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Lycée Notre – Dame de Boulogne

DEVOIR SUR TABLE

Matière : Lettres Date : 14/04/2022 Classe (s) : 1ères 03 et 05

Professeur (s) : M. Baptiste Effectif : 66 élèves Durée : 4 heures

Documents autorisés ( éventuellement ) : Aucun

DST n°1 : OBJET D’ETUDE : théâtre et stratagème 1/2

Vous choisirez l’un des deux exercices.

Exercice n°1 : Commentaire

Britannicus (1669) de Racine : II, 6

[Agrippine a aidé son fils Néron à accéder au trône aux dépens de Britannicus, le demi-frère de Néron.
Durant les premières années du règne de Néron, Agrippine a pu diriger son fils, mais ce dernier a pris
une décision sans la consulter : il a enfermé Junie. Celle-ci veut épouser son fiancé, Britannicus, mais
Néron est également épris d’elle. Agrippine décide de renverser son propre fils avec l’aide de
Britannicus. Mais Narcisse, le confident de l’empereur, est en fait l’espion du tyran. Néron sait tout et
décide donc pour se venger de faire rompre ce couple qu’il envie. Il ne laisse donc pas le choix à
Junie : si elle veut que Britannicus ait la vie sauve, elle doit lui apprendre qu’elle n’est plus
amoureuse de lui. Il pourra ainsi être exilé. Néron surveille Junie pour s’assurer qu’elle lui obéit.
L’empereur se cache et observe la scène.]

BRITANNICUS
Vous ne me dites rien ? Quel accueil ! Quelle glace1 !
Est-ce ainsi que vos yeux consolent ma disgrâce ?
Parlez : nous sommes seuls. Notre ennemi trompé2
Tandis que je vous parle est ailleurs occupé.
Ménageons les moments de cette heureuse absence.

JUNIE
Vous êtes en des lieux tout pleins de sa puissance.
Ces murs mêmes, Seigneur3, peuvent avoir des yeux,
Et jamais l’empereur n’est absent de ces lieux.

BRITANNICUS
Et depuis quand, Madame, êtes-vous si craintive ?
Quoi ? déjà votre amour souffre qu’on le captive ?
Qu’est devenu ce cœur qui me jurait toujours
De faire à Néron même envier nos amours ?
Mais bannissez, Madame, une inutile crainte.
La foi dans tous les cœurs n’est pas encore éteinte ;
Chacun semble des yeux approuver mon courroux,
La mère de Néron se déclare pour nous,
Rome, de sa conduite elle-même offensée…

JUNIE
Ah ! Seigneur, vous parlez contre votre pensée.

1 Quelle froideur
2 Néron
3 Terme respectueux qu’utilisent les aristocrates entre eux dans les tragédies du XVIIe siècle
Vous-même, vous m’avez avoué mille fois
Que Rome le louait d’une commune voix ;
Toujours à sa vertu vous rendiez quelque hommage.
Sans doute la douleur vous dicte ce langage.

BRITANNICUS
Ce discours me surprend, il le faut avouer.
Je ne vous cherchais pas pour l’entendre louer.
Quoi ? pour vous confier la douleur qui m’accable,
À peine je dérobe un moment favorable,
Et ce moment si cher, Madame, est consumé4
À louer l’ennemi dont je suis opprimé ?
Qui vous rend à vous-même, en un jour, si contraire5 ?
Quoi ! même vos regards ont appris à se taire ?
Que vois-je ? Vous craignez de rencontrer mes yeux ?
Néron vous plairait-il ? Vous serais-je odieux6 ?

4 Perdu
5 Pensez que l’inversion des mots était courante en versification. Il faut comprendre : « Qui vous rend, en un jour,
si contraire à vous-même ? »
6 Détestable

Exercice n°1 : Commentaire

INTRO
Les persos de tragédies ourdissent (=organisent) souvent des complots pour parvenir à leurs fins.
Les stratagèmes sont en effet un excellent moyen d’abattre un ennemi. Ils sont monnaie courante
dans les œuvres du classicisme, entre autres dans la tragédie qui nous occupe aujourd’hui :
Britannicus (1669) de Racine. Dans cette pièce versifiée, relevant évidemment du genre théâtral, c’est à
d’infâmes procédés que se livre Néron pour neutraliser son rival autant en politique qu’en amour :
Brita. Néron a certes obtenu le trône, mais se méfie du jeune homme. Il lui voue une haine mortelle
parce que B est aimé de Junie, que l’empereur convoite également. Dans l’extrait, Néron a contraint
Junie à rompre avec son amant si elle veut lui sauver la vie. Un quiproquo a lieu puisque B part du
principe qu’ils sont seuls alors que N écoute tt. En quoi ce quiproquo pathétique est-il une preuve
d’amour de la part de Junie ? Nous verrons dans un premier temps comment fonctionne ce funeste
malentendu. Puis nous tâcherons d’étudier le caractère tragique de l’empereur.

I Un quiproquo pathétique
1.La froideur de Junie

B est d’abord déçu par l’attitude de sa fiancée, qui paraît peu enthousiaste à l’idée de le voir. Et
pour cause : elle redoute que Néron ne se serve des confidences de Britannicus contre lui. Britannicus
pose alors une fausse interrogation, la question rhétorique du v. 1 : « Vous ne me dites rien ? » Cette
phrase n’attend pas de réponse, mais sonne comme un reproche. Il s’étonne de sa froideur.
L’accusation devient aussitôt explicite à travers l’hyperbole « Quelle glace ! ». Elle est si froide avec lui
que ses propos semblent faits de cette matière. L’exagération rend compte de l’indifférence que lui
manifeste J. Les mots mis à la rime signalent la double peine que subit Britannicus : il a perdu le
trône (ce qui correspond à la « disgrâce » qu’il évoque v. 2) et en plus Junie ne lui témoigne aucune
affection (« glace »). Son désespoir le rend pathétique.

2.Junie, l’infidèle ?
B craint que J ne lui préfère un autre homme : Néron lui-même. Au cours de l’extrait, ses
soupçons ne font que se renforcer. V 9-12, ses très nombreuses questions laissent deviner son
trouble. Il interroge la jeune femme pour qu’elle le rassure, qu’elle lui rappelle son attachement. Il
semble remettre en cause la profondeur de ses sentiments : « déjà votre amour souffre qu’on le
captive ? » (10) Le vers sous-entend que sa passion décroît avec la peur qu’elle ressent. L’adverbe
« déjà » lui fait reproche de ne pas être bien constante en amour après seulement quelques jours au
cours desquels ils étaient éloignés l’un de l’autre. Il trouve ensuite très suspect qu’elle célèbre un être
qui s’est toujours opposé à leur union :
« À peine je dérobe un moment favorable,
Et ce moment si cher, Madame, est consumé
À louer l’ennemi dont je suis opprimé ? » (25-27)
Le paradoxe « louer l’ennemi » permet de prendre la mesure de la stupéfaction de B. D’ordinaire, un
adversaire mérite de la défiance et inspire la haine. Or J lui rend hommage. Il ne comprend pas qu’elle
puisse défendre un homme qui l’a pourtant toujours pris pr cible. L’extrait se termine sur une
dernière méprise de taille : B interprète l’étrange comportement de Junie comme l’indice qu’elle ne
l’aime plus, et lui préfère le tyran : « Néron vous plairait-il ? Vous serais-je odieux ? » Ces questions
rhétoriques, pressantes, sont moins de véritables interrogations que des reproches : Britannicus
dénonce la versatilité de sa compagne.

3.Les sous-entendus de Junie (1er stratagème)

B est évidemment victime d’un quiproquo, car il ne sait pas que son rival est dissimulé et
l’écoute en ce moment même. Sa première tirade montre l’ampleur de sa méprise : « Parlez : nous
sommes seuls. » (3) Il évoque ensuite « cette heureuse absence » (5). Il ajoute : « Notre ennemi
trompé/Tandis que je vous parle est ailleurs occupé. » Pr ce dernier ex, en croyant parler de Néron, B
décrit sa propre situation : il est le seul à être « trompé ». Ds les trois cas, le quiproquo confine à
l’ironie du sort, puisque le héros n’a pas conscience du piège dans lequel il se trouve. Junie essaie
donc de l’alerter pour qu’il ne fasse pas un aveu qui pourrait se retourner contre lui : « Ces murs
mêmes, Seigneur, peuvent avoir des yeux » (7). Cette personnification doit être prise au pied de la
lettre. Ces murs ont bien des yeux et des oreilles : ceux de Néron. L’humanisation vise ainsi à révéler
la présence du despote. Elle poursuit ses allusions : « Et jamais l’empereur n’est absent de ces lieux. »
(8) La double négation (négation partielle « jamais…n’… » + négation lexicale « absent ») complique
apparemment inutilement l’idée qui pourrait s’exprimer plus facilement : « Néron est toujours dans
son palais ». Cette complication prouve que l’héroïne tente de tenir un propos quasiment codé. Les
sous-entendus de l’héroïne manifeste clairement son attachement à son amant, à qui elle veut éviter
un danger.

TRANS : Toutefois les allusions de J sont trop subtiles : le quiproquo n’est hélas pas résolu. B n’a pas
compris. Si B inspire de la pitié, c’est également le cas de sa fiancée, à cause de la terreur qu’inspire le
fils d’Agrippine.

II Une scène tragique : l’ombre de Néron


1.La raison de leur entrevue : le complot contre l’empereur

Britannicus tient à tenir informée la jeune femme de l’avancée du complot (v 14-17). Il a bon
espoir que d’autres partagent leur combat : « La foi dans tous les cœurs n’est pas encore éteinte « (14).
La litote permet de dire moins pour suggérer plus. Ici elle signifie que le désir de rébellion est encore
très vivace chez beaucoup de gens. De nombreux Romains sont partisans d’un coup de force contre le
tyran. En prétendant que l’Urbs (= « la Ville » en latin, désignant Rome) a été « offensée » (17) par
Néron, le héros emploie une personnification. Cette figure fait de la Ville éternelle un allié, blessé par
Néron et prêt à rejoindre la lutte. B commence par parler de cas individuels « chacun » (15) avant de
passer à la ville toute entière (17) de manière hyperbolique. La conspiration bénéficie même du soutien
de l’un des membres les plus éminents de l’Empire : « La mère de Néron se déclare pour nous ». Le
héros est donc en train de révéler ses velléités de coup d’Etat, tandis que Néron écoute. Se sentant en
sécurité, il croit même bon de rassurer sa compagne : « Mais bannissez, Madame, une inutile crainte. »
(13) Or cette « crainte » ne saurait être mieux fondée.

2.Le second stratagème de Junie : la louange de N

J se doit d’interrompre B avant qu’il n’en dise trop. C’est pour cette raison qu’elle en vient à un
second stratagème : faire croire à Néron que B l’a toujours respecté. L’aposiopèse v. 17 indique que B
se voit couper la parole par sa compagne, qui tente de lui épargner de faire d’autres révélations
compromettantes. Elle souhaiterait lui faire tenir des propos plus « politiquement corrects », qui
n’offenseraient pas le monarque et ne mettraient pas en danger B. Elle agit ainsi tjr par amour. A cet
effet, elle déclare : « Vous-même, vous m’avez avoué mille fois / Que Rome le louait d’une commune
voix » (18-19). Le chiffre « mille fois » est hyperbolique. Il souligne le respect extrême que B porterait à
N. La métonymie « Rome » pr désigner la population qui y réside ainsi que la précision hyperbolique
« une commune voix » montrent le peuple uni dans son amour pr Néron. Elle tente aussi de trouver
des circonstances atténuantes à B : « Sans doute la douleur vous dicte ce langage » (21). Ce
stratagème n’est guère crédible, d’autant que B s’est vanté de rendre jaloux le maître du monde latin :
« Qu’est devenu ce cœur qui me jurait toujours/De faire à Néron même envier nos amours ? »
L’hyperbole témoigne de l’insouciance du couple, qui veut s’aimer en dépit des risques qu’il court,
quitte à provoquer l’empereur en personne. La louange de Néron a déplu à Britannicus, qui ne
comprend plus son amante.

3.La peur de Junie

Le passage est éminemment tragique. Néron inspire une véritable terreur à Junie, bien que B ne
comprenne pas ce qui en est la cause. Le reproche qu’il adresse à la jeune femme : « même vos regards
ont appris à se taire ? » laisse deviner l’état d’esprit dans lequel se trouve la jeune femme. La
personnification attribue la capacité de parler à ses yeux. Ce procédé dit bien à quel point tout son
corps est soumis à Néron, puisque son regard lui-même n’a plus rien à voir avec celui qu’elle avait
auparavant, quand il reflétait sa passion. N est parvenue à lui faire dissimuler son amour. B n’a plus
l’impression d’avoir la même personne en face de lui. C’est ce qu’indique l’hyperbole « Qui vous rend à
vous-même, en un jour, si contraire ? » (29). Ne plus lui témoigner son amour la fait devenir
« contraire » à elle-même. Elle est dc devenue quelqu’un d’autre, par peur de N.

CCL
Au cours de ce commentaire, nous avons pu nous intéresser au quiproquo pathétique qui nous
fait prendre en pitié le couple malheureux que forment Junie et le héros éponyme. Par ailleurs, le
tragique est présent par l’intermédiaire du perso de l’empereur. (Ouv :) La présence d’un protagoniste
qui écoute une confidence qu’il ne devait pas entendre est récurrent au théâtre. Il est à l’origine de
nombreux coups de théâtre, en particulier ds les comédies. L’ex le plus fameux reste le Tartuffe de
Molière (1669). Tartuffe est un faux dévot qui a abusé de la naïveté d’un bon chrétien, Orgon, pour
vivre à ses crochets. Il convoite non seulement la fortune de son bienfaiteur, mais également son
épouse, Elmire. A l’acte IV, cette dernière met au point un stratagème pour prouver à son mari que
Tartuffe est un hypocrite qui lui fait la cour. Jusque-là, Orgon a toujours refusé de la croire, aveuglé
par l’admiration qu’il porte au soi-disant homme de Dieu. Elmire place son époux sous une table et
décide de pousser Tartuffe à la faute. Elle lui avoue qu’elle a trop envie de lui. Le scélérat tombe dans
le piège et révèle toute son imposture. Orgon prend enfin conscience de la véritable nature de son
protégé. Le stratagème a permis de démasquer Tartuffe.

TEXTE D’OUV : Tartuffe, IV, 5

TARTUFFE
Pour moi, qui crois si peu mériter vos bontés,
Je doute du bonheur de mes témérités1;
Et je ne croirai rien, que vous n'ayez, Madame,
Par des réalités, su convaincre ma flamme.

ELMIRE
Mon Dieu, que votre amour, en vrai tyran agit !
Et qu'en un trouble étrange il me jette l'esprit !
Que sur les cœurs il prend un furieux empire2 !
Et qu'avec violence il veut ce qu'il désire !
Quoi! de votre poursuite, on ne peut se parer3,
Et vous ne donnez pas le temps de respirer?
Sied-il4 bien de tenir une rigueur si grande?
De vouloir sans quartier5, les choses qu'on demande?
Et d'abuser ainsi, par vos efforts pressants,
Du faible que pour vous, vous voyez qu'ont les gens?

TARTUFFE
Mais si d'un œil bénin6 vous voyez mes hommages,
Pourquoi m'en refuser d'assurés témoignages ?

ELMIRE
Mais comment consentir à ce que vous voulez,
Sans offenser le Ciel, dont toujours vous parlez?

TARTUFFE
Si ce n'est que le Ciel qu'à mes vœux on oppose,
Lever un tel obstacle, est à7 moi peu de chose,
Et cela ne doit pas retenir votre cœur.

ELMIRE
Mais des arrêts8 du Ciel on nous fait tant de peur.

TARTUFFE
Je puis vous dissiper ces craintes ridicules,
Madame, et je sais l'art de lever les scrupules.
Le Ciel défend, de vrai9, certains contentements10;
(C'est un scélérat11 qui parle.)

1
Audaces (il tente quand même de séduire une femme mariée, dont l’époux est son bienfaiteur…)
2
Puissance
3
« Parer » au sens d’ « éviter ». « On ne peut éviter d’être courtisée par vous. »
4
Convient-il
5
Sans pitié, sans faire de compromis
6
Favorable
7
Pour
8
Commandements
9
De vrai = c’est vrai
10
Plaisirs
Mais on trouve avec lui des accommodements12.
Selon divers besoins, il est une science,
D'étendre les liens de notre conscience,
Et de rectifier le mal de l'action
Avec la pureté de notre intention.
De ces secrets, Madame, on saura vous instruire;
Vous n'avez seulement qu'à vous laisser conduire.
Contentez mon désir, et n'ayez point d'effroi,
Je vous réponds de tout13, et prends le mal sur moi.
[…]
Enfin votre scrupule est facile à détruire,
Vous êtes assurée ici d'un plein secret,
Et le mal n'est jamais que dans l'éclat14 qu'on fait.
Le scandale du monde, est ce qui fait l'offense;
Et ce n'est pas pécher, que pécher en silence.

PLAN pour l’oral


I Le quiproquo entre les amants
1.Méprise : la froideur de Junie attribuée à la présence d’espions (1-5)
NB : rappelez ds cette sous-partie que d’autres reproches sont formulés plus loin ds le texte et portent
sur le même quiproquo (v. 9-13). Les anticiper ds votre 1 ère sous-partie pr traiter ce thème des
reproches une fois pour toutes et ainsi éviter les redites.
2.Les inutiles avertissements de Junie : 1er stratagème (6-8)
3.Le projet de complot (9-17)

II L’éloge paradoxal de Junie (deux dernières tirades)


1.Junie loue Néron (18-22) : 2e stratagème
2.La réaction outrée de son amant (23-fin)

11
Personnage malfaisant
12
Compromis
13
« Je prends l’entière responsabilité de tout ce qui pourrait arriver entre nous »
14
L’indignation qu’on provoque

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