Vous êtes sur la page 1sur 5

9 janvier 2023

« L’approximation »
Exemplier

Texte 1.
a) ARISTOTE, Seconds Analytiques, trad. Tricot, I, 27, 87a31-37 :

Une science est plus exacte et antérieure, quand elle connaît à la fois le fait et le pourquoi, et non
le fait lui-même séparé du pourquoi. — De plus, la science qui ne s'occupe pas du substrat est plus
exacte que celle qui s'occupe du substrat : par exemple, l'Arithmétique est plus exacte que
l'Harmonique. De même, une science qui est constituée à partir de principes moins nombreux est
plus exacte que celle qui repose sur des principes résultant de l'addition : c'est le cas de
l'Arithmétique, qui est plus exacte que la Géométrie. Par résultat de l'addition, je veux dire que, par
exemple, l'unité est une substance sans position, tandis que le point est une substance ayant position
: cette dernière, je l'appelle un résultat de l'addition.

b) ARISTOTE, Mét aphysique, trad. Tricot, A, 2, 982a20-27 :

Tels sont donc, en nature et en nombre, les jugements qu'on porte d'ordinaire sur la Sagesse et les
sages. Or, parmi les caractères que nous venons de voir, la connaissance de toutes choses appartient
nécessairement à celui qui possède au plus haut degré la science de l'universel, car il connaît, d'une
certaine manière, tous les cas particuliers qui tombent sous l'universel. Ensuite, ces connaissances-
là, je veux dire les plus universelles, sont, à tout prendre, les plus difficiles à acquérir pour les
hommes, car elles sont les plus éloignées des perceptions sensibles. En outre, les sciences les plus
exactes sont celles qui sont les plus sciences des principes, car celles qui partent de principes plus
abstraits sont plus exactes que celles qui se tirent de principes plus complexes : l'Arithmétique, par
exemple, est plus exacte que la Géométrie.

Texte 2.
ARISTOTE, Seconds Analytiques, trad. Tricot, I, 4 et 5 :
J'appelle universel l'attribut qui appartient à tout sujet, par soi, et en tant que lui-même. Il en résulte
clairement que tous les attributs universels appartiennent nécessairement à leurs sujets. Le par soi
et le en tant que soi sont, au surplus, une seule et même chose : par exemple, c'est à la ligne par soi
qu'appartiennent le point, ainsi que le rectiligne, 30 car ils lui appartiennent en tant que ligne ; et le
triangle en tant que triangle a deux angles droits, car le triangle est par soi égal à deux angles droits.
L'attribut appartient universellement au sujet, quand on peut montrer qu'il appartient à un sujet
quelconque et premier. Par exemple, le fait d'avoir des angles égaux à deux droits n'est pas pour la
figure un attribut universel. Car, bien qu'il soit possible de prouver qu'une figure a ses angles égaux
à deux 35 droits, on ne peut cependant pas le prouver d'une figure quelconque, pas plus qu'on ne
se sert de n'importe quelle figure dans la démonstration : en effet, un carré est bien une figure, et
pourtant ses angles ne sont pas égaux à deux droits. D'autre part, un triangle isocèle quelconque a
ses angles égaux à deux droits, mais le triangle isocèle n'est cependant pas le sujet premier : c'est le
triangle qui est antérieur. Ce qui donc, pris comme sujet 40 quelconque et premier, est démontré
avoir ses angles égaux à deux droits, ou posséder n'importe quel autre attribut, c'est ce à quoi, pris
comme sujet 74a premier, l'attribut appartient universellement, et la démonstration au sens propre

1
consiste à prouver qu'il appartient universellement à ce sujet ; par contre, prouver que cet attribut
appartient à d'autres sujets, c'est là une démonstration dans un certain sens seulement et non, au
sens propre. — Pas davantage, l'égalité des angles à deux droits n'est un attribut universel de
l'isocèle : en fait, elle s'applique à un genre plus étendu.

C'est pourquoi, même si on prouve de chaque espèce de triangle, soit par une démonstration
unique, soit par des démonstrations différentes, que chacune a ses angles égaux à deux droits,
cependant, aussi longtemps qu'on considère séparément l'équilatéral, le scalène et l'isocèle, on ne
connaît pas encore que le triangle a ses angles égaux à deux droits, sinon d'une façon sophistique,
ni que le triangle possède cette propriété universellement, même s'il n'existe en dehors de ces
espèces aucune 30 autre espèce de triangle. On ne sait pas, en effet, que le triangle en tant que tel
a cette propriété, ni même que tout triangle la possède, à moins d'entendre par là une simple totalité
numérique. Mais démontrer selon la forme n'est pas démontrer de tous les triangles, même si en
fait il n'y en a aucun qui ne soit connu. Quand donc notre connaissance n'est-elle pas universelle,
et quand est-elle absolue ? Il est évident que notre connaissance est absolue dans le cas où il y a
identité d'essence du triangle avec l'équilatéral, autrement dit avec chaque triangle équilatéral ou
avec tous. Si, par contre, il n'y a pas identité, mais diversité d'essence, et si l'attribut appartient à
l'équilatéral en tant que triangle, notre connaissance manque 35 alors d'universalité. Mais <
demandera-t-on >, cette attribution a-t-elle lieu pour le sujet en tant que triangle ou en tant
qu'isocèle ? Et quand le sujet de l'attribution est-il premier ? À quel sujet, enfin, l'attribut peut-il
être démontré appartenir universellement ? C'est évidemment le premier terme auquel, par
élimination, se rattache l'attribution. Par exemple, les angles d'un triangle isocèle d'airain sont égaux
à deux angles droits, mais une fois l'airain et l'isocèle éliminés, l'attribut demeure. — Mais, < peut-
on objecter >, si on élimine la figure ou la limite, 74b l'attribut s'évanouit aussi ? — Certes, mais
figure et limite ne sont pas des sujets premiers. — Quel est donc le sujet premier ? — Si c'est un
triangle, c'est seulement en raison du triangle que l'attribut appartient aussi aux autres sujets, et le
triangle est le sujet auquel l'attribut peut être démontré appartenir universellement.

Texte 3.
BERGSON, « Introduction à la métaphysique », La Pensée et le mouvant, Paris, Puf, 1938, p. 181-182 :

Il suit de là qu’un absolu ne saurait être donné que dans une intuition, tandis que tout le reste
relève de l’analyse. Nous appelons ici intuition la sympathie par laquelle on se transporte à l’intérieur
d’un objet pour coïncider avec ce qu’il a d’unique et par conséquent d’inexprimable. Au contraire,
l’analyse est l’opération qui ramène l’objet à des éléments déjà connus, c’est-à-dire communs à cet
objet et à d’autres. Analyser consiste donc à exprimer une chose en fonction de ce qui n’est pas
elle. Toute analyse est ainsi une traduction, un développement en symboles, une représentation
prise de points de vue successifs d’où l’on note autant de contacts entre l’objet nouveau, qu’on
étudie, et d’autres, que l’on croit déjà connaître. Dans son désir éternellement inassouvi d’embrasser
l’objet autour duquel elle est condamnée à tourner, l’analyse multiplie sans fin les points de vue
pour compléter la représentation toujours incomplète, varie sans relâche les symboles pour parfaire
la traduction toujours imparfaite. Elle se continue donc à l’infini. Mais l’intuition, si elle est possible,
est un acte simple.
Ceci posé, on verrait sans peine que la science positive a pour fonction habituelle d’analyser.
Elle travaille donc avant tout sur des symboles. Même les plus concrètes des sciences de la nature,
les sciences de la vie, s’en tiennent à la forme visible des êtres vivants, de leurs organes, de leurs
éléments anatomiques. Elles comparent les formes les unes aux autres, elles ramènent les plus
complexes aux plus simples, enfin elles étudient le fonctionnement de la vie dans ce qui en est,
pour ainsi dire, le symbole visuel. S’il existe un moyen de posséder une réalité absolument au lieu
de la connaître relativement, de se placer en elle au lieu d’adopter des points de vue sur elle, d’en

2
avoir l’intuition au lieu d’en faire l’analyse, enfin de la saisir en dehors de toute expression,
traduction ou représentation symbolique, la métaphysique est cela même. La métaphysique est donc la
science qui prétend se passer de symboles.

Texte 4.
BERGSON, « L’intuition philosophique », La Pensée et le mouvant, Paris, Puf, 1938, p. 119-120 :

En ce point est quelque chose de simple, d’infiniment simple, de si extraordinairement simple


que le philosophe n’a jamais réussi à le dire. Et c’est pourquoi il a parlé toute sa vie. Il ne pouvait
formuler ce qu’il avait dans l’esprit sans se sentir obligé de corriger sa formule, puis de corriger sa
correction — ainsi, de théorie en théorie, se rectifiant alors qu’il croyait se compléter, il n’a fait
autre chose, par une complication qui appelait la complication et par des développements
juxtaposés à des développements, que rendre avec une approximation croissante la simplicité de
son intuition originelle. Toute la complexité de sa doctrine, qui irait à l’infini, n’est donc que
l’incommensurabilité entre son intuition simple et les moyens dont il disposait pour l’exprimer.
Quelle est cette intuition ? Si le philosophe n’a pas pu en donner la formule, ce n’est pas nous
qui y réussirons. Mais ce que nous arriverons à ressaisir et à fixer, c’est une certaine image
intermédiaire entre la simplicité de l’intuition concrète et la complexité des abstractions qui la
traduisent, image fuyante et évanouissante, qui hante, inaperçue peut-être, l’esprit du philosophe,
qui le suit comme son ombre à travers les tours et détours de sa pensée, et qui, si elle n’est pas
l’intuition même, s’en rapproche beaucoup plus que l’expression conceptuelle, nécessairement
symbolique, à laquelle l’intuition doit recourir pour fournir des « explications ». Regardons bien
cette ombre : nous devinerons l’attitude du corps qui la projette. Et si nous faisons effort pour
imiter cette attitude, ou mieux pour nous y insérer, nous reverrons, dans la mesure du possible, ce
que le philosophe a vu.

Texte 5.
Voir Yvon Belaval, Leibniz critique de Descartes, Paris, Gallimard, 1960, p. 320-323.

Texte 6.
Pierre DUHEM, La théorie physique. Son objet, sa structure, Paris, Vrin, 2007, p. 237-239 :

Une loi de sens commun est un simple jugement général ; ce jugement est vrai ou faux. Prenons,
par exemple, cette loi que révèle l'observation vulgaire : Paris, le Soleil se lève chaque jour à l'orient,
monte dans le ciel, puis s'abaisse et se couche à l'occident. Voilà une loi vraie, sans condition, sans
restriction. Prenons, au contraire, cet énoncé : La Lune est toujours pleine. Voilà une loi fausse. Si
la vérité d'une loi de sens commun est mise en question, on pourra répondre à cette question par
oui ou par non. Il n'en est pas de même des lois que la science physique, parvenue a son plein
développement, énonce sous forme de propositions mathématiques ; une telle loi est toujours
symbolique ; or, un symbole n'est, à proprement parler, ni vrai ni faux; il est plus ou moins bien
choisi pour signifier la réalité qu'il représente, il la figure d'une manière plus ou moins précise, plus
ou moins détaillée; mais, appliqués à un symbole, les mots vérité, erreur, n'ont plus de sens ; aussi,
à celui qui demande si telle loi de Physique est vraie ou fausse, le logicien qui a souci du sens strict
des mots sera obligé de répondre : Je ne comprends pas votre question. Commentons cette réponse,
qui peut sembler paradoxale, mais dont l'intelligence est nécessaire à celui qui prétend savoir ce
qu'est la Physique. À un fait donné, la méthode expérimentale, telle que la Physique la pratique, ne
fait pas correspondre un seul jugement symbolique, mais une infinité de jugements symboliques
différents ; le degré d'indétermination du symbole est le degré d'approximation de l'expérience en
question. Prenons une suite de faits analogues ; pour le physicien, trouver la loi de ces faits, ce sera
trouver une formule qui contienne la représentation symbolique de chacun de ces faits;

3
l'indétermination du symbole qui correspond à chaque fait entraîne, dès lors, l'indétermination de
la formule qui doit réunir tous ces symboles; à un même ensemble de faits, on peut faire
correspondre une infinité de formules différentes, une infinité de lois physiques distinctes; chacune
de ces lois, pour être acceptée, doit faire correspondre à chaque fait, non pas le symbole de ce fait,
mais l'un quelconque des symboles, en nombre infini, qui peuvent représenter ce fait; voilà ce qu'on
entend dire lorsqu'on déclare que les lois de la Physique ne sont qu'approchées.
Imaginons, par exemple, que nous ne puissions nous contenter des renseignements fournis par
cette loi de sens commun : à Paris, le Soleil se lève chaque jour à l'orient, monte dans le ciel, puis
descend et se couche à l'occident ; nous nous adressons aux sciences physiques pour avoir une loi
précise du mouvement du Soleil vu de Paris, une loi indiquant à l'observateur | parisien quelle
situation le Soleil occupe à chaque instant dans le ciel. Les sciences physiques, pour résoudre le
problème, ne vont pas faire usage de réalités sensibles, du Soleil tel que nous le voyons briller dans
le ciel, mais des symboles par lesquels les théories représentent ces réalités ; le Soleil réel, malgré
les irrégularités de sa surface, malgré les immenses protubérances qu'elle porte, elles le remplaceront
par une sphère géométriquement parfaite, et c'est la position du centre de cette sphère idéale
qu'elles vont tâcher de déterminer; ou plutôt, elles chercheront à déterminer la position
qu'occuperait ce point si la réfraction astronomique ne déviait pas les rayons du Soleil, si l'aberration
annuelle ne modifiait pas la position apparente des astres; c'est donc bien un symbole qu'elles
substituent à la seule réalité sensible offerte à nos constatations, au disque brillant que notre lunette
peut viser; pour faire correspondre le symbole à la réalité, il faut effectuer des mesures compliquées,
il faut faire coïncider les bords du Soleil avec les fils d'un réticule muni d'un micromètre, il faut faire
de multiples lectures sur des cercles divisés, à ces lectures il faut faire subir diverses corrections; il
faut aussi développer des calculs longs et complexes dont la légitimité résulte des théories admises,
de la théorie de l'aberration, de la théorie de la réfraction atmosphérique.

Texte 7.
Gaston BACHELARD, La connaissance approchée, Paris, Vrin, 1984, p. 232-234 :

Reste l'objection classique : « Toute approximation suppose nécessairement un nombre fixe dont
on s'approche et par rapport auquel on peut mesurer le degré d'approximation » (Couturat, De
l’infini mathématique, p. 134). Si vraiment la place du pôle était fixée, on pourrait mesurer le degré
d'approximation, mais aussitôt on n'aurait plus besoin de cette approximation puisque la place
cherchée serait évidemment assignée. Au contraire, il ne faut pas perdre de vue que l'approximation
est elle-même connue par approximation. Toute notre certitude repose sur une marge d'erreurs
qu'on peut sûrement évincer. Mais la première partie de l'objection, pour enracinée qu'elle soit au
sens du mot approximation, est spécieuse : les approximations ne mettent réellement en jeu que
des calculs finis ; le fait que les suites ou les séries convergent peut être prouvé d'une part par
l'examen des termes finis et, d'autre part, par l'assurance prise que la loi qui fixe la relation de deux
termes consécutifs, ne dépend pas de la place de ces termes dans la suite. Autrement dit, s'approche-
t-on d'un être ? Rien ne nous permet de l'assurer. Par contre, nos différentes déterminations
effectives se classent-elles sur le continu, d'après notre définition de la distance, en une suite
convergente ? Nous pouvons en avoir de multiples preuves. Tous les critères de convergence
proposés par les mathématiciens répondent à cet objet. D'ailleurs, il nous suffit de savoir que nous
allons toujours dans le même sens et qu'il y a des points que nous n'atteindrons jamais pour être
sûrs que nos diverses déterminations se placent sur un discontinu convergent. Et nous n'aurions
pas le droit de traduire par un symbole la convergence de ce discontinu, sans référence aucune à
un terme dont nous ne voyons plus la nécessité logique ! Pourquoi quitterions-nous le domaine
des déterminations réelles, positives, assurées, pour suivre les inspirations de notre imagination ?
D'ailleurs cette propriété de la convergence, nous la voyons se dessiner dès le début de notre étude
d'un nombre transcendant ou du moins dès que le discontinu indiqué par le calcul d'approximation
suit la loi que nous prétendons traduire parce crue nous avons compris qu'elle était définitive. Ce

4
qui nous trompe à cet égard c'est l'emploi de procédés inadéquats. Par exemple on a longtemps
cherché une loi dans le développement en fractions décimales du nombre π. On ne l'a pas trouvée
(nous n'avons jusqu'ici été frappés dans les expressions décimales que d'une propriété, le retour de
périodes); qu'en conclure sinon que la numération décimale ne nous paraît susceptible de traduire
d'une manière heureuse aucune des définitions réelles de π. Mais il y a d'autres procédés et nous
connaissons des séries de fractions qui donnent π en nous indiquant, dès les tout premiers termes,
la loi de formation des termes successifs. Telle est la série de Leibniz.

Vous aimerez peut-être aussi