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Revue d'histoire de l'Église de

France

La paroisse en France à l'époque moderne et contemporaine. Du


concile de Trente à Vatican II. Les nouvelles orientations. (Première
partie)
René Metz

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Metz René. La paroisse en France à l'époque moderne et contemporaine. Du concile de Trente à Vatican II. Les nouvelles
orientations. (Première partie). In: Revue d'histoire de l'Église de France, tome 60, n°165, 1974. pp. 269-295;

doi : https://doi.org/10.3406/rhef.1974.1529

https://www.persee.fr/doc/rhef_0300-9505_1974_num_60_165_1529

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LA PAROISSE EN FRANCE
A L'ÉPOQUE MODERNE ET CONTEMPORAINE

DU CONCILE DE TRENTE A VATICAN IL


LES NOUVELLES ORIENTATIONS*

L'étude que nous présentons fait suite à celle qu'a donnée l'an
dernier M. Jean Gaudemet1. Il a traité de la paroisse médiévale, avec
la compétence que nous lui connaissons. Si le sujet était limité dans
le temps, il ne l'était pas dans l'espace : la paroisse au Moyen âge
méritait d'être traitée dans le cadre de la chrétienté d'alors, au moins
de la chrétienté occidentale. Il n'en est plus de même quand on aborde
l'époque moderne, dont nous fixerons, en l'occurrence, le début au
concile de Trente pour la commodité de la recherche.
A partir du xvie siècle, la question devient tellement complexe qu'il
n'est plus possible d'en cerner les contours, si on ne se tient pas dans
des limites spatiales précises. En effet, on ne peut plus parler de la
paroisse comme telle, mais des paroisses, qui, selon les circonstances ou
les pays, prennent des formes différentes. Que l'on songe simplement
au cas de nombreuses paroisses personnelles qui ont été fondées aux
États-Unis, au cours du siècle dernier, pour les populations d'origine
nationale différente : la création de ces paroisses personnelles, à côté
des paroisses territoriales, a été l'occasion de maintes difficultés a.
Dans les pays de mission, on assiste également à l'éclosion d'institutions,
qui imiteront, au fur et à mesure de leur développement, le système
paroissial des pays d'ancienne chrétienté : de simples « missions » elles
deviendront des quasi-paroisses avec des quasi-curés à leur tête, puis
des paroisses proprement dites ; dans quelle mesure ces entités juri-

* Exposé présenté à l'assemblée générale de la Société d'Histoire Ecclésiastique


de la France, le 17 novembre 1973.
1. « La paroisse au Moyen âge. État des questions », dans R.H.E.F., t. 59, 1973,
p. 5-21.
2. Voir, par exemple, pour les difficultés soulevées par la création des paroisses
personnelles allemandes à Philadelphie et à Baltimore à la fin du xvme siècle,
l'étude de W. J. Fecher, A atudy of the movement for Germon parishea in Philodel-
phia and Baltimore (1787-1802), Rome, 1955, in-8°, xxn-283 p. (dans collection
Analecta grégoriana, t. 87, Séries Facultatif historiae ecclesiasticae, aectio B, n° 11).
Des excommunications ont été fulminées et des suspenses infligées !
18
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diques et pastorales peuvent-elles être assimilées à la paroisse


d'ancienne chrétienté ? Il ne faut pas oublier non plus, que depuis la Réforme,
l'Église catholique n'a plus le monopole du système paroissial. Les
Églises protestantes, réformées ou luthériennes, ont adopté elles aussi, .
dans la plupart des cas, le cadre de la paroisse ; mais il va sans dire
que les paroisses protestantes présentent quelques différences avec la
paroisse du type catholique romain, qui apparaît très tôt, avec l'évan-
gélisation des campagnes, et auquel le concile de Trente a fourni une
armature juridique solide. Dans les pays et dans les contrées où la
Réforme protestante a largement pris racine, les minorités catholiques
de la diaspora ont constitué des paroisses qui, en raison des
circonstances, n'ont pas pu épouser exactement le schéma classique de la
paroisse. L'Église anglicane connaît, elle aussi, le modèle paroissial ;
on ne pourrait donc pas négliger l'étude de la paroisse anglicane, si
on tenait à être complet. Même si on voulait se limiter au monde
occidental, on ne devrait pas passer sous silence cette autre catégorie de
paroisse que constitue la paroisse orthodoxe ; car on trouve en maintes
grandes villes occidentales des paroisses orthodoxes avec leur curé et
leurs fidèles. En outre, dans certains pays ou certaines régions, l'ancien
système bénéficiai a survécu jusqu'à une époque relativement récente,
tandis que dans les autres il a disparu de longue date. Bref, la variété
des types paroissiaux dont il faudrait tenir compte à partir de l'époque
moderne ne permet plus de faire une étude d'ensemble comme cela
est possible pour la paroisse médiévale ; on risquerait d'en fausser
l'image. Une délimitation dans l'espace s'impose de façon impérieuse.
C'est donc à juste titre que l'on m'a demandé d'étudier la paroisse
non de façon générale, mais la paroisse en France à l'époque moderne
et contemporaine.
Personnellement, j'apporterai une seconde limitation au sujet : je
m'en tiendrai à la paroisse catholique. Je ne traiterai pas de la paroisse
protestante, ni des quelques exemples de paroisses orthodoxes que
l'on rencontre en France. Cela nous conduirait trop loin et aussi, je
l'avoue, je ne connais pas suffisamment le système paroissial
protestant. Je n'y ferai que quelques allusions dans la dernière partie de
mon étude, à propos de l'évolution qui se dessine à l'heure actuelle ;
car, sur ce point, les Églises protestantes sont affrontées aux mêmes
problèmes et difficultés que l'Église catholique8.

3. Pour se faire une idée des difficultés que rencontrent les Églises protestantes
en France à ce sujet, nous renvoyons entre autres aux travaux de la Session d'études -
organisée du 23 au 25 octobre 1970 par MM. R. Mehl et F. Andrieux dans le cadre
du Centre de sociologie du protestantisme relevant de la Faculté de Théologie
protestante, Université des Sciences Humaines de Strasbourg. Les rapports de la
Session ont paru dans le Bulletin du Centre protestant d'études et de documentation,
n° 157, février 1971 ; ils ont fait ensuite l'objet d'une plaquette de 40 pages sous
le titre : Exemples de restructuration de l'Église dans quelques grandes villes (de
France). Voir aussi le Livre blanc sur le protestantisme strasbourgeois, établi par la ■.
commission de sociologie de l'Église de la Confession d'Augsbourg d'Alsace et de
Lorraine (ronéotypé, 77 pages, avec des tableaux et des graphiques : la, Quai St Tho-
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Nous avons déterminé nos limites dans l'espace et dit de quelle


catégorie de paroisses nous parlerons : la paroisse catholique. La tâche
la plus délicate nous attend : il s'agit de définir la manière d'envisager
le sujet dans le cadre ainsi délimité. Au risque de décevoir, nous ne
présenterons pas une étude de la paroisse en France pour la période
qui fait l'objet de notre recherche ; nous ne dresserons pas, non plus,
le bilan des travaux sur l'histoire de la paroisse ou de diverses paroisses
de France qui ont été réalisés pour cette même période.

.
Notre intention est plus modeste : nous nous proposons simplement de
signaler un certain nombre de questions et de problèmes auxquels
l'historien actuel ou futur de cette période, qui s'intéresse à la paroisse
en France, doit être attentif. Comme nous nous trouvons dans une
période de véritable mutation ou transformation des institutions, à
laquelle la paroisse n'échappe pas, il paraît utile d'accorder une
importance égale au passé et à ce que nous vivons à l'heure actuelle. Car
nous avons la chance — d'autres diront la malchance — de vivre
une évolution de la paroisse, dont nous sommes les spectateurs et,
en partie, les acteurs, que nous le voulions ou non. L'histoire de la
future paroisse — ou de ce qui correspondra peut-être à ce qu'avait
été la paroisse — se fait sous nos yeux. L'historien ne peut pas s'en
désintéresser ; car si l'axiome « hier est déjà l'histoire » a toujours été
vrai, il est aujourd'hui plus vrai que jamais en raison de la rapidité
avec laquelle évoluent les mentalités. Pour ne prendre qu'un exemple :
Vatican II est déjà si loin ! On a du mal à s'en rappeler les dates, alors
qu'on se souvient sans difficulté des dates de Vatican I ou de celles
du concile de Trente.
Nous consacrerons donc une première partie à l'examen des
questions posées à l'historien de la paroisse en France depuis le concile
de Trente jusqu'à Vatican II, en passant par le Code de 1917. Dans
une seconde partie, nous nous efforcerons de situer le problème de la
paroisse dans la perspective des nouvelles tendances qui se dessinent
depuis la fin du second concile du Vatican ; car si le passé aide à
comprendre le présent, la réciproque aussi est bien vraie. ,

L — Du concile de Trente à Vatican IL

Nous examinerons d'abord le cadre de la paroisse tel qu'il se présente


à cette période, ensuite ses composantes : nous entendons par là tous
les éléments qui entrent dans la composition de la paroisse et qui
font précisément qu'elle est paroisse : le clergé paroissial, curé et vicaires,

mas, 67000 Strasbourg). Nous n'indiquons que ces deux publications ; on pourrait
en alléguer beaucoup d'autres. Le lecteur trouvera de nombreuses références à ce
sujet à partir de 1968 dans le Répertoire bibliographique, dénommé RIC, dont
il est question dans la seconde partie de cette étude (note 100) à paraître dans le
prochain fascicule de la R.H.E.F.
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,
les fidèles, les liens qui les unissent, la ferveur religieuse qui les anime,
les biens dont ils disposent pour faire vivre l'institution et faire face
à son rôle.

Le cadre de la paroisse.

Sur ce point, comme sur les autres, il est utile, même indispensable
de distinguer le droit et la pratique ou, si on veut, la règle et
l'application ; les deux ne se recoupent pas toujours, comme on le sait.
Le droit. A ce sujet, une autre distinction s'impose, la distinction
entre le droit canonique proprement dit et le droit étatique, et plus
spécialement le droit concordataire ; car en France les deux ont
contribué, durant notre période, à la délimitation des paroisses.

.
Pour le droit canonique, les moments importants sont le concile de
Trente, le Code de 1917 et le concile de Vatican II. On a dit, à juste
titre sans doute, que le concile de Trente a imposé aux paroisses la
délimitation strictement territoriale. En effet, le canon 13 de reforma-
tione de la session XXIV laisse nettement apparaître dans ses
considérants les préoccupations des Pères du concile : la pastorale, dans
les villes notamment, souffre du fait que les paroisses ne sont pas
toujours bien délimitées ; il en résulte que les fidèles ne savent pas
à quel curé s'adresser et, surtout, que le curé ne connaît pas et ne peut
pas connaître les fidèles dont il a la responsabilité. En présence de la
situation floue et imprécise de certaines paroisses, le concile demande
aux évêques de répartir la population en paroisses précises et
déterminées et d'assigner à chaque population, ainsi répartie, un curé stable
et particulier : ... « Mandat sancta synodus episcopis..., ut distincto populo
in certas propriasque parochias unicuique suum perpetuum peculiaremque
parochum assignent, qui eas cognoscere valeat, et a quo solo licite sacra-
menta suscipiant... » 4. Le concile paraît avoir en vue une délimitation
strictement territoriale de la paroisse ; c'est ainsi qu'on a l'habitude
de présenter et d'interpréter, à juste titre sans doute, le texte du concile
de Trente. Mais, à notre avis, on devrait cependant apporter une
légère nuance à une interprétation aussi tranchée. Ce qui nous fait
hésiter quelque peu, c'est l'examen des moutures ou des formulations .
successives que précisément ce passage du canon 13 a reçues. Or il
est toujours intéressant de connaître la pensée première de ceux qui
ont rédigé un texte de ce genre. Grâce à la publication des documents
du concile de Trente par la Gôrres-Gesellschaft 8, il nous a été possible
de retrouver les divers schémas, qui ont précédé la formulation
définitive. Le texte a effectivement fait l'objet de trois rédactions. Dans

4. Sess. XXIV, can. 13 de reform. ; édit. Conciliorum oecumenicorum décréta,


éd. Centro di Documentazione, Istituto per le Scienze religiose, Bologna, edit.
altéra, Basileae-Friburgi..., 1962, p. 744.
5. Concilium Tridentinum. Diariorum, Actorum, Epiatularum, Tractatuum nova
collectio, Friburgii Brisgoviae, 1901 et suiv.
LA PAROISSE MODERNE ET CONTEMPORAINE 273

une première rédaction qui a été présentée au concile le 5 septembre


1563, il est question de répartir les fidèles non en parochias, mais en
tribus et d'attribuer à chaque tribus son curé : « ... Mandat sancta
synodus episcopis... ut distincte populo in certas propriasque tribus
unicuique suum perpetuum peculiaremque parochum assignent... » 6. La
seconde rédaction, dont le concile a pris connaissance le 2 novembre
1563, n'a pas subi de modification sur ce point : il est toujours
question de répartir le peuple des fidèles in certas propriasque tribus 7. Ce
n'est que dans la troisième rédaction, qui sera présentée au concile
le 11 novembre 1563 et qui sera la rédaction définitive, que le terme
tribus est remplacé par celui de parochias : au lieu de distincto populo
in certas propriasque tribus, nous lisons : distincto populo in certas
propriasque parochias 8.
La curiosité nous a poussé à chercher quand et par qui avait été
suggérée la modification, notamment l'adoption du terme parochia à
la place de celui de tribus. En feuilletant les intéressants Diaria du
concile, nous avons constaté que le changement du terme tribus pour
celui de parochia avait été proposé le samedi 11 septembre 1563 par
l'évêque d'Otranto 9. La proposition date du mois de septembre 1563 ;
elle n'avait donc pas été prise en considération lors de la deuxième
rédaction, qui avait été présentée au concile le 2 novembre, comme
nous l'avons indiqué 10. C'est seulement dans la rédaction définitive
qu'on en tiendra compte.
Cela nous mène loin de la paroisse en France, dira-t-on sans doute !
Oui et non, car il n'est peut-être pas tout à fait sans intérêt de savoir
que le concile de Trente a manifesté quelque hésitation à se prononcer
pour le caractère strictement territorial de la paroisse, contrairement
à ce qu'on pourrait être tenté de croire en lisant de façon hâtive le
canon 13 de la session XXIV. D'ailleurs s'il pouvait subsister quelque
doute à ce sujet, il suffit de lire la finale du texte. Les Pères du concile
étaient des hommes réalistes. Ils incitent les évêques à délimiter de
façon précise les paroisses pour des raisons d'efficacité pastorale. Il
semble bien qu'ils penchent nettement pour la délimitation
territoriale, bien qu'il faille apporter quelque nuance à une telle affirmation

6. Concilium Tridentinum, t. 9, Actorum pars sexta, éd. Ehses, 1924, p. 755,


lignes 26-28. A noter que dans la première rédaction le canon portait le numéro 14
et non le numéro 13, qu'il recevra dans la seconde rédaction et qu'il gardera dans la
rédaction définitive.
7. Op. cit., t. 9, p. 910, lignes 9-11.
8. Op. cit., t. 9, p. 984, lignes 46-49.
9. Concilium Tridentinum, t. 3, Diariorum pars tertia, vol. 1, éd. Merkle, 1931,
p. 716, lignes 6-7.
Le texte mentionne : Hydruntinus. C'est donc l'évêque, plus exactement
l'archevêque du siège Hydruntinus qui a fait l'intervention pour obtenir la modification.
Hydruntum est la dénomination latine de l'actuel archevêché italien d'Otranto,
qui se trouve dans l'Apulie. L'archevêque qui occupait le siège d'Otranto, en 1563,
était Pierre de Corderos ; cf. C. Eubel, Hierarchia catholica medii aevi, t. 3, Monas-
terii, 1910, p. 228.
10. Cf. supra, note 7.
274 RENÉ METZ ,

après ce que nous venons de constater à la suite d'un examen plus


approfondi des actes du concile. Là où une telle délimitation,
territoriale ou personnelle, n'est pas possible pour une raison ou pour une
autre — c'est là que se manifeste le réalisme des Pères conciliaires —
les éveques s'arrangeront, précise le texte, comme ils pourront au mieux
des intérêts de tous : « ... Aut alio utiliori modo, prout loci qualitas
eœegerit, provideant » 11. A la fin du texte, le concile demande aux
évêques de créer au plus tôt des paroisses là où elles n'existent pas 12.
Comme on le voit, le concile de Trente laisse une certaine latitude
aux évêques pour la délimitation des paroisses : les paroisses
territoriales ont certainement sa faveur, mais il n'exclut pas les paroisses
personnelles, ni même d'autres solutions adéquates.
Le Code de droit canonique de 1917, en revanche, ne laisse plus aucune
liberté aux évêques. Il prend des positions nettement tranchées : la
paroisse est définie par un territoire 18. Non seulement la paroisse
territoriale a les faveurs du législateur de 1917, mais en outre celui-ci
laisse apparaître son opposition manifeste aux autres formes de
paroisses, notamment à la forme personnelle. Cette opposition se
traduit par le fait que les paroisses personnelles qui existaient en 1917
seront maintenues, mais il n'en sera plus créé de nouvelles sans
l'autorisation formelle du Saint-Siège14. Les évêques ne sont donc plus
compétents pour ériger des paroisses personnelles ; cette compétence
est exclusivement réservée à l'autorité romaine. Encore moins les
évêques ont-ils la possibilité de « s'arranger de toute autre manière
utile », comme les y autorisait le concile de Trente, quand les
circonstances ne permettaient ou ne conseillaient pas la création d'une paroisse
sous la forme territoriale ou personnelle.
Quant à la création de nouvelles paroisses par la division des paroisses
existantes, la jurisprudence, à défaut d'une législation proprement dite
ad hoc, était assez stricte avant le Code de 1917. L'unique motif qu'elle
admettait pratiquement était la difficulté d'accès à l'église
paroissiale pour une partie de la population en raison de la longueur du
chemin ou d'un obstacle (voie ferrée, rivière...). Le trop grand nombre
de fidèles ne constituait pas un motif canonique ; il fallait remédier
à la situation créée par l'accroissement du nombre des fidèles, non en
divisant la paroisse pour créer une ou deux nouvelles paroisses avec
le territoire détaché de la paroisse-mère, mais en augmentant le nombre
du clergé paroissial, c'est-à-dire en adjoignant au curé un nombre de
vicaires suffisant pour compenser l'augmentation démographique de la
paroisse. C'est seulement le Code de 1917 qui reconnaîtra comme motif
canonique de division des paroisses le nombre excessif des fidèles 16.

11. Sess. XXIV, can. 13 de reform., in fine $ éd. Concil. oecum. décréta, p. 744.
12. lbid.
13. Cf. can. 216 § 1 du Codex iuria canonici.
14. Can. 216 § 4.
15. Can. 1427 § 2.
LA PAROISSE MODERNE ET CONTEMPORAINE 275

En revanche, le Code de 1917 se montrera réticent pour l'union des


paroisses, quand le maintien de deux ou de plusieurs paroisses
autonomes, mobilisant chacune un curé, ne sera plus justifié pour une
raison ou une autre. Il autorisera l'évêque à procéder à ce qu'il appelle
des « unions principales » : les deux paroisses unies subsistent, chacune
gardant ses organismes paroissiaux, mais un seul curé en assure la
responsabilité. Le Code permettra aussi à l'évêque de procéder à ce
qu'il appelle des « unions accessoires » : les deux paroisses unies
continuent de subsister, mais pas sur un pied d'égalité comme dans le cas
de l'union principale ; une des deux devient paroisse principale et
l'autre une sorte d'annexé ie. Il reste une troisième sorte d'union,
dénommée « union extinctive » ; car contrairement aux deux
précédentes elle a pour fin d' « éteindre », de supprimer une paroisse
existante et d'unir le territoire de la paroisse ainsi disparu à une paroisse
voisine, qui voit son territoire s'agrandir. L'évêque n'était pas
compétent pour procéder à ces sortes d'union, qui avaient pour fin la suppres- ■.
sion d'une paroisse : le Code de 1917 en avait réservé la compétence
à l'autorité romaine 17. Cette législation relative à la création ou à la
suppression de paroisses resta en vigueur sans modification aucune
jusqu'au concile de Vatican IL;
Le concile de Vatican II assouplira ce qu'avait de rigide la
discipline du Code de 1917. La réforme ira dans deux directions : d'une
part, le concile redonnera à l'évêque le pouvoir de créer à nouveau
des paroisses personnelles ; d'autre part, il l'autorisera à procéder à
des « extinctions » de paroisses, donc à de véritables suppressions. Les
deux domaines relevaient, comme nous l'avons vu, de la compétence
exclusive de Rome depuis 1917. Ainsi on ne s'accroche plus aussi
fermement au caractère strictement territorial de la paroisse comme
on l'avait fait en 1917 ; on prévoit à nouveau, à côté de la paroisse
territoriale, d'autres formes de paroisses, notamment les paroisses
personnelles. Ensuite on laisse pour ainsi dire l'évêque maître de la
carte paroissiale de son diocèse : il est habilité non seulement à créer
de nouvelles entités paroissiales, mais aussi à supprimer carrément
celles qui ne se justifient plus 18. Ces nouvelles dispositions figurent

16. Voir sur ces deux sortes d'union, notamment sur les motifs qui les rendent
licites et la procédure exigée pour la réaliser, les canons 1419 et suiv. du Code
de 1917. Il est question des bénéfices dans ces textes ; il n'y avait pas de législation
propre pour les paroisses, qui étaient rangées dans la catégorie des bénéfices. C'est
donc la législation propre aux bénéfices que l'on appliquait aux paroisses.
17. Cf. can. 1422.
18. Sur une carte du diocèse, la suppression de petites paroisses est chose facile.
Mais dans la réalité une telle procédure pose bien des problèmes et exige beaucoup
de circonspection avant de l'entreprendre. Tout d'abord, elle rencontre souvent
l'opposition des paroissiens. Ensuite, l'expérience montre que dans les contrées où
l'on supprime des paroisses et ferme des églises, on risque de voir surgir des sectes,
qui construisent, à la place des anciennes églises paroissiales, d'autres lieux de
culte. C'est le résultat auquel a abouti une telle opération dans le diocèse de Skara
en Suède. Voir, à ce sujet, Sigvard Plith, Kyrkoliv och vàekeUe. Studier i den nyevan-
geliska vàckelsens genomlerott i Skara stift, Stockholm, 1959, in 8°, 301 p., dans coll.
276 RENÉ METZ

dans le décret conciliaire sur la charge pastorale des évêques 19.


On fait une curieuse constatation en se donnant la peine de suivre
l'évolution du droit du concile de Trente au concile de Vatican II. .
Pratiquement, avec les nouvelles dispositions prises par Vatican II,
on revient, dans une certaine mesure, à notre point de départ, c'est-à-
dire au concile de Trente. On sait bien que les choses ne se répètent
jamais exactement de la même façon au cours de l'histoire, car les
situations qui les conditionnent ne sont pas les mêmes. Cependant la
similitude des dispositions prises par les deux conciles à quatre siècles
d'intervalle mérite d'être soulignée. On peut se demander si les Pères
conciliaires de Vatican II, qui ont modifié la législation de 1917, en
avaient conscience ; ont-ils cru faire vraiment œuvre neuve ou se
sont-ils rendus compte qu'ils n'ont fait que redonner aux évêques les >
pouvoirs que leur reconnaissait le concile de Trente ? Tels sont les
éléments de la législation canonique relative au cadre paroissial. Mais
la législation canonique n'est pas seule à intervenir dans la
structuration extérieure des paroisses ; la législation civile et spécialement la
législation concordataire doivent également être prises en
considération, t.
Pour la législation civile, on peut distinguer schématiquement trois
périodes i la période, d'Ancien régime, avec le bouleversement de la
Révolution de 1789 qui présente un cas particulier ; la période
concordataire, de 1801 à 1905, qui se poursuit pour le diocèse de
Strasbourg et de Metz jusqu'à l'heure présente ; et la période du régime
de Séparation, à partir de 1905. Particulièrement importante pour les
paroisses a été la nouvelle situation créée par le concordat de 1801
et surtout par les Articles organiques de 1802, qui, bien que non
reconnus par le Saint-Siège, ont servi pratiquement de mesures
d'application des dispositions concordataires. Avec le bouleversement de la
carte des diocèses, la législation concordataire a également apporté des
modifications aux structures juridiques des paroisses. Pour des raisons
d'ordre financier, seul un nombre relativement restreint parmi les
anciennes paroisses a conservé le titre de paroisses sous la
responsabilité d'un véritable curé. Toutes les autres sont devenues des «
succursales », dont le responsable ne portait pas le titre de curé, mais de
desservant ou de « succursaliste ». Simple question de terminologie,
dira-t-on, qui ne change rien à la situation. Il suffisait que l'autorité
ecclésiastique reconnût, pour sa part, les succursales comme une
paroisse et le desservant comme un véritable curé, et lui conférât les »
droits curiaux. Mais le problème n'était pas aussi simple qu'on serait

Samlinger och Studier till Svenska Kyrkans Historia, 35. En traduction française,
le titre est le suivant : « La vie religieuse et le réveil. Étude sur les premières années
du réveil néo-évangélique dans le diocèse de Skara » ; on trouvera un bon compte ,•
rendu de l'ouvrage dans la Revue des sciences religieuses, t. 35, 1961, p. 70-71.
19. N° 32 : « Cette même raison du salut des âmes doit permettre de déterminer .'
.

ou de réviser les érections ou les suppressions des paroisses ... ; l'évéque peut prendre
ces mesures de sa propre autorité ». •
LA PAROISSE MODERNE ET CONTEMPORAINE 277

tenté de l'imaginer. Il a fait l'objet de discussions durant une grande


partie du xixe siècle, auxquelles font écho tous les grands traités
français de droit canonique et de droit ecclésiastique de l'époque 20.
La question n'était pas simplement d'ordre théorique ; elle entraînait
des conséquences pratiques importantes. Les desservants, notamment,
s'opposaient à ce qu'on considérât les succursales comme de véritables
paroisses et qu'on leur octroyât, aveu les obligations, les droits curiaux.
L'argumentation était la suivante : conformément aux dispositions de
la législation civile, les desservants ne disposaient d'aucune stabilité ;
ils étaient à la merci du bon vouloir de l'évêque, qui pouvait les déplacer
comme un simple vicaire. Or, les desservants affirmaient que
l'instabilité qu'on leur attribuait était incompatible canoniquement avec la
nature de la fonction curiale, qui exige une certaine stabilité. Pour
cette raison, ils refusaient la qualité de paroisse pour la succursale
et celle de curé pour eux-mêmes, aussi longtemps que l'on n'aurait
pas changé le statut juridique de desservant. Nous n'insistons pas
davantage sur les détails du débat et les solutions qu'on a essayé
d'apporter du point de vue canonique aux difficultés ; le Saint-Siège
en a été saisi et a donné des réponses prudentes. Toujours est-il qu'on
ne peut pas passer à côté de ce problème, quand on étudie la paroisse
en France au xixe siècle. En outre, du fait que le nombre des paroisses
proprement dites et des succursales avait été défini en accord avec
l'autorité civile, il était difficile, pratiquement impossible, de créer de
nouvelles paroisses sans en référer à cette même autorité, en raison
des conséquences budgétaires qu'entraînait toute nouvelle création :
l'évêque avait les mains plus ou moins liées.
Sous le régime de Séparation, à partir de 1905, l'autorité
ecclésiastique aura les mains libres en ce domaine ; mais de nouveaux problèmes
se poseront à elle. Elle sera surtout affrontée à des problèmes d'ordre
financier, car toute nouvelle création de paroisse entraînera
pratiquement la construction d'une nouvelle église ; en raison de la neutralité
de l'État, proclamée par la loi de 1905, elle ne pourra compter sur
aucun soutien de la part de la municipalité pour la construction d'un
nouveau lieu de culte. C'est seulement à partir de 1961 qu'elle pourra
bénéficier d'un soutien indirect de la commune, du département ou
de l'État, pour la construction ou l'agrandissement d'une église, en
vertu de la loi du 29 juin 1961 21. Mais, ironie du sort : à partir de
cette époque, on construira de moins en moins d'églises, par suite de

20. Nous renvoyons, par exemple, au traité de D. Bouix, Tractatus de parocho,


Parisiis, 1855, in-8°, vm-712 p. ; l'ouvrage a eu, du vivant de l'auteur, deux
éditions : 1855 et 1867. On y trouvera fort bien exposé l'objet des discussions avec
tous les arguments pro et contra, ainsi que les solutions qu'on s'est efforcé de trouver
aux difficultés ; voir notamment pars la, cap. V, édit. 1855, p. 231 et suiv.
21. Loi des finances rectificative pour 1961, n° 61-825 du 29 juillet 1961 ;
Journal officiel, Lois et décrets, 30 juillet 1961, p. 7027. Par cette loi, l'État français
permet aux départements et aux communes de garantir des emprunts faits par
des associations cultuelles ou diocésaines en vue de la construction d'églises. .
278 RENÉ METZ

la crise dont est atteinte l'institution paroissiale, que nous


examinerons dans la seconde partie de cette étude. Nous connaissons le droit ;
ce n'est de loin pas l'essentiel : il s'agit de savoir ce qu'on en a fait
dans la réalité.
La pratique. Nous serons très bref à ce sujet. Nous nous contentons
d'indiquer, en fonction de la loi canonique ou étatique, quelques-uns
des points de recherche. Il importe de voir si, à la suite de la
législation tridentine, des délimitations plus précises de paroisses ont été
entreprises à la fin du xvie siècle ou dans les siècles postérieurs. Il
serait intéressant de rechercher aussi si, à la place de délimitations
territoriales, on a opté, dans certains cas, pour des délimitations
personnelles, ou si on a eu recours à d'autres formes plus libres que tolère
le concile de Trente. On aimerait aussi savoir s'il y a eu de nombreuses
créations de nouvelles paroisses sous l'Ancien régime ; éventuellement
s'il y a eu des suppressions. Enfin, un cas particulier de paroisses,
dont l'initiative revient au pouvoir royal, mérite d'être signalé : il
s'agit des cures royales, fondées à partir de 1684, tout
particulièrement en Alsace, dans les villages à forte majorité protestante 22. Le
sort de la paroisse durant la période révolutionnaire se rattache à un
problème d'ordre général.-
Pour la période concordataire, nous serions intéressés par l'impact
pratique des débats d'ordre théorique évoqués plus haut à propos
de la nature canonique des succursales. Nous aimerions aussi connaître
le nombre de créations de nouvelles paroisses, car un double obstacle
s'opposait à de telles créations : d'une part, la. loi canonique, qui
demandait de remédier à l'accroissement démographique des paroisses
par l'augmentation du nombre des vicaires ; d'autre part, la loi
concordataire, qui avait fixé un nombre donné de paroisses et de succursales.
Y a-t-il eu de nombreuses créations en dépit de ces difficultés ?
La période du régime de Séparation coïncide, à quelque douze ans
près, avec la période de la législation du Code de 1917. On sait que
le législateur canonique autorise désormais la création de nouvelles
paroisses en raison du taux démographique croissant et le législateur
civil ne s'intéresse plus à la question. Dans quelle mesure les évêques
ont-ils profité de cette double liberté dont ils jouissaient pour créer
de nouvelles paroisses, afin de rendre plus humaines certaines paroisses
qui avaient pris des dimensions gigantesques ? La question est
d'autant plus justifiée que les évêques étaient en outre stimulés par le
mouvement paroissial naissant, dont nous aurons encore à parler.
On serait sans doute étonné par les résultats d'une enquête faite dans
les divers diocèses entre les deux guerres. Dans le diocèse de Paris,

22. L'étude des cures royales a fait l'objet d'une thèse soutenue en 1962 à
l'Institut de droit canonique de l'Université de Strasbourg : Albert Mulleh, Les cures
royales en Alsace sous l'ancien régime (1684-1789), 364 p. (dactyl.). Un exemplaire
de la thèse se trouve déposé à la Bibliothèque nationale et universitaire de
Strasbourg.
LA PAROISSE MODERNE ET CONTEMPORAINE 279

les créations semblent avoir été relativement nombreuses après 1930 ;


mais dans d'autres diocèses, on pourrait certainement compter sur
les doigts d'une seule main les nouvelles créations. De suppressions,
on n'en trouverait sans doute que très peu, en raison de la rigueur de -
la législation du Code, qui exigeait le recours à Rome pour toute
suppression. Il serait intéressant de voir la manière dont les évêques ont tourné
la difficulté. Le mouvement de création de nouvelles paroisses ne paraît
avoir pris une réelle ampleur qu'après la seconde guerre mondiale :
des statistiques et des comparaisons entre les divers diocèses au sujet
de ces créations seraient du plus haut intérêt.
Enfin, avec la période post-conciliaire, nous entrons dans une sorte
de phase expérimentale. Certes, le concile a donné de larges pouvoirs
aux évêques ; mais ces pouvoirs concernent une situation révolue. La <
conjoncture est telle depuis la fin du concile, et plus particulièrement

.
depuis 1968, que la situation devient, dans une certaine mesure, anar-
chique. Ce n'est qu'avec le recul dont on disposera dans une dizaine
d'années que l'on verra peut-être un peu plus clair ; et ce n'est pas
certain. Nous avons assez longuement insisté sur le cadre. Nous en
arrivons à ce que nous avons appelé les composantes.

:
Les composantes de la paroisse.
Nous avons indiqué au début ce que nous comprenions sous ces
termes : les éléments humains et aussi les éléments matériels qui font
partie essentielle de la paroisse. Le domaine est tellement vaste et
complexe que c'est avec une appréhension bien compréhensible que
nous en abordons l'étude. Il est non seulement impossible d'en cerner
tous les aspects, mais on craint d'en oublier des points essentiels. C'est
donc de façon très superficielle que nous examinerons ces
composantes ; nous comptons sur l'indulgence du lecteur. ,
Les quelques aspects sur lesquels nous porterons l'attention sont,
comme nous l'avons déjà dit, le clergé paroissial, les laïcs et,
finalement, les biens temporels sous leurs diverses formes. Pour toutes ces
questions, nous nous en tiendrons pratiquement à la double « périodi-
sation » que nous avions retenue pour l'étude du cadre paroissial,
l'une valant pour la législation canonique et l'autre, pour la
législation étatique. Il s'agira essentiellement de considérations d'ordre
juridique. Le canoniste s'adresse, en l'occurrence, à l'historien pour lui
demander de vérifier sur le « terrain » dans quelle mesure ont été
appliquées en France les dispositions que contiennent, au sujet de ces
questions, les textes législatifs et éventuellement, à défaut de
législation proprement dite, la jurisprudence et la doctrine.
Le clergé paroissial. Dans les petites paroisses, les paroisses rurales
notamment, le clergé paroissial se réduit pratiquement au curé ; mais
dans les paroisses plus importantes on trouve souvent un clergé
nombreux et composite. En plus du curé ou des prêtres assimilés juridi-
280 RENÉ METZ

quement au curé, on rencontre des vicaires coopérateurs ainsi que des


religieux. Dans certaines paroisses urbaines, le clergé séculier ou
régulier, qui gravite autour du curé et qui participe de façon plus ou moins
directe à la pastorale paroissiale, pouvait atteindre des chiffres très
variables d'une paroisse à l'autre ; et ces chiffres variaient d'une période
à l'autre : Ancien régime, xixe siècle, période actuelle. Il serait
intéressant de faire le relevé de ces variations et d'en tracer la courbe, du
concile de Trente à nos jours.
Le curé. Le personnage le plus important du clergé paroissial, l'unique
dans beaucoup de paroisses, est le curé. Or, aussi étrange que cela
puisse paraître, c'est dans le Code de droit canonique de 1917 que nous
trouvons, pour la première fois, un texte législatif officiel qui donne
une définition du curé, au canon 451 § 1. Jusqu'à la promulgation
du Code, les auteurs se montraient hésitants sur certains éléments de
la fonction curiale. Les deux points sur lesquels portait essentiellement
l'hésitation concernaient l'origine de l'institution curiale et les exigences
relatives à l'ordination ; un autre élément d'hésitation, mais
d'importance secondaire, était le problème de l'unicité ou de la pluralité des
curés dans une même paroisse.
La nature du pouvoir du curé a fait l'objet d'âpres discussions
jusqu'au xvme siècle, dont on perçoit encore l'écho dans maints ouvrages
de canonistes français au milieu du xixe siècle. La question mérite
une attention spéciale de la part de l'historien de la paroisse en France,
car c'est en France qu'elle suscite un intérêt tout particulier. Selon
certains canonistes, les curés sont d'institution divine au même titre
que les évêques et le pape ; ils sont les successeurs des soixante-douze
disciples, dont il est question dans l'Évangile selon Luc. Cette
conception, qu'on appelle le parochianisme, a été soutenue par l'ancienne
Faculté de théologie de Paris déjà dans la seconde moitié du xme siècle ;
elle est contemporaine de l'expansion des grands ordres mendiants,
contre lesquels elle est dirigée. La théorie de l'institution divine des
curés est, en fait, une arme forgée au xme siècle pour défendre, sur
le terrain doctrinal, le clergé séculier contre l'intrusion des réguliers
dans le ministère paroissial. Après Guillaume de Saint-Amour (f 1272),
la Faculté de Paris fit du parochianisme l'objet constant de son
enseignement. Au xive siècle, Jean de Pouilly et au xve, le célèbre Gerson
("j" 1429) en furent les principaux avocats. Au xvne siècle, ce sont les
jansénistes et les tenants du gallicanisme qui se firent les grands
défenseurs de la thèse parochianiste ; Edmond Richer (f 1631) en fut le
représentant le plus qualifié : il tira les conséquences juridiques et
pratiques les plus graves de la doctrine parochianiste. Gerson avait
dit : Evangelium est bulla curatorum. Il s'ensuit que la fonction paro-
chiale est d'institution divine. Les curés appartiennent donc à la
hiérarchie de l'Église de façon essentielle ; aucune autorité ne peut
supprimer les curés. Edmond Richer ajoute : à ce titre, le curé est
tellement maître chez lui que l'évêque ne peut rien entreprendre dans
LA PAROISSE MODERNE ET CONTEMPORAINE 281

une paroisse sans le consentement du curé. Étant des pasteurs dans


toute la force du terme, les curés jouissent d'une juridiction véritable
au for externe, avec la faculté d'édicter des lois dans les limites de
leur territoire et de contraindre les fidèles à leur observation, par des
peines, notamment l'excommunication. Ils sont juges des questions
de foi et ont voix délibérative aux synodes. ,
II ne faudrait pas croire que le parochianisme fut une thèse outran-
cière de certains jansénistes et gallicans ; on trouve dans les rangs de
ses défenseurs des hommes comme Bossuet 23. Au xixe siècle, les
circonstances donnèrent à la théorie parochianiste un regain d'intérêt
pratique : les curés, que le Concordat de 1801 et les Articles organiques
de 1802 avaient rabaissés au rang de simples desservants ou
succursalistes, trouvaient dans le parochianisme d'excellents arguments pour
dénoncer le caractère illégal de l'opération et défendre leur cause.
Aussi trouve-t-on au milieu du xixe siècle une foule d'ouvrages
favorables à la thèse parochianiste, comme le notait le canoniste français
D. Bouix dans son Tractatus de parocho, dont la première édition a
paru en 1855 à Paris : ces derniers temps, écrivait Bouix, les ouvrages
de cette sorte pullulent au point d'en inonder l'Europe comme un
torrent, et les bibliothèques en regorgent 24.
Certes, la conception parochianiste était difficilement défendable.
Elle ne résiste pas à la critique historique 25. Aussi ne trouve-t-elle
plus de défenseurs à la fin du xixe siècle, et, pour le Code de droit
canonique de 1917, l'origine purement ecclésiastique de la fonction
curiale, avec tout ce que cela comporte comme conséquences pratiques,
ne fait pas l'objet du moindre doute. Mais, en raison du grand intérêt
que le parochianisme avait suscité en France sous l'Ancien régime
et de façon occasionnelle au xixe siècle, le canoniste souhaiterait que
l'historien de la paroisse y prêtât attention j car il ne s'agissait pas
d'une simple spéculation théorique : les tenants de la thèse
parochianiste en tiraient des conclusions très concrètes pour le comportement
du curé à l'intérieur de la paroisse et dans ses relations avec l'évêque.
On aimerait savoir si, et dans quelle mesure, le parochianisme a eu
un impact réel sur la paroisse en France du xvie siècle à la fin du xixe.

23. Au xviii6 siècle, la Faculté de Théologie de Louvain se rallia, à son tour,


à la thèse parochianiste. Van Espen (f 1728) en fut l'un des grands tenants ; voir
son ouvrage : Jus ecclesiasticum universum, pars la, De personia, tit III, § VI. Sur
Van Espen et ses conceptions, cf. G. Leclerc, Zeger Van Espen (1646-1728) et
l'autorité ecclésiastique. Contribution à l'histoire des théories gallicanes et du
jansénisme, Zurich, 1964, p. 218-219 (dans coll. Institutum historicum iuris canonici.
Studia et textus historiae iuris canonici, t. 2). Voir aussi M. Nuttinck. La vie et
l'œuvre de Zeger Van Espen. Un canoniste janséniste, gallican et régalien à V
Université de Louvain (1648-1728), Louvain 1969, in-8°, lxviii-717 p. (dans coll.
Université de Louvain. Recueil de travaux d'histoire et de philosophie, IVe série, fasc. 43).
24. Ultimis temporibus pullularunt eiusmodi libri, ut totam Europam sicut torrens
invaserint, et hodiedum bibliothecas oppleant ; Bouix, Tractatus de parocho, pars la,
sect. II, cap. I, édit. 1855, p. 91.
25. Nous renvoyons pour l'exposé détaillé des arguments de la thèse
parochianiste à Bouix, op. cit., pars la, sect. I, cap. VI, § IV, édit 1855, p. 55 et suiv.
282 RENÉ METZ

Le second point d'hésitation portait sur les conditions d'ordination


exigées pour l'accès à la fonction de curé. Le Code de droit canonique
de 1917 exige l'ordination sacerdotale ; le canon 451, qui formule
cette condition 26, est le premier texte officiel qui demande la prêtrise
pour être nommé curé. Jusqu'en 1917, le droit commun était fondé
sur une décrétale d'Alexandre III 27 et une décrétale de Boniface VIII M.
D'après ces textes, interprétés par la jurisprudence et la doctrine, la
tonsure était suffisante pour obtenir une paroisse en titre. Les deux
décret aies demandaient simplement que le tonsuré qui avait été nommé
curé, reçût l'ordination sacerdotale dans un bref délai. Le concile de
Lyon de 1274 se chargea de préciser la manière d'entendre ce « bref »
délai : il précisa qu'il s'agissait d'un an 29. Cette réglementation, que
ne modifie pas le concile de Trente, constitua la loi commune
jusqu'au Code de 1917 ; on la trouve dans tous les traités de droit
canonique antérieurs à la promulgation du Code 80. Mais en France la
pratique avait devancé de près de deux siècles la règle canonique officielle :
elle était fondée sur une déclaration royale du 13 janvier 1742. Le
document royal stipulait qu'on n'accorderait plus de paroisse à
quiconque ne serait pas prêtre et n'aurait pas atteint l'âge de ving-cinq
ans 31.
En fonction de ces dispositions, il nous intéresse de connaître la
situation antérieure à 1742 : y a-t-il eu beaucoup de simples tonsurés
qui ont été nommés curés de paroisse ? et ceux qui ont été ainsi promus
ont-ils respecté le délai d'un an imposé pour recevoir la prêtrise ?
Nous voudrions connaître aussi quelle fut la situation après 1742,
notamment si la déclaration royale a été partout observée. Enfin, on
peut se demander si l'évolution actuelle ne va pas dans le sens de
l'ancien droit : n'y a-t-il pas quelques indices ici et là qui laissent
entrevoir, pour l'avenir, une législation plus libérale, comparable à ce qu'elle
fut, en droit, avant 1917 ? Est-il impensable, de la manière dont évoluent
les choses à l'heure actuelle 82, que dans un avenir pas trop lointain,
on verra de nouveau à la tête de paroisses des personnes qui ne seraient
pas nécessairement des prêtres ?
Un troisième point, enfin, qui donnait lieu à des hésitations de la

26. Voir aussi les canons 154 et 453.


27. Décrétâtes de Grégoire IX, 1, 14, 5.
28. Sexte, 3, 4, 8.
29. Sexte, 1, 6, 14.
30. Voir à titre d'indication, l'article t Curé », dans le Dictionnaire de Théologie
catholique, publ. par Vacant-Mangenot-Amann, t. 3, col. 2435, qui reflète l'ancienne
conception, car l'article en question a été rédigé avant 1917. On y lit : « Le curé
est un ecclésiastique. Il n'est pas nécessaire qu'il soit revêtu de la prêtrise. Il suffit
que le clerc ainsi promu arrive à l'ordination sacerdotale dans l'année, infra annum
de son installation ».
31. On trouvera le texte de la déclaration royale dans Durand de Maillane,
Dictionnaire de droit canonique, au mot < Age ».
32. Un article, paru dans Le Monde du 5 octobre 1973 et signé de Robert Sole,
porte un titre suggestif : « Des paroisses de France sont invitées à s'organiser sans
curé. Quand la messe du dimanche est remplacée par des assemblées sans prêtres ».
LA PAROISSE MODERNE ET CONTEMPORAINE '■ 283

part des canonistes jusqu'en 1917, fut celui du nombre des curés qui
étaient tolérés légalement à la tête d'une même paroisse. Les
historiens citent, en effet, un certain nombre de paroisses où deux curés,
et même davantage, exerçaient le ministère paroissial in solidum ;
ils signalent surtout des exemples pour la période médiévale, mais
les exemples ne manquent pas pour notre période 33. A la suite de
Bouix, Georges Coolen rapporte le cas d'une paroisse de Paris qui,
en 1725, était dirigée par trois curés M.
La présence de plusieurs curés à la tête d'une même paroisse n'était
pas la règle certes, mais une exception fréquente au moins dans quelques
diocèses. L'institution des concurati — - c'est ainsi qu'on dénommait
ces curés — n'était pas anti-canonique ; on ne peut donc pas parler
d'abus. En effet, la législation n'était pas ferme à ce sujet ; c'est
pourquoi la jurisprudence des congrégations romaines tolérait l'institution
et la doctrine se montrait hésitante. Certains canonistes étaient
franchement hostiles à la pluralité des curés ; d'autres, dont Bouix,
soutenaient qu'on ne disposait d'aucun argument pour déclarer illégale
l'institution des concurati. Telle avait été la situation jusqu'au début
du xxe siècle. C'est seulement le Code de droit canonique de 1917
qui décréta le caractère illégal de l'institution et ne toléra plus qu'un
seul curé à la tête d'une même paroisse z&.
Seules des recherches bien précises pourront montrer l'ampleur que
l'institution des concurati a prise dans certains diocèses et aussi, peut-
être à la même occasion, d'en déceler les origines, qui sont encore mal
connues M. Il semble bien que si la pluralité des curés fut assez
répandue au Moyen âge, elle le fut beaucoup moins à l'époque moderne.
De toute façon, elle disparaît en France avec le régime instauré par
le Concordat de 1801. Ce n'est donc qu'avant 1789 qu'on pourrait en
rencontrer des exemples. Mais, en ce domaine encore, l'avenir
réservera probablement à l'historien un nouveau terrain de comparaison
avec la situation du passé. Avec le travail en équipe qui s'instaure,
en divers diocèses de France, dans les secteurs paroissiaux, on
s'achemine, semble-t-il, vers une institution qui présente quelque ressemblance
avec l'ancienne institution des concurati.
Nous n'insisterons pas davantage sur l'aspect juridique de la
fonction curiale. Qu'il nous suffise d'ajouter que le titre de curé peut être
conféré également à une personne morale, au chapitre cathédral, par
exemple, ou à une maison religieuse, d'après le canon 451 § 1 du Code
33. Cf. G. Coolen, « Les concurati de Saint-Omer », dans Bulletin de la Société
académique des antiquaires de la Morinie, t. 17, fasc. 314, 1947, p. 33-59. Voir aussi
sur l'institution des concurati : P. Hinschius, System des kath. Kirchenrechts, t. 2,
Berlin, 1878, p. 305-306 ; L. Thomassin, Ancienne et nouvelle discipline de l'Église,
édit. André, t. 1, Bar-le-Duc, 1864, p. 489. ,
34. G. Coolen, art. cité, p. 36.
35. Cf. can. 460 § 2.
36. Un essai d'explication a été tenté pour Saint-Omer par G. Coolen, c Les
origines de la pluralité des curés à Saint-Omer », dans Bulletin trimestriel de la
Société académique des antiquaires de la Morinie, t. 20, fasc. 380, 1964, p. 225-239.
284 RENÉ METZ :

de 1917, qui ne fait que reprendre sur ce point l'ancienne législation.


Mais la personne morale, qui est le curé en titre, n'est pas habilitée
à assurer elle-même le ministère paroissial ; elle doit déléguer
l'exercice effectif de la pastorale à une personne physique déterminée, qui
portera le titre de a curé actuel » ou « vicaire-curé », alors que la
personne morale prendra le titre de « curé habituel ».
Pour la désignation ou la nomination des curés durant notre période
quelques remarques paraissent utiles, car la situation, telle qu'elle se
présente en France aussi bien sous l'Ancien régime que sous le régime
concordataire, laisse apparaître diverses particularités. Nous en
retiendrons deux : l'une concerne le concours, l'autre l'agrément
gouvernemental. .
Le concours a été introduit par le concile de Trente pour la
provision des paroisses 37. Les intentions étaient excellentes : il s'agissait
de remédier aux abus fréquents constatés dans le choix des curés et
de conférer les paroisses aux clercs les plus aptes et les plus qualifiés.
A cette fin, les Pères du concile ont décidé que l'on mettrait au concours
chaque paroisse vacante ; ils ont estimé que ce procédé assurerait un
choix qui présenterait le plus de garanties objectives.
D'après les dispositions du concile de Trente, le concours devait
avoir lieu chaque fois que devenait vacante une paroisse qui était à
la libre collation de l'évêque ou qui était soumise au droit de
patronage ecclésiastique. L'évêque aussi bien que le patron ecclésiastique
étaient tenus de nommer ou de présenter à la cure vacante le candidat
que le jury du concours, formé de l'évêque ou de son représentant et
de trois examinateurs, avait jugé le plus apte. En revanche, si la paroisse
relevait d'un patron laïc, la procédure était différente : le concile ne
voulait pas priver le patron du droit de présentation dont il jouissait
de désigner librement le candidat, sinon le patronage perdait sa
prérogative essentielle. C'est pourquoi le concile permit au patron laïc de
présenter, comme par le passé, le candidat de son choix ; mais ce
candidat devait être examiné par le jury du concours, afin de constater
qu'il possédait les qualités requises pour la paroisse qu'on lui destinait.
En somme, le concours spécial et proprement dit n'était prescrit que
pour les paroisses de libre collation épiscopale et les paroisses
soumises au droit de patronage ecclésiastique. Pour les paroisses
soumises au patronage laïc, le concile avait prévu une procédure
intermédiaire : l'approbation du candidat par le jury du concours. D'après
le concile de Trente, le concours devait constituer, partout, la règle
normale pour le choix des curés.
Les mesures prises par le concile de Trente ont été renforcées par
Pie V en 1567, qui exigea l'observation stricte du concours sous peine
de nullité ; puis par Clément XI en 1721 et Benoît XIV en 1742, qui
introduisirent la forme écrite du concours et en réglementèrent le dérou-

37. Sess. XXIV, can. 18 «te reform.


LA PAROISSE MODERNE ET CONTEMPORAINE 285

lement dans les moindres détails. Une instruction de 1884 autorisait


les évêques à remplacer le concours spécial pour chaque paroisse vacante
par un concours général annuel ou bisannuel ; à la suite de ce concours,
on établissait une sorte de liste d'aptitude. Le procédé du concours,
sous la forme du concours spécial ou du concours général, demeura
jusqu'en 1917, en droit du moins, la règle officielle pour le choix des
candidats aux paroisses vacantes. Effectivement, le concours est resté en
usage dans divers pays, en Espagne notamment, jusqu'en 1917 et
même jusqu'au concile de Vatican II 38.
Mais, sur ce point, la France constituait déjà sous l'Ancien régime
une exception; la pratique n'y était pas conforme au droit. C'est
pourquoi cet aspect mérite l'attention de l'historien. De toute façon,
il convient de distinguer la période d'Ancien régime et la période
allant du début du xixe siècle au concile de Vatican II.
Avant 1789, le concours était pratiqué dans plusieurs provinces de
France, notamment en Flandre, en Artois, en Lorraine, dans les trois
évêchés de Metz, Toul et Verdun, dans le Roussillon, la Bretagne, la
Bresse, le Bugey, le Valromey et le Gex 39. Cependant, là où le concours
était pratiqué, les auteurs étaient d'accord pour en exempter les
paroisses de patronage ecclésiastique, alors que le concile de Trente n'en
avait exempté que les paroisses de patronage laïc 40. De la sorte, un
très grand nombre de paroisses échappaient à la règle du concours ;
car les paroisses de collation libre étaient une minorité. Cela explique
les plaintes formulées dans certains Cahiers de doléances : le bas-clergé
réclame la stricte application du concours pour toutes les paroisses,
même celles soumises au droit de patronage 41. C'est pourquoi seule
une enquête détaillée permet des conclusions sur l'application ou
non du concours pour la provision des paroisses dans tel ou tel diocèse 42.

38. Le Code de droit canonique de 1917 ne se montra pas très favorable au


concours : il se contenta de le maintenir là où il était encore pratiqué, mais il ne
l'imposa pas dans les pays où il était tombé en désuétude ; cf. can. 459 § 4. Le
concile de Vatican II en décida la suppression ; cf. Décret sur la charge pastorale
des évêques, n° 31.
39. Cf. J. N. Guyot, Répertoire universel et raisonné de jurisprudence ..., nouv.
édit., Paris, 1784-1785, t. 4, p. 380-382 ; E. Durtelle de Saint-Sauveur, Les
pays d'obédience dans l'ancienne France, thèse droit, Rennes, 1908, p. 79 ; abbé
Sicard, La nomination aux bénéfices ecclésiastiques avant 1789, Paris, 1896, p. 75 ;
Durand de Maillane, Dictionnaire de droit canonique, au mot « Concours ».
40. Abrégé des Mémoires du clergé de France, 2e édit., Paris, 1771, col. 433.
41. Voir les Cahiers de doléances de Belfort et de Huningue, chap. I, art. 4;
A. Hermann, « Neue Urkunden zur Geschichte der grossen Révolution im Elsass
(Cahiers de doléances) », dans Elsàssische Monatschrift fur Geschichte und Volkskunde,
t. 3, 1912, p. 545.
42. Nous avons fait dans les archives quelques sondages concernant
l'application du concours pour la collation des paroisses alsaciennes relevant des diocèses
de Bâle, de Besançon, de Strasbourg et de Spire. Nous avons trouvé quelques cas
de concours dans la partie alsacienne des diocèses de Bâle et de Besançon ; mais
notre enquête n'a fourni aucun résultat pour la partie alsacienne des diocèses de
Strasbourg et de Spire. Cela ne signifie pas qu'il n'y a pas eu de concours : cf. René
Metz, La monarchie française et la collation des bénéfices ecclésiastiques en Alsace,
19
286 RENÉ METZ %,

A partir du début du xixe siècle, le concours disparaît en France ;


la pratique contraire s'érige en règle : les évêques de France ne se
conforment plus aux prescriptions du concile de Trente, qui continuent
cependant à faire loi. Ils choisissent de leur propre autorité le candidat
qu'ils estiment le plus apte, sans concours, ni examen. Cette situation,
absolument contraire au droit commun, embarrassait fort certains
canonistes français, comme Bouix. Ces canonistes s'interrogent sur
le bien fondé d'une telle pratique, qui constitue une dérogation au
droit commun et que rien ne paraît justifier ; la question est d'autant
plus embarrassante que, depuis le Concordat de 1801, le droit de
patronage a disparu, et que toutes les paroisses sont à la libre collation
des évêques **. Toujours est-il que le concours n'est plus pratiqué en
France depuis le début du xixe siècle.

,
Un autre élément intervient à partir de cette époque dans la
collation des paroisses, en vertu des dispositions du Concordat de 1801 M ;
c'est l'agrément du gouvernement avant toute nomination définitive
de curé 45. L'autorité ecclésiastique procède elle-même au choix des
curés. Le gouvernement n'intervient pas directement dans ce choix ; .
mais il exige qu'avant de rendre publique la nomination d'un curé,
l'évêque lui soumette le nom du candidat prévu pour la paroisse vacante.
Le gouvernement ne donne son assentiment à la nomination définitive ;
qu'après avoir fait une enquête sur l'intéressé. Si l'autorité civile s'est
réservé le droit de donner l'agrément à toute nomination de curé, c'est


dire qu'elle se réserve éventuellement le droit de le refuser. Nous ne ,
croyons pas qu'il y eut beaucoup de refus d'agrément de 1801 à 1905 40. *
Mais il s'agit d'une simple supposition ; nous aimerions qu'elle fût
confirmée par une enquête. Et s'il y a eu des refus, nous serions curieux
d'en connaître les motifs.
Depuis le début du xixe siècle, par suite de l'abolition du droit de
patronage, les paroisses en France étaient donc à la libre collation'
des évêques, si nous faisons abstraction de l'agrément gouvernemental
exigé pour les paroisses des villes. Même les quelques réserves papales
que le concile de Trente avait maintenues ne gênaient pas les évêques
français, car la doctrine avait admis que les dispositions du Concordat
de 1801 n'étaient pas conciliables avec l'application en France des .
réserves papales. Après la suppression du Concordat, en 1905, les
.

de la paix de Westphalie à la fin de V Ancien régime (1648-1789), Strasbourg-Paris,


1947, p. 208-209, surtout p. 209, note 10.
43. Cette question est longuement traitée par Bouix, Tractatus de parocho,
pars Illa, cap. IV ; édit. de 1855, p. 354-363.
44. Article 10 ; voir aussi les Articles Organiques de 1802, art. 19.
45. Les simples desservants n'étaient pas visés par cette mesure.
46. Cette procédure est encore en vigueur à l'heure actuelle dans les deux
diocèses concordataires de Strasbourg et de Metz pour la nomination aux paroisses
de ville et de chefs-lieux d'arrondissement et de canton ; il s'agit des paroisses qui
correspondent aux paroisses proprement dites, qui avaient été maintenues en 1801.
Les curés des paroisses qui correspondent aux anciennes succursales n'ont pas
besoin de l'agrément gouvernemental pour leur nomination. ..
LA PAROISSE MODERNE ET CONTEMPORAINE 287

réserves papales furent de nouveau applicables aux paroisses


françaises ; mais le Code de droit canonique de 1917 réduisit (canon 1435)
le nombre des anciennes réserves à quelques rares cas, si bien que
les évêques français restaient pratiquement maîtres de la provision
des paroisses. Nul n'avait le droit de s'en mêler et, il faut bien le dire,
la liberté absolue dont les évêques jouissaient en ce domaine n'était
contestée par personne. Il n'en est plus de même à l'heure actuelle ; le
droit, certes, n'a pas changé sur ce point, sinon que Vatican II a aboli
les rares réserves papales que le Code de 1917 avait encore maintenues.
Mais depuis la fin du concile de Vatican II, des revendications se font
jour de la part de certains laïcs, qui demandent à être, au moins, consultés
sur le candidat que l'évêque se propose de leur donner comme curé.
En viendra-t-on de nouveau au régime électif des curés par les
paroissiens ? Ce ne serait pas une nouveauté. Le système de l'élection était
autrefois pratiqué dans certains pays 47 ; il en reste encore quelques
traces, à l'heure actuelle, en Suisse. Seul l'avenir peut nous apprendre
jusqu'où ira la participation des laïcs pour le choix des curés.
Nous arrêtons là les quelques considérations sur la condition
juridique du curé ; il y aurait bien d'autres éléments à envisager, celui
de la stabilité par exemple, qui n'était pas la même pour tous les curés
et qui peut avoir eu des répercussions sur le ministère paroissial. .,
Les collaborateurs du curé. Dans les paroisses de quelque importance,
le curé était aidé, et il l'est encore actuellement, par un certain nombre
de vicaires. On les dénomme « vicaires coopérateurs », pour ne pas les
confondre avec une autre catégorie de clercs qui sont appelés, suivant
le cas, «vicaires économes», «vicaires substituts», «vicaires coadjuteurs»,
et qui sont assimilés juridiquement aux curés, dont ils tiennent la
place en certaines circonstances. Les véritables auxiliaires du curé
sont les vicaires coopérateurs ; ils en sont les collaborateurs à plein temps,
pour employer une expression qui nous est familière aujourd'hui. Mais
les vicaires coopérateurs ne sont jamais assimilés juridiquement aux
curés. Accessoirement et par intermittence, le curé est aidé dans le
ministère paroissial par d'autres clercs, séculiers ou réguliers, dont il
faut évidemment tenir compte quand on étudie l'histoire d'une paroisse ;
car l'influence de ces collaborateurs occasionnels a pu être
quelquefois très importante dans l'évolution de la mentalité religieuse des
fidèles. Que l'on songe simplement au rôle joué par les jésuites à l'époque
de ce qu'on a appelé la Contre-réforme ; dans les diocèses où le
protestantisme avait réussi à s'installer, les jésuites ont aidé les curés de
façon très efficace pour maintenir une partie des fidèles dans la foi
traditionnelle. Tout ce monde, très divers quelquefois, constitue le
47. Dietrich Kurze, Pfarrerwahlen im Mittelalter. Ein Beitrag zur Geschichte
dêr Gemeinde und des Niederkirchensvesens, Graz, 1966, in-8°, xn-607 p. (dans coll.
Forschungen zur kirchlichen Redits geschichte und zum Kirchenrecht, t. 6) ; Peter
Leisching, c Die Parochialwahlen in den oesterreichischen Alpenlaendern », dans
lus populi Dei. Miscellanea in honorera Raymund Bidagor, t. 2, Roma, 1972, p. 229-
254.
288 . RENÉ METZ

clergé paroissial, sur lequel nous n'avons pas l'intention de nous arrêter
davantage. Nous voudrions seulement ajouter quelques indications sur
la nomination des vicaires coopérateurs qui constituent, après le curé,
l'élément le plus important du clergé paroissial ; sur ce point, en effet,
la France présente quelque particularité par rapport aux autres pays.
C'est le concile de Trente qui imposa aux curés l'obligation de
s'adjoindre des prêtres, s'ils ne pouvaient suffire à toutes les tâches du
ministère paroissial 48 ; ils devaient en prendre autant que le soin
des âmes de la paroisse l'exigeait. Le concile rendait les évêques
responsables de l'exécution de cette mesure. Ces prêtres que le concile
demande aux curés de s'adjoindre pour répondre aux nécessités de la
pastorale sont devenus les vicaires, qu'on dénommera, par la suite,
vicaires coopérateurs 49. D'après le concile de Trente, le curé en
personne choisissait son ou ses vicaires, et l'évêque disposait simplement
du droit de les approuver ; c'est du moins ainsi que la jurisprudence
romaine et la doctrine presque unanime avaient interprété le texte
conciliaire jusqu'au Code de droit canonique de 1917 50. Cependant la
pratique n'était pas conforme au droit dans tous les pays. En France
notamment, depuis le début du xixe siècle, une autre conception
avait prévalu pour le choix des vicaires. Les évêques avaient enlevé
aux curés le droit que leur avait reconnu le concile de Trente ; ils
s'étaient arrogé, de façon exclusive, la nomination des vicaires
coopérateurs. Les curés n'y avaient plus aucune part ; les évêques ne leur
soumettaient pas, même pour avis, les noms des candidats 51. Les
auteurs du xixe siècle se sont interrogés sur les causes qui pouvaient
être à l'origine de la pratique française, laquelle était en désaccord
avec le droit commun ; ils allèguent diverses explications 52. Toujours

48. Sess. XXI, can. 4 de reform.


49. Les origines de l'institution sont loin d'être claires. Tout ce que l'on peut
dire c'est qu'on en rencontre des traces dès le haut Moyen âge. Les textes des conciles
du ixe siècle mentionnent des prêtres qui collaborent avec les curés. Mais leur
statut n'a pas fait l'objet d'une réglementation avant le concile de Trente. Le
statut des vicaires coopérateurs est fort bien étudié dans l'ouvrage de J. B. Deneu-
bourg, Etude canonique sur les vicaires paroissiaux, Paris-Leipzig-Tournai, 1871,
in-8°, vin-450 p. Le travail est ancien, mais comme la législation de 1917 n'a guère
modifié le statut des vicaires coopérateurs, toute l'ancienne doctrine reste valable.
A noter que le terme de « vicaires paroissiaux » est employé par l'auteur dans le
sens de vicaires coopérateurs et non dans le sens plus large que ce terme prend
dans la législation actuelle. On trouvera sur la législation du Code de 1917 relative
au statut des vicaires coopérateurs une bonne synthèse dans l'article de F. Contas- >
sot, « Les vicaires coopérateurs », dans L'Ami du clergé, t. 64, 1954, p. 241-251.
50. Nombreuses références dans Ferraris, Bibliotheca canonica..., au mot
t Vicarius parochialis » ; Bouix, Tractatus de parocho, pars IV, cap II (édit. 1855,
p. 444-453) ; Deneubourg, Etude canonique sur les vicaires paroissiaux, p. 73 et
suiv.
51. En principe, d'après le droit coutumier qui s'était introduit en France,
l'évêque n'était pas même tenu de requérir l'avis du curé, encore moins son
consentement.
52. Voir les explications données par Bouix, Tractatus de parocho, appendix I,
cap. I, § V (édit. 1855, p. 559-560) ; on trouvera encore d'autres explications dans
Deneubourg, Etude canonique sur les vicaires paroissiaux, p. 112-114.

.
LA PAROISSE MODERNE ET CONTEMPORAINE . 289

est-il que le Saint-Siège était au courant de la pratique contraire au


droit commun, qui était en usage en France ; il la toléra et, de cette
façon, la pratique put s'ériger en droit coutumier. Dans sa tendance
centralisatrice, le Code de droit canonique de 1917 érigea en règle
générale la pratique de l'Église de France : le choix des vicaires devint un
droit exclusif des évêques 68. On aimerait savoir si la manière
différente de nommer les vicaires sous l'Ancien régime et au xixe siècle
a eu des conséquences pratiques : le choix fait par les curés eux-mêmes
avant 1789 a-t-il été plus heureux pour le ministère paroissial que
celui fait par les évêques après 1801 ou inversement ? Il serait non
moins utile de comparer le résultat des choix réalisés par les évêques
en France au cours du xixe siècle avec les choix réalisés, pendant la
même période, par les curés dans l'un ou l'autre pays où le droit commun
était resté en vigueur.
Telles sont quelques-unes des questions que soulève le statut
canonique du clergé paroissial. On ne peut pas les passer sous silence dans
l'étude de la paroisse. Mais il y a d'autres questions qui méritent de
la part de l'historien autant d'attention, sinon plus, que les problèmes
d'ordre juridique. Nous ne pourrons, faute de place, que les mentionner
rapidement : il s'agit notamment de la formation intellectuelle et de
la valeur professionnelle de ce clergé, de son origine et, finalement,
de sa situation économique.
La formation intellectuelle et la valeur professionnelle vont dans
une certaine mesure de pair. Le concile de Trente avait pris une
excellente disposition pour stimuler et favoriser l'une et l'autre ; par le
décret Quum adolescentium aetas, du 14 juillet 1563, il exigea
l'établissement d'un séminaire dans chaque diocèse ou du moins dans chaque
province 64. Divers historiens 55 ont vu dans cette disposition une des
mesures les plus importantes pour l'avenir de l'Église qui ait été prise
par l'assemblée conciliaire de Trente : la formation intellectuelle et
morale du clergé paroissial dépendait, en grande partie, de la mise
en œuvre de la décision conciliaire. Cependant les sages prescriptions
tridentines n'ont été mises en pratique que lentement, après de longues
hésitations et de nombreux tâtonnements. Il faut attendre près d'un
siècle pour les voir entrer dans la voie des réalisations générales et
stables. Jusqu'au milieu du xvir8 siècle, les applications du décret
furent rares, et dans la plupart des cas, éphémères. Il est vrai qu'en
France on pouvait, tout d'abord, nourrir de grands espoirs. Le
cardinal Charles de Lorraine, qui avait pris une part active aux
discussions et à l'élaboration du décret conciliaire, avait passé aux réalisa-

53. Can. 476 § 3. L'évêque doit cependant demander l'avis du curé sur le prêtre
qu'il se propose de lui adjoindre comme vicaire, mais il n'est pas obligé d'en tenir
compte ; il s'agit d'une simple consultation. Cette consultation n'était pas même
exigée en France avant 1917 ; cf. supra, note 51. .
54. Sess. XXIII, can. 18 de reform.
55. Voir, par exemple, G. Zeller, Les institutions de la France au XVIe siècle,
Paris, 1948, p. 362.
290 RENÉ METZ -■

tions pratiques dès 1567 ; il avait fondé à Reims un séminaire, qui


devint ainsi le premier séminaire de France. D'autres diocèses suivirent
l'exemple de Reims : Toul en 1581, Bordeaux et Valence en 1583,
Avignon en 1586, Toulouse en 1590, Carpentras en 1591. Mais le succès
ne fut qu'apparent. Presque tous ces séminaires n'eurent qu'une
existence éphémère. Il faut attendre le milieu du xvn* siècle pour assister
à la fondation, en grand nombre, de séminaires durables et répondant
entièrement aux vœux du concile de Trente. C'est à partir de 1640
que, sous l'influence des Lazaristes, des Eudistes, des Oratoriens et
des Sulpiciens, les fondations de séminaires s'accélèrent en France 56.
Cette situation incite à la prudence \ il faut se garder de porter un
jugement général sur la formation intellectuelle du clergé paroissial
pour la période allant du milieu du xvie siècle à la fin de l'Ancien régime.
L'influence des séminaires ne commence à se faire sentir qu'à partir
de la seconde moitié du xvne siècle. Effectivement, cette différence
résulte d'une façon très nette de l'analyse d'une visite pastorale de
1586 faite eh Haute-Alsace et des visites pastorales faites dans le
diocèse de Bordeaux au xviii6 siècle. D'après la visite de 1586, la
situation intellectuelle du clergé paroissial ne paraît pas brillante :
sur trente-huit curés, près de la moitié n'a ni baccalauréat, ni maîtrise 57.
En revanche, au xvme siècle, le diocèse de Bordeaux dispose d'un clergé
« dont la qualité est dans l'ensemble satisfaisante. Passé par
l'université dans une proportion de 64 %, et généralement à Bordeaux, où
les études sont d'un bon niveau, le clergé paraît instruit, charitable,
actif, soucieux de ses devoirs » 68.
Pour la période allant du début du xixe siècle à l'époque actuelle,
une même prudence semble s'imposer, car il ne paraît pas que le niveau
intellectuel du clergé paroissial en France ait été très élevé dans la
première moitié du xixe siècle et même encore dans les première»
décennies de la seconde moitié. Les quelques travaux de sociologie
religieuse portant sur la situation de l'un ou l'autre diocèse au
xixe siècle59 laissent apparaître un clergé ayant des complexes, qui
sont en partie fondés sur un handicap intellectuel. La remontée ne

56. Pour un aperçu d'ensemble sur l'histoire des séminaires en France on peut
toujours consulter l'ouvrage de A. Degert, Histoire des séminaires français jusqu'à
la Révolution, Paris, 1912, 2 vol. in-8°. Depuis lors, de nombreuses monographies
sur l'histoire des séminaires dans tel ou tel diocèse ont été publiées.
57. Cf. Jûrgen Bucking, « Le clergé de Haute Alsace d'après une visite de 1586 »,
dans « Recherches sur les visites pastorales de l'époque moderne (xvie-xvme siècle), »
Colloque de Strasbourg, 29 janvier 1972, présenté par M. Venard, dans R.H.E.F.,
t. 58, 1972, p. 345-347.
58. R. Darricau, « Les visites pastorales dans le diocèse de Bordeaux », compte
rendu du mémoire de M. Bernard Peyrous sur Les visites pastorales des archevêques
de Bordeaux (1680-1789), doctrine canonique et pratique pastorale, dans R.H.E.F.,
t. 59, 1973, p. 77.
59. Voir, par exemple, pour le diocèse d'Orléans : Chr. Marcilhacy, Le
diocèse d'Orléans au milieu du XIXe siècle. Les hommes et leurs mentalités. Préface de
G. Le Bras, Paris, 1964, in-8°, xv-497 p. (coll. « Histoire et sociologie de l'Église », 5).
t
LA PAROISSE MODERNE ET CONTEMPORAINE 291

se fera sentir, semble-t-il, qu'à la fin du xixe siècle ; la fondation des


Instituts catholiques y a contribué pour une bonne part. ,
L'origine du clergé paroissial impose des recherches sur un double
plan : sur le plan social et sur le plan régional. Il importe de s'enquérir
du milieu social d'où sortent les clercs qui se trouvent à la tête des
paroisses. Ainsi d'après la visite pastorale de 1586, que nous avons
déjà citée, les trente-huit curés mentionnés se répartissent, quant à .
l'origine sociale, en deux groupes : un premier groupe, qui constitue^
une minorité, se recrute parmi les fils cadets de familles bourgeoises.
Ces ecclésiastiques occupent de préférence les paroisses richement ,
dotées des villes. Le second groupe est constitué par les descendants -■
illégitimes des clercs 60. Des recherches analogues entreprises pour la
période du xvne et du xvme siècle donnent un tableau quelque peu
différent de celui que nous révèle la visite de 1586. Il serait intéressant
de comparer l'origine sociale du clergé paroissial de l'Ancien régime
avec celle du clergé paroissial du xixe et du xxe siècle.
L'origine régionale des curés présente, elle aussi, matière à recherche.
Pour des raisons diverses, certains évêques ont dû faire appel à des
prêtres étrangers au diocèse pour occuper les paroisses vacantes. Ces
ecclésiastiques venaient quelquefois même de pays étrangers. Ce fut
le cas en Alsace après la guerre de Trente ans. La pénurie du clergé
avait été telle qu'on fit venir, en grand nombre, des clercs des pays


voisins, notamment de Suisse et d'Allemagne 61. A la longue, le
gouvernement royal vit un danger dans cet afflux d'étrangers dans les
paroisses et il prit des mesures pour arrêter le recours à des prêtres
étrangers au royaume 62. Au xvme siècle, le diocèse de Bordeaux,
manquant de prêtres diocésains pour occuper toutes les paroisses vacantes,
engagea des ecclésiastiques d'autres régions dans une proportion de
40 % ; Auvergnats, Gascons, Pyrénéens 63. Au xixe siècle, certains
diocèses avaient trop de clercs ; les évêques ne consentaient à les
ordonner prêtres qu'à la condition qu'ils s'engagent à quitter leur
propre diocèse pour des diocèses moins favorisés. C'est ainsi qu'on
trouve au xixe siècle quelques diocèses dont le clergé paroissial compte
une certaine proportion de prêtres venus de l'extérieur. A l'époque
actuelle, pour des raisons diverses, le clergé paroissial se recrute, en
partie, parmi les religieux et aussi parmi les anciens missionnaires,
qui ont dû quitter les pays où ils exerçaient leur activité apostolique.
La situation économique du clergé paroissial présente de grandes
60. Jûrgen Bucking, op. et loc. cit. ; cf. supra, note 57.
61. René Metz, « L'attitude du gouvernement royal à l'égard des ecclésiastiques
suisses résidant en Alsace (1648-1789) », dans L'Alsace et la Suisse à travers les
siècles, Strasbourg, 1952, p. 225-240 (coll. « Publications de la Société savante d'Alsace
et des régions de l'Est »).
62. René Metz, c Le Parlement de Metz et le contrôle des bénéfices
ecclésiastiques d'Alsace sous l'Ancien régime », dans Provinces de l'Est, Lorraine, Alsace, ,
Franche-Comté, Strasbourg, 1957, p. 229-241 (coll. « Publications de la Société
savante d'Alsace et des régions de l'Est »).
63. R. Darricau, op. et loc. cit. ; cf. supra, note 58.
292 RENÉ METZ '

différences selon les trois périodes que nous avons distinguées en


fonction de la législation civile *. Ancien régime, période concordataire,
période de Séparation (à partir de 1905). Et à l'intérieur de ces trois
divisions, la variété des situations est également assez importante.
Dans le cadre du système bénéficiai de l'Ancien régime, la situation
économique de la plupart des curés n'était pas bonne. Beaucoup de
curés étaient réduits à la portion congrue M ; ce fut le cas spécialement :
des curés royaux d'Alsace, qui étaient à la charge du gouvernement
royal 65. Mais on ne peut pas généraliser, car aux revenus réguliers
s'ajoutait le casuel, qui varie beaucoup d'une paroisse à l'autre dans
le même diocèse et qui par conséquent « échappe à toute formulation
de caractère général », comme l'a fort bien montré récemment M.
Philippe Loupes pour le diocèse de Bordeaux 66. Les mêmes remarques
valent, mutatis mutandis, pour la période concordataire, durant laquelle
le gouvernement assurait un traitement aux curés ; ce traitement

.
correspondait à peu près à ce qu'on appelle de nos jours le salaire
minimal, mais il était amélioré par le casuel, très variable comme par le passé.
Après 1905, le clergé paroissial est réduit à une situation approchant -
de la misère ; il est pratiquement tributaire du casuel, qui une fois
de plus crée des différences notables entre les curés, suivant qu'ils
occupent une petite paroisse rurale ou une grande paroisse urbaine.
Supportée généreusement pendant plus d'une quarantaine d'années,

,
cette situation de misère commence à créer, à partir de 1960, un malaise,
qui ira en s'accentuant ; le jeune clergé supporte difficilement d'être
tributaire de l'aumône de ses paroissiens, dans une société de
consommation où chacun est assuré du minimum vital exigé par la dignité
humaine.
Il convient de noter aussi qu'à partir du début du xixe siècle, le
clergé paroissial commence à s'intéresser à la prévoyance sociale.
Cependant sous la Troisième République, la prévoyance sociale n'intéresse
plus guère le clergé ; mais elle retrouvera un regain d'intérêt vers les
années 1930, qui ira en s'accroissant après la seconde guerre mondiale 67.

64. Ceci explique que beaucoup de curés changeaient souvent de paroisses, étant
toujours à la recherche de paroisses plus lucratives. J. Bucking (op. et loc. cit. ;
cf. supra, note 57) cite, pour la fin du xvie siècle, le cas d'un curé qui, à l'âge de
cinquante-deux ans, en était déjà à sa dixième paroisse.
65. Cf. René Metz, « La nomination et la rétribution des curés royaux », dans
Archives de l'Eglise d'Alsace, t. 17, 1946, p. 257-271.
66. Philippe Loupes, « Le casuel dans le diocèse de Bordeaux aux xvne et
.

xvme siècles », dans R.H.E.F., t. 58, 1972, p. 19-52 ; le passage cité ci-dessus figure
à la page 48. On trouvera dans l'étude de M. Loupes les références à différents
travaux qui traitent des revenus du clergé paroissial ; voir notamment Pierre de Vais-
sière, Curés de campagne de l'ancienne France, Paris, 1933.
67. Pour les questions concernant la prévoyance sociale du clergé, nous
renvoyons aux travaux de M. l'abbé Georges Dole, « L'assistance au clergé séculier
dans la France de 1790 à 1905 », dans Annales de la Faculté de droit et des sciences
économiques de Lyon, 1971, II (Mélanges offerts au professeur Louis Falletti), p. 131-
151 ; du même, « Genèse d'une prévoyance sociale pour le clergé séculier », dans .
Revue de la Société savoisienne d'histoire et d'archéologie, t. 84, 1971 (Études
historiques et juridiques dédiées à M. le chanoine R. Naz), p. 49-59.
LA PAROISSE MODERNE ET CONTEMPORAINE 293

Les fidèles. Nous en arrivons à l'élément essentiel de la paroisse,


à savoir les fidèles ; car l'institution paroissiale n'a finalement pas
d'autre raison d'être que de faciliter aux paroissiens l'accès au salut
auquel l'Évangile convie tout homme. ,.
Bien que les fidèles constituent l'élément primordial de ce que nous
avons appelé les composantes de la paroisse, nous ne les citons que
pour mémoire. La place dont nous disposons ne permet pas de nous
y arrêter ; la question est si vaste qu'il est impossible de l'aborder,
même de façon sommaire.
Évidemment la pratique religieuse des fidèles intéresse au premier
chef, car elle est la manifestation tangible de la réussite ou de l'échec
du ministère pastoral réalisé dans le cadre de la paroisse. C'est aux
fruits que l'on juge l'arbre. Le champ d'investigation est très large,
car il faut réunir le maximum d'indices pour porter un jugement sur
le comportement religieux d'une communauté paroissiale : il n'est
pas toujours aisé de distinguer les signes qui témoignent d'une foi
authentique de ceux qui ne sont que des restes de superstition. Il est donc
important de s'informer sur la manière dont l'instruction religieuse
a été dispensée aux fidèles par le clergé et aussi de s'enquérir de la
moralité des paroissiens.
Pour la période de l'Ancien régime, le travail est grandement facilité,
à l'heure actuelle, par les visites pastorales, dont l'inventaire est bien
avancé. La recherche est surtout facilitée à partir du xvne siècle, où
les visites pastorales, de laconiques qu'elles avaient été auparavant,
deviennent de plus en plus exhaustives. Les témoignages recueillis
dans divers diocèses concordent sur ce point ; il suffit de se reporter,
par exemple, aux recherches faites par le P. Louis Pérouas pour l'ancien
diocèse de Limoges, par M. Michel Pernot pour le diocèse de Toul M
par M. Louis Chatellier pour le diocèse de Strasbourg 69.
Pour le xixe siècle et le début du xxe, un travail considérable reste
à faire, car les études ne sont pas encore très nombreuses pour cette
période. En revanche, pour la période récente, des enquêtes ont été
réalisées dans divers diocèses ; l'historien disposera d'éléments qui lui
faciliteront la tâche. Mais pour la période contemporaine le problème
se complique. D'autres facteurs interviennent, dont il faut tenir compte,
car ils changent l'image traditionnelle de la paroisse. Nous nous
contentons de citer un de ces facteurs : le changement de la clientèle
paroissiale. La paroisse de la campagne perd une partie de ses fidèles à la
suite de l'exode de la population rurale, mais elle gagne d'autres fidèles
en fin de semaine ou en période de vacances par l'arrivée des citadins

68. Sur les travaux du P. Pérouas et de M. Pernot, voir le compte rendu qu'en
a donné M. Marc Venard, « Les visites pastorales sous l'Ancien régime. Quelques
publications récentes », dans R.H.E.F., t. 59, 1973, p. 72-76.
69. Louis Chatellier, « La visite pastorale dans le diocèse de Strasbourg aux
xvne et xvme siècles », dans « Recherches sur les visites pastorales de l'époque
moderne (xvie-xvme siècles )», Colloque de Strasbourg, 29 janvier 1972, présenté
par M. Venard, dans R.H.E.F., t. 58, 1972, p. 349-358.
294 • RENÉ METZ *

en quête de changement d'air. La paroisse suburbaine trouve une


clientèle élargie par l'afflux des populations rurales et des travailleurs
étrangers en quête de travail.
Les biens. Nous ne citons les biens, parmi les composantes de la
paroisse, que pour mémoire, comme nous l'avons fait pour les fidèles
et pour la même raison : le domaine de la recherche est trop ample
pour en indiquer tous les aspects.
Qu'il nous suffise de signaler que pour cette partie de la recherche,
la division dans le temps est imposée pratiquement par la législation
civile, avec les conséquences qui, s'ensuivent : l'Ancien régime, la
période concordataire et la période de Séparation. Sous l'Ancien régime,
la paroisse est soumise pour les biens aux règles compliquées du
système bénéficiai. Comme la plupart des paroisses relèvent du droit de
patronage, les biens se trouvent, en partie ou en totalité, sous le
contrôle du ou des patrons de la paroisse. Il en résulte de nombreux
et fréquents conflits. Il suffit de songer aux difficultés qui ont surgi
en maintes paroisses au sujet de l'entretien ou des réparations de
l'église : une partie, le chœur en règle générale, devait être entretenue
aux frais du patron, l'autre partie, la nef, était à la charge des
paroissiens. Ce n'est, parmi beaucoup d'autres, qu'un exemple des
complications suscitées par le droit de patronage pour les biens de la paroisse.
Le régime concordataire abolit le droit de patronage avec ses
complications et introduisit le système très simple des conseils de fabrique.
Prévus par les Articles organique de 1802, les conseils de fabrique
reçurent leur règlement d'application par un décret du 30 décembre
1809. Chaque paroisse fut dotée d'un conseil de fabrique, qui jouissait
de la personnalité juridique au regard de la loi civile et devint ainsi
le détenteur légal des biens de la paroisse. Les laïcs occupaient une
place prépondérante dans les conseils de fabrique, qui étaient
responsables de la gestion des biens des paroisses. La présidence était toujours
assurée par un laïc ; le curé, membre de droit du conseil, n'en était
jamais le président.
Avec la loi de la Séparation des Églises et de l'État, du 9 décembre
1905, les conseils de fabrique furent abolis. De ce fait, les biens de la
paroisse n'avaient plus de support juridique. L'État français s'était
bien engagé à créer dans chaque paroisse une association cultuelle, .
qui jouirait de la personnalité juridique et détiendrait ainsi de façon
légale les biens de la paroisse. Comme on le sait, Rome n'autorisa pas ;
l'Église catholique de France à créer des associations cultuelles. De
la sorte, après 1905, ce qui restait des anciens biens des paroisses se
trouvait dans une situation très précaire ; les paroisses ne disposaient
plus, en tant que telles, d'une institution juridique habilitée à posséder
leurs biens. Il fallut recourir à toutes sortes de subterfuges pour trouver
aux biens paroissiaux un propriétaire légal ; cela n'alla pas toujours
sans difficulté. Ce n'est qu'en 1924 que l'on parvint à une solution,
mais qui ne fut qu'une solution de compromis. Avec l'accord du Saint-
LA PAROISSE MODERNE ET CONTEMPORAINE 295

Siège et de l'État français, l'Église de France fut autorisée à créer les


associations cultuelles, qu'elle avait refusées en 1905. Mais on n'établit
pas une association par paroisse, comme cela avait été prévu à
l'origine, on se contenta d'une seule association par diocèse, à laquelle
furent légalement rattachés les biens des diverses paroisses. Dans ce
nouveau cadre, les anciens conseils de fabrique furent remplacés par
des organismes similaires, à qui revint la gestion des biens ; ces
organismes furent dénommés, en règle générale, « conseil paroissial ». La
place des laïcs n'y est plus prépondérante ; bien au contraire. La
présidence est toujours assurée par le curé ; les laïcs qui sont membres
du conseil paroissial, ne disposent que de la voix consultative. On ne
leur demande donc que leur avis pour la gestion des biens, et non leur
consentement, contrairement à ce qui se passait dans les conseils de
fabrique du régime concordataire ro.
Tel est, rapidement esquissé, le cadre juridique qui fut assigné aux
biens de la paroisse par les trois régimes successifs. Ce n'est qu'un
des aspects du sujet ; il y en a bien d'autres, plus importants sans doute,
qui mériteraient que nous nous y arrêtions, mais que le manque de

.
place ne nous permet pas d'envisager. Nous passons de suite aux
nouvelles orientations qui se dessinent depuis quelques années et qui
risquent de transformer l'image classique que nous avions de la paroisse
depuis des siècles.
René Metz.
(à suivre).

70. Cf. René Metz, c La participation des laïcs à l'administration des biens des
églises paroissiales. L'exemple de la France : situation actuelle et réformes
souhaitées dans la perspective de Vatican II », dans lus populi Dei. Miscellanea in
honorent Raymundi Bidagor, Rome, 1972, t. 2, p. 207-228.

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