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chapitre 5

La prophétie (al-nubuwwa)

Introduction

Selon Rāzī, la raison est le premier messager que Dieu a envoyé aux hommes
afin qu’ils puissent reconnaître leur créateur et se conformer à ses préceptes1.
Grâce à elle, tout individu sain d’esprit est capable de classer les êtres en
nécessaires, possibles et impossibles, ce qui lui permet, par la suite, d’ établir
l’ existence de Dieu et l’authenticité des missions prophétiques2. Cependant,
cette raison pure ne peut atteindre qu’une partie des connaissances dont
dépend la perfection de l’âme dans cette vie et son bonheur dans l’ au-delà.
Beaucoup de vérités essentielles, comme celles concernant la résurrection et
la vie future, lui échappent. Ces vérités-là proviennent, en premier lieu, de la
révélation et sont enseignées par les prophètes.
La révélation, telle que la conçoivent les savants musulmans, est source de
vérité absolue. Son autorité ne peut être contestée, car elle procède d’ une auto-
rité supérieure, celle de Dieu lui-même. Or, comme il est dit à maintes reprises
dans le Coran, Dieu est le Seigneur des cieux et de la terre. Il possède une
puissance infinie et une science embrassant toute chose. Il élit des prophètes
chargés de transmettre ses messages à un peuple en particulier ou à l’ humanité
toute entière. Les hommes obéissants croient en lui et suivent ses messagers.
Ceux-là recevront une récompense éternelle dans l’ au-delà. Ceux, en revanche,
qui auront nié l’existence de leur créateur ou refusé de se soumettre à la loi
divine, périront en enfer.
En tant que messager de Dieu, le Prophète jouit lui aussi d’ une autorité par-
ticulière en islam. Il est non seulement le porteur de la révélation, mais aussi le
législateur et le guide de la communauté à laquelle il est envoyé. C’ est lui qui
interprète la loi divine et se charge de son application. Les croyants doivent
se conformer à son enseignement, comme il ressort du verset 59,7 : « Ce que
le Prophète vous a donné, prenez-le! Ce qu’il vous a interdit, interdisez-le-
vous!» Selon les exégètes, le précédent verset instaure, de manière claire et

1 Tk, XX, 173 (ad Q 17, Isrāʾ, 15).


2 Pour Rāzī, on l’a vu, la distinction rationnelle entre les catégories des choses nécessaires,
possibles et impossibles est essentielle; elle l’est d’autant plus que la démonstration de
l’existence de Dieu en dépend, v. supra, 226-227.

© koninklijke brill nv, leiden, 2019 | doi:10.1163/9789004400498_007


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incontestable, l’obligation d’obéir au Prophète et d’ accepter son jugement3.


D’autres versets établissent l’ordre successif des autorités auxquelles il est pres-
crit de se soumettre. Le Prophète est souvent mentionné immédiatement après
Dieu, comme au verset 4,59: «Ô vous qui croyez ! Obéissez à Dieu ! Obéissez
au Prophète et à ceux d’entre vous qui détiennent l’ autorité4. » Dès lors, les
musulmans vouent un culte dévotionnel à tous les prophètes mentionnés dans
le Coran et tout particulièrement à Muḥammad, considéré comme étant investi
de l’ultime mission.
Vérité fondamentale de la foi, la prophétie (nubuwwa) intéresse au plus haut
point les théologiens spéculatifs qui se considèrent comme les véritables défen-
seurs des dogmes. C’est ainsi que la plupart des traités de kalām renferment au
moins un chapitre portant sur le culte des prophètes. Les auteurs y discutent
plusieurs questions parmi lesquelles: l’affirmation de la prophétie, les carac-
téristiques requises du prophète et son impeccabilité (ʿiṣma), les miracles per-
mettant d’établir la véracité de la mission prophétique, les mérites de Muḥam-
mad en tant que dernier messager et enfin l’intercession (al-šafāʿa) de celui-ci
en faveur de sa communauté au jour de la résurrection5.
Le thème général de la prophétie occupe une place importante au sein de
l’ immense œuvre de Rāzī, comme le montrent les longs développements qui
lui sont consacrés, aussi bien dans les traités théologiques et philosophiques
que dans le commentaire coranique6. Les raisons de cet intérêt sont multiples.
L’une d’elles est précisément liée à l’idée que se fait Rāzī de la connaissance.
Comme nous l’avons déjà souligné, l’homme perfectionne son âme en acqué-
rant la connaissance. Il utilise ses facultés perceptives pour saisir les objets
sensibles et sa puissance rationnelle pour appréhender les réalités intelligibles.
Mais ces dispositions ne lui suffisent pas pour embrasser toutes les sciences,
car certaines données ne peuvent être appréhendées ni par les sens ni par la
raison. Ce sont les vérités du monde invisible auxquelles on ne peut accéder
qu’à travers la révélation. Étant donné son origine divine, celle-ci constitue une
source certaine de connaissance, encore faut-il que le prophète qui la transmet
soit véridique. Ainsi, si l’affirmation des missions prophétiques importe autant,
c’est parce que la validité de la révélation en dépend.

3 Tk, XXIX, 286 (ad Q 59, Ḥašr, 7).


4 Tk, X, 143 (ad Q 4, Nisāʾ, 59).
5 V. Bāqillānī, Tamhīd, 132; Ǧuwaynī, Iršād, 302.
6 V. Muḥaṣṣal, 301-325; Mabāḥiṯ, II, 523-524.

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