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Séquence Gargantua : la bonne éducation

Lecture linéaire 2 :

Pour mieux réussir, il l’introduisit dans les milieux de gens savants qui se trouvaient dans les environs ; par
émulation se développèrent en lui l’esprit ainsi que le désir d’étudier autrement, tout en se mettant en
valeur. Ensuite, Ponocrates le soumit à un tel rythme d’étude que Gargantua ne perdait pas une seule heure
de la journée mais qu’il consacrait tout son temps aux belles-lettres et à l’honnête savoir. Gargantua
s’éveillait donc
5 vers quatre heures du matin. Pendant qu’on le frictionnait, quelqu’un lui lisait une page des Saintes Écritures,
à voix haute et claire, avec la diction adéquate. À cette tâche était affecté un jeune page natif de Basché, du
nom d’Anagnostes1. Selon le thème de l’argument de cette leçon, souvent Gargantua se consacrait à révérer,
adorer, prier et supplier le bon Dieu dont la lecture montrait la majesté et les jugements merveilleux. Puis il
se retirait aux lieux d’aisances pour se purger de ses excréments naturels. Là son précepteur répétait ce qui
avait
10 été lu en lui expliquant les points les plus obscurs et difficiles. Cela fait, Gargantua était habillé, peigné,
coiffé, tiré à quatre épingles et parfumé. Pendant ce temps, on lui répétait les leçons du jour précédent. Lui-
même les récitait par cœur et il y appliquait quelques cas pratiques, relatifs à l’être humain. Ils écoutaient
parfois pendant deux ou trois heures au moins, mais d’ordinaire, ils cessaient lorsqu’il était complètement
habillé. Puis, pendant trois bonnes heures, on lui faisait la lecture. Cela fait, ils sortaient, tout en devisant sur
le sujet
15 de cette lecture. Ils se rendaient au Grand Bracque ou dans les prés, et ils jouaient à la balle, à la paume, à la
pile en triangle, ils exerçaient avec élégance leur corps, comme ils avaient auparavant exercé leur esprit. Tous
leurs jeux ne se faisaient qu’en liberté car ils abandonnaient la partie quand il leur plaisait. En règle générale,
ils cessaient lorsque leurs corps étaient en sueur ou que, pour une raison ou une autre, ils étaient las.
1. Anagnostes : lecteur (en grec).

Introduction :

Moine et médecin, François Rabelais, auteur du XVI° a correspondu avec les plus grands humanistes de son temps.
S’il produit dans un premier temps ses romans sous un pseudonyme, son érudition et son adhésion aux idées
humanistes y sont cependant très perceptibles. Ce texte est issu de Gargantua qui raconte les origines et la formation
du père de Pantagruel. Tiré du chapitre 23, ce texte contraste avec l’éducation peu exemplaire menée par des
sophistes cultivant l’absurdité et la répétition comme principales vertus pédagogiques.
Au contraire ce texte se place dans la dynamique de la Renaissance avec la redécouverte des textes antiques, la
renaissance des arts et des sciences, et l'ambition d'apprendre beaucoup mais aussi apprendre bien.
On peut dégager trois temps dans cet extrait.

Le premier mouvement (l. 1à 4) : De nouveaux principes pédagogiques


Le second mouvement (l.4 à 14) : Une éducation qui ne néglige ni l’âme ni le corps.
Le troisième mouvement (l.14 à 18) : l’exercice de toutes les facultés
Intérêt : Nous montrerons que l'éducation du géant relève à la fois de l'exercice intellectuel et de l'exercice
physique de la religion et de l'hygiène corporelle et qu’il est en cela caractéristique de l’éducation humaniste.

1. Une nouvelle éducation

Citations Procédés
« Pour mieux réussir, il l’introduisit dans Série de compléments circonstanciels, de but, de lieu, de manière qui

les milieux de gens savants. », « l’esprit indiquent les conditions de l’enseignement.

ainsi que le désir d’étudier autrement »

« un tel rythme d’étude que Gargantua Subordonnée qui exprime la conséquence

ne perdait pas une seule heure de la

journée »

« il consacrait tout son temps aux belles- Éloge du savoir qui associe ici grands textes et morale

lettres et à l’honnête savoir. »

La nouvelle éducation proposée par Ponocrates entre en rupture avec la première éducation reçue par Gargantua.
L’éducation de Gargantua est corrigée : un objectif est assigné, un nouvel environnement est défini, celui des savants
et intellectuels pour créer une émulation positive. Le nouveau précepteur de Gargantua est mis en valeur : il organise
l’emploi du temps du géant et refuse toute oisiveté. Le contenu de l’apprentissage est enfin précisé. Il renvoie au
savoir défendu par les humanistes.

2. Une éducation riche

Citations Procédés

« s’éveillait donc vers quatre Indications temporelles : la chronologie est appuyée par la proposition
heures », « Pendant qu’on le subordonnée de temps Verbes conjugués exclusivement à l’imparfait
frictionnait »

« quelqu’un lui lisait une page des Utilisation d’adjectifs dont le sens positif met en valeur les textes sacrés
Saintes Écritures, à voix haute et
claire, avec la diction adéquate. »

« révérer, adorer, prier et supplier le Énumération de verbes à l’infinitif


bon Dieu »

« lieux d’aisances pour se purger de Effet comique de la confrontation entre les besoins de Gargantua et la
ses excréments naturels », « en lui hauteur de la réflexion mise en valeur par les superlatifs
expliquant les points les plus obscurs
et difficiles »
« habillé, peigné, coiffé, tiré à quatre Énumération de participes passés
épingles et parfumé. »
« Pendant ce temps, on lui répétait Compléments circonstanciels de temps
les leçons du jour précédent. »
« Puis, pendant trois bonnes heures, Le sujet « on » renvoie au maître, tandis que le pronom COI « lui » renvoie
on lui faisait la lecture. » à Gargantua

L’emploi du temps de Gargantua est parfaitement structuré. De nouvelles habitudes sont mises en place. Les Saintes
Écritures constituent le socle du savoir : elles doivent être comprises du géant. Chez les humanistes, le savoir est
indissociable de la morale et de la religion. L’éducation occupe tout le temps de Gargantua même les plus intimes. Le
rire semble renvoyer au bas corporel, tandis que le savoir et la réflexion sont à mettre en rapport avec la tête. Mais
ici, rire et savoir sont intimement liés : Rabelais n’oppose pas le haut et le bas du corps. Le narrateur insiste sur les
étapes logiques de l’éducation du géant dans l’ordre chronologique. Rabelais insiste très tôt sur l’hygiène corporelle
qui est associée à l’hygiène morale. L’hygiène devient un signe d’humanité : Gargantua grandit aussi dans ce sens.
Deux activités sont donc systématiquement menées de front. Chaque moment est utile à l’éducation : il y a une
continuité des savoirs, ce qui prouve que le savoir se construit progressivement. La pédagogie des nouveaux maîtres
est exposée : l’élève s’approprie le savoir avant d’en vérifier l’exactitude par lui-même. L’enseignement mélange le
théorique et le pratique. Les rôles sont clairement distribués : le maître est entièrement disponible pour son élève.
Celui-ci n’est pas actif ; son attention doit cependant être totale.

3. L’éducation corporelle

Citations Procédés
« Cela fait, ils sortaient, tout en Verbe de mouvement et compléments circonstanciels de temps et de
manière
devisant sur le sujet de cette
lecture. »
« ils jouaient à la balle, à la paume, à Énumération de jeux
la pile en triangle, »
« Tous leurs jeux ne se faisaient négation restrictive
qu’en liberté car ils abandonnaient la
Le lexique du jeu est associé au lexique du plaisir
partie quand il leur plaisait. », « leurs
corps étaient en sueur », « las »
« ils exerçaient avec élégance leur Subordonnée circonstancielle de comparaison et polyptote du verbe
« exercer »
corps, comme ils avaient auparavant
exercé leur esprit. »

Le mouvement vers l’extérieur signale une nouvelle étape dans le programme du géant mais l’exercice intellectuel
n’est pas abandonné pour autant. La dimension ludique n’est pas occultée. Le jeu et la liberté constituent d’autres
apprentissages mais restent associés à l’idée de l’exercice et de l’effort. L’accent est ici mis sur la pratique et sur les
activités ; l’élève ne peut être passif. L’exercice de l’esprit et du corps forme un ensemble. Rabelais reprend ainsi de
Juvénal, un auteur de l’Antiquité, le principe du mens sana in corpore sano, un esprit sain dans un corps sain.

Conclusion
Ce texte présentant une méthode d’éducation inédite, par son volume ou par ses formes. Il présente des
caractéristiques humanistes marquantes, sur l'intérêt pour l'homme, son corps, pour les sciences ou encore
l'Antiquité. Il résume la philosophie de Rabelais, à savoir que la vie est un tout qui doit comprendre les loisirs et les
plaisirs du corps, la vie intellectuelle et les besoins physiques.
Publié pour la première fois en 1580, De l'institution des enfants est l'un des textes les plus célèbres des Essais.
Montaigne (1533-1592) y dénonce les années passées au collège qui n'ont servi qu'à abâtardir ses précieux acquis.
Contre le décervelage, il énonce les principes de son idéal pédagogique, une des obsessions de la Renaissance :
former le jugement plutôt qu'accroître le savoir, tenir compte de la personnalité de l'élève, ne rien imposer avec le
seul argument d'autorité, et affermir autant le corps que l'esprit.

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