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Metz René. La paroisse en France à l'époque moderne et contemporaine. Du concile de Trente à Vatican II. Les nouvelles
orientations. (Première partie). In: Revue d'histoire de l'Église de France, tome 60, n°165, 1974. pp. 269-295;
doi : https://doi.org/10.3406/rhef.1974.1529
https://www.persee.fr/doc/rhef_0300-9505_1974_num_60_165_1529
L'étude que nous présentons fait suite à celle qu'a donnée l'an
dernier M. Jean Gaudemet1. Il a traité de la paroisse médiévale, avec
la compétence que nous lui connaissons. Si le sujet était limité dans
le temps, il ne l'était pas dans l'espace : la paroisse au Moyen âge
méritait d'être traitée dans le cadre de la chrétienté d'alors, au moins
de la chrétienté occidentale. Il n'en est plus de même quand on aborde
l'époque moderne, dont nous fixerons, en l'occurrence, le début au
concile de Trente pour la commodité de la recherche.
A partir du xvie siècle, la question devient tellement complexe qu'il
n'est plus possible d'en cerner les contours, si on ne se tient pas dans
des limites spatiales précises. En effet, on ne peut plus parler de la
paroisse comme telle, mais des paroisses, qui, selon les circonstances ou
les pays, prennent des formes différentes. Que l'on songe simplement
au cas de nombreuses paroisses personnelles qui ont été fondées aux
États-Unis, au cours du siècle dernier, pour les populations d'origine
nationale différente : la création de ces paroisses personnelles, à côté
des paroisses territoriales, a été l'occasion de maintes difficultés a.
Dans les pays de mission, on assiste également à l'éclosion d'institutions,
qui imiteront, au fur et à mesure de leur développement, le système
paroissial des pays d'ancienne chrétienté : de simples « missions » elles
deviendront des quasi-paroisses avec des quasi-curés à leur tête, puis
des paroisses proprement dites ; dans quelle mesure ces entités juri-
3. Pour se faire une idée des difficultés que rencontrent les Églises protestantes
en France à ce sujet, nous renvoyons entre autres aux travaux de la Session d'études -
organisée du 23 au 25 octobre 1970 par MM. R. Mehl et F. Andrieux dans le cadre
du Centre de sociologie du protestantisme relevant de la Faculté de Théologie
protestante, Université des Sciences Humaines de Strasbourg. Les rapports de la
Session ont paru dans le Bulletin du Centre protestant d'études et de documentation,
n° 157, février 1971 ; ils ont fait ensuite l'objet d'une plaquette de 40 pages sous
le titre : Exemples de restructuration de l'Église dans quelques grandes villes (de
France). Voir aussi le Livre blanc sur le protestantisme strasbourgeois, établi par la ■.
commission de sociologie de l'Église de la Confession d'Augsbourg d'Alsace et de
Lorraine (ronéotypé, 77 pages, avec des tableaux et des graphiques : la, Quai St Tho-
LA PAROISSE MODERNE ET CONTEMPORAINE 271
.
Notre intention est plus modeste : nous nous proposons simplement de
signaler un certain nombre de questions et de problèmes auxquels
l'historien actuel ou futur de cette période, qui s'intéresse à la paroisse
en France, doit être attentif. Comme nous nous trouvons dans une
période de véritable mutation ou transformation des institutions, à
laquelle la paroisse n'échappe pas, il paraît utile d'accorder une
importance égale au passé et à ce que nous vivons à l'heure actuelle. Car
nous avons la chance — d'autres diront la malchance — de vivre
une évolution de la paroisse, dont nous sommes les spectateurs et,
en partie, les acteurs, que nous le voulions ou non. L'histoire de la
future paroisse — ou de ce qui correspondra peut-être à ce qu'avait
été la paroisse — se fait sous nos yeux. L'historien ne peut pas s'en
désintéresser ; car si l'axiome « hier est déjà l'histoire » a toujours été
vrai, il est aujourd'hui plus vrai que jamais en raison de la rapidité
avec laquelle évoluent les mentalités. Pour ne prendre qu'un exemple :
Vatican II est déjà si loin ! On a du mal à s'en rappeler les dates, alors
qu'on se souvient sans difficulté des dates de Vatican I ou de celles
du concile de Trente.
Nous consacrerons donc une première partie à l'examen des
questions posées à l'historien de la paroisse en France depuis le concile
de Trente jusqu'à Vatican II, en passant par le Code de 1917. Dans
une seconde partie, nous nous efforcerons de situer le problème de la
paroisse dans la perspective des nouvelles tendances qui se dessinent
depuis la fin du second concile du Vatican ; car si le passé aide à
comprendre le présent, la réciproque aussi est bien vraie. ,
mas, 67000 Strasbourg). Nous n'indiquons que ces deux publications ; on pourrait
en alléguer beaucoup d'autres. Le lecteur trouvera de nombreuses références à ce
sujet à partir de 1968 dans le Répertoire bibliographique, dénommé RIC, dont
il est question dans la seconde partie de cette étude (note 100) à paraître dans le
prochain fascicule de la R.H.E.F.
272 RENÉ METZ
,
les fidèles, les liens qui les unissent, la ferveur religieuse qui les anime,
les biens dont ils disposent pour faire vivre l'institution et faire face
à son rôle.
Le cadre de la paroisse.
Sur ce point, comme sur les autres, il est utile, même indispensable
de distinguer le droit et la pratique ou, si on veut, la règle et
l'application ; les deux ne se recoupent pas toujours, comme on le sait.
Le droit. A ce sujet, une autre distinction s'impose, la distinction
entre le droit canonique proprement dit et le droit étatique, et plus
spécialement le droit concordataire ; car en France les deux ont
contribué, durant notre période, à la délimitation des paroisses.
.
Pour le droit canonique, les moments importants sont le concile de
Trente, le Code de 1917 et le concile de Vatican II. On a dit, à juste
titre sans doute, que le concile de Trente a imposé aux paroisses la
délimitation strictement territoriale. En effet, le canon 13 de reforma-
tione de la session XXIV laisse nettement apparaître dans ses
considérants les préoccupations des Pères du concile : la pastorale, dans
les villes notamment, souffre du fait que les paroisses ne sont pas
toujours bien délimitées ; il en résulte que les fidèles ne savent pas
à quel curé s'adresser et, surtout, que le curé ne connaît pas et ne peut
pas connaître les fidèles dont il a la responsabilité. En présence de la
situation floue et imprécise de certaines paroisses, le concile demande
aux évêques de répartir la population en paroisses précises et
déterminées et d'assigner à chaque population, ainsi répartie, un curé stable
et particulier : ... « Mandat sancta synodus episcopis..., ut distincto populo
in certas propriasque parochias unicuique suum perpetuum peculiaremque
parochum assignent, qui eas cognoscere valeat, et a quo solo licite sacra-
menta suscipiant... » 4. Le concile paraît avoir en vue une délimitation
strictement territoriale de la paroisse ; c'est ainsi qu'on a l'habitude
de présenter et d'interpréter, à juste titre sans doute, le texte du concile
de Trente. Mais, à notre avis, on devrait cependant apporter une
légère nuance à une interprétation aussi tranchée. Ce qui nous fait
hésiter quelque peu, c'est l'examen des moutures ou des formulations .
successives que précisément ce passage du canon 13 a reçues. Or il
est toujours intéressant de connaître la pensée première de ceux qui
ont rédigé un texte de ce genre. Grâce à la publication des documents
du concile de Trente par la Gôrres-Gesellschaft 8, il nous a été possible
de retrouver les divers schémas, qui ont précédé la formulation
définitive. Le texte a effectivement fait l'objet de trois rédactions. Dans
11. Sess. XXIV, can. 13 de reform., in fine $ éd. Concil. oecum. décréta, p. 744.
12. lbid.
13. Cf. can. 216 § 1 du Codex iuria canonici.
14. Can. 216 § 4.
15. Can. 1427 § 2.
LA PAROISSE MODERNE ET CONTEMPORAINE 275
16. Voir sur ces deux sortes d'union, notamment sur les motifs qui les rendent
licites et la procédure exigée pour la réaliser, les canons 1419 et suiv. du Code
de 1917. Il est question des bénéfices dans ces textes ; il n'y avait pas de législation
propre pour les paroisses, qui étaient rangées dans la catégorie des bénéfices. C'est
donc la législation propre aux bénéfices que l'on appliquait aux paroisses.
17. Cf. can. 1422.
18. Sur une carte du diocèse, la suppression de petites paroisses est chose facile.
Mais dans la réalité une telle procédure pose bien des problèmes et exige beaucoup
de circonspection avant de l'entreprendre. Tout d'abord, elle rencontre souvent
l'opposition des paroissiens. Ensuite, l'expérience montre que dans les contrées où
l'on supprime des paroisses et ferme des églises, on risque de voir surgir des sectes,
qui construisent, à la place des anciennes églises paroissiales, d'autres lieux de
culte. C'est le résultat auquel a abouti une telle opération dans le diocèse de Skara
en Suède. Voir, à ce sujet, Sigvard Plith, Kyrkoliv och vàekeUe. Studier i den nyevan-
geliska vàckelsens genomlerott i Skara stift, Stockholm, 1959, in 8°, 301 p., dans coll.
276 RENÉ METZ
Samlinger och Studier till Svenska Kyrkans Historia, 35. En traduction française,
le titre est le suivant : « La vie religieuse et le réveil. Étude sur les premières années
du réveil néo-évangélique dans le diocèse de Skara » ; on trouvera un bon compte ,•
rendu de l'ouvrage dans la Revue des sciences religieuses, t. 35, 1961, p. 70-71.
19. N° 32 : « Cette même raison du salut des âmes doit permettre de déterminer .'
.
ou de réviser les érections ou les suppressions des paroisses ... ; l'évéque peut prendre
ces mesures de sa propre autorité ». •
LA PAROISSE MODERNE ET CONTEMPORAINE 277
22. L'étude des cures royales a fait l'objet d'une thèse soutenue en 1962 à
l'Institut de droit canonique de l'Université de Strasbourg : Albert Mulleh, Les cures
royales en Alsace sous l'ancien régime (1684-1789), 364 p. (dactyl.). Un exemplaire
de la thèse se trouve déposé à la Bibliothèque nationale et universitaire de
Strasbourg.
LA PAROISSE MODERNE ET CONTEMPORAINE 279
.
depuis 1968, que la situation devient, dans une certaine mesure, anar-
chique. Ce n'est qu'avec le recul dont on disposera dans une dizaine
d'années que l'on verra peut-être un peu plus clair ; et ce n'est pas
certain. Nous avons assez longuement insisté sur le cadre. Nous en
arrivons à ce que nous avons appelé les composantes.
:
Les composantes de la paroisse.
Nous avons indiqué au début ce que nous comprenions sous ces
termes : les éléments humains et aussi les éléments matériels qui font
partie essentielle de la paroisse. Le domaine est tellement vaste et
complexe que c'est avec une appréhension bien compréhensible que
nous en abordons l'étude. Il est non seulement impossible d'en cerner
tous les aspects, mais on craint d'en oublier des points essentiels. C'est
donc de façon très superficielle que nous examinerons ces
composantes ; nous comptons sur l'indulgence du lecteur. ,
Les quelques aspects sur lesquels nous porterons l'attention sont,
comme nous l'avons déjà dit, le clergé paroissial, les laïcs et,
finalement, les biens temporels sous leurs diverses formes. Pour toutes ces
questions, nous nous en tiendrons pratiquement à la double « périodi-
sation » que nous avions retenue pour l'étude du cadre paroissial,
l'une valant pour la législation canonique et l'autre, pour la
législation étatique. Il s'agira essentiellement de considérations d'ordre
juridique. Le canoniste s'adresse, en l'occurrence, à l'historien pour lui
demander de vérifier sur le « terrain » dans quelle mesure ont été
appliquées en France les dispositions que contiennent, au sujet de ces
questions, les textes législatifs et éventuellement, à défaut de
législation proprement dite, la jurisprudence et la doctrine.
Le clergé paroissial. Dans les petites paroisses, les paroisses rurales
notamment, le clergé paroissial se réduit pratiquement au curé ; mais
dans les paroisses plus importantes on trouve souvent un clergé
nombreux et composite. En plus du curé ou des prêtres assimilés juridi-
280 RENÉ METZ
part des canonistes jusqu'en 1917, fut celui du nombre des curés qui
étaient tolérés légalement à la tête d'une même paroisse. Les
historiens citent, en effet, un certain nombre de paroisses où deux curés,
et même davantage, exerçaient le ministère paroissial in solidum ;
ils signalent surtout des exemples pour la période médiévale, mais
les exemples ne manquent pas pour notre période 33. A la suite de
Bouix, Georges Coolen rapporte le cas d'une paroisse de Paris qui,
en 1725, était dirigée par trois curés M.
La présence de plusieurs curés à la tête d'une même paroisse n'était
pas la règle certes, mais une exception fréquente au moins dans quelques
diocèses. L'institution des concurati — - c'est ainsi qu'on dénommait
ces curés — n'était pas anti-canonique ; on ne peut donc pas parler
d'abus. En effet, la législation n'était pas ferme à ce sujet ; c'est
pourquoi la jurisprudence des congrégations romaines tolérait l'institution
et la doctrine se montrait hésitante. Certains canonistes étaient
franchement hostiles à la pluralité des curés ; d'autres, dont Bouix,
soutenaient qu'on ne disposait d'aucun argument pour déclarer illégale
l'institution des concurati. Telle avait été la situation jusqu'au début
du xxe siècle. C'est seulement le Code de droit canonique de 1917
qui décréta le caractère illégal de l'institution et ne toléra plus qu'un
seul curé à la tête d'une même paroisse z&.
Seules des recherches bien précises pourront montrer l'ampleur que
l'institution des concurati a prise dans certains diocèses et aussi, peut-
être à la même occasion, d'en déceler les origines, qui sont encore mal
connues M. Il semble bien que si la pluralité des curés fut assez
répandue au Moyen âge, elle le fut beaucoup moins à l'époque moderne.
De toute façon, elle disparaît en France avec le régime instauré par
le Concordat de 1801. Ce n'est donc qu'avant 1789 qu'on pourrait en
rencontrer des exemples. Mais, en ce domaine encore, l'avenir
réservera probablement à l'historien un nouveau terrain de comparaison
avec la situation du passé. Avec le travail en équipe qui s'instaure,
en divers diocèses de France, dans les secteurs paroissiaux, on
s'achemine, semble-t-il, vers une institution qui présente quelque ressemblance
avec l'ancienne institution des concurati.
Nous n'insisterons pas davantage sur l'aspect juridique de la
fonction curiale. Qu'il nous suffise d'ajouter que le titre de curé peut être
conféré également à une personne morale, au chapitre cathédral, par
exemple, ou à une maison religieuse, d'après le canon 451 § 1 du Code
33. Cf. G. Coolen, « Les concurati de Saint-Omer », dans Bulletin de la Société
académique des antiquaires de la Morinie, t. 17, fasc. 314, 1947, p. 33-59. Voir aussi
sur l'institution des concurati : P. Hinschius, System des kath. Kirchenrechts, t. 2,
Berlin, 1878, p. 305-306 ; L. Thomassin, Ancienne et nouvelle discipline de l'Église,
édit. André, t. 1, Bar-le-Duc, 1864, p. 489. ,
34. G. Coolen, art. cité, p. 36.
35. Cf. can. 460 § 2.
36. Un essai d'explication a été tenté pour Saint-Omer par G. Coolen, c Les
origines de la pluralité des curés à Saint-Omer », dans Bulletin trimestriel de la
Société académique des antiquaires de la Morinie, t. 20, fasc. 380, 1964, p. 225-239.
284 RENÉ METZ :
,
Un autre élément intervient à partir de cette époque dans la
collation des paroisses, en vertu des dispositions du Concordat de 1801 M ;
c'est l'agrément du gouvernement avant toute nomination définitive
de curé 45. L'autorité ecclésiastique procède elle-même au choix des
curés. Le gouvernement n'intervient pas directement dans ce choix ; .
mais il exige qu'avant de rendre publique la nomination d'un curé,
l'évêque lui soumette le nom du candidat prévu pour la paroisse vacante.
Le gouvernement ne donne son assentiment à la nomination définitive ;
qu'après avoir fait une enquête sur l'intéressé. Si l'autorité civile s'est
réservé le droit de donner l'agrément à toute nomination de curé, c'est
■
dire qu'elle se réserve éventuellement le droit de le refuser. Nous ne ,
croyons pas qu'il y eut beaucoup de refus d'agrément de 1801 à 1905 40. *
Mais il s'agit d'une simple supposition ; nous aimerions qu'elle fût
confirmée par une enquête. Et s'il y a eu des refus, nous serions curieux
d'en connaître les motifs.
Depuis le début du xixe siècle, par suite de l'abolition du droit de
patronage, les paroisses en France étaient donc à la libre collation'
des évêques, si nous faisons abstraction de l'agrément gouvernemental
exigé pour les paroisses des villes. Même les quelques réserves papales
que le concile de Trente avait maintenues ne gênaient pas les évêques
français, car la doctrine avait admis que les dispositions du Concordat
de 1801 n'étaient pas conciliables avec l'application en France des .
réserves papales. Après la suppression du Concordat, en 1905, les
.
clergé paroissial, sur lequel nous n'avons pas l'intention de nous arrêter
davantage. Nous voudrions seulement ajouter quelques indications sur
la nomination des vicaires coopérateurs qui constituent, après le curé,
l'élément le plus important du clergé paroissial ; sur ce point, en effet,
la France présente quelque particularité par rapport aux autres pays.
C'est le concile de Trente qui imposa aux curés l'obligation de
s'adjoindre des prêtres, s'ils ne pouvaient suffire à toutes les tâches du
ministère paroissial 48 ; ils devaient en prendre autant que le soin
des âmes de la paroisse l'exigeait. Le concile rendait les évêques
responsables de l'exécution de cette mesure. Ces prêtres que le concile
demande aux curés de s'adjoindre pour répondre aux nécessités de la
pastorale sont devenus les vicaires, qu'on dénommera, par la suite,
vicaires coopérateurs 49. D'après le concile de Trente, le curé en
personne choisissait son ou ses vicaires, et l'évêque disposait simplement
du droit de les approuver ; c'est du moins ainsi que la jurisprudence
romaine et la doctrine presque unanime avaient interprété le texte
conciliaire jusqu'au Code de droit canonique de 1917 50. Cependant la
pratique n'était pas conforme au droit dans tous les pays. En France
notamment, depuis le début du xixe siècle, une autre conception
avait prévalu pour le choix des vicaires. Les évêques avaient enlevé
aux curés le droit que leur avait reconnu le concile de Trente ; ils
s'étaient arrogé, de façon exclusive, la nomination des vicaires
coopérateurs. Les curés n'y avaient plus aucune part ; les évêques ne leur
soumettaient pas, même pour avis, les noms des candidats 51. Les
auteurs du xixe siècle se sont interrogés sur les causes qui pouvaient
être à l'origine de la pratique française, laquelle était en désaccord
avec le droit commun ; ils allèguent diverses explications 52. Toujours
53. Can. 476 § 3. L'évêque doit cependant demander l'avis du curé sur le prêtre
qu'il se propose de lui adjoindre comme vicaire, mais il n'est pas obligé d'en tenir
compte ; il s'agit d'une simple consultation. Cette consultation n'était pas même
exigée en France avant 1917 ; cf. supra, note 51. .
54. Sess. XXIII, can. 18 de reform.
55. Voir, par exemple, G. Zeller, Les institutions de la France au XVIe siècle,
Paris, 1948, p. 362.
290 RENÉ METZ -■
56. Pour un aperçu d'ensemble sur l'histoire des séminaires en France on peut
toujours consulter l'ouvrage de A. Degert, Histoire des séminaires français jusqu'à
la Révolution, Paris, 1912, 2 vol. in-8°. Depuis lors, de nombreuses monographies
sur l'histoire des séminaires dans tel ou tel diocèse ont été publiées.
57. Cf. Jûrgen Bucking, « Le clergé de Haute Alsace d'après une visite de 1586 »,
dans « Recherches sur les visites pastorales de l'époque moderne (xvie-xvme siècle), »
Colloque de Strasbourg, 29 janvier 1972, présenté par M. Venard, dans R.H.E.F.,
t. 58, 1972, p. 345-347.
58. R. Darricau, « Les visites pastorales dans le diocèse de Bordeaux », compte
rendu du mémoire de M. Bernard Peyrous sur Les visites pastorales des archevêques
de Bordeaux (1680-1789), doctrine canonique et pratique pastorale, dans R.H.E.F.,
t. 59, 1973, p. 77.
59. Voir, par exemple, pour le diocèse d'Orléans : Chr. Marcilhacy, Le
diocèse d'Orléans au milieu du XIXe siècle. Les hommes et leurs mentalités. Préface de
G. Le Bras, Paris, 1964, in-8°, xv-497 p. (coll. « Histoire et sociologie de l'Église », 5).
t
LA PAROISSE MODERNE ET CONTEMPORAINE 291
■
voisins, notamment de Suisse et d'Allemagne 61. A la longue, le
gouvernement royal vit un danger dans cet afflux d'étrangers dans les
paroisses et il prit des mesures pour arrêter le recours à des prêtres
étrangers au royaume 62. Au xvme siècle, le diocèse de Bordeaux,
manquant de prêtres diocésains pour occuper toutes les paroisses vacantes,
engagea des ecclésiastiques d'autres régions dans une proportion de
40 % ; Auvergnats, Gascons, Pyrénéens 63. Au xixe siècle, certains
diocèses avaient trop de clercs ; les évêques ne consentaient à les
ordonner prêtres qu'à la condition qu'ils s'engagent à quitter leur
propre diocèse pour des diocèses moins favorisés. C'est ainsi qu'on
trouve au xixe siècle quelques diocèses dont le clergé paroissial compte
une certaine proportion de prêtres venus de l'extérieur. A l'époque
actuelle, pour des raisons diverses, le clergé paroissial se recrute, en
partie, parmi les religieux et aussi parmi les anciens missionnaires,
qui ont dû quitter les pays où ils exerçaient leur activité apostolique.
La situation économique du clergé paroissial présente de grandes
60. Jûrgen Bucking, op. et loc. cit. ; cf. supra, note 57.
61. René Metz, « L'attitude du gouvernement royal à l'égard des ecclésiastiques
suisses résidant en Alsace (1648-1789) », dans L'Alsace et la Suisse à travers les
siècles, Strasbourg, 1952, p. 225-240 (coll. « Publications de la Société savante d'Alsace
et des régions de l'Est »).
62. René Metz, c Le Parlement de Metz et le contrôle des bénéfices
ecclésiastiques d'Alsace sous l'Ancien régime », dans Provinces de l'Est, Lorraine, Alsace, ,
Franche-Comté, Strasbourg, 1957, p. 229-241 (coll. « Publications de la Société
savante d'Alsace et des régions de l'Est »).
63. R. Darricau, op. et loc. cit. ; cf. supra, note 58.
292 RENÉ METZ '
.
correspondait à peu près à ce qu'on appelle de nos jours le salaire
minimal, mais il était amélioré par le casuel, très variable comme par le passé.
Après 1905, le clergé paroissial est réduit à une situation approchant -
de la misère ; il est pratiquement tributaire du casuel, qui une fois
de plus crée des différences notables entre les curés, suivant qu'ils
occupent une petite paroisse rurale ou une grande paroisse urbaine.
Supportée généreusement pendant plus d'une quarantaine d'années,
,
cette situation de misère commence à créer, à partir de 1960, un malaise,
qui ira en s'accentuant ; le jeune clergé supporte difficilement d'être
tributaire de l'aumône de ses paroissiens, dans une société de
consommation où chacun est assuré du minimum vital exigé par la dignité
humaine.
Il convient de noter aussi qu'à partir du début du xixe siècle, le
clergé paroissial commence à s'intéresser à la prévoyance sociale.
Cependant sous la Troisième République, la prévoyance sociale n'intéresse
plus guère le clergé ; mais elle retrouvera un regain d'intérêt vers les
années 1930, qui ira en s'accroissant après la seconde guerre mondiale 67.
64. Ceci explique que beaucoup de curés changeaient souvent de paroisses, étant
toujours à la recherche de paroisses plus lucratives. J. Bucking (op. et loc. cit. ;
cf. supra, note 57) cite, pour la fin du xvie siècle, le cas d'un curé qui, à l'âge de
cinquante-deux ans, en était déjà à sa dixième paroisse.
65. Cf. René Metz, « La nomination et la rétribution des curés royaux », dans
Archives de l'Eglise d'Alsace, t. 17, 1946, p. 257-271.
66. Philippe Loupes, « Le casuel dans le diocèse de Bordeaux aux xvne et
.
xvme siècles », dans R.H.E.F., t. 58, 1972, p. 19-52 ; le passage cité ci-dessus figure
à la page 48. On trouvera dans l'étude de M. Loupes les références à différents
travaux qui traitent des revenus du clergé paroissial ; voir notamment Pierre de Vais-
sière, Curés de campagne de l'ancienne France, Paris, 1933.
67. Pour les questions concernant la prévoyance sociale du clergé, nous
renvoyons aux travaux de M. l'abbé Georges Dole, « L'assistance au clergé séculier
dans la France de 1790 à 1905 », dans Annales de la Faculté de droit et des sciences
économiques de Lyon, 1971, II (Mélanges offerts au professeur Louis Falletti), p. 131-
151 ; du même, « Genèse d'une prévoyance sociale pour le clergé séculier », dans .
Revue de la Société savoisienne d'histoire et d'archéologie, t. 84, 1971 (Études
historiques et juridiques dédiées à M. le chanoine R. Naz), p. 49-59.
LA PAROISSE MODERNE ET CONTEMPORAINE 293
68. Sur les travaux du P. Pérouas et de M. Pernot, voir le compte rendu qu'en
a donné M. Marc Venard, « Les visites pastorales sous l'Ancien régime. Quelques
publications récentes », dans R.H.E.F., t. 59, 1973, p. 72-76.
69. Louis Chatellier, « La visite pastorale dans le diocèse de Strasbourg aux
xvne et xvme siècles », dans « Recherches sur les visites pastorales de l'époque
moderne (xvie-xvme siècles )», Colloque de Strasbourg, 29 janvier 1972, présenté
par M. Venard, dans R.H.E.F., t. 58, 1972, p. 349-358.
294 • RENÉ METZ *
.
place ne nous permet pas d'envisager. Nous passons de suite aux
nouvelles orientations qui se dessinent depuis quelques années et qui
risquent de transformer l'image classique que nous avions de la paroisse
depuis des siècles.
René Metz.
(à suivre).
70. Cf. René Metz, c La participation des laïcs à l'administration des biens des
églises paroissiales. L'exemple de la France : situation actuelle et réformes
souhaitées dans la perspective de Vatican II », dans lus populi Dei. Miscellanea in
honorent Raymundi Bidagor, Rome, 1972, t. 2, p. 207-228.