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Résumé
Réflexion sémantique sur l'origine et la polysémie du terme «lotissement» dont l'aspect urbanistique est relativement récent,
cette introduction souligne aussi l'ambivalence du mot qui désigne à la fois l'acte de lotir (souvent escamoté dans les études) et
le résultat de cette opération. Les lotissements, qui apparaissent tantôt comme lieu privilégié d'un certain consensus social,
tantôt au contraire comme lieu de conflits, occupent en tout cas sûrement une place centrale dans la constitution du nouveau
type de configuration urbaine qui se dessine aujourd'hui.
Abstract
This summary which is a semantic reflection on the origin and polysemy of the term housing estate, whose urban aspect is
relatively recent, also underlines the ambivalence of the term which in French denotes the act of dividing into plots (lotir) (which
is often evaded in studies) and also the result of this operation. Housing estates which at time appear as a priviledged place of
social consensus and at other times on the contrary as a place of conflicts, certainly play a major role in the constitution of a new
type of urban configuration which is taking place at the present time.
Frey Jean-Pierre. Le lotissement : contenu et évolution du concept. In: Villes en parallèle, n°14, juin 1989. La ville fragmentée.
Le lotissement d'hier et d'aujourd'hui. pp. 8-17;
doi : https://doi.org/10.3406/vilpa.1989.1041
https://www.persee.fr/doc/vilpa_0242-2794_1989_num_14_1_1041
LE LOTISSEMENT :
CONTENU ET ÉVOLUTION
DU CONCEPT
Jean-Pierre FREY
Architectedeet Recherche
Centre sociologue sur
l'Habitat, Nanterre
Institut d'urbanisme de Paris
■ RÉSUMÉ
■ ABSTRACT
8
LE LOTISSEMENT:
CONTENU ET
ÉVOLUTION DU
CONCEPT
Jean-Pierre F RE Y'
opération
d'une
auxquelles
même,
(1577) vente,
et
c'est
puis
qui
"allotissement"
onégalement
"lotir"
consiste
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De
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L'usageconstruites
métonymiquesurduunmot
terrain
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désigner
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contemporain, mais vise autant un type de découpage parcellaire qu'un mode
de répartition du domaine bâti correspondant principalement à de l'habitat.
définit
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où
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référence
àmais
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1724
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siècle,
lots
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immobiliers.
ROBERT
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"lotissement"
et ànon
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faut
plus
terrains,
pas
simplement
évincera
confondre
et ce celui
sera
ces
des
Dans les dictionnaires les plus récents, il est bien fait la différence entre
un premier sens du mot "lotissement", issu "d'allotissement", et pour lequel la
référence au foncier est non seulement secondaire mais récente, puisque du
début du de
domaine XXème
l'urbanisme.
siècle, et un deuxième sens appartenant spécifiquement au
10
Ce sera ici le juriste qui précisera, dans le texte de la loi SIEGFRIED
publié au Journal
l'acception contemporaine
officiel du
du 15mot
marslotissement
1919, et en
tel terme
que les
de aménageurs
"terrain loti",
l'entendent couramment. A cette date, nous pouvons considérer que cet
usage urbanistique du terme était déjà conventionnel puisque nous en avons
retrouvé l'emploi à l'occasion du XVIIème congrès de la propriété bâtie de
porté
d'extension,
France,
syndicale
surtenu
desd'embellissement
"Lesàpropriétés
lotissements
Paris du immobilières
5 audans
8et mai
d'amélioration
la banlieue
1913
de laetville
dont
desdes
degrandes
leLyon
villes".
Rapport
et villes
dedesa et
labanlieue
Chambre
les plansa
11
droit, des règlements et des procédures qui tendent à faire autorité dans
l'approche
loi eux-mêmes
des phénomènes.
ne nous donnent
Nous en
aucune
voulons
information
pour preuve
substantielle
que les textes
sur de
la
nature et le contenu des opérations de lotissement, sans doute en
considérant que c'est là une chose connue appartenant au sens commun.
12
Chaque être décompose le monde matériel selon les lignes mêmes
que son action y doit suivre ; ce sont ces lignes d'action possible qui, en
s'entrecroisant, dessinent le réseau d'expérience dont chaque maille est un
fait. Sans doute une ville se compose exclusivement de maisons, et les rues
de la ville ne sont que les intervalles entre les maisons : de même, on peut
dire que la nature ne contient que des faits, et que, les faits une fois posés, les
relations sont simplement les lignes qui courent entre les faits. Mais, dans
une ville, c'est le lotissement graduel du terrain qui a déterminé à la fois la
place des maisons, leur configuration, et la direction des rues ; à ce
lotissement il faut se reporter pour comprendre le mode particulier de
subdivision qui fait que chaque maison est où elle est, que chaque rue va où
elle va. Or, l'erreur fondamentale de SPENCER est de se donner l'expérience
déjà lotie, alors que le vrai problème est de savoir comment s'est opéré le
lotissement. J'accorde que les lois de la pensée ne soient que l'intégration
des rapports entre les faits. Mais, dès que je pose les faits avec la
configuration qu'ils ont aujourd'hui pour moi, je suppose mes facultés de
perception et d'intellection telles qu'elles sont aujourd'hui en moi, car ce sont
elles quiDès
réalité. lotissent
lors, aulelieu
réel,
de elles
dire que
qui les
découpent
relations les
entre
faits
les dans
faits ont
le tout
engendré
de la
les lois de la pensée, je puis aussi bien prétendre que c'est la forme de la
pensée qui a déterminé la configuration des faits perçus, et par suite leurs
relations entre eux. Les deux manières de s'exprimer se valent."2
lotissement
cette
celle opération
du simple
d'une
symbolique,
découpage
acception contemporaine,
ladulogique
sol oudesdes
transactions
résolument
édifices qu'il
urbanistique.
se subsume
accueille.Dans
sous
La
13
de tractations et de transmissions de valeur dont tout lotissement est non
seulement l'occasion, mais encore, nous semble-t-il, l'objet essentiel.
Que serait l'envers du partage et de la distribution qui s'opèrent dans
un lotissement,
cession
l'action de
et lotir
de vente
tient-il
et quelle
deaux
cealéas
image
qui est
deavons-nous
parcellisé
la distribution
? du
Leetprocessus
caractère
de la réalisation
spéculatif
financier
de de
la
valeur d'un bien aliéné pour les besoins d'un échange marchand, ou bien
d'une
des parties
plus-value
valant tirée
plus qu'un
de la tout
multiplication
indivis ? des entités aliénables, la somme
14
respectifs de chacun des acteurs. Sans doute faudrait-il reconnaître aux
habitants
mais aussiune
dans
compétence
l'instructioneffective
des caractéristiques
non seulementde dans
l'organisation
l'usage des
spatiale,
lieux
que ce soit par l'expression d'une demande à laquelle les aménageurs sont
censés répondre, ou bien par la critique pratique mise en oeuvre dans les
phénomènes d'appropriation des dispositions spatiales proposées par les
professionnels.
dans
lotissements
d'investissement
coup
parcellisé,
d'organisation
associées
procédés
d'urbanisation.
organisation,
(dimension
identité
salariale)
instance
instances
l'ordre
l'attachement
de
place
mondiale,
publiques
nombre
l'immobilier
perdant
hasard
du
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qui
nouveau
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rôle
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On
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l'urbain.
investisseurs
d'espace
lotissement
barres,
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l'aménagement.
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la,
15
ou dans les tissus anciens des villes, et que ce type d'espace urbain
correspond en fait à d'autres enjeux.
Il s'agit tout d'abord d'un espace urbain en souffrance. Le caractère
défectueux des lotissements de l'entre-deux-guerres amena de multiples
récriminations des habitants et des réponses circonstanciées de la part des
pouvoirs publics. C'est sans doute parce que l'habitat ressortit, ne serait-ce
que dans l'usage, à une maîtrise privée de l'espace, et que les lotissements
manquent encore trop souvent d'équipements. La localisation péri-urbaine de
ce type de quartiers, leurs faibles densités de population et de constructions,
l'extension récente et massive de l'urbain qu'alimentent l'exode rural et le
rejet des plus défavorisés loin des centres et de la centralité urbaine,
concourent également à faire des lotissements des quartiers sous-équipés.
Pour pallier ce manque d'urbanité, ce sont les fonds, les pouvoirs, les
maîtrises d'ouvrage et d'oeuvre des équipements et de l'espace urbain
publics qui sont requis.
Cette urbanisation grandissante du lotissement, comme processus de
partage et de répartition des biens que nous avions repérée dans la
philologie et
distinctes duenmot,
concurrence
révèle l'existence
l'une avec
del'autre.
deux sphères d'action juridiquement
L'échange de marchandises et la transmission des biens patrimoniaux,
relevant des compétences des notaires ou autres lotisseurs, rassortissent au
droit privé. Un véritable espace urbain, toujours loti pour partie dans ce cadre
initial, comporte un domaine (celui des équipements, de la voirie et des
conditions financières, juridiques et réglementaires de réalisation
d'ensemble) qui ressortit, lui, au droit public. Que ce soit par la politique
communale ou étatique, un droit de l'urbanisme s'impose aux lotissements et
conforte l'emprise du droit public sur la société civile. Et à propos de ce cadre
juridique du rapport privé/public propre aux lotissements, il nous faut
remarquer que les arrêts du Conseil d'Etat ayant fait jurisprudence en la
matière ont toujours penché en faveur du droit privé. La publicisation de
l'espace urbain semble buter sur un attachement résolu à la petite propriété
parcellaire et sur l'usage privatif du sol. Cela veut également dire que les
lotissements, ainsi que les types d'habitat et les modes de vie qui leur
correspondent, représentent sans doute, dans cette optique, une forme de
résistance des citadins à l'action de l'Etat et des pouvoirs publics. On peut
penser que ce sont des lieux d'où émergent des formes originales
d'organisation des lotis en vue de la défense d'intérêts négociables avec les
agents qui ont à charge de gérer le domaine public. Nul doute que les
mouvements sociaux qui émergent des lotissements ne s'adressent en
premier lieu aux pouvoirs publics, et peut-être avons-nous là affaire à une
source particulière et exemplaire de revendication du droit à la ville dont nous
parle Henri LEFEBVRE.
Depuis longtemps déjà, les lotissements sont conçus comme une forme
de conquête de nouveaux territoires à la marge de l'urbain. Nous en voulons
pour preuve le terme de "colonie" couramment utilisé et qui renvoie à deux
aspects essentiels de ce mode d'urbanisation: l'investissement, pour ne pas
dire l'invasion, d'un territoire péri-urbain faussement considéré comme vierge
à la limite des agglomérations, et son peuplement par une population que l'on
a pu dire immigrée, dans le sens où elle vient tout simplement d'ailleurs. Ce
fut souvent
de volonté avec
et d'espoir,
un espritque
de pionniers,
les lotissements
avec peuont
de émergé
moyens des
mais initiatives,
beaucoup
16
disparates et trop souvent mai coordonnées, de particuliers. De là, sans
doute, les jugements de valeur négatifs portés par les professionnels de
l'aménagement à l'endroit de ce type de tissu urbain. Il lui est en effet
reproché d'être anarchique et de ne pas arborer les dehors de l'urbanité
architectes
monumentale et les
et urbanistes
planificatrice,
reconnaîtraient
bref, de necomme
pas être
le leur,
d'un faute
ordredeque
forme
les
géométrique simple, signe et gage d'une planification d'ensemble. Personne,
en somme, n'y trouve véritablement son compte puisque cette production
parcellisée de l'espace ne semble jamais aboutir qu'à des fragments de ville
épars et incomplets.
Les équipements, les commerces et les lieux d'animation, les réseaux
d'infrastructure et de transport finissent bien, à la longue, par arriver dans ce
genre de quartier. La monumentalité, elle aussi, finira par sortir de la
domesticité qui fut son seul lieu d'expression, pour gagner le domaine et les
édificesSipublics
la banlieue
où lesdoit
habitants
être transformée
entendent et
dans
attendent
les années
qu'elleàse
venir,
manifeste.
ce doit
être dans le sens d'une réponse à cette attente, par une restructuration
d'ensemble qui permettra de doter cet univers encore trop anomique des
éléments marquants, édifices publics ou équipements, lui permettant
d'accéder au statut de véritable espace urbain constitué d'une structure,
d'une morphologie et d'une centralité urbaines. Dans cette optique, les
lotissements apparaissent moins comme des espaces que la propriété
foncière morcelle et divise, que comme les éléments juxtaposés d'un puzzle
par l'intermédiaire duquel un nouveau type de configuration urbaine se
dessine et où ils occupent déjà une place que nous oserons dire centrale et
particulièrement marquante.
■ NOTES
de
1. Jean-Louis
jurisprudence,
BERGEL
1973, p.
, Les
35. servitudes de lotissement à usage d'habitation, Paris, Lib. gén. de droit et
17