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Bruno Munari
Le designer est donc l’artiste de notre époque. Non parce qu’il est un génie,
mais parce qu'avec ses méthodes de travail, il renoue le contact entre art et
grand public; parce qu'il affronte avec humilité et savoir-faire toutes les de-
mandes de la société dans laquelle il vit, parce qu'il connaît son métier, les
techniques et les moyens les plus adaptés pour résoudre les problèmes in-
hérents au design.
Parce qu'enfin, il répond aux besoins humains de son époque et aide la po-
pulation à résoudre certains problèmes indépendamment de tout préjugé sty-
listique ou de fausse dignité artistique née de la division entre les arts.
Les publicitaires de la vieille école l’affirmaient (et cette idée n'a pas encore
tout à fait disparu) : une publicité doit être comme un coup de poing dans
l’œil. Elle doit informer violemment le passant, tout absorbé à méditer sur la
transformation formelle et structurelle de la chenille en papillon, et, comme
chacun le sait, la violence entraîne la violence.
Blague à part, que voulaient dire nos publicitaires de la vieille école en par-
lant de «publicité coup de poing»? Probablement que dans la rue, la publicité
doit avoir un impact plus fort que les publicités censées obtenir un résultat
équivalent. En bref, une publicité doit nettement se démarquer des autres,
sauter aux yeux, frapper le passant et le brutaliser. Ce principe s’applique
également à toutes les publicités voisines.
Une publicité pour un savon par exemple, ou pour n'importe quel détergent,
doit nettement se démarquer d’une publicité pour un autre savon. Aujour-
d’hui, nous savons que le détergent X lave plus blanc, qu'un deuxième pro-
duit lave encore plus blanc, qu'un troisième lave plus blanc que le premier,
qu'un quatrième lave plus blanc que le premier et le deuxième réunis, qu'un
cinquième lave deux fois mieux et qu'un sixième (qui est également le pre-
mier à avoir eu une autre idée) lave si blanc que le blanc paraît noir.
Dans une conversation normale, quand un individu est à court d’arguments, il
se met à hurler. De cette façon, il ne donne plus d’informations nouvelles
mais se fait entendre. De nombreuses publicités veulent se faire entendre à
tout prix, même si elles n'ont rien d’intéressant à dire : elles hurlent alors
avec leurs couleurs, leur format et surtout par leur quantité. Faute de maîtri-
ser les procédés exacts de l’information visuelle, elles recourent à la multipli-
cation d’une imagerie banale, sans chercher à savoir si les formes ou les
couleurs qu'elles utilisent sont celles dont on use indifféremment pour un
pneu, un savon ou une bière. Les recherches visuelles nous apprennent au
contraire qu'il suffirait d’utiliser une certaine couleur insolite, des formes diffé-
rentes, de donner une information précise et immédiate pour informer le pas-
sant, sans le brutaliser, sans avoir à se ruiner pour un effet «quantité».
On voit souvent dans la rue des publicités si fades et mimétiques que l’on ne
peut que se demander comment elles ont pu être acceptées et imprimées.
Elles ont probablement vu le jour ainsi: le peintre (et non l’expert graphique)
qui a réalisé la maquette l’apporte dans le bureau du responsable. La ma-
quette grandeur nature, un mètre sur un mètre quarante, sur un châssis ou
du papier, est placée sur le chevalet face au bureau de la personne qui doit
donner son aval. Le bureau du responsable est très sérieux, comme il
convient à un responsable qui doit montrer du premier coup d’œil qu'il est un
responsable: des couleurs sobres, un mobilier classique, rien de voyant. La
maquette de la publicité a beau être laide, elle ne peut qu'exploser violem-
ment dans cet environnement. La photographie encadrée au mur, en compa-
raison, semble décolorée.
Une fois la maquette acceptée et imprimée, on se rend compte qu'en compa-
raison des autres publicités dans la rue, elle n'a rien de remarquable. Mais ce
qui est fait est fait et on fera mieux la prochaine fois.
Il existe un schéma de publicité auquel les graphistes font souvent référence
en raison de son efficacité visuelle: le drapeau japonais, un disque rouge sur
fond blanc.