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2009)
Énoncé
Expliquer le texte suivant :
« Les hommes peuvent avoir des démonstrations rigoureuses sur le papier, et en ont sans doute une infinité. Mais
sans se souvenir d'avoir usé d'une parfaite rigueur, on ne saurait avoir cette certitude dans l'esprit. Et cette rigueur
consiste dans un règlement dont l'observation sur chaque partie soit une assurance à l'égard du tout ; comme dans
l'examen de la chaîne par anneaux, où, visitant chacun pour voir s'il est fermé, et prenant des mesures avec la main
pour n'en sauter aucun, on est assuré de la bonté de la chaîne. Et par ce moyen on a toute la certitude dont les
choses humaines sont capables. Mais je ne demeure point d'accord qu'en mathématiques les démonstrations
particulières sur la figure qu'on trace fournissent cette certitude générale. […] Car il faut savoir que ce ne sont pas les
figures qui donnent la preuve chez les géomètres. […] La force de la démonstration est indépendante de la figure
tracée, qui n'est que pour faciliter l'intelligence de ce qu'on veut dire et fixer l'attention ; ce sont les propositions
universelles, c'est-à-dire les définitions, les axiomes, et les théorèmes déjà démontrés qui font le raisonnement et le
soutiendraient quand la figure n'y serait pas. »
Leibniz, Nouveaux Essais sur l'entendement humain
La connaissance de la doctrine de l'auteur n'est pas requise. Il faut et il suffit que l'explication rende compte, par la
compréhension précise du texte, du problème dont il est question.
Corrigé
Introduction
Dans ce texte, Leibniz entend élucider le rapport qu'entretiennent la démonstration géométrique et la figure. Quand je
trace un triangle et que je démontre géométriquement, en prolongeant deux de ses côtés et en faisant passer par son
sommet une parallèle à la base, que la somme de ses angles est égale à deux angles droits (ou 180°), je ne l'ai après
tout démontré que pour ce triangle-ci, que j'ai dessiné devant moi. Comment puis-je alors prétendre que cette
proposition est vraie pour tous les triangles, quels qu'ils soient ? Est-ce à force de remarquer qu'elle est vérifiée pour
ce triangle particulier, puis cet autre, puis encore cet autre, que j'en infère progressivement une « certitude générale »
touchant tous les triangles ?
Pour élucider ce problème, Leibniz commence par rappeler quelle est la seule méthode pour produire des
démonstrations rigoureuses : pour que la démonstration soit certaine, il faut qu'elle ait été faite avec rigueur, et toute
cette rigueur consiste en une simple règle, à savoir la vérification de chaque étape du raisonnement et la vérification
de son enchaînement avec l'étape suivante.
Mais alors, quand on affirme qu'une accumulation de démonstrations particulières produit une certitude générale, on
déroge précisément à cette règle : si « la somme des angles d'un triangle est égale à deux angles droits » est une
proposition universelle (entendons par là une proposition qui vaut pour tous les triangles sans aucune exception),
alors nous ne sommes pas parvenus à cette universalité par inférence de cas particuliers. Une telle inférence ne
saurait au mieux fournir qu'une généralité vague : ce n'est pas en additionnant des riens que l'on obtient quelque
chose, ce n'est pas en additionnant des cas particuliers qu'on obtient de l'universel. Alors, la figure dessinée n'est
qu'une illustration servant de béquille à l'attention, et non le point de départ de la démonstration : comme toute
démonstration rigoureuse, la géométrie procède par axiomes et définitions, dont elle déduit ensuite tout ce qu'on en
peut déduire.
À l'évidence, Leibniz entend faire pièce ici à la thèse empiriste, et plus particulièrement à celle de Locke dans ses
Essais sur l'entendement humain : si toute notre connaissance était issue des perceptions sensibles, alors les
sciences parvenant à des propositions universelles (comme la mathématique) seraient impossibles. Sans doute alors
nous faudra-t-il expliquer la thèse de Locke afin de comprendre ce que Leibniz veut réfuter.
Conclusion
Selon Leibniz, Dieu en pensant à la notion complète de Jules César, sait immédiatement et intuitivement tous les
prédicats qui pourront lui être attribués (par exemple, franchir le Rubicon). Pour nous en revanche, ce genre de
jugements analytiques et a priori (puisque indépendants de l'expérience) ne peuvent être faits que pour les êtres de
raison, dont les prédicats véritablement attribuables ne vont pas à l'infini (ainsi, le cercle ou le triangle). Il n'en demeure
pas moins que l'homme peut parvenir à des propositions universellement valables. Et c'est assez pour affirmer qu'il y a
bien quelque chose dans l'esprit qui ne doit rien aux perceptions.