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Maera Chebbah

« Négocier dans l'espace carcéral : la relation entre détenus et surveillants en maisons


d'arrêt » Fatima El Magrouti

Introduction

"Négocier dans l'espace carcéral : la relation entre détenus et surveillants en maisons d'arrêt"
est un article rédigé par Fatima El Magrouti et publié sur Cairn.info le 26/12/2014.

Biographie de l'auteure : Fatima El Magrouti est docteure en sociologie à l'Université des


Sciences et Technologie de Lille 1. Elle exerce également en tant que référente en matière de
laïcité et de citoyenneté et chargée de formation l’ENPJJ.
En qualité de chercheuse, elle travaille sur la gestion de l'espace carcéral et les relations entre
détenus et surveillants, afin de mieux appréhender les conditions de vie en milieu carcéral.

Contexte historique : En 2014, les maisons d’arrêt françaises étaient déjà confrontées à une
surpopulation persistante et à des conditions de détention préoccupantes. Le principe de
l'encellulement individuel, établi depuis 1875, demeurait et demeure bafoué.
En 2017, un rapport de la contrôleuse générale des lieux de privation de liberté a souligné une
détérioration significative des conditions de travail des surveillants pénitentiaires. Cette
dégradation n’est pas sans conséquence sur les relations entretenues avec les détenus et, par
conséquent, sur les négociations menées entre détenus et surveillants.

Contexte académique : Ce texte adopte une approche interactionniste symbolique, fortement


influencée par les travaux d'Anselm Strauss, privilégiant la proximité avec le terrain et la
réalisation d'enquêtes empiriques.

Nature du texte : Cet article est le fruit d'un travail de recherche fondé sur des méthodes
d'investigation telles que des observations, des entretiens et des questionnaires, menés auprès
des détenus et du personnel pénitentiaire dans trois établissements en France.

Thème général abordé : Cet article de Fatima El Magrouti met en avant l'importance cruciale
de la négociation en milieu carcéral, tant pour améliorer les conditions de vie des surveillants
et des détenus que pour garantir un environnement ordonné.

Problématiques : L'auteure s’interroge sur le déroulement des négociations en milieu carcéral,


leur impact sur les relations entre détenus et surveillants, leur nature, les parties impliquées, le
contexte et les méthodes utilisées. Elle se demande si ces négociations émergent de conflits ou
si elles permettent de s'adapter à la vie en prison. Elle cherche à savoir si la négociation peut
être un outil efficace pour maintenir l'ordre en milieu carcéral.

Thèse de l'auteur : Fatima El Magrouti soutient que les négociations sont inhérentes et
essentielles à l'environnement carcéral, permettant d'améliorer les conditions de vie tant
pour les détenus que pour les surveillants. De plus, elles contribuent à la réalisation de la
mission première de l'institution pénitentiaire : la privation de liberté des individus
condamnés.

Développement
En prison, l’auteure vient nous rappeler que détenus et surveillants se retrouvent dans une
situation de cohabitation où leurs intérêts sont souvent en conflit. Ainsi, la négociation émerge
comme un moyen d'ajuster les conditions de vie en prison au bénéfice de tous.

I. Des négociations essentielles pour les détenus : une amélioration possible de leur condition
de détention

Argument : Le premier argument avancé par l’auteur souligne l'importance cruciale des
négociations pour les détenus en milieu carcéral. Elle met en avant le fait que ces négociations
sont indispensables car elles offrent aux détenus l'opportunité d'améliorer leurs conditions
de détention.

Explication : Fatima El Magrouti vient affirmer que les négociations sont une composante
vitale du quotidien des détenus en milieu carcéral, offrant une opportunité tangible
d'améliorer leurs conditions de détention. Privés de liberté contre leur gré et sous une
surveillance constante, les détenus aspirent légitimement à obtenir un surplus de liberté,
même minime. Ils cherchent activement à approfondir leur connaissance de cet
environnement, à maîtriser leurs droits, et à explorer les marges de négociation avec les
surveillants comme vient le souligner cette enquête.

L’auteur met en avant le fait qu’un des éléments les plus fréquemment négociés par les
détenus concerne leur placement en cellule, visant ainsi à obtenir des conditions de détention
plus favorables. Ils peuvent ainsi demander des cellules mieux éclairées, plus spacieuses,
mieux chauffées, ou encore préférer être placés au sein d’une cellule plus propice à l’échange
de produits ou chercher à être éloignés de leur codétenu. De plus, les détenus sont en mesure
de négocier d'autres avantages, tels que des douches supplémentaires, des rations alimentaires
additionnelles, des cigarettes, voire des médicaments qu'ils pourront échanger. Ces
négociations revêtent une importance capitale car elles influent directement sur leur bien-être
psychologique et émotionnel.

Les résultats de cette enquête soulignent que les négociations sont conditionnées par la
démonstration de sérieux, de volonté de coopération au sein de la prison et d’un engagement
actif des détenus dans les activités de l'institution. Les détenus sont alors prêts à s'engager
dans ces démarches pour obtenir de meilleures conditions, ce qui met en lumière l'importance
cruciale des négociations dans leur vie quotidienne.

Illustration : Fatima El Magrouti illustre cet argument avec l’exemple d’une détenue qui a
accepté de prendre en charge la formation des nouvelles recrues au sein de l'établissement
pénitentiaire. En contrepartie, elle a obtenu le privilège de bénéficier d'une cellule
individuelle, quelles que soient les dispositions en vigueur dans le quartier de détention. Cette
négociation s'est révélée mutuellement avantageuse, permettant à la surveillante de déléguer
une partie de ses responsabilités tout en conférant à la détenue des conditions de détention
nettement améliorées.

II. Des négociations essentielles mais risquées pour les surveillants : le maintien de l’ordre
pénitentiaire et l’espoir de meilleures conditions de travail

Argument : Le second argument avancé par l’auteure est le fait que les négociations menées
par les surveillants dans le milieu carcéral sont essentielles pour les surveillants, même si elles
s’avèrent risquées. En effet, Fatima El Magrouti nous affirme que même si les surveillants
sont en situation de force, ces derniers sont prêts à négocier pour maintenir l’ordre et
améliorer leurs conditions de travail.

Explication : Cette article vient révéler que les surveillants, conscients que l'usage de la force
brute et que l’application rigide des règles peuvent souvent se révéler contre-productifs,
préfèrent opter pour la négociation. Ils comprennent que le maintien de l'ordre ne peut
reposer uniquement sur des mesures coercitives, mais nécessite également la recherche de
compromis et d'accords mutuellement bénéfiques avec les détenus. En quelque sorte, il s'agit
d'une forme de "négociation pour la paix", où chaque partie impliquée trouve un intérêt dans
le respect des accords. Les surveillants peuvent ainsi consentir à rendre divers services, tels
que le transfert d'objets d'une cellule à une autre ou le dépôt de documents au greffe. Ils
peuvent également choisir de fermer les yeux sur certains agissements, voire de laisser passer
ou introduire certains objets, comme cela se pratique dans ces trois maisons d’arrêt.

Ces négociations menées avec les détenus se font en échange d'avantages au profit des
surveillants. Ainsi, elles favorisent un environnement plus paisible au sein de la prison. En
établissant des relations empreintes de respect et de confiance avec les détenus, les
surveillants créent les conditions idéales pour le maintien de l'ordre. Ces négociations vont
donc entrainer une nette amélioration de leurs conditions de travail.

Néanmoins, il est essentiel de souligner que les négociations comportent des risques pour les
surveillants. Les témoignages de surveillants recueillis lors de cette enquête révèlent que tous
ne sont pas nécessairement en mesure de mener de telles négociations, et certains peuvent
même refuser d'y participer, préférant une application stricte et intransigeante du règlement de
la prison. Cependant, dès l’instant où le surveillant gère ces négociations, sa hiérarchie
fermera les yeux puisque le maintien de l’ordre se fait dans l’intérêt de l’institution.

Illustration : Le témoignage de Jacques, un surveillant de 51 ans, met en lumière


l'importance de la coopération et de l'aide envers les détenus dans le milieu carcéral. Jacques
souligne que soutenir les détenus apporte des avantages à long terme. Il explique que les
effets positifs ne sont pas immédiatement perceptibles, mais qu'ils se manifestent lorsque les
surveillants demandent quelque chose en retour, comme le silence. Ainsi, le respect peut être
obtenu grâce à des négociations et des échanges entre surveillants et détenus en prison.

En conclusion, bien que la hiérarchie puisse parfois tolérer les négociations entre détenus et
surveillants en raison de leur contribution au maintien de l'ordre, elle peut parfois négliger sa
responsabilité première : celle de garantir la protection du personnel en cas de dérapage.

L'exemple de Delphine Pader, ancienne surveillante de la prison de Douai, met en lumière


l'abandon dont elle a fait l'objet de la part de l'institution. Ayant établi des liens étroits avec un
détenu qui lui a révélé l'emplacement précis d'explosifs dans le plafond de la prison, sa
maladresse à ne pas avoir immédiatement informé sa hiérarchie l'a conduite à être mise en
examen pour « association de malfaiteurs » et « détention en bande organisée de produit
explosif » au lieu d’être félicitée pour son intervention.

Un soutien de la hiérarchie aurait été impératif pour éviter cette tragédie.


Ouverture : Témoignages de deux surveillants pénitentiaires que j’ai recueillis le
30/10/2023, pour connaître la perception des surveillants sur cette enquête en 2023

Nabil C. : « C’est très complexe de trouver le juste milieu entre accepter l’octroi de
concessions aux détenus afin de maintenir la paix sociale, et le respect strict du règlement
intérieur. Si on n’a pas assez d’autorité, le passe-droit peut vite se transformer en corruption.
La limite entre le passe-droit et la corruption est très mince. »

Abdel B. : « Si certains détenus sont témoins de l’octroi d’un passe-droit, on peut vite être
dépassé parce qu’ils nous demanderont la même faveur. Sans autorité naturelle, on va dire
oui à tous les détenus. Si on est trop rigide, on se fatigue psychologiquement parce que c’est
dur de dire non tous les jours, mais si on dit oui, on est débordé ».

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