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De par l’étendue de leurs connaissances, les pharmaciens sont parmi les rares

personnes à pouvoir appréhender l’ensemble du monde réel.» Pierre-Gilles de


Gennes (Prix Nobel de physique 1991).

La déclaration du sénateur FLN part d’une vision partielle, biaisée , jouant sur la
fibre sensible du chômage des nouveaux diplômés, la réalité du terrain est tout
autre, et les enjeux sont beaucoup plus sérieux que ceux relatés d’une façon
superficielle, incohérente et populiste .

Le pharmacien d’officine est un professionnel de santé, participant activement à


une mission d’intérêt public. Il exerce en toute indépendance une profession
organisée par la loi autour d’un ordre professionnel dont les membres doivent
respecter et faire respecter les règles de déontologie auxquelles tout pharmacien
doit se soumettre. Les objectifs essentiels étant la protection de la santé publique, la
préservation du secret professionnel et l’exercice de la profession dans un cadre de
respect, d’entraide et d’assistance aux autres praticiens de santé.

Le pharmacien est à ce titre un praticien de santé dont les missions sont régies par
la loi sanitaire. Son exercice est personnel, il est autorisé par le ministère de tutelle
(le ministère de la Santé et de la Population) par la délivrance d’une autorisation
d’exercer ou agrément, conditionné par la présentation d’un diplôme d’Etat,
l’inscription préalable au Conseil de l’ordre national ainsi que par d’autres
exigences déterminées par la Loi.

La pharmacie d’officine est un établissement pharmaceutique d’exercice libéral. Le


pharmacien en sa qualité de docteur en pharmacie est un professionnel de santé qui
détient le monopole de la dispensation du médicament selon un protocole
pharmacologique qui implique une prise de décision intellectuelle et légale Il n’est
pas un commerçant ordinaire, il ne vend pas un médicament, il le dispense, il ne
dispense pas toujours plus, mais toujours juste et ne doit en aucun cas encourager à
la consommation du médicament.

Afin d’assurer cette qualité de dispensation dans le cadre d’une carte sanitaire
nationale qui évalue les besoins des populations à travers le territoire national et
afin d’assurer l’accessibilité des médicaments à tous les citoyens dans le respect des
bonne pratiques officinales telles que définies par les textes réglementaires, l’Etat
algérien a instauré un système de délivrance d’agrément basé sur le numerus
clausus afin de réguler l’installation de cette activité réglementée et hautement
stratégique.

Le système de numerus clausus est un système de régulation universel utilisé par


beaucoup de pays, d’une manière différente en fonction des priorités établies et des
politiques de santé.
A ce titre, il est de la plus haute importance de respecter cet outil de régulation
instauré par l’Etat, il obéit à des règles rationnelles et précises, il ne souffre
d’aucune subjectivité. Il ne faudrait surtout pas commettre l’amalgame de le
considérer comme un outil de Limitation discriminatoire, ni comme un outil
d’absorption du chômage.

Considérer le numerus clausus comme tel ou tel constitue une démarche


irrationnelle et improvisée. Appeler à la suspension de cet outil de régulation est un
appel au chaos. Notre système de santé se trouvera débridé davantage par une
dérive comportementale dans la dispensation du médicament, dérive que cet outil
de régulation ainsi que les ministères de tutelle tentent de juguler avec les
institutions savantes et ordinales.

Jouer sur la fibre sensible du chômage pour démanteler un tel système de régulation
s’avère dangereux.

Ceci relève de l’ignorance de la réalité de la carte sanitaire, d’un manque de


discernement et d’un défaut de maîtrise des éléments économiques,
démographiques et réglementaires aussi bien nationales qu’internationales.
S’aventurer dans cette voie, c’est risquer de perturber tout le système de
dispensation du médicament et placer les pharmaciens d’officine dans une situation
périlleuse qui ne servira ni la santé publique ni les nouveaux pharmaciens installés,
ni ceux qui sont installés.

Ceci étant, et de par l’inscription obligatoire au registre de commerce, le


pharmacien exerce aussi une activité commerciale. Il effectue des actes
commerciaux par l’achat de médicaments ou de produits chimiques et la revente de
ces produits en l’état ou après transformation en préparations pharmaceutiques.
Cette vente qui s’accompagne d’un service médical et de conseils se fait avec
réalisation d’une marge bénéficiaire commerciale.

La politique nationale qui privilégie le médicament générique avec pour but la


diminution de la facture des médicaments dans les dépenses de santé, les conditions
financières dans lesquelles évolue l’activité officinale en Algérie sont devenues très
contraignantes. Le pharmacien officinal est fortement éprouvé financièrement par
la conjonction de nombreux facteurs, en particulier d’ordre réglementaires. En effet
l’officine est la seule activité commerciale qui ne peut écouler son stock et le
renouveler par des opérations de ventes promotionnelles, la dispensation étant
réglementée par la Loi qui lui interdit la vente dans de nombreuses situations.

La vente libre du médicament s’oppose aux règles de protection de la santé édictée


par la loi sanitaire, ceci est un handicap par rapport aux autres commerces qui
peuvent rechercher librement l’augmentation du volume des ventes et de
l’écoulement des stocks.
D’autres facteurs viennent s’ajouter à cette contrainte commerciale majeure : un
service honoraire pharmacien de 1,50 ou 2,50 DA et une marge bénéficiaire en
nette régression qui peine à couvrir l’augmentation des charges financières et les
charges d’exploitation de l’activité officinale.

La diminution structurelle des prix des médicaments qui a engendré la chute du


chiffre d’affaires conjuguée à une dévaluation sans précèdent du DA et une
augmentation des charges, d’exploitation de l’officine et des charges financiers sont
des freins à toute tentative de Développement .Juridiquement, la pharmacie
constitue donc un fonds de commerce comme un autre. C’est une universalité
juridique dans laquelle on retrouve des éléments matériels (les outils de production)
et des éléments immatériels (la clientèle, l’enseigne, le droit au bail, etc.)
nécessaires au pharmacien pour l’exploitation de son officine.

L’opération de cession d’un fonds de commerce d’officine de pharmacie obéit donc


au même dispositif d’opération de cession de fonds de commerce habituel, elle
diffère du fait que c’est une activité réglementée, elle obéit à des procédures
spécifiques.

En effet, dans cette opération, dans beaucoup de pays voisins et du pourtour


méditerranéen, la première démarche faite dans la quête de l’acquisition d’une
officine par un jeune pharmacien nouvellement diplômé est l’inscription à l’Ordre
national des pharmaciens. Chaque conseil régional de l’ordre tient un tableau
régulièrement mis à jour des pharmaciens inscrits.

L’ensemble des tableaux est transmis à l’Ordre national des pharmaciens. Ce


système permet aux nouveaux acquéreurs de remplacer les pharmaciens en fin
d’exercice grâce à un système de financement et d’aide de l’état qui permet à
chacune des deux parties de réaliser la cession du fonds de commerce et le transfert
de l’agrément dans le respect du code de commerce et dans des conditions qui
garantissent les droits et les devoirs de chacun.

Beaucoup de pharmaciens qui arrivent à l’âge de retraite ou qui sont obligés de


cesser leur activité (décès ou maladie), ont recours à cette cession de fonds de
commerce de l’officine pour financer leur départ à la retraite réglementaire ou
anticipée. Ils peuvent ainsi s’acquitter de leurs engagements financiers bancaires ou
fiscaux et parafiscaux ainsi que de leurs créances vis-à-vis de leurs fournisseurs.

En l’absence de dispositif étatique ou de fonds de régulation ou d’accompagnement


et de soutien, le pharmacien est livré à lui-même. De nombreux pharmaciens sont
décédés notamment pendant cette période pandémique de la Covid en laissant
d’énormes dettes qui ne pouvaient être payées sans le recours à cette opération de
cession de fonds de commerce régulée à l’instar de beaucoup de pays par le
dispositif de délivrance d’agrément conditionné par le numerus clausus et la carte
sanitaire.
Un dispositif de régulation étatique qui permet de sauvegarder un système officinal
optimal et contrôlé qui tiens compte des besoins des population en pharmaciens
d’officine dans le cadre d’une carte sanitaire et non pas par des installations
anarchiques qui menaceraient notre système de dispensation du médicament.

Le ministère de la Santé, de la Population et de la Réforme hospitalière, ainsi que


tous les intervenants dans cette question cruciale ne doivent pas céder aux chants
des sirènes. Au contraire ils doivent renforcer les dispositions réglementaires de
l’arrêté n°002 du 15 janvier 2005 fixant les conditions d’installation, d’ouverture et
de transfert d’une officine pharmaceutique.

De nouvelles mesures plus courageuses doivent être prises telles que la création
d’un fond d’aide (sans intérêt )aux nouveaux pharmaciens diplômés pour les
accompagner dans la reprise de fonds de commerce de pharmaciens , en départ de
retraite réglementaire ou anticipées ou de pharmaciens décédés... dans l’intérêt
suprême de la santé du citoyen afin de pallier ces tentatives de démantèlement de
notre système de dispensation de Médicament

La solution au chômage des nouveaux diplômés est à chercher ailleurs que dans
l’installation anarchique et sans contrôle des pharmacies qui mèneront le système à
une implosion dont les conséquences seront redoutables sur l’avenir de la
profession, la délivrance du médicament et la santé publique. Nous sommes à ce
titre, prêts à proposer des solutions cohérentes et pérennes qui tout en donnant aux
nouveaux diplômés de nouvelles perspectives épanouissantes, permettant de
consolider les acquis et de renforcer notre système sanitaire.

Samir Kebour (Président du SNPAA Bureau d’Alger)


Tags: #Algérie #El Watan #Pharmacie

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