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Cours magistral de sociologie (Licence 3 de science politique)

Conference Paper · June 2021

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Marie Moncada
Sciences Po Paris
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GRANDS CLASSIQUES DE LA SOCIOLOGIE
Cours magistral

Licence 3 de science politique


Second semestre de l’année 2020-2021

Marie MONCADA
 marie.moncada@umontpellier.fr

SÉANCE 1 : LA SOCIOLOGIE EST UNE SCIENCE ...................................................................... 2


SÉANCE 2 : PARADIGMES DE LA SOCIOLOGIE CONTEMPORAINE........................................ 8
SÉANCE 3 : RÉSEAUX SOCIAUX ET LIEN SOCIAL .................................................................. 15
SÉANCE 4 : FAMILLE .................................................................................................................. 21
SÉANCE 5 : GENRE ..................................................................................................................... 26
SÉANCE 6 : CLASSES SOCIALES .............................................................................................. 31
SÉANCE 7 : MOBILITÉ SOCIALE ................................................................................................ 38
SÉANCE 8 : SÉGRÉGATION SPATIALE ..................................................................................... 47
SÉANCE 9. EXCLUSION : PAUVRETÉ ET DÉVIANCE .............................................................. 53
SÉANCE 10. MONDE PROFESSIONNEL .................................................................................... 58
SÉANCE 11. CULTURE ET RELIGION ........................................................................................ 63

1
SÉANCE 1 : LA SOCIOLOGIE EST UNE SCIENCE

SECTION 1. LA SOCIOLOGIE EST UNE SCIENCE PAR SA MÉTHODE

SOUS-SECTION 1. La science est une connaissance objective

Deux branches de la philosophie :


Gnoséologie : comment les êtres humains construisent-ils leurs connaissances ? (ex : culture générale,
émotions...)
Epistémologie : comment les êtres humains construisent-ils la connaissance scientifique ?

Science : connaissance objective, marquée par une exigence de cohérence interne et par une volonté de
confrontation au réel (vs. idées-reçues et jugements normatifs…). La connaissance scientifique est
réfutable et vérifiable.

« Le sociologue cherche donc à comprendre la société en suivant une discipline scientifique : ce qu’il
découvre et note sur les phénomènes sociaux qu’il étudie se situe dans un cadre de référence assez
rigoureusement défini. Un des traits de ce cadre est que les opérations s’y déroulent selon certaines
règles. Comme scientifique, le sociologue s’efforce d’être objectif, de contrôler ses préférences et ses
préjugés personnels, de percevoir clairement plutôt que de juger normativement. » (Peter BERGER,
Invitation à la sociologie, 2006)

SOUS-SECTION 2. Le processus d’objectivation scientifique

Mais la connaissance objective est un idéal (biais méthodologiques) : Pierre BOURDIEU (1930-2002)
parle ainsi de « vigilance épistémologique » (Science de la science et réflexivité, 2001). Objectivation
(processus), cad clarification du rapport entre le chercheur et son objet de recherche.

Neutralité axiologique de Max WEBER (1864-1920) :


« Il est exact que dans le domaine de notre discipline les conceptions personnelles du monde
interviennent habituellement sans arrêt dans l'argumentation scientifique et qu'elles la troublent sans
cesse, qu'elles conduisent à évaluer diversement le poids de cette argumentation, y compris dans la
sphère de la découverte des relations causales simples, selon que le résultat augmente ou diminue les
chances des idéaux personnels, ce qui veut dire la possibilité de vouloir une chose déterminée. » (Max
WEBER, “L'objectivité de la connaissance dans les sciences et la politique sociales ”, 1904)

Attention, cela n’empêche pas d’avoir une opinion sur l’objet étudié (nous sommes tous membre de la
société) ! WEBER lui-même était engagé en politique :
- Participe à la rédaction de la Constitution de la république de Weimar en 1919 (1918-1933).
- Un des membres fondateurs du Parti démocrate allemand

SOUS-SECTION 3. Le processus de démonstration scientifique

1. Les cinq étapes de la recherche scientifique

1) Construire une problématique (= question inscrite dans une discipline scientifique et susceptible de lui
apporter une plus-value).
2) Élaborer des hypothèses de recherche (à partir de la littérature scientifique [état de l’art] ou d’un terrain
exploratoire [étude/enquête pilote]) afin de,
3) Justification du protocole expérimental (données et méthode de récolte ? Analyse
qualitative/quantitative ? Grille d’entretien ?)
4) Traiter les données et dégager des résultats falsifiables (transparents).
5) Discuter/Confronter ces résultats à la littérature scientifique en insistant sur la plus-value scientifique
de ces résultats.

Ma thèse : j’ai respecté la chronologie de ces 5 étapes, mais la formulation définitive de ma problématique
a pris 4-5 ans (thèse non financée).

2
2. Les trois inférences

Charles Sanders PEIRCE (1839-1914, US) (Collected Papers, 8 vol., 1931-1958) distingue trois
inférences (= tirer une conclusion à partir d’un fait) :
1. Raisonnement inductif (induction) : dégager une proposition générale (hypothèse explicative) à
partir de l’observation d’un cas particulier (monographie : démarche ethnographique). Fréquent
dans l’analyse qualitative et les travaux francophones.
2. Raisonnement hypothético-déductif (déduction) : teste une proposition générale sur un cas
particulier. Fréquent dans l’analyse quantitative et les travaux anglophones.
3. Raisonnement abductif (abduction) : allers-retours entre le cas particulier et la proposition
générale.

Exemple de raisonnement combinant l’induction et l’abduction : théorie ancrée (grounded theory)


d’Anselm STRAUSS (1916-1996) et Barney GLASER (1930— ) [US].

Cette méthode s’effectue par étapes :


1. Un chercheur récolte des données (texte, audio, vidéo ou image) sur un sujet précis (articles de
presse, rapports administratifs, archives parlementaires, entretiens publics, statistiques, etc.).
2. Il code ensuite ces données à la main ou par « CAQDAS » (ou « QDAS » - [computer assisted]
qualitative data analysis software). Ces « codes » sont des idées/concepts initiaux rattachés à des
fragments de données. Ces codes permettent de sélectionner des passages pertinents au regard du
sujet.
3. A partir de ces premières idées/concepts, le chercheur construit progressivement une problématique et
collecte alors d’autres données (entretiens, etc.).
4. Il code ces nouvelles données pour faire émerger des « catégories » (niveau d’abstraction supérieur
aux codes). Ces catégories peuvent entraîner la création de nouvelles hypothèses de recherche (qui
entraîneront, elles-mêmes, la collecte et l’analyse de nouvelles données).
5. Enfin, à force d’allers-retours entre codes, catégories et données, le chercheur est en mesure
d’élaborer une véritable « théorie » explicative finale (résultat).
La théorie ancrée est donc un processus itératif (qui procède par itération : qui est fait ou répété plusieurs
fois).

Il existe 2 principales manières de procéder pour cette théorie :


1) Anselm STRAUSS et Barney GLASER (The discovery of grounded theory: Strategies for qualitative
research, 1967) : codage systématique des données, utilisation de mémos (documents d’annotation
librement rédigés par le chercheur), création de diagrammes établissant des liens entre codes
(triangulation).
2) Juliet CORBIN et Anselm STRAUSS (Basics of qualitative research: Grounded theory procedures and
techniques, 1990) :
- Codage ouvert : idées/concepts initiaux (allant de la simple organisation des données à des concepts plus
théoriques).
- Codage axial : liens entre codes « ouverts » (niveau d’abstraction supérieur).
- Codage sélectif : approfondissement du ou des codes axiaux les plus pertinents afin d’établir des liens
entre ces codes axiaux (niveau d’abstraction encore supérieur).

3. Les quatre analyses

— Quantitative : questionnaire (pratiques culturelles ou religieuses) (échantillon représentatif, questions


fermées/ouvertes), tests statistiques, etc.
— Qualitative : observation (désengagée/participante) et entretiens (libre, semi-directif, directif) (entretiens
exploratoires, entretiens de vérification) (entretien biographique/compréhensif).

— Longitudinale (population : épidémiologie, démographie…)/diachronique : dans le temps (causalité


démontrable).
— Transversale (population : épidémiologie, démographie…)/synchronique : à un moment précis
(causalité non démontrable).

4. La différence entre causalité et corrélation

— Corrélation positive : 2 variables varient ensemble dans le même sens.

3
— Corrélation négative : 2 variables varient ensemble en sens inverse.
— Causalité : une variable est responsable de la variation d’une autre variable (critique des qualitativistes :
très difficile à démontrer !).

5. Les CAQDAS

« CAQDAS » ou « QDAS » ([computer assisted] qualitative data analysis software) : logiciels d’analyse de
données qualitatives.
1970s : prototypes ; 1980s : se développent chez les chercheurs (États-Unis, Royaume-Uni, Australie,
Allemagne et Danemark) ; 1990s : commercialisation.
Acronyme « CAQDAS » créé en 1989 par Raymond LEE et Nigel FIELDING, deux sociologues anglais.
Principaux CAQDAS actuels (tous payants) : Atlas.ti, MAXQda, NVivo, The Ethnograph etc.

5 fonctionnalités communes :
1. Regroupent un ensemble de fichiers (texte, audio, vidéo ou image) dans un seul et même fichier
d’analyse.
2. Analyse par codage.
3. Mémos (peuvent être reliés à n’importe quel fichier ou code).
4. Recherche textuelle (un même mot peut ainsi être repéré dans plusieurs milliers de documents en
quelques secondes à peine).
5. Les données et analyses peuvent être exportées sous plusieurs formats (traitement de texte, tableur,
etc.).

Dès les années 1980 : fort intérêt de la littérature anglophone pour ces logiciels. Inversement, Jacques
JENNY déplore l’existence d’un « ghetto intellectuel national » : « la grande majorité des sociologues
français n’ont pas su reconnaître les potentialités de cette grande innovation technique » (« Méthodes et
pratiques formalisées d’analyse de contenu et de discours dans la recherche sociologique française
contemporaine », 1997).

SECTION 2. LA SOCIOLOGIE EST UNE SCIENCE PAR SON OBJET : NAISSANCE DE LA


DISCIPLINE

SOUS-SECTION 1. Les précurseurs et leur volonté de comprendre le social

1. Ibn KHALDUN (1332-1406) (Tunis-Caire)

Fondateur de la sociologie en tant que discipline scientifique.


Décrit et établit une distinction entre les modes de vie nomades et sédentaires.
L'asabiya (cohésion sociale) : solidarité sociale présente dans chaque civilisation. Forte dans les tribus
nomades, faible dans les empires. Cycles : les civilisations montent en puissance et dépérissent (solidarité
mécanique/organique d’Émile DURKHEIM, communauté/société de Ferdinand TÖNNIES).

2. Charles de MONTESQUIEU (1689-1755), De l'esprit des lois, 1748

Raymond ARON, Les étapes de la pensée sociologique, 1967 : le premier des sociologues.
Distingue 3 régimes : monarchie, despotisme et république (démocratique ou aristocratique).
Selon lui, « plusieurs choses gouvernent les hommes : le climat, la religion, les lois, les maximes du
gouvernement, les exemples des choses passées, les mœurs d’où il se forme un esprit général qui en
résulte ».
Le premier à établir un parallèle entre les lois de la nature et les lois des sciences sociales (relations entre
le climat et le régime politique) tout en les distinguant.

3. Alexis de TOCQUEVILLE (1805-1859), De la démocratie en Amérique, 1835

Le principe démocratique entraîne, chez les individus, « une sorte d’égalité imaginaire, en dépit de
l’inégalité réelle de leurs conditions ». La démocratie, conduit, néanmoins, à un triple processus :
1) Égalité de droit (vs. Ancien régime où noblesse et clergé étaient juridiquement privilégiés).
2) Mobilité sociale potentielle (vs. hérédité sociale de l’Ancien régime).
3) Forte aspiration des individus à l’égalité.

4
Or, cette égalisation s’accompagne, selon lui, d’une forme d’individualisme (« repli sur soi ») qui :
- Affaiblit la cohésion sociale,
- Affaiblit la capacité de l’individu à résister au pouvoir politique (« liberté ») : l’individu délègue de
plus en plus son pouvoir souverain à une autorité despotique : « L’individualisme est un sentiment
réfléchi et paisible qui dispose chaque citoyen à s’isoler de la masse de ses semblables et à se
retirer à l’écart avec sa famille et ses amis : de telle sorte que, après s’être ainsi créé une petite
société à son usage, il abandonne volontiers la grande société à elle-même. »
- Solution pour concilier liberté et égalité : corps intermédiaires (associations, corporations, etc.)

4. Karl MARX (1818-1883)

4.1. Philosophie (méthode) : matérialisme dialectique

Dialectique : « méthode de raisonnement qui consiste à analyser la réalité en mettant en évidence les
contradictions de celle-ci et à chercher à les dépasser » (Larousse). HEGEL : thèse, antithèse, synthèse
(contradictions). MARX : les conditions matérielles d’existence forment la conscience et le raisonnement
(reprend la dialectique hégélienne). « L'histoire de toute société jusqu'à nos jours est l'histoire de luttes
de classes » (Manifeste du parti communiste, 1848).

4.2. Sociologie (social) : matérialisme historique

La société (appartenant à la superstructure) est déterminée par l’infrastructure (moyens de production


et rapports de production [lutte des classes]).

« Dans la production sociale de leur existence, les hommes nouent des rapports déterminés,
nécessaires, indépendants de leur volonté. Ces rapports de production correspondent à un degré donné
du développement de leurs forces productives matérielles. L'ensemble de ces rapports forme la structure
économique de la société, la fondation réelle sur laquelle s'élève un édifice juridique et politique, et à quoi
répondent des formes déterminées de la conscience sociale. Le mode de production de la vie matérielle
domine en général le développement de la vie sociale, politique et intellectuelle. Ce n'est pas la conscience
des hommes qui détermine leur existence, c'est au contraire leur existence sociale qui détermine leur
conscience. » (K. MARX, Critique de l'économie politique, 1859)

5
Un exemple de relation entre l’infrastructure et la superstructure : l’aliénation ayant une triple forme :
- Aliénation religieuse : la religion est le reflet de la misère économique des hommes et de leur
sentiment d’impuissance. « La misère religieuse est, d’une part, l’expression de la misère réelle, et,
d’autre part, la protestation contre la misère réelle. […] C’est l’opium du peuple ». (K. MARX,
Contribution à la critique de la philosophie du droit de Hegel, 1843).
- Aliénation politique : l’État (instrument au service de la bourgeoisie) doit disparaître et laisser
place à la démocratie : « Plus l'État est puissant, plus un pays est, de ce fait, politique, moins il est
disposé à chercher dans le principe de l'État, donc dans l'organisation actuelle de la société dont
l'État est lui-même l'expression active, consciente et officielle, la raison de ses maux sociaux »
(article dans Vorwärts,1844).
- Aliénation économique : dans le système capitaliste, transformation de l’individu en qqn d’autre,
voire en qqn d’hostile à lui-même. « L’aliénation de l’ouvrier signifie non seulement que son travail
devient un objet, une existence extérieure, mais que son travail existe en dehors de lui » (K. MARX,
Le Capital, 1867).

5. Auguste COMTE (1798-1857)

Emmanuel-Joseph SIEYES (abbé Sieyès) (1748-1836) : inventeur du néologisme « sociologie » une


50aine d’années avant COMTE (ms peu utilisé).
Sa notion de « physique sociale » (terme de Thomas HOBBES) devient « sociologie » (1839).
« J’entends par physique sociale la science qui a pour objet propre l’étude des phénomènes sociaux,
considérés dans le même esprit que les phénomènes astronomiques, physiques, chimiques et
physiologiques, c’est-à-dire assujettis à des lois naturelles invariables, dont la découverte est le but
spécial de ses recherches. » (Opuscules de philosophie sociale, 1883 [posthume]).
Positivisme : observer les faits à l’écart de tout jugement de valeur et énoncer des lois.
Distingue (Système de politique positive, 1854) :
- La dynamique sociale : comprendre l’évolution des sociétés,
- La statique sociale : comprendre les fondements de l’ordre social.

SOUS-SECTION 2. L’institutionnalisation de la sociologie

1. L’école française du début du 20e siècle

1.1. Emile DURKHEIM (1858-1917)

- Holisme méthodologique : la société n’est pas réductible à la somme des individus qui la
composent (DURKHEIM, MARX).
- Individualisme méthodologique : tout phénomène social résulte de l’agrégation de
comportements individuels (R. BOUDON (1934-2013), TARDE, WEBER, TÖNNIES, Georg
SIMMEL (1858-1918)).
Conscience collective : « ensemble des croyances et des sentiments communs à la moyenne des
membres d’une même société qui forme un système déterminé ayant sa vie propre, indépendamment des
consciences individuelles. » (Les règles de la méthode sociologique, 1895).
Fait social : « [les faits sociaux] consistent en des manières d’agir, de penser et de sentir qui présentent
cette remarquable propriété qu’elles existent en dehors des consciences individuelles. Non seulement ces
types de conduite ou de pensée sont extérieurs à l’individu, mais ils sont doués d’une puissance impérative
et coercitive en vertu de laquelle ils s’imposent à lui » (Les règles de la méthode sociologique, 1895).
De la division du travail social, 1893 : la division du travail transforme la solidarité par un processus
d’individuation. Ces solidarités sont visibles par le droit pénal en place.
- Solidarité mécanique : sociétés traditionnelles (faible division du travail). Individus peu différenciés
(valeurs et croyances communes). Forte conscience collective. Droit répressif (punition).
- Solidarité organique : sociétés industrielles (forte division du travail). Différenciation des individus.
Affaiblissement de la conscience collective au profit des consciences individuelles. Droit restitutif
(compensation du préjudice).
- Anomie : la conscience individuelle surpasse la conscience collective.

1.2. Gabriel TARDE (1843-1904), Les lois de l’imitation, 1890

6
Contrairement à DURKHEIM, l’évolution sociale n’est pas déterminée par des lois extérieures
contraignantes, mais par des « initiatives rénovatrices individuelles » (inventions). « Tout n’est
socialement qu’inventions et imitations » :
- Invention individuelle se propageant par imitation comme une onde.
- Imitation :
 De l’intérieur vers l’extérieur : de la pensée individuelle aux actes,
 De haut en bas : des élites (artistiques et intellectuelles) vers les autres.
Précurseur des travaux sur les diffusions de l’innovation (Everett ROGERS et sa courbe en S).

2. L’école allemande du début du 20e siècle

2.1. Max WEBER (1864-1920), Économie et société, 1920

2 formes de relations sociales :


- Communalisation : « sentiment subjectif, traditionnel ou affectif, […] d’appartenir à une même
communauté. »
- Sociation : « compromis d’intérêts motivés rationnellement (en valeur ou en finalité) ou sur une
coordination d’intérêts motivés de la même manière ».
3 formes de domination [légitime] (vs. « pouvoir » [illégitime]) :
- Domination traditionnelle : généralement sacrée (ex : seigneurs féodaux, roi).
- Domination charismatique : héroïque, exemplaire (ex : chef militaire).
- Domination légale rationnelle : fonction légale (ex : définie par arrêté).
4 formes d’action sociale (idéaux-types : insuffisantes et/ou se combinent dans la réalité) :
- Action traditionnelle : coutume et habitude (ex : façon de se tenir à table).
- Action affective : irréfléchie et spontanée (ex : coup de poing).
- Action rationnelle en valeur : croyance éthique, esthétique, religieuse (ex : rendre un billet trouvé
à la police).
- Action rationnelle en finalité : utilitaire (ex : ne pas rendre à la police un billet trouvé).
>> Rationalisation (désenchantement du monde) se matérialisant notamment par la bureaucratie.

2.2. Ferdinand TÖNNIES (1855-1936), Communauté et Société, 1887

Comprendre la société en partant des deux volontés individuelles :


- Volonté organique : irréfléchie (plaisir, habitude, mémoire, affection).
 Communauté (gemeinschaft) : proximité affective (famille), spatiale (quartier, village) et
sociale/religieuse.
- Volonté réfléchie : réfléchie, se projetant dans l’avenir.
 Société (gesellschaft) : relations impersonnelles composées d’intérêts individuels (rapports
marchands).
DURKHEIM connaissait cette distinction (solidarités organique/mécanique) mais lui reproche son
individualisme méthodologique.

7
SÉANCE 2 : PARADIGMES DE LA SOCIOLOGIE CONTEMPORAINE

SECTION 1 : CULTURALISME, FONCTIONNALISME ET STRUCTURALISME

SOUS-SECTION 1. Culturalisme

Edward TYLOR, La civilisation primitive, 1871 : « la culture, prise dans son sens ethnologique large, est ce
tout complexe englobant les connaissances, les croyances, l’art, la morale, les lois, les coutumes et les
autres capacités ou habitudes acquises par l’homme en tant que membre de la société. »

1. Ruth BENEDICT (1887-1948) (étasunienne), Échantillons de civilisation (1934)

- Tribu « Zuñi » (Amérique Nord) : conformiste, paisible, respectueux d’autrui (pattern


« apollinien »/serein).
- Tribu « Kwakiutl » (Amérique Nord) : ambitieux, individualistes, agressifs (pattern « dionysien »/
démesure, ivresse, enthousiasme, irrationnel).
Pattern (anglais : « modèle, motif ») : modèle simplifié d'une structure de comportement individuel ou
collectif. Schéma comportemental.
« La plupart des gens sont façonnés à la forme de leur culture, à cause de l’énorme malléabilité de leur
nature originelle : ils sont plastiques à la forme modélisatrice de la société dans laquelle ils sont nés ».

2. Margaret MEAD (1901-1978) (étasunienne), Mœurs et sexualité en Océanie (1935)

- Tribu « Arapesh » (Nouvelle-Guinée) : douceur, sensibilité et coquetterie privilégiés pour hommes


et femmes.
- Tribu « Mundugumor » (Nouvelle-Guinée) : rivalité et agressivité privilégiés pour hommes et
femmes.
« Les traits du caractère que nous qualifions de masculins ou de féminins sont, pour nombre d’entre eux,
sinon en totalité, déterminés par le sexe de façon aussi superficielle que le sont les vêtements, les
manières et la coiffure qu’une époque assigne à l’un ou l’autre sexe. Ainsi, la personnalité est-elle moins
fonction du sexe que d’un système de rôles imposé par le modèle culturel en vigueur dans une société
donnée ».

3. Ralph LINTON (1893-1953) (étasunien), Le fondement culturel de la personnalité (1936)

« La place qu’un individu donné occupe dans un système donné à un moment donné sera nommé son
statut par rapport à ce système […]. Quant au second terme, le rôle, nous nous en servirons pour
désigner l’ensemble des modèles culturels associés à un statut donné ».
- Statut : vendeur, collègue de travail, père, mari…
- Rôle : vendeur/poli, collègue/pudique sur vie perso., père/juste, mari/aimant…
Comportement individuel = personnalité individuelle (expérience affective) + culture (statut/rôle).

4. Abram KARDINER (1891-1981) (étasunien), L’individu dans la société (1939)

Personnalité de base : « ensemble des instruments d’adaptation qu’un individu partage avec tous les
autres dans une société donnée ». Personnalité sur laquelle les individus élaborent des variantes
personnelles (expérience sensitive et sentimentale, etc.)

SOUS-SECTION 2. Fonctionnalisme

= les faits sociaux remplissent une fonction dans un système donné (d’où stabilité sociale).
Homéostasie : processus interne d’une entité permettant de maintenir cette entité à la normale (corps
humain : température, tension artérielle, etc.).

1. Talcott PARSONS (1902-1979) (étasunien), La structure de l’action sociale (1937)

8
Sociologie : « une science qui tente de construire une théorie analytique des systèmes d’action sociale
dans la mesure où ces systèmes peuvent être compris à partir de la nature de l’intégration reposant sur
des valeurs communes ».

L’action sociale agit dans un système. L’acteur a des buts et des valeurs orientant son action. Mais les
choix qu’il fait sont aussi conditionnés par son environnement qu’il ne maitrise pas dans sa totalité
(normes juridiques et sociales, contraintes économiques, etc.).

Stabilité du système assurée par :


 A (Adaptation) : fournir les ressources nécessaires à la vie (économie).
 G (Goal attainment) : assurer l’intérêt collectif en gérant ces ressources (politique).
 I (Integration) : les membres doivent intérioriser les normes sociales (famille, école…).
 L (Latent patterns maintenance) : valeurs communes (justice).
5 axes orientant le comportement individuel :

 Affectivité (famille, amis) / Neutralité affective (travail).


 Buts collectifs / Buts personnels.
 Universalisme (jugement d’autrui par équité : juge/coupable) / Particularisme (pardon de la mère
sur son enfant).
 Qualités propres (jugement d’autrui sur sa personnalité) / Performance (jugement d’autrui sur ses
actions).
 Spécificité (lien restreint à une situation donnée : médecin/patient) / Diffusion (lien propre à
plusieurs situations : père/enfant [soignant, éducateur, juge…]).

9
2. Robert MERTON (1910-2003) (étasunien), Éléments de théorie et de méthode
sociologique (1949)

Fonctionnalisme de moyenne portée. Nuance les trois postulats de Bronisław MALINOWSKI (1884-1942,
polonais et anglais) et Alfred RADCLIFFE-BROWN (1881-1955, anglais) :
 Postulat d’unité fonctionnelle : tout élément rempli une ou plusieurs fonctions (famille/intégration
sociale). NON : un élément peut être afonctionnel (recette de cuisine largement utilisée).
 Postulat du fonctionnalisme universel : une fonction est nécessairement positive. NON : un
élément peut être à la fois fonctionnel et dysfonctionnel (religion : intégration sociale et source de
conflit).
 Postulat de nécessité : chaque élément (fonctionnel) est nécessaire. NON : plusieurs éléments
peuvent remplirent une même fonction et sont donc interchangeables (substituts fonctionnels).

SOUS-SECTION 3. Structuralisme

Structure : élément donnant à un ensemble sa cohérence, son aspect spécifique et, généralement, sa
rigidité ou sa résistance.

1. Claude LÉVI-STRAUSS (1908-2009) (français), Les Structures élémentaires de la parenté


(thèse), 1948

Prohibition de l’inceste : premier acte fondateur d’une société par laquelle « la nature se dépasse elle-
même […] passage de la nature à la culture, de la vie animale à la vie humaine ». Instaure une relation
sociale entre familles.

2. Louis ALTHUSSER (1918-1990) (français), Idéologie et appareil Idéologique d’État


(essai), 1970

« Aucune société n’existe, c’est-à-dire ne dure dans l’histoire que si, tout en produisant, elle reproduit les
conditions matérielles et sociales de son existence ». Société capitaliste : maintien de l’exploitation de la
classe ouvrière par deux appareils d’État :
• Appareils répressifs d’État : armée, police, tribunaux, bureaucratie…
• Appareils idéologiques d’État : école/collège/lycée/université/grandes écoles, religion, famille,
syndicats, clubs sportifs, médias de masse…

3. Pierre BOURDIEU (1930-2002) (français) et le structuralisme constructiviste

Structuralisme constructiviste (ou constructivisme structuraliste) : « par structuralisme […] je veux


dire qu’il existe dans le monde social lui-même, et pas seulement dans les systèmes symboliques,
langage, mythes, etc., des structures objectives, indépendantes de la conscience et de la volonté des
agents, qui sont capables d’orienter ou de contraindre leurs pratiques ou leurs représentations. Par
constructivisme, je veux dire qu’il y a une genèse sociale d’une part des schèmes de perception, de
pensée et d’action qui sont constitutifs de ce que j’appelle habitus, et d’autre part des structures sociales,
et en particulier de ce que j’appelle des champs et des groupes, notamment de ce qu’on nomme
d’ordinaire les classes sociales » (Choses dites, 1987).
 Aller-retour entre l’inconscient social (producteur de comportements et de façons de voir le
monde) et le conscient social (regard autocritique sur cette production).
 Réappropriation individuelle, consciente ou inconsciente, de cet inconscient social.

Habitus : « systèmes de dispositions durables et transposables, structures structurées prédisposées à


fonctionner comme structures structurantes, c'est-à-dire en tant que principes générateurs et
organisateurs de pratiques et de représentations qui peuvent être objectivement adaptées à leur but sans
supposer la visée consciente de fins et la maîtrise expresse des opérations nécessaires pour les
atteindre. » (Le sens pratique, 1980)
 Agir instinctivement de manière optimale dans une situation sociale donnée.
 Se distingue de l’habitude qui est une simple reproduction mécanique. L’habitus est un
« produit des conditionnements », une « machine transformatrice » (réappropriation).

10
 Distingue habitus de classe et habitus individuel. Il existe autant d’habitus individuels que
d’individus.
 Hystérésis : décalage entre un habitus hérité et une situation sociale nouvelle.
 Hystérésis (physique) : persistance d'un phénomène lorsque cesse la cause qui l'a produit.
 Habitus (médecine) : apparence générale du corps humain reflétant son état de santé.

Champ : ensemble d’activités sociales. Ex : champ de la politique, champ de la philosophie, champ de la


religion, etc. Caractéristiques :
1) Chaque champ possède ses propres règles et ses propres enjeux.
2) Relations dissymétriques : agents dominants/dominés.
3) Chaque agent lutte pour accéder à un poste de pouvoir. Illusio (terme propre) : adhésion de l’agent
social aux normes et aux valeurs régissant son champ d’appartenance. Intensité d’engagement
dans le champ. « Les luttes pour le monopole de la définition du mode de production culturel
légitime contribuent à reproduire continûment la croyance dans le jeu, l’intérêt pour le jeu et les
enjeux, l’illusio, dont elles sont aussi le produit. Chaque champ produit sa forme spécifique d’illusio
[…] L’illusio est la condition du fonctionnement d’un jeu dont elle est aussi, au moins partiellement,
le produit ». (« Sur le pouvoir symbolique », 1977).
4) Chaque champ possède un habitus collectif qui lui est propre. Les « héritiers » sont ceux les plus
fortement dotés dans le capital du champ, ceux dont « l’habitus individuel » s’accorde naturellement
au champ. S’opposent aux « entrants » ou aux « parvenus » (= qui s'est élevé à une condition
sociale supérieure sans en acquérir les manières / nouveau-riche) qui ont tendance à forcer le trait.

SECTION 2 : POST-MARXISME

SOUS-SECTION 1. École de Francfort

1. Theodor ADORNO (1903-1969) (allemand puis étasunien) et Max HORKHEIMER (1895-


1973, allemand), La Dialectique de la Raison, 1947

Industrie culturelle (film, radio, presse écrite, TV) : standardisation des individus les conformant à leur
propre soumission économique (vs. émancipation). Culture volontairement produite par les instances
économiques. Propagande contemporaine transformant les individus en client/employé docile/etc. Il
existe, bien sûr, des stratégies de résistance face à cette culture de masse.
Antisémitisme (voire gitans, homosexuels, migrants) : transfert morbide amenant un individu à attribuer à
son objet ses propres pulsions (paranoïa : psychose chronique/systématique).

2. Erich FROMM (1900-1980) (allemand), Société aliénée et société saine, 1955

Freudo-marxisme : mariage entre marxisme et psychanalyse.


Aliénation : « l'être humain, l'être vivant, cesse d'être une fin en soi pour devenir un moyen au service des
intérêts économiques d'un autre, de lui-même, ou de la gigantesque et impersonnelle machine économique
». La modernité libère l’individu de liens anciens (affectifs et économiques) de manière négative. « Peur de
la liberté » se matérialisant par l’isolement. Les individus s’en remettent à :
- La domination d’un chef charismatique (d’où montée du nazisme),
- Un conformisme contraignant (S° de consommation).
Société moderne : ne permet pas émancipation individuelle (activité créatrice, enracinement stable,
identité propre, pouvoir se situer intellectuellement dans le monde…).
Santé mentale : « caractérisée par la capacité d'aimer et de créer, par la délivrance des liens incestueux
au clan et au sol, par un sens de l'identité fondé sur l'expérience de soi en tant que sujet et agent de ses
propres pouvoirs, par la préhension de la réalité interne et externe, bref, par le développement de la raison
et de l'objectivité ».
Socialisme : la solution mettant en avant économie horizontale, vie de quartier, équilibre
centralisation/décentralisation et juste répartition des richesses (Charles FOURIER [phalanstères, français],
Robert OWEN [coopératives, britannique], Pierre-Joseph PROUDHON [mutuelles, français], Mikhaïl
BAKOUNINE [opposition à l’Etat, russe]…).

3. Herbert MARCUSE (1898-1979) (allemand puis étasunien), Éros et civilisation, 1955

Freudo-marxisme.

11
Eros et Thanatos : instinct de vie (éros) et instinct de mort (thanatos). Le comportement individuel répond
à deux principes :
- Principe du plaisir (inné) : joie, jeu.
- Principe de réalité (médias de masse notam.) : rendement dans une société capitaliste (fatigue
physique devient aujourd’hui fatigue mentale).
Solution : accroître les activités ludiques, laisser les instincts s’exprimer et érotiser l’existence (précurseur
mvt hippie).

4. Jürgen HABERMAS (1929-) (allemand), Théorie de l’agir communicationnel, 1987

Positivisme et technicisme (application du savoir scientifique) : font de la science une foi nouvelle.
Rationalité communicationnelle : le travail/la science sont aliénants mais la modernité n’est pas en crise.
L’agir communicationnel est porteur d’émancipation et existe déjà dans la S°.
1. Agir téléologique : intercompréhension entre individus recherchant des finalités identiques.
2. Agir régulé par des normes : communication consensuelle, orientée par des valeurs.
3. Agir dramaturgique : communication destinée à des spectateurs car se mettant en scène.
4. Agir communicationnel : recherche d’une finalité commune.
Espace public : lieu où les individus peuvent devenir des sujets agissants par la délibération collective.
L’opinion est une forme d’émancipation permettant de se détacher de ses appartenances communautaires
(religieuse, familiale, etc.).

5. Axel HONNETH (1949-) (allemand), La Lutte pour la reconnaissance, 1992

3 reconnaissances : affective (« capacité à être seul »), juridique (« respect de soi » et des autres –
expliquant mouvements sociaux) et culturelle (« estime de soi » > musique métal).

SOUS-SECTION 2. Alain TOURAINE (1925-) (français)

Transformation des mouvements sociaux.


 Société industrielle : conflit entre capital/travail dans l’entreprise, sur la propriété et la direction
des moyens de production.
 Société postindustrielle : mobilisation en dehors de l’entreprise : nouveaux mouvements
sociaux (féministe, étudiant, antiraciste…).
Dépassement individualisme/holisme : « Il n’y a plus de raison d’opposer MARX et WEBER. L’un
apporte à la sociologie d’aujourd’hui l’idée que la vie sociale est fondée sur un rapport central de
domination ; l’autre l’idée que l’acteur est orienté par des valeurs. Combinons ces deux idées et nous
obtenons la définition du mouvement social. » (Le retour de l’acteur, 1984).

SECTION 3 : INDIVIDUALISME ET INTERACTIONNISME

SOUS-SECTION 1. École de Chicago

1. Robert PARK (1864-1944) (étasunien) et Ernest BURGESS (1886-1966) (canadien puis


étasunien), The City, 1925 (ancrage interactionniste limité)

Chicago : 4470 habitants en 1840, un million en 1890 et 3,5 millions en 1930. En parallèle, fort
mouvements migratoires (interne et externe) et forte criminalité.
Écologie urbaine (schéma de PARK) :

12
Ghetto : à l’origine, quartiers réservés et imposés aux Juifs. Now : quartier où s’agglomère minorité
ethnique, culturelle ou religieuse.

2. Erving GOFFMAN (1922-1982) (canadien puis étasunien), Les Rites d'interaction, 1974

Interactionnisme symbolique : la culture est intériorisée par les individus lors de leurs interactions – ces
dernières leur permettant de construire leur propre identité.
Rituel : « actes dont le composant symbolique sert à montrer combien la personne agissante est digne de
respect, ou combien elle estime que les autres en sont dignes. »

13
Déférence : « composant symbolique de l’activité humaine dont la fonction est d’exprimer dans les règles à
un bénéficiaire l’appréciation portée sur lui, ou sur quelque chose dont il est le symbole, l’extension ou
l’agent ».
Tenue : « élément du comportement cérémoniel qui se révèle typiquement à travers le maintien, le
vêtement et l’allure, et qui sert à montrer à l’entourage que l’on est une personne douée de certaines
qualités, favorables ou défavorables ».
Stigmate : attribut susceptible de porter le discrédit sur celui qui le porte (couleur de peau, maladie,
toxicomanie, homosexualité, voile…).

3. Howard BECKER (1928-) (étasunien), Outsiders, 1963

Interactionnisme symbolique.
Personnes déviantes (étiquetée ainsi et transgressant une norme) et secrètement déviants (non
étiquetée mais transgressant une norme) : musiciens de jazz fumeurs de cannabis dans les années 1950.
Carrière déviante :
1) Transgression intentionnelle ou non-intentionnelle (pas d’étiquetage : fumeurs occasionnels).
2) Désignation publique (étiquetage) : intériorisation d’une image de soi « déviante ».
3) Adhésion du déviant à un groupe déviant, organisé et répondant à des règles propres. Difficile
d’en sortir.
Entrepreneurs de morale : individu se mobilisant pour qu’une activité soit qualifiée de socialement
déviante (part en « croisade »).

SOUS-SECTION 2. Raymond BOUDON (1934-2013) (français)

Individualisme méthodologique.
« Homo œconomicus » (utilitariste) devient « Homo sociologicus » (utilité limitée) : rationalité limitée
(Herbert SIMON),
 Capacités cognitives limitées,
 Information indisponible (ex : conséquences d’une action inconnues),
 Préférences socialement construites mais non nécessairement optimales pour un individu,
 Calcul coût/bénéfice : comment évaluer le coût et le bénéfice ?
Ex : La réussite scolaire des individus en fonction de l’origine sociale s’explique par une succession de
choix rationnels des familles, compte tenu de leur position dans l’espace social (milieux populaires :
investissent peu l’espace académique pour leurs enfants ; milieux aisés : privilégient grandes écoles).
(L'Inégalité des chances, 1973)

14
SÉANCE 3 : RÉSEAUX SOCIAUX ET LIEN SOCIAL

SECTION 1. CRISE DU LIEN SOCIAL

SOUS-SECTION 1. Les définitions du lien social

1. Socialisation : le lien social est un apprentissage

Suffixe « -tion » marquant une action ou le résultat de celle-ci.

Raymond BOUDON et François BOURRICAUD (français) : « processus d’assimilation des individus aux
groupes sociaux » (Dictionnaire critique de la sociologie, 2000).

Emile DUKHEIM : l’éducation est une « socialisation méthodique de la jeune génération par les
générations précédentes » >> ensemble de règles et de normes. Processus par lequel la S° maintient son
homogénéité. (Éducation et sociologie, 1922) [= socialisation primaire]

Peter BERGER (US et autrichien) et Thomas LUCKMANN (allemand) : socialisation primaire (enfant) et
secondaire (adolescent, adulte) (La construction sociale de la réalité, 2006).

Claude DUBAR (français) : trois apprentissages de la socialisation : règles/normes, valeurs et signes


(expression physique) (La Socialisation, 2002).

Danilo MARTUCCELLI et François DUBET (français) : « double mouvement par lequel une société se
dote d’acteurs capables d’assurer son intégration, et d’individus, de sujets, susceptibles de produire une
action autonome » (« Théories de la socialisation et définitions sociologiques de l’école », 1996).
Intériorisation normative et culturelle + Résistance individuelle.

2. Sociabilité : le lien social fait l’objet d’une sélection volontaire

Yannick LEMEL et Catherine PARADEISE (français) : « ensemble des activités accomplies en commun
avec autrui, de façon volontaire ou régulière, dans un cadre formel ou informel, en n’importe quel lieu »
(« Les comportements de sociabilité d’après l’enquête ‘Loisirs’ [INSEE] », 1967).

3. Le lien social est multiforme

Serge PAUGAM (français) (Le lien social, 2008) : 4 types de liens sociaux :
1) Liens de filiation (parent/enfant : solidarité et affection),
2) Lien de participation élective (couple, amis, etc. : interreconnaissance par similitudes),
3) Liens de participation organique (professionnel : protection et reconnaissance contractuelles),
4) Liens de citoyenneté (démocratie : protection juridique égalitaire).

4. Capital social : le lien social implique des contreparties

Robert PUTNAM (US) : « La valeur collective des réseaux sociaux (les connaissances d’une personne),
ainsi que l'inclinaison qui fait pression dans ces réseaux pour que chacun se rende la pareil (normes de
réciprocité) » (Bowling Alone, 1995).
Quatre conséquences du capital social selon PUTNAM :
1) Augmente notre savoir (ouverture d’un poste en entreprise, etc.) ;
2) Augmente l’intensité de la réciprocité (aide mutuelle) : plus le capital social augmente, plus on se
sent redevable envers la collectivité ;
3) Augmente la probabilité qu’émerge un mouvement social (lien entre églises et mouvement des
droits civiques des Noirs-Américains) ;
4) Transforme son identité personnelle (épanouissement dans le bien-être collectif).

Pierre BOURDIEU : « L’ensemble des ressources actuelles ou potentielles qui sont liées à la possession
d’un réseau durable de relations plus ou moins institutionnalisées d’interconnaissance et
d’interreconnaissance » (Les formes de capital, 1986). Trois formes de capital chez BOURDIEU :
économique, culturel et social >> Le capital social nourrit le capital économique (réseau d’un entrepreneur

15
lui amenant des clients) et le capital culturel (professeur présentant ses travaux en conférence puis
échangeant ac les autres).

5. Cohésion sociale : le lien social est macrosociologique

Cohésion sociale (processus : suffixe « -sion » marquant une action ou le résultat de celle-ci) :
« solidarité des membres d’un groupe résultant de l’attraction réciproque ou de la complémentarité des
individus qui le composent, d’une communauté de buts, d’actions, de normes » (Madeleine GRAWITZ
(français), Lexique de sciences sociales, 2004).

6. Intégration sociale : le lien social est macrosociologique ou microsociologique

Intégration sociale (processus : suffixe « -tion » marquant une action ou le résultat de celle-ci) :
- S’applique à la société, « vouloir vivre ensemble » (E. DURKHEIM, vs. anomie).
- S’applique à l’individu (vs. exclusion : immigration).

Robert PARK et Ernest BURGESS : assimilation : « Processus d’interpénétration et de fusion où des


individus et des groupes acquièrent les souvenirs, les sentiments et les attitudes d’autres personnes et
d’autres groupes et, en partageant leurs expériences et leur histoire, se mélangent à eux dans une vie
culturelle commune » (Introduction to the Science of Sociology, 1921).
- Assimilation (France : pas de signe religieux en tant que fonctionnaire ou dans
école/collège/lycée)
- Multiculturalisme (US : signes religieux dans l’administration et dans l’enseignement ; statistiques
ethniques).

François DUBET (français) : « Alors que l’intégration est définie comme un ordre culturel et social
surplombant les pratiques des acteurs, la cohésion désigne un mécanisme inverse de production de la
société : celui des accords et des coordinations qui résultent des pratiques sociales. L’intégration s’impose
d’en haut, la cohésion vient d’en bas » (Le travail des sociétés, 2009).

>> Danilo MARTUCCELLI (français) et François DUBET (Dans quelle S° vivons-nous ?, 1998) : la
montée de l’individualisme invite le sociologue à se concentrer sur l’expérience individuelle et non plus
sur les macrostructures car l’individu s’en détache (rôles sociaux : approches structuralistes, culturalistes,
fonctionnalistes, etc.). Effritements : famille (divorces), légitimité des enseignements (internet, étudiant-
client), États-nation (revendications locales, mondialisation et crise de la représentation), liens territoriaux,
classes sociales difficilement perceptibles voire inexistantes, montée du chômage et forte augmentation
des contrats courts (fin de la socialisation par le travail), augmentation de l’immigration, etc.
>> Pour ces auteurs, il faut donc privilégier le terme « cohésion » (d’en bas) à celui d’« intégration » (d’en
haut).

SOUS-SECTION 2. L’effritement du lien social

RAPPEL :
- Ibn KHALDUN (14e s.) : asabiya (cohésion sociale faible dans les empires)
- Émile DURKHEIM (De la division du travail social, 1893) : solidarité mécanique (S° traditionnelle) /
organique (S° industrielle)
- Alexis de TOCQUEVILLE (1835) : démocratie et individualisme
- Max WEBER (1920) : Communalisation / Sociation et domination légale rationnelle
- Ferdinand TÖNNIES (1887) : Communauté (gemeinschaft) / Société (gesellschaft)
- Karl MARX (Manifeste du parti communiste, 1848) : « frissons sacrés et pieuses ferveurs, enthousiasme
chevaleresque, mélancolie béotienne sont noyés dans l’eau glacée du calcul égoïste ».

Auguste COMTE (Opuscules de philosophie sociale, 1883 [posthume]) : « loi des trois états ».
(1) État théologique (Moyen Âge et Ancien Régime) : relations sociales comme résultante d’un
droit divin surnaturel ;
(2) État métaphysique (siècle des Lumières) : relations sociales comme résultante de droits
individuels abstraits universels (liberté et souveraineté du peuple, contrat social de J.-J.
ROUSSEAU) ;
(3) État scientifique (ou « positif ») (à venir) : relations sociales comme résultante d’une
organisation rationnelle de la société (sociologie scientifique).

16
David RIESMAN, Nathan GLAZER et Reuel DENNEY (The Lonely Crowd, 1950) : d’après le cas
étasunien, identifient 3 types de culture : celle qui est orientée vers la tradition (tradition-directed), celle qui
est orientée vers l'intérieur (inner-directed) et celle qui est orientée vers l'extérieur (other-directed).
(1) Tradition-directed : relations sociales définies par les générations précédentes.
(2) Inner-directed (révolution industrielle) : relations sociales définies par des individus confiants
s’émancipant des traditions. Rigidité de la personnalité possible.
(3) Other-directed (1940s) : malléabilité d’une classe moyenne (croissante) dans la façon de vivre
les uns avec les autres. Flexibilité et adaptation aux autres. « La personne dirigée par l'autre
veut être aimée plutôt qu'être estimée ». Cette flexibilité traduit un désir de recréer du lien
social.

François DE SINGLY (français) : « La ‘crise’ du lien social est, par définition, une caractéristique des
sociétés modernes. Elle n’est pas un raté du modèle, elle est constitutive du modèle. Nous serons en crise
tant que nous serons dans des sociétés démocratiques » (Les uns avec les autres. Quand l’individualisme
créé du lien, 2003)

Robert PUTNAM (US, Bowling Alone, 1995) : depuis les années 1950, la S° US se caractérise par
plusieurs baisses :
- Participation politique,
- Participation associative/syndicale/religieuse/clubs (Lions Clubs, Rotary Club, Franc Maçonnerie…),
- Confiance dans les institutions (en général) et dans les individus,
 Se matérialise par un nombre grandissant d’Étasuniens pratiquant le bowling seul (alors qu’il
s’agissait d’une pratique sociale avant).
Pourquoi un tel effritement selon R. PUTNAM ?
- Temps de travail (Internet) et mobilité professionnelle,
- Étalement urbain,
- La technologie qui individualise le temps de loisir des individus via TV et Internet.

Zygmunt BAUMAN (polonais et britannique) :


- S° solide : organisations collectives, structuration institutionnelle du social (travail, famille, mariage,
etc.)
- S° liquide : S° de consommation dont l’unique référence est l’individu. Le statut social et la réussite
sont définis en termes de choix individuel.
Ex 1 : télé-réalité où « ce qui est mis en scène, c'est la jetabilité, l'interchangeabilité et l'exclusion »
(S'acheter une vie, 2008).
Ex 2 : l’amour est formé « jusqu’à nouvel ordre » : se faire larguer par texto (L'Amour liquide, 2003).

SECTION 2. SOCIOLOGIE DES RÉSEAUX SOCIAUX

SOUS-SECTION 1. Réseaux sociaux

1. Définitions

NTIC : Nouvelles technologies de l’information et de la communication (Facebook, Twitter,


Instagram/Pinterest/Flickr/Snapchat, Linkedin/Viadeo, Youtube/Dailymotion/Vimeo, Twitch [jeux-vidéo],
Google +, Tumblr, Meetup, Wikipédia, Spotify/Deezer…)

Pierre MERCKLÉ : réseau social : « ensemble d’unités sociales et de relations que ces unités
entretiennent les unes avec les autres, directement ou indirectement, à travers des chaînes de longueurs
variables. Ces unités sociales peuvent être des individus, des groupes informels d’individus ou bien des
organisations plus formelles comme des associations, des entreprises voire des pays » (Sociologie des
réseaux sociaux, 2011).

Nicole ELLISON et Danah BOYD : réseaux sociaux d’Internet = « services Web qui permettent aux
individus de construire un profil public ou semi-public dans le cadre d'un système délimité, d'articuler une
liste d'autres utilisateurs avec lesquels ils partagent des relations ainsi que de voir et de croiser leurs listes
de relations et celles faites par d'autres à travers la plateforme » (« Social Network Sites : Definition,
History, and Scholarship », 2007)

17
Jacob Levy MORENO (fondateur sociométrie, Who Shall Survive?, 1934) : « Les unités sociales sont
avant tout des systèmes de préférences, d’attractions et de répulsions mutuelles ».

Sociométrie : « étudier avec l’aide des mathématiques les liens psychologiques qui se tissent au sein des
collectivités » (Jean MAISONNEUVE, Dictionnaire de la sociologie, 1998).

2. Les traditions d’analyse

2 écoles de pensées depuis les années 1950-1960 :


- École de Manchester (qualitative, faible succès).
- École de Harvard (quantitative/structuraliste, fort succès) : ex : sociogramme.

NOTE : Boucle (autocitation), rarement utilisée.

NOTE : Réseau en étoile = Réseau égocentré (égocentrique/personnel).

NOTE : le « trou structural » a été formalisé par Richard BURT (Les trous structuraux, 1992).

SOUS-SECTION 2. Le non-effritement du lien social

Henri MENDRAS (français) : « bavardage sociologique » car absence de mesures scientifiques


comparables (« Le lien social en Amérique et en Europe », 2001)

Olivier DONNAT (« Pratiques culturelles des Français à l'ère numérique », 2009) : d’après sondages de
1997-2008, plus les gens utilisent internet, et plus ils vont – par ordre décroissant – au cinéma, au musée,
au théâtre, voire lisent des livres (corrélation).

Carole-Anne RIVIÈRE (française) : les célibataires ont plus d’interactions sociales que les couples, en
termes d’interactions directes (sorties, repas chez soi…) et indirectes (téléphone, internet…). Ces
interactions indirectes sont des « sociabilités de substitution ».
- Dans un cas, elles permettent de renforcer l'intensité des contacts existants en face à face (chez les
jeunes par exemple).

18
- Dans l'autre, elles sont un contact de substitution qui compense un isolement chez les personnes
vivant seules (les retraités par exemple) ou qui ne travaillent pas (les chômeurs par exemple). (La
sociabilité téléphonique [thèse], 1999).

Mark GRANOVETTER (US) : « La densité des échanges au sein d’un milieu ne repose pas sur la densité
des réseaux interpersonnels, mais tout au contraire sur leur dilatation. Les deux densités varient en sens
inverse. » (« La force des liens faibles », 1973) >> Nos liens forts (famille, amis) peuvent s’affaiblir mais,
parallèlement, nos liens faibles (collègues de travail, voisins…) peuvent augmenter. Plus il y a de trous
structuraux et plus le capital social d’un individu est fort : plus un individu a de liens faibles et plus son
capital social augmente. Pourquoi ? Car un lien fort offre un savoir répétitif mais un lien faible offre un
savoir plus rare (offre d’emploi).

Six degrés de séparation / théorie des six poignées de main (pas plus de 5 intermédiaires) : Frigyes
KARINTHY (écrivain hongrois) en 1929 puis nombreuses études « du petit monde » (dont Stanley
MILGRAM [US] dans les années 1960 [paradoxe de Milgram]).

SOUS-SECTION 3. Nouveaux travaux sur les réseaux sociaux d’Internet

Exemples d’analyse des réseaux sociaux en science politique : extrême-droite (Facebook), campagne
électorale (Twitter, blogs : Marie Neihouser, Julien Boyadjian), communautés militantes (Discord),
mouvements sociaux (#metoo, #balancetonporc) etc.

Classmates (1995) : le premier, destiné aux retrouvailles entre anciens du lycée (sorte d’annuaire).
Sixdegrees (1997) : premier site utilisant toutes les fonctions de base d'un réseau social.
Facebook (2004)

Jean-Samuel BEUSCART et Patrice FLICHY (« Plateformes numériques », 2018) :


- Années 1980 : plateformes industrielles (production d’un ou plusieurs biens [Renault et Nissan :
économies d’échelle], gestion des déchets, résidences ouvrières, etc.)
- Années 1990 : plateformes numériques. La plateforme est un « intermédiaire dans l’accès aux
informations, contenus, services ou biens édités ou fournis par des tiers. Au-delà de sa seule
interface technique, elle organise et hiérarchise les contenus en vue de leur présentation et leur
mise en relation aux utilisateurs finaux » (Conseil national du numérique, « Ambition numérique »,
2015) > covoiturage, vente d’objets, location, entraide entre voisins, Uber [taxi et livraison], vidéos
d’information, recette de cuisine, cartographie, films et séries, archives, etc. La plateforme
rapproche l’offre et la demande.
3 fonctions dégagées par la littérature scientifique :
1) Rendre visible un nouveau public amateur en contournant les personnalités traditionnelles
professionnelles (élites politiques, journalistes, scientifiques…) : « démocratisation des
jugements », renforcement des capacités critiques des individus.
2) Economie du partage, collaboration, réduction de l’empreinte écologique (suppression des
intermédiaires). Image de la pollinisation : les facultés créatives et coopératives des
individus se développent et contestent toute forme d’appropriation par les institutions
traditionnelles (parti, syndicat, entreprise). À l'instar des abeilles, qui en menant leurs
activités pour le compte de leur propre ruche contribuent à la pollinisation de l'ensemble de
leur écosystème, les coopérations sur Internet produisent des externalités positives pour
l'ensemble de la collectivité (intelligence collective, biens communs ne pouvant être
appropriés par l'État ou le marché, de nouvelles formes d'échanges…).
3) Exploitation capitaliste, mise en concurrence des participants (entre eux, et avec les salariés
classiques), voire, remise en cause des acquis du salariat et retour au système
précapitaliste du paiement à la tâche. Le consommateur « travaille » aussi et se substitue
aux anciens fournisseurs. Ceci, au profit des grandes entreprises du Net.

Stuart OULTRAM (“Virtual plagues and real-world pandemics”, 2013) : sur l’incident du sang vicié
(Corrupted Blood incident) de World of Warcraft - MMORPG (massively multiplayer online role-playing
game). Pandémie virtuelle accidentelle d’environ deux semaines en septembre 2005 (le jeu sortant en
2004-2005). Introduction d'un nouveau niveau où un boss (Hakkar l'Écorcheur d'Âmes) lance sur les
joueurs un sort contagieux appelé « sang vicié ». Sort pourtant restreint au donjon du boss (dans ce
nouveau niveau). Or, ce sort contamine rapidement l’ensemble du monde virtuel : PNJ (personnages non

19
joueurs) et familiers ont été porteurs sains. Différents comportements des 4 millions de joueurs de l’époque
(dans le monde) :
- Se réfugier dans les campagnes,
- Ne pas jouer,
- Soigner les autres (pour les personnages de guérison)
- Contaminer les autres et ne pas respecter les mesures de quarantaine des développeurs (ces
derniers les qualifiant de « terroristes »)
- Téléphoner à Blizzard pour se plaindre de la perte de son personnage.
En 2008, Blizzard renouvelle l’expérience intentionnellement durant une semaine (Great Zombie Plague of
'08) pour faire la promotion d’une nouvelle extension du jeu.
[Une autre infection, non intentionnelle, a duré 1 jour en 2017]
Le CDC a demandé à Blizzard les données de cette pandémie de 2005 pour en comprendre les facteurs
sociaux. Néanmoins, si les collaborations entre MMORPG et recherche (épidémiologie, stratégies
d’organisations bioterroristes, etc.) se développent de plus en plus, il faut être prudent aux biais
méthodologiques :
- Les risques vitaux sont moindre en virtuel
- Les comportements des joueurs peuvent être influencés par le design du jeu (GTA : gains en cas
de vols de voiture, de meurtre et de collaborations avec la mafia).

20
SÉANCE 4 : FAMILLE

SECTION 1. LA FAMILLE COMME INSTITUTION SOCIALE

Emile DURKHEIM : La famille est un « fait social ».


- Fait social : « toute manière de faire, fixée ou non, susceptible d'exercer sur l'individu une
contrainte extérieure ; et, qui est générale dans l'étendue d'une société donnée tout en ayant une
existence propre, indépendante de ses diverses manifestations au niveau individuel » (Les règles
de la méthode sociologique, 1895).
- « La parenté est essentiellement constituée par des obligations juridiques et morales que la société
impose à certains individus. (…) Toute parenté est sociale. » (« Notes critiques », 1898)

Marcel MAUSS (français, 1872-1950, neveu/collaborateur de DURKHEIM [sœur aînée], père de


l'anthropologie française : système des dons/contre-dons) : la famille est un « fait social total ».
- Fait social total : « ils mettent en branle dans certains cas la totalité de la société et de ses
institutions (potlatch, clans affrontés, tribus se visitant, etc.) et dans d’autres cas seulement un très
grand nombre d’institutions, en particulier lorsque ces échanges et ces contrats concernent plutôt
des individus. Tous ces phénomènes sont à la fois juridiques, économiques, religieux, et même
esthétiques, morphologiques, etc. » (M. MAUSS, Essai sur le don, 1924).
- Potlatch : cérémonie pratiquée notam. par tribus indigènes d'Am. Nord. Des clans détruisent des
objets ou donnent des objets au rival qui est contraint à son tour de donner davantage.

Claude LÉVI-STRAUSS : Nombreuses sociétés présentent une relative répulsion à l’égard du célibat et
des couples sans enfants. Réseau composé de droits et obligations + interdits sexuels + nombreux
sentiments (amour, affection, respect, crainte…).
« Le mariage n’est pas, n’est jamais et ne peut pas être une affaire privée » (« La famille », 1956).

Rémi LENOIR : « instance de reproduction biologique et sociale » (« Politique familiale et construction


sociale de la famille », 1991)

Yves ALPE, Alain BEITONE, Christine DOLLO, Jean-Renaud LAMBERT, Sandrine PARAYRE :
« groupe social composé de deux personnes au moins, ayant une résidence commune et unies par des
liens de parenté (règles d’alliance, de filiation, de germanité) et un réseau de droits et obligations (droit de
porter un certain nom, droit à l’héritage, obligation alimentaire, obligation d’éducation, prohibition de
l’inceste, etc.) » (Lexique de sociologie, 2014)

SECTION 2. LES STRUCTURES ELEMENTAIRES DE LA PARENTE DE CLAUDE LEVI-


STRAUSS (1949)

Théorie de l'alliance : analyse des relations de parenté. Le premier théoricien : LEVI-STRAUSS ac Les
structures élémentaires de la parenté (1949). Principe : la prohibition de l’inceste conduit à l’exogamie
(échange des femmes généralement) : « La prohibition de l'usage sexuel de la fille ou de la sœur contraint
à la donner en mariage à un autre homme, et, en même temps, elle crée un droit sur la fille ou sur la sœur
de cet autre homme. » Cet échange des femmes est à l’origine de la société (relations entre familles).

Structure élémentaire de la parenté : la femme est réservée à un groupe ou un parent donné (un ou plsr
clans/lignages).
• Echange restreint : deux groupes s’échangent mutuellement leurs femmes au cours d’une
même génération.
• Echange généralisé : la femme d’un groupe « A » est donnée au groupe « B », ce dernier
devant donner une femme au groupe « C » qui, lui-même, donnera une femme au groupe
« A ». Dure, parfois, plusieurs générations.
Structure complexe de la parenté : la femme n’est pas réservée à un groupe donné. Elle est libre, ou
non, de choisir son partenaire.

Atome de parenté (généralement : homme, femme, enfant, frère de la femme) :

21
Triangle : homme.
Rond : femme.
Carré : sexe indéterminé.
Double barre : alliance/mariage.
Ego : individu de référence.

6 contre-exemples [attention, certaines tribus n’existent plus] :


• Contre-exemple 1 : Asie et Océanie (Garo, Jörai, Nagovisi, Minangkabau) : hommes échangés
par des femmes.
• Contre-exemple 2 : la dot (le preneur compense la perte homme/femme à la famille, parfois en
Afrique).
• Contre-exemple 3 : quelques ethnies chinoises et indiennes (Na et Moso au Tibet) où les
termes « mari » ou « père » n’existent pas. Les femmes ont plusieurs amants sans devoir être
en couple (« visites nocturnes » et jalousie mal vue). Les femmes résident avec leurs frères. Le
mariage n’existe pas.
• Contre-exemple 4 : (Maasaï au Kenya, Guidar au Cameroun, Bororos au Brésil, Guayaki au
Paraguay…) les femmes ont plusieurs hommes (polyandrie vs. polygynie)(polygamie : une
personne ac plsr conjoints).
• Contre-exemple 5 : (Nuer du Sud Soudan et d’Ethiopie) les femmes stériles comptent comme
un homme et peuvent se marier à une ou plusieurs femmes. Les enfants conçus grâce à un
géniteur payé sont ceux des deux femmes. La femme stérile est appelée « papa ».
• Contre-exemple 6 : mariage entre frères et sœurs autorisé dans l’Egypte antique (- 3000 à 0) et
la Perse antique (- 3000 à - 1000).

SECTION 3. QUELQUES DEFINITIONS DE LA THEORIE DE L’ALLIANCE

SOUS-SECTION 1. Définitions de la filiation

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4 formes de filiations :
• Unilinéaires : patrilinéaires (ou agnatique) et matrilinéaires (ou utérine).
• Ambilinéaire. Enfants héritent des biens immobiliers du père (terres, maisons) et des biens
mobiliers de la mère (argent, bétail). Ils vénèrent les ancêtres du père uniquement.
• Bilinéaire : rare.
• Indifférencié (ou cognatique) : proche du système occidental (ac légère inflexion patrilinéaire :
nom de famille du père).

SOUS-SECTION 2. Définitions des règles d’alliance

Monogame, polygame (polyandrique, polygynique).

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Polyandrie adelphique : plusieurs frères partagent une même femme.
Polygynie sororale : plusieurs sœurs partagent un même homme.
Lévirat : obligation faite à une femme d’épouser le frère célibataire de son défunt mari. L’enfant ainsi conçu
est celui du défunt. (juif : ibun ?)
Sororat : la sœur d’une défunte ou d’une femme stérile épouse son mari. L’enfant conçu est celui de cette
femme défunte/stérile.
Exogamie/endogamie/agamie (pas d’obligation).
Homogamie sociale (même caractéristiques sociales, culturelles, économiques).

En France, actuellement :
• Les personnes divorcées ou veuves ne peuvent épouser (OK si PACS) :
- ni un enfant de leur ex-époux (même adopté),
- ni un parent de leur ex-époux.
• Les enfants adoptés, ou non, d’une même personne ne peuvent se marier.
• Les « oncle/tante » peuvent épouser leur « neveu/nièce » si adoption simple (mais non si
adoption plénière).

SOUS-SECTION 3. Définitions du lieu de résidence des conjoints

Virilocal/patrilocal : proche de la résidence des parents du mari.


Uxorilocal/matrilocal : proche de la résidence des parents de la femme.
Duolocal : dans des résidences séparées.
(Am)bilocal : alternativement à proximité du domicile des parents de l’un puis de l’autre.
Avunculocal : proche de la résidence de l’oncle maternel. Ex : les Moso (Chine) sont une société
matrilinéaire (les enfants sont rattachés au groupe parental maternel, qui les élève, leur transmet le nom et
l'héritage), matrilocale (les femmes sont au centre de leur famille et ne la quittent pas pour rejoindre leur
conjoint après une union) et avunculaire (la paternité des enfants est exercée par leur oncle maternel).
Néolocal : ni avec la famille du mari ni avec celle de l’épouse (S° contemporaine).
Natolocal : séparés et proches de leurs familles respectives.

SECTION 4. LE SENTIMENT AMOUREUX

SOUS-SECTION 1. L’apparition du sentiment amoureux au 18e siècle

Jean-Louis FLANDRIN (Familles, 1976) et Segalen MARTINE (Sociologie de la famille, 1981) : l’attirance
réciproque était davantage développée dans les familles pauvres car le patrimoine n’était pas en jeu.

Edward SHORTER (US/Canadien) : les milieux populaires envahissent les villes au 18e siècle : l’écoute
du sentiment amoureux se propage (couple ET amour maternel/paternel) : « L’amour maternel fut à
l’origine de la création d’un nid affectif à l’intérieur duquel la famille moderne allait se blottir, arrachant bien
des femmes à la vie collective qu’elles avaient jusqu’alors menée. […] Le ciment affectif de la famille
moderne englobe plus que le mari et la femme ; il maintient aussi leurs enfants à l’intérieur de cette unité
sentimentale » (Naissance de la famille moderne, 1977).

SOUS-SECTION 2. Évolution sociale du sentiment amoureux

Michel BOZON (français) (Sociologie de la sexualité, 2002) En France :


- Les couples vivant préalablement en concubinage font des petits mariages (faible implication de
la famille),
- Les couples ne vivant pas en concubinage font des grands mariages (fiançailles, gmt religieux, forte
implication famille)

Milan BOUCHET-VALAT (français) (« Les évolutions de l'homogamie de diplôme, de classe et d'origine


sociales en France (1969-2011) », 2014) : baisse de l’homogamie sociale (vs. hétérogamie sociale) en
France, sauf dans les classes supérieures (grandes écoles). « L’entre-soi des classes supérieures par
rapport aux classes moyennes et populaires ».

Anthony GIDDENS (UK) (La transformation de l'intimité, 1992) : au début des années 1990, révolution
sexuelle :

24
- conquête par les femmes de leur autonomie/plaisir sexuelle,
- épanouissement de l’homosexualité (hommes et femmes confondus),
- rôle de la sexualité comme « point essentiel de jonction entre le corps, l’identité personnelle et les
normes sociales ».
La « sexualité plastique » s’oppose à l’amour romantique et à la relation conjugale : la relation dure tant
« qu’elle donne suffisamment satisfaction à chacun pour que le désir de la poursuivre soit mutuel ».
(cf. amour liquide de Zygmunt BAUMAN)

SECTION 5. QUELQUES TRAVAUX SUR LA FAMILLE CONTEMPORAINE

Ralph NUNEZ et Cybelle FOX ("A Snapshot of Family Homelessness Across America, 1999) : depuis 15
ans, les familles US à la rue augmentent en nombre. En 1999 : 400 000 familles vivant en
bidonvilles/logement d'urgence (soit 1,1 millions d'enfants). Etude à partir d'un échantillon représentatif (10
villes d'Etats différents). Modèle typique d'une famille à la rue (à 90 % !) : une mère seule d'environ 30 ans
avec 2 ou 3 enfants d'environ 5 ans - en majorité des Africains-Américains (peu de Blancs). Seuls 1 % des
parents (homme ou femme) est en situation illégale, 5 % se compose d'immigrés et 95 % de citoyens US.
En moyenne, ces familles sont à la rue depuis 8 mois et environ 40 % des parents ont déjà été à la rue
auparavant. 57 % des parents précédemment en couple sont à la rue en raison de violences domestiques.

Emmanuelle CRENNER, Nicolas HERPIN, Jean-Hugues DECHAUX (« Le lien de germanité à l’âge


adulte », 2000) : étude statistique à partir d’une enquête de l’Insee (6 000 ménages, 1997). Chaque
individu appartient à deux familles nucléaires : celle dans laquelle il est né, sa famille d’orientation, et
celle qu’il crée avec son conjoint et ses enfants, sa famille de procréation. Caractéristiques de la parenté
occidentale moderne :
1) Liens de germanité non normés (grande variabilité d’un individu à l’autre). Contrairement au lien de
filiation direct (parent/enfant), les relations entre frère/sœur sont régies par le choix et l’intérêt et non par
des obligations statutaires.
2) Pas de différences entre hommes et femmes (étonnant car la femme a généralement pour fonction
d’assurer le lien social).
3) Le lien de germanité est donc second par rapport au lien de filiation direct (père et mère-enfants adultes)
: la fréquence des relations entre germains décline lorsque les individus s’établissent en couple et ont des
enfants.

25
SÉANCE 5 : GENRE

La sociologie du genre remet-elle en cause la distinction homme/femme ? Oui et non.


TERF (Trans-exclusionary radical feminist), inventé en 2008 : utilisé par des militantes trans pour désigner
des militantes féministes qui considèrent que la lutte « trans » n’a pas sa place dans la lutte féministe.

SECTION 1. DÉFINITION DU GENRE

Mettre en avant les différences non biologiques (ie sociales, économiques, psychologiques) entre les
femmes et les hommes, voire, nuancer les différences biologiques.

Emile DURKHEIM : Les femmes sont souvent séparées des hommes. Elles sont porteuses d’« un mystère
», poussant les sexes « à former en quelque sorte deux sociétés dans la société » (« La prohibition de
l’inceste et ses origines », 1898).

Margaret MEAD (US), Mœurs et sexualité en Océanie (1935) : la personnalité est « moins fonction du
sexe que d’un système de rôles imposé par le modèle culturel en vigueur dans une société donnée ».

Robert STOLLLER (US, psychiatre et psychanalyste), distingue :


- Sexe (mâle ou femelle) : biologique (chromosomes, organes génitaux externes, gonades, appareils
sexuels internes, état hormonal, etc.) ;
- Genre (identité de genre) : état psychologique. « Le sexe et le genre ne sont nullement
nécessairement liés. » (Masculin ou féminin, 1989)
 « Le terme ‘identité de genre’ renvoie au mélange de masculinité et de féminité dans un individu, ce
qui implique que l’on trouve et la masculinité et la féminité chez chacun, mais sous des formes
différentes et à des degrés différents » (Masculin ou féminin, 1989).
 Rôle de genre : « Le rôle de genre est la conduite déclarée que l'on montre en société, le rôle qu'on
joue, notamment vis-à-vis des autres » (homosexuels se montrant en couple avant : il n’y a pas
davantage d’homosexuels) (Sex and gender, 1968)

SECTION 2. INÉGALITÉS DES RAPPORTS GENRÉS

SOUS-SECTION 1. Dans les sociétés non occidentales

Pierre CLASTRES (français) : les chasseurs ne touchent pas aux paniers des femmes (cueillette) et les
femmes ne touchent SURTOUT pas à l’arc des chasseurs. « Le contact de la femme et de l’arc est
beaucoup plus grave que celui de l’homme et du panier. Si une femme s’avisait de saisir un arc, elle
attirerait à coup sûr sur son propriétaire le pané, c’est-à-dire la malchance à la chasse, ce qui serait
désastreux pour l’économie des Guayaki » (La société contre l’État, 1974) [Paraguay, sud-est Brésil].

Maurice GODELIER (français) : il faut 10 ans de ségrégation sexuelle et 4 grands rites pour fabriquer un
homme. Il faut seulement 2 semaines pour fabriquer une femme. « Auto-répression que chaque sexe
exerce sur lui-même pour se disjoindre et s’exclure du domaine de l’autre » (La production des Grands
hommes. Pouvoir et domination masculine chez les Baruya de Nouvelle-Guinée, 1982) [Nord Australie]

Gilbert HERDT (US) : invite à sortir de la division binaire homme/femme (ouvrage collectif : Third Sex Third
Gender, 1996).
- Berdache (bispirituels) : transgenre amérindiens (Am. N.),
- Fa'afafine (transgenre) en Polynésie (îles Samoa, à l’est de l’Australie).
- Vierges sous serment des Balkans (Albanie surtout, Kosovo, Macédoine, Serbie, Monténégro) :
femmes décidant de vivre comme des hommes (vœu de chasteté et vêtements masculins).
- Hijras en Inde (transgenre).
- Transsexuels aux USA.
- Eunuques [testicules voire pénis] (Chine 16e-17e s., Rome antique, Grèce antique, Empire byzantin
(succède à l’Empire romain), Empire ottoman).
- “Molly houses” à Londres (maison close homosexuelles).
- Guevedoche (androgynes) en République dominicaine (est de Cuba/Haïti).
- Kwolu-aatmwol (androgynes) de Nouvelle-Guinée (Nord Australie).

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« Les catégories individuelles et l’essentialisme scientifique du dimorphisme sexuel sont un obstacle en
anthropologie et en histoire en raison, notamment, de la surestimation du genre et de la sous-estimation de
la sexualité comme sujet d’anthropologie » : cessons de coller des étiquettes au genre (qui empêche de
penser la complexité) et étudions, désormais, les relations sexuelles qui sont les grandes oubliées de
l’anthropologie.

SOUS-SECTION 2. Dans les sociétés occidentales

1. L’opposition masculin/féminin

Nicole-Claude MATHIEU (française) : les 2 « mécanismes de l’androcentrisme de la recherche » : « la


survisibilisation des femmes par les explications à tendance naturaliste et leur invisibilisation en tant
qu’acteurs sociaux. » (L’anatomie politique, 1991)
- Explication naturaliste : exemple de l’échange des femmes chez C. LEVI-STRAUSS.
- Acteur sociaux : femmes en relations internationales (en tant que femme, infirmière, prostituée,
amante…).

Erving GOFFMAN (canadien puis étasunien) : « La femme des publicités paraît souvent détachée de ce
qui l’entoure (‘l’esprit ailleurs’), alors qu’elle est aux côtés d’un homme, comme si la vigilance de celui-ci,
prêt à affronter tout ce qui pourrait arriver, suffisait pour deux » (« La ritualisation de la féminité », 1976)

Georges FELOUZIS (français) : « Elles [les filles] sont plus souvent concentrées sur leur tâche scolaire ou
sur le discours de l’enseignant, elles coopèrent plus souvent avec un pair (surtout lorsqu’elles sont de
milieu ouvrier) pour redéfinir les consignes données par le professeur ou le contenu de son discours »
(« Interactions en classe et réussite scolaire », 1993). Garçons (chiffres) : bavardages, grimaces/rires,
regards dans le vague, déplacements illicites.

Pierre BOURDIEU : « On attend d’elles qu’elles soient ‘féminines’, c’est-à-dire souriantes, sympathiques,
attentionnées, soumises, discrètes, retenues, voire effacées. Et la prétendue ‘féminité’ n’est souvent pas
autre chose qu’une forme de complaisance à l’égard des attentes masculines, réelles ou supposées,
notamment en matière d’agrandissement de l’ego. En conséquence, le rapport de dépendance à l’égard
des autres (et pas seulement des hommes) tend à devenir constitutif de leur être » (La domination
masculine, 1998).

Martine SEGALEN (française) : « Dans l’ensemble, les femmes mordent sur les rôles masculins, alors que
l’inverse n’est pas vrai. L’explication est simple. Si gérer un budget ou signer une feuille de déclaration
d’impôts a un côté valorisant pour les femmes et peut prendre l’aspect d’une promotion sociale, les
hommes n’ont pas le désir de charger la machine à laver la vaisselle ou de faire cuire les nouilles du dîner
quotidien. » (Sociologie de la famille, 1988) Aujd : si l’on compare homme/femme à temps plein, la femme
fait 2 fois plus de (1) Ménage, courses et (2) Soins aux enfants.
- En France (INSEE 2010), les femmes consacrent par jour :
• 2h39 au travail professionnel et à la formation (contre 3h55 pour les hommes),
• 3h52 au travail domestique (ménage, cuisine, linge, courses, enfants surtout) (contre 2h24 pour les
hommes (jardinage et bricolage surtout),
• 3h46 aux loisirs (contre 4h24 pour les hommes) : télévision, jeux, internet, lecture, sport …

Stephanie COONTZ (The Way We Never Were, 2016 [1992]) : s’oppose à la rhétorique conservatrice
étasunienne qui affirme que les problèmes sociaux contemporains sont le fruit d’un déclin de la « famille
traditionnelle ». Les inégalités économiques sont de plus en plus fortes depuis 1996 et créent, selon elle,
« deux gigantesques plaques tectoniques souterraines qui se déchirent dans certains domaines de la vie et
se heurtent dans d'autres, remodelant et déstabilisant le sol sur lequel les individus et les familles ont
traditionnellement construit leur vie ». Elle affirme que la famille traditionnelle stable n’a pas empêché
l’abandon des enfants ou les abus physiques et sexuels. Exemples de contradictions contemporaines sur
le rôle des mères :
- Fête des Mères : initialement créée au 19e siècle par Anna JARVIS pour rendre public le rôle des mères
dans les soins et l’accompagnement qu’elles donnent aux victimes de la guerre civile (entre Nord et Sud,
sur la question de l’esclavage, de 1861 à 1865). Anna JARVIS dénonça la commercialisation de cette
journée (vente de cartes, etc.) en lançant un boycott et des poursuites judiciaires à l’égard des entreprises
vendant ces cartes.

27
- L’implication des hommes dans l’éducation des enfants est perçue comme étant toujours une
« implication » (inimaginable pour une femme).
- La sexualité des femmes n’est plus définie par le mariage et la maternité. Mais l’accès à l’avortement et
à la contraception sont toujours limitées.

D’autres phénomènes interrogent les sociologues :


- Les femmes accomplissent 66 % du travail mondial, produisent 50 % de la nourriture, mais ne
perçoivent que 10 % du revenu global et 1 % des revenus de la propriété. (UNICEF, 2007)
- Les femmes représentent 70 % des pauvres dans le monde et gagnent 25 % de moins que les
hommes à compétence égale. Seules 20 % des femmes handicapées contre 53 % des hommes
handicapés ont un emploi.
- En France, 85 % des personnes prostituées sont des femmes et 93 % sont étrangères. Or, dans le
monde, les personnes prostituées ont un taux de mortalité 6 fois supérieur à la moyenne nationale.
- Les Parlements mondiaux (2 chambres) sont composés à 22 % de femmes (2014 – idem pour les
chambres basses/uniques – 36 % au Parlement européen).
- Les dirigeants d’un pays sont, à 11,7 %, des femmes (2014, 231 pays/territoires).
- Dans l’UE, les femmes représentent 32 % des cadres de direction et dirigeants d’entreprise (pire
pour les S° cotées en bourse) et 13 % des présidents de syndicats et partis politiques (2013).
« Plafond de verre ».
- Entre 40 % et 70 % des meurtres commis sur des femmes le sont par leur conjoint (Afrique du Sud,
Australie, Canada, États-Unis et Israël). Dans l’UE, les femmes handicapées ont de 1,5 à 10 fois
plus de risques d’être maltraitées que les femmes valides.
- France : 1 femme sur 4 n’a pas eu d’orgasme lors de son dernier rapport sexuel contre seulement 6
% des hommes.

2. Les LGBT(+) et la théorie queer

Lesbiennes (saphisme), gays, bisexuels et transgenres (remplace transsexuel : identité de genre


différente du sexe assigné à la naissance) + intersexes (chromosomes, anatomie, gonades ou hormones
non déterminés), asexuels (qui ne ressent pas d'attirance sexuelle pour une autre personne), queer
(allosexuel/altersexuel au Canada ; ou en questionnement ; toutes personnes refusant des étiquettes
hétéronormées ou cisnormée ; ensemble des minorités sexuelles et de genres ; ancienne injure
homophobe ; féminisme matérialiste [historique] et antipatriarcal ; Transpédégouines en France),
pansexuelles (être attiré par n’importe quel sexe/genre).
≠ Cisgenre : le sexe biologique (état civil) correspond au genre ressenti.

Eviter d’utiliser la notion de « transsexuel/transsexualité » : préférez les termes de « trans »,


« transgenre », MtF ou FtM (en tant qu’adjectif !), transidentitaire/transidentité.
Transsexuel/transexualité renvoie à :
- Sexe biologique ou orientation sexuelle (hétéro/homosexuel). Or, le sexe, la sexualité et le genre ne
sont pas corrélés.
- Rejet partiel du lexique médical et psychiatrisant + Passé traumatisant (stérilisation forcée, années
de psychiatries avant de pouvoir commencer une transition, mutilations corporelles…),
- Abus de langage : terme réservé parfois aux personnes ayant eu un traitement hormonal ou une
opération chirurgicale. Or, il est mal vu de s’intéresser à ce qui se passe dans le slip.

Théorie queer (sociologie) : la sexualité et le genre ne sont pas déterminés par le sexe biologique. La
sexualité est une composante essentielle de l’émancipation individuelle (travaux sur prostitution,
pornographie, sexualité du couple, etc.)

Teresa DE LAURETIS (italienne) : « par en-gendré, je signifiais que le sujet social était produit ou
constitué comme femme ou comme homme, qu’aucune autre alternative n’était donnée ; et que le genre
était ainsi inscrit ou implanté dans chaque sujet dès son origine, dès le tout début de la subjectivité, avant
même la perception des différences anatomiques. » (« La technologie du genre », 1987)

Christine DELPHY (française) : « le genre précède le sexe » (« Penser le genre : quels problèmes ? »,
2003).

Gayle RUBIN (♀ US) : « Le genre n’est pas seulement l’identification à un sexe ; il implique aussi que le
désir sexuel soit orienté vers l’autre sexe » (L’économie politique du sexe, 1975)

28
« Le mouvement féministe doit rêver à bien plus encore qu'à l'élimination de l'oppression des femmes. Il
doit rêver à l'élimination des sexualités obligatoires et des rôles de sexe. Le rêve qui me semble le plus
attachant est celui d'une société androgyne et sans genre (mais pas sans sexe) où l'anatomie sexuelle
n'aurait rien à voir avec qui l'on est, ce que l'on fait, ni avec qui on fait l'amour. » (L’économie politique du
sexe, 1975)

Judith BUTLER (US) : « Nombre d’universitaires s’engouffrent dans les études de genre sans avoir pour
le féminisme un intérêt particulier. Je crois qu’il est important de souligner que le travail du genre s’est
déployé dans un cadre féministe mais que, maintenant, souvent, on rencontre des définitions des études
de genre qui s’écartent clairement non seulement du féminisme, mais plus généralement des approches
politisées » (colloque 2007)
 Forte imprégnation féministe des études sur le genre dans les années 1970.

Judith BUTLER et sa « performativité du genre » :


 Performativité : un énoncé est performatif lorsqu’il réalise lui-même ce qu’il énonce. Ex : « Je
vous déclare mari et femme », sentence d’un juge, « that’s a deal ! », « je te parie que… ».
 Le genre est une performance sociale apprise, répétée, et exécutée : les discours et les actes
produisent le genre. Le genre « désigne l’appareil de production et d’institution des sexes eux-
mêmes » (Trouble dans le genre, 2006).

George CHAUNCEY (Gay New York [1890-1940], US, 2003) : La relation homosexuelle était auparavant
identifiée à une séparation homme/femme (seul l’homme efféminé du couple était stigmatisé). Elle est
aujourd’hui majoritairement jugée à l'aune de l'hétérosexualité (tout homosexuel est stigmatisé).

Michel FOUCAULT (meurt du Sida en 1984. Son compagnon Daniel DEFERT fonde AIDES en son
honneur) (Histoire de la sexualité, 3 tomes de 1976 à 1984 puis 4e tome posthume en 2018). La parole
sexuelle s’est libérée tout en restant contrôlée politiquement : « La conduite sexuelle de la population est
prise à la fois pour objet d’analyse et cible d’intervention ». Moins de répression, plus de contrôle sanitaire
(biopolitique). L’homosexuel est désormais uniquement perçu par sa sexualité qui lui est
« consubstantielle, moins comme un péché d’habitude que comme une nature singulière. » :
« L’homosexualité est apparue comme une des figures de la sexualité lorsqu’elle a été rabattue de la
pratique de la sodomie sur une sorte d’androgynie intérieure, un hermaphrodisme de l’âme. Le sodomite
était un relaps, l’homosexuel est maintenant une espèce ». (RELAPS : personne retombant dans le pêché
après y avoir préalablement renoncé : nouvelle forme de stigmatisation/ségrégation après la dépénalisation
de l’homosexuel). L’homosexualité est une nouvelle espèce, à part (hétéronormativité), devant faire
l’objet d’un contrôle sanitaire (VIH et dons du sang > 1983 : les homosexuels ne peuvent donner leur sang
[VIH]. 2016 : ils doivent déclarer une période d’un an sans changer de partenaire [contre 4 mois pour les
hétérosexuels]. Mais questionnaires souples)

Les sociologues travaillant sur les LGBT questionnent notamment les statistiques suivantes :
- L’homosexualité est illégale dans environ 70 pays (peine de mort : Iran, Arabie saoudite, Soudan,
Yémen). Illégale uniquement à l’égard des hommes : Inde, Pakistan, Bangladesh, Birmanie…
(2019)
- En moyenne, 3 à 4 fois plus de risque de mort par suicide chez homosexuels (surtout les hommes).
- Les étudiants homosexuels sont 2 à 3 fois plus harcelés verbalement que les hétérosexuels (USA).
- Les étudiants transgenres sont harcelés verbalement à 90 % (USA).
- 40 % des transgenres ont commis une tentative de suicide (vs. 5 % population nationale – USA).
Ce chiffre baisse si les liens familiaux sont restés forts après le coming out.
- Les transgenres sont exposés à un risque accru de stress, d'isolement, d'anxiété, de dépression, de
troubles du comportement alimentaire, de mauvaise estime de soi et de suicide
- Les enfants transgenres sont plus susceptibles d'être victimes de harcèlement et de violence à
l'école, d'être placés, ou accueillis, en famille d'accueil ou dans des centres pour sans-logis, et de
faire face à la justice pour mineurs.

SECTION 3. L’ÉCOFÉMINISME

Catherine LARRÈRE (« L’écoféminisme : féminisme écologique ou écologie féministe », 2012) :


Écoféminisme : terme introduit par une Française, Françoise d’EAUBONNE (« Le Temps de
L'Écoféminisme » in Le Féminisme ou la Mort [son ouvrage], 1974). Mais se développe surtout dans le
monde anglophone dès les années 1980. L’écoféminisme théorise le lien entre :

29
- Domination des hommes sur la nature,
- Domination des hommes sur les femmes.
Deux types d’écoféminisme :
1) Écoféminisme culturel : Karen WARREN (« The power and the promise of ecological feminism »,
1990) > Les hommes, sujets (vs objet) rationnels (vs émotionnel), actifs (vs passif), seraient en droit de
faire des femmes et de la nature les objets passifs de leur domination (cf. les dualismes de la pensée
moderne). À la vision conquérante et dominatrice des hommes, Karen WARREN oppose un rapport plus
féminin à la nature, fait d’affection, de soin (« care ») et d’empathie en raison de leur position de
domination (et non de leur féminité : pas d’essentialisme). Il faut donc écouter les femmes.
2) Écoféminisme social et politique : au Sud, intégrant un 3e type de domination (domination coloniale et
post-coloniale) qui pèse plus spécifiquement sur les femmes.
> Activités traditionnelles (aller chercher du bois, de l’eau) supprimées ou rendues plus difficiles par
l’industrialisation du travail agricole (intrants chimiques, suppression de leurs tâches, etc.). Les femmes
africaines accomplissent 60 % du travail agricole, et 60 à 80 % de la production de nourriture. Or, ce
travail, souvent non rémunéré, n’est pas comptabilisé dans les statistiques mondiales.
> Cible d’injonctions autoritaires de contrôle de la démographie. Or, le meilleur contraceptif, c’est le
développement.
Nombreux mouvements féministes, marginalisés et peu étudiés, pour développer l’agriculture extensive et
biologique (vs intrants chimiques) et le maintien des semences paysannes. Idem pour les mouvements
contre le nucléaire (et l’arme atomique).

30
SÉANCE 6 : CLASSES SOCIALES

SECTION 1. LA DIFFERENCE AVEC UNE CASTE

Caste : groupe fermé et séparé > on naît, on meurt et on se marie dans une caste.

Joseph SCHUMPETER (1883-1950, autrichien puis US) : « il s’agit d’un mouvement incessant d’entrées
et de sorties. […] Une classe peut être comparée, pour toute la durée de sa vie collective, c’est-à-dire
pendant le temps où elle demeure identifiable, à un hôtel ou à un autobus toujours rempli, mais rempli
toujours par des gens différents. » (Impérialisme et classes sociales, 1927)

Edmond GOBLOT (1858-1935, français) : « Nous n’avons plus de castes, nous avons encore des classes.
Une caste est fermée : on y naît, on y meurt ; sauf de rares exceptions on n’y entre point ; on n’en sort pas
davantage. Une classe est ouverte à des ‘parvenus’ et des ‘déclassés’. […] Une caste est une institution,
une classe n’a pas d’existence officielle et légale. » (La barrière et le niveau, 1925)

SECTION 2. LES CLASSES DE KARL MARX (1818-1883)

MARX n’est pas l’inventeur de la « classe » qui était déjà utilisée par des politiciens et des économistes.
Ex : Adam SMITH (UK, 1723-1790) et David RICARDO (UK, 1772-1823, avantage comparatif) distinguent
trois classes > propriétaires terriens (rente), capitalistes (profit) et travailleurs (salaire).

« Les individus isolés ne forment une classe que pour autant qu’ils doivent mener une lutte commune
contre une autre classe. » (L’idéologie allemande [avec Friedrich ENGELS], 1932).

Opposition binaire : « L'histoire de toute société jusqu'à nos jours n'a été que l'histoire de luttes de classes.
Homme libre et esclave, patricien et plébéien, baron et serf, maître de jurande et compagnon, en un mot
oppresseurs et opprimés, en opposition constante, ont mené une guerre ininterrompue, tantôt ouverte,
tantôt dissimulée, une guerre qui finissait toujours soit par une transformation révolutionnaire de la société
tout entière, soit par la destruction des deux classes en lutte. » (Le manifeste du parti communiste [avec
Friedrich ENGELS], 1848)

Nombre variable de classes chez MARX : 2 (Manifeste du parti communiste, 1848), 3 (Le capital, 1867 :
propriétaires fonciers [rente], capitalistes [profit] et ouvriers [salaire] pour le cas britannique > Adam SMITH
et David RICARDO) ou 7 en France sous Louis-Philippe (Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte, 1852) :
1. Aristocratie financière : « banquiers, rois de la Bourse, rois des chemins de fer, propriétaires de
mines de charbon et de fer, propriétaires de forêts » et une partie des propriétaires fonciers. Forte
influence sur le gouvernement et le Parlement (« elle dictait les lois aux Chambres »).
2. Bourgeoisie industrielle : minorité/opposition parlementaire.
3. Petite bourgeoisie : exclue du pouvoir politique. Artisans et commerçants.
4. Classe ouvrière ou « prolétariat industriel ».
5. Lumpenprolétariat ou « sous-prolétariat ». Maintient la concurrence entre les ouvriers. Mendiants,
voleurs, etc.
6. Paysannerie : exclue du pouvoir politique, « la grande majorité du peuple français », inorganisée,
sans ennemi commun.
7. Grands propriétaires fonciers : en conflit avec la bourgeoisie pour le partage de la plus-value.

 Classe en soi : pas de conscience de classe (classe « de fait »). Les classes se définissent alors
par la propriété des moyens de production.
 Classe pour soi : conscience de classe (permet lutte des classes). Pour qu’elle devienne un
moteur de l’histoire, une classe existe subjectivement, pour soi, et se dote de représentants et
d’organisations politiques pouvant défendre ses intérêts.

Vladimir I. LÉNINE (Vladimir Ilitch Oulianov) : « On appelle classes de vastes groupes d’hommes qui se
distinguent par la place qu’ils occupent dans un système historiquement défini de production sociale, par
leurs rapports (la plupart du temps fixé et consacré par les lois) vis-à-vis des moyens de production, par
leur rôle dans l’organisation sociale du travail, donc, par les modes d’obtention et l’importance de la part
des richesses sociales dont ils disposent. Les classes sont des groupes d’hommes dont l’un peut

31
s’approprier le travail de l’autre, à cause de la place différente qu’il occupe dans une structure déterminée,
l’économie sociale. » (« La grande initiative », 1919).

SECTION 3. LES CLASSES DE MAX WEBER (1864-1920)

Economie et société, 1904.


Distingue :
- Situation de classe : diplôme, revenu, patrimoine.
- Situation de corps : prestige social des individus.
Les 2 situations ne sont pas toujours liées (ex : forte situation de classe mais faible situation de corps).
Distingue :
- Classes de possession (3 niveaux de classe plus ou moins privilégiées) : propriété des biens de
consommation (voire des moyens de P°).
- Classe de production (3 niveaux de classe plus ou moins privilégiées) : direction des moyens de
P°.
Distingue 4 classes sociales (non nécessairement habitées par une conscience de classe) :
- « Classe ouvrière »
- « Petite bourgeoisie »
- « Intellectuels et spécialistes sans biens » (classes moyennes salariées)
- « Classes des possédants »
Mais pas de lien effectué par WEBER entre ces trois classifications.

SECTION 4. LES CLASSES DE MAURICE HALBWACHS (français, 1877-1945)

La classe ouvrière et les niveaux de vie, 1912.


Représentation des classes sociales en cercles concentriques avec un « feu de camp » :
- Le noyau central : « la vie sociale la plus intense qu’on puisse se représenter » définissant les
« valeurs » dominantes > les classes les plus instruites, les plus riches, les plus intégrées.
- Périphérie : les classes ouvrières, peu intégrées socialement, dans le monde de la « matière ».

SECTION 5. LES CLASSES DE WILLIAM LLOYD WARNER (US, 1898-1970)

Yankee City (1935) [yankee : habitant du nord-est des USA / Nouvelle Angleterre] : études en 2 temps
(USA) :
1) Collecte des perceptions subjectives d’individus sur le statut social d’autres individus (réputation).
2) Construction d’un indice statutaire quantitatif (profession, revenu, quartier et type d’habitation).

32
« Nous entendons par classes, certaines catégories de la population qui, selon l’opinion générale, se
trouvent dans leurs rapports, placées en situation inférieure ou supérieure. » (Yankee City, 1935) :
catégorie subjective.

SECTION 7. LE RENOUVEAU DES CLASSES DANS LES ANNÉES 1970

SECTION 6. LES CLASSES DE RALF DAHRENDORF (UK et alld, 1929-2009)

Classes et conflits de classes dans la société industrielle, 1973 : critique de l’analyse marxiste,
- les luttes ne sont pas seulement liées au système économique (race, religion, sexe...). Ainsi, les
classes ne sont pas seulement économiques.
- le changement n’est pas toujours violent (négociations des classes inférieures)
« Les classes ne sont liées ni à la propriété ni à l’industrie ni aux structures économiques en général, mais
en tant qu’éléments de la structure sociale et facteurs produisant le changement, elles sont aussi
universelles que leur déterminant, à savoir l’autorité et sa distribution spécifique » : les classes sont avant
tout le fruit d’inégalités politiques et sociales (autorité) et non seulement d’inégalités économiques. Les
classes détentrices d’autorité privilégient le statu quo contrairement aux classes dominées, dépourvues
d’autorité, qui luttent pour le changement.

SOUS-SECTION 1. Des classes inscrites dans la modernité : Georges GURVITCH (1894-


1965)

Dans la continuité d’Émile DURKHEIM, certains sociologues considèrent les classes sociales comme étant
une résultante de la société économique moderne. Émile DURKHEIM : « guerre des classes » (qu’il
regrette), forme pathologique de la division du travail > « Si l’institution des classes ou des castes donne
parfois naissance à des tiraillements douloureux, au lieu de produire la solidarité, c’est que la distribution
des fonctions sociales sur laquelle elle repose ne répond pas, ou plutôt ne répond plus à la distribution des
talents naturels » (méritocratie) (De la division du travail social, 1893).

Georges GURVITCH (russe puis français) : « Les classes sociales sont des groupements particuliers de
très vaste envergure représentant des macrocosmes de groupements subalternes, macrocosmes dont
l’unité est fondée sur leur supra-fonctionnalité, leur résistance à la pénétration par la société globale, leur

33
incompatibilité radicale entre eux, leur structuration poussée impliquant une conscience collective
prédominante et des œuvres culturelles spécifiques. ». « Ces groupements [qui] n’apparaissent que dans
les sociétés globales industrialisées où les modèles techniques et les fonctions économiques sont
particulièrement accentués. » (Études sur les classes sociales, 1966)

SOUS-SECTION 2. Des classes binaires : Christian BAUDELOT et Roger ESTABLET


(français)

Les classes se reproduisent dans l’histoire de manière binaire (dominante/dominée) : « la classe ouvrière
et la classe bourgeoise se reproduisent simultanément dans leur antagonisme, peu importe à la limite à
partir de quoi » (L’école capitaliste en France, 1971).

SOUS-SECTION 3. Le lien entre les classes dominantes et le pouvoir politique : Nikos


POULANTZAS (français et grec, 1936-1979)

L'État est contrôlé par différentes « fractions » des classes dominantes. Ce bloc assure son hégémonie
par des compromis entre classes et fractions dominantes. L’Etat n’est donc pas nécessairement le produit
d’une seule et même classe dominante.

« Lorsqu'on parle de la bourgeoisie comme classe dominante, il ne faut pas oublier qu'il s'agit en fait d'une
alliance entre plusieurs fractions bourgeoises dominantes, qui participent à la domination politique.
[…] Les contradictions internes des fractions dominantes, et leur lutte interne pour occuper la place
hégémonique, ont certes un rôle secondaire par rapport à la contradiction principale
(bourgeoisie/prolétariat), mais ce rôle reste important. » (« Les classes sociales », 1972)

SOUS-SECTION 4. La classification des catégories socioprofessionnelles selon les goûts


et les styles de vie : Pierre BOURDIEU

La Distinction, 1979 : les capitaux économique et culturel sont les plus pertinents pour distinguer les
classes contemporaines. Ils participent, souvent, de la construction du capital social.

Capital global = capital économique + capital culturel.


Capital symbolique = capital économique + capital culturel + capital social.

34
Vote à droite

Vote à gauche

Distingue :

35
- Classe dominante : hétérogène. Professeurs, ingénieurs, et cadres administratifs supérieurs
(capital culturel mais faible capital économique : « aristocratie ascétique », peu encline à la
consommation coûteuse [lecture, théâtre, opéra]) + professions libérales et industrielles [patrons
des grandes entreprises, cadres du privé] (l’inverse, « goûts de luxe » [voyages, voitures de luxe,
œuvres d’art]).
- Petite bourgeoisie (artisans, commerçants, employés, cadres moyens, instituteurs, techniciens) :
rêvent d’entrer dans la classe dominante en usant, maladroitement, de ses pratiques. « Docilité
culturelle » : reconnaissance et imitation de la culture légitime (amis éduqués, goût pour les
spectacles éducatifs/instructifs) > « Le petit bourgeois est révérence envers la culture. »
- Classe populaire (manœuvre [manutention], contremaître, ouvrier, salarié agricole, agriculteur) :
goûts simples, modestes et strictement nécessaires. Acceptation de la domination : « sentiment de
l’incompétence, de l’échec ou de l’indignité culturelle ».

SECTION 8. LA CRITIQUE DES CLASSES PAR HENRI


MENDRAS (1927-2003)

La seconde révolution française, 1965-1984 (1988).


Toupie ou strobiloïde (grec strobilos : toupie) (pyramide des âges
bleu/rose : nombre d’individus [abscisse] par fourchette d’âge
[ordonnée]) > met en relation deux histogrammes, avec l'axe des
abscisses en commun (généralement placé verticalement) et l'axe
des ordonnées en opposition.

MENDRAS constate un « émiettement des classes sociales ».


- Constellation populaire : la ½ de la population
(« moyennisation ») (ouvriers/employés proches par leur revenu,
niveau d’éducation et conditions de travail).
- Constellation centrale : ¼ de la population (cadres
supérieurs et professions intermédiaires [contremaître, moniteur
sportif, instituteurs, assistantes sociale, infirmières…]).
- Indépendants : chefs d’entreprise, artisans, commerçants,
professions libérales, agriculteurs exploitants. Dispersés pour
niveau diplôme/revenu.
- Elite/pauvres : les deux pointes de la toupie.
La toupie est instable : elle peut prendre du ventre ou s’allonger.

« Si on prend le terme de ‘classe’ au sens marxiste, je soutiens que celles-ci n’existent plus. Pourquoi ?
Une classe est un ensemble qui a des intérêts communs, possède une ‘civilisation’ commune, est en conflit
avec les autre groupes. Or, il n’y a plus d’organisation de classe qui structure la classe ouvrière, il n’y a pas
de conflit de classes qui serait le moteur de la dynamique sociale ».

SECTION 9. LE RETOUR DES CLASSES ?

La « mort des classes sociales » :


Terry N. CLARK et Seymour M. LIPSET (« Are Social Classes Dying? », 1991)
Jan PAKULSKI et Malcolm WATERS (The Death of Class, 1996)

Le « retour des classes sociales » :


Louis CHAUVEL (« Le retour des classes sociales ? », 2001)
Paul BOUFFARTIGUE (dir.) (Le retour des classes sociales. Inégalités, dominations, conflits, 2004)
Mike SAVAGE (Social Class in the 21st Century, 2015)

Classe sociale > 2 classes : capital et travail.


Catégorie sociale : selon un critère particulier ou une différence factuelle – âge, revenu, sexe, patrimoine,
profession

Déclin de la classe ouvrière dans les pays développés.

En 2014, d’après l’INSEE :

36
Louis CHAUVEL distingue 2 périodes en France :
1) Trente glorieuses (1945-1975) : fort enrichissement de la classe ouvrière, quadruplement du niveau de
vie, forte mobilité sociale et réduction générale des inégalités économiques. Parallèlement : construction de
l’Etat-providence et forte conscience de classe (grèves 1968).
2) Dès 1980s (Mendras propose 1984 comme année de rupture) : remise en cause de l’emploi à temps
plein pour tous, flexibilisation du travail, augmentation des inégalités de salaire et forte imperméabilité entre
les classes sociales. (« Inégalités, conscience et système de classes sociales », 2003)

Louis CHAUVEL : « Les CSP ont une qualité intéressante : elles permettent de parler de classes sociales
sans jamais en prononcer le mot. […] Wébériennes sans l’avouer, les CSP assemblent des groupes
professionnels connus pour avoir des caractéristiques semblables et des perspectives probables
comparables. Elles sont aussi marxiennes, sans le dire, car le principe de regroupement retenu par ses
concepteurs est le suivant : les groupes sont constitués en se fondant sur les conventions collectives qui
permettent de mettre en évidence des équivalences entre professions ». (« Le retour des classes sociales
», 2001)

François DUBET : « Le régime des inégalités de classes se heurte aux progrès de la statistique sociale.
Plus l’appareil statistique est sophistiqué, plus l’image des inégalités devient raffinée et sophistiquée, plus il
est facile de multiplier les dimensions et les variables, plus il est facile d’introduire des analyses
diachroniques. » (Régimes d’inégalité et injustices sociales, 2011)

37
SÉANCE 7 : MOBILITÉ SOCIALE

SECTION 1. QUELQUES DEFINITIONS

SOUS-SECTION 1. Stratification sociale

La notion de mobilité sociale suppose l’existence d’une stratification sociale.


Pitirim SOROKIN (russe, 1889-1968) (Social Mobility, 1927) : le premier à consacrer le terme de
« mobilité sociale » et à en définir plusieurs catégories (stratification sociale, intragénérationnelle,
intergénérationnelle, ascendante, descendante, horizontale, verticale, individuelle, collective)

Social and Cultural Mobility, 1959 : « La stratification sociale correspond à la différenciation d'une
population donnée en classes hiérarchiquement superposées. Elle se manifeste dans l'existence de
couches supérieures et inférieures. Son fondement et son essence même consistent en une distribution
inégale des droits et des privilèges, des devoirs et des responsabilités, des valeurs sociales et des
privations, du pouvoir social et des influences parmi les membres d'une société. […] La société non
stratifiée, avec une réelle égalité de ses membres, est un mythe qui n'a jamais été réalisé dans l'histoire de
l'humanité. ».

PCS (et non plus CSP pour l’INSEE) : Professions et catégories socioprofessionnelles.
Environ 500 professions (ex : aide comptable) regroupées en 42 catégories socioprofessionnelles [dont 31
actifs] (ex : employé administratif d’entreprise), elles-mêmes regroupées en 6 groupes socioprofessionnels
(ex : employé).
Pourcentages pour l’année 2017 (France métropolitaine, 15 ans ou plus).
1. Agriculteurs exploitants (0.8 %, dont 26.6 % de femmes)
2. Artisans, commerçants et chefs d’entreprise (3.4 %, dont 30.2 % de femmes)
3. Cadres et professions intellectuelles supérieures (9.4 %, dont 40.7 % de femmes) (profession
libérale, cadre de la fonction publique [cat. A], professeur, profession scientifique, médias, arts et
spectacles, cadres d’entreprise et ingénieurs)
4. Professions Intermédiaires (13.6 %, dont 52.5 % de femmes) (instituteur, travail social, santé,
clergé/religieux, fonction publique [cat. B], administration/commercial d’entreprise, technicien, contremaître,
agent de maîtrise)
5. Employés (15.3 %, dont 75.6 % de femmes) (fonction publique [cat. C], policiers, militaires non
officiers, administration/commercial d’entreprise, services directs aux particuliers)
6. Ouvriers (12.1 %, dont 20.4 % de femmes) (chauffeur, qualifié, non-qualifié, agricole).
Sans activité : 45.1 % (dont environ 58 % de femmes)

Niveau de vie médian par mois et par personne en France (en 2018) : 1 771 euros (21 252 euros par an).
Entre 2008 (subprimes) et 2018 : le niveau de vie médian gagne 1 % en tout ! (forte stagnation)
Entre 1996 et 2008, le niveau de vie médian gagnait 1,4 % par an en moyenne.

38
39
SOUS-SECTION 2. Mobilités individuelle et de groupe

Changement de position sociale d’un individu ou d’un groupe. Pitirim SOROKIN (Social Mobility, 1927) :
exemple des chrétiens suite à la conversion de l’Empereur Constantin (272-337, baptisé sur son lit de
mort mais ayant cessé leurs persécutions) et des bolchéviques après la révolution d’Octobre 1917 (le
Parti bolchévique de Lénine devient « Parti communiste » en 1918).

SOUS-SECTION 3. Mobilités intragénérationnelle et intergénérationnelle

Changement de position sociale d'une personne par rapport à celle de ses parents (mobilité sociale
intergénérationnelle) ou au cours de sa vie dans une génération donnée (intragénérationnelle – ou
« mobilité biographique » ou « mobilité professionnelle »).

SOUS-SECTION 4. Mobilités verticale et horizontale

Verticale : mobilité sociale ascendante et descendante.


Horizontale (démotion [vs. promotion] /déclassement) : au sein d’un même groupe ou d’une même CSP
par exemple.

SOUS-SECTION 5. Contre-mobilité et viscosité sociale

Contre-mobilité : individu se rapprochant, par mobilité ascendante, de la position sociale de ses parents
(ex : fils gravissant les échelons de l’entreprise de son père).
Viscosité sociale (ou hérédité sociale) : faible mobilité sociale.

SOUS-SECTION 6. Mobilités structurelle, nette et brute

Distinction établie par Daniel BERTAUX, Destins personnels et structure de classe (1977).
Distinction faite à partir des travaux du japonais Saburo YASUDA (« A methodological inquiry into social
mobility », 1964) qui distinguait déjà mobilité structurelle et mobilité nette.
Mobilité structurelle : imposée par l’évolution structurelle de la population active (ex : baisse du nombre
d’agriculteurs contraint, de facto, ses enfants à changer de voie).
Mobilité nette : celle indépendante de cette évolution structurelle.
Mobilité brute : mobilité structurelle + mobilité nette.

SOUS-SECTION 7. Mobilité observée et fluidité sociale

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Distinction actuelle, proche de la distinction entre mobilités structurelle/nette/brute.
Mobilité observée : taux absolu de mobilité calculé à partir des tables de mobilité intergénérationnelle.
Proportion de fils qui n'ont pas la même position sociale que leur père.
Fluidité sociale : taux relatif de mobilité comparant les chances relatives des fils d’accéder à une position
sociale en fonction de leur origine sociale (odds-ratio).
Ex : l’évolution structurelle de la population active créée une forte augmentation des postes de cadre. En
conséquence : les fils d’ouvriers ont un peu plus de chance d’être cadre mais les fils de cadres ont
beaucoup plus de chance d’être aussi cadre. La fluidité sociale est donc limitée même si la mobilité
observée des fils d’ouvriers augmente à 1ère vue.
Odds-ratio :
- Sur 100 fils de « cadre », 7 sont devenus ouvriers et 53 sont devenus cadres. Dans ce cas, les fils
de « cadre » ont 7,57 fois (53/7) plus de chance de devenir « cadre » plutôt qu'ouvrier.
- Sur 100 fils d'ouvriers, 45 sont devenus ouvriers et 10 sont devenus « cadres ». Dans ce cas, les
fils d'ouvrier ont 0,22 fois plus de chance de devenir « cadre » plutôt qu'ouvrier (ou 4,5 fois plus de
chance de devenir ouvrier plutôt que cadre).
- Or, 7,57 / 0,22 = 34. Donc, les chances de devenir « cadre » plutôt qu'ouvrier sont 34 fois plus
élevées pour les fils de « cadre » que pour les fils d'ouvrier (exemple de calcul d'odds-ratio).

41
SOUS-SECTION 8. Table de mobilité, table de recrutement et table de destinée

Tables de mobilité : effectif des individus ayant la même PCS que leur père. Ex : 1373000 individus sont
ouvriers comme leur père (INSEE, 2003).
Tables de recrutement (origine sociale) : pourcentage d’individus dont le père appartenait à la même PCS
que la leur. Ex : 58 % des ouvriers ont un père ouvrier (on s’intéresse aux pères).
Tables de destinée (destinée sociale) : pourcentage d’individus ayant intégré la même PCS que leur père.
Ex : 46 % des fils d’ouvriers sont devenus ouvriers (on s’intéresse aux fils).

1ère ligne : table de mobilité ; 2e ligne : table de recrutement ; 3e ligne : table de destinée.
« Effet de lignée » (diagonale) : plus ou moins grande immobilité sociale.

42
SECTION 2. LES EXPLICATIONS SOCIOLOGIQUES

SOUS-SECTION 1. Francis GALTON (1822-1911) et l’eugénisme (sociologue UK)

Hérédité du génie expliquant la reproduction de l’élite que l’Etat doit privilégier.


« Si l’on mariait les hommes de talent à des femmes de talent, de même caractère physique et moral
qu’eux-mêmes, on pourrait, génération après génération, produire une race humaine supérieure ; cette
race n’aurait pas davantage tendance à faire retour aux types ancestraux plus moyens que ne le font nos
races désormais bien établies de chevaux de course et de chiens de chasse. » (Hereditary talent and
character, 1865)
 Déplore la faible natalité des élites et la forte natalité des pauvres.
 Parti national-socialiste des travailleurs allemands (fondé en 1920, arrivé au pouvoir le 30 janvier
1933).

SOUS-SECTION 2. Pierre BOURDIEU et Jean-Claude PASSERON (La reproduction, 1970)

L’école transforme les inégalités sociales en inégalités scolaires. La « domination symbolique » s’exerce
par un double processus :

43
1. Échec scolaire des classes dominées,
2. Intériorisation/acceptation des classes dominées que cet échec est dû à leurs propres compétences
intellectuelles.

« La reproduction des inégalités sociales par l'école vient de la mise en oeuvre d'un égalitarisme formel, à
savoir que l'école traite comme "égaux en droits" des individus "inégaux en fait" c'est-à-dire inégalement
préparés par leur culture familiale à assimiler un message pédagogique. »

SOUS-SECTION 3. Le paradoxe d’ANDERSON (Charles Arnold, 1907-1990, sociologue US)

Malgré un niveau de diplôme supérieur à celui de leurs parents, les enfants ne parviennent pas à atteindre
une position sociale plus élevée (« A Skeptical Note on the Relation of Vertical Mobility to Education »,
1961).

R. BOUDON (L’inégalité des chances, 1973) : s’explique par l’augmentation plus grande du nombre de
diplômes élevés (délivrés) par rapport à celle du nombre de positions sociales élevées (créées).
Globalement, les familles croient en l’utilité de l’école pour la promotion sociale : le nombre de diplômés du
supérieur augmente plus vite que le nombre de postes de cadres. Dévalorisation des diplômes élevés. La
réussite scolaire des individus en fonction de l’origine sociale s’explique par une succession de choix
rationnels des familles, compte tenu de leur position dans l’espace social (milieux populaires : investissent
peu l’espace académique pour leurs enfants ; milieux aisés : privilégient grandes écoles).

SOUS-SECTION 4. La courbe de « Gatsby le Magnifique » (Miles CORAK, "Inequality from


generation to generation", 2012)

Droite de régression. Corrélation positive entre :


- Inégalités de revenus dans une nation, et
- Mobilité sociale intergénérationnelle.
 Plus les inégalités augmentent, plus la probabilité d’avoir un revenu proche de celui de ses parents
augmente.
 Pays développés : la mobilité sociale est également dopée si le temps consacré à l’éducation de
l’enfant, dès les premières années de sa vie, est grand.

Courbe de « Gatsby le Magnifique » (2012) :

44
Élasticité intergénérationnelle des revenus : pourcentage d’augmentation des revenus du fils pour 1 %
d’augmentation des revenus du père. Donc plus l’élasticité est grande, et plus les niveaux de revenus se
transmettent d’une génération à l’autre (faible mobilité sociale).

Corrado GINI (statisticien italien) : entre 0 (égalité parfaite des revenus) et 1 (inégalité parfaite : une
personne dispose de tous les revenus). Le coefficient de Gini peut aussi mesurer les inégalités de salaire
ou de patrimoine. Les revenus sont calculés à partir de la courbe de LORENZ (Max O. LORENZ,
économiste US). La ligne pointillée est la ligne d'égalité parfaite. Le coefficient de Gini est : A / (A+B).
A droite : France, 2010.

En France :

SOUS-SECTION 5. Bernard LAHIRE et la réussite scolaire des classes populaires


Tableaux de familles. Heurs et malheurs scolaires en milieux populaires, 1995 (élèves de CE2)
 Comprendre la réussite scolaire de certains élèves des classes populaires.

Les filles se construisent sur « le modèle d'une mère qui conjugue le fait de s'occuper des papiers et
d'aimer écrire, de se soucier de l'école et d'en avoir été frustrée » ; Les garçons se construisent sur le
modèle d’« un père analphabète, pris par un travail épuisant, tourné domestiquement vers la récupération
de sa force de travail et totalement désengagé des problèmes scolaires »

La réussite scolaire s’explique surtout par la capacité des parents « à s'occuper de l'éducation de l'enfant »,
par « leur présence » et « leur disponibilité à transmettre ». La détention d’un capital culturel matériel
(livres, œuvres d’art, etc.) « n'a pas d'effet immédiat et magique sur l'enfant tant que des interactions
effectives avec lui ne le mobilisent pas ».

45
La réussite scolaire s’explique aussi par la tenue d'agenda, l'usage du calendrier, l'écriture de listes
(courses, choses à faire, etc.), le classement des papiers, des horaires réguliers, des règles de vie strictes,
un univers domestique matériellement ordonné, etc : « gestion d'un intérieur et gestion intérieure sont des
activités sœurs ».

Dans une moindre mesure :


- Échec scolaire : discipline coercitive, négative et violence physique (corrélation mais non causalité).
- Réussite scolaire : figure paternelle présente et affectueuse (aide aux devoirs ou simple
manifestation d'un intérêt soutenu pour la vie scolaire des enfants) et autorité fondée sur le lien
affectif (dialogue, sorties, jeux) (corrélation mais non causalité).

SOUS-SECTION 6. Gaële HENRI-PANABIÈRE et l’échec scolaire des « héritiers »


Des héritiers en échec scolaire, 2010 (collégiens)
« Héritiers » (BOURDIEU) : issus de famille fortement dotées en capital économique et culturel.

Echec scolaire des « méshéritiers » s’expliquant par des situations diverses :


- Faible motivation des collégiens au regard de leur mère, surdiplômée qui n’a pas eu les bénéfices
de son diplôme.
- Les familles fortement dotées en capital économique (gestion d’un patrimoine immobilier, lectures
de nature économique) ont un faible intérêt pour le capital culturel (scolairement valorisant),
- Des familles se « relâchent » dans la sphère domestique (maison inorganisée, calendrier non
respecté…) alors qu’elles font preuve d’une grande « planification ascétique » dans la sphère
professionnelle.
- La mère a un faible diplôme (contrairement au père) mais s’occupe de l’aide aux devoirs et de
l’éducation en général.

SOUS-SECTION 7. Camille PEUGNY et les inégalités entre grandes générations


« La dynamique générationnelle de la mobilité sociale », 2014

- Enfants du baby-boom (1945 jusqu'à 1955-1960) : forte mobilité sociale (Trente Glorieuses dès 1945 :
forte croissance, plein-emploi et « explosion scolaire »). Génération « aspirée vers le haut ». « Génération
[suivante] sacrifiée » en raison de la mainmise des baby-boomers sur l’ensemble des positions de pouvoir
(« gérontoclassie » pour Christian BAUDELOT et Roger ESTABLET, Avoir trente ans en 1968 et en 1998,
2000)
- Enfants nés vers 1960s : moyenne mobilité sociale. « Les risques de déclassement progressent pour les
individus issus des milieux sociaux les plus favorisés, tandis que les trajectoires de promotion sociale se
raréfient pour les enfants des classes populaires. »
- Enfants nés vers 1970s : immobilité sociale. « Si le destin des enfants d’ouvriers s’améliore de nouveau
légèrement, c’est aussi le cas des enfants mieux nés, de sorte qu’au final, l’inégalité des chances sociales
demeure globalement inchangée. »
Fin de la « moyennisation » de la société française.

46
SÉANCE 8 : SÉGRÉGATION SPATIALE

Distinction rural/urbain variée dans le monde. Critères parfois cumulés (nombre d’habitants, densité
démographique et type d’activité économique).

En France, selon l’INSEE (2011), les départements urbains sont ceux dont la densité de population est
supérieure à 100 habitants/km² et le taux d’urbanisation (nombre de communes comprises dans une unité
urbaine au sens de l’Insee) supérieur à 65 % (François CLANCHÉ et Odile RASCOL, « Le découpage en
unités urbaines de 2010 », 2011).
Unité urbaine : ensemble d’une ou plusieurs communes dont le territoire est partiellement ou totalement
couvert par une zone bâtie d’au moins 2 000 habitants.
Selon cette distinction, 34 départements sont considérés comme urbains et 61 comme ruraux.

SECTION 1. L'ESPACE RURAL

SOUS-SECTION 1. L’espace rural au 19e siècle

Frédéric LE PLAY (1806-1886, sénateur du 2nd empire [1852-1970]) : 36 monographies sur la diversité du
monde ouvrier et paysan en Europe au milieu du XIXe siècle (Ouvriers européens, 1855) : « pour guérir les
souffrances sociales, il n’y a rien à inventer. » : conservatisme social.
Les Mélouga (1994) : famille pyrénéenne. Maison Mélouga composée de 15 personnes. A chaque
génération, un unique héritier (l’aîné souvent) est chargé de la direction du domaine. Ses nombreux frères
et sœurs doivent soit rester célibataires, soit quitter la propriété familiale. Modèle qualifié par LE PLAY de
« famille-souche » - modèle prometteur face à la montée d'un capitalisme, qui assimile les hommes à
des marchandises, et d'un socialisme qui prétend faire disparaître les « distinctions éternelles » entre
dirigeants et dirigés.

Karl MARX (Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte, 1852) : distingue 7 classes sociales en France sous
Louis-Philippe. La paysannerie est exclue du pouvoir politique, elle représente « la grande majorité du
peuple français », inorganisée, sans ennemi commun. La paysannerie est une classe « en soi » (pas de
conscience de classe) : absence d’organisation politique de cette classe. « Leur mode de production les
isole les uns des autres, au lieu de les amener à des relations réciproques. […] Chacune des familles
paysannes se suffit presque complètement à elle-même. […] Un certain nombre de ces familles forment
un village et un certain nombre de villages un département. Ainsi, la grande masse de la nation française
est constituée par une simple addition de grandeurs de même nom, à peu près de la même façon qu'un
sac rempli de pommes de terre forme un sac de pommes de terre. »

Karl KAUTSKY (1854-1938, alld) : le monde rural se concentre de plus en plus dans les mains de
quelques propriétaires même si la famille traditionnelle paysanne résiste. « La petite exploitation agricole
est un phénomène économique du passé […] les grandes exploitations agricoles ne gagnent que
lentement du terrain, par endroits même en perdent » (La question agraire, 1899).

SOUS-SECTION 2. L’espace rural contemporain

Alexandre TCHAYANOV (1888-1937, russe), « Pour une théorie des systèmes économiques non
capitalistes », 1924 : les lois du capitalisme ne s’appliquent pas au monde rural. L’exploitation agricole
permet à l’homme de se réaliser. « Les catégories du travail salarié et du salaire du travail sont étrangers,
on le sait, à la plupart des exploitations paysannes de Russie, de Chine, d'Inde et de nombreux autres pays
hors d'Europe, et même en Europe »
Vs.
Claude SERVOLIN (français), « L'absorption de l'agriculture dans le mode de production capitaliste »
(1972) : la petite production marchande (PPM) est compatible avec le capitalisme de par son faible coût >
l’agriculteur ne compte pas ses heures de travail, ne se paye pas parfois et embauche gratuitement sa
famille : « Classiquement, on définit la petite production marchande par deux présupposés principaux :
- Le travailleur direct est propriétaire de tous les moyens de production. Le procès de production est
organisé par lui, en fonction de lui-même et de son ‘métier’. Le produit de son travail lui appartient
en totalité.

47
- Le but de la production n’est pas la mise en valeur d’un capital et l’obtention d’un profit, mais la
subsistance du travailleur et de sa famille, et la reproduction des moyens de production nécessaires
pour l’assurer. »
Mais :
Michel GERVAIS et Claude SERVOLIN (Une France sans paysans, 1965) : « Nous assistons à la
disparition de la production agricole familiale où le producteur direct est propriétaire de ses moyens de
production. »

Henri MENDRAS (français), La fin des paysans, 1967 : la paysannerie se caractérise ainsi jusqu’en 1945 :
1. Autonomie relative du système paysan // société englobante qui la domine et respecte son
originalité.
2. Importance de la micro-entreprise, non nécessairement liée à la famille.
3. Autarcie familiale fondée sur l’autoconsommation et surplus vendus sur le marché.
4. « Interconnaissances » : chacun se connaît et s’identifie par personnalité/position sociale.
5. Médiation des « notables » : intermédiaires politiques, économiques, culturels et religieux avec la
société englobante.
 « C'est le dernier combat de la société industrielle contre le dernier carré de la civilisation
traditionnelle ». Après 1945, le « paysan » devient « agriculteur ». L’introduction du maïs hybride
dans les Pyrénées-Atlantiques nécessite des moyens de P° modernes (machines, etc.).
L’agriculteur s’endette alors que le paysan craignait l’endettement. L’intensification de la P° est
nécessaire pour rembourser cet emprunt (« révolution agricole »). L’agriculture s’industrialise et
se fonde dans le système de P° capitaliste.

Eugen WEBER (1925-2007, US), La fin des terroirs, 1983 : 3 processus d’uniformisation culturelle en
France entre 1870 et 1914 :
1. École : apprentissage du français, frontières hexagonales... (entre 1860 et 1870, ¼ des
Français ne parle pas français : langues régionales [breton, provençal] et patois).
2. Routes, lignes ferroviaires et ports.
3. Service militaire (« conscription universelle et obligatoire » de 5 ans en 1798 ; abolit en
1814 ; rétablit en 1872 [5 ans]).
+ Industrialisation des terroirs : fin du morcellement agricole, de l’artisanat et de la petite industrie.
+ Insertion du politique dans les terroirs : médiateurs locaux (cabaretiers [tenanciers d’un cabaret ou d’un
café], petits fonctionnaires, instituteurs [hussard noir de la 3e > cavalier, gendarme, soldat] [de Charles
PÉGUY, écrivain du 19e]). Exemple : révolte des vignerons du Languedoc en 1907 (« révolte des gueux »
du Midi). 1904-1905 : surP° viticole (météo), or, parallèlement, importation des vins étrangers (Algérie,
Espagne, Italie) et chaptalisation (ajout de sucre – canne, betterave). Marcelin ALBERT (directeur d'une
troupe théâtrale, cafetier et vigneron) contacte Georges CLÉMENCEAU et devient un des leaders du
mouvement. Manifestations (dont Montpellier) jusqu’à 800 000 manifestants (place de la Comédie) et
mutinerie d’un régiment d’infanterie qui prend la ville de Béziers. Les conflits sociaux passent « du domaine
du consensus local à celui du débat et de la lutte nationaux ».

Bernard KAYSER (français), La renaissance rurale, 1989 : Plus forte croissance démographique des villes
de moins de 2000 habitants (proches des villes) // villes depuis le début des années 1970-1980.
Parallèlement, dépeuplement des villages éloignés des villes. Rurbanisation/Contre-
urbanisation/Périurbanisation dans de nombreux pays occidentaux : les travailleurs urbains s'installant
dans les villages alentours (allers retours et télétravail).
En France, une commune est dite périurbaine si au moins 40 % de ses habitants travaillent dans l’aire
urbaine de rattachement. Or ce chiffre concerne maintenant près de la moitié des communes françaises.
L’espace périurbain est celui où la population connaît le plus fort taux de croissance.
L’espace périurbain est censé couvrir le tiers de la superficie de la France métropolitaine

François CLANCHÉ et Odile RASCOL (INSEE), « Le découpage en unités urbaines de 2010 », 2011 :
L’Insee distingue 3 catégories de campagnes françaises :
– les campagnes des villes et du littoral (26 % de la population et 26 % du territoire) : arrivée de jeunes
ménages voire tourisme.
– les campagnes agricoles et industrielles (9 % de la population et 26 % du territoire) : territoires peu
denses, fort taux de chômage et faible croissance des emplois.
– les campagnes de très faible densité (8 % de la population sur 42 % du territoire) : exode rural durable,
vieillissement et paupérisation de la population. Activités agricoles et agro-alimentaires. Tourisme pour les
zones montagneuses. Revenus les plus faibles. Problèmes d’accessibilité et de mobilité importants.

48
Hugues LAMARCHE (français), L'agriculture familial, 1992 (Brésil, Canada, Tunisie, France et Pologne –
630 exploitations) : distingue trois types d'entreprises familiales selon leur degré d’intégration dans
l’économie de marché. Trois modèles présents dans ces 5 pays :
- Entreprise capitaliste : fort profit, forte mécanisation.
- Exploitation paysanne vivrière ou « de survie » : autoconsommation (pas de surplus ni de profit).
Création d’une valeur d’usage et non d’une valeur d’échange.
- Exploitation moderne : semi-intensive, relativement autonome (les bénéfices sont reversés dans
l’entreprise + peu endettées), main d’œuvre familiale, l’agriculteur est propriétaire et est attaché à
l’activité de sa localité et à la transmission de ses terres, vivent mieux que leurs parents mais se
sentent inférieurs à d’autres agriculteurs et à d’autres citoyens > ce sont des pionniers !
(coopératives, AMAP de 2003, ventes directes…)

Agriculture de plus en plus intensive (1961-2008, FAO) :

SECTION 2. L’ESPACE URBAIN

Urbanisation : 8 % de la population mondiale vit dans des villes en 1700 et dépasse les 50 % en 2006.
Estimation pour 2050 : 65 %.
- Métapole : ville de plus de 20 millions d’habitants (ONU) (Chongqing, Shanghai et Pékin [Chine], et
Lagos [Nigéria]) (hors agglomération).
- Mégapole : ville de plus de 10 millions d’habitants (ONU) (Delhi [incluant New Delhi – capitale],
Karachi [Pakistan], Istanbul [Turquie], Canton [Chine], Bombay, Moscou, Dacca [Bangladesh], Le
Caire, São Paulo, Lahore [Pakistan], Jakarta [Indonésie], Shenzhen [Chine], Kinshasa [RDC]).
- Suburbanisation : extension des banlieues.
- Conurbanisation : plusieurs villes reliées progressivement par un réseau d’habitations.
- Mégalopole : villes dont les agglomérations se rejoignent sur plusieurs centaines de kilomètres.
Tokaïdo (ceinture Pacifique) au Japon : 1300 km, 80 % de la population nationale sur 6 % du
territoire.

SOUS-SECTION 1. La naissance de l’espace urbain

49
Paul BAIROCH (1930-1999, Belge, Israélien et Suisse), De Jéricho à Mexico (1985) : l’agriculture et le
surplus alimentaire qui s’en dégage est à l’origine de la création des villes : le surplus est échangeable et
nécessite une division du travail. Il permet également la création de métiers non-assujettis à la P°
alimentaire. 5 critères pour définir une ville
1) Artisanat à plein temps (car division du travail),
2) Fortification (vs. village ouvert),
3) Taille et densité de peuplement,
4) Type d’habitat : maisons en dur, rues, etc..
5) Pérenne (vs. campement).
 Jéricho (Cisjordanie) et Damas (Syrie) : temple et maisons en pierre de -9000 !

SOUS-SECTION 2. L’espace urbain depuis le 19e siècle

1. Analyses marxiste et postmarxiste

Friedrich ENGELS, La question du logement, 1872 : la crise du logement en ville est une condition sine
qua non du capitalisme. L’ouvrier continue de travailler pour ne pas perdre son logement. L’accession à la
propriété privée des ouvriers est un prolongement du capitalisme (concurrence entre pauvres).

Fernand BRAUDEL (1902-1985, français), Civilisation matérielle, économie et capitalisme, 1967 :


l’économie-monde est « un morceau de la planète économiquement autonome, capable pour l'essentiel
de se suffire à lui-même et auquel ses liaisons et ses échanges intérieurs confèrent une certaine unité
organique ». Hiérarchie spatiale :
1. Centre urbain (une ou deux villes dominantes) : où affluent et d’où repartent informations, capitaux,
marchandises et travailleurs. Ex : ville-Etat jusqu’au 19e (Venise 14e-15e, Anvers puis Gênes 16e,
Amsterdam 17e-18e) puis capitales économiques d’Etat (Londres, New York, Tokyo).
2. Semi-périphérie : zones assez développées.
3. Immense périphérie : « l’archaïsme, le retard, l’exploitation facile par autrui ».
Repris par Immanuel WALLERSTEIN (1930-, US) et son « système-monde » (division du travail entre
pays).

Henri LEFEBVRE (français), Le droit à la ville, 1968 : l’urbain remplace la société industrielle qui, elle-
même, remplace la société rurale. L’urbain est soumis à l’économique et à la « quantophrénie » : le citoyen
doit se réapproprier la ville de manière ludique pour s’en émanciper. La lutte des classes doit ainsi mettre
fin à la « ségrégation urbaine » définie comme étant « la projection sur le sol des rapports sociaux ».

Michel FOUCAULT : au 18e-19e, la ville est l’espace où naît la disciplinarisation des classes populaires
(surveillance, recensement, répartition, division, exclusion) > prisons, hôpitaux, numérotation des habitats,
éclairage des voies urbaines, etc. Définition du « dispositif » : « ensemble résolument hétérogène,
comportant des discours, des institutions, des aménagements architecturaux, des décisions
réglementaires, des lois, des mesures administratives, des énoncés scientifiques, des propositions
philosophiques, morales, philanthropiques, bref : du dit, aussi bien que du non-dit » (« Le jeu de Michel
Foucault » entretien de 1977).

Saskia SASSEN, La ville globale, 1991 : certaines métropoles deviennent le centre du capitalisme
mondialisé à la fin du 20e (New York, London, Tokyo).
- Les grandes firmes s’agglomèrent dans des sites localisés des pays développés,
- Développement des services liés au fonctionnement des multinationales (publicité, banques,
services juridiques et fiscaux, finance, assurances…)
- Marginalisation des villes moyennes (peu mondialisées).
 Ville « duale » : cadres internationaux (quartiers riches) vs sous-prolétariat immigré (banlieues).

Monique Pinçon-CHARLOT et Michel PINÇON, Les Ghettos du gotha, 2007 : concentration de la grande
bourgeoisie dans l’ouest parisien (conscience de classe, endogamie sociale [rallyes], ségrégation spatiale).
Entre-soi bourgeois : cercles, clubs, salons, associations, et autres lieux « distingués ».
Grande bourgeoisie qui parvient à se protéger ! Neuilly (16e arrondissement) : la haute société se retrouve
et se concerte pour préserver la qualité de ses lieux de vie, quitte à former des ghettos.
En 2018 : 40 % des communes franciliennes ne respectent pas leur quota de logements sociaux, rappelle
la Fondation Abbé-Pierre.

50
Juin 2019 : arrêt de la Cour d'appel de Versailles reconnaissant les efforts réalisés par Neuilly-sur-Seine
pour développer le logement social. Le faible nombre de logements créés relève de causes extérieures à
l'action de la commune. La ville assure qu'elle débourse 6 millions d'euros d'amende par an pour non-
respect de la loi.

2. L’écologie urbaine

Robert PARK et Ernest BURGESS, The City, 1925 : types d’habitats et diasporas à Chicago (ghetto juif).

Charles BOOTH, série d’études (1886-1903) à Londres sur la répartition géographique des classes
sociales (de A [pauvre] à H [riche]) représentées par des couleurs sur la ville.

Frederic THRASHER (1892-1962, US), The Gang, 1927 : 1313 gangs à Chicago.

Loïc WACQUANT, « Banlieues françaises et ghetto noir américain : de l’amalgame à la comparaison »,


1992 :
- Banlieue et ghetto comparables : minorités, jeunes, familles monoparentales, stigmate social.
- Banlieue et ghetto non comparables : hétérogénéité ethnique de la banlieue (ghetto exclusivement
noir), faible population (million[s] dans ghetto), autarcie limitée de la banlieue (commerces dans le
ghetto), pauvreté limitée (forte pauvreté du ghetto), criminalité et dangerosité limitées (l’homicide
volontaire est la 1ère cause de mortalité du jeune noir urbain aux USA), délabrement de l’habitat
limité (retrait des services publics des ghettos car habitats vétustes du ghetto).
 Le ghetto s’autogouverne

3. L’individualisme et l’école de Chicago

Georg SIMMEL (1858-1918, alld), Philosophie de la modernité, 1989 (posthume) : d’après observation de
Berlin,
1) La ville se caractérise par « l’intensification de la vie nerveuse » où l’individu développe un « organe de
protection » : « au lieu de réagir avec sa sensibilité à ce déracinement, il réagit essentiellement avec
l’intellect ».
2) La ville est « le siège de l’économie monétaire » tendant à développer une mentalité coût/bénéfice dans
ses relations sociales.
3) Alors que dans la petite ville les relations sociales se fondent sur le contact direct et la conversation, les
impressions visuelles dominent dans les grandes villes (relations impersonnelles).
4) Individualisme « blasé » et aliénation : l’individu développe sa personnalité (nombreux cercles sociaux
permettant d’avoir une existence plus secrète) mais la ville peut se passer de lui (l’individu a peu d’emprise
sur l’espace urbain). Métaphore de l’étranger : vagabond potentiel non réellement intégré à la S°.

3 auteurs de l’Ecole de Chicago :


1. Nels ANDERSON (1889-1986, US), Le Hobo, sociologie du sans-abris, 1923 : pauvres des villes
(travailleurs ou non) ayant leur propre culture et mode de vie : friperies, wagons des trains de
marchandise, hôtels et vie intellectuelle intense (socialiste et libertaire), égocentrisme en dépit d’idéaux
coopération. Situation de l’auteur durant plusieurs années.
2. Frederic THRASHER (1892-1962, US), The Gang, 1927 : 1313 gangs à Chicago (carte : écologie
urbaine), isolés, se caractérisant par leur propre organisation, sentiments politiques, attitudes, codes et
langage. Institution de survie face à l’anomie urbaine : « Le gang offre un substitut à ce que la société
ne parvient pas à donner et protège des comportements déplaisants et répressifs. Il comble un manque
et offre une échappatoire ».
3. Louis WIRTH (1897-1952, US), « Le phénomène urbain comme mode de vie », 1938 : la ville favorise
les relations impersonnelles (« secondaires ») aux dépens des relations « primaires » des sociétés
rurales : affaiblissement de la famille, érosion de la solidarité traditionnelle, instabilité des relations
sociales, libération de l’individualité. Les contacts en ville sont « superficiels, éphémères et
fragmentaires ». L’immunité de l’individu se matérialise par « la réserve, l’indifférence et l’attitude blasée
».

4. La ville dans les pays en voie de développement

51
Bernard GRANOTIER, La Planète des bidonvilles, 1980 : le taux d’accroissement de la population en
bidonville est au moins deux fois plus importante que celui de la population urbaine dans les PVD.
Pourquoi ? Difficulté des migrants (externes et internes [ruraux]) à s’insérer dans le tissu urbain.

52
SÉANCE 9. EXCLUSION : PAUVRETÉ ET DÉVIANCE

SECTION 1. LA PAUVRETÉ

SOUS-SECTION 1. Définitions actuelles de la pauvreté

Pauvreté monétaire :
- Seuil (ou ligne) de pauvreté absolu : revenu inférieur à un montant donné (panier de
consommation : nourriture, logement, vêtements, frais de santé…).
- Seuil (ou ligne) de pauvreté relatif : revenu inférieur à un montant fixé selon le revenu
moyen/médian d’une population (évoluant souvent selon prix à la consommation – parité de
pouvoir d’achat [PPA : capacité d'achat de biens/services avec une quantité donnée de monnaie]).
Inférieurs à 50 % du revenu médian (OCDE et INSEE) ou 60 % (Eurostat).

Taux de pauvreté et indice Foster-Greer-Thorbecke (FGT) (Erik THORBECKE, Joel GREER et James
FOSTER – 3 économistes US) :
- Indice numérique de pauvreté (ou « incidence de pauvreté ») (headcount ratio) : part de la
population vivant sous le seuil de pauvreté.
- Intensité de la pauvreté (ou « profondeur de la pauvreté ») (poverty gap) : part des plus pauvres
(+) dans la population pauvre.
𝟏 𝒛−𝒚𝒊 𝒙
FGTx = ∑𝑵
𝒊=𝟏( )
𝑵 𝒛
N : taille de la population en-dessous du seuil de pauvreté (nombre d’individus),
z : seuil de pauvreté,
y : revenu de l’individu i,
x : indicateur d’aversion à la pauvreté (ici, x = 1). Plus x est élevé, et plus le poids des individus les
plus pauvres dans FGT est élevé (individus les plus éloignés du seuil de pauvreté).
Plus FGT est élevé, et plus le taux de pauvreté est élevé.
- Intensité de la pauvreté au carré (ou « sévérité de la pauvreté ») (squared gap) : part des plus
pauvres (+++) dans la population pauvre (x = 2).

Indice de Sen (Amartya SEN) : combine incidence et profondeur de la pauvreté à l’indice de Gini (G).
S = (incidence de pauvreté x G) + FGT1(1-G)

Indicateur de pauvreté multidimensionnelle (IPM) développé par le Programme des Nations unies pour
le développement (PNUD) :
- 1997-2009 : le PNUD utilise un indicateur de pauvreté humaine (IPH). 2 indicateurs :
 IPH-1 (pays en développement) : probabilité à la naissance de décéder avant 40 ans, taux
d’analphabétisme des adultes, part de la population n’utilisant pas une source d’eau potable, part
de la population n’ayant pas accès aux soins de santé, et part des enfants de moins de 5 ans
souffrant d’une insuffisance pondérale (aucune considération monétaire n’est retenue).
 IPH-2 (OCDE) : probabilité de décéder avant 60 ans, part des adultes ayant des difficultés à
lire/écrire/calculer/communiquer (illetrisme : néologisme créé en 1978 par le père Joseph Wresinski,
fondateur d'ATD Quart Monde), part des personnes vivant sous le seuil de pauvreté et taux de
chômage de longue durée.
- Depuis 2010 : le PNUD utilise un indicateur de pauvreté multidimensionnelle (IPM) remplaçant
l’IPH-1. Dix indicateurs :
 Santé : nutrition et mortalité infantile.
 Education : années de scolarité et enfants inscrits à l’école.
 Niveau de vie : électricité, eau, toilettes, combustibles de cuisine, nature du sol et détention de
biens.
 Un tiers de la population mondiale souffre de pauvreté multidimensionnelle.

Non-restriction des variables : les tableaux de bord de la pauvreté (nationaux), incluant par exemple le
travail des enfants, la vie en bidonville, etc.

Pauvreté d’existence (ou pauvreté « en condition de vie ») (INSEE) : 27 items de privation (dont voiture,
eau chaude, lave-linge, WC intérieur, téléviseur, téléphone, salle de bain intérieure, réfrigérateur).
Pauvreté : 8 sur 27 minimum.

53
Pauvreté subjective : bien-être subjectif. Recommandée par la commission Stiglitz-Sen-Fitoussi (2009)
(Joseph STIGLITZ, Amartya SEN, Jean-Paul FITOUSSI) en plus des autres indicateurs.

SOUS-SECTION 2. Les travaux sur la pauvreté

1. La pauvreté au 19e siècle

Louis-René VILLERMÉ (1782-1863, médecin), Tableau de l’état physique et moral des ouvriers employés
dans les manufactures de coton, de laine et de soie, 1840 (rapport VILLERMÉ) : industrie textile, y
dénonce notamment le travail des enfants en France. « La santé des pauvres est toujours précaire, leur
taille moins développée et leur mortalité excessive. (…) L’instruction des enfants qui ont été admis dans les
ateliers dès l’âge de 6 ans est nulle, et ordinairement ceux qui sont reçus avant 10 ou 11 ans ne savent ni
lire ni écrire. » Il propose ainsi de leur retirer quelques heures de travail pour les instruire : « ce serait
ajouter à leur avenir une nouvelle chance de bonheur, sans nuire à l’intérêt des fabricants (…) la tâche qui
leur est confiée exige une délicatesse dans les doigts pour rattacher les fils et une souplesse du corps pour
se glisser sous les métiers ».
Suite à ce rapport :
1841 : loi fixant à 8 ans l’âge minimum d’emploi des enfants dans les manufactures de plus de vingt
salariés.
1851 : durée journalière de travail limitée à huit heures pour les enfants de moins de 14 ans et à douze
heures pour les moins de 16 ans.
Deux lois de Jules Ferry (1881-1882) rendant obligatoire et gratuite l’école de 6 à 13 ans.

Eugène BURET, De la misère des classes laborieuses en France et en Angleterre, 1840 : « Le travailleur
se trouve assimilé par cette doctrine à une chose insensible, à une machine dont on a le droit d’exiger
chaque jour plus de précision, plus de travail et plus de produit. »

André COCHUT, Du sort des classes laborieuses, 1842 : « Les pays voués à l'industrie, et
particulièrement l'Angleterre, offrent depuis quelque temps un affligeant spectacle. »

Friedrich ENGELS, La situation des classes laborieuses en Angleterre, 1845 (Manchester) : « Aux classes
travailleuses de Grande-Bretagne : Travailleurs, c'est à vous que je dédie un ouvrage où j'ai tenté de tracer
à mes compatriotes allemands un tableau fidèle de vos conditions de vie, de vos peines et de vos
perspectives ».

Louis CHEVALIER (1911-2001, français), Classes laborieuses et classes dangereuses, 1958 : Paris,
début 19e. « Brutale invasion » des classes populaires dans le tissu urbain, « psychose » des autochtones
envers cette population qui, en conséquence, intériorise cette exclusion et se transforme en classe
dangereuse. Difficultés « d’une population qui tente de se faire une place en un milieu hostile et qui, n’y
parvenant pas, s’abandonne à toutes les haines, à toutes les violences, à toutes les violations ».

Robert CASTEL, Les métamorphoses de la question sociale, 1995 : « La 1ère moitié du 19e siècle est en
effet marquée par la prise de conscience d’une forme de misère qui paraît accompagner le développement
de la richesse et le progrès de la civilisation ». S’accompagne parallèlement, d’un « racisme antiouvrier
largement répandu dans la bourgeoisie du 19e siècle ». Or, « avec le paupérisme se révèle le danger
d’une désaffiliation de masse inscrite au cœur même du processus de production des richesses » :
naissance des politiques d’assistance envers l’indigence.

Georges SIMMEL, Les pauvres, 1907 : il faut « s’assurer que les pauvres reçoivent ce à quoi ils ont droit –
en d’autres mots, qu’ils ne reçoivent pas trop peu », mais aussi qu’ils « ne reçoivent pas trop ». La
pauvreté est relative : « Il peut arriver qu’un homme vraiment pauvre ne souffre pas du décalage entre ses
moyens et les besoins de sa classe (…) Ce n’est qu’à partir du moment où ils sont assistés que les
pauvres deviennent membres d’un groupe caractérisé par la pauvreté. » C'est donc l'assistance
(dévalorisée socialement) qu'une personne reçoit publiquement de la collectivité qui détermine son statut
de pauvre.

2. La pauvreté contemporaine

2.1. Lien entre pauvreté et décohésion sociale

54
Yves BAREL, « Le Grand Intégrateur », 1990 : le travail est un « grand intégrateur » assurant (a) la
stabilité de l'organisation sociale, (b) le maintien de l'ordre et (c) la création du sens et d’une identité
sociale.

Paul LAZARSFELD, Marie JAHODA et Hans ZEISEL, Les chômeurs de Marienthal, 1933 (Autriche,
fermeture d’une usine textile) : avec la perte de son emploi, l’ouvrier perd simultanément sa source de
revenu, sa dignité de travailleur et sa sociabilité professionnelle. En chronométrant le temps passé pour
parcourir une rue centrale de la ville, les hommes chômeurs mettent plus de temps que les hommes avec
un emploi et que les femmes qui sont « protégées » par les impératifs des tâches domestiques et
familiales. Les femmes sont ainsi maintenues « à l’intérieur » de la société même si elles sont exclues du
travail. Les ouvriers au chômage n'écoutent plus la radio, ne lisent plus les journaux et ne s’investissent
plus dans leur ville (associations, syndicats, fêtes, baisse des emprunts à la bibliothèque). Ils ne
parviennent plus à décrire précisément la façon dont ils ont occupé leur journée (conscience du temps).

Dominique SCHNAPPER, L'épreuve du chômage, 1981 :


- Chômage total : ennui, isolement, ruminations, honte, humiliation… Le responsable est trouvé en soi-
même ou en la société.
- Chômage différé : le temps est accordé à la recherche d’emploi (formation, bilans de compétence…).
Résistance (cadres).
- Chômage inversé : proche du chômage volontaire (femmes intellectuelles) : loisirs et activités artistiques.
> L’emploi stable est donc un vecteur principal d’intégration sociale.

Robert CASTEL, Les métamorphoses de la question sociale, 1995 : la multiplication récente des emplois
précaires, conduisant à un processus de désaffiliation :
1. Zone d’intégration : travail stable et insertion sociale solide.
2. Zone de vulnérabilité : travail précaire et fragilité sociale.
3. Zone de désaffiliation : absence de travail et isolement social.
4. Zone d’assistance : absence de travail et insertion sociale grâce aux politiques sociales.
> Les sociétés industrielles se caractérisaient par une forte zone d’intégration. Aujourd’hui, la zone de
vulnérabilité est en constante augmentation et alimente la zone de désaffiliation.
> « Déstabilisation des stables » : les travailleurs qualifiés (cadres) deviennent précaires, « ébranlement
de la société salariale».

Serge PAUGAM, Le salarié de la précarité, 2000 :


- Précarité du travail : le salarié réalise un travail qui lui semble sans intérêt, mal rétribué et faiblement
reconnu. Moins valable pour les personnes qualifiées.
- Précarité de l’emploi : avenir professionnel incertain (CDD, intérim, etc.).
> L’intégration professionnelle idéale se traduit donc par (1) emploi satisfaisant (subjectif), et (2) emploi
rémunérateur et stable, permettant de voir à long terme (objectif).
1. Intégration incertaine : satisfaction au travail et instabilité de l’emploi.
2. Intégration laborieuse : insatisfaction au travail et stabilité de l’emploi.
3. Intégration disqualifiante : insatisfaction au travail et instabilité de l’emploi.

Serge PAUGAM, Les formes élémentaires de la pauvreté, 2005 (Europe) :


1. Pauvreté intégrée : dans les pays pauvres d’Europe, la pauvreté monétaire est large mais peu
stigmatisée car peu éloignée monétairement du reste de la population (il n’existe pas vraiment de statut
« pauvre »).
2. Pauvreté marginale : faible chômage et forte protection sociale (pays scandinaves), la pauvreté est
visible et stigmatisée (mais marginale).
3. Pauvreté disqualifiante : larges politiques d’assistance contribuant aussi à stigmatiser cette pauvreté
qui, cette fois, est conséquente (France : travail précaire, chômage de masse et insécurité sociale). Donc
risque d’exclusion : « angoisse collective ».

2.2. Lecture culturaliste

Richard HOGGART, La Culture du pauvre, 1957 (Angleterre) : nourriture (riche et protéinée), salaire du
père (voire de la mère à temps partiel) qui s’en garde une partie (bistrot, pari sur les courses de lévrier,
matchs de foot…), salaire hebdomadaire en liquide (samedi : jour où l’on rembourse tout ou partie des
dettes chez l’épicier, le boulanger, le boucher…), achats parfois somptueux (refus de se laisser écraser par

55
sa condition), enfants/adolescents choyés, sans cesse amusés et gâtés de cadeaux disproportionnés
jusqu’au mariage et aident rarement aux tâches ménagères (ils auront « toute la vie pour trimer »), garçons
et filles ont une vie sexuelle libre et épanouie, les jeunes sortent souvent (café, bars, cinéma, soirées…) et
acceptent cette « récréation » temporaire (jusqu’au mariage).

Oscar LEWIS, Les enfants de Sanchez, 1961 (Mexique) :


1. Familles pauvres peu intégrées (école, syndicat, association…) : certaine marginalité les amenant à
concevoir leurs propres normes et leur propre culture.
2. Fréquence des unions libres et passagères. Position de la mère hégémonique. Violence fréquente entre
membres de la famille.
3. Sentiment d’impuissance et de résignation face à sa situation sociale.
> Les pauvres ne sont pas exclus, ils vivent dans leur propre communauté en raison des conditions de vie
dans lesquels ils sont placés.

Stéphane BEAUD et Michel PIALOUX, Retour sur la condition ouvrière, 1999 : « L'hostilité des ouvriers
pour tout ce qui pourrait ressembler à de la discrimination positive à l'égard des immigrés renvoie en fait à
la peur qui les tenaille d'être précipités dans une déchéance sociale insupportable pour ceux qui, il y a vingt
ans, pensaient ‘monter’. Plus que l'expression d'un racisme ouvrier, on peut considérer le vote ouvrier pour
le Front national comme une tentative ultime de différenciation et de revendication du droit à l'existence
dans un contexte de déclassement structurel du groupe ouvrier. »

SECTION 2. LA DÉVIANCE

Jean-Daniel REYNAUD, Les règles du jeu, 1989 : « le contrôle social correspond à cette part de l’activité
de la société qui consiste à assurer le maintien des règles et à lutter contre la déviance, que ce soit par le
moyen des appareils institutionnels ou par la pression diffuse qu’exerce la réprobation ou les sanctions
spontanées qu’elle provoque ».

Stanley MILGRAM, La soumission à l'autorité, 1974 : interrogatoire factice, un individu devant poser des
questions à un autre individu qui est sur une chaise électrique. Officiellement, l’expérimentation porte sur la
capacité de mémorisation. Le sujet doit administrer des chocs électriques d’une puissance croissante en
cas de mauvaise réponse de la part de la personne sur la chaise électrique. L’expérience est faite sous le
contrôle de deux psychologues.
- 65 % des sujets administrent 3 chocs de 450 volts : le contrôle social fonctionne donc même s’il s’exerce
en opposition aux valeurs individuelles (ne pas heurter physiquement autrui),
- La légitimité de l’institution scientifique agit sur la conformité du sujet : le taux de refus des sujets
augmente en cas de désaccord entre les deux psychologues.

SOUS-SECTION 2. La déviance

La déviance va au-delà du domaine pénal : alcoolisme, comportements sexuels, culture underground…

Cesare LOMBROSO, L'homme criminel, 1876 (italien) : la délinquance est le fait de caractéristiques
physiques héréditaires (bras longs similaires aux singes). S'oppose à l'éducation des femmes qui risquerait
de les arracher au foyer et à la maternité et, ainsi, d’encourager la « criminalité latente » chez cette «
nature inférieure » (d’où prostitution des femmes pauvres et adultère des femmes riches).

1. Le holisme d’Émile DURKHEIM

Le crime est le produit du fonctionnement de la société. Le crime a une fonction régulatrice : il permet de
réaffirmer la légitimité des normes et des valeurs. « Classer le crime parmi les phénomènes de sociologie
normale, ce n’est pas seulement dire qu’il est un phénomène inévitable quoi que regrettable, […] c’est
affirmer qu’il est un facteur de la santé publique, une partie intégrante de toute société saine. » Le crime
devient pathologique s’il dépasse un certain seuil de normalité (risque d’anomie).

2. Le fonctionnalisme de Talcott PARSONS et de Robert MERTON

Robert MERTON, Éléments de théorie et de méthode sociologique, 1953 : 4 formes de déviance :

56
• Innovation : l'individu est en accord avec les valeurs sociales dominantes mais use de moyens
illégitimes. Ex. : les USA valorisent l’enrichissement individuel (valeur) par le travail (moyen) > Le
comportement déviant est donc le vol.
• Ritualisme : l'individu suit aveuglément les normes sociales sans se soucier des valeurs qui les
sous-tendent. Ex. : la théorie de la baïonnette intelligente envers un acte « manifestement illégal »
(droit pénal français : Maurice PAPON condamné pour crime contre l’humanité en 1997).
• Evasion : l'individu se retire de la société afin de ne plus suivre ses valeurs, ses normes et ses
moyens. Ex. : le Hobo (Nels ANDERSON) ; les Mormons aux USA (« Église de Jésus-Christ des
saints des derniers jours ») et polygynie jusqu’en 1889.
• Rébellion : l'individu propose d’autres normes et d’autres valeurs sociales légalement (association,
communauté hippie/anarchiste) ou illégalement (groupe révolutionnaire armé, terrorisme
religieux…).

3. L’interactionnisme symbolique d’Howard BECKER et d’Erving GOFFMAN

Howard BECKER, Outsiders, 1963 : la déviance n’est pas l’anormalité d’un comportement donné, elle est
l’étiquetage de ce comportement : « le déviant est celui auquel cette étiquette a été appliquée avec succès,
le comportement déviant est celui auquel la collectivité attache cette étiquette. »
 Cf. « déviante/secrètement déviante », « carrière déviante » et « entrepreneur de moral ».

Erving GOFFMAN, Stigmate. Les usages sociaux des handicaps, 1963 : « Cet attribut constitue un écart
par rapport aux attentes normatives des autres à propos de son identité ».
- Stigmate « visible » : traits physiques et personnalité apparente en cas d’interaction sociale (ex :
couleur de peau, port du voile).
- Stigmate « invisible » que l’individu tentera de dissimuler (ex : homosexualité).

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SÉANCE 10. MONDE PROFESSIONNEL

- Sociologie du travail (1930s – ou « sociologie industrielle ») : milieu professionnel (section 1).


- Sociologie des organisations (1940s) : bureaucratie et ses organisations (section 2).
- Sociologie de l’entreprise (1980s) : relations entre entreprise et société (non traitée ici).

SECTION 1. SOCIOLOGIE DU TRAVAIL

SOUS-SECTION 1. Les débuts de la sociologie du travail

1. L'organisation scientifique du travail (OST) : taylorisme et fordisme

Frederick Winslow TAYLOR (US, 1856-1915) : Philadelphie, travaille dans une aciérie en tant que
manœuvre, puis chef d'atelier et ingénieur en chef (diplôme par cours du soir). Regrette la faible
productivité de son usine et la « flânerie systématique » de l'ouvrier s’expliquant par (1) Passivité de la
direction et (2) Conviction de l'ouvrier qu'un effort additionnel ne lui amènera rien. Entente entre ouvriers
pour ne pas dépasser un certain niveau de P° : si la P° augmente, alors le prix par pièce diminue (car la
rareté diminue) (cf. aujd cartel OPEP - organisation des pays exportateurs de pétrole).

Expérimentation de TAYLOR : observe et décrit une tâche productive d’un groupe d’ouvriers
expérimentés, chronomètre leurs mouvements, liste les mouvements inutiles, puis réorganise les
mouvements strictement utiles à cette tâche productive en fonction de temps de pause déterminés. La
nouvelle séquence « idéale » (« one best way ») est ensuite enseignée aux nouveaux travailleurs avec
interdiction de s’en éloigner. Modèle appliqué à la manutention des gueuses de fonte (sorte de parpaing de
fonte traité ensuite pour obtenir du fer ou de l’acier) > Résultats spectaculaires (+ 284 % de fonte chargée,
+ 60 % d’augmentation des salaires [paiement à la tâche]…).

4 principes du taylorisme :
1. Division verticale du travail : stricte séparation entre la conception des tâches (ingénieurs) et leur
exécution (ouvriers). Préparation en amont des phases d’exécution.
2. Division horizontale du travail : répartition optimale et claire entre travailleurs (éviter doublons et
ambigüités).Chaque opération est détaillée (liste, description et temps des tâches).
3. Les travailleurs sont sélectionnés et formés.
4. Les tâches sont supervisées (contrôlées) et la rémunération est liée au respect du processus par les
travailleurs.

Frederick Winslow TAYLOR, Principes d'organisation scientifique des usines, 1911 : « Avec l’organisation
scientifique, les intérêts véritables des deux parties sont les mêmes ; la prospérité de l’employeur ne peut
durer que si elle est accompagnée de celle de l’employé et inversement ; il est ainsi possible de donner à
l’un et à l’autre ce qu’ils désirent ; à l’ouvrier de gros salaires, et au patron une main d’œuvre bon
marché. »

Henry FORD (US, 1863-1947). Constat : fort absentéisme, démissions et coût de formation des nouveaux.
Solutions proposées par FORD :
- Doublement du salaire des ouvriers pour augmenter la consommation (principe keynésien) et
stabiliser des ouvriers dans l’entreprise (de 2,34 $ à 5 $ par jour).
- Réduction du temps de travail journalier de 9h à 8h.
 S’ajoutent aux principes du taylorisme (division horizontale/verticale, formation et rémunération à la
tâche).
- Chaînes de montage (en série).
- « Notre premier progrès dans l’assemblage consista à apporter le travail à l’ouvrier, au lieu
d’amener l’ouvrier au travail. Aujourd’hui, toutes nos opérations s’inspirent de ces deux principes.
Nul homme ne doit avoir plus d’un pas à faire ; autant que possible, nul homme ne doit avoir à se
baisser ». (Ma vie et mon œuvre, 1925)
- 1ère chaîne de montage mise en place dans les usines Ford de Detroit en 1913 : le temps de P°
d’une voiture passe de 12h28 à 1h33 (Ford T).
 Csq : hausse de la P°, de la productivité et de la C°, baisse du coût de P° (moindre main-
d'œuvre/surface), déqualification du travail ouvrier (travail répétitif et monotone), plus grand contrôle
du travail ouvrier.

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2. Les débuts de la sociologie du travail aux États-Unis : enquête de Pittsburgh et Elton
MAYO

Enquête de Pittsburgh (1907) : une 60aine de chercheurs sur conditions de vie des ouvriers (logement,
santé, éducation, accidents de travail, travail des femmes et des enfants, etc.).
- Durée de travail excessive (12h dans les mines),
- Salaires trop bas,
- Salaire des femmes inférieur de moitié à celui des hommes,
- Vie familiale précaire (heures de travail et accident de travail),
- Conditions de travail des immigrés très précaire.
 Propositions : journée de travail de 8h, un jour de congé par semaine, hausse des salaires,
protection envers les accidents de travail, etc.
[NOTE : slogan de la 1ère Internationale « 8 heures de travail, 8 heures de loisir, 8 heures de repos »
[triangle rouge – déportés de la Shoah] du britannique Robert OWEN en 1817].

Elton MAYO (1880-1949, australien), “The social problems of an industrial civilisation”, 1946 (Hawthorne
Works [du nom de la ville] : usine de relais téléphoniques près de Chicago, avec d’autres chercheurs, de
1924 à 1932) :
- Teste le niveau de productivité selon les conditions de travail : luminosité de l’espace de travail,
système de salaire (horaire, au rendement), nombre et durée des pauses, heures de travail, coût
des repas, interdiction de parler pendant le travail, etc.
- Résultats :
 Effet Hawthorne : la productivité augmente si la direction s’intéresse au travail des ouvriers et si les
ouvriers sont associés aux objectifs de l’entreprise (initiative, solidarité et émulation interne du
groupe).
 Le salaire n’est pas une source de motivation principale pour accroître sa productivité.
- « Le désir d'être bien avec ses collègues de travail […] l'emporte facilement sur le simple intérêt
individuel et la logique des raisonnements sur lesquels tant de faux principes de direction se sont
fondés ».

SOUS-SECTION 2. La sociologie du travail durant les Trente Glorieuses

1. Les travaux français

Alain TOURAINE, L'évolution du travail ouvrier aux usines Renault, 1955 : 3 phases dans l’histoire de
l’industrialisation :
- Phase A : début de l’ère industrielle. Souvent, une unique machine pour l’ensemble de la
réalisation, le reste étant coordonné par l’ouvrier « professionnel » (OP). L’ingénieur qui est au-
dessus de lui ne peut lui dire comment faire. Promotion de l’ouvrier possible. Syndicalisme de
métier (corporation).
- Phase B : P° en série, décomposition du travail, différentes machines spécialisées dans une seule
opération, l’ouvrier est « spécialisé » (OS – paradoxal car seule la machine est spécialisée) et
travaille avec des OP. L’OS est formé en qq heures. Soumission (faible syndicalisme). Taylorisme
et fordisme.
- Phase C : les phases décomposées de la phase B s’assemblent en une seule machine
(automatisation) qualifiée de « machine-transfert » (transfère les pièces d’une machine à une
autre). Le nombre d’OS décroît. Les ouvriers assurent la maintenance des machines.

Georges FRIEDMANN, Le travail en miettes, 1956 (plsr usines - automobile, alimentation, textile...) :
l’éclatement des tâches a pour csq de réduire à quelques jours l’apprentissage – le savoir-faire se limitant à
tenir le rythme. Les ouvriers deviennent les « bouche-trous » de la chaîne de P°. Ainsi, les promotions
sont de moins en moins accessibles. Propose un élargissement des tâches pour que les ouvriers
retrouvent une plus grande maîtrise du processus productif :
- Rotation de poste à poste permettant à l’ouvrier d’effectuer des tâches de direction. Permet aussi
de réduire les troubles musculo-squelettiques.
- Equipe volante : remplacement temporaire d’une autre équipe absente.

2. Les travaux britanniques

59
Joan WOODWARD (♀), Management and technology, 1958 : la structure idéale dépend de la technologie
utilisée.
• P° unitaire (petite série : avion, paquebot, chantier de travaux public, artisanat…) : adaptation au
client > produit sur-mesure, main d’œuvre très qualifiée, faible hiérarchie (structure « organique »).
• P° de masse (grande série : produits standardisés) : produits indifférenciés, forte hiérarchie
(structure « fordiste »).
• P° continue (gazs, produits chimiques, sidérurgie [arrêt des fours serait trop coûteux]) :
compétence et expertise des salariés, bonne communication horizontale, importance du manager.

John GOLDTHORPE & al., L'ouvrier de l'abondance, 1972 (ouvriers des usines de Bedfordshire [est de
l’Angleterre] au salaire supérieur à la moyenne) : aucune satisfaction dans leur travail (se plaignent de la
monotonie du travail, de la rapidité des chaînes et des consignes arbitraires). Ont choisis leur poste pour
sa rémunération. Faible socialisation entre collègues et faible conscience de classe. Volonté de limiter les
revendications (selon un ouvrier, « on ne tue pas la poule aux œufs d’or » : ne souhaitent pas mettre en
difficulté leur entreprise). Très fort taux de syndicalisation (78-100 %) mais très faible participation aux
activités syndicales (embourgeoisement du prolétariat). Affaiblissement de la solidarité de classe :
l’usine a cessé d’être un espace de socialisation positive. Plus de la moitié de ces ouvriers pensent que les
syndicats ne doivent pas être étroitement liés au parti travailliste.

SOUS-SECTION 3. La sociologie du travail durant les années 1980

Crise du fordisme :
- Absentéisme et turn-over importants,
- Grèves et sabotages,
- Coulage : perte de marchandise (chapardage [petit vol] ou négligence)
- Perruque : travail pour son propre compte avec le matériel ou sur le temps de l'employeur.

1. Une nouvelle organisation du travail

- Rotation des postes : rompre la monotonie, éviter les troubles musculo-squelettiques, partager la
pénibilité, accroître la qualification de l’ouvrier, augmenter les possibilités de remplacement.
- Elargissement des tâches : regroupement de petites opérations.
- Enrichissement des tâches : sorte d’élargissement des tâches incluant la maintenance de la
machine ou le contrôle du produit fini.
- Equipes semi-autonomes : responsabilisation et répartition libre du travail entre ses membres.
- Cercle de qualité (1960s Japon, 1970s USA, 1980s Europe) : réunir les personnes directement
concernées par un problème pr en débattre. Un animateur, 4 à 15 personnes de hiérarchie
différente (brainstorming).

2. Le toyotisme (Japon)

Taiichi ŌNO (1912-1990), fondateur du toyotisme (vice-président de Toyota).


1. Juste-à-temps : minimiser les stocks, P° en flux tendu. « Zéro stock, zéro délai, zéro panne, zéro
défaut, zéro papier ».
2. Muda : gaspillage (attente pour le client, transport, qualité excessive, stock, étapes/mvt inutiles…) à
bannir !
3. Kanban (fiche, carte) : signal (électronique ou cartonné) indiquant si un bien a été vendu pour
relancer la P°.
4. Jidoka (autonomation, mot-valise de automatisation et autonome) : diminuer le nb d’opérateurs
supervisant une machine. Si une machine commence à être défectueuse, elle active d’elle-même
un signal ou un panneau lumineux (« andon »)
5. Poka-Yoke (détrompeur) : dispositif mécanique prévenant d’éventuelles erreurs (d’assemblage, de
montage, de branchement). Ex. : voiture ne pouvant démarrer sans que les ceintures ne soient
bouclées, voiture sonnant si feux allumés/moteur coupé, connecteur USB ne pouvant être renversé,
diode « anti-con » (bloquant le courant en cas de branchement inverse (- sur +))...
6. Kaizen : philosophie d’amélioration continue devant être partagée par l’ensemble des membres
d’une entreprise. Invite chaque travailleur à réfléchir sur son lieu de travail pour proposer des
améliorations (cercle de qualité).
7. Genchi Genbutsu : voir de ses propres yeux. Mettre fin aux réunions interminables entre managers
et ingénieurs : débattre dans l’atelier en écoutant les ouvriers.

60
SOUS-SECTION 4. La sociologie du travail au cours de la période contemporaine

Edward LORENZ et Antoine VALEYRE, « Les formes d'organisation du travail dans les pays de l'Union
européenne », 2005 : distingue 4 formes d’organisation du travail :
1. « Apprenante » (39 %) : équipes autonomes (méthode et rythme de travail, résolution des pb imprévus),
objectifs établis avec la hiérarchie, membres polyvalents sur toutes les tâches de l’équipe, fort
apprentissage de choses nouvelles > Pays-Bas, Danemark, Suède (voire Finlande, Autriche, Allemagne).
2. « En lean production » (‘lean’ : dégraissé > P° sans gaspillage, en flux tendus) (28 %) : tâches
répétitives et monotones, autonomie moyenne, apprentissage moyen des choses nouvelles, cadence
rapide, autocontrôle de la qualité > Royaume-Uni, Irlande, Espagne (voire France).
3. « Taylorienne » (14 %) : tâches répétitives et monotones, faible autonomie, cadence rapide, faible
complexité des tâches > Grèce, Portugal, Italie, Irlande et Espagne.
4. « Structure simple » (19 %) : moyenne autonomie, faible contenu cognitif, faible apprentissage, faible
autocontrôle de la qualité, peu de normes, faible contrôle hiérarchique, supervision directe des salariés
(petites entreprises) > Grèce, Italie, Portugal, Espagne, Belgique, Allemagne, Suède.

SECTION 2. SOCIOLOGIE DES ORGANISATIONS

Claude MÉNARD, L'économie des organisations, 2012 : « Une organisation se caractérise par :
- Un ensemble de participants,
- Une entente implicite ou explicite, sur certains objectifs, et des moyens pour exprimer son accord
avec ses objectifs ou s’en dissocier (contrats, démissions, grèves, etc.) ;
- Une coordination formelle, définissant une structure caractérisée par son degré de complexité (la
hiérarchie), par des règles et procédures (la formalisation), et par son degré de centralisation (la
décision). »

Max WEBER, Économie et société, 1921 : la bureaucratie est un idéal permettant l’épanouissement de la
raison.
- Rejet des motivations propres au leader ou des traditions.
- Répartition optimale des rôles et des compétences de chacun.
- Valorisation de l’expert.

Robert King MERTON, “Bureaucratic structure and personality”, 1940 : plus une organisation est
rationnelle (WEBER), plus elle peine à s’adapter à son environnement. Développement de rituels
individuels : respect des règles internes au détriment du bien-être des clients/usagers.

Michel CROZIER, Le Phénomène bureaucratique, 1963 : la bureaucratie est une forme pathologique de
l’organisation en raison de sa rigidité. La bureaucratie est « une organisation qui n'arrive pas à se corriger
en fonction de ses erreurs » (le « cercle vicieux de la bureaucratie » désigne la tendance, pour une
organisation, à accroître et superposer une multitude de règles).

Peter BLAU, The Dynamics of Bureaucracy, 1955 : les organisations peuvent s’adapter à leur
environnement si elles laissent se développer une certaine marge de manœuvre (règles
informelles/souples).

Alvin Ward GOULDNER, Patterns of Industrial Bureaucracy, 1954 : 3 formes de bureaucratie :


1. Artificielle : les règles, fixées par une autorité extérieure, ne sont respectées par personne.
2. Représentative : l’élaboration collective des règles assure leur respect collectif.
3. Punitive : obéissance des règles en raison des risques de sanctions.

Analyses propres aux entreprises :


1. Modèle « shareholder » (capitalisme anglo-saxon) : primauté aux actionnaires.
2. Modèle « stakeholder » : conciliation des intérêts (actionnaires, banques, salariés, clients).

Dominique PLIHON & al., « Quel scénario pour le gouvernement d’entreprise ? », 2001 : renforcement du
pouvoir des actionnaires minoritaires (shareholder), des salariés et des ONG (stakeholder).

SECTION 3. SOCIOLOGIE DE L’ENTREPRISE

61
McGregor DOUGLAS (US, 1906-1964), The Human Side of Enterprise, 1960 :

- Théorie X : pour la direction, les individus n’aiment pas travailler et privilégient leur propre intérêt
(salaire). Seule la contrainte ou la récompense permettent l’obtention d’une productivité minimale.
Ces individus n’aiment pas les responsabilités et préfèrent être dirigés. Leur créativité se déploie
essentiellement pour contourner des règles.
 Encourage un management autoritaire, utile pour une production standardisée et uniforme (où la
créativité est inutile : chaînes de montage, travail en série).
- Théorie Y : pour la direction, les individus aiment travailler, assument la responsabilité de leur
travail et aiment prendre des responsabilités. Ils sont créatifs et peuvent apprendre. La productivité
est augmentée par (1) l’implication des individus aux buts de l’entreprise et (2) la démocratie interne
de l’entreprise. La supervision d’un manager reste cependant importante.
 Encourage un management participatif, avec une relation plus personnelle avec la direction. Utile
pour un travail très qualifié. Cependant, un trop grand laisser-aller (auto-organisation) peut conduire
à s’éloigner des buts de l’entreprise.

William OUCHI (US, 1943-), Theory Z, 1981 : accroître la loyauté des employés envers l'entreprise, par :
- Salaire élevé,
- Emploi stable et de très longue durée (voire à vie),
- Bien-être au travail (salle de sport, crèche...) et en dehors du travail (mutuelle...),
- Participation collective (promouvoir le leadership au sein d’un groupe) et consultation des syndicats,
- Carrière et promotions possibles mais lentes ! (importance de la lenteur pour faire comprendre au
personnel l’importance des résultats à court terme),
- Tests réguliers sur le niveau de satisfaction des employés et des clients.

62
SÉANCE 11. CULTURE ET RELIGION

SECTION 1. CULTURE

SOUS-SECTION 1. Les grands courants

Edward TYLOR, Primitive Culture, 1871 : « la culture, prise dans son sens ethnologique large, est ce tout
complexe englobant les connaissances, les croyances, l’art, la morale, les lois, les coutumes et les autres
capacités ou habitudes acquises par l’homme en tant que membre de la société. »

Principaux courants :

1. L’évolutionnisme

- Mème culturel : équivalent culturel du « gène » (qui n’est pas toujours répliqué parfaitement).
Elément culturel transmis par l'imitation d'un ou plusieurs individus (cf. mèmes d’Internet). Créé par
Richard DAWKINS (Le Gène égoïste, 1976 - UK). Sélection darwinienne des phénomènes
culturels.
- Mémétique (en référence à la génétique) : discipline en découlant. Ex. : étude des rumeurs, des
modes vestimentaires, des courants de pensée (collapsologie), innovation des pratiques
religieuses, sélection du système numéraire (numération romaine vs numération arabe), évolution
des pratiques alimentaires, etc. (cf. neurones miroirs 1990s [bâillement, empathie voire langage,
comportements sociaux] renforce l'idée de reproduction mémétique).

En tant qu'athéiste, Richard DAWKINS pense que l'idée de Dieu est un mème, agissant dans l'esprit
humain de la même manière qu'un placebo : le mème de Dieu contient des avantages tangibles (réponses
aux grandes questions philosophiques, et confort superficiel pour les difficultés quotidiennes).

2. Le diffusionnisme

Les cultures actuelles sont le fruit d’une diffusion à partir de quelques foyers culturels primitifs ou d’un
unique foyer (hyperdiffusionnisme).

Robert Fritz GRAEBNER (alld, 1877-1934), Méthode d’ethnologie, 1911 : la civilisation océanienne peut
se réduire à 6 cercles culturels qui se sont succédés dans le temps.

Hyperdiffusionnisme : toutes les cultures ont pris naissance en Amérique latine (1ère génération : Bolivie),
dans l’Égypte pharaonique (2de génération) ou en Mésopotamie (3e génération).

3. Le fonctionnalisme

Bronisław MALINOWSKI (1884-1942, UK), Une théorie scientifique de la culture et autres essais, 1944 :
la culture a pour fonction d’assouvir les besoins physiologiques (se nourrir, se protéger, se reproduire,
etc.). Distingue les besoins « physiologiques » (universels) des besoins « dérivés » (culturels :
technologiques, économiques, juridiques, éthiques, religieux…). Un des 1ers à encourager l’étude
ethnographique (sur le terrain) à long terme.

4. Le culturalisme

Cf. plus haut :


- Ruth BENEDICT (♀ étasunienne), Échantillons de civilisation (1934)
- Margaret MEAD (♀ étasunienne), Mœurs et sexualité en Océanie (1935)
- Ralph LINTON (étasunien), Le fondement culturel de la personnalité (1936)
- Abram KARDINER (étasunien), L’individu dans la société (1939)

5. Le structuralisme

Cf. plus haut :


- Claude LÉVI-STRAUSS (français), Les Structures élémentaires de la parenté (thèse), 1948

63
- Louis ALTHUSSER (français), Idéologie et appareil Idéologique d’État (essai), 1970
- Pierre BOURDIEU (français) et le structuralisme constructiviste.

SOUS-SECTION 2. Acculturation et syncrétisme

Robert REDFIELD, Ralph LINTON and Melville J. HERSKOVITS, Memorandum for the Study of
Acculturation, 1936 : « l’acculturation est l’ensemble des phénomènes qui résultent d’un contact continu et
direct entre des groupes d’individus de cultures différentes et qui entraînent des changements dans les
modèles culturels initiaux de l’un ou des deux groupes. »

Roger BASTIDE, « Les études et les recherches inter-ethniques en France de 1945 à 1968 », 1971 : 3
processus d’acculturation :
1 – Processus de sélection : tous les traits d’une culture ne sont pas intégrés.
2 – Processus de réinterprétation : les traits culturels sont réappropriés.
3 – Processus de restructuration : modifications structurelles sur l’ensemble du système culturel.
 Acculturations spontanée (2 cultures en contact libre), forcée (colonisation, esclavagisme) ou
planifiée à long terme (culture nationale, culture prolétarienne en URSS…).

Syncrétisme : fusion de doctrines philosophiques, culturelles ou religieuses.

3 gradations d’acculturation :
- Assimilation : une culture dominée accepte une culture dominante (notam. ses valeurs) ;
- Déculturation : une culture dominante est imposée à une culture dominée (imposition d’une langue
dans les colonies) ;
- Ethnocide : une culture dominante supprime une culture dominée, parfois violemment (enlèvement
d’enfants : indiens d’Amérique et aborigènes d’Australie).

SECTION 2. RELIGIONS

SOUS-SECTION 1. Définition de la religion

1. La définition substantielle

Définir une caractéristique cruciale : la croyance dans le surnaturel. Définitions restreintes.

Edward TYLOR, Primitive Culture, 1871 : « une définition minimale de la religion [est] la croyance en des
êtres spirituels » (“a minimum definition of Religion [is] the belief in spiritual beings”). 3 phases de
développement religieux (animisme, polythéisme et monothéisme). Animisme : appliquer une « âme » aux
choses de la nature.

James FRAZER, The Golden Bough, 1890 : « la religion consiste en deux éléments (...) une croyance en
des puissances supérieures à l'homme et une tentative de les calmer et les apaiser » (“religion consists of
two elements (…) a belief in powers higher than man and an attempt to propitiate or appease them”)

Le « numineux » de Rudolf OTTO (1869-1937), Le Sacré, 1917 (du latin « numen » : puissance agissante
de la divinité). Triple dimension :
- « Sentiment de l’état de créature » : reconnaissance d’une dépendance à l’égard d’un être
supérieur qui nous a créé.
- « Effroi mystique » : reconnaissance d’une « absolue supériorité de puissance ».
- « Mystère » : inexpliqué et fascination.

Roland ROBERTSON, The Sociological Interpretation of Religion, 1970 : « Un ensemble de croyances et


de symboles (et des valeurs qui en dérivent directement) lié à une distinction entre une réalité empirique et
supra-empirique, transcendante ; les affaires de l’empirique étant subordonnées à la signification du non-
empirique ».

2. La définition fonctionnelle

Définir ce que font les religions ou comment elles fonctionnent. Définitions larges.

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Emile DURKHEIM, Les formes élémentaires de la vie religieuse, 1912 :
 A cheval avec la définition substantielle : « Une religion est un système solidaire de croyances et
de pratiques relatives à des choses sacrées, c'est-à-dire séparées, interdites, croyances et
pratiques qui unissent en une même communauté morale, appelée Eglise, tous ceux qui y
adhèrent. »
 Le totémisme est la forme la plus élémentaire et la plus ancienne de la religion. « La force
religieuse n’est que le sentiment que la collectivité inspire à ses membres, mais projeté hors des
consciences qui l'éprouvent, et objectivé. » La société est à l’origine du sentiment religieux. Le
totem est la représentation du clan lui-même, symbolisé en un dieu. « Si [le totem] est à la fois un
symbole du dieu et de la société, n’est-ce pas que le dieu et la société ne font qu’un ? » (totem =
plante ou animal servant d’emblème à un groupe).
 Distingue « rite négatif » (interdit : alimentaire) et « rite positif » (obligation : sacrifice, prières).
 Distingue sacré et profane.
 La religion assure 3 fonctions :
1 - Cohésion sociale forte (les rites et les croyances créent une conscience partagée),
2 - Normes sociales (les attentes à l’égard d’autrui permettent de prédire, en partie, son
comportement),
3 - Réponse aux questions universelles.
Selon DURKHEIM, tant que ces trois fonctions ne seront pas assurées par d’autres institutions (école,
droit, science), les religions continueront d’exister.

Max WEBER, L'éthique protestante et l'esprit du capitalisme, 1905 : quelle théodicée les religions
mobilisent-elles pour se pérenniser ? La théodicée est une explication sur la contradiction entre l’existence
du mal, d’une part, et la toute-puissance et la bonté des dieux. Pourquoi ces derniers permettent-ils la
souffrance, le malheur et l'injustice pour des personnes qui suivent, pourtant, la morale et les préceptes
religieux ? Selon WEBER, il existe trois formes dominantes de théodicée dans le monde :
- Le dualisme : le bien (aux mains d’un ou plusieurs dieux) et le mal (aux mains de démons) s’affrontent.
Le mal l’emporte occasionnellement. « Les pouvoirs de la lumière et de la vérité, de la pureté et de la bonté
coexistent et entrent en conflit avec les pouvoirs de l'obscurité et du mensonge ».
Ex : catholicisme.
- La prédestination : la souffrance est le résultat d'un destin qu'un dieu a pré-assigné aux individus. Mais
la connaissance de ce destin est inaccessible aux hommes.
Ex : calvinisme.
- Le karma : la souffrance s’explique par des actes commis dans des vies antérieures. Les individus
doivent lutter dans cette vie pour rectifier les maux accumulés dans les vies précédentes.
Ex : hindouisme et bouddhisme.

Karl MARX (athée) : « La misère religieuse est, d’une part, l’expression de la misère réelle, et, d’autre part,
la protestation contre la misère réelle. La religion est le soupir de la créature accablée par le malheur, l’âme
du monde sans cœur, de même qu’elle est l’esprit d’une époque sans esprit. Elle est l’opium du peuple ».
(Contribution à la critique de la philosophie du droit de Hegel, 1843).

Milton YINGER, Religion, Society and the Individual, 1957 : « La religion est un système de croyances et
de pratiques au moyen duquel un groupe lutte contre les problèmes ultimes de la vie humaine » (“Religion
is a system of beliefs and practices by means of which a group struggles with the ultimate problems of
human life”)

Clifford GEERTZ (1926-2006, US), La religion comme système culturel, 1972 : « un système de symboles,
qui agit de manière à susciter chez les hommes des motivations et des dispositions puissantes, profondes,
durables, en formulant des conceptions d’ordre général sur l’existence et en donnant à ces conceptions
une telle apparence de réalité que ces motivations et ces dispositions semblent ne s’appuyer que sur le
réel ».

Cf. Richard DAWKINS et le mème de Dieu agissant comme placebo.

SOUS-SECTION 2. Phénoménologie de Peter BERGER

Phénoménologie : décrit la manière dont les phénomènes, y compris religieux, deviennent pour les
individus une expérience sensorielle et un phénomène conscient. Observation et description des

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phénomènes et de leurs modes d'apparition (hors jugement de valeur). Manière dont le monde (et nous-
mêmes) devient (1) une expérience, puis (2) un objet distinct de nous-même. Comment les humains
passent-ils du flux de la perception immédiate à une vision religieuse du monde ?

Peter BERGER, The Sacred Canopy, 1967 : la religion est une forme de culture. Comme la culture, elle
est une création humaine qui se développe en réponse à la condition humaine.
Selon Berger, contrairement aux autres animaux, la survie de l'homme dépend de la création de
connaissances, de techniques et de technologies culturelles, et de leur transmission de génération en
génération. Alors que les animaux sont simplement capables de sentir que certains champignons sont
vénéneux, les enfants doivent apprendre la différence entre ce qui est vénéneux et ce qui ne l'est pas en
se basant sur la taxonomie des plantes de leur culture. Selon Berger, la culture existe donc en tant
qu'artifice servant de médiateur entre les humains et la nature.
Or, la nature est changeante et une génération peut être confrontée à des événements naturels nouveaux,
imprévus par les générations précédentes. La religion est capable de résoudre la menace de cette
instabilité en affirmant l’existence d’une vision cosmologique du monde qui n’est pas affectées par
l'inconstance et l'incertitude quotidiennes.
La religion est donc un « bouclier ultime » pour l'humanité, une « canopée sacrée » (canopée : strate
supérieure d’une forêt composée des feuilles exposées au soleil). Ce bouclier n’est possible qu’à la
condition que les humains aient oubliés qu'ils ont eux-mêmes créé la religion.
Or, la science acquière, aujourd’hui, une plus grande autorité pour décrire la nature du monde et notre rôle
en son sein.

SOUS-SECTION 3. Théorie du choix rationnel de Rodney STARK et William BAINBRIDGE

The Future of Religion: Secularization, Revival and Cult Formation, 1985 : globalement, les sociologues
s’accordent à dire que, face à la modernité du monde, les religions disparaîtront. Or, STARK et
BAINBRIDGE considèrent que « tant que les humains chercheront intensément des récompenses de
grande ampleur qui sont inaccessibles par leurs actions, ils ne pourront obtenir des compensations
crédibles qu'à partir de sources fondées sur le surnaturel » ([S]o long as humans intensely seek certain
rewards of great magnitude that remain unavailable through direct actions, they will be able to obtain
credible compensators only from sources predicated on the supernatural).
Selon eux, la fréquentation des églises et les nouveaux mouvements religieux ont en fait augmenté aux
États-Unis à mesure que le pays se modernisait. En Europe, où la participation religieuse est relativement
faible, les niveaux de croyance individuelle restent néanmoins élevés et la participation n'a pas connu de
déclin à long terme.
Théorie du choix rationnel : les humains recherchent les récompenses et évitent les coûts.
Une personne doit croire en l'existence d'une puissance surnaturelle capable de fournir cette récompense
(matériellement inaccessible) pour croire rationnellement qu'elle est accessible.

SOUS-SECTION 4. Théorie féministe de la religion

- Église catholique romaine : le pape, les cardinaux, les archevêques, les évêques et les prêtres sont
des hommes.
- Église anglicane (Église d'Angleterre) : femmes prêtres depuis 1994, et femmes évêques depuis 2015.
- La plupart des branches de l'islam ne reconnaissent pas les femmes comme imams. Mais les
spécialistes de l'islam débattent de la question de savoir si les femmes peuvent diriger les prières et si
les confréries musulmanes peuvent être exclusivement féminines ou mixtes.
- Judaïsme : il existe des femmes rabbins depuis les années 1970, mais cette pratique est toujours
condamnée par les juifs orthodoxes.
- Hindouisme : pour la première fois, 4 femmes ont été consacrées prêtresses en Suisse, en 2015.

Pourtant, d’après une étude du Pew Research Center (« The Gender Gap in Religion around the World »,
2016), les femmes sont plus religieuses que les hommes pour plusieurs religions (chrétien, musulman,
bouddhiste, hindou, juif et des religions non affiliées [athées et agnostiques]). Les données mondiales
(compilées par le centre) indiquent que :
- Les femmes se rattachent plus facilement à une religion que les hommes.
- Chez les chrétiens, les femmes assistent plus souvent aux cérémonies religieuses, mais chez les
musulmans et les juifs orthodoxes, les hommes y assistent plus souvent.
- En général, les femmes sont plus nombreuses que les hommes à prier quotidiennement.

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- Les femmes sont plus susceptibles que les hommes de dire que la religion est "très importante"
dans leur vie,
- Les femmes et les hommes ont à peu près les mêmes chances de croire au paradis, à l'enfer et
aux anges.
Ces résultats s’appliquent surtout pour le catholicisme. Ils ne s’appliquent pas, en revanche, pour l’Islam
où il n’existe pas de différence entre hommes et femmes (à l’exception de la pratique religieuse : les
hommes sont plus pratiquants car ils vont à la mosquée).
Concernant les pays développés, les États-Unis sont les plus religieux (notamment les femmes).
Inversement, les femmes américaines sont moins nombreuses que les hommes (19 % contre 27 %) à ne
pas être affiliées à une religion.

Mary DALY (Beyond God the Father, 1973) : la dimension patriarcale des religions est, selon elle, « l'une
des forces les plus puissantes dans l'oppression sociale des femmes » (one of the most powerful forces in
the social oppression of women). Autrement dit, « si Dieu est mâle, alors le mâle est Dieu » (if God is male,
then the male is God). Les individus sont conditionnés à voir Dieu dans la masculinité et non dans la
féminité. Le christianisme rend ainsi Eve responsable du péché originel. A l’inverse, l’homme apporte le
salut (Jésus le Sauveur).

Linda WOODHEAD (« Gender differences in religious practice and significance », 2007) (« Les différences
de genre dans la pratique et la signification de la religion », 2012) : la position des femmes dans la religion
patriarcale n'est pas monolithique. Les femmes déploient 4 « stratégies » religieuses pour se positionner
dans ces religions, selon 2 axes :
- L’axe instituée/marginale (externe) : position dans le monde. Axe vertical graduant les religions
des plus établies aux plus marginales. « Une religion instituée participe pleinement à la répartition
du pouvoir dans la société et est socialement respectable. Une religion marginale est en décalage
par rapport à l’ordre social et sexué et donc traitée comme une déviance par ceux qui acceptent les
rapports de pouvoir dominants. »
- L’axe consolidante/contestataire (interne) : rapport aux inégalités homme/femme. Axe horizontal
opposant les stratégies consolidantes aux stratégies contestataires. « Une religion consolidante
cherche à légitimer, renforcer et sacraliser l’ordre social existant et notamment l’ordre sexué, tandis
qu’une religion contestataire tente de l’améliorer, de le critiquer ou de le transformer. » La religion
consolidante reproduit et légitime l’inégalité entre les sexes.
Le croisement des 2 axes distingue 4 zones, représentant les quatre types de relations entre la religion et
le genre : 4 grands types de religions et comportements religieux.

o Attention 1 : s’applique au comportement individuel et à la religion elle-même.


o Attention 2 : des courants différents au sein d’une même religion peuvent se rattacher à des
« types » différents : les religions ne sont pas des monolithes.
o Attention 3 : une même religion peut changer de « type » au court du temps.

1. La religion comme légitimation (ou « consolidation ») (instituée et consolidante) :


Ex : globalement, les femmes acceptent la répartition sexuée traditionnelle (religieuse) et sont
souvent plus religieuses que les hommes. L’essor de la sécularisation est donc positivement corrélé
à celui de l’égalité des sexes. « Dans la seconde moitié du xxe siècle, le christianisme, le judaïsme
et l’islam ont connu de profondes évolutions visant à davantage ancrer leur identité dans la défense
d’une répartition « traditionnelle » des rôles entre les hommes et les femmes, fondée sur la
suprématie du chef de famille et la vocation domestique de la femme. » Des travaux ont ainsi
montré que la diffusion du féminisme a été un facteur décisif dans la montée du fondamentalisme
chrétien aux États-Unis. D’autres montrent que les femmes sont attirées par ce partage traditionnel
des rôles car la religion propose un choix clair (épouse et mère, mari les protégeant du danger des
ruptures familiales), là où la société moderne n’offre aux femmes que des rôles confus et
contradictoires (mère/travailleuse/amante…).
2. La religion comme tactique (instituée et contestataire) :
Ex : (1) des femmes créent des réunions hebdomadaires exclusivement féminines pour discuter des
textes sacrés et les confronter à leurs propres préoccupations et créent un réseau d’entraide (garde
d’enfants, conseils familiaux et matrimoniaux, etc.), (2) des femmes revendiquent la prêtrise dans
d’église catholique romaine. Les femmes « marchandent avec le patriarcat » (Deniz KANDIYOTI) :
elles ne réussissent jamais à ébranler entièrement l’ordre dominant.
3. La religion comme quête (marginale et consolidante) :

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Ex 1 : femmes fréquentant des cultes, sporadiquement, pour leur propre bien-être personnel et
spirituel, sans remettre en cause l’ordre sexué existant (magie, sorcellerie… : très répandu chez les
femmes et les adolescentes [santé, amour, invisibilité…]). « New Age » des années 1980, toujours
d’actualité, qui lient le mental, le physique et le spirituel (yoga, bouddhisme, reiki [soins
énergétiques japonais utilisant les mains], homéopathie, aromathérapie). « Les auto-spiritualités
permettent d’affronter ces conflits [NDA rôles confus de la société moderne] (…). Cette vision de
l’identité est potentiellement socialement subversive mais, en général, elle aide plutôt les femmes à
supporter les contradictions et les coûts de l’inégale distribution du pouvoir et de leur travail non
rémunéré auprès des autres dans les sociétés occidentales contemporaines qu’à transformer ces
conditions.»
Ex 2 : le mouvement de Robert BLY qui utilise des mythes et des pratiques rituelles pour aider les
hommes à renouveler leur force intérieure et leur identité, en retrouvant en eux le « masculin
disparu ». Ce mouvement considère que le pouvoir croissant des femmes dans la société menace
la position des hommes.
4. La religion comme contre-culture (marginale et contestataire) :
Ex : « mouvement de la Déesse » (néopaganisme). Se distingue des auto-spiritualités par l’accent
mis sur les rites spirituels et la cohésion des communautés qui s’y forment. De nombreuses
féministes de la Déesse se réapproprient le terme de « sorcière » et qualifient leur religion de «
Wicca ». Le mouvement compte des hommes parmi ses membres mais les femmes y sont très
majoritaires. Des auteurs distinguent les sorcières « utopistes » (« évangile religieux et social pour
transformer le monde » - Jone SALOMONSEN) et les sorcières « génériques » (visée personnelle).
Les féministes de la Déesse utopistes fondent des éco-communautés et sont souvent engagées
dans des combats politiques : protestations contre l’installation d’une centrale nucléaire en
Californie (1981) et contre l’armement nucléaire sur une base aérienne anglaise (1981-1991).

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