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JEAN-PHILIPPE
LACHAUX
Directeur de recherche à l’Inserm, au Centre
de recherche en neurosciences de Lyon.
Comment devient-on
plus intelligent ?
En s’entraînant à décomposer les problèmes
complexes en tâches plus simples, il est bel
et bien possible de développer une composante
cruciale de l’intelligence.
e me souviens d’avoir été composantes du QI, le test des « matrices laissée vide. Le but du jeu est de deviner,
frappé, aux États-Unis, par le fait que de Raven ». Ce test est un des plus prati- parmi plusieurs autres figures, celle qui
de nombreux étudiants déclaraient qués pour mesurer « l’intelligence fluide », devrait logiquement occuper la case
aller à l’université pour devenir plus c’est-à-dire la capacité à résoudre des vide. Il s’agit donc, pour la personne qui
intelligents (« to get smarter »). Venant problèmes nouveaux. L’idée des cher- passe le test, de déceler une organisation
de France, où on a vite tendance à se cheurs était de mieux comprendre logique dans la manière dont les figures
considérer comme intelligent (ou pas) quelles compétences cognitives sont réel- sont construites et disposées dans le
dès l’école primaire, je n’étais pas habi- lement mises en jeu dans ce test, dans le tableau. Pour vous faire une idée, vous
tué à considérer l’intelligence comme but de savoir si, oui ou non, la forme pouvez imaginer que chaque figure est
une capacité susceptible d’évoluer avec d’intelligence qu’il mesure peut être composée par exemple d’une flèche hori-
le temps et avec ce qu’on apprend. entraînée ou apprise. zontale pointant vers la gauche ou vers
Et pourtant, de quoi dépendent l’in- la droite, d’un trait vertical traversant ce
telligence et ce fameux QI que beaucoup COMPLÉTER LA QUATRIÈME CASE trait horizontal au milieu ou le jouxtant
considèrent aussi stable et gravé dans le Dans sa version simple, une matrice sur le côté, et d’un disque vide ou plein.
marbre que la couleur des yeux ? Dans de Raven est un tableau de quatre cases Les différentes combinaisons de ces
une étude toute récente, le chercheur (une « matrice » de deux lignes et deux attributs permettent de créer des suites
anglais John Duncan et ses collègues se colonnes) avec une figure différente de figures logiques, en fonction de la
sont penchés plus en détail sur une des dans trois de ces cases, et une case position de la figure dans le tableau, etc.
Les clés de la
progression sont une
attention stabilisée
et la décomposition
des choses complexes
en éléments simples
L’équipe anglaise a créé deux ver- « minitâche » ou de « minimission » – est score et la réussite au test, mais unique-
sions de ce test. Dans une première beaucoup plus simple à réaliser que la ment dans sa version globale. En
condition – la version « globale » –, les tâche globale : ainsi est-il évident – si les revanche, tout le monde réussissait
participants devaient réaliser l’exercice deux flèches des cases de gauche l’exercice aussi bien dans sa version par
comme je viens de le décrire. Dans une pointent vers la gauche, et que la flèche étapes. Les participants les plus « intelli-
deuxième condition – la version « par située à droite pointe vers la droite – que gents » (notez les guillemets que j’ajoute)
étapes » –, on leur présentait les élé- la flèche attendue en bas à droite doit ne se distinguaient que par leur capacité
ments des figures les uns après les pointer… vers la droite. à décomposer d’eux-mêmes le test – dans
autres : d’abord les flèches horizontales, sa version globale – en une suite d’étapes
puis la ligne verticale, puis le disque… ÊTRE INTELLIGENT, simples. Les moins « intelligents » avaient
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avec pour consigne à chaque fois de C’EST SAVOIR DÉCOMPOSER besoin qu’on le fasse à leur place.
deviner l’élément attendu dans la case En examinant les résultats d’une Ce qu’en déduisent Duncan et son
vide. Cette version par étapes forçait trentaine de sujets en fonction de leur équipe, c’est que le succès dans cette
donc les participants à s’intéresser score d’intelligence fluide (la capacité tâche dépend de la capacité à procéder
séquentiellement à chaque élément pour générale de résolution de problèmes, de par étapes, et à s’intéresser aux seules
chercher une logique pour cet élément- compréhension et de raisonnement), les informations importantes pour chacune
là, en ignorant les autres. Chaque chercheurs ont démontré l’existence d’entre elles. Duncan nomme cette com-
étape – qu’on pourrait qualifier de d’une forte corrélation positive entre ce pétence « l’intégration attentionnelle »,