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IL JOUE ELLE JOUE

Joujou, les babines retroussées, l’œil malin, restait droit et raide comme un petit chien
debout sur ses pattes arrière. L’assaut se préparait.
Kevin se pencha vers Justine, les draps du lit se froissèrent dans la fantaisie des jambes.
Dans le désordre des corps nus, Joujou chercha son chemin. Reniflant l’odeur humide de la
volupté, il trouva rapidement la caverne du plaisir. Les bouches des amants s’emboitèrent à
l’unisson des sexes, cherchant dans la nuit des palais le désir de l’autre. Joujou, par ses allers et
retours au fond du tunnel, transmit l’envie rageuse de toujours vouloir plus, jusqu’à ce que la
petite mort sépare son maître de sa chérie. Ce fut l’explosion des corps. Justine essaya bien de
retenir les jambes de son amant, mais Kevin le bienheureux se tourna sur le dos et soupira.
— Alors, tu as aimé ? d’autant qu’avec ma barbe de quinze jours, ça fait plus viril !
Justine se tourna vers son amant et déposa un baiser sur son ventre. Il s’échappa un
murmure du creux du nombril.
— Ce n’est pas avec ta barbe que j’ai besoin de virilité.
Kevin se souleva, les avant-bras sur le drap.
— Qu’est-ce que ça signifie, souffla-t-il d’un sourire plaisantin ?
— Cela signifie, ironisa-t-elle, cela signifie, mon amour, que ton Joujou m’a semblé un
peu trop rapide ce matin, tu m’as appris de plus belles nuits d’amour, et pour moi, la vraie
virilité d’un homme, ce sont ses caresses, ses mots doux, cette chair qui s’approche avec
tendresse et prudence pour une union sacrée des corps. Ce matin, ton coup de reins a manqué
de délicatesse, et Joujou s’est jeté sur sa gamelle comme un petit chien qui mange sans apprécier.
Il en a même vomi !
Elle éclata de rire, fière de sa réponse.
Kevin prit un ton plus sérieux.
— Pourquoi compares-tu souvent mon sexe à un petit chien ?
Justine lui chatouilla le bout du nez de son index.
— Parce qu’un petit chien, ça ne fait que quémander, et dès qu’on approche sa gamelle,
il dévore tout sans même apprécier.
— Vu mon sexe, tu pourrais dire un gros chien, s’exclama le mâle fier de son Joujou.
Justine s’assit sur le bord du lit, se pencha pour ramasser sa culotte sur le plancher. Elle
se tourna vers Kevin.
— Toujours pas décidé à divorcer ?
— Manon recherche un appartement à Lons, elle ne vivra donc plus avec moi, c’est une
séparation de fait, c’est déjà un premier pas.
Justine savait que la femme de Kevin était lesbienne et couchait fréquemment avec sa
copine Belinda. Mais elle savait aussi que Manon était bisexuelle, elle aimait toujours son mari,
et Kevin aimait sa femme, ça transpirait au travers de ses chuchotements sur l’oreiller, Kevin
croyait lui glisser des mots doux, mais Justine entendait des paroles acides.
— Manon ne couche plus avec moi, dit Kevin, mais ma femme est une fille bien, alors je
veux une séparation en douceur.
Justine se leva, ne sachant quoi penser des arguments de son chéri.
— En fait, c’est comme moi avec Modi, mon ex, nous ne couchons plus ensemble, mais
nous restons amis, il s’occupe de ma paperasse, fait quelques bricoles chez moi et c’est tout.

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Elle marqua un temps d’arrêt, jeta un regard en coin vers Kevin toujours allongé sur le lit,
elle poursuivit :
— Sauf que moi, j’ai divorcé.
Pour toute réponse Kevin se mit à genoux sur le lit, se pencha vers sa chérie et déposa un
baiser sur son épaule nue. Justine tourna la tête vers lui. Leurs lèvres se frôlèrent et la bouche
de Kevin avala les murmures de l’amoureuse :
— J’ai envie de revendre mon appartement de Lons et de venir vivre avec toi.
Il sauta du lit et enfila son caleçon.
— Mais… mais, ne trouves-tu pas tout ça un peu précipité ? Manon, qu’en penserait-elle ?
— Ta femme, ta femme, toujours ta femme ! Mais si tu l’aimes tant, fallait rester avec
elle, et pourquoi ne pas faire ménage à trois, Belinda, Manon et toi ?
Kevin essaya de sourire devant l’emportement soudain de son amante.
— Te rappelles-tu tes leçons de philosophie il n’y a pas si longtemps ? Te rappelles-tu ce
que tu affirmais ? « Je ne crois pas à la rengaine populaire : on n’est jaloux que de ce que l’on
aime, en fait le véritable amour est au-dessus de ça. Lorsqu’on est amoureux, il faut savoir
sacrifier son égo pour ne voir que le bonheur de l’autre. »
— Alors ton bonheur, si je comprends bien, c’est de continuer d’aimer ta femme ?
— Allez, ma chérie, maintenant que j’ai la chance de pouvoir t’aimer, de te faire l’amour
avec la pleine et entière autorisation de ma femme, de vivre enfin heureux au grand jour tous
les deux, on ne va pas se fâcher pour une question de délais.
Justine lui caressa la joue.
— Je pars préparer le petit-déj.
Ils s’habillèrent rapidement, et après un tour à la salle de bains ils s’assirent à la table
haute de la cuisine.
Ce ne furent que des paroles amoureuses durant tout le petit-déjeuner, et des bisous,
beaucoup de bisous. Justine déposa un dernier baiser sur les lèvres de Kevin, plus long, plus
savoureux. Elle quitta son amant à regret pour rejoindre son appartement de Lons-Le-Saunier.
— À demain soir chez moi, déclara-t-elle en lui envoyant un baiser du bout de ses doigts
humides.
À peine la porte d’entrée fut-elle refermée que Kevin s’empara de son téléphone.
— Allo ! Docteur Chapelier, c’est pour le rendez prévu au sujet de Joujou, enfin, de mon
sexe.

En cette douce matinée de juillet, la Kawasaki dégringolait le col de la Givrine, côté


Suisse. Malgré l’heure matinale, le soleil grimpait dans le ciel azur et éblouissait le motard.
Kevin filait vers l’est, direction Lausanne. La griserie de la vitesse s’était à nouveau emparée
de lui puisque le docteur Chapelier lui avait confirmé qu’il pouvait à nouveau chevaucher sa
moto à longueur de journée, que les vibrations ne posaient plus aucun problème à son
entrecuisse. À la sortie du premier virage en épingle après Saint-Cergues, Kevin jeta un coup
d’œil dans le ravin, se rappelant son vol plané en VTT l’année précédente, ce terrible accident
qui lui couta l’amputation de son sexe, suivie de cette invraisemblable opération à l’hôpital de
Lausanne. Il avait désormais un sexe clipsable entre les jambes, et ma foi, cela lui convenait
assez bien, à part quelques déconvenues passées dues à son tempérament étourdi, mais aussi à
la cupidité de quelques tristes individus de son entourage. À se remémorer ces douze derniers
mois chaotiques, il ralentit l’allure, désireux de ne pas replonger dans ce satané ravin. Un sexe

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mutilé suite à un accident de VTT, c’était déjà grave, alors qu’arriverait-il après un vol plané
en Kawa ? Le reste de la descente fut donc plus sage, et vers dix heures la moto s’engouffrait
dans la cour de l’hôpital.
Kevin patientait sous les LED de la salle d’attente blanche lorsqu’une dame, tout en blanc
elle aussi, ouvrit la porte du cabinet :
— Monsieur Kevin Rumber ?
Un hochement de tête lui répondit.
— Le chirurgien-chef de notre service transgène vous attend, veuillez entrer.
Kevin se leva, la dame en blanc s’effaça pour le laisser passer. Assis derrière un grand
bureau, dans un fauteuil trop grand pour sa petite carcasse, le professeur Chapelier se leva et
serra la main de son patient. Il désigna une chaise en face de son bureau.
— Installez-vous, monsieur Rumber.
Le chirurgien reprit sa place, posa ses doigts croisés sur le sous-main. Son visage
souriait. Il connaissait parfaitement son patient à force de rendez-vous, de suivis, d’examens, et
surtout ce n’était pas un patient comme les autres. Ici, Kevin était une star, le fruit bioéthique
engendré par le service transgène de l’hôpital de Lausanne et de son maintenant célèbre
chirurgien, le professeur Chapelier. Imaginer puis inventer un sexe prothèse, il fallait y penser,
lequel fonctionnait parfaitement : il faisait pipi, il se rétractait après l’amour pour qu’il puisse
se ranger facilement dans le slip, il se recroquevillait lorsqu’il avait froid, il dégoulinait de sueur
et puait lorsqu’il avait chaud, il bandait souvent sous la vigueur des trente-six ans du beau Kevin.
Alors le mâle laissait glisser sur les corps féminins un joli sperme gris taureau charolais. Parfois
il s’empressait d’éjaculer à l’intérieur des corps, et ce, par toutes les ouvertures possibles.
— Alors Kevin ! Est-ce que désormais je peux vous appeler Kevin ? Votre Joujou est
quelque part un peu mon enfant, non ? Est-ce que vous êtes prêt pour que l’on puisse fixer
définitivement votre sexe à votre corps ?
— Oh oui ! bien sûr, professeur Chapelier ! Depuis le temps, il me tarde. Finis les
ennuis, le sexe perdu ou volé, ce jouet ridicule aux mains de n’importe qui.
— N’importe qui, n’importe qui, vous avez bien voulu le mettre parfois dans les mains
de qui vous vouliez, n’est-ce pas Kevin ?
Et pas que dans les mains, pensa Kevin sans oser cette réplique d’un humour douteux
envers ce petit professeur devenu une célébrité. Penché en avant sur sa chaise, il leva un doigt
comme pour demander la permission de poser une question.
— Avant cette opération, il faut que je vous expose un petit problème. Oh, pas grave !
depuis que ma femme m’a rendu mon sexe le mois dernier je fais toujours bien attention de
nettoyer la plaque carbone et les microconnexions suivant vos recommandations, mais voilà,
j’ai parfois mal en bas du ventre, et plutôt après avoir fait l’amour.
Le professeur Chapelier fronça les sourcils.
— Mon adjoint Félix m’en a parlé.
— Ah ! mon ami Félix vous a déjà tout expliqué. C’est vrai que je me suis confié à lui il
y a quelques jours. Je craignais que ce petit problème ne retarde l’opération pour la fixation
définitive de mon sexe.
— En effet cela peut retarder l’opération, il va falloir faire des analyses, prises de sang,
etc.
— Ah non Docteur ! ne me dites pas que mes ennuis vont continuer !
— J’espère qu’il n’y a rien de sérieux au niveau de la prothèse. Pour aujourd’hui nous
allons juste faire un prélèvement sanguin. Il faudra néanmoins repartir chez vous sans votre
sexe. J’ai besoin de le contrôler.
Devant la mine apitoyée de Kevin, le professeur ajouta :
— Deux jours, juste deux jours. Vous reviendrez après-demain récupérer votre Joujou.
On fixera le rendez-vous pour l’opération. Ce sera dans les trois semaines à venir avant que je

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parte quelques jours en vacances. En espérant toutefois qu’il n’y aura pas de problèmes avec
votre prothèse. Nous en avons terminé de cet entretien. Je vous laisse rejoindre le laboratoire
pour une prise de sang. Ensuite vous remettrez votre sexe à ma collaboratrice qui vous attendra
à la sortie de l’alcôve mauve. À vendredi, disons 10 h 30, cela vous va ?
— OK, répondit Kevin dans un soupir.
Il quitta le cabinet du docteur, tout à ses pensées. Il n’allait pas pouvoir faire l’amour avec
Justine demain soir. C’est sûr, sans Joujou ce serait compliqué. Tant pis il ira quand même à
Lons pour des câlins et quelques jeux de langues… non, pas de jeux de langues, cela va entrainer
trop de libido dans son cerveau, lequel sera incapable d’emmener son envie vers un sexe qui
n’existe pas. Pas de sensations exquises donc, juste de la tendresse. Il s’en contentera, ce n’était
d’ailleurs pas si mal : l’hiver dernier, il n’avait jamais tant apprécié sa femme Manon que
lorsqu’il était eunuque.
Dès la prise de sang effectuée, il se dirigea vers la salle des donneurs de sperme et
l’alcôve mauve. Personne dans le grand vestibule. Il referma la porte derrière lui et tourna le
verrou. Il négligea les revues pornos qui s’affalaient en désordre sur une table basse puis il
franchit l’ouverture qui donnait sur l’alcôve. Il s’empara de la télécommande. Sur l’écran en
face du lit de coin apparut une vidéo cochonne : deux lesbiennes faisaient l’amour, l’une blonde
comme Manon, l’autre brune comme Belinda. C’était son feuilleton préféré. Il se déshabilla en
deux temps, trois mouvements, s’allongea sur le lit, redressa l’oreiller derrière sa tête. Il avait
gardé son caleçon, histoire de le retirer lentement au gré de la fantaisie des deux lesbiennes qui
semblaient le narguer. Dans son imagination, c’était Manon la blonde. Dès que Belinda la brune
se mit à brouter la toison dorée, Joujou sauta de joie, s’éleva rapidement sous la main de son
maître, et le corps explosa si vite qu’il fallut débrancher le sexe prothèse avant qu’il ne se
rétracte trop vite sinon Kevin risquait de ne plus pouvoir le retirer. C’était, hélas, un des
inconvénients de ce sexe clipsable, Joujou séparé du corps demandait à rester dur et ferme.
Il s’habilla, déposa Joujou dans une boite métallique tapissée de soie blanche. Il referma
la boite, quitta l’alcôve, traversa l’immense vestibule, déverrouilla la porte qui donnait sur le
couloir et l’ouvrit. Il tenait la boite métallique dans sa main. Surprise ! Une silhouette fine, deux
immenses yeux bleus et une chevelure blonde lui souriaient.
— Giulia !
Il dévisagea l’infirmière de son sourire charmeur.
— Laissez-moi vous embrasser. Il y a si longtemps.
— Si longtemps ? Non, pas si longtemps que cela, nous nous sommes rencontrés au mois
de novembre de l’an passé, ça fait à peine six mois ou bien.
— Six mois ! mais c’est une éternité pour revoir une aussi jolie fille que vous.
Giulia montra un sourire étrange.
— Toujours amoureux de votre femme, Kevin ? Parce que la dernière fois que nous nous
sommes vus, notre rencontre ne manquait pas de piment.
— Disons plutôt : la dernière fois que vous m’avez vu. C’est vrai que ce jour-là j’avais
besoin de vous pour que ma femme et moi puissions jouer les exhibitionnistes, cela nous a
tellement excités que nous avons pu réveiller Joujou malade. Grâce à votre voyeurisme, j’ai pu
bander et ma femme a pu déclipser mon sexe pour que votre équipe médicale puisse le soigner.
Je vous en remercie vivement.
— Oh, je ne suis pas adepte de voyeurisme, j’ai accepté votre demande dans l’intérêt de
vos soins.
— Alors, répondit Kevin dans un large sourire, vous l’avez trouvé comment, mon sexe ?
— Ben, je ne l’ai pas trouvé, même pas vu, il faut dire que dans la pénombre de l’alcôve
avec ses spots mauves je distinguais mal… ou peut-être votre Joujou était-il trop petit ?

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Ils éclatèrent de rire ensemble. Kevin crut nécessaire de se justifier, il ouvrit la boite
métallique et montra Joujou à l’infirmière, une goutte de sperme gélatineux se figeait au bout
du gros sexe.
Ils se décidèrent enfin pour un échange de bisous. Toujours dans l’encadrement de la porte,
Kevin entraina la jeune infirmière à l’intérieur du grand vestibule de l’alcôve.
— Où m’emmenez-vous ?
— N’ayez crainte, Giulia, je ne vous emporte pas sur le lit de l’alcôve, je ne me le
permettrais pas, je veux juste fermer la porte du couloir, j’ai besoin de discrétion.
À demi rassurée, Giulia fixa Kevin avec des yeux étonnés.
— Vous m’avez demandé si j’étais toujours amoureux de ma femme.
Il marqua un temps d’arrêt.
— J’aime énormément ma femme. Amoureux ? Je ne sais pas, peut-être. Manon est
bisexuelle, elle aime une autre femme. Elle s’appelle Belinda. Ma femme va quitter notre
appartement prochainement, elle part habiter à Lons-Le-Saunier.
— Désolée, je ne pouvais pas deviner.
— Je suis plus heureux maintenant. Me voilà libre et je peux mener la vie que je veux.
De plus, Manon et moi nous nous accordons très bien. C’est mieux pour le petit Liam.
— Je suis contente pour vous, Kevin. Au fait, pourquoi avez-vous eu besoin de
débrancher votre sexe ? Serait-il encore malade ? J’ai appris par le professeur Chapelier que
vous aviez besoin d’analyses complémentaires.
— Je dois me faire opérer prochainement pour fixer définitivement mon sexe à mon corps.
Ce ne sont sûrement que des examens de routine avant le grand jour.
Il tendit la boite métallique à l’infirmière.
— Tenez, voilà votre malade, prenez-en soin. Et ne jouez pas avec, promis ?
Pour toute réponse, Giulia piqua un fard et s’en alla dans le couloir.
Kevin, eunuque pour deux jours, regarda les plis de son pantalon au niveau de sa braguette
puis sortit à son tour.

La moto remontait le col de la Givrine, et midi sonnait lorsque Kevin traversa le bourg
de Saint-Cergues. Le téléphone vibra dans sa poche. Il prit le temps de se garer sur la place du
village. C’était un SMS de l’Hôpital de Lausanne. On lui confirmait le jour et l’heure de son
opération pour relier définitivement son sexe à son corps. Ce sera le 2 aout à 7 h du matin.
Génial ! se dit Kevin, cette prise de rendez-vous si rapide confirmait que son mal de ventre ne
posait pas de problème. Il allait enfin retrouver le bonheur d’un sexe bien accroché à son bas-
ventre, finies les humiliations, les péripéties débiles de ce sexe prothèse. Il enfourcha sa bécane,
le cœur joyeux, direction Champagnole.
Sur sa Kawasaki, Kevin roulait doucement le long de cette route de montagne. Il
appréciait les paysages verts, la couleur des sapins et des prairies où le foin fauché gonflait ses
narines d’un parfum agréable. Parvenu dans les faubourgs de Champagnole, il bifurqua à
gauche, direction Cize. Sachant son épouse chez sa copine Belinda, il avait décidé de courir
chez son ami Tristan pour une petite causerie, et comme il était midi, peut-être resterait-il pour
déjeuner si Cloé était de bonne humeur.
Il cala sa moto sur la béquille, monta jusqu’au perron, frappa et entra sans attendre.
— Bonjour la compagnie, cria-t-il dans le hall.
Cloé s’avança dans le couloir, tout sourire.

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— Coucou Kévin, c’est sympa de passer nous voir.
Ouf, elle est de bonne humeur, je vais peut-être déjeuner avec eux.
Après le bisou de circonstance, il vit Tristan s’avancer vers lui.
— Salut beau gosse. T’arrives toujours pile-poil pour manger. Y a assez pour nous trois,
n’est-ce pas Cloé ?
— Oh oui, pas de problème, je vais vite remettre une escalope dans la poêle.
Pendant que la viande mijotait sur son lit de pommes de terre rissolées, tous trois
prirent l’apéritif. Pontarlier anis pour les deux mecs comme d’hab et un verre de Macvin pour
Cloé. Installé confortablement dans un fauteuil du salon, Kevin attrapa une poignée de
cacahuètes. Alors que l’arachide craquait encore sous sa dent, il s’enthousiasma :
— Ça y est, on va enfin rattacher définitivement mon sexe. On m’opère le 2 aout, dans
moins d’un mois donc. Il parait que je ne resterai qu’un jour à l’hôpital. Y a juste à clipser le
sexe comme avec la prothèse, et pour qu’il reste soudé au corps, ils ont un procédé
révolutionnaire hyper simple.
— Génial, répondit Tristan, finies toutes tes emmerdes !
Cloé baissait les yeux. Elle qui avait tenu entre ses mains ce beau gros sexe, un gode
qu’elle avait apprécié, suivi d’une jouissance grandiose. Plus jamais elle ne pourrait
recommencer. Cela avait été facile d’aguicher Joujou alors qu’il trainait ce jour-là sur le buffet
de la salle à manger, mais cela devenait plus compliqué d’alpaguer le bel homme dans son entier.
Elle souleva enfin les yeux et murmura :
— C’est mieux comme cela, Kevin. Ta femme et ta maîtresse vont apprécier.
Kevin qui avalait son verre de Pontarlier faillit s’étouffer. Il reposa le verre en crachant
son glaçon.
— Qu’est-ce que tu insinues, Cloé ? Je n’ai pas une femme et une maîtresse, j’ai juste
changé de femme.
— Pourtant l’autre jour, vous sembliez très bien vous entendre tous les trois autour du feu
de la Saint-Jean à Saint-Laurent.
— Je ne vois pas le rapport. Ce n’est pas parce que je couche avec Justine que j’ai besoin
de faire la gueule à ma femme. Manon respecte ma nouvelle union et moi je respecte la sienne.
Oui, on s’entend bien tous les deux. Où est le problème ?
— Ben oui, où est le problème, renchérit Tristan en regardant son épouse, nous deux,
nous nous entendons bien, pourtant…
« Pourtant » fut le mot de trop.
Cloé se souleva de son fauteuil d’un bond.
— Finis ta phrase, pourtant quoi ? Pourtant moi aussi j’ai une maîtresse, moi aussi je
couche ailleurs, allez… dis-le !
Tristan voulut se justifier en posant sa main sur l’épaule de sa femme.
— Pourquoi tu t’énerves comme ça, ma chérie ? J’étais en train de dire : nous deux, nous
nous entendons bien, pourtant… on s’engueule parfois.
— C’est ça, prend moi pour une cruche.
Tristan se tourna vers son pote.
— Dis-lui, toi, que je n’ai pas de maîtresse.
Kevin essaya de sourire.
— Tu sais, ça, ce n’est pas le genre de chose que l’on chante sur tous les toits.
— Alors toi aussi tu penses que j’ai une maîtresse.
— Non, pas du tout, je dis tout simplement que je n’en sais rien.
— Du coup ça veut dire, d’après toi, qu’il est possible que j’en aie une.
Kevin préféra changer de conversation alors que Cloé retournait dans sa cuisine, boudeuse.
— Dès que Joujou sera fixé à mon sexe, on pourra repartir en VTT. Il me tarde. Faudra
juste faire gaffe dans les descentes.

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Puis il ironisa tout bas en se levant de son fauteuil :
— Cloé ne semble pas de très bonne humeur. Je préfère vous laisser tous deux en
amoureux.
— Tu as raison, l’ambiance ne serait pas géniale à table. À plus, beau gosse.
Alors que Kevin enfourchait sa bécane, Tristan sortit de la maison, s’approcha de lui et
tendit une boite plastique.
— Tiens, voilà ton escalope avec les patates, sinon ta bouffe partait à la poubelle, déjà
que je ne suis pas sûr de manger. Quant à Cloé, sûr, elle ne va rien bouffer. Elle me fait chier à
toujours me suspecter.
— Elle a raison, tu ne crois pas ?
— Tu ne vas pas t’y mettre aussi. Au fait, tu as bien dit que ton opération était pour le
2 aout, mon anniversaire, c’est le 3 aout, ça tombe hyper bien. On fête ton retour à ton corps
normal en même temps que mon anniversaire.
Tristan se tourna vers la maison pour voir s’il n’était pas surveillé puis ajouta tout bas :
— Et pour le feu d’artifice le lendemain j’organise une partouse d’enfer avec cette grosse
salope d’Agathe, comme l’an passé où l’on avait tant ri. Tu te rappelles quand on courrait après
le chien qui t’avait piqué ton sexe et qui ne voulait pas te le rendre. Quelle grosse rigolade !
— Non Tristan, c’est fini tout ça. Je suis amoureux et il n’est plus question de partouse.
Je fais l’amour avec Justine matin, midi et soir et ça me va bien.
Alors que le moteur de la Kawa ronflait et que le casque abritait déjà la tête de Kevin,
Tristan lança.
— Eh, grand macho, vient quand même à mon anniv.
Un hochement du casque confirma l’accord.

L’escalope et les patates au micro-onde furent chaudes en quatre minutes. Un quart


d’heure plus tard, Kevin grimpait sur sa moto. Arrivé devant la porte de l’appartement de
Justine, il se souvint qu’il allait retrouver sa chérie sans lui faire l’amour. Il sonna. On ouvrit.
— Coucou ma chérie.
Il sauta dans les bras de son amante, ils s’embrassèrent sur les lèvres entrouvertes, debout
au milieu du couloir. Les jambes fléchirent plus vite que les langues, et Kevin dut porter Justine
jusqu’à la méridienne. Ils s’écroulèrent sur le velours mauve et s’embrassèrent à nouveau. Une
main féminine caressa la nuque du mâle puis le dos par-dessous la chemise.
— Non chérie, inutile de t’exciter, nous ne ferons pas l’amour cet après-midi, Joujou est
à l’hôpital pour deux jours.
Justine se redressa sur ses coudes, le visage soucieux.
— Joujou est encore malade ?
— Non, ce sont juste des examens complémentaires avant l’opération. Eh oui, ça y est,
c’est programmé pour le 2 aout. Bientôt finis tous les soucis d’un sexe qui s’envole n’importe
où.
Elle embrassa encore Kevin, se releva du canapé, partit au réfrigérateur. Elle revint avec
une demi-bouteille de Champagne.
— On va fêter ça.
Elle se pencha vers Kevin et l’embrassa encore.
Assis sur le bord du sofa, ils trinquèrent à la santé du prochain corps de Kevin, un et entier.
Plus de Joujou autonome toujours prêt à leur jouer des tours, bientôt ils feront l’amour sans
intermédiaire, et Joujou ne sera plus qu’un organe sexuel mâle comme les autres.

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Justine posa son deuxième verre vide sur la table du salon, les longs cheveux ondulés
glissèrent sur l’épaule de son amant. Le champagne embrumait les cellules grises. Elles
révélèrent alors les états d’âme de la jolie brune. Elle murmura au creux de l’épaule de son
amant :
— Si tu ne veux pas divorcer tout de suite, ça m’est égal si en contrepartie tu me fais un
enfant.
Kevin s’écarta et fixa les yeux noisette et brillants de son amante.
— Mais… mais c’est la première fois que l’on me demande cela depuis que mon sexe est
prothèse.
— Pourquoi « on » ? Beaucoup d’autres femmes n’ont pas osé en te faisant l’amour ? Faut
croire qu’elles étaient juste là pour le sexe, elles n’étaient pas amoureuses.
— Où vas-tu chercher tout cela ? Quand je dis « on », je parle de toi et de ma femme.
Jamais je n’aurais pensé que toi ou Manon me demanderiez cela alors que j’ai un sexe qui n’est
pas encore fiable.
— D’après les médecins, si. Quoi qu’il en soit je veux bien attendre que Joujou soit
définitivement rattaché à ton corps.
— Oh là ! Tu veux un enfant de moi aussi rapidement que cela ?
Justine plissa le front.
— Ne me dis pas qu’après ton refus de divorcer, tu me refuserais aussi un enfant. Tu n’es
peut-être pas aussi amoureux que tu le laisses paraitre ? Devant les grandes décisions, tu joues
au lâche.
— Ah non ! On ne va pas se fâcher à nouveau. Pour l’enfant je suis OK, il faut juste
patienter un peu.
— Tu me dis pareil pour ton divorce. Patienter, patienter encore et toujours.
Kevin enserra les doigts de sa chérie dans ses mains.
— Je t’aime.
Justine approcha ses lèvres de la bouche de son amant. Un murmure s’échappa dans le
mélange des haleines :
— Dis-moi que tu es d’accord pour me faire un enfant avant la fin de l’année.
— Oui, et ce jour-là je te ferai l’amour comme jamais, et Joujou sera si vigoureux qu’il
projettera une énorme semence pour que tu enfantes du plus joli des bébés.
Le soleil de l’après-midi se faufilait derrière les volets entrouverts de l’appartement,
dessinait des éclats violets sur les murs du salon. Kevin rêvait devant les arabesques mauves et
dorées, la tête appuyée sur le dossier de la méridienne, une main serrant les doigts de sa chérie.
— Après-demain je t’emmène à l’hôpital de Lausanne. Au fait, ça y est, j’ai vendu ma
moto, elle part la semaine prochaine. Tu vois comme je t’aime, j’ai fait le sacrifice de me séparer
de cet engin adoré puisque tu hais les motards.

Le lendemain matin Kevin chevaucha sa moto, dévala les Monts de Vaux pour rejoindre
Poligny. Dans le studio au centre de la petite ville, il embrassa tendrement son épouse et déposa
un baiser sur la joue de Belinda. La jolie métisse avait dégagé sa main qui entourait la taille de
son amie Manon. Les deux filles, malgré l’heure tardive de la matinée, restaient en déshabillé.
Elles s’empressèrent chacune de passer une robe de chambre. Faut dire que Kevin avait sonné
et ouvert la porte dans la foulée.
— Comment se fait-il que vous ne fermiez pas votre studio à double tour pour la nuit ?
Elles se regardèrent et pouffèrent. Ce fut Manon qui se décida à répondre.

8
— Comme on ne travaillait pas aujourd’hui, nous avons trainé hier soir devant un
plateau-repas.
— Très alcoolisé, ajouta Belinda, tout sourire.
— Alors, reprit l’épouse de Kevin, on est parties se coucher un rien éméchées, et l’on a
oublié de fermer à clé.
Belinda, pas totalement dégrisée, ajouta dans un éclat de rire :
— On n’a pas fermé à clé, des fois que tu viennes nous retrouver.
Manon se tourna vers sa chérie.
— Mais ça ne va pas, qu’est-ce qui te prend Belinda ?
La jeune Métisse posa sa main sur sa bouche, fixa tour à tour Manon et Kevin.
— Oh ! Je dis n’importe quoi, je ne le pensais pas, c’était de l’humour mal placé.
Mais Kevin garda la réflexion dans un coin de son cerveau, sait-on jamais.
— Comment se fait-il que vous fassiez la fête en pleine semaine ?
— On arrosait la prochaine location de mon nouveau logement. Une petite maison de
plain-pied à Lons le Saunier.
— Et c’est pour quand ce déménagement ?
— Le 3 aout, répondit Manon, c’est un samedi.
— C’est juste le lendemain de mon opération. J’espère que je pourrai vous aider. Faut
voir ce que va me dire le professeur Chapelier. En plus c’est l’anniversaire de Tristan, il ne
pourra peut-être pas venir vous donner un coup de main.
— On pourra toujours se débrouiller, je demanderai à Modi, et peut-être à Paulin. Ils ne
travaillent pas ce jour-là. Tu restes quelques minutes avec nous ?
— Non je repars tout de suite, j’ai à faire.
— Alors pourquoi es-tu passé ?
— Je passais par-là, je vais à Lons et j’arrive d’Arbois. J’ai voulu m’arrêter pour un petit
coucou.
— Ah ! tu vas rejoindre ta Justine.
Manon venait de répondre avec son sourire habituel, mais au fond d’elle-même naissait
une pointe de jalousie. Certes elle chérissait sa copine Belinda, mais elle gardait son mari Kevin
dans un coin de son cœur. Il était toujours bel homme, sa longue silhouette, ses grands yeux
verts, ses cheveux noirs chiffonnés, ce côté coquin, un brin menteur, mais tellement charmant,
et qu’est-ce qu’il baisait bien, même avec son Joujou clipsable, et comment qu’elle a pu rire et
jouir sous les draps avec lui !
Kevin quitta le studio de Belinda. Les deux filles, de nouveau seules, ne trouvèrent rien
de mieux que de retourner au lit dans de grands éclats de rire. Les robes de chambre tombèrent
au pied du lit. Manon à quatre pattes sur le lit, la mèche rebelle flottant sous ses yeux, continuait
de rire.
— Ça m’a rendu toute chose, ce beau mari passé par là, rasé de près, sentant bon la
cocotte, je suis bouillante et c’est toi qui vas trinquer, chérie.
Belinda s’agrippa au cou de Manon, à califourchon sur son dos.
— Moi aussi, ça m’a dévergondée de voir Kevin, il est tellement…
Manon souleva son derrière pour déséquilibrer sa partenaire qui roula sur le dos.
— Dis donc, tu ne m’as jamais dit que tu t’intéressais à mon mari, répondit Manon en
pinçant le nez de son amante, je croyais que tu étais lesbienne et non bi.
— Parfois ça peut me titiller. Je me demande si ça ne me plairait pas de rendre Justine
jalouse, lui piquer Kevin pour un soir ou deux.
Manon appuya son corps nu sur le ventre de sa partenaire et cala ses petits seins contre sa
poitrine. Elle caressa la chevelure noire.
— Je peux t’aider, si tu veux, il suffit que je fasse quelques allusions à ton désir et…
Elle passa la paume de sa main sur la chatte poilue de Belinda.

9
— Je suis sûre, fragile comme il est, qu’il craquera tout de suite.
La bouche de Belinda avala les lèvres de sa partenaire, relâcha sa prise, murmura de sa
bouche humide :
— Pour te dire la vérité, je suis une vraie lesbienne et je n’ai pas envie de mec, pas plus
de ton mari que d’un autre. Mais je voudrais un enfant, et avec Kevin, notre enfant serait beau,
très beau.
— Donc les choses sont encore plus simples. Il suffit de dire la vérité à Kevin, il se fera
un plaisir de te baiser.
— Non, pas de me baiser, de me faire l’amour. Ce n’est pas pareil.
Manon joua de son doigt sur le bout du nez de Belinda.
— Toi, tu me dis un petit mensonge, tu apprécies bien mon mari et je suis sûre que tu
prendrais du plaisir avec lui.
— J’imaginerai que c’est toi qui me feras l’amour. C’est ton mari et c’est un peu toi. Dès
qu’il aura éjaculé en moi, je déclipserai rapidement son Joujou et il redeviendra, quelque part,
un peu femme, je caresserai son entrecuisse sans sexe comme si c’était toi, je l’embrasserai
comme si c’était toi, je le serrerai très fort dans mes bras comme… une folle. Je t’aime Manon,
il nous faut un enfant de l’amour, rien que pour nous deux.

Sous un ciel menaçant, le Scénic, Kevin au volant, Justine passagère, monta le col de la
Savine, descendit la montagne côté Suisse, roula sur l’autoroute et parvint à l’hôpital de
Lausanne vers neuf heures du matin.
Sous la pluie, sans parapluie, le couple traversa la cour, s’engouffra dans le hall de
l’hôpital. IRM et divers examens devaient commencer vers dix heures. Une heure à patienter.
Alors Kevin entraina sa compagne jusqu’à la cafétéria de l’hôpital. En entrant dans le restaurant,
Kevin jeta un regard vers la jeune blonde assise seule à une table devant un café crème et un
croissant. Il s’approcha d’elle, Justine sur ses talons.
— Bonjour, Giulia, dit Kevin tout en présentant sa compagne, voici Justine, mon amie.
Gêné, il bafouilla :
— Je me suis séparé de ma femme, mais ça va. Manon et moi, on s’entend bien et le petit
Liam reste souvent près de sa maman ou sa nounou. Je le récupère de temps en temps le
weekend. Aujourd’hui il est vers sa mère. Manon commence à préparer ses cartons. Elle va
bientôt partir dans sa maison à Lons Le Saunier.
Il se gratta la tête.
— Je ne sais pas pourquoi je vous raconte tout ça.
Giulia qui s’était levée pour les présentations se réinstalla devant sa table.
— En effet, vous n’avez pas besoin de vous justifier, Kevin. Vous êtes donc venu pour
vos examens complémentaires ?
— Oui, et j’ai une heure devant moi.
— Installez-vous à ma table, je vous commande deux cafés-crèmes. Et des croissants,
bien sûr.
Le couple s’installa, Justine dévisagea discrètement Giulia. L’infirmière, tout juste sortie
de l’adolescence, vingt ans peut-être, lui montrait des yeux bleus espiègles. Elle portait une
queue de cheval qui disciplinait une chevelure blonde épaisse, une tignasse que la gamine
saurait mettre en valeur dès qu’elle quitterait l’enceinte de l’hôpital.

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Les deux filles ne s’adressèrent pas la parole, seuls quelques regards fuyants, le sourire
timide de Giulia sur sa figure ronde, le sourire amer de Justine sur sa figure creuse. C’était
Kevin qui menait le bal, s’enflammait, parlait de sa prochaine opération, de ses analyses du jour
qui confirmeraient son bon état de santé malgré ses légères douleurs au bas-ventre.
Kevin, entre deux phrases, aperçut son ami Félix, l’adjoint du professeur Chapelier qui
s’approchait de la table.
— Salut Kevin, bonjour Justine, re salut Giulia.
Félix resta debout devant eux.
— Est-ce que je peux te causer quelques minutes, Kevin ?
Ils sortirent sur la terrasse tout en restant à l’abri, une pluie orageuse tombait dans la cour
et sur le parking.
— Le professeur Chapelier ne sait pas que tu t’es séparé de Manon. Et comme tu viendras
à l’entretien après tes examens accompagné de Justine, dis la vérité à mon patron, dis-lui que
tu es heureux maintenant avec Justine, que tu as tourné la page sur tes débauches passées, que
Manon est partie avec une autre fille. Sois sincère et le professeur te fera confiance, il a besoin
d’un couple uni, il a encore d’autres projets pour la réussite de Joujou.
— Tu me fais peur Félix. Qu’est-ce que ton équipe va encore inventer ? Il faut vite fixer
Joujou puis lui foutre la paix.
Félix posa sa main sur l’épaule de son ami.
— Ne t’inquiète pas. On ne touchera plus à ton Joujou. Le professeur t’expliquera son
projet cet après-midi. Je serai là aussi pour cet entretien. En attendant, pars à ton IRM. Justine
pourra rester à la cafétéria avec Giulia.

Les deux filles, seules, demeurèrent quelques minutes sans rien se dire. Ce fut Justine,
pourtant timide, qui engagea la conversation.
— Vous paraissez très jeune, Giulia, vous êtes donc infirmière ?
— Oui, mais infirmière stagiaire, j’ai vingt ans. C’est vrai que je fais gamine, on me le
dit souvent. Ce n’est pas un reproche, presque une flatterie. Et vous ?
— Je suis sans travail, j’ai eu la malchance de récupérer une grosse somme d’argent
auprès de mon assurance.
— Pourquoi malchance ?
— Ce fut un dédommagement pour compenser une douleur infernale. Mais je ne veux
pas en parler. Disons que pour l’instant je vis sur mes rentes. Avant l’accident j’étais assistante
sociale. Je sors d’une dépression, je vais me renseigner pour une formation. Je voudrais faire
décoratrice d’intérieur, ça me plait bien.
— Oui, c’est un très beau métier. Vous êtes amie depuis peu de temps avec Kévin d’après
ce que j’ai compris ?
— Je fus mariée, puis divorcée, mais je suis restée amie avec Modi, mon ex. Dès que
Kevin aura divorcé, on se mariera. En attendant, on fera un enfant.
— Vous n’avez pas d’enfants de votre premier mariage ?
Justine fondit en larmes.
À cause de la gêne causée par cet éclat de tristesse, Giulia s’abstint de poursuivre la
conversation. Justine s’excusa en reniflant dans son mouchoir.

Les examens accomplis, suivis d’une attente à la cafétéria en compagnie de Justine, Kevin
fut appelé par le professeur Chapelier.
— Viens avec moi Justine, dit Kevin, le professeur veut nous rencontrer tous les deux.
Ils s’assirent face au professeur Chapelier, lequel était bien installé derrière son bureau,
le petit bonhomme enfoncé dans son grand fauteuil. Félix se tenait debout à côté du chirurgien-

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chef. Le professeur se présenta de sa voix trop fluette pour un si grand génie, puis il tourna son
regard vers Justine.
— J’ai appris par mon adjoint que Manon avait quitté Kevin, que vous viviez désormais
avec ce bel homme un peu spécial d’un point de vue physique, une prothèse très particulière,
fruit de l’invention de mon équipe médicale et de notre laboratoire de recherche transgénique.
Le professeur Chapelier braqua désormais un regard amusé vers Kevin.
— Mais ce brave Kevin est aussi un peu spécial… point de vue mental. Oh, rien de grave,
juste une propension à satisfaire ses désirs sans trop réfléchir aux conséquences. Un sexe
prothèse, c’est déjà très particulier, mais un sexe qui se promène seul un peu partout dans la
nature depuis plusieurs mois, ce n’est pas courant du tout.
Redevenu sérieux, il tourna ses petits yeux à nouveau vers Justine.
— Êtes-vous amoureuse, Justine ?
Elle leva les yeux vers son amant.
— Oh oui, professeur, même que je rêve d’un enfant avec Kevin.
Le professeur écarquilla les yeux.
— Et Kevin, pensez-vous qu’il est très amoureux de vous ?
— Oui, s’écria Kevin, je l’aime.
— C’est marrant, sourit Félix jusque-là silencieux, on dirait que mon cher patron est en
train de vous marier, son bureau se transforme soudainement en agence matrimoniale.
— Redevenons sérieux, reprit le professeur en fixant Justine, ce que vous venez de dire
correspond justement au thème que je voulais aborder avec vous deux, celui de la procréation.
Le professeur Chapelier se tourna vers son adjoint.
— Vous pouvez développer, cher collègue, puisque Kevin est votre ami ?
— Kevin, serais-tu d’accord, dès que ton sexe sera rattaché définitivement à ton corps, de
faire un enfant à Justine ? Ta chère amie semble OK.
Le beau mâle se sentit piégé. Au creux de l’oreiller, il pouvait toujours promettre plein de
belles choses à sa chérie, mais là, devant un presque conseil scientifique, il fallait jouer finement.
Pourquoi les sauveurs de son sexe réclamaient-ils maintenant un enfant de lui ? Sûrement pour
vérifier que leur prodigieuse opération serait aboutie. De la greffe à la procréation, la réussite
serait totale et la célébrité internationale immense.
— Pour un amoureux éperdu, tu sembles réfléchir bien longuement, Kevin.
Justine dévisageait son chéri d’un regard suppliant. Kevin se lâcha enfin :
— Faut dire, Félix, qu’il n’y a pas si longtemps que l’on se connait, Justine et moi. Ne
faudrait-il pas attendre notre mariage avant de faire un enfant ?
— Comment ? s’insurgea Justine, bien sûr que oui on se connait, et depuis longtemps.
Dis-leur que je suis ta maitresse depuis plus d’un an. Dis-leur aussi que le mariage, c’est pour
beaucoup plus tard puisqu’il faut attendre ton divorce et que de surcroit tu ne sembles pas décidé
à divorcer si vite.
— Je veux être plus précis, reprit le professeur qui croisait les mains sous son menton,
dès que votre sexe sera rattaché à votre corps, vous pourrez faire un enfant à Justine. Cependant
avant le rattachement de Joujou ce n’est pas possible puisque le nettoyage régulier des
microconnexions détruit les spermatozoïdes.
Le professeur Chapelier toussota dans ses doigts croisés et poursuivit d’un air indifférent :
— L’opération ne pourra pas avoir lieu le 2 aout prochain. Votre IRM du bas du ventre et
les analyses confirment une légère déformation de la plaque carbone dissimulée entre vos
cuisses. C’est ce qui explique votre mal de ventre après l’amour.
— Mais… mais, vous allez me le rebrancher quand, ce sexe ? s’écria Kevin.
— Cela peut aller très vite, je pense que le problème n’est pas grave. En attendant,
continuez donc le nettoyage des microconnexions trois fois par semaine.
— Oh non ! ça ne va pas recommencer, se plaignit Kevin.

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Complètement sonné, courbé sur sa chaise, il se prit la tête à deux mains. Des spasmes
secouaient tout son corps.
— Justine s’approcha de lui, l’entoura de ses bras.
Le professeur toussota à nouveau dans ses poings.
— Toutefois, Kevin, je vous l’ai dit, cette légère déformation de la plaque sera vite réparée.
Dès lors, nous pourrons prévoir un nouveau rendez-vous.
Le professeur Chapelier se racla la gorge et se tourna vers son adjoint.
— Voulez-vous poursuivre, cher collègue ?
Félix se racla la gorge à son tour.
— On souhaiterait que l’opération soit suivie rapidement de rapports sexuels sans
protection avec Justine. Nous avons besoin de confirmer que la sexualité avec cette greffe
n’occasionne pas de stérilité. Donc d’ici quelques jours, nous espérons que les soins de la plaque
carbone seront achevés. Ainsi, dès que tu seras OK pour procréer, fais-nous le savoir.
Le temps de reconnecter tous les neurones, Kevin releva la tête. Ses yeux coléreux
fixaient tour à tour Félix et le professeur.
— Si je comprends bien, c’est du chantage ?
— Tout de suite les grands mots, reprit le professeur, non, on vous laisse tout simplement
le temps de la réflexion. C’est une décision qui ne se prend pas à la légère.
— Oui, c’est ça, ironisa Kevin, pas satisfait du tout du discours des deux médecins.

De retour dans les couloirs de l’hôpital, Kevin tomba sur Giulia qui venait à sa rencontre.
Elle tenait dans sa main la boite métallique, Joujou bien au chaud sur le velours blanc.
— Le service transgène vous rend votre bien, Kevin.
— Merci, je tâcherai d’en faire bon usage, dit-il avec un sourire retrouvé.
— On ne se verra plus guère, je vais bientôt quitter le service transgène.
— Ah bon ! Vous restez tout de même à l’hôpital.
— Oui, mais je vais à l’autre bout de l’établissement, au laboratoire de recherche. Je me
forme dans les sciences bio-informatiques.
— Bravo Giulia, vous avez raison, les grandes ambitions se forment dans la jeunesse.
— Je ne suis pas ambitieuse, je me passionne pour la recherche avancée en chirurgie
informatique, j’adore tout à la fois manipuler l’ordinateur et le corps humain.
— Alors peut-être qu’un jour j’aurai besoin de vous pour manipuler mon zizi, ironisa
Kevin.
— Bientôt Joujou sera fixé, personne n’aura plus besoin de le toucher.
— Oh ! Giulia, vous me décevez. Au contraire, une fois bien accroché, les filles pourront
le manipuler sans risque.
— Je causais médecine, sourit Giulia.
— Je causais tendresse, sourit Kevin.
— La tendresse, ce n’est pas dans la culotte, c’est là.
Elle prit la main de Kevin et la posa sur son cœur.
Ce fut l’instant que choisit Justine pour rejoindre son amant.
Giulia rougit et lâcha la main de Kevin posée sous son sein. Justine jeta un regard sévère
sur Kevin, un regard haineux sur Giulia.

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Après la pluie chaude de la journée, l’orage éclata sur les sommets du Jura. Le Scénic
traversait les nuages, les éclairs. Le tonnerre enragé secouait l’habitacle. Justine, pas très
rassurée, se pelotonna contre la poitrine de son amant malgré l’inconfort des ceintures de
sécurité. La nuit avançait sous la clarté du feu du ciel. Kevin, en mâle confiant, conduisait sa
voiture sans se soucier des trombes d’eau qui tombaient sur le toit, dévalaient le bitume,
brusquaient les essuie-glaces. Il se risqua même à questionner d’une voix forte pour couvrir le
bruit de la tempête.
— Tu en penses quoi, chérie ?
— ???
— Qu’est-ce que tu en penses du chantage du professeur ?
— Si tu es d’accord pour faire un enfant, alors ce ne sera pas du chantage.
Elle l’embrassa dans le cou puis sa main s’aventura sur le ventre, s’approcha de la
braguette. Kevin laissa faire, mais ne put s’empêcher un petit jeu de mots, son humour favori.
— Il y a déjà de l’orage sur le toit, ne provoque pas l’orage dans ma culotte.
Justine, d’une voix sensuelle, chuchota à l’oreille de son amant :
— Dès que l’on arrive à ton appartement, je te propose une nuit d’amour merveilleuse,
tellement folle que tu me feras un bel enfant.
— Mais tu sais bien que l’on ne peut pas faire d’enfant avant l’opération, le nettoyage des
microconnexions de la prothèse détruit les spermatozoïdes.
— Ah oui, c’est vrai. Tant pis pour le bébé, on attendra ta prochaine opération, toutefois
rien n’empêche une nuit d’amour merveilleuse.
— Pour ça, sûr, je suis partant.
Justine avait gardé sa main sur la braguette. L’orage grondait de partout.
Parvenue dans la chambre à coucher de Kevin, Justine se jeta sur le lit. Le mâle se lança
à son tour, jetant ses chaussures n’importe où. Ils s’embrassèrent tout habillés, se déshabillèrent
en s’embrassant. Nus sur le drap, Joujou fier de sa raideur et Kevin fier de son Joujou se
délectaient des cuisses chaudes de Justine. L’homme se mit à quatre pattes, le corps de Justine
sous lui. Il caressa les longs cheveux bruns tout en enfouissant sa langue dans la bouche
saliveuse de sa chérie. Elle minouchait Joujou de ses deux mains brûlantes. Kevin roula sur le
dos, ferma les yeux, approcha délicatement la tête de Justine vers son gros sexe raide, tenant
fermement les cheveux de sa chérie. Cette chevelure abondante et soyeuse entre ses mains se
transforma en un coussin de broderie noire et sensuelle entre ses cuisses. Le parfum « Angel »
flottait dans l’air chaud, enivrait ses sens. Il dégustait cette luxure où la bouche chaude de
Justine taillait une pipe comme on joue du pipeau. Elle pianotait de ses mains fines des trous
imaginaires sur la peau tendue de Joujou alors que sa bouche et sa langue suçaient le bout de la
flûte. Le souffle tiède de Justine traversait l’instrument, se transformant bientôt en tornade dans
les entrailles brûlantes du mâle. Le plaisir dura, chez l’une comme chez l’autre puis, après tant
de retenue, Joujou se lâcha, crachant sa nourriture chaude dans la gorge de sa maîtresse. Justine
déglutit avec un réel plaisir cette pitance qui nourrissait son estomac à défaut de nourrir son
utérus.
Après un temps mort, Joujou redevint vivant sous les caresses appuyées de Justine. Kevin,
en chevalier galant, roula sur le ventre de sa compagne, glissa son visage jusqu’à sentir l’odeur
musquée de la chatte en chaleur. Ses cheveux noirs, prisonniers des mains de sa chérie,
chatouillaient les longues cuisses. À défaut de jouer du pipeau, il entama la symphonie du clito,
un hymne à la joie où la langue, les lèvres, la bouche, les doigts, le bout du nez et les cris de
Justine s’harmonisaient merveilleusement. Mais ce fut la symphonie inachevée, Kevin
interrompit brusquement le concert avant les applaudissements et chevaucha avec délicatesse
sa compagne. Le missionnaire ne chanta pas de chants grégoriens, et la symphonie sensuelle
reprit avec un instrument de plus, et quel instrument ! Un gros saxophone cuivré d’où sortit
bientôt la bave sexuelle du chef d’orchestre. La spectatrice venue participer dans la fosse du

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théâtre lança sa voix soprano, ce fut le tutti frotti orchestral, le point final de la symphonie
romantique, la nuance fortissimo de l’agitation musicale maximum. Puis les musiciens se
calmèrent sur un décrescendo où les doigts se joignirent avec délicatesse, la langue, les lèvres
et les bouches se caressèrent pendant que les bouts de nez reniflaient le parfum « Angel ». Les
cris devinrent gémissements. On éteignit les lumières du théâtre. Seuls les soupirs bruissaient
dans la nuit.

Le dimanche matin de bonne heure, d’humeur lasse, Kevin marchait sur le trottoir. Il avait
décidé de rejoindre son ami Félix à Equevillon, un village au nord de Champagnole. Trois
kilomètres séparaient son appartement de la villa de son ami chirurgien sur les hauteurs de la
ville. Après l’orage de la nuit, la fraicheur de l’aube agrémentait son parcours. En parvenant
devant la villa, il se sentit plus détendu, cette balade matinale l’avait dopé. Et puis son ami Félix
allait sûrement le rassurer sur cette opération à venir.
Sept heures du matin lorsqu’il sonna à la porte. Tôt pour un dimanche. Félix lui avait
demandé de passer à cette heure-là, car il descendait à Lausanne, c’était son weekend de garde
à l’hôpital.
Avant que la porte d’entrée ne s’ouvre, Kevin se retourna. Un homme, dos vouté, type
berbère juif sunnite, bref il ne savait pas trop, se tenait devant le portail, lissant sa barbe, les
yeux fouillant l’herbe rousse derrière d’épaisses lunettes. Il s’éclipsa presque aussitôt. Ce mec
le suivait depuis Champagnole, il en était sûr. Pas très discret ce Saharien du Nord machin truc.
Cent mètres derrière lui le long de la route, ce métis avait baissé la tête et s’était coulé le long
des haies ou des bordures de maison chaque fois que Kevin s’était retourné.
La porte d’entrée de la villa s’ouvrit enfin. Félix se présenta en robe de chambre. Il
paraissait encore plus grand dans cette tenue. Kevin était grand aussi, mais Félix le battait de
deux centimètres, il le savait, ils s’étaient mesurés à l’école primaire.
— Salut, entre mon ami, j’ai encore un peu de temps, je ne pars au travail que dans une
heure. Je te fais un café ? Chut ! causons doucement, Océane dort à l’étage, elle a le sommeil
léger.
— Pourtant, avec tout le boulot qu’elle abat dans sa pépinière, elle devrait être éreintée.
Tous deux installés autour de la table haute de la cuisine devant leurs cafés chauds, la
conversation s’orienta d’emblée vers les problèmes médicaux de Kevin.
— Ne crois pas que c’est pour que tu fasses rapidement un enfant à Justine que nous
attendons ton avis. C’est vrai qu’il faut repousser l’opération. Ta plaque carbone entre les
cuisses s’est légèrement voilée. Nous avons peur qu’elle se décale et que les microconnexions
de Joujou ne correspondent plus. C’est d’ailleurs pourquoi nous sommes pris entre deux feux.
D’un côté, il faut patienter pour mieux comprendre ce phénomène, de l’autre, il est urgent
d’opérer pour ne pas attendre que les microconnexions ne joignent plus.
— Et bien alors, pourquoi attendez-vous ma réponse au sujet de l’enfant pour opérer ?
Faites votre boulot, voilà tout !
— Ce n’est pas si simple.
Félix, le regard fuyant, semblait regarder au-delà de la baie vitrée, puis vissa à nouveau
son regard dans les yeux bleus, ou verts, ou gris de Kevin. La couleur des yeux du beau gosse
changeait suivant la luminosité ambiante.
— Alors, c’est bien ça, c’est du chantage ?

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— Écoute Kevin, on a besoin de ta réponse rapidement, il faut que tu acceptes de faire un
enfant à ton amie Justine. Le professeur veut être sûr que cette greffe soit une réussite totale.
Tu imagines, un soldat sautant sur une mine, amputé de son sexe, celui-ci réparé ou greffé, tu
te rends compte des progrès de la médecine, tu imagines cet homme qui peut revivre, avoir une
famille, des enfants, n’est-ce pas merveilleux ? Et puis, il n’y a pas que les mines et les soldats,
un simple accident, comme toi d’ailleurs, sautant dans un ravin avec son vélo, et bien d’autres
cas aujourd’hui désespérés.
— Je dois encore réfléchir, je te donnerai ma réponse rapidement.
— N’attends pas trop, le professeur Chapelier est prêt à t’offrir une grosse récompense
dès que Justine sera enceinte de toi.
— Ton équipe médicale tient toujours autant aux honneurs et au pognon !
— Ce n’est pas une question de notoriété, ce sera une grande, très grande avancée
chirurgicale.
La conversation s’orienta sur les vacances, les enfants. L’heure avançait, Félix devait
partir au boulot, Kevin alla rejoindre son ami Tristan, de l’autre côté de la ville. Encore neuf
kilomètres de marche et c’en serait fini de ses activités sportives de la semaine. Juste à surveiller
s’il n’était pas suivi.
Dix heures trente du matin, Kevin parvint devant la maison de son ami Tristan.
Tous deux assis en terrasse devant leur jus d’orange, Tristan, toujours de bonne humeur,
ironisa :
— Ah, ah, beau gosse, qu’as-tu fait de Liam ? Il reste seul à l’appart ou bien est-ce une
de tes nouvelles maitresses qui le garde ?
— Arrête de déconner, Liam est avec Manon. Ils sont tous les trois ce weekend à Europa
Park.
— Qui, tous trois ? Ah oui, il y aura Blédina.
— Tu le fais exprès, Be line da, pas Blédina.
— J’aime bien Blédina, ça fait café au lait, tout comme elle, ah, ah !
— Blédina, c’est du lait en poudre pour bébé, c’est blanc, espèce de cruche.
— Y a aussi, dans leur pub, des petits pots pour bébé de toutes sortes, même aux pruneaux,
tu verrais la couleur de la compote de pruneaux, tout à fait la couleur de Blédina.
— Belinda !
— En même temps, c’est con ce qui lui arrive à cette pauvre Blédina couleur compote de
pruneaux, comme elle est gouine, elle n’aime pas ces fruits-là, ah, ah ! Au fait, cette opération,
tu stresses ?
— Tout d’abord, mon opération n’aura pas lieu le 2 aout, c’est reporté.
— Pourquoi ?
— C’est compliqué. Autre chose, pour ton anniversaire je ne serai pas là, j’aide Manon à
déménager, elle a loué une maison à Lons.
Tristan but une gorgée de jus d’orange, reposa son verre.
— Cette boisson vient de me doper, ah, ah. Mon cerveau s’éclaire d’une grande idée.
— T’es sûr ?
— Je vais vous aider au déménagement, Cloé prépare le repas de mon anniv. On emporte
tout chez ton ex et l’on fait la bidouille en terrasse là-bas. Elle a une terrasse n’est-ce pas ?
— T’es sûr que c’est une bonne idée ?
— Ben oui, comme ça je laisse Cloé à Lons. Les filles commenceront à ranger. Comme
elles finiront tard, je proposerai à Cloé de coucher à Lons. Nous, on remonte par Clairvaux et
l’on se fait cette partouse.
— Ah non ! Ne recommence pas avec ça, c’est non, non et non. Va baiser ton Agathe seul,
je suis amoureux de Justine, ça me suffit.

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— Toi, amoureux ! Faudra le faire savoir sur les réseaux sociaux, sauf que personne ne te
croira, et même ceux qui ne te connaissent pas, avec ta tête de Don Juan et tes yeux menteurs.
Bon d’accord, j’irai faire ma partouse seul avec Agathe, mais tant pis pour toi, ç’aurait été une
bonne soirée de rigolade.
Tristan fronça les sourcils et poursuivit :
— Pourquoi ton opération est-elle repoussée ?
Kevin passa sa main dans ses cheveux ébouriffés.
— Pour faire simple, le professeur me fait chanter. On retarde l’opération tant que je
n’aurai pas donné mon accord pour faire un gosse à Justine.
— C’est quoi ce délire ? interrogea Tristan, retrouvant un sourire moqueur.
— Le professeur Chapelier affirme que si je fais un enfant après l’opération, la greffe sera
une réussite totale. En fait c’est bon pour ses finances et pour sa notoriété.
Et pourquoi faire un gosse à Justine, pourquoi pas Manon ?
— Manon est mon ex, Justine sera peut-être ma future femme.
— Tu as raison de dire « peut-être ».
Kevin jeta un regard dur vers son ami.
— Je n’ai pas envie d’un enfant maintenant. Avec un sexe clipsable qui ne sera bientôt
plus clipsable, toutes ces manipulations avec ma queue et mes couilles, je ne sais pas à quoi
ressemblerait notre enfant à la naissance.
— Ah, oui, peut-être qu’il va naitre avec une plaque carbone sur le front, ou des déchets
radioactifs entre les fesses et un sexe qui s’envole comme un drone. Ah, ah !
Parti dans ses délires, il ajouta :
— Je vois ça d’ici, le sexe en forme de drone suicide, tel un missile qui fond sur les
femmes de son choix dans la rue, qui transperce robes et culottes en atteignant son objectif, et
l’ogive spermatique qui explose au fond du vagin. Ah, ah !
— Ne rigole pas, ça me fout la trouille.
— Tu en as parlé à tes scientifiques ?
— Non, inutile, je sais qu’ils voudront me rassurer. Ils y tiennent à cet enfant, ils veulent
même m’offrir un gros chèque si j’accepte.
Tristan soupira, un lien entre rigolade et sérieux.
— Fais monter les enchères, demande beaucoup de pognon.
Il ne put s’empêcher de reprendre son délire.
— Si le gosse est normal, tu encaisses les billets et tu laisses l’enfant à Justine. Si le gosse
est bourré de microconnexions, de drones et de projectiles, alors tu t’en débarrasses en
Afghanistan. Là-bas il pourra envoyer des missiles entre les cuisses des bonnes femmes, elles
seront heureuses, elles qui n’ont pas le droit de jouir. Un drone issu du fils de Kevin dans leurs
culs, ça ne pourra être qu’un feu d’artifice de luxe.

Dans la soirée, Kevin retourna à Equevillon chez Félix et Océane. Autour d’un barbecue
dans le parc de la somptueuse villa, il retrouva Manon avec le petit Liam. Alors que Félix
retournait les côtelettes sur le feu, Océane surprit le regard étonné de Kevin.
— Manon et moi sommes redevenues amies. Finies nos disputes inutiles, nos jalousies
mesquines. Nous sommes de grandes filles et savons effacer les querelles qui n’apportent que
rancunes. Les paroles et même mon geste de l’autre fois ont dépassé mes pensées. Manon est
une femme bien, toujours gaie et toujours prête à rendre service. Je lui ai demandé pardon pour
cette gifle insensée en décembre de l’année dernière. J’étais bêtement jalouse.

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— N’en parlons plus Océane, moi non plus je n’avais pas été fine sur ce coup-là.
Kevin retrouva le sourire.
— C’est tant mieux, les filles. Ainsi on peut retrouver des instants comme ce soir où l’on
se réjouit devant de délicieuses côtelettes entre amis comme au bon vieux temps.
Du coup, le petit Liam, tout heureux de revoir son copain Jules, courait autour des grands
arbres du parc, slalomait entre les chevilles de son adversaire, un ballon de foot dans les pieds.
Tout ressemblait aux années précédentes, enfin presque. Kevin gardait un peu le cœur
serré. En effet, Manon existait à ses côtés en tant qu’ex et surtout, copine amoureuse de Belinda.
Il avait laissé Justine seule dans son appartement de Lons, elle lui manquait. Quant à son ami
Félix qui retournait toujours les côtelettes, le dos courbé, il n’avait pas apprécié les frasques
passées du maître de Joujou, son ami chirurgien lui avait donc tiré la gueule presque six mois,
malgré la promiscuité due aux travaux médicaux sur Joujou. Mais aussi, Félix, trop prude, avait
du mal à pardonner à Manon sa liaison avec Belinda. Non, décidément, plus rien ne serait
vraiment comme avant. Mais n’en était-il pas toujours ainsi dans les séparations ?
— Et Lou n’a donc pas pu venir, demanda Océane ?
— Notre fille a voulu rester chez son copain Paulin, répondit Manon.
— Non, ta fille, se récria Kevin, en appuyant sur « ta » et en crachant son noyau d’olive
dans l’herbe.
— Arrête, Kevin, tu n’en finiras donc jamais avec Lou.
— Après les immenses vacheries de sa part, j’ai du mal.
— Mais tu sais bien que ça va mieux, elle est amoureuse de Paulin, elle ne fait plus de
bêtises.
— Même si ma belle-fille s’est calmée, elle ne m’aime pas et je suis certain qu’elle est
prête encore à me jouer de vilains tours.
Lou, l’adolescente rebelle rousse à la mèche tombante, n’aimait pas son beau-père.
Depuis le mariage de Kevin et Manon, Lou, encore enfant, n’avait pas accepté cet intrus à la
maison. Kevin avait toujours essayé d’arranger les choses, mais depuis son accident et son sexe
clipsable, Lou avec ses copains voyous lui en avait fait voir de toutes les couleurs, jusqu’à lui
dérober Joujou et faire chanter Kevin.
Félix apportait le plat de côtelettes grillées sur la table. Océane frappa dans ses mains,
non pas pour féliciter son mari, auteur de merveilleuses grillades dorées, mais pour calmer
Kevin.
— Allez, c’est fini ces mesquineries avec Lou, on est là pour se retrouver entre amis, pas
pour voir un couple s’enguirlander.
— Mais on ne se s’engueule pas, dit Kevin en souriant, on met juste les choses au point,
hein ma chérie ?
Manon approuva. Kevin avait tellement connu de misères avec sa belle-fille Lou qu’elle
lui pardonnait ses élans de colère. Elle lui pardonnait même de l’avoir trompée tout au long de
l’année dernière avec Justine et avec Agathe. Le pardon fut d’autant plus facile que toutes les
fautes de son mari lui avaient permis de découvrir l’immense amour qu’elle avait trouvé auprès
de sa chérie Belinda.
Kevin se tourna vers Manon.
— Concernant ton déménagement, Tristan est d’accord pour venir nous aider malgré son
anniversaire.
— Parfait, et Belinda a demandé à son ex, il pourra venir aussi. Modi est costaud, il fera
bien la paire avec Tristan.
— Et moi, je ne suis donc pas costaud, ironisa Kevin ?
La réponse de Manon fusa dans un grand éclat de rire autour de la table.
— Pour sûr, rien que ton gros sexe servira de levier pour soulever le buffet en chêne.
— Pourquoi tu racontes ça, Manon ?

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— Mais parce que c’est vrai, tu te vantes tellement de ton Joujou, et puis je le connais
bien, Joujou, tu sais.
Après plusieurs Macvin, Manon avait le vin joyeux, et de toute la soirée elle ne fit que
rire, plaisanter, animer la conversation. Elle déconnait tellement qu’elle en vint à se lever entre
fromage et dessert et à embrasser sur la joue, tour à tour, Kevin et Félix.
— Mais qu’est-ce qui te prend, Manon ?
— J’avais envie, sourit la jolie blonde, juste comme ça, parce que vous êtes beaux tous
les deux.
— Ça y est, elle est bourrée, dit Kevin dans un large sourire.
— Non, je dirais plutôt qu’elle est agréable et sincère, ajouta Félix avec le même sourire.
Océane se tourna vers son mari d’un air pas vraiment sérieux.
— Voilà qu’une femme te fait un compliment et t’en peux plus.
— Tu ne me fais plus de compliments, ma douce, alors je prends ceux que l’on m’offre.
Et la belle soirée sous un ciel étoilé s’éternisa entre taquineries et plaisanteries, toutes les
têtes autour de la table embuées de vapeurs des vins du Jura. Les deux gosses jouaient toujours
autour des arbres sous les lampes du parc.
À minuit et demi ce petit monde se sépara. Manon prit le bras de son mari, et bras dessus,
bras dessous, ils s’en retournèrent à leurs voitures. Liam restait chez son copain pour la nuit.
Debout devant la Clio de Manon sous la lampe de rue, Kevin s’assombrit.
— Non, Manon, tu ne prends pas ta voiture ce soir pour descendre à Poligny, tu es trop
cuite.
— Et toi alors ?
— Tu restes à Champagnole avec moi cette nuit, il n’y a que trois kilomètres pour
rejoindre l’appartement.
— OK, dit-elle en se pendant à son cou. D’ailleurs j’ai… chose, euh… que chose
d’important à te… te demander.
— C’est quoi ? demanda-t-il, un brin étonné.
Elle se pencha à son oreille, toujours agrippée à son cou :
— J’te dirai, hip… quand on sera dans le lit.
Kevin la repoussa légèrement, elle détacha ses mains de son cou. Sa silhouette fine
dessinait une ombre magique le long de la haie de charmilles en bordure de trottoir.
— Parce que tu veux dormir dans mon lit ? s’étonna le mari.
— Ben oui, tu es tour… jours mon marli, non ?
— Et qu’en penserait Belinda ? Et moi, je suis amoureux de Justine, je ne veux pas la
tromper. Il n’est pas question de faire l’amour tous les deux. Je dormirai dans le canapé et toi
dans notre lit.
— Mais on peut dor… dormir dans l’même lit, sans… sans…
Sa bonne humeur de la soirée s’arrêta net.
— Je suis bourrée, alors je dor… dormirai à Champa, OK, chacun dans notre lit. Tant
pis… tant pis pour toi.
Silence dans le Scénic, silence dans la rue de la république, silence en grimpant l’escalier,
silence sur le palier, juste le bruit de la clé dans la serrure. Dans l’appartement, Kevin retira ses
chaussures, aida Manon à s’assoir sur une chaise dans le salon, ôta les souliers à talons de son
ex-chérie. Accroupi devant elle, il demanda :
— C’est quoi, ce quelque chose d’important ?
Manon, boudeuse jusque-là, entoura à nouveau le cou de Kevin et se pencha vers lui.
— Sais-tu que je t’aime toujours ?
Kevin souleva sa tête, son regard surpris demandait des précisions.
— C’est lorsque tu es bourrée que tu m’aimes ? Et c’était ça, la chose importante que tu
avais à me dire ?

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— Non, c’est pas ça… mais laisse tomber.
Les restes de Macvin, d’Arbois et de crémant disparurent brusquement de son cerveau. À
la place, juste une légère douleur, là, sous son sein gauche.
— Va dans ton lit Kevin, tu seras mieux, laisse-moi le canapé.
Au milieu de la nuit, Kevin se leva. Avec son seul boxer sur lui, il s’approcha de l’évier
de la cuisine, but un verre d’eau. Dans le couloir, il s’arrêta devant la porte du salon, hésita, se
décida à entrer. Il alluma la petite lampe posée sur la table basse. Manon dormait, la bouche
entrouverte d’où sortait un léger souffle au parfum régional d’Arbois. Elle ne s’était pas
déshabillée, sa robe courte laissait filer deux jambes de rêve. À la taille, l’habit jaune doré étoilé
se mariait magnifiquement à ses cheveux dont la pointe touchait tout juste ses épaules à demi
dénudées. Une bretelle de sa robe glissait sur son bras. Une mèche blonde chatouillait le bout
de son nez. Sa tête aux yeux clos reposait sur un oreiller brodé. Kevin s’accroupit devant elle,
passa un avant-bras sous ses cuisses, l’autre sous son dos. Il souleva les cinquante-cinq kilos,
une charge somme toute agréable, et emmena Manon jusque dans l’ancien lit conjugal. La jolie
blonde ne s’était toujours pas réveillée. Dormait-elle ou faisait-elle semblant ? Il se débarrassa
des deux bretelles de la robe en les laissant reposer le long de la taille, retira délicatement le
vêtement par le bas, souleva encore plus délicatement les fesses. La robe tomba au pied du lit.
Kevin admirait maintenant ce corps qu’il n’avait jamais oublié, ses rondeurs parfaites, cette
finesse, juste peut-être des seins un peu trop petits. Il les imaginait sous le soutien-gorge.
Qu’est-ce qu’il avait pu s’amuser avec ces petits biberons ! Et cette chatte, cachée sous la culotte
jaune, est-ce qu’elle était toujours rasée comme au bon vieux temps ? Sa copine ne lui avait-
elle pas demandé de laisser pousser une belle toison dorée, histoire de se montrer plus virile ?
Alors qu’il admirait encore son ancienne chérie, celle-ci se tourna sur le côté, lâcha un
soupir sonore, indéfinissable, entre le râle de l’agonie et le cri de l’orgasme. Elle étendit les
mains en avant comme pour agripper un fantôme. Mais la créature existait vraiment, la tête de
Kevin se fondit entre les doigts de Manon, puis il s’allongea contre sa femme. Joujou, bien
accroché, bondit sous l’odeur de cette chair si connue. Manon ne dormait pas. D’ailleurs, depuis
le canapé, enlevée par deux bras protecteurs, elle ne dormait pas, soulevée dans la nuit du
couloir, entre les portes, dans la chambre, elle ne dormait pas. Lorsque son mari la déshabilla,
elle ne dormait pas, elle avait même légèrement aidé Kevin à soulever ses fesses pour retirer sa
culotte. L’avait-il remarqué, ce champion des nuits d’amour ? Elle déposa un baiser sur les
lèvres de son mari.
— Je t’ai réveillée, Manon ? chuchota-t-il.
Une voix douce s’écarta de l’oreiller.
— Je n’ai jamais dormi, je t’attendais.
Ce fut la phrase de trop, celle qui emporta l’ardeur longtemps contenue.
Kevin, aidé de Joujou, grimpa sur sa femme, il arracha culotte et soutien-gorge, retira tout
aussi vite son boxer, d’abord avec les mains où son slip glissa jusqu’aux chevilles, puis, en
tortillant du cul, il réussit à le pousser jusqu’au bout du lit. Entre langues humides dans la
tendresse des lèvres du haut, et Joujou heureux dans l’excitation des lèvres du bas, Kevin cracha
sa virilité trop vite, Manon n’eut pas le temps d’apprécier. Tant pis, elle s’en contentait, elle
avait surtout besoin de la tendresse de Kevin. Certes, elle aurait bien aimé cumuler, mais c’était
un bon début pour retrouver son mari, un mari beau et excitant.
Manon se tourna sur le côté, ses yeux clairs miroitaient sous le rayon de lune qui se glissait
par la fenêtre ouverte. Le regard de Kevin dans la pénombre admirait le visage fin et les yeux
coquins de sa femme sous la lumière de l’astre. C’est vrai qu’il n’avait pas été à la hauteur,
d’habitude il faisait l’amour beaucoup mieux que cela, il prenait son temps, appréciait les
préliminaires. Bof ! ce n’était pas plus mal, ainsi il avait la sensation de n’avoir trompé Justine
qu’à moitié. Quant à Manon elle devait penser pareil eu égard à sa copine Belinda. Mais Manon
ne pensait pas ainsi. Elle aimait Justine et ne l’avait pas trompée. Elle expliquerait tout à sa

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chérie et Belinda serait d’accord. Son amante savait que Manon était bisexuelle et, tant qu’à
faire, si elle couchait avec un homme, mieux valait que ce fût encore avec son mari, comme
c’était d’ailleurs le cas ces derniers mois.
Les deux visages se frottaient, se mélangeaient, un jeu où chacun cherchait les lèvres de
l’autre sans jamais les toucher. Mais le jeu s’arrêta là où la bouche de Manon caressa l’oreille
de son mari.
— J’ai toujours quelque chose à te dire.
— Alors quelle est cette divine surprise, Manon ?
— Belinda voudrait un enfant de toi.

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Météo de rêve pour rouler en cette fin juillet. Le Scénic avalait les kilomètres sous un
ciel bleu et une température douce. L’autoroute pour rejoindre Dijon n’était pas surchargée. Le
véhicule s’arrêta en fin de matinée sur le parking d’Ikea. Kevin, en teeshirt blanc et pantacourt
bleu marine, entra dans le magasin, grimpa les marches pour rejoindre le premier étage.
Il flânait entre chambres à coucher, salons, cuisines, bibliothèques, regardait en rêvant
l’ameublement, dévisageait plus sûrement les visages féminins, voire les jambes nues dépassant
des shorts des clientes, imaginait les seins rebondis sous les costumes des vendeuses. Sans rien
découvrir de très intéressant, il redescendit à l’autre bout de la grande surface, après plusieurs
erreurs de parcours dans les allées aux angles perturbants, par l’escalier qui emmenait à la
lustrerie. Là, il s’attarda sous les lampes à l’architecture sobre ou provocante, toujours moderne.
Il choisit deux luminaires blancs aux chainettes dorées et se dirigea vers les caisses avec encore
une ou deux erreurs de parcours dans le dédale des allées carrées. Il ne pouvait pas tout à la fois
suivre le parcours fléché et les petits culs qui le précédaient.
Alors qu’il patientait devant une caisse choisie parce qu’une belle hôtesse scannait les
articles, une main se posa sur son épaule. Il se retourna.
— Marie ! Le monde est petit.
— Le monde est petit et le magasin est grand.
— Alors tu me pistais, ironisa-t-il.
Elle répondit à son ironie par un large sourire et un doux baiser sur la joue.
Kevin regarda sa montre.
— Il est presque treize heures. Je suppose que tu n’as pas déjeuné, moi non plus. Je
t’invite à la cafétéria du magasin.
— Je veux bien, sourit la jeune blonde, je n’ai rendez-vous qu’à quinze heures.
Ils passèrent en caisse chacun à leur tour. Les affaires rangées dans les coffres de leurs
voitures, ils grimpèrent l’escalier qui menait au restaurant. Leurs plateaux repas prêts, Kevin
choisit une table près de la baie vitrée, posa son plateau, s’empressa de prendre celui de Marie
et se dépêcha de tirer une chaise pour sa voisine.
— Toujours aussi galant, mon cher Kevin.
— Toujours aussi charmante, ma chère Marie.
La discussion débuta sur des banalités, puis se poursuivit sur le passé récent.
Kevin dévisageait sans gêne la journaliste, admirait ses grands yeux. Des yeux noisette
pour une vraie blonde, c’est rare, c’est beau. Et cette abondante chevelure qui tombait plus bas
que ses coudes lorsqu’elle mangeait, comment s’organisait-elle pour que les cheveux ne nagent
pas sur l’entrecôte ?
— Où en es-tu avec tes démêlés auprès des tribunaux, Marie ?

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— Je passe en jugement au mois de novembre, en même temps que Tristan puisque tu
n’as pas retiré ta plainte.
— Mon avocat, à l’époque, me l’avait déconseillé parce que me voler Joujou était grave
et une séquestration, encore plus grave. À l’époque j’avais envie de toi, de ton corps. Ta beauté
m’avait envouté. Je croyais que tu m’aimais un peu, beaucoup, bref, que tu m’aimais, je me
suis trompé.
— À l’époque, tu avais envie de moi, et aujourd’hui ? sourit Marie.
Un haussement d’épaules fut la réponse de Kevin.
— Si je comprends bien, reprit-elle, c’est surtout ta déception amoureuse qui a confirmé
ton refus de retirer ta plainte.
— Un peu. Faut dire que tu étais dans une position inconfortable avec ton Grec la dernière
fois que je t’ai vue. D’autant que ce crétin de chirurgien a foutu le feu à mon Joujou bis.
— C’était un accident de parcours. La recherche scientifique n’est pas une science exacte.
Monsieur Damassène, ce Grec comme tu dis, est un homme très intelligent, capable, il fait des
prouesses dans son laboratoire à la clinique Félix Kir et ses interventions chirurgicales sont
toujours réussies. D’ailleurs, il vient de passer chirurgien-chef à la clinique. Pour en revenir à
ton allusion, c’est vrai que j’ai couché quelquefois avec Andreou, mais c’était bêtement pour
une question de prestige et de gros sous, je suis impardonnable.
Marie baissait la tête sur son dessert. Elle souleva ses paupières entrainées par de longs
cils dessinés au fin pinceau noir. Dans ses yeux noisette se reflétait une brillance humide. Elle
secoua son immense chevelure.
— Je ne suis pas amoureuse d’Andreou. Tu es mille fois plus séduisant que lui.
Un frisson traversa le corps de Kevin.
— Je ne sais pas si je plais, mais ce que je sais, c’est que monsieur Damassène, lui, n’a
rien d’attirant.
— Ne joue pas au faux modeste, ça ne te va pas. Tu plais aux filles avec ton physique
d’Apollon. Grand, mince, carré, yeux bleus sous une chevelure presque noire, un sourire attirant,
un visage fin, des mains pures et blanches. Tu dégages un charme… ouh !
Elle conclut ses belles paroles sur ce « ouh ! » sifflotant qui traina en longueur.
— Tu es bien la première fille à me dire qu’il y a quelque chose de pur chez moi, même
si ce ne sont que mes mains. Merci quand même pour cet éloge, j’apprécie. Aujourd’hui les
choses ont changé. Je te trouve toujours aussi séduisante, et depuis ce grand frisson que tu viens
de m’apporter, je te trouve encore plus charmante, mais je n’ai plus envie, Justine est mon amie,
je l’aime.
La jeune journaliste, pas du tout déstabilisée, pencha légèrement la tête, montra son plus
doux sourire, glissa son index entre ses lèvres.
— Mais, que crois-tu, Kevin, je n’ai pas envie de tomber amoureuse. Mais tu me plais et
j’avoue qu’une nuit d’amour avec toi me rendrait heureuse.
— Ah, vous les journalistes ! on voit que vous n’êtes pas loin du show-biz. Encourager
l’évolution des mœurs, ça vous plait. Je suis ouvert d’esprit, mais… dommage, je suis trop
amoureux de Justine.
— Pourtant la fidélité n’est pas ta qualité première.
— Fais gaffe, Marie, je suis un homme fragile, je suis capable de craquer.
— Chiche, répondit-elle en se levant de table. Je vais chercher un café, je t’en apporte un.
— Volontiers.
Lorsque Marie revint avec ses deux tasses de café, elle ne prit pas le temps de les poser
sur la table. Elle riait de ses belles dents.
— Je pensais en laissant couler les cafés, parce que, des fois, je pense, je pensais : c’est
dingue, je connais parfaitement le sexe de Kevin, mais je ne connais même pas son corps.

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— Elle pouffa en posant les tasses, et la moitié du café se répandit sur la table. Elle s’assit.
Kevin lui prit les mains et éclata de rire à son tour.
— Au fait, tu ne m’as jamais dit, comment l’as-tu trouvé, mon sexe ?
— Où l’ai-je trouvé ? Ou bien tu veux dire…
— Je sais où tu l’as trouvé, une ou deux fois dans ma chambre, une autre fois à l’hôpital
de Lausanne. Non, je veux dire, est-ce qu’il t’a plu ?
— Oh oui qu’il m’a plu ! Il est grand, il est gros, il est rose, il n’a pas un poil, il est
adorable, je l’aurais mangé.
— Est-ce que tu t’en es servie ? Un gode vivant, ç’aurait pu être magnifique.
— Non, foi de journaliste, je ne m’en suis pas servie.
Elle lui montra un sourire aguicheur.
— Je préférais attendre d’avoir l’homme dans son entier.
Kevin lui lâcha les mains, se leva de table.
— Eh bien non ! Marie, ce ne sera pas pour cette fois-ci.
— Ah, ça veut dire, peut-être un jour, c’est ça ?
Il haussa les épaules. Puis ils poursuivirent leur conversation en rejoignant le parking de
la grande surface. Ils marchaient lentement, comme pour retarder l’instant de la séparation.
— Et Joujou, où en est-il maintenant ? Je n’ose pas toucher la braguette ici, c’est trop
voyant, mais je suppose qu’il est bien accroché.
— Oui, il est bien accroché, mais pour le souder définitivement, l’opération est reportée
jusqu’à nouvel ordre.
Kevin n’avait pas voulu lui parler de ce chantage à l’enfant, mais il expliqua que son sexe
devait attendre pour être soudé définitivement. Il donna à Marie toutes les conclusions du
professeur Chapelier.
— J’en ai marre d’attendre, je voudrais redevenir un homme comme les autres.
Marie, qui jusque-là avait passé son temps à plaisanter, leva les yeux vers le ciel bleu.
Elle pensait à ce printemps dernier où le beau mâle qui marchait en ce moment à ses côtés
dormait dans sa chambre à la clinique de Dijon. Séquestré, on lui avait forcé la main pour
accepter Joujou bis fabriqué à la clinique Félix Kir. Elle se souvenait de cette expérience qui
avait foiré, des conséquences désastreuses, tant sur le plan médical, que sur le plan juridique et
même financier. Qu’importe, la clinique dijonnaise s’était vite relevée de ce faux pas, et si
Kevin avait besoin de jouer à nouveau les cobayes pour la médecine, alors elle saurait
convaincre cet homme à la belle gueule, un homme qui fanfaronnait un peu, mais qui restait
malléable.
Devant la voiture de Kevin, ils se firent la bise avant de se séparer.
— J’ai gardé ton numéro de téléphone, on se rappelle, cria Marie alors qu’elle s’éloignait
sur le parking.
— Moi je n’ai pas le tien, je l’ai effacé le jour où je t’ai vu à moitié à poil sur les genoux
du Grec.
Il y avait d’autres personnes pour écouter cette réponse qui résonna jusqu’aux portes du
magasin. Qu’importe, Kevin, quand il s’agissait d’aborder des thèmes chauds, aimait provoquer.

11

Huit heures du matin ce samedi 3 aout. Sous un ciel bleu, le Scénic de Kevin remplaça le
camion de déménagement sur le parking Intermarché de Champagnole. Le véhicule de location
se gara entre deux panneaux d’autorisation délivrés par la mairie dans la rue commerçante de

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la ville en face de l’appartement de Kevin et Manon. Les déménageurs bénévoles patientaient
sur le trottoir : Modi, le beau black célibataire, Tristan le pas triste, Lou, la fille de Manon.
Kevin descendit du camion, les salua puis monta à l’étage, Manon et Belinda buvaient leur thé,
Liam à leur côté.
— Bonjour les filles, lança Kevin.
Les autres déménageurs le suivaient déjà pour démonter un lit, sortir un fauteuil, une table,
quelques chaises, des cartons, beaucoup de cartons.
Un seul voyage suffit pour tout emmener à la nouvelle maison de Manon à Lons Le
Saunier. C’était une jolie petite bâtisse mitoyenne à l’entrée de la ville avec un morceau de
terrain sur le côté, des roses en bordure de maison, un carré d’herbe encore vert malgré la
chaleur de l’été, une terrasse en dalles blanches voilée d’une vigne grimpante.
La petite équipe pénétra au « Tilleul » au centre-ville pour le déjeuner. Tristan n’avait pas
apporté le pique-nique sur les conseils de Kevin. Il fumait sur le trottoir avant d’entrer, chose
rare. Kevin se tenait à ses côtés. Il regardait la rue, l’air distrait.
— Je ne me suis toujours pas décidé, faire un bébé à Justine ou pas.
— Tu as toujours peur qu’elle te ponde un Robocop, ah, ah ! Et donc tu te confies à moi,
n’est-ce pas ?
— Oui.
— Si l’équipe médicale de Lausanne tient tant à cet enfant, c’est qu’elle attend beaucoup
en retour, beaucoup d’argent et beaucoup de notoriété. Tu m’as dit que le professeur Chapelier
t’offrirait une jolie prime dès la conception de l’enfant, alors demande plus, beaucoup plus, je
ne sais pas moi… dix millions d’euros. T’imagines toutes les nanas que l’on pourrait se taper,
ah, ah !
— Pourquoi « on ». Ce serait mon argent, pas le tien.
— Dix pour cent pour le conseil, c’est un minimum, non ? Avec un million je choisirais
les plus belles des call-girls. Putain ! qu’est-ce que ce serait bien !
Il levait les yeux au ciel, les mains encore plus haut, il parlait fort, trop fort.
— Ferme-là, Tristan, les autres vont t’entendre dans le resto.
Le clown écrasa sa cigarette dans un pot de fleurs qui trônait là, puis ils entrèrent au
« Tilleul » et s’installèrent à table vers leurs amis. Le petit Liam, cheveux noirs comme son père,
l’air un peu triste, assis près de sa mère, interrogeait du regard son papa qui venait de s’assoir
en face de Manon.
— Alors, mon chéri, ça te fait quoi de rentrer à la grande école le mois prochain ? demanda
Kevin.
— Pis c’est pas la grande école, c’est la moyenne école. Tu dis n’importe quoi, papa.
— Oh là ! On dirait que tu es de mauvaise humeur.
Manon caressa les cheveux de son enfant, dirigea des yeux trop ronds vers son mari et
poussa énergiquement du bout du pied la cheville mâle cachée sous la table. Kevin comprit. Il
changea d’interlocuteur.
— Et toi Lou, ton chéri Paulin n’a pas pu se libérer pour nous aider ?
Encore les gros yeux de Manon envers son mari, encore un coup de pied sous la table.
Kevin ne comprit pas.
Décidément, aujourd’hui, il ne fallait pas qu’il aborde de sujets sur les enfants. Il changea
encore d’interlocuteur. Tout en regardant Manon avec un sourire complice, il s’adressa à la
compagne de sa femme.
— Et toi, Belinda, les amours, ça va toujours ?
Vlan ! nouveau coup de pied sous la table. Il laissa donc la parole aux autres.
Et le repas continua entre plaisanteries, sourires, bouderies, un ou deux éclats de colère,
un mélange de la vie quoi. Kevin se leva le premier.
— Viens, Manon, je t’emmène chez But.

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Belinda, le visage fermé, dévisageait le couple qui marchait sur le trottoir. Lorsque les
deux silhouettes disparurent à l’angle de la rue menant au parking, la jolie métisse se décida à
rejoindre les autres déménageurs, il y avait encore du travail dans le nouveau logement de
Manon. Elle tenait par la main le petit Liam.
Il fallait traverser toute la ville pour rejoindre la zone commerciale. Dans la cabine du
fourgon, séparée par un siège vide, Kevin, arrêté par un feu rouge, se tourna vers sa femme.
— Le pauvre Liam, il est triste parce qu’il sent bien que cette fois-ci, notre séparation,
c’est pour de vrai.
— C’est vert.
Kevin enclencha la première. Le fourgon hoqueta et s’élança vers la zone commerciale.
Manon balbutia :
— J’ai essayé de le rassurer, de lui dire que l’on prenait chacun notre logement, mais que
l’on serait le plus souvent possible ensemble, tous trois, comme l’autre soir chez Félix et Océane,
mais c’est vrai que Liam n’est pas bête, il sait bien que plus rien ne sera jamais comme avant.
Toi, seul dans ton appartement de Champa, moi seule dans ma maison de Lons. C’est un peu
dommage tout ça.
Elle soupira.
— Enfin, un peu dommage pour Liam, bien sûr.
Kevin retint de cet échange le mot le plus cruel, ce soupir de Manon.
— Pourquoi m’as-tu jeté un coup de pied lorsque j’ai interrogé Lou ?
— Tu mets les pieds dans le plat quand il ne faut pas, comme souvent, mon pauvre Kevin.
Lou et Paulin, ça ne va pas très fort en ce moment.
— Ah, désolé, je voulais juste entretenir un échange avec ma belle-fille. D’ailleurs elle
ne m’a rien répondu, toujours aussi conne avec moi celle-là.
— Tu m’étonnes qu’elle ne t’ait rien répondu, tu as tapé juste là où ça fait mal.
La camionnette se gara sur le parking de chez But. Alors que Manon claquait la portière
en sortant du véhicule, Kevin fit le tour du fourgon et s’approcha de sa femme.
— Et ce coup de pied lorsque j’ai questionné ta copine Belinda ?
Elle pinça le menton de son mari tout en souriant.
— Nos amours de lesbiennes ne te regardent pas.
— Ça ne justifie pas ce vilain coup de pied. Que me caches-tu, Manon ?
— Je te répète que mes amours ne te regardent pas, sourit-elle encore.
Il la prit par la taille pour entrer dans le magasin.
— Tes amours, tu ne les craignais pas l’autre soir en face de moi lorsque tu couinais dans
mon lit.
— Parce que tu crois que j’ai eu le temps de couiner, tu m’as baisée comme un lapin.
Après leurs achats, le couple s’échina à soulever machine à laver, gazinière et frigo dans
le fond du camion. La besogne achevée, ils soufflèrent un peu, les coudes sur l’arrière du camion,
les têtes entre les bras. Kevin passa son bras autour du cou de Manon.
— Tu es toujours aussi belle. Quel gâchis de te taper une femme. En même temps, elle
est très jolie ta métisse. Au fait, j’ai ton cadeau d’anniversaire. Je l’ai oublié dans ma voiture
garée sur le parking d’Intermarché à Champa. Du coup, il faudra revenir me voir pour récupérer
ton bien. En même temps, si tu veux, je te ferai l’amour, et pas comme un lapin cette fois-ci.
— Oh, tu n’as pas oublié mon anniv, c’est sympa !
— Ce sont juste deux luminaires pour ta nouvelle maison.
Manon déposa un baiser sur les lèvres de son mari. Ils se hissèrent dans la cabine de la
fourgonnette. Manon choisit le siège du milieu. Dès que le camion s’élança, elle posa sa main
sur la cuisse de Kevin. Il portait un short sous la chaleur de l’été.
— À propos de Belinda, tu n’as rien à me dire, Kevin ?
Il tourna la tête deux secondes vers elle, sans rien dire, l’air étonné.

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— Ne viens-tu pas de me dire que tu trouves Belinda très jolie ?
— J’aime Justine.
Manon s’approcha encore un peu plus de son mari, jusqu’à coller sa cuisse débordant de
sa robe courte sur la cuisse de Kevin. Elle entoura l’épaule du conducteur de son bras. Elle se
courba, chuchota à son oreille.
— Tu ne m’as toujours pas répondu au sujet de Belinda.
— Tu veux parler de l’enfant.
— Oui.
— Pourquoi pas, le problème, c’est que ce n’est pas possible maintenant, il faut que
Joujou soit fixé définitivement.
— Oui, mais l’opération c’est pour bientôt.
— Pas sûr.
— Sur le principe de faire un enfant à Belinda, c’est OK donc.
— Sur le principe oui. Et sauter Belinda, bien sûr que oui, hé, hé.
Le camion stationna devant la maison de Lons-Le-Saunier. On descendit les meubles, on
monta les meubles. Dans la chambre à coucher, le lit était prêt. Lou finissait d’étendre une
couette d’été.
— J’ai fait ton lit, maman, tout sera prêt pour cette nuit.
Modi, le beau black de quarante ans, l’ex de Justine, s’affala sur la couette, histoire de
décompresser, ou peut-être une simple fantaisie.
Lou s’empressa de s’allonger à ses côtés, histoire de s’amuser, ou peut-être une simple
fantaisie. Les regards des faux dormeurs se croisèrent. Les yeux bleus juvéniles caressèrent les
yeux noirs dorés. Après quelques minutes suspendues au temps, ils se levèrent sans échanger
un mot, juste des sourires.
Pendant ce temps, Kevin, Manon, Tristan et Belinda buvaient leur bière et leur coca sur
un coin de table encombrée. Tristan lorgnait Belinda sans espoir de retour, mais un jour qui sait ?
Kevin lorgnait Belinda, sachant qu’un jour, sûr, il lui ferait l’amour, il avait une bonne excuse.
Ah, pour un enfant, qu’est-ce que les femmes ne sacrifieraient pas ! Quant à Belinda, elle
regardait avec un regard triste sa compagne. Manon se pencha vers elle.
— Il y a tellement de bazar à ranger dans cette maison, et comme tu ne travailles pas
demain, tu restes pour m’aider.
— Bien sûr, Manon et je dormirai vers toi, comme ça on pourra travailler tard.
À minuit, seules dans la maison, les deux filles se glissèrent sous la couette.
Trop fatiguées, elles échangèrent seulement de légères caresses avant de s’endormir.
Belinda, engourdie par le sommeil, chuchota :
— Es-tu sûre, chérie, de ne plus être amoureuse de ton mari ?
Manon dormait.
À la même heure, là-bas, rue de la république à Champagnole, Kevin fut réveillé par la
sonnerie du portable. Un SMS de Marie. « Bonjour, Kevin, je vais à Genève après-demain.
J’aimerais passer te voir, j’ai des choses à te dire ».

12

Le surlendemain en fin de matinée, Marie sonna à la porte.


— Bonjour, Kevin, aujourd’hui c’est moi qui t’invite au restaurant, qui y a-t-il de bien
par-là ?
— Tu aimes chinois ?

26
— Oui.
— J’enfile un blouson et l’on y va.

L’assiette de Kevin débordait de crevettes roses, de nems, de poulet laqué, une entrecôte
essayant même de cacher le tout. Marie, plus sobre, se contenta de salade et d’un peu de riz.
Après avoir quitté le buffet, ils s’installèrent à table.
Kevin fixait les lèvres, la langue, les dents de Marie qui dégustait sa salade.
— Je suis inquiet, Marie, il y a un homme, le même que celui qui me suivait il y a quelques
semaines dans les rues d’Equevillon, eh bien cet homme, il nous suivait en voiture tout à l’heure,
une vieille Golf, et ce, depuis mon appartement jusqu’à l’entrée de la zone commerciale.
Bizarre !
— Peut-être un journaliste qui veut m’imiter ? ironisa Marie.
— Quel intérêt de piquer mon sexe maintenant ? Tout a été dit et fait sur cette expérience
de prothèse.
— Va savoir, la science fait des progrès chaque jour.
Kevin suçait ses doigts rouges de sauce.
— Au fait, as-tu remarqué que l’on se tutoie depuis notre rencontre à Ikea ?
— Pourquoi, faut pas ? sourit Marie en se levant de table, j’ai peu mangé, je vais me
chercher un dessert, tu veux quelque chose ?
— Je te suis. J’ai beaucoup mangé, mais c’est de la gourmandise.
— Comment fais-tu pour garder la ligne ?
— Je fais du sport pour plaire aux filles aussi jolies que toi. Après le dessert, on boit le
café chez moi ?
— Pourquoi pas, j’ai besoin d’être à Genève pour un colloque à 21 h seulement.
Marie avait trouvé ce prétexte pour passer l’après-midi auprès de Kevin. En fait, pas de
colloque, pas de voyage à Genève, juste un après-midi auprès de Kevin puis retour à Dijon chez
le chirurgien grec Damassène.

Marie l’audacieuse et Kevin le fragile, ce mélange facilita une première étreinte dans le
canapé de cuir blanc après la pause-café.
— Viens donc dans ma chambre, Marie, le soleil nous éclabousse derrière ces carreaux.
Marie se leva du sofa sans se faire prier, mais minauda :
— Grand brigand, où veux-tu m’emmener ? Dans un endroit obscur ?
— Non, j’aime bien faire l’amour en pleine lumière, je veux juste ne pas être ébloui par
le soleil. Je préfère être ébloui par ta… non, excuse-moi, j’allais déjanter comme mon ami
Tristan.
— M’as-tu demandé si j’étais d’accord ?
Mais les yeux noisette, brillants de désir, avaient déjà donné la réponse. Kevin prit dans
ses bras le long corps de la jeune fille, pas plus lourde que Manon. Il la jeta sur la couette.
Debout au pied du lit, le beau mâle observait sa nouvelle conquête. La chevelure longue et
blonde, large et fournie se dispersait sur la couette. Le visage fin de Marie semblait se fondre
dans les ondulations des cheveux, comme la vierge Marie dans la légèreté des nuages. Ses bras
repliés de chaque côté de sa tête parachevaient l’image parfaite de la sensualité. Kevin voulut
prendre une photo de la déesse. Mais le portable trainait dans sa poche de jean, et le temps de
le sortir, la soif de la chair l’avait précédé. Il sauta sur sa proie, avec toutefois la délicatesse
d’un gentleman, ses genoux de chaque côté du corps féminin, ses avant-bras sur les cheveux
éparpillés, son souffle sur les lèvres de Marie, le bout de son nez sur l’autre bout du nez. Tout
commença donc par un baiser d’Esquimau. Kevin se tortilla jusqu’à ce que le jean glisse sur la
moquette. Le caleçon suivit, les chaussettes aussi, mais le maillot ce fut Marie qui s’en chargea.
Elle tira le tee-shirt moulant par le haut du corps. Du coup, les bras de Kevin s’affalèrent sur la

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couette, sa bouche s’écrasa sur la bouche, les nez respirèrent enfin. Les langues se frayèrent un
passage dans le noir et l’humidité, jouèrent à « roule-pelle » ce jeu qui consiste à laquelle des
langues rattrapera l’autre, il fallait donc tourner vite, toujours plus vite, encore plus vite, jusqu’à
ce que l’une d’elles se prenne une pelle. Mais Kevin, beau joueur et fin gourmet de l’amour, de
sa langue, ralentit la cadence. L’organe caressa, titilla, glissa sur les dents blanches, lécha le
palais, ne put atteindre les amygdales, recula, quitta l’autre langue pour ramper sur les lèvres
toujours entrouvertes, descendit sur la pointe du sein gauche, du sein droit, tourna autour des
boutons comme pour jouer à « roule-pelle », mais il n’y avait plus d’adversaire. La langue
masculine poursuivit sa course jusqu’au nombril, puis plus bas. Les cuisses s’entrouvrirent. La
culotte avait déjà disparu, comme par magie. Marie grognait doucement, comme un chiot que
l’on caresse. La langue de Kevin devint l’unique outil de l’amour. Le cunnilingus fut long, très
long, jusqu’à ce que le grognement du chiot se transforme en jappements de désir. Marie n’avait
jamais connu tant d’orgasmes successifs. Elle s’apaisa doucement lorsque Kevin remonta le
long de son corps. La langue au goût âcre pénétra de nouveau la bouche de Marie. Ce fut encore
le jeu du « roule-pelle », mais Kevin tricha, ses dents mordirent avec délicatesse le petit bout de
langue de son amante du jour. Il se tourna sur le dos, soupira. Fin de la partie. Non, Marie
rebattit les cartes sans trop attendre. Sa langue se vengea de l’audace de son adversaire. Elle se
jura de faire mieux. Toutes les parcelles de la peau du mâle sentirent l’humidité de la petite
langue rose. Joujou piaffait d’impatience. Il savait pourtant bien qu’il jouerait le bouquet final.
Marie prit enfin l’instrument masculin entre ses lèvres, caressa la base du gland avec sa langue.
La fellation fut à la hauteur du cunnilingus, un peu plus haute d’ailleurs, et le sperme gicla sur
la bouche, la couette, les seins.
Les amants s’endormirent au creux de l’après-midi. Kevin se réveilla une heure plus tard,
se tourna vers Marie, l’embrassa si tendrement que Joujou demanda à participer. Les jambes en
l’air, Marie se laissa pénétrer. Le va-et-vient entre les reins fut long, long de douceur, long de
désir. Tout s’accéléra, les corps chauds, les cerveaux bouillants, Joujou tout rouge. Bientôt ce
furent les orgasmes entre grognements et soupirs. Kevin, essoufflé, se tourna sur le dos.
— Tu es belle, Marie, et qu’est-ce que tu fais bien l’amour.
— Ne m’as-tu pas dit l’autre jour que tu étais amoureux de ton amie Justine ? Expliquez-
moi, vous les hommes, comment peut-on faire l’amour à une fille alors que l’on est amoureux
d’une autre ?
— Et toi alors, avec ton Grec ?
— Je t’ai dit que je n’étais pas amoureuse d’Andreou. De toi non plus d’ailleurs. Ne pas
être amoureuse me permet de faire l’amour avec qui je veux, quand je veux.
— Juste baiser, quoi !
Marie embrassa Kevin sur les lèvres.
— Il n’y a pas de mal à se faire du bien. Et cet après-midi, on s’est fait énormément de
bien, n’est-ce pas ? Tout était parfait. Tu es un homme vigoureux et doux.
Kevin se souleva sur un coude et se tourna vers Marie.
— On a une ou deux heures devant nous avant que tu partes à Genève. Qu’est-ce qu’on
fait ? On recommence ou l’on sort prendre l’air par ce beau soleil ?
Elle caressa la joue de son amant.
— Ménage donc Joujou. Ne m’as-tu pas dit qu’il était malade ?
Elle se leva d’un bond. Cette beauté longiligne secoua sa chevelure, enfila ses sous-
vêtements, son jean, sa chemise, ses Nike.
— Habille toi, Kevin, et fais-moi visiter ta région.

Le Scénic stationna sur le parking du lac d’Ilay. Le couple descendit de voiture.


— Te souviens-tu, Marie, c’est là que nous nous sommes rencontrés pour la première fois.
— Et c’est dans ce lac que Justine, très en colère, a jeté ton Joujou.

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Kevin regardait le bleu de l’eau.
— Quelle histoire ! Heureusement que Modi, plongeur amateur, l’a récupéré avant qu’il
ne soit bouffé par les poissons.
Les yeux de Marie pétillaient à nouveau d’envie.
— La vieille barque est toujours là, cachée dans les roseaux. Veux-tu m’emmener pour
une balade romantique dans ce décor de rêve ?
— Ah non, ça ne va pas recommencer !
— De ce que je sais, chaque fois que tu as pris cette barque, tu as fait l’amour, caché dans
le fond de l’embarcation à l’abri des regards indiscrets, une fois avec Justine, une fois avec
Manon.
— Et donc bientôt une fois avec toi, sourit Kevin.
L’eau verte, les sapins majestueux sur les bords de l’étang, c’était vivifiant, presque aussi
aphrodisiaque que le chocolat, le cèleri, la cannelle ou le ginseng. Kevin fut d’accord pour une
séance de Kamasutra.
Kevin dénicha la barque, fruit de désagréments passés, mais aussi de divines surprises.
— C’est moi qui rame, dit-il en poussant la barque à quelques mètres du rivage.
Puis il ajouta, fier de son jeu de mots à venir :
— Avec tout ce que j’ai demandé à Joujou cet après-midi, c’est vrai que je risque de ramer.
Marie rigola, déposa un baiser dans le cou de Kevin alors qu’elle chevauchait le bord de
l’embarcation.
— Tu m’emmènes au milieu du lac, loin des regards des touristes ?
— Comme me l’avait demandé Justine, mais aussi Manon. C’est le romantisme du lieu
qui vous incite à faire l’amour ?
La barque s’immobilisa, les frissons de l’eau chatouillaient le bois de l’embarcation. Assis
sur le banc central, le couple se tenait par la main. Les prunelles noisette plongées dans les yeux
couleur de l’eau, les doigts croisés dans les mains de l’autre, ils s’écroulèrent bien vite au fond
de la barque. Ils se déshabillèrent rapidement. Kevin décida de la position Kamasutra qui lui
convenait le mieux après toutes ces galipettes de l’après-midi, c’est-à-dire la position de
l’indolent. Les muscles fatigués, les joyeuses vides, il avait besoin de repos. Couché sur le dos,
les planches lui labouraient les épaules, les reins, qu’importe, le plaisir dépasserait la douleur.
Elle, toujours dynamique, s’assit sur Kevin, lui tournant le dos. La position de Joujou entre les
cuisses lui convenait parfaitement. Elle restait maître d’œuvre de l’amour, secoua longtemps le
pénis avec les tortillements de son petit cul, trop longtemps, Joujou donnant quelques signes de
fatigue. Tant pis pour la faiblesse. Tous deux s’assirent nus sur le banc central de la barque.
Sous la brise chaude, ils admiraient le paysage : ces épicéas jurassiens d’un beau sombre, cette
eau verte du lac où grouillaient carpes et perches, les roseaux sur la berge bercés par le vent de
l’été. Brusquement Marie prit les mains de son compagnon et planta ses yeux noisette dans les
siens.
— Le soudage de Joujou peut avoir lieu très rapidement, sans opération et sans le
chantage du professeur Chapelier.
Surpris, Kevin lâcha les mains de Marie.
— Que me racontes-tu là ? As-tu des entrées auprès du service transgène de Lausanne ?
— Non, je n’ai pas de connaissances à l’hôpital de Lausanne, par contre je garde de bons
contacts avec la clinique Félix Kir à Dijon.
— Ah, non ! Ne me parle plus de cette clinique à la con et de ce débile de chirurgien grec.
Marie s’agenouilla devant Kevin. La tête à hauteur de Joujou, elle caressa le sexe mou
tout en observant la physionomie de son chéri du jour.
— La clinique Félix Kir s’est bâti une réputation nationale en quelques semaines, et ce,
grâce à Andreou Damassène. Ce Grec, comme tu dis, est devenu une référence en matière de
greffe et d’opération transgène. Ce n’est plus ce bonhomme qui a brûlé ton jouet préféré. Ce fut

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une défaillance de la micropuce à l’origine de cette erreur. Tout ce qu’il entreprend désormais
est sans faille. Tu devrais lui faire confiance. J’ai parlé avec lui la semaine dernière. Il est prêt
à souder Joujou, et ce, d’une manière révolutionnaire.
— Comment ça ?
— Je ne peux pas t’en dire plus, je ne suis pas médecin, je suis journaliste. Prends rendez-
vous avec le docteur Damassène, il t’expliquera.
— Non, il n’en est pas question, et puis arrête de tripoter Joujou.
Elle sourit tout en gardant la tête relevée pour dévisager Kevin. Les mains s’activaient
toujours plus sur le joyau du mâle.
— Cet après-midi, tu aimais te faire tripoter. Une petite discussion sérieuse et il n’en faut
pas plus pour déstabiliser un homme pourtant plein de vigueur. Pfou ! regarde-moi ça, ce Joujou
minable, il ne réagit même plus. Andreou, lui, il me faisait l’amour cinq ou six fois de suite.
Vexé, Kevin caressa bien vite les jeunes seins de Marie. Il transmit aussitôt l’excitation
de son cerveau à son fidèle Joujou, lequel s’étira doucement vers le ciel bleu. Marie poussa son
amant dans le fond de la barque, le chevaucha dans le sens inverse de l’aiguille, si bien que
18 heures sonnaient dans la bouche de la jeune fille pendant que Kevin admirait le lever de lune.
Pendant que le 69 tournoyait entre les planches du petit bateau, tantôt lui sur elle, tantôt elle sur
lui, Kevin tenait fermement les fesses de sa chérie. Dans cette folle exubérance, deux doigts du
mâle s’enfilèrent dans les profondeurs du petit trou. L’orgasme en fut décuplé et Marie recracha
le peu de sperme que Joujou avait encore en lui.
Brusquement Kevin écarquilla les yeux vers son sexe. Pris de panique, il reconnut le bruit
léger de la déconnexion de Joujou. Marie tenait le sexe déclipsé dans ses mains. Elle se leva,
menaça de jeter Joujou à l’eau, comme l’avait fait Justine l’hiver précédent. Au fond de la
barque, Kevin se redressa sur ses fesses. Il tendit sa main vers Marie.
— Mais que fais-tu, Marie ? Allez, donne-moi ça, ce n’est pas à toi.
Elle plaqua Joujou entre ses seins en souriant.
— Si, un peu quand même. Tu me l’as prêté.
Le regard de la jeune fille se fit plus sévère.
— As-tu vu ça, Kevin, comme c’est facile en faisant l’amour de te substituer ton Joujou ?
Comme l’an dernier, on va continuer à te le voler, tu le perdras. Il faut vite souder à ton corps
cet objet si précieux. Dis-moi que tu es d’accord pour rencontrer le professeur Damassène, dis-
le-moi, je t’en supplie.
Elle prit un air plus tendre.
— Et tu remplaceras Andreou dans mon cœur.
Elle serrait toujours Joujou entre ses seins.
— D’accord, j’irai le voir.

13

Kevin frappa à la porte de Justine. Les grands yeux sombres et la longue chevelure
couleur châtaigne se découpèrent dans l’encadrement de la porte. Dans sa robe fuchsia, elle
sauta au cou de son chéri.
— Tu m’as manqué, mon amour.
— Et à moi donc. Maintenant que je suis célibataire, entre deux clients j’ai tout juste le
temps de faire les courses, la vaisselle, le ménage, m’occuper de Liam lorsqu’il est à
Champagnole.

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Ils s’installèrent dans la méridienne. Kevin passa son bras derrière la nuque de sa chérie.
Elle posa sa main sur la cuisse du mâle. Il portait un jean et une chemise blanche. Il avait déjà
retiré ses chaussures.
— Tu vis en célibataire parce que tu le veux bien, mon amour. Vois-tu les avantages de
vivre en couple, tu n’aurais plus besoin de courir partout, je m’occuperais de la maison, de toi,
de Liam.
— Laisse-moi encore un peu de temps.
Elle haussa les épaules. Elle se serra contre lui, l’embrassa dans le cou. Il passa sa main
dans les cheveux ondulés et murmura à son oreille :
— J’ai deux bonnes nouvelles. Ça y est, on va enfin ressouder mon sexe. C’est pour
bientôt.
Justine s’enfonça dans les bras de son amant sans rien dire. Elle attendait la suite.
— La deuxième bonne nouvelle, je suis décidé à te faire un enfant.
Elle enfouit encore plus profondément la tête contre la poitrine de Kevin, respirant le
parfum mâle.
— Je t’aime, Kevin.
Le Don Juan trichait avec Justine, il la trompait, mais il l’aimait. Cependant, s’il venait
d’accepter de donner un enfant à son amante, ce n’était pas tant par amour que par cupidité.
Lorsqu’il rencontrerait monsieur Damassène, il accepterait que Joujou soit soudé à la clinique
dijonnaise contre pactole, comme le lui avait conseillé Tristan. Monsieur Damassène, lui aussi,
rêvait de gloire et de gros sous. Kevin ne reconnaitrait pas l’enfant, le laisserait à Justine
puisqu’elle insistait. Il partagerait un peu de bonheur tous trois, mais pas plus.
Brusquement, un sentiment trouble traversa sa conscience. Justine était-elle son véritable
amour ? Ne justifiait-il pas ses errances sexuelles en voulant se faire croire à lui-même qu’il
savait aimer une seule et unique personne ? Justine, ainsi qu’il l’avait souhaité, était sa
concubine. Pourquoi elle, plutôt que les autres filles qu’il baisait ? D’ailleurs n’avait-il pas baisé
Justine comme un lapin la dernière fois qu’ils s’étaient vus ? N’avait-il pas fait l’amour avec
Marie comme un grand seigneur deux jours en arrière ? Était-il capable d’aimer, ou serait-il
juste un homme guidé par son sexe ? Il se croyait sentimental, il en doutait maintenant.
La chevelure de Justine caressait le menton de son chéri. Alors qu’il lissait les cheveux
sombres, il sortit de ses réflexions.
— J’ai rendez-vous après-demain à l’hôpital pour préparer mon dossier et connaitre le
principe du soudage du sexe et de ce soi-disant procédé révolutionnaire.
Il leva les yeux au ciel, ou plutôt au plafond.
— Qu’est-ce qui m’attend encore ? Après la révolution scientifique du sexe prothèse
clipsable, qu’est-ce qu’ils peuvent bien encore trouver de révolutionnaire ?
Justine souleva sa tête, embrassa le bout du nez de son amour.
— Ne t’inquiète pas. Le professeur Chapelier a réparé ton sexe, a trouvé une solution
provisoire avec cette prothèse magique, c’est fabuleux ce qu’il a réussi. Il faut donc lui faire
confiance pour cette greffe définitive.
Kevin transpirait dans la chaleur de ce mois d’aout. Il écarta doucement la chevelure
châtaigne qui chatouillait son visage.
— Je vais me chercher une bière, tu veux quelque chose ?
— Un jus de pamplemousse, tu trouveras ça dans le bas du frigo.
Il resta rêveur devant le réfrigérateur ouvert. Il ne voyait ni bière ni jus de pamplemousse,
son esprit embrouillé l’emmenait vers la clinique Félix Kir, vers l’hôpital de Lausanne. Fallait-
il avouer à Justine que l’opération n’aurait pas lieu à Lausanne, mais à Dijon ? Il savait que sa
compagne gardait une très mauvaise image de cette clinique. Le directeur de l’établissement et
ses adjoints attendaient d’être jugés en appel pour corruption, séquestration et mise en danger
de la vie d’autrui. Justine venait à l’instant de lui vanter les mérites du professeur Chapelier de

31
Lausanne. Que lui dire ? Dans l’immédiat, il fallait lui cacher la vérité, pas la peine de la
perturber, et puis quand tout sera terminé, qu’elle sera satisfaite de l’opération et du sexe bien
fixé à son corps, elle pardonnera.
Il ferma la porte du réfrigérateur et s’installa à nouveau vers sa chérie.
— Qu’as-tu fait des boissons ? demanda-t-elle.
— Merde ! je les ai laissées dans le frigo.
Elle haussa les épaules.
— Toujours le même étourdi. C’est peut-être pour ça que je t’aime, ce côté rêveur, un peu
poète.
— Ah ! je croyais que c’était pour mon gros sexe.
Justine retroussa sa lèvre inférieure, façon boudeuse.
— Tu deviens lourd avec ton Joujou. Parfois j’ai l’impression qu’il n’y a que ça qui
compte chez toi.
Il se souleva de la méridienne et retourna en cuisine chercher les boissons sans répondre.
C’est l’instant que choisit Marie pour l’appeler au téléphone.
— Coucou, Kevin, ça va, bien remis depuis notre folle journée ?
Kevin baissa le volume de son portable, s’enfonça au plus profond de la cuisine, posa sa
main sur le côté du téléphone pour éviter que des sons malvenus se sauvent par-delà les portes.
Il chuchota :
— Bonsoir Marie.
— Je t’entends mal, tu parles doucement, es-tu malade ?
— Non, je vais bien.
— Je t’appelle au sujet de la greffe de ton beau sexe, tu as rendez-vous vendredi 9 aout à
18 heures avec le professeur Damassène, soit après-demain. Ce sera donc à la clinique Félix
Kir, tu connais n’est-ce pas ?
— Oui
— Et la date de l’opération est prévue le mardi 20 aout. Vois-tu comme la clinique
d’Andreou est efficace, voilà une affaire rondement menée.
— Parfait, plus vite c’est fait, plus vite c’est débarrassé.
— C’est tout, mon beau gosse, même pas merci, même pas de félicitations pour mon
dévouement ?
— Merci Marie.
— Mais que se passe-t-il, tu n’es pas bien bavard. Je croyais trouver un Kevin enjoué,
heureux de la bonne nouvelle. Tu m’avais habituée à plus de spontanéité… ah, j’ai compris, tu
n’es pas seul, c’est cela.
— C’est ça.
— Tu es avec Justine.
— C’est ça.
— Ah, ah, et si je m’amusais à la rendre jalouse, ta copine ? te demander par exemple de
me dire « je t’aime » là, tout de suite.
— Ça ne va pas, dis, qu’est-ce qui te prend ?
— On n’est pas fier de tromper sa copine, hein, surtout lorsque l’on est amoureux d’elle.
Allez, promis, je ne t’embête plus. De toute façon, on se revoit bientôt. Je serai à la clinique
après-demain pour ton rendez-vous. Je t’embrasse très tendrement, mon beau Kevin.
— OK.
On devinait le sourire au téléphone.
— Ce n’est pas une réponse. OK, n’importe quoi ! On répond à sa petite amie à qui l’on
a fait l’amour il y a deux jours, on répond : moi aussi je t’embrasse très tendrement. Donc je
recommence mon final et j’attends ton tendre retour. Je t’embrasse très tendrement, mon beau
Kevin.

32
— Moi aussi.
Il raccrocha, revint s’assoir sur la méridienne.
— Merde, j’ai encore oublié les boissons. Bon cette fois-ci c’est normal j’ai dû répondre
au téléphone, c’était Marie, elle m’a perturbée.
— Qui ça Marie ?
— Tu ne connais pas.
— Si, je connais une Marie, cette fameuse journaliste qui a occasionné tant de misères à
ton Joujou l’hiver dernier et ce printemps.
Entre chaleur et émotions, Kevin avait de plus en plus soif. Il repartit à la cuisine chercher
les boissons. Devant le frigo, il répondit enfin à sa chérie en portant sa voix jusqu’au salon :
— C’était une secrétaire de la clinique, euh… de l’hôpital de Lausanne qui me
communiquait la date de l’opération.
Il prit enfin les bouteilles dans le frigo, s’approcha de la méridienne, posa les boissons
sur la table du salon et poursuivit son demi-mensonge.
— L’opération aura lieu dans moins de trois semaines, le 20 aout. La secrétaire médicale
s’appelle Marie.
— Ah !
— Et ce vendredi je dois être à l’hôpital pour 18 heures, j’ai rendez-vous avec le
professeur. Il doit me donner des détails sur la greffe à venir.
Kevin venait de s’assoir à nouveau à côté de Justine.
— Chouette ! vendredi je n’ai rien de spécial, je viens avec toi à l’hôpital.
Kevin plongea sa tête au plus bas de son corps, à hauteur du nombril, comme pour
chercher un endroit où se cacher. Mais quel con ! ruminait-il, dans quel merdier je me fous ! Il
releva la tête, but une gorgée de bière.
— Tu vas t’ennuyer toute la journée à m’attendre.
— Parce que tu penses que ça durera toute la journée ?
— Oui, j’ai tes tas d’examens à passer avant l’entretien.
— Parce que tu passes des examens toute la nuit ?
— Comment ça, toute la nuit ?
— Parce que tu m’as dit que ton rendez-vous à l’hôpital était à 18 heures.
Quel con ! mais quel con ! Il fixa le regard interrogateur de Marie, enveloppa ses mains
d’une douce caresse.
— Cette opération, ça me stresse. Je ne sais plus vraiment ce que m’a dit Marie. Dix-huit
heures, est-ce le rendez-vous pour l’entretien avec le professeur ou le début des examens ? Je
la rappellerai demain matin pour en savoir plus.
— Moi je sais ce qu’elle t’a dit, ta chère Marie, elle t’a dit « Je t’aime » ou bien « je
t’embrasse très fort, mon chéri » ou quelque chose comme ça.
— Je…
Elle posa son index sur les lèvres de Kevin.
— Chut ! ne dis rien, ce serait encore un mensonge. Lorsqu’un homme achève un
entretien téléphonique avec sa maitresse et que sa femme ou sa copine peut entendre, avant de
raccrocher, il dit toujours : « moi aussi ».

14

Le Scénic roulait doucement en passant dans le quartier des putes à Dijon. Kevin sourit
en tournant son regard vers cette maison où l’hiver dernier il avait offert Joujou bis à cette
putain « Tu t’en serviras comme gode » avait-il dit, « tu verras, on dirait un vrai sexe, si tu le

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branles bien tu peux même avaler ». Plus loin, en passant devant la gare, il eut un frisson, se
rappelant cette course poursuite où l’équipe médicale de la clinique le cherchait, puis cette fuite
en taxi.
Le Scénic stationna devant l’établissement médical à 17 h 50. Kevin était à l’heure pour
son rendez-vous. Justine ne l’accompagnait pas. Heureusement qu’elle n’est pas venue avec
moi, se disait-il, j’ai bien fait de lui raconter des bobards, elle m’aurait empêché de me laisser
opérer dans cette clinique maudite. Il lui avait donc raconté une sombre histoire de report de
rendez-vous à Lausanne et il en profiterait donc pour étoffer son portefeuille de clients dans la
région dijonnaise. Il flairait, avait-il dit, un bon coup qui lui promettait un bel avenir.
Depuis qu’il avait couché avec Marie, il lui semblait que cet établissement de soins et ce
laboratoire révolutionnaire étaient devenus le centre scientifique le plus emblématique
d’Europe et non plus cette triste clinique corrompue. Marie l’avait décidé pour cette opération,
ici, à Dijon. Marie avait raison puisque Marie l’aimait, et ça, il en était certain.
L’abondante chevelure, le visage et le sourire d’ange attendaient Kevin dans le hall de la
réception. Le couple s’embrassa et Marie l’entraîna aussitôt vers le bureau de monsieur
Damassène.
— Décidément, je n’arrive toujours pas à connaitre ton vrai métier. Es-tu journaliste
parisienne ou membre de l’équipe médicale ?
— Je suis bien journaliste, sourit-elle, disons aussi que j’aime bien l’ambiance de cette
clinique.
Elle s’effaça devant la porte ouverte du bureau pour laisser passer Kevin. Elle le suivit et
referma la porte derrière elle. Monsieur Damassène, occupé au téléphone, pointa du doigt deux
chaises où le couple s’installa.
Kevin, surpris de la présence de Marie à cet entretien, jeta un regard à la jeune fille. Une
pointe de jalousie atteignit son cœur. N’avait-elle pas encore quelques sentiments pour ce Grec ?
Ou alors pour moi ? Il se réjouit à cette dernière pensée, mais bascula de nouveau dans la
grisaille. Ne serait-ce pas plutôt la place de Justine, voire celle de Manon ? C’était un sujet trop
grave que la réparation de son sexe pour laisser participer une fille certes très jolie et qui baisait
bien, mais une fille qu’il connaissait mal. Pourquoi donc tant compliquer les choses avec les
femmes, ne pouvait-il pas se ranger une bonne fois pour toutes ? Autant son sexe était souvent
raide, autant son esprit se montrait tordu. Il se jetait trop souvent tête baissée et sexe en l’air
dans la débauche, il fallait qu’il se calme.
La voix du Grec sortit Kevin de ses pensées.
— Bonjour, monsieur Rumber, heureux de vous revoir, et dans de bien meilleures
circonstances que l’hiver dernier. Oublions le passé et partons sur de nouvelles bases solides.
Marie vous a sans doute parlé de notre récente notoriété. Venons-en aux faits. Nous vous
opèrerons donc le 20 aout prochain. Nous aurions pu le faire plus tôt, mais c’est les vacances,
vous comprenez, le personnel absent, etc. Aujourd’hui je vais vous expliquer les détails de
l’opération. Oh ! opération est un bien grand mot, cela durera tout au plus une demi-heure. Plus
besoin de tripatouiller ni votre sexe ni votre ventre.
Andreou lança un regard langoureux vers Marie puis il sourit à Kevin.
— Vous avez choisi la bonne adresse pour votre greffe définitive, et cela grâce à Marie.
Il regarda la jolie blonde avec son grand sourire grec puis enchaîna en se tournant vers
son patient :
— Je vous ai dit que l’opération ne prendrait qu’une demi-heure. C’est surprenant, non ?
En fait, nous n’allons pas vous endormir, même pas localement, c’est encore plus surprenant,
non ? Résumons votre parcours médical à l’hôpital de Lausanne. Le professeur Chapelier en
juin 2018 a récupéré des lambeaux de votre sexe complètement déchiqueté par l’accident. Par
ailleurs, il a confectionné une prothèse identique à votre sexe d’origine. Les lambeaux de peau
ont été greffés sur la prothèse, ce qui lui donna l’apparence totale d’un sexe naturel. Il a créé

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des microconnexions sur la base du sexe, les testicules ayant pu être greffés sur celui-ci. Il a
ensuite posé une plaque carbone sur votre bas-ventre où les microconnexions venaient
s’emboiter. Votre sexe, c’était un peu comme une prise électrique mâle, votre plaque carbone,
une prise femelle. Grâce à ce procédé, il n’y avait plus de risque de rejet de l’organe étranger
puisque les cellules récupérées sur votre ancien sexe étaient celles de votre sexe d’origine. Vous
me suivez, monsieur Rumber ?
— Oui, on m’avait déjà bien expliqué à l’époque à Lausanne.
— Bien. Nous allons donc nous servir de ces microconnexions pour brancher votre sexe.
Pour cela le 20 aout, vous devrez au préalable bander fermement…
— Oh, cela, il saura faire !
La plaisanterie de Marie surprit les deux hommes. Kevin l’avait reçue avec un certain
plaisir, monsieur Damassène l’avait modérément appréciée.
C’est vrai que Kevin devait, soit se masturber, soit faire l’amour avec une copine juste
avant de déclipser Joujou puisque la séparation de l’organe sexuel au corps n’était possible que
dans ces conditions.
Marie couvrit sa bouche de ses doigts, un geste de honte consécutif à sa mauvaise
plaisanterie.
— Désolée Andreou, euh, monsieur Damassène.
— Bien, poursuivons, en espérant que Marie ne m’interrompra plus. Avant la greffe, nous
allons donc effectuer un dernier nettoyage des microconnexions sur la base de votre sexe, puis
de votre plaque carbone. C’est après qu’intervient toute notre inventivité, on…
— Votre génie, monsieur Damassène, votre génie !
— Là, Marie, vous avez raison de m’interrompre, sourit le chirurgien.
— Donc pour la greffe, pas besoin d’opération. À la jonction de votre corps, en
association à votre ancienne connexion, nous allons appliquer une colle révolutionnaire.
Tout en observant le visage décomposé de Kevin, monsieur Damassène poursuivit.
— Il ne s’agit pas d’une super glu, n’ayez crainte. Cette colle révolutionnaire n’a pas du
tout la texture d’une colle que l’on trouve dans le commerce. On l’appelle colle parce que le
mot semble approprié, mais c’est un produit invisible, inodore, tout à fait transparent, projeté
sur la base du sexe et sur la plaque carbone de votre bas-ventre. L’envoi de ce produit, appelé
« colle électronique » se fera par rayon laser associé à une application informatique. Cela ne
durera qu’une fraction de seconde. Ensuite on procède au branchement de votre sexe par un
simple clic sur l’application et c’est fini.
En achevant son récit, il ouvrit ses mains face au couple. Marie applaudit, Kevin resta
perplexe.
— Comment, c’est fini ? Mais cette colle ne peut-elle pas se détériorer au fil du temps et
perdre son efficacité, et qu’un beau jour, Joujou se détache, comme ça, comme une pomme qui
tombe de l’arbre avec sa queue ?
Le mot queue sembla mal placé, si bien que Marie pouffa et que le chirurgien esquissa un
sourire.
— Qu’est-ce qui te fait rire comme ça, Marie, sourit Kevin, le mot queue ? Ç’aurait pu
être pire, à la place de la pomme j’aurais pu choisir des pruneaux.
Monsieur Damassène tapa sur son bureau du plat de la main.
— Un peu de sérieux s’il vous plait, nous sommes là dans un haut lieu de la science, pas
à la fête foraine.
Kevin continua de sourire, mais répondit d’un ton solennel :
— Aujourd’hui, présent dans cette clinique où je ne suis pas séquestré, où je suis venu de
mon plein gré avec la ferme intention de rester le plus décontracté possible, histoire de
compenser mon stress de l’hiver passé où je fus enfermé dans votre prison dorée. J’ai accepté

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de venir dans votre clinique, d’une part parce que Marie a su me convaincre (petit clin d’œil en
direction de sa voisine), d’autre part, parce que j’ai une faveur à vous demander.
— Patientez une seconde, monsieur Rumber, j’appelle ma secrétaire.
Il appuya sur le bouton de l’interphone.
— Nicole, apportez-moi le contrat concernant la greffe de monsieur Rumber, puis le
chirurgien-chef tourna son regard vers son patient.
— Alors, monsieur Rumber, quelle est cette faveur ?
— Je vois justement que vous avez préparé mon contrat. Je ne veux pas qu’il y ait dans
ce contrat une clause m’obligeant à faire un enfant dans la foulée de cette opération.
Monsieur Damassène marqua un temps d’arrêt, dirigea son regard vers Marie. Nicole
entra dans le bureau pour déposer le contrat.
— Merci, dit le chirurgien, puis il soupira en regardant Kevin.
— Drôle de faveur que vous me demandez là, monsieur Rumber !
— Je vous dis cela parce que, à Lausanne, c’était une des conditions pour l’opération.
C’est la raison principale pour laquelle j’ai choisi votre clinique.
— Pensez donc, monsieur Rumber ! Aucune idée de chantage chez nous. Je suppose qu’à
Lausanne, le professeur Chapelier a besoin de notoriété, il a besoin de prouver au monde entier
que la greffe d’un sexe est parfaitement maitrisée jusqu’à la procréation. Pour nous, ce n’est
pas nécessaire, notre notoriété est déjà faite justement grâce à cette colle électronique. Pour en
revenir à cette colle, sachez qu’une fois votre sexe raccordé, il ne sera plus autonome puisque
la colle aura agi. Vous serez un homme comme les autres. Le sexe sera littéralement soudé. Par
un procédé complexe, notre section bio-informatique a trouvé la solution de cette colle en
collaboration avec notre section transgène dont je suis spécialiste. Cette colle peut
exceptionnellement devenir inactive si nous le souhaitons. C’est grâce à l’application guidée
par un genre de smartphone que l’on appelle un smartcolle que cette fonction peut être activée.
Attention, ne craignez rien, cette application est unique, le smartcolle qui gère cette application
restera d’ailleurs en coffre-fort. Pourquoi désactiver si besoin ? Sachez que nous sommes sur
différents programmes scientifiques avancés concernant les progrès sur la sexualité : libido,
impuissance, éjaculation précoce, etc.
— Je ne vois pas le rapport.
— Vous êtes actuellement la seule personne au monde à connaitre un organe sexuel
particulier et démontable. Occasionnellement nous aurons besoin de votre sexe pour aider à nos
futures prouesses médicales. Mais, j’insiste, ne craignez rien. On vous convoquera une fois ou
deux tous les trois ou quatre ans. Vous resterez une demi-journée auprès de nous et vous
repartirez avec votre sexe collé à nouveau.
Après son exposé le chirurgien essuya son front avec un mouchoir en papier que lui
tendait Marie.
— Bien sûr, vous serez copieusement payé si nous avons besoin de vous pour ces rares
interventions.
— Justement, j’allais vous demander. Est-ce que vous allez me rémunérer puisque
j’accepte la greffe définitive par vos soins ?
Monsieur Damassène fronça les sourcils.
— Qui vous a mis cela en tête ?
— Mais le professeur Chapelier lui-même. Il m’a promis beaucoup d’argent.
— Normal qu’il vous aie promis de l’argent, mais de ce que je crois comprendre, c’était
en compensation d’une éventuelle fécondation de votre part, n’est-ce pas ? Chez nous, rien de
tel. Nous vous garantissons simplement la réussite du soudage de votre sexe sans rien en
contrepartie.
— Et pour ma plaque carbone légèrement voilée et qui me fait mal ?
— Qu’est-ce que vous dites ? Votre plaque carbone est légèrement voilée ?

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Le soleil s’enfonçait dans les nuages orangés à l’ouest de la ville. Le Scénic stationna
place Darcy. Kevin attendit son rendez-vous, appuyé contre le coffre de son véhicule. La mince
et jolie blonde, les cheveux jusqu’en bas du dos, s’avança vers lui dans un déhanché légèrement
provoquant. La frimousse encore adolescente de Marie ne collait pas avec ses vingt-deux ans.
Dans son maillot noir trop vaste qui tombait jusqu’à la frange d’un short blanc, chaussée de
Nike orange fluo, la grande gamine s’approcha de Kevin, l’embrassa sur la bouche. Elle
empoigna la main du beau gosse. Tous deux marchèrent jusqu’au restaurant deux-cents mètres
plus loin. Ils discutèrent de l’entretien récent avec monsieur Damassène. Marie avait dû se
justifier auprès d’Andreou d’un départ précipité, il aurait aimé qu’elle reste auprès de lui pour
la soirée. Elle lui avait répondu que son travail de journaliste devenait urgent. Elle devait
s’atteler au futur reportage sur la greffe de Kevin pour son journal people. Kevin en sourit, une
soirée avec elle au restaurant, une nuit d’amour dans l’hôtel qu’il venait de réserver, tu parles
d’un reportage ! Elle va peut-être vouloir prendre plein de photos de Joujou, ou même faire des
vidéos cochonnes de mon gros sexe et de son petit cul, et tout ça pour son reportage people, oh
là, là, ça va déchirer cette nuit dans le palace des Ducs de Bourgogne ! Je vais lui montrer, à
cette jolie coquine qui me tient la main, comment je peux jouer les d’Artagnan, debout sur le
lit, les jambes écartées, l’épée mise en valeur.
Ils s’assirent en terrasse dans un restaurant proche de la place Darcy. Deux salades, deux
faux-filets frites, deux glaces, une bière et une bouteille d’eau servis rapidement par le garçon
en pantalon noir, chemise blanche, nœud papillon. Ils avalèrent le tout en moins d’une demi-
heure.
— Deux cafés s’il vous plait, demanda Kevin lorsque le serveur passa vers leur table, bien
serrés, parce qu’on ne va pas beaucoup dormir cette nuit.
Le serveur dévisagea le couple avec son plus beau sourire commercial. L’humour léger
de Kevin lui plaisait. La réponse de Marie envers Kevin fut encore plus agréable à ses yeux :
— Parce que sans café, tu pensais t’endormir dans mes bras, comme cela, sans tambour
ni trompette.
— Oh non, il ne se le permettrait pas, interrompit le serveur, auprès d’une aussi charmante
jeune fille que vous, on ne dort pas.
— Sûr je n’aurais pas dormi, peut-être sans tambours, mais j’aurais gardé ma trompette.
Kevin pouffa après sa vicieuse allusion, Marie gloussa et le serveur rejoignit une autre
table, son plateau en main, le sourire aux lèvres.
— Merci pour vos agréables commentaires, lança Marie alors que le serveur s’éloignait.
Chauffé par ces plaisanteries, le couple entra dans le hall de l’hôtel à deux pas de là. La
montre de Kevin affichait à peine 21 h 15.
Après l’échange des formalités administratives, des sourires du couple avec celui d’une
jolie hôtesse, ils montèrent dans leur chambre, deuxième étage, numéro 23.
Marie sortit de la douche, vêtue d’une nuisette blanche dentelée de rouge. Pieds nus, elle
sauta sur le lit en chantonnant du Whitney Houston dans un anglais presque parfait. Kevin
venait d’entrer sous la douche. Marie l’entendit reprendre sa chanson dans un anglais plus
yaourt que British. Faut croire que l’amour pressait, il sortit dix minutes plus tard, « Angel »
sous les bras et dans le caleçon. Il avait confondu le parfum de sa chérie avec son déodorant.
Les deux parfums s’unirent dans un mélange unique. « Angel » et
« Angel » s’accrochaient à la salle de bain, embaumaient la chambre, couraient sur les draps.

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Les corps ne firent bientôt plus qu’un, tel un parfum sensuel qui se mélange à l’autre. Deux
corps, deux âmes et un parfum qui s’entremêlent et tout explose trop vite. La trompette rentra
dans son étui. Marie se blottit contre l’épaule de son amant.
— Ben dit donc, bel homme, qu’est-ce qu’il te prend, même plus de préliminaires !
Kevin se redressa sur ses coudes.
— Mais que crois-tu, belle enfant, ceci n’était qu’un préliminaire.
— Ah, tant mieux, parce que sais-tu que je sais jouer de la trompette moi aussi ?
Une seule allusion à Joujou et le mâle souleva sa maîtresse pour qu’elle puisse prendre la
position « guitare », une nouvelle position du Kamasutra, il entraîna doucement la tête de la
musicienne vers son instrument. S’ensuivit une douce musique, pas du tout Whitney, mais plus
proche de « Mirza » le chien de Léo Ferrer, un bruit de baverie, lècherie, glapissement. Kevin
participait à sa façon. Il jouait de la guitare entre les cuisses de Marie avec ses doigts de la main
droite qui caressaient les cordes sensibles, les doigts de la main gauche pianotaient sur la fine
jambe qu’il pressait contre son ventre. Longtemps, très longtemps après, ce fut le happening
final avec la petite mort du mâle et de son Joujou. Mirza avala tout, telle une chienne qui
quémandait depuis trop longtemps.
Le repos du mâle après l’orgasme demanda un certain délai. Pas grave, se dit la maîtresse,
si la tendresse est là, je saurai attendre. Et la tendresse fut là. Sans craindre la saveur âcre de
son sperme sur les lèvres de Marie, il l’embrassa avec fougue, puis plus amoureusement. Il prit
la tête de Marie entre ses mains et continua de caresser ses lèvres par de délicieux murmures.
— Arrête de trop bien jouer de la trompette. Ta musique, tantôt langoureuse, tantôt
rock’n’roll, est la plus jolie des romances que j’aie jamais savourée. Pas besoin d’Américains
avec leurs fusées pour m’envoyer au ciel, tes lèvres et ta langue font beaucoup mieux, elles
m’envoient dans les étoiles.
Entre chaque mot chuchoté, Kevin déposait un baiser sur les lèvres de sa maitresse. Marie
caressa le visage de son amant.
— J’ai peur de t’aimer, Kevin.
La réponse fut un profond soupir.
Marie bondit du lit comme une biche qui s’échappe du fourré.
— Nous avons diné trop tôt, nous nous sommes glissés sous la couette trop vite. J’ai envie
de champagne et de petits sablés, viens Kevin, on descend à la réception.
— Dac, c’est moi qui régale.
Il sauta du lit, enfila un jean, une chemise, ses godasses noires, glissa ses mains dans sa
chevelure ébouriffée. Marie prit le temps de passer à la salle de bain. Elle en ressortit avec une
robe légère, couleur du soir, des sandales rouges, une écharpe rose nouée sous ses seins.
Au rez-de-chaussée, en s’approchant du zinc, ils s’arrêtèrent, légèrement surpris, puis
continuèrent leur cheminement jusque vers le sourire du barman.
— Ben… vous cumulez ? demanda Kevin.
— C’est ça. Je viens d’achever mon service au resto d’à côté, et là je suis au bar de cet
hôtel jusqu’à deux heures du mat.
Un autre couple, assis sur leurs tabourets, parlait doucement devant leurs verres de whisky.
— Servez-nous une bouteille de Champagne, le meilleur, on va s’installer là sur la
banquette dans ce petit coin sombre. Mais comme une bouteille pour nous deux c’est beaucoup,
vous voudrez bien faire une entorse à votre service et accepter un verre auprès de nous, ordonna
Kevin.
Le serveur conclut par un beau sourire et un signe de tête. Le couple s’enfonça dans le
cuir, Kevin posant son bras sur l’épaule de sa maîtresse. Le champagne était bon, frais, avec
des petites bulles sensuelles. Kevin, enjoué, débordait de mille histoires aux chutes surprenantes,
souvent trop près des reins. Marie applaudissait par quelques éclats de rire et de jolies grimaces,
mais qui défiguraient sa belle frimousse au fur et à mesure du déferlement des bulles dans son

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verre trop souvent vide. Le serveur approcha, il portait le même habit qu’au restaurant, un gilet
de barman noir en plus.
— Asseyez-vous près de nous, monsieur…
— Quentin.
— Kevin, et voici mon amie, Marie.
Quentin prit place.
— Quelques minutes, vous comprenez ?
— Bien sûr. Votre travail vous plaît ?
— J’adore, je rencontre des tas de gens, parfois un peu lourds, mais souvent très agréables,
comme vous deux par exemple. J’ai bien aimé votre humour léger au resto et j’ai pu entendre
quelques histoires gentillettes depuis mon bar.
— Oh, les histoires de Kevin ne sont pas vraiment gentillettes, c’est vous qui êtes gentil,
elles sont plutôt coquines.
— C’est cela, gentillettes, je confirme.
— Oh, vous aussi vous paraissez coquin, répondit Marie dans un éclat de rire à l’haleine
un peu trop vineuse.
Elle s’affala sur le corps de Kevin.
— Votre amie a le vin agréable.
— Elle ne boit jamais. Le manque d’habitude, je suppose.
Marie souleva ses yeux, la tête renversée sous le menton de son amant.
— Tu m’emmènes voir un spectacle, mon bel amour ?
— Mais nous ne sommes pas à Paris.
Kevin regarda le serveur.
— N’est-ce pas, Quentin, il n’y a rien à voir à Dijon à cette heure-ci ?
Marie vida le reste de la bouteille dans son verre et le vida d’un trait.
— Si, y a le théâtre des deux boules.
— Non, Marie, le théâtre des deux boules, c’est chez toi à Paris, pas à Dijon. N’est-ce pas
Quentin ?
— Je confirme, répondit le serveur, un large sourire aux lèvres. Par contre je peux vous
proposer une ou deux bonnes discothèques.
— Chouette ! s’écria Marie dans un gros rot qui fit se retourner les quelques clients du
bar.
— Je trouve insolite qu’une aussi jolie fille que vous se noie dans un rot encore plein de
bulles, mais il y a un côté érotique, déclara Quentin en posant son verre vide sur la table basse.
Il se leva pour reprendre son service.
Kevin le salua.
— Allez viens, Marie, appuie-toi sur mon bras. On monte à l’étage.
Le couple déambula jusqu’à l’ascenseur en longeant le bar. Kevin, en passant devant le
barman, chuchota à peine trop fort à l’oreille de sa maitresse :
— Quentin nous a dit un mensonge. Il y a bien le théâtre des deux boules à Dijon.
Il jeta un clin d’œil complice au barman, pointa le plafond de son index et fixa le regard
brumeux de sa chérie.
— C’est là, au deuxième étage, chambre 23.
Marie tituba jusqu’au pied de l’ascenseur au bras de Kevin.
— On ne va pas en discothèque ?
— Non tu as trop bu, et moi aussi. Et puis, on n’a pas fini de faire l’amour.
Deux heures du matin. Kevin ne dormait pas. Marie ronflait dans ses bras depuis qu’elle
s’était écroulée sur le lit. Allongé sur le dos, en caleçon, Kevin écoutait la porte de l’ascenseur
qui se refermait, puis une lumière dans le couloir traversa le bas de la porte, une ombre suivit.
On frappa légèrement à la porte. Kevin se leva du lit en écartant doucement le corps de sa chérie.

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Il alluma. Une petite enveloppe glissait sous la porte. Il s’approcha doucement, ramassa celle-
ci. Un carton à l’intérieur. Au recto :
Quentin Charmeu
Directeur général du groupe hôtelier
« Aux Ducs de Bourgogne »
18 place Darcy
21000 DIJON
Membre de la fondation POLEDO
Au verso :
J’ai beaucoup apprécié votre compagnie.
Je ne serai pas à l’hôtel demain à votre réveil.
Au plaisir de vous revoir. Et passez une
bonne soirée au théâtre des deux boules,
deuxième étage, chambre 23.
Tél privé. 06.06.18.18.86

— C’est quoi ce délire ? Quentin, serveur au resto du coin, barman de l’hôtel, directeur ?
Ridicule, et pourtant.
Il lâcha le carton lorsqu’il entendit la voix de Marie, toujours dans l’ivresse du vin, à
défaut de l’ivresse de la chair. Les yeux fermés, les lèvres entrouvertes, elle murmurait :
— Fais-moi un enfant, Quentin, je t’en prie, fais-moi un enfant. Ce sera un beau et jeune
directeur, comme toi.

16

Seul dans son appartement de Champagnole, Kevin caressa son sexe avant de sortir du lit
afin de pouvoir déclipser Joujou. Peu de libido ce matin-là parce que la journée ne sera pas très
réjouissante, jour de la greffe définitive de Joujou. Afin de raidir suffisamment son sexe
artificiel, il pensa très fort à sa dernière nuit d’amour avec Marie. Raté ! puisque cette nuit-là
fut également ratée. Après un début de soirée merveilleuse, la fin de nuit avait tourné court,
Marie s’était avachie dans les draps, entraînant sa cuite derrière elle. Alors il pensa à sa femme
Manon, qui à cette heure-là, s’envoyait sûrement en l’air avec sa copine. Du coup l’image des
deux lesbiennes bouffant la terre rose et humide du gazon déjà tondu l’excita suffisamment pour
enfin débrancher Joujou. Il nettoya les microconnexions plus consciencieusement que les autres
matins, car il fallait redonner cet instrument mâle dans un état impeccable à monsieur
Damassène.
Sorti de sa douche, il jeta un œil par la fenêtre. Sur le trottoir d’en face il reconnut ce mec
bizarre qui l’avait suivi dans les rues à deux reprises. Le genre métèque, un peu courbé, une
barbe fournie, observait la fenêtre de l’appartement derrière des petites lunettes épaisses.
Lorsque Kevin ouvrit la fenêtre pour l’interpeller, le mec lui sourit avec insistance puis reprit
sa marche sur le trottoir jusqu’à ce qu’il le perde de vue.
Songeur, Kevin prépara son petit-déjeuner et téléphona à Justine.
— Coucou, chérie, pour ma petite intervention à l’hôpital, je confirme, ce n’est pas la
peine de venir, je serai de retour avant midi. Le professeur m’a affirmé que cela ne prendrait
qu’une demi-heure. Je vais tôt pour déposer mon sexe au service transgène à l’hôpital de
Lausanne, ils effectueront quelques réglages puis vers dix heures ils grefferont Joujou, à dix-
heures trente ce sera fini, à douze ou treize heures je serai rentré à l’appartement. Viens donc

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me voir ce soir, je serai chez moi. On inaugurera mon Joujou tout neuf, j’aurai enfin un sexe
normal.
— Mais je voulais descendre à Lausanne avec toi.
— C’est trop tard, je pars. À ce soir chérie.
Il raccrocha si vite que Justine, à l’autre bout, resta bouche bée avant de couper son
téléphone.
Kevin sortit de l’appartement vers huit heures. Il observa avec insistance les trottoirs de
la rue commerçante, pas de métèque. Il monta dans son Scénic, roula jusqu’à l’autoroute,
parvint devant l’entrée de la clinique dijonnaise un peu avant l’heure de son rendez-vous.
Dans la salle d’attente, Marie l’attendait. Elle se leva, lui prit la main et l’emmena dans
une jolie petite pièce, plutôt chaleureuse pour une chambre d’hôpital : quelques cadres érotiques
accrochés aux murs roses et blancs, un parquet de chêne ciré, un immense miroir contre la
façade du fond, en face un sofa rouge et noir, dans un coin, un lavabo sur un marbre orangé.
Une douce musique caressait la chambre d’une mélodie pleine de sensualité. Marie ferma la
porte à clé, entraîna Kevin dans le divan puis s’assit à ses côtés.
— Allonge-toi beau gosse, et baisse ton pantalon, je m’occupe du reste.
— Mais, mais je suis venu pour…
— Pour ta greffe bien sûr, justement il faut…
Alors que Marie passait sa main sous le slip du mâle, elle retira celle-ci comme si elle se
brûlait.
— Mais tu n’as plus ton sexe ?
— Ben non, je l’ai retiré chez moi.
— Oh ! tu ne pouvais pas attendre que je m’en occupe ?
— Fallait bien que je nettoie les microconnexions
— Ce n’était pas nécessaire, on allait le faire ici.
Kevin se redressa, embrassa Marie sur les lèvres.
— Je n’y ai pas pensé. Quel dommage ! Ç’aurait été si bien avec toi. Et c’est donc pour
cela que tu m’as emmené dans cette garçonnière ?
Elle promena son regard tout autour de la pièce.
— Eh oui, c’est là que les donneurs de sperme laissent leur semence.
Marie frôla Kevin, caressa son visage de sa joue, chuchota à son oreille :
— Où as-tu mis Joujou ? Nous avons le temps de le rebrancher et comme ça, je
m’amuserai à le redresser avec ma bouche.
— Coquine, même sans Joujou à mon corps tu arrives à m’exciter, je cours le chercher, il
est dans le vide-poche du Scénic.
Elle s’écarta de son amant pour mieux le dévisager.
— Mais t’es cinglé, on ne laisse pas trainer une merveille pareille n’importe où. Te
souviens-tu du nombre de fois où tu te l’es fait voler ? Et ne m’as-tu pas dit qu’un dingue te
pistait ?
— Putain, quel con !
Kevin courut jusqu’au Scénic stationné dans la cour, transpirant de trouille.
Il ouvrit la portière de droite, regarda dans le vide-poche. Ouf ! Il prit la boite et, rassuré,
il retourna au pas de course dans la garçonnière. Marie l’attendait, tout sourire. Ils s’installèrent
confortablement dans le sofa. Kevin présenta la boite métallique à sa maîtresse.
— À toi l’honneur de brancher, d’attendre que Joujou retombe et de faire en sorte qu’il
se redresse bien vite grâce à ta bouche sensuelle.
Alors qu’il achevait sa phrase empreinte de joie, il souleva le couvercle pour que Marie
puisse admirer cet objet si précieux. Lorsqu’il vit le visage livide et l’énorme blanc des yeux de
sa chérie, il se pencha pour vérifier l’intérieur de la boite. Elle était vide.

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Il s’écroula dans le sofa. Marie essayait de réfléchir, les yeux aussi hagards que ceux de
Kevin. Mille pensées traversaient leurs cerveaux. Plus de Joujou alors que la greffe allait
débuter. Comment peut-on être aussi négligent ! et toutes les conséquences du drame fusaient
dans leurs esprits.
Après le désastre et les instants de panique où les regards muets des amants cherchaient
une réponse chez l’autre, Marie se décida à se lever et sortit dans la cour. Kevin la suivit comme
un chien battu, des frissons plein le corps, pas de queue entre les jambes. En approchant de la
voiture de Kevin, Marie remarqua une vieille dame avec un yorkshire. Le petit chien tirait sur
sa laisse et furetait sous la portière droite du Scénic.
— Viens Chouchou, tu vas te salir sous cette voiture, allez viens mon Chouchou.
Brusquement, dans un grognement sourd, le yorkshire ressortit de dessous le véhicule,
Joujou dans la gueule.
— Non, non, hurla Marie.
Kevin sortit de sa léthargie, la vieille dame tira sur la laisse, Marie courut au-devant du
chien. Sans réfléchir, elle tira de toutes ses forces sur les mâchoires du yorkshire, extirpa enfin
Joujou. Dès que Chouchou eut lâché Joujou il mordit sauvagement la main de Marie.
— Sale clébard, cria Kevin qui arrivait derrière sa chérie.
— Ne dis pas de mal de ce chien, c’est grâce à lui si nous avons retrouvé rapidement ton
sexe.
— J’ai dû le perdre lorsque j’ai fermé la portière, j’ai voulu faire vite.
— Tu étais bien pressé. Ah, vous les mecs, quand ça vous tient !
La vieille dame s’approcha du couple, Chouchou dans ses bras. Marie avait rendu Joujou
à son maître. Kevin tenait son sexe dans ses mains.
— Pourquoi avoir volé cet os à mon cher Chouchou ?
— Parce que ce n’est pas bon pour sa santé, madame, répondit Kevin.
— Vous avez raison, monsieur, c’est gras, et puis un os comme ça, c’est trop gros pour
Chouchou, il passerait sa journée et sa nuit à le mâchouiller.
La plaisanterie coquine à venir était trop tentante pour Kevin :
— Vous avez raison, madame, je connais même une grande chienne qui saurait le sucer
toute une journée et toute une nuit.
Après un regard dérobé à son amante, il prit la main de Marie et rentra dans le hall de la
clinique. Joujou se balançait dans son autre main. De retour dans la garçonnière, le couple, trop
ému par le choc subi, ne voulait plus jouer avec Joujou. Ils se dirigèrent vers le lavabo pour
nettoyer la plaie de la main de Marie. C’était superficiel, les dents du yorkshire avaient à peine
entamé la peau. Puis les amants s’enfoncèrent dans le canapé. La tête de Marie sur l’épaule de
Kevin, elle lui murmura :
— Je t’aime Kevin, malgré toutes tes bêtises. Dès que Joujou sera greffé, les
microconnexions ne seront plus qu’un mauvais souvenir, plus besoin de les entretenir, ta belle
et bonne semence redeviendra fertile. Et comme je t’aime, je voudrais que tu me fasses un
enfant.
« Putain, mais ce n’est pas possible » ! se demanda Kevin. « Qu’est-ce qu’elles ont toutes
à vouloir un enfant de moi ? Justine, Belinda et maintenant Marie, elles se sont donné le mot ou
quoi ? Belinda, pourquoi pas, ce serait une bonne excuse pour coucher enfin avec cette jolie
lesbienne, une fille de plus à épingler à ma collection. Et puis il faudrait savoir ce qu’elle veut
cette Marie, l’autre nuit à l’hôtel, elle voulait que ce soit Quentin qui lui fasse un enfant ».
— Cela veut dire quoi ce silence, Kevin ?
— Cela veut dire : faut voir, pourquoi pas, laisse-moi un peu de temps.
Elle griffa les cheveux sombres, caressa la joue rouge, déposa un baiser sur les lèvres
aimées.
— C’est-à-dire ? Huit jours… six mois… Cinq ans ?

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— Sois patiente. Je te dirai ça après l’opération. Lorsque Joujou sera bien accroché, on y
verra plus clair.
Marie haussa les épaules, titilla le bout du nez de son amant.
— Tu parles d’une opération ! juste un rayon laser à diriger sur la base du sexe avec le
smartcolle.
Elle se leva, s’empara de la main de Kevin.
— Viens, c’est l’heure de ton rendez-vous avec ton chirurgien grec.

17

Kevin, couché sur la table d’opération, les jambes repliées, les cuisses écartées, sans
anesthésie, observait le déroulement de l’opération sur l’écran de contrôle. Un simple drap
séparait le bas du corps afin de cacher les manipulations, la pudeur le demandait. Le docteur
grec clipsa Joujou comme habituellement par les microconnexions puis aidé de son jeune
informaticien, il dirigea le rayon laser sur la base du sexe et la plaque carbone fixée au bas du
ventre. Dès que l’application géra la fluidité de la colle électronique, le jeune technicien fronça
les sourcils.
— Docteur, il semble qu’il y ait un problème, la plaque carbone se déplace et la colle ne
fait pas son travail correctement.
— Cela vient du léger voilage de cette plaque. Kevin m’avait parlé de cela, les médecins
de Lausanne avaient soulevé le problème. Pourtant j’ai vérifié, rien ne semblait anormal.
Arrêtez le processus et l’on déclipse.
Mais impossible de déclipser. La colle mal insérée bloquait tout retour en arrière.
— Essayez de décoller avec l’application et…
Kevin se mit à hurler.
— Ça brûle, putain que ça brûle.
De sa main droite, le chirurgien tenait Joujou toujours raide et bien accroché au corps de
Kevin. De son autre main, il tira sur le drap de séparation, passa sa tête pour essayer de rassurer
Kevin.
— J’ai mal, horriblement mal, ça brûle.
Le grec relaissa tomber le drap, appela l’anesthésiste de service.
On endormit Kevin. Le chirurgien patienta quelques minutes, semblant réfléchir puis,
dans l’affolement, tira trop fort sur le sexe. L’organe arraché, il observa la plaque carbone
complètement plissée. Les microconnexions de Joujou avaient fondu.

Kevin se réveilla tard dans la nuit, un énorme pansement entre les cuisses. Un drain
courait le long de sa jambe, une aiguille retenait le bras perfusé. Il ouvrit les paupières dans le
brouillard des restes de l’anesthésie.
— Prenez ma main, madame l’infirmière, s’il vous plait.
— Mais ce n’est pas l’infirmière, c’est moi, Justine.
— Que fais-tu là Justine, où suis-je ? À l’hôpital ?
— Tu n’es pas à l’hôpital de Lausanne, tu es à la clinique Félix Kir.
— Ah.
Justine déposa un baiser sur le front de Kevin tout en prenant sa main libre et fiévreuse.
— Tu m’as dit un gros mensonge, te voilà donc puni. Mais je te pardonne parce que je
t’aime et que tu souffres bien assez comme cela. As-tu mal ?
— Un peu.

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— Tu es sous calmants, le chirurgien va bientôt passer te voir. Au fait, la secrétaire
médicale, tu sais, Marie, celle qui avait fixé ton rendez-vous, elle est venue te voir tout à l’heure,
elle semble toute retournée. La pauvre, elle ne devrait pas faire ce métier, elle est trop sensible
avec les malades.
Un quart d’heure plus tard, le docteur Damassène entra dans la chambre, suivi de sa
secrétaire Marie. Il demanda à Justine de sortir dans le couloir quelques minutes, le temps de
l’entretien avec Kevin.
— Que fait Marie ici ? Est-elle devenue votre assistante ? demanda aussitôt Kevin.
Ce fut Marie qui répondit à la place du chirurgien.
— Non pas du tout, je voulais juste prendre de tes nouvelles. Je ne suis pas l’assistante
du chirurgien, t’inquiètes, comme je suis journaliste j’ai besoin de faire un reportage sur ton
opération réussie.
Le docteur Damassène demanda à Marie de quitter la chambre. La journaliste-infirmière-
secrétaire passa devant Justine dans le couloir sans un regard, puis sortit sur le parking.
À l’intérieur, le chirurgien, digne dans sa blouse blanche et son calot sur la tête, balbutia :
— Tout ne s’est pas passé comme prévu, mais soyez certain que tout finira par s’arranger.
— Comment ? que s’est-il passé ?
Le docteur fixa le regard de son patient.
— Soyez fort, monsieur Rumber. Tout d’abord, bonne nouvelle, nous avons pu modifier
les microconnexions et votre sexe mâle est en bon état. Autre bonne nouvelle, nous avons pu
restaurer le bas de votre ventre.
— Comment ça, restauré ? Mais il était en bon état, mon ventre.
— Pas tout à fait, souvenez-vous ? Votre plaque carbone était légèrement voilée, ce qui a
posé problème pour l’application de la colle électronique. C’est pourquoi nous avons dû opérer
d’urgence.
— Et ce pansement, pourquoi ?
Le médecin s’approcha de son patient, posa la paume de sa main sur son front.
— Vous avez beaucoup de fièvre, on va vous administrer des antibiotiques et du
paracétamol. Soyez confiant. Si je vous ai dit d’être fort, monsieur Rumber, c’est parce que
vous devrez rester plusieurs jours, voire plusieurs semaines dans notre clinique.
Trop faible, de nouvelles douleurs entre les cuisses, Kevin ne répondit rien, s’enfonça
sous les draps. Désespéré, ses pensées glissaient vers une seule certitude, de nouvelles épreuves
douloureuses allaient ressurgir.

18

— Allo ! professeur Chapelier ?


— Allo ! non ici le docteur Félix Bullier, son adjoint. Le professeur est en vacances.
— Bonjour, je suis le docteur Andreou Damassène de la clinique Félix Kir de Dijon.
— Bonjour monsieur, que me vaut cet honneur ?
— C’est au sujet de notre patient commun, monsieur Kevin Rumber. Nous l’avons opéré
hier matin. Nous voulions procéder au rattachement définitif de son sexe, mais il y a eu des
complications.
Après une conversation musclée avec son confrère, Félix raccrocha violemment le
combiné. Quel imbécile, ce Kevin, mais qu’avait-il besoin d’aller se fourrer une fois de plus
dans la gueule du loup. Ces Dijonnais ne veulent que du fric et de la notoriété. N’avait-il
toujours pas compris, après tout ce mal que lui avait causé cette clinique l’hiver dernier ? Bien

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fait pour lui si l’opération avait tourné au tragique. Non, il exagérait un peu. C’était vrai que
l’opération était un cauchemar, et lorsque son ami Kevin saurait, et bien… le pauvre, il allait
crier au scandale, à l’ignominie, à la catastrophe, à l’invraisemblable. Honte à ces imbéciles
dijonnais ! Pourquoi n’avaient-ils pas tenu compte de cette plaque carbone voilée avant de
greffer ? Incroyable ce manque de sérieux, et maintenant c’était Kevin qui allait trinquer.
Félix hésitait sur la marche à suivre. Il était encore sous le coup de la triste révélation du
docteur Damassène lorsqu’il se ravisa. Il rappela son collègue.
— Docteur Damassène ? Après réflexion, nous allons rapatrier Kevin dans notre hôpital,
ici à Lausanne.
Andreou le Grec se sentit tout de suite plus léger.
— Cher collègue, je sens-là votre caractère humain. Nous allons pouvoir travailler
ensemble et sauver le sexe de monsieur Rumber.
— Je fais cela parce que Kevin est mon ami, ce n’est pas pour sauver votre carrière. Je
suis au regret de vous confirmer que votre travail n’est pas très sérieux.
— Je ne vous permets pas, cher collègue. Je vais d’ailleurs vous délivrer une information
vitale, un secret professionnel que je suis prêt à partager avec votre équipe médicale pour vous
prouver mes compétences.
— Dites toujours.
Monsieur Damassène expliqua à son collègue de Lausanne l’avancée extraordinaire
dans le domaine des greffes d’organes. Le smartcolle et sa pommade électronique
révolutionneraient bientôt le milieu scientifique. Mais le chirurgien de Dijon fut surpris
d’apprendre que le service transgène de l’hôpital de Lausanne finalisait ces semaines-ci un
procédé identique. Le service du professeur Chapelier devait réaliser prochainement cette greffe
révolutionnaire. Cette première chirurgicale devait avoir lieu dans les semaines à venir sur le
sexe même de monsieur Rumber. Un léger retard était dû à la vérification de la plaque carbone
légèrement voilée. Mais la clinique dijonnaise avait devancé la greffe inédite de l’hôpital. Par
cupidité, le docteur Damassène et toutes ses ouailles retardaient les expériences dans ce
domaine, aussi bien à Dijon qu’à Lausanne. Le mieux serait donc de collaborer, d’unir les
efforts, non pas pour vite tenter l’exploit de la greffe, mais avant tout pour sauver le sexe de
Kevin.
— Avez-vous communiqué à monsieur Rumber les résultats de son opération et expliqué
les détails du rafistolage de son bas-ventre ?
— Non.
— Mais qu’attendez-vous donc ? Ce n’est pas une honte de dire que vous vous êtes loupé,
d’autant que vous avez su rattraper le coup, du moins en partie. Sachez, cher collègue, nous ne
réceptionnerons Kevin Rumber que lorsque vous lui aurez tout expliqué.
— Dès que j’aurai raccroché, j’irai m’entretenir avec lui, cher collègue.
— J’attends donc votre coup de fil pour le transfert de notre malade.
— On reste d’accord sur le fait que d’ici quelques jours je pourrai suivre l’évolution de
mon patient et bientôt le réinstaller dans ma clinique. Je suivrai l’ambulance dès demain et serai
heureux de m’entretenir avec vous à Lausanne. Je me réjouis de mieux vous connaître, cher
collègue.
— Moi aussi, répondit Félix, un brin d’ironie en tête.
Il raccrocha et composa le numéro de l’infirmière.
— Venez me voir, Giulia, s’il vous plait. Je vous attends dans mon bureau.
La jeune Giulia, silhouette toujours aussi merveilleuse dans sa blouse blanche, le sourire
aux lèvres toujours aussi doux, se présenta devant son patron.
— Monsieur Rumber arrive demain. Faites préparer une chambre particulière avec les
appareils médicaux de soins intensifs.
— Qu’est-il arrivé à Kevin ?

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— Ah ! vous l’appelez par son petit nom ? Cet imbécile est allé se faire greffer son gros
zizi vers des incompétents. Prenez bien soin de lui, il aura besoin de toute votre attention.
— Vous pouvez compter sur moi, monsieur Buller.
— Je n’en doute pas, chère Giulia. Méfiez-vous de sa nouvelle copine, Justine est très
jalouse. À votre place je ne me risquerais pas dans une aventure aussi compliquée.
— Mais que pensez-vous là, monsieur Buller ?
— La rougeur de votre visage ne trompe pas.

19

Julien, jeune garçon avec son éternelle queue de cheval, homo et fier de l’être, se présenta
à la ferme d’Emmanuel, paysan à Verges.
— Bonjour, comment allez-vous ? Votre fils Paulin est-il là ?
Devant la porte de la grange, Emmanuel observa Julien de la tête aux pieds, comme s’il
le rencontrait pour la première fois. Il répondit enfin dans un sourire forcé :
— Paulin est dans le logis au bout de la ferme, ils font la vaisselle.
— Ils ?
— Ben oui quoi ! Tu sais bien que Paulin vit désormais ici avec Lou.

Julien s’empressa de quitter son ex-beau-père pour rejoindre le logis à l’autre bout de la
ferme. Emmanuel semblait d’humeur exécrable, contrairement à son habitude, lui qui avait
accepté cette union pas toujours bienvenue dans le monde rural, lui qui avait aimé Julien comme
son fils. Avait-il peur que ce jeune garçon lui reprenne Paulin ? Emmanuel et sa femme Agathe
avaient apprécié que leur fils quitte ce corps d’homosexuel et noue une relation avec Lou. Une
fille et un garçon, c’était tout de même mieux si l’on veut devenir grands-parents.
Julien, depuis l’encadrement de la porte de la cuisine, salua le couple de jeunes gens
sans oser s’aventurer plus avant.
— Mais entre donc Julien, depuis le temps, ça fait plaisir.
Il s’approcha, la queue de cheval suivit. Il tapa la bise à Lou, puis un bisou légèrement
plus appuyé sur la joue de Paulin. Il resta debout devant son ex, les bras ballants. Il caressait
Paulin de ses yeux sombres. Il voyait toujours en lui ce grand garçon aux yeux clairs, aux
cheveux châtains, la même coupe que l’hiver dernier, une brosse épaisse sur un côté du crâne,
rasé sur l’autre côté. La montre dorée brillait toujours à son poignet. Il baissa les yeux pour
suivre les lignes froissées du jean bleu ciel, s’arrêta un instant sur la braguette, devinant l’organe
qui se cachait derrière la fermeture éclair, ce trésor qu’il connaissait si bien, qu’il désirait
toujours.
— Tu es très beau, Paulin. Lou a de la chance.
Julien se tourna vers Lou, puis ajouta :
— Charmante, Lou, avec ton look de jeune fille rebelle. Paulin, garçon poli et travailleur,
toi, enthousiaste et spontanée, vous vous complétez bien. Bravo pour votre couple. Je vous
envie tous les deux.
Lou secoua sa tête pour soulever sa mèche rousse qui de toute façon ne se relevait pas.
La réplique fusa, justifiant le côté spontané de l’adolescente.
— Avoue que ton envie se dirige plus vers Paulin que vers moi. Tu l’aimes toujours mon
mec, ça crève les yeux.
Paulin posa la tasse qu’il achevait d’essuyer sur le plan de travail.

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— Arrête ta comédie, Lou. Pour une fois que notre ami Paulin vient nous rendre visite,
sois un peu plus aimable.
— Notre ami ? Ton ami plutôt.
— Qu’est-ce qui te prend, Lou, tu as toujours apprécié Julien. Nous avons assez fait de
teufs ensemble, genre la fête de la bière à Poligny, les concerts ce printemps.
— Je l’aime moins, voilà.
Elle grimaça en se tournant vers Julien.
— Regarde-le avec ses airs de tapette, il revient tourner autour de la ferme pour se faire
encore péter la rondelle dans la paille.
Elle claqua la porte et s’engouffra dans la salle à manger.
— Vénère, ta copine, non ?
Paulin sourit à Julien, l’invita à s’asseoir. Contents de se retrouver après plusieurs mois
de séparation, ils causèrent de tout, de la famille, de l’été toujours chaud, des belles bagnoles
qu’ils ne pouvaient pas s’acheter, puis comme souvent entre deux anciens amants, ils parlèrent
d’amour, ou plutôt de déboires amoureux.
— Elle est peut-être chouette ta meuf, mais qu’est-ce qu’elle est conne. Parce qu’elle a
un beau cul, elle se croit tout permis.
— Faut pas lui en vouloir. Tu sais, nous deux, ça ne va pas très bien depuis plusieurs
semaines. Elle me tire la gueule pour un rien. Elle part des journées entières, revient le soir avec
une tête cassée. Je me demande si elle ne replonge pas.
— Ah, je croyais que la prison et ta méthode psy avaient remis Lou sur le droit chemin.
Paulin haussa les épaules.
— Faut croire que non.
Il soupira.
— Faut pas qu’elle me fasse chier encore trop longtemps. Si elle ne s’arrange pas, je la
fous dehors.
— Vous en êtes à ce point-là ?
— J’aimerais la garder, je l’aime toujours, mais…
— Mais ?
— Je crois qu’elle ne m’aime plus. Pire, je la soupçonne. Elle me trompe.
— Avec qui ?
— Aucune idée. Mais son comportement a changé. D’abord, on ne baise presque plus, et
puis elle me ment sans arrêt.
Sans trop oser regarder Paulin dans les yeux, les jambes agitées sous la table, Julien
demanda :
— Ce soir on fait un pique-nique au bord de l’Ain avec des potes. J’aimerais bien que tu
viennes. Ça te changera les idées. Et viens seul puisque ta meuf te fait la gueule.
Paulin ne répondit ni par oui ni par non. D’un côté sa copine ferait la gueule parce qu’il
la plaquerait pour la soirée, d’un autre côté sa copine ferait la gueule puisqu’il en était ainsi
chaque soir. Il hésitait, il confirmerait par SMS en fin d’après-midi, suivant l’humeur.
Julien se leva, déposa un baiser appuyé sur le coin des lèvres de son ex. Avant de refermer
la porte derrière lui, de son regard amoureux et de sa voix douce, il supplia Paulin.
— Si tu viens, en ce qui me concerne, je serai de très bonne humeur.

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Justine montait la petite côte à la sortie de Champagnole dans sa Fiat 500 flambant
neuve. Elle avait pris rendez-vous avec Félix Bullier, responsable provisoire du service
transgène de l’hôpital de Lausanne. Félix, de repos ce matin-là, reçut Justine dans le salon de
sa splendide villa d’Equevillon. Sa femme Océane assistait à l’entretien. Justine, désemparée à
la suite du mensonge de son chéri, voulait des explications concernant son choix pour la clinique
dijonnaise.
— Je n’étais pas au courant. Il a pris rendez-vous pour sa greffe sans nous en parler,
déclara Félix.
Justine fronçait les sourcils, regardait au-delà de la fenêtre ouverte les merles qui se
chamaillaient et voletaient dans les buissons d’aubépines. Non seulement Kevin lui avait menti,
ruminait-elle, mais le pire était d’avoir organisé seul cette opération à Dijon. Quelle mouche
l’avait piqué ? Mais si ce n’était pas une mouche, par exemple une collaboratrice de la clinique,
une Marie bien connue ? Pire, une Marie-couche-toi-là, Kevin le volage en serait bien capable,
malgré tout l’amour qu’il lui montrait : « oui je t’épouserai, oui je te ferai un enfant, il faut juste
patienter, tu comprends, faut laisser du temps à Manon ». Cette Marie, elle ne l’avait jamais
rencontrée auparavant, mais Justine avait déniché des journaux du printemps dernier avec, à la
une, la photo de la journaliste accusée de corruption et de séquestration sur la personne de Kevin
à la clinique Félix Kir. Cette soi-disant secrétaire médicale correspondait, trait pour trait, à cette
journaliste people.
Félix gambergeait de son côté, assis dans le fauteuil dos à la fenêtre. Il fixait une photo
dans son cadre doré. C’était l’image d’un couple d’amis, un verre à la main autour d’une table
de terrasse près du parc de la villa, Manon et Kevin, Océane et lui. C’était la belle époque. Entre
amis et presque voisins, ils s’invitaient chez l’un chez l’autre, ne manquaient jamais une fête
ensemble. Là, sur la photo, Kevin était amoureux de sa femme, sa main autour de la taille de
Manon, ses lèvres frôlant son cou. Pourquoi ce dérapage depuis ces deux dernières années,
pourquoi ces maîtresses, pourquoi ces mensonges ? Il croyait toujours en Kevin, un type bien à
ses yeux, sérieux dans son travail d’agent d’assurances, fidèle à ses amis, et malheureusement
à ses maîtresses, il avait toujours le sourire. Ce bon vivant à l’humour léger riait des autres et
de lui-même avec ironie, mais sans aucune arrière-pensée. Cependant, depuis son accident de
VTT et le désastre de son sexe, ce n’était plus le même. Toujours beaucoup d’humour, certes,
mais un humour qui ne plaisait plus à Félix. Kevin commettait trop d’erreurs. Jamais il n’aurait
dû quitter Manon. Et aujourd’hui, il ne devrait pas tricher avec sa nouvelle copine, Justine, une
gentille fille.
Après un silence pesant, Félix reprit le cours de la discussion.
— J’ai demandé le transfert de Kevin à Lausanne. Il sera rapatrié en ambulance demain
matin.
— Pourquoi une ambulance, pourquoi tous ces branchements à son corps, à…
— À son sexe, n’est-ce pas ?
— La greffe ne devait durer qu’une demi-heure. Ce n’était que de la chirurgie ambulatoire.
Et encore, le mot chirurgie ne veut rien dire, une réalisation scientifique inédite où l’opération
ne nécessitait même pas de manipulations sur le corps.
— D’après le chirurgien Damassène, il y aurait eu des complications. Il a fallu endormir
Kevin, l’opération a duré plus de quatre heures.
— Oh, mon Dieu !
Mal à l’aise, Félix expliqua que le sexe avait pu être sauvé, il ne fallait pas s’inquiéter
plus que cela.
— Alors, pourquoi le rapatrier dans votre hôpital si tout va bien ?
— Auriez-vous préféré qu’il reste entre les mains de ces apprentis sorciers ? Demain, dans
l’après-midi, venez le voir, vous pourrez lui causer. J’ai demandé à Manon de venir aussi.
— Et pourquoi Manon ?

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— Même si c’est vous qu’il aime, Manon reste encore sa femme.
Lorsque Justine se leva du canapé pour se retirer, Océane, qui n’avait pas osé participer à
la conversation, s’approcha de Justine qu’elle connaissait à peine. Elle passa son bras sur son
épaule et la raccompagna jusque sur la terrasse.
— Vous êtes une fille bien, Justine. Je me demande si Kevin vous mérite. Je vous souhaite
bon courage.
Océane déposa un baiser sur sa joue, un baiser un peu trop près des lèvres de la jolie brune.
— Au revoir, madame, vous êtes gentille.
— Océane, pas madame. Et la prochaine fois que l’on se rencontrera, il faudra se tutoyer,
d’accord ?

21

À sept heures du matin, l’ambulance entrait dans le sas du service des urgences à
l’hôpital de Lausanne. Au même instant, Justine et Manon descendaient le col de la Givrine en
Fiat 500. Les deux femmes avaient convenu qu’il n’était pas question d’attendre l’après-midi
pour visiter Kevin. Il fallait gronder et embrasser ce garnement le plus tôt possible.
À huit heures moins le quart, les deux filles demandaient le numéro de chambre de Kevin.
On leur répondit que les visites auprès de monsieur Rumber étaient interdites. Elles passèrent
outre en demandant à rencontrer le docteur Bullier, responsable du service.
— Je vous avais demandé de ne venir que dans l’après-midi. Kevin est trop fatigué du
voyage, il faut le laisser se reposer quelques heures, déclara Félix.
Chatterie dans les voix, douceur dans les regards, Félix se laissa convaincre.
— Un quart d’heure, pas plus. Et lorsque vous sortirez de la chambre, j’aurai besoin de
m’entretenir avec Manon.
Douleur jalouse dans la tête de Justine, esprit inquiet chez Manon.
Les deux femmes ouvrirent la porte de la chambre tout doucement. Kevin, juste un drap
sur le corps, ne dormait pas. Il fut surpris de voir sa femme et son amante ensemble. Il essaya
de leur montrer une mine agréable, mais sa douleur entre les cuisses transforma rapidement le
sourire en grimace. Justine s’approcha du lit la première, montrant ainsi son droit de préférence
au regard de son chéri. Elle déposa un long baiser sur ses lèvres brûlantes, caressa la chevelure
hirsute.
— Tu es bien pâle mon amour, le docteur dit que tu as besoin de repos.
Manon s’approcha du lit, déposa un baiser sur le front de son mari, emprisonna sa main
dans les siennes. Justine s’effaça.
— Tu as de la fièvre, mon cher Kevin. J’espère que tout va vite s’arranger.
— Qu’est-ce qui m’arrive ? Est-ce possible ?
— Nous ne savons pas grand-chose, mais notre ami Félix veut me voir tout à l’heure. Je
pense que j’en saurai plus. Je te raconterai.
Manon montra un sourire compatissant.
— Je n’ai pas pu amener Liam aujourd’hui. Dès que j’aurai la permission du médecin, il
viendra te faire un petit coucou.
Justine se rapprocha du couple, frôla le jean de Manon, genre « pousse-toi de là », s’assit
sur le bord du lit, caressa à nouveau les cheveux sombres du malade, emprisonna à son tour sa
main dans la sienne. Elle souleva un coin du drap et découvrit l’énorme pansement blanc entre
les cuisses. Un drain maculé de sang se faufilait du bandage jusqu’au récipient caché sous le lit.
Le liquide à l’intérieur du réceptacle, mélange de sang, d’urine et de pus naviguait entre couleur
ginseng et couleur cèleri. Un tuyau de perfusion sorti d’un bocal haut se faufilait jusqu’à une

49
aiguille plantée dans une veine du poignet. Justine reposa le drap sur la poitrine du malade,
allongea son poignet prisonnier sur le bord du lit. Ce qui surprit Justine, c’était ce pansement
sur l’avant-bras gauche s’étalant du coude au poignet. Elle tourna la tête lorsqu’elle entendit le
bruit de la poignée de porte. Giulia entrait dans la chambre.
— Bonjour mesdames, je vous demanderai de bien vouloir sortir quelques minutes dans
le couloir, je dois changer le pansement de monsieur Rumber.
Dès que les deux femmes furent dans le couloir, l’infirmière Giulia toucha le front de
Kevin, prit sa température puis se courba pour s’atteler à son étrange tâche.
Derrière la porte, les deux filles, chacune sur leur portable, avaient décidé de ne rien se
dire. Félix s’avançait vers les filles. Il appela Manon dans son bureau. Justine poursuivit son
pied de grue devant la porte de la chambre pendant qu’une jolie jeune fille, de l’autre côté,
s’occupait du sexe de son amour.
Manon s’assit devant le bureau de Félix. Installé dans un fauteuil large, les coudes sur le
sous-main, il croisait les doigts devant lui, à hauteur du menton.
— Puisque Kevin est toujours ton mari, j’ai pensé utile de te parler en premier, d’autant
que différentes formalités administratives demandent ta signature en tant qu’épouse.
Manon, inquiète, croisait ses jambes, ses bras reposaient sur les accoudoirs de sa chaise.
— Maintenant, poursuivit Félix, laisse-moi développer mon argumentation jusqu’au bout
sans m’interrompre, tu poseras toutes les questions que tu voudras à la fin de mon exposé.
Félix inspira longuement comme s’il avait besoin d’expirer beaucoup trop de mauvaises
nouvelles.
— Tu sais déjà, Manon, que Kevin a voulu réaliser sa greffe à Dijon. Pourquoi ? On ne
sait pas encore. Ce fut une erreur. Pour faire simple, le chirurgien dijonnais n’a pas tenu compte
de la plaque carbone qui était voilée. Le contact de la colle électronique n’a donc pas fonctionné
correctement, cela a détruit les microconnexions du sexe. Mais surtout, là où était située la
plaque carbone, entre les cuisses donc, le carbone a fondu et la chair alentour a brûlé. Kevin n’a
pas souffert longtemps puisque le chirurgien, monsieur Damassène, a réagi comme il fallait. Il
a anesthésié rapidement Kevin et il a réparé le bas-ventre. L’opération fut longue, plus de quatre
heures.
Félix inspira encore plus profondément.
— Monsieur Damassène s’employa à la restauration du bas-ventre d’une bien étrange
façon, toutefois très efficace.
Manon se pencha sur sa chaise, la tête plus près du bureau, comme pour avaler les paroles
à venir.
— Le chirurgien Andreou Damassène a greffé un sexe féminin à votre mari.
Un cri, des yeux humides.
— Mais bon sang, mon mari n’a pas demandé à changer de sexe que je sache !
Puis réalisant l’ampleur des dégâts, elle s’affala sur sa chaise, le teint pâle. Ses yeux
absents fixaient Félix sans le voir. Son regard suivait ses pensées et ses pensées voguaient entre
les cuisses de Kevin. Les yeux lucides reprirent le dessus.
— Est-il au courant ?
— Oui, monsieur Damassène lui a tout expliqué.
— Comment a-t-il réagi ?
— Je ne sais pas. Kevin est là depuis trop peu de temps. Lorsque je l’ai vu à son arrivée
tout à l’heure, il dormait.
— Mais pourquoi lui avoir greffé ce sexe de… de…
— C’est, quelque part, assez astucieux. Lorsque l’on dit « greffe de sexe de femme », ce
n’est pas tout à fait exact. Kevin possède bien un sexe féminin, mais il provient, comme pour
Joujou, d’un organe artificiel auquel on ajoute des cellules bien réelles de la peau de Kevin.

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— Pour Joujou, je comprends, répondit Manon, on a pu récupérer des restes de ses
organes génitaux sur les lieux de l’accident, mais là, il n’y avait pas de restes d’organe femelle
que je sache ?
— Le service transgène de la clinique dijonnaise est suffisamment équipé pour
transformer un sexe d’homme en sexe féminin. Monsieur Damassène a pu prélever des éléments
suffisants sur Joujou pour perfectionner le sexe féminin de Kevin, par exemple pour adapter le
clitoris il a prélevé de la peau sensible à la base du gland de Joujou. Ce sont des choses courantes
et simples à réaliser en chirurgie transgénique.
— Mais pourquoi un sexe féminin, pourquoi, pourquoi ?
— Parce que, contrairement aux apparences, un sexe mâle ressemble étrangement à
un sexe femelle. En effet l’organe génital féminin est un sexe mâle qui ne s’est pas développé.
La base des deux sexes est donc la même. L’ingéniosité du chirurgien dijonnais repose sur cette
simple déduction. Lorsque l’organe génital femelle que possède actuellement Kevin va recevoir
des soins adaptés à la convalescence de ce sexe, il n’y aura plus qu’à introduire le sexe mâle à
l’intérieur du vagin qui sera modifié pour accueillir Joujou, comme pour une simple opération
transgénique. Quand je dis, introduire Joujou dans le vagin, c’est dans le sens inverse de… de…
tu comprends Manon.
Il n’acheva pas sa phrase et essaya de sourire. Manon pâlissait toujours. Il reprit son
exposé avec sérieux :
— L’avantage de ce sexe féminin transformé en sexe mâle, plus besoin de
microconnexions, de toute façon elles sont fichues. Fini les déconnexions. Dans, disons… trois
mois tout rentre dans l’ordre. Kevin sera un homme comme les autres, tu pourras faire l’amour
avec lui comme avant.
Manon, surprise, montra des yeux tout ronds. Félix comprit sa gaffe.
— Excuse-moi, Manon, j’ai tellement apprécié votre couple que je suis resté dans le
monde d’avant. Mille excuses encore.
Manon réussit à sourire, mais ce ne fut qu’à l’intérieur de son âme. Faire l’amour avec
Kevin comme avant ? Qui sait, ce n’était peut-être qu’une moitié de gaffe, cher Félix.
— Ce n’est pas grave, Félix, c’est vrai que le corps de Kevin ne m’appartient plus, il
s’offre à sa Justine. Mais qui sait ? Kevin est tellement imprévisible, et je l’aime encore bien.
— Va vite retrouver ton mari, mais ne reste que quelques minutes. Tu le verras plus
longuement cet après-midi. Ne le provoque pas sur son nouveau sexe. Laisse-le en parler lui-
même. Il ne faut pas le brusquer. Je suppose que son état psychologique est désastreux.
Manon sortit du bureau, perturbée, traumatisée. Elle demandera à Justine, se dit-elle,
de sortir de la chambre, elle voulait rester seule avec son mari, attendre sa réaction au sujet de
ce nouveau sexe qui faisait désordre sur ce corps si masculin. Elle craignait le même réflexe
que l’année précédente lorsque le docteur Chapelier lui avait révélé la déchirure catastrophique
de son sexe et les difficultés à le réparer. Ce jour-là, Kevin découvrait que l’amour au lit, c’était
fini à tout jamais. À trente-cinq ans seulement, c’était pour ce mâle vigoureux, une catastrophe.
Il avait donc explosé de colère, essayant même de débrancher les appareils médicaux reliés à
son corps. Et que dire aujourd’hui ? Ne serait-ce pas pire avec ce sexe féminin entre les cuisses ?
Pas besoin de demander à Justine de sortir, Manon croisa celle-ci qui s’engouffrait
dans la cafétéria de l’hôpital. Manon entra dans la chambre de Kevin. Il lui sourit malgré une
légère grimace de souffrance. Le choc de ce nouveau sexe ne semblait pas si terrible, pensa-t-
elle, ou bien, trop fiévreux, il ne comprenait pas encore le drame. Ou alors Kevin croyait-il
dissimuler à sa chère femme cette honte cachée sous le pansement. Pourtant, il savait que Giulia
savait, elle qui nettoyait, tripotait ce sexe étrange entre les cuisses du pauvre Kevin. Giulia
n’avait aucune gêne, sûrement, puisqu’une infirmière en avait déjà vu de toutes sortes, surtout
dans ce service transgène. Avait-il donc craché sa colère devant Giulia, cette jeune infirmière,

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la seule fille à connaitre la vérité en dehors des toubibs, d’autant que Manon savait que Kevin
n’était pas insensible aux charmes de cette jolie blonde.
Elle n’osa pas aborder le sujet du sexe, comme le lui avait suggéré son ami Félix. Alors
elle évoqua la famille, les amis, la prochaine sortie de l’hôpital, que Justine ou elle-même
viendraient s’occuper de lui à tour de rôle dans son appartement de Champagnole. Kevin
bavardait peu, acquiesçait, ses paupières se baissaient trop souvent. Respectueuse de la parole
de Félix, elle embrassa Kevin sur le front, sortit de la chambre et s’en alla rejoindre Justine à la
cafétéria.
Au déjeuner, Manon aborda le sujet des soins de Kevin à son domicile. Chacune son tour
à son chevet, ce serait bien, avait-elle suggéré. Justine, malgré sa timidité, avait bondi sur sa
chaise. Kevin incarnait son amour, Kevin ne se partageait pas.
Justine resta au chevet de Kevin de deux heures à trois heures de l’après-midi. Manon
passa timidement la tête par la porte entrouverte lorsque la jolie brune quitta son malade.
— Comment va mon tendre mari ? dit-elle en s’approchant du lit. Elle lui prit la main,
souleva le coin du drap, fixa longuement ce pansement tout blanc, tout propre, imaginant le
dessous. Elle avait presque envie de sourire, le drame l’en empêcha. Elle se demandait ce que
Justine allait bien pouvoir faire de ce boulet. Quant à elle, un brin lesbienne branchée bi, elle
aurait plus de chance de s’envoyer Kevin. Du coup, elle osa sourire au cocasse de la situation.
— Ça te fait rire de me voir dans cette condition ?
Elle toucha son front. Kevin semblait toujours fiévreux.
— Tu t’y es mis bien seul dans cette situation, mon pauvre mari. Qu’avais-tu besoin de te
fourvoyer dans cette drôle de clinique ? Qui t’a donc poussé à ce rendez-vous là-bas ? Ils sont
tellement nuls ces médecins de Dijon qu’ils ont dû te transférer dans un hôpital plus sérieux.
On va enfin s’occuper de toi comme il faut et sauver ton sexe.
— Mais mon sexe est sauvé ! C’est vrai que le docteur Damassène a raté sa greffe, mais
il a bien rattrapé le coup.
— On peut dire comme ça. N’empêche, tu en as encore pour trois mois avant de finaliser
les soins et que le chirurgien fixe Joujou définitivement.
— Comment ça, fixer définitivement ? Mais il est bien ainsi mon sexe, il n’y a plus rien
à retoucher.
Manon se demandait si elle entendait bien les paroles de son mari, ce mâle vigoureux,
fier de sa virilité. Ou sa fièvre l’empêchait peut-être d’être cohérent, de comprendre son
véritable état.
Elle lui sourit, se racla le fond de la gorge.
— Aimerais-tu maintenant les hommes, ou est-ce parce que je suis bisexuelle que tu
souhaites garder ce sexe-là ?
Comme la tête du lit était largement relevée, il put soutenir le regard de sa femme à
hauteur de ses yeux brillants de fièvre. Ceux de Manon montraient un mélange d’étonnement
et d’ironie.
— Tu es complètement cinglée ma pauvre femme. C’est notre séparation qui t’a tant
perturbée. Mon sexe est bel et bien fixé et cet organe-là, pour sûr, on ne me le déclipsera plus.
— Pour sûr, on ne te le déclipsera pas, répéta Manon. C’est vrai qu’un sexe de femme ne
s’arrache pas aussi facilement qu’un sexe mâle.
Kevin lâcha brusquement la main de Manon. Il se souleva sans ménagement en grimaçant.
Ses deux avant-bras reposaient sur le drap, le corps à angle droit sur le lit.
— C’est quoi cette connerie ?
— Quoi ? Quoi, tu n’es donc pas au courant ?
— Au courant de quoi ? Parle, nom de dieu !
— Ne jure pas ainsi, Kevin, Dieu n’y est pour rien dans ton changement de sexe.

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Kevin s’écroula dans son lit, cacha sa tête dans ses mains. Manon reconnut les sanglots
de son mari.
— Mais je croyais que tu savais, le docteur Damassène ne t’a donc rien dit à Dijon ?
Kevin se redressa brutalement. Un cri aigu, le cri d’une bête que l’on saigne, le désespoir
d’un homme fini, tout résonna en même temps dans les couloirs de l’hôpital.
Ce fut Giulia qui se précipita la première, puis une autre infirmière, puis Félix, puis le
professeur Chapelier, puis Justine. Giulia se pressa vers le lit. Manon se tourna vers le
professeur.
— Mais vous êtes donc là, je vous croyais en vacances.
— Je suis revenu en urgence de Grèce où je passais un merveilleux séjour lorsque j’ai
appris la nouvelle. Je tenais à voir mon patient… hum… un patient un peu particulier. Je vois
que tout va de bizingue ici. Que se passe-t-il ? Pourquoi ces cris ?
— Kevin vient d’apprendre pour son sexe.
Félix s’approcha.
— Comment cela, pour son sexe ? Il ne savait donc pas ? Pourtant le docteur Damassène
m’avait assuré lui avoir expliqué toutes les conséquences de l’opération et ce sexe femelle
provisoire greffé sur son corps.
Sous le choc, inerte dans son lit, Kevin était entouré de Giulia et Justine. L’une lui tenait
la main, l’autre lui tenait la deuxième main, l’une par amour, l’autre pour surveiller le pouls,
par amour peut-être aussi. Le professeur Chapelier s’approcha du malade léthargique. Il prit le
relai derrière Giulia, examina le visage de Kevin, puis se tourna vers tous ces gens agglutinés
dans la petite chambre.
— Vous voudrez bien sortir messieurs-dames, Kevin a besoin de repos. Seule Manon reste
avec moi.
Tout le monde sortit, Justine, trainant derrière le groupe, ruminant sa jalousie. Le
professeur Chapelier s’écarta du lit, prit Manon par le coude. Ils s’avancèrent dans l’angle
opposé de la chambre.
— Comment a-t-il appris la nouvelle ?
— D’abord je croyais qu’il savait pour son sexe de femme, d’ailleurs je trouvais bizarre
qu’il parle de celui-ci avec autant de facilité. Mais comme il ne savait rien, ce fut un échange
digne d’un vaudeville. C’est venu comme ça, dans la conversation, quand j’ai évoqué son sexe
de femme. Lorsqu’il a compris, il a juré, mais en fait, il fut plus anéanti que colérique, et puis…
ces cris effrayants !
— Il est en état de choc. J’examinerai son sexe, enfin… ce sexe provisoire demain matin.
J’espérais lui parler dès ce soir des conséquences directes de cet organe féminin, mais c’est trop
tôt.
— C’est-à-dire ?
— D’après Félix qui a déjà examiné la greffe de cet organe féminin, celle-ci est une
parfaite réussite. On pourra donc greffer Joujou, après avoir reconstitué sa base légèrement
abîmée, d’ici trois ou quatre mois. En attendant, comme il faut que l’organe femelle joue
véritablement son rôle de support, on profitera donc de ces quelques mois pour lui administrer
des hormones œstrogènes.
— Œstrogènes ?
— Des hormones féminines, si vous préférez.

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La Fiat 500 remontait le col de la Givrine dans un silence pesant. Les deux femmes
n’avaient pas desserré les dents jusqu’à la frontière. Côté France, dans la descente « des
Rousses », elles se lâchèrent enfin, ou plutôt Justine qui rongeait son frein depuis trop
longtemps, interpela la passagère.
— Je ne dis pas ça par jalousie, Manon, mais comment se fait-il que les médecins de
l’hôpital te fassent des confidences, et moi, ils me laissent sur la touche ? Je suis la copine de
Kevin, oui ou non ? Tu es certes sa femme, mais tu n’as plus de relations avec ton mari, tu vis
avec ta chérie Belinda.
Manon, calée dans le fond de son siège, se redressa et tourna la tête vers la conductrice.
— Tout d’abord, je garde de très bonnes relations avec Kevin, même si j’accepte sans
problème votre liaison. Nous sommes séparés, ça, je l’ai bien compris. Ensuite, je ne vis pas
avec Belinda, je couche avec, nuance ! Si les médecins discutent avec moi, il y a plusieurs
raisons. Félix est l’ami de notre couple de longue date, il se sent plus à l’aise avec moi pour
évoquer les problèmes douloureux que traverse Kevin. Ensuite, si le professeur m’a parlé, c’est
parce qu’il voulait connaitre le pourquoi de la réaction de Kevin cet après-midi. Sans oublier
que je suis toujours officiellement sa femme et que l’hôpital a besoin de moi pour les signatures
de documents administratifs.
Justine gardait les deux mains sur le volant, prudente et attentive, tant à la route qu’à la
conversation.
— Justement, parlons-en de votre couple. Quand pensez-vous divorcer ?
— Je ne sais pas, c’est à Kevin d’en décider, mais vu son état actuel, je pense qu’il va
attendre un peu avant de te demander en mariage.
— Le mariage peut bien attendre. Ce que je veux, c’est un enfant avec lui.
Manon crut s’étrangler. Après quelques secondes de silence, elle répondit avec beaucoup
d’ironie.
— Là aussi je crois qu’il faudra patienter. Les semaines à venir seront compliquées pour
que vous fassiez un enfant.
Les allusions innocentes ne touchaient pas Justine puisque cette dernière ne savait pas
grand-chose de l’opération de Kevin, et Manon jouait de son secret, juste une plaisanterie pour
elle-même, elle n’avait pas envie de blesser sa compagne du jour.
— Kevin m’a promis cet enfant. Je suis certaine qu’il y tient également. Dès son retour
de l’hôpital avec son sexe bien soudé, j’espère qu’il saura se montrer vigoureux.
Justine, enthousiaste à l’idée de cet enfant, poursuivit son idée et chercha même à
plaisanter avec Manon.
— Il est fier de son grand et gros sexe mon Kevin, n’est-ce pas Manon ? Toi aussi, en son
temps, tu as certainement su en profiter. C’est vraiment un bel homme, ton mari, tu ne regrettes
pas de me l’avoir laissé pour courir vers Belinda ?
— J’ai goûté aux deux sexes et j’aime, et l’un et l’autre. Peut-être qu’un jour tu
apprécieras aussi, qui sait. La vie nous réserve tellement de surprises.
— Beurk ! Brouter le gazon, ce n’est pas mon truc.
— Tu sais comme moi que Kevin se rase, tu n’auras pas à brouter le…
Trop tard. Manon s’aperçut de sa gaffe.
— Ah, ah, ah ! C’est pour les lesbiennes que l’on dit « brouter le gazon », pas pour les
hétéros comme moi, pouffa l’innocente Justine.
La jalouse et la mordante rirent aux éclats. Plus de rancœurs, plus d’ironie. Les voici tout
à coup deux grandes amies.
— On va passer par Verges pour voir Lou. C’est juste un détour de deux ou trois
kilomètres. On va lui faire faire la surprise, es-tu d’accord Justine ? Oui tu es d’accord, je ne te
laisse pas le choix. Et comme je ne me gêne pas avec ma fille, je lui demanderai pour dîner chez
eux. Son copain Paulin adore cuisiner.

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— D’accord, c’est vendredi soir, on peut bien se détendre un peu après toutes ces
émotions.
Le soleil déclinait à l’ouest dans la chaleur de l’été. La Fiat 500 stationna dans la cour de
la ferme à côté de la Fiat 500.
— Tiens ta fille Lou doit avoir le même représentant automobile que le mien.
— Ce n’est pas à ma fille, c’est une vieille occasion offerte à Paulin par son beau-père.
Lou n’a pas encore son permis de conduire.
— Lou se déplace en scooter ?
Elle pointait du doigt le deux-roues garé devant la porte de grange.
— Non, Lou n’a ni voiture ni scooter, c’est peut-être au beau-père.
Elles pénétrèrent dans la cuisine de la ferme après avoir frappé, sonné, mais personne ne
répondit. Un silence d’autrefois planait dans la pièce où les gros murs de ferme apportaient une
fraicheur bienvenue en cette lourde soirée d’été. Seul le tic-tac d’une horloge de grand-mère
rappelait le temps passé.
— Y a quelqu’un ?
Une bonne minute plus tard, Paulin se présenta devant les deux femmes, torse nu, pieds
nus. L’éternel jean bleu ciel cachait le bassin et les jambes du jeune homme. Il s’excusa pour sa
tenue pas trop avenante, bafouilla quelques phrases de bienvenue, rougit devant Manon dont le
souvenir rappelait cette douce nuit où il découvrait les plaisirs de l’amour hétéro, où la jolie
blonde lui avait enlevé sa virginité de la plus agréable des façons. Après avoir pris goût à ces
jeux amoureux entre un homme et une femme, tant qu’à faire, après avoir baisé la mère, il baisa
la fille, tomba amoureux, laissant s’éloigner ses désirs homosexuels d’adolescent. Depuis, Lou
partageait son amour avec Paulin à la ferme du beau-père.
— Lou n’est pas là ?
— Euh… non, elle est partie rejoindre sa bande de potes à la Marjorie.
— Ah, non, ne me dis pas qu’elle est retournée fricoter avec ces voyous ! Et pourquoi
n’est-elle pas restée avec toi ? Y aurait-il des problèmes dans votre couple ?
Il posa sa main sur l’épaule de Manon et s’avança vers le palier comme pour
raccompagner sa belle-mère. Justine suivit.
— Je n’ai pas dormi de la nuit, genre grosse teuf, Manon. Je viens d’être réveillé en
sursaut, je commençais à m’endormir. Revenez me voir très vite toutes deux, je me ferai un
plaisir de vous préparer un super couscous. Je vous bipe au plus vite.
Il embrassa les deux filles, referma la porte derrière lui.
— Étrange de nous recevoir ainsi. Ce beau gosse m’avait habituée à plus de
bienveillance.
Déçue, Manon rejoignit la voiture de l’autre côté de la cour. Alors que Justine ouvrait la
portière de sa Fiat, elle fit signe à Manon de regarder derrière elle. Le temps de tourner la tête,
le scooteur s’élançait le long du mur de la ferme, contournait celle-ci par l’arrière. Manon crut
reconnaitre un reste de queue de cheval flottant sous le casque.

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Justine déposa Manon devant son nouveau logement de Lons le Saunier puis rentra chez
elle. Avant de passer la porte d’entrée, Manon remarqua une lumière qui filtrait par les claires-
voies des volets. Elle poussa la porte qui n’était pas fermée à clé, s’approcha du salon.
— C’est toi, Lou ! Tu n’es pas chez ton copain ? demanda-t-elle d’une voix innocente.
— Non, on s’est engueulés ce matin, alors j’ai préféré passer le weekend vers toi.
— Pourtant vous filiez le parfait amour. Je vous voyais heureux.

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— Tu sais, maman, il est chelou en ce moment. Lui toujours honnête, doux, il devient con,
s’énerve pour rien. Je me demande s’il m’aime encore.
— Vous devriez causer tous les deux. C’est le meilleur moyen de crever l’abcès dans un
couple.
— Comme tu l’as fait avec Kevin ?
— Parfaitement, nous sommes séparés, mais nous nous entendons très bien, preuve
que nous avons su nous parler. À propos de ton beau-père, tu devrais descendre à Lausanne
avec moi un de ces prochains jours. Kevin n’est pas bien, son opération fut compliquée. Je suis
sûre que ça lui ferait plaisir.
— Mais ça n’en finira donc jamais avec son Joujou à la con !
— Pourquoi toujours lui en vouloir ainsi ? Il souffre et il a besoin de la tendresse de ses
deux enfants.
— Ce n’est pas mon père.
— Ça suffit, Lou, ne recommence pas. Il semblait que cela allait mieux, vous deux.
— Qu’est-ce qu’il est allé foutre dans cette clinique à la con ?
— Je sais, c’est une erreur de sa part, mais ce qui est fait est fait. Viens donc avec moi
dimanche à Lausanne. On emmènera ton frère.

Le surlendemain Manon descendit à Lausanne avec ses deux enfants. Elle avait
proposé à Justine de les accompagner, mais la jolie brune refusa poliment. Elle préférait
descendre en fin d’après-midi pour être seule avec Kevin. Après la pause de bonne humeur
vendredi soir entre les deux femmes, Justine préférait reprendre un peu de distance et rester sur
ses gardes. Manon semblait vouloir garder l’avantage en emmenant toute la famille près du
mari séparé. Et cela, il n’en était pas question. Kevin serait à elle et rien qu’à elle. Manon et ses
enfants, en fin d’après-midi, lui laisseraient la place et elle resterait donc auprès de son amour
jusque tard dans la soirée. D’ailleurs son Kevin adoré l’avait appelée hier pour lui annoncer
qu’il sortirait de l’hôpital plus rapidement que prévu. C’est donc à elle qu’il avait apporté en
priorité cette bonne nouvelle.
Lorsque Manon entra dans la chambre, elle salua Félix et Giulia. Décidément, cette Giulia
restait bien souvent vers Kevin. Ses enfants embrassèrent leur père. Giulia se retira discrètement
après s’être lavé les mains dans la salle d’eau. Félix enleva le tensiomètre du bras de son malade,
entoura les épaules des deux enfants et les entraina à l’extérieur de la chambre. Il se retourna
vers la porte.
— Je vous laisse tous les deux, j’emmène les enfants à la cafétéria, vous avez
certainement plein de choses à vous dire.
Manon s’assit sur le bord du lit, prit la main de Kevin. Plus de perfusions, plus d’appareils
médicaux autour du lit, juste un drain qui s’échappait sous le drap pour rejoindre le récipient au
liquide plus clair, plus propre, légèrement jaune.
— Tu regardes mon vase ? C’est de la pisse de bonne femme.
— Je vois que tu prends les choses avec réalisme.
— Ai-je le choix ? Ce qui me rassure, c’est qu’une fois de plus c’est provisoire. J’espère
qu’ils souderont rapidement Joujou. Les trois ou quatre mois à venir seront longs. Je crois que
je vais me cacher au fond de mon lit tout l’automne.
— Ah non ! Kevin, pas de déprime, je viendrai te voir souvent à Champagnole.
— Je serai à Lons vers Justine. Mais que l’on se voie de temps en temps, ça me rassurera.
Manon caressa la chevelure de Kevin. Il saisit la main de sa femme et déposa un baiser
sur le bout de ses doigts.
— Te rappelles-tu comme nous étions amoureux lorsque j’avais perdu Joujou détruit à
jamais au fond du lac. On s’aimait d’un amour platonique, mais d’un amour si beau, si pur.
Manon sourit à ces dernières paroles.

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— Peut-être parce que tu n’avais pas le choix. Un eunuque n’aime pas courir vers de
nouvelles conquêtes.
— Crois-moi, je t’aimais vraiment.
— Je te crois, moi aussi ce printemps je t’aimais vraiment. Sans sexe tu montrais une
tendresse remarquable, cela me suffisait.
— Évidemment que ça te suffisait, tu te défoulais auprès de Belinda. Je t’aimais et je
t’aime encore.
Elle caressa à nouveau les cheveux ébouriffés.
— On voit que tu as perdu une nouvelle fois ton beau et fier Joujou.
Après une demi-heure d’échanges plus tendres qu’attendu, Manon rejoignit la cafétéria.
Assis à une table avec les deux enfants, Félix se leva en apercevant Manon.
— Si vous le souhaitez, Liam et Lou, allez donc voir votre papa. J’ai besoin d’une petite
discussion avec votre maman.
Après cet échange bienvenu, Félix invita son amie à s’assoir à sa table.
— Comment Kevin prend-il la chose ?
— Il me surprend, il ne réagit pas comme l’an passé. Il semble mieux accepter son
infortune.
— Tant mieux. Je crains cependant que lorsque je vais lui annoncer tout à l’heure le
traitement à venir, pas sûr qu’il ne m’envoie pas balader. En effet ce qu’il va apprendre ne va
pas conforter sa libido mâle déjà bien diminuée, pour ne pas dire nulle. Il faut que nous lui
administrions des hormones œstrogènes avant de le laisser quitter l’hôpital d’ici un ou deux
jours. Et il n’est pas encore au courant.
— Oh là là ! Je ne t’explique pas la colère.
Et Kevin sut, et Kevin se déchaina. Non seulement anéanti par la greffe de ce sexe
femelle, on allait de surcroit transformer son corps et son cerveau en starlette de cirque. Il n’en
était pas question, plutôt mourir. Et même si, ici à l’hôpital, on lui administrait ces hormones
sous la contrainte, arrivé à la maison, il arrêterait aussitôt son traitement.
Tous ceux qui voulurent le visiter se firent violemment expulser de la chambre : Félix,
Lou, Giulia et même Manon. Seul le petit Liam eut le droit d’être cajolé. On ne savait d’ailleurs
plus lequel dorlotait l’autre.
Lorsque Justine entra dans la chambre vers dix-huit heures, il pleura dans ses bras de
longues minutes. Ensuite ils échangèrent des banalités toute la soirée. Il n’était pas question de
parler de sa greffe et des suites opératoires. Il avait honte d’avouer son nouvel état à sa chérie.
Justine ne saurait rien jusqu’à ce que Joujou vienne se clipser définitivement contre son bas-
ventre vicié.

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Le lendemain matin le professeur Chapelier arrangea une réunion improvisée avec son
adjoint Félix et Manon qui venait d’entrer dans la chambre de son mari.
Puisque Kevin rentrait chez lui d’ici un jour ou deux, il fallait le convaincre de suivre
son traitement hormonal. Pour la suite de la conversation à venir, il importait de cacher une
vérité trop délicate à ce pauvre Kevin, du moins pour l’instant.
Félix et son amie Manon s’installèrent devant le bureau du professeur. L’exposé de
vaginoplastie et de phalloplastie pouvait commencer. Le professeur Chapelier se lança :
— Kevin connaitra deux opérations concernant la réunification définitive de son sexe
mâle à son corps. La première est terminée. Elle s’est effectuée dans la précipitation par l’équipe
du service transgène de la clinique Félix Kir. Ce fut une réussite, il faut bien le reconnaitre,

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malgré l’erreur de départ de monsieur Damassène. Il n’a pas tenu compte de la plaque carbone
voilée, ce qui a engendré la destruction du bas-ventre de notre malade. Mais Kevin s’en est sorti
puisque le voilà avec un sexe féminin greffé d’urgence. C’est ce qu’on appelle la vaginoplastie.
La deuxième opération aura lieu dans quatre ou cinq mois, c’est la connexion définitive de
Joujou sur le bas-ventre. Mais je laisse la parole à mon adjoint qui connait mieux que moi le
parcours de la vaginoplastie de Kevin puisque Félix s’est longuement entretenu avec le
chirurgien de Dijon.
— Manon, je vais t’expliquer le plus simplement possible cette opération de
vaginoplastie qu’a réalisée le docteur Damassène sur ton mari. C’est une intervention
chirurgicale qui consiste à fabriquer un vagin à un homme qui se sent femme. Pour faire simple,
construire un vagin et une vulve n’est pas très compliqué. On creuse un passage dans le bas-
ventre puis on se sert de la fine peau du pénis du patient pour former une cavité sensible. Le
clitoris est ensuite conçu à partir du gland riche en terminaisons nerveuses. Le problème est que,
dans la précipitation, le docteur Damassène a prélevé des tissus sur Joujou. À l’heure qu’il est,
Joujou semble donc un peu délabré. Mais pas de panique. Pour Joujou, comme ce printemps
lorsqu’il était malade, le chirurgien l’a laissé en charge sur un genre de chargeur de batterie
pour qu’il puisse continuer de vivre, un peu comme un organe dans la glace en attente de greffe.
Nous avons donc besoin d’un peu de temps pour reconstruire les tissus de Joujou. Ce seront
bien les tissus du corps de Kevin puisque ceux-ci furent prélevés sur l’avant-bras de ton mari.
Pourquoi l’avant-bras ? C’est une technique bien connue de Vaginoplastie. La peau de l’avant-
bras est très fine, ce qui permet la sensibilité de l’intérieur du vagin. Monsieur Damassène l’a
utilisé pour fabriquer le vagin de Kevin, ce qui explique ce pansement à son avant-bras. Malgré
l’urgence de la situation lors de l’opération, le chirurgien Damassène eut la bonne idée de garder
du tissu pour restaurer Joujou. Mais la restauration de Joujou, un sexe mâle pas comme les
autres, va prendre du temps, d’autant plus qu’il faut modifier la base, retirer les anciennes
microconnexions et recréer une base de sexe différente. Le professeur va t’expliquer comment
sera greffé le sexe mâle.
— La phalloplastie, reprit le professeur Chapelier, est l’opération qui consiste à
fabriquer un pénis à une femme qui se sent homme. Sauf que dans le cas qui nous intéresse, le
sexe mâle existe déjà. On aurait pu fabriquer à partir de son sexe femelle actuel un nouveau
pénis, mais il faut reconnaitre qu’il n’aurait jamais été aussi performant que Joujou, ce sexe si
robuste et si viril.
Le professeur Chapelier se racla la gorge, jeta un œil vers son adjoint puis son regard
se porta sur le bas du visage de Manon, évitant les yeux humides de la jolie blonde. Manon
supportait difficilement cette nouvelle épreuve que subissait son mari. Mais ce qu’elle venait
d’entendre n’était rien au regard des phrases à venir. Monsieur Chapelier, après un silence
pesant, reprit :
— Pour Kevin, puisque le sexe mâle existe déjà, nous allons adjoindre à la base du sexe
un genre de manche, lequel viendra s’introduire dans le vagin de Kevin lors de cette opération
un peu particulière de phalloplastie. Nous pratiquerons ces modifications en collaboration avec
l’équipe médicale de Dijon.
— Pourquoi cela ? Cette drôle de clinique n’a-t-elle donc pas assez fait de dégâts sur les
organes génitaux de ce pauvre Kevin ?
— Nous avons décidé de créer un partenariat entre les deux services transgène. En
effet, le docteur Damassène, promu prochainement professeur, connait un état d’avancement
conséquent concernant le smartcolle dont nous vous avons déjà parlé. Cette avancée est une
innovation intéressante dans la mesure où d’innombrables greffes de toutes sortes d’organes
seront grandement simplifiées. La colle électronique gérée par smartcolle est efficace. C’est
une avancée majeure qui va révolutionner le milieu médical.
— Ça n’a pas fonctionné puisqu’il a détruit le bas-ventre de Kevin.

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— Le smartcolle n’était pas en cause. C’est la négligence du docteur Damassène qui est
à l’origine du désastre. Il a pris à la légère le problème de cette plaque de carbone voilée et il a
voulu passer outre pour gagner du temps de peur peut-être d’être devancé par une autre équipe
médicale.
Le docteur Chapelier, mal à l’aise, se racla à nouveau la gorge. L’angoisse de Manon
monta d’un cran.
— Pour dire vrai, si nous n’allons pas procéder à une phalloplastie ordinaire, c’est parce
que, grâce à l’innovation de notre propre service transgène l’an passé avec ce sexe mâle
déclipsable et cette vaginoplastie réussie par le chirurgien dijonnais, Kevin sera le produit d’une
avancée exceptionnelle, il deviendra homme-femme, un cas inouï, un produit à peine imaginé
dans les films de science-fiction.
Manon bondit de sa chaise.
— Vous n’y pensez pas, Kevin refusera. Il veut être mâle, rester mâle.
— Bien entendu, madame Rumber, mais laissez-moi vous expliquer. Votre mari possède
actuellement un sexe femelle. Que je sache, ce n’est pas ce qu’il souhaite. Il vaut donc mieux
qu’il accepte cette phalloplastie un peu particulière s’il veut retrouver sa virilité d’autrefois.
— Mais pourquoi ne pas procéder à une simple phalloblast… machin truc, comme les
autres transsexuels ?
— Je vous le répète, madame Rumber, une phalloplastie habituelle permet à un
transsexuel classique de récupérer un organe mâle à partir d’un organe femelle, mais la virilité
reste cependant amoindrie. Par ailleurs le plaisir sexuel n’est pas à la hauteur de ce qu’en
attendrait la sensualité débordante de Kevin.
— Mon mari refusera ce projet homme-femme.
— Tout est relatif, madame Rumber, cette expérience nous permettra effectivement de
confirmer que ce miracle scientifique est possible avec, pour plus tard, des implications
pratiques. Sachez par exemple que nombre de personnes se sentent « gender fluid ». Vous allez
certainement me poser la question : qu’est-ce qu’un « gender fluid » ? Un « gender fluid » est
une sous-catégorie de gens non binaires, c’est-à-dire un genre de personne qui ne se reconnait
dans aucun sexe. Le « gender fluid » est plus spécifiquement une personne qui aime se sentir
tantôt homme, tantôt femme. C’est une proportion plus importante que l’on ne croit à travers le
monde. Je suis certain que ces gens-là apprécieraient de choisir leur sexe au gré de leurs envies.
Nous n’oublions pas cependant les complications mentales d’un tel projet et veillerons à
respecter les règles du comité d’éthique. De surcroît, sachez qu’en ce qui concerne votre mari,
dès lors que le sexe mâle sera fixé, le retrait de celui-ci grâce à la procédure inversée de
l’application du smartcolle ne se fera que dans d’exceptionnelles occasions, peut-être trois ou
quatre fois dans sa vie entière. Kevin, dans quatre mois, retrouvera donc un sexe de mâle
vigoureux et ne connaitra plus, tout au long du reste de sa vie, ce sexe féminin caché
définitivement sous son bel organe mâle dont il est si fier.
— Après tout, faites bien ce que vous voulez du sexe de Kevin, je suis séparée de lui,
posez donc plutôt la question à sa chérie Justine. Après la prothèse sexuelle de l’an passé,
aujourd’hui vous mélangez avec enthousiasme les sexes de mon mari, c’est une histoire de fou.
À votre place j’arrêterais de jouer les apprentis sorciers. Vous devenez aussi cinglés que les
barjots de la clinique dijonnaise.
Manon quitta le bureau en claquant la porte. Le professeur eut juste le temps de lui crier :
— Gardez cet entretien secret, y compris pour Kevin.

25

59
Vers dix heures du matin, sous un ciel bleu, Kevin grimpa dans la Fiat 500 bleu azur. Il
déplia son long corps pour s’installer à peu près confortablement côté passager. Justine, aussi
souriante que le soleil du jour, introduisit la clé dans le neiman, déposa un baiser sur les lèvres
du passager. La petite voiture s’élança dans la ville, poursuivit sa route en frôlant la verdure des
champs de luzerne aux fleurs violettes, s’aventura dans la grimpée du col de la Givrine toute
belle de majestueux feuillus émeraude, s’éleva encore plus haut dans les lacets entourés de
marjolaines mauves, découvrit enfin le sommet embelli de gentianes jaunes des alpages
jurassiens. La descente sur Morez fut joyeuse dans la petite voiture. Justine sifflotait des airs de
ballades amoureuses, Kevin souriait en admirant le paysage de sa région comme s’il la
découvrait pour la première fois.
Parvenus à l’appartement de Champagnole, Kevin et Justine se vautrèrent dans le canapé,
le mâle, heureux de retrouver son chez-lui, et la jolie brune, heureuse de tomber dans les bras
de son chéri.
— Je t’emmène au restaurant à midi. Il n’y a rien dans ton frigo. C’est moi qui offre. On
arrose ta sortie de l’hôpital, dit-elle.
— D’accord, mais au retour du resto tu me laisses faire une sieste, ma chérie. Et ce soir,
nous dormons chacun chez soi. Je me sens faible, j’ai besoin de repos. Cette opération m’a mis
à plat.
— Je veux bien te laisser dormir cet après-midi et ce soir, mais laisse-moi rester près de
toi. Depuis une semaine que tu te balades d’un hôpital à l’autre, je suis trop contente de passer
un peu de temps avec toi.
— Moi aussi, tu sais, je serais heureux de passer plus de temps avec toi, mais, je t’en prie,
chérie, laisse-moi me reposer encore un jour ou deux.
— Si tu as besoin de repos, tu as aussi besoin d’une dame de compagnie. Je ferai tes
courses, la cuisine, et je jouerai l’infirmière, je changerai ton pansement à l’avant-bras, je
désinfecterai tes entrecuisses.
— Ah non ! pas ça.
Jusque-là plutôt apathique, Kevin surprit Justine par sa réaction sanguine. Elle joua profil
bas.
— Excuse-moi, je ne voulais pas te blesser. J’éviterai de parler de cette chose-là. Au fait,
je ne comprends pas bien, pourquoi ce pansement à l’avant-bras ?
— Félix prétend que les chirurgiens ont dû prélever de la peau ici pour pouvoir
confectionner mon vag…
— Confectionner ton quoi ?
— Confectionner n’est pas le mot, plus exactement pour réparer mon, euh… ma verge.
Je ne te l’ai pas encore dit, mais le chirurgien a dû débrancher mon sexe pour réparer mon bas-
ventre endommagé. On ne le reconnectera que dans trois ou quatre mois.
Un long silence.
— Mon pauvre chéri, eunuque trop longtemps l’an passé, te revoilà eunuque. Mais ne
t’inquiète pas, je saurai m’occuper de toi et une fois tous ces soucis derrière nous, tu me feras
un bel enfant.
Elle embrassa Kevin sur le front. Ils se levèrent du canapé, s’enlacèrent puis s’élancèrent
dans l’escalier pour rejoindre le restaurant au bout de la rue.
L’ambiance à l’auberge ne ressembla aucunement à la balade du matin en Fiat 500. Peu
de conversation, Kevin répondait par oui ou par non. Justine caressait la main de son amour,
son amour retirait sa main comme s’il se sentait contagieux. Le retour à l’appartement fut
morose.
Justine quitta son chéri vers seize heures, frustrée et songeuse. Kevin souleva le rideau de
la fenêtre du salon, regarda s’éloigner son amoureuse, parcourut du regard l’ensemble de la rue

60
commerçante, quitta l’appartement à son tour, descendit l’escalier et rejoignit le trottoir en face
de son appartement. Il se précipita sur le type à la barbe fournie, le visage basané, les petites
lunettes rondes sur son nez, le chapeau ramassé sur le front. Il l’attrapa par le col.
— Vous me pistez, vous m’espionnez depuis plusieurs jours, qui êtes-vous ? Que me
voulez-vous ?
— Laizez-moi, monzieur Kevin, répondit le métèque qui zézéyait fortement, y a du
monde dans zette rue, ne zouer pas au Zeune homme violent. Ze vous veut aucun mal.
— Expliquez-vous ?
— Pas zici, Z’ez vous, z’est plus dizcret.
— Suivez-moi.
Les deux hommes montèrent à l’appartement. Dans le hall d’entrée, Kevin fixait son vis-
à-vis, le regard sévère. Le barbu quadragénaire lui souriait comme un niais.
— Alors, c’est quoi ce manège ? que me voulez-vous ?
— Ze m’appelle Rodriguez. Ze connais votre parcours zexuel. Ma femme voudrait z’un
enfant de vous.
C’était quoi encore que cette connerie se demandait Kevin, encore une folle dingue qui
pétait les plombs ? Comme si cela ne suffisait pas de faire un gosse à Justine, à Belinda et à
Marie, et maintenant à cette folle dingue ! Les pauvres nanas, si elles savaient, leur faire un
gosse avec mon sexe de gonzesse, ça me ferait presque marrer.
— Pourquoi veut-elle un gosse de moi ? Et vous, ça vous laisse indifférent si je couche
avec votre femme ? Peut-être qu’elle me plairait et que je la garderais pour toujours. J’espère
d’ailleurs pour elle qu’elle est un peu lesbienne, elle apprécierait au moins sa nuit d’amour avec
moi. Et puis, ma dernière question, la plus importante, comment savez-vous… pour mon
parcours sexuel, et que savez-vous ?
— Tout, ze zait tout. Votre zexe qui ze débranze, pis votre nouveau zexe qui va bientôt ze
coller avec un téléphone portable, zenre dernière zénérazion, zenre zmartcolle.
Kevin fronça les sourcils.
— Étonnant tout ce savoir. Expliquez-moi donc pourquoi vous me pistiez début juillet
alors que je n’étais pas encore opéré pour la soudure définitive de mon sexe. Moi-même, à cette
date, je ne connaissais pas l’existence de cette colle électronique.
— Ze zavait avant les autres, voilà tout. Alors z’est oui ou z’est non pour le gosse ?
— C’est non.
— Z’est noté… mais on ze reverra zûrement.
Rodriguez ouvrit la porte d’entrée pour quitter l’appartement. Kevin le retint par la
manche.
— Oh là ! pas si vite. Je veux en savoir plus.
— Lorzque vous direz oui, alors vous en zaurez plus. Au revoir, monzieur Kevin.

Dans la soirée, après une longue sieste sans dormir, mais plutôt à gamberger sur cette
nouvelle absurdité qui entrait dans sa vie, il téléphona à son épouse.
— Coucou Manon. Je ne me sens pas bien en ce premier jour de convalescence chez moi.
Es-tu seule par hasard ?
— Oui, je suis seule. Belinda est restée à Poligny. Lou n’est pas là, elle ne rentre pas ce
soir. J’ai juste Liam.
— Je voudrais passer la soirée avec toi chez toi, et même la nuit si tu veux. J’en profiterais
pour récupérer Liam, je le garderais pour le reste des vacances.
— Je veux bien. À tout à l’heure, Kevin.

Dans la chambre de la maison de Lons le Saunier, Kevin se déshabilla, mais laissa


pudiquement son caleçon sur son étrange sexe. Il se blottit dans les draps auprès de son épouse

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déjà couchée. Par la fenêtre entrouverte, des gouttes de pluie tiède s’écrasaient sur le plancher
de la chambre. Il se releva pour fermer la fenêtre, laissant au-dehors le parfum suave d’une
soirée de fin d’été, endossa une sortie de bain et partit embrasser le petit Liam dans la chambre
d’enfant. Il revint se coucher.
— J’avais oublié de dire bonsoir à notre cher Liam. C’est dingue comme j’oublie tout ces
jours-ci.
Manon se tourna sur le côté, faisant face à Kevin.
— Pourquoi dis-tu « ces jours-ci » ? Tu sais bien que tu es un éternel étourdi.
À peine achevait-elle sa phrase qu’elle osa glisser une main dans le caleçon, ou plutôt la
culotte de Kevin.
— Comme c’est étrange, tu sais que…
Il retira la main de sa femme avec délicatesse.
— Non, s’il te plait, ne me nargue pas. Je suis déjà assez gêné comme ça.
Il essaya de sourire sous la lumière tamisée de la petite lampe de chevet.
— Tu serais capable de me faire l’amour, même dans l’état où je suis. Tu fermerais les
yeux et tu imaginerais que c’est Belinda.
— Je ne fermerais pas les yeux, sourit-elle, et je saurais que c’est toi.
— Tu m’aimes toujours ?
— Oui, je crois que oui.
— Et Belinda ?
— C’est différent, c’est une fille. Dans les déboires de notre couple de l’an passé, j’ai
voulu connaitre d’autres sensations amoureuses, les hommes me dégoûtaient. Belinda, je l’aime,
c’est une fille douce, jolie, aimante. Je n’ai pas envie de la quitter, et puis… toutes les deux, nos
nuits d’amour sont tendres, terriblement sensuelles, comme si la sexualité n’existait pas, et nos
orgasmes toujours en harmonie paraissent au-dessus de la chair.
— Je suis femme, moi aussi. Un jour peut-être m’apprendras-tu l’amour lesbien. Non
j’déconne. J’attendrai de retrouver Joujou et ce jour-là je te ferai un enfant.
— Mais je ne veux plus d’enfants, tu le sais bien. C’est à Belinda qu’il faut faire un enfant.
— Ah oui, c’est vrai ! Avec toutes ces femmes qui veulent un gosse de moi, je ne sais plus
où j’en suis.
Manon se redressa sur ses avant-bras.
— Comment cela, toutes ces femmes ?
— Hé, doucement Manon ! nous sommes séparés, je fais ce que je veux de ma vie.
Après avoir déposé un baiser sur le front de sa femme, il ajouta d’une voix doucereuse :
— Pour tout avouer, Belinda veut un enfant de moi, tu le sais mieux que quiconque et
puis il y a également Justine, puis cette femme dont je ne connais même pas le prénom.
— Bravo ! ironisa Manon.
Et Kevin expliqua son dialogue avec le zozoteur et cette histoire débile de gosse pour sa
femme.
— Cet homme-là savait donc tout sur ton sexe, dis-tu ?
— Oui, ou presque, il n’a pas évoqué mon sexe de femme. D’ailleurs il ne savait pas,
sinon il ne m’aurait pas demandé de faire un enfant à sa femme. Ou alors c’est un débile, oui
c’est ça, il avait vraiment tout l’air d’un débile mental.
— Il faut oublier cela, mon cher Kevin, tu ne le reverras peut-être plus ce fou-là.
Puis Manon se permit de déposer un baiser sur les lèvres de son mari. Kevin le lui rendit,
et même au-delà puisque la langue se permit une intrusion. Mais tout s’arrêta bien vite, même
s’il sentait qu’il s’aventurait sur des cendres qui rougissaient, ses pulsions primaires à lui
restèrent enfouies bien loin de son bas-ventre.

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— Merci, Manon, de me prouver ton tendre amour. Ça me rappelle cet hiver et ce
printemps lorsque j’étais eunuque. Nous ne nous sommes jamais autant aimés qu’en cette
période. J’ai comme l’envie de goûter à nouveau à cet amour-là.
— Manon posa deux doigts sur les lèvres du mâle, non… plutôt de la femelle.
— Chut ! Tu dis n’importe quoi. Rappelle-toi que je fais l’amour avec ma chérie Belinda,
et toi tu fais l’amour avec ta chérie Justine.
— Comment ça, je fais l’amour ? C’est fini pour plusieurs mois.
— Sois patient, même si ce n’est pas ta qualité première.
Elle se laissa glisser contre le corps féminin de son mari puis chuchota :
— Comment a-t-elle réagi ? Pour ton sexe.
Il passa sa main dans les cheveux de sa femme.
— Elle ne sait pas. Je n’ai pas eu le courage de le lui annoncer. Tu es la seule à savoir, en
dehors des médecins et de l’infirmière Giulia bien entendu.
Manon se redressa à nouveau, ses coudes sur les cuisses de son mari, ses mains entourant
les reins.
— Il faudra pourtant bien le lui dire. Il ne faut pas attendre. Sois honnête. D’ailleurs elle
va bien finir par te voir nu, elle verra ton sexe de femme. Que lui répondras-tu ?
— Je sais, c’est d’ailleurs pour ça que je n’ai pas voulu la retrouver ce soir.
— Ah non, Kevin, ne recommence pas ! Justine t’aime par-dessus tout. Ne gâche pas cet
amour. Rappelle-toi l’hiver dernier, par pudeur, par manque de courage, par bêtise, tu n’as pas
voulu lui avouer pour ton sexe prothèse, elle a fini par le savoir. Et quelle fut ta récompense ?
Une rupture idiote. Si je n’avais pas été là, tu n’aurais jamais revu Justine dont tu étais tellement
amoureux. C’est une femme, elle aura la patience d’attendre plusieurs mois pour faire l’amour
avec toi et en attendant elle t’acceptera comme tu es. Es-tu au moins toujours amoureux d’elle ?
— Oui. Mais je crois que je vous aime toutes les deux.
Manon s’enfonça sous les draps. Une larme roulait sur sa joue.

26

Quelques jours plus tard, Kevin se décida à recevoir sa chérie. Justine se présenta à
l’appartement de Champagnole, joyeuse et belle. C’était sa jolie brune aux longs cheveux
ondulés, aux yeux couleur noisette, des noisettes presque noires, couleur des rêves, des noisettes
si angéliques qu’elles semblaient tomber du ciel, d’autant que ce soir-là ses yeux brillaient de
mille-et-une étoiles. Et justement, dans la douceur de cette fin d’été, elle portait une robe bleu
ciel, un ciel marine parsemé de mille-et-une étoiles. Ses bras fins, comme son visage,
dévoilaient une peau bronzée. Elle portait un collier doré autour du cou. La légèreté de ses
chaussures vermillon osait la sensualité. Les chevilles nues se tordaient sous ses pas, comme
un corps nu se tord sous la nudité de l’amant.
Dès la porte d’entrée, elle sauta au cou de son chéri.
— Je t’aime.
La soirée promettait. Pour une fille un peu timide, un peu sauvage, rien ne semblait la
retenir lorsqu’elle tombait dans les bras de Kevin.
— Tu m’as l’air en forme, Justine. Asseyons-nous d’abord dans le canapé, ensuite
embrassons-nous, et l’on terminera la soirée par des tonnes de « je t’aime ». L’amour se passe
de nourriture, nous irons nous coucher sans souper et l’on discutera philosophie, sociologie,
puis on s’endormira.
Assise dans le canapé, collée à son amant, Justine lui caressa le bout du nez.

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— Dans le menu de cette soirée, n’aurais-tu pas oublié quelque ingrédient, un ingrédient
qui pimente le plat principal par exemple ?
— On parlera des problèmes de mon sexe tout à l’heure dans le lit.
— Je connais tes problèmes sexuels, tu m’en as parlé l’autre jour. Je sais bien que Joujou
est à l’hôpital pour plusieurs mois. Tu as cru que je voulais faire l’amour, mais on voit bien que
tu es un homme. Pour vous les hommes, si l’on plaisante, c’est sûrement à propos de cul. Quand
je parle de pimenter la soirée, je pensais à une longue nuit de tendresse. Mes bras autour de ta
taille, nos lèvres entrouvertes et humides on se murmurerait des mots d’amour, beaucoup de
« je t’aime » et encore plus de « je t’aime », nos salives colleraient nos lèvres, nos langues
s’embrasseraient, s’amuseraient dans la nuit comme nous sous la lumière de la chambre. Enfin,
tu me montrerais ta plaie entre tes jolies cuisses musclées ainsi que ta plaque carbone et…
— Je n’ai plus de plaque carbone, le chirurgien me l’a retirée, elle était fichue.
— Mais… n’en a-t-il pas posé une nouvelle ?
— Non.
— Comment les chirurgiens vont-ils donc pouvoir fixer Joujou à ton corps ?
Un long silence s’ensuivit, un silence où Kevin méditait. N’était-ce pas l’occasion pour
avouer à sa chérie ce sexe féminin, là entre ses cuisses ? Au diable sa fierté de mâle ! Au diable
sa pudeur, ses mensonges, le dégoût de son corps ! Oui, il fallait tout dévoiler. Ce soir au lit, il
baisserait son caleçon, déclarerait à Justine que ce n’était pas un caleçon, mais une culotte. Une
culotte sans dentelle toutefois. Ben oui quoi, il n’allait pas en plus jouer les filles coquettes !
Ensuite il pleurerait dans ses bras. Ainsi, entre l’humour et la tristesse, tout serait dit. Justine
l’aimerait tel qu’il est pour les quatre mois à venir. Pour Noël, au plus tard, il se vengerait et
pourrait mettre le petit Jésus dans la crèche et les jours suivants il lui ferait l’amour matin, midi
et soir. Et pourquoi même ne se réveillerait-il pas dans la nuit pour sonner le quatrième coup à
quatre heures du mat ?
— Je te donnerai tous les détails ce soir dans le lit, lorsque tu voudras voir ma plaie.
Toutefois, ne prends pas peur car elle est profonde.
La soirée s’éternisait, entre le souper du petit Liam qu’il fallait préparer, le film à la télé,
les deux bols de soupe chaude posés sur la table du salon. C’est vrai que l’on peut vivre d’amour
et d’eau fraiche, mais quand même, Kevin, ressentait un petit creux, là, tout au bas de son ventre.
Lorsque la nuit survint, lorsque le lit s’avança vers le couple, les deux corps presque nus
sombrèrent sur la couette. Toutefois, tous les détails promis à propos du sexe de Kevin
s’évanouirent lorsque le mâle impuissant, pire, la femelle frigide, leva ses yeux devant le regard
inquisiteur de sa chérie.
Justine, couchée sur le dos, n’avait gardé sur elle qu’un slip et un soutien-gorge. Kevin,
couché sur le ventre, exhibait juste une large culotte bouffante rose. On aurait dit le cul d’une
femelle macaque à crête des Célèbes en chaleur.
Justine éclata de rire à la vue de cet habit burlesque puis approcha sa main jusqu’à
l’effleurer.
— Veux-tu me la montrer cette toute petite plaie si bien cachée par une aussi grosse
culotte ? Une petite plaie qui ne demande qu’à être dorlotée.
Kevin, sans dire un mot, se retourna sur le dos, souleva son gros derrière, tira sur
l’élastique de son accoutrement burlesque puis le fit glisser le long de ses jambes, dévoilant,
sans crier gare, une couche-culotte de petite vieille.
— Mais… mais… es-tu incontinent ! s’exclama Justine sans même oser rire.
— Non… euh… oui et non. C’est surtout parce que… comme on vient de retirer ma sonde,
c’est une précaution au cas où.
— Retire-là donc. Si elle est sale, je vais te la changer.
Elle baissa la tête contre la poitrine de son chéri pour ne pas montrer son sourire, puis elle
finit par pouffer, et les soubresauts des rires étouffés secouèrent sa peau et ses muscles.

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— Pourquoi pleures-tu, ma chérie, ce n’est rien, c’est une affaire de quelques jours.
Après plusieurs secondes de silence, elle souleva sa tête, montrant un large sourire à
travers ses larmes de joie.
— Ah, tu vas tout de suite mieux, dit-il, tu vois, il ne fallait pas angoisser pour si peu.
— Je t’aime, mon chéri, même en couche-culotte.
Puis elle replongea sa tête contre le corps de Kevin. Les soubresauts d’angoisse restaient
toujours aussi joyeux.
Kevin prit soudainement conscience de son erreur.
— Tu pleures vraiment ou tu te fiches de ma tronche ?
— Non, non, je ne me fiche pas de ta tronche, je…
— Si ce n’est pas de ma tronche, alors c’est de mon cul ?
Les mouvements de tête sur le ventre de Kevin semblaient confirmer la dernière question.
Du coup, Justine se lâcha sans honte et rit de bon cœur devant le visage trouble de son amant.
— Je ris parce que j’imagine nos vieux jours ensemble.
Ses deux mains emprisonnant le visage de sa chérie, un long baiser sur les lèvres, tel fut
la réponse de Kevin.
— Je n’ai plus de sexe, mais avant de dormir, si tu veux, je peux te faire du bien, te
caresser tendrement pour te donner du plaisir.
Achevant sa phrase, il approcha sa main du slip de Justine. Elle retira avec douceur les
doigts qui se faufilaient sous l’élastique.
— Pourquoi ta culotte est-elle rose ? Surprenant de la part d’un mâle en devenir.
— C’est le seul slip qu’a pu me dégoter l’infirmière de l’hôpital. Tous les autres
paraissaient trop petits. Mais t’inquiètes, lorsque je rendrai le slip à sa propriétaire, je n’essaierai
pas de la draguer, tu sais bien que je n’aime pas les gros boudins, même si cette mamie à encore
envie de plaire avec ce vulgaire slip couleur rose cochonne.
— Par contre ton infirmière, Giulia, elle est mince et jolie comme tu les aimes.
— Arrête ta jalousie, c’est toi que j’aime.
Calée dans les bras de son amant, les yeux fermés, elle lui chuchota à l’oreille :
— Ne me cacherais-tu pas quelque chose de singulier sous cette couche-culotte ?

27

Le scooter stationnait dans la cour de la ferme à côté de la vieille Fiat 500. À l’intérieur
de la bâtisse, Julien s’attardait dans le lit aux côtés de son ami Paulin. Ils achevaient une partie
de jambes et de sexes en l’air.
— Ouais ! tu m’as épuisé.
— Ben moi, tu m’as vidé.
Les deux garçons, le souffle court après ce marathon érotico-physique,
s’enorgueillissaient de jouer soit l’étalon gaillard, soit la biche câline. Julien souvent gibier,
Paulin plutôt lynx.
— J’aime quand j’enserre tes reins avec mes chevilles et de m’entendre couiner comme
une ado que l’on dépucèle. Ça te plait ?
Paulin caressait d’une main la chevelure de son amant, de l’autre sa verge.
— Tout me plait chez toi, surtout tes deux queues : ta queue de cheval et ton zgeg de
jockey.
— Jockey ? Pourquoi jockey ?

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— Parce qu’il est léger comme le 0 % matière grasse et poids plume comme un cavalier
de Chantilly.
— Arrête de toujours dire des conneries, Paulin. Quand on fait l’amour, il ne faut pas trop
d’humour, plutôt de la tendresse.
Le lynx et la biche s’embrassèrent, l’un avec férocité, l’autre avec douceur. Le jeune
sauvage griffa, secoua une nouvelle fois sa proie à quatre pattes sur la couette. Alors que des
petits cris sortaient du fond de la gorge de Julien, Hoschi et sa chanson, « Amour censure »
résonna dans la poche du jean qui trainait sur le sol. Le sperme de Paulin, presque à la porte du
petit trou, fit demi-tour et s’en retourna dans son deux-pièces. Paulin décrocha son copain puis
décrocha son téléphone.
— Allo ! Lou… de quoi ? Bien sûr que je suis à la ferme. Quoi ? Tu es là dans dix minutes,
oui, oui, OK, à toute.
Paulin raccrocha son portable, ne raccrocha pas son partenaire à son manche déjà mou.
— Vite, rhabillons-nous, Lou arrive.
Et Lou arriva vite, et les deux amants, en jean et maillot, buvaient leur bière autour de la
table de la cuisine.
— Qu’est-ce que vous faites pieds nus tous les deux ?
Les deux garçons baissèrent spontanément leur regard jusqu’au bout des orteils.
— Fait chaud, alors on se met à l’aise.
— Et vos pompes, elles sont où vos pompes ?
L’un pâlit, l’autre rougit. Le pâle suivit Lou jusque dans la chambre. Elle fixa les baskets
des deux garçons en vrac au pied du lit.
— Je comprends, s’exclama l’adolescente.
— Tu comprends quoi ? demanda Paulin. Nous nous sommes déchaussés tout à l’heure
avant de nous vautrer sur le lit pour… pour écouter de la musique.
Elle se retourna vers son copain, le fixa dans les yeux d’un regard noir.
— Fous-moi ton mec dehors tout de suite. On discutera après.
Le lynx féroce se transforma bien vite en poule mouillée, rejoignit la cuisine, exécuta les
ordres de Lou. Julien se sauva par la cour, chevaucha son scooter et démarra en trombe tel un
jockey sur Roquépine.
Lou retourna à la cuisine, ouvrit la porte du frigo, se servit une bière, s’installa à table en
face de son copain.
— Tu couches à nouveau avec Julien, c’est ça ?
Paulin se contenta de la regarder dans les yeux.
— Je préfère la franchise. Si tu te tapes cette tafiole, dis-le-moi, je te plante dès ce soir et
l’on ne se connait plus. Si tu n’as rien fait avec lui, alors je veux des explications convaincantes.
Paulin approcha sa main vers les jolis doigts blancs de sa copine. Elle retira sa main.
— Oui, nous avons baisé cet après-midi. Mais c’est toi que j’aime, faut me croire.
— Pauvre mec, tu ne sais pas ce que tu veux. Tu rampes devant moi tellement tu m’aimes.
Enfin… c’est ce que tu fais, c’est ce que tu dis, mais tu n’es qu’un taré qui ne pense qu’au cul.
Tu ne vaux pas mieux que mon beau-père.
Il essaya encore de lui prendre la main, elle refusa.
— C’est vrai que je t’aime, mais que veux-tu, mes vieux démons m’ont rattrapé. Ce fut
une erreur, promis, c’est fini avec Julien. Je te le répète c’est toi que j’aime.
— Te sentir au pieu avec ce mec, tu me dégoutes.
— Je suis bi, c’est ainsi, c’est dans mes gènes, personne n’y peut rien.
— Ah ! tu es bi, ça veut dire que de toute ta vie tu ne sauras jamais qui choisir. Eh bien,
moi, vois-tu, j’avais choisi.
— Je t’aime.
— Puisque tu te tapes cette tafiole, je te plante et je ne te connais plus.

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Elle se leva, claqua la porte. Il entendit un dernier braillement dans la cour.
— Enculé !

28

— Allo ! C’est Marie. Tu vas bien, ce sexe est greffé, bien accroché ?
— Euh, oui.
— Je suis dans la région, je peux passer te voir ?
— Euh, c’est que Liam est avec moi.
— Où est le problème ? Ton fils ne me dérange pas, je veux juste passer te dire bonjour,
me renseigner sur ta santé. Qu’est-ce que tu imagines, grand coquin.
— Ce n’est plus dans tes habitudes de venir dans la région, à moins que tu ne me trouves
l’excuse de passer par Champagnole en allant à Genève, ironisa-t-il.
— Je suis à Champagnole vers midi. Je vous emmène au resto, ton fils et toi.
Le bonjour à l’appartement, le resto, le retour à l’appartement, tout se déroula si vite que
Kevin regrettait déjà la prochaine séparation avec cette jolie Parisienne. Alors qu’il buvait un
café dans le salon et que le petit Liam jouait dans sa chambre, Kevin fut surpris d’entendre la
voix sucrée de Marie :
— Tu m’emmènes aux cascades du Hérisson, au bord du lac de Châlain, et si nous avons
le temps, jusque sur les berges de l’étang d’Ilay. Cela nous rappellera de bons souvenirs.
Kevin posa sa tasse vide sur la table basse.
— Bons et moins bons souvenirs, soupira-t-il. Je suis d’accord puisque ta douce voix me
propose un bel après-midi romantique.
Marie lui répondit par un sourire coquin.
— Je vais demander à Liam de se changer, on part dans dix minutes, déclara Kevin.

Après les quelques pluies de cette fin de mois d’aout, la majestueuse cascade laissait
couler de longs filets d’argent qui rebondissaient de roche en roche. Liam contemplait l’eau qui
clapotait dans le ruisseau plus bas. La forêt entourait ce site incontournable où de nombreux
touristes profitaient des rayons de soleil de l’été finissant.
Kevin, debout, appuyé contre un saule, admirait les yeux châtaigne de Marie. Elle,
appuyée contre un chêne, faisait semblant de contempler la cascade qui grondait dans le dos de
son ami. Puis, simple curiosité, Marie s’attarda sur la braguette du short de Kevin. Par pudeur,
le faux mâle se retourna et fixa la cascade. Marie trouva que les fesses de Kevin avaient
beaucoup forci.
Sous un soleil encore chaud, le Scénic emmena la petite troupe au domaine de Châlain.
Les sapins entourant le lac se reflétaient dans l’eau verte. Les rochers blancs, plus hauts,
dominaient l’impressionnant centre touristique aux centaines de caravanes, autant de
bungalows, autant de tentes et des Hollandais partout dans les allées, quelques Anglais,
quelques Allemands, quelques Français, de rares autochtones, beaucoup de ces autochtones
travaillaient dans ce sanctuaire de la région des lacs. De jeunes saisonniers trottaient sur la
terrasse du restaurant, derrière les bars des snacks, vendeurs et vendeuses proposaient glaces et
friandises. Une odeur de frites grasses courait dans les allées. Liam courait lui aussi. Il s’installa
devant le marchand de bonbons et réclama sa part comme tout gamin bien constitué. Papa paya,
Marie sourit, Liam avala son premier Haribo. La bonne humeur poursuivit la petite troupe
jusqu’à la terrasse du bar, puis jusqu’au retour sur le parking.
Marie, assise côté passager, se pencha vers Kevin.
— Avons-nous encore le temps de monter jusqu’au bord de l’étang que tu aimes tant ?

67
Liam, jusque-là silencieux, une fraise Tagada dans la bouche, se pencha vers le couple,
ses deux bras appuyés sur les dossiers des sièges avant.
— Dis papa, c’est une nouvelle copine ?
Kevin tourna la tête vers son fils.
— Non, c’est une amie. C’est une journaliste qui m’aide pour… pour mon opération.
— Pourquoi, les journalistes, ça opère aussi ?
— Non, c’est plus compliqué que ça. En fait, Marie connait bien, même très bien le
professeur Damassène qui a recousu mon bas-ventre.
Marie se pencha à nouveau vers Kevin.
— Tu n’étais pas obligé d’ajouter « même très bien ». Serais-tu jaloux de mes aventures ?
Ce fut Liam qui répondit.
— Moi je l’aime bien, Marie. Elle est gentille, elle est belle. Quand je serai grand, je veux
me marier avec une fille comme toi.
Marie caressa la joue du petit garçon. La voiture démarra, grimpa la côte pour rejoindre
l’étang d’Ilay.
Le soleil se cachait derrière les forêts de sapins et Marie semblait retarder l’heure du
départ. Ils se promenaient le long de la route qui emmenait vers le village Le Franois, Liam
trainait loin derrière le couple, un bâton à la main.
— C’est là que les gardes du corps de ta sinistre équipe médicale m’ont enlevé l’hiver
dernier. Bien triste souvenir !
— Oui, mais tu as pu t’échapper de la clinique quelques jours plus tard et toute cette
histoire s’est finalement bien terminée. D’ailleurs, au sujet de la clinique dijonnaise, j’ai une
nouvelle proposition à te faire.
— Ah non ! ne recommence pas avec cette putain de clinique.
— Chut ! parle doucement, Liam pourrait nous entendre. On en reparlera ce soir au lit.
Kevin s’arrêta net. Il fixa Marie avec deux yeux ronds comme des boulets de jeu d’agates.
— Au lit ?
— Chut ! Même si Liam m’aime bien, inutile de le provoquer. Ne pourrait-il pas dormir
chez sa nounou ce soir ?
De retour à la voiture, Kevin ruminait toujours. Ils dévalèrent la route qui les emmenait
vers Champagnole. À l’entrée de la ville, le Scénic bifurqua direction Cize. Il se gara devant la
maison de Tristan et Cloé. La Volvo rose peinturlurée d’une flûte et d’un piano stationnait dans
la cour. Le VTT reposait contre la façade sur le côté. Tristan était donc là.
Il les accueillit sur le perron.
— Ah, ah ! Je reconnais bien là mon ami, une copine toujours près de lui. Puis il
s’approcha de l’oreille de Kevin.
— J’ai dit : près de toi, pas dessous toi, ah, ah !
Il s’inclina vers Marie et l’embrassa.
— On s’est déjà vus, n’est-ce pas. Quelle drôle d’affaire l’hiver dernier ! Qu’est-ce qu’un
pauvre zizi clipsable peut donc perturber notre société ! Troubler des jolies filles comme vous,
OK, mais déranger flics et juges pour si peu. Enfin, n’en parlons plus, c’est de l’histoire
ancienne. Et toi, mon brave Kevin, maintenant que Joujou est connecté définitivement, fini tes
périples rocambolesques ! Quoique, avec toi, sait-on jamais, ah, ah !
Il passa la main dans les cheveux blonds du petit Liam.
— Et toi, mon poussin, les vacances se passent bien ?
— Oui, on a passé la journée ensemble tous les trois, c’était super chouette. Puis il
s’approcha de Tristan pour que les autres n’entendent pas. Il murmura.
— J’crois bien que papa et Marie y vont se marier.
Tristan désigna du doigt le couple en face de lui.

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— Ah, ah ! se marier, eux ? Ah, ah ! Ben dit donc, Manon, Justine, et maintenant Marie,
ça fait trois femmes, on voit que ton papa a un sexe tout neuf.
— Chut ! c’est un secret.
— Ah ben ! s’ils ne sont pas au courant, faut pas leur mettre la puce à l’oreille, parce
qu’un jour il serait bien capable de mettre une autre petite bête à…
— Tristan, je t’en prie, nous ne sommes pas qu’entre adultes, garde tes plaisanteries
foireuses pour plus tard. D’ailleurs, je ne suis pas venu pour déconner avec toi. J’ai besoin
qu’Océane me rende un petit service pour la nuit. Ah ! tiens, justement, la voilà.
Océane approchait derrière son mari, son short pâle laissait filer des vergetures le long
des cuisses. Elle secoua la tête pour relever sa mèche grasse.
— Bonjour Océane, pourrais-tu garder Liam pour la nuit ?
— Bien entendu. Je suis sa nounou et tu sais bien que je suis toujours disponible, même
pendant les vacances.
— Merci Océane, tu es une femme adorable.
— Ah, ah ! il t’adore parce que, ce soir, il en adore une autre, déconna maladroitement
Tristan.
Marie baissa la tête. Kevin s’excusa de ne pas pouvoir rester plus longtemps. Le couple
remonta dans le Scénic, rejoignit l’appartement de Champagnole à trois kilomètres de là. Après
un repas léger devant le plan de travail de la cuisine, ils s’affalèrent sur le cuir blanc du canapé.
Kevin se servit une bière, offrit un coca à Marie, il connaissait les goûts de la jeune femme.
Alors que la journaliste osa poser sa tête sur l’épaule de Kevin, elle tâta le côté d’une fesse.
— Je trouve que tu as pris du cul depuis ton opération. Ne seraient-ce pas les hormones
que tu prends ?
Il se souleva brusquement sous le coup de l’émotion, se rassit aussitôt pour cacher son
gros cul.
— Comment sais-tu pour les hormones ?
— Tu sais bien que je suis proche de l’équipe médicale de la clinique.
— N’est-il pas tenu au secret professionnel ton grec de malheur ainsi que toute sa clique ?
— Justement, je fais partie de sa clique, comme tu dis.
— Tu fais plutôt partie de sa bite, oui.
Pour ne pas envenimer la conversation, Marie aborda d’autres thèmes, son travail de
journaliste à Paris, le développement de son journal people, elle interrogea Kevin sur les
nombreux contrats d’assurance qu’il signait avec ses clients, s’intéressa à Lou, à Modi. Elle
évita d’évoquer les femmes de Kevin, Manon, Justine. Elle n’aborda pas non plus le thème
« Joujou ». Elle savait que Kevin ne voulait pas discuter de cela.
À onze heures du soir, elle décida d’aller se coucher.
— Je vais rester sur le canapé, déclara Kevin.
— Ah, non ! Demain matin je pars de bonne heure et j’ai encore beaucoup de choses à
discuter avec toi, on parlera sous la couette. Je sais que les hommes avec une femme dans leur
lit ont envie de toucher, mais nous ne sommes pas obligés.
— Juste peut-être quelques caresses, ajouta-t-elle d’une voix doucereuse.
Kevin, trop faible lorsqu’il s’agissait d’évoquer un tant soit peu les sens, se décida à se
glisser sous la couette. Marie coquine, avec juste sa culotte bonbon sur elle, se cala contre Kevin.
— Nous n’avons pas parlé de ton sexe de toute la soirée, il serait utile de s’y mettre.
— Je ne peux pas faire l’amour, j’ai encore mon pansement.
Tous deux couchés sur le côté, ils se dévoraient des yeux sous la lumière tamisée de la
lampe de chevet. Marie caressait le dos de son amant.
— Je ne parle pas de faire l’amour, je veux aborder le côté médical de ton sexe.
La main droite de Marie glissa le long des reins, tapota le fessier de Kevin.

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— Il est énorme ton beau derrière. Que caches-tu sous ta culotte bouffante, mon grand
clown ?
Du ridicule il passa à la farce. Il tira sur l’élastique de la culotte bouffante, souleva son
gros derche, laissa glisser le cache-misère, dévoila enfin une couche-culotte. Marie n’osa même
pas sourire devant le manque de pudeur de son amant, cela ne correspondait pas à Kevin, lui
qui complexait si facilement sur les erreurs de son bas-ventre.
— J’ai bien voulu te montrer cette horreur, cette couche de petit vieux, mais en fait je
m’en sers comme pansement, c’est plus pratique, ainsi je me débrouille seul. Ne me demande
pas à voir ma plaie, ça, je ne le supporterais pas.
Elle lui chatouilla le menton.
— Si ! je veux voir, ce sera certainement plus joli que cette pauvre couche. J’ai
l’impression de dormir à côté d’un grabataire.
— Non, il n’en est pas question. Je préfère ressembler à un grabataire qu’à…
— Qu’à quoi ? Qu’à une femme ?
On eût dit qu’un ressort propulsa Kevin hors du lit. Même la couche culotte eut du mal à
suivre. Il la retint in extrémis de ses deux mains avant qu’elle ne glisse sur ses genoux.
— Cela ne sert à rien de t’affoler, mon pauvre Kevin, je sais tout. Enlève cette affreuse
couche, ton sexe de femme est mille fois plus joli à regarder que cette patte à cul.
Le sourire mielleux de la jeune femme effaroucha encore un peu plus le beau gosse. Il
n’était pas question de retirer sa couche devant une aussi jolie gonzesse, même si elle devinait
la catastrophe cachée sous la ouate. Marie sembla lire dans ses pensées.
— Allez, viens te recoucher, ne reste pas debout devant moi comme cela, il ne te manque
plus qu’un bonnet à pompon, des chaussons roses, et tu ferais le clown parfait pour le prochain
carnaval.
À ces mots, elle éclata de rire. Lui aussi. Il se glissa enfin sous la couette. Après un long
silence, Marie reconnut le mouvement du derrière de Kevin qui se soulevait du drap, le bruit du
scratch, le froissement de la ouate sur les draps, puis le flop discret de la couche culotte qui
tombait sur le sol. S’ensuivit encore un long silence, cette fois-ci, entrecoupé de sanglots. Il
cacha ses yeux mouillés dans l’épaisse et longue chevelure de Marie. Les fesses loin derrière
lui jusque sur le rebord du lit pour garder à distance ce sexe maudit, il croisa les jambes pour
cacher l’infamie. Marie approcha sa main d’une cuisse.
— C’est un bon réflexe féminin, les jambes croisées. Je vois que tu apprends vite à jouer
les filles pudiques.
— Arrête de te foutre de moi sinon je remets ma couche.
— Alors, parlons sérieusement, ma grande folle.
— Ça commence bien ! Moi, je vais garder mon sérieux. Trois mois, peut-être quatre, je
ne supporterai pas si longtemps de rester dans cet état-là.
Sur ces dernières paroles, Marie s’excita, grimpa sur Kevin qui était sur le dos. À quatre
pattes, les jambes de chaque côté du corps du faux mâle, elle l’embrassa avec fougue.
— Qu’est-ce qui te prend, Marie ?
— Tu viens de te plaindre que l’attente avant ton opération serait trop longue. Ça tombe
bien, je suis venue te voir justement pour te faire une proposition qui va dans ton sens. La
clinique du professeur Damassène est tellement à la pointe des méthodes transgéniques qu’elle
est capable de fixer ton sexe mâle dès la semaine prochaine.
Il poussa Marie sans ménagement, se redressa sur le lit.
— Tes propositions avec cette clinique foireuse ne m’intéressent plus. Comment faut-il
que je te le dise ? En grec, peut-être !
— Toi qui veux aller vite, c’est une proposition géniale, non ?
— C’est plutôt une proposition à la con. Tes toubibs sont déjà intervenus deux fois sur
mon sexe, ce furent deux catastrophes.

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— Deux erreurs suite à des problèmes techniques mineurs, imprévisibles. Et puis,
rappelle-toi que maintenant la clinique et l’hôpital de Genève coopèrent. N’est-ce pas un signe
du sérieux de la clinique ? Pour ton opération, Félix, et même le professeur Chapelier seront là
pour épauler Andreou.
— Non, je n’irai plus dans cette clinique.
Marie grimpa à nouveau sur son amant(e), l’embrassa, encore et toujours, avec une
tendresse démesurée. Elle passa ses mains blanches dans les cheveux noirs, puis les laissa
glisser sur la nuque, puis sur les côtés du ventre, puis sur les hanches, approcha ses pouces de
la vulve du mâle, patienta quelques secondes. Kevin ne bougea pas. Seul son souffle trop court
trahissait un certain désir. Elle quitta l’endroit dangereux, ses doigts caressèrent les cuisses,
alors que les longs cheveux blonds chatouillaient le ventre. Puisque les mains atteignaient les
mollets, le visage de Marie s’approchait imprudemment de la chatte rasée du mâle. Kevin
repoussa sans conviction la tête de Marie. Au regard de l’hésitation, Marie s’enhardit, posa sa
bouche sur les lèvres (du bas).
Dans son désir trouble, Kevin laissa la langue jouer avec son clitoris. Il ne sentait
cependant aucune sensation. Aucune appétence sexuelle ne montait jusqu’au cerveau. Il laissa
donc Marie se dépêtrer avec cette confusion qui minait son esprit pan-romantique. Il ressentait
des sentiments envers cette fille, mais sa sexualité frisait le zéro degré Celsius. Il caressa la
chevelure de Marie puis l’attira vers ses lèvres (du haut). Il baisa les cheveux dorés, puis souleva
le mince visage de son amante. Ils s’embrassèrent avec toute la tendresse du monde. Après de
longues minutes de roule-pelle, comme s’ils avaient voulu battre le record du monde du baiser
le plus long, Marie roula sur le dos, comblée d’amour.
— Ça fait bizarre de jouer aux lesbiennes avec un homme, ironisa-t-elle.
Soudain un doux murmure coula dans son oreille.
— Mon tendre amour, j’ai eu le temps de réfléchir pendant que tu essayais de me tailler
une petite pipe, je veux bien me faire opérer rapidement.

29

Kevin voulut en parler à sa confidente de toujours, Manon. Deux jours plus tard, il courut
donc à Lons, trouva sa femme devant sa tasse de café.
— Je m’inquiète, ma chère Manon, j’ai… j’ai…
— Ne me dis pas que tu as encore fait une bêtise.
— Non, non, je n’y suis pour rien, c’est encore une erreur des médecins.
— Le Grec ?
— Je ne sais pas d’où vient ce problème, c’est à toi que je voulais en parler en premier, il
n’y a qu’à toi que je peux révéler un tel secret. Est-ce la faute de celui qui m’a opéré, ce
Damassène, est-ce la faute des médecins de Lausanne qui me prescrivent des hormones, mais,
je crois que j’ai… j’ai… mes règles.
Manon pencha la tête sur sa tasse pour ne pas rire devant son mari. Puis le regard souriant
croisa les yeux de Kevin.
— C’est tout simplement impossible, mon pauvre homme, avoir ses règles, ça veut dire
que tu serais capable de faire des enfants. Et ça, c’est impossible. On t’a greffé provisoirement
un sexe de femme par une simple opération transgénique. Et ce genre d’opération, c’est juste
un vagin, un clitoris pour qu’un homme devenu femme puisse avoir des désirs sexuels en tant
que femme. Il faut un utérus pour devenir une vraie femme, et ça, c’est impossible à réaliser.
— Avec ce Grec, faut s’attendre à n’importe quoi.

71
— Je te dis que c’est impossible. D’ailleurs les médecins de Lausanne m’ont confirmé
que c’était juste un sexe femelle sans utérus suite à une opération transgénique ordinaire. Ils
t’ont examiné sous toutes les coutures, ils sont formels. Tes saignements, ce sont tout
simplement des restes de ton opération. Faudrait quand même faire voir cela à Félix. En
attendant, je vais te passer quelques Nana-serviettes hygiéniques.
— Ne me dis pas qu’il faut que je mette des pattes à cul.
— Ne m’as-tu pas dit que tu avais tes règles ?
Après une bonne rigolade ensemble, Kevin se décida à remercier sa femme.
— Je crois bien que je ne peux pas me passer de toi. Merci encore pour tout ce que tu fais
pour moi. Tu sais me réconforter, me consoler.
— Je sais, je sais, quand tu n’as plus de libido, c’est à moi que tu penses. Mais je sais que
c’est dans ces périodes que tu es le plus tendre, alors ça me va.
— Je t’aime, Manon.
— Non, tu aimes les femmes, ce n’est pas tout à fait pareil.
— Si tu n’as rien de prévu, je voudrais bien passer la journée avec toi. D’ailleurs, je n’ai
pas trop envie de voir les clients en ce moment. Je suis mal à l’aise lorsque je m’installe autour
d’une table avec eux.
— Surtout mal à l’aise avec les clientes, grand coquin.
Elle lui caressa la joue, lui proposa une matinée shopping, ils en profiteraient pour acheter
Tampax et serviettes hygiéniques.
— Avant de partir, je vais te changer, allonge-toi sur le lit.
— Ça ne va pas, je ne suis plus un bébé !
— Allonge-toi sur le lit te dis-je, je vais te montrer comment faire, ensuite tu te
débrouilleras seul.
Il exécuta piteusement l’ordre de sa femme et s’allongea sur le lit.
— Pas sur le ventre, andouille, comment veux-tu… Oh ! mais tu as pris du cul !
Il se retourna, retira son jean. Lorsqu’elle vit la culotte bouffante rose, elle éclata de rire.
— Mais c’est quoi ce déguisement ?
Il tira sur l’élastique, baissa la culotte, dévoila sa moliform. Le rire de Manon fut si
bruyant qu’elle en réveilla Lou, couchée dans la chambre d’à côté. L’ado essuyait le coin de ses
yeux endormis en approchant de la chambre de Manon, jeta un œil sur l’étrange position de
Kevin avec les jambes en l’air et la couche-culotte entre les cuisses. Elle posa sa main devant
sa bouche, éclata de rire à son tour et, debout devant le lit à côté de sa mère, elle attendit la suite
des évènements, comme pour narguer le beau-père.
— Demande à Lou de quitter cette chambre, je ne veux pas qu’elle voie ma cicatrice.
— T’appelles ça une cicatrice ? Un vagin, c’est tout l’inverse d’une cicatrice ! s’exclama
l’ado.
Puis Lou quitta la chambre tout en continuant de rigoler.
Kevin se releva du lit, s’assit sur le bord, la moliform déformée entre ses cuisses.
— Comment sait-elle, c’est toi qui lui as dit ?
— Je t’assure que ce n’est pas moi. C’est étrange, oui, comment sait-elle ?
— L’aurait-elle appris lorsqu’elle est venue me rendre visite à l’hôpital ?
— Lorsque tu remonteras à Champagnole, passe voir Félix, il est peut-être au courant
d’une fuite quelconque.
— Pour l’instant, la fuite, elle est plutôt entre mes cuisses.
— C’est vrai, je t’avais oublié, remets-toi sur le dos, lève les jambes que j’enlève cette
affreuse couche.
Elle s’appliqua à retirer sans provocation la moliform. Kevin préféra sourire malgré sa
pudeur. Il connaissait le penchant lesbien de sa femme, la jolie Manon savait donc ce qu’était
une chatte d’adulte. Il l’attira sur lui pour l’embrasser.

72
— Attends, tu vas me tacher avec ton sang, laisse-moi nettoyer ton joli minou avant de
me remercier.
Elle approcha son visage tout près de l’étrange sexe.
— C’est vrai qu’il est joli ton minou, c’est vraiment une belle réussite qu’a réalisée là le
docteur Damassène. Ton sexe de femme rivalise de beauté avec Joujou. On dirait un frère et
une sœur.
Elle éclata encore de rire.
— D’ailleurs, cette petite chatte toute blanche, on va la baptiser.
Elle déposa un peu de salive avec ses petites lèvres sur les grosses lèvres.
— Voilà, on l’appellera Minou. D’accord ? Tu ne dis rien, bon… c’est que tu es d’accord,
va pour Minou.
Elle entreprit de nettoyer consciencieusement la vulve de Kevin. Avec un coton humide
d’eau oxygénée, elle frotta doucement les grandes lèvres, puis les petites. D’un deuxième coton
propre, elle tamponna l’urètre, caressa l’hymen puis l’entrée du vagin, s’attarda enfin sur le
clitoris.
— Tes ragnagnas sont terminés, sourit-elle, aucun sang ne sort du vagin.
— Arrête de me charrier et pose-moi vite cette nana machin truc sur la vulve avant que je
ne choppe des crampes dans les mollets.
— Cette nana machin truc, ça ne se pose pas comme un cadre pour cacher une déchirure
sur un mur, elle va se coincer intelligemment sur ta culotte. Je te fais une démonstration.
Elle souleva l’énorme slip rose de Kevin qui trainait sur le parquet.
— Avec celui-là tu ne vas pas coincer grand-chose, ih, ih ! Attends une seconde, je vais
chercher une de mes culottes et une serviette. Quelle couleur, la culotte ? Rose c’est moche,
hein ! j’en ai une à Belinda dans le placard, vert émeraude à dentelle blanche, elle est charmante,
tu verras.
— Las, Kevin ne répondit rien, attendit patiemment sur le lit. Les jambes ne gigotaient
plus dans les airs.
Manon revint tout sourire, la culotte de Belinda dans une main, la serviette hygiénique
dans l’autre. Elle ferma la porte de la chambre à clé. Elle se mit à genou au pied du lit face à la
vulve de Kevin. Elle montra la serviette puis détailla la pose de celle-ci.
— Tu enlèves d’abord l’emballage plastique, tu déplies la serviette, comme cela. Tu
prends la culotte et tu étends la serviette là où c’est le plus étroit, c’est-à-dire là où va reposer
ton vagin ensanglanté… comme cela, vois-tu. La serviette adhère à la culotte, un peu comme
une colle magique, rien ne dépasse et tout est fixé correctement. Allez, maintenant, lève les
jambes en l’air, comme si un beau mec venait te prendre galamment.
Kevin obéit sans aucune difficulté. Les jambes en l’air, la tête sur le côté, il essaya de
sourire.
— En même temps, si un mâle veut me prendre, il ne va pas être déçu. Mes règles plus
mon poing sur la gueule, pour le coup, c’est lui qui va saigner, et du nez et de la bite.
Alors que Manon achevait de remonter la culotte émeraude sur les reins de Kevin, elle
se pencha à son oreille.
— Lorsque tu n’auras plus tes règles, pense à te raser le visage, que je puisse caresser de
partout ta belle peau féminine. Tu me fais envie quand je te vois avec la culotte préférée de
Belinda.

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73
Fébrile, Kevin entra dans la salle de réunion dans le prolongement du bureau du
chirurgien Damassène. Il reconnut Félix et le professeur Chapelier installés autour de la table.
À leurs côtés, un homme au teint couleur feuille d’automne, les cheveux sombres, les yeux
clairs, se présenta comme l’adjoint du professeur grec. Une petite grosse en blouse blanche,
coiffe blanche sur la tête, s’annonça :
— Madame Geneviève Lonce, infirmière en chef. Nous nous sommes rencontrés l’an
passé. J’assistais le professeur Damassène lors de différentes réunions au sujet de votre prothèse.
Le chirurgien Damassène s’engouffra dans la salle d’un pas rapide, invita Kevin à s’assoir
et prit place en face de lui.
— Merci, Docteur, de vous entourer des célèbres chirurgiens de Lausanne.
— Professeur, et non pas, docteur ! En effet vous pouvez m’appeler professeur, car je
viens d’obtenir ce grade suite aux résultats de mes savants travaux sur la science transgénique.
— Félicitations, professeur.
Félix et le professeur Chapelier levaient les yeux au ciel.
— Nous allons donc rentrer dans le vif du sujet, annonça Andreou Damassène, nous
allons greffer votre sexe mâle que vous appelez Joujou sur votre sexe provisoire, en
l’occurrence votre vagin. Joujou a été restauré par nos services compétents en un temps record.
L’opération aura lieu ce lundi 9 septembre, soit dans quatre jours. Monsieur le professeur
Chapelier ainsi que son adjoint ici présents sont d’accord pour cette date. Ils ont constaté, tout
comme moi, que mes travaux sur le smartcolle et son application informatique sont le fruit
d’une technologie innovante et parfaitement maitrisée.
— Puisque vous le dites, professeur. Je ne peux que vivre d’espoir.
— Non, pas vivre d’espoir, mais vivre de certitudes, monsieur Rumber. Je vous explique
maintenant comment on va procéder. En fait, vous savez déjà beaucoup de choses puisque cette
opération ressemblera à la précédente, la précédente qui a…
— Foiré.
— Non, monsieur Rumber. Un peu d’indulgence s’il vous plait. Il s’en est fallu de peu.
Tout était parfait. Il a suffi d’un petit incident, cette plaque carbone qui n’a pas voulu se mouler
parfaitement à notre colle électronique. Cette fois-ci, plus rien ne peut empêcher la réussite de
la greffe. Donc, je reprends.
Le professeur Damassène expliqua le principe de la greffe, ce manche inversé fixé sur la
base de Joujou, cet outil en silicone-carbone qui sera introduit dans le vagin, et cette colle
électronique magique greffant le tout définitivement. Les terminaisons nerveuses, les circuits
urinaires, spermatozoïdes, sanguins, nerveux, seront gérés par l’application du smartcolle. Cette
application fonctionnera vingt-quatre heures sur vingt-quatre tout au long des années de vie du
greffé. Il n’existera que deux exemplaires de smartcolles, l’un sera dans le coffre-fort du service
transgène de la clinique et accessible uniquement par le professeur Damassène, l’autre dans le
coffre du service équivalent à l’hôpital de Lausanne. Seul le professeur Chapelier y aura accès.
À la fin de l’exposé, le professeur Chapelier prit la parole, embrassant du regard
l’ensemble des personnes présentes.
— Mon adjoint Félix Bullier et moi-même sommes ici pour confirmer les dires du
professeur Damassène et ainsi rassurer monsieur Kevin Rumber. Cette technique de colle
électronique est fiable et notre service transgène de l’hôpital de Lausanne donne sa caution pour
la greffe de Joujou sur le corps de Kevin en connectant le sexe mâle par l’intermédiaire de son
sexe femelle provisoire. Ce dernier sera donc définitivement caché sous le sexe mâle. Je
rappelle que monsieur Damassène avait confectionné ce sexe femelle dans l’urgence, ce qui
permet aujourd’hui une connexion originale, mais efficace de Joujou. Plus de microconnexions,
plus de nettoyage régulier de la base du sexe, plus de soins post-opératoires à prévoir.
Il tourna son regard vers Kevin.
— J’espère vous avoir rassuré, monsieur Rumber.

74
Sur un signe du chirurgien Damassène, son adjoint et l’infirmière en chef, madame
Geneviève Lonce, se levèrent, quittèrent la salle. Après quelques minutes d’absence, Geneviève
Lonce revint dans la pièce, s’approcha de Kevin, souleva le couvercle de la boite métallique
qu’elle présenta au futur greffé. Joujou, paisible et fier, reposait dans la ouate blanche.
— Oh ! Joujou est toujours aussi beau.
Il ne put s’empêcher de déposer un baiser sur le bout du gland rouge et tendu.
— Vite monsieur Damassène, faites vite, que l’on me cache définitivement ce sexe de
gonzesse avec ce bel organe.
— C’est pour lundi prochain, il n’y a plus guère à patienter.
— À souffrir, plutôt ! Au fait, je ne vous ai pas dit, je saigne un peu du vagin. N’est-ce
pas ma période de menstruation ?
Tout le personnel de la salle sourit.
— Tu n’as pas d’utérus ni d’ovaires, mon brave Kevin, répondit son ami Félix, tu n’es
pas une vraie femme, ne t’inquiète pas. Tu saignes un peu sûrement des suites de ta greffe du
vagin. Ton opération est encore toute récente.
— Je vérifierai néanmoins ce petit problème avant la prochaine intervention, ajouta le
professeur Damassène, vous serez donc convoqué vingt-quatre plus tôt, monsieur Rumber, soit
dimanche matin. On procèdera à différentes analyses. Nous aurons les résultats dans l’après-
midi.
Lorsque Kevin quitta la réunion vers midi, le personnel médical resta dans la salle.
— Professeur Damassène, mon adjoint Félix et moi-même avons expliqué votre projet
homme-femme à Manon, la femme de Kevin. Pour ne pas l’affoler, nous lui avons expliqué que
les deux services transgènes travailleraient en collaboration. En effet le couple Rumber reste
toujours méfiant quant à votre sérieux, croyez bien que j’en suis désolé. Mon adjoint et moi-
même restons cependant confiants dans vos travaux. J’ai convaincu Manon en lui confirmant
que ce projet homme-femme ne concernait qu’une opération transgène telle que vous venez
d’ailleurs de l’expliquer à Kevin, que cette greffe à venir n’aurait aucune conséquence sur
monsieur Rumber et que ce sexe femelle serait définitivement caché sous son sexe mâle.
Cependant vos futurs travaux concernant votre projet homme-femme un peu fou ne nous
regardent pas, et vous nous confirmez donc que Kevin Rumber n’est pas concerné.
— Bien entendu, professeur Chapelier, nous avons signé entre nous un contrat qui
avantage les deux parties. Merci de laisser le patient Kevin entre les mains de notre service pour
cette greffe transgène originale. De votre côté je suis certain que vous ferez bon usage de notre
récompense.
Les deux champions de la médecine se levèrent, se serrèrent la main puis se séparèrent.
Félix jeta un dernier regard en coin au professeur dijonnais. Il n’aimait pas cet homme trop
arrogant.

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Kevin, devant le miroir de la salle de bain, laissait courir le rasoir électrique sur son visage.
La lame vibrait sur le cou, le menton, et sa main suivait le mouvement en caressant le derme
tendre du bout de ses doigts. La tonte semblait plus rapide et la peau paraissait plus lisse, plus
douce. Contrairement aux semaines précédentes, nul besoin d’insister sur les poils rebelles. Les
hormones œstrogènes semblaient montrer leur efficacité. Kevin ne s’en émut pas outre mesure
puisque le traitement s’achèverait dès l’intervention chirurgicale, soit le surlendemain. Au sortir
de la douche, il passa un teeshirt azur qui retomba jusqu’en bas de ses reins. Tout en sifflotant,

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il enfila de petites chaussettes blanches puis se déhancha pour remonter avec une délicatesse
toute féminine une petite culotte vert émeraude frangée d’une jolie dentelle d’une blancheur
immaculée. Il voulut passer son jean bleu ciel, mais le tissu résista au passage du bassin. Il fallut
forcer et forcer encore pour parvenir à remonter le pantalon jusqu’au-dessus des reins. La
matière rigide du coton montra le galbe des fesses rebondies.
Tout en chantonnant d’une voix langoureuse, Kevin distribua sans retenue des gerbes
de spray boisé sous les aisselles, le cou. Il tira même sur la dentelle élastique et noya, dans un
nuage de parfum androgyne, sa vulve éphémère blanche. Son centre brillait d’un rose rouge
cerise humide. De ce sexe rasé, on eût dit un fruit de printemps qui ne demandait qu’à être
croqué.
Ce weekend, Justine rejoignait Paris pour suivre une formation de plusieurs mois afin
d’apprendre le métier de décoratrice d’intérieur à l’école de création et design de l’école Boulle.
Elle reviendrait un weekend sur deux en Franche-Comté. Kevin n’avait pas pu l’accompagner
du fait de sa prochaine greffe de sexe le surlendemain, du moins, avait-il dit. Cela ne semblait
pas le perturber outre mesure puisque, tout pomponné, il sortit de la salle de bain enrichi de son
dessous féminin coquet, lequel cachait une Nana périodique blanche teintée de rouge.
À la discothèque d’Arbois, le DJ faisait péter les watts dans l’ambiance tamisée où la
jeunesse se bousculait. Le trentenaire Kevin semblait le doyen de la nuit. Assis au bar depuis
une bonne demi-heure devant un bock de bière blanche à reluquer n’importe qui, il reconnut à
l’autre bout du zinc une âme amie. Il se leva, son pot de blanche à la main, aborda le jeune
garçon.
— Salut Paulin. Ma belle-fille Lou est-elle en train de danser ?
— Non, elle n’est pas venue avec moi. Je crois qu’elle chichonne avec des copines.
— Y aurait-il de l’eau dans le gaz ?
— Non, genre, nous les jeunes couples, on est libres. Ce soir j’en profite pour sortir
avec des potes pendant que Lou déjante.
— Et tes potes, ils dansent ?
— Je ne sais pas, oui peut-être. Tu viens, Kevin, on va s’assoir à une table.
Après des tours et détours entre banquettes et tables basses, ils posèrent leurs fesses
sur un coin de simili. Deux jeunettes déjà installées sur la banquette s’ennuyaient devant leur
coca. Les fesses de Paulin tutoyaient le petit cul de l’adolescente la plus proche. Paulin lui
tourna le dos pour discuter avec son ami. La jeunette sembla déçue.
— Ah, tiens ! voilà un de tes potes.
Julien approchait, il embrassa Kevin, prit la main de Paulin et l’attira près de lui.
— Tu viens tirer une tige avec moi sur le parking ?
Paulin se rassit brusquement.
— Tu sais bien que je ne fume plus, et puis tu pues l’alcool.
La queue de cheval dandinait derrière le crâne.
— Juste une bouteille de vodka, tu parles d’une affaire.
— Vas cuver dehors ou dans les chiottes, mais fous-moi la paix. Tu vois bien que je
discute.
— Ah ! avec ton nouveau copain. Après avoir baisé la fille et la mère, maintenant tu
t’attaques au père.
Le coup de poing gicla sur le visage de Julien. S’ensuivit une bagarre entre les deux
potes. Kevin voulut s’en mêler, reçut un mémorable coup de coude dans le pif. D’autres cinglés,
heureux de participer, entrèrent dans la rixe. La sécurité s’en mêla. Coups de pied, baffes,
castagnes en tous genres se poursuivirent jusqu’à ce que les agents de sécurité balancent tout
ce beau monde dehors.

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Paulin, grand garçon vigoureux, s’en sortit avec quelques égratignures. Sur le parking
devant la boite de nuit, il prit Kevin par l’épaule, déplia un Kleenex, essuya le nez ensanglanté
de son ami.
— Ça va ?
— Non cha va pas, ché une dent cachée, la langue coupée, le pif qui fuit, non cha va
pas.
— Tu peux conduire ?
Kevin, la nuque cassée pour regarder le ciel noir et ainsi retenir le sang dans son
mouchoir déjà trop rouge, réussit à répondre à son ami dans son langage choucroute de gueule
déglinguée.
— Oui, che crois che peux conduire. Mais chirez douchement parche que les chieux
chur le plafonnier, che verrai pas beaucoup la route.
— Je te suis avec ma Fiat, fais attention quand même.
Entre les yeux trop souvent à regarder le plafonnier et beaucoup de bière dans le sang,
Kevin rattrapa à plusieurs reprises le Scénic qui mordait l’accotement. Paulin, dans sa Fiat,
angoissait en surveillant les zigzags du Scénic et regrettait de ne pas avoir laissé le véhicule de
Kevin sur le parking de la boite.
Ils parvinrent néanmoins sans dommage dans la rue de la République à Champagnole
et montèrent à l’appartement.
Kevin retira un mouchoir papier de sa boite, jeta l’autre complètement souillé dans la
poubelle. Ce fut Paulin qui appliqua le mouchoir propre sur le nez de son ami. Assis tous deux
sur le cuir blanc, le jeune garçon se plaisait à soigner le trentenaire. Kevin, un peu couillon de
s’être fait tabasser par de jeunes cons, se laissa caresser par le mouchoir.
— Ch’est bon, je chaigne plus.
Alors la main de Paulin remplaça le mouchoir neuf, s’attarda sur le nez puis la joue de
son ami jusqu’à descendre sur la nuque. Le jeune bisexuel approcha ses lèvres de la bouche
abîmée de son ami. Kevin répondit à son baiser.
— Non, pas la langue, ch’ai trop mal. Ch’est coupé profond.
Paulin recula son visage et dévisagea son partenaire.
— Je ne savais pas que tu aimais les hommes. Un beau gosse comme toi, ça m’arrange.
— Che chais pas che qui m’arrive. Ch’est peut-être depuis que che prends des
chormones œchtrochènes.
Paulin écouta à peine le charabia de son nouveau pote, lui prit la main.
— Je peux dormir chez toi. J’ai un peu trop bu, ça m’embête de rentrer jusqu’à Verges.
Sans attendre la réponse, il entraina Kevin dans la chambre à coucher. Les deux
garçons s’écroulèrent sur le lit encore défait du matin. L’audacieux Paulin, couché près de Kevin,
entreprit un nouveau baiser, glissa la langue avec délicatesse.
— Ch’est cha, douchement, comme cha.
— Tu es vraiment un beau mec.
Kevin s’installa sur le dos, Paulin en profita pour s’affaler sur son ventre. Le
trentenaire essaya de chuchoter des phrases plus ou moins compréhensibles à l’oreille de son
ami.
— Chela m’embête de dire cha, mais chûr le parking de la boite, ch’ai vu ma belle-
fille Lou qui rentrait dans la dichcothèque au bras de che chacré dragueur de Modi. Toi, t’as
rien vu, ta copine pachait dans ton dos en che cachant de toi. Avec mon pif en l’air j’ai quand
même tout vu. Ta copine, elle n’avait pas l’air de chichonner avec des meufs, ni de déchanter,
ch’est plutôt toi qui dois déchanter maintenant.
Paulin encaissa le coup, revendiquant même intérieurement sa mauvaise foi. Et lui,
que préparait-il donc en ce moment ? Est-ce qu’une nuit d’amour avec le beau-père était moins
vicieuse qu’une partie de jambes en l’air entre Lou et Modi ? Et encore, Kevin a vu Lou bras

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dessus, bras dessous avec le black, cela ne voulait pas dire charrette. Qui sait ! il ne se passerait
peut-être rien entre les deux, juste peut-être trois ou quatre déhanchements disgracieux sur la
piste du pub. Quant à lui, excité de pouvoir faire l’amour avec une nouvelle chair, ça le
changerait de pouvoir baiser le beau Kevin, laisser pour un soir son copain Julien provocateur,
violent et puant le dégueulon de vodka.
Toujours à quatre pattes au-dessus de Kevin, il entreprit de retirer les deux teeshirts. Il
se pencha et caressa la poitrine nue de son amant avec la sienne. Sa langue amorça une nouvelle
fantaisie dans la bouche de son ami, lécha les dents blanches, se faufila par le trou de la dent
cassée, rencontra l’autre langue, titilla la crevasse provoquée par l’arête tranchante de la dent
brisée.
Kevin entoura la nuque de Paulin de ses deux avant-bras, apprécia ce baiser mâle,
gouta ce désir femelle imprévu.
— Le trou dans ta langue est si profond que je pourrais y enfiler ma teub.
— Eh ben ! Elle doit pas être groche, ta teub.
— C’est une image, t’inquiètes, on va se la mesurer, pas sûr que tu gagnes.
Kevin ne put s’empêcher de sourire.
— Cha ch’est chûr, ch’est pas gagné !
Surexcité, Paulin s’empressa de tirer sur la fermeture éclair de son jean, entreprit la
même chose sur la braguette de son amant. Kevin le retint.
— Non, ch’il te plait, non, ch’est pas vraiment ton domaine de prédilection che qu’il
y a là-dechous.
Aussitôt Paulin retira son froc, son slip. Il s’agenouilla devant Kevin, la queue veinée
de bleu, longue et raide.
— Tu vois, je t’ai montré la mienne, à ton tour maintenant.
Kevin se redressa sur ses coudes.
— Che n’ai plus envie.
— T’es ouf mon grand, qu’est-ce qui te prend ? Tu embrasses si bien, tu me câlines
comme une femelle qui en redemande, et maintenant tu ne veux plus. Allez, retire-moi ça.
Paulin essaya de tirer sur la fermeture éclair. Rien à faire, Kevin s’interposa une
nouvelle fois.
— Chi tu veux, che veux bien te chucher, comme cha, on verra si ta teub rentre dans
le trou de ma langue.
— Ah, ah, t’as vu ! c’était bien une image, elle est grosse, hein, ma queue.
Paulin, toujours à genoux, se dandina jusqu’à ce que ses jambes enfourchent la tête de
Kevin. Il écarta les cuisses pour que son sexe puisse s’engouffrer aisément dans la bouche de
Kevin. Le drôle de mâle, pour sa première expérience homo, empoigna la queue de son amant
sans pudeur. La pipe fut longue, savoureuse, excitante tant pour le mâle que pour le faux mâle.
Brusquement Paulin accentua les mouvements de son bassin dans l’excitation qui précédait
l’orgasme. Manque d’expérience peut-être, mais la langue, les lèvres et les mains de Kevin
actionnaient trop mollement la peau sensible du sexe, si bien que Paulin dut activer de sa main
les va-et-vient buco-manuels de son amant. À contrario, en raison de sa longue expérience de
mâle, Kevin comprit que la liqueur nacrée de Paulin montait plus vite que la sève du sapin. Il
eut juste le temps de retirer le gland de sa bouche, le sperme de son jeune amant gicla sur sa
poitrine et dans ses cheveux. Les dernières secousses envoyèrent le reste du liquide tiède sur le
visage et le bord de ses lèvres. Paulin, de son index, glissa un peu de liqueur opaline jusque sur
la langue de son amant.
— C’est bon ou c’est dégueu ?
— Ch’est dégueu.
Et Kevin cracha.
— Mon copain Julien il avale, il adore.

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À ces mots, Paulin roula sur le dos.
— Bon, maintenant à mon tour, c’est à toi de jouir.
Toujours couché sur le dos, Kevin regarda la tête de Paulin qui s’approchait
dangereusement de sa braguette. Le jeune amant caressa le sexe par-dessus le tissu du jean,
doucement, puis plus nerveusement, ce qui eut pour effet de mouiller la culotte émeraude.
Paulin tourna ses yeux vers ceux de son chéri.
— Tu n’as pas envie ? Tu ne bandes pas.
— Chi, tes careches m’exchitent, mais…
— Mais quoi ? Ta bite est toute petite, c’est ça, et tu as honte.
— Chi tu chavais !
Paulin s’énerva, tira sur la braguette. Un morceau de satin vert apparut dans l’ouverture
du jean. Paulin sourit de la coquetterie de son amant. Il pouffa carrément lorsqu’il baissa
complètement le pantalon. La jolie culotte verte frangée de dentelle étincelait devant ses yeux
ébahis.
— Ah, ah, ah ! Ta sortie en boite pour te taper un mec était donc préméditée, bravo,
bien joué.
— Pas vraiment, ch’est mes chormones œchtrochènes qui m’ont perturbé.
— Et c’est quoi tes chormones extra chères machin truc ?
Kevin baissa les yeux vers son bas-ventre.
— Retire ma culotte, tu chauras che que ch’est des chormones œchtrochènes.
Paulin ne sourit pas, mais alors pas du tout, lorsqu’il vit le sexe de son amant.
— Tu peux m’expliquer ?
Et Kevin expliqua. Rien ne fut caché à Paulin, jusqu’à la patte à cul que son ami lui
montra dans l’étroitesse de la culotte dentelée. Seulement alors, Paulin éclata de rire.
— Moi qui suis bi je crois bien que je vais tomber amoureux de toi ! Incroyable,
inimaginable ! Putain ! les parties croisées à venir, nous deux ! putain de putain, même pas
pensable !
Longtemps après, la tension retomba quelque peu.
— Comme tu es bi, ch’est donc vrai che qu’a dit Julien en boite de nuit ?
Paulin éloigna ses yeux de la vulve de Kevin et approcha ses lèvres pour déposer un
baiser sur la joue de son amant (e).
— Oui c’est vrai, j’ai fait l’amour avec ta femme. C’est elle qui a dépucelé ma
masculinité. Faut pas m’en vouloir, à l’époque ta femme et toi vous étiez en froid. Manon venait
d’apprendre que tu la trompais. Et de surcroit, avec Agathe. Tu sais, Agathe… ma mère.
Paulin reprit son sourire légendaire.
— Dans la famille Rumber, j’ai demandé la mère, la fille, le père. Je me suis tapé la
mère, la fille, et cette nuit le père. Certes je n’ai pas encore déposé mon petit oiseau dans le nid,
mais ça ne saurait tarder. On va juste attendre que tes règles soient terminées. Au fait, je suis en
train de penser, toi aussi dans la famille Amaury tu t’es tapé la mère, le fils. Il te faut maintenant
demander le père. Ainsi nous serons à égalité.
Kevin se souleva sur ces coudes
— Moi, me taper ton père ? Tu rigoles, il est chauve, pis il est gras.
— Il n’est pas gras, il est musclé.
Dans l’euphorie de la bisexualité très particulière de son amant, Paulin approcha une
deuxième fois son visage face à la vulve. Il déposa un léger baiser sur le mont de Vénus.
— Je n’irai pas plus loin aujourd’hui parce que tu saignes du cul. D’ailleurs tu saignes
de partout, du pif, du cul. T’es sûr que ça ne vient pas de ta triquée en boite ? Le coup de coude
dans le nez, c’est sûr, mais peut-être aussi ce coup de pied dans les couilles.
— Arrête de te foutre de moi, attends que j’aie retrouvé Joujou, tu vas sûrement garer
ton cul quand tu vas voir mon mandrin.

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32

Huit heures du matin, ce lundi 9 septembre 2019. Kevin tremblait sur la table
d’opération, l’anesthésiste à côté de lui.
— Je croyais qu’il n’y avait pas besoin de m’endormir, que la colle électronique ne
demandait même pas d’anesthésie locale.
Le professeur enfilait ses gants à deux pas de la table où Kevin attendait sa piqûre. Il
avait passé son masque chirurgical.
— Je suis obligé de vous endormir. Il me faut vérifier l’intérieur de votre sexe femelle
du fait de votre saignement. Contrairement à ce que vous pensez, rien à voir avec d’éventuelles
règles. Je procèderai à la soudure de Joujou lorsque je serai sûr qu’il n’y aura pas d’effets
secondaires. En attendant, dormez tranquille.
L’anesthésie effectuée, le professeur Damassène ne perdit pas de temps.
Les bras à demi levés devant le sexe du patient, les mains gantées vers le haut, l’ordre
fut bref :
— Bistouri…
L’adjoint du professeur s’exécuta aussitôt et transmit l’outil demandé au grand patron.

En fin d’après-midi, Kevin fut reconduit dans sa chambre. En début de soirée, les
rayons d’un soleil orangé traversaient la fenêtre entrouverte, caressaient le visage pâle de Kevin.
Il se réveilla dans la brume, reconnut vaguement la tête du grec.
— Tout s’est bien passé, monsieur Rumber, confirma Andreou.
Le professeur souleva le drap.
— Vous êtes encore faible et vous ne pouvez pas soulever votre tête, une tête encore
trop lourde de somnifères, et vos yeux sont trop brouillés pour admirer le résultat de notre
opération.
Andreou Damassène tripota sa réussite qui pendait entre les cuisses de Kevin.
— Vous avez retrouvé définitivement votre Joujou. Il ne demande plus qu’à faire le
job.
— Ah ! bredouilla le patient.
— Non, ne me remerciez pas tout de suite, sourit le chirurgien, attendez patiemment
votre prochaine jouissance de mâle vigoureux.
Puis il quitta la chambre. Kevin se rendormit.

Félix avait reçu l’après-midi même un mail du chirurgien de Dijon qui confirmait la
réussite de l’opération. Ce qui surprit néanmoins l’équipe médicale de Lausanne, ce fut la
longueur de l’intervention. Kevin était resté en effet neuf heures sur la table d’opération. Félix
téléphona le lendemain matin à son amie Manon pour lui faire part de cet important détail.
Quatre heures plus tard, l’épouse de Kevin entrait dans la chambre de la clinique dijonnaise.
Elle tira une chaise vers le bord du lit, posa sa main sur le front chaud du patient.
— Tu as de la fièvre, mon pauvre Kevin. Que t’ont-ils fait ? Pourquoi une opération
aussi longue ?
Les yeux brillants, Kevin regardait sa femme tout en soulevant le drap.
— Ne t’inquiète pas Manon, regarde comme Joujou dort bien, fixé correctement à mon
corps. Vois-tu, pas une cicatrice, je me suis levé ce matin et j’ai uriné normalement, et je
t’attendais pour pouvoir baiser. Non, j’déconne. Pour faire l’amour, il faut attendre un peu. Le

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professeur dit que ma libido reviendra très vite, c’est une question de quelques jours. Tu vois,
tout est normal. C’est vrai que je me sens fatigué, que j’ai un peu de fièvre, de surcroit je traine
encore cette perf avec moi. Et puis on m’a fait une piqûre hier soir et encore une ce matin. Parait
que j’en aurai pendant huit jours.
— Tu vas donc rester ici durant huit jours ?
— Je sais pas. Par contre je dois prévenir le professeur Damassène dès ton arrivée, il
veut te rencontrer.
— Cela tombe bien, moi aussi.
Une infirmière entrait dans la chambre. Après prise de tension, contrôle de la
température, la dame en blanc emmena Manon jusqu’au bureau du professeur.
— Asseyez-vous, madame Rumber.
Manon s’installa en face du bureau.
— Comment se fait-il que vous ayez endormi Kevin ? Et pourquoi une opération si
longue ?
— Vous m’avez devancé, madame Rumber, je vous avais convoquée justement pour
vous parler de ces deux sujets. Le saignement de Kevin au vagin venait du fait que la cicatrice
interne de l’organe femelle s’est fissurée. Nous avons dû y remédier avant de fixer Joujou. Ce
fut long parce qu’il fallait perfectionner ce sexe femelle. Il fallait qu’il reste féminin, résistant,
cohérent avec l’ensemble des organes génitaux. En effet, la vulve étant désormais cachée par
joujou dont le manche inversé est collé électroniquement, il fallait que le sexe secondaire, c’est-
à-dire femelle, offre une parfaite adhérence, et j’avais besoin d’une cohésion irréprochable entre
les deux sexes. Tout ceci explique donc la nécessité de l’intervention chirurgicale et sa longueur.
D’autres questions ?
— Quand est-ce que mon mari pourra sortir ?
Le professeur toussota dans son poing collé à sa bouche.
— Nous sommes mardi, disons samedi ou dimanche prochain. Le temps de lui
administrer des injections régulières d’hormones neutres. Nous avons besoin de contrôler les
réactions à ce nouveau traitement, traitement inventé au labo de notre clinique, mais validé par
toutes les commissions scientifiques.
— Cela sert à quoi, ces hormones neutres ?
— Pour faire court, cela sert à neutraliser les hormones femelles que votre mari a dû
absorber durant les trois dernières semaines.
— Combien de temps pour qu’il retrouve un sexe viril ?
Monsieur Damassène secoua son index à côté de son visage.
— Ah ! couple coquin n’est-ce pas ?
— Je vous en prie, professeur, le sexe de mon mari n’est pas sujet à plaisanterie. Après
vos erreurs impardonnables de l’an passé et votre négligence de l’opération du mois dernier,
vous devriez garder profil bas. J’espère que cette fois-ci tout est nickel.
Le professeur se leva, fit le tour de son bureau, salua Manon qui se levait à son tour.
— Bien sûr que tout est nickel, madame Rumber, et votre mari pourra faire l’amour
tout son saoul dès la semaine prochaine. Joujou s’en donnera à cœur joie, soyez-en certaine.
J’expliquerai tout cela à votre mari lors de ma visite de fin de journée auprès de mes patients.
Au revoir, madame Rumber.

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Manon taillait les charmilles qui entouraient son petit jardin. Elle attendait Belinda. La
jeune serveuse ne travaillait pas ce dimanche. La soirée du samedi avait trop duré au restaurant
de Montrond où elle bossait, et ce matin elle devait trainer sa paresse au fond de son lit. Lou
posa une main sur l’épaule de sa mère. Manon se retourna. Sa fille déposa un baiser sur sa joue.
Le long teeshirt de Lou affichait un logo entre les seins représentant une femme à demi nue, un
doigt sur le bord des lèvres et souligné d’un slogan un brin provoquant « I like to caress ». Rien
sous le maillot, pas de chausses, juste ses pieds nus sur la dalle, comme si l’ado attendait avec
impatience l’homme qui viendrait la baiser. Alors un seul geste, soulever ce teeshirt inutile pour
que la sauvageonne en chaleur se laisse prendre, même-là, dans ce jardin en pleine ville, devant
les yeux de n’importe qui.
— Tu me prépares mon petit-déj, maman chérie ?
La maman s’exécuta, toujours aux petits soins pour sa fille. Dans la cuisine, devant le
bol de chocolat chaud, Lou s’assit en face de sa mère qui la fixait de ses yeux doux. Liam
dormait encore dans sa chambre à l’étage.
— Tu n’es pas allée rendre visite à ton beau-père une seule fois cette semaine.
— Tu ne me l’as pas demandé.
— Et si je te l’avais proposé, serais-tu venue avec moi ?
— Non, Kevin a ce qu’il mérite. J’espère que cette putain d’opération a foiré pour qu’il
ne puisse plus jamais baiser.
Manon connaissait sa fille, la réplique ne l’avait pas particulièrement surprise.
— Belinda vient passer la journée ici. As-tu prévu de sortir aujourd’hui ?
Lou secoua sa tête pour remonter sa longue mèche rousse qui retomba aussitôt.
— Pourquoi, faut pas que je dérange ? Besoin d’intimité pour vous brouter ?
— Manon ! Je t’en prie, un peu de respect pour ta mère. Quoiqu’il en soit, Liam restera
avec moi, il ne se passera rien entre Belinda et moi.
— Deux trois smacks quand même et des petites claques sur vos petits culs entre deux
portes.
— Pourquoi es-tu si arrogante en ce moment ? Ne serait-ce pas parce que ton copain
t’a plantée pour coucher avec Julien ?
— Comment sais-tu ? Une confidence sur l’oreiller avec mon mec, peut-être ?
— Oh, petite effrontée ! C’était juste une aventure. Aujourd’hui j’aime Belinda, ça me
suffit.
— Et un peu aussi Kevin.
— Ne détourne pas la conversation. Est-ce vrai que c’est fini entre Paulin et toi ?
L’aimes-tu encore ?
— Comment peut-on aimer un salaud ? Il couche avec Julien, maintenant il tente sa
chance avec Modi.
Manon montra des yeux aussi gros qu’une pleine lune par nuit étoilée.
— Modi !
— Je t’en bouche un coin, hein ! Paulin a le sexe en feu comme Kevin. Il baiserait tous
les beaux mecs qu’il rencontre.
— Comment sais-tu cela, pour Modi ?
— Je sais. Des confidences sur l’oreiller.
— Tu couches donc encore avec Paulin.
— Non, avec Modi.
Toujours ces mêmes yeux de pleine lune.
— Avec ce dragueur ? Et il a au moins vingt ans de plus que toi. Et tu n’es pas majeure.
— Tu ne vas pas faire un scandale pour si peu de mois avant ma majorité. Et puis,
vingt ans d’écart, ce n’est rien quand c’est un beau mec. Je rêvais de me taper un black pour
vérifier sous le caleçon. C’est bien vrai ce qu’on dit sur les noirs.

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— Pour en revenir à Paulin, comment Modi s’aperçoit-il que ton copain le drague ?
— D’abord Paulin c’est plus mon copain. Pis tu parles, les deux mecs, ils passent leurs
journées ensemble au boulot. Ça doit le démanger ce Paulin d’mes couilles, un beau black assis
en face de lui toute la sainte journée.
Manon soupira puis pensa à Kevin. C’était aussi ce matin-là que son mari sortait de la
clinique dijonnaise enrichi de son Joujou flambant neuf.

34

Justine venait de passer le weekend avec Kevin à la clinique de Dijon, elle l’avait
accompagné jusqu’à l’appartement de Champagnole, avait pris bien soin de lui, et, vers dix-
sept heures, elle regagnait Lons le Saunier. Elle montait dans le train de vingt heures douze,
direction Paris pour plusieurs semaines de cours à l’école Boulle. Justine s’était enthousiasmée
auprès de Kevin au sujet de ses cours. Elle adorait cette formation où elle découvrait astuces,
nouveautés, élégance et harmonie pour le bien-être d’un chez-soi.
Le départ tôt dans la soirée de sa copine permettait à Kevin de confirmer son rendez-
vous pour arroser sa sortie de la clinique. Il se présenterait à la fête champêtre au bord du lac
de Châlain avec Joujou tout neuf, tout propre, vigoureux, indémontable. Chiche, il serait
capable de l’inaugurer dès cette nuit. Il avait déjà sa petite idée sur la femme qu’il allait baiser.
Vingt heures carillonnaient au clocher de l’église. Au même instant la sonnette
résonnait au-dessus de la porte de l’appartement. Kevin ouvrit et son visage fut aussitôt caressé
par une montagne de roses jaunes. Suivit la tête souriante de Marie, suivit un magnum de
Champagne poussé en avant par deux bras malingres, suivit un crâne demi-chauve pas plus gros
que le cul du magnum. Ils s’embrassèrent tous les trois. Le professeur Damassène, les larmes
aux yeux, déposa sa bouteille de champagne sur la table du salon.
— Je suis fou de joie, mon cher Kevin, je peux t’appeler Kevin n’est-ce pas.
Une grande tape sur l’épaule.
— Et puis on se tutoie, OK ?
— OK professeur.
— Pas de professeur ce soir, juste Andreou.
Il s’affala sur le cuir blanc.
— Je pleure de joie. C’est un succès phénoménal, une réussite inouïe.
Kevin s’installa à ses côtés.
— Que dis-tu là, Andreou ? Tu n’en es pourtant pas à ta première opération
transgénique, dit Marie.
Le professeur marqua un temps d’arrêt, lorgna vers sa maitresse assise dans le fauteuil
en face, puis trinqua avec ses deux amis.
— Certes je maitrise parfaitement les modifications de sexe, mais là, je suis fier
d’arroser avec mon patient et ma copine Marie cette méthode simple et, comment dire,
innovante de la fixation d’un sexe mâle sur un sexe femelle, enfin, à partir d’un sexe femelle.
Il tourna son regard vers Kevin.
— Bref c’est difficile à comprendre pour un simple patient comme toi. Pour résumer,
c’est une innovation géniale et une intervention parfaitement maitrisée. Te voilà avec un sexe
mâle prêt à l’emploi. Es-tu bien sûr d’avoir retrouvé ta libido ? Cette soirée passée avant-hier
dans la salle des donneurs de sperme a-t-elle bien confirmé tout cela ?

83
— Oui, j’ai regardé grimper Joujou comme s’il voulait atteindre ma joue pour
m’embrasser et me remercier. D’ailleurs vous avez pu analyser mon sperme. Parait même qu’il
serait capable de se mélanger aux petits ovules.
— Ce n’est pas « il parait », c’est sûr, tu peux procréer, faire de beaux gosses à la
femme que tu voudras.
Kevin envoya un clin d’œil vers Marie.
— Ce n’est pas moi qui veux, ce sont-elles. Elles sont déjà quatre sur les rangs. Quel
boulot !
Marie fronça les sourcils. Kevin, fier de sa provocation, releva la saute d’humeur de la
jeune fille. Il se leva, rangea le reste du champagne dans la porte du frigo, posa les trois flûtes
dans l’évier.
— Ce soir c’est moi qui régale, je vous emmène à une fête foraine. Merguez frites en
abondance, champagne à profusion, années 80, youpi !
La bonne humeur se poursuivit durant tout le quart d’heure de route. Le puissant 4X4
du professeur stationna sur le parking du domaine. Les trois lascars s’élancèrent d’entrée sur la
piste de danse. L’ivresse du champagne enlevait toute pudeur, et les jambes déliraient n’importe
comment sur une musique disco de Claude François. Kevin et Marie débordaient de pétulance,
les bras valsaient mieux que les jambes, les corps se tordaient à qui le plus vulgaire. Kevin
ajouta une couche triviale, son bassin à la renverse pour présenter au public son gros bagage
derrière la braguette de son jean. Ils n’étaient que les trois sur l’immense parquet. Andreou se
retira bientôt de la piste. Marie et Kevin s’enlacèrent dans un slow sur une chanson peu
banale « L’aventurier d’Indochine ». Chorégraphie pas simple à réaliser. Kevin ne s’en sortit
pas trop mal. Faut dire que le ballet à n’importe quel temps plut au garçon et à son Joujou. La
soirée promettait un mélange de tumulte et de sensualité.
Après les derniers mots de l’aventurier, dégoulinant de sueur et de bien-être, Marie et
Kevin s’écroulèrent sur un banc tout près de la buvette, leurs têtes et leurs coudes s’effondrèrent
sur la table de brasserie. Assis en face d’eux, le professeur souriait. Après un long temps de
récupération, Marie se leva, s’approcha de la buvette.
— Champagne, s’il vous plait.
— Il n’y a pas de champagne.
— Alors deux bouteilles de crémant du Jura.
Finie la danse, place à la beuverie. De toute la soirée au milieu de cette foule paysanne,
mais aussi de vacanciers, entre buvette et piste de danse, Andreou s’ennuyait, Marie embrassait
Kevin au nez et à la barbe de son amant dijonnais, le mâle caressait plus ou moins discrètement
son amie, repoussant sa mauvaise conscience loin du train Lons-le-Saunier Paris. L’un buvait
raisonnablement, l’une modérément, l’autre abondamment. Vers minuit le clin d’œil d’Andreou
fit comprendre à Marie qu’il fallait rentrer à l’appartement.
Le retour fut plus calme dans l’habitacle, mais chaotique sur la route entre ligne
continue et fossé.
— Pourtant, je n’ai pas trop bu, affirma Andreou. Si je souffle, sûr que ça ne vire même
pas.
Ouf, pas de flic sur la route ni dans la ville. Le 4X4 trouva une place juste en face de
l’hôtel où devaient dormir Marie et Andreou.
— On va terminer notre magnum chez toi, beau gosse, déclara Marie qui sortait de
l’auto, la tête embrumée.
Andreou approuva pendant que Kevin riait bêtement.
— J’ha… j’habite à deux… eux cent mètres. Sui… suiv.
Ils suivirent les pas hésitants de l’homme de tête et les zigzags plus ou moins maitrisés.
Ils parvinrent enfin au pied de l’escalier. Kevin monta les seize marches à quatre pattes. Derrière,
Marie et Andreou riaient sur leurs deux jambes.

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— Je fais ça, c’est pour rire, hic !
Comme Kevin ne trouvait pas le trou de la serrure, Marie tourna la clé.
— Ben dites donc, si j’trouve… e… pas le trou, c’est pas ga… gagagné, hein, qu’es-
ce t’en penses, Joujoujou ?
Marie le guida jusqu’au canapé. Andreou referma la porte.
Alors que Kevin ronflait déjà, le professeur et Marie s’éloignèrent jusqu’à la cuisine,
refermant la porte derrière eux.
— Tiens prends ça. Fais-en bon usage.
Il glissa le petit appareil dans la main de sa copine.
— Je te laisse passer la nuit dans son lit, mais ne me déçois pas. Si j’avale cette
infidélité, c’est pour une bonne cause.
Ils s’embrassèrent longuement après avoir discuté durant plus d’une heure, puis
Andreou repartit seul à l’hôtel.
Tu parles d’une infidélité, pensait Marie, je préfère baiser avec Kevin qu’avec ce Grec
trop maigre et trop prétentieux. Je ne vais pas me gêner pour ajouter le plaisir de mon corps au
profit de la clinique.
Elle réveilla difficilement Kevin, le souleva encore plus difficilement du cuir blanc, le
traina jusque dans le lit, le déshabilla, lui laissa juste son boxer mâle, déposa un baiser sur ses
lèvres.
— Tu as eu du mal à me suivre jusqu’au lit, grand coquin. Est-ce que cette petite sieste
t’a fait du bien ?
Kevin se frotta les yeux.
— Oui, mais faut que je boive, euh… de l’eau.
Marie partit chercher une carafe et un verre.
Il but quasiment toute la carafe, rota sans discrétion, se recoucha, remonta la couette
jusque sous son menton, ferma les yeux.
La jeune fille admira le doux visage de Kevin qui semblait sourire dans son
présommeil. Puis elle secoua le mâle sans ménagement.
— Ah non, tu ne vas pas dormir alors que je reste passer la nuit vers toi. Tout cela ne
te ressemble pas.
— Laisse-moi, je suis fatigué et, et je suis bourré… é.
Marie tira sur le boxer et le glissa jusqu’aux chevilles puis elle empoigna le sexe mou
sans délicatesse.
— Regarde-moi ça, incapable de montrer le moindre intérêt pour sa copine préférée.
Il grogna. Elle ajouta :
— Puisque cette nuit tu ne sais pas jouer au mâle, peut-être retrouveras-tu ta libido de
femelle.
Elle actionna le smartcolle qu’elle tenait dans son autre main. Kevin crut reconnaitre
comme un bruit de ventouse sous la couette, puis une vague sensation, comme si l’on retirait
entre ses cuisses un objet non identifié du fond d’un siphon. Kevin se souleva brusquement sur
ses coudes, complètement dessaoulé, écarquillant les yeux devant Joujou qui se balançait sous
son regard.
— Tu as vu, chéri, dit Marie d’un ton ironique, on peut même débrancher Joujou sans
qu’il soit obligé de bander contrairement au précédent. En même temps, c’est préférable
puisque ton appétence sexuelle n’est pas au beau fixe cette nuit.
Kevin continuait de fixer Joujou qui se balançait au-dessus de sa bouche grande
ouverte. Marie n’aurait qu’à écarter index et pouce et le petit organe serait avalé tout rond par
son propriétaire.
Ce Joujou-là reflétait la laideur, plissé, petit, gris, triste, avachi, recroquevillé, son œil
borgne caché sous le prépuce. Les glaouettes pendaient misérablement au fond d’un sac mal

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ficelé. Et qu’est-ce que foutait donc ce manche de huit centimètres qui semblait transpercer son
sac de semences mâles ? Et puis, ce manche fixé dans le mauvais sens, c’était trop misérable.
Et par-dessus le marché, un manche pas plus gros qu’un stylo à bille Bic, et encore saurait-il
seulement cracher de l’encre, cet ustensile de mes couilles.
Kevin en était là dans l’examen du nouveau Joujou, lorsque la bouche de Marie
s’approcha de son oreille.
— Je l’ai débranché tout mou, mais si tu avais bandé lorsque j’ai actionné le smartcolle,
il serait resté tout raide, tout dur, tout beau comme tu l’aimes, et comme je l’aurais aimé aussi.
— Mais putain ! je croyais qu’il ne se débrancherait plus jamais, c’est quoi ce putain
de délire ? Et puis c’est quoi cette tige à la con aussi moche que ton Grec tout aussi con ?
— Lorsque je refixerai Joujou à ton bas-ventre tout à l’heure, rappelle-toi que cette
tige s’insère dans ton vagin, et la colle électronique actionnée par le smartcolle fait le reste.
Elle se frotta les mains.
— Et alors ni vu ni connu, ton sexe femelle.
Kevin, furieux, sauta du lit, se planta debout face à Marie restée assise sur le bord du
lit.
Elle sourit devant ce corps nu, devant ce sexe de femme à la peau blanche et rasée.
Elle passa ses doigts sur les grosses lèvres rosées. Kevin repoussa sa main.
— Arrête ta comédie, rebranche-moi vite Joujou ou…
— Ou quoi ? Tu me frappes ? Je te connais trop bien pour savoir qu’il n’existe aucune
violence chez toi. Tout au plus un juron un peu trop spontané, au demeurant tout à fait justifié.
Tu es un mec bien, Kevin. Je crois que tu m’aimes beaucoup et moi aussi je t’aime bien. Il ne
faut pas réagir ainsi, parce que si je suis là, c’est pour un bon suivi postopératoire de ton sexe,
et aussi pour vérifier ton sexe-appeal, tant masculin que féminin.
— Mon sexe-appeal masculin me suffit.
— Justement, il me faut vérifier le côté féminin.
À peine finissait-elle sa phrase qu’elle se leva, caressa la petite chatte blanche tout en
jouant à roule-pelle avec son amant. Comprenant que mademoiselle Kevin répondait bien vite
à son appel, elle l’entraîna sur le lit. Dans un 69 parfait, Kevin apprit très vite le jeu du broutage
de gazon.

35

Le weekend suivant, Justine resta à Paris. Kevin en profita pour descendre au pub à
Arbois.
Installé dans une banquette devant une table basse et une bière blanche, il profitait de
l’ambiance lumineuse des lasers, de la musique rock, des jambes bronzées des filles en
minijupes. Certaines le frôlaient entre son banc et sa table en jetant un regard de fausse
indifférence, d’autres se tortillaient sur la piste, rêvant qu’on les admire. Il y avait des belles,
des moins belles, des pétasses, des moins pétasses. Une part importante de la clientèle
s’agglutinait autour du bar, quelques femmes, beaucoup d’hommes, des péteux, enfin, c’est ce
que pensait Kevin. Tous ces crétins qui buvaient sans savoir draguer, qui attendaient on ne sait
quel geste d’une fille un peu plus hardie ou trop chaudasse, tous ces poivrots rêvaient bêtement
sans même croire en leur chance. C’était bien cher payer tout cet alcool de boite, juste pour
s’inventer une baise sur le siège arrière de la voiture. Il commanda une bouteille de whisky
lorsqu’il reconnut son pote Paulin sur la piste.
— Hello.

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Paulin s’invita aussitôt à sa table.
Deux bises trop près des lèvres.
— Ta période de ragnagna est terminée ?
— Tu me prends toujours pour une tafiole, mais comme je te l’ai dit l’autre jour,
maintenant que j’ai mon mandrin, t’as intérêt à garer ton cul.
Paulin se pencha vers lui, caressa sa joue.
— Alors je peux laisser mon petit cul stationner dans ton lit dès ce soir. Une vraie
partie homo, ça me va. À moins que tu sois redevenu toi-même, mâle hétéro et fier de l’être.
Au fait, je vois que la crevasse dans ta langue va mieux, fini ton charabia, dommage ! je trouvais
ça rigolo.
Kevin versa du whisky dans les deux verres. Deux belles nanas s’installèrent tout à
côté. L’un flairait le parfum féminin, l’autre flairait un bon coup. Paulin, jaloux, attira Kevin
sur la piste de danse. Après s’être déhanchés sur les sons endiablés de Bastard, Disciples,
Dubdogz, ils regagnèrent leur table. Les deux filles avaient disparu. À leurs places
s’embrassaient Modi et Lou.
Lou ne semblait pas gênée, Modi non plus, Kevin encore moins. Paulin tira son ami
par le bras.
— Viens on s’en va.
— Ne fais pas l’imbécile, Paulin, dis bonjour à ces messieurs dames, tu sais bien que
ça devait finir ainsi. Lou t’a quitté, tourne la page, et puis, entre nous…
Il s’approcha de l’oreille de Paulin.
— Tu ne perds pas au change. Le beau-père c’est un bon coup. Ne soit pas jaloux de
Lou, Joujou est certainement plus gros que le mandrin du black.
Paulin s’assit à contrecœur en face de son chef des greffes du tribunal. Modi le salua
de ses belles dents blanches. Kevin s’assit en face de sa belle-fille sans lui faire la bise.
— Salut Lou. Tu ne nous présentes pas ton nouveau copain.
— Ce n’est pas la peine, vous le connaissez parfaitement, non ? Et toi, tu ne présentes
pas ton nouveau copain ?
— Ce n’est pas la peine, tu le connais parfaitement, non ?
— Bonjour l’ambiance, renchérit le beau black avec toujours son blanc sourire.
— Maintenant qu’on a dit bonjour, viens, on s’en va, dit Paulin.
— Attends, nous n’avons pas fini notre bouteille de whisky. Je vais chercher deux
autres verres, répondit Kevin.
— J’en veux pas de ton alcool de louseur, pesta Lou.
— Moi je veux bien, répondit Modi.
Les dents blanches rayonnaient. Elles se tournèrent vers Paulin. L’accent
guadeloupéen aussi.
— J’espe ma liaison avec Lou, pas poblèmes pou tavail.
— Je vais peut-être changer d’horizons professionnels, je vais réfléchi. C’est
dommage, toi beau et bon gaçon au travail, répondit Paulin sur le ton de la plaisanterie.
Lou posa sa main sur l’avant-bras de Modi.
— Laisse-le, lui qui fait des études dans la médecine addictive, il va sûrement trouver
des missions de merde chez les cas d’homosexuels frustrés.
Elle acheva ses mots en fixant intensément son beau-père.
Kevin servit un verre de whisky à Modi, vida le sien d’une traite, se leva. Les deux
homos saluèrent et quittèrent la boite.
— Toujours aussi conne ma belle-fille, je ne sais pas comment tu as pu la supporter
tant de mois.
— Je l’aimais, et ses yeux, son corps fin et fragile, j’en ai toujours envie.

87
Kevin préféra laisser sa voiture sur le parking, s’assit à côté du conducteur de la
Fiat 500.
— Tu n’as presque rien bu, tu peux me remmener à Champagnole. C’est ta route pour
rejoindre Verges.
— Pas tout à fait, sourit Paulin, mais je ferai quand même le détour pour une belle nuit
d’amour avec toi.
Il crocha la première. La petite voiture fila dans la nuit.
Une heure du matin, complètement nus, ils s’embrassaient sous la couette. Le ciel
nuageux apportait la fraicheur d’automne dans les maisons.
— Hum, c’est vrai que Joujou est bien gros, bien long, félicitations Monseigneur,
jusqu’à ce jour je n’ai connu que votre admirable foufoune ensanglantée.
Heureux de baiser avec un bien bel homme, Paulin sauta sur le ventre de Kevin. Les
deux sexes se touchèrent, se frottèrent l’un à l’autre. Puis les lèvres de Paulin descendirent
jusqu’au bas-ventre de son amant. Il entreprit une magnifique pipe, fuma tout le tabac
surcomprimé par tant de vierges journées, tant de chastes nuits, avala même la fumée.
La voix de Paulin se fit tendre.
— Tu es beau gosse, tu as une belle queue, tu me plais, Kevin.
La voix de Paulin se fit souriante.
— Comment tu as joui, ouah ! Genre, ce paquet de sauce que j’ai dû ingurgiter, ouah !
J’ai cru que je dévorais du boudin à la purée.
— T’aimes bien le sucré-salé ?
— Oui, pourquoi ?
— La prochaine fois, je mettrai un peu de compote de pomme sur le gland.
— Maintenant c’est à mon tour de profiter de tes caresses. Envoie-moi au ciel, beau
mec. Non, ne baisse pas la tête, pas de pipe, j’ai envie de te prendre par-derrière.
— Je ne veux pas que l’on touche à ça.
Paulin caressa les hanches de son copain, tripota le zizi tout replié.
— Maintenant que tu as joui tu me laisses tomber, pas sympa le mec.
Kevin caressa la joue de son amant.
— Attends-moi. Je reviens dans cinq minutes.
Il se leva, se dirigea vers la salle de bain. Joujou, triste et tout petit, se balançait entre
ses cuisses. Il ferma le verrou derrière lui. Il tenait dans sa main le smartcolle. Cela n’avait pas
été facile d’obtenir cet appareil des mains de Marie la semaine précédente. Il avait bataillé,
réclamé encore et encore. Marie avait fini par céder. « Je te le prête jusqu’à la fin du weekend
prochain, mais à une condition, tu me racontes en détail tes relations sexuelles, je dis bien en
détail, ton état d’esprit quand tu fais l’amour avec un homme, avec une femme, mais je préfère
avec un homme, tes sensations mâles, femelles, la durée de la relation, les positions, tout quoi.
Et ne triche pas, je finirai par tout savoir par mes relations. Et tu me le rends impérativement la
semaine prochaine, promis ? »
Il décompressa son vagin avec l’application, smartcolle. Toujours ce bruit de ventouse
et cette sensation que l’on retirait une tige d’acier du fond d’un siphon. Il posa Joujou tout
penaud sur le rebord du lavabo, retourna dans la chambre. Une serviette de bain cachait son
sexe de femme.
— Ah, ah ! On joue les grands pudiques ! Je te connaissais plus téméraire.
Kevin ne répondit rien, s’installa à quatre pattes sur le plancher, laissa tomber la
serviette sur le sol.
— Prends-moi par-derrière comme tu le voulais tout à l’heure.
— Monseigneur est revenu dans de meilleures dispositions.
— Tu ferais mieux de m’appeler Duchesse pensait Kevin, se souriant à lui-même.

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Paulin, le sexe raide, se présenta à genoux derrière son amant, se pencha pour lécher
le petit trou, histoire d’humidifier l’entrée vierge. Kevin tourna brusquement la tête.
— Je t’ai dit que je ne voulais pas que l’on me touche là.
— Faudrait savoir ce que tu veux.
— Baise-moi, baise-moi comme si tu prenais une femme en levrette.
Paulin crut comprendre, il passa ses doigts sur la chatte de son amant(e).
Il éclata de rire.
— L’homme-femme, genre, je vais avoir le bonheur de dépuceler le premier homme-
femme de la terre.
Son grand rire recroquevilla sa belle queue. Paulin entreprit un branlage en règle et la
queue grimpa bien vite aux abords du grand trou. La femelle, à genoux sur le parquet, posa ses
avant-bras sur le bord du lit. La levrette fut rapide sous les vibrations du mandrin de Paulin
surexcité. Le désir de femme commençait juste à frémir chez le faux mâle lorsque Paulin cracha
son venin jusqu’au fond du vagin.
Après un court moment de somnolence, le zizi de Paulin glissa lentement sur les lèvres
et la vulve, puis sur une cuisse de Kevin, laissant trainer un filet nacré sur la peau lisse. Après
un long moment de somnolence, les deux amants se décidèrent à grimper dans le lit.
— Je sais que tu n’as pas eu d’orgasme, beau mâle femme, parce que je suis trop nul,
je n’ai pas su me maitriser, je n’ai pas su te faire l’amour.
Kevin sur le dos, Paulin allongé sur lui, il caressa la chevelure de son amant puis posa
ses lèvres sur sa bouche.
— Tu me plais, Paulin, j’ai encore envie de ton corps.
Alors, Paulin s’engagea dans des préliminaires sensuels, il embrassa son mec femme
longuement sur les lèvres, puis déposa un baiser sur chaque partie du corps, enfonça
délicatement son sexe dans le vagin tout en titillant la petite bite que l’on appelait clitoris.
Kevin tremblait, gémissait, puis il cria dans un orgasme inattendu, puis un autre
orgasme, puis encore un cri, une dernière délectation. Les deux mecs, enfin presque, séparèrent
leurs sexes humides, s’endormirent, bienheureux.
Dans son demi-sommeil Kevin se rappela les mots de Manon. Samedi 21 septembre,
ce sera l’anniversaire de Lou.

36

Le Scénic dévalait la pente sinueuse qui l’emmenait à Arbois. Le chauffeur descendait


rejoindre famille et amis au Pub du bourg vigneron pour fêter les dix-sept ans de sa belle-fille.
En cette première nuit d’automne, Kevin tenait fermement le volant de sa voiture, mais son
esprit voguait vers Paris, vers l’école Boulle. Troisième weekend sans Justine, cela commençait
à faire long. Et sa jolie copine qui ne semblait pas pressée de revenir. Que se passait-il donc
dans la tête de sa chérie ? Connaissait-elle ses frasques ? Qui aurait vendu la mèche ? Marie ?
Non, pas possible, Paulin ? Non, Manon ? sûrement pas. Lou ? Ah ! peut-être Lou, à vérifier,
cette petite garce en serait capable. Ou alors Justine avait-elle rencontré quelques beaux
Parisiens. Bof ! pas son genre, timide, trop amoureuse. D’ailleurs ne se téléphonaient-ils pas
tous les soirs ou presque, les SMS s’échangeaient quatre ou cinq fois dans la journée, lorsque
ce n’était pas aussi la nuit. Non, Justine ne le trompait pas. Rien que de penser que sa chérie ne
savait toujours rien sur sa nouvelle anatomie, il enrageait sur sa propre lâcheté. Après cette
dernière réflexion, il trouva une place pour stationner dans la rue du Pub.

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Tous les invités étaient déjà installés sur le simili rouge. Tristan, son fidèle ami, avait
échangé sa flûte légendaire contre un saxophone et soufflait un air de Lady Gaga accompagné
d’un homme-orchestre. Kevin s’avança tranquillement vers les tables. Tous l’observaient, ceux
qui savaient et ceux qui ne savaient pas. Ceux qui savaient lui trouvèrent des hanches un peu
larges, une poitrine d’haltérophile. Ceux qui ne savaient pas appréciaient, ou pas, son allure
vestimentaire. Couvert d’une veste à petits carreaux rouges et blancs, seul un bouton s’attachait
à l’œillet central et découvrait le haut de la chemise blanche et son col largement ouvert. En
dessous de cette boutonnière à peine fermée ressortait le bas de la chemise qui glissait
élégamment sous la ceinture de cuir beige. Un foulard de soie bleu moucheté de blanc tombait
en pointe sur le haut de la poitrine imberbe. Un pantalon de tergal bleu exhibait des plis
horizontaux au niveau des cuisses, comme le mouvement lent des vagues sur le rivage. Le bout
de la ceinture de cuir flottait sur la braguette où il n’était pas difficile d’imaginer une caresse
sensuelle à l’intention de Joujou. Les chaussures pointues au cuir noir racé finissaient d’habiller
le personnage.
Kevin agita sa main à côté de son visage.
— Bonjour tout le monde.
Il trouva une toute petite place près de Manon, cuisse contre cuisse. Il l’embrassa puis
zieuta rapidement l’assistance. Ouf ! Lou était installée à l’autre bout de la table. Sans gêne, sa
belle-fille s’exhibait au côté de son grand black au costume noir et cravate noire, chemise
blanche, souliers certainement noirs, dents blanches. L’adolescente rousse, heureuse et fière
d’être à l’honneur ce soir, se leva pour un rapide discours. Elle portait une jupe bleu marine,
courte, très courte montrant ses fines jambes bronzées. Son éternel long teeshirt « I like to
caress » cachait quasiment tout le bleu marine.
— Merci d’être tous présents, merci à ma famille, merci à mes amis ici réunis.
Elle se rassit.
— Tu parles ! murmurait Kevin entre ses dents. Elle dit ça pour les cadeaux. Et puis
c’est une menteuse, tout le monde n’est pas présent. Et Justine, n’avait-elle pas été invitée ? Ma
copine a bien fait de ne pas venir s’incliner devant cette petite peste.
La soirée se déroula avec quelques dérapages. Gâteau, bougies, crémant du jura,
cadeaux, rien ne manqua, d’autant que la maman s’était surpassée. Elle avait dû mordre
sérieusement dans ses économies, une enveloppe de cinq-mille euros pour que Lou puisse
passer son permis de conduire. Quant à Kevin, il n’eut pas besoin de puiser dans le bas de laine,
une enveloppe avec cinquante euros à l’intérieur agrémentée d’un petit message « voici un billet
pour passer ton permis de chasse… ton permis de chasse à la grosse quéquette ».
Il savait qu’il la blesserait, mais rien à foutre, cette petite garce le méritait. N’avait-elle
pas fait pire l’an passé dans les sous-sols de cette tour maudite de « La Marjorie » ?
Ce fut le premier dérapage de la soirée. Kevin s’en rendit compte lorsque Lou passa
dans son dos et lui glissa à l’oreille :
— Rien à battre de tes messages à la con. Je garde quand même le billet. Je le mets de
côté pour t’offrir un stérilet à ton prochain anniv.
Lou quitta le pub.
— Je pars en boite, bonne nuit la compagnie.
Peut-être allait-elle chasser une nouvelle quéquette. Toutefois ce ne serait pas si simple,
car son copain la suivait déjà. Mais à la chasse, mieux vaut être accompagné d’un épagneul que
d’un toutou à sa maitresse.
— Je n’ai pas besoin de toi, Modi. Pis ton cadeau tu peux t’le garder.
Elle le lui jeta à la figure. Quel con ce Modi ! c’était une bague de fiançailles.
Paulin, assis en face de Kevin, se leva pour rattraper Lou. Son pote le retint par la
manche.
— Laisse tomber, elle n’en vaut pas la peine.

90
Paulin se rassit, malgré des pensées pleines d’espoir.
Le petit Liam sautait entre bancs et chaises sans rien comprendre, juste l’idée que les
adultes semblaient bien compliqués. Belinda, métisse toujours très amoureuse, caressait
l’avant-bras de Manon. Tristan continuait de souffler dans son sax, les joues rouges et gonflées.
Sa femme Cloé le dévorait des yeux, avalait sa musique jazz à pleines oreilles. Quant à
Emmanuel et Agathe, s’ils s’étaient amusés de savoir que Lou avait quitté Paulin, ce soir ils
gambergeaient devant la brusque sortie de l’effrontée. Ne serait-elle pas capable de refaire les
yeux doux à leur fils et de revenir squatter à la ferme d’Emmanuel, de rejouer la petite fille
gâtée ? Kevin avait bien fait de retenir Paulin lorsqu’il avait essayé de suivre Lou. À choisir,
Paulin était plus heureux lorsqu’il vivait avec Julien. Les parents s’étaient faits à l’idée de
l’homosexualité de leur fils.
Assis maintenant côte à côte, Modi s’envoyait deux verres de crémant d’affilée tandis
que Paulin passait son bras autour de son épaule.
— Bienvenue au club, Modi.
Le black releva la tête en s’étonnant de la remarque.
— Au club ? Quel club ?
— T’inquiètes, je parle du club des ex. Genre, tu n’es pas le premier et tu es loin d’être
le dernier, Lou a commencé à baiser à treize ans et elle a encore beaucoup d’avenir. Mais toi au
moins tu seras certainement le seul de ses mecs à lui offrir une bague de fiançailles.
— Je sais, moi coyais top amoueux elle. Moi fais beaucoup bêtises.
Il s’envoya un troisième verre de crémant cul sec.
— Arrête de boire, beau black et viens avec nous. On sort tous les trois entre mecs, les
femmes sont chiantes ce soir.
Ce furent les autres invités qui quittèrent les lieux derrière Lou. Alors les trois mecs
décidèrent de continuer la fête d’anniversaire devant une nouvelle bouteille de crémant. Les
têtes vaporeuses, ils s’en allèrent vers une du matin. Sur le trottoir Paulin et Kevin
accompagnaient Modi, leurs bras entourant ses épaules. Modi n’avait pas l’habitude de boire et
il semblait plus éméché que ses deux compagnons.
— Hé, Paulin, cheche pas allumer moi, pace que connais tendances à toi.
À peine sa phrase achevée, il péta sans pudeur en pleine rue, ce qui n’était pas dans
ses habitudes, lui, l’élégant black plutôt distingué. Alors Kevin sortit une de ses vannes un peu
pourries :
— Modi fait de la place au cas où Paulin vienne à l’enculer.
Modi, bourré, ne souhaitait certainement pas se faire bourrer. Il renvoya la remarque
façon hétéro macho :
— Si Paulin pète, gos manche à moi dangeeux pou petit cul à lui.
Alors Paulin péta.
Après l’éclat de rire général, les trois mecs montèrent dans la DS du black. Puisque
Kevin avait limité sa consommation d’alcool, du moins avait-il un peu moins bu que ses
compagnons, il conduisit la superbe voiture quasi neuve pour remonter jusqu’à Champagnole.
Installés dans le cuir blanc, Modi but encore, Paulin un peu, Kevin pas du tout. En peu
de temps, le black perdit pied, il rampa jusqu’aux toilettes, vomit abondamment, but deux verres
d’eau, mais le gout et l’odeur en fond de gorge laissaient le même dégoût. À en vomir à nouveau,
et il vomit encore. Ses deux compagnons l’emmenèrent jusque sur le lit dans la chambre de
Kevin. Le maître des lieux essaya de faire boire un café salé au malade. La tasse encore pleine
finit sa course sur la couette. Ils déshabillèrent Modi en lui laissant néanmoins son caleçon
blanc qui tranchait agréablement avec ses longues et larges cuisses ébène. Les beaux muscles
confirmaient la nature sportive du grand black. Paulin dessaoula d’un coup, bava longuement
devant ce corps d’athlète, d’autant que le boyau sous le caleçon, malgré la jante d’acier encore
trop enroulée, promettait de belles embardées dans la boue de son petit cul.

91
Les deux mecs, toujours debout devant le lit, admiraient ce corps de rêve.
— Tu crois qu’on va pouvoir se le taper, ce bel hétéro ? demanda Paulin.
Ce ne fut pas Kevin qui répondit, mais une voix grave sortie de derrière un râtelier de
dents blanches.
— Essaie, puis vise la tonche petit cul à toi au petit matin.
Paulin approcha ses lèvres de la bouche de Modi.
— Oh oui ! je veux voir.
D’un revers de main, Modi repoussa le visage trop audacieux.
Paulin se tourna vers son ami Kevin.
— C’est pas gagné.
— J’ai une idée, répondit Kevin à moitié excité.
Il courut à la salle de bain, revint quelques instants plus tard, déshabillé à son tour,
ayant juste laissé son caleçon, la même blancheur que celui de Modi. Une différence importante
cependant, le paquet sous le slip n’était visiblement pas de taille à rivaliser avec celui du black.
— Éteins la lumière, chuchota Kevin.
Paulin s’exécuta. Kevin se glissa délicatement sous la couette, retira son caleçon, attira
doucement la main de Modi jusqu’à sa vulve blanche. Le cerveau nébuleux du black aidé de
son esprit voluptueux orienta instinctivement ses doigts noirs un peu jaunis vers les grosses
lèvres roses, puis les petites lèvres. Deux ongles cherchèrent avec gourmandise le bonbon rose
trop bien caché sous les plis du papier d’emballage. L’audacieux Paulin, à poils, s’engouffra
sous la couette, appuya doucement son corps de grand ado contre le dos de son chef. Dans
l’excitation de l’odeur d’une chatte si proche de sa bouche, Modi orienta machinalement sa tête
entre les cuisses de Kevin. Dans la fièvre du goût, Modi persévéra dans la quête du désir,
d’autant que des plaintes aigües résonnaient au-dessus de lui. De son côté, Paulin connut
l’immense joie de sucer une queue qu’il n’imaginait même pas. Ainsi la nuit tourna à l’orgie
entre deux mâles et une femelle, puis trois mâles et de nouveau une femelle qui se fit prendre
avec un immense plaisir, tantôt par l’un, tantôt par l’autre.
En milieu de matinée les corps s’éveillèrent, les esprits aussi, surtout celui de Modi.
Le black, nu, s’assit sur le lit, entouré des deux mecs à poil. Il se frotta les yeux, ses dents
blanches bien cachées.
— Quoi on a fait ? Moi pas aimer tout ça.
— Oh si, toi aimer tout ça ! s’exclama Paulin avec son beau sourire.
Kevin hocha la tête en souriant pour confirmer.
— Et quoi c’est… ce déguisement avec ton sexe ?
La tête encore lourde, les tempes souffrantes, Modi écouta le long exposé médical de
Kevin, sourit enfin, demanda des détails de la nuit. Ce fut ce coquin de Paulin qui se fit un
plaisir de lui répondre.
— D’abord, bravo pour ta teub. Elle est énorme et j’ai aimé. Un peu hard pour mes
mâchoires. Même pas mal tellement j’étais excité.
— Et petit cul à toi, même pas mal ?
— Je t’avoue que je n’ai pas voulu, vraiment trop impressionnante ta teub. Par contre
tu ne t’es pas privé d’enfourner la chatte de mon copain. Ouah ! La belle Kevin couinait comme
une jeune pucelle, et toi, ouah ! j’ai découvert ce qu’était un vrai mâle en rut.
Modi baissa la tête.
— Honte j’ai. Plus jamais ça.
Kevin voulut l’embrasser sur le front, Paulin sur les lèvres.
Le black les repoussa tous les deux.

37

92
Le début de semaine suivant, Kevin se rendit à Dole où il avait rendez-vous avec Marie
dans un restaurant du centre-ville. Comme convenu, il rendit le smartcolle, lequel n’aurait
jamais dû quitter la clinique dijonnaise. Mais comme Marie était toujours accueillie de façon
très personnelle par le professeur Damassène, chaque entrée de chaque service de la clinique
lui était autorisée. Le repas fut expéditif, les échanges amicaux rapides, Marie devant reprendre
son train pour Paris en début d’après-midi. Cela arrangea Kevin, ainsi il évitait de détailler ses
péripéties très particulières du weekend avec Joujou et Minou. À quinze heures trente, il
traversait Champagnole pour rejoindre son ami Tristan à Cize. En passant devant son
appartement rue de la république, il crut reconnaitre le basané barbu, son chapeau ramassé sur
le front. Il voulut s’arrêter, mais les voitures qui le suivaient bousculèrent le Scénic à grands
coups de klaxon. Il poursuivit sa route au pas, espérant pouvoir stationner. Impossible. Tant pis,
puisque ce cinglé le pistait à nouveau, il le reverrait certainement dans un proche avenir. Trois
kilomètres plus loin, il se garait devant la maison de Tristan et Cloé. Son pote, prévenu par SMS
l’attendait dans la cour. Courbé devant son VTT, il graissait la chaine de son vélo. Coup de frein,
coup de klaxon, ouverture du hayon, dépose de son VTT dans la rue, en moins d’une minute,
Kevin enfourchait son vélo.
— Tu n’entres pas pour saluer Cloé ?
— Pas le temps. Je lui dirai bonjour au retour. Dépêche, le temps est gris, il va pleuvoir
d’ici deux heures.
Quelques coups de pédales sur le bitume et les voici bientôt sur le chemin de halage,
le long de la rivière en bas de la ville. Ils croisèrent un passant avec son caniche, puis un autre
avec son berger allemand, le gentil en laisse, le méchant trottait entre les cyclistes.
— Oh que je n’aime pas ça ! s’exclama Kevin.
Mais le chien-loup resta sage, il se permit néanmoins de renifler le haut des jambes du
mâle, comme s’il doutait de l’origine de cette drôle d’espèce humaine. Les deux vététistes
longèrent l’Ain jusqu’au pied du camping municipal. Un vol de colverts glissa au ras de la
rivière en ricanant, s’éleva au-dessus des pins de la berge opposée, puis disparut dans le ciel
gris. Les vététistes quittèrent les berges de l’Ain pour retrouver bientôt, de l’autre côté de la
départementale, les bords de l’Angillon, petite rivière ou large ruisseau serpentant en bordure
de forêt. Les deux sportifs descendirent de vélo pour franchir plusieurs fossés successifs, là où
l’Anguillon s’enfonçait dans la forêt. Il fallut choisir entre épines et ronces ou crapahuter sur
les rochers au milieu de la rivière. La cascade formée de longs replats et de courtes marches
sembla plus simple d’accès. Les VTT sur les épaules, Kevin et Tristan gravirent parfois des
marches un peu hautes, évitant de laisser glisser les Nike sur la mousse humide qui s’inclinait
dangereusement. Les marmites, trop proches, ouvraient leurs gueules noires, prêtes à engloutir
les audacieux. En haut de la cascade, Tristan s’affaissa sur une roche sèche entre les eaux et la
forêt, son VTT s’immobilisa à ses côtés dans une flaque d’eau.
— Sacré Kevin, tu ne changeras pas ! T’as le chic pour nous trouver des itinéraires
foireux qui mènent nulle part.
Kevin suivait, tout essoufflé. Il lâcha son VTT dans la flaque, s’assit sur la même roche
que son pote.
— D’habitude y a un sentier qui suit l’Angillon.
— Ah, ah, drôle de sentier, un peu humide, avec des sacrées marches d’escalier ! Et toi
qui avais peur de la pluie, nous voilà servis. On avait le choix entre la tête et les épaules
mouillées ou alors les pieds, les chevilles et les mollets trempés. En même temps, ce n’est pas
grave, tant qu’on n’a pas le calbut humide c’est bon signe, c’est que l’on ne ressemble pas aux
femmes en chaleur avec leur chatte mouillée.
— Toujours l’esprit dans la culotte.

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— C’est pour ça que nous sommes les meilleurs amis du monde, on est comme des
frères siamois, on est reliés par le cul, ah, ah !
Brusquement Kevin changea de mine, les plis de son front ressemblaient aux fossés de
l’Angillon, ses yeux fixaient la vase.
— Nous sommes de vieux amis, Tristan, écoute ce que j’ai à te dire et ne m’interromps
pas, surtout pas avec tes histoires à deux balles.
Et Kevin raconta tout à son meilleur pote, ses aléas médicaux depuis la soudure ratée
à la clinique de Dijon jusqu’au smartcolle qui permet de le créer tantôt homme, tantôt femme,
mais le pire : il acceptait ses désirs de femme autant que ses envies d’homme.
— Ah, ah ! Si je comprends bien, les deux faces de ton anatomie sont toujours du
même côté. C’est con, t’imagines, tu en aurais une sur le devant, une autre derrière, tu pourrais
jouer à pile ou face. Et puis, toi qui en as une grande, tu pourrais presque te baiser toi-même,
ah, ah ! t’inventerais des nouvelles positions Kamasutra, dingue ! Comme j’aimerais être à ta
place !
— Je te la donne ma place si tu veux, parce que ma position n’est pas très gaie.
— Ah, ah ! si, justement, parfois elle est très gay.
— Je t’ai dit de ne pas toujours m’interrompre avec tes conneries à deux balles.
Écoute-moi un peu, sois sérieux. Toi qui parfois comprends certaines choses mieux que
quiconque, as-tu une explication sur cette libido changeante ?
— Ne m’as-tu pas parlé de ces hormones neutres qu’ils t’ont administrées ? N’y aurait-
il pas une relation ?
— J’y ai pensé. Mais dans quel intérêt le service transgène de Dijon voudrait-il que je
sois bi ? Ils avaient prévu de souder Joujou puis tout devait redevenir comme avant, non ?
Tristan haussa les épaules. Lui aussi fixait maintenant son regard sur l’eau.
— Oh, une truite ? Elle remue de la queue, ça me…
— S’il te plait, n’achève pas ta phrase. Sois sérieux, je t’ai posé une question.
— Mais je réfléchis, je réfléchis. Regarder une queue qui frétille, ça m’aide à réfléchir.
Tiens j’y pense. Ta clinique pourrie ne chercherait-elle pas à faire de toi un prototype homme-
femme ?
— N’importe quoi ! Ils auraient au moins demandé mon avis, ils m’auraient fait signer
des engagements, une décharge, un contrat en bonne et due forme.
— Ils savaient que tu aurais refusé de signer, et puis se sont-ils gênés l’an dernier pour
fabriquer ce joujou qui a pris feu, ne t’ont-ils pas carrément séquestré ? Quand je pense que tu
es retourné te foutre dans la gueule de ce loup grec !
— Je sais, c’est une belle connerie, enfin, le principal est que j’arrive à faire l’amour.
Et puis, tout compte fait, c’est pas mal de baiser avec un mec.
— Beurk ! Ne me dis pas qu’avec moi tu envisagerais de…
— Non, non, pas du tout. Une baise entre nous, je n’oserais plus te regarder en ami.
— Ouf ! Toi que j’ai connu mâle vigoureux à cheval sur les belles nanas, c’est tout de
même dommage d’être à voile et à vapeur. Quoique, chez toi tu pourrais ajouter la fonction
vedette lance-missile pour femmes en chaleur ou bouée de sauvetage pour mâle en rut, ah, ah !
Kevin se leva, chevaucha son VTT.
— Bon, on s’en retourne avant la pluie. J’irai dès cette semaine revoir le Grec pour en
savoir plus. Faudra aussi que je retrouve mon basané parce que ce crétin veut que je baise sa
femme. Faut voir.
Dès qu’il arriva à son appartement, il reçut un SMS « Coucou Kevin, c’est Manon, je
viens de me disputer avec Belinda, j’aimerais passer la soirée chez toi. Je t’embrasse ».

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Vingt-et-une heures, Manon sonnait à la porte, s’avançait dans le hall et s’effondrait
en larmes dans les bras de son mari. Après un long silence, les têtes enfouies contre l’épaule de
l’autre, ils s’installèrent enfin dans le cuir blanc.
— Tu veux boire quelque chose, ma… ma chérie ?
Elle leva ses yeux mouillés.
— Un marc du Jura.
— Oh là là ! Toi qui bois rarement de l’alcool, ce doit être grave.
Les yeux azur et humides croisèrent les yeux émeraude.
— Je ne sais pas ce qui m’arrive.
Son mari se leva, revint avec la bouteille de marc, servit sa femme, en profita pour se
verser un verre. Manon tira une Marlboro d’un paquet tout neuf, sortit un briquet.
— Ce doit être vraiment grave, toi qui ne fumes jamais.
— Tu me manques, Kevin.
Voilà autre chose, pensa-t-il. Manquerait plus qu’elle me demande un gosse. Et de cinq !
Il appuya la tête de Manon contre sa poitrine, embrassa les cheveux blonds. Un long
silence s’installa une fois de plus entre ces deux paumés. Qu’avaient-ils d’ailleurs à se dire ?
Manon se languissait, entre amour et frustrations. Kevin, plus perturbé que jamais, s’enfonçait
dans des réflexions désordonnées. Que s’était-il passé entre Belinda et Manon ? Comment
devait-il réagir entre ses pulsions sexuelles décousues et des sentiments profonds qu’il semblait
ne pas connaitre ?
Il leva les yeux vers le son du tic-tac. Vingt-deux heures passées.
— As-tu faim, ma… chérie ?
— Non.
— Moi non plus. Encore un peu d’alcool ?
— Non.
— Alors un peu d’amour ? sourit-il.
Elle souleva sa tête, embrassa la joue de son mari.
— Je veux bien dormir chez toi cette nuit, cela me calmera.
— Quoique ? ajouta-t-il, son regard toujours souriant.
Après s’être déshabillée, n’ayant gardé que sa culotte rouge imprimée de colombes
blanches, elle passa à la salle de bain, puis se glissa sous la couette dans la chambre de son mari.
Kevin s’attarda à la cuisine, croqua une pomme, un carré de chocolat, passa à son tour à la salle
de bain, se déshabilla, laissant juste son caleçon couleur gris taureau zélé. Devant la glace, il
tira sur l’élastique, tapota sur son sexe.
— J’espère que tu es en forme ce soir parce qu’on va peut-être s’amuser cette nuit.
Après s’être lavé les dents, il passa sa main sur son visage imberbe, remarqua que sa
poitrine avait forci. Puis il rejoignit Manon sous la couette chaude. Il colla son corps à celui de
sa femme qui lui tournait le dos. Dormait-elle, faisait-elle semblant, attendait-elle la vigueur
mâle ? Kevin ne se posa pas ces questions bien longtemps, Joujou lui montrant le raide chemin
de l’audace.
Manon se retourna, l’embrassa sur les lèvres, glissa sa main sur la bosse du caleçon.
— Non, s’il te plait, je n’ai pas le cœur à cela ce soir.
Il s’approcha de son oreille et chuchota :
— Ce soir, on ne fera pas l’amour avec le cœur, mais avec le sexe.
Manon s’assit instantanément sur le lit. La lumière tamisée de la lampe de chevet
montrait des yeux sévères.
— Bravo la délicatesse ! Je te croyais plus sensible.
— Désolé, Manon, j’ai voulu faire un mauvais jeu de mots.

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— C’était effectivement un très mauvais jeu de mots. Ta manière d’approcher ta
femme, tout du moins ton ex, c’est raté, bonne nuit.
Elle s’enfonça dans le lit en se retournant, tira un bout de couette jusqu’au sommet de
son crâne. Il ne put s’empêcher de coller sa poitrine et son bassin contre le dos et les fesses de
Manon. Elle ne le repoussa pas. Après un quart d’heure de silence, Kevin souleva la tête, écarta
doucement le haut de la couette, contempla le visage de Manon. Elle ne pleurait pas, c’était déjà
bien. Elle fermait les yeux, mais il connaissait trop bien sa femme, ce n’était pas les paupières
du sommeil, juste un voile, une retenue, peut-être même une fausse pudeur. Il s’enhardit puisque
Joujou le lui réclamait. Manon ne pouvait d’ailleurs pas ignorer l’objet viril et encombrant qui
collait à ses fesses. Si Joujou ne se prenait pas un coup de cul telle une ruade de jument, c’est
que Manon était presque mûre. Du moins, c’est ce qu’il espérait.
Surprise ! Manon se retourna, embrassa goulument son mari, les langues se croisèrent
telles deux épées de mousquetaires. Kevin s’appliqua à lui faire l’amour avec tendresse et non
pas à la grimper comme un taureau zélé. Il fallait se racheter de son vilain jeu de mots. Joujou
apprécia les bons souvenirs, cette chair rose tant de fois caressée par son gland, cette douce
chaleur humide tant de fois ballotée. Manon, dans un mélange de fièvre et de fébrilité, malade,
mais heureuse, dans une succession d’orgasmes, cria sa volupté, s’effondra dans la tendresse et
dans les bras de son mari, comme pour se venger de Belinda. Lui, l’heureux mâle, savourait sa
reconquête.
Sûr de la vigueur de Joujou toujours partant, sûr de l’affection de Manon encore sur le
dos, il empoigna le membre solide, le présenta devant la chatte rosée. Joujou et sa consœur se
mélangèrent dans le désir. Les va-et-vient furent rapides, puis Kevin ralentit le mouvement,
laissa glisser doucement son sexe sur les parois humides tout en titillant le bout du nez de sa
femme avec ses lèvres. Tout à coup, une sensation étrange remonta de son bas-ventre. Il avança
sa main jusque vers son sexe. Un long frisson parcourut son dos, des perles de sueur roulèrent
sur ses tempes. Index, majeur et annulaire glissaient irrémédiablement le long des parois de son
propre vagin. Il écarta instinctivement son corps, alluma la lampe de chevet. Son sexe mâle se
dandinait entre les cuisses de son épouse. Manon semblait attendre la prochaine envolée de
Joujou.
— Qu’est-ce qu’il y a, Kevin ?
Il baissa les yeux vers son sexe de femme.
— Regarde !
— Mais… mais… c’est Minou !
— On dirait que cette putain de colle n’a pas tenu.
— Mon Dieu ! Tu n’en finiras donc jamais avec ce maudit sexe.
Le moment de panique passé, Kevin retira doucement Joujou du sexe de sa femme.
— Tu peux continuer, sourit malicieusement Manon.
Pris par le jeu, Kevin enfonça ce gode plus vrai que nature à l’endroit d’où il venait de
sortir. Les va-et-vient recommencèrent. Les mouvements du poignet mâle remplaçaient les
coups de reins. Et Manon apprécia ce nouveau jeu sexuel. Bientôt son ventre frissonna, puis
son corps. Les plaisirs du bas-ventre et de l’esprit explosèrent à l’unisson dans un râle joyeux.
Kevin laissa Joujou au plus profond du corps de Manon, le temps de l’apaisement. Minou,
humide de désir, attendait son tour.
— Puisque j’ai mes deux sexes en forme, laisse-moi m’amuser un peu, Manon. Tu as
le droit de mater, ça va encore t’exciter et l’on fera l’amour une troisième fois. Oublie pour cette
nuit tes disputes de lesbiennes, apprécie notre folle nuit de débauche, aime la chair, la luxure.
Couché sur le dos, les jambes repliées sur la couette et les cuisses écartées, il empoigna
Joujou et l’enfonça dans son vagin. Joujou et Minou s’embrassèrent, se frottèrent l’un à l’autre
comme deux bons amis. Puis ils devinrent amants. Joujou le gode, plein de sang, de nerfs, et
bourré de tendresse chatouillait divinement clito et vagin. Monta en Kevin un plaisir décuplé,

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inimaginable, ses pupilles révulsées fixaient le jardin d’Eden tandis que Joujou s’excitait en
compagnie de son amante. Tout à coup on sonna à la porte. Minuit passé. Qui est-ce ?
Kevin, Joujou et Minou se crispèrent. Le beau mâle se souvint que la porte n’était pas
fermée à clé. Il se leva d’un bond. Manon, assise sur le bord du lit qui jusque-là contemplait la
scène érotique, regarda son mari s’éloigner dans le couloir. Les jambes s’arrondissaient à
chacun de ses pas et les genoux se cognaient à chacun de ses contrepas. On aurait dit Jacques
Villeret dans « Papi fait de la résistance ». Le mâle ou plus exactement la femelle, se demandait
s’il parviendrait assez tôt pour verrouiller la porte avant que le visiteur ne se transforme en
intrus. Ouf ! Il se dandina ensuite, façon colvert, jusqu’à la fenêtre du salon. Il reconnut le
basané sur le trottoir d’en face qui cassait sa nuque en direction de l’appartement. Le cinglé
sourit en fixant la fenêtre puis s’évanouit dans l’ombre d’une rue adjacente. Alors que Kevin
regagnait sa chambre, Manon cacha son rire.
— Pourquoi gardes-tu Joujou entre tes cuisses ?
Kevin s’arrêta net au milieu de la chambre, baissa les yeux vers son bassin.
— Je croyais que ça ne se voyait pas.
— Et ta démarche de pingouin, tu crois que ça ne se voit pas. Es-tu obligé de te
masturber en allant jusqu’à la porte ? Ça te tient autant que ça !
— Bien sûr que non. En fait, c’est Joujou qui est coincé dans mon vagin.
Manon laissa éclater son rire.
— Cette colle électronique n’a pas vraiment l’air au point.
Kevin s’assit sur le bord du lit à côté de son épouse.
— En tout cas, je ne peux pas rester ainsi. Faut me décoincer cette grosse merde-là.
Manon empoigna la tige métallique qui dépassait hideusement de la base du sexe.
Puis elle embrassa son mari de son plus beau sourire.
— Ne parle pas si gras, c’est vulgaire. Et puis, peut-être que tu n’es pas habitué à être
femme, mais les grosses merdes comme tu le dis, ça ne sort pas par ce trou-là.
— Bon d’accord. Comment faut faire pour décoincer ?
— Cela ne m’est jamais arrivé, je ne saurais te dire, sourit encore Manon.
Elle essaya de tirer sur Joujou par la tige, laquelle, en position normale, devrait servir
d’aimant électronique pour enserrer la base du sexe mâle au vagin. Rien à faire. Alors Manon
éclata de rire.
— Toi qui étais fier de ton gros Joujou, avec ton minuscule manche en métal entre les
cuisses, je n’ai pas vraiment envie de le sucer, j’aurais plus l’impression de boire à la paille.
Kevin ne répondit rien, son esprit loin de toute plaisanterie. Il essaya à son tour de tirer
sur Joujou, rien à faire. Son sexe mâle restait irrémédiablement coincé dans son sexe femelle.
— Joujou et Minou s’aiment trop, ils n’ont plus envie de se séparer, plaisanta Manon.
Devant le silence de son mari, elle rêva un instant.
— Tout le monde ne peut pas en dire autant, murmura-t-elle.
Kevin s’effondra sur le lit, la tête entre ses mains.
— Ne t’inquiète pas plus que cela. Il faut dormir. Demain je t’emmène à la clinique de
Dijon.
Couchée sur le côté, le ventre contre le dos de son mari pour ne pas être gênée par la
tige métallique, Manon ne souriait plus. Elle se rappelait cette scène de l’après-midi avec
Belinda. Cette jolie métisse semblait décidément trop jalouse et trop possessive.

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Le couple sortit du lit en milieu de matinée. Kevin, la tige métallique qui pendait entre
ses cuisses, se déhancha jusqu’aux toilettes, les jambes en demi-cercle. Le guignol, après un
passage à la salle de bain, s’installa à table.
— Je te laisse t’occuper du petit-déj, je ne peux pas faire le pantin au milieu de cet
appartement, j’ai l’entrecuisse qui me brûle.
Debout devant le plan de travail, Manon se retourna en souriant.
— Tout va vite s’arranger, je viens d’appeler la clinique. On peut aller à Dijon dès ce
matin. Il parait que ce n’est pas grave, cela viendrait de l’émotion du coup de sonnette alors que
tu te donnais à fond.
Guère avant-midi, le couple entra dans le service des urgences de la clinique. Kevin
traversa la salle d’attente au bras de sa femme, grimaçant de gêne, les jambes arrondies. Il
portait un pantalon ample. Un vieux monsieur, assis au fond de la salle, regardait s’approcher
Kevin. Il soutenait son regard au niveau du bassin.
— N’allez pas vous blesser, monsieur, il semblerait qu’une tige filetée dépasse de votre
braguette.
Kevin s’arrêta net au milieu de la pièce. Les quelques personnes présentes fixaient la
braguette du drôle de mâle. D’un réflexe maladroit, Kevin cacha l’outil du mieux possible, mais
le filetage glissa entre deux doigts. Il s’assit promptement entre deux patients. Manon s’installa
en face du petit vieux.
— Merci monsieur, de nous avoir prévenus. Mon mari est justement là à cause d’une
vilaine blessure au bas-ventre. Voyez-vous, c’est en voulant fixer un pied du lit et alors qu’il
était à plat ventre sous celui-ci, que le lit s’effondra. Comme il tenait cette tige filetée au
mauvais endroit, elle s’enfonça dans son organe sensible.
— Oh, comme vous devez souffrir, monsieur ! s’exclama une dame assise près de lui,
le bras en écharpe.
Rouge de honte, Kevin regardait ses chaussures, la tête entre ses mains, les coudes sur
ses cuisses. Certes Manon avait su rebondir pour lui éviter une honte encore plus grande, mais
avait-elle besoin de donner tant de détails aussi pittoresques ? Il releva la tête.
— Oui madame je souffre beaucoup. D’ailleurs, si l’on pouvait me laisser passer en
priorité, ce serait sympa.
Il regarda ensuite sa femme avec son sourire ironique puis s’adressa aux patients assis
dans la salle d’attente. Manon renifla une contre-offensive.
— Ma femme ne vous a pas tout dit. En fait, quelques instants plus tôt c’est elle qui
tenait l’outil, elle a bien failli se laisser enferrer avant moi.
Manon soutint son regard et pouffa devant les autres blessés et malades qui attendaient
leur tour. Étonnés, ils jaugeaient ce couple atypique.
Une infirmière entra.
— Excusez-moi messieurs-dames, je dois appeler monsieur Rumber en priorité.
Malgré un grognement général de mécontentement, la dame au bras en écharpe
déclara :
— Vous avez raison, madame, ce monsieur souffre énormément, et puis un sexe
détérioré c’est grave, ça arrive que l’on ne puisse plus faire d’enfants. En 14, mon grand-oncle
en sortant des tranchées a…
La porte se ferma derrière ses derniers mots. Kevin, dans la pièce adjacente n’entendait
plus la commère, Manon souriait, l’infirmière ouvrait une autre porte. Le professeur Damassène
se dressait devant une table d’accouchement dans une salle blanche, une jeune fille à ses côtés.
— Que fait cette femme ici ? vociféra Manon.
Andreou présenta son amie :
— Marie, mon assistante.
— Changez d’assistante immédiatement ou l’on quitte cette pièce séance tenante.

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Kevin, déjà installé sur la table, les pieds dans les étriers, tourna un regard étonné vers
sa femme, puis un regard suppliant vers Marie.
— Pour mon confort et ma pudeur, il est préférable que vous sortiez, madame
l’assistante.
Marie obéit.
— Je saurai la remplacer, c’est mon mari tout de même, ajouta Manon.
Andreou s’inclina et demanda néanmoins à Kevin de retirer pantalon et slip avant de
positionner bêtement les pieds dans les anneaux.
— Tourne-toi sur le côté, Kevin.
Andreou approcha son visage entre les cuisses de son patient, une lampe blanche bien
accrochée à son front.
— Passez-moi donc la paire de gants derrière vous, madame Rumber.
Pendant qu’il enfilait ses gants chirurgicaux, il prit le temps d’examiner l’étrange
image où une tige filetée semblait sortir d’une paire de couilles mal fagotée suivie d’une tranche
de boudin rose qui s’enfonçait dans le vagin de l’homme-femme.
— Madame Rumber, aidez-moi à retourner votre mari pour qu’il se dresse à quatre
pattes sur la table.
— Je peux me débrouiller seul, docteur.
— Toutefois on va vous aider, la tige d’acier risque d’abîmer la table et surtout de vous
blesser.
Alors que Kevin se tortillait, Manon souleva le bassin de son mari et le professeur
rapprochait les deux cuisses vers le centre de la table. Il écarta délicatement l’anus, encore plus,
toujours plus.
— Nom de dieu ! ne touchez pas à mon trou d’cul, ce n’est pas là que ça se passe.
— Laisse-moi faire mon travail. Cela peut faire un tout petit peu mal. Mais je crois
deviner que certaines femmes acceptent de bon gré une petite douleur à cet endroit.
Sitôt dit, le majeur du médecin s’enfonça d’un coup franc au plus profond de l’anus.
— Non de dieu !
— C’est terminé, Kevin.
En même temps qu’il soulageait le trou d’cul, de son autre main, il retira doucement
le pénis de sa prison.
— Joujou a enfin fini de lécher Minou, plaisanta Kevin encore à quatre pattes.
— Si j’avais su, j’aurais pu me débrouiller seule, dit Manon.
Kevin s’assit sur le bord de la table, l’anus tranquille, la foufoune brûlante.
Le professeur se lança dans un rapide exposé médical :
— Lorsqu’un couple en plein acte sexuel est surpris d’une vive émotion, c’est
extrêmement rare, mais il arrive qu’il reste accouplé sans que les corps puissent se séparer, le
sexe mâle se coinçant dans le vagin. Une seule solution, celle que je viens d’employer. Et
pourquoi me direz-vous ? Par ce procédé simple, la contraction brusque du sphincter anal
entraine la décontraction du sphincter vaginal.
Il écarta les bras en signe de victoire.
— Et tout rentre dans l’ordre des choses. Enfin, dans ton cas, pas tout à fait. Quelle est
cette idée foireuse d’enfiler ton pénis dans ton vagin ? À l’avenir, évite ce genre de chose, ce
n’est pas bon pour cette géniale innovation chirurgicale.
Kevin bondit de la table, empoigna le col de la blouse blanche du professeur. Il venait
de retrouver l’agilité de ses jambes de biche.
— Tout d’abord, docteur de mes deux, hurla Kevin, on n’a pas gardé les vaches
ensemble, désormais je ne veux plus de tutoiement entre nous. Ensuite, je veux immédiatement
des explications précises sur votre espèce de géniale innovation chirurgicale à la con et tâchez
d’être bien clair avant que je n’explose votre sale gueule de Grec mafieux.

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Manon tomba assise sur une chaise qui trainait là, abasourdie, ne reconnaissant pas là
son mari, plaisantin certes, mais pas vraiment bagarreur.
Kevin secoua vivement le professeur et hurla une nouvelle fois.
— Alors, j’attends.
Andreou, coincé dans un angle de la salle blanche, le visage livide, tourna la tête.
L’infirmière en chef, suivie de Marie, entrait par une porte sur le côté.
— Que se passe-t-il, Andreou ? Avez-vous besoin d’aide, professeur ?
Kevin se retourna face aux filles. Il en oubliait ses pans de chemise qui flottaient sur
sa vulve nue. Il enserrait toujours le col de la blouse d’Andreou. Ses nerfs fonctionnaient mieux
que ses muscles.
— Qu’est-ce que vous avez à me regarder comme ça, petites pisseuses, foutez le camp,
c’est une affaire entre le professeur et moi.
Sur un signe de tête du chirurgien, les deux pisseuses s’en allèrent. Kevin approcha
son visage tout près de celui de Damassène, l’écume de sa bouche glissait sur le menton du
professeur.
— Alors ?
— Baissez vos sales pattes, je vais vous expliquer, mais sachez qu’ici, le maître c’est
moi. Un seul mot de ma part et ces soi-disant pisseuses auraient appelé vigiles et gendarmes.
— Vos deux tafioles de vigiles, la dernière fois que je les ai rencontrés, ils ont pris
chacun un coup de pied dans les couilles et je n’en ai plus jamais entendu parler.
Il lâcha enfin le professeur.
— Je vous écoute.
Andreou se racla la gorge.
— Voilà… je viens de réaliser, grâce à vous, un projet qui me tenait à cœur depuis ma
plus tendre enfance. Le fait que vous aviez un pénis clipsable m’a permis d’avancer puis de
concrétiser ce projet.
— Quel projet ?
— Soyez patient, j’y viens. Sachez tout d’abord que j’ai pu refixer votre sexe mâle sur
votre corps et qu’aujourd’hui vous en profitez comme n’importe quel homme. C’est une belle
réussite.
— Vous parlez d’une réussite ! Pas plus tard qu’hier, alors que je faisais l’amour avec
ma femme, votre géniale invention a foiré, mon sexe mâle s’est détaché sans crier gare. Qu’est-
ce que vous en dites, hein ? J’allais justement passer vous voir à ce sujet. Mais j’ai fait d’une
pierre deux coups puisque mon sexe fout le camp lorsqu’il faut qu’il se cramponne et s’accroche
quand il devrait se retirer, c’est le monde à l’envers.
Son film en tête, fou de colère, il bondit à nouveau sur le professeur.
Manon s’interposa.
— Non Kevin, je t’en prie, laisse poursuivre le professeur.
Tremblant de rage, Kevin vint se rassoir sur le bord de la table de gynécologie, sa
femme s’assit à ses côtés. Ils écoutèrent le professeur.
— Le pénis qui s’est détaché, c’est incompréhensible. Cela ne peut venir que de
l’application du smartcolle. Je vérifierai, ce doit être un simple bug informatique.
Le professeur se racla à nouveau la gorge.
— L’innovation du smartcolle, de la colle électronique, et de la greffe d’une vulve sur
votre corps a permis de faire de vous un personnage unique au monde. Vous voilà homme-
femme.
Les murs blancs virèrent au rouge sang, Kevin ne vit plus qu’une ombre sombre au
milieu de l’écarlate. Il bondit sur le professeur et le poing rageur gicla sur le nez du Grec, une
fois, deux fois, trois fois. Le sang coula du nez pourtant déjà rouge. Le professeur vacilla, tomba
sur les taches pourpres du sol blanc.

100
Kevin s’empara de son pénis qui trainait sur la table d’accouchement et de son autre
main, il empoigna celle de sa femme. Il se précipita dans la salle d’attente, le cul à l’air. Minou
s’exhibait devant la dame à l’écharpe, le petit vieux et les autres patients. Joujou se balançait
devant sa sœur. Kevin eut le temps de crier alors qu’il sortait dans la cour :
— Faudra être patient, pauvres patients, parce qu’un patient de renom vous a encore
grillé la politesse.
Il courut jusqu’à la voiture trainant Manon derrière lui. Il claqua la porte du Scénic,
clipsa Joujou. Malheureusement Joujou retomba sur le siège du véhicule. Sans smartcolle, cela
ne se refixait pas ainsi. Il enfila son pantalon puis tourna la clé de contact.
— Appelle Félix, je pars de suite à l’hôpital de Lausanne, viens avec moi. Il me faudra
également des explications claires de la part de son service.

40

Seize heures, réunion exceptionnelle dans le bureau du professeur Chapelier avec Félix,
Kevin et Manon.
Kevin expliqua, la honte dans les godasses, sa récente aventure avec Manon, le sexe
mâle qui se détachait malencontreusement ainsi que le coinçage de Joujou dans son vagin, mais
il donna également des détails postopératoires, entre autres, le traitement d’hormones
œstrogènes puis des hormones neutres. Le professeur Chapelier demanda des précisions,
s’intéressa particulièrement à Joujou qui ne répondait pas à la colle électronique. Ceci le
tracassa plus que ce vulgaire blocage d’un sexe mâle dans un sexe femelle, hormis le fait que
Kevin poursuivait allègrement ses aventures sexuelles fantasques. La scène d’amour entre
Manon et Kevin l’interpela aussi pour une autre raison, non pas médicale, mais morale. Il ne
comprenait pas cette relation sexuelle alors que Manon et Kevin semblaient pourtant proches
du divorce. Et que devenait donc Justine l’amoureuse ? Il évita le sujet, rebondit sur l’aspect
médical.
— Que vous a répondu précisément monsieur Damassène au sujet de Joujou qui s’est
détaché pendant l’acte sexuel ?
— Que c’était juste un bug informatique. Qu’il allait vérifier l’application du
smartcolle.
Manon demanda la parole.
— Ce que ne vous a pas encore avoué mon mari correspond à notre présence ici
aujourd’hui. Le professeur Damassène vient de révéler que Kevin venait d’obtenir une
promotion planétaire. Il est élu personnage mondial de l’année. Normal qu’il remporte le titre,
il était le seul à concourir. Le professeur foldingue vient de créer un prototype homme-femme.
Monsieur Chapelier jeta un regard en coin vers son adjoint.
— Bon sang, je commence à comprendre. Et vous Félix ?
— Nous sommes tombés dans un piège.
— On peut avoir une explication, demanda Manon.
Le professeur Chapelier croisa les mains sur son bureau.
— Nous avons accepté de collaborer avec le professeur Damassène parce que nous
avions confiance en la réalisation de la soudure de Joujou par l’intermédiaire de la colle
électronique. Nous étions sur un projet identique depuis plusieurs années, mais celui de la
clinique dijonnaise avait quelques longueurs d’avance. Ce smartcolle est une invention
complexe, mais prometteuse. Cela permettra des greffes simples sur n’importe quels membres

101
d’un corps. Si nous avons toujours pensé que la clinique était corrompue, nous étions par contre
certains du professionnalisme du service transgène de Dijon.
Kevin gesticulait sur sa chaise.
— Où voulez-vous en venir, professeur ?
— Nous avons signé un contrat de coopération avec la clinique. Oh pas d’engagements
sur le plan médical, du moins à long terme. Nous avons racheté la licence du smartcolle de la
clinique qui a récupéré beaucoup d’argent. Damassène nous a imposé de surcroît une condition
supplémentaire que nous avons acceptée : laisser la clinique Félix Kir réaliser la soudure de
votre sexe mâle sur votre sexe femelle. Nous avions la garantie de la part de Damassène que
cette soudure serait définitive. Kevin devait donc retrouver son membre viril pour toujours et
un membre bien attaché grâce à la colle électronique. Aujourd’hui je crois comprendre que ce
professeur nous a bernés. Une fois l’opération réalisée sur vous, grâce au smartcolle il peut, à
discrétion, vous rendre homme ou femme comme il l’entend. Il peut le déclipser à distance, ce
qui s’est sûrement passé hier lors de votre rapport avec Manon. Par contre il ne peut pas le
ressouder à distance. Normal puisqu’il faut réintroduire manuellement la tige métallique avant
de la refixer par l’intermédiaire du smartcolle.
Félix qui n’avait pas dit grand-chose jusqu’à présent poursuivit l’argumentation.
— Kevin, il faut t’attendre à ce que le professeur Damassène, si tu gardes sa confiance,
te propose donc de te laisser le smartcolle et ainsi tu pourras être un jour homme, un autre jour
femme. Il aura créé l’homme-femme autonome et libre. Et ces hormones neutres, même si nous
les connaissons encore mal, doivent certainement permettre à ton cerveau d’aimer ton genre
suivant tes désirs, qu’il soit mâle ou femelle.
— C’est-à-dire, intervint Manon, ce n’est pas gagné en ce qui concerne la confiance
au professeur foldingue, faut dire que Kevin n’y est pas allé de main morte, il l’a laissé sur le
carreau. Il gisait à terre, la tête dans son sang lorsque nous nous sommes sauvés de la clinique.
Le professeur Chapelier caressa son crâne chauve et se tourna vers Kevin.
— Je vais appeler la clinique, prendre des nouvelles de Damassène, j’essaierai de
calmer le jeu. De votre côté, Kevin, faites profil bas quelque temps, mais gardez contact avec
la clinique. Dès que la confiance sera de retour, car elle le sera, Damassène a trop besoin de
vous, tâchez de récupérer le smartcolle qu’il détient encore et de nous le remettre pour qu’il ne
puisse plus sévir. Désormais c’est nous qui allons vous suivre médicalement, et n’acceptez
aucune intervention sur vos sexes, ni même sur votre corps par les services de la clinique, et
sous aucun prétexte. Damassène et sa clique nous ont trahis, à nous de jouer serré et de le
compromettre. Je vous assure que nous allons tout mettre en œuvre pour le confort d’un Joujou
définitivement bien accroché.
— Qu’est-ce que tu fais avec ton Joujou dans la main ? demanda brusquement Félix.
— Ben, euh, je ne sais pas où le mettre, je ne peux pas le clipser, y tient pas.
Le professeur se leva.
— Venez avec moi en salle de soins, je vais chercher notre smartcolle au coffre-fort et
nous allons le ressouder en un clic.
Quelques minutes plus tard, le couple quitta l’hôpital plus rassuré. Mais Kevin
gambergeait déjà. Il savait comment retrouver la confiance de la clinique. Il n’avait rien avoué
au sujet de ses relations avec Dijon. Marie l’aimait, il attendrait l’appel de la journaliste. N’était-
ce pas elle qui lui avait déjà prêté le smartcolle, mais ça il ne pouvait pas l’avouer en pleine
réunion devant sa femme, ni même devant Félix, ni même devant monsieur Chapelier. Ben oui
quoi ! sa vie sexuelle ne regardait que lui.

41

102
Justine était revenue en Franche-Comté le weekend suivant. Elle avait décidé avec
Kevin qu’elle serait là tous les quinze jours. Elle profitait de ses week-ends de pause à Paris
pour découvrir la Ville lumière et passait de longues soirées avec ses nouvelles amies, des
collègues de sa formation. Ça papotait principalement autour de la décoration. Toutes aimaient
ce noble métier, Justine n’aimait pas, elle adorait. Elle appréciait surtout l’esthétisme du
mariage de l’ancien et du moderne. Elle rêvait à la prochaine maison qu’elle achèterait avec son
chéri. Elle se projetait dans sa décoration, un mélange de Franche-Comté et de vie parisienne.
Lorsqu’elle passait deux jours auprès de Kevin, amour et tendresse s’accordaient
parfaitement. Finies les frasques du Don Juan. Il restait prudent, laissait couler les semaines. Il
gardait cependant en tête l’idée de revoir Marie, non pas pour baiser, juste renouer une liaison
afin de récupérer le smartcolle. Une fois entre les mains de l’hôpital de Lausanne, il ne craindrait
plus rien. Le professeur Chapelier lui avait promis de jouer les hackers, de modifier
l’application des deux smartcolles : celui qu’il possédait dans son service ainsi que le smartcolle
que Kevin déroberait à la clinique. S’il venait l’idée au docteur foldingue d’en recréer un autre,
il n’aurait plus la liaison codée des anciens, et le nouveau modèle serait inutilisable. Le sérieux
du service transgène de l’hôpital de Lausanne ferait le reste, c’est-à-dire ressouder
définitivement le sexe mâle au vagin de Kevin. Ainsi le sexe féminin serait caché à jamais et le
Don Juan retrouverait toute sa fierté de mâle parfait. Seul bémol dans cet avenir radieux, Kevin
n’avait toujours pas révélé son secret honteux à sa chérie. Était-il nécessaire d’avouer puisque
tout rentrerait bientôt dans l’ordre ? Et s’il se taisait encore, son amoureuse ne finirait-elle pas
par tout savoir ? Une fuite semblait possible, d’autant plus que trop de monde de son entourage
savait.
Si son audace aidée par son physique l’autorisait à nouer facilement des relations
sexuelles, autant son inconscience aidée par sa lâcheté l’empêchait d’aborder les sujets
essentiels. Il décida de se taire.

Un soir de pluie des vacances de Toussaint où Liam dormait chez la nounou, Kevin
reçut un appel téléphonique de Marie. Il espérait cet appel. Il décrocha dans la bonne humeur.
— Bonjour Marie, que deviens-tu ?
— Je suis en bas de chez toi, veux-tu m’ouvrir.
Kevin raccrocha, s’enfonça dans son canapé. Après deux ou trois minutes d’hésitation,
il se décida.
Il décrocha l’interphone.
— Monte.
Dégoulinante de pluie, elle retira son chapeau ruisselant, enleva son manteau de
velours rouge trempé, jeta ses chaussures à talons loin dans le couloir, tira sur les plis mouillés
de son jean bleu ciel. Elle embrassa Kevin sur les deux joues.
— Sans aucune arrière-pensée, se justifia Kevin, ne veux-tu pas retirer ce jean trempé ?
Elle s’exécuta aussitôt. Une culotte mauve bordée de dentelle crème, une chemise
légère laissant passer la lumière sur deux seins blancs agrémentés de deux petites pointes
sensuelles, tout ce charme érotique réveilla chez le Don Juan de beaux souvenirs. Il passa avec
élégance une robe de chambre à son amie. Assis sur le cuir blanc, Kevin et Marie entretenaient
un silence lourd. Le poids de leur furtive rencontre dans la salle blanche laissait encore pencher
la balance côté méfiance.
— Le mois dernier, je ne t’ai pas reconnu, toi qui prétends être non violent. Es-tu
devenu fou ? Tes trois coups de poing ont failli tuer Andreou. Ce pauvre homme voulait porter
plainte. Heureusement que j’étais là pour l’arrêter. Tu lui as fracassé le nez et aujourd’hui il
montre un œil au beurre jaune.
Son humeur s’adoucit.

103
— Du noir, il est passé au bleu, aujourd’hui au jaune, c’est comique.
— Déjà qu’il n’a pas de beaux yeux, si maintenant ils changent de couleur, ça ne va
pas l’arranger.
Marie chatouilla le menton de Kevin.
— Que dis-tu là, il est mignon, mon homme. Enfin, presque. Tu es un excellent boxeur.
Ton troisième coup a fait mouche aussi. Tu lui as ouvert l’arcade sourcilière.
— Bienfait ! c’est un personnage machiavélique.
— Andreou a ses défauts, mais il a fait ça dans ton intérêt. Il ne te l’avait pas encore
dit, mais dès qu’il publierait sa réussite dans les journaux scientifiques il allait t’offrir une
importante somme d’argent. Près d’un demi-million d’euros.
— Rien à foutre de son pognon. Et pourquoi ne m’en a-t-il pas parlé avant, pourquoi
ne m’a-t-il pas proposé un contrat régulier ? Je sais pourquoi. Il connaissait ma réponse.
Homme-femme, c’est quoi cette singerie !
Marie caressa le menton de Kevin, puis la nuque, le dos, les reins.
— Dis donc, l’autre fois, ça ne te dérangeait pas trop lorsque je tripotais ton minou.
As-tu vu comme une femme peut apprécier ? Combien de fois as-tu joui en si peu de temps ?
Comment c’était bien, comment tu en demandais encore et encore, hein, coquine !
Elle chauffait gentiment son ami par ces plaisanteries, par ces mots doux et ses caresses.
Et Kevin laissa monter la température, justifiant sa faiblesse par le fait qu’il devait gagner la
confiance de Marie, lui demander de revenir avec le smartcolle. Et la faiblesse des sens entraina
le couple sur le lit. Robe de chambre, culotte mauve et chemisier valsèrent sur le parquet. Kevin
retira ses habits. Joujou, planté droit, se préparait à donner l’assaut. Quel trou ? Peu importe
pourvu que la nuit soit voluptueuse. La nuit fut débauche.
La faible lueur de l’aube naissante filtrait à travers les claires-voies des volets. Une
main coquine caressa le sexe de Kevin. Il se retourna côté pile, c’est-à-dire face à Marie.
— Tu es infernale Marie, ça n’en finira donc jamais.
— Tu n’aimes pas ? souffla-t-elle à son oreille.
Après une nouvelle heure d’amour, elle laissa tomber la tête sur l’oreiller. Kevin
embrassa ses lèvres tout en essuyant l’huile nacrée qui glissait sur ses cuisses. Puis il se souleva
sur son avant-bras.
— Dommage que tu ne sois pas revenue avec le smartcolle, on aurait pu jouer à touche-
touche entre filles.
Elle pressa sur le bouton de la lampe de chevet puis s’assit à côté de son amant.
— Crois-tu que l’on puisse se balader comme ça avec cette perle scientifique ?
Rappelle-toi ce qui fut décidé avant ton opération, le premier smartcolle rangé dans le coffre-
fort du service transgène de la clinique, le second dans le coffre-fort du même service à
Lausanne.
— Pourtant, l’autre fois.
— C’est Andreou qui m’a demandé de venir chez toi avec le smartcolle. Il voulait
vérifier que son prototy… euh… que tu apprécierais autant un genre que l’autre, enfin, que ton
côté femme te serait aussi agréable que ton côté homme. C’est vrai que ce projet homme-femme
lui tient à cœur. Il ne faut pas lui en vouloir, d’autant qu’il projette, lorsqu’il sera sûr de son fait,
de souder définitivement ton sexe mâle. S’il souhaite créer d’autres hommes-femmes, il saura
donc comment procéder. Ce ne sont pas les prétendants qui manqueront.
— Pourquoi n’a-t-il pas choisi un volontaire à ma place ?
— Parce que Joujou existait déjà. Ainsi, Andreou gagnait du temps, beaucoup de
temps, plusieurs mois. Reconstruire un sexe mâle autonome, c’est compliqué.
— C’est un bandit, il n’avait pas le droit.
Du bout de ses doigts, elle caressa les lèvres de son amant.
— Chut ! C’est vrai que c’est un petit bandit, mais tellement génial comme chirurgien.

104
— Un chirurgien avec qui tu aimes t’envoyer en l’air.
Marie s’enfonça encore plus dans la tendresse, ses lèvres caressèrent les lèvres de son
amant tout en murmurant :
— C’est toi que je préfère.
Kevin se leva, enfila son jean.
— Tu couches avec lui pour son pognon, n’est-ce pas ?
Marie resta figée, assise dans le lit. Elle fixait Kevin comme on regarderait une poule
qui court sur le dos d’un cheval.
— Je… je ne sais pas ce qui m’attire chez lui. Quelque chose d’unique, de…
— Arrête ta comédie, Marie. C’est pour le pognon et tu le sais mieux que quiconque.
Pour le pognon et peut-être aussi pour ta notoriété, comme l’an passé lorsque tu t’es empressée
de présenter ton scoop, Joujou à la une de ton journal people. Et cette fois-ci, ce sera Minou à
la une.
Toutes ces vérités, elle les connaissait si bien qu’elle ne sut que répondre. Elle éclata
en sanglots et bafouilla entre deux souffles :
— Ah ! tu l’as appelé Minou !
Empli de compassion chaque fois qu’une jolie fille pleurait devant ses yeux, Kevin
s’assit sur le lit, prit la main de son amante.
— Pardonne-moi, je suis trop dur avec toi.
Dur ! le jeu de mots était trop facile. Il rebondit en tournant son regard vers sa braguette.
— Enfin, c’est dur, mais tu aimes bien.
Elle sourit entre deux larmes. Ses longs cheveux blonds parsemés de mèches sombres
ondulaient sur son dos nu.
— Est-ce que tu m’aimes un peu, ou peut-être beaucoup, ou peut-être que tu m’aimes
tout simplement ?
Elle glissa sous la couette. Kevin la rejoignit tout habillé.
— Je t’aime, mais à une condition, dit-il.
— Le verbe aimer a-t-il besoin de conditions ?
— Je crois que je peux tomber amoureux de toi. Il ne manque qu’un petit déclic. Il faut
que je croie en ton véritable amour.
— Et comment te le prouver mieux que par cette nuit torride que l’on passe ensemble ?
— Tu es amoureuse de ma chair, pas de moi. Montre-toi vraiment disponible envers
moi, et là je commencerai à croire en ton amour. Par exemple, puisque ton triste amant m’a créé
homme-femme, viens la prochaine fois avec le smartcolle. J’ai envie de folles scènes d’amour
entre nous deux. Aime-moi de mille façons. Réponds à mes exigences, sois soumise, et à mon
tour je serai ton esclave, je serai ton esclave parce que je t’aimerai.
Lors de son retour dans le train, Marie soupirait. Les derniers mots de Kevin sonnaient
faux. Pourquoi tenait-il tant à ce que l’on s’amuse avec ce smartcolle ? Elle lui avait répondu
oui sachant que ce serait non.
Elle sourit en ouvrant son sac à main. Elle fouilla à l’intérieur. Le smartcolle était bien
là.

42

Depuis les retrouvailles entre Marie et Kevin, une véritable lune de miel s’était
installée. Kevin descendait à Dijon le plus souvent possible. Les nuits d’amour se déroulaient
à l’hôtel « Aux Ducs de Bourgogne » où logeait la journaliste parisienne lorsqu’elle passait
quelques jours dans la capitale bourguignonne.

105
Sur l’oreiller de la chambre 23, les murmures d’amour s’achevaient. La voix de Kevin
se fit plus grave :
— Étonnant, j’ai passé quatre nuits ici cette semaine, nous sommes allés au resto d’à
côté, nous n’avons pas revu Quentin.
— Quentin ? Ah ! Quentin, le serveur du restaurant et barman à l’hôtel. Quand est-ce
que nous l’avons connu d’ailleurs ?
— C’était début aout, suite à ma rencontre avec le professeur foldingue qui
m’expliquait la greffe de mon sexe. On s’était donné rendez-vous ici en soirée. Je l’ai trouvé
sympa ce petit jeune et toi ?
— Oui ça va. Si nous ne l’avons pas vu cette semaine, peut-être est-il en vacances.
— Et toi, de tout l’automne, tu es revenue souvent à cet hôtel, tu ne l’as jamais revu ?
— Pourquoi me parles-tu de lui ainsi, il te plait ? Tu voudrais peut-être le smartcolle
de la clinique pour te présenter en femme devant lui, n’est-ce pas ?
— Tu l’as revu ou pas ?
— Comment ça, revu ?
— Ben ici, à son travail à l’hôtel ou peut-être au resto à côté.
— Non.
— Ben dis donc, ses vacances sont bien longues.
Marie se redressa sur le lit, alluma le plafonnier.
— Tu m’agaces avec tes questions sur ce jeune homme, peut-être a-t-il quitté sa place,
qu’est-ce que j’en sais, moi ?
Kevin s’assit à son tour sur le lit.
— Pourquoi tu t’énerves, je voulais juste savoir.
Long silence.
— Ou alors tu me caches quelque chose.
— Qu’est-ce que tu veux dire, Kevin ?
— Tu fais divinement l’amour, mais lorsque tu as trop bu, tu ne vaux plus rien. Normal,
je suis pareil. Et comme tu ne baises pas, tu en profites pour rêver. Beaux rêves d’ailleurs
puisque tu fais l’amour avec Quentin, et dans tes rêves tu l’aimes tellement que tu lui demandes
de te faire un enfant. En même temps, c’est une lubie chez toi, puisque tu voudrais que je l’imite.
— Parce que pour toi un rêve correspondrait à la réalité ?
— Fais-moi un enfant, Quentin. Je suppose que tu n’as pas murmuré ce nom par hasard.
Tu as tellement de détails sur lui que tu voulais un enfant de ce Quentin pour qu’il devienne un
beau et jeune directeur comme lui.
— Directeur ? Je croyais qu’il était serveur.
— Arrête de me prendre pour un idiot, Marie.
Puis il jeta le fameux carton sur les cuisses nues de Marie.
Quentin Charmeu
Directeur général du groupe hôtelier
« Aux Ducs de Bourgogne »
18 place Darcy
21000 DIJON
Après un trop long silence, Marie essaya de lui prendre la main. Il la repoussa. Elle
consentit enfin à s’expliquer en fixant rageusement Kevin dans les yeux.
— Quentin et moi devions nous marier ce printemps. C’était mon copain, mon chéri. Il a
presque mon âge, nous nous aimions. Non, je ne veux pas d’enfants de lui. Mon subconscient
m’y invite peut-être, mais il n’en est plus question.
— Pourquoi parles-tu de lui au passé ?
— Parce que je l’ai quitté début aout. Tu m’as scotchée lorsque je t’ai revu fin juillet dans
le magasin IKEA. Le coup de foudre, quoi. C’est d’ailleurs pourquoi cet imbécile de Quentin a

106
joué au serveur, au barman, il voulait me revoir, il voulait essayer de m’amadouer. Pas de pot,
j’étais avec un mec, c’était toi. Il n’a donc pas eu l’occasion d’essayer de me reconquérir ce
soir-là.
— Avait-il besoin de jouer au serveur, au barman puisque c’est le directeur de
l’établissement ?
— Il est patron d’un grand groupe. Le siège social se situe dans le quartier de La Défense
à Paris. Quentin est rarement à Dijon. Ce jour-là il savait que je serais là, il a voulu me retrouver
pour me séduire dans son beau costume trois-pièces et rester discret, raté !
Elle se jeta à son cou.
— Comprends-tu maintenant ? C’est toi que j’aime, c’est pour cela que j’ai quitté Quentin,
c’est pour cela que je veux un enfant de toi.
— Habille-toi, on va prendre notre petit-déjeuner. Je dois être à onze heures à
Champagnole, j’ai rendez-vous pour un gros contrat.
Dans le Scénic qui le ramenait en Franche-Comté, Kevin se tortillait l’esprit. Dans le lit,
aucun doute, Marie aimait son corps, et sa chair s’effaçait doucement sous la tendresse infinie
de la jeune fille. Marie amoureuse, possible. Sournoise, sûrement.

Marie, sourire aux lèvres, regardait par la vitre du TGV le soleil qui déclinait derrière les
premiers immeubles de banlieue. Son train l’emmenait dans la capitale, quartier La Défense.

43

Le ciel était noir, noir de nuages qui se confondaient à la nuit sans pluie. Une légère
brise décrochait les dernières feuilles jaunies des platanes du parking de la gare. Le TGV devait
s’arrêter à Mouchard à 20 h 15. Kevin consulta sa montre, encore dix minutes à patienter, non,
vingt, le train était annoncé avec un léger retard.
L’amoureuse descendit enfin le marchepied, elle se jeta dans les bras de son chéri.
— Tu m’as tellement manqué, amour !
Kevin l’embrassa avec tendresse, caressa les longs cheveux sombres, s’empara de la
veste.
— Alors Paris toujours aussi jolie ! Qu’as-tu visité, les halles, Montparnasse,
Montmartre, La défense ?
Le weekend en amoureux se passerait à Lons le Saunier dans le joli appartement mauve
de Justine. Kevin appela le restaurant pour annoncer leur retard. À vingt-et-une heures trente,
ils s’installaient à une table au « Tilleul », cette même table où le Don Juan avait gouté à son
repas tout en dégustant le charme de Justine, assise en face de lui, et ce jour-là, il tombait
amoureux de cette femme intelligente, aux grands yeux châtaigne sous sa longue chevelure
brune ondulée. « Je t’aime », n’avait-il osé dire. Il le pensait vraiment.
— Je t’aime, dit-elle en caressant les doigts de son amour. Paris m’a paru bien long
durant ces quinze jours. Heureusement que je me passionne pour ce métier. J’ai beaucoup
réfléchi. Notre maison sera grande puisque nous ferons des enfants. Je créerai ma
microentreprise et j’aurai mon bureau sur place. Je prévoirai une pièce aux dimensions
conséquentes, du meilleur goût, elle sera réservée à la clientèle qui pourra admirer mon savoir-
faire. Les clients auront même l’autorisation de faire un tour dans toute la maison. Dans le salon
je vois du tissu rouge aux murs, genre tissu de montagne, puis un mur retour métal cuivré, un
rappel des fromageries du haut-jura mélangé à l’aspect métallique moderne. Pour les chambres
des enfants, je vois du bleu, du gris, du jaune, du bois, du mur blanc aux mille dessins de
peluches, mais aussi des perles de lumière qui tombent du plafond.
— Combien de chambres d’enfants ?
— Beaucoup.

107
Il sourit, lui prit la main, il était temps de rejoindre l’appartement. Pour Kevin, faire
l’amour ne pouvait plus attendre. Quant à Justine, elle prenait son temps. Une belle nuit d’amour
suffisait pour faire un enfant, neuf mois pour le perfectionner.
Dans la chambre mauve, sensualité, tendresse et sexes se mélangeaient dans la volupté.
Justine, couchée sur le ventre de son chéri, s’amusait à tordre ses fesses pour énerver Joujou.
Elle se plaisait à baisser ses reins pour glisser son vagin le long du long pénis puis les relever à
nouveau, encore et toujours. Cette nuit, elle avait décidé de prendre les choses en main, enfin,
façon de parler, plutôt de prendre la chose avec son sexe. Elle imaginait que de mener la danse,
l’enfant se créerait plus facilement. Tout à coup, voulant repousser son petit cul en arrière pour
redonner de l’élan, elle s’aperçut qu’elle ne pouvait pas.
— Que fais-tu, amour, pourquoi t’agrippes-tu as moi avec ton Joujou ? Laisse-moi
faire, dit-elle.
— Mais je te laisse faire, chérie, et je me laisse faire aussi, c’est tellement agréable de
jouer au faignant lorsque l’on baise, sourit-il.
— Mais ne vois-tu pas que ça ne glisse plus ? Aide-moi, nous sommes collés par nos
sexes !
— Ah, non ! Ça va pas recommencer !
Couché sous Justine, malgré la nuit, Kevin devina le teint pâle de sa copine. Il savait
que le sien virait au rouge. Une gaffe de plus, quel con ! Comment s’en sortir devant la jalousie
de sa chérie ?
— Je sais, tu vas me demander des explications. Ce n’est pas la peine de s’engueuler
maintenant, on ne pourra pas claquer les portes chacun de notre côté.
En effet, nez contre nez, ventre sur ventre, sexe dans sexe, valait mieux rester cool.
Mais Justine de l’entendait pas de cette oreille, d’autant que ses oreilles plantées sur les côtés
s’ouvraient aux quatre vents. Et le vent de la colère s’engouffra dans les tympans du Don Juan.
— Qui est cette fille ?
Pas de réponse.
— Peut-être que l’on ne peut pas claquer les portes, mais tu es bien assez près de moi
pour recevoir une claque. Alors, qui est cette fille ?
Pas de réponse.
Elle le gifla.
— Si tu ne me dis pas qui est cette fille, on se sépare immédiatement.
Kevin essaya de sourire.
— Euh, immédiatement, guère possible.
Elle s’effondra, la tête au creux de l’épaule de Kevin. Elle aurait préféré un autre
endroit, la méridienne par exemple, ou mieux, s’enfermer aux toilettes, mais elle n’avait pas le
choix, Kevin la suivrait partout. À défaut, ce serait tête contre tête, les yeux dans les yeux, les
lèvres sur les lèvres. Sa tête au creux de l’épaule restait donc le seul refuge potable pour méditer
le plus tranquillement possible. Seul inconvénient, cela sentait fort la sueur de mâle. Et les
mâles, en cet instant, elle voulait les fuir. Tous des salauds, à commencer par son ex, Modi,
coureur de jupons réputé, et maintenant son amour adoré.
— C’est Manon.
Justine roula sur le dos, entrainant son mec infidèle sur son ventre. À son tour il
chercha le creux de l’épaule, ça sentait bon la femme.
— Salaud.
Elle voulut le gifler une nouvelle fois. Kevin retint sa main in extrémis.
— Je me répète, ce n’est pas pratique pour s’engueuler. Tu te défouleras après notre
séparation, en attendant restons zen et cherchons plutôt comment s’en sortir.
Justine, trop perturbée, tant par l’inconfort physique que par la douleur morale, se mit
à rire de bon cœur.

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— En principe, dans un couple, on s’enguirlande avant et l’on se sépare après. Toi tu
proposes l’inverse, on se sépare avant et on s’enguirlande après.
— Tu as très bien compris ce que je voulais dire. Inutile de plaisanter, il faut prendre
une décision.
— N’essaie pas d’inverser les rôles. Je te rappelle que c’est moi qui suis cocue et que
c’est toi l’horrible infidèle.
— Oh, c’était avec ma femme tout de même.
— Je suis amoureuse, je ne partage pas.
— Mon portable est sur la table du salon. Tu as le tien vers toi ?
— Non, le mien est en charge à la cuisine.
— Merde alors ! Va falloir ramper.
Il ressentit une crampe dans le dos, l’inconfort de la situation, sûrement. Il s’affala sur
sa partenaire, le ventre contre son ventre, les lèvres sur les lèvres, toujours les sexes mélangés.
Kevin chercha la langue de Justine. Elle résista à peine et le jeu recommença. Après quelques
instants de roule-pelle, les lèvres de Justine s’écartèrent pour laisser la langue s’exprimer
autrement :
— Promets-moi de ne plus recommencer, amour.
— Je te le promets, chérie.
Après le roule-pelle, le roule par terre, ils se tortillèrent sur le parquet entre rires et
grimaces, puis sur le carrelage, entre bouches ouvertes et fesses fermées. Lorsque Kevin réussit
à s’emparer du téléphone, il le reposa sur le plan de la cuisine.
— Je pense tout à coup, ce n’est pas nécessaire d’appeler les urgences, j’ai vu comment
procédait le Grec. Il faut juste que je te mette un doigt dans l’cul.
— N’importe quoi !
— Si, laisse-moi faire.
Ils se tournèrent sur le côté. Kevin avança son majeur devant le petit trou de sa copine
puis l’enfonça brusquement. Aucun résultat. Il recommença une fois, deux fois, toujours rien.
— Bon ça suffit, ce n’est pas la peine d’y prendre du plaisir, dit-il.
— Cela sert à quoi de mettre ton doigt dans mon petit trou ?
— La pression du doigt permet au sphincter anal de se contracter, ce qui permet la
décontraction du sphincter vaginal.
Justice fronça les sourcils.
— Es-tu sûr de ne pas te tromper de trou ?
— Comment ça, quel trou ?
En fait, tellement perturbée par ce qui lui arrivait, Justine s’emmêlait les pinceaux,
mélangeait, inversait les raisonnements.
— Tu n’as pas de sphincter vaginal que je sache. C’est donc de ton sphincter anal qu’il
s’agit. Ce serait plutôt à moi de te mettre le doigt.
— Pourtant l’autre jour à la clinique, c’est bien dans mon cul que le Doct…
Il s’arrêta net, les sueurs au front. « Merde, pensait-il, comme je suis arrivé avec mon
sexe de femme chez Damassène, et qu’il m’a mis le doigt dans mon trou d’cul, mon muscle
vaginal a dû se contracter et non l’inverse. Comment Joujou a-t-il pu se décoincer ? Ben oui,
c’est l’inverse ». Merde, je ne comprends plus rien. Son cerveau à lui aussi résonnait n’importe
comment.
Justine s’impatientait. Nue sur le carrelage froid, elle frissonnait. Kevin écarta ses
fesses de ses dix doigts. Le bras tiré en arrière, l’amoureuse prit son élan, le majeur en avant.
Elle s’arrêta net devant le trou.
— J’ai peur de te faire mal avec mes grands ongles, amour.
— Tant pis, ce sera ma punition pour ma petite infidélité. Et puis, ce n’est pas la peine
de prendre tant de recul pour me mettre un doigt. Ce n’est pas un missile que tu envoies depuis

109
l’autre bout de la terre, ou alors vise juste, sinon tu vas me déchirer le cul. Juste un coup sec
avec ton majeur suffit.
Elle enfila le doigt. Aucun résultat. Elle recommença une fois, deux fois.
— Il faut appeler les urgences, dit-elle.
— Pourquoi n’y ai-je pas pensé plus tôt ? J’appelle Félix. Il habite à trois kilomètres.
Son ami répondit depuis l’hôpital, il était de garde cette nuit-là.
— Venez donc à Lausanne, je vais arranger votre problème dès cette nuit.
— T’es marrant, mon cher Félix, qui est-ce qui conduit ? Moi, peut-être ? Justine est
plus petite, plus mince, je pourrais rouler en regardant par-dessus ses épaules.
— Je ne sais pas, trouve un conducteur, Manon par exemple.
Deux heures du mat, pas question d’appeler Manon, et puis elle habite trop loin, pensa
Kevin. Océane, la femme de Félix ? Non elle a son gosse, et puis Félix ne lui a pas proposé. Ah,
je vois… Tristan.
— Je vais appeler mon pote le musicien, sûr il va nous dépanner.
Mais ni Tristan ni sa femme Cloé ne répondirent.
— Il n’y a que deux kilomètres, on va chez eux en voiture. Ils sont forcément à la
maison. Leurs portables sont coupés pour la nuit.
— Tu es fou, amour, il n’en est pas question.
— Mais si, la voiture est stationnée devant l’appartement, on s’enveloppe d’un plaid,
et hop.
— Je ne veux pas, c’est dangereux et ridicule. Appelons une ambulance pour nous
emmener aux urgences.
— Non, je veux que Félix nous examine dans cet état, là-bas à l’hôpital. Je veux savoir
ce qui se passe. Deux fois Joujou coincé en si peu de temps, ce n’est pas normal. Cette colle
électronique n’est certainement pas au point. Encore une connerie du Grec.
Il finissait sa phrase que son portable vibra.
— T’as vu l’heure, Kevin, qu’est-ce qui se passe ? demanda Tristan.
— Faut que tu m’emmènes en urgence à l’hôpital de Lausanne.
— Tu es malade ? C’est grave ?
— Non, viens dès que tu peux, mais prends ton temps, rien de bien méchant, c’est juste
urgent.
Un quart d’heure plus tard, Tristan franchissait la porte, la chevelure ébouriffée, mais
bien réveillé, prêt à sortir ses plaisanteries à deux balles.
— Alors les amoureux, vous pourriez éviter de continuer de baiser lorsqu’un joli
garçon entre chez vous. Je peux participer ? Ah, ah !
— Dépêche-toi de nous emmener au lieu de déconner.
— Hé ! je ne peux pas vous porter, vous êtes trop lourds. Ou alors, je prends juste
Justine dans mes bras, ah, ah !
— Et moi, crétin, je décroche Joujou pour que je puisse courir derrière.
— Bonne idée, je n’y avais pas pensé, ah, ah !
La descente jusqu’au trottoir fut périlleuse, plutôt comique. Les amoureux,
s’accrochaient au garde-corps, Tristan retenait du mieux possible le couple pour ne pas qu’il
dégringole en roulé-boulé jusqu’au pied de l’escalier, le plaid s’envolait en tous sens sauf sur
les corps nus. Le clown en profitait pour mater le petit cul blanc de la jolie brune.
L’heure et demie de route pour rejoindre Lausanne enthousiasma Tristan. Rétroviseur
intérieur divinement orienté, il zieutait le couple enroulé négligemment dans le plaid. Il lui
semblait que les amoureux baisaient toujours ? Sûr, ils s’embrassaient souvent. Sous le cache-
misère de laine, il entrevoyait fréquemment une cuisse rose, un morceau de derrière blanc, cela
suffisait à l’exciter. Du coup il pensait à sa maîtresse Agathe. Il faudrait vite reparler d’une nuit

110
d’orgie à quatre : lui, Agathe, Justine et Kevin. Son copain, pas de soucis, il saurait le
convaincre, quant à Agathe et lui, ils étaient déjà partants. Justine, ce n’était pas gagné.
Quatre heures du mat’ lorsqu’ils entrèrent dans le sas des urgences. Une infirmière vint
à leur rencontre, une infirmière ? Non, une amie. Giulia, de son plus beau sourire, se permit de
se pencher sur le couple déjà installé sur un brancard. Elle recouvrit le derrière nu de Kevin
puisque le morceau de plaid flottait à côté du couple. Ah, non, pas cette petite peste, songea
Justine, elle est toujours là quand il ne faut pas, à croire qu’elle est au courant des moindres
mouvements de Kevin, grrr ! Bienfait pour elle de nous voir ainsi bien accrochés l’un à l’autre.
Ce n’est pas elle qui fait l’amour avec lui, c’est moi. Je suis sûre qu’elle est jalouse. Bienfait,
bienfait, bienfait ! Justine ajouta malicieusement une touche finale pour confirmer son fantasme,
elle joua à roule-pelle tout au long du trajet jusqu’à la salle de travail. Giulia, plus dégoûtée que
jalouse s’éloigna rapidement pour se rapprocher de Tristan.
— Venez avec moi jusqu’à la cafétéria, je vous offre un café pendant que Kevin va
jouir un instant.
Le clown courut derrière les jambes de la jolie blonde.
— Vous avez raison, Giulia, laissons-les accoucher dans la douleur.
Ce ne fut pas le grand doigt de Félix dans le petit trou de Justine qui provoqua le plus
de douleur, mais les longues minutes suivantes. Un calvaire pour le Don Juan, une souffrance
insupportable pour Justine.
Joujou reposait sur la table de travail, dur et fier. Il venait de se déclipser
involontairement en même temps qu’il se décoinçait du vagin de Justine. Kevin reposait sur
cette même table, les jambes raides.
— Pourquoi croises-tu les jambes ainsi ? demanda Félix. Écarte-moi cela que je puisse
jeter un coup d’œil.
Kevin décroisa lentement les jambes tout en montrant un regard affolé vers les yeux
de Justine. Soudainement l’éclair jaillit entre les cuisses, le tonnerre gronda une fraction de
seconde plus tard. L’orage était donc tout proche.
— Mais, mais… qu’est-ce que c’est ? Depuis quand me caches-tu cette… cette chose
grotesque ? Tu es nul, nul, nul, mon pauvre Kevin, tu n’es qu’un lâche, rien qu’un pauvre lâche.
Tu m’as déjà fait le coup l’an passé avec Joujou, tu recommences cette année avec…
— Avec Minou, osa Kevin.
— Et en plus, cela t’amuse. L’an passé, lorsque j’ai découvert tes mensonges, ta lâcheté,
j’ai jeté Joujou au milieu du lac. Aujourd’hui, si je pouvais, je t’arracherais cette… ce…
— Minou.
— Tu me dégoûtes, adieu.
Elle claqua la porte dans son dos.

44

Ce dimanche de novembre était froid, les toits se coloraient de givre, mais un soleil
généreux éclairait un ciel bleu. Idéal pour un tour en VTT. C’était si rare en plein hiver, alors
Kevin retrouva Tristan. Ils décidèrent de rejoindre les cascades du hérisson, vingt-cinq
kilomètres plus loin.
— Trop comique l’autre nuit, t’as bien fait de rester collé à Justine, tu as pu en profiter
un max avant qu’elle te plaque. T’es complètement inconscient, mon pauvre Kevin. Pourquoi
ne pas lui avoir dit plus tôt ? C’est ta copine tout de même, il me semble qu’elle aurait dû être
informée la première.

111
— C’était ma copine. C’est fini entre nous. La voilà repartie à Paris. Quand reviendra-t-
elle ? Dieu seul le sait. Que t’a-t-elle raconté sur moi dans la voiture ?
— Pendant tout le trajet, elle ne me disait qu’une chose : Kevin est un lâche, Kevin est
un lâche. Ah si ! une fois elle a dit : Kevin est un connard de lâche. Elle a dit aussi : quand je
pense que j’ai pu tomber amoureuse d’un connard, d’un lâche, d’un connard de lâche. Bref, t’as
du boulot pour la séduire à nouveau. T’es trop con, Kevin, c’est une femme super gentille, super
belle et en plus, je suis sûr qu’elle baise bien.
— Comment sais-tu ?
— Je lui ai demandé dans la voiture. Elle m’a répondu oui. Non j’déconne, ah, ah !
Ils roulaient de front sur cette route peu fréquentée en cette période de l’année. Ils
approchaient des cascades. Un peu fatigués, ils reprenaient leur souffle, évitant de poursuivre
la conversation. Kevin en profita pour se remémorer la fin de nuit précédente. Sa chérie,
tellement déçue par son comportement, avait demandé à Tristan de la remonter à Lons le Saunier.
Ce lâche de Kevin rentrera dans la journée avec son ami Félix, avait-elle ajouté. Et Félix en
avait profité pour faire la morale au lâche, assis dans le 4X4, côté passager. D’ailleurs l’adjoint
du service transgène ne comprenait pas tout. Son ami couchait-il avec son ex-femme ou avec
Justine ? Visiblement toutes les deux. Qu’avait-il besoin de jouer les Don Juan ? Ne pouvait-il
pas choisir entre ces deux femmes ? Non, justement, Kevin ne pouvait pas choisir. Toutes deux
jolies, toutes deux gentilles, toutes deux souriantes, toutes deux amoureuses, comment donc
faire un choix. Car il en était sûr, Manon restait amoureuse de lui. Et puis il y avait Marie, cette
jolie jeune fille qui ne demandait qu’à tomber amoureuse, elle aussi. Et cette Belinda à qui il
devait faire un enfant. Dès qu’il lui aurait fait l’amour à sa façon avec son gros Joujou, ne
tomberait-elle pas dans ses bras à son tour ? Il pensait néanmoins que son cœur penchait vers
sa jolie Justine, mais que faire ? Il avait joué à qui perd gagne et il l’avait donc perdue. Non, il
n’essaierait pas de la reconquérir. Elle avait décidé de rompre, il n’irait pas la rechercher à
genoux.
— Putain ! J’ai failli glisser sur une plaque de verglas.
La puissante exclamation de Tristan sortit Kevin de ses réflexions.
— À propos du collage de nos sexes, sais-tu ce que m’a dit Félix ?
— Oui, c’est parc’que t’en as une trop grosse, ah, ah !
— Il semblerait que le Grec se soit encore planté. Sa colle électronique ne serait pas au
point. Mais j’ai bon espoir, Félix pense résoudre le problème avec son chef, le professeur
Chapelier. Il leur faudrait juste apporter quelques modifications dans l’application du smartcolle.
Par contre, en attendant, il m’a demandé de faire gaffe en faisant l’amour, ça peut recommencer.
— Les mécaniciens espèrent réparer le smartcolle avant l’été prochain ?
— Un mois tout au plus, parait-il, et l’on pourra enfin fixer Joujou définitivement.
Maintenant qu’ils détiennent la licence, ils avancent vite dans leurs recherches.
— Ben dis donc, toi, un mois sans baiser, tu ne tiendras pas. C’est comme si tu me
demandais, à moi, de ne pas baiser durant vingt-quatre heures, ah, ah !
— J’ai ma petite idée pour remédier au problème.
Les deux copains parvenaient au parking des cascades du Hérisson. Ils fixèrent les
antivols aux barrières métalliques. Avant de parvenir au pied de l’éventail, la cascade principale,
la plus haute et la plus admirée, ils marchèrent sur un sentier gelé, bordé de grands frênes et de
hauts foyards décharnés. Levant la tête, ils admiraient les brindilles au sommet des grands
arbres, pareilles à de la dentelle brodée sur un ciel de satin bleu.
— Je crois savoir c’est quoi ta petite idée, dit Tristan.
— Dis toujours.
— Je sais pas.
— N’as-tu pas appris la nuit dernière que je pouvais aimer le côté femme ?
— Ne me dis pas que tu aimerais te faire mettre ?

112
— Joujou reste plusieurs jours à l’hôpital pour analyses, je vais donc réveiller Minou.
— Minou ?
— Ben oui, Minou, faut que je te fasse un dessin ?
— Ah, ah ! notre Appolon régional a choisi maintenant de se faire sodomiser.
— Si je me prends une bite dans le vagin, que je sache, ça ne s’appelle pas une sodomie.
Je ne deviens pas homo sur commande. Minou entre mes cuisses, j’ai juste envie d’un homme,
pas d’une femme.
— Ah, ah ! sacré Kevin, je ne te reconnais plus. Eh ! ne me regarde pas comme ça, j’ai
pas dit que j’étais partant.
— T’inquiètes, de toute façon tu n’es pas mon genre. Trop petit, trop de ventre, des yeux
en trou de pine, beurk.
La magistrale cascade se présenta à eux. Ce n’était qu’un torrent sans eau. La magie de
la glace et la splendeur des stalactites de lumières diaphanes remplaçaient la beauté des flots.
— Tu viens, on grimpe. De là-haut, on domine la cascade, c’est un beau point de vue.
— Pas envie.
— Allez, viens, ça te fera perdre un peu de bide.
Tristan suivit péniblement sur cette pente où les crampons de caoutchouc glissaient sur la
terre gelée et les roches humides. En haut, ils se retournèrent pour admirer le paysage. La
cascade, gonflée d’écumes gelées, laissait percevoir un bruit clair, un ruissèlement caché
derrière la longue chute figée. En bas, les eaux du ruisseau dansaient et chantaient sous les
épicéas pailletés de blanc. Le silence de l’hiver précoce entourait cette douce musique. Personne
alentour, juste deux amis qui goûtaient la nature sans même penser aux filles, chose rare chez
ces deux coureurs. Une personne s’avançait timidement au pied de la cascade. Kevin écarquilla
les yeux. Il dévala aussitôt la pente pour rejoindre une connaissance. Il s’approcha du basané
barbu affublé de son vieux chapeau ramassé sur le front.
— Bonzour Kevin, on z’est déjà vu, n’ez ze pas.
— Oui, et à l’époque j’ai dit d’aller vous faire voir.
— Et moi ze vous z’avais répondu qu’on ze reverrait. Ze suis là.
Kevin se raidit comme pour éviter d’exprimer sa colère, son copain arrivait sur ses talons.
— Je vous ai dit qu’il n’était pas question que je couche avec votre femme, n’ai-je pas
été assez clair l’autre jour ?
— Vous z’avez plus guère de temps avant de dire oui, après ze zera trop tard, Mégane ne
zera plus dizponible. Il vous rezte une groze zemaine devant vous, après z’est trop tard.
Le barbu se présentait vêtu d’un parka marron tâché, d’un pantalon de velours tombant
en accordéon sur des brodequins noirs et gras comme ses cheveux. Les yeux sans couleur cernés
de rides derrière des lunettes rondes et épaisses n’éclairaient même pas ce visage disgracieux.
Sans ajouter un mot, il enfila une main dans sa poche de parka, en ressortit une enveloppe,
la glissa entre les doigts de Kevin.
À bientôt, monzieur Rumber.
Alors que l’étonnant zozoteur s’éloignait vers le parking, Kevin ouvrit nerveusement
l’enveloppe. Une petite carte blanche à l’intérieur. Au verso, un numéro de portable. Au recto :
surprise ! La photographie de miss univers en personne et en maillot de bain deux-pièces. Peut-
être même plus jolie que miss univers. Tristan jeta un œil par-dessus l’épaule de son pote. Un
sifflement aigu s’en suivit puis, bien sûr, une connerie à deux balles :
— Putain, la classe ! pas une ride de cellulite, pas un gramme de graisse en trop, des
jambes infinies, une crinière rousse qui descend si bas qu’elle n’a même pas besoin de PQ, un
petit cul caché, mais forcément divin vu la gonzesse, une poitrine peut-être un peu trop grosse
pour toi vu que tu préfères les biberons pour téter avec ta petite bouche. Tandis que moi, avec
ma grande gueule, ça me va très bien ces gros nénés, et même si tout ne tient pas dans ma
bouche, je finirai mon repas avec les mains.

113
— Sauf que cette fille-là ce n’est pas pour ta gueule.
— Pas pour la tienne non plus, j’ai cru comprendre qu’il te propose de coucher avec sa
femme. Ne me dis pas que cette déesse serait sa femme ? T’as vu sa tronche à lui, n’essaie pas
de rencontrer cette fille, ça pue l’imposture.
— Si justement, j’irai, et j’irai pour trois raisons. Premièrement, te rendre jaloux,
deuxièmement, impossible de me passer d’un coup pareil, troisièmement je veux découvrir
l’arnaque. Un problème cependant, faut que je récupère Joujou avant huit jours.
— En effet, Minou entre tes cuisses, pas sûr qu’elle appréciera.
— Surtout qu’elle veut un enfant de moi.

45

Durant toute la semaine, Kevin regarda une dizaine de fois par jour la photo de la déesse,
ses yeux d’un bleu intense, ses cheveux tellement longs, épais, roux Farmer, il admirait les
longues jambes bronzées. Une fausse rousse sûrement, tant mieux, il appréciait les filles qui
trichaient pour se montrer encore plus belles. Chaque matin, chaque soir de la semaine, il
relançait, tantôt le professeur Chapelier, tantôt Félix. Mais Joujou n’était toujours pas dispo, il
devait passer des examens complémentaires. Et le samedi arriva, l’heure du rendez-vous avec
Mégane approchait puisqu’ils devaient se rencontrer ce soir-là à vingt heures dans le village de
Gevrey-Chambertin.
Il se gara à vingt heures pile devant une maison bourgeoise, entre vignes et château. Il
siffla d’étonnement devant ce somptueux manoir en pierres de Bourgogne entrecoupées de
vieux bois chêne et châtaignier, à la toiture aux petites tuiles plates. Il jeta un œil sur la boite
aux lettres : Mr le chirurgien Dès Salas Cheers et Me Mégane Mac Ritchie, artiste de cabaret.
Dans quel putain de guêpier je me mets !
Il monta les larges et longues marches en marbre de Carrare bordées de chrysanthèmes
sombre et or. La baie vitrée glissa sur sa coulisse alors que Kevin cherchait une hypothétique
sonnette.
Mégane s’avança au-devant de lui, mille fois plus belle que sur la photo. Le déshabillé
d’une fausse opacité laissait deviner une silhouette svelte et gracieuse. Le sourire nature ne
ressemblait pas à la photo, celui-ci était vrai. Le déhanché aussi. Même si l’on imaginait une
voix douce sur l’image, le timbre angélique promena des frissons sur tout le corps de l’Appolon.
Deux seuls mots prononcés, et les frissons se transformèrent en tremblements :
— Bonjour Kevin.
Il avança sa main pour une poignée sympathique. Mégane tendit la joue. Il déposa un
baiser maladroit, bafouilla :
— Bonjour Mégane, vous… vous êtes charmante. C’est une… une agréable surprise pour
moi.
— Merci Kevin, entre et assieds-toi confortablement dans la méridienne.
Elle s’installa à ses côtés. Un parfum inconnu de lui dansa dans ses narines, effleura les
parois de l’œsophage, ondula sous le sein gauche, puis envahit son cœur. À cet instant, il sut
qu’il n’aurait pas le courage d’engager la conversation, il attendit. Elle se pencha sur la table
basse en verre rose, tira une cigarette fine d’un paquet inconnu. Elle présenta le paquet à Kevin.
— Non merci madame, il se racla la gorge, euh… Mégane.
Elle lui sourit, s’approcha encore de lui. Le déshabillé Lise Charmel effleurait la chemise
blanche de Kevin, mais aussi son jean ample. Elle posa une main sur la nuque du bel homme
timide, le pouce féminin effleurant la jugulaire, les autres doigts fourrageaient les boucles noires.
— Je te savais mignon, mais je ne te croyais pas aussi timide. Quel âge as-tu ?

114
— Trente-six-ans, bientôt trente-sept.
— Je savais, je voulais simplement vérifier si tu tricherais.
— Vous savez beaucoup de choses sur moi, comment…
— Chut ! Il faut me tutoyer. J’ai l’impression d’avoir à mes côtés un jeune écolier que je
dois dépuceler. Et pour répondre à ton interrogation, il est vrai que je connais très bien ton passé,
ainsi que ton passé sexuel, un passé sexuel plutôt, comment dire, plutôt rocambolesque.
Elle tira sur sa cigarette.
— Tu es bel homme, on ne m’a pas menti. Ce sera un véritable plaisir de faire l’amour
avec toi.
Elle laissa tomber les cendres de sa cigarette dans un ramequin de porcelaine.
— Qui êtes-vous, pardon, qui es-tu ? Est-ce bien votre… ton mari, ce monsieur pas super
bien habillé, avec une barbe et un chapeau de…
— Oui, c’est mon mari. Tu sauras tout sur notre couple, du pourquoi je veux un enfant de
toi, tu sauras absolument tout lorsque nous aurons couché ensemble, et couché encore et encore
jusqu’à ce que j’aie du retard dans mes règles.
Elle l’embrassa au coin des lèvres.
— Jusqu’à ce que je sache l’enfant en moi.
— Comment sauras-tu s’il est de moi ?
— Parce que je viens d’enlever mon stérilet aujourd’hui et qu’à partir de ce soir je ne
ferai l’amour qu’avec toi. Du reste tu as bien remarqué que mon mari n’était pas très, comment
dire, très classe. La domestique a préparé un petit encas. Nous allons accompagner ce simple
dîner d’une bouteille de champagne. Désolée, nous sommes pourtant en Bourgogne, mais le
champagne rend amoureux, parait-il. Tu peux prendre une douche, ensuite je te prêterai une
sortie de bain pour la soirée.
— Est-ce raisonnable si je te demande ton âge ? osa-t-il.
Elle pencha la tête, symbole d’une fille sexy qui implore le compliment.
Il retroussa sa lèvre inférieure.
— Vingt-cinq ans ? Vingt-six ?
— Maintenant, je sais que tu triches ?
— Trente ?
— Ce n’est pas raisonnable de demander son âge à une femme, surtout si l’on veut la
séduire, donc tu ne sauras pas.
— Je n’ai pas besoin de te séduire puisque tu es demandeuse.
— Tu es fier de te sentir supérieur, mais si je te cache les raisons de ma demande, c’est
justement pour devenir ton égale. Allez, va prendre une douche, mon bel amant, je t’attends.
Elle appuya ses lèvres sur les siennes, embrassa avec passion, mais cacha sa langue
comme elle cachait son secret.
Madame Mac Ritchie dégusta son verre de Champagne pendant que Kevin prenait sa
douche. Une collation s’étalait sur la table de l’immense salle à manger, mélange de pain
complet, foie gras, toasts de caviar, truitelles en gelée, croûtons aux terrines de sanglier, desserts.
Elle prit place en face d’une assiette de porcelaine de Limoges au cannage argenté. Lorsque
Kevin sortit de la douche, un peignoir Dior sur le dos, il s’assit à côté de la maîtresse. Elle
poussa son assiette sur la table entre Kevin et elle.
— Ce n’est pas par souci d’économie, mais à partir de cet instant, nous partageons tout :
repas, boissons, lit. Nous dînons donc dans la même assiette, nous buvons dans le même verre,
nous dormons dans le…
— Même lit. Et si je ne suis pas d’accord ?
— Tu ne serais pas venu me retrouver ce soir dans ma maison.
Malgré l’abondance ils dînèrent légèrement, entamèrent à peine la bouteille de
Champagne.

115
Mégane se leva, parée de son déshabillé opalin. Il suivit, habillé de sa sortie de bain
blanche. Elle s’approcha de la vaste cheminée, les mains en avant.
— Je frissonne, cher compagnon, pourrais-tu mettre deux bûches dans le foyer ?
Il s’exécuta, elle l’embrassa en caressant son dos, il laissa faire, juste le mouvement de
ses deux mains devant son bassin pour protéger Minou d’une éventuelle promenade baladeuse.
Mais madame Mac Ritchie montrait trop de classe, elle ne se le permettrait pas. Elle lui prit
simplement la main, l’entrainant à l’étage en grimpant un escalier au carrelage bleu marine du
meilleur goût. Elle ouvrit la porte ornée de diamants de chêne.
— Entre et installe-toi dans le fauteuil. Sur le guéridon, Georgette, la domestique, a
déposé Bourbon, Porto, Chartreuse, sers-toi. Pour moi, un demi-verre de Porto, merci. Je vais
me changer.
Elle poussa la porte de la salle de bain adjacente sans la refermer. Kevin se servit une
Chartreuse, s’installa dans un fauteuil Voltaire, écoutant le ruissellement de l’eau, imaginant les
caresses du jet de douche sur la peau de la déesse. Elle sortit de la salle de bain, s’avança vers
Kevin, parfum « Angel » dans son sillage et vêtue d’une seule nuisette violette qui tombait juste
sous le sexe. Elle s’assit sur les cuisses de Kevin, une main sur le bras du fauteuil, l’autre
derrière la nuque de l’homme intimidé.
— Angel, mon parfum préféré, violet, ma couleur favorite.
— Ne t’ai-je pas dit que je savais tout, ou presque, de ta vie ?
— Pas sûr, je risque de te surprendre au lit cette nuit.
— Même sur les aventures de ton sexe, j’en sais beaucoup. Il se déclipse, tu l’as ressoudé,
il est grand, il est gros, vigoureux, les femmes en général l’aiment bien, tout comme tes grands
yeux bleus, tes longs cils noirs, ta belle silhouette. Tu as beaucoup de charme. Je ne pouvais
pas rêver mieux lorsque je me suis permis de demander à mon mari de te rencontrer pour te
proposer de me faire un enfant.
— Je ne comprends vraiment pas à quel jeu tu joues.
Elle posa son index en travers de ses lèvres peinturées de rouge sang.
— Chut ! Ce n’est pas un jeu, c’est du sérieux.
Cause toujours, songeait Kevin, quand tu enfileras ta main dans ma culotte à dentelles, tu
apprendras peut-être à jouer les lesbiennes avec moi.
Tard dans la soirée, ils se glissèrent entre les draps blancs agrémentés d’une broderie
presque identique aux dentelles de la culotte.
Mégane mariait à merveille lenteur et tendresse. Les caresses se languissaient sur la peau
mâle et Kevin tressaillait lorsque les mains expertes de Mégane approchaient la culotte, mais
sans jamais la toucher. Dans cet instant, il connut un frisson, étrange mélange de crainte et
d’accomplissement. Il laissa faire, elle aimait faire. Il appréciait les doigts fins qui frôlaient son
épiderme, elle savourait la peau soyeuse qui cachait la chair, la même chair que celle de son
enfant à venir.
Dans son désir assouvi de femelle qui sait profiter de la longue attente qui précède l’acte,
elle soupira. Il soupira, frétilla, repoussa doucement les mains de sa compagne. Sous la lumière
douce aux couleurs changeantes, accompagnée d’une musique sensuelle, piano, violon et
saxophone, il glissa sa tête entre les cuisses de Mégane, fourragea la toison blonde et épaisse
de la vulve, approcha ses lèvres, la langue déjà prête et partant à l’assaut du bonbon. Mégane
souleva délicatement la tête de Kevin.
— Non, je ne veux pas de cela. Les plus beaux préliminaires sont les plus douces caresses
des mains. Je suis chaude et prête, et je crois que toi aussi, alors tu peux me prendre maintenant,
essaie de semer la graine de notre enfant dès cette nuit.
Kevin ne put s’empêcher de sourire en s’affalant sur le ventre de Vénus. Mégane fut
surprise par le caleçon du mâle si proche de son vagin et qui ne semblait ni raide, ni ferme, ni
gros, ni long. Elle voulut vérifier, essaya de glisser une main dans le caleçon, buta sur la dentelle

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de la culotte, crut soulever le drap du dessus, l’élastique s’étira et retomba dans un claquement
comique. Elle fronça les sourcils, recommença, aventura sa main sous la culotte, glissa ses
doigts dans la fente.
Un cri !
— Mais qu’est-ce que c’est ?
Un autre cri !
— Est-ce que je deviens folle ?
Kevin se mit à genou devant Mégane, retira sa culotte en se cabrant, sa chatte rasée gicla
devant le visage de sa compagne.
Le mâle diminué venait de vaincre la femelle conquérante.
— Je te présente Minou, chérie, car je suis une femme. Et toi qui croyais bien me
connaitre. Perdu !
Passé le moment de frayeur, Mégane se ressaisit. Elle se recula, les fesses sur l’oreiller,
le dos contre le merisier du lit.
— Je sais beaucoup de toi, je savais que tu avais un sexe qui se déclipsait, je savais que
l’on venait de le ressouder sur un sexe féminin que l’on t’avait fabriqué, que ce sexe féminin
était définitivement caché, mais j’avoue que je découvre aujourd’hui que tu es capable de
déclipser à nouveau ton pénis. Peux-tu m’expliquer ?
— Il n’y a rien à expliquer parce que je ne sais pas moi-même pourquoi il se déclipse. Du
coup, te faire un enfant, ce ne sera pas pour cette nuit.
— Pourquoi es-tu venu puisque tu n’avais pas ton pénis ?
— Pour te connaitre. Tu sais tout de moi, normal que je sache un peu sur toi. Alors, artiste
de cabaret, parait-il ? À Dijon ?
— À Paris et quelques tournées à l’étranger.
— Oh là ! Vedette internationale !
— On apprécie ma voix et ma chorégraphie.
— Et ton mari est chirurgien.
— Il épaule et conseille les plus grands professeurs internationaux. Dans quelques
semaines il rejoint l’Afrique du Sud pour superviser une formation de chirurgiens émérites. À
cette occasion je dois le rejoindre pour offrir un gala à tout ce beau monde. À condition, bien
sûr, que j’aie pu te libérer. Si l’enfant n’est toujours pas dans mon ventre, alors il faudra me
suivre là où j’irai.
— Je ne suis pas ton esclave.
— Tu seras un de mes fans privilégiés et tu me suivras en me suppliant.
Cause toujours, songeait Kevin, te baiser dans ce grand lit de merisier aux draps blancs
brodés tant que tu veux, même roulée comme tu l’es, j’ai d’autres chats à fouetter. J’aime encore
Manon, et si Justine revient à genoux, je l’aimerai aussi. Quant à Marie, c’est une garce, mais
elle baise à la perfection.
Ils s’endormirent enfin. Avant de fermer l’œil, il avait promis à Mégane de récupérer
prochainement Joujou, de revenir lui faire l’amour plusieurs fois par semaine puisque son mari
résidait à Paris ces temps-ci. Mais qu’à son réveil, tout à l’heure, il aimerait bien qu’elle s’amuse
avec Minou.
À l’aube, Mégane dormait profondément. Tant pis pour Minou. Il se leva, passa sa robe
de chambre, descendit jusqu’à la cuisine. La domestique, une grosse noire aux cheveux courts,
aux yeux sans teint, mais très ronds, s’affairait à dresser le couvert du petit-déjeuner.
— Bonjour madame, vous êtes matinale.
La Camerounaise sans âge répondit avec sa bouche aux lèvres épaisses qui s’écartaient
démesurément après chaque mot.
— C’est que madame a ses exigences. Tout doit ête pêt à son réveil. Avez-vous bien
dormi ?

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— Pas trop, peut-être parce que je ne suis pas habitué à tout ce luxe. Dites-moi, vous qui
êtes de la maison, à quoi ressemble son mari ?
— Madame m’a interdit paler de Monsieur à vous.
— Étonnant tout de même ce zozotement pour un grand orateur comme ce célèbre
chirurgien, non ?
La domestique montra des yeux encore plus ronds. Elle reprenait son souffle pour montrer
son étonnement, mais elle se ressaisit.
— Madame veut pas je cause de Monsieur à vous. Qu’est-ce que souhaitez-vous,
monsieur, café, thé ?
Il avala sa tasse de café, se goinfra de pains au chocolat frais, se leva.
— Vous direz à Madame que j’ai dû partir précipitamment. Où sont mes vêtements ?
— Dans la salle de bain de Monsieur, deuxième pote à doite.
Kevin s’habilla sans hâte, prit le temps d’ouvrir chaque porte de chaque meuble. Alors
déçu de ne rien dénicher d’intéressant et qu’il allait quitter la pièce, il remarqua un tiroir sous
la douche. À l’intérieur, chapeau fripé, lunettes double foyer, parka brune, brodequins hideux,
fausse barbe.

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Deux jours plus tard, Kevin récupérait enfin Joujou tout bien vérifié, prêt à fonctionner,
ne manquait que l’huile et le graissage. Il avait une totale confiance dans le sérieux de l’équipe
transgène de Lausanne, aussi courut-il au plus vite à Lons-le-Saunier dans le coquet petit
appartement de Justine. Son amoureuse lui avait envoyé un SMS la veille « Désolée de m’être
si mal comportée l’autre nuit à Lausanne. Comprends-moi, me cacher ton autre sexe, il y avait
de quoi me perturber. Mais tu me manques, chéri. Je suis toute la semaine à Lons, viens me voir,
je t’aime ».

Surpris par tant d’amour, empli de compassion, nu dans le lit de Justine, la jolie brune à
ses côtés, il entama des préliminaires par des caresses infinies, comme le lui avait appris
Mégane. Puis long jeu du roule-pelle. Après mille baisers de partout il se décida, position
levrette, à enfiler Joujou dans l’entrée du paradis. Après quelques coups de reins, le pincement
du vagin sur la peau du pénis remit de l’ordre dans le cerveau surexcité.
— Nom de Dieu, pas possible !
Il s’écroula sur le dos de l’amoureuse. Kevin jurait, la bouche sur la nuque de sa chérie,
Justine sanglotait, le nez sur le drap.
Pas question de rejoindre la clinique dijonnaise, il fallait, soit courir aux urgences de Lons
le saunier, soit retourner à Lausanne.
— Je préfère encore Lausanne, cela prendra plus de temps, mais il faut absolument
connaitre l’origine du problème.
À minuit il fallut une fois de plus appeler l’ami de toujours. Une heure du matin, Tristan
rejoignait Lons, trois heures du matin, le couple et le chauffeur arrivaient dans le sas des
urgences de l’hôpital de Lausanne.
Un brancardier se précipita au-devant d’eux. Tristan se proposa pour aider à sortir de la
voiture le couple enroulé dans un plaid mauve. Mais l’ami zélé, par des gestes désordonnés,
laissa choir le morceau de plaid qui cachait le corps de Justine. Il prit son temps pour rabattre
la laine sur le ventre de la jolie brune. Il ne put s’empêcher un clin d’œil vers Kevin qui zieutait
avec inquiétude la scène par-dessus l’épaule de sa chérie.

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Quelle chance il a, ce Don Juan ! imaginait Tristan. Il ne se tape que des beautés. Putain
quand je pense que je n’ai que ma femme Cloé, un glaçon à me taper, et cette grosse salope
d’Agathe qui braille tout au long de la baise. Il ferait bien de me prêter une de ses conquêtes, à
commencer par cette autre maitresse, cette déesse Mégane qui ne ressemble pas, mais alors pas
du tout à un gros camion Renault, mais plutôt à la Mégane RS aux pare-chocs gonflés et à son
cul de rêve où les feux arrière doivent clignoter tout rouge de partout.
Le temps du songe de Tristan, Kevin et sa protégée roulaient sur la table de travail. Pas
de professeur Chapelier, ni Félix, ni Giulia, juste un interne aimable qui fit son travail, le gant
en avant, le trou d’cul de Justine en arrière. Un léger bruit de ventouse et de siphon. Tout sortit
en même temps, le pénis du vagin et la tige d’acier de pénis de l’autre vagin.
L’interne, ne comprenant rien, demanda au couple de patienter en salle d’attente ou à la
cafétéria. Le professeur Chapelier serait là vers neuf heures. Plus de cinq heures à patienter sans
même pouvoir dormir.
Les trois amis s’installèrent chacun sur une banquette de la cafétéria déserte. Kevin avait
beaucoup de mal à s’endormir, ressassant ses problèmes anatomiques. Non seulement Joujou
se coinçait trop souvent, mais Joujou se désolidarisait de son propre vagin sans prévenir.
Comme Kevin avait gardé sa prothèse dans la main, celle-ci glissa sur le sol. Quelques
instants plus tard, alors qu’il somnolait, il sentit une caresse sur son visage. Les yeux de Giulia
se penchaient au-dessus de lui. Elle murmura à son oreille.
— Ne restez pas là, allez vous allonger sur le lit de l’alcôve mauve.
Elle l’accompagna jusqu’à la petite pièce réservée en son temps aux ébats solitaires de
Kevin lors de la convalescence de Joujou et occasionnellement à quelques donneurs de sperme
en manque d’imagination. Elle referma la porte derrière elle.
— Dormez jusqu’à l’arrivée du professeur Chapelier. Je reviendrai vous chercher
lorsqu’il sera là. Dès lors, votre amie vous remplacera, ce n’est pas très confortable pour elle
de dormir sur la banquette.
Alors qu’il s’allongeait sur le lit conçu pour une seule personne, Giulia vint poser une
fesse sur le matelas, poussant légèrement Kevin. Les yeux bleus de la jeune blonde caressaient
les yeux verts de son patient. Ils restèrent ainsi quelques minutes, les regards murmuraient des
choses plus vraies que des paroles. Après ce silence empli d’envies, Kevin se décida, attira la
tête de la jeune fille vers son visage. Ils s’embrassèrent avec douceur. Les lèvres se caressaient,
les langues s’effleuraient. Puis Giulia se recula.
— Ce n’est pas bien ce qu’on fait.
Elle se leva. Sur le pas de porte de la chambrette, elle se retourna.
— À propos, j’ai ramassé Joujou qui trainait sur le sol, il est rangé dans sa boite métallique.
— Merci Giulia, n’oublie pas de m’appeler.
— Ça joue.
Trois heures plus tard, Giulia revint dans l’alcôve, seule.
— Justine dit avoir assez dormi sur sa banquette, elle ne veut pas venir ici. Elle t’attend
dans le bureau du professeur.
Il sauta du lit, remercia Giulia, s’avança jusqu’à elle, la prit par la taille.
— Tu as réintégré ce service ? Je croyais que tu étais désormais au laboratoire d’études à
l’autre bout de l’hôpital.
— Lorsque je sais que tu es là, je m’empresse pour prendre de tes nouvelles.
— Jeune amoureuse, embrasse-moi encore.
Giulia enlaça le cou de Kevin, approcha ses lèvres. Le baiser fut long, agréable.
— File chez le professeur, Justine t’attend, jeune homme trop charmeur.
En guise d’au revoir, elle caressa sa joue puis s’enfuit dans le couloir. Le bas de sa blouse
blanche flottait dans son sillage.

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Après un long échange, le Professeur Chapelier acheva son analyse devant Kevin et
Justine.
— Je n’ai donc pas besoin de garder Joujou ici. Vous pouvez le reprendre et dès ce soir
Félix ira chez vous avec le smartcolle, il vous ressoudera votre sexe mâle. Je dois juste effectuer
un réglage sur l’application, quelques minutes suffiront.
— C’est ce que vous avez fait l’autre fois et pourtant, ça n’a pas fonctionné longtemps.
— Certes, mais aujourd’hui je connais le vrai problème. Si une personne se promène dans
la nature avec le même type de smartphone et qu’elle maitrise parfaitement l’application, un
simple clic suffit pour coincer Joujou à distance, et ce, dans n’importe quel vagin.
Kevin connaissait la coupable.

47

Accompagné de Joujou bien soudé à son vagin grâce aux compétences de Félix, Kevin
courut à l’hôtel « Aux grands ducs de Bourgogne » pour retrouver Marie. Elle le reçut au bar
situé au rez-de-chaussée.
Autour de leurs verres sans alcool, Kevin engagea le sérieux de la conversation.
— Lorsque je fais l’amour avec Justine, chaque fois, Joujou reste coincé dans son vagin.
N’y aurait-il pas un défaut dans la colle électronique ?
— Je ne crois pas, Andreou est sûr de son affaire. Justine n’aurait-elle pas de problèmes
gynécologiques ?
— Que vas-tu chercher, Marie, et l’autre fois lorsque Joujou s’est coincé dans mon propre
vagin. Et encore lorsqu’il resta collé au fond du vagin de Manon ?
— Parce que tu couches encore avec Manon.
— Je baise bien également avec toi. Est-ce interdit de baiser avec qui l’on veut lorsqu’on
se retrouve seul ? Et même si l’on est marié d’ailleurs. Y a-t-il une loi qui interdit formellement
l’adultère ?
— La loi civile en effet s’émancipe, il existe cependant une loi morale. L’infidélité et la
trahison ne sont pas vertueuses.
— Es-tu plus vertueuse que moi ? Parlons donc de Quentin, Andreou, moi-même et tous
ceux que j’oublie certainement. Moi, j’ai une petite excuse, certes elle vaut ce qu’elle vaut, mais
la crise de la quarantaine se précise. Quant à toi, à vingt ans, ça promet ? Et encore, si la morale
s’arrêtait au sexe, mais tu cumules, et l’avidité fait aussi partie de tes hautes vertus.
— Tu me surprends, Kevin, toi qui préfères la sensualité à la violence, pourquoi cette
brusquerie ? Que t’ai-je fait ? Tu ne m’aimes plus et tu veux rompre ?
— Non, au contraire, je veux te faire un enfant puisque tu me le demandes. Montons donc
chambre 23.
Marie, perplexe, se décida à prendre l’ascenseur. Le mâle autoritaire suivit. Rapidement
à poil, il arracha les vêtements de Marie, presque un viol tellement l’homme se voulait
souverain. La jeune fille se laissa balloter, trouvant une certaine volupté devant l’autorité du
mâle. Mais d’être trop dur avec cette jeune fille amoureuse, Joujou n’accepta pas ces gestes
contre nature de la part de son maître. Il fit la gueule en se recroquevillant au chaud entre les
cuisses de Kevin. Alors l’homme s’assagit, laissa glisser son corps sur le ventre fiévreux de
Marie. Ils s’embrassèrent, les langues s’enroulèrent et les chairs frémirent sous les caresses.
Joujou arrêta de bouder, envahit la vulve humide, s’engouffra au plus profond, s’amusa
longuement au jeu bien connu des amants, le jeu de la lime rose, celui qui n’a pas d’orgasme a
perdu, petit chelem lorsque les deux jouissent, grand chelem lorsqu’ils jouissent en même temps.

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Cet après-midi-là, Marie perdit la première manche. Les spermatozoïdes giclèrent néanmoins
jusqu’au fond du vagin.
Marie se leva pour se doucher. Kevin, allongé sur le dos, les mains croisées derrière la
nuque, songeait. Chaque fois qu’il faisait l’amour avec Marie, tout était parfait, pas de collage
malencontreux, elle semblait donc bien coupable. Il avait aussi la preuve qu’elle pouvait se
balader où elle voulait, quand elle voulait avec le smartcolle. Ne lui avait-elle pas proposé peu
de temps après la greffe, télécommande en main, de jouer avec leurs trois sexes ? Pourquoi
s’amusait-elle à coller Joujou aux vagins des autres femmes ? Marie jalouse ? Ce serait
l’hypothèse la plus plausible.
La longue silhouette blonde et nue s’avança vers le lit, se coucha sur le ventre de son
amant. Ils s’embrassèrent, et le vertige de l’amour emmena Kevin loin de son enquête. Soucieux
de satisfaire Marie par des préliminaires où les caresses seules savent emmener les femmes au
septième ciel, les mains de Kevin n’oublièrent aucun centimètre carré de la peau blanche de sa
maitresse. Joujou, au garde à vous depuis fort longtemps, reçut enfin l’autorisation de braquer
le fusil en direction du bastion de l’adversaire. Et Marie la sournoise demanda poliment la
position levrette, pourquoi pas.
Mais le soldat ne tirait-il pas dans une tranchée amie ? En effet, brusquement le fusil
s’enraya et Joujou fut prisonnier. Dans le corps à corps, Marie la loyale questionna le beau
légionnaire, la tête à l’envers :
— Fais-tu semblant ou sommes-nous vraiment collés ?
— Non de Dieu, nous sommes collés. Et moi qui te croyais coupable. Il s’écrasa sur le
dos de Marie, furieux de son erreur.
La jolie blonde essaya en vain de tourner la tête pour montrer son regard venimeux.
— Que veux-tu dire ? De quoi m’accuses-tu ?
Alors Kevin lui expliqua le verdict du professeur Chapelier, le bug volontaire d’un farceur,
ou plus sûrement d’une farceuse sur l’application du smartcolle pour coincer volontairement
Joujou.
— Et comme tu es une des rares personnes à te servir du smartcolle, je pensais que, par
jalousie, tu me jouais cette blague.
— Je suis amoureuse de toi, mais pas jalouse. Allez, embrasse-moi puisque je ne peux
pas, à moins que tu ne dévisses ma tête. Et téléphonons vite à Andreou. Il va se déplacer avec
son gant chirurgical jusqu’à notre hôtel. Un petit coup dans mon petit trou, et hop ! tout rentrera
dans l’ordre. Ensuite, tu pourras poursuivre ton enquête. Ce n’est pas avec un Joujou trop
souvent prisonnier que tu vas pouvoir me faire un enfant, n’est-ce pas ?

Kevin avait la ferme intention de poursuivre son enquête, d’autant que la coupable idéale
habitait quelques kilomètres plus loin. Le lendemain après-midi, Joujou libéré, Kevin s’informa
de la présence de Mégane à son domicile et se présenta à la porte de la luxueuse maison, sourire
aux lèvres pour cacher son irritation.
Mais l’amour en soirée apporta le même résultat. Mégane, furieuse, fit appeler un ami de
son mari, chirurgien également. Une heure plus tard, l’ami chirurgien entrait dans leur chambre
et décollait les deux amants sous le regard moqueur de la domestique qui zieutait par la porte
entrouverte.

48

La veillée de Noël se présentait sous les meilleurs hospices. Manon voulut tout organiser,
aidée de sa fille Lou. La salle à manger de la maison pouvait accueillir pas mal de monde, et il

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y eut pas mal de monde. Vers vingt heures, Manon et sa fille attendaient les invités, le petit
Liam piaffait d’impatience sous le sapin où ses petites mains chipaient une papillote suspendue
au bout d’une branche verte. Kevin, ses cadeaux cachés dans le coffre du Scénic, se présenta au
bras de sa chérie Justine. Suivirent quelques minutes plus tard, Modi et Paulin. Lou s’empressa
de les embrasser tous les deux sur la bouche.
— Asseyez-vous à table, on va boire l’apéritif ici, il n’y a pas assez de place au salon, dit
Manon.
Lou enjamba le banc de chêne, Paulin à sa gauche, Modi à sa droite. Kevin s’installa en
bout de table, le plus éloigné possible de sa belle-fille. Dans le virage de la table, Belinda qui
venait d’arriver s’installa à droite de Kevin. Justine côtoyait aussi Modi, son ex avec lequel elle
entretenait de très bonnes relations. La place à l’autre bout de table était réservée à Liam qui
continuait à piétiner sous le sapin. Manon, aux fourneaux, viendrait s’installer près de son fils.
La position des invités déséquilibrait la table, quatre d’un côté, deux de l’autre. Ridicule ! Alors
Kevin quitta sa place et vint s’installer à côté de Manon, ainsi il était assis entre sa femme et
Belinda. Petit problème, Lou, assise pile-poil en face de lui, lui jetait constamment des yeux de
vipère. À peine Kevin installé devant son verre de crémant que Lou s’empressa de rouler une
pelle à Modi puis une autre à son voisin de gauche, Paulin.
— Vois-tu, beau-père, je me suis offert deux mecs pour Noël. C’est mon cadeau puisque
je sais que tu ne m’offriras rien.
— Ça suffit, Lou, pas d’histoires en famille pour cette soirée festive. S’il vous plait,
respectez la trêve de Noël tous les deux. Mes invités sont venus pour profiter de la fête, pas
pour écouter des querelles de famille toute la soirée.
La réponse de Lou fut un baiser déposé sur les lèvres de chacun de ses deux amants.
Kevin écarta les mains, signe d’acceptation.
Durant le repas, Kevin, dont l’enquête piétinait depuis près d’un mois, fixa tout à coup
Lou dans les yeux. L’adolescente supporta son regard.
— Arrête de me regarder avec tes yeux mielleux. T’as aucune chance de me baiser, j’ai
deux mecs, ça me suffit.
Elle se leva de table pour débarrasser les couverts.
Kevin promenait son regard n’importe où, songeant à cette petite garce. L’an passé, Lou
n’avait pas hésité à voler son sexe déclipsé, puis elle avait sucé Joujou solitaire devant le regard
de ses potes hilares face à son entrejambe vierge. Cette fille malicieuse était donc capable de
compromettre n’importe quel chef de service de la clinique dijonnaise pour parvenir à ses fins,
emprunter le smartcolle et humilier encore et toujours son beau-père qu’elle exécrait. À vérifier.
L’heure du dessert approchait, l’heure des cadeaux aussi. Justine se leva de table la
première. Son petit paquet dans la main, elle s’approcha de Kevin et le lui tendit. C’était une
gourmette en argent, au dos, une inscription discrète : Justine et Kevin 15 avril 2018.
— C’est quoi cette date ?
— Tu me déçois, amour. Déjà que tu t’es empressé d’aller t’assoir entre Manon et Belinda
ce soir.
— La date de ton anniversaire ?
— Tu te fiches de moi, tu ne te rappelles ni de mon anniversaire ni du 15 avril 2018 ?
Elle rejoignit sa place, folle de rage. Kevin fouillait dans ses souvenirs.
Liam fut gâté. Il se confondit en remerciements auprès du père Noël, lequel avait bien
reçu sa lettre, la moto électrique Pit Bike l’attendait au pied du sapin. Devant l’enthousiasme
du petit garçon, Kevin et Manon se jetèrent un clin d’œil complice. Ce fut l’instant choisi par
Manon pour attirer son mari dans un coin de la cuisine. Elle referma discrètement la porte. Elle
s’approcha de Kevin :
— Ton cadeau de Noël est prêt. J’avoue qu’il ne m’a pas couté cher, mais je sais qu’il te
plaira.

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— C’est quoi ?
Manon frôla de sa bouche l’oreille de Kevin.
— Je te prête Belinda dès demain, jour de Noël, jusqu’au six janvier, jour de l’épiphanie.
Ce jour-là, nous tirerons la galette des Rois. Tu seras le roi et Belinda la reine. Du vingt-cinq
décembre au six janvier, c’est la période favorable pour que Belinda engendre un enfant.
— Merci Manon, c’est vrai que j’apprécie le cadeau. Donc si je comprends bien, dès
demain soir je peux tirer la reine, plaisanta-t-il.
Elle l’embrassa sur la joue et rejoignit le pied du sapin où tous les invités se bousculaient
entre les cadeaux. Seule Justine restait à l’écart, assise sur sa chaise, les yeux dans le vague.
Lorsque Kevin entra à son tour dans la salle à manger, il fit le tour de la table pour
rejoindre Justine. Il s’assit, repoussa un verre de crémant presque vide, bouscula une bougie
éteinte, écarta deux serviettes de papier froissées. Il posa le paquet enveloppé de papier brillant
et étoilé. Elle l’ouvrit : La Philosophie pour les nuls. Elle apprécia moyennement. D’une part,
financièrement son chéri ne s’était pas forcé, certes il savait tout de même qu’elle s’intéressait
à la philo, mais depuis le temps qu’il venait dans l’appartement mauve, il avait dû passer au
moins cent fois devant la bibliothèque où s’affichait à hauteur d’homme : La philosophie pour
les nuls. Justine remercia du bout des lèvres.
Ce devait être une nuit de Noël où Kevin pensait déposer le petit Jésus dans la crèche,
mais un roc ferma la grotte au pied de l’appartement. Justine ne laissa pas rentrer Kevin. Les
pneus du Scénic rejoignirent Champagnole en crissant sur la route enneigée. Le mélange
d’indifférence, d’insouciance et d’absurdité emmenait l’homme vers sa solitude dans cette nuit
glacée.
Chez lui, il s’enfonça dans le cuir blanc, retira la gourmette, ce bijou dont Justine avait si
délicatement entouré son poignet. Il vérifia la date.
— 15 avril 2018… 15 avril 2018. Il marmonna cette date entre ses dents des dizaines de
fois, puis :
— Le jour de notre premier baiser, c’était un jour de pluie.
Il se rappela alors avoir vécu son plus bel après-midi, un instant de bonheur, un éternel
frisson d’amour. Il sanglota longtemps, s’endormit dans le canapé, un mouchoir jetable dans la
main pour essuyer ses yeux rouges.
Comme la nuit porte conseil, il fallut peu de temps à Kevin pour se remettre de ses
émotions. Le lendemain matin, sorti de la douche, il s’empressa d’envoyer un SMS :
— Bonjour Belinda, il me tarde de venir admirer mon cadeau de Noël et, si possible, de
l’essayer.
— Comme convenu entre nous trois, je t’attends ce soir à Poligny vers 2O heures. Viens
diner.
— Entre nous trois ? Ne me dis pas que Manon tient la chandelle.
Pas de réponse.

Kevin entra dans le petit appartement de Belinda. Quelque peu gêné devant cette
lesbienne qui n’a peut-être jamais vu un sexe mâle, il s’abstint d’évoquer leur nuit d’amour à
venir. Belinda aussi, elle parla de tout et de rien durant le repas, un repas léger après les folies
de Noël.
— Manon doit-elle nous rejoindre ? demanda-t-il après une trop longue attente.
— Mais pourquoi veux-tu que Manon vienne ? Un enfant se fait à deux, non. Elle te
manque autant que ça ?
— Non, pas du tout. C’est parce que ton SMS parlait de nous trois.
— On était trois pour discuter de notre deal, mais nous ne sommes que les deux pour faire
un enfant. Et puis, s’il te plait, évite de parler de Manon, on dirait que tu l’aimes encore. Et je
suis terriblement jalouse, je ne partage pas.

123
— Excuse-moi, mais il semblerait bien que ce soir, tu partages un peu.
La jeune métisse se tortilla en souriant.
— Je ne veux pas d’amour ce soir, juste un enfant. Mes sentiments, je les réserve à Manon,
mon petit cul aussi.
— Pourtant ce soir, il le faudra bien.
— Non, ce n’est pas à mon petit cul qu’il faudra penser, mais à mon utérus.
— Tu n’aimes pas les hommes ?
— Je n’ai aucune attirance pour les hommes, j’aime les femmes, c’est ainsi, enfin, j’aime
une femme, Manon.
Et le soir, au lit, Belinda confirma les paroles du diner. Nue sous la couette, Kevin n’eut
pas le droit de la regarder lorsqu’elle quitta la douche pour monter dans le lit. Il fallut fermer la
lumière. Nul baiser, nulle caresse, tout juste si Kevin eut le droit de poser son ventre sur le sien.
Mais de sentir la peau féminine, de connaitre la plastique de cette jolie métisse, de humer son
parfum, de respirer le souffle chaud, il sentit bientôt Joujou l’accompagner vers le plaisir. En
fin connaisseur de la gent féminine, Joujou s’empressa de grimper vers les étoiles. Kevin, en
missionnaire de service, souleva les jambes de Belinda, passa ses mains sous les fesses de sa
partenaire pour profiter du petit cul pendant que son pote Joujou s’occupait du vagin. Belinda
fermait les yeux, imaginait une fée qui, de sa baguette un peu trop grosse, poussait la petite
graine au fond de l’utérus. La jolie métisse, les jambes en l’air, rêvait d’une prochaine famille.
Mais la graine resta dans son sac. Kevin paniqua sous la sensation bien connue désormais
d’un Joujou qui ne jouait plus.
L’habitude aidant, Kevin laissa retomber la pression puis éclata de rire.
— Nous sommes collés, Belinda. Désolé, toi qui n’apprécies pas la sexualité masculine,
faudra t’habituer à garder une queue entre les cuisses.
— Qu’est-ce qu’on fait maintenant ?
— On va descendre à pied, main dans la main, non, sexe dans le sexe jusqu’à la voiture
pour filer aux urgences. C’est moi qui conduis.
La plaisanterie ne fit pas sourire Belinda. D’ailleurs la blague fit un flop puisque le mâle
reconnut le doux bruit de ventouse agrémenté du flop d’un siphon. Kevin libéré repoussa ses
fesses en arrière, courut dans la nuit de la chambre pour cherche son jean à la salle de bain,
histoire de cacher Minou avant que Belinda éclaire la pièce. À son retour il se glissa dans le lit.
Belinda se cachait sous la couette. Il éclaira la pièce et tira une moitié de couverture sans se
poser de questions, juste voir l’état de Joujou au fond du vagin de la métisse. Mais plutôt que
d’examiner Joujou coincé entre les grosses lèvres, il resta scotché devant le corps nu de Belinda.
Mon Dieu que sa femme avait de la chance de se taper une aussi jolie gonzesse ! Tout semblait
parfait, les fesses, les seins, le visage, les yeux d’amande et de châtaigne. Autant donner de la
confiture à des cochons, pensait-il.
La chatte éblouissante de lumière, mais cachée par Joujou, la tringle métallique guettant
le plafond, Belinda, vu le caractère dramatique de son entrecuisse, ne remarqua pas le regard
indiscret du géniteur. Kevin approcha son visage du petit cul de la métisse, tira sur le sexe
réfractaire. Mais rien à faire, Joujou se confondait à la glue du vagin. Pour le coup, Kevin put
conduire le Scénic. Il emmena Belinda aux urgences de Lons.
Tard dans la nuit, Kevin déposa Belinda à Poligny, rejoignit Champagnole, Joujou assis
côté passager.
Dès le lendemain Kévin retournerait pour la énième fois retrouver, soit le professeur
Chapelier, soit Félix. La dépression le guettait. Kevin sans un sexe exploitable, c’est un Kevin
mort. Tant qu’à faire, pensait-il, autant profiter de Minou. Sa chatte semblait docile et bien
accrochée.

124
49

— Allo ! ici Kevin Rumber, je voudrais parler au professeur Chapelier.


— Le Professeur est en vacances. Je peux toutefois essayer de joindre son adjoint.
— Oui, son adjoint Félix, c’est parfait.
Après une longue attente :
— Félix, il faut que tu me reçoives d’urgence. J’en ai marre de toutes ces conneries.
Joujou se coince sans arrêt, de plus, Joujou se détache de Minou trop souvent. J’en ai marre je
te dis, marre, marre, marre !
— Descends, j’annule mes rendez-vous, je m’occupe de toi.
Deux heures plus tard, Kevin commençait des examens complets exigés par son ami Félix.
Il passa la journée entière entre table de gynécologie, tunnel de scanneur, IRM. Son compagnon
Joujou connaissait le même parcours, rien ne fut négligé de la part de Félix.
En soirée, le visage sombre, l’adjoint du professeur Chapelier, s’installa à son bureau, son
ami Kévin face à lui.
— J’aurai les résultats complets demain dans la journée. Tu peux rentrer chez toi, mais
sans Joujou. Je le garde pour vérifier la relation entre l’application du smartcolle et ton sexe
mâle. Reste disponible, il est possible que l’on te rappelle dès demain.
— Tu as du nouveau, mais tu ne veux rien me dire, n’est-ce pas ?
— Ne t’inquiète pas, Kevin, tout finira par s’arranger. Bon retour à Champagnole et
repose-toi.
Félix raccompagna son ami jusqu’à la voiture. Il suivit le Scénic jusqu’à ce qu’il
s’évanouisse dans la nuit de l’hiver. Pauvre Kevin, songea-t-il. Il faut que j’appelle le professeur
Chapelier de toute urgence, mais aussi cet énergumène de la clinique Félix Kir.

Kevin, heureux quelque part de rentrer à Champagnole avec Minou, savait Joujou entre
de bonnes mains. Giulia s’était empressée de reprendre Joujou pour l’emmener dans sa boite
métallique. Ainsi, elle gardait auprès d’elle un tout petit morceau de ce trop bel homme. Ils
avaient déjeuné ensemble à la cafétéria, puis ils s’étaient permis une petite sieste dans l’alcôve
mauve. Pas de sieste crapuleuse, non, juste des cheveux blonds noyés sur l’épaule de Kevin, la
tête de ce dernier penchée vers le visage féminin. Ils étaient restés assis l’un et l’autre sur le
bord du lit sans dire un mot. Kevin s’était rappelé en souriant la dernière remarque de son pote
Tristan qui avait décidé de l’appeler Kevinette lorsqu’il n’aurait pas son Joujou accroché.
— Lorsque toute ma sexualité sera rentrée dans l’ordre, avait-il dit à sa nouvelle chérie,
on fera l’amour dans cette belle alcôve où j’ai appris à t’aimer.
— Chut ! avait répondu Giulia, on ne sait pas ce que l’avenir nous réserve. C’est vrai que
tu me plais, mais qu’en penserait Justine, et même Manon ?
Ils s’étaient quittés sur cette sincère interrogation et depuis, les pensées de Kevin ne
cessaient de naviguer entre amours vraies et amours de pacotille. Est-ce que je tombe amoureux
trop facilement ? Saurai-je vraiment aimer un jour la vraie personne ?
Il gara la voiture, entra dans son appartement, grignota un morceau de pizza, zappa devant
la télé, se glissa sous la couette, le cerveau en vrille, le cœur malade. Malgré tout, une partie de
son anatomie fonctionnait bien. Il rabattit la couette. Couché sur le dos, il écarta et replia ses
jambes. Les deux grands doigts de la main droite s’aventurèrent vers l’entrée du vagin,
cherchèrent le clitoris. Une douce chaleur inonda lentement le bas-ventre de Kevinette. L’amour
solitaire féminin lui sembla aussi agréable que la masturbation masculine. Mieux peut-être. Pas
de légères sensations honteuses à manipuler un monstre de débauche sorti de son corps, mais
plutôt le contraire, caresser un intérieur relié à son cœur. Et le tout petit organe qui rougissait

125
en sortant timidement de sa cachette semblait se tendre pour appeler l’amour, l’attirer auprès de
lui pour que deux êtres unissent leur chair, mais aussi leur cœur. Ce soir, pas de partenaire, juste
lui et lui ou plus exactement elle et elle. Elle s’aima jusqu’à la jouissance, aux orgasmes
inconnus, presque identiques, mieux peut-être. Minou entre ses cuisses, le cœur de Kevinette
pleurait de honte, les sentiments enfouis au plus profond de l’immoralité.
Kevinette finit par s’endormir, elle fut réveillée par la sonnerie de son portable.
— Salut Kevin, c’est Félix. Je descends à Lausanne dans une heure. Je t’emmène. On
rencontrera le professeur Chapelier, y a du nouveau.
— Je croyais le professeur en vacances pendant les fêtes ?
— Oui, il était à Avoriaz, il revient spécialement aujourd’hui pour discuter de ton cas.
— Que se passe-t-il ? Est-ce grave ?
— Oui et non, je t’expliquerai dans la voiture.
Mais dans le 4X4 qui les emmenait à l’hôpital, le chirurgien adjoint ne dévoila pas grand-
chose, simplement que le professeur Chapelier revenait pour une réunion en visioconférence
avec la clinique dijonnaise afin d’évoquer le problème de Joujou mal attaché et trop collant. Il
était aussi question de mieux comprendre l’opération de la greffe féminine de l’automne sur le
corps de Kevin.
— Mais pourquoi suis-je obligé de participer à cette visioconférence ?
— Il s’agit de tes sexes, non ?
Kevin entrait tout juste dans le bureau de monsieur Chapelier que le professeur lança sans
ménagement :
— Monsieur Rumber, vous êtes enceinte.

50

— Ouh, ouh ! Kevin, c’est moi.


Deux yeux fermés et un visage blafard marquaient la souffrance dans le repos. Kevin,
évanoui sur sa chaise, ne s’éveilla même pas au doux son de la voix de Giulia. Il fallut à Félix
l’énergie de l’amitié pour réveiller son ami : une paire de claques, un demi-verre de cognac
entre les lèvres. Et Kevin balbutia :
— Dans… dans mon ventre… non !
Suivit un long cri de désespoir.
Giulia resta présente dans le bureau du professeur, car elle devait participer à la
visioconférence qui devait débuter dès que Kevinette aurait retrouvé ses esprits. Après plusieurs
minutes d’un silence pesant, Kevinette se redressa sur sa chaise, ses deux mains posées
machinalement sur son ventre. Le professeur entama la conversation, l’écran de téléconférence
encore éteint.
— Excusez-moi d’avoir été un peu trop brutal, Kevin. Tous les examens pratiqués hier
par Félix confirment en effet votre état de femme enceinte. On ne vous l’apprend que ce matin,
car Félix attendait des explications de la clinique dijonnaise. Malheureusement personne n’a pu
nous apporter d’explications claires, monsieur Damassène étant absent, d’où l’objet de la
visioconférence. Avant de poser nos questions au professeur de la clinique, nous aimerions
quelques éclaircissements de votre part. Vous avez probablement fait l’amour autour du
20 septembre, n’est-ce pas ?
Le visage blanc vira au rouge. Kevinette baissa la tête, n’osant affronter le regard du
chirurgien.
— Oui, peut-être, je ne me souviens plus.

126
— Pour être plus précis, vous avez fait l’amour avec votre sexe féminin. Vous étiez
certainement en train d’innover des postures amoureuses inconnues de vous jusqu’alors. Ne me
dites pas que l’on peut oublier ce genre d’aventure. C’est comme un premier baiser, ça ne
s’oublie pas.
— Si, justement, ça peut s’oublier, chuchota Kevinette.
— Parlez plus fort, je ne vous entends pas.
— Oui, euh, j’ai fait l’amour avec un homme, ça peut être dans ces temps-là.
— Bien ! On progresse. Le bébé dans votre ventre ne viendrait donc pas de l’opération
du Saint-Esprit.
— Tu ne rates pas une occasion de faire l’andouille, Kevin.
Félix avait parlé durement à son ami. Faut dire que les débauches de Kevin
s’amoncelaient, et Félix à la morale prégnante supportait mal les écarts de son ami. Manon si
douce, ensuite Justine si gentille, ne pas savoir aimer l’une de ces deux jolies filles. Kevin, un
imbécile qui cherchait constamment une herbe plus verte ailleurs alors que l’or coulait dans le
lit conjugal.
— Tu es enceinte de quatorze semaines environ, ajouta son ami d’un ton plus conciliant,
mais le fait d’avoir fauté avec un garçon n’est pas là le plus grave. L’opération transgénique du
professeur Damassène devait consister à prendre des tissus sur ton corps et sur celui de Joujou
pour te fabriquer un sexe femelle, lequel devait être caché définitivement par Joujou soudé
grâce au smartcolle. C’était le contrat signé entre notre hôpital et la clinique. Damassène,
j’insiste, Damassène et non pas professeur Damassène, cet honneur doit lui être retiré,
Damassène est un fieffé coquin, menteur et sournois. L’opération a duré près de neuf heures. À
l’époque nous nous en étions étonnés auprès de ce coquin. Il nous avait rétorqué par des
boniments. Aujourd’hui, nous comprenons qu’il a profité de cette greffe pour te fabriquer un
utérus et toutes les fonctions associées qui permettent d’engendrer la vie. Il a voulu créer un
véritable homme-femme. L’apprenti sorcier a réussi.
— Monsieur Damassène est en ligne et visible sur l’écran, intervint le professeur
Chapelier. Vous souhaitiez poser une première question, Félix ?
Félix se tourna vers l’écran.
— Vous venez d’apprendre l’état de Kevin, qu’avez-vous à répondre à cet outrage fait à
notre patient, mais aussi à notre service ? Deuxième question plus pertinente, comment pensez-
vous réparer la blessure indigne qu’a subie notre patient ?
— Merci pour vos questions, monsieur Bullier. Je répondrai à la deuxième en priorité, car
la réponse est rapide. Attendre un bébé n’est pas une blessure, mais un bonheur. En ce qui
concerne votre première question, comme vous l’avez très certainement deviné, la longue
intervention de cet automne a permis la fabrication de l’utérus, du col, des trompes, des ovaires,
des ligaments. Notre contrat ne stipulait pas de quelle manière devait se dérouler l’intervention.
Nous avons mentionné l’opération transgène sans entrer dans les détails de la transformation
d’un sexe mâle en sexe femelle. Dans les négociations du contrat, votre équipe médicale s’est
bien plus attardée à vérifier le bon fonctionnement de notre smartcolle dont vous avez racheté
la licence.
Kevinette, tout à fait réveillée, bondit sur sa chaise, s’approcha de l’écran, son poing en
avant.
— Mais je vais vous refoutre une brassée de poings sur votre sale gueule de Grec, je vais
ravager le reste de votre râtelier, découdre vos arcades sourcilières pour qu’elles pendent
jusqu’au menton. Déjà que vous êtes moche comme un camion rouillé, vous n’aurez plus qu’à
vous suicider, espèce de cocu. Oui, cocu, mille fois cocu.
— Calmez-vous, répondit Damassène derrière l’écran, ce n’est pas bon pour le bébé.

127
— Putain, mais il me cherche ce putain d’enculé. Je vais de ce pas te retrouver dans ton
gourbi avec le fusil de chasse de mon beau-frère, t’as intérêt à te planquer, un nain comme toi
ça ne doit pas être trop difficile à cacher sous un tas de merde.
— Calme-toi, Kevin, ça ne sert à rien, intervint Félix en retenant le poing qui partait
s’empaler sur l’écran. Nous allons procéder plus intelligemment. On va porter plainte devant la
justice, déposer un dossier vers le conseil d’éthique. Par ailleurs on va procéder à ton avortement.
— Surtout pas, s’exclama Damassène au travers de l’écran. Risque d’hémorragie mortelle
si vous intervenez. L’utérus semi-artificiel a été étudié pour empêcher l’avortement.
— Mensonges ! Encore des mensonges !
— Essayez et vous aurez la mort de Kevin sur la conscience.
Kevinette sauta d’un bond sur l’écran, le fracassa par un violent coup de poing suivi d’un
coup de pied digne d’un équilibriste professionnel, puis elle quitta précipitamment le bureau du
professeur.
— Suivez-le, Giulia, essayez de le ramener à la raison, dit Félix.
Le professeur Chapelier, ébranlé par la violente séquence, se lamenta.
— Plus de visioconférence, et nous avions encore tant d’autres questions à poser à ce…
ce tricheur.
Il décrocha le téléphone.
— Allo ! ici le professeur Chapelier, passez-moi Andreou Damassène.
Quelques minutes plus tard.
— J’écoute. D’autres questions ?
— Mis à part le cas douloureux du bébé à venir, et nous en reparlerons, où en êtes-vous
avec l’application du smartcolle ? Avez-vous vérifié de votre côté ? Nous avons la certitude
qu’un ou une détraquée se sert de votre smartcolle pour empoisonner la vie de Kevin. Il n’a
d’ailleurs pas besoin de cela en ce moment.
— Je pense comme vous. Il y a un hacker, c’est sûr. Nous trouverons prochainement
l’antidote.
— Inutile, nous l’avons trouvé. Plus de soucis de ce côté-là pour Kevin.
— Pourquoi me demandez-vous donc où j’en suis avec l’application du smartcolle ?
Félix répondit à la place du professeur Chapelier.
— Pour vous piéger, Damassène.
— Appelez-moi professeur, s’il vous plait.
— Vous rigolez ! un professeur comme vous j’en ponds un tous les matins.
— Surveillez donc plutôt le bébé que Kevin va pondre au mois d’aout.
— Pour en revenir au piège, reprit le professeur Chapelier, le contrat stipule, puisque nous
sommes détenteurs de la licence, que vous deviez ranger le smartcolle dans un coffre-fort et ne
plus l’utiliser sans notre autorisation. Nous devions le récupérer dès que les suites de l’opération
s’avèreraient concluantes. Nous savons aujourd’hui que la tige de Joujou se connecte
parfaitement au vagin et que le smartcolle est donc une réussite. Vous n’avez pas l’autorisation
de toucher à ce smartcolle, il faut donc nous le rendre immédiatement.
— Vous oubliez un détail, cher professeur. Vous deviez le récupérer après la confirmation
de la réussite parfaite de l’opération. Or, des bugs interviennent toujours sur l’application.
— Ces bugs sont le fruit de hackers rien à voir avec la réussite du smartcolle, d’ailleurs
tout à votre honneur. J’ai le droit de penser d’où peuvent venir les manipulations frauduleuses,
si vous voyez ce que je veux dire, monsieur Damassène.
— Je suis beau joueur, professeur. Dès demain je vous fais parvenir le smartcolle en notre
possession. Au revoir.

Damassène, assis derrière son bureau à la clinique dijonnaise, se tourna vers Marie.

128
— Nous avons fait la moitié du chemin, il faut te dépêcher de te faire faire un enfant par
ce naïf. Dès lors, j’aurai réalisé mon rêve : l’homme-femme parfait. J’aurai créé à partir d’un
même corps humain le mâle fécond et la femelle fertile. Et toi, Marie, tu recevras alors la somme
promise.
— Mais maintenant que Kevin est enceinte, n’est-il pas risqué qu’il me fasse l’amour ?
Peut-il rester viril et reproduire ?
— Bien entendu. Une femme enceinte peut bien faire l’amour, n’est-ce pas.
Marie tira le fauteuil en arrière et s’assit sur Andreou, passant ses jambes sur le rebord du
siège. Elle entoura de ses bras fins le cou du chirurgien.
— Tu es mon petit génie chéri, Andreou. Depuis bientôt un mois que Kevin me baise,
j’attends avec impatience mon prochain cycle. Il est possible d’ailleurs que je sois déjà en
cloque.
— Je l’espère pour toi, car notre chanteuse d’opérette et danseuse de balai-brosse pourrait
bien te griller la priorité. Ce serait dommage de devoir partager le magot avec elle.
Elle embrassa Andreou dans le cou.
— J’ai comme l’idée que la belle rousse ne se fait pas baiser si souvent que cela.
Andreou surexcité par le baiser et Marie prête à récompenser chaudement le génie, ils se
levèrent du fauteuil, enlacés. Elle tomba sur le bureau, le dos contre le merisier, les jambes en
l’air, poussées par deux bras malingres, mais vigoureux. Culotte et slip baissés jusqu’aux
chevilles, ils niquèrent sans amour, sans tendresse, juste quelques minutes de désir malsain.

Giulia avait pu retenir Kevinette qui courait dans les couloirs de l’hôpital. Elle voulut
l’emmener à la cafétéria pour discuter, la calmer, trouver les bons mots. Kevinette préféra
l’alcôve mauve, cette chambrette si jolie, faite à son goût. À l’époque, il fallait que Joujou,
convalescent, retrouve sa virilité. Ce fut là, sous les lumières violettes et la musique sensuelle,
que Manon réussit à faire grimper Joujou jusqu’à l’orgasme. Giulia se souvint que ce jour-là
elle participait de manière indirecte, car elle était autorisée à jouer la voyeuse pour aider à
l’excitation du mâle en détresse.
Assise sur la couverture lilas du petit lit, Giulia embrassa Kevinette assise à ses côtés,
puis elle chercha ses mots.
— Le professeur Chapelier trouvera une solution, c’est un des meilleurs chirurgiens au
monde.
Kevinette prit la main de l’infirmière, posa sa tête sur une épaule et sanglota.
Giulia caressa les cheveux sombres et broussailleux.
— Pleure, ça fait du bien, pleure sur mon sein. Tu es un homme, un vrai, on te sauvera.
Un long moment plus tard, Kevinette souleva sa tête, renifla.
— Le pire, c’est que je ne sais pas qui est le père.
Giulia, surprise par la remarque cocasse, hésita à sourire.
— Aurais-tu connu plusieurs aventures avec ton côté féminin ?
Kevinette ne répondit pas tout de suite. Elle s’étendit sur le lit.
— Allonge-toi près de moi, Giulia. Je sais, il n’y a pas beaucoup de place, mais on va se
serrer, j’ai besoin de te tenir dans mes bras, j’ai besoin de toi, je suis si mal.
Elle retira sa blouse d’infirmière qui la gênait, ses chaussures tombèrent au sol. En
chemise blanche et jupe beige, elle s’allongea à ses côtés. Ils s’embrassèrent longuement.
— Je me sens honteux, mais c’était une idiote partie à trois. Nous avions trop bu, surtout
Modi. Il n’est pas homo pour un sou, mais il s’est néanmoins laissé tenter puisque j’avais, cette
nuit-là, Minou à la place de Joujou. Paulin, lui, il s’en fichait, il m’a pris dans tous les sens, il
aime tout.
— Donc le père serait soit Modi, soit Paulin. Et vas-tu leur en parler ?

129
— Je sais pas.
— Et Manon ? Et Justine ?
— Justine non, pas tout de suite, de toute façon elle me fait la gueule, elle a d’ailleurs
raison. Manon, peut-être. Pour l’instant je suis paumé, incapable de réfléchir, de prendre les
bonnes décisions.
— C’est normal, le choc est terrible. Tu veux des câlins ?
— Non, Giulia. Tu es une fille adorable, charmante, mais j’ai juste envie de rester là,
comme ça, près de toi. Je suis fatigué, épuisé par tout ce qui m’arrive.
— Alors, dors. Je reste vers toi, j’ai l’autorisation de mon patron pour te consoler. Je vais
l’appeler pour lui dire que je passe la nuit vers toi pour te surveiller et t’aider, il sera d’accord.
Il fut d’accord.
Le lendemain Kevinette ne voulut rien manger. Il était convenu que Giulia retournerait à
son travail, qu’elle reviendrait de temps en temps pour voir sa patiente dans la chambrette
mauve et qu’elle serait là à vingt heures pour passer une nouvelle nuit à ses côtés. Kevinette
promit d’être sage, de se reposer tout l’après-midi dans le lit de l’alcôve. Elle fut incapable de
dormir, se remémorant ces trois derniers mois. Pas de sang entre les cuisses depuis longtemps,
et ce qu’il avait pris pour des règles peu de temps après la greffe… mais… mais, à l’époque, ce
fieffé menteur de Grec… ben oui, contrairement à ce qu’il disait, c’était bien les règles. Ah !
que Damassène devait être heureux ce jour-là de savoir que son intervention si longue avait
parfaitement réussi ! Et puis ces vomissements du mois d’octobre, Kevin s’était dit qu’il
s’agissait des restes d’une cuite, d’un mauvais repas. Et encore ces envies de fraises et d’abricots
en plein automne où les prix de ces fruits devenaient exorbitants, oui, pas de doute, il attendait
bien un bébé. Allongée sur le lit, les mains croisées derrière la nuque, Kevinette esquissa un
sourire. Quelle ironie du sort ! Quatre femmes attendaient de lui un enfant avec impatience et
c’était Kevin, le mâle viril, qui allait mettre au monde un bébé. Il se renfrogna aussitôt. Non,
pas question d’accepter cette grossesse infernale, encore moins cet enfant issu d’une partouse
entre clowns.
Dans la soirée, Giulia se glissa sous la couverture. Elle alluma le téléviseur pour distraire
son ami, mais elle éteignit très vite, Kevinette n’étant pas intéressée. Elle préféra se blottir
contre les seins de l’infirmière. Ils n’avaient même pas pris la peine de se dévêtir, seules les
chaussures trainaient sur le sol. Kevinette avait très envie de faire l’amour avec cette jolie jeune
fille, Giulia rêvait du corps de ce compagnon couché trop près d’elle, mais il manquait le
morceau essentiel. Blottie contre elle, Kevinette murmurait des plaintes incompréhensibles,
parfois des aboiements injurieux. Giulia lui répondait toujours de sa voix douce et bienveillante.
Parfois elle questionnait.
— Tu souhaites vraiment avorter ?
— Oui, bien sûr, et toi, tu ne serais pas d’accord ?
— Oh si ! bien entendu que je le souhaite. Un beau garçon comme toi, ce serait dommage
de te déformer.
Kevinette n’avait même pas songé à ça. Elle craqua, pleura sur la poitrine de Giulia. Cette
dernière caressa la tête secouée de spasmes.
— Le professeur Chapelier trouvera une solution. Oui, je t’assure qu’il trouvera une
solution. En attendant, à ta place j’éviterais de faire l’amour. Laisse donc Joujou ici. Il chargera
sur son socle électrique en attendant que l’on répare définitivement ton corps. Le professeur
Chapelier a trouvé la parade au défaut de l’application du smartcolle. Dès que tu auras avorté,
tout rentrera définitivement dans l’ordre.
Ils s’endormirent dans les bras l’un de l’autre.

Le lendemain matin, Félix remontait Kevinette à Champagnole dans son 4X4. Dans la
montée du col de la Givrine, malgré les incessants virages en épingle, Félix se pencha vers le

130
vide-poche, posa la boite métallique sur les genoux de la passagère. Kevinette souleva le
couvercle : Joujou !
— Arrivé chez toi, faudra le remettre entre tes cuisses. J’ai le smartcolle de l’hôpital avec
moi. On va ressouder ton membre en un clic. Après, tu pourras faire l’amour avec Manon ou
Justine. Nous voulons juste vérifier, mais normalement vous ne risquez plus de vous coller.
Profite, mon vieux, tu as quinze jours pour faire l’amour, après je reprends Joujou. Puis on
s’occupera de Minou et de toute sa suite.

51

Au réveil Kevin fila jusqu’à Gevrey-Chambertin où l’attendait Mégane. Fier d’avoir


retrouvé un Joujou restauré, il avait prévenu la jolie rousse. Il fallait faire l’amour avec elle afin
de poursuivre son enquête. Il devait connaitre la salope qui s’était servie du smartcolle avec de
mauvaises intentions. Il soupçonnait Mégane, cette femme autoritaire. Certes leurs sexes étaient
restés collés lors de leur première relation sexuelle, mais il savait la rousse capable de
sournoiserie. Et puis Mégane n’avait-elle pas exigé de lui, dès le sexe mâle restauré, de revenir
au plus vite pour lui faire cet enfant sinon il risquait de lourdes représailles aux conséquences
irréversibles ? Enfin un mari chirurgien, et chirurgien de renommée mondiale, toutes ces
coïncidences n’étaient pas le fruit du hasard.
Il grimpa les escaliers de marbre, s’installa dans la méridienne à côté de Mégane en
nuisette, une bouteille de champagne trônait sur la table basse. Elle l’invita dans son lit. Il suivit,
son verre de pétillant dans la main. Étourdi et maladroit, comme d’hab, il buta le pied du grand
lit. Le champagne gicla sur la couette.
— Pas grave, dit-il, ça porte-bonheur, ça veut dire que ton bébé sera engendré aujourd’hui.
Debout tous deux au pied du lit, elle l’enlaça, le déshabilla, le jeta sur la couette. Le cul
trempa dans le champagne. Kevin, pas vraiment tendre pour lui faire l’amour, la prit bien vite
par derrière, histoire de peloter des seins dodus pendant que Joujou se régalait au fond du trou.
Bien avant l’éjaculation, Kevin reconnut le doux bruit d’une ventouse, le flop d’un siphon.
Joujou glissa sur les bulles plates. Des deux partenaires, aucun ne voulut gouter de boudin blanc
au champagne. Découragé par ce nouveau naufrage, Kevin se leva aussitôt, replia Joujou
démonté dans son slip et se sauva jusqu’au salon. Il s’installa dans la méridienne. Il voulait
ruminer seul, essayer de comprendre.
La domestique black poussa son épaule avec son gros ventre.
— Vous semblez tiste, monsieur a-t-il besoin aide ?
— Non… euh si. S’il vous plait, parlez-moi de votre patron.
— J’ai pas le doit de paler du paton, mais vous paaissez si malheueux. Paton aime
beaucoup madame et madame aussi aime beaucoup. Il ente chaque soi à la maison. Toujou
habillé impeccable, chemise blanche, pantalon flanelle, souliers venis.
— Ah ! Il rentre tous les soirs, je croyais qu’il partait souvent à l’étranger.
— Monsieur ente tous les sois à la maison, ou pesque. Je ne cois pas, il va à l’étanger.
La jolie rousse, recoiffée, mais le visage défait, entra dans le salon.
— N’avez-vous rien d’autre à faire que de discuter avec mon ami ?
La soubrette se retira après une rapide révérence.
— Que vous racontait cette vieille effrontée ?
— Oh ! des banalités.
— Il m’a semblé qu’elle parlait de mon mari.
— En effet, et je découvre certains mensonges de votre part.

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— À propos de mensonge, Monsieur le chirurgien Dès Salas Cheers n’est pas mon mari.
En sortant de la maison, il voulut vérifier les noms des propriétaires mentionnés sur la
boite aux lettres. Ils avaient disparu.
Kevinette rentra à la maison, Joujou dans la main. Elle appela Félix à Lausanne, mais le
chirurgien était chez lui à Equevillon, et ce jour-là le smartcolle avait rejoint le coffre-fort de
l’hôpital. Félix répondit à son appel téléphonique depuis sa maison.
— Nous progressons, il semblerait que Joujou ne se colle plus au sexe de ta partenaire.
Nous avons donc résolu ce problème. En ce qui concerne Joujou qui se décroche de ton propre
vagin lorsque tu fais l’amour, il s’agit sûrement du même genre de problème. Je crains qu’une
personne mal intentionnée, voire la même personne, ait trouvé cette alternative pour t’empêcher
de faire l’amour avec une autre femme. Garde Joujou avec toi. Le professeur Chapelier et moi-
même, nous devrions résoudre rapidement ce second problème. Avec ta coopération nous
ressouderons ton sexe à distance. Et Manon, qu’en pense-t-elle ?
— Je n’étais pas avec Manon.
— Alors qu’en pense Justine ?
Silence dans l’appareil.
— Non, ne me dis pas…
— Tu ne la connais pas. C’est une fille qui veut un enfant de moi.
— Tu me déçois, Kevin, parfois je me demande pourquoi je me décarcasse pour te soigner,
tu sembles indécrottable.
L’indécrottable descendit le surlendemain à Poligny, Joujou fixé à son bas-ventre pour
apporter le cadeau de fin d’année à la chérie de sa femme. Kevin devait faire un enfant à Belinda.
Mais la belle métisse écopa de la même punition. Ce n’était pas que Kevin y mettait de la
mauvaise volonté, mais ce sacré Joujou continuait de se décrocher après quelques va-et-vient
de lime rose. Et pourtant, la veille, Félix avait soudé à distance via le smartcolle le sexe mâle.
Il avait garanti la réparation de l’application. Le service transgène de l’hôpital de Lausanne était
soi-disant parvenu à contrer toutes nouvelles attaques de hackers, la sécurité de l’application
semblait garantie. Aussi nuls que les toubibs de Dijon, ces sacrés Suisses !
Kevinette, désespérée, appela son ami médecin. En fin de conversation, elle écouta la
conclusion de Félix à l’autre bout du fil.
— Je passerai chercher Joujou chez toi et je le redescendrai à l’hôpital lorsque tu auras
fait l’amour avec Manon ou Justine. Si je veux que tu fasses l’amour, c’est juste pour vérifier
que Joujou ne colle plus aux vagins des autres femmes. Par contre il est possible que ton sexe
se décroche encore. N’attends pas trop pour faire l’amour. Aujourd’hui ce serait parfait ou
demain au plus tard. Il faut que dès le 2 janvier j’aie récupéré Joujou. On peut reconnecter
Joujou tout de suite, j’ai le smartcolle, prépare-toi.
— Pour sûr, je ne baiserai pas Justine, elle me fait la gueule et reste à Paris. Je verrai avec
Manon.
— De ton côté il te faudra prendre le temps d’aller voir la clinique de Dijon, poursuivre
ton enquête, essayer de mieux connaitre les intentions de ce service. Sers-toi de Marie comme
intermédiaire. Je suis certain que cette dernière proposition va te ravir.
— Tu parles ! Peut-être sans queue entre les cuisses, pas gagné qu’elle m’accepte dans
son lit.
— Tu ne sais donc être persuasif qu’avec ta queue ? Pour une fois, sers-toi de ton cerveau.
Kevin raccrocha, surpris par le ton provocant de son ami.

À peine le téléphone coupé, Tristan appelait son ami pour l’inviter à passer la soirée
ensemble agrémentée d’une délicieuse partouse pour fêter la nouvelle année.

132
— Agathe se languit de toi, Kevinette, elle ne t’a pas revue depuis des lustres. Je lui ai
répondu que c’était normal, que tu préférais le lit des hommes depuis qu’on t’avait creusé un
deuxième trou. Ah ! je lui ai dit aussi : les chirurgiens ont ajouté une tringle filetée à Joujou et
depuis, Kevin ne sait plus tringler, ah, ah !
— Fous-moi la paix avec tes partouses, je t’ai dit que je ne voulais plus. D’ailleurs il faut
que l’on se rencontre prochainement, j’ai des choses à te dire.
Il raccrocha et décrocha pour appeler sa femme.
— Coucou Manon. Il faut que je te voie rapidement. On va laisser passer cette soirée de
Saint-Sylvestre et j’irai chez toi demain. Au fait, est-ce que tu vois Lou souvent ?
— Oui, pourquoi ?
— N’a-t-elle pas une attitude étrange ? Par exemple des déplacements inhabituels. Parle-
t-elle de moi ? Te questionne-t-elle ?
— Que se passe-t-il, Kevin ?
— Je te dirai tout ça au jour de l’an, en attendant surveille ta fille, je suis certain qu’elle
continue de m’emmerder. Joujou ne tient plus à mon corps lorsque je fais l’amour. Je pense
qu’elle y est pour quelque chose.
La voix s’étrangla à l’autre bout du fil.
— Tu couches avec ma fille ?
— N’importe quoi ! C’est bien la dernière fille avec qui je baiserais.
— À propos de Lou, ajouta Manon, comme elle fait ménage à trois avec Modi et Paulin,
ce qui me surprend, c’est l’attitude de Modi, il a bien changé, lui le garçon bien rangé.
Lorsqu’il posa le portable sur la table, sa main tremblait. Il fulminait de ne pas trouver le
ou la coupable. Mais cette enquête, quelque part, le détournait de sa tragédie majeure. Que faire
avec ce bébé ?

52

Kevin passa la nuit de la Saint-Sylvestre seul au fond de son lit, Joujou de nouveau
accroché. Il se tournait et se retournait fréquemment, tâtait son ventre tendu, il croyait sentir
bouger le bébé. Il se leva de mauvaise humeur, but son bol de café, envoya un SMS :
— Bonne année Manon. Puis-je descendre à Lons maintenant ?
— Je suis chez Belinda à Poligny. On t’attend.
Merde ! Belinda n’avait pas à entendre ces confidences. Tant pis, il aviserait sur place
comment aborder la conversation.
Lorsqu’il entra dans l’unique pièce du studio, il y avait tout juste une petite place pour lui.
Non seulement les deux lesbiennes s’étaient couchées dans le canapé, mais Lou et Liam
dormaient sur un matelas posé là au milieu de la salle. Lou se retourna et rabattit la couette sur
sa figure :
— Moins de bruit, y en a qui pioncent ici.
Les trois adultes s’engouffrèrent dans un coin de la petite cuisine. Ils présentèrent leurs
vœux autour d’une tasse de café, puis Kevin s’approcha de l’oreille de Belinda.
— Quand tu voudras. Joujou est bien arrimé.
— J’ai tout entendu, sourit Manon. Je suis heureuse pour toi Kevin, heureuse pour nous
deux Belinda, je suis certaine de la vigueur de mon mari, il va bientôt te faire un bel enfant.
— Je crois que vous avez besoin de discuter tranquillement, dit Belinda. Le bar au bout
de la rue doit être ouvert. Vous serez plus tranquilles. Je surveille les enfants.
Au bout de la rue, la porte du bar était close.

133
— Monte dans ma voiture, Manon. Appelle ta copine, dis-lui que je t’emmène chez moi.
On sera plus tranquille pour discuter.
— Est-ce si important ?
— Oui, et je te ramène dans l’après-midi.
La voiture grimpait les monts de Poligny. Kevin, une oreille indiscrète, reconnut à l’autre
bout du fil une voix rageuse. Après plusieurs minutes oppressantes, Manon raccrocha.
— Qu’est-ce qui se passe, elle te fait une crise de jalousie, c’est ça ? dit-il.
Manon soupira.
— Je n’en peux plus, c’est trop. Je l’aime, mais ça devient de plus en plus infernal.
Impossible de faire un pas sans me justifier. Le pire, c’est quand elle sait que je suis avec toi.
— Elle vit avec toi, c’est elle qui te comprend le mieux, elle connait tes réactions, tes
réflexions, vos conversations sur l’oreiller. À mon avis, tu ne sais pas dire du mal de moi.
— C’est vrai, et pourtant, y aurait de quoi !
Il attendit de s’installer confortablement dans son appartement pour aborder le
douloureux sujet du bébé dans son ventre.
Tous deux installés sur le cuir blanc, Kevin marmonna sans même regarder sa femme
dans les yeux.
— Nous avons été heureux tous les deux. Mais je me suis fourvoyé dans la perversité. Si
notre ménage s’est brisé, tout est de ma faute.
— Notre ménage brisé par ta faute, oui, mais toi, un pervers, non. Tu n’es pas le premier
homme à tromper sa femme. Et puis, j’ai su me venger, non.
— Je regrette infiniment mes débauches. Le pire, c’est que depuis que je suis seul, je
profite de cette liberté pour cumuler les conneries.
Elle lui caressa la joue.
— Mais tu as raison. Profite de la vie. Tu ne dois rien à personne.
Il orienta enfin ses yeux dans le regard bleu de sa femme, ce regard amoureux qui semblait
toujours là. Manon reconnut la détresse derrière les premières larmes qui glissaient sous les
yeux de Kevin.
— Tu sais bien que je serai toujours là pour toi, dis-moi tout. Qu’est-ce qu’il y a ?
Il posa sa main tremblante sur la main de Manon.
— Je… merci… je… j’attends.
Il éclata en sanglots, laissa tomber sa tête sur la poitrine de sa femme. Elle sembla
distinguer deux petits mots mouillés de morve qui s’échappaient entre ses deux petits seins.
— Un bébé.
Sa vue se troubla derrière un rideau vaporeux.
Après un long silence où les larmes se mélangèrent aux cheveux, Manon ne put
s’empêcher la question.
— Le père ?
Il embrassa sa femme sur les lèvres, elle repoussa gentiment le baiser.
— Quand je te dis que je cumule les conneries ! Une nuit de bringue, nous avons
improvisé une partie à trois. Trois mecs, moi, Paulin et Modi.
— Modi ! Lui qui couche avec ma fille, qui tourne autour de Belinda. Décidément, il est
pire que toi, il se tape tout ce qui bouge.
— Ah bon ! il tourne autour de Belinda.
— Sans succès, crois-moi. Elle est bien trop amoureuse de moi. C’est vrai qu’elle est
sortie une nuit avec lui l’an passé, mais elle n’avait pas aimé. Elle avait voulu essayer l’amour
masculin. Une cata, m’avait-elle dit. Pour en revenir à ton bébé, que vas-tu faire ?
— J’attends d’être convoqué par le professeur Chapelier pour avorter. Mais ça semble
compliqué.

134
Les sanglots ruisselèrent sur le visage ravagé de Kevin. Il serra fort sa femme dans ses
bras.
— Ne m’abandonne pas, chérie, il n’y a que toi pour comprendre mon désespoir. Viens
me voir souvent. Aide-moi à passer ce cap.
— Te rappelles-tu, l’an passé lorsque tu avais perdu Joujou noyé dans ce lac maudit, tu
n’as jamais été aussi amoureux. Il n’y a que dans ces moments de détresse que tu sais me
retrouver.
— C’est bien la preuve que c’est toi que j’aime.
— Et bien, moi, j’aime Belinda. Belinda la jalouse, mais Belinda la fidèle.
— Moi, je ne suis pas jaloux.
— Oui, mais toi tu n’es pas fidèle.
Il renifla, se moucha, renifla encore. Elle soupira.
— Dans l’état où tu es, je ne t’abandonnerai pas. Il me reste des sentiments envers toi.
Il l’embrassa à nouveau. Elle accepta le baiser puis, détachant ses lèvres.
— Qui d’autre que moi est au courant ?
— L’équipe médicale de Lausanne et le Grec de mes couilles, c’est tout.
— Que tu avortes ou non, il faut en parler à Paulin et Modi.
Les larmes séchées, Manon ajouta :
— Puisque je suis à Champagnole, je vais en profiter pour souhaiter la bonne année à
Félix et Océane, mais aussi à Tristan et Cloé. Tu viens avec moi ?
— Non, je n’ai pas le cœur à ça. J’irai leur rendre visite dans quelques jours. Prends ma
voiture, je reste là pour passer des coups de fil.
Dès que Manon eut franchi la porte de l’appartement, Kevin appela sa chérie.
— Coucou Justine, bonne et heureuse année pleine de bonheur et d’amour.
— Ah ! tu daignes enfin m’appeler.
— Je n’osais pas, l’autre jour tu es partie en claquant la porte. Je pensais que tu me faisais
la gueule.
— Oui je te fais la tête parce que j’ai passé un sale Noël dans ta famille. Tu m’as négligée
durant tout le repas, tu as même oublié notre date de première rencontre.
— Je sais, j’ai honte, c’est justement la honte qui m’empêchait de te rappeler.
Il entendit un soupir à l’autre bout du fil.
— Alors tu m’aimes toujours ? demanda-t-il.
— Parce que tu en as douté ? Comment vivre sans toi malgré tes défauts ? Je t’aime. Et
toi ?
— Bien sûr que je t’aime. Quand reviens-tu dans la région ?
— Samedi prochain puisque tu m’aimes.
Ils achevèrent la conversation sur cette prise de rendez-vous.
Dans la foulée il appela Félix pour lui présenter ses vœux, mais il s’inquiétait surtout pour
Joujou.
— Je passe chercher ton sexe demain matin de très bonne heure, répondit Félix. Je le
descendrai donc à l’hôpital, je ne sais pas quand nous pourrons le souder. À mon avis, c’est une
histoire de quelques jours après l’avortement. Et alors, il ne se coince plus ? Continue-t-il de se
dessouder ?
— Je te dirai tout ça demain matin, je vais demander à Manon de passer la nuit avec moi.
Présente mes vœux au professeur. À demain 5 h 30.
Il passa un troisième coup de fil. Il fallait présenter ses vœux à la jolie salope, la sournoise
Marie.
— Coucou Marie, je suis heureux de t’avoir au téléphone. Je t’embrasse très fort de
partout pour te souhaiter la meilleure année possible, plein de bonnes choses. Sans doute
connaitras-tu de moins bonnes choses, mais c’est la vie. Garde au fond de toi tout ce qu’il y a

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de meilleur et rejette loin tous ces gens pleins de mesquinerie, de trahison, d’hypocrisie et de
cupidité.
— Euh ! merci pour tes vœux, reçois les miens. Là je suis à Paris, mais je reviens en
Bourgogne–Franche-Comté ce weekend. On pourrait se voir.
— J’allais te le proposer, tu me manques. Disons à ton hôtel à Dijon, ça m’arrange, car je
dois faire une visite à la clinique. Tu m’accompagneras.
Après ce dernier coup de fil, il s’allongea dans le canapé, attendant le retour de Manon.
Il essaya de dormir. Impossible. Il préféra ressasser ses malheurs. Ses deux mains sur son ventre,
il cherchait inconsciemment son bébé. Il se rappela cette remarque de Manon : Paulin, Modi et
Lou, ménage à trois. Kevin imaginait des réunions régulières dans le grand lit de Modi, réunions
sensuelles certainement, mais réunions clandestines pour mieux manipuler l’homme-femme.
Lou devait certainement voler le smartcolle avec son mauvais génie, Modi et Paulin par jalousie
aidaient Lou. Il pensait que Modi et Paulin étaient tombés amoureux de lui et qu’ils lui
refusaient de baiser avec d’autres femmes. Charmeur à faire tomber toutes les filles qu’il
souhaitait, il s’imaginait tout aussi séducteur envers les hommes, surtout lorsqu’il exhibait
Minou sous la couette. Kevin avec tous ces drames sur le dos, ou plutôt entre ses cuisses, se
demandait s’il ne devenait pas fou.
Manon rentra, accepta de passer la nuit vers Kevin. Elle savait que Belinda allait hurler,
mais elle lui expliquerait le pourquoi de ce contretemps et la belle métisse comprendrait. Peut-
être.
Kevin et Manon se déshabillèrent vers 22 h, se glissèrent sous la couette à 22 h 2,
s’enlacèrent à 22 h 3, s’embrassèrent à 22 h 5, se caressèrent à la même heure. Joujou grimpait
pour rejoindre le nombril depuis fort longtemps, 22 h 8 Joujou s’enfilait dans la sœur de Minou,
22 h 10 Joujou s’écrasait sur le drap, la tige d’acier blessant la cuisse de Kevin. Fin de la partie.

53

Le weekend arriva, accompagné de Marie et Justine. La journaliste ne s’arrêta pas à son


hôtel « aux grands Ducs de Bourgogne » et Justine, retenue à Paris pour une soirée entre amis,
ne prenait le TGV que le samedi matin.
L’appartement de Kevin semblait trop grand pour une personne souvent seule. Liam
s’incrustait de temps à autre pendant les vacances scolaires, quelques filles passaient juste pour
une nuit, par exemple Manon, Marie ou Justine. Mégane, feignasse, restait vautrée à longueur
de journée dans son palace, à croire qu’elle n’allait guère chanter et danser à travers le monde.
Belinda voulait engendrer son enfant chez elle à Poligny. Giulia, il ne l’avait pas encore baisée.
Tout compte fait, pensait-il, il n’y avait que trois femmes qui connaissaient son lit, et encore, sa
femme ça ne comptait pas, sa chérie non plus. Seule Marie faisait tache. C’était normal puisqu’il
ne l’aimait plus. Il avait apprécié son corps svelte, sa jeunesse, ses seins juste à son goût, ses
longues jambes, mais maintenant, il la baiserait parce qu’il fallait mener son enquête. Après,
hop ! Marie jetable, hop ! Marie poubelle.
— Bonsoir Marie, tu as fait bonne route ? Viens dans mes bras que je t’embrasse, tu m’as
tellement manqué, je t’aime tant.
— N’en rajoute pas, grand vaurien, tu veux juste me baiser parce que je te plais. Je suis
certaine que tu n’es pas amoureux de moi. Mais ce n’est pas grave à partir du moment où je
peux profiter de ton corps.
— Dis donc, ne devions-nous pas nous retrouver à Dijon ?
— Si, mais tu me manquais tellement que j’ai voulu te rejoindre dès ce soir.

136
— Pas grave, tu dormiras ici et l’on descendra tous deux à la clinique demain.
— Que veux-tu faire à la clinique ? Andreou ne sera pas là.
— Notre balade en Bourgogne est une surprise. Tu n’aimes pas les surprises ?
Il s’engouffra dans la cuisine pour se chercher une bière et un coca pour Marie.
— Assieds-toi dans le canapé, on va trinquer.
— Je ne te l’ai jamais dit, mais je trouve ton canapé blanc de toute beauté. Comme
j’aimerais faire l’amour dans le cuir !
— Pas de pot, je n’ai que Minou sur moi. À moins que tu veuilles le caresser, il sait
miauler, tu sais. Et si je me rappelle bien, tu aimes aussi le côté lesbien.
— Non, pas vraiment, l’autre jour si j’ai accepté, c’était plus un jeu, une découverte,
quelque chose d’original. Et puis, comme tu me plais beaucoup, j’avoue avoir craqué.
— Et aujourd’hui ?
— On peut essayer, mais ce sera moins marrant. J’aurais préféré, et de loin, faire l’amour
avec toi et ton Joujou.
— Eh bien on fera l’amour, et de près, et avec Minou.
Ils firent l’amour entre lesbiennes, mais les cœurs n’étaient pas là, les orgasmes non plus,
seuls les culs prenaient l’air. Et le comble, c’est que Kevinette, habituée à rendre les armes après
l’éjaculation, ne sut à quel moment s’arrêter de lécher. Elle laissa tomber la caresse buccale
lorsque la douleur aux mandibules ressembla à de l’arthrose.
Avant de s’endormir, elle s’approcha de l’oreille de Marie.
— Vois-tu comme je t’aime, j’ai envoyé un SMS à ma chérie pour lui dire de ne pas venir,
que j’irais la rejoindre demain après-midi chez elle. Elle devait venir ici demain matin. Quand
je pense qu’elle vient de Paris pour me voir juste deux jours. J’ai décidé de sacrifier une journée
pour être avec toi.

À la clinique en ce samedi, tout semblait triste, peu d’activité, quelques malades dans la
salle d’attente et un ou deux brancards dans les couloirs. Les chirurgiens et les médecins
profitaient de leur weekend, même le secrétariat tournait au ralenti. Tant mieux, pensait
Kevinette, ce sera plus facile.
Marie accompagnait Kevinette dans les couloirs. Depuis sa séquestration de l’an passé,
ici dans cette clinique, elle avait appris à se repérer.
— Où allons-nous ?
— Mais on s’arrête là, ma chère, devant cette porte blindée où tu vas présenter ton joli
minois devant ce petit cadran. En même temps tu presseras sur ce bouton, et ainsi nous pourrons
entrer dans la salle du coffre.
— Je n’ai pas la clé du coffre.
— Entrons déjà dans cette salle, ensuite on avisera.
Après une longue hésitation, elle présenta son visage devant l’écran à reconnaissance
faciale tout en pressant sur le bouton. Kevinette tira la porte, devança Marie, se présenta devant
le coffre-fort encastré au mur sans discrétion. Elle sortit une clé de sa poche et la présenta dans
la serrure du coffre-fort.
— Où as-tu trouvé cette clé ? s’étonna Marie.
— Je connais la maison presque aussi bien que toi. Heureusement que le patron a eu la
bonne idée de ne pas acheter un coffre-fort avec code, j’aurais été obligé de te torturer pour que
tu me craches le code.
— Qu’est-ce que tu cherches enfin ?
— Je ne sais pas.
Kevinette ouvrit le coffre. Vide.
— Bienfait !
— C’est toi qui l’as ?

137
— Qui a quoi ?
— Le smartcolle.
— Il existait deux smartcolle. L’un est à Lausanne depuis longtemps. Celui que nous
possédions a rejoint Lausanne depuis peu.
— Je parle du troisième, s’énerva Kevin.
— Je t’assure que nous n’avons pas fait de copie. J’avoue qu’Andreou y a pensé, mais lui
et son service furent incapables de réinitialiser l’application.
— Je pense que ce n’est qu’une question de temps ? J’aimerais quand même récupérer ce
smartcolle soi-disant inutilisable.
— Je t’assure que je ne sais pas ce qu’il est devenu. Et crois-moi, il est de toute façon
ingérable sans application.
— Tu mens. Quoi qu’il en soit, je n’ai plus confiance en toi.
Kevinette quitta la salle blindée, laissant Marie à ses réflexions debout devant le coffre.
Juste avant de passer devant le hall du secrétariat, elle stoppa net, tendit l’oreille.
— Le professeur Damassène n’est pas là ce weekend, et je vous le répète, son adjoint
monsieur Dès Salas Cheers ne sera là que cet après-midi.
Étonnant ! ce célèbre chirurgien de renommée internationale ne serait que le simple
adjoint de Damassène ?
Elle poursuivit sa route, mais fit brusquement demi-tour, se présenta à la secrétaire, une
dame qu’il ne connaissait pas.
— Bonjour, j’aimerais rencontrer monsieur le chirurgien Dès Salas Cheers.
— Avez-vous rendez-vous ?
— Non. Mais je m’appelle Kevin Rumber, le célèbre homme-femme engendré par votre
service transgène. Faites-lui savoir que je serai à la porte de son bureau à 14 h précises.
Elle quitta le secrétariat sans attendre la réponse de l’employée, reprit sa voiture et s’en
alla manger seule au restaurant à côté de l’hôtel « Aux grands Ducs de Bourgogne », place
Darcy.
14 h pile, Kevinette s’asseyait en face du bureau du docteur Damassène. Assis derrière
son bureau, Dès Salas Cheers dévisageait son patient.
— Que puis-je pour vous, monsieur Rumber ?
— Rien en ce qui concerne mes soins. Heureusement, parce que votre service rate tout ce
qu’il entreprend sur moi, sur mon corps, mon sexe, que dis-je ? Sur mes sexes.
— Vous semblez en colère, n’est-ce pas ?
— Je suis en colère parce que je ne sais pas à quoi vous jouez avec moi.
— Mais qu’est-ce que cela veut dire ?
— Ça veut dire qu’il semblerait que vous ayez trouvé un excellent orthophoniste. Il n’y a
pas si longtemps vous zembliez zozoter et vous me preniez donc pour un zinbélice avec votre
fauze barbe.
Kevinette avait deviné les yeux sombres de son interlocuteur, le nez fin et pointu, ce
menton creux, ces petites oreilles, mais aussi ces cheveux noirs en pagaille, un peu comme les
siens. Tous ces indices concordaient pour confondre le chirurgien avec le basané. Monsieur Dès
Salas Cheers dut se défendre.
— J’ai joué ce petit jeu parce que j’avais honte en tant que chirurgien, adjoint de monsieur
Damassène, de me plier aux exigences de ma femme. Honte de savoir qu’elle souhaitait coucher
avec vous. Vous êtes son idole. Elle vous adore. Elle est fan de vous à en mourir comme l’étaient
les fans d’Elvis Presley.
— Eh bien ! de tous les fans d’Elvis, des dizaines de milliers d’adolescentes ont dû mourir
trop jeunes, car j’imagine qu’elles n’ont pas toutes fait l’amour avec lui.
— Je ne plaisante pas, c’est vrai.
— Donc si je ne baise plus votre femme, elle risque de mourir, c’est ça ?

138
Kevinette frappa le bureau avec son poing en s’écriant :
— Arrêtez de me prendre pour un con ou une conne. Votre femme veut un enfant de moi.
Pourquoi ?
L’adjoint de Damassène se rappela les coups de poing de Kevin envers son patron. Une
dent cassée, une langue coupée, un hématome à l’œil, une arcade sourcilière affreusement
coupée, il fallait se méfier de la violence de ce patient.
— Calmez-vous, monsieur Rumber, je vais vous expliquer. Mégane veut un enfant de
vous parce qu’elle aime les honneurs. Dès qu’elle portera votre enfant, elle voudra s’afficher à
la une des journaux people avec son petit ventre rond. Ma femme est belle, mais elle est
autoritaire et glorieuse. Elle m’a demandé d’effectuer la démarche auprès de vous parce qu’elle
ne voulait pas s’abaisser à cela.
— Elle aime les honneurs, mais aussi le fric. Peut-être que son métier d’artiste ne rapporte
pas assez ? Madame Mégane Mac Ritchie est bien votre femme, n’est-ce pas ?
Il attendit la réaction du chirurgien, mais celui-ci ne tomba pas dans le piège.
— Les contrats avec les cabarets parisiens, voire à l’étranger se font rares en ce moment,
mais c’est ainsi, il y a des hauts, des bas. Ma femme et moi ne sommes pas à plaindre, nous
gagnons bien notre vie, nous avons de beaux métiers qui payent bien. Mais dites-moi, c’est un
véritable interrogatoire que je subis là. Êtes-vous de la police ?
— Non, mais vous connaissez certainement mon dossier et vous savez très bien que je
suis agent d’assurance.
Kevinette se leva de sa chaise.
— Ce qui m’intrigue, c’est toute cette mafia dijonnaise qui tourne autour de l’homme-
femme. Au revoir, monsieur ?
— Dès Salas Cheers.
— Êtes-vous au moins certain de votre nom ?
Kevinette passa la porte, croisa Marie dans le couloir. Elle voulut lui causer, Kevinette
refusa, la bouscula, sortit sur le parking.
Assise dans sa voiture, elle envoya un SMS à Justine.
« Coucou chérie. Désolé, je ne te verrai pas ce weekend. Je t’appellerai demain soir. Je
t’expliquerai, tu me pardonneras, je dois résoudre une affaire complexe concernant mes sexes,
c’est urgent. Je t’embrasse. »
Soit ce Dès Sales machin de merde ment, soit la pouf de Gevrey-Chambertin m’embobine,
ruminait Kevinette en roulant sur l’autoroute. Elle progressait néanmoins dans ses recherches.
Ce charlot de chirurgien émérite international n’était autre que l’adjoint de Damassène, par
ailleurs ce couple qui n’était peut-être pas vraiment un couple, ne savait pas accorder ses violons.
L’un l’appelait « ma femme », l’autre disant que ce n’était pas son mari. L’envie de Marie et de
Mégane à vouloir à tout prix un bébé de l’homme-femme s’expliquait certainement par la soif
d’argent. Pour Marie, c’était certain, comme l’an passé pour Joujou clipsable, elle afficherait à
la une de son célèbre journal people « la première femme enceinte de l’homme-femme ». Quant
à Mégane, vu le train de vie, le pognon était toujours très utile. Et les euros afflueraient de
partout, de mécènes, des journaux télé ou people en mal d’aventures exceptionnelles, sans parler
des revues scientifiques ou autres. Tu parles d’un scoop, l’homme-femme qui engendre. Au
secours, Frankenstein revient !

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Dans son appartement, Kevinette vérifia ses SMS. Ah ! Justine :

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— Inutile de m’appeler demain soir. Je suis très en colère. Je veux des explications claires
par SMS du pourquoi je ne peux pas te voir ce weekend. Je rentre à Paris dès demain matin.
— Si je ne peux pas te voir, c’est parce que je cours partout au sujet de recherches que
j’effectue pour mon sexe qui se colle et se déclipse. Je suis allé à la clinique dijonnaise de toute
urgence. Maintenant j’ai d’autres démarches urgentes. Je suis à la veille de trouver le ou la
coupable qui me refuse de faire l’amour. Voilà, j’espère que tu me pardonneras ce contretemps.
Je t’aime. Mille baisers.
Cet échange de messages manquait de galanterie, mais Kevinette avait d’autres chats à
fouetter. Elle envoya un SMS à Paulin. Elle voulait le rencontrer d’urgence. D’accord pour se
voir demain dimanche, lui avait répondu le bisexuel.
Dimanche midi, ils déjeunaient tous deux au « Tilleul » à Lons Le Saunier.
— S’il vous plait, je voudrais la table là-bas vers la baie vitrée, demanda-t-il au serveur.
Paulin et Kevin s’installèrent.
— Pourquoi as-tu voulu cette place, pour mieux mater les meufs dans la rue ?
— Non, c’est la table où j’ai déclaré ma flamme à Justine.
— Et aujourd’hui, tu vas donc me déclarer ta flamme, la belle flamme bleue que tu as
dans les yeux.
Le serveur approcha, ils commandèrent deux bières et deux saucisses de Morteau à la
cancoillotte chaude.
Alors qu’ils dégustaient leurs mousses, Kevinette sentit la basket de Paulin glisser le long
de sa cheville et remonter vers son genou. Kevinette reposa son verre de bière sur la table.
— Non Paulin, je ne t’ai pas donné rendez-vous pour un plan cul. D’ailleurs, je n’ai pas
Joujou, tu ne pourrais pas jouer au pédé.
— Pas grave, Minou me suffit. Tu sais bien que j’aime tout. Et pour tout t’avouer, c’est
surtout toi que j’aime.
— Arrête de dire des conneries, Paulin, tu fais ménage à trois avec ma belle-fille et Modi,
ça ne te suffit pas ?
Les assiettes fumantes de cancoillotte chaude et de rondelles de saucisses embaumaient
les narines de Paulin. Kevinette n’avait pas très faim, elle flairait dans d’autres directions.
— Ménage à trois c’est exagéré, c’est juste une histoire de cul, répondit Paulin.
— Et Modi, il serait donc devenu homo ?
— Non, pas du tout, il saute Lou, c’est tout. Quant à Lou, je ne sais pas à quel jeu elle
joue. Moi, je les aime les deux. Dommage que Modi me refuse.
— Tu dis que tu m’aimes, alors pourquoi ce ménage à trois, pourquoi ne pas vouloir vivre
avec moi ?
— Tu serais donc d’accord ?
— Non, pas du tout, mais il y a quelque chose qui m’échappe.
Alors que Paulin avalait un morceau de saucisse, Kevinette laissa couler un filet de
cancoillotte du bord de sa bouche.
— Essuie-toi le menton, Kevin, on dirait du sperme au bord de tes lèvres.
Kevinette, tout en s’essuyant, fronça les sourcils.
— Lou parle toujours de moi en beau-père exécrable, le beau-père qui a pris la place de
son papa. Lou cherche toujours à me nuire, n’est-ce pas ?
— Je ne sais pas.
— Et toi, puisque tu m’aimes, ne serais-tu pas jaloux de moi ? Et Modi, amoureux de Lou
et vexé d’avoir baisé avec moi, ne veut-il pas à la fois aider Lou et se venger de moi ?
— Je ne comprends pas.
Kevinette reposa sa fourchette dans l’assiette, elle avait à peine goûté à sa saucisse.
— Vous trois complotez contre moi. C’est vous qui déclipsez Joujou à distance avec un
smartcolle que Lou aura chouré à la clinique.

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— Cela m’étonnerait. En tout cas je ne suis au courant de rien, je te le promets, Kevin.
— Cette petite garce en est capable.
Elle avala une gorgée de bière et reposa son verre sur la table.
— Essuie-toi la moustache, ton sperme mousse.
Kevinette, l’imberbe, se lécha le haut de la lèvre supérieure. Paulin fixait les yeux de son
compagnon d’un regard doux.
— Crois-moi, je t’aime, Kevin, même si tu te déformes un peu, ta poitrine ressemble
maintenant aux petits nichons de ta femme, et quand tu marches, on dirait une fille, mais je
t’aime ainsi.
— C’est vrai que je me féminise, ça craint. Tu dis que je me déforme un peu, ça, ce n’est
rien. Attends encore quelques semaines, et soit tu rigoles, soit tu pleures. Enfin, j’espère que tu
ne remarqueras rien parce que j’aurai avorté d’ici là.
Paulin se recula brusquement sur sa chaise. Il n’avait pas lâché les yeux de Kevinette.
Après un court silence, il laissa filtrer un mince sourire entre ses lèvres.
— Tu es enceinte ? Mais c’est génial ce qui t’arrive ! ce qui nous arrive ! Dis, il est de
moi, hein ?
— Ah !
Paulin se leva, fit le tour de la table, secoua le bras de son compagnon.
— Dis, il est de moi, dis qu’il est de moi, je suis certain qu’il est de moi.
— Si le bébé est noir, je pencherai plutôt du côté de Modi, répondit Kevinette sans même
essayer de sourire. Quoi qu’il en soit, je ne le garderai pas. Je veux avorter, les médecins de
l’hôpital le souhaitent aussi.
— Et qu’en pensent ceux de la clinique ?
— Ceux de la clinique, je m’en fous. Pourquoi me parles-tu d’eux ? Tu es de mèche, n’est-
ce pas ?
Paulin passa ses mains sur le ventre de Kevin.
— Si tu m’entends, petit être, dit à ta maman de te garder, demande-lui de ne pas avorter,
que ce n’est pas bien de tuer, que ton papa n’est pas d’accord.
Paulin se réinstalla à sa place avant que les clients alentour n’appellent le service
psychiatrique de l’hôpital de Lons.
— J’insiste, Kevin, il n’est pas question que tu avortes, cet enfant est le nôtre et je veux
le garder, même si tu n’es pas d’accord de l’élever avec moi.
Surpris par la réaction de Paulin, Kevinette ne répondit pas tout de suite. Son regard
suivait au-delà de la baie vitrée cette rue bordée de platanes. Elle distinguait l’arbre où il avait
lâché le parapluie. C’est là qu’il avait embrassé pour la première fois son amoureuse, la belle
Justine qu’il désirait tant ce jour-là, c’était un jour de pluie, cette même pluie qui apportait
encore aujourd’hui cette humidité dans ses yeux bleu-vert. Pourquoi veulent-ils tous m’aimer,
se demandait Kevinette, je ne le mérite pourtant pas. Est-ce le désir de ne pas les décevoir que
je les garde tous au fond de mon cœur, Manon, Justine, Giulia, et maintenant Paulin ? Elle
tourna enfin son regard noyé de larmes vers son copain. Elle prit sa main posée sur la table.
— Tu es un beau gosse, Paulin, trop jeune pour moi peut-être, mais j’ai très envie de toi,
tes yeux amoureux, ta peau lisse, ton nez malin, ta bouche sensuelle, tout me plait. Mais je
réalise que ce ne sont que des envies. Aujourd’hui Minou humide entre mes cuisses réclame tes
caresses, ta langue, mais il faut que je résiste, je suis paumé, paumé dans mes amours, paumé
dans mes soucis de sexe, paumé avec ce bébé.
— Non, pas paumé avec ce bébé. Ce bébé, il est à nous, tu n’as pas le droit. Je le veux,
c’est un bébé de l’amour ! riposta Paulin.
Kevinette haussa les épaules, sourit enfin.
— Un bébé de l’amour, tu n’exagères pas un peu, plutôt un bébé d’une partouse entre
mecs bourrés.

141
— Oui, mais au milieu de cette partie à trois, il y en a un qui aimait avec son cœur.
— Tu cherches à me convaincre avec tes arguments pas convaincants du tout, mais je vais
réfléchir à ta proposition. J’en parlerai aux toubibs. Et puis j’en parlerai aussi à Modi, c’est
peut-être lui le père. D’ailleurs ça ne m’étonnerait pas vu sa teub, il part avec une longueur
d’avance sur toi.
— Certes il en a une grosse, mais mon intuition me dit que cet enfant est de moi.
— On saura bientôt. On fera un test de paternité. OK ?
— D’accord, répondit Paulin, tout à la fois enthousiaste et inquiet.

De retour à son appartement, elle téléphona à son ami Félix.


— Ce serait bien de se voir rapidement, j’ai du nouveau dans mes recherches, même si
c’est encore confus. Et puis je voudrais savoir ce qu’il convient de faire pour contrer ce ou ces
connards qui déclipsent Joujou à distance.
— Cela tombe bien, j’allais t’appeler pour que tu passes à l’hôpital dès ce mardi, le
professeur Chapelier et moi-même avons à te parler. Et puis, apporte ta valise, tu restes deux
jours ici. N’oublie pas de revenir nous voir avec Joujou.
— Y a du nouveau ?
— On se voit après-demain. Je ne peux rien te dire au téléphone, top secret.

55

— Alors, ce top secret ?


Dans le grand bureau aux murs blancs avec Chapelier tout petit dans son grand fauteuil
et Félix debout à côté du professeur, Kevinette attendait la réponse avec une certaine impatience.
— Toi d’abord, demanda Félix. Il parait que tu as du nouveau.
Kevinette, dans un geste de nervosité, avança légèrement sa chaise, comme pour être plus
près afin qu’il soit bien écouté.
— J’ai couché avec Marie et…
— Encore une autre ! ne pût s’empêcher Félix.
— Laissez-le parler, l’interrompit le professeur.
— J’ai couché avec Marie par obligation.
Kevin jeta un œil vers son ami Félix.
— Oui, par obligation. Il faut savoir que Marie veut un enfant de moi. Je crois savoir
pourquoi. Comme Marie sait que je fais l’amour avec Justine, éventuellement avec Manon, je
supposais que c’était elle la responsable du bug, vu qu’elle veut cet enfant pour ramasser du
pognon. Par contre, je peux penser que ce n’est pas Marie la coupable puisqu’en faisant l’amour
samedi avec elle, au bout de deux minutes, Joujou s’est déclipsé. À moins qu’elle ne soit plus
rusée que je ne le pense. Je soupçonne aussi Lou, Modi, ou Paulin. D’ailleurs Paulin voudrait
que je garde l’enfant, étrange !
— Je vous arrête tout de suite, Kevin. Mon adjoint Félix et moi-même avons découvert
le coupable. En fait, ils sont deux : Damassène et Marie. Vos soupçons sur Marie sont donc
justifiés. Nous avons contrôlé les applications des deux smartcolles en notre possession. Lors
d’une manipulation, nous avons remarqué qu’un troisième smartcolle se coordonnait aux nôtres.
Ce smartcolle existe d’ailleurs depuis le début. Nous avons été bernés une fois de plus par ce
toubib de malheur. Sur ce smartcolle, l’application informait par une sonnerie que Joujou était
au travail. Ainsi, ils pouvaient, d’un simple clic sur le smartcolle en leur possession, jouer sur
Joujou. Soit, il restait collé aux partenaires, soit Joujou se déclipsait de votre corps inopinément,
ce qui, dans les deux cas, vous empêchait bien entendu de faire l’amour et donc de procréer.

142
— Comment êtes-vous certain que ce sont eux ?
— Andreou Damassène est malin et tire les ficelles par l’intermédiaire de Marie. Nous
sommes malins aussi, et nous savons également tirer les ficelles, et notre espion a su être d’une
efficacité redoutable.
— Je le connais ?
— Vous le saurez plus tard. Bien ! le plus important pour vous n’est pas que nous ayons
découvert les machiavéliques sujets de la clinique, mais que l’on ait pu contrer ce troisième
smartcolle. Damassène et les siens peuvent d’ailleurs en inventer un quatrième, un énième, ils
ne sauront pas s’adapter. L’application du smartcolle a été détruite. Nous avons modifié les
programmes, et une nouvelle application hyper secrète a été inventée dans nos laboratoires de
recherche. Plus besoin de smartcolle, un simple smartphone suffit. Cette application est ultra
sécurisée et détenue par moi seul, même mon fidèle adjoint ne sait pas comment elle fonctionne.
— Ce qui veut dire que vous allez enfin me reconnecter Joujou et qu’il ne tombera plus
sur le drap lorsque je… je…
— Tu as tout compris, Kevin, tout rentre dans l’ordre, dit Félix, sauf qu’il reste à résoudre
le problème du bébé que tu portes. Le délai pour avorter en Suisse est de douze semaines. En
France de quatorze semaines, dans les deux cas le délai est dépassé puisque tu en es à ta
quinzième semaine. Nous avons demandé un référé au juge pour obtenir une autorisation pour
ton cas particulier. La justice nous autorise jusqu’à seize semaines. Tu nous as déjà donné ton
accord, puisque nous savons tous les trois depuis quelque temps que nous avons réussi à contrer
le perfide mécanisme de Damassène pour empêcher l’avortement. Il faut donc procéder à
l’avortement dès demain, ici même.
Kevin regarda tour à tour Félix et le professeur. Son cerveau se brouillait, torturait son
cœur.
— Je n’ai encore rien signé.
— Comment ça, tu ne veux plus avorter ?
— J’hésite, il faut que j’en parle à Paulin.
— Réfléchis bien, mais surtout réfléchis vite. Il nous faut une réponse dès demain.
Compte tenu du délai de rétractation, il nous restera un seul jour pour t’opérer. Les seize
semaines seront passées.
— Je retourne de ce pas revoir Paulin.
— Pas si vite, Kevin, reprit le professeur. On vous garde trois heures. Tout d’abord on
reconnecte Joujou à votre corps. Il n’y en a que pour quelques minutes, mais ensuite il nous
faut effectuer des prises de sang. Si vous avortez, on a besoin d’analyses, si vous refusez
d’avorter, on aura besoin d’analyses également pour le suivi de la grossesse. On voudrait
également effectuer une échographie du bébé.
Félix s’approcha de son ami, posa sa main sur son épaule.
— C’est délicat de te demander cela, mais quand penses-tu faire l’amour ?
Surpris, Kevin leva la tête vers son ami.
— Je ne sais pas, Justine est à Paris. Ou alors, j’y pense, votre service peut me prêter
Giulia pour la nuit ?
Il dévisagea les deux têtes aux gros yeux étonnés.
— Non, j’déconne. Au fait pourquoi cette question ?
— Parce qu’on te refixe Joujou tout de suite. Il faudrait faire l’amour assez vite pour
vérifier que tout est OK, ensuite on débranche à nouveau pour laisser le vagin libre en vue, soit
de l’avortement, soit de laisser la femme qui est en toi libérer son bas-ventre et d’en jouir
jusqu’à l’accouchement.
— Vous voyez bien que c’est médical, Giulia est tout indiquée et vous auriez la réponse
dans les deux heures.
Même ambiance, du coup, même réponse :

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— Non, j’déconne. Je vais voir rapidos avec Manon, elle est tellement gentille qu’elle se
rendra disponible pour moi.
— C’est ça, ronchonna Félix, elle est juste gentille et bien foutue, côté cœur, tu t’en fiches.
Kevinette se leva de sa chaise.
— Pourquoi tu dis ça ? Non, je ne me fiche pas de ma femme. Elle est bourrée de qualités.
Je l’aime encore, figure-toi.
— Alors pourquoi continues-tu à t’intéresser aux autres ? Giulia par exemple.
— J’déconnais.
— Oui, c’est cela, tu déconnais.
— Bien ! les histoires entre amis, vous verrez plus tard, intervint le professeur Chapelier.
Kevin, il faut vous rendre au bureau des infirmières pour vos prises de sang. Ne cherchez pas
autour de vous, Giulia ne travaille pas là aujourd’hui.
L’échographie ne montrait aucune anomalie. La greffe de l’utérus fut une parfaite réussite.
On pouvait au moins mettre cette qualité sur le compte de Damassène. Allongée sur un lit
surélevé, Kevinette fixait l’écran.
— Oh ! c’est le cœur qui bat, on l’entend. Oh ! il suce son pouce. Oh ! on le voit bien. Il
dort dans mon ventre ! On dirait que je suis en train de bercer mon bébé. C’est un garçon ou
une fille ?

56

Paulin entra dans l’appartement de Kevin tôt le lendemain matin. L’homme-femme qui
avait récupéré Joujou n’avait plus une minute à lui, sans dire qu’il avait reporté tous ses rendez-
vous clientèle.
— Assieds-toi dans le canapé, je fais deux cafés.
Kevin s’affaira quelques minutes en cuisine puis posa les deux tasses bouillantes sur la
table basse.
— Comme je te l’ai dit hier soir, il est urgent de parler. Il faut se décider aujourd’hui pour
le bébé. Si j’avorte, je dois donner une réponse avant ce soir.
— Mais je te le répète, pas question que tu avortes, ce bébé est le mien autant que le tien,
j’ai mon mot à dire.
— Pas la peine de t’emballer, je suis d’accord avec toi. Tiens, regarde.
Kevin présenta la vidéo sur son smartphone. Sur l’écran l’échographie du bébé.
— C’est merveilleux ! s’exclama Paulin.
Il posa sa tête sur le ventre de Kevin.
— Je crois bien que je l’entends. En tout cas, ça fait du bruit là-dedans.
Il admira une nouvelle fois la vidéo puis il ne put s’empêcher de déposer un baiser appuyé
sur les lèvres de son ami.
— Merci d’accepter de le garder.
— As-tu bien réfléchi ? Tu es jeune, tu n’as pas encore d’emploi stable et nous n’allons
pas vivre ensemble. Je veux bien t’aider pour participer financièrement à l’éducation de l’enfant,
mais c’est tout. Une fois l’accouchement, j’espère bien récupérer mon sexe mâle et ma virilité,
et vivre avec… avec, je ne sais pas, avec une femme, pour sûr.
— Peut-être changeras-tu d’avis au fil de ta grossesse. Je me vois bien fonder un foyer
avec toi. Je t’aime vraiment, Kevin.
— Soyons sérieux, Paulin, tu es jeune, ne gâche pas ta vie avec moi. Je vais t’avouer
quelque chose. Personne ne le sait, pas même l’intéressée, mais je voudrais reconquérir ma

144
femme. Je sais, c’est une tâche quasi insurmontable, mais il le faut, c’est elle que j’aime.
D’ailleurs, ce soir, nous devons faire l’amour.
— Ah !
— Tu ne dis rien, tu es déçu ?
— Ai-je le choix ? Pour en revenir au bébé, afin d’être certain, ce serait bien de faire un
test de paternité.
— Oui, je me suis renseigné auprès de Félix. Il faut que l’on me fasse un prélèvement
sanguin pour analyser les gènes du bébé dans mon sang. Pour ça, il fallait attendre neuf
semaines de grossesse, donc le délai est largement passé. Je vais téléphoner de suite à Félix
pour qu’il demande d’urgence un test de paternité. Je vais le demander également pour Modi
ainsi on ne sera pas obligé de recommencer la procédure pour lui. Dès que nous aurons la
décision de justice, dix jours plus tard au max nous aurons le retour du laboratoire. Quant à
Modi et toi, vous aurez juste un prélèvement salivaire pour comparer l’ADN du bébé aux vôtres.
— Je n’ose même pas imaginer que cet enfant soit de Modi. Fais voir encore une fois la
vidéo, je n’ai pas fait gaffe, le bébé n’est-il pas noir par hasard ?
— Petit comique !
À son tour, Kevin roula une pelle à son pote.
Paulin entoura la taille de son copain.
— Pourquoi as-tu voulu me narguer tout à l’heure, au sujet de ta baise avec Manon ?
— Ce sont les médecins de Lausanne qui me l’ont demandé pour voir si mon sexe est
bien soudé grâce à leur nouveau procédé par une application géniale via un simple smartphone.
— Ce n’est donc pas de l’amour, juste de la science ! Ouf, je peux encore espérer. Peut-
être que ça suffirait juste de baiser avec moi pour ton expérience de ce soir ?
— De quoi donc ?
— Genre tu m’enfournes bien comme il faut. Tu limes jusqu’à la jouissance dans mon
petit trou d’cul. Et comme ça, inutile de te forcer à baiser Manon.
Il engouffra à nouveau sa langue à la recherche de l’autre. Il la trouva très vite. Ils
roulèrent sur le canapé. Les sexes tendus, ils trottinèrent jusqu’à la chambre, s’affalèrent sur le
lit. Dans sa tête aussi bouillante que son sexe, Paulin rêvait d’être aimé de Kevin. Il savait
comment les hommes apprécient l’amour. Il s’appliqua tout d’abord à la plus belle pipe que
Kevin ait jamais connue, puis l’embrassa avec une telle tendresse que l’homme-femme s’en
émut au bord des larmes. Il enfonça son dard entre les fesses de son amant avec une telle
délicatesse que Kevin accepta le challenge, couina comme une femme.
— Oui, fais-moi mal, beau gosse, fais-moi mal, j’aime quand tu me fais mal comme ça.
Paulin le chevauchait en missionnaire, les chevilles de l’homme-femme sur ses épaules.
Brusquement Paulin se retira. Il s’effondra sur son amant sans avoir joui. Il approcha ses
lèvres de l’oreille de Kevin, mordilla le lobe.
— Si tu savais comme j’ai aimé te prendre. J’avais l’impression de baiser une femme,
non, ma femme. Je regardais tes petits seins qui poussent et ton petit ventre déjà ferme et tendu.
Comme tu me plais ainsi, Kevin. Maintenant soyons raisonnables avant de tout perdre nos
semences dans les draps. Il faut vérifier si ton sexe reste bien accroché. À ton tour chéri. Prends-
moi comme tu veux, j’aime tout. Je suis chaud bouillant. Allez, rentre ta grosse teub dans mon
petit cul et lime, lime jusqu’à la jouissance pour vérifier l’aspect médical. Vas-y chéri, et pense
à moi en me baisant, pense à ton futur mari.
Kevin écouta, Kevin s’exécuta, Kevin éjacula. Tout fonctionnait comme l’avaient
confirmé les toubibs de Lausanne. Il se laissa tomber sur le dos à côté de Paulin. Ils
s’embrassèrent longuement comme deux amants fous amoureux.
— Alors as-tu aimé, mon amour ? chuchota Paulin tout en caressant la chevelure sombre
de son amant.
— Encore une baise ou deux ainsi, et j’aurai peur de tomber amoureux de toi.

145
Kevin devait concrétiser la victoire de Joujou dans la soirée avec Manon. Pas question de
laisser passer une telle occasion, même s’il savait que Joujou restait bien fixé. N’empêche, se
disait-il ironiquement, autant vérifier encore une fois.
Manon se présenta vers dix-huit heures, rayonnante de beauté, son sourire habituel aux
lèvres. Mini robe, maillot manches longues en laine noire, mocassins noirs, cheveux or et sa
mèche coquine, un bracelet doré signé cadeau Kevin, des boucles d’oreille démesurées de
même signature. Ne manquait que le baiser signé Kevin. Elle s’approcha de lui. Il signa de ses
lèvres sur sa bouche rose au goût de fraise.
— Toujours ravissante, Manon ! Comment ai-je pu te laisser t’échapper ?
— Tout simplement parce que tu en aimais une autre.
— Je croyais aimer Justine, mais j’ai bêtement craqué sur une jolie fille, tout à fait mon
style, fine, grands yeux, etc.…
— Tu craques trop souvent devant les jolies dames, mon pauvre Kevin.
— J’ai fait des conneries, je le reconnais.
Manon s’écroula sur le cuir blanc, elle jeta son sac à main sur la table basse.
— Qu’est-ce qu’il y a là-dedans, des capotes ?
— Tu sais bien que j’ai un stérilet.
— Ah bon ! tu l’as gardé alors que tu couches avec une lesbienne ?
Elle haussa les épaules.
— Que je sache, il m’arrive de faire l’amour avec toi. Et pas plus tard que bientôt, non ?
— Je ne sais plus où j’en suis avec tout ce qui m’arrive. Sais-tu que j’ai décidé de garder
le bébé ?
Heureusement que Manon était assise. Elle ne souriait plus.
— Quoi ? Non, je ne le crois pas. As-tu envie de rester femme ou quoi ?
— Non. Je fais ça pour Paulin, et un peu pour moi aussi. J’ai craqué devant l’écran de
l’échographie. Je ressens ce que ressent toute femme qui attend un bébé. Je l’aime déjà cet
enfant, il pousse en moi, il est à moi, tu comprends cela, et Paulin veut qu’on garde cet enfant.
— C’est donc lui le père.
— On ne sait pas encore.
— Mais es-tu fou ? Et qu’est-ce que Modi en pense ?
— Il ne le sait pas encore.
— De mieux en mieux. Et Justine, qu’est-ce qu’elle en dit ?
Kevin, planté debout devant elle jusque-là, s’assit près de sa femme.
— Justine ne sait rien.
— Mais on dirait que tu cherches à perdre Justine pour toujours. Incroyable ! Une fille
aussi gentille, aussi douce, tellement agréable. En plus, elle est folle amoureuse. L’année
dernière, tu lui cachais ton sexe clipsable, ces derniers temps tu lui cachais ton sexe de femme,
aujourd’hui, bouquet final, tu lui caches ton enfant. N’importe quoi ! mon pauvre Kevin.
— Tu as raison, je suis faible et lâche devant Justine. Je crois que je l’aime simplement
parce qu’elle est folle amoureuse de moi. Je ne sais pas l’aimer comme elle peut m’aimer. Je ne
suis pas à la hauteur d’une telle femme.
Kevin posa sa tête entre les petits seins de Manon.
— Par contre, toi, Manon, tu resteras éternellement ma chérie. Avec toi, je me sens à la
hauteur. Oui, je me hausse à ton niveau, même s’il reste élevé, tu es ma femme, je ne divorcerai
jamais, je veux te faire l’amour des milliers de fois. Je te demande pardon pour tout ce que j’ai
fait de mal. Aime-moi.
— Je t’ai déjà dit que j’aimais Belinda, malgré sa jalousie chronique. Pas plus tard
qu’aujourd’hui je lui ai dit pourquoi je venais chez toi, elle a piqué une crise. Je lui ai pourtant

146
expliqué que c’était juste un service. Non, elle n’accepte pas. Et puis, excitées par l’idée d’une
scène érotique dans ton lit, nous avons fait l’amour avec passion.
Elle passa dans la chambre, se déshabilla, laissant à la vue de son mari sa tenue sexy, slip
triangle, balconnet charmant, tout en noir, laissant ressortir l’or de ses cheveux. Elle s’allongea
sur le lit, tortilla son index en direction de son mari en signe d’invitation. Le clin d’œil qui suivit
fut de trop. Kevin s’affala sur sa femme.
— On dirait une pute qui s’invite dans mon lit, plaisanta-t-il, les dessous provoquants, les
gestes quémandeurs, l’envie d’en finir vite. Combien demandes-tu, Lolita ?
Elle essaya de sourire, la tête coincée entre l’oreiller et les lèvres de Kevin.
— C’est ainsi que tu comptes me reconquérir, en me voyant telle une pute ?
— Oui, mais une pute de luxe, et ce serait tellement bien que tout cela finisse comme
dans Pretty woman.
Il déposa ses lèvres sur la bouche de sa femme. Elle le repoussa avec douceur.
— Une pute, ça n’embrasse pas.
— Si, à la fin du film, Julia Roberts et Richard Gere, ils se roulent des patins passionnés.
Elle tapa sur ses fesses nues.
— Nous sommes loin, mais alors très loin, de la fin du film, mon beau Richard.
Joujou s’impatientait. Et après avoir été longuement caressée de partout, Manon
semblait s’impatienter telle une call girl qui attend son fric. Elle prit de ses deux mains
l’ensemble Joujou et cacahuètes, enfila juste le manche dans son vagin. Cerveau et sexe mâle
s’emballèrent. Brusquement ventouse et siphon s’invitèrent entre les quatre cuisses, puis Joujou,
penaud, tomba sur le drap.
— Nom de Dieu de nom de Dieu, pourtant ce matin…
Manon repoussa violemment Kevin.
— Quoi, ce matin ? Et toi qui voudrais me reconquérir, espèce de salaud ?
— Je… je…
— Tais-toi, je ne veux même pas savoir qui est cette salope !
— Mais ce n’est pas une salope, c’est… c’est.
Non, il ne pouvait pas le dire, il ne ferait qu’aggraver son cas.
Manon claqua la porte sans un au revoir. Kevin ou Kevinette appela l’hôpital de Lausanne.

À l’autre bout du fil, le professeur Chapelier, malgré son flegme habituel, prononça le
juron préféré de son grand-père :
— Nom d’une pipe en bois ! Descendez vite, je vous attends à dix-sept heures.
Le chirurgien raccrocha, fit venir Giulia dans son bureau.
Elle se tenait droite devant le professeur Chapelier. Il l’observa de la tête aux pieds. Sa
blouse blanche propre et boutonnée jusqu’au col, ses mollets fins sous des collants bronzés
dévoilaient la fragilité de la jeune blonde. Il fronça les sourcils.
— Que pensez-vous de la réussite de notre colle électronique et de l’application
révolutionnaire conçues par notre service en collaboration avec le laboratoire de recherches en
chirurgie informatique ?
— L’expérience Kevin Manon a donc fonctionné ? Nous avons réussi, c’est parfait,
professeur !
— Bravo pour votre enthousiasme, vous m’avez habitué à plus de réserve.
Le professeur présenta une chaise à Giulia.
— Il vous plait beaucoup ou bien.
Elle baissa la tête.
— Répondez-moi sincèrement, Giulia, avez-vous des désirs envers ce bel homme ? Des
envies jusqu’à vouloir faire l’amour avec lui ?

147
Elle rougit jusqu’au sang, souleva péniblement la tête, affronta encore plus difficilement
le regard du professeur.
— C’est une question bien étrange de votre part, professeur.
Il fronça les sourcils.
— Vous êtes une employée laborieuse et totalement dévouée dans votre service chirurgie
informatique. Nous sommes étroitement liés tous deux pour parvenir à secourir Kevin et qu’il
retrouve son sexe mâle comme tout homme bien constitué. Je vous demande comme une faveur
de faire l’amour avec Kevin ce soir dans la chambrette mauve que vous affectionnez tant tous
les deux.
— Comment savez-vous ? dit-elle en repiquant un fard.
— Ici, tout se sait. Alors, votre réponse ?
— C’est-à-dire. Faudrait qu’il soit d’accord. Il a une femme, une amante. Kevin est
surement amoureux. Pourquoi tromperait-il l’une ou l’autre ?
— Faites-moi confiance, il sera d’accord. Je vous demande cela comme un service
professionnel. Kevin a fait l’amour tout à l’heure avec sa femme. L’expérience fut concluante.
Je voudrais une deuxième confirmation. C’est pourquoi je vous demande ce service. Vous
recevrez une prime conséquente si vous acceptez.
Le visage toujours aussi rouge, elle osa :
— Je n’ai pas besoin d’argent, Kevin me…
— Oui ?
— Non, rien. En fait, je n’oserai jamais le lui demander.
Le professeur Chapelier sourit enfin.
— Ne vous inquiétez pas Giulia, laissez-le faire. Dites simplement, par exemple, que vous
êtes vierge, il apprécie dépuceler les jeunes vierges.
— Oh ! Comment osez-vous ou bien.
— Vous êtes donc vierge ?
Toujours aussi rouge, elle plongea la tête vers ses cuisses. Silence.
— Kevin arrivera vers vingt heures. À vingt heures trente, il sera dans l’alcôve. À vous
de jouer, vous serez grandement récompensée, ne serait-ce que par la belle soirée d’amour en
perspective. Allez jusqu’au bout de l’amour, jusqu’à l’orgasme. Kevin, en grand maître, saura
vous y emmener, vous verrez comme c’est infiniment délicieux.

57

Vingt heures pétantes, Kevinette s’asseyait sur une chaise en face du bureau du
professeur, Joujou dans la main.
— Merci d’être venu si vite, Kevin.
— Il faut dire que moi aussi je voulais vous rencontrer rapidement.
— Alors, commençons par vos questions.
Kevinette s’agitait sur sa chaise.
— C’est-à-dire, ce ne sont pas des questions. En fait, je voulais vous informer que j’ai
décidé de garder l’enfant. Il me faut faire aussi un test de paternité prénatal. Je ne sais pas si le
père est Paulin ou Modi.
— Je ne connais pas ces messieurs, mais aucun souci, nous respectons vos souhaits.
Quoi qu’il en soit, dès demain, le délai pour procéder aux démarches administratives pour
l’avortement sera dépassé. La procédure judiciaire pour le test de paternité prendra une

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quinzaine de jours, les tests de paternité une dizaine de jours. Donc nous aurons les résultats
vers le début du mois de février. Autre chose ?
— Non, sinon que je confirme que l’expérience sexuelle avec ma femme a foiré. Je vous
avoue être quelque peu en colère. Vous m’aviez promis que tout était nickel.
— Je fais mon mea culpa. J’en suis sincèrement désolé. Nous allons néanmoins trouver
la solution au plus vite. Nous sommes certains que le bug ne vient plus de la clinique dijonnaise.
Je confirme que l’application mise en place par nos services a complètement largué Damassène
et toute sa clique. Cette fois-ci le problème vient de nos services. Ce sera donc plus facile à
résoudre. D’ailleurs, grâce à vous, nous allons peut-être piéger la coupable.
— En êtes-vous certain ?
— Non. Mais nous ne risquons rien d’essayer. D’ailleurs, pour vous, ça ne peut être
qu’une expérience agréable. Il s’agit de faire l’amour avec Giulia. Et ce, dès ce soir.
Il sembla à Kevinette que le ciel lui tombait sur la tête, un ciel rose empli d’étoiles
lumineuses. Néanmoins son regard se durcit en questionnant le professeur.
— Giulia serait à l’origine du bug ?
— Possible. Giulia travaille dans le service chirurgie informatique. En collaboration avec
nos services, cette jeune fille talentueuse nous a grandement aidés à développer l’application
gérée par smartphone. Je la sais tellement ingénieuse qu’elle a pu être capable d’intégrer
discrètement cette application dans son smartphone. Ensuite, c’est un jeu d’enfant que de
cliquer sur celle-ci pour déconnecter Joujou à distance.
— Et pourquoi ferait-elle cela ?
— À votre avis ?
Silence. Puis Kevin se décida :
— Tout cela est si soudain.
— Pourquoi ? vous n’avez pas mis de slip propre ou bien. Reprenons notre sérieux.
Vous avez rendez-vous dans votre alcôve préférée avec votre amoureuse à vingt heures trente.
Le professeur consulta sa montre : vingt heures quinze.
— Ah ! j’oubliais. Surtout ne rien dire à Giulia, je lui ai laissé croire à la réussite de
votre expérience sexuelle avec votre femme. Jouez le jeu, c’est important. Si pendant votre
rapport, ça se déclipse, c’est que Giulia n’y est pour rien dans ce bug, ce qui m’étonnerait. Si
vous pouvez l’emmener jusqu’à la jouissance, c’est gagné, on saura que c’est elle la responsable
du bug.
— Mais elle peut tricher, Marie avait su tricher.
— Marie avait un complice, Damassène.
— Qui vous dit que Giulia n’a pas de complice aussi.
Le professeur devint songeur un instant.
— J’avoue ne pas y avoir pensé. Cependant Giulia est timide. Je ne crois pas qu’elle aura
osé aborder qui que ce soit pour participer à cette forfaiture. Quoi qu’il en soit, si Giulia a son
smartphone avec elle, vérifiez pendant votre rapport qu’elle n’ait pas la mauvaise idée de s’en
servir.
Le professeur se leva, posa sa main sur l’épaule de Kevinette, un sourire aux lèvres.
— Le lit de l’alcôve est un lit d’une personne, mais comme vous ne ferez qu’un avec
Giulia, cela suffira. À vous de jouer, mon grand. Je compte sur votre discrétion et votre
perspicacité pendant le rapport. Néanmoins, profitez de cette soirée, car il me semble que votre
invitée est très amoureuse. Venez me rendre compte, disons… (il consulta sa montre) à vingt-
trois heures trente. Trois heures avec cette jolie blonde, c’est déjà beaucoup, non ?
Alors que Kevinette sortait du bureau, le professeur la retint par la manche.
— Où allez-vous ainsi ?
— Ben, rejoindre Giulia dans l’alcôve.
Le professeur donna un coup de menton en direction de la main de Kevinette.

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— Vous pensez faire l’amour avec Giulia avec juste Joujou dans la main ? Pas facile, hein !
Allez, baissez votre slip, je vais vous reclipser tout ça avec mon smartphone.

Kevin s’empressa de rejoindre l’alcôve, la moitié de son cœur en joie, l’autre moitié
dans l’interrogation. Il s’assit sur le lit après avoir éclairé la chambrette d’une lumière tamisée
violette. Il effleura de ses doigts la touche « ambiance » de la télécommande option musique
sensuelle. Une mélodie jazz cool aux timbres saxo et piano caressa son oreille. Il s’assit sur le
lit, les yeux dans le décor mauve, les fesses et les mains sur la couette propre, pieds nus sur le
sol, la tête embrouillée de mille questions. Joujou somnolait entre ses cuisses. Kevin se
déshabilla, ne conservant que son tee-shirt avec le dessin d’un petit pot purée carotte. Au-
dessous, le logo « essayer c’est grandir — BLÉDINA ». Logo et dessin prenaient beaucoup de
place, et le maillot trop grand recouvrait tout le sexe. Heureusement que Kevin eut la bonne
idée de retirer à l’avance son string jaune fluo, le maillot suffira pour laisser Giulia pouffer de
rire.
La porte de l’antichambre grinça sur ses gonds. Un pas feutré approchait lentement de la
porte de l’alcôve. La blouse blanche de Giulia apparut dans l’ouverture. Un ange descendu du
ciel. Elle resta là quelques secondes, hésitante. Kevin se leva du bord du lit, s’approcha de la
jeune fille.
— Viens, n’aie pas peur, donne-moi la main. Il l’attira vers le lit, tous deux s’assirent.
— On s’est déjà embrassés, alors pourquoi cette timidité ?
— J’ai honte de ce que je fais. Je n’avais pas le droit. Je le fais parce que le professeur,
un homme sage, me le demande, mais aussi…
— Mais aussi ?
— Aussi je le fais pour toi, pour qu’on soit sûrs que Joujou ne se déclipse plus
impunément.
Par l’attitude de cette jeune fille timide, Kevin pressentait déjà que Giulia n’avait rien à
voir avec le bug. À vérifier toutefois par une baise d’enfer.
Il ne voulut rien brusquer. Il l’embrassa, elle répondit à son baiser. Après un long moment
de câlins, il la prit par les épaules, l’allongea doucement sur le lit en retenant de ses deux mains
la tête aux longs cheveux blonds qu’il posa avec délicatesse sur l’oreiller.
Giulia fixait cet homme doux, admirait ses yeux bleu-vert où les mèches de cheveux noirs
effleuraient les longs cils sombres. Elle sentait le souffle chaud du mâle, enfin un peu femelle
aussi, ce souffle qui s’enfuyait d’une bouche merveilleusement dessinée, réchauffait ses lèvres
froides. Ce furent bientôt les lèvres chaudes de Kevin qui remplacèrent le souffle. La chaleur,
le goût, la caresse humide, tout parut délicieux à la pucelle. Elle enveloppa la nuque de son
patient de ses mains froides, s’abandonnant au jeu préféré de Kevin. Le roule-pelle dura, et dura
encore, il fallut redistribuer les cartes, recommencer les parties, encore et toujours. On aurait
dit qu’ils voulaient battre le record du monde du plus long baiser. On en était pourtant encore
loin, cinquante-huit heures et des poussières, parait-il. Gagné par des Thaïlandais. En même
temps ils concouraient entre Thaïlandais. Si des Suisses participaient entre eux, sûr qu’un
couple de Suisses aurait gagné. Ils auraient même battu allègrement le record parce que les
Suisses, eux, ils savent prendre leur temps et trouver les bons enchainements dans une gestuelle
particulièrement lente.
C’était d’ailleurs ce que Giulia avait retenu de ses origines, prendre son temps, avancer
doucement sa langue dans la bouche de Kevin, cette langue que recherchait avec précaution sa
sœur noyée dans la cavité sombre, et lorsqu’elle frôlait la sœur amoureuse, elle reculait pour
préparer l’assaut, un assaut savamment calculé, ne pas se précipiter, juste titiller l’autre, puis
contourner l’organe qui frétillait comme une anguille, goûter avec sa langue l’autre chair,
s’activer enfin pour justifier le roule-pelle, ralentir à nouveau, lécher tendrement les dents, les
unes après les autres. Trente-deux, parait-il, ce fut long, un deux trois quatre… manque de pot,

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elle en compta trente. Elle recommença, re-trente. Deux dents de sagesse n’avaient jamais
poussé chez Kevin, et ça, elle ne pouvait pas le deviner. Peut-être fallait-il interroger le
partenaire, impossible, la langue restait prisonnière. Alors elle recompta, laissa tomber, s’attela
à atteindre les amygdales pour vérifier. Trop loin, langue trop petite. Elle caressa le palais,
termina le concours par les lèvres. Ce fut l’endroit le plus doux, le plus tendre, le plus sensuel.
Elle se détacha enfin, respira un bon coup. Le couple venait de battre le record du plus long
baiser du quartier, et ça, grâce à la Suissesse ou bien.
— Tu embrasses bien, belle enfant.
La réponse fut un nouveau baiser. Ah non ! Pas si long, s’il te plait, faut passer à autre
chose, d’autant que le professeur attend ma réponse avant vingt-trois heures trente. C’était à
cela que songeait Kevin alors que sa langue tournait trois fois plus vite que sa sœur. Giulia
soupira enfin, posa sa joue sur celle de Kevin, embrassa son cou. La fougue de son long baiser
avait empêché Giulia de remarquer que son compagnon avait déboutonné sa blouse. Il admirait
la silhouette dessinée à son goût, longue, fine, seins un peu gros peut-être, mais il s’en
contenterait sachant que des millions d’autres hommes préféraient ainsi. La coquine soi-disant
timide ne portait sous sa blouse d’infirmière qu’une culotte blanche brodée. L’homme-femme
retira avec une lenteur suisse le cache-sexe signé Rouge-gorge. Il souleva le corps léger de sa
compagne, retira la blouse blanche qu’il jeta sur le sol. À demi allongé près de Giulia, il caressa
les cheveux blonds, les joues, le cou, les épaules, passa son majeur tout le long des clavicules,
embrassa les bras jusqu’au bout des ongles, caressa le ventre plat, tourna autour du nombril, y
déposa un baiser, sa bouche glissa lentement sur les cuisses. Il se retourna, s’assit sur le bassin
de Giulia, puis laissa glisser lentement ses doigts sur les genoux, les mollets galbés, les chevilles,
les orteils.
Giulia enveloppa le torse de son compagnon de ses bras délicats. Elle attira Kevin pour
qu’il s’allonge sur elle. Mauvais sens, tant pis. Elle pourrait s’emparer de Joujou sans effort, se
dit Kevin, ses mains sont juste là où il faut. Mais Giulia n’osa pas. Kevin prit la main droite de
la jeune infirmière, l’attira vers Joujou droit comme un I, l’œil borgne à la place du point. La
main recula. Comprenant la timidité de la jeune vierge, il se retourna, l’embrassa. Giulia sentit
la chair dure et chaude sur son sexe.
— Veux-tu que je mette un préservatif ?
— Oui.
Le latex en place, Kevin s’allongea sur Giulia, écarta les cuisses de l’infirmière avec mille
précautions. Giulia enserrait le dos de son compagnon alors que Joujou, fidèle à son maître
s’immisçait avec prudence dans le vagin de l’infirmière.
— Embrasse-moi très fort, Kevin, j’ai peur.
— Je vais t’emmener à la jouissance en prenant tout mon temps. Ça durera toute la nuit
s’il le faut.
Il ferma les yeux, embrassa avec amour la jeune apprentie de l’amour, son sexe brulant
remuant au fond de son corps. Giulia ouvrit les yeux une fraction de seconde, s’empara de son
smartphone posé discrètement là, sous l’oreiller. Dans la pénombre violette, elle sut naviguer
en quelques secondes sur l’application. Clic ! Ventouse et siphon !

58

À la cafétéria de l’hôpital, Kevinette buvait un café en face du professeur Chapelier.


— Il semblerait que trois heures d’amour avec Giulia ne vous aient pas suffi.
Sans gêne, Kevinette sourit au professeur.

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— J’ai complètement oublié de vous rendre compte hier soir, désolé. C’est ma nature
d’étourdi.
— J’avais remarqué cela depuis bien longtemps. Où avez-vous passé la nuit ?
— Avec Giulia dans le petit lit de l’alcôve, c’est une fille formidable. Ce n’est pas elle à
l’origine du bug. Tout allait pour le mieux entre nous deux, notre rapport se passait bien puis
brusquement Joujou s’est décroché.
— Il semblerait que vous preniez cela plutôt bien.
— C’est vrai, je n’ai jamais cru un seul instant que cette timide Giulia puisse être
responsable d’un tel méfait. Je suis heureux qu’il en soit ainsi. Problème, cette fille est trop
amoureuse de moi.
Chapelier fixa intensément Kevin dans les yeux, avala une gorgée de son café crème.
— Justement, elle me parait trop amoureuse. Avez-vous repéré son smartphone avant,
pendant ou après l’amour ?
— Non, je n’ai rien vu.
— Avez-vous au moins cherché ?
— Oh ! vous savez professeur, j’ai surtout cherché les yeux de Giulia, mais aussi son
petit…
— Suffis, Kevin ! Je ne vous ai pas demandé de faire l’amour avec Giulia juste pour le
plaisir, mais pour enquêter.
— J’ai fait l’amour et j’ai enquêté. L’enquête fut d’ailleurs plus efficace que le rapport
sexuel puisque l’on sait maintenant que ce n’est pas Giulia la coupable.
— Permettez-moi de douter encore, Giulia est une fille intelligente. Et amoureuse aussi.
Bien ! Rideau sur cette affaire jusqu’à votre accouchement. Joujou au placard, Minou en scène.
C’est bien ainsi que vous appelez votre sexe féminin, n’est-ce pas ?
— Oh ! c’est Manon qui l’a baptisé ainsi, tout comme elle avait baptisé Joujou.
— Au fait, je ne vous l’ai pas encore dit, Damassène m’a téléphoné hier matin, il voudrait
suivre votre grossesse.
Kevinette grimaça d’un sourire ironique.
— J’espère que vous l’avez envoyé chier.
— Disons que le terme « chier » n’est pas le terme exact, « promener » semble plus
propice.
— Quel con ce Damassène ! Toujours à fouiner là où ça ne le regarde plus.
— Justement, ce triste chirurgien dit qu’il a créé cet utérus dans votre ventre, qu’il est à
l’origine de votre grossesse, il tient donc au suivi. Croyez-moi, Damassène n’ira pas se
promener ni même aller aux toilettes pour la grosse commission, il va revenir à la charge d’une
façon ou d’une autre ou bien.
— Ou bien quoi ?
Le professeur lança ses bras en l’air.
— C’est une expression suisse, vous ne le saviez pas ?
— Si, mais je n’arrive pas à m’habituer, j’attends toujours la suite.
— La suite, la voici : je n’ai pas perdu de temps, la demande de paternité est partie au
procureur. Pour le suivi de votre grossesse, il faudra une échographie chaque mois jusqu’à
l’accouchement. Prises de sang, etc. Le prochain rendez-vous pour votre suivi aura lieu à la fin
du quatrième mois, soit vers le 20 janvier. Disons mardi 21, cela vous convient ?
— Dîtes professeur, pourra-t-on encore mieux voir le bébé ? Paulin pourra-t-il
m’accompagner ?
— Nous verrons plus de détail du bébé au quatrième mois, mais pas encore le sexe. En
ce qui concerne le père, attendons toutefois de savoir. Voulez-vous un autre café ?
— Non merci. Je vais bientôt devoir vous quitter, j’ai promis à Giulia de passer lui dire
au revoir.

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— Soyez prudent avec cette jeune fille, surveillez donc ses gestes et son attitude.
Rappelez-vous qu’elle a collaboré avec moi pour la création de l’application reliant la colle
électronique. Sachez aussi que c’est elle le fameux espion qui a démasqué Damassène et sa
complice Marie.

Trop prudent ce professeur Chapelier, songeait Kevin en longeant les couloirs pour
rejoindre le service Chirurgie informatique. S’il savait la douce nuit que j’ai passée avec Giulia,
sûr que cette fille est amoureuse, tellement amoureuse qu’elle est capable de me refiler ce
charmant virus. Nous nous sommes endormis après ce semblant de relation charnelle, enlacés,
lèvres contre lèvres. Heureusement que je n’avais qu’une narine de bouchée. Trop douce, trop
gentille, trop belle et trop pucelle pour être coupable. D’ailleurs je ne l’ai pas vue avec son
smartphone de toute la soirée, de toute la nuit, ni même à son réveil. Il faut chercher le coupable
ailleurs, peut-être ce Grec de malheur. Il est malin celui-là, et surtout, il ne semble pas vouloir
me lâcher.

59

Modi, costume et cravate noirs sur chemise blanche, tel un gars des pompes funèbres,
crâne rasé, barbe de six jours mal rasée, parlait d’amour avec sa voisine la rousse effrontée. La
mèche effilée de Lou séparait ses deux yeux. La musique jazz cool sortie du saxophone de
Tristan et du piano de son acolyte rebondissait sur les baies vitrées, sur les bancs et chaises de
simili rouge, caressait les oreilles du couple amoureux. La mèche rousse toujours suspendue,
Lou orienta sa tête en direction de la porte d’entrée du pub. Un courant d’air frais envahit la
salle. Kevinette, pantalon ample, chemise large et longue, pénétrait dans la salle, saluant d’un
coup de tête son ami Tristan qui soufflait dans son sax. Elle s’installa au bar, commanda un
perrier, dévisagea la clientèle. Beaucoup de monde en ce samedi soir, de jeunes mecs plus ou
moins éméchés, de moins jeunes enthousiastes devant leur verre de whisky. Beaucoup de filles
papotaient autour des tables devant un verre d’alcool, habillées cool et plutôt bien maquillées.
Les plus audacieuses, ou les plus bourrées se mélangeaient aux mecs autour du bar, bousculant
la femme enceinte assise sur une chaise haute. Le tabouret à trois pieds se balança sur deux
pieds. La dame Kevin, fond de teint doré, les yeux ombrés d’un fard rouge sombre, mascara
allongeant ses cils déjà longs, se récupéra in extrémis, émettant un petit cri aigu de femme en
détresse.
Lou se précipita.
— Vous ne pouvez pas faire attention, les poufs, vous ne voyez donc pas que cette femme
est enceinte ?
— T’as vu comme elle nous cause cette pimbêche.
Modi s’approcha et prit la main de sa chérie. Vu la carrure du black, les gonzesses un peu
saoules s’éloignèrent en ronchonnant. L’une d’elles se retourna.
— Qu’est-ce qu’elle fout là cette femme en cloque ? Dans son état, elle peut pas rester
vers son mec !
La voix légèrement aigüe de Kevinette trouva une vive répartie :
— Justement, il est là, mon mec, et fait gaffe à toi, les blacks, ça cogne fort.
Modi plissa son front, Lou lâcha la main de son amant.
— Viens t’assoir vers nous, Kevin, tu me fais pitié, que fais-tu là ?
Kevinette, avant de répondre, prit son verre de Perrier et vint s’installer à la table du
couple. Elle leva son regard vers Modi.

153
— Je suis venue pour te voir Modi, je savais par Paulin que tu serais ici ce soir.
Elle hésita avant de poursuivre, un regard rapide vers sa belle-fille.
— Tu es peut-être le père du bébé, Modi.
— Je savais que toi enceinte, mais jamais pensé que moi le père. Oh, non !
Visage fermé, tête baissée, Kevinette laissa faire le silence. Lou rompit le malaise, posa
sa main sur celle de son beau-père. Elle secoua sa mèche qui ne bougea même pas.
— Es-tu certain que c’est Modi le père ?
— Non, c’est peut-être Paulin. J’ai demandé deux tests de paternité.
Puis Kevinette se tourna vers Modi :
— Le labo te fera juste un prélèvement salivaire.
Lou lâcha la main de Kevinette, il ne fallait pas trop en faire, pensa-t-elle. L’image de
Kevin femme, de surcroit enceinte, elle en oubliait son beau-père, ne reconnaissait qu’une
femme fragile à protéger. Elle savait pour la partouse, c’était d’ailleurs pour cette raison qu’elle
s’était vengée en faisant ménage à trois. Mais cela n’avait pas duré. Paulin avait été rapidement
mis sur la touche. Et qu’allait donc proposer son black pour ce bébé qui rentrait peut-être dans
leur vie ?
Modi qui buvait rarement d’alcool, commanda un double whisky. Au fil de la soirée, de
pâle, il rougit, commença à déconner.
— Compends pas ! Avec gosse queue à moi jusqu’au fond de l’utérus je suis allé, alors,
pouf, spematozoïdes à moi, tous écasés conte la paoi, ah, ah ! Pis boué comme j’étais, pas sû,
moi, avoi éjaculé.
— J’étais femme cette nuit-là et j’ai bien senti que tu jouissais en moi.
Ce fut l’heure de la pause orchestre. Tristan, une bière à la main, s’empressa de rejoindre
la table de ses amis.
— Ah, ah, Kevinette ! Encore plus belle en femme qu’en homme.
Il s’assit à côté de Kevinette, l’embrassa sur la joue, posa une main sur le ventre déjà rond.
— C’est con ce qui t’arrive, obligée de devoir élever un enfant tout seul. Au fait, c’est qui
le bienheureux père ?
Tous se regardaient. Modi rougit malgré le noir de son visage. Personne ne répondit.
— J’ai dit une connerie ?
— Modi ou Paulin, dit enfin Kevinette.
— Bravo Kevinette ! Lorsque tu t’exhibes en mâle conquérant, tu te tapes les plus belles
filles du monde, et comme ça ne te suffit pas, en charmante femelle superbement maquillée tu
te tapes les plus beaux gosses de la terre.
— Meci, répondit Modi, le visage cramoisi.
Tristan épluchait une clémentine.
— Tous des radins, ces patrons, ils n’ont même pas l’idée de nous offrir un petit casse-
dalle.
Lorsque la clémentine fut nue, Tristan, dans un large sourire, partagea le fruit en deux,
posa sur la table une large portion faite de quatre tranches orange pâle.
— Regardez à quoi ressemble la foufoune de Kevinette, ah, ah !
L’effet fut saisissant. Les deux tranches de face représentaient parfaitement les grosses
lèvres, les deux tranches intérieures plus cachées exhibaient les petites lèvres.
Ils sourirent, sauf Kevin, et Lou.
— J’aurais pu le faire avec une moule, mais je n’avais pas ça sous la main, ajouta Tristan,
mais je ne désespère pas, j’en trouverai peut-être une dans mon lit cette nuit, ah, ah !
— Jaune orange, cois-tu c’est bonne couleur ? demanda Modi.
Tristan éclata de rire une nouvelle fois.
— Ah, ah ! on s’en fout de la couleur, c’est le goût qui compte. Moi j’aime bien, et les
moules et les clémentines.

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Kevinette se décida à intervenir.
— Minou est blanche, à l’accouchement elle sera rouge, après plus personne ne la verra,
même pas moi.
— Oh là, calme-toi ! Les toubibs ne vont pas te rebrancher Joujou aussi vite. Faudra bien
que tu allaites bébé quelques mois. Si l’on te soude Joujou trop tôt, le gosse est capable de sucer
ta queue, ah, ah !
— Cette fois-ci arrête tes conneries, intervint Lou, ce n’est pas parce que Kevin est une
femme qu’il faut la traiter comme un objet.
Alors Tristan changea de conversation :
— Avant que je reprenne mon sax, faut que je vous dise. Pour la Saint-Valentin, il y a un
club échangiste à Genève qui propose un carnaval d’enfer. Je vous explique vite fait. On part
tous déguisés, en homme, en femme, en travelo, au choix. Tout le monde danse avec tout le
monde. Un peu avant minuit, le DJ lance des slows. À minuit une cloche retentit. Chaque couple
formé au son de la cloche, le partenaire doit coucher avec sa partenaire. Génial, non ?
Tout le monde se dévisagea sans rien répondre. Juste Modi qui éclata de rire. Tristan crut
bon d’ajouter :
— Venez avec votre conjoint, comme ça pas de jalousie dans les couples. Toi, Kevin, tu
approcheras de ton cinquième mois de gonflette, et comme ton ventre parait déjà bien rond, tu
n’auras pas besoin de te déguiser, juste peut-être une robe de grossesse, ah, ah !
Lou bondit de sa chaise, l’index en avant.
— Retourne à ton sax, là, tu es bien meilleur. Tu nous emmerdes avec tes cochonneries
et tes conneries qui n’intéressent que toi.
Tristan s’exécuta devant la rage de Lou. Avant de reprendre son sax, il lança vers la table
de ses amis.
— N’oubliez pas ! le 14 février à Genève.
— Merci de me protéger ainsi, Lou, je ne te reconnais plus tellement tu es douce avec
moi, avoua Kevinette.
— Moi non plus je ne me reconnais plus. C’est peut-être parce que tu es devenu femme
et que tu seras bientôt maman.

60

— Allongez-vous, Kevin. Tournez la tête sur la droite si vous voulez voir l’écran.
Félix accompagnait son patron pour l’échographie du quatrième mois.
— Oh ! c’est froid ! s’exclama Kevinette de sa voix de plus en plus aigüe.
— Ce n’est rien, ne soyez pas douillet, qu’en sera-t-il le jour de l’accouchement ? Là,
c’est juste une eau gélifiante pour mieux voir le bébé à l’écran.
Le professeur parcourut le ventre rond avec la sonde. Brusquement il s’interrompit, fixa
son adjoint. Ce dernier avait compris. Seul Kevin, néophyte sur la question médicale, ne
remarqua pas de différence avec la dernière échographie. Le professeur Chapelier, un demi-
sourire aux lèvres, se tourna sur sa chaise, fixa Kevinette.
— Vous attendez des jumeaux, mon cher Kevin, n’est-ce pas magnifique !
— Ah ! vous trouvez que c’est magnifique ? Pourtant j’aurai deux fois plus mal à
l’accouchement.
— Voyez le côté positif, Kevin : deux fois plus de primes prénatales, plus d’allocations
familiales, une aide à domicile pour vous aider à élever les enfants durant les premières
semaines et j’en passe, sans parler que vous pourrez offrir et recevoir deux fois plus d’amour.
— Je pourrai donner un bébé à Modi et un à Paulin.

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— Ah, ah ! vous croyez que cela se passe ainsi. Attendons d’abord de connaitre le père.
Félix prit la main de son ami.
— Nous allons bien nous occuper de toi et de tes jumeaux, avant et après l’accouchement.
Tu seras bien épaulé également par tes amis, à commencer par Manon.
Kevinette, toujours couchée sur le lit de travail, se tourna vers son ami.
— Justine et Belinda veulent un gosse de moi, un enfant pour chacune.
— Décidément vous avez vite fait de vous débarrasser de vos bébés ! s’exclama le
professeur Chapelier, ce sont des quadruplés qu’il vous aurait donc fallu. Bien ! rhabillez-vous,
rendez-vous au labo pour les prises de sang. Ensuite on se voit dans mon bureau, j’ai d’autres
nouvelles. Au fait, j’ai la réponse du procureur, c’est OK pour les tests. Appelez les pères qu’ils
passent à leur laboratoire d’analyses médicales pour les tests salivaires, je fais parvenir
l’ordonnance en France.
Après la prise de sang, Kevinette courut jusqu’au service chirurgie informatique.
— Je peux voir Giulia ?
— Giulia est dans le service transgène à l’autre bout de l’hôpital, je peux vous aider, je
suis sa remplaçante pour la soirée.
— Non merci.
Elle s’en retourna encore plus vite qu’à l’aller, bougonnant dans sa moustache imberbe.
C’est tout moi ça, Giulia passe autant de temps dans un service que dans l’autre, j’aurais pu
vérifier avant, quel con je suis ! Et puis d’abord, est-ce un hasard si Giulia est encore au service
transgène lorsque je suis là ? Sacrée amoureuse !
Kevinette entra tout essoufflé dans la salle des infirmières.
— Bonjour Giulia.
Elle s’approcha de lui, l’embrassa avec une certaine retenue devant ses collègues. Elle
sortit dans le couloir, prenant l’avant-bras de son amant. Elle parla doucement.
— As-tu rencontré le professeur ?
— Oui, il vient de me passer une échographie.
— Est-ce qu’il t’a parlé pour ce soir ?
— Pour ce soir ? En fait, j’ai rendez-vous dans son bureau tout de suite.
— Pourquoi me cherches-tu ?
— Ben… pour te voir, t’embrasser.
— On aura tout le temps ce soir, cours chez le professeur.

Assise en face du grand bureau dont elle connaissait chaque veine du chêne massif,
Kevinette attendait l’arrivée du professeur Chapelier. Ce dernier entra et s’installa derrière son
grand bureau.
— Restez assis, Kevin. Êtes-vous sûr de ne pas avoir aperçu le smartphone de Giulia
l’autre nuit ?
— Ben, je ne sais pas, je ne crois pas.
— Bien ! Le lendemain de votre rapport sexuel raté avec Giulia, j’ai convoqué celle-ci.
J’ai laissé croire à cette jeune fille que j’avais oublié mon portable chez-moi. Je lui ai demandé
de me prêter le sien quelques minutes. Je voulais vérifier en cachette si elle n’avait pas piraté
l’application « top secret » pour l’introduire dans son smartphone, ensuite je voulais vérifier la
programmation. Savez-vous ce qu’elle m’a répondu ? « Mais vous avez votre téléphone fixe,
professeur ». Je lui ai rétorqué : oui je sais, mais j’ai besoin d’un portable pour passer incognito,
il ne faut pas que mon appel provienne de l’hôpital. Et que croyez-vous qu’elle ait fait : « je
reviens de suite, je vais en emprunter un à une collègue, je n’ai pas mon portable sur moi »,
m’a-t-elle répondu. Bien sûr que je ne l’ai pas crue, elle qui ne se sépare jamais de son iPhone
dernier cri. Vous en déduisez quoi, mon cher Kevin, eh bien, je suis de plus en plus persuadé
que Giulia nous ment. Ce soir encore, il faut m’aider. Giulia est amoureuse de vous. Passez la

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soirée avec elle, même la nuit s’il le faut, faites-la parler. Une femme amoureuse craque toujours
devant son chéri qui sait lui faire les yeux doux. Pas besoin de faire l’amour avec elle, d’ailleurs
Giulia n’est pas lesbienne. J’ai tout arrangé avec son service de chirurgie informatique, Giulia
est disponible pour vous. Venez au rapport demain matin, j’espère que vous reviendrez avec
des aveux.
Kevinette sortit dans le couloir, tout à ses songes. Est-ce que je me souviens du portable
de Giulia ? Tu parles, ce n’était pas mon souci cette nuit-là, j’avais autre chose à r’luquer que
le smartphone. Quel naïf ce professeur, on dirait qu’il ne s’est jamais tapé une jolie femme. Ça
s’peut bien, vu à quoi il ressemble, son tout petit crâne lisse et poli comme lui, ses joues creuses,
ses courtes jambes maigrichonnes. Moi qui suis femme, si j’le prends entre mes cuisses et que
je serre un peu trop, c’est pas le zizi qui va prendre peur, c’est le petit homme dans son entier
que j’écrabouillerais. Pauvre professeur, pas beau, trop sérieux, mais tellement compatissant !
Je sais bien qu’il m’apprécie malgré mes travers.
Elle sortit de ses songes lorsqu’elle tomba nez à nez avec Giulia.
— Je t’emmène manger une pizza de l’autre côté de l’avenue, leur spécialité « oignon
banane persil » est délicieuse. J’espère que tu aimes le sucré salé, sinon il y aura d’autres pizzas
à ton goût, dit-elle.
Oignons, banane, persil, elle ne se foutrait pas un peu de moi, cette petite pucelle !
Ils entrèrent dans la pizzéria, un grand restaurant aux murs de pierres jointées avec un
enchevêtrement de poutres en châtaignier, des jardinets entre les tables : plantes grasses, plantes
vertes, par-ci par-là quelques petits bananiers. Kevinette chercha le persil et les oignons. Rien.
Peut-être n’était-ce pas la saison ? Les bananes non plus d’ailleurs. Janvier, mois sans potagers
et sans fruits.
Ils goutèrent tous deux à la spécialité, Kevinette préférant de loin, persil, oignon et banane
génétiquement modifiés par Dieu qui créa l’homme à son image. Ils ne connaissaient même pas
la parité, ces anciens ! Et la femme, qui l’a donc créée si ce n’est Dieu ! Et si Adam a croqué la
pomme, pourquoi Eve n’aurait-elle pas sucé la banane ?
Durant tout le repas, Kevinette ne quitta pas des yeux le portable de Giulia posé là sur le
coin de table. Mais que voir sur un écran noir qui s’éclairait parfois pour montrer un bébé dans
son couffin ? Oh ! Ange démoniaque, se demanda Kevinette, si elle est encore pucelle, le Saint-
Esprit serait donc redescendu sur terre. Il faut, soit adorer, soit se méfier de cette Marie-bis.
La conversation tourna autour de banalités, Giulia la timide parlait peu, Kevinette la
paumée causait layette, comment langer un bébé, recettes de cuisine, et de Blédina qui fait
grandir bébé pas à pas.
Elle n’avait pas osé enfiler son tee-shirt au logo débile, elle préféra une chemise ample
au col en V montrant un début de seins déjà bien formés. Sous la table, elle cachait un pantalon
blanc taille 58 tenu par un élastique brodé. Kevinette, coquette sous un maquillage sobre, ne
passerait pas une nuit à faire l’amour en homme, ni même en femme, elle se promènerait dans
le lit en détective à la recherche d’indices. La filature sera d’autant plus facile, vu que la
grandeur du quartier se réduira aux quatre angles du petit lit de la chambrette mauve.
Et dans la chambre mauve, Kevinette posa délicatement sa compagne sur le lit, si légère
jusque-là dans ses bras depuis la porte de l’antichambre à la couette. Elle la déshabilla lentement.
Giulia retenait maladroitement les mouvements de Kevinette, surtout à l’instant où il fallut
retirer la petite culotte aux douces couleurs de la chambre.
Musique cool, lumière colorée et tamisée, deux femmes dans un petit lit, la pucelle
dessous, la policière dessus. Quel dommage, se dit Kevinette, si Joujou était là, j’aurais pu
vérifier si le Saint-Esprit rôdait dans la région. Elle essaya avec deux doigts. Giulia le repoussa
plus délicatement qu’il ne l’aurait pensé.
— Ne peut-on pas commencer par s’embrasser, mon bel amour ? murmura Giulia.

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Tiens donc ! farceuse ou amoureuse ? se demanda Kevinette. En bon détective qui ne
flairait aucune piste, elle s’engagea volontairement dans la fausse piste que lui indiquait la
suspecte. Mieux l’apprivoiser, jouer au naïf — ça, il savait faire —, ne pas la provoquer. Ils
s’amusèrent donc longtemps au jeu de roule-pelle, la Suissesse, trop lente, perdait souvent. Il
surveillait d’un œil le portable posé à côté de sa tête. Kevinette caressa les seins de Giulia, mais
rien en retour, elle avait pourtant appris à les aimer, ses propres seins. Parfois, devant la glace,
elle admirait ses deux petits biberons, les imaginant gonflés de lait, de beaucoup de lait
désormais, il fallait nourrir deux bébés. C’était d’ailleurs ce que lui avait expliqué le professeur
« vous aurez vraisemblablement une forte poitrine les derniers mois de votre grossesse, vous
sentirez quelques douleurs, rien de grave, juste des montées de lait ». Kevinette n’avait pas
honte de son état physique, au contraire, elle en était fière, elle était femme avant tout. Elle
rêvait même de Paulin à la place de Giulia dans ce petit lit, Kevinette dessous, Paulin dessus.
Mais il fallait enquêter :
— Tu es belle, Giulia. Je serais homme, je te ferais l’amour comme jamais.
— Merci, Kevin.
— Pourquoi tu ne me caresses pas ?
— Parce que je ne veux pas te donner des envies que tu ne pourrais pas assouvir.
— Mais on peut s’amuser à des jeux lesbiens.
— Non, j’attends que tu redeviennes homme, là, je t’aimerai encore plus.
Elle se souleva, écartant son ventre du corps de Giulia.
— Je te dégoute, c’est ça ?
Giulia l’attira sur son corps, déposa ses lèvres sur les siennes.
— Non, je t’aime comme tu es. Tes yeux restent les mêmes, tes cheveux, ta bouche, ton
nez, ton visage. Ton corps change, mais c’est un beau corps de femme enceinte, quoi de plus
beau ! Embrasse-moi encore, je ne m’en lasse pas.
Longtemps après :
— Toi aussi tu as de beaux yeux, de beaux cheveux dorés, une jolie bouche, un nez bien
dessiné, un visage… une poupée Barbie qui gigote sous mon ventre pour de vrai. C’est qui, ce
bébé sur ton écran d’accueil ?
— Oh, mais te voilà fin observateur. Ce bébé, c’est un secret. Je ne peux rien te dire pour
l’instant.
— C’est ton bébé ?
— Je ne peux rien te dire pour l’instant. Plus tard.
Elle caressait la nuque sous les boucles noires, embrassait sans se lasser, nez, oreilles,
lèvres, joues, front, cheveux.
— Je t’aime, Kevin, je t’aime, je t’aime tellement que j’ai honte de tromper Justine,
tromper peut-être aussi ta femme.
— Tu es libre, Giulia, et moi aussi, n’ayons honte de rien.
— Je t’aime tellement que… après, je voudrais que tu me fasses un enfant.
Ah non, ça ne va pas recommencer ! Deux bébés à partager, un pour Justine, un pour
Belinda, il me faudrait des triplés maintenant ! s’exclama-t-elle intérieurement.
Elle voulut flairer une autre piste, descendit lentement son visage vers le bas-ventre de
Giulia. Deux mains fragiles enveloppèrent sa tête qui dut remonter jusqu’au sein, puis jusqu’aux
lèvres (du haut). Raté. La fille est soit rusée, soit timide, soit trop amoureuse. Peut-être les trois.
— Je t’aime, Kevin, je t’aime.
— Moi aussi.
— Menteur !
Kevinette se souleva sur ses avant-bras.
— Tu m’aimes ou tu m’espionnes ? dit-elle.
Merde, comment sait-elle ?

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— Depuis deux heures que nous sommes l’un sur l’autre dans ce petit lit, tu n’arrêtes pas
d’épier mon portable. Ne crains rien, tu n’as plus Joujou entre tes cuisses, je ne peux pas le
déclipser.
— C’était donc toi !
Elle s’écroula sur Giulia. Les larmes inondèrent son visage. Elle aimait tellement cette
fille timide, gentille, belle, amoureuse, comment pouvait-elle lui faire cette vacherie-là, non,
pas elle, pas elle !
Kevinette renifla, essuya ses yeux, son visage et son nez dans le drap. Le souffle de Giulia
caressa son oreille :
— Je t’aime, Kevin, je t’aime tellement que j’ai fait de trop grosses bêtises.
Giulia se redressa et s’assit dans le lit, le dos contre le mur. Kevinette et son ventre déjà
rond, rampa jusqu’à ses cuisses, se serra contre ses fesses. Elle poursuivit, les doigts croisés
devant son sexe nu.
— Le chef du service chirurgie informatique me donna l’autorisation de collaborer avec
le professeur Chapelier. Il appréciait mon travail, disait que j’étais douée et que le professeur
avait besoin de moi pour élaborer le programme de gestion de la colle électronique. J’ai trop
vite compris sa double utilité. Réussir enfin à souder définitivement ton sexe mâle à ton corps,
et tricher un peu pour t’empêcher de faire l’amour avec d’autres femmes. Folle d’amour, je te
voulais à moi, rien qu’à moi. J’avais compris depuis longtemps, avant même d’avoir modifié le
programme pour introduire dans l’application une fonction malsaine, j’avais compris qu’une
personne m’avait devancée. Sauf que cette personne cumulait triche et méchanceté.
— Parce que toi, tu considères donc que tu n’es pas méchante.
— Écoute la suite. Le professeur Chapelier et moi-même avions donc mené,
parallèlement au développement de notre application, une enquête concernant ce bug qui
permettait à l’intrus de coincer Joujou à distance avec ta partenaire. C’est ainsi qu’après
plusieurs semaines de recherches et de déplacements entre Dijon et Lausanne, j’ai pu démasquer
monsieur Damassène et sa complice Marie. Ce fut facile. J’avais gagné la confiance de l’équipe
médicale de la clinique grâce au partenariat que le professeur et moi avions inventé : Lausanne
veut bien coopérer pour le suivi de la grossesse de Kevin. Marie m’apprécia très vite en raison
de mes travaux où je lui promettais faussement qu’en échange d’un peu d’argent je l’aiderais à
entrer dans notre application « top secret ». Est-ce ma timidité, ma douceur, toujours est-il que
je gagnai sa confiance, elle me révéla trop de choses, me prêta le troisième smartcolle, c’est là
que j’ai découvert, bien caché dans un dédale de chemins informatiques, l’accès à la
modification de l’application. Marie ou Damassène, celui qui détenait le smartcolle à l’instant
où Joujou entrait dans le vagin, recevait un appel lumineux et sonore qui l’informait des va-et-
vient de ton sexe. Ils n’avaient plus qu’à cliquer et la colle électronique décuplait ses fonctions,
collant ainsi le vagin de la partenaire.
— Les salauds !
Dans l’ambiance des lumières violettes, Kevinette fixa Giulia dans les yeux.
— Et toi, tu ne vaux pas mieux.
Elle baissa la tête, poursuivit :
— Profitant de cette expérience, j’ai su très vite introduire un bug un peu différent. D’une
part, entrer l’application dans un smartphone semblait plus pratique, d’autre part, comme je ne
suis pas si méchante que Marie, j’ai trouvé l’astuce de déclipser Joujou plutôt que de te laisser
avec la honte d’aller aux urgences, collé serré. Marie aimait mieux la première version, car elle
pensait qu’elle saurait, à l’occasion, avec quelle femme tu couchais puisqu’elle espérait que tu
irais aux urgences à Dijon. Cette vicieuse te l’avait d’ailleurs conseillé, te souviens-tu ?
— Et toi, ce n’est pas du vice ?
Elle déposa un baiser sur sa joue.

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— Je regrette profondément ce que j’ai fait. Cependant, Marie voulait un enfant de toi
avant les autres, pour la gloire, pour l’argent ainsi que son chef Damassène. Moi, je l’ai fait par
amour. Je t’aime tellement que ma jalousie m’a porté jusqu’à ces mensonges, cette monstruosité.
Elle éclata en sanglots sur les genoux de Kevinette.
Après un long silence, Giulia murmura :
— Le bébé en photo sur mon écran d’accueil, c’est Lina. Je suis mère célibataire.

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Début février, alors qu’elle prenait son petit-déjeuner, seule dans son appartement de
Champagnole, Kevinette reçut un SMS de Félix,
— Nous avons les résultats. Je ne travaille pas à l’hôpital aujourd’hui. Passe me voir à
la maison dans la matinée.
— Dis-moi donc qui est le père.
— Je te le dirai de vive voix.
— Tu n’oses pas me dire que c’est Modi, c’est ça ?
— Je t’attends.
— Je suis chez toi dans un quart d’heure.
Deux minutes pour achever son petit-déj, cinq minutes pour s’habiller, pantalon très
grande taille, chemise ample, deux minutes pour monter dans la voiture, quatre minutes de trajet.
Moins d’un quart d’heure après l’échange de SMS, Kevinette sonnait à la porte de Félix
et d’Océane. Ce fut Océane qui le reçut. Elle la dévisagea quelques secondes. Depuis le temps
qu’elle ne l’avait pas vue. C’est vrai qu’ils restaient en froid tous les deux depuis qu’Océane
avait giflé Manon. Kevinette s’en fichait, de toute façon ce n’était pas son genre de femme.
Jalouse, envieuse, et puis trop grosse, même si bien des mecs pensaient l’inverse, certes des
yeux bleus, mais trop globuleux, et puis des cheveux bouclés, c’était passé de mode.
— Tu es belle, Kevin, beau style pour un homme enceinte !
Celle-là aussi se fout de ma gueule, pensa Kevinette. Rien à foutre.
— Félix est là ?
— Il t’attend dans le salon.
Pas encore assis dans le fauteuil, Kevinette demanda :
— Alors, ce père ?
Félix lança les deux papiers qu’il tenait encore en main sur la table du salon. Kevinette se
précipita. Premier test : Paulin, négatif. Merde ! Deuxième test : Modi, négatif.
Elle s’écroula dans un fauteuil, posa ses mains sur son ventre. Les bébés lui filaient des
coups de coude, comme pour implorer le père.
— J’attends des explications, Kevin.
— Il n’y a rien à expliquer, je ne sais pas qui est le père.
— Que dis-tu là, tu sais bien avec quel autre homme tu as couché, ou alors il y en a
beaucoup trop.
— Non, je t’assure, Félix, ces tests négatifs, ça m’embrouille, je ne comprends rien. Faut
que je rentre à la maison, j’ai besoin de réfléchir, de faire le vide.
Elle se leva du fauteuil. Félix essaya de la retenir.
— Tu n’as pas bu ton café.
— Je n’en veux pas, je te rappelle au plus vite.
Elle quitta la villa aussitôt.
De retour à la maison, elle s’enferma dans sa chambre, s’affala sur son lit. Couchée sur le
dos, les mains croisées derrière la nuque, elle rumina son erreur. Même bourrée, elle aurait senti

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un mandrin dans Minou. Ce n’était pas le Grec, même complètement cuit, elle aurait reconnu
sa face de rat, pas Tristan, elle lui aurait dit, non, elle ne voyait vraiment pas. À moins que. Oh,
non, impossible ! pas ça ! Elle rappela Félix. Son portable ne répondit pas.

— Allo ! patron ? Kevin sort de chez moi, il ne veut rien dire au sujet du père, il a des
propos incohérents, je ne comprends pas ce qui se passe, que faut-il faire ?
— Kevin est trop perturbé, répondit le professeur Chapelier. On le serait pour bien moins
que cela. Il devient femme contre son gré, il attend un enfant imprévu, pire, des jumeaux, il a
connu tous ces bugs avec son sexe mâle. Quelque part, Kevin ne résiste pas trop mal,
heureusement qu’il prend du bon côté la venue de ses enfants. Il faut qu’il soit suivi par un
psychiatre, nous en avons d’ailleurs déjà parlé,
— En attendant, nous ne savons pas qui est le père.
— Écoute, Félix, ce n’est pas trop notre affaire dans l’immédiat, c’est plutôt de la
responsabilité de la mère. En attendant, essaie de le faire descendre à l’hôpital dès que possible,
le docteur Ternan le prendra en charge, c’est un excellent psy.
Le carillon de la villa résonna une nouvelle fois à la porte d’entrée. Océane se présenta.
— Ah ! encore la belle gosse.
— C’est ça, fous-toi bien de ma tronche. Toujours jalouse de n’avoir pas pu baiser ni avec
moi ni avec ma femme.
— Félix, c’est pour toi, cria Océane depuis l’entrée.
Kevinette s’empressa de rejoindre le salon, s’installa dans le fauteuil, Félix assis en face
de son ami dans le canapé.
— Je crois savoir qui est le père, mais tout ça me parait bien difficile à dire.
Félix essaya de sourire.
— Ah ! Je le connais ?
— Oui.
— Je te sers un café, cela te fera du bien. Ensuite tu me diras tout.
Pendant que Kevinette dégustait son café brûlant, Félix, souriait, et contrairement à son
tempérament, il voulut charrier son ami :
— Tu n’oses pas cracher le morceau parce que le père que tu t’es tapé n’est pas très beau.
— Alors là, pas du tout, répondit Kevinette en reposant sa tasse vide sur la table basse.
— Attends que je devine. Je le connais… il est beau… un ivrogne peut-être ?
— Arrête de jouer, Félix, ce n’est pas marrant. Je vais tout te dire. Vers la mi-septembre
j’ai fait cette partie à trois à moitié bourré avec Modi et Paulin. Je croyais donc que l’un des
deux était le père. Mais voilà…
— Oui…
Silence.
— Voilà quoi ?
— Eh bien, à peu près à la même période, Joujou s’est déclipsé alors que je faisais l’amour
avec Manon. Tu connais ma femme, elle aime les jeux coquins.
— Non, je t’assure, Kevin, je ne connais pas ta femme sous cet angle-là.
— Bref, Joujou autonome, elle a voulu que je me serve de Joujou comme d’un gode.
— Ah, non ! s’exclama Félix, je crois comprendre.
— Attends, je n’ai pas fini. Là-dessus, Joujou a buggé, il est resté collé dans mon vagin.
Je n’ai pas eu le temps d’éjaculer. Manon m’a accompagné à la clinique de Dijon pour qu’on
me libère de Joujou. Donc jusque-là pas de risque, sauf que ce début de masturbation était…
était génial. On aurait dit que le plaisir était exponentiel, le désir de l’homme et de la femme
réunis, non pas en deux brasiers, mais mille, dix-mille feux. Du coup, je n’ai pu m’empêcher
de recommencer seul à la maison. Une fois, deux fois, trois fois, j’ai joui comme jamais, j’ai

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même dû m’évanouir, car je me souviens du septième ciel. Aujourd’hui je regrette infiniment
cette perversité. Le papa, c’est la maman.
Félix, après avoir écouté le mea culpa de son ami, parut soucieux. Il avait perdu son
sourire rare pour retomber dans un excès de sérieux. Il se leva, sortit le whisky du bar, servit
deux verres, avala le sien cul sec.
— Qu’allons-nous faire, Félix ?
— Je ne sais pas. Nous allons tout d’abord appeler le professeur Chapelier puis nous
aurons besoin d’un peu de temps pour réfléchir au problème.
Kevinette but son verre, se leva.
— Il faut que je te laisse, je ne me sens pas très bien, j’ai besoin de repos.
— Je t’ai pris rendez-vous avec le docteur Ternan pour jeudi prochain, dix heures. Il faut
que tu discutes avec lui, c’est un bon psy.

Kevinette somnolait depuis plus d’une heure lorsque la sonnette de l’appartement retentit.
Elle se leva difficilement, se frotta les yeux, déambula dans la chambre.
Nouveau coup de sonnette.
— Une minute, j’arrive.
Elle ouvrit la porte d’entrée.
— Coucou, ben dit donc ma Kevinette, t’as une drôle de tête. Ah ! les femmes enceintes,
c’est toujours malade, ah, ah !
— Entre, Tristan.
Ils s’installèrent sur le cuir blanc.
— C’était comment ta dernière échographie ? Un écran tout noir ? Cherche pas, c’est
Modi le père, ah, ah !
Kevinette ne sourit même pas, ne répondit rien.
— Au fait, t’as les résultats des tests de paternité.
— Non.
— Oh ! ça va pas du tout, toi. J’espère que tu seras remis pour la Saint-Valentin. Tiens,
c’est pour toi.
Il lui tendit un flyer coloré et un carton d’invitation.
— Je te l’offre. C’est pour notre soirée carnaval. Tu n’auras pas besoin d’échanger ton ou
ta partenaire, viens seul. Non, venez les deux, toi et ton gosse. En même temps ce sera
compliqué de faire participer ton bébé, ah, ah !
— Ils s’amuseront tous les deux dans mon ventre, j’attends des jumeaux.
Tristan accusa le coup, mais se remit vite de ses émotions.
— J’espère que c’est un garçon et une fille, c’est mieux dans un club échangiste, ah, ah !
— Je n’ai pas le cœur à rire ni à m’amuser. D’ailleurs je ne suis pas présentable pour
entrer dans un club échangiste.
— T’inquiètes, tout est arrangé, le patron de la boite est au courant. Comme c’est carnaval
et que tout le monde sera costumé, ça passera comme une lettre à la poste. À l’occasion de cette
Saint-Valentin, je t’ai réservé un beau gosse pour te câliner. Je lui ai envoyé ta photo. Il est OK.
Tristan frappa gentiment l’épaule de son pote et ajouta :
— Allez, Kevinette, la vie est belle, profite vite avant de fonder ton foyer.
Une fois son ami dehors, Kevinette jeta un œil sur le carton. C’était le ticket d’entrée
au club échangiste « Crystal 71 » à Genève. Elle passa un peu de temps à examiner le flyer, les
photos de l’intérieur de la boite de nuit, la tête du patron dans le coin gauche, les titres
accrocheurs, mais ce qui attira son attention, ce fut cette petite inscription noire sur fond blanc
en bas à droite « fondation POLEDO ».

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Kevinette, pour fêter Saint-Valentin, avait enfilé pour la première fois une robe de
grossesse. La couleur bleu-pastel d’un tissu précieux uni montrait une belle élégance, laissant
libre des genoux masculins pas très raccords malgré les collants épais couleur du soir. Elle
s’était chaussée de tennis plats couleur de l’amour pour mieux tenir l’équilibre.
Dans les rues pavées du vieux Genève, Tristan soutenait l’avant-bras de sa pote,
craignant qu’elle ne verse sous le poids des jumeaux. Enceinte de presque cinq mois, Kevinette
donnait l’apparence d’une femme grosse de huit mois. La soirée était froide après la pluie du
jour, et Kevinette s’était couverte d’une doudoune en fausse fourrure couleur de la pureté. Son
masque cachait son crâne, elle le glisserait sur son visage à l’entrée du Crystal 71. Tristan,
habillé d’un pyjama rayé, resta pieds nus dans des chaussures en jean. Il tenait son masque de
carnaval de sa main libre.
— Nous sommes arrivés, c’est là. Regarde, Kevinette, on voit la cathédrale Saint-Pierre,
en haut, tout près de nous.
— Monument pieux et club échangiste, ça ne va pas très bien ensemble, dit Kevinette.
— Oh ! tu sais, Kevinette, tout ça, ça reste une histoire de pieux, ah, ah !
Ils présentèrent leurs invitations, enfilèrent leurs masques. Lui, Dalton moustachu, elle,
première dame de France, Brigitte Macron.
Kevinette entra d’un pas hésitant.
— Ne t’inquiète pas, Kevinette, tous nos amis seront là, il te faudra juste les repérer
derrière leurs masques. Certes tu n’as pas grand esprit d’observation, mais tu as un bon flair. Je
te laisse, faut que j’aille mater. Les gueules je m’en fous, faut juste que je repère les petits culs,
ah, ah !
Kevinette, livrée à elle-même, cherchait derrière les masques quel homme accepterait de
danser avec une femme enceinte. Ça devrait l’faire, se disait-elle, madame Macron enceinte,
sûr que quelques comiques se permettraient de l’approcher. En cloque à soixante-sept ans, ce
n’est pas courant. Le couple princier n’aurait-il pas fait appel au célèbre chirurgien grec pour
leur permettre de créer la dynastie des Macron ? De surcroit deux héritiers, faudra que je dise à
Chapelier de bien vérifier lequel des bébés sort le premier pour savoir qui héritera du trône.
Une tape sur l’épaule la sortit de ses délires. Elle se retourna. Une voix orientale chuchota
derrière le masque de l’ayatollah Ali Khamenei.
— Chta entoumé ma rails el joumhauria ?
Ils s’enlacèrent aussitôt dans une danse langoureuse.
Au milieu de la piste, les danseurs alentour applaudissaient à la réconciliation du guide
suprême iranien avec l’exécutif français.
— Ça m’étonne pas, il n’y avait qu’un ayatollah capable de mettre en cloque notre
vigoureuse première dame, ah, ah ! C’est con ! ça va nous faire un terroriste de plus sur le
territoire français.
Tristan poursuivit en secouant son index face à la première dame.
— Tâche de bien élever ton prince, Brigitte, comme tu l’as été en des temps lointains, il
y a assez d’un brigand dans la famille, ah, ah !
Kevinette, enlacée tendrement avec l’ayatollah, passa sa tête par-dessus l’épaule du guide
suprême.
— Chut ! Tristan, fais attention à ce que tu dis, tout le monde ne comprend pas la
plaisanterie.
La musique brusquement fortissimo permit de ne pas entendre la réponse du clown.
Le slow achevé, l’ayatollah exécuta une révérence exagérée devant Brigitte, lui baisa la
main, s’éloigna. Toute l’assistance présente, pas moins d’une cinquantaine de clients de la boite,
applaudit ce couple singulier. Dès lors les dames s’empressèrent d’inviter Ali Khamenei, les
hommes se bousculaient auprès de la première dame.

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Kevinette n’avait que l’embarras du choix : Gérard Depardieu, Vladimir Poutine,
Dominique Strauss Kahn, Nicolas Sarkozy, Lucky Luke, Pascal Prost, Philippe Martinez,
Michael Jordan, Jean-Luc Mélenchon, le pape François, Donald Trump…
Contrairement à la plupart des boites de nuit, le DJ du Crystal 71 ne passait que slow,
tango, coll jazz, Boston ou valses viennoises. Il fallait bien provoquer quelques ruptures
passagères de couples de bonne famille, créer quelque amour éphémère, coquin, sensuel,
excitant, délicieusement pervers. S’ensuivirent moult échanges. Le guide suprême convoita tour
à tour, Sophie Marceau, Angela Merkel, Cendrillon, Élisabeth II, Julia Roberts, Anne Hidalgo,
Catherine Deneuve, Rachida Dati, Marie Laforêt, Blanche-Neige, Tina Turner.
Minuit semblait encore loin, alors on en profita pour changer et changer encore de
partenaire. Le goût de la plaisanterie, la joie et l’amusement permit d’accoupler Donald Trump
avec Blanche Neige, Marie Laforêt avec Lucky Luke. Le pape François serra fort dans ses bras
Tina Turner, Poutine préféra inviter Angela Merkel et Cendrillon s’inclina devant la révérence
de Sarkozy. Pascal Prost choisit Anne Hidalgo, à défaut de trouver une femme politique plus à
gauche. Depardieu caressa le dos d’Élisabeth II sur la chanson Still loving you de Scorpions,
Philippe Martinez invita Rachida Dati, Michael Jordan s’intéressa à Catherine Deneuve. Strauss
Kahn hésitait entre Sophie Marceau et Julia Roberts. Il se décida pour l’actrice française. Trop
d’emmerdes avec les Américaines, se dit-il puis il enlaça Sophie Marceau sur le célèbre slow
d’Hôtel California — Eagles. Il laissa Julia Roberts dans les bras de Jean-Luc Mélenchon.
Quant au Dalton il dansait langoureusement avec la jeune actrice française Vanessa Guide.
— Vous portez un masque avec une bouche à peine entrouverte, jolie jeune fille, pas
facile de vous rouler une galoche, moi, j’ai choisi un masque avec une grande bouche, ah, ah !
Aussitôt, la jolie jeune fille souleva son masque, roula une pelle monstrueuse à Tristan.
Beurk, le visage de la jolie jeune fille ressemblait, ride pour ride, à Brigitte Bardot… quatre-
vingt-cinq ans. Il repoussa brusquement la vieille, essuya sa bouche qui dépassait de son
masque. Minuit approchait doucement, il fallait vite s’éloigner de ce petit cul tricheur.
Brigitte Macron suivait des yeux Charlie Chaplin quelque peu mystérieux. Il semblait
doux, n’invitait que de jolies filles, telles Sophie Marceau, Vanessa Paradis. Toutes semblaient
apprécier ses petits bras. À chaque fin de danse, il s’inclinait devant sa partenaire en retirant
son chapeau melon qui laissait un reflet d’or dans ses cheveux irisés par les lumières du club,
puis il s’en retournait choisir une autre partenaire, caressant sa fausse moustache, son bâton
frappant le sol à chacun de ses pas. Cet homme semblait jeune, une carrure fine avec des gestes
alertes.
Kevinette, sans beaucoup de sens de l’observation, mais un flair comme les meilleurs
chiens de sang, saurait trouver chaussure à son pied. Du sang, pour sûr, on allait être servis.
Minuit moins vingt, Tristan, manière de rire, et en Dalton que rien n’arrête, se décida à inviter
un homme, il choisit l’ayatollah, l’enlaça, l’embrassa dans le cou. Le guide suprême laissa faire,
mais lorsque le Dalton tira sur la fausse barbe, l’ayatollah Ali Khamenei poussa un hurlement
et retourna une forte claque à Tristan.
Merde ! c’est une vraie barbe, putain ! Pourvu que ce ne soit pas le vrai mollah, la
discothèque va exploser.
— Attention, les partouseurs, y a un terroriste dans la salle, ah, ah !
Tristan criait tout en riant sous son masque. Le Dalton, lui, faisait toujours la gueule. Du
coup personne ne comprit la plaisanterie. Gérard Depardieu l’audacieux essaya de ceinturer le
faux terroriste, ce dernier eut le temps d’envoyer un coup de poing au Dalton qui fit deux tours
sur lui-même. L’ayatollah, visiblement costaud, se libéra des grosses mains de Depardieu, s’en
prit à d’autres couples de danseurs, notamment à la catholique Marie Laforêt et à son voisin
Lucky Lucke qui n’eut pas le temps de tirer plus vite que son ombre. Du coup, Sarkozy fut trop
content de s’en prendre à Jean-Luc Mélenchon pendant qu’Anne Hidalgo et Rachida Dati se
tiraient les cheveux. Angela Merkel claqua Sarkozy, Tina Turner grimpa sur le dos de Michael

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Jordan. L’athlète la renvoya valser contre Cendrillon qui tomba à terre. Dans la pagaille, Strauss
Kahn tripota les fesses de Julia Roberts. Sophie Marceau rata sa cible avec son sac à main,
quant à Pascal Prost, il fut trop heureux de tabasser Philippe Martinez. Trump, un œil au beurre
noir, allongé par terre, n’avait pas vu arriver le coup de poing de Mélenchon. La première dame
tourna sur elle-même lorsqu’elle sentit deux mains sur son derche, elle claqua alors la grosse
Merkel.
Tout le monde avait remarqué l’œil blessé de Trump, vu que son masque avait giclé dans
la bagarre, certains avaient reconnu le vrai visage de Modi. Aussitôt, la bagarre générale reprit,
Marine Le Pen qui passait par là n’accepta pas que l’on osât s’en prendre à Donald Trump, du
coup elle frappa au hasard. Le hasard fit bien les choses : un coup de sac à main sur Mélenchon,
un coup de pied dans le bas-ventre de Philippe Martinez et une bonne baffe en passant à Strauss-
Kahn qui voulait lui rouler une pelle. La rixe reprit de plus belle. Quatre vigiles déguisés en
vigiles réussirent avec beaucoup de peine à calmer la clientèle, d’autant que minuit approchait.
Dans le chaos, quelques masques s’étaient envolés. On reconnut ainsi avant l’heure Félix
en Sarkozy et Manon derrière Sophie Marceau. Blanche-Neige cachait Marie la journaliste. Le
pape François envoya à terre Élisabeth II d’un magistral coup de poing. Lorsque le masque de
Mélenchon tomba à terre, le visage gêné du jeune homme derrière le masque ne parut pas
inconnu à Kevinette. La première dame chercha, essaya de se remémorer. C’était le barman et
serveur de Dijon, le directeur de l’hôtel « Aux Grands-Ducs de Bourgogne » ! Mais que
faisaient donc là Marie et Quentin ? Brusquement un cri derrière elle, la première dame se
retourna. Tina Turner bataillait toujours. À cheval sur le dos de Depardieu, elle lui tirait ses
vrais cheveux. Le masque de l’acteur s’accrochait à une seule oreille et pendait misérablement
sous son menton. Kevinette reconnut Dès Salas Cheers, l’adjoint de Damassène.
Le DJ s’approcha de son micro, annonça l’approche de minuit et qu’il était urgent de
choisir son ou sa partenaire de soirée et donc de lit. Manon démasquée, plusieurs déguisements
mâles se précipitèrent vers elle, dont Dominique Strauss-Kahn. Kevinette s’approcha de la
mêlée en sautillant maladroitement, tournant son ventre, à gauche, à droite, évitant les
mouvements brusques des voisins. Elle se plaça en travers de Manon et, d’une voix faussement
aigüe et perçante, cria :
— Cette dame est démasquée, ça ne compte pas. Non, non, non, elle ne joue plus. Elle se
tourna vers sa femme.
— N’est-ce pas, madame ?
Strauss-Kahn et deux autres masques masculins insistaient.
— On s’en fout !
— Non, on ne s’en fout pas, s’énerva Kevinette, le premier qui la touche, je lui envoie
mon poing sur la gueule et en plus, j’appelle mon mari, il est président de la République. Si
vous ne m’écoutez pas, il vous collera en garde à vue, na !
Manon souriait, trouva le temps de s’éclipser dans un coin du bar.
Minuit moins cinq. Charlie Chaplin s’approcha de la première dame, les pieds en canard,
grillant la politesse à Cendrillon qui se précipitait vers Brigitte Macron. Sans rien dire, Charlie
Chaplin prit les mains de Kevinette, l’attira au milieu de la piste. Elle se laissa entrainer et, sur
le célèbre slow de The Platters, Only you, Charlie Chaplin, tout petit face à la première dame,
posa sa tête sur sa poitrine, entoura la forte corpulence de ses bras trop minces.
— Tu me parais bien jeune pour venir ici, tu n’as pas vingt-cinq ans, n’est-ce pas ?
Il montra un signe négatif de la tête.
— Et tu voudrais faire l’amour avec une femme enceinte.
Toujours ce signe négatif de la tête, ce front qui caressait de droite à gauche les seins de
Kevinette.
Elle avait observé longuement ce jeune homme, pas très grand, svelte, calme et qui la
regardait souvent. Il n’avait pas de masque, mais le superbe maquillage cachait parfaitement le

165
vrai visage. Petite moustache noire bien dessinée, le fard des yeux était surfait comme chez le
vrai Chaplin, le regard trichait derrière de grands faux cils qui clignaient sans discontinuer
comme savait si bien le faire le grand acteur. La veste bleue fermée d’un seul bouton, nœud
papillon, pantalon de velours noir trop large, chaussures gigantesques parachevaient le
personnage. Il n’avait pas quitté sa canne de la soirée. Lorsqu’il dansait, il la coinçait dans sa
ceinture sur le côté du pantalon. Kevinette tremblait à l’approche du carillon, ne sachant que
dire. Elle ajouta, quelques secondes avant l’heure :
— Il faut que tu saches que je ne ferai pas l’amour avec toi, même si l’on doit partir au lit
ensemble comme le veut le règlement. Tu peux encore me lâcher et vite chercher une autre fille
disponible.
Même signe de tête et toujours ce front caché au fond de ses seins.
Gong !
Kevinette ôta son masque de première dame. Aucune émotion ne se lut chez Charlie
Chaplin qui venait de retirer sa tête de la poitrine de sa partenaire de danse. Il fixa Kevinette
dans les yeux tout en retirant son chapeau melon. Il secoua sa tête, la chevelure rousse
dégringola sur sa nuque, la mèche rebelle tomba sur son visage. Kevinette reconnut les yeux
bleus, les discrètes petites taches de rousseur cachées derrière le fond de teint, les cheveux roux,
la mèche bien sûr, et puis, il n’y eut plus de Charlie Chaplin, juste sa belle-fille.
Elle prit cette tête fragile, la posa sur sa poitrine, serra très fort Lou dans ses bras.
— Pourquoi m’as-tu choisi, belle enfant ?
Elle murmura entre les deux seins.
— Parce que je t’aime ainsi, parce que je voudrais que tu pardonnes toutes mes erreurs
passées. Tu as souffert et tu souffres encore. Même si tu fus un beau-père volage, je sais que
maman ne t’en veut pas. Tu ne mérites pas ce châtiment, ces sexes, tout ça. Je t’admire parce
que tu acceptes ta grossesse, je n’aurais jamais imaginé cela de toi. Je veux t’aider, Kevin. Peut-
être n’es-tu pas innocent, mais moi aussi, à ma façon, j’ai gâché nos dernières années en famille.
Crois-tu qu’à nous deux, on peut refaire le chemin inverse ? Moi je t’ai retrouvé, à toi de
retrouver maman, on pourrait se refaire une belle et vraie vie de famille. Tu manques aussi à
Liam. Je voudrais rester encore quelques années près de vous, je suis trop jeune pour vous
quitter, je vous aime.
Lou leva son regard vers les yeux de Kevinette.
— Dès que tu auras accouché et que tu auras soudé Joujou, j’aimerais… j’aimerais…
— Oui…
— J’aimerais t’appeler papa.
Kevinette serra très fort le petit corps fragile, posa sa tête sur la chevelure rousse, inonda
de ses larmes les beaux cheveux de Lou.
Ils gagnèrent un box aux murs vert-pastel. Ils s’allongèrent sur le grand lit, Lou enfouie
dans les bras de son beau-père. Que de bruits de chaque côté de la cloison : plaintes de plaisir,
emballements charnels, rires à peine étouffés, vulgarités criées et mêmes obscénités hurlées.
Kevinette et Lou n’écoutaient que le silence de leurs cœurs. Kevinette déposa un baiser sur le
front de l’adolescente tout en continuant de verser ses larmes en cachette.
— Merci, merci mille fois. Ce que tu as fait, pauvre faux mâle macho que je suis, je
n’aurais jamais franchi ce premier pas de réconciliation.
Elle poussa sa tête en tremblant sur le haut de la poitrine, posa sa main sur le ventre déjà
rond. Kevinette l’entendit murmurer.
— C’est parce que tu n’es plus un mâle macho que je t’aime aujourd’hui.
En fin de nuit, les bruits en bout de box réveillèrent le couple. Dans sa robe de grossesse,
Kevinette ouvrit légèrement la porte de la chambrette et s’installa sur le lit, le dos contre la
cloison. Lou se haussa à son niveau. Ils souriaient, heureux de s’instruire sur les couples de la
nuit.

166
Frôlant la porte du box, le masque d’Angela Merkel pendu à son cou, Paulin tenait par la
main Poutine avec son masque déchiré par les ébats. Derrière Poutine défiguré, ils reconnurent
Julien.
— Crois-tu au hasard, Kevin ? chuchota Lou.
Puis ce fut le tour d’Emmanuel, le père de Paulin, le masque de Pascal Prost dans la main.
Il passa devant la porte en compagnie d’Agathe, la mère de Paulin.
— Quel naïf cet Emmanuel, impossible de se mettre d’accord sur le déguisement avec
son ex-femme, comme il croyait dénicher la perle rare en Catherine Deneuve, du coup, il s’est
tapé son ex.
Damassène traversa à son tour le couloir, le masque de Lucky Luke autour du cou. Justine
le suivait, tête baissée, écrasant son loup de Cendrillon devant la porte.
— Enculé de Grec ! gémit Kevinette.
Alors qu’elle se précipitait hors du lit, Lou la retint par le bras.
— Chut ! Pas de nouveau scandale. Pense à maman et tout ira bien.
— Pis je m’en fous de cette salope de Justine, mais qu’est-ce qu’elle fait là, hein ?
Le défilé se poursuivait. Strauss-Kahn avait gardé son masque de pervers, il rigolait avec
sa compagne de la nuit. Giulia venait de lâcher son loup. Les cheveux teints, elle imitait Julia
Roberts. Elle tenait la main de son compagnon. Derrière le masque du vicieux, Kevinette
reconnut le rire mesquin du professeur Chapelier.
— Je ne le connaissais pas ainsi, cet enfoiré, il a passé sa soirée à p’loter les filles pour
finir par s’envoyer son employée modèle.
Elle attira Lou près de son corps. Elle pleura encore sur la chevelure rousse.
— Tous des salauds, des salopes ! On se sert de moi, pourquoi ? Pourquoi ? Heureusement
que tu es là, Lou… et ta mère.
Les lèvres sur le ventre de Kevinette, Charlie Chaplin embrassa les bébés.
— Maman t’aime, et nous serons bientôt une grande famille réunie.

63

Kevinette et Lou se levèrent, se dirigèrent vers le bout du bar. Brigitte Macron se montra
dans la salle de danse au bras de Lou, croyant cacher son identité dont le ventre rond ne trompait
personne. Elle avait juré de ne causer à aucun de ses faux amis, hormis Manon. Mais Manon
n’était plus là. La jolie blonde démasquée, Belinda était vite venue la rejoindre dans la nuit. Les
deux lesbiennes étaient rentrées à la maison et avaient fêté la Saint-Valentin à leur façon.
Lorsqu’elle s’approcha du zinc, Brigitte Macron reconnut le guide suprême iranien assis
pas loin d’elle sur un tabouret. Impossible de reconnaitre le vrai visage de l’ayatollah puisque,
son loup retiré, il restait tel le parfait mollah. Tristan avait peut-être raison, se dit-elle en souriant,
c’est sûrement un vrai Iranien. Terroriste ! Ce qui chiffonna surtout Kevinette, c’était que le
guide suprême discutait, main dans la main, avec cette compagne de la nuit qui lui souriait. Et
cette compagne, Kevinette la connaissait bien puisqu’elle reconnut Mégane. Ce salopard de
mollah avait su choisir. Sûrement une tricherie.
Tristan, les yeux en trou de pine, s’approcha de Brigitte.
— Ôte ton masque, Kevinette, tout le monde t’a reconnue.
— Je sais, mais avec mon masque je veux faire comprendre à tout ce sale monde qu’il
faut que l’on me foute la paix. C’est quoi ce bordel ? Tous ces gens, ces chirurgieux à la gomme.
Ils se perchent sur les lits du club ou au bord du zinc, secouent leurs plumes tachées de sperme
comme des vautours qui attendent pour dévorer leur proie.

167
D’un coup de menton, elle désigna son voisin l’ayatollah.
— Et pis, ce gros porc, tu l’connais ?
— Non, mais si c’est un gros porc, sûr que ses compatriotes musulmans ne vont pas
l’bouffer ! Ah, ah !
— Dis donc, toi le bouffon, tu ne serais pas en train de me jouer un nouveau tour de vache
comme l’an passé lorsque tu voulais me vendre au journal people de Marie contre une belle
somme d’argent.
Brigitte Macron empoigna Tristan par le colbac.
— Et aujourd’hui, combien t’a-t-on donné pour organiser cette partouse où tout le monde
est venu comploter sur mon dos, ou plutôt sur mon ventre ?
Lou, assise sur un tabouret derrière Kevinette, la tira par le bras.
— Viens, Kevin, laisse tomber, pas de nouvelle provoc, on s’tire.
Ils franchirent la porte du club. L’air frais les surprit dans l’aube qui laissait passer une
lumière douce sur la cathédrale. Ils avaient juste fait trois pas que deux flics leur firent face.
L’un s’avança et de son accent suisse trainant :
— Pièce d’identité s’il vous plait.
Kevinette présenta sa carte.
— C’est ça, fiche-toi de ma poire ! Une gonzesse qui s’appelle Kevin, ça doit être un saint
du calendrier mongol. Allez, grimpe.
Le flic poussa sans ménagement la femme enceinte dans la Toyota de la police.
— Et toi, Charlie Chaplin, tes papiers.
Le policier fixa la photo d’identité, puis la bouille de Charlie, puis les papiers.
— Ça existe, Lou ? Ta mairie en France, l’aurait pas oublié le P à loup ou bien. Ça ne
m’étonnerait pas, ces sacrés Français, toujours aussi négligents. Et que fais-tu là, une mineure
dans un club échangiste ? Tu suces les cornets de glace que les clients ont laissés sur les tables.
Allez hop ! au poste, monte dans la voiture.
Kevinette se pencha vers la porte du véhicule.
— Messieurs les policiers, un peu de respect pour les honnêtes citoyens.
— Toi, la gonzesse, ta gueule !
Il claqua la porte du véhicule au nez du couple.
Au poste de police dans le centre du vieux Genève, Lou et Kevinette, les traits de leurs
visages abîmés par la courte nuit, assis côte à côte face au flic, se montraient nerveux. Le
policier, fier derrière sa minuscule table de travail, avança sa tête tout près du couple.
— Toi, Kevin chais pas comment, montre-moi ce que tu caches sous ton ventre. On sait
bien que ça traficote dans ce boui-boui de débauche.
— Mais je suis vraiment enceinte.
— C’est ça, et puis le pape qu’est au club, parait que c’est le vrai, tu ne savais pas, hein !
J’m’en vais chercher un couteau suisse, on va percer ton bide pour voir si c’est vrai.
Il fit semblant de se lever. Kevinette n’hésita pas à se lever aussi, elle souleva sa robe de
grossesse.
— Et ça, monsieur le policier, mon ventre blanc, c’est de la poudre ?
— On en a vu d’autres ici. Vous les trafiquants, vous devenez super ingénieux, d’autant
qu’il y a dans cette boite échangiste un chirurgien spécialiste des greffes de peaux. M’en vais
vérifier quand même ton ventre.
Il tourna les talons, revint aussitôt avec un couteau suisse.
Kevinette hurla :
— On ne touche pas à mes jumeaux !
Le commissaire en tenue civile ouvrit la porte de côté.
— Que se passe-t-il ici ?
— Patron, j’allais désosser ce trafiquant. Enfin ! je voulais lui faire croire pour qu’il avoue.

168
— Laisse tomber cette enquête, Dédé. Ce n’est pas pour toi. Et puis donne-moi ce couteau,
tu vas te blesser.
Le commissaire, un grand costaud genre Roger Hanin, se tourna vers le couple, ouvrit
plus largement sa porte.
— Entrez dans mon bureau et asseyez-vous.
Les doigts croisés sous son menton, les coudes sur son bureau, le commissaire dévisagea
longuement les suspects, surtout Kevinette. Cette dernière, mal à l’aise, s’exprima la première.
— Ma belle-fille Lou n’a pas vingt-cinq ans, elle n’est même pas majeure. Elle n’aurait
pas dû entrer au Crystal 71, mais tout ça est de ma faute.
Le commissaire balança sa main d’un geste d’indifférence.
— C’est vrai, votre belle-fille n’aurait jamais dû être là-bas. On ferme les yeux pour cette
fois-ci. Monsieur Rumber, je suis plus intéressé par votre cas. Que faisiez-vous dans cette boite
réputée de Genève alors que vous êtes enceinte ? Une femme enceinte n’a rien à faire au milieu
de la haute société genevoise qui s’adonne aux bons plaisirs d’une soirée libertine.
— Vous avez l’air de bien me connaitre, commissaire.
— C’est mon métier de tout savoir. Répondez, s’il vous plait.
Kevinette posa soudainement ses deux mains sur son ventre rond.
— Oh, les bébés bougent ! Allez chercher votre collègue, il verra bien que c’est vrai. De
la poudre, ça s’envole, ça ne bouge pas dans un ventre.
— Ça va, monsieur Rumber ?
— Oui, ça va, répondit Lou à sa place, il aime trop ses bébés.
— Je vous demande une nouvelle fois. Que faisiez-vous au Crystal 71 dans votre état ?
Kevinette répondit les yeux dans le vague, les mains toujours sur son ventre.
— Je sais pas, je sais plus. Peut-être que je cherchais un homme pour qu’il me fasse
encore d’autres bébés. Mais c’est pas grave, j’ai dormi avec une jeune fille très charmante, ma
tendre belle-fille de dix-sept ans. On ne va quand même pas me mettre au niouf pour si peu !
Oui, si peu, hein, Lou ! dit au commissaire qu’on n’a pas baisé, tu as juste sucé des cornets de
glace à la vanille au bar.
Une porte cachée derrière le bureau s’ouvrit brusquement. Damassène se présenta face au
couple, posa une main sur l’épaule du flic.
— Vous avez la preuve, commissaire, que ce pauvre Kevin a besoin de soins. Faut le faire
voir d’urgence à mon psychiatre.
— Je vois déjà le docteur Ternan, mon psy à Lausanne, d’ailleurs il est très gentil.
— Que fait-là ce chirurgien de Dijon ? demanda Lou.
Ce fut Damassène lui-même qui répondit :
— Mademoiselle Charlie Chaplin, votre beau-père a besoin de soins. Le commissaire ici
présent va nous délivrer une autorisation pour l’emmener à notre clinique.
Lou se leva de sa chaise et frappa sur le bureau.
— Vous n’avez pas le droit. Mon copain travaille au greffe du tribunal de Lons Le Saunier
et je sais que vous avez besoin d’un mandat. Et même d’un mandat international.
— Mais soyez rassurée, mon enfant, nous avons ce mandat, asséna le commissaire, puis
se tournant vers Damassène.
— Donnez donc les ordres pour faire venir le véhicule de santé, mon cher Andreou, je me
suis déjà levé à 4 h du matin pour cette simple affaire, je voudrais bien repartir au lit ou bien.
Lou barra le chemin du rachitique Damassène tout en chopant le couteau suisse qui
trainait sur le bureau.
— Si tu fais ça, sale Grec, je te plante.
— Oh, oh ! s’exclama le commissaire resté assis derrière son bureau, doucement jeunette,
n’aggrave pas ton cas, déjà que je pourrais te coffrer pour prostitution illégale ainsi que par des

169
provocations sur d’honorables personnalités, et ce, dans le cadre d’un des établissements les
plus réputés de Genève.
Lou tenait toujours le couteau, menaçant la poitrine de Damassène.
— Non, Lou, ne fais pas de connerie, pense à notre famille, aux bébés, ne va pas en prison.
Je veux que tu sois là pour mon accouchement. Et qui m’aiderait pour élever les jumeaux ?
Lou balança le couteau sur le bureau. Vive comme l’éclair, elle se retourna, franchit la
porte, se précipita dans le hall du commissariat, courut dans les rues du vieux Genève jusqu’au
club échangiste.
Toujours assise dans le bureau du commissaire, Kevinette pleurnichait en regardant
Damassène.
— Laissez Lou tranquille, ne la coursez pas, elle n’a rien fait de mal, elle est gentille. Moi
non plus je n’ai rien fait de mal. Je ne veux pas retourner dans cette clinique où l’on m’a déjà
séquestré l’an passé. Je vous en prie, professeur, laissez-moi rentrer chez moi.
— Vous aimez vos bébés, Kevin. On va justement s’en occuper correctement. Je suis le
créateur de votre ventre. Je suis le seul capable d’apporter tous les soins voulus à ces futurs
nouveau-nés. Et vous, Kevin, il faut vous soigner, vous avez besoin de repos. Vous serez comme
un coq en pâte dans notre clinique. Je vous réserve la plus belle suite, vous recevrez qui vous
voudrez.
Malgré les plaintes dérisoires de Kevinette, l’ambulance l’emmena sur la route du col de
la Faucille pour rejoindre Dijon. Kevinette voulut s’arrêter à Champagnole pour prendre
quelques vêtements. Elle poursuivit sa route, assise à l’arrière de l’ambulance, encadrée par
Damassène et son adjoint. Vers l’entrée de l’autoroute, Kevinette se décida à causer.
— Qu’est-ce que foutait toute cette équipe de bras cassés dans ce club à la con ?
Silence.
— Je saurai, je saurai, s’énerva Kevinette, tout est fait pour me rendre folle ! Mais je ne
suis pas folle, non, je ne suis pas folle ! laissez-moi partir !
Elle grimpa sur les genoux de Damassène, essaya d’ouvrir la portière. Damassène, aidé
par son adjoint, réussit à piquer une seringue dans la veine de l’avant-bras de sa malade.
Quelques minutes plus tard, Kevinette s’endormait avec ses jumeaux dans son ventre, et dans
sa tête.
Arrivés devant le sas de sécurité, l’ambulance, son chauffeur, les deux chirurgiens et
Kevinette endormie eurent droit à un comité d’accueil :
Tristan en pyjama rayé, Félix avec le costume trop court de Sarkozy, le professeur
Chapelier avec le costume trop large de Strauss-Kahn et Charlie Chaplin avec sa canne, tous
quatre avançaient de front face à l’ambulance.

64

Allongée sur le lit, Kevinette regardait le ciel bleu qui se dessinait dans un coin de fenêtre.
Elle détourna la tête lorsque le professeur Chapelier s’approcha d’elle.
— Oh ! c’est froid !
La femme enceinte tourna la tête vers l’écran.
— Cette fois-ci, vous pouvez remarquer sans difficulté la forme des deux jumeaux, n’est-
ce pas.
— Oui, oh ! c’est merveilleux, quand je pense que c’est là en moi. Oh, ils bougent dans
mon ventre. Ça se voit à l’écran ?
— Si l’on observe bien, oui.

170
Le professeur continuait de déplacer lentement la sonde à un point précis du ventre pour
bien observer les jumeaux. Alors qu’il achevait son travail et rangeait le matériel pour le
nettoyage, il esquissa un sourire.
— Vos jumeaux, ce sont des jumelles.
— Oh !
— Tu es déçu, demanda Manon.
— Non pas du tout, pourvu que les filles soient en bonne santé.
Lou embrassa son beau-père.
— Je suis contente pour toi.
— La grossesse suit son cours, tout va bien. Cependant…
Lorsque le professeur remarqua la mine affolée de son patient, il poursuivit :
— Rien de grave, Kevin, du moins je l’espère. Je suis à peine soucieux à cause du produit
que vous a injecté ce satané Damassène l’autre jour dans l’ambulance. Une femme enceinte ne
doit ni fumer, ni boire, ni prendre certains médicaments qui seraient nocifs pour les bébés. Dans
l’échauffourée devant le sas des urgences, Félix et moi avons pu dérober la seringue que
Damassène tenait toujours dans la main. Nous venons d’analyser les restes des substances du
produit. Pas bon ! Pas bon du tout pour les bébés, d’autant que certains corps étrangers associés
à cette mixture nous sont inconnus. Mais soyez néanmoins rassuré, nous sommes certains que
le chirurgien Damassène, s’il a voulu vous calmer rapidement, ne souhaitait aucunement porter
atteinte aux jumeaux, il a trop besoin de réussir son œuvre pour se couvrir de gloire à la face du
monde.
— De gloire ou de haine suivant l’éthique que le monde portera à cette expérience,
répondit Félix debout près du patient. Je pencherais plus du côté Frankstein que du côté Nobel.
Le docteur Chapelier se tourna vers Félix.
— Arrêtez donc ! Vous allez perturber inutilement notre ami. Il est aujourd’hui entre nos
mains. Quelques semaines après l’accouchement, on ressoude Joujou et tout redeviendra
comme avant.
Il serra la main de Kevinette.
— Ayez confiance, cher Kevin, tout va s’arranger. Maintenant un peu de baume au cœur
et allons retrouver Manon et Lou à la cafétéria. Je vous raconterai nos péripéties aux urgences
de la clinique dijonnaise, ça vous amusera.

Autour de la table de la cafétéria, le professeur Chapelier s’empressa de raconter la


journée du 15 février dernier. Lou écoutait, tout sourire, les évènements qu’elle avait elle-même
improvisés depuis sa fuite du commissariat. Manon découvrait l’histoire, Kevinette suivait
d’une oreille attentive puisqu’elle dormait comme une bienheureuse dans l’ambulance ce
matin-là.
Le professeur, plutôt sérieux habituellement, s’empressa de remplacer la plupart de ses
paroles par des mimiques dignes du mime Marceau. La petite assemblée put suivre, comme au
théâtre, le déroulement de la journée. Le professeur se leva de sa chaise pour reproduire la
course de Lou dans les dédales de la discothèque et la nervosité de la jeune fille qui s’empressait
de convaincre deux ou trois hommes à l’accompagner jusqu’à Dijon parce qu’il fallait faire vite
pour arriver à la clinique avant l’ambulance. Ses mains sur le volant imaginaire, la tête en avant
pour aller toujours plus vite dans sa Chevrolet V8, Chapelier, complètement déjanté,
méconnaissable, poursuivait ses mimiques. Il imitait ses trois compagnons de voyage, Lou,
Félix et Tristan qui se cramponnaient soit au tableau de bord, soit aux sièges. Un pied sur le
bord d’une chaise de la cafétéria, le célèbre chirurgien appuya sur le frein, puis mima une porte
de voiture qui claque. Il chemina ensuite entre deux ou trois tables où deux infirmières assises
semblaient dévisager leur chef tel un extra-terrestre. Le professeur resta debout face à Lou,
Kevin, Manon et Félix assis devant leur tasse de café. Il planta ses deux poings sur ses hanches,

171
écarta les jambes, mimique parfaite du gars qui en impose et qui voit approcher trois loubards :
le chauffeur de l’ambulance, Damassène et l’adjoint Dès Salas Cheers.
Les rires se propageaient même au-delà de la table de Kevinette où le professeur vint se
rasseoir pour souffler un peu.
— Vous auriez dû enfiler votre costume de Strauss-Kahn, plaisanta Kevinette.
— J’enlève ma blouse blanche de suite et ainsi j’ai le costume, bon d’accord, il n’est pas
rembourré, on dira que c’est Strauss-Kahn adolescent. Félix, allez donc me chercher le masque,
il est dans le placard de mon bureau.
Pendant que Félix s’exécutait, il parla doucement :
— Comme ça, on ne me reconnaitra pas. Sinon le personnel de l’hôpital ne tarderait pas
à m’enfermer dans le service psy ou bien.
— Je ne vous connaissais pas sous cet angle, professeur, dit Kevinette en souriant.
— Mais moi non plus, moi non plus, cher Kevin. C’est à cause de vous. Depuis que je
vous connais, vous m’avez appris à me détendre et j’avoue que de temps en temps, cela fait du
bien. Remarquez que je reste sérieux dans le cadre de mon travail.
— N’êtes-vous pas au travail en ce moment ? se permit Lou.
— Non, chère enfant, je suis en pause, et comme ce n’est pas fréquent, j’en profite.
Félix revint vite et passa le masque de Strauss-Kahn sur le visage du professeur. Chapelier
se leva à nouveau tout en déclarant doucement :
— C’est dommage, dans la suite de l’histoire ça ne parle pas de cul, cela ne va pas avec
le personnage Strauss-Kahn. Tant pis j’improviserai.
Le professeur semblait déchainé. Il ajouta :
— Je constate que beaucoup de clients de la cafétéria m’observent, alors je vais rester
correct et tâcher de ne pas me montrer trop culotté, un peu comme Strauss-Kahn.
Fou rire à la table.
Strauss-Kahn, debout, se mit en garde, jambes écartées, les poings en avant. La bagarre
débuta, crochets du droit, du gauche, directs, uppercuts. Le professeur avançait, reculait,
montrait sa position offensive tout en évitant les coups. Il imita même Dès Salas Cheers qui
penchait la tête en arrière et s’essuyait le nez pour ne pas laisser couler trop de sang. Le
professeur ne se coucha pas sur le sol, expliquant qu’il n’osait pas, qu’il faudrait s’appeler
Tristan ou même Kevin pour se le permettre. L’image de l’homme à terre n’était autre que
Damassène. Pour soulager sa conscience, il mima un violent coup de pied qui s’abattit sur le
carrelage de la cafétéria, prouvant ainsi que ce sale chirurgien le méritait bien. Et encore,
comme c’était Strauss-Kahn qui se montrait violent, allez savoir où se dirigeait très précisément
le coup de pied. Il s’assit enfin à la table et retira son masque.
— J’ai fait cela pour vous montrer que vous êtes de vrais amis, et plus encore Kevin. Et
toi, Félix, à partir d’aujourd’hui il faudra me tutoyer et m’appeler par mon prénom, Peter. Tu
seras le seul à y être autorisé dans cet hôpital.
— Sauf peut-être aussi Giulia, intervint Kevinette sans sourire.
— Pourquoi me dites-vous cela, Kevin ? Giulia est une de mes employées, elle me doit le
respect comme les autres.
Tout le monde se regarda, chacun connaissant les débauches des deux chirurgiens au club
échangiste. Kevinette reprit :
— Je ne voudrais pas casser l’ambiance, mais permettez-moi de revenir sur cette Saint-
Valentin dans ce soi-disant club sélect. Pourquoi se trouvait donc réunis tout le gratin de la
clinique en même temps que le professeur émérite de l’hôpital de Lausanne accompagné de son
employée préférée, ainsi que de son adjoint d’ordinaire si réservé ? Oh ! une jumelle vient de
me mettre un coup de coude. Y’en a au moins une qui vit ! Oui… je disais… ne me faites pas
croire que c’était un hasard ? Vous continuez de tous coopérer discrètement contre moi. Que
complotez-vous donc ?

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Le professeur se leva de table, la mine tout de suite plus sérieuse.
— Allons donc continuer cette conversation dans mon bureau. Vous pouvez venir aussi,
les filles.

Tous quatre prirent place dans la pièce, le professeur assis derrière son bureau.
— Je vais être concis. Tout d’abord, Kevin, pas d’inquiétude pour les jumelles, toutes
deux profitent du bien-être de votre ventre et elles sont en parfaite santé. Quelle est cette
angoisse au sujet des bébés ? Soyez positif, tout ira bien, je vous l’assure. Pour ce qui concerne
notre sortie dans ce club, oui, ce n’est pas un hasard. Ayez confiance en Giulia, Félix et moi-
même. Nous menons une enquête en coordination avec la police française et suisse. Je vous
assure que cela n’a rien à voir avec vous. Tristan nous a aidés à réunir tout ce monde en
organisant cette soirée. Nous étions bien informés, grâce à Giulia, que le gratin de la clinique
dijonnaise serait présent au Crystal71 ce soir-là. Sachez que ce club échangiste de bonne
réputation est le siège social de la fondation POLEDOR. Dès que vous aurez un peu de temps,
allez jeter un coup d’œil sur Internet. Tout ce que je peux vous dire, c’est que derrière cette
fondation étroitement liée à la clinique de Damassène se cache vraisemblablement un bien triste
trafic.
Le professeur marqua un temps d’arrêt.
— Pour ce qui concerne ma nuit de Saint-Valentin avec Giulia, cela est du ressort de ma
vie privée. Je suis veuf et libre. Sachez qu’en Suisse, le côté libertaire est beaucoup mieux
accepté que chez vous en France, sachez néanmoins que je n’ai pas fait l’amour avec Giulia
cette nuit-là et ce, pour deux raisons, d’une part, c’est mon employée et c’est donc pour moi un
tabou, d’autre part Giulia et moi avons beaucoup progressé sur notre enquête durant la nuit.
— Pourtant, Lou peut le confirmer, vous étiez en joie avec Giulia lorsque vous êtes sorti
de votre sofa.
— Il n’y avait pas de sofa dans le cagibi où nous avons passé le reste de la nuit. À mon
âge, j’aime faire l’amour dans un bon lit, pas sur des cartons d’archives.
Félix se tourna vers Kevinette et orienta la conversation sur du concret :
— Le professeur Chapelier et moi-même te confirmons que tu devras accoucher
naturellement. Dans ton cas particulier, on ne peut pas se permettre une péridurale, c’est trop
risqué. Te voilà entré dans ton sixième mois de grossesse. Il faudra songer à suivre des cours
d’accouchements sans douleur.
— Tu crois que c’est bien nécessaire, répondit Kevinette.
— Oui, c’est important, reprit Manon, d’autant que tu es particulièrement douillet,
comme d’ailleurs tous les hommes. Et pour une fois, un homme va se rendre compte de la
souffrance d’un accouchement. Les cours vont t’aider. Je viendrai avec toi.
— Mais tu n’es pas enceinte, Manon.
Assise près de lui, elle lui prit la main.
— Je veux rester près de toi aussi souvent que possible pendant le reste de ta grossesse.
Ces bébés seront les tiens, mais je les aime déjà.

Le Scénic grimpait le col de la Givrine, Kevinette au volant, Manon à ses côtés, Lou
derrière. Kevinette gambergeait et pensait encore à cette soirée au Crystal 71. Elle se souvenait
de Justine qui était là, pas très loin d’elle, elle ne l’avait pas reconnu puisqu’elle était déguisée
en femme enceinte, célébrant la nouvelle jeunesse de Brigitte Macron. Elle avouait
intérieurement sa lâcheté, Justine ne savait toujours rien de sa grossesse. Pas grave ! Ils se
faisaient toujours la gueule, pire, elle avait couché avec ce minable Grec dans le divan du
Crystal 71. Ce chirurgien de malheur n’aurait-il pas glissé deux mots à Justine sur sa grossesse ?
Kevinette devait savoir au plus vite. Elle appellerait Justine dès demain.

173
Le Scénic se gara devant l’appartement de Champagnole sous un ciel lumineux et une
température douce. La petite troupe vida le coffre de la voiture. Manon, Lou et Kevinette
s’étaient empressées de faire des emplettes dans les magasins de bricolage de Genève.
Après un rapide repas, ils étalèrent planche de travail, colle, brosses, pinceaux dans le
bureau de Kevin. Celui-ci se situait à l’entrée du couloir, en retrait des pièces principales de
l’appartement. Il avait été convenu que ce bureau deviendrait la chambre de Lou, ainsi la jeune
fille serait un peu isolée et plus indépendante. Elle laisserait donc sa chambre aux jumelles. Et
le bureau de Kevin disparaitrait au profit d’une simple petite table de travail dans la chambre à
coucher du maître de maison. D’ailleurs, Kevin puis Kevinette, qui gagnait bien sa vie comme
agent d’assurance, s’était promis moins de contrats pour les clients et plus de temps pour ses
enfants.
Pliée en deux, mal à l’aise avec son gros ventre, Kevinette se releva du sol pour souffler
un peu.
— Nous avons bien avancé, les filles. La prochaine fois on s’attaque à la chambre des
jumelles. Je veux du rose, du blanc, pis du rose et du blanc, plein de peluches partout, un petit
meuble rose avec des tiroirs blancs pour ranger leurs jouets et leurs coloriages.
Elle souleva sa tête.
— Au plafond, nous allons peindre un ciel bleu, comme celui d’aujourd’hui, avec plein
d’étoiles brillantes comme si c’était la nuit. Un ciel bleu avec le soleil en pleine nuit, ce doit
être magique ! Pis deux ou trois colombes qui s’envolent. Oh ! pis deux vraies, enfin presque,
disons en 3D, pour qu’elles se perchent sur le bord des berceaux et surveillent les jumelles dans
leur lit.
Lou, debout sur un escabeau, un pinceau en main sourit à son beau-père.
— Maintenant que tu sais le sexe, à quels prénoms penses-tu ?
— J’ai déjà beaucoup réfléchi, mais il y a tellement de beaux prénoms. Et puis je me suis
dit que ce serait bien si Manon choisissait un prénom et toi l’autre prénom.
— Ce sont tes gosses, s’étonna Manon, tes gosses à toi tout seul, et c’est peu de le dire.
— Oui, c’est à toi de choisir, renchérit Lou.
— Vous êtes les femmes que je chéris le plus au monde et de vous laisser choisir les
prénoms des jumelles, c’est un cadeau que je vous fais, le cadeau de l’amour.
Les deux filles s’approchèrent, l’enlacèrent et l’embrassèrent. Kevinette avait de la
peinture partout sur sa robe de grossesse. Elle s’en fichait, elle était heureuse.

65

C’était le premier jour du confinement en France. La Suisse, plus souple sur les mesures
à adopter, avait cependant convenu des restrictions dès la semaine précédente. Le passage à la
frontière fut laborieux. Devant une file de voitures interminable, chaque frontalier semblait
être contrôlé. Ce fut avec presque deux heures de retard que Kevinette entra dans le service du
professeur Chapelier. Après différentes mesures d’hygiène, on fit patienter la femme enceinte
dans une salle d’attente.
Félix et le professeur Chapelier s’attardaient à discuter dans leur service, malgré la
pagaille due aux arrivées de malades aux urgences. Les ambulances se succédaient.
— Tu m’as surpris l’autre jour à faire le pitre ainsi dans la cafétéria.
— Quand je vois ce pauvre Kevin et lorsque j’imagine tout ce qui peut encore lui tomber
sur le coin du nez, perturbé comme il est, j’ai ressenti le besoin de l’amuser. C’est vrai qu’au
travail je suis sérieux et je souris rarement, mais avec les seize heures par jour qu’il nous faudra
prévoir avec ce foutu virus et les morts qui nous attendent, on n’est pas prêts de sourire.

174
Il toucha de son index le ventre de Félix.
— Mais ce que tu ne sais pas, c’est que dans ma vie privée, je suis un sacré boute-en-train
ou bien.
— À la Saint-Valentin, j’avais remarqué ce côté coquin. Tu n’as pas choisi le masque de
Strauss-Kahn par hasard, t’en as passé des mains aux fesses, dis donc. Mais d’après ce que tu
as expliqué à Kevin, tu n’aurais donc pas fait l’amour avec Giulia.
— Bien sûr que non, d’ailleurs pas certain que Giulia aurait accepté. Tu sais très bien que
nous étions là pour l’enquête.
— Moi, ça m’embêtait de coucher avec une autre femme que la mienne, mais le jeu c’est
le jeu. Je m’en suis bien sorti, j’ai été démasqué avant minuit. Éliminé, impeccable !
— Et ta femme ?
— Quoi ma femme ?
— Quel déguisement avait-elle ?
— Océane ? C’était le pape. Et je n’ai pas vu avec qui elle était partie coucher. À l’heure
qu’il est ma douce n’a toujours rien voulu me dire.
Le professeur ne put s’empêcher de rire.
— Le pape, je l’ai vu danser à l’heure du gong avec Vanessa Paradis. Après, je ne les ai
pas revus, ils ont dû monter au ciel.
— Je change de conversation. Tout à l’heure tu disais que tu t’attendais encore à des
déboires avec Kevin, explique-toi, demanda Félix.
— Ce sont ces éléments inconnus que Damassène a injectés dans le sang de Kevin qui
m’inquiètent. Je suis sûr qu’il manigance encore autre chose. C’est un sorcier démoniaque.
Vivement que nous le coincions.
— Par ta découverte aux archives du club, nos recherches avancent, et grâce aussi aux
renseignements que j’ai fournis à la police. Le faux ayatollah de la boite est bien le patron de
ce club et trafique avec les huiles de la clinique dijonnaise. Il ne nous reste plus qu’à les prendre
la main dans le sac. Une coopération avec la police iranienne et nous trouverons bien quelque
chose dans la résidence de Tijani ben Koulouba sahel à Téhéran.
— On en saura plus prochainement par la police suisse. Fais venir notre protégé que
l’on voit comment poussent les jumelles.
Kevinette entra dans la salle de gynécologie. L’échographie ne révéla rien d’anormal. La
date d’accouchement se confirmait pour le 20 juin prochain.
— Espérons que le confinement sera terminé pour que votre famille puisse être auprès
de vous ce jour-là. Pour les cours d’accouchement sans douleur, malgré le contexte sanitaire,
vous serez suivi par une sage-femme à la maternité de notre hôpital.
Le professeur respira fortement, puis ajouta :
— Je vous laisse libre encore un bon mois. Vers la fin du mois d’avril, il faudra faire votre
valise et rester dans notre service jusqu’à l’accouchement. Compte tenu de votre cas particulier,
j’aurai besoin d’un suivi journalier régulier. Et puis, même s’il y a peu de risques, je crains une
nouvelle intervention de Damassène pour vous séquestrer dans sa clinique. Ce damné
chirurgien rêve toujours de vous voir accoucher dans sa maternité.
— Mais que vais-je faire pendant plus d’un mois ici ?
— Je vous ai réservé un petit appartement à l’hôtel des familles. Vous y serez tranquille.
De toute façon, si le confinement se poursuit, ici en Suisse vous aurez la chance de sortir plus
facilement. Vous pourrez recevoir famille et amis.

La femme enceinte remonta le col de la Givrine au volant de son Scénic sous un ciel bleu
voilé de quelques cumulus. Dommage de se confiner par ce beau temps, se dit-elle. Depuis le
temps que Kevin puis Kevinette grimpait ou dévalait ces virages en épingle, elle en connaissait
le nombre. Il ou elle ne s’ennuyait jamais dans sa voiture, ses pensées perpétuelles se

175
bousculaient dans sa tête, cela gambergeait tellement que ça débordait même dans l’habitacle,
voire sur la route. Et sur la route, il, puis elle, avait compté et recompté les virages jusqu’au
sommet. Il y en avait exactement 69, et suivant le décompte il en trouvait parfois 71.
Cet après-midi-là, le Scénic roulait quasiment sans chauffeur puisque Kevinette restait
le Kevin toujours dans la lune. Et lorsque l’on est sur la lune, on ne conduit pas, on flotte. Son
cerveau habitué aux grands espaces ne calculait pas, ou alors il ne calculait pas de la même
façon. Il essayait de démêler les ficelles trop nouées de ses récentes relations amoureuses. Mais
où était l’amour au milieu de tous ces petits culs ? Elle se rappela son dernier coup de fil avec
Justine. Non, elle ne savait pas, avait-elle juré. Non, Damassène ne lui avait rien dévoilé de
cette grossesse. Oui, il l’avait baisée dans le sofa du club, elle n’avait pas aimé, mais elle avait
respecté les règles de la soirée échangiste. Elle se remémora la réplique de son ancienne chérie
lorsqu’elle lui annonça la nouvelle : enceinte de cinq mois et je n’ai jamais rien su ? Tu es un
beau salaud, moi qui restais toujours amoureuse de toi. J’aimerais mille fois mieux refaire
l’amour avec ce Grec pas beau qu’avec toi. Je vais de ce pas me trouver un Parisien. Quel qu’il
soit, il sera plus correct que toi. Connard !
Elle égraina alors ses autres écarts : Marie, Giulia, Belinda, Mégane, Modi, Paulin, et
sûrement quelque autre travers. Incapable de refaire l’addition, elle revint à la première ligne.
Elle revoyait Manon, et toujours Manon dans sa machine à remonter le temps. Elle dessinait
alors, couleur rose et blanc, le prénom de sa femme sur le papier gris de son cortex cérébral.
Trichant sur la validité de sortie de son document sanitaire, Kevinette s’arrêta chez son
ami Tristan.
— Salut, belle gosse. Tu reviens de la station de gonflage. Fais gaffe, si tu pompes trop,
tu vas éclater, ah, ah !
Tristan, sécateur dans la main, taillait ses deux rosiers qui grimpaient sur la façade de sa
maison. Il avança son coude contre celui de son ami.
— Tu respectes les règles d’hygiène, c’est bien. Parce qu’il faut faire attention à mes
jumelles.
— Ah, tu t’es payé des jumelles. C’est con ! maintenant, les petits culs que tu vas
zieuter, ils seront trop gros, ah, ah ! Allez, rentre boire un Pont, et raconte-moi où tu en es dans
tes amours.
Kevinette, assise en retrait de la table de la cuisine pour laisser souffler son gros ventre,
refusa le Pontarlier anis, réclama juste un verre d’eau.
— Vivement que tu accouches qu’on puisse à nouveau déconner, hein, Kevinette.
Kevinette posa ses mains sur son gros ventre.
— Oh, les jumelles bougent.
— Elles sont peut-être mal rangées dans l’étui, ah, ah !
Kevin rebondit sur ce dernier jeu de mots vaseux :
— Tu ne crois pas si bien dire. Le professeur Chapelier veut me garder dans son hôpital
de fin avril jusqu’à mon accouchement. Je suis sûr qu’il ne me dit pas tout. À mon avis, les
jumelles ne sont pas bien en place dans mon utérus.
— Cela fait tout bizarre quand tu parles de ton utérus, dit Cloé, assise près de son mari,
n’es-tu pas en peine d’être ainsi ?
— Pas du tout, au contraire, je vois la vie autrement. Je vois les hommes vulgaires,
superficiels, guidés par leur bite. Je suis femme et je me sens plus intuitive, plus sensible, plus
réfléchie, guidée par un esprit plus fin.
Tristan éclata de rire.
— Heureusement que tu as parlé de l’esprit, sinon je ne t’aurais pas cru, ah, ah ! Dis voir,
dans ton état, te tapes-tu encore des gonzesses ?
— Je n’ai plus envie, et puis des gonzesses sans Joujou, ce n’est pas facile !

176
— Cloé sourit, baissa la tête en rougissant, sa large mèche de cheveux sombres resta
plaquée sur son front, se souvenant de son usage de Joujou comme godemichet. Ce jour-là, en
cachette dans sa chambre, elle avait joui comme jamais, gardant longuement entre ses cuisses
ce petit morceau de Kevin.
— Mes envies sexuelles, depuis que Damassène m’a injecté ces saloperies d’hormones
neutres, se tournent plus facilement vers les hommes en ce moment. J’ai vu sur Internet que
pour bien préparer l’accouchement, il ne faut pas hésiter à faire l’amour.
— Ne reviens pas à la charge, Kevinette, je t’ai déjà dit de ne pas compter sur moi, ah,
ah !
Sur cette ironique provocation de son mari, Océane sortit dans le jardin.
— Ce qui m’intrigue surtout, dit Kevinette, c’est cette réunion privée au club échangiste
à la Saint-Valentin. Raconte-moi. D’où t’es venu cette idée ?
Tristan quitta ses rides de sourire.
— J’ai appris que les huiles de la clinique de Dijon seraient présentes au club échangiste
après avoir acheté les billets. Je ne savais rien avant, je t’assure. J’ai sincèrement invité nos
amis communs pour faire une fête un peu originale, c’est tout. En ce qui concerne le personnel
de santé de Lausanne, c’est Giulia qui m’a prévenu.
— Ne me dis pas que tu te tapes cette fille ?
— T’inquiètes, j’ai bien essayé, elle n’a rien voulu savoir, parait qu’elle est complètement
dingue de toi. Je la connais parce que je me suis trouvé mêlé à leur enquête.
— Une enquête sur un trafic d’organes, c’est ça ? J’ai compris après avoir visité le site de
la fondation POLEDO. Comment se fait-il que tu sois lié à cette affaire ?
— C’est encore top secret jusqu’à ce qu’on coffre les coupables.
— Bien que le professeur m’assure que cette affaire n’a aucun lien avec moi, mon
intuition féminine me dit de rester prudent.
— Peut-être as-tu raison.
— Au fait, Cloé était-elle au Crystal71 ?
— Oui. Sais-tu au moins pourquoi ça s’appelle le Crystal ?
— Non.
— Parce que dans ce genre de club, parait que certains couples se brisent comme du cristal.
— Et 71 ?
— C’est un 69 avec deux doigts dans l’cul.
Kevinette posa ses mains sur son gros ventre et éclata de rire.
— À propos de couple, quel masque portait ta femme ?
— Le masque de Vanessa Paradis.
Kevinette pouffa.
— Eh ben dis-donc ! ta femme elle est partie au paradis avec le pape. Et quelque chose
me dit que ce pape déjanté, il est un peu comme moi, il a perdu son Joujou.

66

En ce début de confinement, Kevinette tournait en rond dans son appartement de


Champagnole. Elle avait l’avantage néanmoins de passer ses journées aux côtés de Manon et
de Lou. Ses deux amies préférées avaient finalement accepté de se confiner chez lui. Les
journées furent d’autant plus longues que le beau temps tentait les confinés pour des sorties en
plein air. Kevinette profitait de son heure autorisée pour marcher sur les trottoirs du centre-ville,
revenait par le bord de la rivière, admirait les poules d’eau glissant sur l’eau, s’écartait au
passage des canards qui se déhanchaient sur le chemin de halage tout heureux de profiter du

177
silence du quartier. De retour à l’appartement, il discutait longuement avec Manon et Lou. Cela
tournait souvent autour de la grossesse, mais aussi et surtout des naissances à venir et du
bonheur qu’anticipait la future maman. Ils avaient effectué les travaux dans la chambre des
enfants. Plus d’odeurs de peintures, Kevinette s’acharnant jour après jour à parfumer de jasmin
la chambre adorée. L’après-midi, pendant que Lou suivait ses cours sur Internet tout en aidant
son petit frère Liam, Manon tricotait de la layette pour les bébés devant Netflix, et l’homme-
femme, assis auprès d’elle, jonglait entre YouTube sur son portable et quelques coups d’œil sur
la série devant l’écran de télé. Le soir, Kevinette et Manon se couchaient tôt, discutaient jusque
tard dans la nuit devant d’autres séries Netflix sur l’écran suspendu au mur en face du lit.
— Et qu’est-ce qu’elle en dit, Belinda, que tu acceptes de rester ici pendant le
confinement ?
— Elle ne comprend pas, elle pense que j’aurais dû rester à Lons, que j’avais une petite
maison avec jardin, que les enfants auraient été plus heureux. Je lui ai répondu que pour Liam,
c’était possible, mais Lou tenait trop à rester à Champagnole. C’est là qu’elle a vécu son enfance,
c’est là aussi qu’elle pourrait aider son beau-père, fignoler la chambre des jumelles, papoter
avec lui, ils avaient tant de mots gentils à se dire pour rattraper le retard. Mais brusquement
Belinda a pété un plomb. Sa jalousie remonta à la surface, elle m’a reproché de te préférer. Elle
disait que je ne l’aimais plus et qu’elle pensait donc mettre une croix sur notre relation.
— Elle n’a pas tout à fait tort. Si le confinement dure plusieurs semaines, votre séparation
lui paraitra beaucoup trop longue et elle ne comprend donc pas que tu ne raisonnes pas de la
même façon qu’elle. Elle en déduit à juste raison que tu ne l’aimes plus et que c’est moi que tu
aimes.
Manon, couchée sur le dos, se tourna vers son mari. Elle posa sa main sur le ventre rond.
— Je ne voudrais pas te décevoir, mais je suis heureuse avec Belinda, et malgré sa jalousie
féroce, je l’aime. Si j’ai accepté de rester vers toi, c’est parce que tu as besoin de compagnie.
Depuis que tu es femme, tu es devenu prévenant, sensible et raisonnable. Tu mérites d’être aidé.
Je te l’avais promis, je resterai auprès de toi jusqu’à la naissance des jumelles et même les
quelques jours suivants.
Kevinette l’embrassa sur le front.
— Je te croyais amoureuse de moi, je me suis donc trompé.
Elle ne répondit rien.
— Mais que vas-tu faire puisque Belinda te quitte ?
— Belinda ne me quittera pas. Elle a dit ça sous le coup de la colère. Nous nous aimons
trop pour rompre. Tu sais bien que l’on continue de s’appeler tous les jours. Allez ! dormons.
Je t’aime… beaucoup.
Elle l’embrassa sur les lèvres, se tourna, et pleura en silence sous la couette.

Le lendemain soir, toujours au lit de bonne heure, Kevin remit le couvert.


— Si tu l’aimes tant, ta fidèle Belinda, pourquoi a-t-elle fugué la nuit de la Saint-
Valentin, quelle belle femme costumée a-t-elle choisie ?
— La belle femme costumée, c’était moi. S’il te plait, ne remplace pas Belinda, ne soit
pas aussi jaloux, ou devrais-je dire jalouse.
— Belinda n’a pas le droit d’être jalouse puisque tu l’aimes, moi si. À propos de cette
soirée, sais-tu que Paulin a couché avec Julien ?
— Lou s’en fiche. Elle a définitivement rompu avec Paulin. Son vrai chéri, c’est Modi.
Et ces deux-là, crois-moi, ils s’aiment. La preuve, Modi si sérieux n’hésite pas à se déplacer
jusqu’ici pour voir Lou malgré l’interdiction sanitaire.
— Ils ont de la chance !
Elle l’embrassa sur les lèvres. Elle chuchota :
— Joujou serait là dans notre lit, je ferais l’amour avec toi.

178
— Tu es aussi lesbienne, Minou n’attend que ça.
Elle roula sur le gros ventre, joua à roule-pelle, caressa les seins de plus en plus gros.
— Je ne suis pas lesbienne, j’aime juste Belinda. Mais toi, si tu veux un homme pendant
que tu es femme, sors donc avec Paulin. Je suis certaine qu’il n’attend que ça.
— Ce n’est pas lui que je veux.
Elle roula sur le côté et pleura à nouveau, cette fois-ci, sans discrétion.
Repoussant son gros ventre en arrière, Kevinette enlaça Manon du mieux qu’il put. Il
chuchota à son oreille :
— C’est après-demain 27 avril que je pars à Lausanne. Tu vas pouvoir retrouver Belinda.
Les spasmes de sanglots encore plus puissants secouèrent le cœur trop tendre de Manon.

Le surlendemain après-midi, Tristan entra à l’appartement. Manon ouvrit.


— Coucou, jolie blonde, la belle gosse est prête ?
Il s’exclama en regardant vers le salon.
— Hello ! ton ambulancier et chauffeur préféré t’attend.
Ses cheveux en brosse lissés en arrière, Tristan souriait en avançant dans le salon. Il vit
Kevinette s’emparer du sac à main tombé derrière le canapé.
— Ben alors, ma grosse, on peut plus se baisser ! Laisse-moi faire.
Il contourna la grosse Kevinette, lui passa la main aux fesses, sa façon à lui parfois de
dire bonjour. Il ramassa le sac à main, tout en empoignant la valise qui reposait sur la table du
salon.
Kevinette embrassa son fils, s’attarda sur la joue de Lou, embrassa sans retenue sa femme
et suivit son chauffeur. Manon avait remarqué l’extrême faiblesse de Kevinette et avait insisté
pour que Tristan emmène son mari à Lausanne. Tristan, ami fidèle, n’avait pas hésité à
l’accompagner.
Kevinette se retourna une dernière fois vers Manon.
— Viens me retrouver dès que tu peux.
— Je serai vers toi avant le weekend prochain, promis.
Elle souffla dans sa main pour un dernier baiser à distance.

Tristan roulait doucement en grimpant la côte de Saint-Laurent pendant que sa passagère


encombrante cherchait encore sa place. Après une quinzaine de kilomètres, les yeux fixés sur
le rétroviseur, il pressa subitement sur le champignon. Le 4X4 qui suivait accéléra à son tour,
gardant néanmoins quelque distance.
— Ne roule pas si vite, tu vas nous foutre au talus. Non seulement tu risques de bousiller
ma voiture, mais surtout, s’il te plait, pense à mes jumelles.
Tristan, pour toute réponse, accéléra de nouveau, l’œil tourné vers le rétroviseur.
— Mais dis-moi ce qui se passe. On est suivis ?
— Oui c’est ça, nous sommes suivis, mais t’inquiètes, le 4X4 garde ses distances, j’ai ma
petite idée. Cinq cent mètres avant Saint-Laurent, dès que tu vois la ferme à droite à l’entrée
d’un virage prononcé, accroche-toi.
Une minute plus tard, Tristan brusqua le volant sur la droite, le Scénic dérapa, se redressa,
fila dans un chemin de pierre. Quelques dizaines de mètres plus loin, la voiture contourna la
ferme, grimpa le pont de grange, s’engouffra entre deux rangées de balles de foin, s’arrêta au
plus profond du local, là où le noir protège.
— On dirait que tu connais bien le coin.
— Ben oui ! Tu sais bien que j’ai des maitresses un peu partout. Tu vois, je joins l’utile à
l’agréable, ah, ah !
— N’empêche, ce 4X4 qui nous suit, c’est sûrement ce putain de Damassène qui
s’acharne.

179
Beaucoup plus tard, le Scénic reprit prudemment le chemin de Lausanne, empruntant une
départementale qui contournait le vignoble en surplomb du lac. À l’approche du CHUV, il évita
les grandes artères, s’engouffra dans une rue parallèle à sens unique qui rejoignait l’hôpital.
Surgit brusquement devant eux à contresens le 4X4 qui s’immobilisa en travers de la route.
Deux grands baraqués en sortirent. Kevinette les reconnut aussitôt, les mêmes salopards qui
l’avaient kidnappé l’an passé sur le bord du lac d’Ilay.
Tristan, sans réfléchir, pressa sur l’accélérateur, s’encastra volontairement dans le
véhicule ennemi. Le choc déclencha les airbags. Ils sortirent enfin du Scénic froissé. Kevinette
titubait, soutenant son ventre rond. Tristan, plus alerte, voulut poursuivre, mais sans succès, les
deux hommes qui sortaient du 4X4. Kevinette et Tristan avaient reconnu Damassène et son
adjoint. Des deux gorilles, l’un n’avait pas pu éviter le Scénic et hurlait, couché sur le trottoir,
la jambe broyée, l’autre essayait de suivre les deux chirurgiens dijonnais en boitant.
Kevinette s’appuyait sur l’avant du Scénic défoncé.
— T’es cinglé, mon pauvre Tristan ! as-tu pensé à mes jumelles ?
— T’es vivant, moi aussi, et l’on a fait fuir ces voyous. Si je n’avais pas fait ça, on
finissait tous les deux… moi tué, toi séquestré je ne sais où, et pour longtemps.
Kevinette essaya de reprendre son souffle. L’angoisse du choc secouait toujours son
ventre.
— Tu n’exagères pas un peu, non.
— Quand tu sauras tout du machiavélique docteur Damassène, tu comprendras.
Alors que du monde se pressait déjà autour du gorille blessé, Kevinette, soutenue par
Tristan, marchait vers l’hôpital situé à trois-cents mètres de l’accident.

Tard dans la soirée, Kevinette se reposait dans une chambre de la maternité du CHUV.
Tristan, assis à son chevet, lui tenait la main.
— Pardon, mille fois pardon, murmurait-il.
Le professeur entra dans la chambre et s’approcha du lit.
— Ne vous inquiétez pas outre mesure, votre ami va bien et, concernant les jumelles, le
liquide amniotique a permis d’amortir le choc.
Le médecin prit le pouls de Kevinette tout en tournant la tête vers Tristan.
— La police est venue me voir tout à l’heure au sujet de l’accident. Vos responsabilités
sont en grande partie écartées compte tenu du contexte de l’enquête en cours concernant ces
vauriens de Dijon. Par contre, aucune nouvelle de Damassène et de son adjoint ni du deuxième
gorille.
— La police a-t-elle interrogé l’autre enfoiré que j’ai blessé ?
— Oui, il dit qu’il a suivi les ordres, fallait ramener Kevin à la clinique.
— Et moi, que voulait-il faire de moi ?
— Il dit qu’il n’en savait rien, enfin, parait-il. Au sujet de l’enquête, y a du nouveau.
La police suisse interviendra au Crystal 71 dès qu’elle aura des nouvelles de son contact iranien.
De ton côté, tu seras convoqué par la gendarmerie française à la même date. Tu devras la
rejoindre à Gevrey-Chambertin.

67

Beau temps pendant le confinement. Dommage de rester cloîtré. Mais Kevinette


recevait peu de visites dans son appartement de l’hôtel des familles, hormis Lou et surtout
Manon qui passait trois nuits par semaine vers son mari. Manon participait parfois aux séances
d’accouchement sans douleur. Kevinette essayait de s’étirer lentement sur les exercices de yoga,
utilisant un ballon de grossesse pour entrainer le périnée. Il apprenait à respirer afin de garder

180
un maximum de calme le jour J. Sa femme souriait en le voyant se tordre, tenter des
mouvements improbables devant la sage-femme, une quinquagénaire sans coquetterie, aux
grosses mains ridées.
Le déconfinement intervint le 12 mai en France alors que la Suisse assouplissait
également ses mesures. Ce fut le jour où Kevinette connut une première et forte contraction. En
homme respectable, elle se plaignit plus qu’il ne fallut, appelant de toute urgence une infirmière.
Elle avait la chance de rester dans une chambre individuelle de la maternité puisque, depuis
plusieurs jours, le professeur Chapelier avait trouvé son patient très affaibli. On perfusa
Kevinette afin de lui donner quelques forces en vue de l’accouchement à venir. Il restait pourtant
encore sept semaines de grossesse. Elle devait par ailleurs rester allongée sur son lit le plus
souvent possible.
— Je crains de plus en plus pour son état et celui des jumelles, s’inquiétait le professeur
Chapelier auprès de son adjoint Félix.

Pour Kevinette, les deux semaines qui suivirent parurent une éternité malgré les
fréquentes visites de Manon. À part sa femme, et quelquefois Lou, elle n’acceptait personne
dans sa chambre en dehors du personnel médical. Cachée derrière son masque chirurgical
comme tout le monde, elle craignait l’épidémie, ne voulait pas tomber malade avant la naissance
des jumelles. Il fallait que la maman les accueille en bonne santé.
Dans la matinée du 26 mai, des contractions telles qu’elle en avait connues quinze
jours plus tôt secouèrent les reins de Kevinette, cette fois-ci de façon plus régulière. Seule dans
sa chambre, la future maman s’affola, hurla :
— Au secours ! je vais accoucher.
Une infirmière accourut
— Ne criez pas comme cela, monsieur Rumber, un accouchement ce n’est ni un
accident, ni une maladie.
— Ça fait mal.
Elle prit la main de Kevinette.
— Qu’allez-vous donc dire lorsque ce sera le véritable moment ? Je vous appelle le
professeur Chapelier, il est dans son service. Cela vous rassurera, mais ne vous inquiétez pas,
ce n’est pas encore l’heure.
Trempée de sueur, elle serrait la main de l’infirmière.
— Restez près de moi jusqu’à ce qu’il arrive. Aïe ! Aïe ! Aïe ! ça, recommence.
Kevinette souleva son derrière et écarta les jambes, croyant expulser les jumelles en
quelques secondes.
— Il faut m’envoyer sur un lit d’accouchement, appelez la sage-femme, le professeur,
c’est l’heure.
L’infirmière lui tapota la main.
— Mais non, mais non. Patientez encore un peu, le professeur va arriver.
L’homme-femme regarda l’infirmière d’un air hagard.
— S’il vous plait, Giulia ne pourrait pas venir ? Ça fait un mois que je suis là et je ne l’ai
presque pas vue.
— Avec cette épidémie de coronavirus, elle est très occupée. Néanmoins je vais lui dire
de passer vous voir dès qu’elle aura un instant.
— Non, tout de suite, je veux la voir tout de suite avant de mourir, et Manon, bien sûr,
prévenez vite Manon.
— Et bien, dites donc, si toutes les femmes qui accouchent devaient mourir, il y a belle
lurette qu’il n’y aurait plus personne sur terre ou bien.
Le professeur entra, l’infirmière quitta la chambre après avoir vérifié puis débranché la
perfusion.

181
— Alors on angoisse pour deux tout petits bébés que l’on va mettre au monde ! Il faut
absolument vous contrôler, Kevin, parce que vous n’êtes pas encore au bout de vos peines.
Le professeur tâta son ventre.
— Levez-vous, marchez un peu.
Le médecin accompagna son ou sa malade tout en pressant légèrement sur le bas-ventre.
— Je vous emmène en salle d’accouchement, non pas pour vous accoucher, juste
contrôler vos organes génitaux.
Le professeur se fit accompagner par un gynécologue de la maternité, un grand costaud,
tout l’inverse de lui. Le policier en faction devant la chambre de Kevinette s’écarta pour les
laisser passer. Un aide-soignant poussait le fauteuil roulant d’où sortait un gémissement
continuel.
Dans les couloirs surchargés, le personnel médical s’affairait et soufflait derrière les
masques chirurgicaux. Les médecins transmettaient des ordres brefs. Si l’épidémie de
coronavirus semblait faiblir, tant en Suisse qu’en France, les hôpitaux restaient pour la plupart
à la limite de la saturation.
Après de longs examens en salle d’accouchement et un rapide conciliabule avec le
gynécologue, le professeur emmena lui-même Kevinette dans sa chambre en poussant le lit
médical. Il l’aida à se réinstaller dans son lit. Sans détour, il l’informa de la suite des évènements.
— Les bébés sont bas, d’autres signes nous font penser que l’accouchement se fera avant
terme. Environ trois semaines d’avance, ce n’est pas méchant. Ne vous inquiétez pas, tout se
passera bien. Félix sera là demain matin, il descendra depuis Champagnole avec votre épouse.
Elle restera auprès de vous jusqu’à votre accouchement. Elle dormira à l’hôtel des familles et
passera de longs moments auprès de vous en journée et même le soir. Tout est arrangé pour que
vous soyez bien chouchouté. Vous avez de la chance, Manon est une femme exceptionnelle.
— Je le sais, répondit Kevinette en grimaçant sous la douleur d’une contraction.
Le professeur approcha une chaise près du lit et s’y installa.
— Vous angoissez parce que vous allez bientôt accoucher. Ce n’est pas anodin. Bien des
femmes stressent aussi avant l’accouchement. La mise au monde de vos jumelles ne sera pas
anodine non plus, c’est vrai que vous êtes un cas particulier puisque vous êtes l’unique homme-
femme en ce bas monde. Mais soyez rassuré là aussi parce que toute votre morphologie et votre
biologie correspondent parfaitement à la femme lambda. Dans ce domaine, monsieur
Damassène a su apporter toutes les garanties. Vos petites jumelles, d’après les derniers examens,
sont en bonne santé. Paradoxalement à la grosseur de votre ventre les bébés ne semblent pas
très gros. Ils sont deux à se partager le repas, on peut donc le comprendre. Je perçois une autre
raison dans votre angoisse, confirmée d’ailleurs par le docteur Ternan, le psychiatre qui vous
suit. Vous redoutez encore et toujours le docteur Damassène et vous restez intrigué par cette
enquête dont vous ne connaissez pas les aboutissants. Je vais donc vous rassurer. En effet d’ici
quarante-huit heures, Andreou Damassène ne sera vraisemblablement plus en état de nuire. En
ce qui concerne l’enquête…
— Je crois savoir, l’interrompit Kevinette, il s’agit d’un trafic d’organes.
— Oui, mais il y a pire. Andreou Damassène cherchait à vous kidnapper parce qu’il a
besoin de votre corps ainsi que de vos bébés afin de poursuivre des recherches sur une méthode
de clonage thérapeutique d’organe. Il a besoin de tissus de votre utérus pendant que vous êtes
encore enceinte. Il a besoin également d’effectuer des prélèvements sur les bébés dans votre
ventre. Ici vous êtes en sécurité. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle je vous ai demandé de
venir poursuivre votre grossesse en nos murs. En fait il s’agissait plus de votre protection que
de votre état de santé et celui des jumelles.
— Comment savez-vous tout cela ? Ce clonage, tout ça ?
— Je participe à l’enquête avec les policiers. La gendarmerie française a découvert
une deuxième seringue, vide, dans l’ambulance qui vous a emmené de force à Dijon. Cette

182
seringue, après analyse, nous a fait comprendre que Damassène vous a administré une deuxième
piqure pendant le voyage. Celle-ci a permis un prélèvement sanguin. Donc en début de voyage,
on vous a piqué pour vous endormir, et au somnifère était associé un produit complémentaire.
En fin de voyage, soit une heure et demie plus tard environ, Damassène a effectué un
prélèvement sanguin. Nous avons découvert ce que contenait ce produit complémentaire, il
s’agirait, pour faire simple, d’un détecteur, genre colorant, qui permet de suivre certaines
hormones qui circulent dans votre sang. Nous en avons déduit que Damassène projetait de se
servir de vous et de vos jumelles comme cobayes.
Le professeur serra la main de son ou sa patiente :
— Nous allons vous administrer un sédatif afin que vous passiez une bonne nuit.
Mais la nuit ne fut pas bonne du tout malgré l’anxiolytique. Réveillée régulièrement par
des contractions, elle se contorsionnait dans son lit trempé. Elle appela au secours vers quatre
heures du matin.
— Mais qu’est-ce que c’est ? Je n’ai pas pissé au lit, y a en a trop !
— Ne t’inquiète pas, tu perds les eaux. On va t’emmener en salle d’accouchement,
répondit Giulia en lui tenant la main.
Giulia n’avait revu Kevinette qu’en de trop rares moments pendant son séjour à la
maternité. Elle s’était promis d’être là pour l’accompagner lors de l’accouchement. Elle fit
prévenir Manon qui ne dormait pas à l’hôtel des familles cette nuit-là. L’épouse de Kevin décida
Félix à partir plus tôt de Champagnole, elle angoissait. Le professeur et la sage-femme furent
informés. Le docteur Chapelier qui dormait chez lui arriva vers cinq heures. Le travail
commençait. Il examina avec la sage- femme l’ouverture du col.
— Hum ! murmura-t-elle, cela risque d’être encore long.
Et ce fut long. Vers dix heures Kevinette se plaignait de plus en plus fort. Elle se
remémorait les cours de prévention de la douleur, s’appliquait sur sa respiration, encouragée
par la sage-femme. Celle-ci se penchait régulièrement entre les cuisses de Kevinette derrière
ses grosses lunettes.
— Ça se précise, monsieur Rumber. Dans moins d’une heure, vous serez libéré,
courage, suivez bien les recommandations de préparation à l’accouchement sans douleur.
— Sans douleur, sans douleur ! c’est vous qui le dîtes, je vous laisserais volontiers ma
place.
— J’ai accouché de cinq beaux bébés, monsieur Rumber, et vous voyez, je suis là
devant vous et en parfaite santé.
Kevinette ferma les yeux, cherchant dans sa tête le meilleur moyen pour faire face à la
douleur. Brusquement cette dernière lui arracha des hurlements. Dans les brumes de la
souffrance, elle reconnaissait à peine la voix de la sage-femme.
— Poussez… respirez… poussez… poussez… poussez.
Manon, à l’écart, angoissait autant que son mari. Elle aurait tellement voulu être à la place
de la pauvre Kevinette. Était-ce de la pitié, de la compassion, trop d’amour en échange de trop
de souffrance ? Giulia patientait dans le couloir. Parfois elle marchait jusqu’à la cafétéria,
avalait un thé, puis revenait coller son oreille contre la porte de la salle d’accouchement. Les
hurlements sporadiques s’amplifiaient.
Félix marchait dans le couloir d’un pas précipité, il écarta Giulia, franchit la porte de la
salle d’accouchement sans la refermer.
— Ça y est, tout est fini !
Giulia, rayonnante, s’empressa de suivre Félix. Kevinette se souleva.
— Y sont où mes bébés ? Oh ! ça recommence. Aïe !
À l’entrée de Félix, le professeur et la sage-femme se retournèrent.
— Comment cela ? Vous voyez bien que l’accouchement est encore en cours !
— Non, je parlais de… vous savez, professeur…

183
— Ah oui ! On verra lorsque les jumelles seront nées.
Une heure plus tard, la tête du premier nouveau-né apparut, et dans un dernier cri,
Kevinette poussa fort et l’enfant se glissa entre les grosses mains ridées de la sage-femme. Le
deuxième bébé suivit presque aussitôt après un ultime effort de la brave Kevinette. Les cris des
nouveau-nés parurent une éternité à venir, ce qui angoissa tout le petit monde réuni autour de
Kevinette. Les chants de l’hymne à la souffrance de deux nouvelles vies retentirent enfin, bien
que relativement faibles. La sage-femme posa les deux nouveau-nés sur le ventre de la maman.
Épuisée, elle souleva légèrement la tête pour les admirer. Elle retomba sur le lit, son visage
souriait.
Quelques minutes plus tard, alors que Kevinette s’endormait, le professeur s’adressa à
Manon.
— Nous allons placer les jumelles en couveuse quelques jours, peut-être deux ou trois
semaines, elles ne pèsent qu’un kilo huit-cent chacune et sont nées au cours de la trente-sixième
semaine de grossesse. Je vous laisse prévenir Kevin lorsqu’il se réveillera.

68

À la cafétéria, caché derrière des parois de Plexiglas qui protégeaient du virus, le


professeur mâchait son morceau de pizza.
— Je suis inquiet pour les jumelles, Félix, les cœurs battent trop lentement. Elles sont
tellement légères que j’ai dû les placer en couveuse pour au moins quinze jours.
— Lorsque Tristan a foncé sur le 4X4, ne crois-tu pas que cela a perturbé le cycle ?
— Possible, mais je crois plus plausible que les saloperies injectées dans le sang de
Kevin par Damassène sont à l’origine de leur faiblesse.
Félix avala son verre d’eau.
Au sujet de Damassène, les deux filatures ont parfaitement fonctionné. J’étais au
commissariat de Genève ce matin. Voilà ce que les flics m’ont raconté : le patron de la
discothèque, son copain Damassène et toute la clique de la clinique cumulaient les méfaits.
Cette nuit, ils enfreignaient la loi sans vergogne : trafic d’organes humains, tentative
d’expérience prohibée sur espèce humaine et, par-dessus le marché, réunion clandestine avec
discothèque ouverte malgré les contraintes sanitaires.
— Tu sais bien, Félix, que plus on est riche, plus on est protégé.
— Les flics ont donc fait irruption au petit matin, ils ont coffré Tijani ben Kouhana Sahel,
le patron de la boite, mais aussi Mégane, Damassène et Tristan.
— Comment ça, Tristan ?
— Parait-il, un agent double, mais le mot me semble un peu fort puisque Tristan est un
amateur, disons plutôt un espion double.
— Cela me surprend, dit Chapelier. Et puis ?
— Les flics ont mis la main sur trois reins dans un coffret de transport d’organes déposé
dans un laboratoire aseptisé. Damassène et le patron de la boite vérifiaient dans cette pièce des
tissus humains entreposés dans un sachet spécifique quand ils furent appréhendés. Quant à
Mégane et Tristan, ils se déhanchaient sur la piste à l’étage au rythme d’un tango argentin.
— Pourtant avec Giulia cette nuit de Saint-Valentin nous avions cherché ce laboratoire
sans pouvoir le trouver.
— Cependant vous n’étiez pas loin, il suffisait de forcer une porte cachée derrière des
piles de cartons d’archives. D’après les flics, ce trafic d’organes ne transitait par le Crystal 71
que quelques minutes, le temps des contrôles effectués par les deux chirurgiens. Comme tu le

184
sais, Tijani ben Kouhana Sahel est un professeur émérite de Téhéran sous couverture de patron
du club échangiste à Genève. L’aéroport pour le trafic était tout proche.
— Et Gevrey-Chambertin ?
— À la même heure, la gendarmerie de Dijon appréhendait Geneviève Lonce,
l’infirmière-chef de la clinique de Dijon ainsi que Dès Salas Scheer et sa femme dans un caveau
de Gevrey-Chambertin.
Le professeur fronça les sourcils.
— Comment ça, sa femme ? Où est-elle en ce moment ?
— En garde à vue à Dijon, je suppose.
— Il faut que je tire cela au clair. Visiblement les flics ne savent pas tout.
— Pourquoi dis-tu cela ?
— Parce que tu viens de me dire que Mégane a été appréhendée le même jour à la même
heure, mais sur la piste de danse du Crystal 71 avec son agent double, le fameux Tristan.
D’ailleurs cette nuit-là Tristan aurait dû être à Gevrey-Chambertin, je ne comprends pas.
— Oh, avec Tristan, le fameux agent double, allez savoir ! Il se croit déjà James Bond.
Félix partit à la machine à café. Il revint et posa les deux tasses sur la table, se réinstalla
en face de son patron.
— Quant à Quentin et Marie, ils courent toujours.
— Cette cave à Gevrey-Chambertin, comment l’ont-ils découverte ?
— Enterrée sous la maison de Dès Salas Scheer. Une superbe cave voutée avec des vins
prestigieux, Vosne-Romanée, Romanée Conti, Beaune premier cru et bien d’autres. Derrière
des tonneaux, une porte cachée imitant les murs en pierre taillée, et derrière cette porte un labo
aseptisé où l’adjoint de Damassène manipulait des organes en vue de leur réexpédition. Un
avion devait partir depuis l’aéroport militaire de Dijon Longvic dans l’heure suivante pour la
Belgique.
Compte tenu du travail harassant du personnel hospitalier, Félix et le professeur passèrent
l’après-midi à superviser et aider au service transgène. Celui-ci avait été partiellement modifié
pour accueillir des malades de la covid. À la maternité toute proche, Giulia jetait régulièrement
un œil dans la chambre de la maman.
Kevinette ouvrit les yeux.
— Il parait que mes chéries sont en couveuse. Fais en sorte que les berceaux, même si
mes bébés ne sont pas encore dedans, soient quand même posés à côté de mon lit, je sentirai
ainsi mes jumelles plus près de moi. Merci Giulia.
— Comment s’appellent-elles ces jolies jumelles ?
— Mila, c’est un prénom suisse choisi par Manon pour faire plaisir au professeur
Chapelier. Ce prénom est un hommage à son dévouement. L’autre jumelle s’appelle Iris. C’est
Lou qui me l’a conseillé, elle adore les fleurs.
— Ce sont de jolis prénoms.
Le professeur Chapelier, lui, surveillait plus particulièrement les bébés.
Vers vingt-trois heures, la maternité s’endormait, Kevinette aussi. Seule une veilleuse
éclairait la chambre de la maman. Un rayon jaune d’or traversait les deux berceaux vides. La
porte s’entrouvrit, une tête s’en dégagea timidement, puis la lumière jaillit. La silhouette
avançait prudemment vers Kevinette, Manon suivait. La silhouette secoua doucement le bras
de la maman en chuchotant :
— Vous dormez, oh, oh !
Kevinette se frotta les yeux, puis, surpris par la lumière agressive, elle laissa ses
paupières quasiment fermées. Derrière ses cils, elle reconnut le professeur Chapelier.
— Il faudra être courageux, Kevin. Iris est morte.
Kevinette se redressa sur son lit, la tête appuyée sur la barre métallique calée derrière lui.
— C’est un cauchemar, n’est-ce pas ?

185
Silence
Les bras le long du corps reposant sur le drap blanc, Kevinette, pâle comme la mort
regarda, incrédule, tantôt sa femme, tantôt le professeur. Elle n’avait ni la force de crier, ni de
se plaindre. Des larmes chaudes sur son visage étalaient sa détresse.
— Nous prions pour la santé de Mila, mon chéri.
Manon l’appelait à nouveau chéri, était-ce suffisant comme compensation ? Puis la
maman s’enfonça sous sa couverture pour ne voir que le noir du malheur.
Le lendemain matin, de bonne heure, Manon prenait son petit-déjeuner dans la chambre
de la maternité à côté de Kevinette. Félix entra dans la chambre de son ami, prit sa main.
— Mila vient de rejoindre sa sœur au ciel.
Après un silence il ajouta :
— Je te plains de tout mon cœur, Kevin.
Puis il se tut, il n’y avait rien d’autre à dire.
Manon, une main devant sa bouche, s’approcha de Kevinette. Elle fixa son visage défait.
Elle garda le silence en caressant l’épaule de son mari.
Kevinette tourna son regard vers les berceaux vides, une peluche blanche assise à la place
du petit oreiller regardait de ses yeux vitreux la maman au travers des barreaux du petit lit, une
peluche rose dans le berceau jumeau fixait la voute céleste.

69

Dès son réveil, le professeur Chapelier appela le commissariat de Genève.


— Damassène est toujours chez vous ? OK, j’arrive.
Sous un ciel voilé, la Chevrolet fendait l’air doux du pays vaudois. Le chauffeur entrouvrit
sa fenêtre pour apprécier l’odeur du foin fraichement coupé sur les bords de l’autoroute. Vers
onze heures il garait son véhicule devant le commissariat.
Il resta debout face au commissaire assis derrière son bureau aux cloisons vitrées.
— Commissaire, j’aimerais parler à Damassène.
— Il est dans la cellule au bout du couloir. Un de mes hommes vous accompagne. Jusqu’à
maintenant ce Damassène n’a pas dit un mot pendant sa garde à vue. Alors je vous souhaite
bien du plaisir.
Le professeur Chapelier remarqua une grande femme blonde, ses fines mains agrippées
aux barreaux d’une cellule adjacente à celle de Damassène, une stature hautaine malgré sa triste
situation.
Il entra seul dans la cellule où le grand et maigre chirurgien s’écrasait sur un banc collé
au mur. Le policier referma à clé derrière lui et se planta devant la porte. Le professeur s’installa
à côté de son collègue malsain.
Il l’observa quelques minutes. Les flics étaient intervenus correctement, se dit-il, aucune
égratignure. En face de cet homme tête baissée à regarder ses godasses, le professeur qui n’avait
jamais fumé, sortit un paquet de Lucky Strike de sa poche, offrit une cigarette à son collègue.
Damassène accepta, lui qui n’avait jamais fumé non plus. Tous deux tiraient maladroitement
sur leurs tiges, toussotaient dans l’air tiède de la cellule, essayaient d’avaler puis refoulaient la
fumée comme de jeunes vierges écœurées.
— Cela fait du bien parfois de changer ses habitudes.
Damassène ouvrit enfin la bouche :
— Pour sûr, mes habitudes vont radicalement changer.
— Vous l’avez bien cherché, mon pauvre collègue.
Silence.

186
— On ne se voit pas souvent, n’est-ce pas. Du coup, je n’avais jamais remarqué que vous
étiez plus grand que moi. Pas plus épais par contre. Heureusement que les flics ne vous ont pas
tabassé, il ne resterait pas grand-chose de vous.
— Votre glorieux patient m’a bien tabassé en son temps, et je suis toujours là.
— Et moi aussi je pourrais vous tabasser en ce moment même parce que j’ai les nerfs,
vraiment les nerfs. Mais je ne suis ni violent ni méchant. Sachez, monsieur Damassène, que les
deux belles jumelles que la maman et le papa adoraient sont mortes quelques heures après leur
naissance.
Pas de réponse, pas de réaction, juste une tête baissée.
Quelques minutes plus tard, Damassène se tourna enfin vers son collègue.
— Je regrette.
— C’est tout ! ne croyez-vous pas y être pour quelque chose ?
Nouveau silence.
Puis le chirurgien grec se lâcha. Il avait décidé de révéler l’essentiel de ses actes malsains
à son collègue parce que, d’une part, le professeur comprendrait mieux ses expériences
médicales que ces enfoirés de flic, d’autre part il fut choqué d’apprendre la mort des bébés.
— Oui je regrette. Je ne voulais pas cela. Vous m’auriez laissé Kevin afin de suivre sa
grossesse, les bébés seraient peut-être encore en vie.
— Pourquoi peut-être ? Pourquoi ne dîtes-vous pas certainement ? Vous n’êtes pas sûr de
vous, n’est-ce pas.
— Je reconnais que je me suis un peu précipité. J’avais besoin de Kevin enceinte pour
prélever des tissus de son utérus.
— Vous auriez osé pendant sa grossesse.
— Oui, grâce à mes procédés révolutionnaires, et de toute façon c’était pendant la
grossesse que j’avais besoin de ces prélèvements.
— Que vouliez-vous faire ?
— Lorsque j’étais dans l’ambulance avec Kevin je me suis empressé d’introduire dans
son sang des biomarqueurs spécifiques pour connaitre la réaction de l’organisme.
— Mais vous êtes un grand malade, monsieur Damassène ! Faire cela sur une femme
enceinte, de plus avec des biomarqueurs inconnus. Les bébés sont morts par votre faute.
Damassène baissa la tête, puis après un temps de réflexion, sans lever son regard du sol,
les coudes sur ses cuisses, il répondit :
— Ce pourrait être les suites du choc de l’accident avec Tristan.
— Vous savez très bien que ce n’est pas cela. Le liquide amniotique protégeait les bébés.
À défaut, ils seraient morts peu de temps après l’accident. Vous êtes un criminel, monsieur
Damassène, un criminel peut-être involontaire, mais un damné inconscient. Et tout cela pour
quoi ? Hein, pour quoi ?
— Ayant appris que le père des bébés était la mère, j’ai tout de suite compris l’intérêt
d’une méthode de clonage simplifié et…
Le professeur se leva, interrompant son collègue.
— Vous avez de la suite dans les idées et vous auriez fait certainement un très grand
scientifique, mais votre soif de gloire et d’argent vous a fourvoyé. Vous méritez perpète.
Damassène releva la tête.
— La thèse de l’accident du Scénic contre mon 4X4 avec Tristan et Kevin à son bord est
défendable devant un juge.
Le professeur sortit son portable qui dépassait de la petite poche extérieure de son blouson.
Alors qu’il passait la porte de la cellule devant le policier en faction, il se retourna vers
Damassène en soulevant son smartphone au-dessus de sa tête.
— Pas sûr que votre thèse suffira, pauvre petit chirurgien, toute notre conversation est
enregistrée là-dedans.

187
Il fit brusquement demi-tour.
— La dame blonde dans la cellule à côté, vous connaissez ?
— C’est ma femme.
Le professeur retourna vers le commissaire qui discutait avec l’un de ses subordonnés
dans un couloir.
— Vous me prêtez quelques heures cette blondasse ?
— Mais…
Après explications, le grand gaillard accepta.
— Venez avec nous, ordonna le commissaire au policier avec lequel il causait, sortez
madame Dès Salas Cheers de sa cellule et menottez-là, on part.
Après une heure d’autoroute, la petite troupe entrait dans la maternité du CHUV. Le
professeur ouvrait la marche dans les couloirs, suivi de Mégane, laquelle croyait garder sa
dignité malgré les menottes. Les deux flics escortaient la prisonnière. Chapelier ruminait sur la
confrontation à venir face à Kevinette. Il n’y avait qu’elle qui pouvait reconnaitre la vraie
Mégane.
Lorsque le professeur entra dans la chambre de Kevinette, poussant madame Damassène
devant lui, le visage décomposé de la maman s’éclaira une seconde :
— Mégane !
Le commissaire s’approcha de Mégane.
— Qui êtes-vous donc vraiment, madame ?
— Retirez-moi les menottes, c’est indécent devant mon amant.
Manon, assise à côté du lit, tenant la main de son mari, lâcha celle-ci, fixa la blonde.
On retira les menottes. Dans sa robe chic, mais trop froissée, Mégane, la nuque cassée
tellement elle relevait la tête, fichée sur ces hauts talons, se confia enfin.
— Je m’appelle Mégane Damassène, femme de l’éminent grand chirurgien doublé d’un
grand scientifique et…
— Non, elle ment ! s’exclama Kevinette, c’est la femme de son adjoint, je l’ai lu sur la
boite aux lettres de sa maison, c’est même une danseuse de cabaret qui s’appellerait, je ne sais
plus…
— Qui s’appellerait Mégane Mac Ritchie, répliqua de son air hautain Mégane Damassène.
Tous se regardaient, tous incrédules.
— Mégane Mac Ritchie est la femme de Dès Salas Cheers, l’adjoint de mon mari, moi,
je suis la maitresse officielle de ce charmant métis. Avouez qu’il est beaucoup plus joli
qu’Andreou.
— Où peut-on trouver cette madame Mac Ritchie ?
— Offrez-moi donc une cigarette, monsieur le commissaire, ensuite je vous répondrai.
Ce fut le professeur qui s’exécuta.
— Prenez tout le paquet.
Après avoir expiré une longue bouffée de fumée sous le nez du flic :
— Madame Mégane Mac Ritchie est quelque part à travers le monde, monsieur le
commissaire.
— Vous n’êtes pas en position de faire la maligne, répondez-moi.
Nouvelle bouffée de cigarette.
— Mais je ne fais pas la maligne, monsieur le commissaire, et je vous ai répondu. Mégane
est quelque part à travers le monde. Peut-être en Afrique, ou alors en Inde, où en Colombie pour
ses galas de charité.
— Elle se promène dans ces pays pour mieux informer la clique dijonnaise du potentiel
de gens pauvres à qui prélever des organes, c’est cela, n’est-ce pas ?

188
— Madame Mégane Mac Ritchie est une excellente chanteuse et danseuse de cabaret.
Venez donc l’écouter un jour où elle se produira au Crystal 71. En même temps, vous en
profiterez pour dérouiller votre zig coin coin.
— Vous auriez donc toutes deux le même prénom ?
— Pourquoi ? Est-ce interdit, monsieur le commissaire ?
Elle effleura de sa main la joue du grand gaillard.
— Vous me paraissez sympathique, monsieur le commissaire, je vais vous avouer une
chose vraisemblablement inutile pour votre enquête. Mégane Mac Ritchie, c’est son nom de
scène. Elle a choisi le prénom Mégane en l’honneur de sa concubine de quelques soirées
chaudes. Que voulez-vous, monsieur le commissaire, mon bel amant Dès Salas Cheers a épousé
une très jolie fille.
Mégane s’approcha du lit, caressa la joue de Kevin.
— Et cette belle dame couchée dans son lit, laissons-la définitivement sans son Joujou.
Le Kévin que j’ai connu était un impuissant. Soit il ne bandait pas, soit son zig coin coin faisait
plouf, soit on restait collés histoire de ne pas éjaculer en moi. Peut-être cachait-il son
impuissance à sortir sa semence par ce grossier subterfuge.
— J’ai conçu des enfants, moi, madame !
Puis il s’affala sur son lit, les yeux humides.
— Allez, ramenons-la dans sa cellule, elle aura le temps de rêver de ses amours pervers,
ordonna le commissaire.
Manon, Kevin et le professeur restèrent seuls. Manon se leva de sa chaise, tourna en rond
dans la chambre.
— Combien me caches-tu encore de maitresses, mon pauvre Kevin ?
Le professeur posa une main sur l’épaule de Manon.
— Ce n’est pas le moment de faire une scène de ménage à votre mari, n’est-ce pas.

70

— Allo ! monsieur le professeur Chapelier ? Interpol nous signale l’arrestation à New


Delhi de Quentin Charmeu, le gendre de monsieur Dès Salas Cheers ainsi que de Marie Dès
Salas Cheers épouse Charmeu. Ils profitaient de leur lune de miel en Inde.
— Mais, commissaire, n’est-ce pas le pays par excellence pour acheter à bas prix des
organes ?
— Tout à fait, et c’est la filière qui passe par Téhéran qui a permis ces deux
interpellations. Quentin Charmeu venait d’être promu président de la fondation POLEDO,
société occulte pour mieux couvrir leur trafic d’organes. À peine vingt-cinq ans et déjà riche
comme Crésus, futur héritier d’un vaste vignoble à Gevrey-Chambertin, des placements dans
l’immobilier, le tourisme et l’hôtellerie, ce fantasque gamin s’amusait à narguer tous les
enquêteurs à sa poursuite, car il aimait jouer au jeune homme dévoué et travailleur, une serviette
sur l’avant-bras derrière un bar ou dans les allées de ses restaurants. Et votre patient, ce cher
Kevin, que devient-il ?
— Il est resté faible et déprimé bien longtemps. Nous l’avons gardé à l’hôpital plusieurs
semaines après son accouchement. Le psychiatre l’a bien épaulé ainsi que son amie Giulia. Il
va mieux et il m’a demandé à sortir demain. Il veut être chez lui en Franche-Comté pour fêter
la Saint-Jean.

189
Après avoir raccroché, il s’empressa de rejoindre l’alcôve mauve où il savait trouver
Kevinette, heureux de lui raconter le coup de filet d’Interpol. Il entra dans la chambrette. Assise
sur le bord du lit, Giulia versait des larmes sur l’épaule de son chéri.
Kevin se redressa :
— Dans toutes vos explications, j’en déduis que Marie est donc l’épouse de Quentin
mais surtout la fille de Dès Salas Cheers, l’adjoint de Damassène… salope !

Comme convenu, le surlendemain, veille de la Saint-Jean, Kevinette sortit de l’hôpital,


valise en main. Sous un soleil radieux à peine caché par quelques cumulus de beau temps, elle
s’assit sur le bord du trottoir. Aux dernières nouvelles, Manon devait bientôt arriver avec la
nouvelle automobile de Kevinette, une superbe occasion 508 break Peugeot. Après l’accident
du Scénic, Manon avait coopéré discrètement avec Tristan pour acheter ce véhicule. En effet ce
break serait utile pour promener toute la famille avec les jumelles. Bien qu’elle eût
l’autorisation de son mari pour retirer une grosse somme d’argent, elle lui avait caché le type
de véhicule. Ce serait une surprise, disait-elle. Mais la surprise avait connu un goût amer à la
mort des jumelles. Tant pis, la voiture était belle, c’était une bonne affaire, couleur bleu encre
comme Kevinette les aimait, elle viendrait la chercher avec cette surprise le jour de la sortie de
l’hôpital de son mari.
La 508 déboula du virage, freina et se gara devant Kevinette, Tristan au volant. Kevinette
ne prit même pas la peine de ranger sa valise dans le coffre. Elle ouvrit la porte côté conducteur,
chopa la manche de Tristan.
— Qu’est-ce que tu fous là, t’es pas en tôle, sale voyou.
— Oh là ! calme-toi, Kevinette, je n’ai rien fait de mal. Pourquoi crois-tu qu’ils m’aient
libéré ? Allez ! arrête de faire l’idiot et prends le volant, c’est ta voiture. Je t’expliquerai en
remontant chez nous.
Après quelques secondes d’hésitation, Kevinette s’installa à la place de Tristan qui
chargea la valise dans le coffre et monta à côté de son ami.
Dès le premier kilomètre, Tristan passa sa main sur le jean qui recouvrait les cuisses de
Kévin.
— Te voilà redevenu un homme.
— Pas tout à fait, et même l’essentiel me manque. Alors, explique avant que je te jette
sur l’autoroute.
— Ils m’ont libéré faute de preuves. Tu parles, des preuves, ils ne veulent pas en trouver,
je n’ai rien fait de mal. J’étais au service du professeur Chapelier. Faut dire que les flics français
étaient persuadés que j’étais un agent double. T’imagine, moi, agent double, putain ! les
gonzesses, comme ça tomberait.
Alors que Tristan se tortillait encore de rire sur son siège, il retrouva un semblant de
sérieux.
— Comme tu étais hors course, Chapelier s’est servi de moi pour faire le cheval à ta place.
D’un autre côté, j’ai adoré faire l’étalon, et tu ne devineras jamais quelles gonzesses j’ai dû
chevaucher pour faire avancer l’enquête.
— Si, Mégane.
— Laquelle ?
— Ben Mégane…
Kevinette se gratta la tête et ajouta :
— Ben Mégane, la grande blonde, la vraie madame Damassène, celle que j’ai baisée à
Gevrey-Chambertin.
— Ah ! d’après elle, tu ne l’aurais même pas baisée, ou tout du moins très mal. Je te
croyais meilleur au lit, Kevinette, ah, ah !

190
Après un temps d’arrêt, le temps pour le conducteur de manœuvrer à la sortie de
l’autoroute à Nyon, Tristan poursuivit :
— Moi, j’ai sauté les deux Mégane.
Surpris, Kevin dévisagea rapidement Tristan,
— Comment ça, tu connais la chanteuse de Cabaret.
— L’autre Mégane, elle est aussi canon que l’autre Mégane. Et pis, y a pas que dans les
cabarets qu’elle chante. Tu l’entendrais au pieu ! elle étale toute la gamme de la parfaite salope.
Du grave quand elle mord ma queue, elle monte dans les aigus lorsque je lui bourre ma grosse
teub d’étalon dans son p’tit cul, ah, ah !
— La cellule ne t’a pas vraiment dégrisé à ce que je vois. Et comment as-tu connu cette
parfaite salope ?
— C’est vrai qu’elle n’est pas souvent dans la région, mais quand elle m’a refourgué sa
carte de visite, j’ai reconnu le logo Fondation POLEDO. Vu que je nageais en eau trouble, après
avoir réfléchi, parce que, des fois, je réfléchis. Donc après mure réflexion j’ai décrypté le logo :
Fondation pour les dons d’organes.
— Tu serais allé sur Internet, t’avais la réponse sans chercher, triple buse.
— Pas pensé. Bref, le plus important, c’est que j’ai fait le lien entre cette fondation et
un éventuel trafic d’organes. Fallait bien payer cette somptueuse villa au milieu du vignoble de
Gevrey-Chambertin. C’est vrai que le couple gagnait très bien sa vie, mais quand je suis
descendu à la cave pour goûter un ou deux grands crus. Putain ! tout ce qui se boit de meilleur
au monde était là. Ils ont mis plus de pognon dans la cave que dans la villa. Et puis, le hasard
faisant bien les choses, j’ai vu sortir Damassène de derrière les tonneaux. Même qu’il a traversé
un mur. Bon là, faut dire que j’avais trop bu de Romanée Conti. Mais quand même, Damassène
qui fouinait par-là, c’était louche. Enfin, j’ai fait une déduction, parce que, des fois, je fais des
déductions. Mégane… euh, Mégane la salope, pas Mégane la connasse, elle fait des galas de
charité. Toujours à courir le monde. J’t’en foutrais, moi, de la charité. Tous ces voyages dans
ces pays pauvres, j’en ai parlé à la gendarmerie. Ça les a énormément aidés pour l’enquête.
— Si tu les as aidés, alors pourquoi t’ont-ils coffré ?
— D’abord, ce sont les Suisses qui m’ont coffré. Tu sais un Suisse, le temps qu’il
comprenne, ah, ah !
Tristan avait laissé trainer les derniers mots de sa phrase.
— Non, j’déconne, poursuivit Tristan, on m’a arrêté pour donner le change. Tant que
Quentin et Marie couraient dans la nature, on était sûr de rien. Cette vermine était capable de
me buter pour se venger. On m’a libéré après leur arrestation.
Kevinette tapa sur la cuisse de son ami.
— Et moi qui te prenais pour un beau fumier.
— Et cette caisse, elle te plait ?
— Tu m’étonnes, elle est géniale, elle se conduit toute seule. Simplement… fallait pas
acheter un break.
Une larme coula sur sa joue. Kevinette s’arrêta en plein virage dans le col de la Givrine.
— Prends le volant, Tristan, je ne me sens pas bien.
Jusqu’à son retour à Champagnole, Kevinette garda la tête penchée côté droit pour ne
pas voir son ami, la nuque sur l’appuie-tête. Juste pouvoir ruminer tranquille. À cause des
hormones neutres dans son corps, elle gardait cet instinct maternel qu’elle avait tant apprécié
durant sa grossesse. Elle ne savait plus s’il fallait raccrocher Joujou à son vagin. Rester femme,
chérir un homme, un homme vigoureux, gentil, généreux, amoureux. N’était-ce pas là le vrai
bonheur ? Il lui ferait des enfants, ils vieilliraient ensemble main dans la main devant la télé, ils
partiraient en voyage, fréquenteraient les dancings musette, s’aimeraient encore et toujours au
son de l’accordéon.
Les joues humides de ses larmes, Kevinette se tourna brusquement vers le chauffeur.

191
— Pourquoi es-tu descendu me chercher à la place de Manon ?
Tristan ne montrait plus sa mine de clown habituel.
— Manon t’en veut toujours. Un mari volage, elle ne le supporte plus. Mégane, ce fut la
goutte d’eau.
— S’il est bien une fille avec laquelle je n’ai jamais vraiment fait l’amour, c’est bien
Mégane. Oui, elle est belle, oui elle m’a tenté, oui j’ai même essayé, mais c’était vraiment pour
connaitre laquelle de ces garces manœuvrait le smartcolle pour m’empêcher de baiser. J’aime
tellement ma femme que j’ai même refusé une liaison avec une fille merveilleuse, Giulia.
Tellement amoureuse de moi que j’ai de la peine pour elle. La pauvre ! ces dernières heures,
elle n’a fait que pleurer sur mon épaule. Depuis que j’ai su que j’étais enceinte, je savais qu’une
seule femme comptait pour moi, Manon. En fait, je crois que je le savais avant ma grossesse.
Non, je le sais depuis toujours.
— Est-ce que tu lui as dit tout ce que tu viens de me dire ?
— Elle ne me croirait pas.
Ils approchaient de Champagnole.
— Avant de venir te chercher, j’ai causé avec ta femme. Je lui ai expliqué pour Mégane,
expliqué que c’était pour les besoins de l’enquête. Elle m’a rigolé au nez.
Avec la douceur de cette fin juin, Kevinette entrouvrit la fenêtre pour respirer les odeurs
de sa belle Franche-Comté, les effluves des sapins, les parfums des tilleuls en fleurs, l’odeur
des vaches dans les prés, les arômes de camomilles sauvages et de jeannettes.
Devant la pancarte « Champagnole », Tristan, le regard sur la route, parla doucement,
juste pour que Kevinette entende, mais pas plus.
— Manon est restée à ton appartement avec les enfants pour t’accueillir.
Le break bleu encre se gara devant l’appartement. Kevinette avait repris le volant à
quelques pas de là où son pote descendait chez lui. Tristan souhaitait laisser son ami en famille.
Lorsque Kevinette s’avança dans le hall, le petit Liam lui sauta au cou, Lou suivit. Marion, plus
distante, se laissa embrasser sur la joue.
— Que je suis heureux de retrouver mon chez-moi ! Merci Manon de m’avoir attendu ici.
Ça me fait tout drôle de me retrouver en famille, chez soi, comme avant.
— Je ne reste pas longtemps, répondit Manon, je repars ce soir vers Belinda. Il est bientôt
midi, j’ai réservé quatre couverts à la pizzéria au bord du lac de Châlain. Le temps est
magnifique, nous déjeunerons en terrasse. Ce sera notre repas de Saint-Jean, cette fête que tu
adores tant.
— Mais, tu ne viens donc pas avec moi aux feux demain soir à Saint-Laurent ?
Manon alla jusqu’à la salle de bain pour colorer ses lèvres d’un trait de rouge discret.
Elle lui répondit devant le miroir tout en pinçant les lèvres :
— Il n’y a pas de fête de Saint-Jean cette année à cause de la covid.
Elle sortit de la salle de bain, enfila un blouson sur les épaules de Liam, endossa une veste
légère.
— Tu viens, Kévin, on y va, il est plus de midi.
Heureuse de retrouver son logement, Kevinette en fit le tour avant de suivre la famille qui
s’engageait dans le couloir. Elle ouvrit doucement la porte des jumelles. Les larmes aux yeux,
elle fixait derrière son regard trouble les deux berceaux, les murs blancs et roses, les peluches
qui souriaient. Certaines gardaient de gros yeux étonnés, comme si la maman avait oublié de
déposer là les deux petites filles. Les peluches auraient tant aimé jouer avec les bébés. Kevinette
fixa le plafond. Elle écoutait les cris et les rires des bébés qui résonnaient dans le ciel bleu
constellé d’étoiles brillantes.

71

192
Après un été agréable sur les plateaux du jura, Manon, radieuse, embrassa avec une
tendresse débordante sa chérie après une nuit voluptueuse où les jambes féminines s’étaient
croisées, décroisées, où les lèvres du haut, mais aussi celles du bas restèrent humides de longues
heures.
Elle se leva, prit sa douche, revint embrasser la jolie métisse qui paressait sous la couette.
— Hum ! tu sens terriblement bon ce matin, mon amour, tu vas me rendre jalouse, dit
Belinda.
Manon lui pinça gentiment l’oreille.
— Crois-tu que tu aies besoin de cela pour être jalouse, jolie fille coquine ?
Belinda s’assit sur le bord du lit pour embrasser sa chérie.
— Allez, file vite rejoindre ton mari. Tu parais si pressée.
— C’est lui qui est pressé, il veut essayer son Joujou tout neuf.
— Que n’avait-il pas d’autres femmes à baiser, ce grand cochon, avec toutes ses
maitresses ?
— Il veut que ce soit moi et personne d’autre.
— Il fait son caprice, mais bon, comme je ne suis pas jalouse, ironisa la jeune métisse, je
te laisse profiter de cet homme deux jours, mais pas plus.
Elle s’allongea à nouveau dans le lit, les mains sous l’oreiller, couchée sur le côté pour
mieux admirer encore quelques minutes sa chérie.
— Vous, les bisexuelles, vous êtes intenables !
Belinda tendit son bras vers sa chérie et ajouta :
— Viens, mon amour, encore un peu de caresses avant de te quitter.
Manon passait une robe ceinturée à broderie anglaise. Elle se pencha sur le lit et embrassa
Belinda sur les lèvres.
— Laisse-moi un peu d’énergie pour contenter mon homme, jolie fille coquine.
— File vite avant que je ne t’écorche vive.
Belinda remonta la couette par-dessus sa tête, espérant, mais sans trop y croire, que
l’ombre l’empêcherait d’imaginer la suite là-haut dans le grand lit de l’appartement de
Champagnole. D’ailleurs, elle préférait respirer le parfum du corps de sa chérie qui restait
imprégné dans leurs draps.

En milieu de matinée, Manon sonna à la porte de son ancien appartement.


— Entre, Manon, c’est ouvert, répondit Kevin depuis le fond du couloir.
Il écarta ses bras devant sa femme.
— Comme tu es belle ! Merci d’être venue.
Elle s’avança vers lui. Ils s’embrassèrent puis s’installèrent dans le cuir blanc. Elle posa
aussitôt sa tête sur l’épaule de son mari, une main discrète tout près de la braguette du jean.
— Alors Joujou nouveau cru se porte bien ?
— Le professeur a soudé mon sexe mâle définitivement, c’est une parfaite réussite. C’est
mon sexe d’avant bien sûr, Joujou est resté sage et discret sur son socle électro-bidule-machin-
truc pendant ces longs mois.
Il éclata de rire, sûr de son ironie à venir :
— Ce n’est pas Joujou nouveau cru, c’est Joujou premier cru. D’ailleurs je sais que tu
aimes goûter ce qui est cru.
— Je suis venue ces deux jours pour tester Joujou à ta demande. Tu n’es donc pas sûr de
ton sexe ?
— Je te dirai ça tout à l’heure dans le lit.

193
— Ne me dis pas qu’après ces quinze jours, depuis que Chapelier t’a transformé en
homme vigoureux, ne me dis pas que tu n’as pas encore essayé.
— Je n’ai aucune maitresse puisque je ne pense qu’à toi.
— Grand menteur !
— J’avoue, je me suis masturbé pour vérifier si Joujou fonctionnait bien, mais je n’ai fait
l’amour dans ma tête rien qu’avec toi.
— Petit menteur ! Pendant tes caresses solitaires, n’as-tu jamais imaginé les corps nus de
Justine, Marie, Mégane, Giulia, ou même celui de Paulin ?
— Bon ! quelquefois mon esprit dans mes délires flottait vers ces filles, mais je finissais
toujours par jouir dans tes bras. Mais aussi sur les draps, sourit-il. Mais ce n’était que du sexe,
pas d’amour dans ma tête avec ces filles.
Manon s’écarta de son mari et éclata de rire.
— Faudrait demander à Damassène qu’il te greffe Joujou à la place de ton cerveau, quel
beau roman de cul ça ferait ! En même temps, il est possible que le seigneur Dieu tout puissant
ait joué au chirurgien grec dès ta naissance comme il a su le faire avec beaucoup d’hommes.
Kevin se redressa pour partir à la cuisine.
— Je t’ai préparé des spaghettis bolognaise, je sais que tu adores. Là, je vais finir de
cuisiner le dessert. Interdis de me rejoindre en cuisine, c’est une surprise.
À l’heure du déjeuner, tous deux s’empiffrèrent du plat italien. Une bouteille de Savagnin
enivra Kévin avec légèreté. Faut dire que neuf mois de grossesse l’avaient déshabitué. En fin
de repas, il se leva pour rejoindre la cuisine interdite.
— Ne me suis pas, Manon, reste assise et retiens ton souffle.
Il revint deux minutes plus tard, un gâteau aux yaourts planté de trois bougies roses et
blanches dans ses mains. Il chantait la précieuse chanson d’anniversaire d’un air enjoué. Les
petites flammes dansaient sur les couleurs. Il posa le gâteau devant Manon.
— Tant pis, ton anniversaire c’était la semaine dernière. J’y ai pensé toute cette journée
du 25 aout, mais comme tu le fêtais en vacances avec les enfants et ta chérie, je me suis invité
aujourd’hui.
— C’est trop gentil, Kevin.
Elle se leva et déposa un baiser sur ses lèvres.
— Dépêche-toi de souffler parce que, avec la chaleur, le gâteau risque de tourner en
yaourt. Et pis, trois bougies, comme tu restes dans la décennie des trentenaires, j’ai voulu te
rajeunir. Trente ans, c’est pile l’âge de ton physique. Et encore, avec cette superbe robe, je te
donne vingt-cinq ans et dix mois.
Manon souffla ces trois bougies puis applaudit de concert avec son mari.
— J’ai acheté la crème anglaise pour mettre avec. Je ne sais pas la faire. Pour le gâteau,
j’ai galéré, je m’y suis pris à deux fois, le premier a brûlé. Tout raplapla qu’il était, pis tout noir
aussi. J’ai trouvé la recette sur Internet. C’était écrit : facile, rapide, bon marché. Bon marché
parce qu’il faut bien payer la 408.
Devant son assiette, Manon coupa un petit bout de gâteau avec sa cuillère à dessert et le
porta à sa bouche. La moitié de la cuillérée s’éparpilla en miettes sur la table, certaines trop
compactées. Manon mâcha et avala avec amabilité. La texture sur la langue montrait une
pâtisserie pas assez cuite.
— Alors, tu aimes ?
— C’est délicieux, peut-être à peine trop gras. Tu veux me faire grossir ou quoi ?
— Merci, c’est la première fois que je fais un gâteau. Si tu dis que c’est trop gras, c’est la
faute à Marmiton. Ils ont dit : un demi pot d’huile de colza. Va savoir de quel pot ils parlaient.
Du coup, j’ai pris le gros pot.
Manon sourit :

194
— Pour un début, c’est bien. Si un jour ton portefeuille d’assurance ne rapporte pas assez,
pense à te recycler en cuisine, on cherche des volontaires.
Kevin tira les cheveux blonds qui s’éparpillaient sur les clavicules de sa femme, mais cela
ressemblait à une caresse.
— Fiche-toi bien de moi ! Puisque c’est ça, tu feras la vaisselle.
— No problème !
Elle se levait déjà, ayant achevé sa part de gâteau par respect pour l’apprenti cuisinier. Il
la retint par le bras.
— Pas question que tu bouges, tu es mon invitée. D’ailleurs nous n’avons pas fini le repas.
Ce fut lui qui se leva, partit en cuisine, revint avec une bouteille de champagne dans
une main, dans l’autre un paquet cadeau aux couleurs préférées de Kevin. Sa femme s’empara
du paquet, l’ouvrit avec précaution, étala le papier blanc et rose. Elle souleva un soutien-gorge
rouge flamboyant splendeur de soie ainsi qu’un string sexy de même ton, signés Simone Pérèle.
— Pour les tailles, je me suis fait aider par Belinda.
— Mon Dieu ! Elle aurait donc accepté que tu me fasses ce cadeau ?
— Je crois, oui, c’est même elle qui a commandé sur Internet pour moi.
— Oh ! la cachotière.
Manon s’élança au cou de Kevin, l’embrassa longuement, lèvres contre langues.
— Merci chéri, je vous adore tous les deux.
Yes, elle m’a appelé chéri, elle m’a appelé chéri, oui elle m’a appelé chéri. Fou de joie, il
ne voyait plus de vaisselle sale, plus de Belinda concurrente, plus de gâteau raté, juste le visage
lumineux de sa femme. Il la prit dans ses bras, l’emmena sur le lit. Elle rigolait en s’écroulant
sur la couette. Sa jolie robe s’envola vers le bas-ventre, dénudant ses longues jambes exquises.
Elle se releva aussitôt.
— Laisse-moi donc rejoindre la salle de bain, il faut bien que j’essaie cette lingerie de
luxe.
Pendant ce temps, Kevin se glissait presque nu sous la couette, ne gardant que son boxer.
Manon se présenta à la porte de chambre, une main et l’avant-bras sur le chambranle,
l’autre main coquine sur l’élastique de son string. De ses longues jambes bronzées, elle pliait
légèrement celle de gauche pour le côté glamour. Joujou, caché sous la couette, avait tout vu. Il
se dressa si haut et si vite que Kevin crut sentir un léger courant d’air entre ses orteils et sa
poitrine.
— Que tu es belle, chérie, belle dans ta robe, belle dans tes sous-vêtements ! Qu’est-ce
que Belinda a de la chance !
15 h, Manon s’engouffra sous la couette.
— Arrête de parler de Belinda. Elle n’est pas là. Nous ne sommes que les deux. Que les
deux pour deux jours. Alors, profitons. Deux jours d’amour, c’est beaucoup et pas beaucoup.
— Emmanché de mon gros sexe mâle, je vais te faire l’amour comme jamais.
— J’ai surtout besoin d’amour avec ton cœur.
Elle roula sur lui. Ils s’embrassèrent à en perdre le souffle. Elle caressait la chevelure
sombre, il lissait entre ses doigts les cheveux blonds. Joujou trop tendu chatouillait la soie rouge
et la sœur de Minou bavait dans le string. Kevin souleva sa femme pour mieux admirer cet
érotisme raffiné qui acceptait de partager son lit. La lumière de cette fin d’été entrait par la
fenêtre ouverte. Les bruits des voitures, les cris d’enfants, les voix fortes qui s’interpellaient sur
le trottoir, tous ces bruits accompagnaient le soleil jusque vers le lit. Et Kevin aimait cette
ambiance, cette vie de tous les jours si près de l’amour caché, comme s’il n’existait que Manon
et lui, comme s’il n’existait plus que la joie des sens au sein d’un couple pendant que le monde
entier courait bêtement à ses affaires et en oubliait le bonheur.
Durant l’interminable baiser, Kevin laissa glisser ses mains sur les omoplates sans
trouver de chair à caresser, ses doigts butèrent sur l’attache des bretelles Simone Pérèle, puis

195
effleurèrent le dos, se posèrent délicatement sur les fesses comme une libellule qui se pose sur
l’hibiscus des marais. Manon souleva son petit cul. Kevin en déduisit qu’il devait laisser filer
sa main à l’intérieur de Simone. La soie rouge se froissa sous les doigts experts. De ses longs
bras, il ne put caresser le bas des cuisses, à moins de déplacer sa femme vers le haut, ce qui
aurait posé problème. Eh oui ! le bas de Simone Pérèle se situerait juste au niveau de son visage.
En d’autres temps, il aurait arraché Simone avec les dents, léché la sœur de Minou sans
vergogne, mais respect oblige, il avait là dans ses bras la plus affable et la plus raffinée des
filles, il fallait des préliminaires à la hauteur de cette divinité. Alors, il fit rouler avec délicatesse
sa femme sur le dos, il posa son oreille près du nombril, écouta s’il n’entendait pas, sait-on
jamais, les petits cris des jumelles, une réincarnation dans le plus beau ventre de la terre. Non,
juste des gargouillis, des restes de yaourts pas cuits qui se chamaillaient avec des spaghettis
trop cuits. Merde ! On a oublié de boire le champagne. Pas grave, on mélangera les bulles avec
nos soupirs. Oui, Kevin en était sûr, il allait lui faire l’amour tel Éros, alors elle tomberait dans
ses bras pour l’éternité.
Il laissa glisser son visage jusqu’à hauteur du string rouge Simone Pérèle sans oser
s’arrêter devant le parfum de l’amour, mélange de Gabrielle Chanel numéro 5 de chez Sephora
et d’ocytocine additionnée de cyprine musquée. Ses lèvres parcoururent les jambes repliées et
le galbe des mollets, contournèrent lentement la bosse de la cheville, la langue s’attarda entre
les orteils comme le ferait un chien devant le goût du fromage. L’organe s’attarda longuement
sur le gros orteil, le temps d’en faire le tour. Durant tout ce temps, ses mains ne lâchèrent jamais
les bonnets de Simone, et le gland de Joujou prenait l’air hors du boxer.
16 h, il fallait remonter jusqu’aux lèvres du haut, Manon devait avoir soif. En effet, elle
but, elle but longuement toute la salive du mâle, tout l’amour du Don Juan. Elle glissa une main
coquine sur le boxer, caressa la bosse du tissu, pinça le gland curieux, puis, d’un coup, elle
replia une jambe, et de son gros orteil tout propre, elle envoya promener le boxer jusqu’au mur
d’en face. Le rayon de soleil éclaboussa l’orange fluo du caleçon. Manon en sourit, se souvenant
des goûts fantasques quant au choix des sous-vêtements de son mari. Chaude comme la flamme
d’un cierge qui s’élève vers le paradis, Manon que le zèle du mâle rendait folle, empoigna les
fesses de Kevin, attira le sexe tendu entre ses cuisses. Joujou, rebelle, ne souhaitant pas mourir
trop tôt, recula devant l’entrée du purgatoire. Kevin, qui n’avait toujours pas quitté les bonnets
de Simone, détacha ses mains, souleva Manon. Il mit un temps infini à défaire le crochet du
soutien-gorge rouge. Était-ce toujours les préliminaires ? Plus sûrement le manque d’habitude
après de si longs mois avec Minou entre les cuisses. Peut-être aussi parce qu’ils continuaient de
s’embrasser et que le cerveau du mâle voulait gagner au jeu du roule-pelle. Ce fut Manon qui
désunit les bouches pour ouvrir la sienne :
— Chéri, la lingerie que tu m’as offerte est magnifique, mais la prochaine fois, inutile de
m’acheter des soutiens-gorges emboitants, ils sont plutôt réservés aux poitrines plus fortes, les
soutiens-gorges corbeille me conviendraient mieux. Étonnant que Belinda n’ait pas fait
attention en passant la commande.
Il caressa la joue de sa femme.
— Elle l’a peut-être fait exprès cette… cette petite…
— Chut ! tu vas dire un gros mot.
— De toute façon je m’en fiche. A-t-elle pensé que pour te faire l’amour, c’est toute nue
que tu es encore la plus belle ?
17 h, le joli soutif dentelé rouge alla rejoindre la culotte fluo sous le soleil de l’après-midi.
Et Kevin reprit ses caresses lanternées. Manon, dont les gestes languissaient, retourna
brusquement son mari comme une crêpe, glissa sa tête jusqu’à Joujou, avala le gland et son œil
borgne. La jolie blonde voulut jouer à roule-pelle, mais le pommeau de l’adversaire, mal aiguisé,
accepta les coups d’estoc sans répliquer. La partie à fleurets mouchetés dura si longtemps que
l’épée du mâle finit par tomber dans un mélange de foutre et d’écume.

196
18 h, Kévin haleta fort longtemps, les mains dans les cheveux de sa femme. Puis il pesta :
— T’aurais pas dû, c’est allé trop vite.
Manon leva les yeux au ciel, embrassa son mari.
Joujou qui ne pouvait pas se taper Minou définitivement caché dans les profondeurs du
ventre de son maître parce qu’incapable de se retourner, redressa la tête à la recherche de l’autre
chatte. Une chatte dorée, pas tout à fait rousse, une chatte sans stérilet, une chatte qui aimait
l’amour, une chatte un peu lesbienne, une chatte qui écoutait sa maitresse, une maitresse
indécise, une maitresse perturbée, une maitresse amoureuse. La maitresse fit face à son premier
amour, roula sur le dos, entrainant le mâle vigoureux sur son ventre, attira Joujou vers son vagin
après avoir tiré sur la ficelle de Simone. Mais Joujou refusa, son maître lui en ayant donné
l’ordre. Ce dernier, fidèle à ce qu’il avait appris de la nature féminine, caressa et embrassa
chaque parcelle de la peau de sa chérie. Il avança lentement sa tête vers le sexe de Manon,
écoutant au passage l’intérieur du nombril, mais toujours pas de bébés en vue. Il écarta les
cuisses adorées, sa partie préférée de la femme. Pourtant, après caresses et baisers sur cette peau
délicieuse, il préféra s’attabler devant le sexe de madame. Il gouta alors le plat principal en
prenant son temps, lui qui avale ses repas à grande vitesse. Puis il dégusta le dessert, une
minuscule banane blanche qui vira au rose puis au rouge vif, une variété étonnante, mais connue
depuis les temps anciens, comme un légume oublié, un fruit trop longtemps défendu. Il l’arrosa
d’un demi-verre de champagne, fallait bien le boire, il n’osa pas le flambage, de toute façon,
pas d’allumettes sous la main. Ah si ! son cigare brûlant allait mettre le feu sans aucune
difficulté.
Alors le couple amoureux s’enflamma dans la débauche des corps. Les jambes
s’enlaçaient, les mains caressaient, les lèvres embrassaient, les langues jouaient, les sexes
flambaient au cœur de la braise et les orteils chopaient des crampes. Autant les corps se
déchainaient d’excitation, autant Kevin prenait plaisir à retenir son sperme pour laisser Joujou
profiter du paradis terrestre. Mais les sens, toujours gagnants, cachèrent trop vite la raison
derrière la petite mort.
19 h, Kevin inonda de sa semence le ventre de sa chérie.
20 h, ils se levèrent pour finir les spaghettis et le gâteau.
21 h, ils retournèrent au lit.
Minuit, le drap de dessous avait reçu liquide séminal, sueurs, cyprine, poils morts et
cheveux secs, soit la carte de visite du parfait couple en chaleur. Traversin et oreillers s’étalaient
sur le carrelage, la moitié du matelas pendait hors du sommier, string rouge et caleçon fluo
s’entremêlaient sur le bois de lit, le soutif de Simone pendait à la cheville du mâle, quant à la
couette, on l’avait carrément perdue. Allongés sur le carrelage entre traversin et oreillers, les
corps nus se cherchaient encore, les visages rayonnaient et les gorges pouffaient de rire.
— Je t’aime chérie.
Un silence, puis :
— Je t’aime chéri.

Le lendemain, mêmes horaires, même folie des corps.


Et peu avant 23 h :
— L’an passé, je t’ai pardonné parce que Joujou était perdu à tout jamais au fond du lac,
et eunuque tu étais devenu le plus adorable des hommes. Ces derniers mois j’ai de nouveau
appris à t’aimer parce que ton côté féminin a fait de toi l’homme le plus charmant. Ne me déçois
pas à nouveau.
— Et Belinda, tu vas donc la laisser tomber ?
— Tu rigoles, Belinda, je l’aime.
Elle embrassa Kevin dans le cou et murmura :
— Toi aussi, je t’aime.

197
— Oui, mais moi, tu m’aimes plus.
— Non. Je ne t’aime pas plus que Belinda, mais autant. Tu vois, c’est déjà beaucoup.
Allez, embrasse-moi, beau gosse, et refais-moi l’amour, Joujou premier cru demanderait à se
bonifier, mais j’ai hâte que tu verses un peu de cette liqueur dans mon ventre.
Ils s’embrassèrent encore, s’aimèrent à la folie et, guère avant minuit, les corps enlacés,
Manon approcha ses lèvres vers l’oreille de son mari.
— S’il te plait chéri, fais-moi un enfant, ou même des jumelles, on ne peut pas laisser
cette chambre et ces deux berceaux vides.

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Mes plus vifs remerciements à :

Véronique pour la correction de ce manuscrit

Patrick pour l’élaboration de la couverture du livre

À tous mes bêta-lecteurs qui ont bien voulu apporter leur point de vue à
l’écriture de ce roman, ce qui m’a permis d’améliorer celui-ci

199
Ce livre est une fiction, toutes ressemblances avec des personnes connues et
inconnues, voire familières, ne seraient que pure coïncidence.

Rédaction du roman…. Novembre 2023 - Mars 2024

200
.

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Un chemin trop fragile… Voyage Décembre 2018

Joujou… Erotisme Décembre 2019

Le sang de l’Hermitage Saga suspens Mai 2022

Il joue Elle joue Erotisme Août 2023

201

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