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Villes en parallèle

Le lotissement : contenu et évolution du concept


Jean-Pierre Frey

Résumé
Réflexion sémantique sur l'origine et la polysémie du terme «lotissement» dont l'aspect urbanistique est relativement récent,
cette introduction souligne aussi l'ambivalence du mot qui désigne à la fois l'acte de lotir (souvent escamoté dans les études) et
le résultat de cette opération. Les lotissements, qui apparaissent tantôt comme lieu privilégié d'un certain consensus social,
tantôt au contraire comme lieu de conflits, occupent en tout cas sûrement une place centrale dans la constitution du nouveau
type de configuration urbaine qui se dessine aujourd'hui.

Abstract
This summary which is a semantic reflection on the origin and polysemy of the term housing estate, whose urban aspect is
relatively recent, also underlines the ambivalence of the term which in French denotes the act of dividing into plots (lotir) (which
is often evaded in studies) and also the result of this operation. Housing estates which at time appear as a priviledged place of
social consensus and at other times on the contrary as a place of conflicts, certainly play a major role in the constitution of a new
type of urban configuration which is taking place at the present time.

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Frey Jean-Pierre. Le lotissement : contenu et évolution du concept. In: Villes en parallèle, n°14, juin 1989. La ville fragmentée.
Le lotissement d'hier et d'aujourd'hui. pp. 8-17;

doi : https://doi.org/10.3406/vilpa.1989.1041

https://www.persee.fr/doc/vilpa_0242-2794_1989_num_14_1_1041

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VILLES EN PARALLELE / n° 14 / 1989

LE LOTISSEMENT :
CONTENU ET ÉVOLUTION
DU CONCEPT

THE HOUSING ESTATE :


THE MEANING AND EVOLUTION
OF THE CONCEPT

Jean-Pierre FREY
Architectedeet Recherche
Centre sociologue sur
l'Habitat, Nanterre
Institut d'urbanisme de Paris

■ RÉSUMÉ

Réflexion sémantique sur l'origine et la polysémie du terme "lotissement"


dont l'aspect urbanistique est relativement récent, cette introduction souligne
aussi l'ambivalence du mot qui désigne à la fois l'acte de lotir (souvent
escamoté dans les études) et le résultat de cette opération. Les lotissements,
qui apparaissent tantôt comme lieu privilégié d'un certain consensus social,
tantôt au contraire comme lieu de conflits, occupent en tout cas sûrement une
place centrale dans la constitution du nouveau type de configuration urbaine
qui se dessine aujourd'hui.

■ ABSTRACT

This summary which is a semantic reflection on the origin and polysemy


of the term the
underlines housing
ambivalence
estate, ofwhose
the term
urban
which
aspect
in French
is relatively
denotesrecent,
the act
also
of
dividing into plots (lotir) (which is often evaded in studies) and also the result
of this operation. Housing estates which at time appear as a priviledged place
of social consensus and at other times on the contrary as a place of conflicts,
certainly play a major role in the constitution of a new type of urban
configuration which is taking place at the present time.

8
LE LOTISSEMENT:
CONTENU ET
ÉVOLUTION DU
CONCEPT
Jean-Pierre F RE Y'

M LOTISSEMENT, UN MOT QUI CHANGE DE SENS

Le mot lotissement, dont l'éventail des acceptions dans le langage


courant dénote une fâcheuse tendance à un usage polysémique, mérite toute
notre attention dans la mesure où la variété des situations décrites, tant par la
vastitude de l'espace géographique que par la diversité des périodes
considérées, fait que la plupart des phénomènes analysés en terme de
lotissement ne coïncide pas avec l'usage effectif du mot.

L'analyse taxinomique des termes utilisés en matière d'aménagement


et d'urbanisme reste quasiment absente des approches théoriques de ce
champ et aucune recherche philologique n'a porté jusqu'à présent sur le
terme même de lotissement. Les origines étymologiques sont controversées
puisque, si c'est bien la racine "lot" qui sert de fil conducteur dans la
reconstitution logique du sens, selon les sources, on renvoie tantôt à ce qui
est tiré au sort, tantôt à ce qui fait l'objet d'un partage ou d'un regroupement
pour en faire la distribution et l'attribution. Notons dès à présent que le mot lot
n'a rien à voir avec îlot et que le renvoi à "loterie" semble plus nous inviter à
quelques jeux de mots qu'à une réflexion rigoureuse sur le sens qui nous
intéresse et qui concerne en premier lieu un mode d'organisation de l'espace.

Du point de vue de la rhétorique, le mot lotissement peut tout aussi bien


désigner une action qu'un objet. C'est l'action de lotir qui semble avoir été le
principal véhicule du sens puisque ce sont les verbes "aloter" (1304), "allotir"

* Architecte et sociologue, Centre de Recherche sur l'Habitat, Institut d'Urbanisme de Paris


9
(1611)

opération
d'une
auxquelles
même,
(1577) vente,
et
c'est
puis
qui
"allotissement"
onégalement
"lotir"
consiste
unaboutit
ensemble
(XVIIIème
àau
l'action
répartir,
(1724),
terme
d'objets
siècle)
departager
delotir
ce dernier
l'opération
ou
qui
quede
ou
jalonnent
désignent
mot
grouper,
marchandises
sont
étantlales
en
appelées
àdésignation
vue
l'origine
termes
dont
d'undes
"allotement"
directe,
les
partage
de
lots.
entités
cette
par
ou
De

synonymie dès le XVIIIème siècle, de celui de lotissement.

d'habitations
L'usageconstruites
métonymiquesurduunmot
terrain
lotissement
divisé en
pourlots"
désigner
est non
un seulement
"ensemble
contemporain, mais vise autant un type de découpage parcellaire qu'un mode
de répartition du domaine bâti correspondant principalement à de l'habitat.

Le terme "allotissement" (issu d'"allotement"), dont l'emploi est attesté


dès 1577 mais qui ne sera d'un usage avéré qu'au XIXème siècle, correspond
à deux sens proches l'un de l'autre et désignant une transmission de choses
faisant à cette occasion l'objet d'une redistribution dans l'espace. Dans le
premier sens, il s'agit d'une "répartition en lots en vue d'un partage ou d'une
vente". Dans le deuxième, il s'agit d'un "groupement de marchandises en lots
destinés à faciliter leur manipulation et leur traitement".

Nous pouvons constater que cette réorganisation spatiale qui consiste


à former des lots ne porte que soit sur des marchandises dont on peut
considérer qu'elles circulent, soit sur ce qui fait figure de patrimoine
transmissible à des héritiers ou autres acquéreurs sans que la nature
mobilière, immobilière ou foncière de ces biens soit évoquée. Les deux sens
d"'allotissement" ne visent pas de bien particulier et semblent au contraire
recouvrir tout ce qui, en faisant l'objet d'un échange, est susceptible d'être
partagé ou regroupé en lots.

Ce n'est qu'avec l'apparition du mot "lotissement" (que LITTRÉ ne

définit
d'allotissement,

Ce laserait
référence
qu'en vers
référence
àmais
une
1724
sans
transaction
à une
que
plus
loterie)
de
cefoncière
précision
mot
que l'objet
apparaîtrait
etjusqu'au
à ladedivision
l'échange
début
comme
deduterrains
vaXXème
sesynonyme
préciser.
en
siècle,
lots

fait son apparition. En 1879 encore, le Dictionnaire de l'Académie Française


définit le mot "lotissement" par la simple "action de faire des lots", mais précise
"qu'il se dit principalement en parlant de marchandises". Autrement dit, si les
opérations d'allotissement ou de lotissement ont pu porter sur des biens et
objets divers, dont la propriété foncière, ce ne sera qu'à la fin du XIXème

siècle termes,
semble-t-il
"d'allotissement".
deux
biens mobiliers
que laà car
référence
cette
ouLe
seul
immobiliers.
ROBERT
occasion
"lotissement"
sera faite
nous
queexplicitement
vise
rappelle
le mot
le solqu'il
"lotissement"
et ànon
nedes
faut
plus
terrains,
pas
simplement
évincera
confondre
et ce celui
sera
ces
des

Dans les dictionnaires les plus récents, il est bien fait la différence entre
un premier sens du mot "lotissement", issu "d'allotissement", et pour lequel la
référence au foncier est non seulement secondaire mais récente, puisque du
début du de
domaine XXème
l'urbanisme.
siècle, et un deuxième sens appartenant spécifiquement au

10
Ce sera ici le juriste qui précisera, dans le texte de la loi SIEGFRIED
publié au Journal
l'acception contemporaine
officiel du
du 15mot
marslotissement
1919, et en
tel terme
que les
de aménageurs
"terrain loti",
l'entendent couramment. A cette date, nous pouvons considérer que cet
usage urbanistique du terme était déjà conventionnel puisque nous en avons
retrouvé l'emploi à l'occasion du XVIIème congrès de la propriété bâtie de

porté
d'extension,
France,
syndicale
surtenu
desd'embellissement
"Lesàpropriétés
lotissements
Paris du immobilières
5 audans
8et mai
d'amélioration
la banlieue
1913
de laetville
dont
desdes
degrandes
leLyon
villes".
Rapport
et villes
dedesa et
labanlieue
Chambre
les plansa

■ L'URBANISATION GRANDISSANTE D'UNE OPÉRATION

L'idée qu'un lotissement puisse concerner au premier chef des


parcelles de terrain dépendrait ainsi d'un processus que nous pouvons
appeler d'urbanisation de la transaction. Voilà le premier point sur lequel
nous voudrions attirer l'attention : l'opération consistant à partager ou
regrouper, répartir et distribuer des objets en lots est subrepticement passée,
en gros du XVe au XXe siècle, tout d'abord de marchandises transbordées et
déplacées sur le territoire, ensuite à ce qui fait figure de patrimoine
transmissible à des héritiers ou des acquéreurs dans une succession qui
concerne des biens autant mobiliers, qu'immobiliers et que fonciers, pour
enfin rester attachée à une image calquée sur celle d'une propriété foncière
parcellisée en vue d'une urbanisation nouvelle.
Seules des recherches historiographiques précises permettront de
restituer la teneur et le sens exact des transactions qui justifient l'existence de
cette opération. Gageons qu'elles pourront mettre en évidence le fait que
dans le cheminement du concept de lotissement il y a, au cours des
actualisations successives, une aliénation qui passe de ce qui se déplace sur
le territoire à la structuration du territoire lui-même. Dans cette optique, l'état
des lieux pèse de plus en plus, aussi bien dans l'espace urbain que dans les
procédures urbanistiques, et nous noterons simplement ici qu'alors que la loi
SIEGFRIED de 1919 ne faisait qu'imposer un plan et un programme
d'aménagement aux groupes d'habitations construites dans le cadre de
lotissements, celle de CORNUDET en 1924 renforçait le contrôle des
lotissements et-prévoyait l'obligation pour les communes d'un plan
d'aménagement, que la loi SARRAUT de 1928 prévoyait le réaménagement
des lotissements dits "défectueux" et qu'enfin celle de LOUCHEUR, la même
année, accentuait ce mode d'urbanisation par des aides massives de l'Etat .
Le processus de lotissement se codifie ainsi par le droit et les procédures
d'aménagement, aussi ne sommes-nous pas étonnés de constater
l'abondance et l'hégémonie des approches de type juridique sur cette
question au détriment d'autres analyses dont nous ressentons à l'heure
actuelle, et à l'occasion de ce colloque, la cruelle absence.

■ L'IMAGE D'UN PROCESSUS RÉIFIÉ

Nous pensons qu'il serait de mauvaise méthode de chercher à cerner


le sens de ces opérations de lotissement en le restreignant à l'acception
urbanistique, ceci d'autant plus que c'est, en la matière, l'esprit et la lettre du

11
droit, des règlements et des procédures qui tendent à faire autorité dans
l'approche
loi eux-mêmes
des phénomènes.
ne nous donnent
Nous en
aucune
voulons
information
pour preuve
substantielle
que les textes
sur de
la
nature et le contenu des opérations de lotissement, sans doute en
considérant que c'est là une chose connue appartenant au sens commun.

"Le législateur de 1919 et de 1924 a curieusement réglementé une


opération qu'il ne définissait pas. Cependant, si les travaux préparatoires de
la loi du 19 juillet 1924 furent assez concis puisque celle-ci fut votée sans
débats par les deux chambres, ils nous donnent certaines indications.
Le rapporteur à la chambre des députés précisait : "Cette opération qui
consiste à subdiviser en parcelles tout ou partie d'un fonds acquis à titre
gratuit ou onéreux, avec ou sans intention de l'aliéner, et à tracer ou projeter
des voies en vue de la location ou de la vente de ces parcelles, est trop
caractérisée pour qu'une erreur se produise et qu'aucune contestation
s'élève". D'ores et déjà, aux termes de cette définition, le lotissement apparaît
à la réunion de trois éléments : la division d'un terrain en parcelles, la création
de voies, et l'intention de vendre ou de louer des lots. Il est une quatrième
condition à la constitution du lotissement qui résultait des prescriptions des
textes ; le but de construire pour l'habitation.1

A en juger par les citations utilisées dans les divers dictionnaires


actuels, ce serait à Henri BERGSON que l'on devrait pour la première fois,
tout au moins dans les écrits d'un homme de lettres, la claire association du
mot lotissement et du découpage foncier; c'est en tout cas ce que l'on
retrouve comme source initiale de l'acception urbanistique du terme.
Le fait peut paraître anecdotique, mais, à y regarder de plus près, il
apparaît que BERGSON utilise le mot lotissement dans un sens qui, dans son
contexte et pour l'époque, est essentiellement métaphorique. Son propos est
en effet d'illustrer le problème de la pertinence du rapport entre le réel et le
symbolique dans l'évolution créatrice, titre de son essai publié en 1907. Le
problème est de type kantien et sans doute devrions-nous plutôt parler du
rapport entre noumènes et phénomènes à propos de ce qui prend place dans
un chapitre consacré à l'évolutionisme de SPENCER, et où BERGSON
critique ce qu'il est convenu d'appeler la théorie du reflet.
"Nous n'avons pas à entrer dans un examen approfondi de cette
philosophie. Disons simplement que l'artifice ordinaire de la méthode de
SPENCER consiste à reconstituer l'évolution avec des fragments de l'évolué.
Si je colle une image sur un carton et que je découpe ensuite le carton en
morceaux, je pourrai, en groupant comme il faut les petits cartons, reproduire
l'image. Et l'enfant qui travaille ainsi sur les pièces d'un jeu de patience, qui
juxtapose des fragments d'image informes et finit par obtenir un beau dessin
colorié, s'imagine sans doute avoir produit du dessin et de la couleur.
Pourtant l'acte de dessiner et de peindre n'a aucun rapport avec celui
d'assembler les fragments d'une image déjà dessinée, déjà peinte. De même,
en composant entre eux les résultats les plus simples de l'évolution, vous en
imiterez tant bien que mal les effets les plus complexes ; mais ni des uns ni
des autres
l'évolué ne ressemblera
vous n'aurezpasretracé
du toutla au
genèse,
mouvement
et cette
d'évolution
addition lui-même.
de l'évolué à
Pour SPENCER, en effet, les phénomènes qui se succèdent dans la
nature projettent dans l'esprit humain des images qui les représentent. Aux
relations entre les phénomènes correspondent donc, symétriquement, des
relations entre les représentations. (...)

12
Chaque être décompose le monde matériel selon les lignes mêmes
que son action y doit suivre ; ce sont ces lignes d'action possible qui, en
s'entrecroisant, dessinent le réseau d'expérience dont chaque maille est un
fait. Sans doute une ville se compose exclusivement de maisons, et les rues
de la ville ne sont que les intervalles entre les maisons : de même, on peut
dire que la nature ne contient que des faits, et que, les faits une fois posés, les
relations sont simplement les lignes qui courent entre les faits. Mais, dans
une ville, c'est le lotissement graduel du terrain qui a déterminé à la fois la
place des maisons, leur configuration, et la direction des rues ; à ce
lotissement il faut se reporter pour comprendre le mode particulier de
subdivision qui fait que chaque maison est où elle est, que chaque rue va où
elle va. Or, l'erreur fondamentale de SPENCER est de se donner l'expérience
déjà lotie, alors que le vrai problème est de savoir comment s'est opéré le
lotissement. J'accorde que les lois de la pensée ne soient que l'intégration
des rapports entre les faits. Mais, dès que je pose les faits avec la
configuration qu'ils ont aujourd'hui pour moi, je suppose mes facultés de
perception et d'intellection telles qu'elles sont aujourd'hui en moi, car ce sont
elles quiDès
réalité. lotissent
lors, aulelieu
réel,
de elles
dire que
qui les
découpent
relations les
entre
faits
les dans
faits ont
le tout
engendré
de la
les lois de la pensée, je puis aussi bien prétendre que c'est la forme de la
pensée qui a déterminé la configuration des faits perçus, et par suite leurs
relations entre eux. Les deux manières de s'exprimer se valent."2

Nous oserons tirer de cette incursion dans l'oeuvre de BERGSON que


c'est à la prégnance de l'image du découpage foncier de l'organisation d'un
espace urbain parcellisé
d'allotissement, qu'un sens,
dans
quela l'on
représentation
peut dire figuré,
que l'on
émerge
se fait
et investit
de l'opération
le mot

lotissement
cette
celle opération
du simple
d'une
symbolique,
découpage
acception contemporaine,
ladulogique
sol oudesdes
transactions
résolument
édifices qu'il
urbanistique.
se subsume
accueille.Dans
sous
La

représentation du processus se fige dans celle de l'image de la parcellisation


et traduit une sorte de réification que l'urbanisation semble imposer à tout
autre type de lotissement. L'usage métonymique du mot lotissement, pour
désigner non plus l'opération mais un "ensemble d'habitations construites sur
un terrain ainsi -divisé", apparaît dans le prolongement logique de la
réification des modus operandi urbanistiques sous la forme imagée de
l'organisation spatiale de l'espace urbain comme opus operatum.
Si nous insistons sur ce point, c'est à dessein de faire remarquer que
l'image a priori que nous nous faisons d'un lotissement est plus celle d'une
parcellisation de l'urbain, dont l'iconographie urbanistique nous arbore sans
peine la structuration d'ensemble, que celle de l'ensemble des opérations et
des transactions dont le foncier parcellisé est bien, à un moment donné tout
au moins, le support. Nous gagnerions à ne considérer cette forme que
comme la trace des pratiques d'aménagement et d'usage de l'espace plutôt
que comme un ordre nous livrant d'emblée la compréhension de l'état des
lieux. C'est dire que nous ne sommes pas loin de penser que l'image figée
des lotissements comme espace parcellisé constitue un véritable obstacle
épistémologique à l'appréhension théorique des actions de lotir. Force nous
est de constater le peu de cas fait des processus de transactions financières,

13
de tractations et de transmissions de valeur dont tout lotissement est non
seulement l'occasion, mais encore, nous semble-t-il, l'objet essentiel.
Que serait l'envers du partage et de la distribution qui s'opèrent dans

un lotissement,
cession
l'action de
et lotir
de vente
tient-il
et quelle
deaux
cealéas
image
qui est
deavons-nous
parcellisé
la distribution
? du
Leetprocessus
caractère
de la réalisation
spéculatif
financier
de de
la

valeur d'un bien aliéné pour les besoins d'un échange marchand, ou bien
d'une
des parties
plus-value
valant tirée
plus qu'un
de la tout
multiplication
indivis ? des entités aliénables, la somme

Il faut bien constater que tout un pan de la réalité est proprement


escamoté derrière cette image du découpage de l'espace : transactions et
processus économique d'échange marchand s'effacent devant la nouvelle
structuration de l'espace que l'acte de lotir fait advenir. Le palimpseste
cadastral fait disparaître l'état antérieur des lieux, le spéculateur disparaît
honteusement dans la nature une fois l'opération financière réalisée, bref, tout
ce qui est en amont du découpage foncier, et de l'ordre de Ja praxis plutôt que
de la perception gestaltiste de l'espace objectivé des pratiques, constitue un
véritable non-lieu du lotissement comme processus. Sans doute y a-t-il, d'un
point de vue symbolique, une place similaire occupée par ce qui justifie tout
acte de lotir et qui s'efface devant la réalité objectale de l'acte accompli, et le
mort dans toute transmission patrimoniale faisant l'objet d'un partage auprès
des héritiers dans la succession des générations.

■ PRODUCTION ET USAGE DES LIEUX : UNE DICHOTOMIE


DES APPROCHES

Dans les modes d'approche des lotissements, on retrouve bien sûr


cette opposition entre les aspects procéduriers et réglementaires de l'action
de lotir, d'une part, et leurs traces matérielles dans un espace urbain à la
structuration typique de parcellisation foncière, d'autre part. Les
représentations que l'on se fait de ce phénomène donnent ainsi naissance à
deux modalités de renvoi aux pratiques, dès lors que c'est cette portion
d'espace urbain qui apparaît comme le lieu dont on parle et le lieu commun
d'effectuation de diverses pratiques. Les communications présentées à ce
colloque témoignent de cette dichotomie du champ d'investigation.

D'un côté les analyses renvoient au processus de production et de


conception du lotissement comme espace urbain, de l'autre à ses modalités
d'usage pour les habitants et aux formes spécifiques de sociabilité qui sont
censées s'y développer. Nul doute que le concept de lotissement ne soit
saisissable qu'à la conjonction de ces deux approches, et qu'une saisie
globale ne puisse résulter que d'une investigation de type interdisciplinaire,
dans la mesure où chaque discipline penche toujours plus d'un côté que de
l'autre.

Architectes et urbanistes, par exemple, sont plus soucieux de rendre


compte des processus de conception et de production des lotissements, alors
que la sociologie s'intéresserait plutôt à la vie quotidienne des lotis. Sans
doute pourrions-nous progresser vers une approche plus globale des
lotissements en nous attachant à analyser les rôles respectifs joués par toutes
les parties prenantes de cette organisation spatiale en identifiant, mieux qu'on
ne le fait habituellement, le type de maîtrise que chacune d'elles peut avoir
d'un moment ou d'un aspect de cet espace, et les champs de compétence

14
respectifs de chacun des acteurs. Sans doute faudrait-il reconnaître aux
habitants
mais aussiune
dans
compétence
l'instructioneffective
des caractéristiques
non seulementde dans
l'organisation
l'usage des
spatiale,
lieux
que ce soit par l'expression d'une demande à laquelle les aménageurs sont
censés répondre, ou bien par la critique pratique mise en oeuvre dans les
phénomènes d'appropriation des dispositions spatiales proposées par les
professionnels.

■ LE LOTISSEMENT, LIEU PRIVILÉGIÉ D'UN CONSENSUS

dans
lotissements
d'investissement
coup
parcellisé,
d'organisation
associées
procédés
d'urbanisation.
organisation,
(dimension
identité
salariale)
instance
instances
l'ordre
l'attachement
de
place
mondiale,
publiques
nombre
l'immobilier
perdant
hasard
du
implicite
qui
nouveau
garde-fou
rôle
vise
l'espace,
dans
la
Que
grandissante
si
spatial
antérieurement
de
àréduit
àson
type
juxtaposition
intervenant
la
que
de
entre
se
équilibrer
àce
par
l'accession
pouvoir
devient
de
question
le
(et
l'image
logements
rôle
àmette
de
autant
type
soit
par
pour
de
les
de
la
du
la
lotissement
celle
On
les
composition
etdimension
d'élément
parcelle
petite
maîtres-d'oeuvre,
dans
la
l'urbain.
investisseurs
d'espace
lotissement
barres,
d'amélioration
l'adresser
divers
àd'achat
les
sent
occupée,
du
des
par
actuelle
recherche
àprendre
dans
de
qui
rôles
joué
la
propriété
lotissement
lehabitants
la
bien
propriété
et
territoires
promoteurs
et
partage
concentrent
et
Harmonie
l'aménagement.
croissante
structurant
similitude
urbain),
par
respectifs
apparaît
urbaine.
de
type
le
de
le
de
essentiellement
qu'une
d'un
se
parcellaire
lainstitutionnels
façon
le
pas
foncière
que
mode
n'est
d'habitat
forme
des
par
perd.
marché
comme
l'habitat
ou
équilibre
séparés
sur
et
de
des
l'habitant
apparemment
comme
la
certaine
tâches
pas
du
celui
dans
de
urbaine
commande,
les
autres
parcellisée
paix
Ainsi,
la
ce
disparaît
maîtrises
domaine
foncier
la
qui
statu
tourne
vie
promotion
d'un
autres,
Pour
celui
dont
des
moindre
mais
relative
et
sociale
depuis
sont
une
dans
ne
équité
bénéficiaires
lequo
est
montage
l'apparition
prérogatives
du
chaque
et
peu
aux
cesse
découpage
au
coordonnés,
d'ouvrages
servirent-ils
bâti.
celle
l'équilibre
plus
en
dans
forme
une
territoire
le
et
quand
immobilière.
àprofit
la
ont
grands
participe
que
fait
découpage
échange
la
économique
Ce
de
première
de
même
le
des
loti
production
longtemps
fonction
temps
consensuelle
du
la
on
l'une
fournir
d'entreprises
n'est
de
se
d'un
opérations
ensembles,
substitution
est
et
de
zonage
sait
foncier
longtemps
ce
condition
de
dans
rompt
d'oeuvre
de
chaque
de
Avec
comme
pas
pourvu
habitat
guerre
du
l'effort
après
mode
d'une
cette
bons
àces
des
été
sol
un
en
et
la,

■ LE LOTISSEMENT, LIEU DE CONFLITS

Le lotissement apparaît également comme un lieu de conflits. Ce


constat est un paradoxe quand on sait le rôle qu'ont voulu faire jouer les
hommes politiques promoteurs de l'habitat pavillonnaire à ce mode parcellisé
d'urbanisation. Gage de paix sociale, de quiétude du chez-soi et moyen de
conjurer les dangers de "l'antagonisme" social, le lotissement, espace urbain
représentatif de l'attachement au jardin privatif ou à l'accession à la propriété
du logement, est présenté dans ces discours, tous plus ou moins hygiénistes,
comme le lieu où les conflits se désamorcent. Il faut reconnaître que les
relations de voisinage s'y gèrent plus à l'aise que dans les grands ensembles

15
ou dans les tissus anciens des villes, et que ce type d'espace urbain
correspond en fait à d'autres enjeux.
Il s'agit tout d'abord d'un espace urbain en souffrance. Le caractère
défectueux des lotissements de l'entre-deux-guerres amena de multiples
récriminations des habitants et des réponses circonstanciées de la part des
pouvoirs publics. C'est sans doute parce que l'habitat ressortit, ne serait-ce
que dans l'usage, à une maîtrise privée de l'espace, et que les lotissements
manquent encore trop souvent d'équipements. La localisation péri-urbaine de
ce type de quartiers, leurs faibles densités de population et de constructions,
l'extension récente et massive de l'urbain qu'alimentent l'exode rural et le
rejet des plus défavorisés loin des centres et de la centralité urbaine,
concourent également à faire des lotissements des quartiers sous-équipés.
Pour pallier ce manque d'urbanité, ce sont les fonds, les pouvoirs, les
maîtrises d'ouvrage et d'oeuvre des équipements et de l'espace urbain
publics qui sont requis.
Cette urbanisation grandissante du lotissement, comme processus de
partage et de répartition des biens que nous avions repérée dans la
philologie et
distinctes duenmot,
concurrence
révèle l'existence
l'une avec
del'autre.
deux sphères d'action juridiquement
L'échange de marchandises et la transmission des biens patrimoniaux,
relevant des compétences des notaires ou autres lotisseurs, rassortissent au
droit privé. Un véritable espace urbain, toujours loti pour partie dans ce cadre
initial, comporte un domaine (celui des équipements, de la voirie et des
conditions financières, juridiques et réglementaires de réalisation
d'ensemble) qui ressortit, lui, au droit public. Que ce soit par la politique
communale ou étatique, un droit de l'urbanisme s'impose aux lotissements et
conforte l'emprise du droit public sur la société civile. Et à propos de ce cadre
juridique du rapport privé/public propre aux lotissements, il nous faut
remarquer que les arrêts du Conseil d'Etat ayant fait jurisprudence en la
matière ont toujours penché en faveur du droit privé. La publicisation de
l'espace urbain semble buter sur un attachement résolu à la petite propriété
parcellaire et sur l'usage privatif du sol. Cela veut également dire que les
lotissements, ainsi que les types d'habitat et les modes de vie qui leur
correspondent, représentent sans doute, dans cette optique, une forme de
résistance des citadins à l'action de l'Etat et des pouvoirs publics. On peut
penser que ce sont des lieux d'où émergent des formes originales
d'organisation des lotis en vue de la défense d'intérêts négociables avec les
agents qui ont à charge de gérer le domaine public. Nul doute que les
mouvements sociaux qui émergent des lotissements ne s'adressent en
premier lieu aux pouvoirs publics, et peut-être avons-nous là affaire à une
source particulière et exemplaire de revendication du droit à la ville dont nous
parle Henri LEFEBVRE.

■ VERS UN NOUVEL ESPACE URBAIN

Depuis longtemps déjà, les lotissements sont conçus comme une forme
de conquête de nouveaux territoires à la marge de l'urbain. Nous en voulons
pour preuve le terme de "colonie" couramment utilisé et qui renvoie à deux
aspects essentiels de ce mode d'urbanisation: l'investissement, pour ne pas
dire l'invasion, d'un territoire péri-urbain faussement considéré comme vierge
à la limite des agglomérations, et son peuplement par une population que l'on
a pu dire immigrée, dans le sens où elle vient tout simplement d'ailleurs. Ce
fut souvent
de volonté avec
et d'espoir,
un espritque
de pionniers,
les lotissements
avec peuont
de émergé
moyens des
mais initiatives,
beaucoup

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disparates et trop souvent mai coordonnées, de particuliers. De là, sans
doute, les jugements de valeur négatifs portés par les professionnels de
l'aménagement à l'endroit de ce type de tissu urbain. Il lui est en effet
reproché d'être anarchique et de ne pas arborer les dehors de l'urbanité
architectes
monumentale et les
et urbanistes
planificatrice,
reconnaîtraient
bref, de necomme
pas être
le leur,
d'un faute
ordredeque
forme
les
géométrique simple, signe et gage d'une planification d'ensemble. Personne,
en somme, n'y trouve véritablement son compte puisque cette production
parcellisée de l'espace ne semble jamais aboutir qu'à des fragments de ville
épars et incomplets.
Les équipements, les commerces et les lieux d'animation, les réseaux
d'infrastructure et de transport finissent bien, à la longue, par arriver dans ce
genre de quartier. La monumentalité, elle aussi, finira par sortir de la
domesticité qui fut son seul lieu d'expression, pour gagner le domaine et les
édificesSipublics
la banlieue
où lesdoit
habitants
être transformée
entendent et
dans
attendent
les années
qu'elleàse
venir,
manifeste.
ce doit
être dans le sens d'une réponse à cette attente, par une restructuration
d'ensemble qui permettra de doter cet univers encore trop anomique des
éléments marquants, édifices publics ou équipements, lui permettant
d'accéder au statut de véritable espace urbain constitué d'une structure,
d'une morphologie et d'une centralité urbaines. Dans cette optique, les
lotissements apparaissent moins comme des espaces que la propriété
foncière morcelle et divise, que comme les éléments juxtaposés d'un puzzle
par l'intermédiaire duquel un nouveau type de configuration urbaine se
dessine et où ils occupent déjà une place que nous oserons dire centrale et
particulièrement marquante.

■ NOTES

de
1. Jean-Louis
jurisprudence,
BERGEL
1973, p.
, Les
35. servitudes de lotissement à usage d'habitation, Paris, Lib. gén. de droit et

2. Henri BERGSON , L'évolution créatrice, Paris, PUF, 1966, pp. 363-367

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