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Sept17 Me SC Cogn Emotions Final
Sept17 Me SC Cogn Emotions Final
& enfance
Le développement
des émotions primaires
durant l’enfance
A. Palama, A. Theurel, E. Gentaz
Laboratoire SMAS, FPSE, Université de Genève
SCIENCES COGNITIVES
c’est-à-dire sans expérience visuelle et vocales ou visuelles) au cours d’interac- spécifique se cache derrière cette mani-
donc sans possibilité d’avoir appris à tions sociales [9], par exemple quand le festation : est-ce de la colère, de la tris-
produire les expressions faciales émo- bébé voit ou entend une personne par- tesse, de la peur ? Selon certains au-
tionnelles par un processus d’imita- ler, et plus particulièrement ses parents. teurs, les bébés exprimeraient principa-
tion. Ces études révèlent que les ex- La majorité des bébés produisent leur lement de la colère [13]. Les colères sont
pressions faciales émotionnelles spon- premier « vrai » sourire à un mois et le résultat de l’échec, de l’insatisfaction
tanées de ces aveugles sont semblables leurs premiers rires à trois mois [10]. A que cause un désir inassouvi. Quoi qu’il
à celles des voyants (pour une revue partir de deux mois, ils répondent aussi en soit, la quantité globale des pleurs a
critique, voir [6]). aux sourires de leur entourage par leurs tendance à augmenter de semaine en
Cependant, ces deux caractéristiques propres sourires, qui sont des comporte- semaine au cours des deux premiers
(universalité et innéité) des émotions ments d’attachement puissants. Ils com- mois ; c’est ce qu’on appelle parfois la
primaires sont encore débattues. Par prennent petit à petit que leur sourire a « courbe normale des pleurs » [14]. Les
exemple, une étude a montré que les un impact positif sur la relation qu’ils colères sont très impressionnantes chez
adultes issus de cultures occidentales entretiennent avec leur donneur de les jeunes enfants, liées à leurs faibles
exprimaient chacune des six émotions soin. Dès quatre mois, les bébés com- capacités d’autonomie, et connaissent
primaires avec un ensemble distinct de mencent à rire (lorsqu’ils sont cha- un pic entre deux et trois ans [15]. Les
mouvements faciaux communs, alors touillés par exemple). A six mois, ils pleurs diminuent ensuite grâce à la maî-
que les adultes issus de cultures orien- sourient davantage aux personnes fami- trise du langage et à l’amélioration de la
tales ne font pas cette distinction [7]. lières [11]. A partir de huit mois, ils com- coordination motrice.
Une autre manière de contribuer à ce mencent à montrer une compréhension L’expression de peur n’apparaît qu’à
débat consiste à étudier le développe- plus subtile des interactions sociales : ils partir de sept-huit mois, en réaction à la
ment de chacune des six émotions pri- peuvent, par exemple, produire des sou- présence d’adultes non familiers ou
maires au cours de l’enfance. Nous al- rires de manière anticipée durant les in- d’objets nouveaux [16]. Chez les enfants
lons donc examiner plus spécifique- teractions sociales [12]. d’âge préscolaire, plusieurs types de
ment à partir de quel âge et comment La surprise, caractérisée par des yeux peur sont assez caractéristiques, comme
les bébés expriment et reconnaissent les écarquillés, des sourcils soulevés et une la peur d’être laissé seul, la peur du noir
émotions primaires, et comment les bouche grande ouverte, n’apparaît que (très fréquente chez les enfants à partir
jeunes enfants les identifient et les caté- rarement chez les bébés. De plus, il de dix-huit mois) ou encore la peur des
gorisent verbalement. Enfin, nous ver- existe de grandes différences indivi- animaux [17]. Les enfants sont capables
rons comment, de la naissance à six ans, duelles quant à l’âge et aux contextes d’avoir peur d’éléments imaginaires ou
les enfants apprennent à réguler pro- d’apparition de cette expression émo- abstraits. Ces peurs diminuent au cours
gressivement leurs émotions. tionnelle [9]. Cependant, il semble ad- du développement et ont pratiquement
mis que les bébés sont capables, à par- toutes disparu à l’âge de six ans, à l’ex-
EXPRIMER ET PERCEVOIR tir de six mois, d’exprimer de la surpri- ception de la peur de certains animaux,
se, au moins de moindre intensité en des serpents par exemple.
LES ÉMOTIONS PRIMAIRES réaction à de nouveaux événements [9]. Les nouveau-nés peuvent aussi produire
Lors d’une expérience au cours de la- des moues semblables à du dégoût, par
DURANT LES PREMIERS MOIS quelle les chercheurs ont essayé de pro- exemple en réaction à des goûts amers
L’expression des émotions voquer la surprise chez des bébés âgés ou à des odeurs désagréables. A quatre
L’expression des émotions apparaît très de quatre mois (en faisant sortir un mois, cette réaction est plus prononcée,
tôt dans le développement. En effet, les jouet de manière inattendue d’une boî- avec des expressions de dégoût plus
fœtus de trente-quatre semaines peuvent te « Jack-in-the-box »), un peu plus de marquées [18].
déjà produire un répertoire limité d’ex- la moitié des bébés ont exprimé de la En résumé, le sourire et les pleurs sem-
pressions faciales, comme le rire ou un surprise [13]. Par ailleurs, l’expression blent être des expressions émotionnelles
visage de pleurs [8]. A partir d’images ob- de surprise chez les très jeunes enfants déjà présentes in utero et les premières,
tenues par scanner ultrason 4D, les cher- est plus intense lors de la première ex- avec le dégoût, à se développer à la nais-
cheurs ont utilisé le FACS (facial action position à l’événement et diminue au fil sance. Elles permettent au bébé d’expri-
coding system ; voir encadré) afin de déco- des répétitions, alors que chez les mer ses besoins élémentaires, d’assurer sa
der les muscles faciaux activés lors de la adultes elle disparaît dès la première survie et de créer des liens d’attachement
production d’expressions faciales. répétition [9]. avec son entourage. Puis, les expressions
Dès la naissance, les bébés sourient pen- Dès la naissance, les bébés expriment émotionnelles plus spécifiques de chaque
dant leur sommeil [9]. Les sourires peu- leur détresse et leurs émotions néga- émotion primaire se développent durant
vent ensuite apparaître en réponse à des tives à travers des pleurs. Il est difficile les six premiers mois. Ce pattern dévelop-
stimulations multisensorielles (tactiles, de déterminer quelle émotion négative pemental semble universel. Ainsi, une
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l’identification des émotions dépend les expressions faciales émotionnelles. à quelqu’un d’identifier une émo-
des méthodes de présentation utilisées Ces études rapportent que les perfor- tion [39]. Entre deux et quatre ans, l’en-
(histoires, films, visages) et des modali- mances sont meilleures quand ces émo- fant commence à comprendre l’inciden-
tés de réponse [33]. Toutefois, un pattern tions sont présentées avec un contexte ce de causes externes et de certains sou-
général de développement se dégage : congruent, tel que des postures, des venirs d’événements externes sur les
l’identification verbale de l’émotion de voix ou encore des scènes émotion- émotions. A partir de cinq ans, l’enfant
joie est déjà bien acquise à trois ans ; nelles [36]. A l’inverse, un contexte in- commence à comprendre l’influence
celle des émotions de tristesse, de colè- congruent peut faire passer la classifica- des désirs sur les émotions. Vers six-
re et de peur évolue plus lentement, tion de l’expression faciale d’une caté- sept ans, il comprend en plus le rôle des
n’étant acquise que vers cinq-six gorie à une autre (ex. : classer une ex- croyances et des perceptions sur les
ans [34]. L’identification verbale de la pression de dégoût dans la catégorie co- émotions. Il commence aussi, à cet âge,
surprise et du dégoût se fait plus tard, lère) [37]. Chez l’enfant, des études mon- à faire la distinction entre l’apparence
entre six et dix ans [35]. trent des effets de contexte équivalents et la réalité d’une émotion, et à com-
Néanmoins, la majorité des recherches à ceux observés chez l’adulte [38] : les prendre qu’il est possible de masquer
effectuées sur le développement des ca- enfants sont plus performants pour re- une émotion.
pacités d’identification des expressions connaître des expressions faciales émo- En résumé, les capacités d’identification
faciales émotionnelles ont été réalisées tionnelles lorsqu’elles sont présentées verbale des émotions primaires chez l’en-
en présentant des visages émotionnels avec un contexte congruent (posture ou fant vont évoluer progressivement d’une
de manière isolée. Or, dans la vie de scène émotionnelles) (encadré). conception des émotions en très larges
tous les jours, on rencontre rarement Parallèlement au développement des catégories mentales, fondées sur les va-
des visages de façon isolée. Les expres- capacités d’identification des expres- lences plaisant/déplaisant, à une concep-
sions faciales sont généralement expéri- sions faciales émotionnelles, l’enfant tion plus fine en termes d’émotions spéci-
mentées dans un contexte qui influe sur développe une compréhension croissan- fiques similaire à celle de l’adulte. Cette
l’interprétation de ces expressions. Des te des situations qui déclenchent les différenciation progressive des émotions
recherches récentes ont donc examiné émotions, ainsi que des termes émo- va s’opérer par la compréhension crois-
le rôle de l’information contextuelle tionnels, des indices situationnels, phy- sante des éléments composant ce que
dans la capacité des adultes à identifier siologiques et mentaux qui permettent Widen et Russel [40] définissent comme
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un « script émotionnel ». Ce dernier in- expression faciale, leur ton de voix et même s’ils reçoivent un cadeau qui ne
clut l’événement déclencheur, le senti- leurs gestes. Pour diminuer par eux- leur plaît pas, ils doivent remercier et
ment conscient, les expressions faciales mêmes leurs états négatifs (stratégies sourire. Cela implique de pouvoir sépa-
ou vocales, les indices situationnels, phy- intrapersonnelles), les bébés durant la rer ce que l’on ressent émotionnelle-
siologiques ou mentaux des causes et première année n’ont à leur disposition ment de ce que l’on exprime vocalement
conséquences des émotions, le tout dans que certains comportements, comme la ou facialement [48]. Les « display rules »
un ordre temporel et causal particulier. stimulation tactile (par exemple, la suc- impliquent un répertoire de stratégies
Toutes ces informations seraient utilisées cion réflexe) ou le détournement du re- de régulations émotionnelles telles que
par les enfants pour attribuer une émo- gard [45]. l’amplification de l’expression (l’enfant
tion à une expression faciale dans un Au cours de la deuxième année, les bé- qui exagère la douleur quand il tombe
contexte particulier [41]. bés apprennent à se distinguer d’autrui. pour obtenir l’attention de ses parents),
Ils deviennent conscients de leurs la minimisation de ses émotions (l’en-
propres intentions et de celles d’autrui, fant qui essaye de retenir ses larmes), la
LE DÉVELOPPEMENT ce qui va marquer le début d’une régu- substitution de l’expression (prendre un
DE LA RÉGULATION lation plus indépendante, renforcée par air joyeux alors qu’on est déçu) et la
le développement des habiletés mo- neutralisation d’une expression émo-
DES ÉMOTIONS DE trices et langagières. Les enfants vont tionnelle (« poker face ») [48].
LA NAISSANCE À 6 ANS ainsi recourir à des actions visant à évi- A partir de six ans, le développement
ter une émotion négative et à solliciter des capacités cognitives et du contrôle
La capacité de régulation émotionnelle la répétition d’émotions positives. La attentionnel va jouer un rôle important
permet de modifier la nature, l’intensi- succion, jusqu’alors réflexe, devient une dans le développement des capacités de
té, la durée ou la façon dont les émo- succion auto-relaxante sous contrôle régulation [49]. Avec l’âge, les enfants
tions s’expriment [42]. Dès les premiers volontaire. Les stratégies de distraction vont percevoir les liens entre leurs ef-
instants après la naissance, la régula- présentes sous la forme du détourne- forts de régulation et la modulation de
tion émotionnelle se fait par l’utilisation ment du regard deviennent des actions leurs émotions. Ils deviendront ensuite
de stratégies dites interpersonnelles, motrices de fuite ou d’évitement. capables, à la préadolescence, d’utiliser
car elles engagent le donneur de soins A partir de trois ans, les enfants com- des stratégies de régulation très spéci-
(par exemple, les parents). Cette mencent à utiliser le langage pour ini- fiques, telles que la résolution de pro-
interac tion à visée régulatrice se fait tier des demandes de régulation inter- blèmes (tenter de résoudre la cause de
grâce aux expressions émotionnelles personnelle et intrapersonnelle grâce à l’émotion), la recherche de soutien
primaires. Les compétences émotion- des auto-instructions langagières. (chercher du réconfort auprès d’un
nelles des bébés, compte tenu de leur L’adulte va encourager l’enfant à verba- proche par exemple), la distraction
dépendance intrinsèque aux adultes, liser son émotion en y associant la cause (penser à autre chose ou faire autre
peuvent être utiles pour prévenir l’en- et l’évaluation qu’il en a faite. Le langa- chose comme écouter de la musique), la
tourage d’un mal-être et demander de ge va ainsi permettre à l’enfant de com- réévaluation cognitive (changer de si-
l’aide au donneur de soins afin de re- prendre son ressenti et de se distancier tuation ou de point de vue pour que
trouver l’équilibre. Ces comportements de l’émotion. L’enfant va également dé- l’émotion paraisse moins forte) ou la
sont les prémices d’une capacité de ré- velopper la capacité à utiliser au niveau suppression expressive (essayer de ne
gulation émotionnelle plus élaborée. intrapersonnel les stratégies de régula- pas exprimer physiquement l’émotion
La régulation émotionnelle est indis- tion qu’il a apprises par synchronisation en bloquant ses expressions faciales, vo-
pensable dans la vie quotidienne, mais pendant les épisodes de régulation in- cales ou corporelles) [50].
son acquisition est très lente et difficile. terpersonnelle (avec l’aide de son co-ré-
Le développement de la régulation gulateur adulte). CONCLUSIONS :
émotionnelle est lié aux échanges avec De plus, entre trois et six ans, les enfants
les donneurs de soins, à la manière dont développent la capacité de modifier, VERS LES COMPÉTENCES
ces derniers s’occupent, tiennent ou masquer ou minimiser leurs émotions ÉMOTIONNELLES
portent le bébé [43], ainsi que par le type dans certaines circonstances [46]. A cet
d’attachement [44]. Ainsi, si leurs be- âge, ils comprennent et utilisent de En conclusion, les capacités à exprimer,
soins restent inassouvis, les bébés vont mieux en mieux les « display rules » [47], discriminer, identifier et réguler ses
exprimer leur détresse par les pleurs. qui sont les règles culturelles définissant émotions font partie de ce que les cher-
Un processus de régulation interperson- la manière de répondre émotionnelle- cheurs appellent « les compétences
nelle est alors possible par la capacité ment dans un contexte social. Par émotionnelles ». En effet, les compé-
des donneurs de soins d’identifier l’état exemple, les enfants apprennent sou- tences émotionnelles font référence aux
émotionnel du bébé et d’adapter leur vent, depuis leur plus jeune âge, que différences dans la manière dont les
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personnes identifient, expriment, com- teurs tels que les comportements sociaux, cet article ne traite que des émotions pri-
prennent, utilisent et régulent leurs émo- les performances scolaires et la santé. Le maires ; il existe d’autres types d’émo-
tions et celles d’autrui. Le développement développement de ces compétences est tions telles que les émotions morales ou
de ces compétences chez l’enfant est un donc d’une importance capitale, et il est les émotions mixtes. Ces émotions seront
aspect important du développement co- possible de les entraîner dès le plus jeune abordées dans un prochain numéro. 첸
gnitif, qui est relié à de nombreux fac- âge [2]. Il est important de rappeler que Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts.
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