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Édition électronique
URL : https://journals.openedition.org/ethnomusicologie/4404
ISSN : 2235-7688
Éditeur
ADEM - Ateliers d’ethnomusicologie
Édition imprimée
Date de publication : 1 décembre 2021
Pagination : 175-191
ISBN : 978-2-88968-032-0
ISSN : 1662-372X
Référence électronique
Bassirima Koné, « Zélé de Papara. Une voix et une identité du bari en pays sénoufo », Cahiers
d’ethnomusicologie [En ligne], 34 | 2021, mis en ligne le 01 décembre 2022, consulté le 05 décembre
2022. URL : http://journals.openedition.org/ethnomusicologie/4404
Zélé de Papara
Une voix et une identité du bari
en pays sénoufo
Bassirima Koné
Introduction
1 Le terme « djéguélé » est utilisé pour désigner le balafon ou xylophone chez les Sénoufo du nord de
la Côte d’Ivoire. Il renvoie à la fois à l’instrument, à la musique et à la danse.
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2 Camara Soungalo était le plus jeune djéguéliste cantatrice qu’il a bien voulu partager avec nous
et le djézug’2 de l’orchestre de Zélé. Se considé- lors de nos différents séjours à Papara.
rant comme le fils de cette dernière, il détient de 3 Nom donné à la fête de l’Aïd el-Kebir.
nombreuses anecdotes et récits de la vie de la
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de djéguélé les plus populaires sont, du Sud au Nord, le kpohi (autre nom connu
des xylophones), le djéboloye (en référence aux harpes-luths associées à l’or-
chestre de djéguélé), la klé (type de danse rattachée à la musique des djéguélé),
le poundjére (autre dénomination des djéguélé), le n’gorow (cérémonie initiatique
des jeunes filles, accompagnée par les djéguélé), le bari (forme musicale des djé-
guélé pratiquée dans l’extrême Nord).
Les événements socio-culturels qui font appel aux djéguélé sont des occa-
sions de regroupements pendant lesquels on ne va pas seulement écouter de la
musique, mais aussi en faire ensemble ; la musique devient alors un phénomène
social auquel auditeurs et musiciens participent, dans une symbiose plus ou moins
coordonnée, où « certains tiennent un instrument, d’autres utilisent leur voix ou leur
corps, mais tous participent, prennent part, agissent » (Arom 2019 : 55). La voix
occupe donc une place de choix dans la musique des djéguélé. C’est pourquoi,
bien qu’elles soient avant tout instrumentales, les pièces de djéguélé ne peuvent,
dans la conscience collective des populations sénoufo, être détachées du chant
car derrière chaque musique de djéguélé se cache une chanson. En effet, toute
« pièce de djéguélé est avant tout une pièce vocale traduite sur l’instrument : elle
est d’abord parole, message, avant d’être mélodie. Autrement dit, il n’existe pas
de pièce sans texte » (Coulibaly 1982 : 43). Les travaux de Hugo Zemp sur la
sémantique musicale des xylophones sénoufo permettent de confirmer que « les
djéguélé “chantent” puisque les airs sont appelés jènùgō, “chants de balafon”, ce
qui montre l’importance du contenu verbal » (Zemp 2004 : 315).
Toutefois, en raison de la facture des instruments, de la composition des
orchestres de djéguélé et parfois des contextes de performance, il est difficile à
tous les chanteurs de s’exprimer dans ces orchestres où la voix est mise à rude
épreuve, distordue, agressée, occasionnant des timbres provocateurs où « hurle-
ments, grognements gutturaux, grondements, stridences, plaintes hystérisées,
fracas de souffle ou de gorge » (Deniot 2012 : 337) deviennent la norme. De nou-
velles dispositions vocales spécifiques faisant appel à la puissance, à la percus-
sion voire à la vélocité s’imposent et s’avèrent indispensables pour tout chanteur
espérant évoluer dans ces formations orchestrales ; à défaut, l’élision du chant
devient l’unique option pour continuer d’exister.
D’une grande portée sociale en pays sénoufo, les funérailles sont des occasions
d’exposition de la richesse culturelle du peuple : masques, orchestres de djéguélé
et divers ensembles et groupes musicaux se retrouvent sur la place publique
pour des performances de haut niveau, transformant ainsi le village en un fes-
tival à ciel ouvert d’où jaillissent à chaque coin de rue des sons riches, variés et
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diversifiés, mais également « des sons sales et bruiteux, vocaux mais aussi ins-
trumentaux que l’on pourrait analyser comme des expressions de contestation,
de liberté et d’indiscipline » (Rudent 2020 :10). Lorsque les orchestres se croisent
sur la place publique, ils rivalisent d’ardeur dans le jeu et l’atmosphère s’emplit de
sons de hauteurs différentes, dues au fait que
[…] les instruments de ces orchestres ne sont [évidemment] pas accordés selon
un étalon commun admis par tous : il en résulte des écarts parfois importants qui
rendent la rencontre particulièrement surprenante et déroutante pour une oreille
occidentale. En outre, chaque orchestre joue simultanément une mélodie diffé-
rente, dont la signification, même en l’absence de paroles chantées, n’échappe à
personne dans l’assemblée (Zanetti 2002 : 233).
Le bari-ping, bariê ou bari est un genre de djéguélé pratiqué par les Sénoufo-
Nafâna de la région de Tengrela, dans l’extrême nord de la Côte d’Ivoire. Né aux
champs (comme la plupart des musiques de djéguélé), le bari a été transposé au
village où il anime désormais les funérailles ainsi que les différents événements
socioculturels. La caractéristique principale de cette musique est la place qu’elle
accorde au chant féminin dans son organisation. « Les jeunes filles dès l’âge de
7 ou 8 ans, nous confie Camara Soungalo, s’exercent à chanter les chansons
du bari aux champs, où les répétitions se tiennent avec les instrumentistes et
peuvent se poursuivre le soir au village si la chanteuse n’a pas assimilé les chan-
sons apprises pendant la journée. Cela peut durer de longues années jusqu’à la
maîtrise parfaite par celles-ci de l’art du chant ». Pour obtenir l’harmonie parfaite
entre voix et instruments lors d’une prestation, les voix sont stimulées par une
pratique intensive et l’absorption de décoctions de plantes confirmant ainsi que
« le chemin vers une carrière vocale professionnelle est une expérience et un
style de vie immersifs » (Eidsheim 2014). Ceci a pour conséquence d’aiguiser le
timbre des voix afin de les rendre plus claires, plus puissantes et mieux adaptées
au jeu des orchestres de djéguélé.
Par ailleurs, les chants du bari sont élaborés selon la structure classique
en couplets et refrain. Ils narrent des histoires, excellent dans la louange comme
le font les griots dans la société mandingue et surtout « résonnent avec une signi-
fication sociale et politique » (Kinney 2014) ; ils nouent et dénouent des intrigues
avec souvent la participation du public, comme dans de nombreuses pièces de
Zélé de Papara dont celle-ci, Natogoma, est la plus représentative.
A travers Natogoma, l’artiste relate, sous l’identité d’une femme au foyer, les
difficultés de bien des femmes des sociétés traditionnelles africaines. Les pleurs
de Natogoma, exprimés à travers des onomatopées (ouhi ! ouhi !) semblables à
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des hurlements lancés à chaque phrase, traduisent les peines et les douleurs de
l’artiste face à l’indifférence de la société ; le courage de Natogoma relaté par la
chanson est à l’image de celui qui caractérise la chanteuse. Dans un jeu d’ap-
pels-réponses entre la chanteuse et l’instrumentiste, cette dernière fait intervenir
toute l’assistance dans la performance de son orchestre, devenant à l’occasion
la vedette principale dès lors que le jugement esthétique de la société lui est
favorable. Il s’établit alors une relation de confiance entre elle et son auditoire qui
justifie que sa voix, en plus d’être un « don de la nature ou de Dieu » soit perçue
comme « une construction affective, sociale, économique, politique, poétique et
philosophique » (Palacio 2005 : 70), puisqu’au-delà de cette voix, ce qui existe,
c’est le langage, une de « ces similarités culturelles acquises par apprentissage »
(Rudent 2020 : 17) qui permet de tisser un lien fort entre elle et son auditoire.
Avec cette nouvelle disposition orchestrale, le bari replace le chant au
cœur de la musique des djéguélé, rehaussant ainsi la voix en lui permettant de
mieux s’affirmer. Le timbre vocal des chanteuses du bari constitue dès lors le
principal atout de ce genre musical.
4 La convention de Brăiloiu consiste à prendre tour à tour chacun des degrés de l’échelle de type I
(sol-la-si-ré-mi) pour fondamentale. Exemple : sol-la-si-ré-mi (I)/ la-si-ré-mi-sol (II)/ si-ré-mi-sol-la (III)…
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Chaque djéguéliste5 a une zone précise, sur le clavier de son instrument, dans
laquelle il évolue. Il y crée son modèle d’accompagnement ou pattern en fonc-
tion de la pièce entamée par le djéguéliste principal. L’ assemblage des différents
patterns constitue le morceau final qu’il nous est donné d’entendre. La figure 2,
ci-dessus présente la zone de jeu (tessiture) de chacun des trois instrumentistes
et de la chanteuse principale d’un orchestre de djéguélé.
Les djéguélistes qui accompagnent Zélé sont au nombre de trois : le
soliste, appelé djégbog ou djéwolu, et deux accompagnateurs, appelés djézug’1
et djézug’2. Le jeu cumulé des trois instrumentistes s’effectue sur tout le clavier
du xylophone (djégbag), à l’exception de la première lame dite djébaw’ ou « grand-
mère ». Cette lame est considérée comme « morte » dans le jargon des instrumen-
tistes et elle est rarement jouée. En fait, elle forme une inharmonie avec les autres
lames. Seul le djéguéliste principal la joue par moments pour indiquer la rupture
entre deux morceaux ou pour marquer une trêve dans le jeu de l’orchestre. Le jeu
des djéguélistes et de la chanteuse se répartit de la manière suivante :
– Le djéguéliste principal joue sur toute l’étendue du clavier de son instrument, y
compris la lame « morte », ce qui donne un ambitus allant de (sol1) do2 à sol5.
– Le djézug’1 joue sur une octave allant du do4 au do5 avec la liberté de
descendre jusqu’au do3 sur la lame dite djéziol, « lame d’attaque » ou « lame
réponse ». Il la partage avec le djégbog. Cette lame capitale permet les chan-
gements de morceaux. Tous les musiciens de l’orchestre y compris la chan-
teuse soliste sont attentifs au jeu de cette lame qui permet d’entamer un
nouveau morceau, d’où son nom.
– Le djézug’2 : il joue sur le registre allant de do5 à sol5 avec la possibilité
(selon le pattern d’accompagnement) de descendre jusqu’à do4.
– La chanteuse principale (minyèfow) chante généralement sur le registre d’une
octave de do3 à do4 correspondant à celui utilisé par le djézug’1.
5 Le joueur de djéguélé.
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instruments), les registres des voix côtoient intimement ceux des instruments. La
mélodie des chants étant exécutée sur l’octave du milieu de l’instrument (fig. 2)
qui s’étend sur un registre médium, la réponse de la voix se fait également dans
le même registre. En effet, l’ambitus médium sur les djéguélé de cette région
s’étend entre le do3 et le do4. C’est dans cet intervalle de notes que s’expriment
les différentes voix. Cela correspond aux registres du ténor (pour les hommes)
et du contralto (pour les femmes). Les voix graves de baryton et très aiguës de
soprano s’adaptent mal aux instruments de cette région.
La Figure 3 permet de mieux percevoir la position de la voix des chan-
teuses du bari par rapport aux voix classiques qu’il nous est donné d’entendre.
Née en 1934 et tragiquement décédée en 1994, Zélé Koné dite Zélé de Papara
a occupé le devant de la scène musicale sénoufo, voire nationale (ivoirienne)
pendant près d’une trentaine d’années (1965-1994). Elle a hérité son talent de
sa mère Dah Zélé, elle-même chanteuse de bari. A l’instar de tous les enfants
dans les sociétés de l’oralité, elle apprend l’art du chant aussi naturellement qu’on
apprend à parler, c’est-à-dire par imprégnation et par imitation (Blacking 1973,
Arom 2019). A l’âge de 16 ans, elle suit les cultivateurs aux champs, les encou-
rage de sa voix frêle mais déjà prometteuse à se surpasser en chantant leurs
éloges. Depuis lors, elle ne cessera de chanter, gagnant en maturité et en expé-
rience grâce à son timbre vocal particulier.
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La Figure 4 fait apparaître que le registre vocal de Zélé se situe entre le contralto
et le ténor. Sa tessiture vocale part du sol2 au ré4. Ce registre est bien supérieur
à l’octave habituellement chantée (do3-do4) par les minyèfow de la région. Il se
détermine par un ambitus de 9 notes du djéguélé renfermant un total de 8 tons
et de 3 demi-tons. Cette tessiture s’atteint généralement avec la voix de poitrine,
mais Zélé utilise aussi la voix de fausset dans les aigus (dans certaines chansons
comme Tanrga poro et Natogoma). Elle use presque tout le temps la voix guttu-
rale (dans d’autres chansons comme Larii Chouô, ou N’gléï) pour apporter une
profonde émotion à son auditoire. Pour tester la pureté de sa voix, elle entonne
certains chants a cappella avant que les instrumentistes ne la rejoignent pour l’exé-
cution du morceau. La figure 4 ci-après présente la tessiture de la voix de Zélé.
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La musique produite par Zélé de Papara est pleine d’énergie et de vie, signes de
l’endurance et du courage qui la caractérisèrent en dépit des vicissitudes de la vie
auxquelles elle fut confrontée. Une musique rythmée, dansante et pleine d’entrain
dont elle assurait elle-même le tempo à l’aide du tambour de hanche bari-ping,
dont elle ne se séparait jamais. Malgré le petit gabarit de Zélé, sa voix dégageait
une puissance qui lui permettait de chanter simultanément avec trois djéguélé.
La double activité professionnelle de chanteuse et de cultivatrice qu’elle exerçait,
renforçait son endurance et la rendait très athlétique sur scène. Tantôt à pied
sur les pistes, allant de village en village à des funérailles où elle chantait toute
la nuit, tantôt aux champs où elle cultivait son lopin de terre, elle possédait une
endurance physique hors du commun. Elle pouvait ainsi chanter et danser toute
une nuit, pendant de longues heures, sans microphone ni sonorisation, en pré-
sence d’un large public, alors qu’elle approchait la soixantaine. Elle avait acquis,
au fil des années, une voix chaude, puissante, au timbre clair, ouvert et immédia-
tement reconnaissable. Son secret résidait certainement dans cette phrase que
nous lança, lors de notre séjour sur le terrain, une vieille dame l’ayant côtoyée et
connue : « Zélé ne se fatiguait jamais de chanter, elle ne cessait de chanter que
pour aller dormir ».
La dextérité vocale
L’ on considère, dans le milieu musical traditionnel, que « les peuples qui parlent
peu ou lentement ont des djéguélé de petite taille tandis que ceux qui ont un
débit rapide de la parole ont des djéguélé de grande taille » (Coulibaly 1982 :
20). Vraie ou fausse, cette idée n’en a pas moins fait son chemin tant auprès
des musiciens que des facteurs d’instruments ou même au sein des populations.
Toujours est-il que les djéguélé utilisés dans la région de Papara comportent
20 lames, ce qui est largement au-dessus de la moyenne qui est de 13 lames. En
transcrivant les chansons de Zélé, de retour du terrain, nous avons fait le constat
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Fig. 5. Rapport entre la durée et la vélocité des phrases dans quelques chansons
de Zélé de Papara.
que les textes des chants s’écoulent sur des débits rapides avec de très longues
phrases, ce qui est favorable à la déclamation, un style prisé par la chanteuse et
que l’on retrouve dans de nombreuses chansons. A titre illustratif, la figure 5 pré-
sente les caractéristiques de quelques-unes de ses chansons.
La lecture de ce tableau atteste le débit des paroles de la chanteuse. En
pratique, dans un morceau au rythme binaire, dès qu’elle commence à chanter,
elle ne s’arrête que vers la fin du morceau pour privilégier l’ambiance et la danse.
Si nombre des textes sont des panégyriques, les chansons portent également
des messages, prodiguent des conseils. Par ailleurs, retenir tous ces noms de
personnalités et leurs attributs sociaux et les débiter en public au cours d’un
spectacle n’est pas chose facile.
Le parler-chanter
Puis, elle éclate de rire en reprenant son chant de plus belle où elle s’était arrêtée,
non sans continuer, dans une improvisation parfaitement maîtrisée, d’encenser
l’heureux spectateur. Et le public de lancer une salve d’applaudissements bien
mérités. Ce sont autant de scènes et d’actions similaires qui contribuèrent à raf-
fermir la popularité de cette chanteuse auprès des jeunes.
Zélé de Papara a l’habitude d’utiliser dans ses chants des mots ou des fragments
de phrases qui ont fini par la singulariser et asseoir son style musical. Parmi ces
nombreuses répliques, nous en avons relevé trois qui sont les plus couramment
utilisées, renforçant ainsi le style zéléen. Ces répliques sont : « Marow Marow »,
« Zi-ma » et « Zitchô zi zi wo wo wo Dah ». Ce sont des formules d’ambiance qu’elle
utilise couramment lors de ses concerts et qui sont dotées de sens.
« Marow Marow » est le diminutif de Camara, le nom de famille de son
époux et de son djéguéliste principal. Elle utilise cette formule sous la forme d’une
interjection lorsqu’elle veut le féliciter suite à une belle phase de jeu, lorsqu’elle
veut lui demander d’accélérer le tempo afin de la suivre dans sa performance du
moment ou tout simplement pour le saluer. En retour, dans ce dernier cas, celui-
ci joue sur les grosses lames de son instrument (surtout celle dite morte) pour
répondre à la salutation.
« Zi-ma » signifie, « à Zélé », « Zi » étant la contraction de son nom Zélé. Suite
à une vague de salutations ou d’hommages qu’elle rend, la chanteuse utilise cette
formule pour se présenter aux spectateurs. C’est une forme de politesse qu’exige
la tradition des griots. On ne peut parler de la généalogie de quelqu’un sans ter-
miner par la sienne ou du moins par son propre nom. C’est un peu comme signer
une œuvre, une citation ou un article.
« Zitchô Zi Zi wo wo wo Dah » est une formule abrégée de son arbre
généalogique personnel. La chanteuse, en utilisant cette formule sous forme
de trille, rend hommage à sa mère Dah ainsi qu’aux aïeux de celle-ci. Cette
courte formule est pleine de sens et évoque trois générations de membres de sa
famille biologique.
Ces différentes répliques et bien d’autres encore sont des créations ori-
ginales de Zélé de Papara, reprises de nos jours par ses successeurs, ce qui
constitue une belle reconnaissance de son génie créateur. Elles font également
partie des éléments constitutifs de son timbre vocal permettant de la distinguer
des autres chanteuses du bari.
Le style zéléen est également établi par son costume scénique qui
concourt à renforcer son identité. Ses attributs scéniques comprennent le tam-
bour cylindrique à hanche appelé bari-ping et la queue de cheval dite sokow’ dont
elle ne se sépare jamais. Son accoutrement est constitué d’un ensemble tradi-
tionnel à rayures composé d’un pagne qu’elle noue à la hanche et d’une camisole
sur le haut du corps. Elle se couvre la tête d’un foulard issu du même pagne à
rayures constituant l’ensemble ou, plus fréquemment, d’un chapeau spécialement
conçu pour elle, orné de cauris et de miroirs. Elle porte également un collier et
des bracelets. Tout ceci concourt d’une manière ou d’une autre à renforcer son
apparence scénique. Elle chante rarement sans ces artefacts qui forment, avec
les techniques vocales ci-dessus évoquées, le style zéléen.
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Conclusion
Dotée d’une voix puissante héritée d’une solide formation acquise depuis
le jeune âge, Zélé de Papara se produira sur plusieurs scènes en Côte d’Ivoire
(Korhogo : 1974, 1980 ; Bouaké : 1985,1988 ; Yamoussoukro : 1987 ; Abidjan :
1988, 1989, 1993) et à l’étranger (Mali), portant ainsi pendant de longues années
la musique du bari au-delà de sa sphère d’origine. Cette voix chaude au timbre
clair et facilement identifiable était capable d’émouvoir et de convaincre n’importe
quel auditoire en dépit de la barrière linguistique. Son registre, à mi-chemin entre
le contralto et le ténor, épousait parfaitement les courbes mélodiques des djé-
guélé qui l’accompagnaient. Les techniques ornementales du trille associées aux
mélismes enveloppant des textes débités dans un style déclamatif, exécuté le
plus souvent d’une voix gutturale ou nasale, constituaient son identité et per-
mirent ainsi d’asseoir le style zéléen encore pratiqué dans la région par la jeune
génération de chanteuses. Zélé n’eut pas d’enfants, une situation qu’elle eût pu
mal vivre si la musique n’avait pas été présente pour l’aider. Comme héritage, elle
laissa cette voix unique et reconnaissable. Ses chansons continuent, un quart
de siècle après sa mort, de nous parler et de nous enseigner les techniques de
chants qu’elle a héritées de ses aïeules.
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