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La terre et l’eau
L’héritage islamique
Le défi américain
La tentation nucléaire
Diplomatie et politique
Bibliographie
Chronologie
© Armand Colin, Paris, 2010
978-2-200-25722-4
Collection
Perspectives géopolitiques
Document de couverture : Mosquée Jameh de Yazd, Iran © Michele
Falzone/JAI/Corbis
Cartographie : Aurélie Boissière
Maquette de couverture : Yves Tremblay
Maquette intérieure : Yves Tremblay
Préparation : Danielle Roque
Composition : Yves Tremblay
www.armand-colin.com
La nation encerclée ?
L’Iran est fondé sur la symbiose ininterrompue pendant quatre millénaires
entre une terre et un peuple. « C’est l’entité politique la plus ancienne, de
type impérial, actuellement existant sur la planète, apparue de façon
définitive dans son emplacement actuel quelque trois ou quatre siècles avant
que la Chine ne parvienne au stade d’État unique centralisé » comme le
rappelle le géographe Xavier de Planhol [2006, p. 261].
L’exception iranienne est bien réelle, fondée sur un territoire à
l’environnement bien spécifique, sur un peuple indo-européen qui a créé une
littérature exceptionnelle, sur une histoire politique à la fois impériale et
nationale, et sur une constante ouverture au monde, qu’il s’agisse de la Grèce
antique ou de l’économie pétrolière. Cet héritage est donc un légitime objet
de fierté, mais aussi une source de drames car les Iraniens ont le sentiment
d’avoir toujours été confrontés, souvent à juste titre, à des peuples et forces
hostiles, à des invasions qui ont enrichi et diversifié leur culture, mais surtout
entravé leur développement et spolié leur indépendance. Comment expliquer
que la Perse ait été gouvernée presque sans interruption du XIe au XXe siècle
par des dynasties turcophones qui ont fait la grandeur du pays ? Pourquoi la
Perse n’a-t-elle jamais été colonisée au XIXe siècle ? Pourquoi la République
islamique craint-elle une « invasion culturelle occidentale » alors que la
société iranienne n’a jamais été aussi forte pour tirer avantage de la
mondialisation ?
Aujourd’hui, les vertus du nationalisme iranien ont peut-être été
transformées en un réflexe obsidional sinon en un mythe ou même en une
paranoïa poussée à son paroxysme sous la République islamique qui a
cumulé la crainte nationaliste liée à l’hostilité réelle ou supposée des pays
voisins et la défense d’un islam qui serait encerclé par un Occident chrétien
agressif. L’éternel Iran est-il devenu un mythe ou au contraire une force en
plein renouveau qu’il faut craindre [CLAWSON, 2005] ? La devise de la
République islamique est « Indépendance, liberté, République islamique »,
elle place en tête l’indépendance nationale. Ce n’est pas un hasard.
La terre et l’eau
L’Iran est un vaste pays de 1 648 195 km2 – trois fois la France – dont le
centre est occupé par de vastes cuvettes désertiques (Kavir et Lut) dont
l’altitude est rarement inférieure à 600 mètres, entourées de très hautes
montagnes (Alborz et Zagros), formant comme un rempart dominant les
basses terres extérieures et les peuples non iraniens qui les habitent : mer
Caspienne (Turcs), golfe Persique et Mésopotamie (Arabes), vallée de l’Indus
(monde indien).
L’œkoumène iranien est très vaste et divers, composé de terroirs, de
systèmes écologiques et anthropologiques contrastés ou complémentaires. Le
modèle géographique iranien associe trois composantes : la montagne, le
piémont et le désert. Les villes qui commandent l’ensemble sont situées au
débouché des vallées de montagne, tandis que les plaines de piémont sont
occupées par les villages et que les nomades migrent entre désert et
montagne. La division du territoire entre terres chaudes (qeshlâq, ou garmsir)
et terres froides (yeylâq ou sardsir) est constitutive de l’image mentale
géographique des Iraniens, de même que les notions de « haut » et de « bas »
qui sont autant topographiques que morales. En Iran, l’espace a un sens. Le
cœur du système est la montagne. Elle fournit l’eau des canaux d’irrigation
qui font vivre les villes et les villages jusqu’au cœur du désert. Pour plus de
sûreté, il est donc nécessaire de contrôler les deux versants des montagnes et
donc les basses terres situées au-delà, mais nul besoin d’aller plus loin. Ces
piémonts
Figure 1 Le plateau iranien
Comme l’islam chiite, la langue persane a fait l’unité de l’Iran car elle
n’est pas réductrice à une ethnie. Son histoire et la culture qu’elle véhicule en
font une composante identitaire et un trésor partagés par l’ensemble des
Iraniens, du moins par toutes les élites. La quasi-totalité des Iraniens
comprend aujourd’hui le persan parce que toutes les ethnies qui composent le
pays considèrent cette langue prestigieuse et internationale comme
patrimoine commun, sans pour autant abandonner les langues locales. Le
caractère transculturel du persan et des œuvres artistiques associées
(manuscrits illustrés – « miniatures » –, tapis, architecture, et surtout musique
et poésie) n’a pas été lié à un pouvoir politique. La seule statue de Téhéran
qui n’ait pas été abattue pendant la Révolution de 1979 fut celle de Ferdowsi
(Xe siècle), l’auteur du Livre des Rois ; quant aux poésies de Hafez
(XIVe siècle), elles parlent à tous les Iraniens, quelle que soit leur langue
maternelle.
Les Iraniens ne sont pas peu fiers de rappeler que le persan était la lingua
franca au XIVe siècle sur la Route de la soie, de Venise à la Chine, dans
l’empire Moghol des Indes, langue officielle de travail de l’East Indian
Company jusqu’à la fin du XIXe siècle et la langue de culture en Inde du
Nord, à la cour ottomane ou chez les notables turcs de Sarajevo jusqu’à la
Première Guerre mondiale. Ce fut aussi la langue de travail entre Iraniens,
Afghans et certains diplomates américains lors de la conférence de Bonn sur
l’Afghanistan en 2001. La langue et la littérature persanes ont fait l’unité du
monde iranien et connaissent une nouvelle dynamique internationale puisque
trois États indépendants, l’Iran, l’Afghanistan et le Tadjikistan, plus la
minorité tâdjik d’Ouzbékistan, ont cette langue en partage, sans compter la
très nombreuse diaspora créée par l’exil des élites à la suite des conflits et des
révolutions d’Afghanistan et d’Iran.
Cette langue iranienne était à l’origine parlée par les tribus indo-
européennes installées au sud-ouest de l’Iran, dans ce qui est aujourd’hui le
Fârs (d’où son nom fârsi, qui a donné en français Perse, persan). Au Ve siècle
avant J.-C., l’empire achéménide donna une grande expansion au vieux perse,
écrit en caractères cunéiformes et surtout en écriture araméenne, adaptée plus
tard pour former l’écriture utilisée en moyen perse (pehlevi) en usage sous les
Sassanides. Le persan moderne s’est forgé entre le IXe et le XIe siècle comme
langue écrite dans le Khorasan et en Transoxiane, aux marges orientales de
l’empire musulman, au contact de l’arabe et du turc [LAZARD G., 1995]. Dans
le contexte bilingue arabo-persan de la Transoxiane et du Khorasan du nord,
des dynasties locales iraniennes comme celles de Samanides ont facilité le
développement de cette langue populaire qui s’était maintenue aux marges de
l’empire islamique. Le persan devint langue de cour (fârsi-e dâri) et de
culture en complément plus qu’en concurrence avec l’arabe dont elle utilisa
l’alphabet en usage partout et presque la moitié de son vocabulaire. Aux IXe-
XIe siècles, les premiers monuments littéraires en persan comme le Livre des
Rois (Shâhnâmeh) de Ferdowsi, reprenant les mythes, thèmes et pensées de
l’Iran ancien zoroastrien, hellénistique et indien, donna définitivement au
persan une notoriété et une qualité qui ont permis son développement
ultérieur sur le territoire de l’Iran actuel et dans tout le monde iranien lato
sensu, de Samarcande à Boukhara, Ghazni, Hérat, Ispahan ou Chiraz, comme
dans l’Empire moghol en Inde. Le persan est ainsi devenu la langue de la
société civile, des « belles lettres », tandis que l’arabe était celle de la religion
et de l’administration. L’usage conjoint des deux langues était généralisé
parmi les lettrés.
« Fârsi » ou « persan » ?
L’usage du persan, comme langue écrite ayant donné des monuments de la littérature
internationale, s’est généralisé dans tout le monde iranien et même dans le monde turc et arabe.
Le persan classique, fârsi, est une référence commune à tout le monde persanophone qui
comprend plusieurs dialectes dont le tadjiki, langue officielle du Tadjikistan, et le dari, langue
officielle, avec le Pashto, en Afghanistan. En Iran, on parle de l’émergence d’un dialecte
« tehrâni » en raison de la puissance des moyens de communication du gouvernement iranien
(radio et télévision par satellite).
Comme ancienne langue internationale, le persan a très tôt été étudié, traduit et désigné par
un mot particulier en de nombreuses langues européennes : persan en français, Persian en
anglais, Persiche en allemand… Dire aujourd’hui « je parle fârsi » est non seulement incorrect
(on ne dit pas « Je parle English »), mais rabaisse cette langue au niveau d’un simple dialecte
pour lequel il n’y aurait pas de mot en français pour le désigner. Cet usage erroné, mais plein de
sous-entendus politiques, s’est répandu aux États-Unis après la chute du régime impérial, comme
pour montrer que désormais l’Iran avait perdu son héritage culturel et que sa belle langue était
devenue un simple dialecte.
L’Iran multiethnique
L’Iran est un État multiethnique [DIGARD J.-P., 1988], héritage des siècles
où c’était un empire, mais la crainte d’un éclatement du pays ou de
l’autonomisation d’une province demeure très vive parmi les élites et
l’administration, au point que la seule évocation de la diversité culturelle et
ethnique du pays est parfois considérée comme une volonté de briser l’unité
nationale. La diversité ethnique est donc reconnue, mais cantonnée aux
aspects touristiques (artisanat local, tapis, costumes, belles photos, musées
ethnographiques). Si les trois quarts des Iraniens parlent des langues
iraniennes (sous-groupe des langues indo-européennes) comme le persan, le
kurde, le baloutche, le pashto et le lori – qui sont également parlées en
Afghanistan, au Tadjikistan, en Ouzbékistan, en Irak, en Géorgie, en Turquie
et au Pakistan –, les Persans stricto sensu forment moins de la moitié de la
population du pays. Environ le quart des Iraniens ont pour langue maternelle
le turc (Azéris, Turkmènes, nomades Qashqa’i), et que moins de 4 % sont
Arabes.
L’héritage islamique
Aux rivalités théologiques qui ont toujours existé entre les grands
ayatollahs et les professeurs des écoles religieuses (howzeh) sont venus
s’ajouter les conflits entre l’Association du clergé combattant (Jame’eh
ruhâniat’e mobarez) conservatrice et proche du clergé de Téhéran et
l’Association des religieux combattants (Jame’eh ruhâniun-e mobarez) plus
« à gauche » et réformatrice. Certaines écoles prêchent de leur côté une
domination absolue du religieux sur la politique et la société pour se préparer
au retour prochain du Messie, du Douzième imam des chiites (imam zamân).
Les rivalités se sont approfondies en divisions depuis que la République
islamique impose, avec le dogme du magistère du Guide (velayat-e faqih),
une pensée unique dans un univers intellectuel chiite intrinsèquement ouvert
au débat contradictoire. L’ayatollah Khomeyni a créé une sorte de nouveau
califat qui a rompu avec la tradition et suscita l’opposition de la plupart des
grands ayatollahs de Qom comme Hossein-Ali Montazeri, ex-dauphin du
Guide décédé en 2009, de Nadjaf (Ali Seistani) ou de Beyrouth (Mohammad-
Hossein Fadlallah).
À la suite d’Ali Shariati qui avait le premier suscité un débat innovant dans
les années 1970, sur l’islam chiite et la société, de nombreux intellectuels
laïcs ou religieux proposent aujourd’hui une interprétation nouvelle de
l’islam et du chiisme. Les écrits et discours d’Abdolkarim Sorush, ancien
militant radical de la révolution culturelle, contre les dérives du régime
islamique, de Javad Tabataba’i, excellent connaisseur des philosophies
européennes, sur le déclin d’un islam prisonnier du totalitarisme, sont
d’autant plus censurés et réprimés qu’ils vont au cœur de la pensée islamique.
Il en est de même de Mohammad Shabestari et Mohsen Kadivar qui sont des
mojtahed, des religieux de haut rang ayant la capacité reconnue d’exercer
l’ijtihâd, le droit d’interpréter le Coran et les traditions (hadith). Leur
recherche d’un islam libéré des traditions issues des pouvoirs politiques qui
ont instrumentalisé « l’islam véritable » du Prophète les a conduits à la prison
ou à l’exil, mais leur a donné une très large audience. Cette contestation pour
rendre à l’islam sa dynamique et ses vertus originelles dépasse les milieux
religieux pour être reprise par certains militants des droits de l’Homme
comme la juriste Shirine Ebadi, prix Nobel de la paix. Ces tentatives de
réforme suscitent le débat jusque dans le monde sunnite, mais la répression
quotidienne et l’échec de l’islam politique à l’iranienne semblent
marginaliser ceux qui auraient pu être les Luther ou Calvin de l’islam.
En liant islam et politique, la Révolution islamique de 1979 a pris le risque
de mettre l’islam en danger en cas de renversement du régime, et a provoqué
une sécularisation de l’islam indissociable de la vie sociale. En gérant la vie
quotidienne, les religieux ont détruit eux-mêmes leur pouvoir religieux et
certainement affaibli le consensus qui avait permis il y a trente ans à
l’ayatollah Khomeyni de rassembler les Iraniens. Cette sécularisation a
clairement été perceptible dans l’usage et le détournement des symboles
religieux par les manifestants opposés au gouvernement Ahmadinejad
en 2009. La couleur verte, attribuée au candidat Moussavi par le hasard du
tirage au sort est le symbole de l’islam et des membres de la famille du
Prophète, les seyeds, mais la façon d’arborer cette couleur en bracelet, foulard
ou parure dans les cheveux, n’avait rien de traditionnel ni d’islamique. De
même, crier « Allah-o akbar » (« Dieu est le plus grand ») la nuit sur les toits
rappelle la Révolution et la loi martiale imposée par le Chah en 1978 mais
sans l’émotion religieuse érodée par trois décennies de régime islamique.
Certes, l’islam qui avait formé le ciment culturel ou idéologique unifiant tous
les révolutionnaires contre le régime impérial en 1978 conserve une capacité
de mobilisation, mais il semble trop divisé et sécularisé pour soutenir un
changement politique profond ou à l’inverse pour consolider durablement le
système politique en place.
Après avoir constaté la sécularisation de l’islam par la politique, les
religieux réformateurs pensent que la laïcisation, la séparation entre religion
et politique sont nécessaires tout en laissant à l’islam une place sociale et
culturelle conforme à la réalité socioculturelle du pays. Cette étape est peut-
être aujourd’hui dépassée par un courant contestataire plus radical, encore
minoritaire et peu structuré, longtemps limité à la moyenne bourgeoisie, mais
qui touche à des degrés divers toutes les classes sociales favorables à une
marginalisation drastique de la religion. « L’islam est en danger en Iran »
aurait déclaré Mohammad Khatami quand il fut contraint de quitter son poste
de ministre de la Culture en 1992. Il prenait alors la mesure du risque d’avoir
lié l’islam à un gouvernement contesté, toutefois la capacité d’adaptation et
de survie du clergé chiite reste grande. Malgré le renforcement rapide des
courants laïques et les divisions du clergé, la culture religieuse traditionnelle
de la majorité de la population demeure un facteur de stabilité qui conforte
l’islam iranien comme composante complexe, divisée mais durable de
l’identité politique de l’Iran. Ne dit-on pas que « les mollahs rivaux se
déchirent les chairs mais ne se rompent pas les os » ?
Chapitre 3
L’Iran mondialisé
La révolution islamique de 1979 fut le premier évènement international
majeur présenté en direct à la radio par les nombreux journalistes présents,
donnant à l’Iran déjà très médiatisé par la famille impériale une place
inhabituelle sur la scène internationale. Au même moment, les discours de
l’ayatollah Khomeyni étaient diffusés clandestinement dans tout le pays grâce
aux mini-cassettes discrètes et facilement reproductibles. Trente ans plus tard,
les nouvelles technologies de l’information (Internet, courrier électronique,
blogs, photos et films numériques, téléphones portables) étaient massivement
utilisées et censurées pour protester contre le gouvernement islamique. Cette
médiatisation internationale sans équivalent confirme à quel point la
mondialisation fait partie intégrante de l’identité iranienne contemporaine. La
modernité n’est plus étrangère ou occidentale.
Les rapports de l’Iran avec la communauté internationale ont toujours été
difficiles, pour ne pas dire schizophréniques, car l’affirmation de
l’indépendance et de la fierté nationale contredisait souvent la nécessité ou le
souhait de bénéficier des sciences, technologies, idées et produits venant de
l’étranger. Le moindre des paradoxes de la Révolution islamique est d’avoir
coïncidée avec l’appropriation de la « modernité » par l’ensemble des
Iraniens. Aujourd’hui, l’Iran a proportionnellement plus d’étudiants que la
France, est capable d’enrichir l’uranium et de mettre un satellite artificiel sur
orbite et veut être considéré et respecté comme un acteur de la mondialisation
avec les conséquences et conflits que cela implique avec les grands pays
industrialisés. La question du nucléaire est le parfait exemple de cette entrée
de l’Iran dans la mondialisation. La contradiction est cependant flagrante
entre ces ambitions légitimes et consensuelles et la répression systématique
de toute influence culturelle extérieure. L’Iran islamique veut donc la science
mais sans la philosophie des Lumières. Le mode de gestion de cette alliance
improbable entre mondialisation et répression est au cœur du débat et des
conflits politiques qui traversent l’Iran islamique.
La Perse inaccessible
À la recherche de la « modernité »
La logique pétrolière
Le défi américain
La politique extérieure de la République islamique a été marquée sinon
fondée sur l’opposition aux États-Unis à la fois comme puissance ayant
exercé directement une tutelle sur le pays, mais plus encore comme symbole
de l’impérialisme, de « l’arrogance mondiale » et d’une culture occidentale
dominatrice face à laquelle l’islam voulait être reconnu. Marg bar Amrika !
(« À bas l’Amérique ! ») fut le slogan le plus crié pendant trente ans en Iran.
Par des fresques, posters, expositions, spectacles, films, discours, toute la
culture iranienne fut baignée dans le dogme de l’hostilité à l’Amérique. Cette
haine officielle s’est vite trouvée en contradiction avec la volonté générale de
la société iranienne et même de certains révolutionnaires de jouer pleinement
leur rôle dans la politique, la science et la culture mondiales et avec les
impératifs de développement économique ou de sécurité nationale qui ne
pouvaient pas aller contre la plus grande puissance du monde. La prise en
otage le 4 novembre 1979, pendant 444 jours, des diplomates de l’ambassade
américaine de Téhéran qualifiée de « nid d’espions » provoqua un
traumatisme toujours vivace trente ans plus tard. Venant quelques années
après la débâcle au Vietnam, cette humiliation a été le vrai point de départ et
la constante de l’hostilité américaine envers l’Iran islamique. Malgré
d’innombrables tentatives, de part et d’autre, pour sortir de ce face-à-face
stérile et la présence à New York de la délégation iranienne à l’ONU qui
permettait d’utiles contacts, les relations Iran - États-Unis ont été marquées
par un tabou d’ordre psychologique plus que par la rationalité. Le
nationalisme iranien trouvait en outre quelque fierté à être ainsi qualifié de
principal adversaire de la première puissance mondiale. L’opposition de
l’Iran islamique à l’Occident fut en fait accaparée par l’Amérique.
La simple évocation de la possibilité d’un dialogue a longtemps été
passible de prison car contraire à la volonté divine du Guide et au dogme de
la lutte contre l’agression culturelle occidentale. Pour lutter contre toute
velléité d’ouverture, le gouvernement et les médias officiels ont défini une
identité (hoviyat) officielle iranienne et islamique pour dénoncer les
« occidentalisés » présentés comme des ennemis du régime et de l’islam. Ce
débat rejoignait celui de Ahl-e Ahmad et sa critique de la « maladie de
l’Occident » mais en passant aux actes. Une émission de télévision intitulée
précisément « Identité » (hoviyat), complétée par une page entière du journal
Keyhan, fut l’occasion de dénoncer chaque semaine une personnalité
politique ou un intellectuel. Ces pratiques ont cessé en 1997 avec le
gouvernement de Mohammad Khatami qui prônait – sans résultat durable – le
« dialogue entre les civilisations », avant de reprendre depuis 2005 dans
Keyhan.
La Révolution culturelle décrétée en 1980 par le président Bani Sadr et
A. A. Rafsanjani avait pour but d’islamiser toute l’éducation, les sciences, les
arts et les comportements. Les universités furent fermées pendant deux ans
pour éliminer les enseignants occidentalisés ; les organisations et institutions
culturelles furent démantelées pour éradiquer les influences venant de
l’étranger. Abdolkarim Sorush, aujourd’hui opposant réformateur, fut le
principal organisateur de cette épuration. Ce rejet de l’Occident et par voie de
conséquence des sciences et techniques dont il était porteur s’estompa avec la
guerre qui avait besoin de médecins et de savants. L’idée qu’il est plus
important qu’un médecin soit bon musulman que bon praticien trouva vite ses
limites, mais grand nombre d’universitaires et de scientifiques avaient déjà
quitté le pays.
Le régime chercha donc à favoriser les « techniciens » dont on utilisait les
compétences strictement techniques. Ils pouvaient accéder à quelques
responsabilités à condition d’accepter l’autorité du pouvoir islamique sans la
critiquer. Les technocrates qui jouaient ce jeu en acceptant quelques
compromis et des postes élevés estimaient détenir la réalité du pouvoir.
Encore aujourd’hui, ils bénéficient d’avantages matériels et de l’indulgence
du régime islamique pour les écarts – bien modestes – de leur vie privée.
Cette idée d’une séparation entre science et culture reste très forte. Elle est
fondée sur la conviction ou le rêve qu’une société moderne peut développer
son savoir scientifique et technologique de façon indépendante du contexte
idéologique, culturel ou politique. Ce modèle à la chinoise combinant
ouverture et despotisme politique s’applique difficilement à l’Iran car il n’y a
pas l’équivalent d’un Parti communiste chinois et que la société iranienne est
trop ouverte sur le monde et trop critique pour accepter durablement un tel
système schizophrénique.
L’hostilité à l’Occident a vite trouvé ses limites et la fascination de
l’Amérique ne fait que se renforcer. Au-delà des images d’Épinal et des
mythes américains véhiculés dans le monde entier, la nouvelle bourgeoisie
moyenne iranienne, qui n’a jamais quitté le pays et n’a eu aucun contact,
autre que virtuel, avec « l’Occident », a désormais une assez bonne
connaissance du monde contemporain par l’éducation et les médias et affiche
sa volonté d’indépendance intellectuelle, sans pour autant renier son
attachement au nationalisme et à l’islam. Cette nouvelle société iranienne
moderne n’a cependant presque aucune expérience de l’étranger parce que
l’embargo économique et les sanctions empêchent les entreprises
internationales de travailler en Iran. Les touristes sont peu nombreux et
cantonnés à des circuits limités. L’Iran est donc un pays dont les habitants ont
une très bonne connaissance du monde actuel mais une très faible expérience
personnelle de celui-ci. Cette forte différence entre le virtuel et la réalité peut
engendrer des illusions et des frustrations. Sans attendre des jours meilleurs
trop incertains, les jeunes iraniens, diplômés ou non, quittent en masse le
pays. Le ministre de l’Éducation estimait en 2005 que les trois quarts des
titulaires de masters partaient à l’étranger.
Les traditions iraniennes d’accueil de l’étranger et l’espoir de pouvoir
participer à la culture mondiale créent une xénophilie qui a pris une
dimension politique depuis que le Président américain a déclaré respecter la
« République islamique d’Iran ». Cette perspective de normalisation suscite
ambitions et enthousiasme même si les réalités politiques, les intérêts
économiques, et les résistances culturelles restent vivaces et peuvent
provoquer drames et désillusions.
Chapitre 4
L’armée nationale iranienne moderne créée en 1925 par Réza Chah avec la
conscription généralisée [CRONIN S., 1997] fut d’abord une force destinée à
maintenir et à conforter le pouvoir central en réprimant les révoltes locales,
en particulier celles des tribus nomades Lors, Bakhtyaris ou Qashqa’i.
En 1941, malgré une résistance courageuse mais symbolique, la nouvelle
armée, forte de 125 000 hommes bien armés et dont les officiers avaient
désormais une position solidement établie dans la société iranienne, fut
incapable de résister à l’occupation du pays par les Britanniques et les
Soviétiques. La première opération militaire de l’armée impériale fut,
en 1946, de reprendre sans combattre le contrôle des provinces du Kurdistan
et d’Azerbaïdjan qui avaient pris leur autonomie avec l’appui des troupes de
Moscou. En 1953, l’armée impériale commandée par le général Zahedi devint
putschiste en renversant le gouvernement démocratiquement élu de
Mohammad Mossadegh pour remettre sur le trône le souverain qui avait fui
le pays.
Les forces armées iraniennes furent ensuite prises en main par les États-
Unis pour défendre le pétrole et faire face à l’Union soviétique. L’armée
iranienne devait fidélité au monarque plus qu’à la nation car elle faisait
allégeance – dans l’ordre – à Dieu, au Chah et à la patrie. Elle était
dépendante des forces américaines surtout après l’accord de 1964 accordant
un statut quasi diplomatique aux militaires américains stationnés en Iran.
De 1950 à 1979, le Military Assistance Advisory Group (MAAG) servit de
cadre à la collaboration militaire entre les deux pays, avec discrétion,
efficacité et parfois autonomie par rapport aux politiques. Le projet du
CENTO (Central Treaty Organization, Pacte de Bagdad, 1955) unissant
Turquie, Iran et Pakistan sous l’égide américaine n’ayant pas eu de suite,
Washington privilégia une collaboration bilatérale. L’administration Kennedy
interrompit brièvement cette stratégie en diminuant le montant de l’aide
américaine pour inciter le Chah – en vain – à réduire son armée de 250 000 à
150 000 hommes et à la reconvertir dans le développement intérieur dans le
cadre des réformes de la révolution Blanche alors en cours.
Mohammad-Réza Chah fit du développement de son armée une priorité et
un sujet de fierté personnelle et nationale. Les officiers supérieurs, formés à
l’étranger, et très strictement surveillés par une police secrète spéciale, lui
étaient personnellement dévoués. Les académies militaires formaient sur
place les officiers recrutés dans toutes les catégories de la population, faisant
de l’armée une institution enviée, respectée et offrant une promotion sociale
incontestable. Dans le contexte de la guerre froide, le Chah dota son armée
des armes les plus sophistiquées, notamment en matière d’aviation. James
Bill [1988] a décrit à ce propos l’importance du lobby militaro-industriel
américain animé par l’ambassadeur d’Iran à Washington, Ardeshir Zahedi, le
fils du général qui avait renversé Mossadegh avec le concours de la CIA. Ce
lobby pro-Chah, composé d’hommes d’affaires iraniens discrets résidant aux
États-Unis, du MAAG et de militaires américains, a joué un rôle décisif dans
l’obstination américaine à soutenir le régime impérial contre la « menace
communisme ».
Pour entretenir et utiliser les armes sophistiquées achetées après le boom
pétrolier de 1974, l’Iran et les États-Unis mirent en place un gigantesque
programme de formation de techniciens iraniens et de pilotes, tandis que
douze mille conseillers civils et militaires américains travaillaient en Iran,
devenu le premier acheteur mondial d’armes et seul pays au monde à recevoir
des chasseurs bombardiers F16. À la veille de la Révolution islamique,
l’armée de l’air iranienne était la seconde du Moyen-Orient après celle
d’Israël, avec 450 avions de combat modernes, environ 5 000 pilotes et
100 000 personnels divers. Il était prévu de doubler rapidement le nombre
d’avions. Le plus difficile fut l’entraînement de cette armée, la définition
d’une politique de défense et surtout la création d’une cohésion et d’une
chaîne de commandement avec des chefs militaires ayant autorité. En fait,
rien ne pouvait être décidé sans l’aval du souverain et des conseillers
américains du MAAG qui tenaient l’armée iranienne en situation de
dépendance technique. Cette armée prestigieuse et suréquipée destinée au
« gendarme du golfe Persique » fut totalement inutile pour défendre le régime
impérial.
La loi martiale imposée le 7 septembre 1978 dans la plupart des villes a
mis dans les rues une armée composée de nombreux conscrits, pour faire face
à des manifestants dont ils étaient proches. En dehors de quelques incidents
meurtriers ponctuels comme le Vendredi noir de Téhéran (8 septembre 1979),
l’armée ne tira pas sur la foule et il n’y eut pas de guerre civile. La très
officielle Fondation des martyrs a dénombré 2 781 « martyrs » (744
à Téhéran) au cours des affrontements de 1978-1979 avec la police puis
l’armée. En janvier 1979, quand la victoire de la Révolution islamique a
semblé inéluctable, le gouvernement de Jimmy Carter a envoyé à Téhéran le
général R. Huyser pour sauver l’armée et s’assurer qu’elle resterait
opérationnelle et fidèle à sa fonction de barrage contre la « menace
soviétique ». L’ayatollah M. Beheshti qui représentait l’imam Khomeyni à
Téhéran confirma qu’il serait vain de tenter un coup d’État car l’armée,
affectée par des désertions massives, suivait le mouvement révolutionnaire.
Cela fut confirmé peu après par les journées révolutionnaires de février 1979
qui débutèrent avec la mutinerie des techniciens de l’armée de l’air
(homafar). En proclamant sa neutralité, l’armée commandée par le général
Gharabaghi évita le pire. Elle resta intacte et évita une épuration massive
malgré les exécutions des hauts gradés proches de la personne du souverain.
L’armée impériale jurait fidélité, à Dieu, au Chah et à la patrie. En quittant le
pays le 16 janvier 1979, Mohammad Réza Pahlavi avait libéré l’armée de son
serment ; il ne lui restait que Dieu et la patrie. La République islamique sut en
profiter.
La nouvelle armée de la République islamique a trouvé sa légitimité
d’autant plus vite que l’invasion irakienne du 22 septembre 1980 lui a donné
l’occasion de se battre pour défendre le territoire national, pour la première
fois de son histoire. Huit années de guerre ont donné aux forces armées
iraniennes une expérience unique qui continue de marquer les esprits et les
stratégies militaires. La guerre en quelque sorte a sauvé l’armée du Chah en
lui permettant de montrer sa fidélité à la patrie (vatan) et à l’islam.
Les débuts de la nouvelle armée de la République islamique furent
cependant très difficiles car la méfiance du gouvernement islamique restait
forte envers cette institution favorite du Chah. Faute d’avoir mis en place une
nouvelle chaîne de commandement pour remplacer le souverain et les
Américains qui avaient seuls la capacité de prendre des décisions, cette armée
était devenue peu opérationnelle, ce que savait pertinemment l’Irak de
Saddam Hussein. C’est ainsi que les chars de la base d’Andimeshk ne furent
armés que trois jours après l’attaque irakienne, de même que l’aviation clouée
au sol après la rébellion en mai 1980 des officiers des bases aériennes
d’Ispahan et de Nojeh près de Hamadan. Les pilotes emprisonnés se portèrent
tous volontaires pour défendre leur pays, mais trop tard. La résistance à
l’avancée ennemie fut donc le fait des gendarmes, des militants islamistes
locaux et des Gardiens de la révolution venus de tout le pays. Ces forces
paramilitaires gagnèrent ainsi leur légitimité militaire aux dépens de l’armée
nationale conventionnelle, en inscrivant la dualité des forces armées dans les
faits. Une longue année fut néanmoins nécessaire pour que les deux forces
armées, Artesh et Sepah, joignent leurs efforts, avec succès, pour la libération
d’Abadan en septembre 1981. Après la guerre, l’armée traditionnelle a
souvent été dirigée par les généraux issus des Gardiens de la révolution, mais
elle a conservé son identité car tous ses officiers du rang sont issus de ses
écoles. Malgré le pouvoir politique grandissant du Sepah, l’essentiel des
armes et des équipements restent aux mains de l’armée régulière qui continue
d’assurer efficacement la sécurité quotidienne du pays.
Police et milice
Alors que les Gardiens de la Révolution ont une base dans chaque
capitale de province pour contrôler le territoire, les forces armées
conventionnelles (Artesh) sont surtout positionnées dans l’ouest du pays
face à l’Irak. La présence de forces étrangères (OTAN ou américaines)
dans les pays arabes du golfe Persique et en Afghanistan implique un
changement en cours du positionnement des forces.
Sources : www.globalsecurity.org ; www.janes.com.
La sécurité des navires passant par le détroit d’Ormuz est fondée sur des
batteries de missiles Silkworm d’origine chinoise, installées à terre, assez
lents et d’une portée de seulement 90 kilomètres. Environ 60 autres batteries
mobiles renforcent ce dispositif tout le long de la côte du golfe Persique, ce
qui confirme à quel point la sécurité des exportations pétrolières est
fondamentale pour l’Iran. Ces missiles servis par les Pasdarans ou par la
Marine représentent également un danger bien réel pour le trafic
international, mais ils peuvent être aisément détruits en vol par les missiles
anti-missiles modernes équipant les navires américains présents en
permanence au large de l’Iran et les forces armées des pays arabes voisins de
l’Iran.
Après la destruction de la quasi-totalité de la flotte iranienne par les États-
Unis pendant la guerre contre l’Irak, la marine iranienne n’a plus de navires
de fort tonnage, mais elle entend être présente dans tout le golfe Persique et
même au-delà pour assurer la sécurité de ses exportations pétrolières. La
plupart des marins iraniens sont cependant occupés par la sécurité des
nombreuses petites îles iraniennes, souvent inhabitées, du golfe Persique dont
les trois Tomb et Abu-Musa revendiquées par les Émirats. Dans tous les
petits ports du Golfe ont été construits des jetées et des équipements
militaires pour assurer une défense de proximité rapide. Pour protéger les
routes du pétrole, lutter contre la piraterie, la marine iranienne a montré
depuis 2009 qu’elle était capable de maintenir des navires en opération
lointaine au large de la Somalie.
Avec 9,5 milliards de dollars en 2008 (11 % du budget, 3 % du produit
intérieur brut, 67e rang mondial), l’Iran a doublé son budget de défense
depuis 2001, mais reste très loin de l’Arabie, de la Turquie et d’Israël ; c’est
même le budget de défense par habitant le plus faible de la région. Au-delà de
cette réalité, il faut noter que ces chiffres, comme tout le budget iranien, sont
incertains puisque 44 % du projet de budget 2007 était classé en « divers ».
On estime que les dépenses militaires réelles sont le double des chiffres
inscrits au budget publié.
Missiles et guerre asymétrique
La tentation nucléaire
Depuis 1982, des « sources bien informées » prévoyaient que l’Iran aurait
une arme atomique dans les deux ans. L’hypothèse que l’Iran ait développé
ou continue de poursuivre un programme nucléaire militaire n’est pas sans
fondement, mais cette tentation nucléaire est devenue si idéologique et
passionnelle que cela nuit à l’analyse des faits et au règlement d’une question
grave qui dépasse l’Iran et concerne de nombreux pays émergents, comme le
Brésil, l’Argentine ou l’Afrique du Sud. Les ambitions nucléaires d’un pays
associent toujours le civil et le militaire et s’inscrivent dans des stratégies de
longue durée qui ne peuvent pas être remises en cause par des décisions ou
sanctions ponctuelles touchant d’autres domaines, comme l’économie. Les
ambitions nucléaires de l’Iran dépassent le simple cadre idéologique de la
République islamique.
Maintenant que l’Iran dispose du savoir-faire et des outils pour avoir une
arme nucléaire en cas de besoin, il n’est donc pas évident que le
gouvernement islamique souhaite brûler les étapes pour arriver rapidement à
cette fin et ainsi être confronté à une opposition interne ou internationale trop
forte. L’industrie nucléaire est à la fois un objet technologique de prestige
national, un moyen de pression politique et une menace militaire potentielle.
Grâce à ses mines d’uranium de Saghand, à ses usines de conversion
d’Ispahan et d’enrichissement de Natanz, à son usine d’eau lourde d’Arak et
surtout à ses scientifiques, l’Iran est devenu un « État du seuil » qui pourrait
devenir, dans quelques années un pays producteur de matière fissile, en
conformité avec les règles de l’AIEA, comme l’Argentine, le Brésil ou
l’Afrique du Sud. La centrale nucléaire de Bouchir achevée par la Russie a
reçu son combustible au début de 2008 et d’autres centrales sont en projet.
Le plus important dans ce dossier nucléaire est peut-être moins la volonté
nationaliste de l’Iran d’avoir les moyens de se protéger ou de dominer la
région, ni la perspective islamiste de combattre Israël ou de dominer le
monde musulman, mais la capacité des Iraniens à mener à bien un projet
technologique et industriel très complexe et de prouver ainsi leur qualité de
pays émergent. Les savants de l’Organisation atomique iranienne ne sont
peut-être pas des partisans de la République islamique, mais ils ont travaillé,
avec succès, par conviction nationale. Cette démonstration aurait pu se faire
dans un autre domaine scientifique moins conflictuel, mais l’histoire est ainsi
faite. Ce succès technlogique étant acquis, l’instrumentalisation du
programme nucléaire iranien par le pouvoir islamique et son coût social,
politique et économique ont fissuré le consensus national. Même les vétérans
des Gardiens de la Révolution comme Mohsen Rezaie critiquent l’obstination
caricaturale ou les outrances verbales inutiles du gouvernement Ahmadinejad
et son obstination à faire dans la clandestinité ce qui pourrait se faire mieux et
plus vite dans un cadre international.
En proposant des discussions directes avec le gouvernement iranien, le
président Obama a replacé la question du nucléaire à sa juste place, parmi les
très nombreuses questions posées par trente années de contentieux. L’Iran
n’ayant pas d’arme atomique avant plusieurs années, il n’y a pas lieu d’user
de la force militaire ni même de l’évoquer, pour résoudre chaque problème en
son temps. En rabaissant la discussion sur le nucléaire au niveau des experts
et de l’AIEA, la réunion de Vienne le 7 octobre 2009 a permis de contourner
les idéologies et de proposer des réponses techniques à la demande officielle
iranienne d’acheter 116 kilogrammes d’uranium enrichi à 19,5 % pour son
centre de recherche nucléaire de Téhéran. L’Iran fournirait à la Russie
environ 1,3 tonne d’uranium faiblement enrichi à Natanz, pour l’enrichir à
nouveau puis le faire transformer en France en carburant nucléaire adapté au
réacteur de Téhéran.
Cet arrangement approuvé par le président Ahmadinejad était gagnant-
gagnant car il permettait de reconnaître le droit de l’Iran d’enrichir l’uranium
sur son sol en échange de contrôles internationaux renforcés (application du
Protocole additionnel au TNP) empêchant la production d’une arme
atomique. La République islamique n’ayant plus d’uranium enrichi en grande
quantité sur son sol, Israël pouvait être rassuré. À moyen terme, en devenant,
sous le strict contrôle de l’AIEA, un fournisseur d’énergie nucléaire comme il
l’est depuis longtemps de pétrole et de gaz, l’Iran pouvait être reconnu
comme puissance du seuil nucléaire au même titre que le Japon, et non plus
comme un « État voyou ». Des années seraient certainement nécessaires pour
obtenir des garanties mutuelles et rétablir la confiance avec un Iran inséré
dans un système de relations économiques, politiques et culturelles si
complexes et si fortes que la production d’une arme atomique serait alors
absurde. L’Iran est-il capable d’atteindre et de respecter durablement le
modèle allemand ou japonais d’acquisition de la capacité nucléaire mais sans
franchir le seuil militaire ? En refusant finalement un accord qui lui était
favorable, le gouvernement iranien semble avoir préféré la culture de
confrontation dans laquelle il prospère.
La république islamique a toujours déclaré ne pas vouloir d’arme nucléaire
et demander au contraire un Moyen-Orient exempt d’armes de destruction
massive, ce qui impliquerait qu’Israël signe le Traité de non-prolifération et
renonce à ses armes nucléaires. La découverte en 2009 d’un nouveau site
nucléaire clandestin près de Qom semble confirmer les soupçons que l’Iran
poursuit un programme nucléaire secret alors que les combats politiques
internes au régime islamique n’ont jamais été aussi violents : une course
incertaine entre la démocratie et la bombe.
Chapitre 5
L’Iran exige d’être traité avec respect (ehterâm) comme une nation
indépendante qui a le droit d’avoir sa propre culture et forme de
gouvernement, mais il y a loin entre ces principes et la réalité d’un pays ne
respectant guère les autres nations. À la décharge de l’Iran, il faut convenir
que la République islamique a dû subir, souvent à raison mais parfois à tort,
la méfiance puis l’hostilité de bien des pays voisins ou lointains.
L’Iran use volontiers de sa longue tradition diplomatique pour affirmer ses
positions sur toutes les scènes internationales. Le légalisme formel de
Téhéran, attaché au respect des plus petits détails du protocole, de la
réciprocité, des coutumes ou des accords, est d’autant plus affirmé qu’il ne
respecte pas lui-même ces convenances en accusant l’autre partie d’avoir la
première enfreint la règle. L’Iran se cache souvent derrière d’autres acteurs
ou principes comme le « peuple » ou la « séparation des pouvoirs » pour
justifier une action qui est en fait directement organisée par le gouvernement
iranien et ses services, comme l’attaque d’ambassades ou l’arrestation/prise
en otage de ressortissants étrangers. Le métier de diplomate en Iran n’est pas
facilité par ces pratiques stériles qualifiées en langage diplomatique
« d’irritantes ».
Pour combattre le « Grand Satan » américain ou plutôt pour tenter de
contenir son influence, la politique constante de la République islamique a
consisté à se placer de façon systématique en face de chaque position des
États-Unis ou de ses alliés partout où cela était possible, en utilisant au besoin
des organisations non étatiques existantes ou créées pour la circonstance.
L’exemple le plus connu est celui du Liban où l’Iran a pu combattre les
armées américaines et françaises avec l’aide du Hezbollah et du Jihad
islamique : attentats de 1983 contre les bases américaine et française de
Beyrouth faisant plusieurs centaines de morts et les nombreuses prises
d’otages.
L’Iran chiite fut rapidement jugé comme responsable ou du moins
instigateur potentiel de nombreuses actions terroristes islamistes, en occultant
ainsi la montée du radicalisme sunnite qui allait aboutir aux attentats du
11 septembre 2001. Pendant près de vingt ans, l’Iran fut cependant l’un des
principaux États acteurs du terrorisme international. La République islamique
est le seul pays du Moyen-Orient avec Israël capable de conduire des actions
meurtrières dans le monde entier. Cette politique de positionnement et de
puissance face à Washington, par l’intermédiaire de groupes non étatiques
locaux, souvent chiites, assistés parfois de conseillers militaires iraniens, est
aujourd’hui surtout active en Irak et en Afghanistan.
La politique étrangère de l’Iran s’est donc construite depuis trois décennies
dans une culture de la confrontation et de double langage, mais force est de
constater l’ampleur des a priori, la désinformation sinon l’hostilité de la
plupart des pays occidentaux et de leurs opinions publiques à l’égard de
l’Iran. Des deux côtés, les facteurs psychologiques occupent une place
inhabituelle, renforcée par la place donnée à Israël dans les questions
iraniennes.
Diplomatie et politique
Qui décide ?
Les textes sont clairs, mais la pratique est plus sombre. L’article 110 de la
Constitution stipule que le Guide de la République islamique exerce les
pouvoirs suprêmes en matière de défense (nomination des commandants en
chef des forces armées, déclaration de guerre ou paix, mobilisation, etc.). Le
chapitre 10 fixe les principes généraux de la politique étrangère (« rejet de
toute forme de domination […] défense des droits de tous les musulmans […]
non-alignement sur les puissances hégémoniques »), mais ne dit rien de
précis sur le rôle du gouvernement et des commandants des forces armées.
L’Assemblée consultative islamique (majles) ratifie les traités et les
conventions internationales (article 77), mais rien n’est dit sur les questions
de défense. Le Conseil des Gardiens de la Constitution, contrôle le caractère
islamique/constitutionnel des lois votées par le Parlement et s’est arrogé le
droit de sélectionner les candidats aux élections mais, jusqu’ici, son pouvoir
ne s’est jamais étendu à la politique extérieure. Quant au gouvernement, il
gère le pays et les ministres sont responsables devant le Parlement.
Figure 9 Le réseau diplomatique iranien
Les quinze pays frontaliers de l’Iran, par terre ou par mer/lac, sont
des pays musulmans à l’exception notable de l’immense Russie et de
l’Arménie, mais le vaste monde islamique est devenu depuis 1979 un
nouvel espace idéologique et géopolitique pour la République islamique.
Comme producteur de pétrole, farouchement indépendant et pays
émergent, l’Iran entend également jouer un rôle mondial.
Le troisième cercle est celui de la mondialisation. Il est immense et
hétérogène mais, du point de vue iranien, il est uni par un certain exotisme.
C’est kharej, l’étranger. L’Occident y occupe une place centrale avec ses
deux pôles européen et américain également craints, honnis et surtout
admirés. La Chine, le Japon, l’Inde et l’Asie méridionale sont perçus comme
proches, tandis que le tiers-monde africain ou latino-américain dessine la
nouvelle frontière. Comme la Russie, les États-Unis interviennent également
dans les autres cercles, comme voisins de l’Iran, par leur présence militaire
aux frontières, et comme un acteur du monde islamique, par leur soutien à
Israël.
Les hommes politiques iraniens, les diplomates, les militaires et les
Gardiens de la Révolution ont l’habitude de composer avec ces diverses
logiques et échelles emboîtées. C’est le cas de Mohsen Rezaei, ancien
commandant en chef des Gardiens de la Révolution de 1981 à 1997, qui a
analysé dans un livre consacré à l’Iran puissance régionale de l’Asie du Sud-
Ouest [REZAEI M., 2005], les enjeux de sécurité du pays en inscrivant chaque
question stratégique dans son contexte dominant : islamique quand il s’agit
de Palestine et d’Israël, national s’il est question de frontières, et international
si l’enjeu est le pétrole. Les ambitions sont claires et les oppositions
évidentes, mais la République islamique, qui se situe volontiers au centre du
monde, a-t-elle les moyens de s’imposer comme un partenaire des équilibres
internationaux ? Son image semble plutôt celle d’un État aux potentialités
incontestées, mais trop faible et trop contesté à l’intérieur comme à
l’extérieur pour être fiable. L’Iran islamique est assez fort pour déstabiliser
ses voisins, le monde islamique et même le marché mondial de l’énergie. La
géopolitique de l’Iran s’inscrit également dans un long terme qui dépasse la
République islamique.
Chapitre 6
La Turquie et l’Irak sont les seuls rivaux régionaux de l’Iran par leur
population nombreuse, leur développement social et culturel, leurs ressources
économiques et leur passé politique. L’Arabie ne rivalise avec l’Iran que dans
le domaine religieux et pétrolier.
Sous les Qadjars, Istanbul fut pour la Perse la porte de l’Europe, le refuge
des intellectuels et des hommes politiques chassés par l’obscurantisme et le
despotisme de la Perse endormie. Les Turcs azéris de Tabriz étaient
nombreux dans l’empire ottoman et faisaient de cette grande ville où vivaient
de nombreux Arméniens et chrétiens chaldéens, la capitale internationale du
pays en relation avec les Russes de Bakou et les Géorgiens de Tbilissi. Cette
association entre Turquie et modernité reste d’actualité puisque les grandes
entreprises turques s’imposent en Iran tandis que les Iraniens, fuyant
l’austérité islamique, vont en nombre passer leurs vacances à Antalya ou dans
les villes turques.
Avec seulement 484 kilomètres de frontière commune avec l’Iran, la
Turquie contemporaine reste héritière de l’Empire ottoman par ses ambitions
régionales et s’impose comme la rivale de l’Iran. L’accord de janvier 1932
avait mis fin aux très nombreux contentieux locaux que la Première Guerre
mondiale avait ravivés en provoquant des massacres de chrétiens, l’afflux de
réfugiés arméniens fuyant le génocide, et le soulèvement de tribus kurdes.
Réza Chah Pahlavi qui se rendit en Turquie en juin 1934 trouva dans
Mustapha Kemal Atatürk un modèle pour moderniser le pays et changer les
cultures religieuses traditionnelles. Ces bonnes relations formalisées par le
traité de Saadabad (1937), signé également par l’Irak et l’Afghanistan, furent
confirmées après la Seconde Guerre mondiale avec l’appui des États-Unis qui
ont cherché à renforcer les capacités militaires de ces deux pays frontaliers de
l’URSS. Ces efforts de coordination militaire (pacte de Bagdad de 1955
créant le CENTO – Central Treaty Organization – entre l’Iran, la Turquie,
l’Irak et le Pakistan) n’ont guère eu de suite pratique.
La Turquie est restée prudente et neutre pendant la Révolution islamique
dont l’idéologie et l’antiaméricanisme allaient à l’encontre de ses valeurs et
alliances. Les troubles dans les provinces kurdes, l’afflux de réfugiés et de
déserteurs iraniens et la propagande islamiste de Téhéran imposaient à la fois
fermeté et pragmatisme à Ankara pour éviter toute confrontation inutile. La
visite du président Rafsandjani en avril 1990 permit de limiter les
malentendus et d’affirmer l’identité de vue des deux États contre la création
d’un État kurde en Irak, mais il fallut attendre 2001 pour que des échanges de
visites de haut niveau permettent la construction de relations fortes. Les
échanges commerciaux passèrent de 1 milliard à 6 milliards de dollars en six
ans, mais ils furent souvent entravés par des réactions nationalistes iraniennes
comme l’annulation des contrats de téléphonie mobile (Turkcell) et de
gestion du nouvel aéroport de Téhéran (TAV), entraînant l’annulation du
voyage du président Khatami à Ankara en 2004.
L’arrivée au pouvoir à Ankara du Parti islamiste de la justice et du
développement, AKP, en 2002, a favorisé les déclarations communes de
bonnes relations, en particulier dans le cadre de l’Organisation de coopération
économique (ECO) et le développement des échanges économiques, sans
pour autant réduire la méfiance et les incidents. Les ambitions rivales des
deux pays dans la région concernent notamment Israël, la Syrie, la question
kurde (l’Iran est accusé d’abriter des bases arrières du Parti des travailleurs
du Kurdistan, PKK), le conflit Arménie-Azerbaïdjan, la coopération militaire
avec les États-Unis dans le cadre de l’OTAN et le transport du gaz vers
l’Europe occidentale. Retour de l’empire Ottoman ?
L’ouverture de la Turquie vers l’Europe et la mise en service en 2006 de
l’oléoduc Bakou-Tbilisi-Ceyhan favorisant la position turque en Asie centrale
ont marginalisé un Iran sous-industrialisé et incapable de tenir ses
engagements économiques. Téhéran, soumis à l’embargo américain, ne peut
pas exploiter le gisement de South Pars et livrer à la Turquie les quantités de
gaz prévues ni s’engager dans le projet Nabucco destiné à ravitailler
l’Europe. Les premières livraisons via le nouveau gazoduc ouvert en 2003
ont été interrompues, contraignant l’Iran à importer du gaz d’Azerbaïdjan et
du Turkménistan pour honorer malgré tout ses engagements. Des accords
« swap » qui font de l’Iran un simple transporteur de gaz.
Face à la Turquie industrialisée et ouverte au marché international, l’Iran
islamique prend conscience de l’ampleur de son retard. Près d’un tiers des
importations iraniennes passe par la Turquie, donnant au poste frontière
routier de Bazargan un enjeu stratégique comparable au détroit d’Ormuz pour
l’approvisionnement du pays. La Turquie n’est pour Téhéran ni ami, ni
ennemi, et ne représente pas un risque militaire contrairement à l’Irak, mais
cette compétition concerne en revanche le domaine politico-religieux puisque
le succès de l’islam politique pro-américain à la turque interpelle l’islam
révolutionnaire iranien.
L’Irak, indépendant depuis 1932, ressemble par bien des points à l’Iran :
riche en pétrole, multiethnique, à majorité chiite, héritier d’une civilisation
antique et islamique, en relations étroites avec les pays industrialisés. Seul
État arabe ayant une frontière terrestre (1 609 kilomètres) commune avec
l’Iran, l’Irak indépendant a rarement été en bons termes avec l’Iran, mais la
dissuasion réciproque a longtemps assuré un statu quo méfiant. Dans les
années 1970, l’ambition des deux régimes, impérial et baathiste, a fait de ces
deux pays émergents des rivaux puis des ennemis, l’un regardant vers
Moscou et l’autre vers Washington. De 1971 à 1975, Téhéran soutint
militairement la révolte des Kurdes d’Irak avant de les abandonner. Les
intérêts pétroliers communs obligeaient les deux pays à une certaine réserve.
Cet équilibre instable fut rompu par la Révolution islamique. La nouvelle
république menaçait doublement l’Irak baathiste dans le domaine religieux en
affirmant que l’ayatollah Khomeyni était le leader de tous les chiites et sur le
plan politique en prônant la démocratie et le renversement des despotes. Il est
cependant probable que la décision de Saddam Hussein d’envahir l’Iran fut
motivée par l’opportunité de prendre possession de la province pétrolière
iranienne du Khuzistan, ce qui aurait fait de l’Irak le premier producteur
mondial de pétrole. Il comptait sur le silence des monarchies arabes qui
craignaient également la révolution de la Perse voisine. La désorganisation de
l’armée iranienne rendait possible une victoire facile et la crise des otages
américains ouvrit la possibilité pour l’Irak de devenir un interlocuteur
privilégié des États-Unis. Le prétexte de la guerre fut la dénonciation de
l’accord d’Alger de 1975 sur la frontière du Shatt el-Arab et l’occupation des
îles de Tomb et Abu-Musa par l’Iran impérial en 1971. Ce fut le début d’une
guerre imposée pour l’Iran et d’un drame sans fin pour l’Irak.
Ce conflit entre deux pays voisins à majorité chiite fut sans précédent dans
l’histoire du Moyen-Orient moderne. L’attaque du 22 septembre sur trois
fronts à Qasr-e Shirin, Mehran et Susangerd, fut surtout concentrée sur cette
dernière localité, mais, sauf quelques cas isolés, l’armée irakienne ne fut pas
accueillie en libératrice et ne réussit pas la progression rapide espérée. La
communauté internationale, considérant peu ou prou que l’Iran était
moralement l’agresseur en ayant pris en otage les diplomates américains,
réagit timidement le 28 septembre 1980 avec la résolution 479 de l’ONU
demandant un cessez-le-feu immédiat mais sans exiger de l’Irak le retrait des
territoires occupés. L’Iran fit face à cette « guerre imposée » ou à cette
« guerre de défense sacrée » (noms sous lesquels elle est connue en Iran) par
une mobilisation nationale quasi unanime, puis organisa avec difficulté ses
forces armées désorganisées par la Révolution pour contre-attaquer puis
libérer la quasi-totalité de son territoire en écrasant l’armée irakienne à
Khorramshahr (20 mai 1982, après l’offensive de Beyt al moqadas). Saddam
Hussein demanda un cessez-le-feu, mais devant le refus de la communauté
internationale de condamner l’agresseur, et malgré la proposition saoudienne
de payer à l’Iran les dommages de guerre, l’ayatollah Khomeyni décida de
poursuivre la guerre qui se déroula alors surtout en territoire irakien.
L’occupation du Liban par Israël en juin 1982 ajouta à la conviction iranienne
qu’il fallait poursuivre le combat, sur le plan idéologique et ouvrir un second
front au Liban.
La guerre nationale contre l’envahisseur devint ainsi islamique. En
soulignant dans les slogans que « la route de Jérusalem passe par Kerbala »,
lieu de l’Ashura, du martyre de l’imam Hossein en 680, l’Iran passait d’une
« guerre imposée », à une fuite en avant idéologique, contre « l’oppression
mondiale », où le culte des martyrs prit une place dominante, envahissant la
culture, les médias, les arts et le paysage urbain de l’Iran, sans d’autre espoir
que la mort et la gloire dans l’au-delà [CHELKOWSKI P., 1999]. En Irak,
l’union nationale, forcée, se faisait contre les « mages », en référence
péjorative aux zoroastriens d’Iran.
Cette seconde phase de la guerre sur le territoire irakien, dans le golfe
Persique et avec usage de missiles à moyenne portée contre les villes, devint
internationale, car ce qui devait être une courte bataille se muta en un conflit
sans fin, perturbant le marché international du pétrole. Pour éviter que l’un
des belligérants ne l’emporte et domine la région, les Occidentaux livrèrent
des armes aux deux camps : après avoir détruit le centre nucléaire irakien de
Tamuz (septembre 1982), Israël livra des armes à l’Iran, de même que les
États-Unis (scandale de « l’Irangate »). Les pays arabes qui apportaient leur
soutien financier et politique à l’Irak se regroupèrent en mai 1981 dans un
Conseil de coopération des États arabes du Golfe (CCEAG), mais sans
intervenir militairement contrairement aux Européens et aux Américains
après les attaques des deux protagonistes contre les terminaux pétroliers et
des navires neutres dans le golfe Persique (plus de 500 navires touchés à
partir de 1984). En 1986, l’armada des flottes américaine, française,
britannique et italienne affronta surtout les forces iraniennes (champs de
mines et navires légers des Gardiens de la Révolution), les Irakiens opérant
surtout par des attaques aériennes pour empêcher l’Iran d’exporter son
pétrole. La guerre Irak-Iran fut dès lors dénommée en Occident « guerre du
Golfe ».
En mars 1985, un nouveau front fut ouvert avec la « guerre des villes » et
le bombardement de villes iraniennes par l’aviation et surtout par des missiles
Scud irakiens. L’Iran qui ne disposait pas d’armes équivalentes riposta par
des attaques terrestres avec la prise de Fao puis le siège de Bassorah en 1987,
après l’opération Kerbala 5 qui menaçait d’atteindre le Koweït tout proche.
L’Iran, épuisé, sans armes modernes et confronté à l’affaiblissement des
idéaux révolutionnaires, nationalistes et islamiques qui avaient fait l’unité du
pays au début de la guerre, n’était pas en mesure de gérer l’occupation
militaire de Bassorah ou une fuite en avant. Sur tous les fronts, le conflit
atteignait des situations extrêmes mettant l’Iran sur la défensive. Après une
seconde phase de bombardement des villes iraniennes par des missiles (135
sur Téhéran), une offensive iranienne au Kurdistan fut bloquée à la suite du
bombardement au gaz moutarde par Bagdad de la ville kurde irakienne de
Halabja le 17 mars 1988. Faute de matériels et de troupes nouvelles, les
Gardiens de la Révolution, qui ne pouvaient plus ni avancer ni tenir leur
position sous les bombardements chimiques, se retirèrent de Fao, tandis que
la Navy américaine détruisait la quasi-totalité de la flotte de guerre iranienne
le 18 avril. Le coup de grâce fut la destruction « accidentelle » de l’Airbus du
vol 655 d’Iran Air (290 morts) par un missile américain. Sur l’insistance de
Mohsen Rezaie, commandant en chef des Gardiens de la Révolution, qui
voulait éviter le massacre de ses troupes auxquelles on avait refusé les
moyens de combattre et que certaines factions du pouvoir espéraient voir
éliminées du champ politique, et de Ali-Akbar Rafsandjani qui voulait mettre
un terme à une guerre sans issue qui ruinait le pays, l’ayatollah Khomeyni
accepta le 18 juillet 1988, à contrecœur, le cessez-le-feu demandé depuis des
années par la résolution 598 de l’ONU.
Contrairement à ce qui a souvent été écrit, cette guerre interminable n’a
pas fait d’innombrables victimes (188 015 tués en huit ans selon la Fondation
des Martyrs peu suspecte de minorer ce type de données) car elle a peu
touché les civils (16 780 victimes), mais elle a, en revanche, traumatisé et
bouleversé la société iranienne et déstabilisé durablement l’Irak. En
envahissant le Koweït en août 1990, l’Irak a voulu récupérer l’argent promis
par les pays arabes pour indemniser les victimes et réparer un pays épuisé.
On connaît la suite : l’Irak a subi la guerre internationale pour libérer le
Koweït en 1991, provoquant l’attaque de Saddam Hussein contre les Kurdes
et les chiites du Sud-Irak qui croyaient être soutenus par la coalition
internationale, puis la seconde invasion par la coalition américaine, la prise
de Bagdad et la chute de Saddam Hussein en mars 2003. À la fin de 1990,
l’ONU déclara l’Irak coupable d’agression contre l’Iran en 1980. Malheur
aux vaincus.
Cette mer quasi fermée par le détroit d’Ormuz est peu profonde (90 mètres
au maximum, 50 mètres en moyenne), et couvre 250 000 km2. C’est la
prolongation maritime de la Mésopotamie reliant les vieilles civilisations
d’Europe et du Moyen-Orient à celles de l’Extrême-Orient. Siraf (Taheri)
près du complexe gazier d’Assaluyeh, fut le port le plus actif de la région de
l’Antiquité au XIe siècle, en relation avec l’Inde, la Chine, le monde malais et
l’Afrique orientale. La puissance politique et maritime de la Perse du XVIIe au
XVIIIe siècles avait permis de contrôler les présences portugaise et hollandaise
avant que les Britanniques ne contrôlent la région pendant plusieurs siècles
en s’imposant même aux villages de pêcheurs et aux pirates omanais de la
« Côte de pirates ». Face aux sheykhs arabes divisés, l’État persan s’imposait
comme la seule référence politique locale tandis que les marchands des ports
de Bouchir, Bandar-Lengeh et Bandar-Abbas établissaient des comptoirs sur
la rive Sud.
L’ouverture du canal de Suez en 1869 détourna une partie du trafic vers la
mer Rouge mais le golfe retrouva un rôle international avec l’exportation du
pétrole par le nouveau port d’Abadan à partir de 1912. Malgré la construction
d’oléoducs vers la Méditerranée ou la mer Rouge, ce bras de mer devint au
XXe siècle la première route pétrolière mondiale. 17 millions de barils par jour
et par an, soit 20 % du pétrole mondial (40 % du pétrole transporté par voie
maritime) transitent par le détroit d’Ormuz après avoir été chargés dans les
plus grands terminaux pétroliers du monde construits dans les années 1960
pour les supertankers (Kharg en Iran, Khor en Irak, Mina el-Ahmadi au
Koweït, Ras-Tanura en Arabie), en provenance de pays qui détiennent 55 %
des réserves mondiales de pétrole et 40 % des réserves de gaz. Le golfe est
devenu lui-même un site pétrolier et gazier de première importance après la
découverte de gisements offshore dans les années 1960, obligeant les États
riverains à délimiter avec précision les espaces maritimes et les fonds marins.
Dès 1934, l’Iran avait revendiqué une zone d’exclusion économique de
6 miles dans le détroit d’Ormuz, puis le plateau continental en 1949. En
prévision de leur prochain départ, les Britanniques posèrent en 1965 le
principe du partage des eaux et des fonds selon la ligne médiane, ce qui
permit la signature d’accords bilatéraux entre la plupart des pays concernés.
En 1993, la proposition iranienne de faire valider par l’ONU l’ensemble des
accords sur les limites des plateaux continentaux, des eaux territoriales
(12 miles), des zones d’exclusion économique (200 miles) s’est heurtée au
refus américain car de nombreuses questions restaient en suspens et aucun
accord de sécurité régionale ne pouvait imposer le respect d’un tel texte.
L’Iran et l’Arabie ont noué des relations diplomatiques dès 1928. Avant la
révolution islamique, les rapports entre les deux pays étaient courtois et
empreints de la condescendance habituelle des Iraniens pour les Arabes.
Après les grandes tensions de la Révolution islamique et de la guerre d’Irak,
les deux champions du sunnisme et du chiisme sont restés méfiants tout en
privilégiant leurs relations de voisinage et la sécurité des exportations de
pétrole. L’affaiblissement de l’Irak était par ailleurs une opportunité à saisir
pour se partager le leadership régional [RIGOULET-DROZE, 2005].
Les échanges de visites officielles et amicales du roi Faysal et de
Mohammad-Réza Pahlavi en 1966 avaient en arrière-plan le contentieux sur
les îles d’Arabia et de Farsi qui pouvaient modifier les limites du plateau
continental en cours de négociation. L’accord du 24 octobre 1968 attribua
Farsi à l’Iran et précisa le tracé d’une frontière maritime commune de
138,7 miles avec interdiction d’effectuer des forages à moins de 500 mètres,
ou inclinés vers le pays voisin. Malgré le soutien des États-Unis aux deux
pays pour faire face à une éventuelle politique agressive de l’URSS et assurer
la sécurité du trafic pétrolier, les relations politiques entre les monarchies
iranienne et saoudienne restèrent distantes et parfois même difficiles dans le
cadre de l’Opep à propos des cours du pétrole quand Téhéran voulait les
augmenter et Djeddah les faire baisser [COOPER A.-S., 2008].
En multipliant les attaques verbales contre la légitimité des « régimes
islamiques corrompus » et en soutenant les revendications des minorités
chiites du Hasa, la jeune République islamique fit de l’Arabie saoudite son
principal ennemi avant que l’Irak ne déclenche son offensive. L’Arabie fut
aidée par Washington dans son soutien aux mouvements radicaux sunnites
contre les Soviétiques en Afghanistan mais aussi pour concurrencer les
islamistes chiites soutenus par l’Iran. Cette rivalité des deux États dans le
champ islamique s’est exercée dans les divers conflits du Moyen-Orient
(Palestine, Afghanistan, Irak) et même dans le soutien aux mouvements
islamistes plus lointains (Tchétchénie, Bosnie, Algérie, Soudan, ou même
Afrique subsaharienne). L’Iran chiite put alors constater combien l’Arabie
sunnite avait une meilleure audience et une plus grande efficacité dans l’aide
aux mouvements islamistes.
L’Iran contestait également la légitimité de la secte wahhabite de l’islam à
gérer les lieux saints et le Hajj que Téhéran souhaitait internationaliser. Le
nombre de pèlerins iraniens à La Mecque était passé de 15 000 avant la
Révolution à 150 000 en 1987, lorsque 405 pèlerins iraniens furent tués au
cours d’affrontements entre les forces de l’ordre saoudiennes et les pèlerins
chiites iraniens qui profitaient du Hajj pour manifester leur hostilité aux
États-Unis. Les relations diplomatiques furent rompues jusqu’en 1991 et
l’ayatollah Khomeyni dispensa même les musulmans d’Iran de faire le
pèlerinage de La Mecque tant que les lieux saints de l’islam seraient gérés par
un « régime impie ».
Après la fin de la guerre Irak-Iran, la mort de Khomeyni et la chute de
l’URSS, la politique iranienne devint plus pragmatique, mais l’évolution fut
lente. Après la visite à Riyad en 1991 d’Ali-Akbar Velayati, ministre iranien
des Affaires étrangères, les tensions furent ravivées par l’attentat du 23 juin
1996 contre les forces américaines à Ghobar (Dahram) où certains ont vu la
complicité de Téhéran. La présence à Téhéran du prince héritier Abdallah,
lors de la réunion de la Conférence islamique de décembre 1997, rendit
possible la visite officielle de l’ancien président Rafsandjani qui signa un
accord économique puis de sécurité, ouvrant ainsi la porte au rétablissement
de relations plus confiantes confirmées par le voyage officiel et médiatisé du
président Khatami en 1999.
Plus récemment, la chute de l’Irak sunnite et baathiste, la crise du nucléaire
iranien, le discours pro-palestinien de la République islamique ont ravivé les
craintes de l’Arabie que l’Iran prenne une place croissante dans la région,
moins par son activisme que par sa simple présence et son poids
géographique, démographique, pétrolier ou culturel. L’arrivée au pouvoir à
Bagdad d’un gouvernement chiite fut très difficile à accepter par la
monarchie saoudienne qui voyait là la preuve d’un « retour » de l’Iran et la
perte de sa rente d’allié privilégié des États-Unis. Conscient du caractère
irréversible de la situation, Riyad développe désormais une politique plus
autonome, moins liée à Washington, prenant en compte la difficile réalité
iranienne, y compris son programme nucléaire, tout en considérant que le
maintien des troupes américaines dans la région est indispensable et
compatible avec une politique de rivalité avec Téhéran [RAND CORPORATION,
2009c].
La rivalité entre les deux voisins semble être moins active sur les
oppositions bien réelles sunnites/chiites, monarchie/république, anti-/pro-
Amérique, arabe/persan que sur leur capacité à s’imposer politiquement dans
les grandes questions qui intéressent la région ou le monde musulman comme
le conflit Israël-Palestine, le statut des lieux saints de l’islam ou le marché du
pétrole. On peut se demander enfin si l’Arabie saoudite, comme d’ailleurs les
autres monarchies arabes conservatrices, ne craint pas par-dessus tout
l’influence de la société iranienne, dont l’évolution et la « mondialisation »
contrastent avec le conservatisme social et culturel des populations de la
péninsule, principalement en ce qui concerne la socialisation des femmes. La
méfiance envers Téhéran va ainsi de pair avec une realpolitik de
rapprochement marquée par l’invitation en 2007 de Mahmoud Ahmadinejad
au sommet du CCG puis au Hajj.
Huit années de guerre contre l’Irak ont montré que la frontière occidentale
de l’Iran restait immuable et que l’influence de Téhéran vers l’ouest serait
longtemps contenue par le monde arabe, Israël et les puissances occidentales.
Vers l’est, les frontières sont en revanche plus ouvertes, les vecteurs
d’influence moins contrôlés et donc la situation plus instable et dangereuse
[HOURCADE B. et alii, 1998]. L’Iran oriental faiblement peuplé fait face à
l’Afghanistan (30 millions d’habitants) en anarchie permanente et au Pakistan
(180 millions) où l’islamisme sunnite est puissant et violent, le trafic de
drogue transnational, et l’armée expérimentée détentrice d’armes nucléaires.
L’afflux en Iran de trois millions de réfugiés afghans, en quasi-totalité
sunnites, à la suite de l’invasion soviétique de 1979, a créé une zone sunnite
quasiment continue entre le golfe Persique et le Turkménistan. À Zahedan ou
à Mashhad, une véritable « ville afghane » s’est développée en marge de la
ville irano-persane. La perméabilité de cette frontière est d’autant plus grande
que les relations historiques et culturelles entre la province afghane de Herat
et celle du Khorasan iranien sont anciennes et fortes. Au Baloutchistan, la
notion même de frontière est trop récente pour être respectée. Le trafic de
drogue et les réseaux sunnites radicaux ont donc facilement trouvé leur place
et donné une valeur économique et politique exceptionnelle à cette
transfrontalité traditionnelle. La République islamique d’Iran perçoit cet
« Afpak » (Afghanistan-Pakistan) insaisissable comme une menace globale
qui concerne à la fois la sécurité des frontières, l’islam politique chiite, et
l’espoir de devenir rapidement un État stable et développé. Les intérêts
stratégiques de l’Iran et des États-Unis pourraient ici converger.
La Russie est bien à sa place dans ce chapitre sur les voisins frontaliers de
l’Iran, car les relations entre les deux pays sont largement déterminées par
cette proximité géographique. Les nombreuses invasions de l’Iran par la
Russie puis par l’URSS au cours des deux siècles précédents comptent autant
que le soutien de Moscou pendant la guerre Irak-Iran ou dans les dossiers
nucléaire ou gazier pour construire cette relation très complexe où se mêlent
la sécurité du territoire, l’islam politique, et le développement industriel et
technologique. La Russie est devenue le seul pays au monde disposant d’une
gamme de relations, assez complexes et opérationnelles avec l’Iran pour
avoir une influence efficace et durable.
La Russie partenaire
Sans négliger le monde arabe et ses voisins musulmans, l’Iran n’a jamais
cessé de renforcer ses relations aves « l’Autre islam ». Cette perspective
idéologique et diplomatique est en accord avec la doctrine de la Révolution
islamique qui associe religion, projets politiques de développement et
indépendance nationale. Une nouvelle politique plus équilibrée semble
esquissée, donnant une place accrue au monde islamique asiatique, à
« l’Est », où vivent la grande majorité des musulmans du monde, puisque
seulement 18 % des musulmans sont arabes. La guerre Irak-Iran a confirmé
que la frontière entre les mondes iranien et arabe était quasiment immuable,
alors que les opportunités d’influence culturelle, idéologique et économique
sont encore ouvertes vers l’Asie, l’Afrique et même l’Amérique latine. L’Iran
n’a pas formulé clairement cette ambition mondiale, mais les faits mettent en
évidence la place donnée par Téhéran à ce nouveau tiers-mondisme dont
l’islam pourrait être le moteur, ou le facilitateur, et dont l’Iran se verrait
volontiers le leader.
La débâcle américaine en Iran fut une nouvelle humiliation trois ans après
la chute de Saïgon. En quelques mois, le pays le plus stable du Moyen-Orient
et le plus proche des États-Unis devint son principal adversaire. Tout
s’effondra, pour paraphraser le titre du célèbre ouvrage de Gary Sick [1985],
conseiller du président Jimmy Carter pour les affaires iraniennes. Obnubilé
par la seule URSS, aucun observateur ou service de renseignement, CIA et
Savak compris, n’avait pris la mesure ni compris la nature islamique des
contestations qui secouaient le pays. En dépit du slogan « Ni Est ni Ouest,
République islamique », la révolution iranienne s’est délibérément construite
en opposition aux États-Unis, et la perspective du retour au pouvoir de
l’empire américain était et reste inacceptable pour les islamistes comme pour
les nationalistes [KEDKIE et GASIOROWSKI, 1990].
La révolution islamique prit donc toute sa dimension lorsque les
« Étudiants dans la ligne de l’imam » ont occupé l’ambassade américaine le
4 novembre 1979, prenant en otage tout le personnel, et imposant leur ligne
politique anti-impérialiste. Pendant 444 jours, les 52 diplomates otages
américains furent le symbole de la victoire des « peuples opprimés » contre
« l’impérialisme américain ». Les Iraniens vengeaient Mossadegh et
rejoignaient, symboliquement, les luttes des autres combattants du tiers-
monde à commencer par les Palestiniens. Ce conflit diplomatique se
transforma en guerre lorsqu’un commando américain, déposé dans le désert
de Tabas le 24 avril 1980, tenta en vain de libérer les otages, puis
lorsqu’éclata la guerre Irak-Iran. Pour les Iraniens, il ne fait en effet aucun
doute que l’invasion de leur pays a été suscitée et orchestrée par les États-
Unis pour libérer les otages.
Le conflit avec l’Iran couta sa réélection à Jimmy Carter, mais l’Accord
d’Alger (19 janvier 1981) permit la libération des otages et le transfert de
plus de 8 milliards de dollars – le plus important de l’histoire – d’avoirs
iraniens sous séquestres sur un compte permettant ensuite de régler les
contentieux financiers entre les deux pays. Malgré des conditions de
détention souvent très dures, aucun otage ne fut tué, mais dans l’opinion
américaine, toutes les violences du Moyen-Orient, de la Palestine au 11-
Septembre, furent depuis lors irrémédiablement associées à un Iran diabolisé.
Les relations entre les deux pays échappèrent dès lors au rationnel. La
République islamique qualifia ainsi les États-Unis de « Grand Satan » tandis
que le gouvernement américain considérait l’Iran islamique comme partie de
« l’axe du Mal ». Il ne s’agissait plus d’une association entre l’aigle
américain et le lion iranien, mais d’un duel des deux diables, une histoire de
fascination/répulsion et d’occasions manquées.
Contrairement à une idée souvent répandue, les États-Unis n’ont jamais
cessé d’avoir une politique iranienne active, positive ou négative, car il est
stratégiquement impossible pour Washington de négliger un pays à la fois
voisin de l’URSS/Russie et détenteur des secondes plus grandes réserves
mondiales d’hydrocarbures. Après la guerre Irak-Iran, dans la logique de la
neutralité iranienne dans la guerre de Koweït, chacun s’attendait en 1991 à ce
que le président démocrate Bill Clinton trouve le chemin d’une normalisation
avec l’Iran alors gouverné par A.-A. Rafsandjani. C’était oublier
l’humiliation subie par les Démocrates lors de la crise des otages. Les
conseillers du Département d’État en charge du Moyen-Orient étaient par
ailleurs très favorables à Israël et donc sensibles à la violence verbale et aux
actions terroristes de Téhéran. Ils furent donc les avocats de la politique du
« double endiguement » (dual containment), définie en 1994 par Martin
Indyk du National Security Council et proche des lobbies sionistes de
Washington. Il s’agissait de contraindre l’Irak vaincu et l’Iran qualifié
d’« État voyou » (rogue state) de changer de comportement, sinon de
régime.
Dès lors, la politique de sanctions ne fit que s’accentuer : embargo
commercial en 1995, Iran Libya Sanctions Act (ILSA connu sous le nom de
« loi d’Amato » en 1996, renouvelé en 2006), interdisant tout investissement
dans le domaine pétrolier ou gazier, puis les sanctions de l’ONU à propos du
programme nucléaire iranien. En prônant en 1997 le « dialogue des
civilisations », le nouveau gouvernement de Mohammad Khatami offrit des
perspectives inédites, au moment où Bill Clinton commençait son second
mandat, avec Madeleine Albright comme Secrétaire d’État. Dans un discours
à l’Asia Society, le 17 mars 1999, elle présenta des excuses pour le rôle de la
CIA dans le coup d’État de 1953 contre Mossadegh et annonça une levée très
partielle de l’embargo (pièces d’avion, pistaches…), sans résultat durable, en
raison de la fragilité du gouvernement réformateur de Téhéran et surtout de
l’action efficace des lobbies anti-iraniens de Washington voulant un
changement de régime et non plus seulement de politique. Les deux mandats
de Bill Clinton furent donc une succession d’occasions manquées et
s’achevèrent sur une impasse.
L’élection en 2001 de George W. Bush Jr permit ensuite aux lobbies
néoconservateurs et pro-israéliens tels que l’American Enterprise Institute ou
l’Aipac (American Israel Public Affairs Committee) de renforcer leur action
pour faire tomber le régime islamique. Un moment endormi, le duel des deux
diables pouvait reprendre dans le cadre de la « lutte contre le terrorisme »
après les attentats du 11 septembre 2001. De nombreux Iraniens avaient
pourtant manifesté spontanément leur sympathie au « peuple américain »
tandis que le gouvernement, qui connaissait d’expérience le danger que
représentaient les Talibans sunnites issus du wahhabisme, condamna les
attentats et observa une neutralité bienveillante lors de l’invasion de
l’Afghanistan par la coalition internationale en octobre 2001. Téhéran fut un
acteur influent de la conférence de Bonn pour la reconstruction du pays.
Zalmay Khalilzad, l’ambassadeur américain d’origine afghane, discutait
directement en persan avec les envoyés iraniens et afghans. Dans l’émotion et
le drame de ces mois où tout semblait possible, il n’était pas absurde de
penser que la rivalité irano-américaine pouvait trouver un début de solution.
En associant l’Iran à l’Irak et la Corée du Nord dans un « axe du Mal »,
dans son discours sur l’État de l’Union du 29 janvier 2002, le président
George W. Bush refusa au contraire tout compromis et confirmait que la
seule solution envisageable restait le changement de régime en Iran, dans le
cadre de sa nouvelle politique de démocratisation du Grand Moyen-Orient.
Le concept d’axe du Mal était emprunté aux discours anticommunistes des
années 1950 et au maccarthysme. Toute discussion avec l’Iran était dès lors
considérée comme non seulement inutile, mais nuisible. Le dialogue critique
ou global conduit depuis 1992 par l’Union européenne était dénoncé comme
un leurre dangereux face à l’islam politique iranien parfois comparé au
nazisme. Cette politique conduite par les néoconservateurs américains les
plus radicaux, comme le sous-secrétaire d’État John Bolton, satisfaisait, de
façon paradoxale, les radicaux islamistes iraniens. Le Guide Ali Khamene’i
refusait en effet par principe toute idée de dialogue avec Washington,
craignant une « agression culturelle occidentale plus dangereuse à ses yeux
qu’une attaque militaire ».
L’Iran retourna donc dans l’œil du cyclone. L’armée américaine avait
certes débarrassé l’Iran des Talibans sunnites et de Saddam Hussein, mais
elle encerclait désormais la République islamique. Dans les milieux
néoconservateurs américains, on plaisantait volontiers en disant que
l’Afghanistan avait été le petit déjeuner, l’Irak le déjeuner et que l’Iran serait
le dîner de gala. Ce scénario de conquête ne fut pas réalisé en raison des
difficultés militaires rencontrées à Bagdad et à Kaboul et parce que l’Iran
était un adversaire autrement plus difficile. Le programme nucléaire iranien
devint alors le catalyseur de la nouvelle phase du duel.
Au-delà d’un consensus de principe, Américains et Européens n’avaient
pas le même objectif concernant le nucléaire iranien. Les premiers voulaient
en priorité renverser le régime islamique, alors que les seconds, sans pour
autant apprécier le gouvernement de Téhéran, cherchaient d’abord à éviter la
prolifération nucléaire et la fabrication par l’Iran d’une arme nucléaire.
L’accord trouvé par la « troïka » européenne le 21 octobre 2003 pour mettre
fin de façon vérifiable et durable au contentieux nucléaire avec l’Iran fut donc
refusé par Washington. Depuis lors, les offres et propositions incitatives
européennes sont allées de pair avec des propositions de sanctions
américaines, avec parfois une inversion des rôles dans la distribution des
carottes et des coups de bâton, mais le vrai problème restait l’absence
américaine à la table des négociations [POLLACK K.-M., 2004]. Le Congrès
américain, Républicains comme Démocrates, manifesta régulièrement son
hostilité de principe à l’Iran islamique en votant des motions de défiance
comme l’Iran Democracy Act (2003) ou l’Iran Freedom Support Act (2006)
permettant de financer des programmes de télévision radio, et autres médias
destinés à « démocratiser » l’Iran, mais aussi à mener des actions clandestines
en territoire iranien.
Le discours radical anti-américain et anti-israélien du gouvernement de
Mahmoud Ahmadinejad, élu en 2005, donna au gouvernement républicain de
George W. Bush toutes les raisons pour justifier sa politique de confrontation,
mais il a également imposé à Washington de prendre au sérieux la
République islamique et la nécessité de discussions directes. Tout en
menaçant l’Iran d’une attaque militaire par Israël interposé, et à la suite du
rapport de James Baker sur le Moyen-Orient, l’idée de discussions directes
fut concédée le 30 mai 2006 par le gouvernement américain qui accordait
donc à Ahmadinejad ce qu’il avait toujours refusé à Khatami. Plus difficile
sera donc un rapprochement.
La fin du mandat de G. W. Bush fut marquée par une aggravation des
sanctions et de l’isolement de l’Iran. Les entreprises, banques et individus
soupçonnés de participer au programme nucléaire iranien firent l’objet de
sanctions unanimes du Conseil de sécurité de l’ONU mais surtout de
sanctions économiques américaines unilatérales qui confortent le
gouvernement islamique dans son opposition radicale. Depuis 2007, il est
quasiment impossible d’effectuer un paiement à destination ou en provenance
d’Iran. Les universités iraniennes ne peuvent acheter aucun livre ni revue
édités à l’étranger. L’hypothèse d’une destruction systématique du potentiel
économique iranien par plusieurs semaines de bombardements fut même
envisagée pour retarder le programme nucléaire et pousser le gouvernement
iranien à négocier. C’est là une hypothèse aléatoire qui pourrait avoir pour
effet de rassembler un grand nombre d’Iraniens autour des éléments les plus
radicaux, comme lors de l’invasion irakienne de 1980 ; nationalisme oblige.
En 2008, toutes les options étaient sur la table : la guerre, mais aussi la paix.
La France fut de tous les pays européens celui qui a subi le plus durement
l’hostilité de l’Iran islamique : détournement d’avion à Téhéran en 1984,
otages au Liban, attentats, assassinat d’opposants iraniens, attentats contre
des lieux publics et militaires à Beyrouth et à Paris en 1986, siège des
ambassades en 1987 suivi d’une rupture des relations diplomatiques jusqu’en
1988. Ces conflits n’étaient pas seulement liés au soutien de la France à l’Irak
de Saddam Hussein, mais également au contentieux sur les aspects nucléaires
et financiers du contrat Eurodif, et d’une façon générale au volontarisme de
l’action diplomatique française au Moyen-Orient et à l’absence de réseaux
capables de régler des conflits avec discrétion.
La faute aux Anglais
Pendant au moins deux siècles, l’Iran a subi les conséquences de la rivalité entre les empires
russe et britannique, mais il semble que seul le souvenir de la « perfide Albion » soit resté dans
les mémoires iraniennes. Il est en effet de tradition en Iran de considérer tout problème intérieur
ou international comme étant « la faute aux Anglais ». Cette opinion a été renforcée dans les
mentalités populaires par la série télévisée des années 1970, dont le héros, « Mon oncle
Napoléon » (Dâ’i jân napoleon), était aussi radical que l’Empereur dans son hostilité aux
Britanniques. Le plus surprenant est que cette « analyse » soit partagée encore aujourd’hui par
les élites politiques, au niveau le plus élevé : ministres, généraux, députés, etc.
Pour les adversaires de la République islamique, la victoire de l’ayatollah Khomeyni a été
programmée par les Anglais comme l’avait été le coup d’État de Réza Chah en 1921. Pour les
partisans du régime, les Iraniens sont des gens trop raisonnables et attachés à leur pays pour
provoquer des troubles, et toutes les crises s’expliquent par la main des Anglais. Les
protestations massives contre la fraude électorale en juin 2009 n’ont pas échappé à cette règle.
La pérennité de l’animosité des autorités de Téhéran à l’égard de la Grande-Bretagne s’explique
en partie par la grande audience des émissions de radio, et depuis peu de télévision, de la BBC
en persan. Les plus âgés des Iraniens se souviennent également du rôle de cette radio lors de la
Révolution islamique. Une raison de plus pour être convaincu que les Anglais sont, encore
aujourd’hui, présents derrière le rideau…
La République islamique semble avoir fait le constat que ses relations avec
l’Ouest, qu’il s’agisse des pays industrialisés d’Europe et d’Amérique ou du
monde arabe ont été difficiles et ne sauraient permettre une quelconque
expansion politique, économique culturelle ou même religieuse, alors que
vers l’Est les horizons sont plus dégagés. La politique étrangère iranienne
regarde vers les pays d’Asie, d’Afrique et même jusqu’en Amérique latine.
Pour l’Iran, comme pour la Chine ou les États-Unis, l’Afrique est un des
seuls territoires encore « disponibles » pour étendre une zone d’influence
après le départ des anciennes puissances coloniales. Malgré des effets
d’annonce et un grand nombre de visites officielles, les investissements
économiques, la présence politique, et les partenariats stables y sont encore
très limités car l’Iran n’a pas les moyens de ses nouvelles ambitions et n’a
qu’une expérience ou une connaissance très restreinte du monde africain.
Depuis plusieurs siècles, les marchands iraniens connus comme les
« Shirazis » étaient présents sur les côtes d’Afrique orientale et notamment à
Zanzibar et au Kenya, mais cette relation commerciale ténue a perdu sa
valeur politique. Le régime impérial avait esquissé une politique africaine,
notamment après 1974, pour montrer que l’Iran était en train de devenir un
pays développé capable d’aider les nations les plus pauvres. Cette politique
s’est poursuivie et étendue sous la République islamique dont la politique
africaine est devenue une des composantes, marginale mais durable, de la
politique étrangère.
Le Sénégal, pays à majorité musulmane, est la tête de pont iranienne en
Afrique de l’Ouest. Le groupe « Iran Afrique Commerce » basé à Dakar
associe une quarantaine d’entreprises iraniennes présentes dans quinze pays
africains. Cette présence en Afrique de l’Ouest a été facilitée dans les
années 1980 par l’existence d’une communauté de commerçants libanais
souvent chiites, qui ont parfois joué un rôle d’intermédiaires dans les conflits
entre l’Iran et l’Europe, ce qui a conduit à la rupture des relations avec le
Sénégal d’Abdou Diouf entre 1984 et 1989. Un rapprochement est intervenu
après l’arrivée au pouvoir du président Abdoulaye Wade qui s’est rendu pour
la deuxième fois en visite à Téhéran en 2009 pour confirmer la volonté
commune de créer un vrai partenariat. La construction par Iran-Khodro d’une
usine de montage de voitures à Saint-Louis (modèles Peugeot adaptés) est
peut-être le prélude à une coopération de plus haut niveau.
Avec la République démocratique du Congo ou la Namibie, les relations
sont minimales, car l’Iran y cherche essentiellement des ressources minières,
notamment de l’uranium. Aux pays isolés ou en marge des nations comme le
Zimbabwe, la Gambie, l’Érythrée ou la Somalie, l’Iran offre une ouverture
politique et quelques avantages économiques dans l’espoir d’un vote
favorable dans les instances internationales. Avec le Nigeria, les relations
sont complexes en raison du soutien trop exclusif apporté aux communautés
et provinces musulmanes, mais elles tendent à se diversifier depuis 2007 avec
la construction d’une usine de montage de voitures et d’autres projets
destinés à favoriser un rapprochement et un soutien iranien à la candidature
de Lagos à un poste de membre permanent du Conseil de sécurité.
La République d’Afrique du Sud attend de l’Iran un soutien de même
nature. Les relations entre les deux pays sont anciennes puisque Réza Chah
mourut en exil à Johannesburg et que l’Iran impérial fut un soutien discret et
efficace du temps de l’apartheid, en devenant le principal fournisseur de
pétrole, stocké, pour faire face à un éventuel blocus, dans d’immenses
réservoirs souterrains. La République islamique a rompu les relations en 1979
et les a rétablies en 1994 après l’arrivée au pouvoir de Nelson Mandela.
Pretoria demeure un grand acheteur de pétrole iranien (40 % des importations
de la RSA), et surtout un partenaire écouté comme pays émergent ayant
développé un programme nucléaire comparable à celui de l’Iran, mais ayant
clairement renoncé à l’option militaire.
L’Iran est certes indépendant, mais est-il capable d’être une puissance
régionale, c’est-à-dire un pays respecté et influent ? L’histoire tourmentée de
ces trois dernières décennies a engendré une méfiance durable envers l’Iran,
rendant improbable, à court ou moyen terme, que ce pays occupe une place
hégémonique dans la région, même avec une arme nucléaire. D’autres pays
voisins comme l’Arabie, la Turquie et bientôt l’Irak, imposeront certainement
un nouvel équilibre. De longues années seront nécessaires pour que l’Iran
rattrape le niveau économique et technologique de la Turquie. L’Iran du Chah
pouvait prétendre jouer les « gendarmes du Golfe » quand les Émirats arabes
unis, le Qatar, Bahreïn, Koweït ou même l’Arabie saoudite étaient de jeunes
États fragiles ou des puissances encore inféodées aux Britanniques ou aux
Américains. Quel que soit son régime politique, l’Iran devra composer. Ses
quinze voisins ne sont pas disposés à accepter les éventuelles prétentions
d’un Iran chiite, persan et longtemps « anti-impérialiste », à prendre le
leadership d’un Moyen-Orient à majorité sunnite, turque et arabe alliée de
longue date des pays occidentaux. L’Iran restera bien sûr un acteur central du
Moyen-Orient mais ne sera peut-être pas la puissance régionale de référence.
Sur le plan militaire, aucun pays de la région, même associé dans un
improbable pacte de sécurité, n’a la capacité de garantir seul la sécurité du
golfe Persique et des exportations de pétrole. Les forces armées iraniennes
sont très bien organisées pour défendre le pays mais n’ont pas de capacité de
projection à l’extérieur des frontières. Les États-Unis et leurs alliés resteront
longtemps présents sur place ou à proximité.
L’Iran peut-il être un leader du monde musulman ? L’échec de la
République islamique semble évident dans ce domaine. Le monde arabe et
sunnite a fait barrage à l’influence chiite de l’État persan. Le succès
incontestable obtenu au Liban avec la construction du Hezbollah ne saurait à
lui seul faire oublier combien l’islam politique, notamment dans ses
composantes radicales, n’est plus le fait de l’Iran. Les diverses communautés
chiites du monde, même si elles ont été encouragées dans leurs
revendications par la révolution iranienne, restent largement autonomes et
nationales. Le discours antisioniste radical iranien permet un succès
médiatique facile dans la « rue arabe », mais Téhéran n’a pas les moyens d’en
tirer un profit politique. Le riche État iranien peut par contre rester le
protecteur des chiites du monde pour compenser une certaine faiblesse
théologique et culturelle face au renouveau du chiisme irakien et libanais.