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NOTIONS CLÉS : LA MORALE – LE BONHEUR

ÉPICURE
CONTRAIREMENT AUX IDÉES REÇUES, LE PHILOSOPHE GREC N’A JAMAIS
PRÉCONISÉ LE PLAISIR DÉBRIDÉ DES SENS. DANS SON EXPLICATION DU MONDE, IL PRIVILÉGIE
LE SENSIBLE PLUTÔT QUE L’INTELLIGIBLE. IL PRÔNE LA RECHERCHE DE LA SATISFACTION DE DÉSIRS
SIMPLES, UN BONHEUR TRANQUILLE, ACCESSIBLE À TOUS.

llumez votre ordinateur,

A
puis une fois rendu sur
Google, tapez « épicu-
riens »… Des restaurants,
des clubs d’amateurs de
vin ou de bonne chère,
voire des sites coquins
s’affichent… Et l’on est
tenté de conclure : Gérard
Depardieu, Jean-Pierre
Coffe, feu Jean Carmet, voilà bien des épi-
curiens modernes! L’adjectif évoque ceux
qui aiment le plaisir sous toutes ses formes.
Le plaisir sensible surtout, qu’on peut tou-
cher, goûter, savourer. Au total, pas mal de
monde. Mais Epicure, le vrai, le philosophe,
celui qui a fondé, vers 306 avant J.-C., dans
sa propriété à la lisière d’Athènes, une école
philosophique d’un genre nouveau, bapti-
sée Ecole du Jardin – quoique ce fût surtout
un potager, économie autarcique oblige –
était-il aussi épicurien en ce sens? Rien n’est
moins sûr.
L’essentiel de ce qu’on sait de sa vie et
surtout de ses œuvres a été transmis par un
compilateur : Diogène Laërce. On lui doit
les trois lettres conservées, dont deux – à
Hérodote et à Pythoclès – donnent des aper-
çus de la doctrine physique, et la troisième
– à Ménécée – résume la doctrine morale.
On lui doit enfin de pouvoir lire le recueil
de ses pensées principales, intitulé Maximes
capitales. Dudit Diogène, on ne sait presque
rien de sûr sinon qu’il vécut peut-être
au IIIe siècle après J.-C. et qu’on a transmis
sous son nom une collection de dix livres
intitulée Vies et doctrines des philosophes
akg

illustres, le dixième livre étant entièrement


consacré à Epicure. On ne saurait se fier
aveuglément à ce Diogène, surnommé BIOGRAPHIE
avec condescendance la « concierge de 341 avant J.-C. Naissance sur l’île de Samos. 321 avant J.-C. Exil forcé
l’Antiquité », tant il mélange sans discer- à Colophon, en Asie mineure, où il fait l’expérience de la pauvreté et médite sur
nement ni esprit critique l’histoire réelle, les l’intolérance. 311 avant J.-C. Ouvre une école philosophique à Mytilène puis à
fables, les ragots et les citations des philo- Lampsaque. 306 avant J.-C. S’installe à Athènes, où il fonde son école,
sophes. Mais à lire ce livre consacré à le Jardin. Il y professe sa doctrine jusqu’à sa mort, en 270 avant J.-C.

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Epicure, on constate que l’image de l’épi-
curien jouisseur remonte aux origines
La vie d’Epicure ne le satisfit pas. Il décide alors de philo-
sopher seul et sans guide, en autodidacte
mêmes de l’Ecole et qu’on ne répugnait pas
à manier l’insulte et la calomnie. Diogène
dans son Jardin (autre particularité qu’il revendique fer-
mement). A Mytilène, il commence à en-
en donne un florilège édifiant et amusant.
Ainsi, ce calembour intraduisible de Timon
aurait été simple seigner sa doctrine et écrit beaucoup.
A Lampsaque, il forme le premier cercle
de Phlionte, un contemporain d’Epicure et
venimeux disciple du sceptique Pyrrhon
et frugale, des disciples : Colotès, Métrodore, Idoménée.
A 36 ans, il s’établit définitivement à
d’Elis, chef d’une école rivale d’Epicure :
« Ce goret, l’ultime (jeu de mots intraduisi-
il se contentait Athènes, achète une vaste résidence et
fonde son école sur un modèle original,
ble sur le grec hustatos signifiant “ultime”
et “plus cochon”) des physiciens, et le plus
d’eau et de pain moins centre de recherche et de diffusion
de la connaissance que lieu de vie en com-
chien, venu de Samos en petit maître mun – les contacts avec l’extérieur sont ré-
d’école, le plus inculte des vivants.1 » Timon pement d’amis, une sorte de monastère duits au minimum. Epicure est le « guide »
inaugure là sans le savoir un thème d’op- philosophique où se pratiquait une vie de cette communauté d’un nouveau type.
probre qui a fait fortune : les épicuriens en cénobitique tournée vers les plaisirs délicats Il meurt à 71 ans de la maladie de la pierre,
porcs ! Deux exemples parmi cent : au de l’étude et les jouissances mesurées de en 270 avant J.-C.
XVIe siècle, frère Martin (Luther) croit bon la diététique. Le potager d’Epicure n’était
de pimenter sa rupture avec Erasme en le pas un bobinard. Pour les beuveries et les A consommer
traitant de « pourceau d’Epicure »; même partouzes, on repassera! Epicure était vé-
expression chez Molière où le personnage néré comme un maître de sagesse, un phi-
en bréviaire

U
de Sganarelle traite son maître Don Juan lanthrope aimé de tous bien au-delà de ne des originalités d’Epicure tient
de « plus grand scélérat que la terre ait ja- l’école proprement dite. Qui donc était ce à ce que les textes parvenus jusqu’à
mais porté […] un Turc, un hérétique, qui philosophe, que son plus important épigone nous sont des résumés d’une doc-
ne croit ni Ciel, ni Enfer, ni loup-garou, qui latin, Lucrèce, n’hésite pas, dans son poème trine censée avoir été développée, argu-
passe cette vie en véritable bête brute, un De la nature des choses, à comparer à un dieu mentée et discutée dans son détail ailleurs,
pourceau d’Epicure, un vrai Sardanapale qui aurait arraché « ses secrets à la nature »? dans des traités qui, eux, ont été perdus. C’est
qui ferme l’oreille à toutes les remontrances Né à Athènes, dans le dème (circons- pourquoi on ne peut se départir du sentiment
qu’on lui peut faire et traite de billevesées cription) de Gargettios, ou peut-être dans d’avoir affaire à une philosophie dogmatique
tout ce que nous croyons… » Mauvaise ré- l’île de Samos, car il est fils de « clérouque » où l’on se borne à exposer le résultat d’une
putation donc, les épicuriens. Il arrive qu’on ainsi qu’on appelait les colons athéniens ins- réflexion, impression renforcée par le fait
joigne le geste à la parole. On rapporte qu’à tallés dans cette ville. Epicure a grandi au que, dans ces lettres, le maître s’adresse à des
l’époque antique certaines succursales de sein d’une famille modeste dans un monde élèves. Cependant de tels exposés ne sont
l’Ecole ont été mises à sac et leurs sectateurs en pleine décomposition. La grandeur pas contraires à l’esprit de l’épicurisme.
suppliciés avec raffinement. Ce qui atteste d’Athènes est déjà loin, l’indépendance de L’introduction de la Lettre à Hérodote jus-
qu’on ne prisait guère ces gens qui, disait- la cité est perdue depuis la bataille de tifie même théoriquement cette pratique de
on, ne révéraient pas les dieux et se pi- Chéronée (338 avant J.-C.) contre les l’abrégé : la philosophie s’adresse à tous. Les
quaient d’être indifférents à la politique. Macédoniens. Le père d’Epicure, Néoclès, résumés sont utiles non seulement aux igno-
enseigne la grammaire, d’où peut-être rants de la doctrine qui manquent de temps
Un pot de fromage l’aversion d’Epicure pour les enseignements à consacrer à son étude détaillée, mais en-
littéraires. Sa mère aurait été magicienne, core aux autres qui, bien que déjà familiers
pour faire bombance… une sorte de diseuse de bonne aventure. Elle de la doctrine, ont besoin de soutenir leur

P
hilosophe ou maître de sagesse vili- aurait emmené son fils dans ses tournées, mémoire. L’objectif de ces résumés est d’ex-
pendé, « courtisan du ventre2 », d’où peut-être la répugance d’Epicure pour poser de manière succincte une vérité dont
Epicure a aussi ses thuriféraires. la superstition. Sa vocation de philosophe le disciple doit se repaître, la vue correcte de
Diogène lui-même d’abord, après avoir aurait été précoce, vers 14 ans, au témoi- l’ensemble lui permettant de juger d’autant
complaisamment rapporté les propos ca- gnage de Diogène. On raconte qu’à la suite mieux du détail des choses. Bien qu’elle soit
lomnieux des détracteurs, juge qu’il faut en de la lecture de la Théogonie d’Hésiode, en son fond unitaire et solidaire dans toutes
faire peu de cas et les traite même de « fous Epicure demanda à son professeur d’où ve- ses parties, on présente en général la pensée
furieux ». Renversement complet du contre nait ce chaos primordial d’où toute chose d’Epicure en trois volets : la philosophie de
au pour. Et on apprend qu’en fait la vie sortait. Celui-ci lui répondit que c’était là la nature ou physique, la canonique (règle
d’Epicure dans son Jardin aurait été simple une question réservée aux philosophes. du jugement) qui en est, selon les interprètes
et frugale : « Il […] se contentait simplement Epicure en conclut qu’il perdait son temps le corollaire (Sénèque) ou l’introduction
d’eau et de pain de froment » et écrivait à et s’en fut donc directement chez les phi- (Diogène), et la morale.
ses disciples : “Envoie-moi un pot de fro- losophes3. A Colophon, on sait qu’il fut un Un des apports les plus originaux de la
mage, afin que je puisse faire bombance élève peu reconnaissant d’un disciple de pensée épicurienne semble être la cano-
quand je le veux”. » Son école, une secte de Démocrite, Nausiphane, qui, bien qu’il lui nique (ou le canon). Le premier, semble-
dépravés? Non pas, mais un libre regrou- parlât le premier de l’existence des atomes, t-il, Epicure avance qu’un critère du vrai est
nécessaire : il faut une règle et un étalon de
mesure du vrai pour juger droitement, la vé-
NOTIONS ASSOCIÉES :
rité d’une proposition quelconque tenant
LE DÉSIR – LA RELIGION – LA MATIÈRE ET L’ESPRIT

en la conformité avec ses critères. Quels

LIRE HORS-SÉRIE 2012•31


▼ sont donc ces fameux critères ? Il y en
a trois (certains commentateurs en ajoutent
même un quatrième dont le sens est dis-
cuté). D’abord, la sensation, le critère pre-
mier sinon le critère fondamental de la vé-
rité. La question est en effet débattue par
les spécialistes de savoir si les autres critères
de la vérité peuvent ou non être ramenés
à celui de la sensation, ce qui ferait
d’Epicure un sensualiste avant la lettre. Sous
cet angle, la philosophie épicurienne se pré-
sente comme un renversement du plato-
nisme. Là où Platon privilégie l’intelligi-
ble comme lieu de la vérité, faisant du
sensible le lieu où règnent l’erreur et l’il-
lusion, Epicure renverse la perspective, et
semble presque revenir en arrière et res-
taure la foi dans la vérité des données de
nos sens. Affaire de choix, trait d’une
époque qui n’ose plus croire en la vertu des
arrière-mondes ? Peut-être. En tout cas,
Epicure voit dans les prétendues erreurs et
les illusions des sens des erreurs relevant
des jugements et des opinions fausses que
l’on édifie sur les sensations.
A ce critère souverain de la sensation,
Epicure ajoute ce qu’il appelle les « préno-
tions » ou « anticipations » – qu’on rend
aussi parfois par la transposition « pro-
lepses ». Il s’agit de représentations géné-
rales qui se forment, grâce à la mémoire,
à partir de la répétition de sensations ana-

DR
logues : la prolepse du cheval permet au tur-
fiste de reconnaître avec vérité que la forme Epicure couronné de pampres (détail de L’Ecole d’Athènes, fresque peinte
par Raphaël vers 1 510, Palais pontifical, Vatican).
qui surgit dans la ligne droite du plateau de
Gravelles est bien un canasson et qu’il va
peut-être toucher le tiercé. Troisième cri-
tère, essentiel pour l’action : les affects, les
Tout engagement dans les affaires
émotions fondamentales que sont le plaisir
qu’il faut chercher et la douleur qu’il faut
de la cité est funeste à la réalisation
fuir. Mais il y a plaisir et plaisir ! Epicure
distingue, en effet, entre les plaisirs en mou-
de l’idéal de sagesse épicurien
vement – les plaisirs cinétiques disent les
spécialistes –, qui agitent l’âme, et les plai- vement perpétuel et en chocs mutuels, ils ble. Elle ressemble à un mélange de souffle
sirs stables, qui procurent le calme et le re- peuvent, lorsqu’ils s’agrègent, se stabiliser et de chaleur4. La mort n’est jamais que la
pos – en termes techniques : les plaisirs ca- provisoirement et former les corps que nous dispersion définitive de ces atomes : il n’y a
tastématiques. Ceux-ci consistent en un état voyons apparaître et disparaître. Plus du- donc pas lieu de la craindre elle non plus.
de non-douleur, d’absence de souffrance : rablement, ils s’unissent pour former des Quand elle est là, je n’y suis plus. Atomiques
ce sont surtout ces derniers qu’il convient mondes, notamment celui dans lequel toujours, les perceptions sensorielles
de viser. Ces critères auraient servi, sans Epicure vit, et pour toujours, semble-t-il, qu’Epicure conçoit comme l’effet de l’émis-
qu’on sache trop bien dans le détail com- lorsqu’ils se stabilisent en dieux bienheu- sion de petits simulacres (eidôla) qui éma-
ment, à établir la physique épicurienne. reux et immortels séjournant dans les in- nent des corps et qui viennent mécanique-
termondes. Les dieux d’Epicure ne s’oc- ment impressionner l’âme. Atomiques
Une physique sans finalité cupent en aucune manière de faire tourner encore, les rêves, les songes et les délires.
les ciels comme le laissait entendre la théo- Atomique même, la méditation en commun

P
our Epicure, il n’y a dans la nature logie astrale des Anciens, encore moins d’in- de la philosophie d’Epicure dont se nourrit
que deux natures : les corps et le vide. tervenir dans la vie des hommes comme le le disciple en apprenant par cœur les ingré-
Et les corps que l’on perçoit par les soutenaient les stoïciens, la grande école ri- dients de la sagesse. Tout phénomène, tout
cinq sens sont en fait des composés provi- vale du Jardin. Il n’y aura donc pas lieu de agir et tout pâtir, toute pensée, toute nais-
soirement stables de corps ou de corpus- craindre les dieux. Atomique aussi, l’âme, sance, toute mort sont des transferts plus ou
cules qu’on ne perçoit pas : les fameux corps subtil d’atomes répandus dans l’agré- moins subtils d’atomes. Mais là n’est pas
atomes, les insécables. Invisibles, en mou- gat corporel qu’est le corps physique visi- l’essentiel. La connaissance de la nature des

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choses ne se présente pas comme une étude La quadruple pharmacie et la lui procurer la philosophie. Les superstitions
scientifique conduite pour elle-même. Son « morale des petits bonheurs » véhiculées par les mythes, les fables et les
intérêt est d’abord moral : bien compren- religions de l’Antiquité, la peur de la mort

L
dre la nature de l’âme et celle de dieux qui ’objectif est d’atteindre un état d’im- s’évanouissent rapidement pour celui qui
n’ont que faire de ce monde, en finir avec passibilité, de tranquillité – en termes médite la bonne doctrine. Et Epicure,
toute idée de providence ou de destin. C’est savants un état d’ataraxie de l’âme s’adressant à Ménécée, d’insister sur le fait
là les conditions sine qua non pour attein- (en grec ataraxia signifie l’absence de trou- que, si la route est droite, la pente n’est pas
dre la visée ultime : le bonheur. ble) – en quoi consiste le bonheur. Mais, si forte. Point n’est besoin d’une longue for-
pour cela, il faut soigner les hommes de ce mation aux mathématiques, point n’est be-
L’arithmétique des désirs qui en entrave l’accès : les peurs, les pho- soin du détour de ce long écolage que Platon
bies qui les affectent. « N’ayez pas peur! » voulait imposer aux futurs philosophes gou-

D
ans le plaisir (en grec hédonè) ré- semble dire Epicure, certes pas au sens où vernant la cité. Le bonheur n’est pas dans
side le bonheur épicurien (en grec nos derniers papes invitent leurs ouailles à le pré, mais plus près encore, à portée de
eudaimonia) : « Le plaisir est le ne pas craindre de laisser entrer le Christ main de tout un chacun, accessible presque
commencement et la fin de la vie bienheu- dans leur vie! Les peurs dont il faut guérir immédiatement à celui qui, jeune ou vieux,
reuse.5 » Or, si tout plaisir est bien satis- sont au premier chef celle des dieux et celle ne diffère pas de philosopher. A condition
faction d’un désir, le plaisir épicurien n’est de la mort. Elles appellent le « quadruple de pratiquer la philosophie non comme un
pas la satisfaction de ces désirs qui dirigent remède » (en grec le tétrapharmakos), l’en- corps de doctrines théoriques ou de thèses,
la vie intempérante du débauché. Aussi, la semble des prescriptions morales d’Epicure. mais comme une technique, un art de vivre :
Lettre à Ménécée invite-t-elle son destina- On en trouve une formulation condensée « La philosophie est une activité qui, par les
taire à faire des distinguos. Le sage épicu- chez un épicurien du Ier siècle avant J.-C., discours et les raisonnements, nous procure
rien aura la prudence de discerner entre les Philodème de Gadara : « Le dieu n’est pas la vie heureuse. » Le plaisir n’en est d’ail-
désirs naturels dont la satisfaction est né- à craindre; la mort ne donne pas le souci; leurs pas un but extérieur : l’activité de pen-
cessaire, les désirs naturels et non néces- et tandis que le bien est facile à contenir, le ser est en elle-même plaisante. Ce n’est pas
saires, qu’il pourra contenter dans certains mal est facile à supporter.6 » Et Epicure de une fois qu’il aura appris la philosophie
cas, et les désirs vains, qui, dans la mesure prouver ce dernier point par l’exemple : mal- d’Epicure que son disciple pourra jouir du
où ils tendent toujours à sortir des limites gré les atroces souffrances dues à la mala- bonheur, mais tout de suite, car « appren-
naturelles, conduisent le sujet à sa perte. A die qui est en train de l’emporter, il affirme dre et jouir vont ensemble7 ».
la première catégorie appartiennent la faim prendre encore pleinement plaisir à la vie
et la soif, tout ce que requiert la protection en se remémorant les bons moments passés Une philosophie apolitique
du corps contre les intempéries, nécessaires autrefois avec ses amis.

O
au bien-être du corps et même la philo- L’objet de la morale d’Epicure et, au to- n comprend dès lors le sens du re-
sophie, nécessaire au bonheur. Dans la tal, de toute sa philosophie, consiste à li- jet épicurien de la politique. Tout
deuxième, les désirs non nécessaires, mais bérer l’homme, devenu disciple d’Epicure, engagement dans les affaires de la
naturels, et qui, donc, peuvent être, dans des craintes qui s’interposent entre lui et cité est funeste à la réalisation de l’idéal de
certaines circonstances, satisfaits : le désir l’état bienheureux que peut effectivement sagesse épicurien. Celui qui s’engage en po-
sexuel à condition de ne surtout pas y pro- litique est presque toujours mû par des dé-
jeter les délires de l’amour. Bref, du sexe sirs qui ne sont ni nécessaires ni naturels :
oui, à condition d’y voir une manière d’éva- BIBLIOGRAPHIE vouloir la puissance, la gloire, les honneurs,
cuer un surplus d’atomes, au même titre ŒUVRES : sont les motifs les plus constants de l’en-
qu’un footing ou qu’une séance de jardi- ● Lettres, maximes, gagement politique. Or ces désirs, par na-
nage. Désirs non nécessaires aussi, certains sentences, Epicure, ture insatiables, sont tels que jamais assez
plaisirs esthétiques ou poétiques. Restent Le Livre de poche. de puissance, de gloire ou d’honneur ne
les fort vilains désirs que sont les désirs vains ● Vies et Doctrines pourront combler l’homme qui en éprouve
ou vides dont la caractéristique est l’illimi- des philosophes illustres, le besoin. « Vis caché », la devise d’Epicure,
tation. Exeunt les désirs de mets raffinés Diogène Laërce, est le mot d’ordre d’une pensée qui se re-
Le Livre de poche.
qu’offrent les tables opulentes. Exeunt les présente comme une nécessité le repli sur
SUR ÉPICURE :
délires de l’amour entés sur une pratique ● La Morale d’Epicure,
la sphère privée. L’émule du philosophe du
non maîtrisée du sexe. Exit derechef la pas- Jean-Marie Guyau, Jardin cultivera d’abord son jardin, cher-
sion voluptueuse qui fait voir l’être aimé Encre marine. chant à vivre en autarcie, entre amis,
toujours autre qu’il n’est et qui pousse à pos- ● Démocrite, Epicure, un idéal de clôture, une sorte de cocooning
séder ce qu’on ne peut pas posséder. Exit, Lucrèce. La vérité ascétique et collectif.
enfin et surtout, tout désir qui porte en lui du minuscule, Jean Salem, Jean Montenot
la tendance à en vouloir plus : richesse, puis- Encre marine.
sance, gloire sont condamnées précisément ● Les Philosophes
pour cette raison. Et pourtant, la richesse hellénistiques tome 1,
véritable est accessible à tous ceux qui sau- A. A. Long et D. N. Sedley,
ront se soigner, vivre à hauteur d’homme – Flammarion. 1. Diogène Laërce, Vie et doctrines des philosophes
illustres, X, 3. 2. Toujours Timon, mais cité par Athénée,
c’est-à-dire en fait comme « un dieu parmi ● Le Vocabulaire
Deipnosophistes, VII, 279 s. 3. Sextus Empiricus, Contre
les hommes » – et limiter leurs désirs. Pour d’Epicure, Jean-François les savants, X, 18. 4. Epicure, Lettre à Hérodote, § 63.
cela, il y a une bonne pharmacopée : encore Balaudé, Ellipses. 5. Epicure, Lettre à Ménécée, § 12. 6. Philodème,
Contre les sophistes, IV, 10-14. 7. Epicure, Sentence
et toujours la philosophie, version Epicure. vaticane, 27.

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