmord........................................................................................................ 97 Sebastian Droste....................................................................... 97, 116 s., 153,
Lya de Putti..................................................................................................... 72 156, 163, 243
Secte Borborite............................................................................................. 164
Serviteur des Dieux Extérieurs................................................................... 90
M Shub-Niggurath..................................................... 89 s., 95, 152, 186 s., 190
Magnus Hirschfeld.............................................................................50, 52, 78 Sigfried Schröder............................................................................... 131, 142
Manfred Freiherr von Killinger................................................. 97, 102, 138 Société du Vril.............................................................................................. 61
Manikin........................................................................151, 164, 178, 193, 199 Société théosophique........................................................................... 61, 108
Margo Lion.......................................................................................... 207, 218 s. Sorcières du convent.............................................................................. 240
Mark, valeur du............................................................................................... 57 Squelettes..................................................................................................... 241
Marlène Dietrich............................................................................................ 72 Svastika........................................................................................................ 109
270
Y
Yog-Sothoth...................................................... 89, 94, 198, 232, 236 s., 239
Sortilèges
Absorption d’Énergie................................................................................. 242
Grimoires Arrêt Cardiaque (variante approfondie)................................................. 242
Création de Poupée Vivante (variante de Création de Golem)............... 199
Das Necronomicon............................................................................ 198, 201 Festivités sans Fin (Fête Dionysiaque)..................................................... 199
De Vermiis Mysteriis......................................................................... 132, 134 Fin de Partie (Possession)........................................................................... 145
Journal de Großmann, Le.......................................................................... 145 Malédiction du Félinoïde (variante)........................................................ 242
Lettres magiques de la Fraternitas Saturni.............................................. 198 Promotion du Pion (Possession de Cadavre).......................................... 145
Malleus Maleficarum................................................................................. 219 Rasoir Spectral............................................................................................ 242
Semblance d’Autrui..................................................................................... 242
Stimulation d’Engeance des Brumes (variante)..................................... 199
Indices
La seconde entrée correspond à la version destinée aux joueuses.
Ballet 1.................................................................................................. 166, 249 Légende
Ballet 2.................................................................................................. 167, 249
s. – abréviation pour « suivante(s) » indiquant que l’entrée
Ballet 3.................................................................................................. 171, 250
Ballet 4................................................................................................... 171, 249 se poursuit au-delà de la page indiquée.
Ballet 5................................................................................................... 192, 250
Diable 1................................................................................................ 107, 245
Diable 2................................................................................................ 109, 246
Diable 3................................................................................................ 110, 246
Diable 4................................................................................................. 126, 247
Diable 5................................................................................................ 128, 247
Diable 6................................................................................................ 128, 247
Diable 7................................................................................................ 133, 248
271
DAVID LARKINS s’est initié à L’Appel de Cthulhu la veille d’un anni- LYNNE HARDY a découvert les jeux de rôle à l’université grâce
versaire en 1992, et demeure un Gardien et joueur dévoué depuis au… football américain. Depuis, elle a travaillé pour plusieurs socié-
lors. Résident de Santa Fe, au Nouveau-Mexique, David porte de tés produisant des jeux, que ce soit comme rédactrice, responsable
nombreuses casquettes dans le cadre de son travail chez Chaosium, éditoriale ou les deux. Plus récemment, elle a formé une partie de
mais il passe le plus clair de son temps au poste de responsable édi- l’équipe responsable de la mise à jour de la campagne légendaire Les
torial sur la gamme Pendragon. Il consacre le peu d’heures que lui Masques de Nyarlathothep, et son scénario pour L’Appel de Cthulhu
laisse son travail à cocooner avec sa merveilleuse épouse Desiree et à l’époque moderne, Scritch Scratch, a représenté la contribution
leur adorable corniaud, Edie. de Chaosium au Free RPG Day en 2018. Elle travaille désormais
à temps plein pour Chaosium comme responsable éditoriale asso-
ciée sur la gamme L’Appel de Cthulhu et comme responsable de la
gamme du JDR à venir Rivers of London. Elle apprécie tout particu-
lièrement le thé, le gin tonic et les stylos plume.
272
B N
ERLIUNA CAMPAÑA ÉPICA DE ACCIÓN TREPIDANTE
LE MYTHE
LA DÉPRAVÉE
POR TODO EL MUNDO PARA PULP CTHULHU
DANS L ’A LLEMAGNE DE W EIMAR
EDGEENT.FR EDGE-STUDIO.NET
BERLIN LA DÉPRAVÉE
SKU : EFCHCT05
ISBN : 84-354076-3145-8