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Spub 062 0275
Spub 062 0275
Résumé : Cette étude analyse la manière dont trois quotidiens français (Libération,
Le Monde, Le Figaro) véhiculent des informations liées au risque du téléphone
portable de 1995 à 2002. Quantitativement, les risques physiques inhérents aux
ondes électromagnétiques sont les plus traités, suivis de ceux liés à l’utilisation du
téléphone au volant d’un véhicule. Les risques « sociaux » relatifs aux nuisances
sonores et aux incivilités sont très minoritaires.
La représentation médiatique des risques physiques liés au téléphone portable
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(1) UPRES EA 3294 « Sport, Loisir, Santé », Faculté des Sciences du Sport, Université de la Méditerra-
née, 163 avenue de Luminy CP 910, 13288 Marseille cedex 09, France.
cecile.martha@staps.univ-mrs.fr - Tél. : 04 91 17 04 39
jean.griffet@staps.univ-mrs.fr - Tél. : 04 91 17 04 75
(2) Réseau de Cancérologie Oncosud, 34A avenue du Moulin de Notre Dame, 84000 Avignon.
myriam.coulon@reseau-onconsud.org - Tél. : 04 32 76 27 66
(3) UPRES EA 849, UFR de Psychologie, 29 avenue Robert SCHUMAN, 13621 Aix-en-Provence Cedex
- souville@up.univ-mrs.fr
Summary : This study analyses how three French daily newspapers (Liberation, Le
Monde, Le Figaro) convey information on the risks associated with mobile phone use in
the period from 1995 to 2002. Quantitatively, the physical risks inherent to the low-
intensity, electro-magnetic waves are most frequently reported, followed by those
linked to mobile phone use while driving. « Social » risks, such as those related to noise
or uncivil behaviour, are amongst the most rarely communicated. In general, the media
present two types of physical risks connected to mobile phone use : the collective
ones, which cover the low-intensity electro-magnetic waves which are emitted from the
antennas on signal base stations, and the individual ones, which concern the waves
produced by the mobile phone itself, and the danger associated with its use by a driver
while operating a motor vehicle. Controversy surrounding the current scientific studies
and the uncontrollable character of the risks linked to the low-intensity, electro-magnetic
waves instill much more fear and debate than around those related to the combination
of driving while talking on the telephone. While this latter point is scientifically proven, it
is also subjectively under control.
40
35
Nombre d'articles parus
30
25
20
15
10
5
0
1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002
Années
Risque social : incivilité et nuisance sonore
Risque lié à la double tâche conduire-téléphoner
Risque lié aux ondes électromagnétiques
Figure 1 : Evolution du nombre d’articles publiés dans la presse en fonction des catégories
de risque identifiées de 1995 à 2002.
les études scientifiques, les faits di- sesseurs de portable admettent utili-
vers comme les accidents de la circu- ser plus ou moins fréquemment leur
lation dus à l’utilisation du téléphone téléphone en conduisant.
portable, et les décisions politiques.
Au 1er semestre 2002, l’accent est
Fin 1995, un article du journal Le porté sur la prévention et la sensibilisa-
Monde (M5) présente l’enquête de l’IN- tion aux dangers de téléphoner en
RETS (Institut National de Recherche conduisant (M9 ; F6). De nouvelles tech-
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fiables sur les risques à long terme Cet abaissement ne semble pas
d’une exposition continue. scientifiquement fondé et répond plus
aux préoccupations du grand public
2) Si les études scientifiques sur les
qu’à la conclusion d’études (F14) . En
risques sanitaires à long terme des
outre, l’exposition au rayonnement
ondes des antennes-relais restent
des antennes-relais est de moindre in-
controversées, elles iraient plutôt dans
tensité que celle des rayonnements
le sens de leur innocuité, à la condition
émis par le téléphone portable (L14) .
de respecter les mesures de périmètre
Pourtant, des procédures judiciaires
de sécurité recommandées par
sont initiées par des habitants pari-
l’Union Européenne (UE).
siens contre les opérateurs, pour non
3) Face à la lenteur des études respect du périmètre de sécurité (L13).
scientifiques et à la pression de l’opi- Suite aux protestations des usagers,
nion publique, les pouvoirs publics les législateurs préparent une proposi-
appliquent le principe de précaution et tion de loi qui vise à préserver les
prévoient une carte d’implantation des écoles et les bâtiments sensibles (L14).
antennes-relais en interdisant de les En août 2000, des résultats préoc-
installer à proximité des écoles et des cupants voient le jour : ils évoquent un
hôpitaux. rayonnement des antennes-relais de
10 à 20 fois supérieur aux chiffres
4) Pour les opérateurs, certaines de
communiqués par les opérateurs.
ces mesures de sécurité sont non seu-
S’en suivent une querelle d’experts et
lement infondées mais dangereuses :
la contestation de ces relevés par
la restriction du nombre d’antennes-
France Telecom (L15 ; F19).
relais, par exemple, conduit à aug-
menter la puissance d’émission des
téléphones portables. Au cours de l’année 2001, la posi-
tion des protagonistes se radicalise.
Les premiers articles sur les risques En janvier, un rapport recommande
sanitaires liés aux antennes-relais pa- que « les bâtiments sensibles (hôpi-
raissent au printemps 2000. Un article taux, crèches ou écoles) situés à
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public n’en aurait qu’un reflet défor- critique élaborée par Beck [1] : le sa-
mé. Selon Andreas Teuber [23], et voir accumulé devient de plus en plus
Jacques Theys [24], les individus complexe, hypothétique, étroitement
sous-estiment les risques familiers lié à des conventions méthodolo-
qu’ils prennent volontairement, croyant giques indécidables. L’éthique profes-
les maîtriser. Mais ils surestiment les sionnelle des scientifiques est en cau-
risques peu familiers, non choisis, qui se car les critères de scientificité
leur semblent incontrôlables. Ainsi, impliquent des délais importants. Dis-
téléphoner en conduisant n’effraie cordants, indécis et labiles, les dis-
guère : les individus connaissent le cours scientifiques discréditent la
risque et le minimisent, surtout science et alimentent les rumeurs.
lorsque la communication s’opère Pour extorquer une réponse tranchée
avec un kit mains libres [25]. Ils ont le aux experts, les journalistes interro-
sentiment de contrôler la situation, gent leur comportement de citoyens :
alors que la menace sanitaire liée aux continuent-ils à utiliser leur téléphone
ondes apparaît comme subie. Son ef- portable ? Dans les médias, la noble
fet n’est pas avéré et demeure encore, incertitude du savant est rétrogradée
à l’heure actuelle (8) , controversé [4, au registre de l’opinion. De plus,
13]. La nocivité n’est évaluable qu’à quelques articles témoignent de la
long terme et nul n’a la preuve d’être à partialité des recherches financées
l’abri de tumeurs cérébrales, qui n’ap- par l’industrie. La science est alors
paraîtront peut-être que très long- perçue comme complice de l’industrie
temps après l’exposition. On sait que téléphonique, associée à ses enjeux
le cancer n’est pas une maladie socia- économiques et incapable de produire
lement neutre : perçu comme incu- un discours univoque. Par consé-
rable et mortel, il constitue un mal ter- quent, les politiques appliquent le
rifiant dans la conscience collective principe de précaution qui consiste à
[21]. Nous dirons avec Luhmann [10] envisager le pire, et l’individu acquiert
que téléphoner en conduisant est un de l’autonomie, puisqu’il peut choisir
risque (un danger librement accepté et parmi une multitude de résultats
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même choisir de ne pas en posséder, moindres que ceux générés par les
alors que les effets sanitaires poten- radios FM ou d’autres sources électro-
tiels des antennes-relais sont infligés magnétiques [26]. Les risques sani-
aux non-utilisateurs, pour peu qu’ils taires des champs électromagnétiques
vivent à proximité. de radio fréquences sont comparés à
ceux des lignes à haute tension qui ont
Dans le discours de la presse, le pro- soulevé des débats dans les années
cédé de mise à distance du risque, ef- 60. Ce type de relativisation du risque
fectué par les opérateurs et les fabri- est caractéristique du discours des in-
cants, relativise la menace en la dustries qui, mises en cause par les
comparant à d’autres jugées plus pro- médias, tentent de démontrer que le
bables, plus fréquentes, et d’une gra- risque dont on les tient pour respon-
vité similaire ou supérieure [16] : les sable est « acceptable ». L’argument
risques sanitaires des ondes électro- comparatif semble le dernier recours
magnétiques émises par les antennes- qui permet de rendre « acceptable » un
relais seraient inférieurs à ceux des risque inévitable. Car comment pour-
ondes émises par les téléphones rions-nous vivre aujourd’hui sans télé-
portables, qui seraient eux-mêmes phone portable ?
BIBLIOGRAPHIE
1. Beck U. Risk Society : Towards a New Modernity. Londres : Sage Publication, 1992 : 522 p.
2. Borraz O, Devigne M, Salomon D. Controverses et mobilisations autour des antennes-relais de
téléphonie mobile. Rapport de recherche. Centre de Sociologie des Organisations, CNRS/FNSP,
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Annexe
Références des articles de presse
cités par ordre d’apparition
Le Monde (M)
(M1) : 15/04/95 « Allô, allô, le téléphone mobile s’est installé chez les Français »
(M2) : 17/11/96 « Comment téléphoner partout sans déranger ni être dérangé »
(M3) : 28/06/02 « Les téléphones portables divisent les usagers de la SNCF »
(M4) : 31/10/01 « Le gadget ne fait pas le bonheur »
(M5) : 29/12/95 « Téléphoner ou conduire, il faut choisir »
(M6) : 14/02/97 « Une étude démontre que l’usage du téléphone portable au
volant multiplie les risques d’accident »
(M7) : 27/01/98 « Téléphone : usage du portable et accidents mortels aux États-
Unis en 1996 »
(M8) : 30/01/01 « Téléphones portables : des scientifiques préconisent une
utilisation prudente »
(M9) : 24/03/02 « Téléphone : la sécurité routière a lancé une opération contre
l’utilisation du téléphone portable en voiture »
(M10) : 11/09/96 « Les ondes suspectes du téléphone mobile »
(M11) : 11/09/96 « L’usage du téléphone mobile est-il dangereux pour la santé ? »
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Le Figaro (F)
(F1) : 14/10/99 « Incorrigibles portables »
(F2) : 07/07/99 « Le téléphone portable »
REPRÉSENTATION MÉDIATIQUE DES RISQUES LIÉS AU TÉLÉPHONE PORTABLE 287
Libération (L)
(L1) : 04/11/97 « Rendez-vous santé : conduire ou téléphoner ? »
(L2) : 12/10/99 « Ivre et au téléphone, le chauffard tue un piéton »
(L3) : 07/10/97 « Le téléphone portable inoffensif »
(L4) : 25/05/99 « Le téléphone portable monte-il au cerveau ? »
(L5) : 21/10/99 « Devine dans quel état je t’appelle »
(L6) : 22/10/99 « Le cerveau est-il soluble dans le portable ? »
(L7) : 28/03/00 « Inquiétudes sur les effets des ondes »
(L8) : 18/05/00 « Les décideurs en terrain miné… »
(L9) : 18/05/00 « Le message rassurant des fabricants »
288 C. MARTHA, M. COULON, M. SOUVILLE, J. GRIFFET