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Giannoula Efthalia, Baron Georges-Louis. Pratiques familiales de l’informatique versus pratiques scolaires Représentations de
l’informatique chez les élèves d’une classe de CM2. In: Sciences et techniques éducatives, volume 9 n°3-4, 2002. pp. 437-
456;
doi : https://doi.org/10.3406/stice.2002.1515
https://www.persee.fr/doc/stice_1265-1338_2002_num_9_3_1515
Résumé
Quelles représentations de l’informatique ont les enfants de fin d’école élémentaire ? Quels usages en
font-ils dans un cadre domestique ? Quelles interactions peuvent être observées entre des usages
privés et des usages scolaires ? Ces questions ont servi de base à une étude qualitative dont
l’hypothèse de travail principale était que les relations entretenues par les enfants avec leur ordinateur
dans le cadre familial sont susceptibles d’influer sur leurs attentes par rapport à l’école. Cet article
présente quelques éléments de réponse : si les savoir-faire acquis au domicile peuvent parfois rivaliser
avec les compétences susceptibles d’être acquises à l’école, leur perspective est en revanche limitée
et elles s’avèrent insuffisantes pour assurer une maîtrise de l’usage de l’ informatique, notamment par
manque de conceptualisation dirigée.
Pratiques familiales de l’informatique
Représentations
d’une classe de CM2
de l’informatique chez les élèves
1. Introduction
2. Contexte
Les questions principalement abordées par cette recherche étaient les suivantes :
quelles sont les représentations les plus répandues qu’ont de l’informatique des
enfants de fin d’école primaire en Europe ? Peut-on en identifier différents types et
les catégoriser ? Quelles différences peut-on repérer entre différents contextes
culturels ? Outre l’objectif de production de connaissances, il s’agissait aussi de
progresser dans la spécification de compétences nécessaires aux enseignants pour
faire acquérir à leurs élèves des éléments de connaissances et de savoir-faire sur les
systèmes informatiques, solides et bien adaptés à leur niveau de compréhension.
La dimension interculturelle européenne était favorable à la mise au jour de
contrastes et d’invariants aidant à caractériser les représentations, au-delà des
questions linguistiques et des spécificités régionales, qui ne sont pas toujours faciles
à détecter dans un environnement plus homogène.
Plusieurs études de cas ont été menées dans des classes inscrites dans des
environnements linguistiques et culturels variés de plusieurs pays de l’Europe
communautaire (Danemark, Espagne, France, Grèce, Pays-Bas, Royaume-Uni). Il a
été demandé aux élèves en début et en fin d’année scolaire de dessiner une carte de
concepts représentant à quoi servent les ordinateurs dans le monde d’aujourd’hui et
d’écrire un court texte expliquant à un extraterrestre ce qu’est un ordinateur.
La figure suivante donne un exemple de carte de concept, plutôt en décalage des
représentations convenues, dessinée par un enfant de 9 ans.
Les résultats de cette recherche ont été publiés par ailleurs [BAR 00]. Rappelons
brièvement ici ceux qui sont relatifs aux représentations de l’ordinateur et de ses
usages.
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A la suite des travaux de S. Turkle sur les relations de l’enfant avec les objets
électroniques, nous avons considéré l’ordinateur comme un « objet incitatif », un
partenaire avec lequel l’enfant peut nouer des relations psychologiques l’interpellant
sur sa propre nature [TUR 86, p. 10]. Une étude de l’évolution des différentes
approches théoriques en psychologie nous a permis, par ailleurs, de postuler que
l’enfant construit ses représentations dans une négociation entre d’une part ses
acquis propres à travers les activités qu’il mène, et d’autre part, l’ensemble des
Les enfants et l’informatique en CM2 44 1
représentations médiatisées tantôt par la famille, tantôt par l’école et tantôt par les
médias.
Concernant les relations propres de l’enfant avec les objets techniques, nous
avons suivi les approches de L. Vygotski [VYG 84] et de J. Bruner [BRU 83] qui
nous semblent les plus à même à rendre compte des rapports de l’enfant avec son
environnement. Bruner, dans sa manière d’aborder les processus d’appropriation,
accorde une place importante à la culture dans le modelage des conduites
individuelles. Vygotski, lui, met l’accent sur la construction progressive du
psychisme enfantin et sur la finalité d’autonomisation de l’individu par rapport à son
environnement, qui régit cette construction.
Les relations aussi que A. Léontiev [LEO 76] établit entre sujet et instrument sur
la base de l’action et la relation psychologique que les enfants entretiennent avec ce
que S. Turkle appelle les machines intelligentes [TUR 86, p. 23-55], nous
conduisent à nous intéresser aux comportements individuels des enfants face à
l’ordinateur que nous confronterons, par la suite, aux activités informatiques de
l’école.
Des études sectorielles avaient déjà mis l’accent ou tenté d’explorer ces
hypothèses préalables.
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Une enquête à base de dessins menée par I. Fleury [FLE 93] auprès d’élèves de
9 à 10 ans, faisait déjà état d’idées confuses et incohérentes sur le fonctionnement de
l’ordinateur. Nous préférons, nous, parler d’ambiguïté ou plutôt d’ambivalence qui,
comme nous le verrons plus loin, est liée à la nature même de l’ordinateur : un objet
inanimé et malgré tout doté des fonctions logiques.
La même étude nous enseigne que si l’idée de mémoire permettant de garder les
informations est bien présente chez les enfants, la notion de traitement de
l’information est déjà plus délicate à formuler. Cependant, lorsque les enfants sont
contraints de s’exprimer sur un mode argumentatif pour répondre à la question
« qu’est-ce que tu voudrais faire avec un ordinateur à l’école ? » la fonctionnalité de
l’outil et les logiques d’usage dominent les représentations des enfants [KOM 94].
Les représentations liées à l’action et à la matérialité de l’ordinateur occupent une
place non négligeable dans l’imaginaire des enfants, tandis que l’aspect
informationnel, par nature plus abstrait, demande plus d’effort et un imaginaire plus
développé.
Cette difficulté est présente aussi chez les collégiens où l’on remarque que, bien
que se sentant capables de traiter des textes (opération concrète), ils éprouvent des
difficultés avec les opérations de « gestion de l’immatériel », comme copier des
fichiers entre disquettes. [BAR 96, p. 109].
Nous retrouvons cette difficulté en 1999 à l’occasion des études menées dans le
cadre du projet Représentation. Toutefois, la récente vague multimédia de
l’informatique familiale met en relief deux facteurs que nous avons intégrés dans
notre hypothèse de travail : le croisement des données comparatives entre pays
européens du projet Représentation laisse apparaître que cette difficulté est
dépendante à la fois du niveau d’expérience scolaire et du milieu familial.
Des études en milieu scolaire ont cherché par ailleurs à circonscrire les usages
sociaux de l’informatique chez les jeunes. G.-L. Baron et E. Bruillard notent, en se
fondant sur des enquêtes menées en 1993 dans les collèges, que l’image de
l’informatique chez les jeunes est fortement corrélée à l’accès à un ordinateur et à la
nature des activités qui y ont cours. En l’absence d’un équipement propre, ce sont
les activités scolaires qui servent de repère [BAR 96, p. 114]. A cela s’ajoute une
culture technique populaire qui s’est développée à côté de la culture promue par
l’institution éducative depuis que l’informatique a fait son apparition sur les lieux de
vente de la grande distribution et que la télévision a fait de l’internet un sujet de
prédilection. Déjà en 1993, V. Komis signalait que l’informatique faisait partie des
pratiques quasi quotidiennes des enfants, et que, lorsque ce n’était pas le cas,
l’enfant entendait parler pratiquement partout de l’informatique. Komis constatait
l’existence d’une forme de « culture informatique » , chez les enfants, constituée
d’un « amalgame de connaissances, de croyances, d’opinions et de savoirs sociaux »
[KOM 94, p. 78] provenant de l’environnement le plus proche de l’enfant (famille,
amis, quartier, télévision) plutôt que d’un enseignement structuré. On peut
également songer à l’impact d’une contre-culture issue de la mythologie des hackers
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[BRE 90], facilement observable chez les plus grands dans la cour et dans les abords
des écoles.
Quatre ans plus tard, les auteurs de l’enquête « Les jeunes et l’écran » insistent
aussi sur l’importance de cet environnement familial dans la représentation de
l’ordinateur et dans la nature des activités pratiquées ; cette fois, en mettant l’accent
sur la différenciation du milieu familial entre couches privilégiées et couches
défavorisées. Dans le premier cas, les pères, eux-mêmes utilisateurs, joueraient le
rôle de prescripteurs et d’initiateurs en transférant à leur enfant des compétences
souvent acquises sur leur lieu de travail, tandis que, dans le second cas, quelque soit
le taux d’équipement, les enfants ne pourront jamais espérer compter sur
l’accompagnement de leurs parents [JOU 99, p. 40-41].
2.5. Méthodologie
Nous avons choisi une classe d’une école située dans une banlieue parisienne
plutôt favorisée où nous avions eu l’occasion d’observer les productions des élèves
(dessins, textes, cartes conceptuelles) dans le cadre du projet Représentation
[GIA 00]. Dans leur salle de classe habituelle, les élèves disposaient en permanence
de trois Macintosh Performa, d’un PC 486, d’un Macintosh PPC, d’une imprimante
et d’une tablette graphique. Un intégré et un logiciel de traitement de texte, ainsi que
le nécessaire pour la navigation sur internet et la création de pages web équipaient
les ordinateurs. Différents cédéroms servaient à la recherche documentaire.
3. Résultats
Est-ce le fait que nous avions déjà rencontré ces enfants dans un cadre scolaire
mais toujours est-il que, quand, maintenant chez eux, nous leur demandons à quoi
leur sert l’ordinateur, la première réponse qui leur vient à l’esprit avant même le jeu,
ce sont les utilités scolaires : « ça me sert à travailler » , « ça me sert à faire des
recherches » , « quand j’ai un devoir à faire, je peux me servir du logiciel de
traitement de texte » , « taper des textes pour l’école ».
Ces réponses vont changer lorsqu’il s’agira de nous montrer sur l’ordinateur leur
activité préférée. Certes, ils pensent bien que l’ordinateur sert « à plein de choses » ,
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« à faire plusieurs activités » , mais chez les utilisateurs les plus assidus de notre
groupe (Lola, Louise) on obtient des citations spontanées d’activités qui ne sont pas
dominées par l’usage scolaire, notamment dessiner.
Pour le reste, "zappant" entre les logiciels, les enfants doivent, comme les
adultes, s’approprier des procédures et gérer les "bugs" à répétition de "leur"
ordinateur (3.1.1). La maîtrise de logiciels particuliers prend alors le pas sur la
compréhension du fonctionnement de l’ordinateur (3.1.2) et contribue à la
représentation d’un ordinateur tantôt infaillible tantôt malicieux qui, s’il incite les
enfants à le dépasser, n’offre pas grande perspective aux activités qu’il initie (3.1.3).
2. Par phase on entendra ici l’état des rapports de l’enfant avec l’ordinateur tels qu’ils se
manifestent dans un contexte donné.
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de créer des documents en gérant les aléas courants. L’enfant prend ici des
initiatives ; il ne s’agit plus de jouer avec les possibles mais de se représenter
comme auteur d’un projet et de se fixer des buts qu’il cherchera à atteindre. Les
enfants mettent, ici, moins en compétition les activités « manuelles » et celles
réalisées à l’aide de l’ordinateur. Ils estiment même que ce sont des activités
différentes, à l’image de Lola qui à la question de savoir si elle préfère dessiner à la
main ou à l’ordinateur, elle répond que « c’est difficile à dire parce que c’est pas la
même chose du tout ». Il est intéressant de noter que bien que l’activité « dessiner »
fasse partie des activités favorites de cette tranche d’âge, les logiciels de dessin
apparaissent comme les plus difficiles à maîtriser.
Ce qui est certain à l’étude de nos six enfants c’est que tous les cas de figure sont
possibles. Le plus souvent les trois phases sont simultanément présentes à des
degrés différents, en fonction des environnements logiciels pratiqués. L’observation
des phases permet de détecter les capacités de progression3 de l’enfant
indépendamment du degré de maîtrise apparente.
Prenons par exemple le cas de Bastien. Au démarrage de l’ordinateur, il est en
mesure de citer le nom du logiciel qui effectue le balayage du disque ; de même, il
cite facilement plusieurs autres logiciels professionnels dont il connaît le domaine
d’application. A l’aise aussi avec l’environnement Windows, il sait où aller chercher
les programmes et faire les principales opérations sur les fichiers.
Ses expériences restent cependant éparpillées mais, associées en procédures plus
ou moins cohérentes, lui donnant un sentiment de supériorité et de maîtrise (toute
relative) de la machine. Quand nous lui demandons de nous raconter ce qu’il fait
lorsqu’il rencontre des problèmes ou des difficultés avec l’ordinateur, il associe
aussitôt problème à bug : « quand il y a un bug, je l’éteins comme ça, et puis je le
rallume ». Mais, Bastien n’a « jamais essayé » de refuser la vérification des fichiers
au redémarrage. A la première difficulté il n’hésite pas à zapper vers un autre
logiciel et si à la maison il se montre un peu plus perspicace, « à l’école, si je
n’arrive pas je laisse tomber ». En somme, c’est un enfant qui, tout en donnant
l’impression d’une certaine familiarité devant l’ordinateur, se trouve pleinement
dans la phase procédurale sans aucune trace de deux autres phases.
Que ce soit sur le plan logiciel ou sur le plan matériel, il faut que toute une série
d’actions se déroule dans l’ordre. Le respect de l’ordre est capital aux yeux des
enfants. Il leur permet de distinguer les différents éléments de l’ordinateur et leurs
fonctions comme nous pouvons le constater dans les propos de Lola (bien que nous
la situions plutôt à la troisième phase) : « Ca, c’est le bouton pour démarrer, ça, c’est
pour éteindre, ça, c’est pour les disquettes, ça, c’est quand tu écoutes de la musique,
3. Par capacités de progression on entend non pas les capacités innées ou potentielles de
l’enfant mais celles se présentant en fonction d’un environnement donné dans lequel l’enfant
est inséré. On pouvait rapprocher cette situation à la définition de la zone proximale du
développement de Vygotski.
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ça, c’est pour démarrer tous les programmes, c’est-à-dire, tous les jeux, en fait, tous
ces logiciels, ça, c’est pour arrêter l’ordinateur, ça, c’est quand tu as enregistré le
dossier et tu sais pas où il est, tu fais rechercher, tu tapes le nom, chercher le
fichier ».
Pour Lola, que nous situerons dans la troisième phase, il n’est plus question de
comparer activités manuelles et activités sur ordinateur. Contrairement à l’aisance
de Bastien (première phase), chez Lola c’est plutôt la perspicacité qui la caractérise ;
même si, comme nous l’avons vu, elle est en mesure de décrire par le détail les
différents éléments apparents de l’ordinateur, elle estime ne pas être « super à
l’aise » avec les logiciels mais «j’essaie d’enlever ça, j’essaie de trouver la même
couleur. . .moi, j’arrive aidée un peu, mais j’arrive quand même ». Cette perspicacité
est en fait une forme d’exigence par rapport à l’ordinateur qui autorise Lola à être
parfois critique envers lui lorsqu’elle se trouve confrontée à ses limites : « avec
l’ordinateur on fait toujours les mêmes leçons et donc, si on comprend pas comment
il explique, on peut pas... il faudrait qu’on approfondisse ses explications ».
L’enfant ayant élaboré les schèmes opératoires ne voit plus l’ordinateur comme
une machine mystérieuse. Il a intégré que c’est un outil qui peut l’aider à la
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Guillaume : « Y a des fois qu’il se plante, je sais pas comment l’expliquer [...],
c’est pas moi qui fait tout le boulot, c’est l’ordinateur, c’est l’unité centrale, c’est
tout ».
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C’est surtout dans les jeux que l’ordinateur apparaît doté de fonctions
psychologiques. Bastien s’essaie à une partie de cartes : «J’ai l’impression qu’il
triche un peu, parce que c’est lui qui commande les cartes qu’on va avoir et les
cartes qu’il va avoir ». Quand on joue contre lui, l’ordinateur est prêt à exploiter
toute notre faiblesse, nos erreurs : « je me trompe ; par exemple, je mets pas le bon
jeton à la bonne place et lui n’a plus qu’à mettre un jeton, et puis il gagne »
(Louise).
Mais, il y a des jours où il peut se montrer bien malicieux ! « Un jour je m’étais
absenté, j’avais cliqué sur le bouton droit et puis, je suis revenu, il avait triché ».
Tandis que pour Louise, « il utilise des indices qui ne sont pas pareils que les
miens ».
Pour Ella, l’ordinateur peut nous dispenser d’apprendre des leçons fastidieuses
comme l’orthographe. Apprendre l’orthographe à l’école, « ça sert pour avoir de
bonnes notes » , mais aussi, « quand on sera plus grands [et] qu’on sait l’utiliser » ;
sauf que, « si on a un correcteur orthographique, on est pas obligés de l’apprendre ».
En fait, l’ordinateur est à la fois un confident (les fautes restent secrètes entre lui
et l’enfant) et un complice (il permet de montrer aux autres une version parfaite).
« Si je fais un texte pour l’école », explique toujours Lola, « et que j’ai des fautes,
c’est la maîtresse qui va me le dire ; je préfère que ce soit l’ordinateur qui me le
dise. - Est-ce que la maîtresse est plus sévère ? - Non, mais si c’est un ordinateur
qui me le dit, elle n’aura rien à me dire, elle ».
L’ordinateur « il nous gronde pas, on peut jouer », ce qui n’empêche pas Ella
d’assimiler parfois l’ordinateur à la maîtresse. Comment sait-elle que l’ordinateur a
raison ? C’est une question de confiance et d’autorité : « comment je sais ? c’est
comme la maîtresse, c’est-à-dire, comment on sait qu’elle a raison ? » Enfin, qu’est-
ce qui se passe quand elle donne une mauvaise réponse à l’ordinateur, serait-il
sévère ? Non, « il la corrige, sinon il dit rien ». Et avec la maîtresse ? « à l’oral, elle
nous apprend un peu la faute, mais à l’écrit, comme elle a plein de feuilles à rendre,
tout le monde fait une faute, elle va rien dire ».
C’est un peu comme avec les notes. Ella apprécie l’ordinateur parce qu’il donne
des points et qu’il ne parle pas. Par contre la maîtresse « avec des graves fautes, elle
va dire que c’est pas bien ce qu’on a fait, et puis qu’on peut faire mieux ».
Pour Bastien, les notes servent « à s’améliorer, parce que [comme ça] on sait où
est-ce qu’il faut s’améliorer ». Ainsi, conclut-il que « quand on travaille en
orthographe sur l’ordinateur, ça sert un peu à rien », puisque le traitement de texte
corrige les fautes sans pour autant donner des notes.
Pour Sandrine, le principe de notation est le même entre l’ordinateur et l’école,
ce ne sont que les signes qui changent. Avec l’ordinateur, on gagne « des timbres »
ou « des étoiles », à l’école, on se voit attribuer des notes : « ça revient un peu
pareil, si on a une mauvaise note, eh ben, il met pas d’étoile ».
Mais, en fait, si les enfants n’accordent pas tant d’attention à la fonction Aide,
c’est que celle-ci est toujours la même, identique, quel que soit le niveau
d’utilisation. Cette appréciation rejoint le jugement des enfants sur les logiciels
éducatifs, sur les limites desquels ils apparaissent très lucides : « avec l’ordinateur
on fait toujours les mêmes leçons et, donc, si on comprend pas comment il explique,
on peut pas... », pense Lola, avant de poursuivre que « si on a pas compris, il
faudrait qu’on approfondisse les explications qu’il a données ». Cela donne un
avantage à l’école où « quand on n’a pas compris, la maîtresse, elle le réexplique
avec des termes plus simples ».
Même Guillaume, qui trouve que ce serait très bien si on pouvait tout apprendre
à la maison et ne plus aller à l’école, apprécie que « quand la maîtresse, des fois, elle
voit qu’on peut pas, elle nous aide, elle donne des indices ».
De la même façon pour Sandrine qui trouve que les personnages de ces logiciels
éducatifs « ils expliquent bien, sont gentils, ils nous aident », il n’est pas question de
supprimer l’école parce que « c’est mieux expliqué, il y a la maîtresse, alors on peut
lui dire, si on a pas compris, qu’elle nous explique ; tandis que sur l’ordinateur on
peut pas ». Même si la fonction Aide prend des allures d’un tuteur, il y a absence
remarquable de dialogue : « on peut pas dire si on sait ou pas, il peut pas nous
expliquer une deuxième fois, enfin, il peut, mais c’est pas pareil, c’est moins bien
expliqué ».
4. Discussion et perspectives
Les phénomènes de frustration, mais aussi de jalousie, sont par ailleurs relevés
dans les témoignages des enfants. On pourrait dire que l’ordinateur agit comme un
révélateur de conflits latents, en tout cas, comme un miroir des relations en classe.
Le rôle de l’enseignant est surtout mis en relief lorsqu’on interroge les enfants
sur la qualité de leur communication avec l’ordinateur. Ils pointent volontiers
l’absence de véritable communication et les limites de la fonction Aide des logiciels,
surtout lorsqu’ils se trouvent devant une difficulté qui nécessite des explications
supplémentaires. L’écoute, la patience et l’explication sont des qualités qui
apparaissent comme irremplaçables.
Si, quand on leur parle d’apprentissage en général, les enfants laisseraient croire
qu’on peut apprendre aussi bien à la maison, à l’aide d’un ordinateur, qu’à l’école,
quand, par contre, on les amène à s’exprimer sur les différences pratiques entre un
apprentissage par ordinateur et l’apprentissage avec l’enseignant, les réponses
tournent à l’avantage de l’enseignant.
Concernant les compétences que les enfants acquièrent à travers l’usage de
l’ordinateur familial, plusieurs éléments nous permettent de dire que non seulement,
elles sont limitées mais aussi qu’elles atteignent, au bout d’un moment, un niveau
plafond. La maîtrise qu’ils font valoir est avant tout une familiarité avec certains
logiciels, à côté de laquelle, il y a une ignorance complète du matériel et des
processus de traitement de l’information. A l’égard même des logiciels, ce qui
retient leur attention ce sont les procédures de mise en œuvre et d’exécution de
tâches plutôt que les fonctions sollicitées. Ce qui fait qu’en cas de problème, la seule
issue est la répétition à l’identique de la procédure ou l’abandon au profit d’un autre
logiciel.
Il n’est pas étonnant alors que l’on observe une pratique de zapping entre
plusieurs logiciels, avant que l’enfant ne se laisse absorber par l’un d’entre eux. Cet
élément est à mettre en rapport avec une difficulté de choix et avec un certain ennui
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