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Contrôle familial, conseil d’administration et

risque de chute du cours d’action : le cas des


entreprises françaises

Florence DEPOERS1
Assil GUIZANI 2
Faten LAKHAL3

Résumé
Cet article analyse l’impact du contrôle familial sur le risque
spécifique de chute du cours d’action. Sur un échantillon
de sociétés françaises cotées, nos résultats montrent que
l’excès du contrôle familial (lorsque les droits de contrôle
sont supérieurs aux droits aux f lux financiers) et la présence
d’un dirigeant membre de la famille augmentent le risque
d’une baisse brutale et significative du cours de l’action d’une
société. Nous montrons également que l’indépendance du
conseil réduit ce risque en cas d’excès de contrôle mais pas
lorsque le dirigeant est un membre de la famille.

Abstract
This paper aims to test the effect of family control on the
firm-specific stock price crash risk and the moderating effect
of independent directors on this relationship. Using a sample
of French companies listed, we show that stock price crashes
increase with the separation of voting and cash f low rights
(excess control) of the family and with the family CEO.
Our findings suggest that family control is important to

1. Florence DEPOERS : Université Paris Nanterre – Florence.depoers@parisnanterre.fr


2. Assil GUIZANI : Université Paris Nanterre Université Paris Nanterre – LAMIDED,
Université de Sousse – guizaniassil@gmail.com
3. Faten LAK H AL : Léonard de Vinci Pôle Universitaire, Research Center – IRG, Uni-
versité Paris-Est and LAMIDED, Université de Sousse.

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understand firm stock price crashes. We also show that the


relationship between excess control and the stock price crash
risk turns negative when independent directors dominate
the board. Surprisingly, this moderating effect disappears
when the CEO is a family member, which suggests that the
manager’s social relations on the board neutralize the control
of independent directors.

Introduction

L’analyse des déterminants du risque spécifique de chute du cours d’une ac-


tion (en anglais « Stock Price Crash Risk ») suscite un intérêt croissant dans la
littérature. Ce risque se manifeste par des valeurs négatives extrêmes dans la
distribution des rendements spécifiques de l’entreprise (Habib et al., 2017). Dans
le cadre de la théorie de l’agence, de nombreux auteurs associent le risque de
chute du cours de l’action (désormais RCA) au comportement opportuniste du
dirigeant. Pour des raisons liées à sa carrière et aux contrats de rémunération,
le dirigeant est en effet incité à retarder sur une période plus ou moins longue la
publication des mauvaises nouvelles. Au-delà d’un certain seuil, l’accumulation
de mauvaises nouvelles révélée au marché conduit à une chute significative
et brutale du cours de l’action (Jin et Myer, 2006 ; Hutton et al., 2009). Selon
Callen et Fang (2013), Kim et Zhang (2015), le RCA dépend de la nature et de
l’intensité des conflits d’agence qui caractérisent une société.

Dans cette étude, nous analysons l’impact du contrôle familial sur le RCA ainsi
que l’effet modérateur de l’indépendance du conseil d’administration sur cet im-
pact. Deux raisons expliquent l’intérêt porté au contrôle familial. Premièrement,
les sociétés contrôlées par des familles (appelées désormais sociétés familiales)
occupent une place importante dans les économies occidentales (La Porta et al.,
1999 ; Faccio et Lang, 2002 ; Labelle et Schatt, 2005). Deuxièmement, la nature
familiale du contrôle influence la nature et l’intensité des conflits d’agence.

Dans les sociétés familiales, les conflits d’agence entre dirigeants et actionnaires
décrits par Berle et Means (1932) et Jensen et Meckling (1976) – appelés conflits
de type 1 – sont considérablement réduits du fait d’un contrôle renforcé du
dirigeant par la famille ou de la convergence des intérêts dirigeant-famille
(voir infra). En revanche, des conflits de type 2 qui opposent la famille et les
minoritaires apparaissent (Shleifer et Vishny, 1986). Ces conflits traduisent la
propension de la famille à s’approprier des bénéfices privés au détriment des
minoritaires (La Porta et al., 1999 ; Burkart et al., 2003 ; Masulis et al., 2011).
Sur la base de cette analyse, nous suggérons que les dirigeants utilisent leur
politique d’information et retardent la publication de mauvaises nouvelles afin
de dissimuler les pratiques opportunistes de la famille, augmentant le RCA.
Nous suggérons un lien positif entre le contrôle familial et le RCA.

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Contrôle familial, conseil d’administration et risque de chute du
cours d’action : le cas des entreprises françaises

Nous focalisons ensuite notre attention sur le conseil d’administration en tant


qu’organe central de la gouvernance d’entreprise. Le conseil est chargé de
protéger les actionnaires en veillant notamment à la qualité de l’information
fournie au marché. Nous suggérons que l’indépendance du conseil modère la
capacité du dirigeant à retarder la diffusion de mauvaises nouvelles, limitant
ainsi le RCA.

Notre échantillon comprend 252 entreprises françaises cotées sur la période


2007-2016. Les résultats permettent de valider les explications du RCA basées
sur les conflits d’agence et le degré d’implication de la famille. Le contrôle fami-
lial, mesuré à partir du pourcentage de droits de vote, n’est significativement
relié au RCA que si le dirigeant fait partie de la famille. L’excès de contrôle
(lorsque les droits de contrôle sont supérieurs aux droits aux flux financiers)
qui traduit l’intensité des conflits de type 2 est relié significativement et po-
sitivement au RCA. Enfin, nous montrons l’effet modérateur de la présence
d’administrateurs indépendants sur la relation contrôle familial-RCA mais
uniquement quand le dirigeant ne fait pas partie de la famille.

Cette étude est la première recherche des déterminants du RCA sur le mar-
ché français. Elle contribue à la littérature antérieure de plusieurs façons.
Premièrement, l’étude contribue à une meilleure connaissance de l’entre-
prise familiale en révélant un aspect encore ignoré de la gestion des sociétés
familiales : un RCA lié à la volonté d’exproprier les minoritaires. Ce faisant,
l’étude confirme l’hétérogéneité de la société familiale ainsi que l’intérêt de
prendre en compte, dans les analyses empiriques, les conflits d’agence de type
2 (Villalonga et Amit, 2006).

La seconde contribution porte sur l’importance et le rôle du réseau familial dans


la gouvernance de l’entreprise. Nos résultats montrent que le réseau familial
permet au dirigeant familial de neutraliser la surveillance des administrateurs
indépendants alors que les réseaux personnels des dirigeants extérieurs à la
famille ne le permettent pas. Outre qu’ils interrogent sur la notion d’indépen-
dance des administrateurs, ces résultats permettent d’enrichir la compréhension
des effets de l’implication d’une famille dans une entreprise.

Nos résultats ont également de nombreuses implications pratiques. Ils peuvent


en effet s’avérer utiles aux investisseurs dans le cadre de leurs décisions d’in-
vestissement, d’une part en les éclairant sur ce type de risque, et d’autre part,
en leur permettant d’identifier le profil des sociétés à RCA important. Ces ré-
sultats peuvent également être utiles aux institutions chargées de réguler la
transparence financière et plus généralement la vie des affaires. Le RCA des
sociétés familiales est en effet le résultat d’un manque de transparence de
l’information dû à une faible protection des actionnaires minoritaires. Le RCA
pouvant entraîner la défiance des petits actionnaires, l’enjeu ultime de cette
transparence est l’allocation des ressources au sein de l’économie. Enfin, nos
résultats suggérent que l’augmentation de l’efficacité du conseil ne passe pas
forcément par une modification de sa composition (notamment, plus d’indé-

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pendants) (Sur et al., 2013). Le renforcement de l’efficacité du conseil pourrait


en revanche emprunter d’autres voies liées par exemple à la responsabilité
des administrateurs.

Après avoir présenté nos hypothèses de recherche (section 2), nous décrivons
la méthodologie, l’échantillon et les différentes variables de l’étude (section 3).
Nous analysons ensuite les résultats des tests empiriques (section 4). La conclu-
sion et les perspectives de recherche futures sont enfin présentées.

1. Revue de la littérature et développement des hypothèses

1.1. Contrôle familial et risque de chute du cours d’action


La compréhension des mécanismes de RCA suscite un intérêt croissant aussi
bien dans la littérature académique (« crash risk littérature ») que dans la pra-
tique. Kim et al. (2011a et b) définissent le RCA comme étant l’apparition de
valeurs extrêmes négatives dans la distribution des rendements spécifiques à
l’entreprise, après ajustement des rendements avec des facteurs communs de
marché (plusieurs mesures du RCA sont proposées dans la littérature, voir infra).

Dans le cadre de la théorie de l’agence, de nombreux auteurs attribuent le RCA


à l’accumulation des mauvaises nouvelles par le dirigeant suivant le modèle de
Jin et Myers (2006). Selon Callen et Fang (2013), Kim et Zhang (2015), le RCA
dépend de la nature et de l’intensité des conflits d’agence qui caractérisent
une société. Notre objectif est d’analyser ce lien dans le contexte particulier
du contrôle familial.

Les sociétés familiales présentent trois spécificités qui les distinguent des autres
entreprises. 1) La société représente souvent l’actif principal (non diversifié)
de la famille. 2) La famille a un horizon de placement à long terme, l’entreprise
représentant un actif à transmettre aux générations futures. 3) La famille est
soucieuse de sa réputation (Cheng, 2014).

Ces spécificités changent fondamentalement les relations d’agence des so-


ciétés familiales et notamment la relation dirigeant-actionnaire de contrôle.
Si la famille est majoritaire, le contrôle des dirigeants est en effet renforcé.
Premièrement, la famille a une meilleure connaissance de l’entreprise et elle
est donc moins manipulable que les actionnaires externes (Anderson et al.,
2003). Deuxièmement, les préoccupations liées à la réputation et son hori-
zon de placement à long terme incitent la famille à une surveillance au plus
près du dirigeant. Dans les sociétés familiales, les conflits de type 1 sont donc
considérablement réduits comparativement aux entreprises non familiales.

Lorsque la famille actionnaire de contrôle nomme un dirigeant de la famille, la


convergence des intérêts entre dirigeants et actionnaires est accrue. La dimen-
sion affective, la relation de confiance entre le dirigeant et sa famille, les valeurs

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cours d’action : le cas des entreprises françaises

communes (familiness), ainsi que la volonté de transmettre l’entreprise aux


générations suivantes contribuent à cette convergence des objectifs (Anderson et
al., 2003). La famille et son dirigeant se trouvent dans une situation d’alignement
des intérêts, sans conflit de type 1 (Charlier et Lambert, 2013). Schulze et al.
(2001) introduisent une nuance dans le sens où le dirigeant pourrait tirer parti
de son appartenance à la famille et imposer ses propres objectifs à sa famille.

Globalement, le conflit de type 1 est donc moins important dans les sociétés
familiales. Il est en revanche remplacé par un conflit de type 2 (entre actionnaires
majoritaires et minoritaires) plus sévère dans les entreprises familiales que
dans les non-familiales (Ali et al., 2007). La famille peut exercer son pouvoir
discrétionnaire au détriment des intérêts des minoritaires en s’appropriant
des bénéfices privés (Masulis et al., 2011). Ces bénéfices privés correspondent
à des transferts de richesse (actif et/ou profit) de la société vers ceux qui la
contrôlent en raison de leur position majoritaire (Johnson et al., 2000). Après
transfert, la famille obtient une part de flux financiers supérieure à celle qu’elle
devrait recevoir si on considère sa seule participation au capital.

Villalonga et Amit (2006) soulignent que la nature familiale du contrôle aug-


mente le risque d’expropriation des minoritaires. Lorsque l’actionnaire de
contrôle est une famille, les bénéfices privés reviennent en effet entièrement
à la famille alors qu’ils sont dilués entre différents bénéficiaires lorsque l’ac-
tionnaire de contrôle est par exemple une institution financière. La Porta et al.
(1999) et Boubaker et Lagebroore (2011) notent ainsi que les familles bénéfi-
cient souvent de droits de vote en excès par rapport à leurs droits au capital.
L’importance de cet écart appelé excès de contrôle4 traduit l’intensité du conflit
de type 2, c’est-à-dire les incitations à exproprier les minoritaires (Claessens
et al., 2002 ; Miller et Le Breton-Miller, 2006). Du point de vue institutionnel,
les conflits de type 2 sont plus sévères dans des contextes où la protection de
l’actionnaire est jugée faible, ce qui est le cas des pays de droit civil comme la
France (La porta et al., 1999).

Sur la base de cette analyse, plusieurs études examinent la qualité de l’infor-


mation ou des résultats publiés par les sociétés familiales. L’idée générale est
que la famille organise l’opacité de ses comptes à travers la gestion du résul-
tat et la politique d’information afin de faciliter et dissimuler ses pratiques
opportunistes d’expropriation des minoritaires. Wang (2006), Fan et Wong
(2002) et Firth et al. (2007) montrent ainsi que le pouvoir informationnel du
résultat est plus faible dans le cadre des entreprises familiales. Haniffa et Cooke
(2002) constatent une association négative entre le pourcentage de contrôle
de la famille et l’étendue des publications volontaires d’informations. De leur
côté, Faccio et al. (2001) et Leuz et al. (2003) montrent que la gestion des ré-
sultats mesurée par la qualité des accruals est plus élevée dans les entreprises

4. Cet excès de contrôle est opéré via les structures pyramidales, les actions à droits de
vote double et les participations croisées (Bebchuk et al., 2000).

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familiales. Machuga et Teitel (2009) révèlent que les sociétés familiales lissent
également davantage leurs résultats.

Au total, ces différents auteurs suggèrent que les sociétés familiales retardent
par différentes tactiques la publication des mauvaises nouvelles afin de dissi-
muler leurs pratiques opportunistes. Conformément à l’analyse de Jin et Myer
(2006) et Hutton et al. (2009), nous suggérons que ces tactiques auraient pour
effet d’augmenter le RCA. Nous formons donc l’hypothèse suivante :

H1 : Le contrôle familial augmente le risque de chute du cours d’action.

1.2. Rôle modérateur de l’indépendance du


conseil d’administration
Le conseil d’administration est un organe central de la gouvernance des entre-
prises dont la mission est de protéger les intérêts de la société et des action-
naires. À cet effet, le conseil doit veiller à ce que les investisseurs reçoivent
une information pertinente sur la stratégie, le modèle de développement et les
perspectives à long terme de l’entreprise. Pour améliorer l’efficacité du conseil,
Fama (1980), Jensen (1993) et Adams et Ferreira (2007) préconisent la pré-
sence d’administrateurs externes indépendants. Le rôle des administrateurs
indépendants a pris son essor en France dès 1995 et 1999 avec les rapports
Viénnot I et II. Depuis, l’indépendance du conseil a fait l’objet d’une loi5 et de
recommandations du code de gouvernement d’entreprise AFEP-MEDEF6.

Un administrateur est indépendant lorsqu’il n’a aucun lien de parenté avec les
dirigeants et aucun intérêt, économique ou autre, avec l’entreprise. Par défini-
tion, un administrateur indépendant n’est pas exposé à une situation de conflit
d’intérêt susceptible de compromettre sa liberté de jugement dans son rôle de
surveillance du dirigeant (Adams et al., 2010). Dans la mesure où ils mettent
en jeu leur réputation, les administrateurs indépendants sont particulièrement
vigilants (Dahya et al., 2008 ; Fama et Jensen, 1983).

De nombreuses études ont mis en lumière l’impact positif des administrateurs


indépendants sur la qualité des informations fournies au marché. Dechow et
al. (1996) et Klein (2002) montrent que la présence d’administrateurs indé-
pendants permet de limiter les fraudes dans les états financiers. Jaggi et al.
(2009) révèlent que les administrateurs indépendants assurent une surveil-
lance plus stricte de la gestion des résultats dans les entreprises familiales.
Beekes et al. (2004) et Dimitropoulos et Asterioua (2010) s’intéressent au
conservatisme comptable, une des dimensions de la qualité de l’information

5. Code du commerce (Article L225-12 à L225-56).


6. Selon l’article 9.2 du code AFEP-MEDEF : « la part des administrateurs indépendants
doit être de la moitié des membres du conseil dans les sociétés au capital dispersé et dépour-
vues d’actionnaires de contrôle. Dans les sociétés contrôlées, la part des administrateurs
indépendants doit être d’au moins un tiers ».

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cours d’action : le cas des entreprises françaises

comptable permettant de réduire les asymétries d’information. Ils montrent


que le conservatisme augmente avec l’indépendance du conseil. Enfin en sug-
gérant que les administrateurs indépendants limitent la manipulation comp-
table et plus généralement le comportement d’accumulation des mauvaises
nouvelles, Andreou et al. (2016) mettent en évidence un lien positif entre
l’indépendance du conseil et le RCA. Ces développements nous conduisent à
former l’hypothèse suivante :

H2 : L’indépendance du conseil d’administration a un effet modérateur négatif


sur la relation entre le contrôle familial et le risque de chute du cours d’action.

2. Méthodologie de la recherche

2.1. Echantillon
Notre population de base comprend l’ensemble des sociétés françaises cotées
appartenant à l’indice CAC All Shares sur la période 2007-2016. Les sociétés
introduites en bourse ou radiées sur la période d’étude ont été exclues ainsi que
celles dont les données nécessaires à l’étude sont manquantes. L’échantillon
final regroupe 252 firmes, soit 2 520 observations. Les données relatives à la
propriété familiale et à l’indépendance du conseil ont été collectées à partir
de rapports annuels. Les données boursières, financières et comptables ont
été puisées dans les bases de données Thomson Onebanker.

2.2. Mesures des variables

2.2.1. Mesures de risque de chute du cours d’action


Nous utilisons deux mesures du RCA basées sur le rendement hebdomadaire
spécifique de l’entreprise. Ce rendement, noté W, est défini comme le logarithme
naturel de 1 plus le résidu ἐij du modèle suivant :

rij = αi + β1i rm(j-2) + β2i rm(j-1) + β3i rmj + β4i rm(j+1) + β5i rm(j+2) + β6i rs(j-2) + β7i rs(j-1)
+ β8i rsj + β9i rs(j+1) + β10i rs(j+2) + ἐij

Soit Wij = ln (1+ἐij) avec, rij le rendement d’action i de la semaine j ; rmj la valeur
de l’indice de marché de la semaine j ; rsj la valeur de l’indice du secteur de la
semaine j.

Conformément à Jin et Myer (2006) et Hutton et al. (2009), la première mesure


(Crash) est une variable binaire qui prend la valeur 1 si l’entreprise a connu
une ou plusieurs chutes du cours d’action et 0 sinon. On désigne par chute du
cours d’action, la baisse du rendement hebdomadaire spécifique de l’entreprise
d’au moins 3,2 d’écart type au-dessous de sa moyenne annuelle. Avec 3,2 choisi
pour générer une fréquence de 0,1 pour cent dans la distribution normale.

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La deuxième mesure est la volatilité asymétrique positive par rapport à la vo-


latilité négative (DUVOL). Pour chaque entreprise, nous séparons les semaines
qui ont connu des rendements hebdomadaires au-dessous de la moyenne an-
nuelle (semaines bas) de celles qui ont connu des rendements hebdomadaires
au-dessus de la moyenne (semaines haut). Puis, nous calculons l’écart-type de
chacun de ces sous-échantillons. La variable DUVOL est le logarithme du rapport
de l’écart-type de rendement de semaines bas sur l’écart-type de rendement
de semaines haut (Jin et Myer, 2006 ; Hutton et al., 2009).

DUVOLit = log {(nh-1) ∑bas w2 ij / (nb-1) ∑hautw2 ij}

nh et nb correspondent respectivement au nombre des semaines haut et bas.

2.2.2. Contrôle familial


La notion de société familiale n’est pas homogène. Afin de rendre compte de
la diversité de situation du contrôle familial et de l’intensité des conflits de
type 2, nous utilisons les 3 variables suivantes :

L’actionnariat familial (vote-fam) : Cette variable mesure le pourcentage de


droits de vote détenu par la famille si la famille détient le plus grand pour-
centage de droits de vote. Elle vaut 0 si la famille n’est pas majoritaire. Cette
variable est utilisée pour identifier le contrôle familial majoritaire (Anderson
et al., 2003 ; Villalonga et Amit, 2006).

L’excès du contrôle de la famille (ex-fam) : Il correspond à la différence entre le


% des droits de vote et le % des droits aux cash-flows de la famille divisée par
le % des droits aux cash-flows de la famille (Masulis et al., 2009). Cet excès de
contrôle est une caractéristique des sociétés familiales maintes fois observée
dans la littérature empirique (Claessens et al., 2002 ; Boubaker et Labegorre,
2011). Il traduit un risque élevé d’expropriation des minoritaires (les droits de
vote étant supérieurs aux droits aux cash-flows) et est utilisée pour mesurer
l’intensité des conflits de type 2.

La présence d’un dirigeant membre de la famille (Dir-fam) : Une variable binaire


(1/0) prend la valeur 1 lorsque la direction de l’entreprise est assurée par un
membre de la famille. L’entreprise contrôlée et dirigée par la famille présente
un conflit d’agence de type 2 élevé. La famille qui détient le plein contrôle
peut en effet facilement concevoir des stratégies servant ses seuls intérêts
(Anderson et al., 2003). Allouche et Amann (2002) soulignent également que
les rapports particuliers du dirigeant familial avec sa famille sont susceptibles
de neutraliser les mécanismes formels classiques de surveillance mis en place
pour réduire les coûts d’agence.

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Contrôle familial, conseil d’administration et risque de chute du
cours d’action : le cas des entreprises françaises

Variables modératrices : l’indépendance du conseil d’administration

Conformément à l’étude de Boubaker et Ladegorre (2011), nous retenons le


pourcentage d'administrateurs indépendants comme mesure de l’indépendance
du conseil d’administration (Indep).

2.2.3. Variables de contrôle


La littérature met en évidence plusieurs variables de contrôle susceptibles
d’influencer le RCA que nous reprenons dans nos modèles.

Crash est une variable binaire qui prend la valeur 1 si l’entreprise a connu
une ou plusieurs chutes du cours d’action au cours de l’année t-1 et 0 sinon.
Nous anticipons un effet positif des chutes précédentes du cours d’action sur
le RCA (Kim et Zhang, 2015).

STD est l’écart-type de rendement boursier. Conformément à Chen et al. (2001),


nous attendons un effet positif de l’écart-type de rendement sur RCA.

RET est le rendement boursier moyen de l’action de l’entreprise. Selon Jin et


Myer (2006), Hutton et al. (2009) et Kim et Zhang (2015), une augmentation du
rendement boursier peut être associée à une bulle boursière. Nous prévoyons
donc un lien positif entre cette variable et le RCA.

Size est le logarithme népérien de l’actif total. Selon Hutton et al. (2009), Chen
et al. (2001) les grandes entreprises sont davantage susceptibles d’attirer l’at-
tention lors de la divulgation de mauvaises nouvelles. Nous anticipons donc
un effet positif de la taille sur le RCA.

ROA est le résultat avant élément extraordinaire sur le total de l’actif.


Conformément à Hutton et al. (2009), nous attendons un effet négatif du ROA
sur le RCA.

MTB est le ratio market to book. Nous prévoyons un effet positif de MTB sur RCA,
un ratio élevé pouvant être associé à une bulle spéculative (Chen et al., 2001).

Opacity est une mesure de la qualité des accruals discrétionnaires évaluée


selon le modèle de Jones (1991). Conformément à Hutton et al. (2009), nous
attendons une relation positive entre la qualité des accruals et le RCA.

2.3. Régressions
Nous utilisons des équations de régressions en données de panel afin de tes-
ter nos hypothèses. Le modèle 1 permet d’analyser l’effet du contrôle fami-
lial sur le RCA ; le modèle 2, le rôle modérateur de l’indépendance du conseil
d’administration.

Crashit = β0 + β1familleit-1 + βn contrôleit-1 + ἐit (modèle 1)

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Crashit = β0 + β1familleit-1 + β2 indépendenceit-1 + β3 famillet-1*indépendanceit-1


+ βncontrôleit-1+ἐit (modèle 2)

Avec : i = 1,…, 252 et t = 1,…………, 10.


β0 : la constante du modèle.
εit : le terme d’erreur.

3. Analyse et discussion des résultats


3.1. Analyse descriptive
Le Tableau 1 présente les différentes variables de notre échantillon. 16,58 %
des entreprises de l’échantillon ont connu une chute du cours d’action (Crash)
chaque année de la période d’étude. Ce pourcentage est comparable au pourcen-
tage trouvé dans le contexte américain 17,2 % (Kim et Zhang, 2015). L’ampleur
de la chute (DUVOL) égale en moyenne – 0,0381. Ce tableau montre également
l’importance de la propriété familiale en France. 48,38 % des entreprises sont des
entreprises contrôlées par un premier actionnaire qui est une famille (Famille).
Les familles propriétaires contrôlent en moyenne 53,36 % de ses entreprises
(Vote-fam). Ces familles possèdent en moyenne plus de droits de vote que
de droits aux cash-flows. L’excès relatif moyen de contrôle est de 19,71 %
(Ex_fam). Les dirigeants membres de la famille dirigent 78 % des entreprises
familiales (Dir-fam 2) et 38 % des entreprises de l’échantillon (Dir-fam 1). En
ce qui concerne les variables modératrices, nous observons que la proportion
moyenne d’administrateurs indépendants est de 40,63 % et varie de 0 à 100 %.

Le Tableau 2 présente la matrice des corrélations de Pearson entre les variables


explicatives. Les coefficients de corrélation sont tous inférieurs à 0,8 (le coef-
ficient le plus élevé est égal à 0,484), ce qui permet d’écarter tout problème
particulier de multicolinéarité (Gujarati et Porter, 2004). Ce constat est validé
par les facteurs d’inflation de la variance ou VIF, tous largement inférieurs au
seuil de 10 (Neter et al., 1989).

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Tableau 1 – Statistiques descriptives des variables


Ecart-
Variables Obs Moyennes Min. Max.
types

DUVOL 2520 – 0,0381 0,4403 – 2,1468 2,2250

Vote_fam 1219 53,3697 22,9990 11,2000 99,3600

Ex_fam 1219 0,1971 0,1773 – 0,4156 0,8667

Indep 2520 40,6305 22,9825 0 100

STD 2520 0,0441 0,0255 – 0,0444 0,4505

RET 2520 – 0,0001 0,0065 – 0,0399 0,0359

Size 2520 13,6094 2,7207 3,5192 21,4546

ROA 2520 0, 0346 8,5889 – 0,8634 1,7975

MTB 2520 2,3843 4,2120 – 26,8200 66,3614

Opacity 2520 0,0518 0,151 0 0,8571

Intervalles de
Variables Proportion Ecart-types
confiance

0 0,8341 0,8191 0,8482


Crash 2520 0,0074
1 0,1658 0,1518 0,1809

0 0,5162 0,52049 0,5595


Famille 2520 0,0099
1 0,4838 0,44044 0,4795

0 0,6202 0,6011 0,6390


Dir-fam 1 2520 0,0096
1 0,3797 0,3609 0,3989

0 0,2231 0,2006 0,2474


Dir-fam 2 1219 0,0119
1 0,7768 0,7526 0,7994

Ce tableau présente les statistiques descriptives de nos variables pour un échantillon de


252 entreprises. Les variables sont décrites dans la section 3.2.

119
120

tifs aux seuils respectifs de 1 %, 5 % et 10 %.


Les variables sont décrites dans la section 3.2. ***, **, * indiquent que les tests sont signif ica-

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Tableau 2 – Matrice de corrélations de Pearson
Crash DUVOL Vote-fam Ex-fam Dir_fam Indep STD RET Size ROA MTB Opacity
Crash 1
DUVOL 0,436*** 1
Vote_fam – 0,001 -0,06*** 1
Ex_fam 0,016 0,07*** 0,484*** 1
Dir_fam 0,188*** 0,317*** 0,343*** 0,253*** 1
Indep – 0,043** – 0,035* – 0,036* – 0,09*** – 0,044** 1
STD 0,085*** – 0,134*** 0,027 0,016 – 0,019 – 0,020 1
RET – 0,22*** – 0,28*** 0,051*** 0,028 – 0,08*** 0,000 – 0,107*** 1
Size 0,013 0,170*** – 0,252*** – 0,142*** – 0,101*** 0,011 – 0,276*** 0,024 1
ROA – 0,036* – 0,018 0,016 – 0,017 – 0,009 0,019 – 0,004 0,040** – 0,109*** 1
MTB 0,021 0,030 – 0,012 0,015 0,024 0,003 0,023 0,022 – 0,055*** – 0,005 1
Opacity 0,025 0,014 0,0530** 0,0376* 0,0351* – 0,019 – 0,402*** 0,057*** – 0,018 0,017 0,022 1
VIF 2,83 2,43 2,5 1,21 2,33 1,16 1,04 2,36 1,09 1,03
Contrôle familial, conseil d’administration et risque de chute du
cours d’action : le cas des entreprises françaises

3.2. Analyse multivariée


Pour tester nos hypothèses, nous avons utilisé une régression par la méthode
de moindres carrés généralisés (MCG) sur les données de panel lorsque la
variable dépendante est DUVOL. Lorsque la variable dépendante est binaire
(Crash), nous avons appliqué une régression par la méthode Probit sur les
données de panel avec une option de correction de l’hétéroscédasticité et de
l’auto-corrélation des résidus.

3.2.1. Contrôle familial et RCA


Le Tableau 3 présente les résultats des tests analysant la relation entre le
contrôle familial et le RCA (H1). La première mesure (pourcentage des droits
de vote détenu par la famille premier actionnaire) n’a pas d’effet significatif
sur le RCA. Lorsque la famille est actionnaire majoritaire (1er actionnaire), les
fonctions de contrôle et de direction sont réunies, ce qui limite fortement les
conflits de type 1. Cette convergence d’intérêts entre les dirigeants et la famille
limite l’opportunisme du dirigeant concernant sa politique d’information et
donc le RCA.

Cette première mesure (% des droits de vote) ne permet cependant pas d’ap-
préhender l’ensemble des conflits d’agence au sein de la société familiale. L’une
des caractéristiques des sociétés familiales est en effet l’excès de contrôle de la
famille (Boubaker et Labegorre, 2011). Dans la littérature, cet excès de contrôle
constitue un indicateur de l’intensité des conflits d’agence de type 2 c’est-à-dire
la volonté de la famille de s’approprier des bénéfices privés (par définition
non partagés avec les minoritaires). Dans notre étude, cet écart relatif moyen
atteint 19,71 %. Les résultats montrent que l’excès du contrôle est associé
positivement et significativement au RCA. Ils mettent en lumière la capacité
des sociétés familiales à capter une partie des flux à leur avantage et donc
confirment la prédominance des conflits de type 2.

La troisième mesure concerne l’identité du dirigeant. Lorsque la direction


de l’entreprise est assurée par un membre de la famille fondatrice, l’utilité
de l’actionnaire et celle du dirigeant sont parfaitement alignées (Jensen et
Meckling, 1976). Un dirigeant membre de la famille représente un levier d’action
supplémentaire pour l’entreprise désireuse de capter des bénéfices privés au
détriment des minoritaires. La nomination d’un dirigeant membre de la famille
est donc susceptible d’augmenter les conflits de type 2 (Burkart et al., 2003)
et donc impacter le RCA. Nous trouvons un effet positif et significatif au seuil
de 1 % de la présence d’un dirigeant membre de la famille propriétaire sur le
RCA. Ce résultat rejoint les conclusions d’Arrègle et Mari (2010) selon lesquels,
l’effet du contrôle familial dépend du degré d’implication des membres de la
famille dans l’entreprise.

Dans l’ensemble, ces résultats mettent en lumière deux facteurs déterminants


du RCA dans le cadre du contrôle familial : l’excès de contrôle et l’implication

121
N°119 - Octobre 2020

de la famille dans le management. Ils tendent à démontrer à la lueur de la


théorie de l’agence une spécificité de la gouvernance familiale : une incitation
sur la base des conflits de type 2 à accumuler les mauvaises nouvelles au prix
d’une augmentation du RCA. Autrement dit, les actionnaires familiaux sont
prêts à assumer le risque d’une chute spécifique du cours de leurs actions
afin de mieux dissimuler l’expropriation des minoritaires. Ce comportement
particulier peut être expliqué de deux manières. Premièrement, en raison de sa
position, la famille dispose de plus d’informations sur la marche de l’entreprise
que les minoritaires. Elle n’est donc pas pénalisée par le manque de transpa-
rence (dont elle est à l’origine). Deuxièmement, l’objectif de transmission de
l’entreprise à la génération suivante suppose une détention à long terme des
blocs de contrôle. La famille peut ainsi préférer des bénéfices privés à une
stricte protection du cours de bourse à court terme. Finalement, nos résultats
vont dans le sens de Le Breton- Miller et al. (2011) qui considèrent que « trop
de famille » peut être dangereux. Le comportement opportuniste de la famille
augmente avec son implication dans la gestion. Nous avons pu en vérifier un
aspect dans cette étude.

Concernant les variables de contrôle, les résultats montrent que les titres les
plus volatils enregistrent davantage de chutes du cours mais d’ampleur ce-
pendant moins élevée. Ce résultat rejoint la conclusion de Chen et al. (2001).
Contrairement aux attentes, nos résultats montrent que le RCA est associé
négativement au rendement des titres. Conformément aux résultats de Hutton
et al. (2009), Chen et al. (2001), Kim et al. (2011 a et b), la taille affecte positi-
vement le RCA. Enfin, nous montrons que le RCA augmente avec l’opacité de
l’entreprise, corroborant ainsi les travaux de Jin et Myer (2006) et Hutton et
al. (2009). Ce résultat, particulièrement intéressant, suggère que l’opacité est
une tactique utilisée par les décideurs pour cacher les mauvaises nouvelles.

Tableau 3 – Etude de l’impact du contrôle familial sur le RCA


Crash Duvol
Vote-Famt-1 0,0013 0,0011
(1,15) (0,597)
Ex-Famt-1 0,3308 0,2107
(1,69)* (4,94)***
Dir-Famt-1 0,5960 0,2913
(8,16)*** (25,99)***
Crasht-1 -0,0601 -0,0965 -0,0765 -0,0336 -0,0317 - 0,0205
(-0,62) (-0,65) (-0,78) (-2,08)** (-1,98)** (-1,50)
STDt-1 5,1653 5,1786 6,3409 -2,8771 -2,9135 -2,3969
(3,34)*** (3,35)*** (3,93)*** (-8,36)*** (-8,54)*** (-7,59)***
RETt-1 -59,0999 -59,0786 -47,0537 -23,1193 -23,2385 -19,9849
(-9,50)*** (-9,58)*** (-8,71)*** (-24,00)*** (-24,16)*** (-22,64)***
Sizet-1 0,0329 0,0323 0,0434 0,0229 0,0239 0,0257

122
Contrôle familial, conseil d’administration et risque de chute du
cours d’action : le cas des entreprises françaises

Crash Duvol
(2,45)** (2,45)** (3,12)*** (8,22)*** (9,02)*** (11,03)***
ROAt-1 -0,0047 -0,0046 -0,0051 0,0004 0,0005 0,0005
(-1,18) (-1,16) (-1,29) (0,43) (0,68) (0,61)
MTBt-1 0,0078 0,0075 0,0090 0,0036 0,0037 0,0024
(1,04) (1,00) (1,15) (1,83)* (1,88)* (1,44)
Opacityt-1 0,0066 0,0066 0,0069 -0,0006 -0,0007 -0,0008
(2,57)** (2,56)** (2,63)*** (-1,12) (-1,26) (-1,60)
Constante -1,7800 -1,7865 -2,2350 -0,2635 -0,2907 0,4195
(-7,74)*** (-7,97)*** (-9,27)*** (-5,59)*** (-6,46)*** (10,50)***
R2 adj 0,0585 0,0604 0,0834 0,0932 0,1086 0,1203
Les variables sont décrites dans la section 3.2. ***, **, * indiquent que les tests sont signif ica-
tifs aux seuils respectifs de 1 %, 5 % et 10 %.

3.2.2. Rôle modérateur du conseil d’administration


Le Tableau 4 présente les résultats des tests relatifs au rôle modérateur de
l’indépendance du conseil d’administration (H2). Ce rôle modérateur est testé
sur deux variables d’interaction validées précédemment : excès de contrôle-
indépendance et identité du dirigeant-indépendance.

La variable d’interaction Exc-fam*Indep mesure le rôle modérateur de l’indé-


pendance du conseil sur la relation entre le RCA et l’excès du contrôle familial.
Les coefficients sont négatifs et significatifs pour les deux mesures du RCA. Ces
résultats signifient que la présence des administrateurs indépendants inverse
le sens de la relation excès de contrôle-RCA. Ils nous permettent de corroborer
H2 et mettent en lumière l’efficacité des administrateurs indépendants en cas
d’excès de contrôle, c’est-à-dire leur capacité à résoudre les conflits d’intérêt
opposant la famille et les minoritaires. En limitant la capacité de la famille à
dissimuler les mauvaises nouvelles, ces administrateurs contribuent ainsi à
limiter le RCA.

La variable d’interaction Dir_fam*Indep mesure le rôle modérateur de l’indépen-


dance des administrateurs sur la relation dirigeant membre de la famille-RCA.
Le coefficient est non significatif. Ce résultat suggère que lorsque le dirigeant est
un membre de la famille, les administrateurs indépendants n’influencent pas le
RCA. L’une des explications possibles est que les relations sociales du dirigeant
au sein du conseil d’administration neutralisent le contrôle des administrateurs
indépendants (Vanappelghem et al., 2017). L’activation de nombreux réseaux
sociaux – famille, quasi-famille et autres partenaires de densité variable selon
Allouche et Amnan (2002) – est en effet l’un des traits marquant et structurant
la position de l’actionnaire dirigeant de la société familiale. Elle lui permet de
s’affranchir, à travers un conseil-ami (passive ou friendly-board selon Adams
et Fereira (2007)), de la « tutelle » des autres administrateurs. Ce constat in-
terroge sur le caractère indépendant des administrateurs et pointe la possible

123
N°119 - Octobre 2020

endogamie de certains conseils (lorsque par exemple des employés dévoués


à la famille font partie du conseil (Sur et al.,2013)).

Tableau 4 – Etude de rôle modérateur de l’indépendance


du conseil d’administration
Crash Duvol
Ex-Famt-1 1,7938 0,5910
(4,68)*** (7,81)***
Ex-Famt-1* Indept-1 – 4,4135 – 0,9608
(– 4,56)*** (– 6,15)***
Dir-Famt-1 0,6181 0,3369
(4,42)*** (14,98)***
Dir-Famt-1* Indept-1 – 0,0541 – 0,1151
(– 0,18) (– 2,48)**
Indept-1 0,0393 – 0,0219 – 0,0083 – 0,0202
(0,25) (– 1,07) (– 0,30) (– 0,73)
Crasht-1 – 0,0786 – 0,0746 – 0,0289 – 0,0212
(– 0,81) (– 0,76) (– 1,81)* (– 1,55)
STDt-1 5,0822 6,3498 – 3,0072 – 2,4203
(3,22)*** (3,91)*** (– 8,86)*** (– 7,72)***
RETt-1 – 50,7008 – 47,0703 – 22,8877 – 19,9895
(– 9,48)*** (– 8,70)*** (– 24,05)*** (– 22,63)***
Sizet-1 0,0354 0,0441 0,0238 0,0255
(2,54)** (3,14)*** (9,01)*** (11,03)***
ROAt-1 – 0,0046 – 0,0053 0,0005 0,0004
(– 1,17) (– 1,32) (0,63) (0,59)
MTBt-1 0,0065 0,0092 0,0038 0,0028
(0,86) (1,17) (1,93)* (1,62)
Opacityt-1 0,0066 0,0069 – 0,0007 – 0,0008
(2,48)** (2,60)*** (– 1,27) (– 1,60)
Constante – 1,8161 – 2,1592 – 0,2816 0,4761
(– 7,21)*** (– 8,45)*** (– 6,19)*** (0,35)
R2 adj 0,0783 0,1050 0,1136 0,1081
Les variables sont décrites dans la section 3.2. ***, **, * indiquent que les tests sont
signif icatifs aux seuils respectifs de 1 %, 5 % et 10 %.

Conclusion

L’objectif de notre étude était d’analyser l’effet du contrôle familial sur le RCA.
Afin de rendre compte de la diversité des situations de contrôle, nous avons testé
trois mesures du contrôle familial : l’actionnariat familial, l’excès de contrôle
de la famille et l’identité du dirigeant.

124
Contrôle familial, conseil d’administration et risque de chute du
cours d’action : le cas des entreprises françaises

Nous montrons que l’excès de contrôle familial et la présence d’un dirigeant


membre de la famille impactent positivement le risque de chute du cours d’ac-
tion. Conformément à nos attentes, la propension à exproprier les minoritaires
amène la famille à dissimuler les mauvaises nouvelles, augmentant le RCA.
Nous montrons ensuite que la présence des administrateurs indépendants
modère l’effet de l’excès de contrôle familial sur le RCA. Ces résultats montrent
l’efficacité des administrateurs indépendants dans la résolution des conflits
d’intérêt opposant la famille et les minoritaires. Cependant, cette efficacité
disparaît lorsque la direction est assurée par un membre de la famille.

Dans l’ensemble, nos résultats soutiennent l’explication d’agence du RCA relative


aux conflits d’agence entre la famille et les minoritaires. À notre connaissance,
elle est la première étude analysant l’effet de la structure de l’actionnariat sur
le RCA en France. L’étude du rôle modérateur de l’indépendance du conseil re-
présente une contribution importante dans la mesure où elle interroge les liens
administrateurs indépendants-dirigeant membre de la famille. Globalement,
ces résultats permettent d’enrichir la compréhension des effets de l’impli-
cation d’une famille dans une entreprise. Ils peuvent être utiles, d’une part,
aux investisseurs dans le cadre de leurs décisions d’investissement, et d’autre
part, aux institutions chargées de réguler la transparence financière et plus
généralement la vie des affaires.

Notre étude présente quelques limites qui ouvrent de nouvelles perspectives


de recherche. Nous nous sommes focalisés sur l’indépendance du conseil mais
d’autres caractéristiques (notamment, la diversité, les relations sociales au sein
du conseil…) pourraient être analysées. Notre recherche se limite au contexte
français qui est caractérisé par une protection faible des investisseurs et il se-
rait pertinent de répliquer l’analyse dans un autre contexte. Enfin, notre étude
n’aborde pas la question complexe des conflits intrafamiliaux qui constitue une
voie de prolongement de nos travaux.

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