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ORIGINE
DU CHEMIN DE CROIX
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Les fidèles chrétiens pratiquent depuis
des siècles un exercice pieux qui leur
permet de retracer les différentes
stations de souffrance de Jésus : ils le
nomment chemin de croix. C’est un
acte dévotionnel ou communautaire
pour revivre les événements de la
Passion du Christ, une pratique
fréquente pendant le Carême et surtout
le vendredi saint. Le catholique, en vivant les quatorze moments particuliers,
les quatorze stations, jusqu’à la croix, pense aux souffrances du Christ, réfléchit
à la signification des événements qui ont précédé et accompagné la mort du
Sauveur des hommes.
I- Un souvenir marquant…
Le chemin de croix trouve son origine dans la foi des premiers chrétiens. Il apparait
dans la liturgie du Vendredi saint des chrétiens de Jérusalem. Après la mort au
Calvaire du Christ dans la période de la Pâque juive, les chrétiens et adeptes du
Christ qui avaient suivi l’évènement de la crucifixion avaient été marqués par les
souffrances du Christ. Très tôt donc, aux Ier et IIe siècles (on ne parlait pas encore
du temps de carême), à l’approche de la Paque juive, certains chrétiens
nostalgiques des évènements de la passion revenaient à Jérusalem pour essayer de
retracer avec foi l’itinéraire du portement de la croix. On nomma cette pratique
« via dolorosa » ou chemin douloureux marquant la souffrance rédemptrice du
Christ pour le genre humain.
Les chrétiens présents dans le volet oriental de l’empire romain donnèrent du
crédit à cette pratique et se
joignirent aux chrétiens
jérusalémites pour
marquer d’un pas solennel
les stations de Jésus dans
la via dolorosa. Le temps de
carême n’étant pas encore
pratiqué, ces premiers
chrétiens avaient à cœur
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de mettre leurs pas dans les pas de souffrance de Jésus. Les stations n’étant pas
encore définies, ils suivaient simplement la route qui mena leur Maitre et Seigneur
à Golgotha. Ce chemin douloureux (via dolorosa), ils l’entrevoyaient comme via
salutis (chemin de salut) et le reprenaient avec foi et ferveur spirituelle. La nouvelle
de cette pratique se répandit comme une trainée de poudre et tous les chrétiens
désiraient faire cet exercice pieux. On assista à la naissance de cette dévotion qui
attira du monde. Malheureusement, les chrétiens présents dans le volet occidental
de l’empire romain (non loin de Rome) n’avaient pas cette grâce de pouvoir se
rendre à Jérusalem puisqu’ils étaient dans les turpitudes des persécutions et
avaient donc peur d’être identifiés et démasqués.
En 313, l’édit de Milan1 est promulgué. Aussi nommé « édit de Constantin », l'édit
de Milan paraît en 313 et s'inscrit dans le sillage des édits de tolérance. Promulgué
par les empereurs romains Constantin Ier et Licinius, il proclame la liberté de culte
à toutes les religions et libère la chrétienté des persécutions dont elle subissait
l'outrage. Les chrétiens présents dans le pôle occidental (autour de Rome)
pouvaient dorénavant se diriger vers Jérusalem pour vivre aussi la via dolorosa.
Ainsi naquirent les pèlerinages.
En sortant des persécutions, les chrétiens comprirent
qu’il leur fallait pratiquer avec grâce leur religion.
Tandis que dans l’empire romain, le christianisme
prenait un bon essor, certains chrétiens nantis virent
dans les pèlerinages en terre sainte (Jérusalem) un
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En décrétant le droit de chacun « d'adorer à sa manière la divinité qui se trouve dans le ciel »,
l'édit de Milan met un terme à des décennies de tyrannie anti-chrétienne. Auparavant persuadés
que les maux dont ils souffraient provenaient d'un culte païen (la superstitio des chrétiens), les
Romains pourchassaient les croyants et les condamnaient aux châtiments les plus terribles dans
l'espoir d'apaiser la colère des dieux. Nombre de chrétiens périssaient ainsi dans les jeux du
cirque, sous les yeux d'une foule en liesse. L'édit de Milan abolit ces persécutions systématiques
et octroie aux habitants de l'Empire romain la liberté de pratiquer la religion de leur choix. Si
l'édit de Milan reconnaît l'existence et l'exercice public de la religion chrétienne, il appelle
également à la restitution immédiate des biens chrétiens confisqués et autorise les propagateurs
de la foi à se doter de lieux de culte physiques (que l'on appellerait aujourd'hui « églises »). Ainsi
délivrés du fardeau d'être parias, les chrétiens jouissent de nouvelles libertés et étendent leur
influence jusqu'aux confins de l'Empire romain. En 380, 67 ans après l'édit de Milan, la religion
chrétienne pourtant si décriée en début de siècle devient la religion officielle de l'Empire romain.
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moyen efficace d’affirmer leur foi au Christ mort et ressuscité. Le désir de faire
un pèlerinage dans ces terres où le Christ vit le jour, trottinait en plusieurs
chrétiens libérés du joug des persécutions. Nous sommes au IVe siècle, donc bien
avant les croisades. Depuis la paix de Constantin en 313, les pèlerins affluent à
Jérusalem chaque année à Pâques pour parcourir la Via Dolorosa.
« On va vers la ville à pied en chantant des hymnes », relate en 380 Egérie2, une
noble femme venue de Galice, en Espagne, faire le pèlerinage à Jérusalem. Elle
fait partie des nombreux pèlerins, « grands et petits, riches et pauvres », qui font
le voyage d’Occident pour prier et lire les évangiles sur les lieux de la Passion du
Christ, durant le temps pascal. Nombre de chrétiens veulent se trouver à
Jérusalem pour revivre l’événement et s’identifier à Jésus.
Le témoignage d’Egérie3 (ou Ethérie), le plus ancien à ce jour, rapporte le
déroulement d’une procession qui se déplace d’une église à l’autre, du Jardin des
Oliviers jusqu’au Saint Sépulcre. Le trajet est plus ou moins long et les étapes
varient selon que les pèlerins mettent l’accent sur tel ou tel épisode des évangiles.
Selon le récit de la pèlerine espagnole, le
Jeudi saint de l’an 380, des chrétiens
rassemblés autour de l’évêque de Gethsémani
prient toute la nuit, pour traverser, au petit
matin, « toute la ville jusqu’à la croix ». Avec
le témoignage d’Egérie, on constate que les
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Égérie est le témoin de cette pratique : « On lit d’abord, dans les Psaumes, tous les passages où
il est évoqué la Passion ; on lit ensuite, dans les écrits des Apôtres, soit dans les épîtres, soit dans
les Actes, tous les passages où ils ont parlé de la Passion du Seigneur, et on lit aussi dans les
Évangiles les récits de la Passion… On ne cesse de faire des lectures et de dire des hymnes pour
bien montrer à tout le monde que rien ne s’est produit qui n’ait été annoncé auparavant et que
rien n’a été annoncé qui ne se soit entièrement accompli. » Cf. SAVON, H., « Égérie, Journal de
voyage (Itinéraire) », Introduction, texte critique, traduction, notes, index et cartes par Maraval
(Pierre) in Revue belge de philologie et d'histoire, tome 65, fasc. 1, 1987.
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Égérie, une grande dame venue d'Occident, s'est rendue à Jérusalem en 381 ; pendant trois ans,
elle a visité tous les lieux saints du Proche-Orient chrétien, non seulement en Palestine, mais
aussi en Égypte, dans le Sinaï, en Transjordanie, en Syrie. De Constantinople, où elle faisait
étape après son périple, elle écrit à des correspondantes d'Occident le récit de son voyage,
décrivant tous les lieux saints qu'elle a visités et, de manière particulièrement détaillée, la liturgie
qu'elle a vu célébrer dans les sanctuaires de Jérusalem. C'est un des rarissimes écrits que
l'Antiquité nous ait laissé d'une femme. Un récit savoureux, qui révèle une personnalité, une
mine de renseignements sur les débuts du pèlerinage chrétien au Proche-Orient, un témoin
important du latin parlé au IVe siècle. EGERIE, journal de voyage, collection sources chrétiennes,
numéro 296, mars 2002.
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chrétiens prennent d’assaut la terre sainte pour se sanctifier et marcher dans les
pas du Christ-souffrant.
Nous constatons que, dès son entame, la via dolorosa constituait une dévotion
particulière en dehors de la période de Carême qui, elle-même, naquit au IVe siècle
et évolua progressivement. C’est plus tard que les chrétiens, dans le bas moyen-
Age, verront l’utilité de rapprocher la via dolorosa à la sainte quarantaine de
carême puisqu’elle exprime ( la via dolorosa) une pénitence qui rime bien avec
l’esprit du carême.
Par ailleurs, dès le VIIe siècle, Jérusalem occupe aussi une place importante dans
la géographie sacrée de l’islam. Dans la droite ligne de l’injonction de la Sourate
5, verset 21 (« Ô mon peuple ! Entrez dans la Terre Sainte que Dieu vous a destinée
»), Jérusalem fut conquise entre 636 et 638. Les VIIe siècle et VIIIe siècles, avec
leur vent islamique, vinrent donc mettre un frein au pèlerinage des chrétiens en
terre sainte. Les croisades chrétiennes avaient pour but de reprendre Jérusalem aux
mains des musulmans.