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LA PRUDEN~E(I)

SA PLACE DANS L'ORGANISME DES VERTUS

Une étude sur la prudence ne présente au premier abord


pour beaucoup de lecteurs qu'un ' méd'iocre intérêt. Plusieurs
pensent peut:être à monsieur Prudhomme, d'autres songent à
une vertu qui consiste surtout à ne pas agir, dès qu'il y a
quelque risque à courir : (( Soyons prudents, pas d'affaires. ))
Et de fait, dans plusieurs dictionnaires, la définition qui est
~onnée de la prudence fait penser à cette sorte de vertu tout~
négative, qui n'a guère de la vertu que le nom. La prudence
serait-elle une qualité négative?
Aristote s'est fait d"elle une tout autre idée; ,elle est, selon,
lui, une vertu très positive, agissante; il en parle même en
termes si élevés que certains historiens ont voulu appeler
( sagesse II la prudence aristotélicienne. En réalité, la sagesse
est beaucoup plus haute; elle est comparée par saint Thomas
au roi qui dirige tout dans le royauJlle, et la prudence au
portier, mais au portier du palais royal. La prudence introduit
de fait dans la demeure où règne la sagesse.
Et si cela est vrai déjà de la prudence naturelle acquise, que
dire de la prudence chrétienne, infuse, surtout lorsqu'elle est
aidée par les inspirations spéciales du don de conseil?
La place donnée par saint Thomas à cette vertu étonne ceux

(1) Nous nous proposons de publier une série d'études faites pour initier
à la philosophie et à la théologie thomiste pa.r la mise en lumière des prin-
cipes qui dominent chacune des grandes questions. En morale, pour se faire
Une juste idée de ce qu'est la vertu morale pour saint Thomas, nous trai-
terons aujourd'hui de la prudence qui dirige toutes vertus morales, et du
caractère spécial de la certitude pratique du jugement prudentiel.
REVUE THOMISTE

qui considèrent l'imprudence comme un péché peu grave, qui


ne penient même pas' à s'en accuse'r , mais au contraire s'excu-
sent en disant -:- « Ce fut seulement de ma part ' une impru-
dence. n Ils oubliént que tOut < péché :procède d'une fausse
direction de la raison, et par là contient une imprudence, bien
qu'on soit plus àtteritif à la malice ou à la lâcheté attribuable
à la volonté. L'imprudence est d'autant plus grave qu'on est
plus strictement tenu à donner une direction sûre; chez un
homme d'État elle peut 'être extrêmement grave, et conduire
un pays à la ruine, de même chez un chef d'armée, ou encore
chez le mécanicien qui dirige un rapide, chez l'aiguilleur qui
lui · ouv.re la' bonne voie ou la mauvaise. Or, dans notre vie
personnelle, il s'agit aussi de bien aiguiller, dans le sens de
la fin dernière, de la vie éternelle, par la voie de l'humilité et
de l'abnégation et non en sens inverse. .
Qn s'étonnera dès lors un peu moins d'entendre saint Tho-
mas nous dire ,après Aristote que la prudence est la première
des vertus cardinales, puisqu'elle dirige les autres. Il la place
sitôt après les trois vertus théologales, car elle dirige non seu·
. lement la justice, la force, la tempérance, mais aussi les vertus
qui leur sont annexes: la religion, l'humilité, la pénitence,
la magnanimité, la patience, la douceur, la cbasteté, la virgi-
nité. Évidemment elle est supérieure à toutes les vertus
morales qu'elle dirige : auriga virlulum : recta ratio agibi-
Lium (1). Il n'y a que les vertus théologales qu'elle ne saurait
diriger; elle est au contraire dirigée elle-même par la foi qui
nous fait adhérer aux mystères du salut, aux préceptes et auX.
conseils révélés (2).
Dans beaucoup de traités modernes de théologie morale, la
place de la prudence est fort réduite, parce qu'on a donné, att
déhut de ces traités, des proportions excessives aux questions.
relatives à la conscience, en oubliant que, la conscience droite

(i) Cf. S. THOYAS, la n", q. 66, a. 3, ad 3um ; Ua lIa. , q.47, a. 6, ad 3um.


(:J) La prudence. étant inférieure à la foi. à l'espérance et à la charité, ne
peut les diriger que d'ulle façon tout accidentelle. Elle n'a certes pas ir
déterminer leur objet tout divin, mais pour ce qui est de l'exercice de ces-
vertus, elle juge par exemple s'il est opportun ou non de parler maintenant
ou plus tard des "érités de la foi à un incrédule, pour le convertir.
LA PRUDENCE 413

et -.certaine étant un acte de la vertu de prudence, on ne peut


bien connaître la nature de cet acte qu'en traitant de l'objet
formel de la vertu de prudence, de ses autres actes, et de ses
rapports mutuels avec les vertus morales qu'elle dirige. L'étude
de ces rapports mutuels est indispensable pour se faire une
juste idée de ce que doit être la jormation de la conscience. De
ce point de vue le traité de la prudence écrit par saint Thomas
prend le plus grand intérêt. Nous recommandons particu-
lièrement la traduction française que vient d'en faire le
P. H.-D. Noble, O. P., et les notes. explicatives qu'il y a jointes,
où il résume les meilleurs commentaires de Cajétan, dans une
langue très accessible aux modernes et de façon à répondre à
leurs préoccupations.
Pour bien voir ce qu'est la prudence et quelle est sa place
dans l'organisme des vertus, nous considérerons d'abord ses
trois actes : le conseil, le jugement pratique, le commande-
ment. Nous verrons en second lieu pourquoi la prudence
requiert nécessairement la rectification de « l'appétit)), assurée
par les vertus qui ont leur siège dans l'appétit rationnel ou
volonté et dans l'appétit sensitif ou sensibilité. Nous serons
ainsi conduits à bien voir quelle est la vérité et la certitude
pratique de tout jugement pruŒentiel.

Les trois actes de la Prudence


1° le conseil, 2° le jugement pratique, 3° le commandement.

Pour bien comprendre quelle est la place de la prudence


dans l'ensemble des vertus, il faut d'abord rappeler quels sont,
selon saint Thomas, les actes d'intelligence et de volonté qui

(1) Somme théologique de S. Thomas d'Aquin. texte latin et traduction fran-


çaise. La Prudence, II" II'', q. 47-56, traduction par le P. H.-D. Noble. Paris,
Édition de la Revue des Jeunes, Desclée et Cie, 30, rue St-Sulpice, 1925.
- Le texte latin est publié d'après le manuscrit 15348 de la bibliothèque
nationale de Paris, fol. 58'; les raisons du choix de ce manuscrit sont expo-
sées dans le prologue du premier traité de la Ua Il''. - Quant à la traduc-
lion, elle s'inspire du conseil donné par saint Thomas lui-même, op. Contre
les Erreurs des Grecs, prol. : « Un bon traducteur doit, tout en gardant le
3
REVUE THOMIS TE

concou rent à une délibération et à l'exécution de ce qui est décidé .


Il a disting ué douze actes, six du côté de l'intell igence , six du
côté de la volont é, et a fait une étude spécial e de chacun d'eux
(la II'', q. I I à 17)' -La suite de ces douze actes peut s'expri mer
dans le tableau suivan t, qui disting ue 1° l'ordre d'intention, rela-
tif à la fin. 2° l'ordre d'élection, ou de choix des moyen s, qui
contie nt la délibé ration propre ment dite, et 3° l'ordre d'éxécu-
tion ou d'appl ication des moyen s choisis en vue de l'obten tion
de la fin .. - On peut consid érer ces douze actes soit par rappor t
à la fin derniè re à conqu érir, le salut, la vie éternel le, soit par
rappor t à une fin particu lière subord onnée, par exemp le : une
licence op un doctor at à obteni r.

Ordre d'intention
ACTBS D'INTBLLI GBNCB ACTES DE VOLONTÉ
1. Jugemen t: cette fin est bonne. 1 .. Désir non encore efficace de cette fin.
3. Jugement : cette fin peut et doit être 4. Intention efficace ...••
atteinte. .
Ordre d'élection
5. Conseil sur les moyens. 6. Consentement aux divers moyens envi-
sagés in globo.
7. Jugement pratique: le meilleur moyen 8. Élection ou choix du moyen qui pa-
est celui-ci. • rait le meilleur .
Ordre d'exécution
9. Imperium ou comman dement qui di- 10. Usus actiuus : la volonté applique les
rige l'exécuti on des moyens choi- autres facultés à l'exécuti on des
sis. moyens.
I l . Us us passiuus. applicati on passive des
JO. Fruitio, joie dans la posse ion de la
autres facultés, ex. : attention . fin conquise .

La suite de ces douze actes n'offre pas grande s difficu ltés; il


suffit de prendr e un exemp le comm e celui des moyen s à
emplo yer pour réussir dans un exame n. Notons seulem ent
que le consei l ne se disting ue pas du jugem ent pratiqu e,
lorsqu 'on voit tout de suite quel est le meille ur moyen ; dans
ce cas le consen temen t ne se disting ue pas non plus de l'élec-
tion ou du choix.
Quelqu es théolo giens, comm e Suarez , n'ont pas vu la néces-

sens des vérités qu'il traduit, adapter son style au génie de la langue
da!l3
laquelle il s'exprim e. » Cette édition, qui se présente à des prix
abordab les,
en de jolis volumes , élégants et maniabl es, a reçu déjà le meilleu
r accueil.
LA PRUDENCE 415

si té de l'imperiuin ou du commandement, comme acte d'in-


telligence, au début de l'exécution, et ils l'ont confondu avec
l'acte de volonté qui précède ou avec celui qui suit. Il est
pourtant manifeste que, après le choix des moyens, ou élec-
tion, l'exécution des moyens choisis a besoin d'être dirigée par
un acte d'intelligence, au moment voulu, ni trop tôt, ni trop
tard (r" rra", q. 17, a. 1). Certains généraux, sous la tente, lors-
qu'ils délibèrent en repos, voient assez bien ce qu'ils devront
commander le ll:lndemain, ils ont choisi les moyens; mais il
reste l'exécution, et souvent le sang-froid leur manque pour
commander à l'instant voulu l'exécution des moyens choisis la
veille. Il faut ici un regard particulier, le coup d'œil de l'exé-
cution. C'est d'autant plus nécessaire que les moyens subor-
donnés doivent être exécutés en sens inverse de l'ordre d'in-
tention et d'élection; quand on les choisissait, on descendait
de la fin voulue aux moyens supérieurs en étroite relation avec
elle, et de ceux-ci aux moyens inférieurs, voulus en vue des
précédents; maintenant dans l'exécution, il faut commencer
par le moyen infime, comme pour construire un édifice il
faut commencer par creuser les fondements, comme pour
suivre les cours d'une université en vue d'un' doctorat il faut
d'abord s'y faire inscrire. L'ordre d'exécution est, en ce sens,
inverse de l'ordre d'intention et d'élection, et il a donc besoin
d'une direction spéciale, celle qui est indispensable au pouvoir
exécutif. La fin qui est première dans l'ordre d'intention est
dernière dans l'ordre d'exécution, dit souvent saint Thomas.
De ce point de vue quand on traite des rapports de la religion
et de la politique, on voit qu'il serait impie de dire: ({ politi-
que d'abord » dans l'ordre d'intention; il n'en est pas de
même dans l'ordre d'exécution, où les moyens les plus infimes
doivent être employés d'abord en vue des plus élevés et leur
rester subordonnés. Pour vivre dans la cité, il faut d'abord
qu'elle soit rendue habitable par l'expulsion ou l'incarcération
des bandits.
Parmi ces douze actes, trois ~ppartiennent à" la prudence :
le conseil, le jugement pratique et le commandement. Le premier,
le conseil, considère les divers moyens capables de conduire à
la fin, et ici il importe d'envisager des moyens assez différents
les uns des autres, pour juger ensuite en connaissance de
REVUE THOMISTE

cause lequel est vraiment le meilleur; il ne faudrait pas oublier ~


que ce moyen le meilleur n'est pas toujours celui qui se pré-
sente tout d'abord à l'esprit. C'est pourquoi le chef d'Êtat le
plus avisé a besoin d'avoir à côté de lui un conseil composé
d'hommes supérieurs et de compétence très variée; il convient
d'y proposer des avis assez différents et de peser le pour et le
contre de chacun. Le vote consultatif de plusieurs conseillers
est ici généralement fort utile. Mais il faut ensuite s'élever de
cette multiplicité d'avis à l'unité du jugement pratique, qui
discerne parmi les divers moyens proposés celui qui est le
meilleur hic et nunc. Ici il importe de ne pas compromettre
par d'interminables discussions l'unité et la rectitude du juge-
ment, qui requiert parfois une très grande prudence, celle que
doivent avoir en politique les chefs d'Êtat (1). Enfin doit venir,
au moment opportun, l'imperium ou le commandement, qui
dirige l'exécution des moyens choisis, en s'élevant du dernier
de tous au plus élevé et à la fin poursuivie.
Ces trois actes appartiennent, on le voit, soit à la prudence
personnelle dans la conduite de notre vie privée, soit à la pru-
dence politique des hommes d'Êtat et de tous ceux qui doivent
d'une manière ou d'une autre veiller au bien commun de la
société (2). Ceci posé, il est facile de voir quelle est la relation
de la prudence avec les vertus de la volonté et de la sensibilité.'

(1) Cf. S. THOMAS, la, q. 103, a.3 : « Necesse est dicere, quod mundus ao
uno gubernetur. Cum enim finis gubernationis mundi sit quod est essen-
tialiter bonum, quod est optimum, necesse est quod mundi gubernatio sit
optima. Optima autem gubernatio est, quae fit per unum. Cujus ratio est.
quia gubernatio nihil aliud est, quam directio gubernatorum ad finem. qui
est aliquod bonum; unitas autem pertinet ad rationem bonitatis, ut Boetius
probat in III de Gonsol ... Et ideo id, ad quod tendit intentio multitudinem
gubernantis, est unitas, sive pax; unitalis autem causa per se est unum.
Manifestum est enim, quod pl ures multa unire et concordare non possunt,
nisi ipsi aliquo modo uniantur. Illud autem quod est per se unum, poLes t
esse causa unitatis convenientius quam multi uniti. Vnde mullitudo melius
gubernatur per unum, quam per plures. »
(2) Ua U··, q. 50, a. :1 : « Vltrum politica con venienter ponatur pars pru-
dentiae. » Par où l'on voit que le bien commun, qui spécifie à des litres divers
ces vertus, qui sont la prudence politique, et la justice légale ou sociale,
le bien commun n'est pas seulement un bien utile, comme le disent les u!i-
litaristes, mais un bien honnête. La prudence politique et la prudence mili-
LA PRUDENCE

.
'" '"
La prudence requiert nécessairement la rectitude de la volonté
et celle de l'appétit sensit~f
1
Ce point de doctrine, très bien mis en relief par Aristote et
par saint Thomas (1), montre admirablement la place de la
prudence dans l'organisme des vertus et les relation~ mutuelles
qu'elle a avec les vertus morales, qui ont leur siège soit dans
la volonté (appétit rationnel), soit dans la sensibilité ou appé-
tit sensitif. .
Il est clair que la rectitude de la volonté et de la sensibilité
est requise pour le troisième acte de la prudence, celui auquel
les deux autres sont ordonnés, l'imperium ou commandement.
Il ne peut en effet y avoir commandement droit et efficace des
moyens, sans qu'il y ait eu d'abord et sans que persévère l'inten-
tion droite et efficace de la fin. Nous verrons tout à l'heure que
cette rectitude de l'appétit rationnel et sensitif est requise aussi
pour le jugement pratique qui doit, avant l'imperium, détermi-
ner le juste milieu qui me convient à moi hic et nunc, étant
donné mon âge, ma situation, etc., en matière de force, de
patience, de magnanimité, d'humilité, de c.hasteté, de man-
suétude, etc.
Mais nous voyons déjà qu'en tant qu'elle présuppose la rec-
titude de la volonté, la prudence diffère de la science morale et
de l'art. Un pervers peut connaître spéculativemeD:t la science
morale, et son advertance n'en est que plus grande lorsqu'il
pèche; un 'pervers peut aussi être un bon artisan, un bon
maçon, même un bon architecte, mais un pervers ne peut
pas être prudent; il peut être finaud, rusé, avoir de l'astuce,
mais il ne peut pas avoir la vertu de prudence dont l'acte
principal est le commandement droit et efficace des moyens
en vue d'une fin morale, préalablement voulue par une inten-
tion droite et efficace. C'est ici qu'on voit la distinction entre

taire ne sont pas seulement des arts spécifiés par l'ulile, mais des vertus
spécifiées par l'honnête. Cf. I1a U", q. 50, a . 2, 3 et 4.
( 1) Cr. S. THOMAS, la Ua•• q. 57, 'a. 4, a . 5, ad 3, - q. 58, a. 4 et 5, et apud
Aristotelem, Ethica, LVI. c. 2.
418 REVUE THOMIS TE

l'art, recta ratio jactibilium, et la pruden ce, recta ratio agibi-


lillm (1). L'art du cordon nier par exemp le est de faire de bons
soulier s, celui du statuai re est de faire .une belle statue; tandis
que la pruden ce dirige la condu ite morale de.1a vie, elle n'a
pas pour but, comm e l'art, de façonn er une matièr e extérie ure,
mais de façonn er en nous-m ême l'homm e de bien, de marqu er,
comm e on l'a dit, le caractè re du vir dans l'humu s de l'homo.
La rectification de l'appétit requis e par la pruden ce est-elle
maltiple? - Manife stemen t, comm e cet appétit lui-mê me, qui
est soit rationnel, soit sensitif, et ce dernie dui-m ême se divise
,
en concupiscible et irascible, suivan t qu'il se porte vers le' bien
sensib le, ou repous se les obstacles qui s'oppo sent à l'obten tion
de ce bien (Ia,q. 80, a. 1 et 2, q. 81, .a. 2).
Qu'est- ce qui assure la rectific ation de l'appét it rationn el?
- Sans parler ici des vertus théolog ales de charité et d'espé-
rance qui porten t sur la fin derniè re, l'appét it rationn el ou
volont é est rectifié , dans l'ordre des moyen s, par la vertu
morale de justice , qui rend à chacun ce qui lui est dû; et par
les vertus annexe s de religion, .ou justice à l'égard de Dieu,
pou~ lui rendre le culte qui lui est dû, de péniten
ce, de piété
filiale, de patriotisme, d'obéissance, de gratitude, de véracité, de
libéralité, etc. (2).
Dans la sensib ilité, l'appét it irascib le est rectifié par la vertu
de jorce, à laquel le s'uniss ent celles de magnanimité, de patience
et de persévérance; - l'appét it concup iscible est discipl iné par
les vertus de tempérance, sobriété, chasteté, et par les vertu~
annexe s de clouceur et d'humilité (3). On voit pourqu oi toutes
ces vertus morale s sont connexes entre elles sous la directi on
de la pruden ce, et quelles sont leurs relatio ns mutue lles avec
elle (4).
La pruden ce injuse, qui procèd e sous la lumièr e de la foi,
et dirige notre vie d'après les vérités révélées vers la fin der-
nière surnat urelle, suppos e en outre la charité qui nous recti-
fie vis-a-v is de cette fin derniè re. - Quant a la pruden ce

(1) Cf. la II'', q. 57, a. 4 : cc Utrum prudent ia sit 'Virtus distinct


a ab arte. »
(2) Cf. Ila Il'', q.81 à no : les 'Vertus annexes à la justice.
(3) cr. IIa Ua. , q . 123 à 169.
(4 ) Cf. la U'·, q. 65. de connexi one 'Virlulu m.
LA PRUDENCE

acquise, pour être à l'état de vertu parfaite (in statu virtutis),


elle suppose aussi la charité, sans laquelle nous n'aimons pas
Dieu par-dessus ·t outes choses; cependant un seul péché mor-
tel, qui nous prive de la charité et de la prudence infuse, ne
nous prive pas par là même de la prudence acquise; cette
vertu reste alors en nous, mais à l'état imparfait, elle com-
mence à décliner et ne conduit guère plus jusqu'à son troisième
acte, l'imperium droit et efficace (1).
On voit par là quelle rectification habituelle de la volonté
et de la sensibilité est requise normalement pour la vertu de
prudence, et quelle rectification actuelle est exigée pour les
actes de prudence, surtout pour le principal d'entre eux,
l'imperium ou le commandement.

L'intention droite et efficace des fins des différentes vertus


morales est-elle aussi normalement requise, pour les deux
autres actes antérieurs: le bon conseil et le bon jugement prati-
que, en particulier pour que ce jugement détermine le juste
milieu qui me convient individuellement, à moi, vu mon
âge, ma condition, en telles circonstances, ~n matière de force,
de magnanimité, de patience, de sobriété, de chasteté, de dou-
ceur ou d'humilité? - Pourquoi la science morale d'une part
et l'expérience que j'ai de mon tempérament de l'autre ne
suffiraient-elles pas à me faire déterminer, comme il convient,
ce juste milieu, medium rationis?
Il faut ici encore normalement la rectification de l'appétit
rationnel et sensitif; la science morale et l'expérience de
mon tempérament ne peuvent -y suppléer. Pourquoi? Parce
que la science morale, qui déduit des principes les conclusions
universelles et nécessaires, ne descend pas au cas particulier et
concret qui se pose pour moi hic et nunc, et parce que l'expé-
rience que j'ai de mon tempérament, bien qu'elle me fasse
connaitre ce qui me convient dans la majorité des cas, ut in
pluribus, ne détermine pas avec certitude le juste milieu d'hu-

(1) Cf. lIa II'', q . 47 . a . 13 : « Ulrum prudentia sit in malis. »


420 REVUE THOMIS TE

milité ou de magna nimité ou de telle autre vertu morale , qui


me con vien t da~s tel cas particu lier (1).
Si je ne veux pas actuell ement être hJlmbl e, lorsqu e je cher-
che le juste milieu à garder dans cette vertu (juste milieu qui
varie avec les aptitud es de chacun , son acquis , ses défauts
,
les circon stance s), je trouve raifaci lemen t un prétex te d'amo ur-
propre , qui me donne ra le change ; au lieu de faire un acte
d'hum ilité vraie, je ferai un acte de fausse humili té ou de
pusilla nimité , tout comm e une autre fois, croyan t être magna -
nime, je me laisser ai aller à la superb e ou à la présom ption.
Par où l'on voit que la rectitu de de la volont é et de la sensi-
bilité est requise , non seulem ent pour l'acte princi pal de la
pruden ce, le comma ndeme n.t droit et efficace, mais aussi pour
les deux actes antérie urs, le bon consei l et le bon jugem ent,
surtou t lorsqu 'il s'agit de déterm iner le juste milieu qui me
convie nt hic et nunc en certain es vertus délicat es et mystér ieu-
ses, qu'il ne faut pas confon dre avec le brillan~ tout extérie ur
de certain s défaut s qui leur ressem ble, comm e la verrote rie

imite le diama nt. Rien de p.lus diffidl e que d'évite r toute fausse
note sur le clavier des vertus ; il Y en a une trentai ne, et cha-
cune se trouve entre deux vices, l'un par excès et l'autre par
défaut . qui cherch ent souven t à prendr e les dehors de la
vertu. Pour éviter toute fausse note, il faut avoir l 'inspir ation
du morce au à exécut er, il faut en connai tre l'âme, il faut avoir
l'inten tion droite et efficace de pratiqu~r actuel lemen t ces ver-
tus. Ceci nous amène à parler de la vérité et de la certitu de
spécia le du jugem ent pruden tiel.

La vérité et la certitude pratiques de tout jugeme nt prudentiel

Le jugem ent pruden tiel est-il toujou rs vrai et certain? -


Saint Thoma s (2) répond , après Aristot e, qu 'il est toujou rs
vrai, sinon spéculativement, du moins pratiquement; car s'il était
pratiq uemen t faux, ce jugem ent serait impru dent et procéd e-

(1 ) Cf. CAJETAN. in 1'· II''. q . 58. a. 5. n ° VUl.


(~ ) l a n a" q. 57. a. 5, ad 3'·.
LA PRUDENCE 421
rait non de la prudence, mais de l'imprudence. Et ce que l'on
dit de sa vérité, il faut le dire de sa certitude, car il faut poUt"
agir prudemment avoir la certitude pratique que l'acte que l'on
va poser est moralement bon; sinon il y aurait imprudence à
le poser.
Mais qu'est cette vérité et cette certitude d'ordre pratique,
et comment se distingue-t-elle de la vérité et de la certitude
spéculati ves?
On le voit aisément en prenant un exemple où le jugement
prudentiel est en même temps spéculativement faux, et prati-
quement vrai et certain. C'est dans le cas où il y a ignorance
spéculative invincible ou non coupable. Par exemple, celui
qui ignore invinciblement la force extraordinaire d'un vin qui
lui est offert, juge sans manquer à la prudence qu'il peut en
boire un verre, et l'ivresse imprévue s'ensuit. Ce jugement est
-spéculativement faux, par rapport à la nature de ce vin, mais
il est pratiquement vrai par rapport à l'intention droite de
celui qui a jugé ainsi sans aucune faute de sa part. a
De même, par suite d'une erreur invincible- ou absolument
involontaire, on peut croire qu'une hostie est consacrée et l'a-
dorer, alors que en réalité, à cause d'une distraction du célé-
brant, elle n'a pas été consacrée. Dans ce . cas, le jugement
prudentiel : « Je dois adorer cette hostie )), est vrai pratique-
ment et faux spéculativement,
Comment peuvent se concilier, dans un seul et même juge-
ment prudentiel, cette fausseté spéculative et cette vérité pra-
tique?
C'est que, dit Aristote, la vérité spéculative est la conjormité
du jugement avec la chose jugée (conjormilas intellectus ad rem),
tandis que la vérité pratique prudentielle est la conformité du
jugement avec l'intention droite (conjormitas intelleclus ad appe-
tilam rectum).
Ceci, disions-nous dans un précédent article, est un point
de doctrine trop peu connu, et pourtant très bien mis en relief
par saint Thomas, lorsqu'il écrit (la Ua., q. 57, a. 5, ad . 3
UM
pour
)

expliquer que la prudence ne se trompe jamais pratiquement,


et qu'à ce titre elle est une vertu intellectuelle supérieure à
l'opinion: Il Le vrai de l'intellect pratique (ou practico-prati-
que, c'est-à-dire de la prudence) s'entend en un autre sens que
REVUE THOMIS TE

le vrai de l'intell ect spécul atif, comm e le dit le Philos ophe au


1. VI de l'Éthiq ue, c. 2. Car le vrài de l'intellect spécula tif est
constit ué par la conjor mité à l'objet extram ental (per conjormi-
tatem ad rem). Et parce que l'intell ect ne peut se confor mer
de maniè re injaillible à des objets contingents (surtou t à des évé-
nemen ts futurs qu'il faut prévoi r avec pruden ce), mais seule-
ment à ce qui est nécessaire, par là même les vertus intel-
lectuel les spécul atives (la sagesse, l'habit us des premie rs prin-
cipes, les diverse s science s) ne porten t pas sur des objets con-
tingen ts, mais seulem ent sur les 'vérités nécess aires. Par oppo-
sition, le vrai de ' l'intellect pratique (ou practic o-prati que,
c'est-à -dire de la pruden ce, distinc te en cela de la science
morale ) est constit ué par la conjor mité à l'appétit rectifié ou à
l'inten tion droite, per conjormitatem ad appetit am rectum . Cela
ne saurai t avoir lieu dans l'ordre du nécess aire, qui ne dépend
pas de notre volont é, mais bien à l'égard des choses contin -
gentes qui dépend ent de nous, comm e le sont les actes
humai ns. ))
On peut avoir ainsi sur la morali té de l'acte qu'on va poser
une CERTIT UDE PRATIQ UE, quand bien même avec elle coexiste-
rait une ignorance invincible ou une erreur spécul ative invo-
lontair e. C'est le cas du fidèle, qui, par suite d'une erreur
invinc ible, croyan t avoir devant lui une hostie consac rée, juge:
« Je dois adorer cette hostie. ))' Ce jugem ent est vrai
pratiqu e-
ment par confor mité à Ùnten tion droite, et faux spécula tive-
ment, car il n'y a pas confor mité à la chose même : l'hostie
n'a pas été réellem ent consac rée.
Le danger de subjec tivism e est écarté si l'on restrei nt bien
à l'ordre des contig ences ce genre de certitu de per conformita-
tem ad appetit um rectum , et si l'on se rappel le que l'intention
droite des fins morale s des différe ntes vertus a elle-m ême une
rectitu de imméd iateme nt fondée dans l'ordre du nécessaire et
de l'unive rsel, per conformitatem ad rem; car c'est bien dans la
confor mité à l'objet que consis te la vérité de premie rs prin-
cipes morau x (syndé rèse) et de la science morale qui en dérive.
Mais cette rectitu de spécul ative des premie rs princip es
morau x et des conclu sions nécess aires et univer selles de la
science morale ne peut descen dre ou rayonn er jusqu' au singu-
lier contingent, qu'est notre acte humai n, et déterm iner en lui
LA PRUDENCE

le juste milieu, que par l'intermédiaire de l'appétit rectifié, par


la rectitude de la volonté et de la sensibilité, rectitude assurée
par les vertus morales.
On comprend ainsi qu'il n'est jamais légitime d'agir avec
une c"onscience pratiquement probable; car le probable peut être
faux, -et si le jugement était pratiquement faux, l'acte humain
dirigé par lui ne serait plus prudent, mais ~mprudent.
On comprend aussi par suite comment chacun, dans la for-
mation de sa conscience, peut passer de la probabilité spécu-
lative à la certitade pratique de l'honnêteté de l'acte à poser,
alors même qu'il ignorerait les principes réflexes énumérés
dans les .ouvrages de théologie morale. Le principe réflexe
Melior est conditio possidentis et son extension, discutable d'ail-
leurs, e.n dehors des questions de justice, n'est guère connu
des chrétiens, qui doivent pourtant se former la conscience,
et n'ont pas toujours le temps pour cela d'aller prendre con-
seil.
Même sans recourir à ce principe réflexe, la plupart des
chrétiens pem,;ent. avec la diligence ordinaire, possible à cha-
cun, se former la conscience et passer des probabilités pour
et contre à la certitude pratique du jugement prudentiel con-
forme à l'intention droite. .
Cette conformité, comme nous l'avons déjà noté (1), n'est
pas quelque chose d'artificiel, de mécanique, comme certaines
comparaisons de probabilités. C'est quelque chose de vital et
d'excellent, c'est la vie vertueuse elle-même, c'est la rectitude
de la volonté et de la sensibilité, qui fait descendre et rayon-
ner la rectitude universelle et nécessaire de la syndérèse et de
la science morale jusque dans la contigence et la singularité
de nos actes humains.
On peut par exemple se demander si pour tel homme, à
raison de sa science, de sa vertu, de son autorité, de. sa situa-
tion, telle attitude est conforme à l'humilité d'une part et à la
magnaniInité de l~ autre, ou s'il n'y a pas en elle quelque pré-
somption ou quelque orgueil. Il est souvent fort difficile de
répondre. Pour cela, il faut le tact de la vertu elle-même. Du

(1) Reuue Thomiste, juillet 1925, Du caractère métaphysique de la morale


de saint Thomas, p. 351.
REVUE THOMISTE

fait que cet homme est vraiment humble et qu'il veut en ce


moment rester fidèle à cette vertu, qu'il en demande la grâce,
il percevra que telle attitude à prendre est conforme ou non
conforme à la véritable humilité qu'il porte en lui. La relation
de convenance entre l'acte à poser et la vertu qu'il possède déjà
s'établira ou ne s'établira pas, et la prudence jugera qu'elle
existe ou non. ' Seul le vertueux peut donc porter ce jugement
par inclination ou par sympathie (judicium per modum inclina-
tionis) là où le syllogisme universel et nécessaire ne peut pas
descendre, dans le domaine des contigences individuelles tou-
jours variables . Or c'est dans ce domaine qu'il faut agir sans
confondre les fausses apparences de la vertu avec la vraie
vertu, les faux diamants avec les vrais. Ce discernement ne se
fait pas sans la rectitude de la volonté en celui qui juge. C'est
ce qu'avait noté Aristote en formulant le principe souvent
rappelé par saint Thomas: « Qualis unusquisque est (secundum
. appetitum) , ta lis finis videtur ei. » A celui qui est vraiment
humble, tout ce que demande l'humilité paraît bon; à celui
qui est orgueilleux, ce qui s'inspire de l'esprit d'orgueil paraît
convenable ou conforme à ses dispositions intérieures' (1). Que
d'imprudences dans l'enseignement parce qu'on n'a plus assez
l'amour de la vérité, parce qu'on en méconnaît le prix, et
qu'on, entretient en soi une tendance soi-disant charitable à
ne contarier personne et à laisser tout le monde jouer avec le
feu (2) !

(1) èf.l" U··, q. 58, a. 5, et commentaire de Cajetan. - ARISTOTE, Ethique,


1. III, c. 5, S. Thom., lect. 13.
(2) Par exemple on écrira couramment en temps d'élection: Il faut chai-
- sir le moindre mal pour empêcher le pire; et l'on ne distinguera nullement
entre ' le moindre mal physique (comme l'amputation d'un membre pour
éviter la mort) et le moindre mal .moral intrinsèquement mauvais (comme le
mensonge par rapport à l'homicide). Est-il donc permis de m'e n tir pour
empêcher un meurtre? Cf. n" II'·, q . 110; a. 3, ad 4. S. Thomas montre
avec évidence que c'est illicite. - Est-il permis de voter pour un candidat
dont le programme est intrinsèquement maulJais, immoral et irréligieux.,
pour empêcher l'élection d'un plus mauvais encore? Ne faudrait-il pas au
moins que, dans le programme du candidat pour lequel on vote, il y ait assez
de bon, pour permtttre de tolérer le mal qui s'y trouve à côté? Les actes sont
spécifiés par leur objet : si l'objet est intrinsèquement immoral , l'acte qui
l'approuve est intrinsèquement immoral, et ne peut être posé même pour
LA PRUDENCE

Nous avons déjà montré aussi (1) comment et pourquoi,


d'après ces principes, l'usage de la probabilité est légitime
dans la formation de la conscience, lorsque la mesure de l'acte
/ à poser dépend de nos disposition; intérieures, ou , pour par-
ler la langue de saint Thomas, lorsqu'il y a medium rationis
tantum, et non medium rei.
On voit par là quelle est la place de la prudence dans l'en-
semble des vertus, qui a été souvent comparé à un édifice.
L'excavation qu'il faut creuser pour le construire figure l'hu-
milité; les deux colonnes qui soutiennent le temple symboli.;
sent la foi et l'espérance; le dôme et surtout la clef de voûte
représentent la charité . La porte à deux battants tourne autour
de quatre gonds (cardin es) qui figurent les quatre vertus car-
dinales; les deux gonds supérieurs représentent la prudence
et la justice, les deux autres la force et la tempérance. Les
ferrures qui s'accrochent à ces fonds · symbolisent les vertus
annexes aux vertus cardinales. Et à chacune de celles-ci cor-
respond un don du Saint-Esprit, représenté par une pierre
précieuse enchâssée dans la porte, « portae nitent margaritis )).

empêcher un mal plus grand; de concessions en concessions on en viendrait


ainsi à la négation de tous les principes.
Une autre imprudence manifeste consiste à exposer ainsi la question du
divorce à des jeunes gens et à des jeunes filles dans un catéchisme : « Les
« époux qui sont unis par le mariage valide ont-ils le droit de demander le
« divorce dans le seul but d'obtenir la ·cessation des effets civils, et non avec
« l'intention de se remarier? - Sur ce point les th éologiens ne sont plus
« d'accord. Les uns répondent non en alléguant que la loi sur le divorce est
« intrinsèquement mauvaise et contraire au droit divin et ecc1ésiastjque.
" D'autres théologiens de grande autorité répondent oui, la loi du divorce
« n'étant pas, selon eux, intrinsèquement mauvaise, puisqu'elle n'atteint
« pas le lien conjugal. Il est él1ident en effet que, du moment que l'Église
« considère le mariage civil comme une pure formalité, il n'y a pas lieu
"d'attacher plus d'im portance au divorce civil qu'au mariage civil lui-
« même. » - Cet « il est évident » et cette manière de parler du m ariage
civil comme d'une « pure formalité » ne produiront-ils pas les plus fâcheux
résultats ? La plupart des jeunes gens et des jeunes filles ainsi instruits ne
retiennent qu'u ne chose: on peut demander le divorce si on n 'a pas l'in-
tention de se remarier . Et ils généralisent ce qui ne peut êtr e toléré qu'en
de rares circonstances. L'opinion la plus large et très contestable est r eçue
COmme la vérité m ême, et sans aucune des rest rictions form ulées par les
t héologien s ql.li la soutiennen t.
( 1) Rev . Thom iste, j uillet 1 9 ~ 5 , art. cit., p . 352 .
REVUE THOMIS TE

A la colonn e de la foi est fixé le lampa daire du don d'intel li-


gence, et à la clef de voûte de la charité est -suspe ndue la
lampe du don de sagesse, qui éclaire tout l'édific e.
On voit par là l'utilit é qu'il y a à traiter la théolo gie morale ,
nort pas seulem ent du point de vue de la casuis tique, sorte
d'inter média ire contes table entre la science morale et la pru-
dence, mais du point de vue métaph ysique qui perme t de
déterm iner la nature de chaque vertu d'aprè s son objet for-
mel, de déduir e ses propri étés et ses relatio ns avec les autres
vertus supéri eures ou inférie ures. On voit ainsi la place de
chacun e dans l'édific e spiritu el, et c'est pourqu oi saint Tho-
mas a divisé la partie morale de la Somme selon la divisio n
et la hiérarc hie des vertus, et non pas selon la divisio n des
précep tes, car ces dernie rs sont souven t négatif s et alors ils
visent plus directe ment les vices à comba ttre que les vertus à
pratiqu er.
Il a ainsi montr é de la manièr e la plus profon de tout ce qui
est conten u dans la définit ion aristot élicien ne de la pruden ce:
recta ratio agibilium, comm ent cette définit ion doit s'appli quer
dans l'ordre surnat urel à la .prude nce infuse, et pourqu oi
celle-c i, restan t discur sive et parfois hésitan te, a besoin , sur-
tout dans les circon stance s difficiles, d'être aidée par les inspi-
rations spécial es du don de consei l (II' II'·, q. 52, a. 2).
La pruden ce ainsi conçue , tout en restan t fort inférie ure à
la foi et aux dons d'intel ligenc e et de sagesse, ne cesse de
nous diriger pratiq uemen t vers la fin ultime surnat urelle, et
dans l'âme purifiée elle n'ense igne plus seulem ent à mépris er
les choses terrest res pour leur préfére r la contem plation des
choses divine s, mais elle est toute tourné e vers la conquê te de
l'étern ité et vers tout ce qui peut ici-bas nous dispos er à l'u-
nion à Dieu .
Rome. Angelic o.
Fr. RÉG. GA.RRIG OU-LAG RANGE, O. P.

(1) Cf. l a II'', q. 61, a. 5 : « (Inler virtutes purgato rias) prudent


ia omoia
mundan a divinoru rn contem platione despicit , omnem que animae
cogita-
tionem in divina sola dirigit ... (Ut virlus purgati animi) prudenL
ia sola
divina intuetu r. »

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