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DOI : 10.4000/books.pur.109547
Éditeur : Presses universitaires de Rennes
Lieu d’édition : Rennes
Année d’édition : 2010
Date de mise en ligne : 4 octobre 2019
Collection : Histoire
EAN électronique : 978-2-7535-6715-3
http://books.openedition.org
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Référence électronique
COTTRET, Bernard ; HENNETON, Lauric. La commémoration, entre mémoire prescrite et mémoire
proscrite In : Du bon usage des commémorations : Histoire, mémoire et identité, XVIe-XXIe siècle [en
ligne]. Rennes : Presses universitaires de Rennes, 2010 (généré le 26 mars 2024). Disponible sur
Internet : <https://books.openedition.org/pur/109547>. ISBN : 978-2-7535-6715-3. DOI : https://doi.org/
10.4000/books.pur.109547.
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La commémoration,
entre mémoire prescrite et mémoire proscrite
Bernard COTTRET et Lauric HENNETON
1. Pierre NORA, Les Lieux de mémoire, Paris, Quarto-Gallimard, 1984-1992, I, p. 24 (les références sont
à l’édition de 1997 en 3 volumes).
2. L’Association mémoire des sexualités, consacrée à l’homosexualité, remonte ainsi à février 1984
(http://www.memoiredessexualites.org/); la Fondation pour la mémoire de la shoah a été créée en
2000 (http://www.fondationshoah.org/) ; le Comité pour la mémoire de l’esclavage a été installé en
2004 (http://www.comite-memoire-esclavage.fr/).
3. Le président Sarkozy a déclaré 11 novembre 2008 à Douaumont que les fusillés pour l’exemple de
14-18 « ne s’étaient pas déshonorés », mais comptaient aussi parmi « les victimes d’une fatalité qui
dévora tant d’hommes ». Le Premier ministre Lionel Jospin avait émis le même souhait dix ans plus
tôt. Voir le chapitre 12 du présent ouvrage.
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Commémorations nationales
• Dernier dimanche d’avril : journée nationale du souvenir de la
déportation
• 8 Mai : commémoration de la victoire de 1945
• 10 Mai : abolition de l’esclavage
4. Etienne FRANÇOIS, Hagen SCHULZE Mémoires allemandes, Paris, Gallimard, 2007, p. 18.
5. Id., ibid., p. 11.
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11. La commémoraison désigne la mention que fait l’Église d’un saint dont la fête tombe lors d’une fête
plus importante.
12. David CRESSY, Bonfires and Bells : National Memory and the Protestant Calendar in Elizabethan and
Stuart England, Stroud, Sutton Publishing, 2004 (première publication, 1989).
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13. G. HAVARD, « 1608 La fondation de Québec : Champlain, les huguenots et les Indiens », Naissance
de l’Amérique du Nord : les actes fondateurs, 1607-1776, p. 63-86.
14. C. J. SOMMERVILLE, The Secularization of Early Modern England. From Religious Culture to Religious
Faith, New York, Oxford University Press, 1992, p. 34 ; Bernard COTTRET, Histoire d’Angleterre,
XVIe-XVIIIe siècle, Paris, PUF, « Nouvelle Clio », 2007, p. 232.
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Anatomie de la mémoire
Revenons au présent. Que serions-nous sans commémorations ? Derrière
la boutade on sent poindre une véritable interrogation ; le phénomène
commémoratif occupe l’espace politique, médiatique, et intellectuel. Sans
oublier le poids économique de commémorations qui constituent une
industrie à part entière. Le monde de l’édition est partie prenante : presse
15. Voir entre autres Christopher DURSTON, « Puritan Rule and the Failure of Cultural Revolution,
1645-1660 » in Christopher DURSTON et Jacqueline EALES (éds.), The Culture of English Puritanism,
1560-1700, Basingstoke, Macmillan, 1996, p. 210-233.
16. Bernard COTTRET, Terre d’exil, Paris, Aubier, 1985, p. 190. A justification of the proceedings of the
French-Church in London, about the suspension of Mr. Elijah Delmey, Londres, R. Daniel, 1656 ; A
refutation of a pamphlet, intituled in the English copy, A justification of the proceedings of the French-
Church in London, about the suspension of Mr. Elijah Delmey, Londres, W. Bentley, 1657.
17. E. P. THOMPSON, « Time, Work-Discipline, and Industrial Capitalism », Past & Present, 38 (1967),
p. 56–97. Jacques LE GOFF pour la période médiévale avait montré combien plusieurs conceptions
différentes du temps s’affrontaient (Pour un autre Moyen Age, Paris, Gallimard, collection « Tel »,
1991). Plus récemment Max ENGAMMARE s’est interrogé finement sur L’ordre du temps : L’invention
de la ponctualité au XVIe siècle, Genève, Droz, 2004.
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18. Pierre NORA, Les Lieux de mémoire, op. cit. ; Bernard COTTRET, La République et le Royaume, op. cit.,
p. 41.
19. Paul RICŒUR, La mémoire, l’histoire, l’oubli, Paris, Le Seuil, 2000, p. 522 sq.
20. Pierre NORA, op. cit., « L’ère des commémorations », vol. III, p. 4687.
21. Mona OZOUF, « Célébrer, savoir et fêter », 1789 : La commémoration, Paris, Folio histoire, 1999,
p. 322.
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La mémoire peut être une réaction contre l’oubli, le risque d’oubli, la peur
de l’oubli, une réaction suscitée par la conscience d’une disparition progressive
ou au contraire accélérée des protagonistes, à l’instar de ces anciens
combattants dont les effectifs de plus en plus minces ont donné au
soixantième anniversaire du débarquement de Normandie, en juin 2004, une
portée bien supérieure à celle du cinquantième, pourtant plus important
symboliquement 22. De même, et bien qu’ils aient célébré leur indépendance
presque pieusement, dès l’événement lui-même, les Américains l’ont
davantage commémoré quand la disparition des Pères fondateurs signalait
une accélération du temps, témoignant à son tour de la fragilité des hommes
et des nations 23. Jean Delumeau voit d’ailleurs le recours aux anniversaires
comme la réponse à « la civilisation de la vitesse qui nous emporte dans
une course sans cesse plus rapide et paraît, comme un torrent, balayer sur
son passage les repères qui semblaient les plus solides 24 ». La mémoire, pour
exister, pour subsister, a besoin de repères tangibles, si possible associés à des
dates. Elle utilise le caractère apparemment cyclique du temps afin de faire
revivre l’événement à la date où il a eu lieu, mais en prenant un recul qui
invite à la réflexion pour le présent comme pour l’avenir.
La commémoration est une manifestation de la mémoire, de la mémoire
plus encore que de l’histoire. Elle peut se décliner en trois modalités
historiographique, monumentale ou cérémonielle 25. Si le monument « joue
sur la pérennité », le système commémoratif trouve son apogée dans le
« mélange de rituel et de festif que produit l’instant cérémoniel ». C’est là,
ajoutait Pascal Ory, que le « terme de célébration trouve tout son sens » 26.
En tant que pratique culturelle, en tant que rituel, elle mériterait un regard
anthropologique. Commémorer, « c’est d’abord mettre en scène, emprunter
aux formes de la sacralisation religieuse ou héroïque les modèles d’une
théâtralisation profane et d’une pédagogie vertuiste. » On peut aussi voir dans
l’acte commémoratif « un transfert de sacralité du religieux sur le laïque, le
civique et le profane », voire « une version laïque de la messe 27 ».
L’omniprésence des commémorations en fait un objet d’étude à part
entière. Pierre Nora a parlé de « boulimie », d’« obsession » commémorative,
voire d’« acharnement » commémoratif 28. Étienne François a évoqué, lui,
la « frénésie commémorative 29 ». On trouve des emplois de
22. Pierre NORA, « L’ère des commémorations », Les Lieux de mémoire, Paris, Quarto Gallimard,
vol. III, p. 4699-4706.
23. John BODNAR, cité dans son introduction par John R. GILLIS (dir.), Commemorations : The Politics
of National Identity, Princeton, Princeton University Press, 1994, p. 8.
24. Jean DELUMEAU, préface à la brochure sur les célébrations nationales de 2002.
<http://www.culture.gouv.fr/culture/actualites/celebrations2002/preface.htm>
25. Pascal ORY, « Le centenaire de la Révolution française » in Les Lieux de mémoire, Pierre NORA (dir.),
vol. I, p. 466.
26. Ibid., p. 475.
27. Philippe RAYNAUD, « La commémoration : illusion ou artifice ? », Le Débat, n° 78, janvier-février
1994, p. 108 ; Christian AMALVI, « Le 14 Juillet : Du Dies Irae à Jour de fête », Les Lieux de Mémoire,
Pierre NORA (dir.), vol. I, p. 399, 400.
28. Pierre NORA, « L’ère des commémorations », p. 4687, 4692.
29. Étienne FRANÇOIS, « Nation retrouvée, “Nation à contrecœur” : l’Allemagne des commémorations »,
Le Débat, n° 78, janvier-février 1994, p. 62.
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35. Lauric HENNETON, « Pour en finir avec le mythe des origines : le Mayflower Compact », Etudes
théologiques et religieuses, vol. 77, n° 2, 2002, p. 235-255 ; William BRADFORD, Histoire de la colonie
de Plymouth : Chroniques du Nouveau Monde (1620-1647), Genève, Labor et Fidès, 2004 ; « Un
voyage détourné : des passagers du Mayflower aux “Pères pèlerins” », Naissance de l’Amérique du Nord :
Les actes fondateurs, 1607-1776, (dir.) Bernard COTTRET, Lauric HENNETON, Bertrand VAN RUYMBEKE,
Jacques POTHIER, Paris, Les Indes Savantes, 2008, p. 87-101 ; Liberté, inégalité, autorité : Politique,
société et construction identitaire du Massachusetts au XVIIe siècle, Paris, Honoré Champion, 2009.
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36. Jean-Claude GUILLEBAUD, « France’s Bright Shining Lie », The New York Times, 24 mai 2008.
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45. La mémoire des victimes du Mur est, elle-même, particulièrement problématique. Les autorités
municipales, dont font partie d’anciens communistes, par leur refus d’accorder un véritable mémorial
aux victimes de la répression « socialiste », prescrivent la mémoire en la proscrivant, ce à quoi
s’oppose une mémoire spontanée, entretenue par les victimes elles-mêmes (en tout cas les survivants,
le plus souvent d’anciens dissidents emprisonnés à l’instar de leur chef de file Gustav Rust). Ces
victimes érigent des monuments « pirates », avec photographies et textes explicatifs, comme en
bordure du Tiergarten, entre le Mémorial de la Shoah (lui-même très controversé), la Porte de
Brandebourg et le Reichstag, soit en plein cœur du Berlin touristique et mémoriel.
46. Pierre NORA, « L’ère des commémorations », p. 4689, 4696. Mona OZOUF, art. cit., p. 325 ;
Laurent THEIS, « Le temps et le Roi : sur la commémoration du millénaire capétien », Le Débat,
n° 78, janvier-février 1994, p. 99-103 ; Pierre CHAUNU et Eric MENSION-RIGAU, Baptême de Clovis,
Baptême de la France : de la religion d’état à la laïcité d’état, Paris, Balland, 2006.
47. Pierre NORA écrit notamment qu’une « bonne partie de la commémoration s’est passée dans le débat
sur la commémoration elle-même. » « L’ère des commémorations », p. 4690. Voir également les
échanges entre Maurice Agulhon et François Furet, ainsi que les réflexions de Mona Ozouf, en
1983-1984, initialement publiées dans les pages du Débat et réunies dans un petit ouvrage fort utile
sur le sujet et sobrement intitulé 1789 : La commémoration, Paris, Folio histoire, 1999.
48. Jean-Clément MARTIN, « La Vendée, région-mémoire » in Les Lieux de mémoire, vol. 1, p. 519-534 ;
Daniel MILO, « Les noms de rues », ibid., vol. 2, p. 1887-1918.
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49. Hansard, House of Commons Debate, 7 juillet 1988, vol. 136, cc. 1236-1263. Sur l’histoire
« whig », voir l’ouvrage fondateur de Herbert BUTTERFIELD, The Whig Interprétation of History,
New York et Londres, W. W. Norton, 1965 (d’abord publié en 1931), ainsi que Bernard COTTRET,
Histoire d’Angleterre, XVIe-XVIIIe siècle, op. cit., p. 169-195.
50. Voir Bernard COTTRET, Cromwell, Paris, Fayard, 1992.
51. Philippe RAYNAUD, art. cit., p. 111.
52. Christian AMALVI, art. cit., p. 413, 414.
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