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Florence DEPOERS1
Assil GUIZANI 2
Faten LAKHAL3
Résumé
Cet article analyse l’impact du contrôle familial sur le risque
spécifique de chute du cours d’action. Sur un échantillon
de sociétés françaises cotées, nos résultats montrent que
l’excès du contrôle familial (lorsque les droits de contrôle
sont supérieurs aux droits aux f lux financiers) et la présence
d’un dirigeant membre de la famille augmentent le risque
d’une baisse brutale et significative du cours de l’action d’une
société. Nous montrons également que l’indépendance du
conseil réduit ce risque en cas d’excès de contrôle mais pas
lorsque le dirigeant est un membre de la famille.
Abstract
This paper aims to test the effect of family control on the
firm-specific stock price crash risk and the moderating effect
of independent directors on this relationship. Using a sample
of French companies listed, we show that stock price crashes
increase with the separation of voting and cash f low rights
(excess control) of the family and with the family CEO.
Our findings suggest that family control is important to
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Introduction
Dans cette étude, nous analysons l’impact du contrôle familial sur le RCA ainsi
que l’effet modérateur de l’indépendance du conseil d’administration sur cet im-
pact. Deux raisons expliquent l’intérêt porté au contrôle familial. Premièrement,
les sociétés contrôlées par des familles (appelées désormais sociétés familiales)
occupent une place importante dans les économies occidentales (La Porta et al.,
1999 ; Faccio et Lang, 2002 ; Labelle et Schatt, 2005). Deuxièmement, la nature
familiale du contrôle influence la nature et l’intensité des conflits d’agence.
Dans les sociétés familiales, les conflits d’agence entre dirigeants et actionnaires
décrits par Berle et Means (1932) et Jensen et Meckling (1976) – appelés conflits
de type 1 – sont considérablement réduits du fait d’un contrôle renforcé du
dirigeant par la famille ou de la convergence des intérêts dirigeant-famille
(voir infra). En revanche, des conflits de type 2 qui opposent la famille et les
minoritaires apparaissent (Shleifer et Vishny, 1986). Ces conflits traduisent la
propension de la famille à s’approprier des bénéfices privés au détriment des
minoritaires (La Porta et al., 1999 ; Burkart et al., 2003 ; Masulis et al., 2011).
Sur la base de cette analyse, nous suggérons que les dirigeants utilisent leur
politique d’information et retardent la publication de mauvaises nouvelles afin
de dissimuler les pratiques opportunistes de la famille, augmentant le RCA.
Nous suggérons un lien positif entre le contrôle familial et le RCA.
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Cette étude est la première recherche des déterminants du RCA sur le mar-
ché français. Elle contribue à la littérature antérieure de plusieurs façons.
Premièrement, l’étude contribue à une meilleure connaissance de l’entre-
prise familiale en révélant un aspect encore ignoré de la gestion des sociétés
familiales : un RCA lié à la volonté d’exproprier les minoritaires. Ce faisant,
l’étude confirme l’hétérogéneité de la société familiale ainsi que l’intérêt de
prendre en compte, dans les analyses empiriques, les conflits d’agence de type
2 (Villalonga et Amit, 2006).
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Après avoir présenté nos hypothèses de recherche (section 2), nous décrivons
la méthodologie, l’échantillon et les différentes variables de l’étude (section 3).
Nous analysons ensuite les résultats des tests empiriques (section 4). La conclu-
sion et les perspectives de recherche futures sont enfin présentées.
Les sociétés familiales présentent trois spécificités qui les distinguent des autres
entreprises. 1) La société représente souvent l’actif principal (non diversifié)
de la famille. 2) La famille a un horizon de placement à long terme, l’entreprise
représentant un actif à transmettre aux générations futures. 3) La famille est
soucieuse de sa réputation (Cheng, 2014).
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Globalement, le conflit de type 1 est donc moins important dans les sociétés
familiales. Il est en revanche remplacé par un conflit de type 2 (entre actionnaires
majoritaires et minoritaires) plus sévère dans les entreprises familiales que
dans les non-familiales (Ali et al., 2007). La famille peut exercer son pouvoir
discrétionnaire au détriment des intérêts des minoritaires en s’appropriant
des bénéfices privés (Masulis et al., 2011). Ces bénéfices privés correspondent
à des transferts de richesse (actif et/ou profit) de la société vers ceux qui la
contrôlent en raison de leur position majoritaire (Johnson et al., 2000). Après
transfert, la famille obtient une part de flux financiers supérieure à celle qu’elle
devrait recevoir si on considère sa seule participation au capital.
4. Cet excès de contrôle est opéré via les structures pyramidales, les actions à droits de
vote double et les participations croisées (Bebchuk et al., 2000).
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familiales. Machuga et Teitel (2009) révèlent que les sociétés familiales lissent
également davantage leurs résultats.
Au total, ces différents auteurs suggèrent que les sociétés familiales retardent
par différentes tactiques la publication des mauvaises nouvelles afin de dissi-
muler leurs pratiques opportunistes. Conformément à l’analyse de Jin et Myer
(2006) et Hutton et al. (2009), nous suggérons que ces tactiques auraient pour
effet d’augmenter le RCA. Nous formons donc l’hypothèse suivante :
Un administrateur est indépendant lorsqu’il n’a aucun lien de parenté avec les
dirigeants et aucun intérêt, économique ou autre, avec l’entreprise. Par défini-
tion, un administrateur indépendant n’est pas exposé à une situation de conflit
d’intérêt susceptible de compromettre sa liberté de jugement dans son rôle de
surveillance du dirigeant (Adams et al., 2010). Dans la mesure où ils mettent
en jeu leur réputation, les administrateurs indépendants sont particulièrement
vigilants (Dahya et al., 2008 ; Fama et Jensen, 1983).
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2. Méthodologie de la recherche
2.1. Echantillon
Notre population de base comprend l’ensemble des sociétés françaises cotées
appartenant à l’indice CAC All Shares sur la période 2007-2016. Les sociétés
introduites en bourse ou radiées sur la période d’étude ont été exclues ainsi que
celles dont les données nécessaires à l’étude sont manquantes. L’échantillon
final regroupe 252 firmes, soit 2 520 observations. Les données relatives à la
propriété familiale et à l’indépendance du conseil ont été collectées à partir
de rapports annuels. Les données boursières, financières et comptables ont
été puisées dans les bases de données Thomson Onebanker.
rij = αi + β1i rm(j-2) + β2i rm(j-1) + β3i rmj + β4i rm(j+1) + β5i rm(j+2) + β6i rs(j-2) + β7i rs(j-1)
+ β8i rsj + β9i rs(j+1) + β10i rs(j+2) + ἐij
Soit Wij = ln (1+ἐij) avec, rij le rendement d’action i de la semaine j ; rmj la valeur
de l’indice de marché de la semaine j ; rsj la valeur de l’indice du secteur de la
semaine j.
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Crash est une variable binaire qui prend la valeur 1 si l’entreprise a connu
une ou plusieurs chutes du cours d’action au cours de l’année t-1 et 0 sinon.
Nous anticipons un effet positif des chutes précédentes du cours d’action sur
le RCA (Kim et Zhang, 2015).
Size est le logarithme népérien de l’actif total. Selon Hutton et al. (2009), Chen
et al. (2001) les grandes entreprises sont davantage susceptibles d’attirer l’at-
tention lors de la divulgation de mauvaises nouvelles. Nous anticipons donc
un effet positif de la taille sur le RCA.
MTB est le ratio market to book. Nous prévoyons un effet positif de MTB sur RCA,
un ratio élevé pouvant être associé à une bulle spéculative (Chen et al., 2001).
2.3. Régressions
Nous utilisons des équations de régressions en données de panel afin de tes-
ter nos hypothèses. Le modèle 1 permet d’analyser l’effet du contrôle fami-
lial sur le RCA ; le modèle 2, le rôle modérateur de l’indépendance du conseil
d’administration.
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Intervalles de
Variables Proportion Ecart-types
confiance
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Cette première mesure (% des droits de vote) ne permet cependant pas d’ap-
préhender l’ensemble des conflits d’agence au sein de la société familiale. L’une
des caractéristiques des sociétés familiales est en effet l’excès de contrôle de la
famille (Boubaker et Labegorre, 2011). Dans la littérature, cet excès de contrôle
constitue un indicateur de l’intensité des conflits d’agence de type 2 c’est-à-dire
la volonté de la famille de s’approprier des bénéfices privés (par définition
non partagés avec les minoritaires). Dans notre étude, cet écart relatif moyen
atteint 19,71 %. Les résultats montrent que l’excès du contrôle est associé
positivement et significativement au RCA. Ils mettent en lumière la capacité
des sociétés familiales à capter une partie des flux à leur avantage et donc
confirment la prédominance des conflits de type 2.
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Concernant les variables de contrôle, les résultats montrent que les titres les
plus volatils enregistrent davantage de chutes du cours mais d’ampleur ce-
pendant moins élevée. Ce résultat rejoint la conclusion de Chen et al. (2001).
Contrairement aux attentes, nos résultats montrent que le RCA est associé
négativement au rendement des titres. Conformément aux résultats de Hutton
et al. (2009), Chen et al. (2001), Kim et al. (2011 a et b), la taille affecte positi-
vement le RCA. Enfin, nous montrons que le RCA augmente avec l’opacité de
l’entreprise, corroborant ainsi les travaux de Jin et Myer (2006) et Hutton et
al. (2009). Ce résultat, particulièrement intéressant, suggère que l’opacité est
une tactique utilisée par les décideurs pour cacher les mauvaises nouvelles.
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Crash Duvol
(2,45)** (2,45)** (3,12)*** (8,22)*** (9,02)*** (11,03)***
ROAt-1 -0,0047 -0,0046 -0,0051 0,0004 0,0005 0,0005
(-1,18) (-1,16) (-1,29) (0,43) (0,68) (0,61)
MTBt-1 0,0078 0,0075 0,0090 0,0036 0,0037 0,0024
(1,04) (1,00) (1,15) (1,83)* (1,88)* (1,44)
Opacityt-1 0,0066 0,0066 0,0069 -0,0006 -0,0007 -0,0008
(2,57)** (2,56)** (2,63)*** (-1,12) (-1,26) (-1,60)
Constante -1,7800 -1,7865 -2,2350 -0,2635 -0,2907 0,4195
(-7,74)*** (-7,97)*** (-9,27)*** (-5,59)*** (-6,46)*** (10,50)***
R2 adj 0,0585 0,0604 0,0834 0,0932 0,1086 0,1203
Les variables sont décrites dans la section 3.2. ***, **, * indiquent que les tests sont signif ica-
tifs aux seuils respectifs de 1 %, 5 % et 10 %.
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Conclusion
L’objectif de notre étude était d’analyser l’effet du contrôle familial sur le RCA.
Afin de rendre compte de la diversité des situations de contrôle, nous avons testé
trois mesures du contrôle familial : l’actionnariat familial, l’excès de contrôle
de la famille et l’identité du dirigeant.
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