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République Algérienne Démocratique et Populaire

Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique


Université Mouloud Mammeri de Tizi-Ouzou
Faculté de Génie Électrique et Informatique
Département d’Électrotechnique

Master 1 Électrotechnique
et Automatique

Éthique, Déontologie et Propriété


Intellectuelle

N`o˘t´e˙s `d`e C`o˘u˚r¯s

Arezki DICHE

2019/2020
Table des matières
Avant-Propos iii

I Éthique et Déontologie 1
1 Éthique et Déontologie 2
1.1 Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2
1.2 Définition de quelques concepts . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3
1.3 De la nécessité d’une éthique de l’ingénierie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4
1.3.1 Cas BART . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4
1.3.2 Cas DC 10 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5
1.3.3 Cas de la navette Challenger . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5
1.4 Problème éthique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 6
1.5 La délibération éthique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 6
1.5.1 Phase 1 : L’inventaire des aspects éthiques et normatifs de la situation . . . . 7
1.5.2 Phase 2 : La clarification des valeurs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7
1.5.3 Phase 3 : La prise de décision « raisonnable » . . . . . . . . . . . . . . . . . 7
1.5.4 Phase 4 : Le dialogue avec les parties prenantes . . . . . . . . . . . . . . . . 7
1.5.5 Test d’une décision éthique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 8
1.6 Approches éthiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 8
1.7 Éthique et déontologie en milieu d’entreprise . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 10
1.7.1 Aperçu historique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 10
1.7.2 Codes de déontologie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 10
1.8 Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 12
2 Charte de l’éthique et de déontologie universitaire 13
2.1 Préambule . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13
2.2 Principes fondamentaux de la charte d’éthique et de déontologie universitaires . . . . 14
2.3 Droits et obligations . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 15
2.3.1 Les droits et obligations de l’enseignant-chercheur . . . . . . . . . . . . . . . 15
2.3.2 Les droits et devoirs de l’étudiant de l’enseignement supérieur . . . . . . . . . 17
2.3.3 Les droits et obligations du personnel administratif et technique . . . . . . . 18
3 La recherche intègre et responsable 20
3.1 Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 20
3.2 De la nécessité d’un code éthique pour la recherche . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 21
3.3 Pour une recherche éthique et responsable . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 22
3.3.1 L’évaluation par les pairs et le conflit d’intérêts . . . . . . . . . . . . . . . . . 23

i
TABLE DES MATIÈRES ii

3.3.2 La reconnaissance de la contribution à la recherche . . . . . . . . . . . . . . . 23


3.3.3 La propriété intellectuelle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 23
3.3.4 La fraude scientifique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 23
3.4 Les contours de l’intégrité scientifique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 25
3.4.1 Le principe de liberté de la recherche . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 25
3.4.2 Le principe de responsabilité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 25
3.4.3 Le principe de diffusion et d’exploitation des résultats . . . . . . . . . . . . . 26
3.5 Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 26

II Propriété intellectuelle 27
Aperçu historique 28
4 Propriété industrielle 30
Avant-Propos
Trois évènements ont attiré mon attention, au moment où je colligeais ces notes de cours et
essayais d’y mettre un peu d’ordre pour en faire un document plus élaboré à l’usage des étudiants,
bien sûr profitant de la situation exceptionnelle du confinement instauré par les autorités pour
mettre un terme à la pandémie de la Covid-19.
Le premier est à l’actif du Président américain, M. Donald Trump. Ce dernier à croire le
journal allemand Die Welt, tel que rapporté par l’OBS et l’AFP 1 , a essayé de faire main basse sur
le laboratoire allemand CureVac en lui proposant une très grosse somme d’argent, au moment où
ce dernier a affirmé être « à quelques mois » de pouvoir présenter un projet de vaccin pour une
validation clinique. Selon le journal allemand, M. Trump a essayé d’attirer à coups de millions de
dollars des scientifiques allemands travaillant sur ce potentiel vaccin ou d’en obtenir l’exclusivité
pour son pays en investissant dans l’entreprise. Ce vaccin serait alors « seulement pour les États-
Unis », a affirmé au journal une source proche du gouvernement allemand.
Le deuxième évènement est du ressort du microbiologiste marseillais, Pr. Didier Raoult. En
effet, celui-ci s’est livré à une véritable bataille pour faire admettre son protocole de soin basé sur
la Chloroquine. Ses contradicteurs et pas des moindres, lui reprochaient de n’avoir pas suivi la
méthodologie de vérification habituelle avant d’administrer un médicament à des sujets humains,
telle que préconisée par les codes en vigueur notamment le code de Nuremberg. Mais, face à un
danger réel où l’on enregistre des décès au quotidien, a-t-on le droit de rester sans rien faire ? A-t-on
le droit d’essayer quelque chose qui a des chances d’aboutir ? En temps de guerre, à chaque fois que
l’on retarde une décision, elle devient lourde de conséquences.
Le troisième est toujours lié à cette pandémie qui a frappé de plein fouet le monde ! L’admi-
nistration américaine a dénoncé à plusieurs reprises le manque de transparence de la Chine, voire
une opération de « dissimulation » de Pékin pour « cacher » initialement la gravité du virus. Elle
accuse par ailleurs l’Organisation mondiale de la santé (OMS) de s’être alignée sur les positions
chinoises, et a suspendu les fonds américains à l’agence onusienne pour sa « mauvaise gestion » de
l’épidémie 2.
Les trois évènements ne sont pas choisis fortuitement dans ce tintamarre lié à la pandémie où
les fake news disputaient la vedette à l’information avérée. Mais, parce qu’ils posent de véritables
problèmes éthiques et déontologiques ! Le Président américain n’a-t-il pas le droit de penser au
bien-être de son peuple ? A-t-il le droit ce faisant, de soudoyer les chercheurs allemands pour avoir
l’exclusivité du vaccin ? Pr. Raoult a-t-il bien agi ? Les Chinois ont-ils le droit de retenir les infor-
mations concernant cette pandémie ? Autant de questions auxquelles il n’est pas aisé de répondre
du premier coup. Mais, cela passe par ce qu’on appelle la délibération éthique qui nécessite une
analyse profonde de la situation où il faut tenir compte de tous les éléments et acteurs en jeu.
Cela pour dire que les problèmes éthiques sont quotidiens ! Mieux, ils sont partout ! Et l’ingénierie
n’en est pas exempte. C’est ce que l’on verra dans ce cours.
1. OBS et AFP du 15 mars 2020.
2. Algérie Eco du 17 avril 2020.

iii
Première partie
Éthique et Déontologie

1
Chapitre 1
Éthique et Déontologie
«Science sans conscience n’est que ruine de l’âme.»

François Rabelais

1.1 Introduction

O n est souvent, voire trop souvent, amené à prendre des décisions. La prise de décision
est présente dans tous les aspects de notre vie et les décisions sont prises à plusieurs
niveaux (personnel, social et politique). Bon nombre des décisions auxquelles nous sommes
confrontés ont une dimension éthique explicite ou implicite et exigent par conséquent des jugements
normatifs.
La réflexion éthique n’a donc, pour ainsi dire, jamais quitté l’être humain dans ses pratiques
et actions quotidiennes. En effet, certains auteurs 1 voient dans le Code de Lois d’Hammourabi,
Roi de Babylones, édicté vers 2000 ans av. J.-C, ainsi que dans l’Ancien Testament où sont
décrites les normes de pratiques auxquelles s’astreignaient les constructeurs de l’antiquité, une espèce
de formalisation de l’éthique de l’ingénierie. Tout comme ils considèrent les règles d’admission aux
corporations et autres guides du Moyen-Âge, des ancêtres des codes de déontologie dits modernes
qui se sont développés depuis la fin du XIXe siècle 2 .
Les disciplines scientifiques et d’ingénierie sont considérées comme étant des professions haute-
ment éthiques où les professionnels (scientifiques ou ingénieurs) montrent un comportement éthique
avec un standard moral autrement élevé 3 . Cependant, l’évolution technologique n’a pas toujours été
« saine ». Et les exemples n’en manquent pas ! Le lancement des bombes atomiques sur Hiroshima
et Nagasaki (1945) faisant selon certaines estimations 250 000 morts ainsi que des centaines de cas
de cancers, les accidents de Bhopal 4 (1984) et Tchernobyl 5 (1986) et tout récemment l’accident
1. À l’instar de Mike Martin et Roland Schinzinger, auteurs du livre Ethics in Engineering, McGraw-Hill
Higher Education, 2004.
2. Ch. Didier, Éthique et identité professionnelle des ingénieurs : Enquête sur les diplômés des écoles du Nord de
la France,Thèse de Doctorat en Sociologie, EHESS, Paris, 2002.
3. James G. Speight and R. Foote, Ethics in Sciences and Engineering, Wiley, 2011.
4. La catastrophe de Bhopal (Inde) survient dans la nuit du 3 décembre 1984. Elle est la conséquence de l’explosion
d’une usine d’une filiale de la firme américaine Union Carbide produisant des pesticides et qui a dégagé 40 tonnes
d’Isocyanate de Méthyle dans l’atmosphère de la ville. Cet accident industriel tua officiellement 3 828 personnes et
entre 20 000 et 25 000, selon les associations des victimes.
5. La catastrophe nucléaire de Tchernobyl est un accident nucléaire majeur qui a commencé le 26 avril 1986 dans

2
CHAPITRE 1. ÉTHIQUE ET DÉONTOLOGIE 3

du Golfe du Mexique (2010) et la catastrophe de Fukushima (2011), pour ne parler que des faits
saillants, posent de manière accrue la question de l’éthique dans les métiers de l’ingénieur. Il s’en est
même trouvé ceux qui ont appelé au renouvèlement des principes éthiques 6 devant régir la conduite
de l’ingénieur dans l’exercice de son métier. En effet, on fait de plus en plus état des implications
environnementales des innovations et des réalisations technologiques mais aussi de leurs effets sur
les générations futures auxquelles on n’a pas le droit de léguer une planète en catastrophe.
Ces considérations nous amènent à dire que nous sommes en plein dans « une civilisation du
risque technologique » 7 . Le risque est donc devenu « la mesure de l’action ». Et, l’ingénieur est non
seulement un acteur de cet « écosystème mondial », il en est aussi l’auteur et le concepteur. Sa
responsabilité éthique est engagée : l’ingénieur ne peut plus se contenter de réaliser ce qui est tech-
niquement possible et légalement autorisé, il doit aussi intégrer dans sa réflexion un questionnement
éthique sur les intentions et sur les conséquences des progrès techniques auxquels il travaille.

Figure 1.1.1 – Pélicans trempés de pétrole dans le Golfe du Mexique (DR : C. Cole/LA
Times).

1.2 Définition de quelques concepts


Morale La Morale, c’est la science du bien et du mal, c’est une théorie relative à la conduite
humaine en tant qu’elle a le bien pour objet. Elle se réfère aussi aux mœurs, aux habitudes et aux
règles de conduite admises et pratiquées par la société comme relevant du bien.
la centrale nucléaire V.I. Lénine, située à l’époque en République socialiste soviétique d’Ukraine en ex-URSS. Il
s’agit de la plus grave catastrophe nucléaire du XXe siècle, classée au niveau 7, le plus élevé, de l’échelle internationale
des évènements nucléaires (INES). L’accident a été provoqué par l’augmentation incontrôlée de la puissance du réacteur
n° 4 conduisant à la fusion du cœur. Cela a entraîné le craquage de l’eau des circuits de refroidissement conduisant par
la suite à une explosion et la libération d’importantes quantités d’éléments radioactifs dans l’atmosphère, provoquant
une très large contamination de l’environnement, et de nombreux décès et maladies survenus immédiatement ou à
long terme du fait des irradiations ou contaminations.
6. George D. Catalano, Tragedy in the Gulf : A Call for a New Engineering Ethic, Morgan & Claypool, 2011.
7. P. Lagadec, La civilisation du risque technologique : Catastrophe technologique et responsabilité sociale, Seuil,
Paris, 1988.
CHAPITRE 1. ÉTHIQUE ET DÉONTOLOGIE 4

Éthique : « Qui se rapporte à la morale. Discipline de la philosophie qui a pour objet les principes
moraux guidant la conduite d’un individu, d’un groupe ». Art de diriger la conduite humaine en
tenant compte, en conscience, des valeurs en jeu. Elle se réfère aussi au produit d’une réflexion
portant sur les valeurs afin de les critiquer, de les renouveler, et ce à la mesure des changements
que la vie quotidienne fait émerger. Une telle réflexion est alimentée notamment par la morale, par
la philosophie, par la psychologie et par la sociologie.
L’éthique est une démarche visant, face à un problème donné à adopter la meilleure solution
en s’appuyant sur des valeurs apprises, admises et intégrées et en tenant compte du contexte dans
lequel le problème se pose actuellement.
Alors que la morale définit des principes ou des lois générales, l’éthique est une disposition
individuelle à agir selon les vertus, afin de rechercher la bonne décision dans une situation donnée.
La morale n’intègre pas les contraintes de la situation. La morale ignore la nuance, elle est binaire.
L’éthique admet la discussion, l’argumentation, les paradoxes.
Déontologie (Science du devoir) : La déontologie (étymologiquement du grec deon, le devoir
et logos le discours), est la théorie des devoirs moraux et l’ensemble des règles de conduite que
l’homme doit respecter à l’égard de la société en général. Dans un sens plus technique, et plus
répandu aujourd’hui, elle désigne l’ensemble de devoirs qu’impose à des professionnels l’exercice de
leur tâche. Les règles déontologiques émanent de groupes professionnels déterminés qui les établissent
généralement par l’intermédiaire de leurs propres instances, ordres professionnels, associations ou
syndicats sous la forme d’un code. Elles correspondent à un phénomène d’autorégulation 8 .
La déontologie n’a donc pas une vocation spéculative mais une visée pratique, elle entend définir
pour une pratique professionnelle donnée, à partir de son axiologie, un socle commun de règles, de
recommandations et de procédures 9 .
Comme les règles de droit, les règles déontologiques s’appliquent de manière identique à tous
les membres du groupe, dans toutes les situations de la pratique. Une autorité est chargée de les
faire respecter et d’imposer des sanctions en cas de dérogation. L’éthique, au contraire, invite le
professionnel à réfléchir sur les valeurs qui motivent son action et à choisir, sur cette base, la
conduite la plus appropriée.

1.3 De la nécessité d’une éthique de l’ingénierie


Trois cas d’école ont contribué à influencer la prise de conscience des ingénieurs de leur « res-
ponsabilité sociétale » : l’incident de BART, l’accident du DC 10 de la Turkish Airlines (1974)
et enfin l’explosion de la navette spatiale Challenger (1986).
1.3.1 Cas BART
Trois ingénieurs de Bay Area Rapid Transit (BART) constatent que certaines étapes de la
fabrication de trains commandés par leur compagnie sont effectuées par des firmes ou des équipes
incompétentes. Ils signalent le problème au Conseil d’Administration qui ne donne pas suite à leur
rapport. Un membre du Conseil d’Administration alerte la presse. Ils sont congédiés. Une enquête
ultérieure démontre qu’ils avaient raison, ce qui est dramatiquement confirmé par le déraillement
d’un train BART, en octobre 1972, à Frémont.
8. D. Salas, Le renouveau du débat sur l’éthique du juge, in D. Salas & H. Epineuse (ed), L’éthique du juge : une
approche européenne et internationale, Paris : Dalloz, 2003, pp. 3-18.
9. E. Prairat, Vers une déontologie de l’enseignement, Éducation didactique, vol. 3, n°2, juin 2009.
CHAPITRE 1. ÉTHIQUE ET DÉONTOLOGIE 5

1.3.2 Cas DC 10
Le 12 juin 1972, le DC 10 vol 96 d’American Airlines perd en vol sa porte de soute arrière
au-dessus de Windsor, en Ontario. La dépressurisation conduit à l’affaissement du plancher et à
une perte partielle des commandes de vol. Par chance, le pilote, entraîné en vue de ce risque qu’il
connaissait, parvient à contrôler son avion et à le poser. L’enquête met en évidence la mauvaise
conception du système de verrouillage de la porte. Ce problème était bien connu de la compagnie
Convair, à laquelle l’entreprise McDonnell Douglas avait sous-traité la fabrication du fuselage.
Le 27 juin 1972, Daniel Applegate, ingénieur et directeur de la production chez Convair
rédige un mémo à ses supérieurs dénonçant les dangers résultants de certaines faiblesses du devis.
On peut y lire la phrase suivante : « [...] une porte de soute s’ouvrira un jour ou l’autre au cours
des vingt années à venir [...] avec pour conséquence probable la perte totale de l’appareil ». John
Hurt, son supérieur hiérarchique direct et program manager pour le DC 10, ne conteste pas son
point de vue mais décide de ne pas l’exposer à McDonnell Douglas, pressentant les conséquences
financières d’une telle information dans un contexte de forte compétition. Applegate ne va pas
plus loin. Un Gentelmen’s agreement dont Applegate avait eu connaissance avait été établi dix
jours plus tôt, le 17 juin 1972, entre Jackson McGowan, président de la division Douglas de
McDonnell Douglas et de Jack Shaffer administrateur de la Federal Aviation Agency (FAA)
au terme duquel McGowan s’engageait à sécuriser le système de fermeture. Shaffer ne jugea
pas nécessaire de publier une directive de navigabilité. Les consignes de modification transmises à
l’usine de Long Beach où se trouvaient les appareils ne furent pas accompagnées de procédures
spécifiques de vérification ni d’une communication adaptée aux enjeux.
Le 3 mars 1974, la porte de soute qui nécessitait une méthode de fermeture inhabituelle n’est
pas fermée correctement par le bagagiste d’Orly. Elle n’est pas non plus vérifiée par l’équipage.
La porte se décroche en vol, le plancher passager qui présentait une fragilité de conception connue
depuis des années s’effondre. Le pilote perd les commandes. L’avion s’écrase neuf minutes après son
décollage de l’aéroport d’Orly dans la forêt d’Ermenonville faisant 346 morts.
1.3.3 Cas de la navette Challenger
Le 28 janvier 1986, lors de la mission STS-51-I, un des joints circulaires (O-ring) du propulseur
droit de la navette spatiale Challenger ne se dilate pas suffisamment à cause des températures
anormalement basses au moment du lancement. Des gaz brûlants s’échappent à la jonction des
cylindres qui composent le propulseur (Booster) de la navette. Celle-ci se désintègre en vol, 73
secondes après le lancement. Aucun des sept membres de l’équipage, six militaires et une enseignante
civil, ne survit. Roger Boisjoly, ingénieur en aéronautique, travaillait pour Morton Thiokol,
le fabricant des propulseurs. En juillet 1985, il avait signalé dans une note destinée au vice-président
de Morton Thiokol le défaut de conception des joints, suggérant que, sans réponse, ce défaut
pourrait conduire à « une catastrophe de la plus grande ampleur, avec perte de vie humaine »
lors d’un décollage. Il avait maintenu sa position jusqu’à la mise à feu. Rétrogradé par la suite, il
démissionne et dénonce, dans des articles et des conférences, le peu de cas que l’on fait, en pareilles
circonstances, de l’avis des experts.
Ces trois cas constituent des exemples classiques de l’enseignement de l’éthique de l’ingénierie
notamment aux États-Unis où cette discipline (Engineering Ethics) est des plus développées. Une
méthode pédagogique, a même été proposée par Roger Boisjoly lui-même, consistant à relater
l’histoire de l’explosion de la navette spatiale par séquence invitant les étudiants, en se mettant à
sa place, à choisir parmi diverses actions possibles 10.
10. Ch. Didier, Éthique de l’ingénierie : Un champ émergent pour le développement professionnel, Techniques de
CHAPITRE 1. ÉTHIQUE ET DÉONTOLOGIE 6

1.4 Problème éthique


Nous sommes amenés à prendre quotidiennement, une multitude de décisions. Cependant, sont-
elles toutes d’ordre éthique ? Ce n’est pas évident. Car, les questions ne sont pas toutes d’ordre
moral ou éthique.
Par exemple, il peut nous arriver de nous demander quel moyen de transport prendre ou bien
ce que nous allons commander au restaurant. Ce type de questions sont plutôt d’ordre pratique pas
éthique.
Un problème éthique entraine des questions du genre : que dois-je faire pour bien agir et pour
éviter de mal agir ? Quelle est la bonne action à réaliser ?
Pour qu’un problème soit moral ou éthique, il doit mettre en jeu des idéaux qui donnent du sens
à notre vie ou des règles qu’on se sent obligés de respecter.
Exemple 1.1. Mon collègue et ami commet au sein de l’entreprise où on travaille, des petits vols.
Dois-je le dénoncer ?
En effet, il serait injuste envers mon employeur que je ne dénonce pas mon collègue ; par contre,
mon collègue est aussi mon ami et je ne veux pas lui être déloyal. De plus, il ne faut pas faire aux
autres ce qu’on ne voudrait pas qu’ils nous fassent. C’est une situation où est posé un vrai dilemme
éthique.
Exemple 1.2. Un mendiant me demande l’aumône. Dois-je lui en donner ?
Je devrais faire preuve de générosité et donner de la monnaie à ce mendiant ; mais d’un autre
côté, il n’est pas de ma responsabilité de subvenir à ses besoins. C’est aussi un cas de dilemme
éthique.

1.5 La délibération éthique


Beaucoup de décisions éthiques sont spontanées. Les dilemmes éthiques exigent toutefois, pour
être résolus, une démarche de décision délibérée 11.
Il y a dilemme quand, dans une situation donnée, il faut choisir entre deux actions différentes
qui s’excluent mutuellement. Il s’agit d’un dilemme éthique quand, quelle que soit la décision finale,
l’action choisie entraîne des conséquences sérieuses, positives ou négatives, pour le décideur et pour
autrui.
Exemple 1.3. Dilemme éthique
L’employeur mandate son ingénieur de réaliser les plans d’un ouvrage d’art. Cependant, en
raison du programme de réduction des coûts, il ne met pas à sa disposition les moyens nécessaires
pour respecter les normes et les règles en vigueur. Il se retrouve devant un dilemme éthique :
1) Exécuter le mandat avec les moyens fournis ;
Ou bien :
2) Refuser de l’exécuter.
À la base d’un dilemme éthique, il y a un conflit de valeurs qui ne peut être résolu sans qu’il
y ait des gains et des pertes. L’objectif de la délibération éthique est de minimiser les pertes et de
parvenir à une décision que les personnes concernées pourraient juger raisonnable. La démarche qui
permet d’atteindre cet objectif comporte, telle que proposée par l’Ordre des Ingénieurs du Québec,
les quatre phases détaillées ci-après.
l’Ingénieur, AG 102.
11. Ordre des Ingénieurs du Québec : http : //gpp.oiq.qc.ca
CHAPITRE 1. ÉTHIQUE ET DÉONTOLOGIE 7

1.5.1 Phase 1 : L’inventaire des aspects éthiques et normatifs de la situation


Cette phase permet de prendre conscience des sources de tension présentes dans la situation.
Elle exige qu’on relève d’abord les principaux faits :
1. Qui est concerné par la décision ?
2. Qu’est-ce qui est en jeu pour chacune des parties ?
3. Quelle sont les deux actions, A et B, qui créent le dilemme ?
On explore ensuite la dimension éthique en déterminant, pour chacune des parties concernées, les
conséquences positives et négatives les plus probables de A et B. L’inventaire des aspects normatifs
s’étend à toutes les normes applicables dans la situation : lois, règles déontologiques, règles du milieu
de travail, morale.
1.5.2 Phase 2 : La clarification des valeurs
Cette phase permet de déterminer les valeurs qui ont le plus de poids dans la situation et qui,
du fait de leur conflit, sont au cœur du dilemme.
Dans ce but, on revient sur les conséquences et les normes inventoriées précédemment afin de
nommer et de peser les valeurs qui leur sont associées. Les valeurs partagées, celles qui s’expriment
dans des idéaux collectifs, jouent ici un rôle important, car ce sont des critères reconnus pour dire
qu’une action est meilleure qu’une autre.
Dans l’exemple cité plus haut, le principal conflit de valeurs auquel l’ingénieur doit faire face
pourrait opposer deux valeurs jugées très importantes : l’efficience (action A) et la sécurité du public
(action B).
1.5.3 Phase 3 : La prise de décision « raisonnable »
Il s’agit d’abord de choisir la valeur qui aura la priorité et de justifier ce choix malgré les pertes
qu’il va entraîner.
Pourquoi, dans le cas de l’ingénieur de l’exemple plus haut, la sécurité du public devrait-elle
avoir priorité sur l’efficience ? Il faut pouvoir répondre clairement à cette question en donnant des
raisons qui ne relèvent ni des émotions ni des préférences personnelles, et que les personnes ou
groupes concernés peuvent considérer comme de bonnes raisons.
C’est aussi durant cette troisième phase que l’on décide comment minimiser les pertes pour la
valeur qui n’a pas reçu la priorité. Peut-il, par exemple, suggérer d’autres manières de réduire les
coûts ? Les moyens dont il a besoin pourraient-ils contribuer à l’efficience ?
1.5.4 Phase 4 : Le dialogue avec les parties prenantes
La phase de dialogue fournit l’occasion d’expliquer la décision et les raisons qui la justifient. Elle
vise le partage de sens et la coopération, plutôt que la persuasion ou le choc des idées.
Le dialogue peut constituer la dernière phase de la démarche de délibération, mais il commence
souvent plus tôt, soit parce que le décideur sent le besoin de consulter, soit parce que la décision
finale revient à un groupe.
C’est le propre de l’éthique d’être attentive aux conséquences de l’action pour autrui. La dé-
marche de délibération vise une décision que toutes les personnes intéressées pourraient approuver.
Elle n’y parvient pas toujours, mais, à coup sûr, une décision fondée sur les seuls intérêts et valeurs
du décideur ne serait pas une décision éthique.
CHAPITRE 1. ÉTHIQUE ET DÉONTOLOGIE 8

1.5.5 Test d’une décision éthique


Après avoir appliqué les quatre phases de la démarche de prise de décision éthique, il est inté-
ressant de vérifier la qualité de sa décision à l’aide d’un simple test à trois volets :
Transparence Si le choix adopté venait à être communiqué publiquement, serais-je à l’aise de
le défendre et de l’expliquer ?
Exemplarité Le choix adopté pourrait-il servir d’exemple dans toute autre situation similaire ?
Réciprocité Si c’est moi qui subissais les conséquences du choix, est-ce que je considèrerais
toujours qu’il s’agit d’un bon choix ?

1.6 Approches éthiques


Il existe différentes approches éthiques qui peuvent être invoquées dans la prise de décision.
Éthique utilitariste : Cette approche considère que la valeur morale d’une action réside dans
ses conséquences ou résultats. L’utilitarisme est, historiquement, la principale théorie morale consé-
quentialiste 12. Il tient pour juste l’action qui engendre le plus de bonheur pour l’ensemble de tous
les agents, le bonheur étant défini comme la maximisation des plaisirs et la minimisation des peines.
Ainsi défini, l’utilitarisme affirme que ce qui compte est la somme totale de bonheur, ou bonheur
agrégé, le bonheur de tous et non pas le bonheur de quelques-uns ou le bonheur d’une personne
particulière.
Éthique déontologique : La valeur morale d’une action réside non pas dans ses conséquences,
mais dans les caractéristiques formelles de l’action elle-même. L’éthique déontologique ou déontolo-
gisme est donc, la théorie éthique qui affirme que chaque action humaine doit être jugée selon sa
conformité (ou sa non-conformité) à certains devoirs.
Éthique de la vertu : Les actions peuvent être classées en deux catégories : vertueuses et
vicieuses. L’éthique de la vertu insiste sur l’importance des traits caractéristiques d’une personne, et
prête ainsi davantage attention à ce qu’on considère habituellement sous le nom de vertus. Différentes
éthiques de la vertu existent selon la ou les vertus mises en avant : l’honnêteté, la sympathie, la
prudence voire la phronesis grecque, ou encore la sagacité, la douceur, le courage.

Paradigmes de l’Éthique de l’ingénierie

Utilitarisme Éthique Déontologique Éthique de la Vertu


Figure 1.6.1 – Représentation schématique des approches éthiques classiques
12. Le conséquentialisme fait partie des éthiques téléologiques et constitue l’ensemble des théories morales qui
soutiennent que ce sont les conséquences d’une action donnée qui doivent constituer la base de tout jugement moral
de ladite action. Ainsi, d’un point de vue conséquentialiste, une action moralement juste est une action dont les
conséquences sont bonnes. Plus formellement, le conséquentialisme est le point de vue moral qui prend les conséquences
pour seul critère normatif.
CHAPITRE 1. ÉTHIQUE ET DÉONTOLOGIE 9

Problème des terroristes de montagne


Nous allons maintenant présenter un problème classique spécialement conçu par Bernard
Williams, connu sous le nom de « Problème des terroristes de montagne » 13 . En voici l’histoire 14 :
« Jim arrive sur la Grand-Place d’une petite ville d’Amérique du Sud. À un mur sont ligotés une
vingtaine d’Indiens, la plupart terrifiés, quelques-uns rebelles ; devant eux il y a quelques hommes
en uniforme. Un gros homme, habillé d’une chemise kaki tachée de sueur, s’avère être le capitaine.
Après avoir longtemps questionné Jim qui lui dit être arrivé là par accident au cours d’une expédition
botanique, le capitaine lui explique que les Indiens qu’il voit ont été sélectionnés au hasard parmi
les habitants qui ont récemment protesté à plusieurs reprises contre le gouvernement, et qu’ils sont
sur le point d’être tués afin de rappeler aux protestataires possibles les avantages de ne pas protester.
Cependant, puisque Jim est un distingué visiteur d’un pays étranger, le capitaine est heureux de
lui offrir un privilège d’hôte : celui de tuer lui-même un de ces Indiens. Si Jim accepte, alors pour
marquer l’évènement, les autres Indiens auront la vie sauve. Évidemment si Jim refuse, il n’y aura
alors pas d’évènement spécial, et Pedro ici présent exécutera ce qu’il s’apprêtait à faire lorsque Jim
est arrivé : il les tuera tous. Les Indiens attachés au mur ainsi que les autres villageois comprennent
la situation et lui demandent d’accepter la proposition.
Que doit-il faire ? »
Deux options se présentent dans ce cas :
1. Jim accepte la proposition du capitaine, prend l’arme, choisit un villageois et lui tire dessus ;
2. Jim s’en va en refusant l’offre du capitaine.
Les différentes approches présentées ci-dessus, peuvent être appliquées pour « la résolution » de ce
problème. Toutefois, il y a lieu de préciser que ce problème a un pur intérêt pédagogique, dès lors
qu’il présente l’avantage de nous permettre de distinguer entre les différentes approches, ce qui n’est
pas le cas de certains problèmes réels.
Alors que les utilitaristes, basant leur analyse sur les conséquences de l’action qui procure le
plus de bonheur, préfèreront la première option − tuer un villageois dans l’objectif de sauver la
vie de dix-neuf autres, les déontologistes quant à eux seront enclin à s’en aller et quitter la scène.
Cela est dû au fait qu’ils jugent l’action par ses caractéristiques intrinsèques. Fait-elle appel, dans
sa réalisation, à des procédés moraux ou immoraux ? En effet, un déontologiste ne se donnera pas
le droit de tuer une personne, dès lors que cet acte viole toutes les lois de la nature. L’éthique de
la vertu s’intéressera, elle, dans ce cas précis aux vertus de la personne : courageuse ou intègre.
C’est-à-dire qu’elle « oubliera » l’action et se focalisera sur l’agent ou la personne réalisant l’action.
Selon cette approche, en tirant sur un villageois, Jim se rendra complice des assaillants, donc dans
la situation actuelle, s’en aller serait « la meilleure solution » quitte à apparaître lâche. Un sérieux
problème de responsabilité entre alors, en jeu. Un réel conflit entre deux valeurs peut ainsi être
relevé : la responsabilité et le courage.
Ce cas d’école nous a permis de mettre en œuvre les différents niveaux d’analyse éthique. Il
présente cependant, l’inconvénient majeur de donner une idée erronée selon laquelle les approches
éthiques s’opposent l’une à l’autre. Ce qui n’est souvent pas le cas. En effet, généralement les
approches éthiques convergent vers la même solution éthique renforçant par-là sa validité morale. Si
elles divergent, il est évident que la solution est moralement faible. Aussi, est-il conseillé d’éviter de
formuler les problèmes éthiques sous formes de dilemmes donnant lieu à des choix forcés entre des
alternatives indésirables. Il y va par-là que la résolution effective des problèmes éthiques requiert
une imagination et une créativité morales avérées.
13. W. Frey and J. Cruz-Cruz, Professionnal ethics in engineering, 2007, http ://cnx.org/content/col10399/1.3.
14. J.J.C Smart and B. Williams, Utilitarianism for and against, Cambridge University Press,1973.
CHAPITRE 1. ÉTHIQUE ET DÉONTOLOGIE 10

1.7 Éthique et déontologie en milieu d’entreprise


1.7.1 Aperçu historique
C’est en 1910 que le premier code de déontologie pour les ingénieurs dans le monde, a été promu
par l’Institution of Civil Engineers au Royaume-Uni. Au cours du XXe siècle, de nombreux codes
de déontologie ont été publiés aux États-Unis : American Institute of Consulting Engineers (1911),
American Institute of Electric Engineers (1912), American Institute of Chemical Engineers (1912),
American Society of Civil Engineers (1914), American Society of Mechanical Engineers (1914). Mais
c’est Canada (1924), précisément au Québec, que l’on connait un véritable Ordre des Ingénieurs
qui a force de loi. Les premiers codes soulignaient la nécessité d’une loyauté des ingénieurs à l’égard
de leurs employeurs : « L’ingénieur devrait considérer la protection d’un client ou les intérêts de l’em-
ployeur comme sa première obligation professionnelle, et par conséquent éviter tout acte contraire
à son devoir ». Plusieurs mouvements historiques ont fait évoluer la déontologie ainsi que les sujets
dont s’occupent les codes éthiques : mouvements contre les armes nucléaires (années 1950), mouve-
ments en faveur de l’environnement (années 1960), mouvements de consommateurs (années 1960),
discussions critiques sur les techniques (années 1970), renouveau des valeurs démocratiques (années
1970).
Il est indiqué dans les codes d’éthique de l’IEEE et de l’AIEE (1974) que « la responsabilité des
ingénieurs à l’égard de leurs employeurs et de leurs clients est limitée par leur obligation de protéger
la sécurité publique, la santé et le bien-être ».
Les scandales publics cités précédemment (voir la section 1.3), ont accentué le sentiment de
responsabilité des ingénieurs et donné matière à des études de cas qui sont aujourd’hui parmi les plus
citées dans la formation des ingénieurs. Un nouveau thème de recherche en éthique de l’ingénierie
a vu alors, le jour c’est le whistleblowing qui signifie littéralement « tirer la sonnette d’alarme ».
Cela pose tout un dilemme pour l’ingénieur : la loyauté à l’égard de son employeur et le devoir
de protection du public. Ainsi, après l’ère des codes d’éthique, le fait de tirer ou non la sonnette
d’alarme sur des faits que l’ingénieur juge dangereux soit pour le public soit pour l’environnement,
est devenu depuis des années un des thèmes principaux et préoccupations récurrentes des colloques
et publications spécialisées en éthique de l’ingénierie.
1.7.2 Codes de déontologie
Dans sa définition de base, « l’entreprise est une unité économique autonome disposant de
moyens humains et matériels qu’elle combine en vue de produire des biens et services destinés à
la vente. » Le bien-être de l’entreprise concerne tout intervenant en son sein. Ce dernier, le bien-
être de l’entreprise, est basé sur certaines règles que chacun se doit d’observer.
Biens et installations de l’Entreprise : Une utilisation rationnelle et efficace des biens de
l’entreprise échoie à tout intervenant. Le vol, la négligence et le gaspillage ont un impact direct sur
la rentabilité de l’Entreprise.
Informations confidentielles : Les informations confidentielles comprennent toutes les infor-
mations non destinées au public qui pourraient être utiles aux concurrents ou dommageables à
l’Entreprise ou à ses clients si elles venaient à être publiées. Elle peuvent être relatives aux aspects
financiers, commerciaux et techniques de l’Entreprise. Tout comme elles peuvent comporter des
propriétés intellectuelles telles que des secrets industriels, des inventions, des demandes de brevet,
CHAPITRE 1. ÉTHIQUE ET DÉONTOLOGIE 11

de même que des plans d’exploitation et des stratégies commerciales, des idées d’ingénierie et de fa-
brication, des designs, des tarifications, des produits et des services en cours de développement, des
bases de données, des archives, des informations relatives aux salaires, des informations concernant
toute acquisition éventuelle par l’Entreprise ou dessaisissement et toutes les données financières et
rapports financiers qui n’ont pas encore été publiés.
Propriétés intellectuelles : L’Entreprise est légalement autorisée à tous les droits sur les idées,
inventions et créations intellectuelles qui ont été créés par ses employés au cours de leur période d’em-
bauche chez l’Entreprise ou en utilisant les ressources de l’Entreprise «Propriétés intellectuelles».
Cela conduit aux obligations suivantes que le personnel doit respecter. Le non-respect de celles-ci
peut être une cause réelle et sérieuse de licenciement, voire constitutive d’une faute grave ou lourde
pouvant justifier la révocation immédiate du salarié de l’entreprise sans préavis ni indemnités.
L’obligation de loyauté : C’est une obligation inhérente au contrat de travail, imposant au
salarié de ne pas commettre des agissements pénalement sanctionnables. Elle s’accompagne d’une
obligation de fidélité et de non-concurrence envers l’employeur. Elle s’impose à tout salarié, même
en l’absence d’écrit, après la cessation du contrat.
L’obligation de discrétion : Elle s’impose au salarié sans avoir à être spécifiée dans le contrat
de travail. Ainsi, le salarié est tenu à cette obligation accompagnée d’une obligation de secret
professionnel vis-à-vis des tiers (clients, concurrents, mais aussi dans certains cas les autres salariés)
pour toutes les informations confidentielles dont il pourrait avoir connaissance dans le cadre de
ses fonctions. Les cadres ont une obligation de discrétion plus importante que les autres salariés
dans la mesure où ils possèdent des informations confidentielles de la vie de l’entreprise (stratégie
commerciale, politique de gestion des ressources humaines).
L’obligation de réserve : Elle interdit au salarié de critiquer ouvertement les décisions de son
employeur.
Le secret professionnel : C’est une interdiction pour le salarié de divulguer des informations
confidentielles ( par exemple, un secret de fabrication) liées à son activité professionnelle. Il ne doit
pas divulguer le secret professionnel aux tiers même lorsqu’il cesse d’être employé par l’entreprise qui
détient ces informations mais il peut utilisé les connaissances professionnelles qu’il a acquises dans
l’entreprise. Dans le cas de révélations sur les secrets de fabrication non brevetés, ces révélations
sont assorties de sanctions pénales.
Intégrité : L’intervenant doit agir avec compétence et rigueur en toute circonstance et à ne
prendre position que lorsqu’on a objectivement analysé la question et qu’on est en mesure d’exer-
cer un jugement éclairé. L’intégrité, c’est éviter toute situation de conflit d’intérêts susceptible
d’influencer la prise de décision ou l’exercice des fonctions.
Corruption : Par le vocable « corruption », on entend tout mésusage du pouvoir, de l’autorité
ou de fonctions publiques en vue de l’obtention d’avantages privés, d’extorsion, de trafic d’influence,
de népotisme, de fraude, de paiements « de facilitation » ou de détournement de fonds. C’est parce
qu’elle a des conséquences néfastes tant sur l’individu, que sur l’entreprise ou la société en général,
que l’on doit l’éviter, mieux la combattre. Constituant un délit grave sévèrement puni par la loi,
elle peut être active ou passive selon qu’elle est à l’initiative du corrompu ou du corrupteur.
CHAPITRE 1. ÉTHIQUE ET DÉONTOLOGIE 12

1.8 Conclusion
D’après Christelle Didier 15 « l’ingénierie pas plus que la technique ne peuvent être qualifiées
de neutres du point de vue des valeurs. Par ailleurs, l’impact social, environnemental et culturel du
développement technique 16 est tel qu’il nécessite plus que jamais une maîtrise humaine. » Donc, il
est dans l’ordre naturel des choses d’intégrer « la dimension éthique » dans chaque réalisation et ou
invention technologique.
À cause de la position stratégique qu’ils occupent souvent au sein des entreprises et des organi-
sations, les ingénieurs ne peuvent ignorer la dimension éthique de leur travail.
Ainsi, l’ingénieur 17 « afin de maintenir et promouvoir l’honneur et la dignité de la profession
d’ingénieurs [. . .] servira avec dévotion son employeur, son client et le public », tout comme il 18 « ne
s’incline pas devant ceux qui méprisent le droit de l’individu et utilisent les techniques à des fins
mauvaises [...]». Le code de déontologie de l’ordre des Ingénieurs du Québec est en ce sens, plus
restrictif ! Il n’est pas moins stipulé que «l’ingénieur doit, lorsqu’il considère que des travaux sont
dangereux pour la sécurité publique, en informer l’Ordre des ingénieurs du Québec [. . .]».
À côté de cela, il y a lieu de parler de l’éthique des affaires que l’ingénieur dans l’exercice de
sa profession est tenu de respecter. Il se retrouve parfois, face à des situations où il y a un conflit
d’intérêts 19 manifeste ! Comment doit-il agir ? A-t-il le droit de recevoir ou donner des cadeaux dans
le cadre de son travail par exemple, sans que cela n’apparaisse comme étant de la corruption ?
Autant de questions et de situations équivoques auxquelles est confronté l’ingénieur dans ses
tâches quotidiennes.
Dans ce qui précède, on a vu que l’éthique est balisée par des valeurs, alors que la déontologie
est circonscrite par des règles. Toutefois, dans les deux cas, l’objectif est le même, soit réguler la
conduite des personnes. Un code de déontologie établit une base en précisant ce qui est tolérable et
ce qui ne l’est pas. L’éthique est une question de jugement alors que la déontologie, qui peut laisser
place au jugement, est avant tout un ensemble de règles assez précises. Néanmoins, rien n’empêche
un ingénieur d’aller plus loin, bien au contraire.
Même si l’éthique est fonction d’une situation donnée, elle est cependant, liée en partie aux
valeurs personnelles de tout un chacun, lesquelles sont limitées par les balises fixées par les codes et
les lois qui s’appuient sur des valeurs communes à une société ou universelles.

15. Ch. Didier, L’«éthique de l’ingénierie » concerne aussi les ingénieurs, Dans Penser l’éthique des Ingénieurs,
2008, pp. 179-183.
16. Il en est ainsi par exemple de l’invention de l’électricité, de l’automobile, de la télevision ou bien de l’internet,
et de manière générale des Technologies d’information et de communication (TIC). Inventions qui ont révolutionné
l’existence humaine de façon radicale.
17. Code of ethics, IEEE, US, 1963.
18. Profession de foi du VDI, Allemagne, 1950.
19. Un conflit d’intérêts naît d’une situation dans laquelle un agent public a un intérêt personnel de nature à influer
ou paraître influer sur l’exercice impartial et objectif de ses fonctions officielles.
Chapitre 2
Charte de l’éthique et de déontologie
universitaire
2.1 Préambule

E n moins de cinquante années après l’indépendance de notre pays 1 , l’Université Algé-


rienne a connu une très forte croissance de l’ensemble de ses principaux indicateurs, comme
le montrent le nombre d’établissements universitaires et leur répartition géographique, les
effectifs étudiants et de diplômés, la diversification des filières de formation et l’activité de recherche
scientifique.
Si beaucoup a été réalisé – même si beaucoup reste encore à faire pour atteindre les normes inter-
nationales rapportées au volume de la population, le rythme accéléré de la croissance de l’université
a également généré de nombreux dysfonctionnements en termes de qualité et d’efficacité scienti-
fiques, de respect des normes de la vie académique et de maitrises des processus d’amélioration de
ses performances.
Ceci est au moins en partie, dû au fait que l’université s’acquitte de ses missions de formation
et de recherche dans un environnement socioéconomique et institutionnel qui a également connu
de profonds changements, ce qui rend nécessaire la réaffirmation de principes généraux et le re-
nouvèlement des règles de fonctionnement pouvant garantir à la fois sa crédibilité pédagogique et
scientifique et sa légitimité.
Les membres de la communauté universitaire sont, dans ce contexte, tenus de partager la dé-
marche morale et méthodologique qui conduit à reconnaitre, aux plans éthique et déontologique,
les meilleurs comportements et les meilleures pratiques universitaire, ainsi que d’en combattre les
dérives.
Émanation d’un large consensus universitaire, la charte d’éthique et de déontologie réaffirme
des principes généraux issus de normes universelles ainsi que de valeurs propres à notre société,
et qui doivent être le moteur de la démarche d’apprentissage et de mise en œuvre de l’éthique et
de la déontologie universitaires. Elle doit donc représenter un outil de mobilisation et de référence
rappelant les grands principes qui guident la vie universitaire et inspirent les codes de conduite et
les règlements qui en découleront.
1. La présente charte a été diffusée en mai 2010 par le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche
scientifique.

13
CHAPITRE 2. CHARTE DE L’ÉTHIQUE ET DE DÉONTOLOGIE UNIVERSITAIRE 14

2.2 Principes fondamentaux de la charte d’éthique et de déonto-


logie universitaires
L’intégrité et l’honnêteté
La quête de la probité et de l’honnêteté signifie le refus de la corruption sous toutes ses formes.
Cette quête doit commencer par soi avant d’être étendue aux autres. Le développement de
l’éthique et de la déontologie doit ainsi refléter des pratiques exemplaires.
La liberté académique
Les activités universitaires d’enseignement et de recherche ne peuvent se concevoir sans la liberté
académique qui en est le fondement. Cette dernière garantit, dans le respect d’autrui et en toute
conscience professionnelle, l’expression d’opinions critiques sans risque de censure ni contrainte.
La responsabilité et la compétence
Les notions de responsabilité et de compétence sont complémentaires. Elles se développent grâce
à une gestion démocratique et éthique de l’institution universitaire. Cette dernière garantit un bon
équilibre entre le besoin d’une administration efficace et celui d’encourager la participation des
membres de la communauté universitaire en associant l’ensemble des acteurs de l’université au
processus de prise de décision. Cependant, les questions scientifiques restent du ressort exclusif des
enseignants-chercheurs.
Le respect mutuel
Le respect de l’autre se fonde sur le respect de soi. Tous les membres de la communauté univer-
sitaire doivent s’interdire toute forme de violence symbolique, physique ou verbale. Ils doivent être
traités avec respect et équité et s’engager à se comporter de la même façon, quel que soit le niveau
hiérarchique des partenaires.
L’exigence de vérité scientifique, d’objectivité et d’esprit critique
La quête et la possibilité de l’interrogation des savoirs que l’université transmet et produit ont
pour principes fondamentaux la recherche de la vérité scientifique et l’esprit critique. L’exigence
de vérité scientifique oblige à la compétence, à l’observation critique des faits, à l’expérimentation,
à la confrontation des points de vue, à la pertinence des sources et à la rigueur intellectuelle. La
recherche scientifique doit être fondée sur la probité académique.
L’équité
L’objectivité et l’impartialité sont les exigences essentielles lors des évaluations, des recrutements
et des nominations.
Le respect des franchises universitaires
Toutes les parties prenantes de la communauté universitaire contribuent, dans tous leurs compor-
tements, au rehaussement des libertés universitaires de telle sorte que soient garanties leur spécificité
et leur immunité. Elles s’interdisent de favoriser ou d’encourager les situations et les pratiques qui
CHAPITRE 2. CHARTE DE L’ÉTHIQUE ET DE DÉONTOLOGIE UNIVERSITAIRE 15

peuvent porter atteinte aux principes, aux libertés et aux droits de l’université. Par ailleurs elles
doivent s’abstenir de toute activité politique partisane au sein de tous les espaces universitaires.

2.3 Droits et obligations


2.3.1 Les droits et obligations de l’enseignant-chercheur
L’enseignant-chercheur a un rôle moteur à jouer dans la formation des cadres de la nation et
dans la participation au développement socioéconomique du pays par la recherche. L’État, en lui
permettant d’assumer ses missions, doit le mettre à l’abri du besoin. La sécurité de l’emploi pour
l’enseignant-chercheur est garantie par l’État à travers les établissements publics d’enseignement
supérieur.
2.3.1.1 Les droits de l’enseignant-chercheur
Les établissements de l’enseignement supérieur doivent garantir l’accès à la profession
d’enseignant–chercheur sur la seule base des qualifications universitaires et de l’expérience requises,
ils doivent prendre toutes les dispositions à même de garantir à l’enseignant-chercheur le droit
d’enseigner à l’abri de toute ingérence, dès lors qu’il respecte les principes de l’éthique et de la
déontologie.
Toutes les questions concernant la définition et l’administration des programmes d’enseignement,
de recherche, d’activités péri-universitaires, ainsi que d’allocation de ressources doivent, dans le cadre
de la règlementation en vigueur, reposer sur des mécanismes transparents.
Lorsque l’enseignant-chercheur est appelé à exercer des fonctions administratives, il doit ré-
pondre aux exigences de respect et d’efficacité. L’évaluation et l’appréciation du travail de
l’enseignant-chercheur font partie intégrante du processus d’enseignement et de recherche. L’évalua-
tion doit porter uniquement que les critères académiques d’appréciation des activités professionnelles
en relation avec l’université.
L’enseignant-chercheur bénéficie de conditions de travail adéquates ainsi que des moyens péda-
gogiques et scientifiques nécessaires qui lui permettent de se consacrer pleinement à ses tâches, et
de disposer du temps nécessaire pour bénéficier d’une formation permanente et d’un recyclage pé-
riodique de ses connaissances. Le traitement octroyé doit être à la mesure de l’importance que cette
fonction, et par conséquent celui qui l’exerce, revêt dans la société pour la formation de l’élite, tout
autant qu’à l’importance des responsabilités de toute nature qui incombent à l’enseignant-chercheur,
dès son entrée en fonction.
2.3.1.2 Les obligations de l’enseignant-chercheur
L’enseignant-chercheur doit être une référence en termes de compétence, de moralité, d’intégrité
et de tolérance. Il doit donner une image digne de l’université.
L’enseignant-chercheur est, au même titre que les autres membres de la communauté univer-
sitaire, également responsable du respect des principes d’éthique et de déontologie universitaires
énoncés ci-dessus. Il doit, dans l’exercice de ses fonctions, agir avec soin, diligence, compétence,
intégrité, indépendance, loyauté et bonne foi au mieux des intérêts de l’institution universitaire.
En cas de faute professionnelle de l’enseignant-chercheur et de comparution devant les instances
disciplinaires habilitées ; celles-ci peuvent, selon le degré de gravité de la faute, et dans le respect des
procédures disciplinaires prévue par la règlementation en vigueur, proposer des sanctions pouvant
aller jusqu’à sa déchéance de la qualité d’enseignant universitaire.
CHAPITRE 2. CHARTE DE L’ÉTHIQUE ET DE DÉONTOLOGIE UNIVERSITAIRE 16

La responsabilité principale de l’enseignant-chercheur est d’assurer pleinement ses fonctions


universitaires l’enseignant-chercheur. A cet effet, il doit :
— S’efforcer de se conformer à des normes aussi élevées que possible dans son activité profes-
sionnelle.
— Veiller au respect de la confidentialité du contenu des délibérations et débats tenus au sein
des différentes instances dans lesquelles il siège.
— Faire preuve de conscience professionnelle dans l’accomplissement de ses tâches.
— Contribuer à la dynamisation de la fonction d’évaluation des activités pédagogiques et scien-
tifiques à tous les niveaux.
— Consacrer le principe de transparence et celui du droit de recours.
— Ne pas abuser du pouvoir que lui confère sa profession.
— S’abstenir d’utiliser son statut d’universitaire et d’engager la responsabilité à des fins pure-
ment personnelles.
— Gérer honnêtement tous les fonds qui lui sont confiés dans le cadre de l’université, d’activités
de recherche ou de toute autre activité professionnelle.
— Préserver sa liberté d’action en tant qu’universitaire.
— Faire preuve de disponibilité pour accomplir les tâches de sa fonction et être au sein des
établissements d’enseignements supérieur pour l’exécution de celles-ci.
— Agir en professionnel de l’éducation en se tenant au courant des innovations, en veillant à
l’actualisation constante et de ses méthodes d’enseignement de formation, en pratiquant son
auto-évaluation, en faisant preuve de sens critique et d’autonomie, et en sachant prendre ses
responsabilités.
— Mener l’enseignement et la recherche en conformité avec les normes éthiques et profession-
nelles universelles, loin de toute forme de propagande et d’endoctrinement.
L’enseignant-chercheur est ainsi tenu de dispenser un enseignement aussi efficace que le per-
mettent les moyens mis à sa disposition par les établissements d’enseignement supérieur,
dans un esprit de justice et d’équité vis-à-vis de tous les étudiants sans distinction aucune,
en encourageant le libre échange des idées, et en se tenant à leur disposition pour les accom-
pagner.
— Se garder de toute forme de discrimination en rapport avec le genre, la nationalité, l’ap-
partenance ethnique, le statut social, la religion, les opinions politiques, le handicap et la
maladie.
— Exposer clairement les objectifs pédagogiques et ses enseignements et respecter les règles
pédagogiques de la progression (périodicité, durée, barème de notation, consultation des
copies et réception des étudiants avant validation définitive des notes).
— Avoir une appréciation la plus objective possible des performances des étudiants.
— Orienter ses activités d’expertise et de conseil vers des travaux susceptibles d’enrichir ses
enseignements, de contribuer à l’avancement de ses recherches, ou de participer à son rayon-
nement en tant qu’universitaire.
— Fonder ses travaux de recherche sur une quête sincère du savoir, avec tout le respect dû au
principe de la preuve et à l’impartialité du raisonnement.
— Respecter le travail d’érudition de ses collègues universitaires et les travaux des étudiants et
en créditer les auteurs. Aussi, le plagiat constitue une faute majeure et inexcusable pouvant
conduire à l’exclusion.
— Contribuer au respect des libertés académiques des autres membres de la communauté uni-
versitaire et accepter la confrontation loyale des points de vue différents.
— Faire preuve d’équité et d’impartialité dans l’évaluation professionnelle ou académique de ses
collègues.
CHAPITRE 2. CHARTE DE L’ÉTHIQUE ET DE DÉONTOLOGIE UNIVERSITAIRE 17

2.3.2 Les droits et devoirs de l’étudiant de l’enseignement supérieur


L’étudiant doit disposer de toutes les conditions possibles pour évoluer harmonieusement au sein
des établissements d’enseignement supérieur. Il a de ce fait des droits qui ne prennent leur sens que
s’ils sont accompagnés d’une responsabilité qui se traduit par des devoirs.
2.3.2.1 Les droits de l’étudiant
— L’étudiant a droit à un enseignement et à une formation à la recherche de qualité. Pour ce
faire, il a droit à un encadrement de qualité qui utilise des méthodes pédagogiques modernes
et adaptées.
— L’étudiant a droit au respect et à la dignité de la part des membres de la communauté
universitaire.
— L’étudiant ne doit subir aucune discrimination liée au genre ou à toute autre particularité.
— L’étudiant a le droit à la liberté d’expression et d’opinion dans le respect des règles régissant
les institutions universitaires.
— Le programme du cours doit lui être remis dès le début de l’année. Les supports de cours
(références d’ouvrages et polycopiés . . .) doivent être mis à sa disposition. L’étudiant a droit
à une évaluation juste, équitable et impartiale.
— La remise des notes, accompagnée du corrigé et du barème de l’épreuve et au besoin, la
consultation de copie, doivent se faire dans des délais raisonnables n’excédant pas ceux fixés
par les comités pédagogiques.
— L’étudiant a le droit de présenter un recours s’il s’estime lésé dans la correction d’une épreuve.
— L’étudiant en post-graduation a droit à un encadrement de qualité ainsi qu’à des mesures de
soutien pour sa recherche.
— L’étudiant a droit à la sécurité, à l’hygiène et à la prévention sanitaire nécessaires aussi bien
dans les universités que dans les résidences universitaires.
— L’étudiant a droit aux informations concernant la structure d’enseignement supérieur à la-
quelle il appartient, notamment son règlement intérieur.
— L’étudiant a accès à la bibliothèque, au centre de ressources informatiques et à tous les
moyens matériels nécessaires à une formation de qualité.
— L’étudiant élit ses représentants aux comités pédagogiques sans entrave ni pression.
— L’étudiant peut créer, conformément à la législation en vigueur, des associations estudian-
tines à caractère scientifique, artistique, culturel et sportif. Ces associations ne doivent pas
s’immiscer dans la gestion administrative des institutions universitaires en dehors du cadre
fixé par la règlementation en vigueur.
2.3.2.2 Les devoirs de l’étudiant
— L’étudiant doit respecter la règlementation en vigueur.
— L’étudiant doit respecter la dignité et l’intégrité des membres de la communauté universitaire.
— L’étudiant doit respecter le droit des membres de la communauté universitaire à la libre
expression.
— L’étudiant doit respecter les résultats des jurys de délibération.
— L’étudiant est dans l’obligation de fournir des informations exactes et précises lors de son
inscription, et de s’acquitter de ses obligations administratives envers l’établissement.
— L’étudiant doit faire preuve de civisme et de bonnes manières dans l’ensemble de ses com-
portements.
— L’étudiant ne doit jamais frauder ou recourir au plagiat.
CHAPITRE 2. CHARTE DE L’ÉTHIQUE ET DE DÉONTOLOGIE UNIVERSITAIRE 18

— L’étudiant doit préserver les locaux et les matériels mis à sa disposition et respecter les règles
de sécurité et d’hygiène dans tout l’établissement.
L’étudiant est dûment informé des fautes qui lui sont reprochées. Les sanctions qu’il encourt
sont prévues par la règlementation en vigueur et le règlement intérieur de l’établissement
d’enseignement supérieur. Elles sont du ressort du conseil de discipline et peuvent aller
jusqu’à l’exclusion définitive de l’établissement.
2.3.3 Les droits et obligations du personnel administratif et technique de l’en-
seignement supérieur
L’enseignant-chercheur et l’étudiant ne sont pas les seuls acteurs de l’Université. Ils sont étroi-
tement associés au personnel administratif et technique des établissements qui, tout comme eux, a
des droits qu’accompagnent des obligations.
2.3.3.1 Les droits du personnel administratif et technique
Le personnel administratif et technique doit être traité avec respect, considération, et équité au
même titre que l’ensemble des acteurs de l’enseignement supérieur.
Le personnel administratif et technique a droit lors des examens de recrutement, de l’évaluation,
de nomination et de promotion, à un traitement objectif et impartial.
Le personnel administratif et technique ne doit subir aucun harcèlement ni aucune discrimination
dans l’évolution de sa carrière.
Le personnel administratif et technique bénéficie de conditions adéquates qui lui permettent
d’accomplir au mieux sa mission et, à ce titre, il bénéficie des dispositifs de formation continue et
d’amélioration constante de ses qualifications.
2.3.3.2 Les obligations du personnel administratif et technique
La mission du personnel administratif et technique est de réunir les conditions optimales permet-
tant à l’enseignant chercheur de s’acquitter au mieux de sa fonction d’enseignement et de recherche
et à l’étudiant de réussir son parcours universitaire.
Cette mission de service public, assurée à travers leur personnel administratif et technique par les
établissements d’enseignement supérieur, doit être accomplie dans le respect des valeurs fondamen-
tales de la fonction publique, de compétence d’impartialité, d’intégrité, de respect, de confidentialité,
de transparence et de loyauté. Ces normes de comportement représentent des principes majeurs que
chaque membre du personnel administratif et technique doit veiller à respecter et à promouvoir,
notamment :
La compétence
Le personnel administratif et technique s’acquitte de ses tache avec professionnalisme. Il est
responsable de ses décisions et de ses actes ainsi que de l’utilisation judicieuse des ressources st de
l’information mises à sa disposition.
L’impartialité
Le personnel administratif et technique fait preuve de neutralité et d’objectivité. Il prend ses
décisions dans le respect des règles en vigueur, et en accordant à tous un traitement équitable. Il
remplit ses fonctions sans considérations partisanes et évite toute forme de discrimination.
CHAPITRE 2. CHARTE DE L’ÉTHIQUE ET DE DÉONTOLOGIE UNIVERSITAIRE 19

L’intégrité
Le personnel administratif et technique se conduit d’une manière juste et honnête. Il évite de
se mettre dans une situation ou il se rendrait redevable à quiconque pourrait l’influencer indûment
dans l’exercice de ses fonctions.
Le respect
Le personnel administratif et technique manifeste de la considération à l’égard de toutes les
personnes avec qui il interagit dans l’exercice de ses fonctions. Il fait également preuve de diligence
et de célérité dans l’accomplissement de sa mission.
Ce respect doit également concerner les domaines de compétence de chacun. Ainsi ce personnel
doit s’interdire toute ingérence dans les actes pédagogiques et scientifiques. L’administration des
établissements d’enseignement supérieur doit s’interdire toute interférence dans ces domaines.
La confidentialité
Les dossiers administratifs, techniques, pédagogiques et scientifiques doivent être soumis à l’obli-
gation de confidentialité.
La transparence
Le personnel accomplit ses fonctions et les différents actes qui en découlent d’une façon qui
permette la bonne circulation de l’information utile aux membres de la communauté universitaire,
la vérification des bonnes pratiques professionnelles et leur traçabilité.
La performance
Le service public rendu, à travers leur personnel administratif et technique, par les établissements
d’enseignement supérieur doit également obéir à des critères de qualité qui impliquent l’obligation
de traiter leurs acteurs avec égards et diligence. En pratique, l’obligation de traiter l’enseignant et
l’étudiant avec égards signifie que le personnel administratif et technique adopte un comportement
poli et courtois dans ses relations avec eux. Quant à l’obligation de diligence, elle requiert notamment
que le personnel administratif et technique s’empresse de traiter les dossiers qui lui sont confiés et
qui concernent directement aussi bien l’enseignant que l’étudiant. Le personnel administratif et
technique est enfin tenu de donner à ces derniers toute l’information qu’ils demandent et qu’ils sont
en droit d’obtenir.
Les membres de la communauté universitaire, soucieux de promouvoir les règles
éthiques et déontologiques, s’engagent au respect de l’esprit et de la lettre de cette
charte.
Chapitre 3
La recherche intègre et responsable
«Il n’y a pas que “ceux qui aiment la science” et
ceux qui “ne l’aiment pas”. Il y a aussi, parmi ceux
qui la font, ceux qui la trahissent !»
Philippe Alfonsi, Au nom de la science.

3.1 Introduction

I l est indéniable que l’évolution et les changements connus par l’humanité, au cours du
siècle dernier sont essentiellement dus à la science et à l’ingénierie. Cela a requis surtout
un esprit critique, libre de tout préjugé et ouvert sur les nouvelles manières de réfléchir,
avec des chercheurs en mesure d’appliquer des principes d’investigation honnêtes, le tout selon une
méthodologie avérée.
L’essor scientifique et technologique moderne survenu à partir de la Renaissance est dû prin-
cipalement, au postulat que les théories scientifiques doivent être indépendantes de la théologie et
des croyances religieuses 1. Aux XVIIe et XVIIIe siècles, la connaissance a été échangée essentiel-
lement à travers des académies scientifiques qui se sont chargées de propager les nouvelles théories,
accélérant ainsi le progrès scientifique. Au début du XIXe siècle, on assiste à un mouvement de
recherche scientifique impressionnant au sein des universités : recherches pure et fondamentale. Les
scientifiques pour la plupart rattachés à des structures universitaires, n’étaient pas « intéressés » par
les applications technologiques des résultats de leurs recherches.
D’autre part, même si la recherche dans l’industrie (recherche industrielle et recherche appliquée)
est l’émanation de la recherche fondamentale, il n’en demeure pas moins que chacune a ses propres
objectifs ainsi que ses propres règles. Le cap de la recherche appliquée était donc, l’acquisition
de nouvelles connaissances mais surtout leurs adaptations technologiques pour la réalisation de
nouveaux biens qui seront par la suite commercialisés. Toutefois, il faut relever que les résultats de
ces recherches industrielles n’étaient pas la propriété des chercheurs et ingénieurs, mais des industries
pour lesquelles ils travaillaient.
Généralement, les discussions éthiques sont plus ou moins absentes dans les deux entités : re-
cherche fondamentale et appliquée 2. Dans les universités, les chercheurs étaient « indifférents » aux
conséquences de leurs travaux, alors qu’au niveau de l’industrie, les employeurs ne considéraient pas
approprié aux ingénieurs de s’en inquiéter.
1. J. G. Speight and R. Foote, Ethics in Science and Engineering, Wiley, 2011.
2. J. G. Speight and R. Foote, op. cit.

20
CHAPITRE 3. LA RECHERCHE INTÈGRE ET RESPONSABLE 21

En ces débuts du XXIe siècle, on assiste à un changement fondamental : les universitaires et les
ingénieurs industriels, collaborent de plus en plus. Car, il est devenu impératif que ces deux formes
de recherche, coopèrent de plus en plus et de façon la plus étroite et la plus efficace possible, et
ce, même si elles diffèrent profondément aussi bien en ce qui concerne la pratique de la recherche
que son mode d’organisation. La recherche appliquée se nourrit de la recherche fondamentale, et la
recherche fondamentale ne peut progresser sans s’appuyer sur les progrès de la recherche appliquée.
Dans son essence même, l’activité de recherche a vocation à contribuer au développement des
connaissances et à l’avancement de la science. On pourrait alors en toute légitimité, s’interroger sur
l’intérêt d’introduire, au sein de l’activité de recherche, une régulation des comportements traduite
par un code éthique de la recherche. L’idée même de restreindre, voire d’interdire, un acte d’expé-
rimentation semble contradictoire avec la recherche de la vérité scientifique 3 . Étant donné que la
qualité du résultat scientifique dépendra précisément de la liberté d’agir, de penser et de s’exprimer
du chercheur. Deux arguments fondamentaux militent en faveur de l’encadrement éthique de l’acti-
vité scientifique 4 . Le premier résulte de l’acceptabilité sociale de la science et le second réside dans
le fait que les règles éthiques favorisent la qualité des résultats scientifiques.
Il en résulte que la recherche doit s’appuyer sur des principes d’honnêteté 5 , d’intégrité 6 et de
responsabilité 7 sur lesquels la société fonde sa confiance en elle. Le bon fonctionnement de l’appareil
scientifique repose en grande partie sur l’hypothèse que les règles éthiques ont été respectées par
les scientifiques lors de l’établissement des résultats qu’ils ont publiés, ce qui permet aux autres
chercheurs de les prendre pour point de départ de leurs propres travaux.

3.2 De la nécessité d’un code éthique pour la recherche


Plusieurs cas de manquement aux principes éthiques sont enregistrés. Ils sont rapportés dans les
rapports annuels de différents Organismes tel que l’Office of Research Integrity du National Institute
of Health (États-Unis). Néanmoins, quatre exemples célèbres ont défrayé la chronique 8.
Cas Gallo (1983 - 1984)
Ce cas entoure la querelle de la priorité entre une équipe américaine (dirigée par Gallo) et une
équipe française (avec à sa tête Montagnier), à propos de l’identification du virus du sida et des
redevances découlant du brevet relatif à un test de dépistage. Plusieurs enquêtes ont été menées
sur cette question, la plus récente concluant à l’antériorité des travaux français et à l’appropriation
injuste par l’équipe américaine de matériel génétique et de résultats de l’équipe française. On y
souligne entre autres que Gallo avait obtenu de l’information privilégiée en étant responsable de
la publication d’un ouvrage collectif dont un chapitre était écrit par Montagnier.
3. E. Vergès, Éthique et déontologie de la recherche scientifique, un système normatif communautaire, in « Qu’en
est-il du droit de la recherche ? », dir. J. Larrieu, éd. LGDJ, 2009, p. 131.
4. E. Vergès, op. cit.
5. L’honnêteté réfère ici à tous les aspects des pratiques quotidiennes de la recherche en lien avec la signification,
le bien fondé et les applications potentielles des résultats de la recherche.
6. L’intégrité scientifique signifie le refus de laisser les valeurs de la science se plier à des pressions financières,
sociales ou politiques. Elle s’entend au regard d’obligations d’ordre épistémologique, qui diffèrent selon les disciplines
scientifiques concernées.
7. La responsabilité recouvre ici les obligations sociales des chercheurs, non seulement celles qui portent sur l’anti-
cipation des conséquences sociétales de leurs découvertes, mais aussi sur leur attitude face au manque de probité de
leurs collègues ou face aux atteintes à l’intégrité scientifique dont ils se trouveraient être les témoins.
8. D. Duquet et M. Couture, L’éthique et l’intégrité en recherche, in « La Recherche en sciences et en génie,
Guide pratique et méthodologique », sous la direction de M. Couture et R-P. Fournier, Presses de l’Université
Laval, 1997, pp. 203-230.
CHAPITRE 3. LA RECHERCHE INTÈGRE ET RESPONSABLE 22

Cas Baltimore (1984 - 1986)


Du nom d’un chercheur américain, prix Nobel de médecine en 1975, auteur de quelques articles
avec une collaboratrice (Imanishi-Kari) qui, en 1991, a été déclarée coupable de fabrication des
données sur lesquelles s’appuyaient ces articles. Une stagiaire postdoctorale, Margaret O’Toole,
travaillant dans le même laboratoire avait découvert ce fait avant la publication du premier article.
Après en avoir informé Baltimore, qui refusa d’agir, celle-ci en saisit les autorités compétentes ; les
procédures d’enquête qui se sont succédé durant cinq ans lui donnèrent finalement raison. Pendant
tout ce temps, Baltimore, supporté par une bonne partie de la communauté scientifique, a contesté
la compétence des enquêteurs et nié les allégations de O’Toole ; celle-ci a perdu son emploi et n’a
pu en trouver un autre avant que les enquêtes n’aient confirmé ses allégations.
La « fusion froide » (1989)
En 1989, des scientifiques américains, bientôt rejoints par des collègues d’autres pays, ont an-
noncé en conférence de presse en dehors du cadre de l’évaluation par les pairs requis en de telles
circonstances, l’invention de la « fusion froide ». Ces scientifiques annonçaient la mise au point
d’une technique simple et peu coûteuse de production d’énergie par fusion de l’hydrogène, source
d’énergie quasi inépuisable. On a fini par découvrir, au fil des mois, que ces résultats, que l’on n’ar-
rivait pas à reproduire de manière satisfaisante, s’appuyaient en fait sur des pratiques scientifiques
peu rigoureuses. Des questions de nature éthique étaient aussi en cause, notamment l’utilisation
d’informations obtenues lors de l’évaluation d’une demande de financement ainsi que des soupçons
quant à une possible falsification de données. Malgré tout, un certain nombre de chercheurs ont
continué à travailler sur le sujet en marge du reste de la communauté scientifique.
L’affaire Fabrikant (1992)
Cette affaire met en scène un chercheur du département de génie mécanique de l’Université
Concordia (à Montréal). Fabrikant, avant d’en venir à assassiner quatre membres de son dépar-
tement, avait vainement dénoncé certaines pratiques de ses collègues, qu’il jugeait répréhensibles.
Ces pratiques étaient reliées entre autres à la cosignature d’articles et à la gestion de contrats de
recherche. L’enquête qui a suivi a non seulement confirmé le bien-fondé de plusieurs des allégations
de Fabrikant, mais elle a aussi montré que celui-ci s’était lui-même adonné à des comportements
d’un caractère douteux, notamment en matière de publications.

3.3 Pour une recherche éthique et responsable


Les cas de manquement aux principes éthiques cités au paragraphe (3.2) ne constituent, malheu-
reusement, pas des cas isolés. Ceux-ci font ressortir à l’analyse que des conflits de diverses natures,
que nous allons présenter dans la suite de ce paragraphe, peuvent surgir en cours de pratique entre
les différents intervenants. D’où la nécessité d’un code éthique dans la recherche !
En effet, au-delà du respect des normes de fonctionnement et de méthodologie qui constitue un
gage de la qualité de la recherche scientifique ; cette dernière, l’activité de la recherche, s’effectue
dans un environnement professionnel et social qui peut parfois mettre à rude épreuve l’échelle des
valeurs de chacun. Le tout dans un contexte où la productivité et la compétition se sont taillé une
part de lion.
Divers codes d’éthique ont été élaborés par différents organismes pour garantir une recherche
responsable.
CHAPITRE 3. LA RECHERCHE INTÈGRE ET RESPONSABLE 23

3.3.1 L’évaluation par les pairs et le conflit d’intérêts


L’évaluation d’un travail par les pairs joue un rôle fondamental et s’exerce de façon formelle
ou informelle, tant auprès d’étudiants en recherche que de chercheurs chevronnés. Ce processus
d’évaluation a généralement lieu pendant la carrière active du chercheur, pour l’obtention de fonds
de recherche, d’espace de publication, de reconnaissance du milieu scientifique ou de l’employeur.
Constituant un élément positif et essentiel de contrôle de la qualité, cette évaluation par les pairs
est potentiellement porteuse de conflits d’intérêts, qui ne sont pas nécessairement d’ordre matériel,
pouvant mener à des manquements à l’éthique en recherche. En effet, ces conflits d’intérêts peuvent
limiter l’objectivité de celui ou de celle en position d’évaluation et entraver l’exercice d’un jugement
totalement impartial.
Ces conflits d’intérêts peuvent se manifester sous différentes formes :
— Conflit d’intérêts financier ;
— Conflit d’intérêts professionnel ;
— Conflit d’intérêts affectif.
3.3.2 La reconnaissance de la contribution à la recherche
Des conflits peuvent aussi se produire à l’occasion de la diffusion des résultats de recherche
ou de la remise de prix et distinctions, dans la juste attribution des crédits à ceux et celles qui
ont participé aux travaux de recherche et à la rédaction d’une publication scientifique. Pour être
considéré comme auteur d’un ouvrage, il faut y avoir consacré une quantité significative de travail,
c’est-à-dire d’efforts et de temps ; le fait d’avoir simplement émis les idées de base ou d’avoir révisé
le manuscrit ne donne pas droit au statut d’auteur.
3.3.3 La propriété intellectuelle
L’évolution de la recherche universitaire constitue un facteur non négligeable de l’importance
qu’a prise la propriété intellectuelle en milieu universitaire. Il y a, bien sûr, les retombées éco-
nomiques éventuelles de certains produits de recherche, mais aussi les retombées professionnelles
associées à la paternité d’une idée, d’un processus, d’une découverte, qu’il s’agisse de distinctions
honorifiques, de rayonnement international ou de promotion institutionnelle.
3.3.4 La fraude scientifique
Les chercheurs sont soumis par les bailleurs de fonds, à une pression qui ne peut que favoriser
les diverses pratiques susceptibles de diminuer le temps et l’effort requis pour produire un article
scientifique, principal outil de valorisation d’une recherche scientifique. Dans les pays anglo-saxons
on parle bien du crédo Publish or perish ! 9 Une de ces pratiques est la fraude.
La fraude scientifique au sens strict et juridique du terme consiste en la fabrication et la falsifi-
cation de données ainsi que le plagiat.
3.3.4.1 La fabrication et la falsification de données
La fabrication de données suppose des résultats qui sont inventés de toutes pièces donc qu’on
n’a jamais obtenus, mais aussi de rapporter des expérimentations fictives, des processus ou une
méthodologie qui n’ont jamais été mis en place, ou des collaborations qui n’ont pas eu lieu.
9. Publier ou périr.
CHAPITRE 3. LA RECHERCHE INTÈGRE ET RESPONSABLE 24

La falsification de données, elle, repose sur du concret. Falsifier des données c’est transformer
d’une manière ou d’une autre les données obtenues lors d’un processus d’expérimentation (ou au
moyen de toute autre méthode scientifique) afin que les résultats correspondent le plus possible à
l’hypothèse de recherche ou à des résultats d’une recherche antérieure ou concurrente, qu’il s’agisse
de les invalider ou de les corroborer. Tout comme, elle peut caractériser l’omission volontaire d’une
partie des résultats qui peuvent venir semer le doute sur la confirmation d’une hypothèse.
3.3.4.2 Le plagiat
Le plagiat classique consiste à utiliser en tout ou en partie les écrits ou les idées de quelqu’un
d’autres sans reconnaître explicitement leur provenance 10 . On peut identifier au demeurant, d’autres
types de plagiat s’échelonnant sur un continuum de gravité. On peut en retenir cinq types.
L’emprunt abusif : La distinction entre un emprunt acceptable et un emprunt abusif n’est pas
facile à établir. S’il subsiste un écart acceptable entre les deux textes concernés, l’auteur est alors
dispensé des guillemets mais non de la référence nominale. Mesurer l’écart est affaire de jugement.
Le plagiat de traduction : Dans le plagiat de traduction, l’auteur tente de faire passer le
texte traduit pour un texte de son cru. La détection de ce type de plagiat est particulièrement
difficile lorsque le plagiaire se contente de copier de courts extraits de l’œuvre originale difficilement
repérables. En fait, un emprunt dans une autre langue que celle de l’article soumis constitue une
situation idéale pour l’abus.
L’autoplagiat : Elle consiste par exemple, à rédiger un « nouvel article » à partir d’articles déjà
publiés par le chercheur. Il existe toutefois une exception : la reproduction de la présentation des
aspects méthodologiques est acceptée.
Le plagiat verbal : La notion de plagiat au sens classique du terme est liée à l’écrit et au concept
de propriété intellectuelle. Aucun enseignant n’a été accusé de plagier le contenu verbal de ses cours,
même si ce contenu est rarement entièrement de son cru. Les professeurs indiquent toutefois leurs
sources dans le plan de cours distribué aux étudiants. Ainsi, puisqu’une large part de l’enseignement
universitaire consiste à transmettre des idées rarement nouvelles, qu’un « enseignement 11 qui ne
serait pas plagiaire [. . .] ne mériterait pas le nom d’enseignement ». De ce fait, un enseignant est
appelé à s’inspirer d’articles et de livres aussi divers que possible, dans la confection de son cours.
Le plagiait inconscient : Il survient par exemple lorsqu’un chercheur publie en toute bonne foi
pour une idée qu’il tient pour sienne puisqu’il l’a déjà pensé, alors qu’elle a déjà fait l’objet d’une
publication. On parle également de plagiat inconscient lorsqu’un individu confond en toute bonne
foi les informations qu’il transmet avec des informations préalablement discutées entre collègues.
C’est paradoxalement, les chercheurs chevronnés qui ont une longue carrière qui risquent d’être le
plus souvent victimes de l’autoplagiat inconscient de certains de leurs propres travaux.
10. S. Larivée, Le côté sombre de la science, Revue de psychoéducation, 46 (2), 2017, pp. 421- 452.
11. A. Compagnon, L’université ou la tentation du plagiat, sous la direction de C. Vandendorpe, Le plagiat :
acte du colloque tenu à l’Université d’Ottawa du 26 au 28 septembre 2011 (pp.173-188). Ottawa, On : Les Presses de
l’Université d’Ottawa.
CHAPITRE 3. LA RECHERCHE INTÈGRE ET RESPONSABLE 25

3.3.4.3 Erreur, négligence et illusion scientifiques


La fraude scientifique ne doit pas être confondue avec l’erreur, la négligence ou l’illusion scienti-
fiques. Ainsi, nonobstant les multiples vérifications qui se font et doivent se faire dans tout processus
d’expérimentation, il est toujours possible qu’une erreur puisse se glisser (erreur de lecture, d’ana-
lyse, de calcul, de diagnostic, etc.), au grand dam d’ailleurs de celui ou de celle qui en porte la
responsabilité. Si l’erreur fortuite est excusable, elle implique cependant qu’il y ait rétractation ra-
pide auprès de la communauté scientifique s’il y a eu diffusion de résultats erronés (communications,
publications, rapports divers, etc.).
3.3.4.4 Les références
À la suite des normes de Merton 12 concernant l’idéal de la science, Cournand et Zucker-
man 13 ont proposé d’autres principes parmi lesquels la reconnaissance des travaux antérieurs dans
le processus d’une découverte. En règle générale les scientifiques en tiennent compte en citant les
travaux précédents sur le sujet traité. Néanmoins, il y a lieu de dire que dans le combat entre
les laboratoires de recherche pour s’assurer de la priorité ou de la paternité d’une découverte, des
chercheurs peuvent être tentés de passer sous silence les publications de laboratoires concurrents.

3.4 Les contours de l’intégrité scientifique


Plusieurs textes à l’instar de la charte éthique et déontologique du ministère de l’enseignement
supérieur et de la recherche scientifique objet du chapitre (2) précédent notamment dans ses prin-
cipes fondamentaux, évoquent des normes éthiques qui concernent la communauté scientifique dans
son ensemble et aux chercheurs en particulier. Ces normes s’appliquent à tous les chercheurs, quelle
que soit leur discipline scientifique, leur nationalité ou leur statut. A l’instar d’un droit commun, on
pourrait ici parler d’une éthique commune par opposition à l’éthique spéciale, que l’on trouve dans
les textes sectoriels.
3.4.1 Le principe de liberté de la recherche
La charte européenne du chercheur 14 stipule que « les chercheurs devraient centrer leurs travaux
de recherche sur le bien de l’humanité et l’extension des frontières de la connaissance scientifique,
tout en jouissant de la liberté de pensée et d’expression, ainsi que de la liberté de déterminer les
méthodes qui permettent la résolution des problèmes, selon les pratiques et principes éthiques qui
sont reconnus ».
3.4.2 Le principe de responsabilité
Toujours selon la même charte « les chercheurs doivent être conscients du fait qu’ils sont respon-
sables envers leurs employeurs, bailleurs de fonds ou d’autres organismes publics ou privés connexes
et sont également responsables, pour des motifs davantage éthiques, envers la société dans son en-
semble ».
12. R.K. Merton, The ambivalence of scientists, Bulletin of the Johns Hopkins Hospital 112, February 1963, pp.
77-97.
13. A.F. Cournand, H. Zuckerman, The code of science : Analysis and some reflections on its future, Studium
Generale 23, 1970, pp. 941-962.
14. Charte européenne du chercheur, Commission Européenne, 2005.
CHAPITRE 3. LA RECHERCHE INTÈGRE ET RESPONSABLE 26

Cela fait ressortir deux types de responsabilité du chercheur dans sa pratique. Une première qui
concerne sa responsabilité envers les employeurs et bailleurs de fonds. Il s’agit vraisemblablement
d’une responsabilité juridique qui impose aux chercheurs de se soumettre aux obligations inhérentes
à leur statut et au cadre imposé par les bailleurs de fonds. La seconde évoque une responsabilité du
chercheur envers la société « pour des motifs davantage éthiques ».
3.4.3 Le principe de diffusion et d’exploitation des résultats
Ce principe est défini par la charte européenne du chercheur comme suit : « tous les chercheurs
devraient veiller, conformément à leurs dispositions contractuelles, à ce que les résultats de leurs
travaux de recherche soient diffusés et exploités, en étant par exemple communiqués, transférés vers
d’autres organismes de recherche ou, le cas échéant, commercialisés. Les chercheurs expérimentés,
en particulier, devraient jouer un rôle pilote en assurant que la recherche porte ses fruits et que les
résultats font l’objet d’une exploitation commerciale ou sont mis à la disposition du public (ou les
deux à la fois) chaque fois que l’occasion se présente ».
Tout comme « les chercheurs devraient veiller à ce que leurs activités de recherche soient portées
à la connaissance de la société dans son ensemble de telle sorte qu’elles puissent être comprises par
les non-spécialistes, améliorant ainsi la compréhension de la science par la société ».

3.5 Conclusion
L’une des caractéristiques marquantes du vingtième et a fortiori du vingt-et-unième siècle, est
« l’implication » sans cesse grandissante de la science dans pratiquement tous les domaines de la vie
sociale. Les fruits de la science sont partout, tout comme le sont ses conséquences destructrices 15 .
De sorte que la science est à la fois à l’origine des réalisations de l’homme comme elle est responsable
de ses impasses.
Ce fait a conduit dès le début du siècle dernier les scientifique à s’interroger sur les critères
« moraux » d’une recherche scientifique responsable et intègre, à même de produire une connaissance
qui soit bénéfique pour l’homme. Toutefois, comme l’affirme A. Bayet 16 , « cette morale de la
science n’a pas eu ses théoriciens, mais elle a eu ses artisans. Elle n’a pas exprimé son idéal, mais
elle l’a servi : il est impliqué dans l’existence même de la science ».

15. A.F. Cournand, H. Zuckerman, op. cit.


16. A. Bayet, La morale de la science, Paris, 1931.
Deuxième partie
Propriété intellectuelle

27
Aperçu historique

A ussi loin que l’on puisse se reporter, il semblerait que la forme la plus ancienne de la
propriété intellectuelle, est celle rapportée par Athénée de Naucratis dans son livre
Banquet des Savants 17 , et concerne les recettes de cuisine. En effet, il y est stipulé que : « Si
quelque cuisinier inventait parmi eux 18 un mets nouveau et fort délicat, aucun autre cuisinier n’avait
permission de le préparer, que l’inventeur, pendant un an, afin que tous les autres cherchassent à se
surpasser les uns les autres par de semblables découvertes ». Ainsi, il apparait clairement, à le lecture
de ce passage, que l’introduction de la propriété intellectuelle sous sa forme rudimentaire ou bien,
plus précisément, la protection d’une invention, est bien de susciter une forme d’émulation pour
pousser les autres à se surpasser tout en garantissant à l’inventeur, à l’instar des brevets modernes,
le droit et le monopole de jouir durant un certain temps, ici un an, de son invention.
Cependant, cette pratique semble avoir disparu avec la destruction de la Cité au VIe siècle avant
l’ère chrétienne 19 . En effet, aucune référence ultérieure notamment au cours du Moyen-Âge à cette
tradition. Elle réapparait au cours du XVe siècle dans les Cités-États italiennes avant de s’étendre
à toute l’Europe, sous forme d’un dispositif juridique visant les savoirs nouveaux. Bien entendu,
l’objectif est toujours incitatif pour importer les savoirs de l’étranger et de les diffuser localement.
Plusieurs auteurs s’accordent à dire que la naissance de la propriété intellectuelle sous son
acception moderne, et par-là la mise en place d’un dispositif juridique de protection de l’œuvre,
est sous-jacente de l’émergence du créateur ou encore l’inventeur comme acteur social pour pouvoir
revendiquer la propriété et la protection de ses « systèmes et mécanismes ingénieux ». Cela se
serait passé aux environs du XVe ou XVIe siècles. De même qu’il fallut la naissance de la notion
d’auteur − celui qui vit de sa plume − pour voir naitre la notion des droits d’auteur qui remonterait
au courant du XVIIIe siècle. À l’époque médiévale 20 , « le savoir technique est collectif, aux mains
de guildes qui en conservent les secrets, et [...] la connaissance est avant tout un héritage intouchable
des Anciens ». Cela dit, il faut certainement évoquer cette forme de lois privées ou privatae leges
qui plaçaient leurs bénéficiaires hors de portée des lois du commun et leur permettaient de faire le
négoce de certaines marchandises ou d’exercer certaines activités 21 .
La propriété intellectuelle concerne les créations de l’esprit humain, tout ce que son intelligence
et son imagination lui ont permis de créer : œuvres artistiques, inventions, marques, emballages des
produits que nous utilisons ou consommons. On distingue généralement la propriété littéraire et
artistique appelée aussi droit d’auteur et droits connexes (ou voisins) et la propriété industrielle.
Cette seconde partie du cours s’articulera donc, autour de ces notions de propriété industrielle
17. A. de Naucratis, Banquet des Savants, traduit par Lefebvre de Villebrune, p. 446. Ce livre date du IIIe
siècle apr. J.-C.
18. Il parle ici des Sybarites.
19. M. Couture, M. Dubé et P. Malissard, Propriété intellectuelle et université : Entre la libre circulation des
idées et la privatisation des savoirs, Presses de l’Université du Québec, 2010.
20. M. Couture, M. Dubé et P. Malissard, op. cit.
21. M. Couture, M. Dubé et P. Malissard, op. cit.

28
29

et de droits d’auteur et droits voisins.


Chapitre 4
Propriété industrielle

30

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