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PARTIE I

Réussir la note de synthèse


La note de synthèse, au coefficient pourtant élevé, n’a pas bonne réputation auprès des étudiants. Si les épreuves pratiques ressemblent, par les connaissances qu’elles mobilisent, à l’idée que l’on se fait de la pratique du métier d’avocat, tel n’est a priori pas le cas de la
note de synthèse.
Pourtant, et nous allons le voir, cet exercice est tout comme les épreuves pratiques un excellent révélateur de ce que le candidat présente les qualités requises pour rejoindre la profession d’avocat.
Nous allons donc tenter de répondre à cette question souvent posée par les candidats : en quoi est-il nécessaire de savoir composer une note de synthèse pour fréquenter les prétoires ?
CHAPITRE 1

Pourquoi la note de synthèse ?


Une réflexion sur le quotidien des avocats et sur les tâches qu’ils sont amenés à accomplir permet de se persuader que les qualités utiles à la rédaction d’une note de synthèse sont indispensables à la pratique du métier.
Examinons les différentes qualités de l’avocat au gré de ses activités.
SECTION 1 | Savoir lire un dossier
Pour le profane comme pour l’étudiant en fin de cycle de droit, la fonction de l’avocat est trop souvent résumée à la seule plaidoirie.
Pour autant, et en dépit des clichés, les qualités oratoires d’un avocat ne sont pas suffisantes à faire de lui un grand professionnel. Il n’y a qu’à fréquenter, ne serait-ce qu’en stage, les cabinets d’avocats pour s’en convaincre. En effet, l’avocat est avant tout, et quel que
soit le contentieux qu’il pratique, un spécialiste de la synthèse. Être avocat c’est savoir lire une masse conséquente de documents et en extraire l’essentiel afin d’agir dans le seul intérêt d’un client.
L’avocat pénaliste passe des heures à la lecture de volumineux dossiers en cours d’instruction ou renvoyés devant une juridiction. Ces dossiers peuvent atteindre plusieurs dizaines de tomes, notamment en criminalité organisée. Les avocats fiscalistes, affairistes,
publicistes ou civilistes ne sont pas en reste et se livrent exactement au même exercice, chacun dans sa spécialité : tous lisent avec attention la multitude de pièces remises par le client ou par l’adversaire afin de construire la meilleure argumentation ou livrer le bon conseil.
L’avocat ne lit toutefois pas un dossier comme il lirait de la prose. Sa lecture s’apparente davantage à une recherche plutôt qu’à une lecture passive. La lecture d’un dossier par l’avocat est orientée en fonction des seuls éléments qu’il y recherche : l’avocat sait ce qu’il
veut trouver et sa lecture est induite par cette principale préoccupation.
Ainsi, l’étudiant qui souhaite devenir avocat doit pouvoir justifier de la même manière, lors des épreuves d’admissibilité, de sa capacité à s’approprier dans un temps limité le contenu d’un dossier et démontrer qu’il sait lire des documents en tenant compte des termes d’un
sujet imposé.
L’apprentissage de la lecture orientée du dossier est la première étape vers la réussite de la note de synthèse. Nous étudierons cette méthode au cours des différentes phases de la méthodologie.
SECTION 2 | Savoir déterminer la portée des éléments sélectionnés
Savoir lire un dossier ne suffit pas à l’avocat pour construire ses conclusions ou élaborer sa plaidoirie. Il faut ensuite extraire du dossier les seuls éléments utiles à la cause. Ainsi, un tri et une priorisation des idées sont réalisés. Ce sont ces éléments du dossier, essentiels
ou non, illustratifs ou de fond, que l’avocat va décider d’exploiter ou d’ignorer dans le cadre de la défense des intérêts de son client. Maîtriser la synthèse, c’est savoir choisir.
L’identification des éléments essentiels par l’avocat n’est pas une option, puisque l’avocat a l’obligation, par conscience professionnelle, d’identifier tous les éléments indispensables, au risque de passer à défaut à côté de la défense efficace du client.
Pour le candidat qui compose la note de synthèse, l’exigence est la même : après avoir identifié les éléments essentiels du dossier et déterminé leur portée, le candidat doit décider de ceux qui sont indispensables à la compréhension du sujet.
SECTION 3 | Savoir restituer le contenu d’un dossier
L’avocat doit ensuite organiser son argumentation en articulant les éléments retenus au sein d’un raisonnement logique. Il se doit en outre de les restituer avec objectivité et précision. Les qualités d’analyse, d’organisation, de précision et de clarté d’expression sont donc
essentielles au métier.
Ces exigences, attachées à la restitution des idées essentielles, s’imposent à tous les écrits professionnels de l’avocat. Ils constituent également le socle indispensable à une bonne plaidoirie. En effet, et encore une fois contrairement aux apparences, les meilleurs plaideurs
ne sont pas des génies de l’improvisation, mais sont plutôt de talentueux bâtisseurs : ils ont cette capacité à identifier, collecter et restituer, en les ordonnant, des éléments factuels et procéduraux qu’ils illustrent habilement par des évènements d’audience.
L’étudiant qui compose la note de synthèse doit avoir le même degré d’exigence et savoir restituer, de façon structurée, les éléments fondamentaux qui sont indispensables à la compréhension d’un dossier.
SECTION 4 | Savoir gérer son temps
La contrainte liée à l’optimisation du temps est une préoccupation constante de l’avocat dans son exercice professionnel. Disposer d’un temps infini est un luxe dont l’avocat ne profite jamais. C’est souvent dans l’urgence, ou dans un temps très contraint, qu’il doit
révéler toutes ses capacités d’analyse et de synthèse.
Le candidat se trouve le jour de l’épreuve dans la même situation. Il faut savoir traiter le sujet donné dans son intégralité et dans un temps limité. Pour le correcteur, il est donc fondamental que le candidat démontre son aptitude à gérer son temps.
Peut-on en effet imaginer un avocat déposer à la barre du tribunal des conclusions à moitié rédigées ou, pire, qu’il interrompe sa plaidoirie sans la terminer ? En prolongeant l’image, il n’est donc pas envisageable de rendre une note de synthèse incomplète : quoi qu’il
arrive, le jour de l’épreuve la note de synthèse doit être terminée.
La note de synthèse est donc un excellent indicateur des qualités professionnelles futures du candidat.
CHAPITRE 2

Réussir la note de synthèse en comprenant les attentes des professionnels


du droit
Après avoir compris que la note de synthèse est utile au métier d’avocat, il faut aussi se demander quelles sont les qualités d’un avocat, et donc du candidat à l’épreuve, telles qu’attendues par les professionnels du droit.
Nous vous proposons à cet égard de confronter les exigences de la note de synthèse aux qualités attendues des avocats par les professionnels du droit : cette confrontation vous permettra de mieux satisfaire votre correcteur.
SECTION 1 | L’avis de l’avocat
En tant qu’ancien avocat pénaliste, nous sommes convaincus de la nécessité impérieuse pour l’avocat d’avoir l’esprit de synthèse. Savoir lire vite, sans occulter d’élément utile à la défense, est la qualité essentielle du bon pénaliste.
Nous l’avons vu : savoir lire vite et identifier les arguments ou idées essentielles est incontournable pour la compréhension du dossier et sert de base à l’argumentation de l’avocat. L’avocat doit restituer les arguments en sélectionnant les plus importants et en les
priorisant. L’absence de priorisation des arguments entrave la compréhension du dossier et celle du positionnement du client : une plaidoirie ou des conclusions confuses, redondantes ou trop longues, nuisent à la qualité de la défense. Le juge ne peut alors discerner les
arguments et les idées sont noyées dans une masse de laquelle ne se dégage aucune force de persuasion.
Maîtriser l’exercice de la note de synthèse est un gage pour l’avocat que vous allez être, d’être suffisamment concis et précis pour atteindre son objectif ultime : convaincre.
SECTION 2 | L’avis du magistrat
Magistrat depuis près d’une dizaine d’années, d’abord au parquet puis comme juge d’instruction, assesseur en cour d’assises et président d’audience correctionnelle, nous avons pu observer avec encore plus d’acuité que c’est la qualité de la synthèse qui fait de l’avocat
un bon professionnel.
Le magistrat du parquet est le contradicteur naturel de l’avocat à l’audience. Si l’avocat ne présente pas les qualités de synthèse attendues pour sa plaidoirie, il ne parviendra pas à efficacement répondre, voire à anticiper, les arguments de l’accusation. Il se dit souvent, et
cela se vérifie, qu’au pénal, les meilleures conclusions en nullité se suffisent de quelques lignes : un syllogisme, comprenant les éléments principaux du dossier, reste la meilleure manière de l’emporter. L’esprit de synthèse prouve alors sa redoutable efficacité.
Le président d’audience correctionnelle constate lui aussi que la nécessité pour l’avocat d’être animé d’un esprit de synthèse est une évidence. Le tribunal a en effet toujours plaisir à écouter un avocat ayant pris soin, non seulement de connaître avec précision son
dossier, mais aussi d’ordonner ses arguments et de structurer sa présentation. Cette plaidoirie fait l’économie des redites, qui allongent inutilement l’audience, et aide le tribunal à connaître de façon précise la position de la défense en répondant, si besoin, aux seuls points
qui nécessitent un débat. Nul besoin d’être long pour être convaincant.
Plus généralement, le tribunal, quelle que soit la juridiction concernée, civile, commerciale, sociale ou pénale, a également besoin de pouvoir faire confiance à l’avocat, dans le cadre des rapports de loyauté qui existent entre l’avocat et les juges. Ainsi, l’avocat doit-il faire,
lorsque cela est nécessaire, une restitution fidèle et objective. Quand un avocat évoque un élément du dossier, il se doit de rester parfaitement objectif, sauf à dénaturer le contenu et le sens d’une pièce.
L’objectivité et la fidélité au dossier sont des attentes fortes que nourrissent les juridictions envers les avocats et ces qualités doivent dès lors être celles en possession du candidat à l’épreuve de la note de synthèse.
L’objectivité du professionnel est attendue lorsque l’avocat rédige, dans une assignation ou des conclusions, la partie relative aux faits et à la procédure. Cette partie purement factuelle ne doit souffrir d’aucune subjectivité et doit ne contenir que les faits constants, c’est-
à-dire les éléments bruts et objectifs dépourvus de toute interprétation.
L’exigence d’objectivité s’impose de manière parfaitement identique au candidat au cours de l’épreuve de note de synthèse. Il faut, pour réussir l’épreuve, s’imaginer rédiger la partie « faits constants » de conclusions, avec une objectivité incontestable : la note de
synthèse est la restitution fidèle du contenu de documents, sans les enrichir de connaissances personnelles, et sans les dénaturer ni dans leur sens, ni dans leur portée. Le comprendre, c’est déjà avancer dans la maîtrise de la méthodologie de la note de synthèse.
CHAPITRE 3

Quelques pièges à éviter


SECTION 1 | Éviter la subjectivité
À la lecture du sujet, le candidat, même s’il dispose de connaissances, doit se positionner comme ignorant de la question. Les seuls éléments qui doivent être restitués sont ceux contenus dans le dossier. Aucune explication, interprétation ou commentaire de document ne
doit être effectué.
Certains documents sont parfois empreints de subjectivité.
Par exemple, une tribune engagée peut en des termes radicaux critiquer une loi ou une jurisprudence. Le candidat doit alors s’interdire de restituer les arguments tels qu’ils sont présentés. Ils ne constituent pas un fait, mais une opinion.
Dès lors, pour que le correcteur puisse apprécier objectivement la portée de ces idées, ces éléments doivent être renvoyés à la subjectivité de leur auteur. La précaution veut que l’on indique ainsi « Selon certains », ou si cela est nécessaire « Selon M. X ». Le lecteur
comprend ainsi que l’argument subjectif n’est pas un fait objectif, mais une opinion.
SECTION 2 | Adapter son style
Les candidats, comme les correcteurs d’ailleurs, ont sans cesse leur attention sollicitée par les médias à l’aide de formules accrocheuses ou sensationnalistes. Ce phrasé journalistique ou publicitaire, qui fait partie de l’environnement quotidien, n’a pas sa place en note de
synthèse.
Le style doit être neutre car l’exercice n’est qu’une restitution objective d’un thème. Il n’y a ni emphase, ni questionnement, pas plus qu’il ne doit y avoir d’humour ou de sous-entendus.
De fait, évitez les formules journalistiques ou racoleuses et abstenez-vous de la même manière de toute expression stéréotypée ou éculée. Même si l’usage de certaines formules n’est pas complètement proscrit, prendre soin de les abandonner affinera votre style. Les
formules du type « Depuis toujours », « depuis la nuit des temps », « De nos jours », « de tout temps », « au cœur des débats », « au cœur de l’actualité », « l’actualité brûlante », « créer le buzz », « agiter la toile », « dans nos sociétés », « enflammer le débat » ou encore
« l’arsenal juridique », font partie de ces formules imprécises, journalistiques ou éculées auxquelles il est préférable de substituer d’autres termes.
CHAPITRE 4

Savoir s’évaluer
La note de synthèse nécessite, comme nous l’avons vu, de savoir gérer son temps. En effet, elle doit être achevée dans le temps imparti, quoi qu’il arrive. La gestion du temps est donc primordiale. Le candidat avant l’épreuve doit alors s’entraîner à maîtriser son temps
d’épreuve pour rendre une copie intégralement rédigée et relue.
La note de synthèse se juge d’abord à sa présentation. Le candidat doit soigner l’écriture et la présentation. Il doit ainsi aménager son temps pour veiller au respect de ces contraintes.
Au-delà de ces exigences de gestion du temps et de soin apporté à la copie, les autres préconisations méritent d’être affinées en fonction des compétences de chaque étudiant.
La méthodologie proposée va permettre au candidat de comprendre les étapes essentielles à la rédaction de la note de synthèse. Toutefois, les qualités et axes de progression ne sont pas les mêmes pour chacun. Il est donc indispensable avant toute chose de s’auto-
évaluer.
Avant de débuter, essayez de vous auto-évaluer en répondant notamment aux questions suivantes :
– Est-ce que je lis vite ? Une lenteur de lecture peut être compensée par de l’entraînement à la lecture et, lors de la composition, par une phase de rédaction écourtée.
– Est-ce que j’écris vite ? Une lenteur d’écriture doit être tempérée par une lecture plus rapide.
– Ai-je l’esprit de synthèse ? Si la capacité à identifier et à dégager les idées essentielles d’un document n’est pas accessible facilement pour le candidat, seuls l’entraînement et la lecture de corrigés pourront compenser cette carence.
– Mon expression est-elle claire ? Pour développer la clarté de l’expression, du style et la maîtrise de la syntaxe, il est conseillé de lire tout type de supports en privilégiant la littérature classique, moins par élitisme que par réalisme d’ailleurs : la langue des juristes emprunte
plus à l’acuité des descriptions de Balzac qu’aux grands succès de la pop française.
– Ai-je une écriture soignée et lisible ? Pour éviter que le correcteur ne se heurte à une lecture impossible ou difficile du devoir, un effort particulier doit être porté à la présentation et à l’écriture. Un retour à l’enfance et aux pages d’écriture peut apparaître étrange mais
demeure pourtant le seul moyen efficace de rectifier une écriture devenue illisible par l’effet du temps et la contrainte des prises de notes en faculté.
Chaque candidat doit pouvoir ainsi s’évaluer, déterminer ses axes de progression et s’assigner des objectifs afin de renforcer ses compétences.
CHAPITRE 5

La correction de la note de synthèse


Vous êtes-vous déjà demandé comment se corrige une note de synthèse ? Soyez certains que les correcteurs occasionnels de l’épreuve se sont fréquemment posés la question. Il n’est pas inutile que nous réfléchissions un instant sur ce point. En effet, comprendre les
attentes du correcteur permet au candidat de progresser. Durant plusieurs années, nous avons corrigé les épreuves de note de synthèse dans le cadre de la préparation aux épreuves d’entrée à l’école des avocats mais aussi comme membre de jury pour des concours
administratifs. Le bilan de ces corrections justifie un retour d’expérience.
D’abord, pour le correcteur de l’épreuve, une note de synthèse est une copie qui doit être : bien écrite, propre et agréable à lire. Ce conseil peut paraître superflu, pour autant, il faut être convaincu qu’avant d’être lue, une copie se regarde.
Le correcteur feuillette les pages, les survole, jette un œil au plan et se fait ainsi une première impression du devoir. Ce premier ressenti est déterminant pour le choix de la note finale.
Bien sûr, s’il n’existe pas de statistiques en la matière, soyez tout de même assurés que la première idée que le correcteur se fait de votre devoir correspond bien souvent, à un ou deux points près, à la note qui sera retenue après lecture complète de la copie. Il ne s’agit pas
d’imaginer que le correcteur ne prend pas le temps de vous lire, mais de bien comprendre que vous vous adressez à des experts de la note de synthèse, dont le regard aiguisé sait déceler en première lecture les maladresses qui vous coûteront cher.
L’étudiant doit donc absolument veiller en rendre un devoir intégralement rédigé, propre, aéré et bien écrit.
Si la copie doit être agréable à lire pour le correcteur, sa structure et l’articulation logique des idées doit également être comprise au premier coup d’œil. Pour cela, le plan doit être apparent et répondre, de la façon la plus précise possible, à l’intitulé du sujet.
Le candidat ne doit pas mésestimer le fait que chaque correcteur dispose de plusieurs dizaines de copies à corriger. La tâche est répétitive. L’attention peut parfois diminuer. Ainsi, pour optimiser ses chances, le candidat se doit d’opter pour une compréhension aisée de
son devoir : il est ainsi conseillé d’alléger son style et de recourir à des phrases simples. Les constructions grammaticales complexes sont à proscrire : le correcteur risque de se perdre dans la lecture d’une phrase trop longue ou absconse.
PARTIE II

Méthodologie de la note de synthèse


CHAPITRE 1

La méthodologie déduite des textes officiels


Un rappel du texte officiel est en tout premier lieu utile pour déterminer une méthodologie adaptée à l’épreuve.
L’arrêté du 17 octobre 2016 prévoit, pour les épreuves d’admissibilité, que le candidat devra satisfaire à « 1° Une note de synthèse, rédigée en cinq heures, à partir de documents relatifs aux aspects juridiques des problèmes sociaux, politiques, économiques ou culturels
du monde actuel. La note est affectée d’un coefficient 3 ».
Pour l’année 2021, la commission du Conseil national des Barreaux chargée de l’examen d’accès à la profession a précisé dans une publication de février 2021 les éléments suivants :
« Note de synthèse, rédigée en cinq heures, à partir de documents relatifs aux aspects juridiques des problèmes sociaux, politiques, économiques ou culturels du monde actuel » (article 5-1° de l’arrêté du 17 octobre 2016) :
Le dossier documentaire peut comprendre des documents divers (articles de doctrine, textes normatifs, arrêts, articles de presse, extraits d’ouvrages, cette énumération étant purement indicative). Le dossier ne devrait pas dépasser 20 documents et 30 pages, sans que
ces limites soient impératives.
L’épreuve est destinée à apprécier, notamment, les capacités de synthèse du candidat : la limite de quatre pages ne doit pas être dépassée.
La qualité rédactionnelle est prise en compte (les déficiences orthographiques et syntaxiques, les impropriétés de termes, l’inélégance de style, les obstacles divers à la lisibilité du texte sont sanctionnés).
Un plan apparent (avec des titres concis), dont la structuration est laissée à la libre appréciation du candidat, s’il n’est pas obligatoire, est recommandé.
La note de synthèse doit consister en une synthèse objective des éléments du dossier documentaire, et seules les informations contenues dans le dossier peuvent être utilisées. La référence au numéro du document peut s’avérer nécessaire à la bonne compréhension de
la synthèse et est recommandée.
Une brève introduction est recommandée. Une conclusion n’est pas nécessaire ».
CHAPITRE 2

La méthodologie proposée
Les grandes étapes que nous allons détailler sont des indications méthodologiques qui vont servir de socle à la construction de votre propre méthode.

I. La phase préalable à la lecture du dossier


 15 minutes

A. La lecture préalable du sujet (5 minutes)


L’étudiant peut être tenté en début d’épreuve, au vu du temps contraint, de lire d’emblée l’ensemble du dossier.
Nous déconseillons cette façon d’aborder l’épreuve. En effet, tout comme l’avocat qui prend connaissance du contenu d’un dossier, l’étudiant doit avant tout savoir ce qu’il y recherche. Il doit donc opter pour une réflexion préalable sur le sujet suivie d’une lecture
orientée des documents en fonction des seuls termes du sujet. Ainsi, nous conseillons de lire et de réfléchir aux termes mêmes du sujet afin d’en déterminer le sens et la portée.
Pour vous convaincre de l’intérêt de la phase ci-dessus, vous pouvez reprendre d’anciens dossiers de note de synthèse. Abstenez-vous de lire le sujet et parcourez les documents. Vous verrez que plusieurs intitulés de sujet sont possibles pour chaque dossier de note de
synthèse et que, en fonction de cet intitulé, le contenu à restituer s’avère bien différent. Le sujet de la note de synthèse est le phare que vous ne devez jamais quitter des yeux au risque de vous perdre dans la masse des documents proposés.
Le meilleur sujet de note de synthèse est sans doute celui pour lequel on ne dispose d’aucune connaissance personnelle. En effet, la note de synthèse est un exercice de restitution objective d’éléments contenus dans un dossier. Cette objectivité exclut toute référence à
des connaissances personnelles.
La lecture du sujet doit également conduire le candidat à éviter tout contresens ou dévoiement du sujet. Ainsi, vous ne devez prendre prétexte d’un dossier pour réaliser une dissertation sur un thème voisin que vous maîtrisez davantage.
Une attention pourra être portée aux articulations logiques éventuellement contenues dans le sujet. Les conjonctions « et », « ou », « mais » font naître une articulation logique au sein d’un sujet et la problématique découle alors naturellement de cette mise en perspective
des termes.
Cette phase indispensable peut toutefois ne durer que 05 minutes. Pour autant, ce temps est indicatif car la réflexion entamée se poursuivra en réalité tout au long de la lecture du dossier et de la rédaction de la note.

B. La lecture du sommaire des documents (5 minutes)


Une fois le sujet compris, la lecture des documents doit être encore différée.
En effet, la lecture du sommaire de la note de synthèse va souvent permettre au candidat d’identifier une problématique et de comprendre comment l’examinateur a conçu son dossier.
Une attention particulière doit alors être portée quant à plusieurs caractéristiques des documents :
– Le titre d’un document peut en résumer le contenu : dans cette hypothèse, la lecture se trouve simplifiée car le candidat sait immédiatement ce que le document comporte.
– La nature du document peut être révélée dans le sommaire : selon la nature du document, le candidat peut, selon sa propre méthodologie, décider de le lire en priorité un document ou d’en reporter la lecture. Ainsi, certains préfèrent d’abord lire les articles de presse car ils
vulgarisent souvent les termes du sujet. D’autres étudiants préfèrent lire les articles de doctrine car, même s’ils sont plus techniques et difficiles à assimiler, ils peuvent contenir tous les aspects utiles à la compréhension du sujet.
– La date du document : dans certains cas, il peut être utile de vérifier la date des documents. En effet, de nombreux sujets retracent une évolution qui s’inscrit dans le temps. Tel est notamment le cas de l’évolution d’un phénomène social ou jurisprudentiel. L’attention portée
à la date des documents permet de les regrouper par période pour en comprendre la portée et les inscrire dans un plan chronologique.
– L’objectivité du document : l’origine même du document doit interroger le candidat. En effet, une tribune, manifestation d’une opinion, n’aura pas la valeur objective d’un texte de loi. De fait, la restitution du contenu du document devra être accompagnée de précautions : le
fait allégué ne sera en aucun cas présenté comme un fait avéré.
Cette phase peut également être fixée à 05 minutes.

C. Le survol de l’entier dossier (5 minutes)


Il s’agit d’une phase essentielle pour pouvoir apprécier l’étendue de la tâche à accomplir : s’agit-il d’un dossier volumineux long à lire ou composé de documents dont le sens est facilement accessible ?
S’agit-il d’un dossier d’une grande technicité, nécessitant un grand temps de lecture ?
Le survol du dossier va permettre de relever, avant même la lecture des documents, certains mots ou idées essentiels : y a-t-il des idées qui émergent déjà ? Une articulation logique entre les idées peut-elle être identifiée ?
Cette étape va en outre permettre de classer chacun des documents, d’un seul coup d’œil, dans une catégorie :
– Document à forte valeur technique (nécessitant un grand temps de lecture mais susceptible de contenir des articulations logiques à reprendre pour l’élaboration de la note de synthèse).
– Document illustratif (même long ne présentant pas un intérêt majeur, mais permettant d’illustrer une idée voire d’illustrer le sujet en introduction).
– Document de contextualisation du sujet (utile en introduction).
– Document de définition des termes du sujet (définition simple et utile pour l’introduction ou définition complexe à intégrer dans le corps de la note).
Afin d’identifier rapidement chaque document, il peut être utile de coller des marque-pages adhésifs, type post-it, avec le numéro du document, pour le retrouver rapidement.
Il peut être consacré par le candidat 05 minutes pour cette phase.

II. La phase de lecture du dossier


 1 heure 30 à 2 heures

A. La manière de lire le dossier


Comme nous l’avons vu, la lecture du sujet, celle du sommaire des documents et enfin le survol de l’entier dossier a permis au candidat de déterminer et de comprendre le sens et l’orientation à donner à son devoir.
Ce préalable peut également conduire l’étudiant à choisir un ordre de lecture pour les documents. Pour autant, rien ne s’oppose à une lecture chronologique des documents. Pour ceux qui font le choix d’une lecture priorisant certains documents, il n’existe pas de
préconisation d’un ordre de lecture. En effet, certains préfèrent débuter par la lecture de documents simples, tels que les articles de presse, alors que d’autres préfèrent commencer à lire les documents techniques qui présentent l’avantage de poser objectivement une
problématique juridique.
Quel que soit le choix de l’étudiant dans l’ordre de lecture des documents, il demeure conseillé de procéder à :

1. Une lecture orientée du dossier


Une lecture orientée : la lecture du dossier se fait en fonction de l’intitulé du sujet et non selon l’intérêt qu’a le candidat pour tel ou tel document. Il est indispensable de ne pas avoir d’a priori sur le sujet afin de pouvoir dégager un plan qui tienne compte des seuls
éléments du dossier et non de savoirs exogènes.

2. Une lecture ciblée du dossier


Le candidat doit savoir quelle information il recherche au cours de sa lecture. Cette réflexion préalable permet une lecture rapide des documents.
Ainsi le candidat va pouvoir au cours de sa lecture :
– Rechercher les mots-clefs contenus dans les documents : la lecture du dossier va permettre de dégager des mots ou expressions qui, par leur répétition ou leur pertinence particulière pour la compréhension du sujet, méritent d’être retenus. Ces termes essentiels devront être
repris dans la note de synthèse.
– Identifier une problématique au gré de la lecture : indépendamment de la question de la rédaction de la problématique, la recherche de celle-ci doit se faire tout au long de la lecture des documents. Il faut, dans le même temps, lire et réfléchir à la problématique qui découle
des documents. De fait, la problématique ne saurait résulter d’un seul document mais doit se retrouver dans plusieurs d’entre eux.

B. L’analyse des documents


L’analyse des documents doit se faire au fur et à mesure de la lecture du dossier et l’étudiant ne doit pas se perdre dans le détail. Certaines idées sont intéressantes mais apparaissent, au vu des termes du sujet, comme périphériques ou non essentielles à la note. Il faut dès
lors les occulter pour se concentrer sur la recherche des éléments indispensables à la compréhension du sujet. Voici quelques repères qui peuvent vous aider à identifier les idées essentielles :

1. Éviter le résumé ou commentaire de texte


L’analyse du document en note de synthèse n’est pas un résumé de texte. Toutes les idées du document n’intéressent en effet pas le sujet à traiter.
Dans un résumé de texte, chaque idée ou articulation d’un document doit être restituée. L’exercice est très différent pour la note de synthèse, puisque celle-ci vise à synthétiser les seules idées qui répondent à un sujet précis, les autres, étrangères à l’énoncé ou non
essentielles, doivent être tout simplement ignorées.
La note de synthèse n’est pas non plus une analyse subjective d’un dossier. Il y a ainsi lieu de proscrire toute analyse ou explication d’un document. Les seuls développements explicatifs admis sont ceux qui résulteraient de la reprise d’une analyse déjà contenue dans un
document. Ainsi, si plusieurs documents évoquent une même notion juridique, sans pour autant la définir, le candidat n’est pas autorisé à définir lui-même la notion. Il devra s’appuyer sur un document qui procède à cette analyse.

2. Synthétiser au fur et à mesure de la lecture


Il n’y a pas de méthode unique pour déterminer à la lecture d’un document les idées essentielles qu’il contient.
Certains candidats rédigent au brouillon toutes les idées qu’ils identifient. Cette technique est chronophage et sera déconseillée. Il vaut mieux en effet débuter le travail de synthèse dès la lecture des documents.
À cet effet, il peut être utile de recourir à un code couleur, en surlignant des parties du texte. Cette manière de faire peut être efficace et faire gagner du temps lors de l’étape ultérieure de rédaction. Encore faut-il être en mesure de ne pas surligner avec excès, le but n’étant
pas d’égayer le dossier mais d’identifier l’essentiel.
Mieux vaut alors, lors d’une première lecture d’un document, ne rien surligner et se contenter de souligner quelques passages au crayon. Dans un deuxième temps seulement, après avoir pris connaissance de l’ensemble du document, le surlignage pourra alors intervenir.
Cette technique présente l’avantage de contraindre l’étudiant à faire un premier effort de synthèse avant de déterminer les éléments à retenir. Il peut également être choisi plusieurs couleurs lors de la phase de surlignage : une pour les idées à dimension technique, une autre
pour les éléments d’illustration et enfin une pour les éléments de définition.

3. Les différents types de documents


Les documents qui se retrouvent dans une note de synthèse ont des origines diverses. Pour autant, en fonction de chaque type de document, quelques précisions méritent d’être apportées.
– L’article de presse : ce type de document est souvent simple d’accès. Il ne présente que peu de technicité et peut s’avérer utile notamment pour contextualiser ou illustrer le sujet par l’actualité. L’article de presse peut également aider à vulgariser une problématique. Le
candidat devra toutefois se montrer prudent avec les articles de presse. En effet, il n’est pas impossible que des éléments erronés ou approximatifs y soient contenus ou que l’article reflète la subjectivité de son auteur.
– Le texte de loi : ce type de document peut être long et difficile à lire. Ainsi, un extrait du journal officiel peut se révéler totalement incompréhensible du fait des renvois opérés à des dispositions modifiées. Sauf à ce que les articles de loi soient courts et simples, il est
déconseillé de lire ces documents en premier. Il est plus judicieux de vérifier si d’autres documents du dossier, tels que des circulaires ou des commentaires de doctrine, n’expliquent pas en des termes plus accessibles le contenu de la loi.
– Les décisions de jurisprudence : épreuve juridique, la note de synthèse peut contenir des décisions de justice, arrêts ou décisions, rendues par diverses juridictions nationales ou européennes. Le candidat devra savoir optimiser le temps de lecture de tels documents. En
effet, il est souvent inutile de lire les faits et la procédure. L’attention du candidat se portera plus efficacement sur les motifs de la décision. La lecture des faits peut toutefois exceptionnellement présenter un intérêt lorsque d’autres documents montrent que la dimension
factuelle ou procédurale d’une affaire présente un véritable intérêt.
Si l’étudiant ne comprend pas le sens ou la portée de la décision, il ne faut pas se risquer à une analyse personnelle, subjective et qui risque d’être fausse. Le candidat doit rechercher dans les autres documents un commentaire. À défaut, faute de comprendre la portée de la
décision, la restitution de celle-ci se limitera à une timide paraphrase, toujours moins risquée qu’un contresens. En corrigeant les copies, il nous est souvent arrivé de découvrir qu’un arrêt de la Cour de cassation marquait un formidable revirement de jurisprudence, alors
qu’en réalité… ce n’était pas du tout le cas.
– L’article de doctrine ou les extraits de manuel : ces documents peuvent se révéler particulièrement utiles à la compréhension du sujet et même permettre de dégager une problématique juridique. Toutefois, la complexité de ces textes, ou parfois leur exhaustivité, peut
entraver le travail de synthèse effectué par le candidat. Dans cette hypothèse, il est alors recommandé de lire le document en entier avant de tenter de le synthétiser. En effet, votre mémoire aura peut-être, mieux que vous, la capacité à ne retenir que ce qui est essentiel. Si ni
vous ni votre mémoire n’arrivez à relever d’idées essentielles, alors il faudra de nouveau lire le texte, voire le survoler jusqu’à ce qu’une idée s’en dégage.
Par ailleurs, la lecture des autres documents du dossier qui, faisant référence à des idées communes, pourra démontrer que certains développements sont essentiels à la compréhension du sujet. C’est l’une des astuces que nous avons déjà vues : lorsque plusieurs
documents font allusion à un même mécanisme ou à des concepts identiques, alors ces éléments doivent impérativement être repris dans votre note de synthèse.
– Les chiffres ou données statistiques : les documents contenant des chiffres ou données statistiques sont assez rares. Toutefois, si vous y êtes confrontés, tentez de trouver des documents expliquant ces chiffres et à défaut contentez-vous d’une restitution brute,
dépourvue de toute analyse. Si vous commentez les données chiffrées, vous prenez le risque de la subjectivité.

III. La recherche d’une problématique


 de 5 à 10 minutes

Si la problématique n’a pas à être formalisée de façon aussi précise que dans une dissertation, son existence demeure toutefois essentielle à créer la dynamique du devoir.
Le lecteur doit comprendre le sens de votre note de synthèse.
Ainsi, il n’y a pas à proprement parler de phase de recherche de problématique, dès lors que cette question doit occuper l’esprit du candidat tout au long de la lecture des documents.
La problématique ne sera en définitive que le bilan de la lecture orientée du dossier. Les documents contiennent, au regard du sujet, une problématique. C’est donc de la lecture du dossier que vont émerger plusieurs idées qui constituent les articulations logiques entre les
idées principales des documents. Ainsi, la problématique peut parfois correspondre à une opposition d’idées, généralement de type principe/exception, ou aussi reposer sur une association d’idées, généralement chronologique, tel est le cas d’une évolution jurisprudentielle
d’un phénomène.
De fait, la problématique ne doit jamais être formulée en des termes complexes. Il faut qu’elle soit exprimée très simplement.
Se pose souvent la question de la formulation de la problématique.
En premier lieu, si rien n’interdit de rédiger la problématique sous forme interrogative, nous déconseillons cette formulation. En effet, la note de synthèse se veut objective. Dès lors, le candidat ne doit avoir recours à aucune ponctuation interrogative ou exclamative. Le
candidat se doit, dans un style neutre, d’apporter des éléments et non des interrogations.
L’autre question habituellement posée est de savoir s’il faut rédiger une problématique en plus de l’annonce de plan ou si ces deux phases peuvent être réunies. Nous vous conseillons d’inclure la problématique dans la phrase d’annonce de plan. En effet, détacher la
problématique de l’annonce de plan conduira souvent l’étudiant à des redites.
Cette étape d’élaboration de la problématique peut prendre 5 à 10 minutes.

IV. L’élaboration d’un plan


 20 minutes

L’élaboration du plan est une étape essentielle de la note de synthèse. Elle est souvent difficile pour le candidat, notamment lorsque celui-ci a identifié trop d’idées qui lui paraissent essentielles ou qu’il ne parvient pas à articuler logiquement les éléments retenus entre eux.
Pour autant, sans plan efficace, la note de synthèse n’a que peu de chances d’être réussie.
Le plan bien choisi doit permettre une distribution équitable entre les idées et donc entre les parties et sous-parties. Un bon plan garantit l’équilibre entre ces différentes parties.

A. Le choix d’articulations logiques simples


Le choix du plan doit être guidé par des articulations logiques simples et facilement accessibles pour le lecteur.
Ainsi, en un coup d’œil, le correcteur doit comprendre si les deux idées principales sont unies par un lien d’opposition ou de complémentarité, ou encore si les deux parties s’enchaînent par l’effet d’un lien chronologique.

B. Le recours à des plans classiques


Aucune innovation particulière n’est conseillée pour le choix du type de plan et le recours aux plans classiques, de type « principe-exception », « principe-limites » ou « état antérieur-état actuel », est recommandé.
Un type de plan peut s’avérer efficace : constat du phénomène/solution ou action en réponse.
Si ces plans classiques sont conseillés quant à l’articulation des idées, en revanche, le candidat est invité à soigner tout particulièrement les intitulés de plan.

C. Le choix des intitulés de plan


Une note de synthèse doit pouvoir se comprendre à la seule lecture des intitulés du plan. Aussi, ceux-ci se doivent d’être simples et suffisamment précis pour correspondre exactement à la problématique du sujet. Une astuce est de reprendre dans les intitulés des titres les
termes de l’énoncé.
Cette reprise des termes du sujet dans les intitulés des titres donnera, à tort ou à raison, l’impression au correcteur que le plan correspond précisément au sujet. En effet, les intitulés de plan doivent correspondre exclusivement à la note de synthèse et ne pas avoir une
dimension générale qui s’appliquerait à tout sujet.
On préférera le titre « l’indépendance de la justice affirmée par la constitution » à « le principe d’indépendance ».
Dans le cadre d’un titre, une seule idée doit être contenue. Un titre qui contiendrait plusieurs idées traduirait le fait que l’étudiant n’a pas su organiser ses idées suivant un plan binaire et a artificiellement aggloméré des idées qu’il ne savait ordonner.

D. La manière de formuler les intitulés


Si la pratique n’est pas formellement interdite, nous déconseillerons tout de même l’usage de verbes conjugués dans les titres. En effet, l’usage de verbes conjugués est susceptible de conduire à « déproblématiser » l’idée contenue dans la partie.
Dans un titre, les noms mentionnés doivent être précédés d’un article défini. Par exemple, on choisira comme titre « La liberté religieuse confrontée à la liberté d’expression », plutôt que « Liberté religieuse et liberté d’expression ».

V. La phase de rédaction
 1 heure 45 à 2 heures

Cette phase est fonction de la rapidité d’écriture du candidat. Il vaut mieux s’aménager un long temps de rédaction, car au fur et à mesure de celle-ci, le candidat va pouvoir mûrir son approche du sujet et éclaircir son expression. Idéalement, il faut pouvoir disposer
d’environ deux heures.

A. L’introduction
L’introduction d’une note de synthèse se distingue de celle d’une dissertation. L’introduction doit être très courte et ne pas dépasser trois ou quatre phrases. L’idée est de présenter le sujet, sur la base des documents, et, le cas échéant de le contextualiser, voire d’en
définir les termes.
Il est, dans certains cas, possible de partir d’un constat chiffré ou d’un fait d’actualité pour contextualiser le sujet. Si cela est possible, parce que l’un des documents le permet, il faut ensuite définir les termes du sujet. Enfin, il y a lieu de procéder à l’annonce de plan,
laquelle contient la problématique.
Si le candidat se rend compte que les idées choisies en introduction nécessitent de trop longs développements, au vu de la densité des données, c’est que le choix n’est pas pertinent et que ces idées doivent plutôt être intégrées dans le corps du devoir.

B. Le corps du devoir
Il y a lieu de rappeler encore une fois que la réussite de la note de synthèse est conditionnée à sa présentation. La note de synthèse se veut un outil pratique pour qu’un lecteur saisisse en un coup d’œil l’ensemble du contenu d’un dossier. De fait, la présentation doit être
soignée et l’écriture impeccable : un devoir mal présenté traduit une confusion des idées.
Il est conseillé au candidat de formuler des phrases courtes et simples car elles favorisent la compréhension des idées par le lecteur.
Nous déconseillons vivement l’emploi du passé simple car bien souvent, le recours à ce temps désuet et sophistiqué va générer d’insolubles problèmes de concordance des temps. La simplicité est un gage de réussite de l’exercice. Il est ainsi recommandé d’utiliser le passé
composé et le présent, voire si cela est nécessaire l’imparfait.
Lorsqu’il compose, l’étudiant doit garder à l’esprit certains « mots-clefs » qu’il a identifiés comme étant présents dans plusieurs documents et qui paraissent de fait être indispensables. L’emploi de ces mots ou expressions essentiels est attendu par le correcteur et il faut
être vigilant afin de ne pas omettre de les restituer dans le devoir.

C. Rien que l’essentiel


Limité par le temps et par le nombre de pages, le candidat ne dispose que d’une faible marge de manœuvre. De fait, il doit limiter sa composition à ce qui est indispensable.
L’étudiant doit garder à l’esprit, tout au long de sa composition, qu’il transmet au lecteur les éléments essentiels à la compréhension du sujet. Il faut imaginer que l’on s’adresse à un ignorant de la question et qu’en lisant le devoir ce dernier doit comprendre la
problématique, disposer des notions essentielles et savoir ou rechercher des approfondissements.
Il s’en déduit que, hormis pour citer les numéros de documents, le candidat n’utilise jamais de parenthèse : soit l’idée est essentielle et on la développe, soit elle est superflue et l’on s’en dispense.
De la même manière, le candidat ne doit pas citer d’exemples. La formule « par exemple » est à proscrire. À tout le moins, il peut être possible, si cela se justifie, de faire état d’une illustration au propos.
Le candidat doit également veiller à utiliser et à citer tous les documents dans son devoir : c’est le défi qui lui est lancé. Le recours aux parenthèses pour citer les numéros des documents est essentiel, le correcteur n’ayant pas vocation à connaître par cœur chaque
document de la note.
Il est déconseillé, sauf exceptions justifiées par un cas particulier, de citer plus de deux documents par parenthèse. En effet, l’abondance de documents cités à la suite d’un développement peut traduire l’approche superficielle de ceux-ci.
Afin d’assurer la fluidité du devoir, le candidat doit veiller à ce que les idées soient bien liées entre elles par des transitions qui garantissent le bon enchaînement des idées.

VI. La phase de relecture


 5 à 10 minutes

L’épreuve de note de synthèse est une épreuve contre la montre, pour autant, ne négligez jamais la relecture.
En effet, c’est au cours de cette ultime phase que vous pourrez remarquer qu’il manque un verbe ou un mot dans une phrase essentielle. Vous pourrez aussi corriger quelques fautes d’orthographe et ainsi éviter le courroux du correcteur.
Pour relire votre devoir et détecter les fautes, une méthode simple consiste à s’attacher tout particulièrement aux verbes. Pointez chaque verbe et recherchez le sujet qui lui est associé et le temps de conjugaison. Vous éviterez ainsi un nombre important de fautes.
Vous êtes maintenant prêts pour composer.
PARTIE III

Sujets corrigés
SUJET N° 1

Les immunités en droit


(Sujet du CRFPA septembre 2021)
SUJET N° 1 | Dossier documentaire

• Liste des documents


• Document 1 : Article 311-12 du Code pénal.
• Document 2 : Extraits (sans notes de bas de page) de la note de Monsieur Dirk Baugard sous la décision du Conseil d’État du 15 décembre 2010, Gaz. Pal., 2 février 2011, p. 12.
• Document 3 : Arrêt rendu en Assemblée plénière par la Cour de cassation, 14 décembre 2001, 00-82.066.
• Document 4 : Extraits (sans notes de bas de page) des observations de Monsieur François Mélin sous l’arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation rendu le 3 février 2021 (n° 19-10669), Dalloz Actualité, 2 mars 2021.
• Document 5 : Extraits (sans notes de bas de page) du fascicule « Privilèges et immunités de l’Union européenne » du Répertoire Dalloz de droit européen, rédigé par Madame Isabelle Pinge.
• Document 6 : Arrêt rendu par la chambre sociale de la Cour de cassation le 27 novembre 2019, n° 18-13.790.
• Document 7 : Extraits (sans notes de bas de page) de l’article de Madame Brigitte Stern, Pinochet face à la justice, Études 2001/1 (Tome 394), pages 7 à 18.
• Document 8 : Extraits de l’arrêt rendu par la chambre criminelle de la Cour de cassation le 26 février 2020 (n° 19-81.561).
• Document 9 : Extraits (sans notes de bas de page) de l’article de Monsieur Fabien Bottini, « Chef de l’État, ministres, parlementaires : et si l’immunité était levée ? », Journal The conversation, 26 janvier 2021.
• Document 10 : Compte-rendu de la décision du Tribunal de l’Union européenne, en date du 12 février 2020, aff. T-248/19, Bilde c/ Parlement, par Monsieur Vincent Bassani, Europe n° 4, avril 2020, comm. 114.
• Document 11 : Compte-rendu de l’arrêt rendu par la chambre criminelle de la Cour de cassation le 8 avril 2010 (n° 09-88675), LexisNexis, 18 nov. 2015.
• Document 12 : Extraits (sans notes de bas de page) de l’article de Madame Agnès Cerf-Hollender, « L’évolution du champ des immunités familiales en matière pénale », LPA 8 sept. 2017, n° 129k3, p. 56.
• Document 13 : Extraits de l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme, Al-Adsani c. Royaume-Uni, 21 novembre 2001.
• Document 14 : Extraits de l’ouvrage de MM. Malaurie, Aynès et Stoffel-Munck, Droit des obligations, 11e éd., 2020, n° 105.
• Document 15 : Compte-rendu de l’arrêt de la chambre criminelle du 19 décembre 2012 (n° 12-81043) par Madame Catherine Berlaud, Gaz. Pal. 24 janv. 2013, n° 114w2.
• Document 16 : Extraits de l’article « Le Conseil constitutionnel retoque le texte sur la protection des sources des journalistes », Journal Le Point, 10 novembre 2016.
• Document 17 : Extraits du fascicule « Responsabilité pénale en cascade dans la presse écrite et l’édition » par Monsieur Jérôme Bossan, J.-Cl. Communication.
• Document 18 : Extraits (sans notes de bas de page) du fascicule « Immunités » du Répertoire Dalloz de droit international, rédigé par Madame Catherine Kessedjian.
• Document 19 : Article 67 de la Constitution française.
• Document 20 : Extraits (sans notes de bas de page) du fascicule « Terrorisme – Poursuites et indemnisation – Procédure interne » du Répertoire Dalloz de droit pénal, rédigé par Monsieur Yves Mayaud.
• Document 21 : Extraits (sans notes de bas de page) de l’article de Madame Gaëlle Deharo-Dalbignat, « Délicatesse et modération : l’immunité de robe ne couvre pas les propos tenus par l’avocat hors de l’audience », Gaz. Pal. 17 avr. 2012, p. 20.
• Document 22 : Extraits de l’article « Agressions sexuelles présumées : le Vatican lève l’immunité de son représentant en France », Journal Le Monde, 8 juillet 2019.
• Document 23 : Extraits de la tribune de Monsieur Emmanuel Dockès « Pendant la grève, la sanction illicite des actes illicites », Journal Libération, 4 février 2020.

Document 1. Article 311-12 du Code pénal

Ne peut donner lieu à des poursuites pénales le vol commis par une personne :
1° Au préjudice de son ascendant ou de son descendant ;
2° Au préjudice de son conjoint, sauf lorsque les époux sont séparés de corps ou autorisés à résider séparément.
Le présent article n’est pas applicable :
a) Lorsque le vol porte sur des objets ou des documents indispensables à la vie quotidienne de la victime, tels que des documents d’identité, relatifs au titre de séjour ou de résidence d’un étranger, ou des moyens de paiement ou de télécommunication ;
b) Lorsque l’auteur des faits est le tuteur, le curateur, le mandataire spécial désigné dans le cadre d’une sauvegarde de justice, la personne habilitée dans le cadre d’une habilitation familiale ou le mandataire exécutant un mandat de protection future de la victime.

Document 2. Extraits (sans notes de bas de page) de la note de Monsieur Dirk Baugard sous la décision du Conseil d’État du 15 décembre 2010, Gaz. Pal., 2 février 2011, p. 12

L’arrêt commenté, rendu le 15 décembre 2010 par le Conseil d’État, présente un intérêt certain : confirmant une évolution jurisprudentielle récente de la haute juridiction administrative qui la conduit à adopter, comme la Cour de cassation, une analyse restrictive des faits
pouvant justifier un licenciement disciplinaire, il fait apparaître une divergence sérieuse entre les deux juridictions régulatrices s’agissant des conséquences qui peuvent être tirées du fait qu’un salarié, recruté pour assurer des fonctions de chauffeur, a conduit en état
d’ébriété hors du temps de travail et s’est vu suspendre en conséquence son permis de conduire.
Les faits de l’espèce peuvent être simplement résumés. Un salarié de la société Onyx Est, engagé en qualité de conducteur de benne à ordures ménagères, fit l’objet, hors du temps de travail et à l’occasion de la conduite d’un véhicule personnel, d’un contrôle d’alcoolémie
positif ayant entraîné une suspension de son permis de conduire à titre administratif pour une période de quatre mois. Après avoir sollicité de son salarié des explications sur cet événement, l’employeur enclencha une procédure de licenciement et saisit l’inspection du travail
d’une demande d’autorisation de licenciement, le salarié étant un salarié protégé. L’inspection du travail refusa d’autoriser le licenciement, mais sur recours hiérarchique, le ministre de l’Équipement, des Transports, du Logement, du Tourisme et de la Mer annula la décision de
refus et autorisa le licenciement du salarié. Le salarié déféra alors cette décision à la censure du tribunal administratif compétent, qui en prononça l’annulation. Sur appel de l’employeur, la cour administrative d’appel de Nancy, annula ce jugement. C’est cette décision qui fut
soumise à l’examen du Conseil d’État qui l’annule dans le présent arrêt. […]
L’arrêt vient confirmer une conception stricte, assez récente pour le Conseil d’État, des agissements et comportements d’un salarié protégé devant s’analyser comme une faute et pouvant, si celle-ci est suffisamment grave, justifier l’autorisation de licencier pour faute. Le
Conseil d’État a en effet longtemps jugé qu’un fait, bien qu’étranger aux relations de travail, pouvait néanmoins caractériser une faute du salarié. Cette analyse avait des conséquences notables lorsque la demande d’autorisation de licenciement pour faute reposait sur des
faits attachés à l’exercice d’un mandat de représentation du personnel. Dans un tel cas, en effet, le Conseil d’État se plaçait sur le terrain de la faute disciplinaire : les comportements du salarié ne pouvant se rattacher à « l’exécution normale » du mandat étaient susceptibles
de caractériser une faute suffisamment grave justifiant la délivrance de l’autorisation administrative de licencier, pour reprendre les termes mêmes du fameux arrêt Safer d’Auvergne.
Le maintien de cette jurisprudence était certainement rendu difficile au regard des précisions jurisprudentielles apportées par la Cour de cassation s’agissant du pouvoir disciplinaire de l’employeur. Celle-ci a en effet progressivement établi la spécificité, au sein des
licenciements pour motif personnel, du licenciement pour motif disciplinaire, qui ne peut être justifié que s’il repose sur une faute – réelle et sérieuse – du salarié. Aussi la définition du fait fautif a-t-elle pris une importance particulière, la Cour régulatrice précisant « qu’un fait
fautif ne peut s’entendre que d’un fait du salarié contraire à ses obligations à l’égard de l’employeur ». Sans violation par le salarié « ordinaire » de ses obligations, le licenciement disciplinaire prononcé à son encontre est donc nécessairement privé de cause réelle et
sérieuse. […]
Coexistaient ainsi des conceptions différentes par la Cour de cassation et le Conseil d’État des faits susceptibles de légitimer un licenciement disciplinaire : alors qu’un fait non fautif ne pouvait jamais, pour la première, fonder un tel licenciement, il pouvait, selon le second,
justifier l’octroi une demande d’autorisation de licenciement pour motif disciplinaire. […]
Cette immunité disciplinaire pour un fait étranger à l’exécution du contrat de travail est explicitement affirmée dans l’arrêt commenté : « l’agissement du salarié intervenu en dehors de l’exécution de son contrat de travail ne peut motiver un licenciement pour faute ».

Document 3. Arrêt rendu en Assemblée plénière par la Cour de cassation, 14 décembre 2001, 00-82.066

LA COUR,
Sur le moyen unique :
Attendu, selon l’arrêt attaqué (Paris, 1er mars 2000), que M. X…, comptable salarié de la société Virydis, a été définitivement condamné des chefs de faux, usage de faux et escroqueries, pour avoir fait obtenir frauduleusement à cette société des subventions destinées à
financer de faux contrats de qualification ; que, statuant à son égard sur les intérêts civils, l’arrêt l’a condamné à payer des dommages-intérêts aux parties civiles ;
Attendu que M. X… fait grief à l’arrêt d’avoir ainsi statué, alors, selon le moyen, que ne saurait engager sa responsabilité à l’égard des tiers le préposé qui a agi sans excéder les limites de la mission qui lui avait été assignée par son commettant, de sorte que la cour
d’appel, qui a ainsi condamné M. X… à indemniser les parties civiles du préjudice qu’elles avaient subi à raison d’infractions pour lesquelles sa responsabilité pénale avait été retenue sans aucunement rechercher, nonobstant les conclusions dont elle était saisie, si ces
infractions ne résultaient pas uniquement de l’exécution des instructions qu’il avait reçues et s’inscrivaient par conséquent dans la mission qui lui était impartie par son employeur, la société Virydis, seule bénéficiaire desdites infractions, n’a pas légalement justifié sa
décision au regard du principe précité ;
Mais attendu que le préposé condamné pénalement pour avoir intentionnellement commis, fût-ce sur l’ordre du commettant, une infraction ayant porté préjudice à un tiers, engage sa responsabilité civile à l’égard de celui-ci ; que dès lors, en statuant comme elle l’a fait, la
cour d’appel a légalement justifié sa décision ;
Par ces motifs : REJETTE le pourvoi.

Document 4. Extraits (sans notes de bas de page) des observations deMonsieur François Mélin sous l’arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation rendu le 3 février 2021 (n° 19-10669), Dalloz Actualité, 2 mars 2021

L’arrêt de la première chambre civile du 3 février 2021 porte sur un nouveau volet de l’affaire Commisimpex, relative à l’immunité de juridiction des missions diplomatiques étrangères.
Pour l’apprécier, il est utile de le mettre en perspective face à de précédents arrêts concernant les mêmes parties. Rappelons néanmoins dès à présent que le litige s’est développé à la suite du prononcé de deux sentences arbitrales au cours des années 2000 et 2013, qui ont
condamné la République du Congo à payer diverses sommes à la société Commisimpex, la République du Congo s’étant par la suite prévalue de l’immunité que lui assure le droit international public.
1° Le contexte juridique
Rompant avec la solution adoptée par un arrêt du 28 septembre 2011, un arrêt du 13 mai 2015 a énoncé que « le droit international coutumier n’exige pas une renonciation autre qu’expresse à l’immunité d’exécution », alors qu’il était précédemment acquis que la
renonciation devait être à la fois expresse et spéciale.
Un arrêt du 10 janvier 2018 a toutefois opéré un revirement de jurisprudence, en retenant que la validité de la renonciation par un État étranger à son immunité d’exécution est subordonnée à la double condition que cette renonciation soit expresse et spéciale, cet arrêt
ayant été rendu postérieurement à l’adoption de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016, dite « Sapin II », qui a introduit, dans le Code des procédures civiles d’exécution, les articles L. 111-1-1 et suivants, relatifs aux mesures d’exécution forcée sur les biens des États
étrangers.
Un arrêt du 2 octobre 2019 a dit qu’il n’y avait pas lieu de transmettre au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité, concernant l’interprétation donnée par cet arrêt du 10 janvier 2018 à l’article L.111-1-3.
2° L’affaire jugée le 3 février 2021
La première chambre civile a par ailleurs été saisie d’un autre aspect de l’affaire, qui a donné lieu au prononcé de l’arrêt du 3 février 2021.
La société Commisimpex a fait pratiquer une saisie-attribution de différents comptes ouverts auprès d’une banque au nom de la mission diplomatique à Paris de la République du Congo. Cette dernière a alors invoqué son immunité d’exécution et a contesté la validité des
mesures, en faisant valoir qu’elle n’avait pas renoncé spécialement et expressément à son immunité.
La cour d’appel a retenu, dans ce cadre, que la mainlevée devait être ordonnée. Le pourvoi, particulièrement étoffé, dirigé contre sa décision est rejeté.
La première chambre civile rappelle tout d’abord, en prenant soin de se référer à sa jurisprudence, que « selon le droit international coutumier, les missions diplomatiques des États étrangers bénéficient, pour le fonctionnement de la représentation de l’État accréditaire,
d’une immunité d’exécution à laquelle il ne peut être renoncé que de façon expresse et spéciale ».
Elle ajoute que « cette immunité s’étend, notamment, aux fonds déposés sur les comptes bancaires des missions diplomatiques, lesquels sont présumés être affectés aux besoins de la mission de souveraineté de l’État accréditaire » et que « cette présomption, justifiée par
la nécessité de préserver cette mission à l’exercice de laquelle participent les représentations diplomatiques, cède devant la preuve contraire qui, pouvant être rapportée par tous moyens, n’est pas rendue impossible aux créanciers ». Cette formule s’inscrit dans la continuité
de l’arrêt du 28 septembre 2011, qui avait approuvé une cour d’appel d’avoir retenu que les comptes bancaires d’une ambassade sont présumés être affectés à l’accomplissement des fonctions de la mission diplomatique, de sorte qu’il appartient au créancier qui entend les
saisir de rapporter la preuve que ces biens seraient utilisés pour une activité privée ou commerciale. […]

Document 5. Extraits (sans notes de bas de page) du fascicule « Privilèges et immunités de l’Union européenne » du Répertoire Dalloz de droit européen, rédigé par Madame Isabelle Pingel

1. Toutes les organisations internationales bénéficient de privilèges et immunités. Les uns comme les autres sont visés, en droit de l’Union européenne, par une disposition particulièrement cursive du traité, l’article 343 TFUE. Ce dernier se contente d’énoncer que
« l’Union jouit sur le territoire des États membres des privilèges et immunités nécessaires à l’accomplissement de sa mission. Il en est de même de la Banque centrale européenne et de la Banque européenne d’investissement ». […]
3. De facture classique, sans que cela exclue certaines particularités, le protocole n° 7 contient des dispositions qui rappellent celles des conventions du 13 février 1946 sur les privilèges et immunités des Nations unies. Palliatifs à l’absence de territoire, elles visent en
particulier à garantir l’indépendance de l’organisation et la continuité de son action. Selon la distinction désormais classique entre leurs titulaires et leurs bénéficiaires, les privilèges et immunités de l’Union européenne concernent soit l’organisation elle-même, soit les
personnes qui concourent à son fonctionnement.
4. Les privilèges et immunités reconnus à l’Union européenne ont pour fonction de la protéger des pressions qui pourraient être exercées contre elle par les États membres et, parfois, non membres. Ils sont détaillés par deux séries de dispositions, qui s’appliquent, pour les
plus nombreuses, sur le territoire des États membres, pour les autres, dans ses relations avec les États tiers. […]
7. On distinguera classiquement ici immunité de juridiction et immunité d’exécution.

A – L’immunité de juridiction
8. Le protocole n° 7, source majeure du droit de l’Union en matière de privilèges et immunités, ne contient aucune disposition sur l’immunité de juridiction de l’organisation. La matière est donc réglée par le seul article 274 du TFUE qui précise que les litiges auxquels
l’Union est partie ne sont pas soustraits « de ce fait » à la compétence des juridictions nationales. La position est a priori remarquable. À quelques exceptions près en effet qui ne prévoit aucune immunité de juridiction au profit de cet office, toutes les organisations
internationales revendiquent, y compris en justice, le bénéfice d’une telle immunité. En réalité, l’option retenue par l’Union européenne est moins originale qu’il y paraît.
9. L’article 274 TFUE spécifie en effet qu’il ne s’applique que « sous réserve des compétences attribuées à la Cour de justice ». La précision est importante, car le traité investit la Cour du pouvoir de connaître de la presque totalité des contentieux soulevés par l’activité de
l’Union, qu’il s’agisse de légalité (V. TFUE, art. 263 à 266), de responsabilité non contractuelle (V. TFUE, art. 268 et 340) ou même contractuelle, si les parties en sont convenues ainsi par clause compromissoire (V. TFUE, art. 272). De même, la Cour est compétente pour
connaître des litiges concernant les fonctionnaires et agents de l’Union, à l’exception toutefois des agents recrutés localement (V. TFUE, art. 270 et art. 122 du statut des autres agents). La compétence des tribunaux nationaux est donc vouée à demeurer marginale : elle est
limitée, pour l’essentiel, aux litiges en matière de responsabilité contractuelle, et seulement à condition que le contrat n’en dispose pas autrement (ce qui sera rare) et ait été conclu par l’Union ou pour son compte. […]

B – L’immunité d’exécution
11. Comme en matière de juridiction, le protocole n° 7 est original s’agissant de l’immunité d’exécution. Cette dernière ne revêt pas, en effet, à la différence par exemple de celle de l’Organisation des Nations unies (ONU), une portée absolue. Le texte se contente de prévoir
que « les biens et avoirs de l’Union ne peuvent faire l’objet d’aucune mesure de contrainte administrative ou judiciaire sans une autorisation de la Cour de justice ».
12. Comme la jurisprudence l’a très tôt souligné, une mesure de contrainte s’entend ici de toute celle qui vise à imposer « à la Communauté l’exécution d’une décision modifiant sa situation juridique ».
Comme l’a également précisé la jurisprudence, l’autorisation prévue à l’article 1er du protocole n’est exigée qu’en vue de préserver l’existence des privilèges et immunités de l’Union : le « pouvoir protecteur » de la Cour se limite donc à l’examen de la question de savoir si la
mesure en cause est susceptible « d’apporter des entraves au bon fonctionnement et à l’indépendance » de l’organisation. Il en résulte que le contrôle de la Cour ne se substitue pas, le cas échéant, au contrôle effectué par la juridiction nationale, seule compétente pour
déterminer si toutes les conditions de la mesure de saisie sont « effectivement remplies ». De plus, l’autorisation de saisie n’est requise que si l’institution concernée s’oppose à la mesure de contrainte. […]
13. […] la Cour de justice retient une interprétation très stricte de l’article 1er du protocole. Elle admet certes qu’une mesure de contrainte peut être autorisée lorsqu’elle ne risque pas d’entraver le fonctionnement de l’Union.

Document 6. Arrêt rendu par la chambre sociale de la Cour de cassation le 27 novembre 2019, n° 18-13.790

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Paris, 24 janvier 2015), que Mme K… B…, engagée par la République du Ghana, en son ambassade, à Paris, en qualité de secrétaire bilingue, à compter du 1er août 2005, a été licenciée pour faute grave, par lettre du 24 avril 2009, après avoir été
mise à pied ;
Sur les premiers et deuxième moyens réunis du pourvoi principal :
Attendu que la République du Ghana fait grief à l’arrêt d’écarter l’immunité de juridiction invoquée et de la condamner à payer à la salariée une indemnité de préavis, des congés payés sur préavis, une indemnité de licenciement et des dommages-intérêts pour licenciement
sans cause réelle et sérieuse, alors, selon le moyen : […]
3°/ que, aux termes de l’article 11, § 2, de la Convention des Nations unies sur l’immunité juridictionnelle des États et de leurs biens, telle qu’adoptée le 2 décembre 2004, et invocable devant les juridictions françaises comme consacrant à tout le moins une règle coutumière
du droit international public, l’immunité de juridiction s’oppose à ce que l’agent d’un État étranger saisisse le juge d’un autre État si l’action, concernant son licenciement risque, selon l’avis du ministre des affaires étrangères, d’interférer avec les intérêts de l’État en matière
de sécurité ; qu’en l’espèce, se prévalant de l’article 11, § 2, de la Convention du 2 décembre 2004, la République du Ghana produisait une attestation émanant de son ministre des affaires étrangères constatant que la procédure engagée par l’agent en l’espèce interférait avec
les intérêts de l’État de la République du Ghana en matière de sécurité ; que l’attestation du ministère des affaires étrangères de la République du Ghana était produite ; qu’en se reconnaissant le pouvoir de statuer sur les demandes de Mme B…, dans ces conditions, les juges
du fond ont violé la règle coutumière consacrée par l’article 11, § 2, de la Convention des Nations unies sur l’immunité juridictionnelle des États et de leurs bien du 2 décembre 2004 ; […]
Mais attendu qu’il résulte du droit international coutumier, tel que reflété par l’article 11, § 2, d, de la Convention des Nations unies, du 2 décembre 2004, sur l’immunité juridictionnelle des États et de leurs biens, et de l’article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des
droits de l’homme et des libertés fondamentales, que l’avis du chef de l’État, du chef du gouvernement ou du ministre des Affaires étrangères de l’État employeur, selon lequel l’action judiciaire ayant pour objet un licenciement ou la résiliation du contrat d’un employé risque
d’interférer avec les intérêts de cet État en matière de sécurité, ne dispense pas la juridiction saisie de déterminer l’existence d’un tel risque ;
Et attendu que, ayant retenu que la salariée était chargée de l’organisation des activités sociales de l’ambassadeur, de la mise à jour hebdomadaire de son agenda, de ses appels entrants et sortants, de servir des rafraîchissements aux visiteurs de l’ambassadeur et le
déjeuner de celui-ci, de l’affranchissement et de l’expédition du courrier, de préparer et de saisir toutes les correspondances non-confidentielles en langue française et de faire les réservations de vols et d’hôtels pour l’ambassadeur et ainsi fait ressortir qu’un tel risque n’était
pas établi, la cour d’appel a exactement décidé, sans être tenue de s’expliquer sur les éléments de preuve qu’elle a décidé d’écarter, que le principe de l’immunité de juridiction ne s’appliquait pas ;
D’où il suit que les moyens ne sont pas fondés ;

Document 7. Extraits (sans notes de bas de page) de l’article de Madame Brigitte Stern, Pinochet face à la justice, Études 2001/1 (Tome 394), pages 7 à 18

Qui aurait pensé, il y a trois ans, avant son arrestation en Grande-Bretagne, que Pinochet aurait un jour à répondre de ses actes devant la justice ? C’est pourtant ce qui est aujourd’hui possible, juridiquement et politiquement, même si l’inexorable écoulement du temps
risque encore de faire que ce procès ne reste virtuel. L’avancée majeure est cependant déjà là : un ancien dictateur n’est plus à l’abri derrière ses immunités, l’impunité ne lui est plus garantie.
Comment en est-on arrivé là ? L’arrestation du général Pinochet par la police britannique, le 16 octobre 1998, a créé une situation internationale d’une extrême complexité, suscitant chez les uns des inquiétudes politiques, chez d’autres un immense espoir. Inquiétudes pour
certains, dans la mesure où ce précédent peut faire tache d’huile. Mais d’autres s’en réjouiront, voyant enfin le règne du droit l’emporter sur les considérations de géopolitique, où la morale ne trouve guère son compte. […]
Dans un premier temps, saisies de mandats d’arrêt internationaux par le juge espagnol, les autorités britanniques arrêtèrent le Général. Celui-ci fit appel en soulevant l’incompétence du juge espagnol et l’existence d’une immunité en tant qu’ancien chef d’État, qui le mettait
à l’abri de toute poursuite. Dans un deuxième temps, le 28 octobre 1998, la Haute Cour de Londres a reconnu son immunité et ordonné sa libération. Mais, dans un troisième temps, cet arrêt a été renversé par une décision de la Chambre des Lords du 25 novembre 1998, puis
après que celle-ci fut écartée parce qu’il n’était pas certain qu’un des juges membre d’Amnesty International fût suffisamment impartial, par une nouvelle décision dans le même sens, du 24 mars 1999.
Le principal problème était en fait soulevé par l’immunité diplomatique, sur la portée de laquelle les juges se sont divisés : celle-ci accorde une immunité totale au chef d’État lorsqu’il est en fonction et, en outre, continue à lui accorder une immunité lorsqu’il n’est plus en
fonction, mais pour les seuls « actes commis dans l’exercice de ses fonctions ».
Dès la première décision, se sont opposées deux lectures de cette disposition. Une lecture textuelle étroite — celle de Lord Slynn of Hadley et de Lord Lloyd of Berwick — considérait que n’importe quel acte qui n’est pas un acte privé, commis matériellement pendant
qu’un chef d’État est en fonction, quelle que soit sa nature, même particulièrement révoltante, est un acte relevant des fonctions du chef de l’État et donc non susceptible de donner lieu à une responsabilité pénale ; il est pourtant révélateur que, malgré l’analyse qu’il a
retenue, Lord Slynn of Hadley n’ait pu s’empêcher de faire remarquer que, « bien sûr, il est étrange de considérer le meurtre ou la torture comme des actes “officiels” ou comme s’inscrivant dans les “fonctions publiques” d’un chef d’État ». Étrange, en effet… Précisément,
selon une autre lecture, téléologique, prenant en considération la finalité de la règle, certains actes ne devaient jamais pouvoir être considérés comme entrant dans les fonctions d’un chef d’État : des crimes contre l’humanité, des actes de torture, des actes de génocide contre
ses propres sujets ou contre des étrangers ne relèvent pas des « fonctions » d’un chef d’État, qui, au contraire, doit protéger ses citoyens et les étrangers qui se trouvent sur son territoire. L’absurdité de la lecture littérale a été mise en évidence par Lord Steyn, dans son
opinion du 25 novembre 1998 : menée à son terme logique, elle implique que lorsque Hitler a ordonné que soit mise en œuvre la « solution finale », il bénéficiait d’une immunité parce qu’il agissait dans l’exercice de ses fonctions de chef de l’État allemand.
C’est l’interprétation finaliste qui a été adoptée à nouveau dans la décision du 24 mars 1999 par six juges sur sept : elle dessine les nouveaux contours de ce qui est aujourd’hui « acceptable » de la part d’un chef d’État. Certes, tous les actes illégaux commis par un chef
d’État ne justifieront pas que soit écartée l’immunité, mais il y a une ligne rouge à ne pas franchir, et les décisions de la Chambre des Lords ont le mérite de la rendre visible.

Document 8. Extraits de l’arrêt rendu par la chambre criminelle de la Cour de cassation le 26 février 2020 (n° 19-81.561)

[…]
Vu les articles L.622-4, 3 du CESEDA et 593 du Code de procédure pénale :
7. Il résulte du premier de ces textes, dans sa version issue de la loi n° 2018-778 du 10 septembre 2018, qu’est accordé le bénéfice de l’immunité pénale à toute personne physique ou morale ayant apporté une aide à la circulation ou au séjour irrégulier d’un étranger lorsque
l’acte reproché, ne donnant lieu à aucune contrepartie directe ou indirecte, a consisté à fournir une aide apportée dans un but exclusivement humanitaire.
8. Selon le second, tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision. L’insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.
9. Pour dire que le prévenu ne pouvait bénéficier des dispositions de l’article L.622-4,3°, du CESEDA, et le déclarer coupable des faits poursuivis, l’arrêt relève que si la démarche de M. F. n’a donné lieu à aucune contrepartie et visait à assurer le gîte et le couvert à ses
passagers, sa propre audition, celles de sa mère et des migrants font apparaître que le prévenu n’avait pas connaissance de l’éventuelle situation de détresse de ces derniers.
10. Les juges ajoutent que les déclarations du prévenu, selon lesquelles il aurait agi uniquement à titre personnel et non pour le compte d’une association d’aide aux migrants, sont démenties par ses autres réponses apportées aux gendarmes et par les données de
l’enquête dès lors qu’il a précisé appartenir à cette association, dont les juges retiennent qu’il est de notoriété publique qu’elle apporte aide et assistance à des personnes étrangères en situation irrégulière, et connaître son responsable.
11. Ils en concluent que l’exemption pénale des dispositions de l’article L.622-4, 3°, dont M. F. se prévaut, sans que soient remises en cause l’absence de contrepartie directe ou indirecte ainsi que la motivation du prévenu d’agir selon sa conscience et ses valeurs, n’est
pas établie, dès lors que la prise en charge de plusieurs personnes étrangères, en situation irrégulière, par le prévenu à la gare de Fontan/Saorge à bord du véhicule de sa mère avec la volonté de les transporter chez M. H. n’a pas été réalisée dans un but uniquement
humanitaire.
12. Ils retiennent en effet que les actes de M. F., dépourvus de toute spontanéité et constitutifs d’une intervention sur commande sans connaissance de l’éventuelle situation de détresse des migrants, qu’il savait avoir pénétré illégalement en France, se sont inscrits, de
manière générale, dans le cadre d’une démarche d’action militante en vue de soustraire sciemment des personnes étrangères aux contrôles mis en œuvre par les autorités pour appliquer les dispositions légales relatives à l’immigration.
13. En se déterminant ainsi, la cour d’appel a méconnu les textes visés au moyen.
14. En premier lieu, la situation de détresse des migrants n’est pas un élément visé par l’article L.622-4 3°, du CESEDA.
15. En deuxième lieu, il ne résulte nullement de ces dispositions légales que la protection dont bénéficient les auteurs d’actes accomplis dans un but exclusivement humanitaire soit limitée aux actions purement individuelles et personnelles et qu’en soit exclue une action
non spontanée et militante exercée au sein d’une association.
16. En troisième lieu, si l’aide apportée aux fins de soustraire sciemment des personnes étrangères aux contrôles mis en œuvre par les autorités pour appliquer les dispositions légales relatives à l’immigration peut constituer un but excluant son auteur du bénéfice de
l’exemption prévue par l’article L.622-4 3° du CESEDA, la cour d’appel, qui s’est abstenue de caractériser un tel mobile, ne pouvait se contenter de procéder par voie d’affirmation.
17. La cassation est par conséquent encourue.

Document 9. Extraits (sans notes de bas de page) de l’article de Monsieur Fabien Bottini, « Chef de l’État, ministres, parlementaires : et si l’immunité était levée ? », Journal The conversation, 26 janvier 2021

Trouver le bon équilibre entre protection pénale et continuité des fonctions


À la suite de l’explosion des scandales politico-financiers, trois révisions constitutionnelles sont intervenues dans les années 1990, pour tenter de trouver un meilleur équilibre entre la soumission des intéressés à la loi pénale commune et la protection nécessaire à la
continuité de leurs fonctions.
Depuis le vote des lois constitutionnelles n° 93-952 du 27 juillet 1993, n° 95-880 du 4 août 1995 et n° 2007-238 du 23 février 2007, les poursuites contre les parlementaires sont libres en cas de flagrant délit – même si elles restent subordonnées à une autorisation du bureau
de leur chambre dans le cas contraire et si leur assemblée peut dans tous les cas exiger la suspension des poursuites ou des mesures coercitives dont ils font l’objet (art. 26 C.)
Le chef de l’État peut, quant à lui, être destitué par le parlement réunit en Haute cour – sorte de tribunal habilité à le priver de son mandat politique – « en cas de manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat », de façon à faciliter sa
mise en cause pénale par la suite – ce qui n’est encore jamais arrivé (art. 67 et 68 C.).
Enfin, les membres du gouvernement sont justiciables des tribunaux ordinaires pour les faits détachables de leurs fonctions ministérielles. Ceux qui y sont rattachables ne peuvent être jugés que par une Cour de justice de la République (CJR) elle-même essentiellement
constituée de députés ou de sénateurs, même après la fin de leurs fonctions (art. 68-1 et 68-2 C.). […]

Une immunité à double tranchant


Principe démocratique, séparation des pouvoirs… les arguments théoriques invoqués à l’appui du maintien de ces immunités sont certes sérieux.
Mais, sous couvert de respecter les idéaux de la démocratie libérale, leur mise en œuvre pratique les méconnaît : en ignorant que la démocratie postule en toute circonstance le respect de la volonté générale ; et le libéralisme l’obligation de chacun d’assumer
personnellement la responsabilité de ses actes – surtout lorsqu’il s’agit d’infractions à la loi pénale.
Sans nier le particularisme de la situation des décideurs publics, il convient donc de s’interroger sur la subsistance de solutions dérogatoires formulées à une autre époque au moment où, sous l’influence de l’article 6§1 de la Convention européenne des droits de l’homme,
tout prévenu a désormais droit à ce que sa cause soit entendue par un tribunal indépendant et impartial.
Car cela implique que chacun puisse bénéficier de la présomption d’innocence en l’absence de condamnation définitive et que des juges professionnels recrutés par concours, pour leurs compétences, sur une base méritocratique, instruisent objectivement l’affaire, sans
parti pris, à charge ET à décharge, pour assurer la pleine, entière et effective application de la loi pénale, « soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse » (art. 6 de la DDHC). […]

Une réforme parait indispensable


On l’aura compris : depuis le tournant des années 1990 le maintien même d’une justice politique conduisant à laisser aux membres du parlement le soin d’autoriser les poursuites visant les représentants de la Nation (qu’il s’agisse de leurs pairs ou du chef de l’État) ou
carrément de juger les ministres fait débat.
C’est pourquoi en 2012 la Commission Jospin avait proposé de renforcer la compétence des tribunaux correctionnels ou des cours d’assises à l’égard des décideurs constitutionnels pour mettre un terme au soupçon permanent que nourrit cette justice d’exception.
Sans doute conviendrait-il de confier à une commission de magistrats expérimentés issus des juridictions judiciaires le soin de filtrer les plaintes pour écarter les poursuites abusives ou infondées à leur encontre et à d’autres magistrats pénalistes tout aussi expérimentés le
soin de les juger.
Peut-être faudrait-il même instaurer un référendum révocatoire permettant à un dixième des électeurs de proposer la destitution d’un ministre ou du chef de l’État dans des cas graves, pour faciliter l’exercice des poursuites les visant en cas de paralysie des chambres,
comme cela se fait aux États-Unis ?
Il est à tout le moins souhaitable que le débat puisse s’engager dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice tant les réformes menées dans les années 1990 ont fait la preuve de leurs limites.

Document 10. Compte-rendu de la décision du Tribunal de l’Union européenne, en date du 12 février 2020, aff. T-248/19, Bilde c/ Parlement, par Monsieur Vincent Bassani, Europe n° 4, Avril 2020, comm. 114

Le Tribunal de l’Union européenne s’est prononcée sur la validité de la décision P8_TA (2019)0137 du Parlement, du 12 mars 2019, de lever l’immunité parlementaire de Mme Bilde, ressortissante française députée au Parlement européen depuis 2014. Cette décision a pour
origine la procédure de recouvrement initiée par le Parlement européen afin de récupérer les frais d’assistance parlementaire au motif qu’il n’avait pas été établi que l’activité de l’assistant parlementaire était effectivement, directement et exclusivement liée à son mandat. La
décision de recouvrir lesdits frais a été validée par la Cour de justice (CJUE, ord., 6 sept. 2018, aff. C-67/18 P, Bilde c/ Parlement). Cependant, les autorités françaises ont ouvert une procédure pénale à l’égard de la parlementaire européenne. C’est dans ce cadre qu’il a été
demandé au Parlement européen de lever l’immunité parlementaire de l’intéressée. Par la décision du 12 mars 2019, le Parlement européen a levé ladite immunité. L’intéressée a alors formé un recours en annulation.
Par son premier moyen, la requérante arguait que le Parlement avait dénaturé les faits en ayant dissimulé le remboursement de l’intégralité des frais d’assistance parlementaire litigieux, intérêts de retard compris, et que le Parlement n’avait pas effectué le contrôle nécessaire
sur le but de la demande de levée d’immunité, contrôle qui l’aurait conduit à considérer la demande comme abusive. Le Tribunal de l’Union reconnaît que la décision litigieuse ne mentionne pas ledit remboursement. Pour autant, il indique que la requérante n’établit pas
l’incidence de ce remboursement sur la demande de levée d’immunité effectuée dans le cadre de la procédure nationale. Or, le remboursement a eu lieu dans le cadre de la procédure de recouvrement en vertu de l’article 68, § 1 des mesures d’application du statut des députés,
laquelle tend à la répétition de l’indu, alors que la procédure pénale nationale vise à établir si une infraction, au sens du droit pénal français, a été commise. Par conséquent, le Tribunal estime que les faits n’ont pas été dénaturés et que le contrôle n’était pas insuffisant. De
plus, n’est pas établi par la requérante en quoi la procédure pénale nationale « révélerait une volonté de nuire à son activité politique » (pt 31). Il en découle que le Parlement n’a pas commis d’erreur dans l’examen de l’éventualité d’un fumus persecutionis.
Dans son deuxième moyen, la requérante estimait qu’en ayant choisi de recourir à la procédure de recouvrement conformément à l’article 68 des mesures d’application du statut des députés, le Parlement ne pouvait pas, en vertu des adages electa una via et ne bis in idem,
poursuivre les mêmes fins à travers la procédure pénale française. S’agissant du principe electa una via, le Tribunal estime « que rien ne permet de considérer que [ce principe] s’applique dans l’ordre juridique de l’Union aux actions entreprises par les institutions de
l’Union » (pt 39) et qu’à supposer que tel était le cas, celui-ci ne serait pas applicable car la procédure de recouvrement déployée sur le fondement de l’article 68 est une « procédure interne de nature purement administrative et non une procédure de nature civile devant une
juridiction » (pt 40). Concernant le principe ne bis in idem, qui, lui, fait partie des principes généraux du droit de l’Union européenne, le Tribunal indique que ce principe prohibe que plus d’une sanction soit adoptée à l’égard d’une même personne pour la protection d’un
même bien juridique (V., en ce sens, CJCE, 7 janv. 2004, aff. jtes C-204/00 P, C-205/00 P, C-211/00 P, C-213/00 P, C-217/00 P et C-219/00 P, Aalborg Portland et a. : Europe 2004, comm. 83, obs. L. Idot). En l’espèce, le Tribunal estime que la décision de lever l’immunité de la
requérante n’est pas une sanction, à l’instar de la procédure de recouvrement suivie par le Parlement européen. Le principe ne bis in idem n’est donc pas applicable. En conclusion, le recours est rejeté.
Document 11. Compte-rendu de l’arrêt rendu par la chambre criminelle de la Cour de cassation le 8 avril 2010 (n° 09-88675), LexisNexis, 18 nov. 2015

Jurisprudence – Agents diplomatiques et consulaires – Immunité diplomatique, Conditions – Cour de cassation chambre criminelle, 8 avr. 2010, n° 09-88675
L’article 38, 1 de la Convention de Vienne du 18 avril 1961, qui n’accorde aux ressortissants de l’État accréditaire l’immunité de juridiction et l’inviolabilité que pour les actes officiels accomplis dans l’exercice de leurs fonctions, est applicable à un ressortissant français
accrédité auprès de l’Unesco pour le compte de la République d’Angola et les faits reprochés à ce dernier, déclaré coupable de fraude fiscale, abus de confiance, trafic d’influence aggravé et commerce illicite d’armes et de munitions, étant sans lien avec l’exercice de ses
fonctions, il ne bénéficie ni de l’immunité ni de l’inviolabilité diplomatiques.

Document 12. Extraits (sans notes de bas de page) de l’article de Madame Agnès Cerf-Hollender, L’évolution du champ des immunités familiales en matière pénale, LPA 8 sept. 2017, n° 129k3, p. 56

L’attitude du droit pénal vis-à-vis de la famille et plus spécialement de la solidarité familiale est aujourd’hui multiforme, voire ambiguë, oscillant entre répression et exclusion. D’un côté, sont incriminés divers manquements aux devoirs familiaux, on pense notamment aux
délits d’abandon de famille et de non-représentation d’enfant qui sanctionnent les membres de la famille cherchant à se soustraire à leurs obligations. De l’autre, à l’inverse, le lien de parenté ou d’alliance est parfois pris en compte pour exclure l’application du droit pénal, par
le biais des immunités familiales. Ces immunités sont anciennes. On en trouve trace dès le droit romain. Elles ont persisté jusqu’à aujourd’hui, et sont généralement présentées comme se divisant en deux grandes catégories : les immunités d’ordre patrimonial et les immunités
d’ordre moral. Les premières concernent certaines infractions contre les biens et sont conçues comme des causes d’irrecevabilité de l’action publique, soit comme des règles de forme, quoique soumises à la rétroactivité in mitius. Ainsi, ne peuvent donner lieu à des
poursuites pénales, le vol, l’extorsion, le chantage, l’escroquerie, l’abus de confiance, dès lors que le délit est commis au préjudice de certains membres de sa famille. Ces immunités d’ordre patrimonial sont diversement justifiées. Certains auteurs les ont, par le passé,
expliquées par une idée de propriété familiale : le bien soustrait n’appartient pas à autrui, mais à la famille. Il est plus unanimement admis aujourd’hui que cette immunité repose sur des raisons sociales : il s’agit de protéger l’honneur de la famille, qui se trouverait affecté si de
telles affaires étaient rendues publiques, ainsi que la paix des familles. Les secondes immunités sont considérées comme des causes d’irresponsabilité, soit des règles de fond. Ces immunités reposent sur un devoir de solidarité, d’assistance, qui se manifeste lorsqu’un
membre de la famille se trouve confronté à la justice pénale parce qu’il a commis une infraction. Sont concernées des infractions qualifiées d’entraves à la saisine ou à l’exercice de la justice pénale par le Code pénal : la non-dénonciation de crime aux autorités judiciaires ou
administratives, le recel de criminel ou de terroriste, l’omission de témoigner en faveur d’un innocent. À l’époque où existait encore le service militaire obligatoire, une immunité familiale était aussi prévue pour le délit de recel d’insoumis. En 1996, a été instaurée une immunité
pour le délit dit de « solidarité » de l’article L.622-1 du CESEDA, délit qui consiste à apporter une aide directe ou indirecte, ou à faciliter l’entrée, la circulation ou le séjour irréguliers d’un étranger en France. Curieusement, l’article L.622-4 du CESEDA pose une cause
d’irrecevabilité de l’action publique, comme les immunités d’ordre patrimonial, alors que les autres immunités familiales d’ordre moral sont conçues comme des causes d’irresponsabilité. Au-delà du droit, l’irresponsabilité pénale a ici un fondement éthique : la loi ne peut pas
exiger la délation entre membres de la famille, par exemple, imposer à une mère de dénoncer son enfant.
En quelques décennies, la famille a profondément évolué. L’égalité des filiations a été consacrée en droit civil, mais sur ce point, le droit pénal avait été précurseur, les diverses immunités ne distinguant pas, et cela dès le Code pénal de 1810, selon le type de filiation. Par
ailleurs, de nouvelles formes de vie conjugale ont vu le jour, tels le pacte civil de solidarité ou le mariage homosexuel. En outre, le respect mutuel entre membres de la famille et la protection des personnes sont devenus primordiaux. Il est apparu que la solidarité familiale ne
peut pas tout permettre, et que l’immunité doit parfois s’effacer, pour protéger la victime, ou plus largement l’intérêt général. Pour tenir compte de tout cela, le droit pénal des immunités familiales, tant patrimoniales (I) que morales (II) a évolué.

I – L’évolution du champ des immunités familiales d’ordre patrimonial


L’évolution du champ des immunités d’ordre patrimonial s’est faite dans le sens d’un rétrécissement du nombre de ses bénéficiaires, pour se recentrer sur la famille-foyer (A), et d’une exclusion dans certains cas, pour garantir la nécessaire protection de la victime contre le
caractère choquant de l’impunité que peut parfois engendrer l’immunité (B).

A – La limitation des bénéficiaires des immunités familiales


L’article 380 du Code pénal de 1810 posait trois catégories de bénéficiaires de l’immunité familiale en matière de vol. La première concernait les époux entre eux, ainsi que les veufs ou veuves quant aux choses ayant appartenu à l’époux décédé. La deuxième s’appliquait aux
vols entre descendants et ascendants. Enfin, la loi visait aussi les vols entre alliés au même degré, à condition que la soustraction soit commise pendant le mariage et en dehors d’une période durant laquelle les époux étaient autorisés à vivre séparément. La jurisprudence
interprétait strictement la liste des bénéficiaires de l’immunité, excluant notamment les concubins et les anciens époux après le divorce. En revanche, alors que le texte ne visait que le vol, les juges avaient étendu l’immunité à d’autres infractions contre les biens, telles que
l’escroquerie, l’abus de confiance, l’extorsion, le chantage et même le recel.
Le Code pénal de 1992 a profondément remanié le droit des immunités familiales, qui trouvent désormais leur siège dans le nouvel article 311-12 du Code pénal visant le vol. […]
Même si l’on se trouve dans une situation où l’immunité familiale pourrait s’appliquer, la loi a progressivement prévu des hypothèses dans lesquelles elle est expressément écartée, afin de protéger l’individu contre sa famille.

B – L’exclusion des immunités afin de protéger la personne contre sa famille


C’est avec une loi de circonstance du 23 décembre 1942 qu’apparaît pour la première fois l’idée de protection de la personne contre sa famille, dans le désir d’éviter une impunité choquante liée au jeu de l’immunité familiale. Cette loi, qui n’a jamais été abrogée, écarte
l’immunité lorsque la soustraction a été commise pendant que le conjoint (seule l’immunité entre époux est visée) était retenu loin de son pays par circonstance de guerre. Il s’agissait de protéger celui qui était appelé sous les drapeaux, le prisonnier de guerre ou le déporté.
Toutefois, les poursuites ne peuvent être exercées que sur plainte de la victime. Ainsi, seul le pardon de la victime, qui a pu être proposé comme fondement de l’immunité, peut permettre au conjoint d’échapper aux poursuites pénales.
Ensuite, la loi n° 2006-399 du 4 avril 2006, renforçant la prévention et la répression des violences au sein du couple ou commises contre les mineurs a expressément exclu du champ de l’immunité le vol portant « sur des objets ou documents indispensables à la vie
quotidienne de la victime, tels que des documents d’identité, relatifs au titre de séjour ou de résidence d’un étranger, ou des moyens de paiement ». L’exclusion s’applique aussi à l’extorsion, au chantage, à l’abus de confiance et à l’escroquerie, en raison du renvoi à
l’article 311-12 du Code pénal. Selon les travaux parlementaires, cette disposition avait pour finalité de répondre aux situations dans lesquelles un conjoint violent privait son épouse des moyens indispensables à la vie quotidienne, pour l’empêcher de le quitter. Que peut faire
en effet une femme battue sans documents d’identité ou moyens de subsistance ? La situation est encore plus délicate lorsque la victime est de nationalité étrangère, car, privée de ses titres de séjour, elle se retrouve en situation irrégulière. De nouveau, on retrouve le désir
de protéger la personne contre la famille. La lettre du texte, qui ne se réfère pas expressément aux bénéficiaires de l’immunité, mais seulement à l’objet de l’infraction, a permis à la jurisprudence d’exclure l’immunité bien au-delà de l’esprit de la loi et des violences faites aux
femmes. Ainsi, égalité des sexes oblige, l’immunité est écartée lorsque l’épouse escroque son mari par utilisation de sa carte bancaire peu de temps avant de quitter le domicile conjugal. De même, l’exclusion de l’immunité peut concerner les infractions entre ascendant et
descendant. […]
Les immunités d’ordre patrimonial ne sont pas les seules à avoir évolué avec le temps. Les immunités d’ordre moral ont elles aussi fait l’objet de profonds remaniements.

II – L’évolution du champ des immunités familiales d’ordre moral


L’évolution des immunités d’ordre moral s’est faite tout autant dans le sens d’une extension (A), pour tenir compte du lien matrimonial, du concubinage et du pacs, que d’une exclusion (B), ici encore afin de protéger les personnes faibles, mais aussi l’ordre public et
l’intérêt général.

A – L’extension des immunités familiales aux couples non mariés


Parce que la famille s’est recentrée sur le couple, le législateur a étendu les immunités familiales prévues pour les entraves à la saisine ou l’exercice de la justice (la non-dénonciation de crime, le recel de criminel ou de terroriste, l’omission de témoigner en faveur d’un
innocent), ainsi que pour le délit de solidarité du CESEDA, aux concubins et aux partenaires pacsés. Toutefois, l’assimilation n’est pas totale, ce qui peut être regretté.
En ce qui concerne les entraves à la saisine ou à l’exercice de la justice, l’ancien Code pénal faisait bénéficier de l’immunité « les parents ou alliés du criminel jusqu’au quatrième degré inclusivement » de l’auteur ou du complice, ce qui incluait les oncles, tantes, et cousins
germains, tant pour le recel de criminel, que pour la non-dénonciation de crime ou le défaut de témoignage en faveur d’un innocent. La jurisprudence, interprétant les textes strictement, excluait toute autre personne, notamment le concubin ou la concubine.
Le Code pénal de 1992 a remanié le champ des immunités, à l’identique pour les trois délits. Désormais, en bénéficient « les parents en ligne directe et leurs conjoints, les frères et sœurs et leurs conjoints », « le conjoint » de l’auteur ou du complice du crime, ainsi que « la
personne qui vit notoirement en situation maritale avec lui ». Les oncles, tantes et cousins disparaissent, et la grande nouveauté est la prise en compte du concubinage, totalement assimilé au mariage. Compte tenu de la formule utilisée, la loi du 15 décembre 1999 ayant
introduit le pacte civil de solidarité en droit français n’a pas jugé utile de modifier les textes : la référence à une vie commune inclut nécessairement le pacs. On note toutefois que l’assimilation entre le mariage, le concubinage et le pacs n’est pas totale : pour les parents et les
frères et sœurs du délinquant, seul le lien matrimonial est encore pris en compte. […]
Cela étant, à l’instar de ce qu’il en est pour les immunités d’ordre patrimonial, l’immunité d’ordre moral est elle aussi parfois expressément écartée.

B – L’exclusion des immunités familiales pour protéger les plus faibles et l’intérêt général
L’exclusion du jeu des immunités familiales d’ordre moral se traduit par une primauté donnée par la loi à des valeurs supérieures à la solidarité familiale, qui s’efface devant la nécessaire protection des plus faibles, à savoir les mineurs et les personnes vulnérables, et de
l’ordre public.
La protection des plus faibles contre les immunités familiales se traduit aujourd’hui de deux manières : l’exclusion expresse de l’immunité familiale pour la non-dénonciation de crime commis sur un mineur, et l’existence d’un délit spécifique, non assorti d’immunité familiale.
Est ainsi instaurée une obligation de dénonciation, y compris entre membres de la famille, que seul le secret professionnel permet d’écarter.
Le premier texte à prendre en compte la protection des enfants fut la loi n° 54-411 du 13 avril 1954, qui avait exclu de l’immunité la non-dénonciation de crimes commis sur les mineurs de quinze ans. Il a ensuite fallu attendre la loi n° 2016-297 du 14 mars 2016 relative à la
protection de l’enfance pour que l’exclusion joue quel que soit l’âge du mineur. Cela étant, entre ces deux dates, le législateur avait imaginé un autre moyen, plus radical, pour obliger à dénoncer certains actes commis à l’encontre des enfants. La loi n° 71-446 du 15 juin 1971
avait institué un délit spécifique de non-dénonciation de sévices ou privations infligés à un mineur de 15 ans. L’intérêt de ce texte était double : d’une part, les actes concernés pouvaient être, selon les cas, soit criminels, soit correctionnels, d’autre part, aucune immunité
familiale n’était prévue : « le législateur a cherché à briser, ici, la conspiration du silence, qui entoure souvent les infractions dont sont victimes les mineurs ». Le Code pénal de 1992 a repris ce délit à l’article 434-3, en lui apportant deux améliorations notables. Tout d’abord, le
délit concerne désormais, outre les privations, les « mauvais traitements », ce qui est plus large que « les sévices » visés par l’ancien texte. Ensuite, le délit s’applique aussi à la non-dénonciation des mêmes faits commis à l’encontre d’une personne qui n’est pas en mesure de
se protéger en raison de son âge, d’une maladie, d’une infirmité, d’une déficience physique ou psychique ou d’un état de grossesse. Par la suite, la loi n° 98-468 du 17 juin 1998 a étendu le délit à la non-dénonciation d’atteintes sexuelles commises sur les mêmes victimes. Cela
étant, la jurisprudence considérait déjà à juste titre que les atteintes sexuelles sont une variante de mauvais traitements, et que sur ce point la loi n’était qu’interprétative. La dernière touche à cette protection des mineurs vient de la loi relative à la protection de l’enfant du
14 mars 2016, qui inclut la non-dénonciation d’agression sexuelle sur les mêmes personnes, et l’incrimine quel que soit l’âge du mineur. […]
Outre la protection des mineurs et des personnes vulnérables, c’est aussi l’ordre public et l’intérêt général qui justifient l’exclusion de certaines immunités familiales. Ainsi, depuis la loi n° 2006-911 du 24 juillet 2006 l’immunité prévue par l’article L.622-4 du CESEDA pour le
délit de solidarité ne s’applique plus « lorsque l’étranger bénéficiaire de l’aide au séjour irrégulier vit en état de polygamie ou lorsque cet étranger est le conjoint d’une personne polygame résidant en France avec le premier conjoint ». La monogamie est en effet une règle
d’ordre public. De plus, depuis la loi n° 2016-731 du 3 juin 2016 renforçant la lutte contre le crime organisé et le terrorisme, l’immunité familiale attachée à la non-dénonciation de crime ne joue plus si le crime concerné est une atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation ou
un acte de terrorisme. Il a été souligné que « l’immunité familiale n’a pas à être maintenue dans des cas aussi graves, les proches connaissant souvent de précieuses informations pouvant sauver des vies ». […]

Document 13. Extraits de l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme, Al-Adsani c. Royaume-Uni, 21 novembre 2001

52. Dans l’affaire Golder, la Cour a dit que les garanties procédurales énoncées à l’article 6 concernant l’équité, la publicité et la célérité seraient dépourvues de sens si le préalable à la jouissance de ces garanties, à savoir l’accès à un tribunal, n’était pas protégé. Elle l’a
établi comme élément inhérent aux garanties consacrées à l’article 6 en se référant aux principes de la prééminence du droit et de l’absence d’arbitraire qui sous-tendent la majeure partie de la Convention. L’article 6 § 1 garantit à chacun le droit à ce qu’un tribunal connaisse de
toute contestation relative à ses droits et obligations de caractère civil (arrêt Golder c. Royaume-Uni du 21 février 1975, série A n° 18, pp. 13-18, §§ 28-36).
53. Le droit d’accès aux tribunaux n’est toutefois pas absolu : il se prête à des limitations implicitement admises car il commande de par sa nature même une réglementation par l’État. Les États contractants jouissent en la matière d’une certaine marge d’appréciation. Il
appartient pourtant à la Cour de statuer en dernier ressort sur le respect des exigences de la Convention ; elle doit se convaincre que les limitations mises en œuvre ne restreignent pas l’accès offert à l’individu d’une manière ou à un point tels que le droit s’en trouve atteint
dans sa substance même. En outre, pareilles limitations ne se concilient avec l’article 6 § 1 que si elles tendent à un but légitime et s’il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé (Waite et Kennedy c. Allemagne [GC], n
° 26083/94, § 59, CEDH 1999-I).
54. La Cour doit d’abord rechercher si la limitation poursuivait un but légitime. Elle note à cet égard que l’immunité des États souverains est un concept de droit international, issu du principe par in parem non habet imperium, en vertu duquel un État ne peut être soumis à
la juridiction d’un autre État. La Cour estime que l’octroi de l’immunité souveraine à un État dans une procédure civile poursuit le but légitime d’observer le droit international afin de favoriser la courtoisie et les bonnes relations entre États grâce au respect de la souveraineté
d’un autre État.
55. La Cour doit déterminer ensuite si la restriction était proportionnée au but poursuivi. Elle rappelle que la Convention doit s’interpréter à la lumière des principes énoncés par la Convention de Vienne du 23 mai 1969 sur le droit des traités, qui dispose en son article 31 § 3
c) qu’il faut tenir compte de « toute règle de droit international applicable aux relations entre les parties ». La Convention, y compris son article 6, ne saurait s’interpréter dans le vide. La Cour ne doit pas perdre de vue le caractère spécifique de traité de garantie collective des
droits de l’homme que revêt la Convention et elle doit tenir compte des principes pertinents du droit international (voir, mutatis mutandis, l’arrêt Loizidou c. Turquie (fond) du 18 décembre 1996, Recueil 1996-VI, p. 2231, § 43). La Convention doit autant que faire se peut
s’interpréter de manière à se concilier avec les autres règles de droit international, dont elle fait partie intégrante, y compris celles relatives à l’octroi de l’immunité aux États.
56. On ne peut dès lors de façon générale considérer comme une restriction disproportionnée au droit d’accès à un tribunal tel que le consacre l’article 6 § 1 des mesures prises par une Haute Partie contractante qui reflètent des règles de droit international généralement
reconnues en matière d’immunité des États. De même que le droit d’accès à un tribunal est inhérent à la garantie d’un procès équitable accordée par cet article, de même certaines restrictions à l’accès doivent être tenues pour lui être inhérentes ; on en trouve un exemple dans
les limitations généralement admises par la communauté des nations comme relevant de la doctrine de l’immunité des États.

Document 14. Extraits de l’ouvrage de MM. Malaurie, Aynès et Stoffel-Munck, Droit des obligations, 11e éd., 2020, n° 105

105. Immunité du préposé. – Par un arrêt Costedoat, l’Assemblée plénière de la Cour de cassation a décidé que le préposé jouissait, malgré sa faute, d’une immunité dès lors qu’il était resté dans les limites de sa mission.
La jurisprudence ultérieure a limité la portée de ce principe nouveau. D’une part, en affirmant que cette immunité lui était personnelle et ne bénéficiait donc pas à son assureur de responsabilité. D’autre part, et surtout, en admettant que le préposé demeurait
personnellement responsable s’il avait eu l’intention de commettre une infraction, « fût-ce sur l’ordre du commettant ».
Si l’immunité du préposé cède, la victime a le choix : agir contre le commettant ou contre le préposé, ou contre les deux, car le préposé peut sortir des limites de sa mission sans pour autant commettre un abus de fonction. Si elle décide d’agir contre le commettant seul, celui-
ci pourra exercer un recours contre son préposé, soit par voie subrogatoire soit, exceptionnellement, à titre personnel. Si elle décide d’agir contre le seul préposé, celui-ci risque de supporter seul la totalité de la condamnation car il ne dispose d’aucun recours particulier en
contribution contre son commettant.
Quand le préposé est lui-même victime du dommage qu’il a causé, sa faute lui est opposable pour modérer voire exclure son indemnisation. Son immunité est sans effet à cet égard.

Document 15. Compte-rendu de l’arrêt de la chambre criminelle du 19 décembre 2012 (n° 12-81043) par Madame Catherine Berlaud, Gaz. Pal. 24 janv. 2013, n° 114-2

Une association porte plainte et se constitue partie civile, contre personne non dénommée, du chef de favoritisme, contestant la légalité d’une convention de prestation de services signée par le directeur de cabinet du Président de la République, cette plainte s’appuyant
sur le contenu d’un rapport public de la Cour des comptes relatif au contrôle des comptes et de la gestion de la présidence de la République.
Ne justifie pas sa décision la chambre de l’instruction qui réforme l’ordonnance du juge d’instruction écartant les réquisitions du procureur de la République tendant à l’irrecevabilité de toute poursuite des faits dénoncés en raison du statut pénal du chef de l’État, et dit
n’y avoir lieu à informer, alors que d’une part, aucune disposition constitutionnelle, légale ou conventionnelle ne prévoit l’immunité ou l’irresponsabilité pénale des membres du cabinet du Président de la République, d’autre part, le juge d’instruction a l’obligation d’informer
sur tous les faits résultant de la plainte et des pièces y analysées, sous toutes leurs qualifications possibles, sans s’en tenir à celle proposée par la partie civile.

Document 16. Extraits de l’article « Le Conseil constitutionnel retoque le texte sur la protection des sources des journalistes », Journal Le Point, 10 novembre 2016

Le Conseil constitutionnel a validé jeudi la loi sur l’indépendance et le pluralisme des médias mais a retoqué un article phare sur la protection du secret des sources des journalistes, estimant notamment que l’immunité pénale qu’il instituait était trop large.
Adoptée début octobre, cette loi portée par le député PS Patrick Bloche reprenait l’un des engagements du candidat François Hollande, le renforcement de la protection du secret des sources des journalistes.
Dans sa décision, le Conseil a considéré « que le législateur n’avait pas assuré une conciliation équilibrée entre, d’une part, la liberté d’expression et de communication » et « d’autre part, plusieurs autres exigences constitutionnelles, en particulier le droit au respect de la
vie privée, le secret des correspondances, la sauvegarde des intérêts fondamentaux de la Nation et la recherche des auteurs d’infraction. »
La ministre de la Culture, Audrey Azoulay, a regretté « que les avancées importantes que comportait le texte sur la protection des sources des journalistes, dispositif fondamental pour leurs capacités d’investigation, aient été jugées contraires à la Constitution ».
L’article 4 censuré jeudi par le Conseil constitutionnel, « interdisait qu’il soit porté atteinte au secret des sources pour la répression d’un délit, quels que soient sa gravité, les circonstances de sa commission, les intérêts protégés ou l’impératif prépondérant d’intérêt public
qui s’attache à cette répression », rappelle le Conseil dans sa décision.
Dans le même temps, « l’immunité pénale qu’il instituait était trop largement définie » car « l’ensemble des collaborateurs de la rédaction […] étaient protégés par cette immunité », direction et collaborateurs (pigistes) compris, relève la décision.
L’article interdisait également les poursuites pour recel de violation du secret professionnel et pour atteinte à l’intimité de la vie privée, « délits pourtant punis de cinq ans d’emprisonnement et visant à réprimer des comportements portant atteinte au droit au respect de la
vie privée et au secret des correspondances », souligne le Conseil.
Il interdisait aussi les poursuites pour recel de violation du secret de l’enquête et de l’instruction, « délit puni de la même peine et protégeant la présomption d’innocence et la recherche des auteurs d’infraction » poursuit le Conseil.
Cette décision « est une très mauvaise nouvelle pour tous les journalistes qui travaillent sur des affaires sensibles », a réagi sur Twitter le président de Reporters sans frontières, Christophe Deloire.
Pour Dominique Pradalié du SNJ, cette censure est au contraire une « excellente nouvelle ». « La loi Bloche est une mauvaise réponse à de bonnes questions », a estimé la secrétaire générale du premier syndicat de journalistes, qui aurait notamment voulu « une loi
anticoncentration, qui aurait pu être utile dans des cas comme celui d’iTELE ».
Le Conseil constitutionnel rappelle que la protection du secret des sources des journalistes reste assurée par la loi Dati de 2010.

Document 17. Extraits du fascicule « Responsabilité pénale en cascade dans la presse écrite et l’édition » par Monsieur Jérôme Bossan, J.-Cl. Communication

77. – Principe : immunité pénale de l’imprimeur – L’article 43 de la loi du 29 juillet 1881 indique que le mécanisme de droit commun ne saurait s’appliquer aux imprimeurs qui ne peuvent être poursuivis en tant que complice « pour faits d’impression » dans la mesure où le
directeur ou codirecteur de la publication ou l’éditeur ont été identifiés. Cette disposition a pour but de préserver la liberté de presse et d’impression et d’éviter que les imprimeurs ne procèdent à une censure (P. Auvret, La détermination des personnes responsables, op. cit.).
L’impunité est donc totale en principe même si l’imprimeur connaissait l’existence du caractère illicite de la publication. L’essentiel, pour lui, est donc de s’assurer que le responsable de premier rang est désigné et qu’il ne peut être poursuivi sur le plan pénal ni en tant
qu’auteur, ni en tant que complice de l’auteur de l’écrit. En revanche, il a été jugé que cette immunité n’avait pas d’effet en matière de responsabilité civile (Cass. req., 22 févr. 1875 : DP 1875, 1, jurispr. p. 324. – sur cette immunité, V. J. Boucheron, La protection de l’ouvrage de
presse en droit pénal, La chambre criminelle et sa jurisprudence, recueil d’études en hommage à la mémoire de Maurice Patin : Cujas, 1966, p. 368 et 369).
78. – Faits d’impression – Le fait d’impression est la simple mise à disposition du matériel de presse (sur cette notion, V. H. Blin, A. Chavanne et R. Drago, Traité du droit de la presse : éd. Librairies techniques, 1969, n° 284). Dans la mesure où l’imprimeur sort de son rôle,
l’immunité disparaît. Il peut être poursuivi en tant que complice s’il est auteur de l’écrit ou diffuseur (Cass. crim., 12 juin 1954 : Bull. crim. 1954, n° 212) et que le directeur de publication est poursuivi à titre principal. Il peut également voir sa responsabilité recherchée au regard
du mécanisme de droit commun (C. pén., art. 121-7) notamment s’il a fourni l’aide ou l’assistance ou les instructions caractérisant la complicité (Cass. crim., 11 juill. 1903 : Bull. crim. 1903, n° 261).

Document 18. Extraits (sans notes de bas de page) du fascicule « Immunités » du Répertoire Dalloz de droit international, rédigé par Madame Catherine Kessedjian

1. Notion. – Le terme « immunité » est né à la fin du XIIIe siècle. Il a pour origine le latin immunitas, de munus « charge », et signifie « exemption de charge ». À l’origine, dans cette acception d’exemption de charge, l’immunité est accordée aux personnes de la noblesse ou
du clergé ou à certains propriétaires ou établissements ecclésiastiques par le roi et, plus tard, par la loi. Les immunités royales consistent, la plupart du temps, à interdire les domaines de ceux qui en bénéficient à l’action des agents royaux. L’immunité est donc attachée à la
personne mais elle s’étend à ses biens lorsque la protection de la personne l’exige. C’est une idée similaire qui sous-tend l’immunité parlementaire qui, accordée par la loi, permet aux membres des assemblées législatives d’échapper aux rigueurs de la mise en œuvre de la loi,
sauf autorisation spéciale de l’assemblée dont ils font partie.
2. Notion ancienne, l’immunité ne paraît pas avoir été mise en œuvre par les tribunaux en France avant le début du XIX e siècle. Il semble, en effet, que la première décision rendue l’a été par la cour d’appel de Paris en 1825. Ni la décision de 1825 ni celle de 1849 n’utilisent le
mot « immunité » mais ceux d’« extraterritorialité » et de « compétence » ou « juridiction ». Le mot « immunité » apparaît pour la première fois dans l’arrêt de la cour d’appel de Nancy, mais, même avant cette date, c’est bien de la même idée qu’il est question. Il s’agit
d’empêcher l’interférence d’un État, par le truchement de ses tribunaux, avec les activités d’un autre État et de ses représentants (par in parem non habet imperium). Les États sont indépendants les uns des autres. Or, la juridiction est l’un des attributs de la souveraineté. Un
État ne peut donc exercer sa juridiction vis-à-vis d’un État étranger sans courber, jusqu’à un certain degré, cet État à sa domination. Il convient donc de considérer que l’immunité favorise la courtoisie et les bonnes relations entre États grâce au respect de la souveraineté
d’un autre État. […]
4. Différents types. – C’est, en effet, bien la même idée qui est à l’origine de l’immunité diplomatique bénéficiant aux agents diplomatiques accrédités et aux membres de leur famille pour toutes les infractions qu’ils peuvent commettre sur le territoire de l’État dans lequel ils
sont accrédités. Par extension, les immunités consenties aux organisations intergouvernementales procèdent de la même conception. Elle consiste à empêcher qu’un État, un chef d’État ou une organisation internationale soient poursuivis devant une juridiction d’un autre
État ; elle est dite alors immunité de juridiction. Elle est complétée par l’immunité d’exécution selon laquelle il est interdit de prendre des mesures d’exécution forcée à l’encontre d’un État ou d’une entité ou de leurs biens.
5. C’est toujours en raison de la qualité de la personne ou de l’entité que l’immunité est accordée. Toutefois, les immunités diplomatiques sont dites « fonctionnelles » dans la mesure où les personnes qui sont en droit de les revendiquer ne peuvent le faire qu’en raison
des fonctions qui, de par leur nature, leur permettent de bénéficier de l’immunité. C’est, en effet, pour empêcher une interférence abusive de l’État dans lequel ils exercent leurs fonctions, que les diplomates étrangers bénéficient de la protection de l’immunité. Certes, certaines
immunités, par exemple pour des actes de la vie personnelle et familiale, dépassent le strict cadre des fonctions. Mais, c’est toujours pour protéger le diplomate et ses fonctions que ces immunités lui sont accordées sachant qu’un procès, même s’il est personnel, peut avoir
une influence sur l’exercice de leur fonction.
6. Quant aux immunités des organisations internationales, elles peuvent également revêtir cette qualification dans la mesure où elles ne sont pas générales mais spécifiquement prévues par les traités les instituant qui comportent les limites strictement nécessaires à
l’objectif poursuivi par l’organisation à laquelle l’immunité est accordée. […]
Art. 1 : Immunités de juridiction
• § 1er – Personnes et entités bénéficiant de l’immunité (définition ratione personae) […]
41. En droit français, comme dans bien d’autres systèmes juridiques, il est classique de s’interroger sur les personnes bénéficiant de l’immunité. […]
42. L’État. – On doit comprendre par État non seulement l’entité elle-même, telle que représentée par les personnes et les organes habilités à cet effet, mais aussi les services centraux, les organismes publics et les institutions qui dépendent de ces services centraux. Le juge
doit se placer au moment de l’assignation en justice. […]
46. Les émanations de l’État, entreprises publiques, banques centrales. – Peuvent revendiquer l’immunité de juridiction les organismes agissant sur ordre ou pour le compte de l’État. Cela signifie que loin de s’intéresser seulement à la personnalité de l’organisme en cause,
il convient de s’interroger sur la nature de l’activité accomplie par lui. […]
52. Les chefs d’État et de gouvernement. – Les chefs d’État, de gouvernement possèdent deux sortes d’immunités : les unes personnelles en raison de mises en cause individuelles ; les autres étatiques lorsque leur mise en cause a trait à leurs fonctions représentatives de
l’État. Les secondes étant dues à la fonction qu’exerce le chef de l’État, elles sont donc limitées aux activités exercées par le chef de l’État dans le cadre de ses fonctions. Cependant les immunités personnelles dont ils bénéficient peuvent s’appliquer également à des activités
qui sont en dehors des fonctions officielles. Ces dernières immunités ne sont pas des immunités d’État ce qui explique que les différents projets de traités, préparés par la Commission du droit international des Nations unies ou l’Association de droit international, séparent les
deux sortes d’immunités. Lorsque les activités entreprises sont personnelles, la frontière entre celles qui permettent l’immunité et celles qui ne l’autorisent pas n’est pas aisée à tracer. […]
55. Les ministres en exercice. – À notre connaissance, les juridictions françaises n’ont pas eu à se prononcer sur l’hypothèse d’une immunité revendiquée par un ministre en exercice, mais ont eu à se prononcer sur l’immunité revendiquée par un vice-président de la Guinée
équatoriale. La Cour de cassation décide que les faits reprochés sont détachables de la fonction et sont, de toute manière, antérieurs à la nomination au poste de second vice-président. En conséquence, l’immunité n’est pas due. […]
56. Le personnel diplomatique. – Les personnes qui peuvent bénéficier de ces immunités sont définies dans les conventions applicables. Il convient d’entendre par « personnel diplomatique », celui qui est en mission « officielle », c’est-à-dire le chef de mission et les
membres de la mission à condition qu’ils aient la qualité de diplomate et qu’ils soient accrédités dans l’État d’accueil. […]
61. Les agents consulaires. – Les agents consulaires se voient accorder une immunité moins importante que celle accordée aux agents diplomatiques. Cela tient au fait qu’ils ne représentent pas l’État étranger et ne font pas l’objet d’une procédure d’accréditation. Leurs
fonctions, par ailleurs, ne mettent normalement pas en cause les intérêts de l’État étranger puisqu’elles se bornent à protéger les intérêts privés des nationaux de cet État dans l’État d’accueil. […]
62. Organisations intergouvernementales. – Contrairement au droit des immunités des États, l’essentiel du droit des immunités des organisations internationales s’est développé sous la forme de traités internationaux. C’est ainsi que l’on trouve des dispositions soit dans
la charte constitutive de l’organition en cause, soit dans des conventions multilatérales particulières portant généralement sur les privilèges et immunités, soit encore dans les conventions dites « accord de siège ». […]

• § 2 – Activités pour lesquelles l’immunité est admise ou rejetée (définition ratione materiae)
70. Activités publiques. – Les juridictions françaises n’ont pas été parfaitement constantes dans leur approche de la notion d’activités pour lesquelles l’État étranger est en droit de demander le bénéfice de l’immunité de juridiction. C’est un arrêt de la Cour de cassation de
1969 qui a posé le principe d’un critère alternatif. Soit l’État étranger ou l’organisme en cause agissant par ordre ou pour le compte de cet État entreprend un acte de puissance publique, soit il agit dans l’intérêt d’un service public. […]
88. Activités « commerciales ». – Il est parfois plus aisé de déterminer si l’activité en cause doit être qualifiée d’acte de gestion que de déterminer si elle relève d’une activité publique. Certaines juridictions accumulent les critères pour déterminer si l’activité en cause
permet à l’État de bénéficier de l’immunité de juridiction. C’est le cas lorsque la nature économique du contrat, l’absence de clauses exorbitantes du droit commun et l’insertion d’une clause compromissoire conduisent les juges à conclure que l’État s’est comporté comme une
personne privée. […]
90. Cas particulier du contrat de travail. – Les affaires jugées devant les tribunaux français ont essentiellement concerné des licenciements de membres du personnel salarié employés d’ambassades d’États étrangers en France ou de consulats étrangers. Un agent de
sécurité, qui doit assurer la sécurité de l’ambassadeur et de l’ambassade, participe à un service public et l’immunité est donc due, même si son contrat de travail verbal ne contenait aucune clause dérogatoire du droit commun ou impliquant l’existence de prérogatives de
puissance publique sur le territoire français. […]
Art. 2 – Immunité d’exécution
122. L’immunité d’exécution doit être distinguée de l’immunité de juridiction par plusieurs aspects. Tout d’abord, parce qu’elle est considérée comme beaucoup plus grave que l’immunité de juridiction, cette immunité demeure en principe absolue. Ce n’est donc que dans
certains cas exceptionnels qu’elle peut être remise en cause. La Convention des Nations unies de 2005 ne modifie pas cette tendance générale. Cela n’est vrai que pour les États eux-mêmes et leurs représentants. Pour les entreprises publiques et autres entités assimilées, il est
plus aisé de lever l’immunité d’exécution que pour les États. Ensuite, la renonciation à l’immunité de juridiction n’entraîne pas automatiquement renonciation à l’immunité d’exécution, cette dernière devant être donnée dans des conditions qui ont fluctué au gré de la
jurisprudence. Si à l’instar de l’immunité de juridiction, le juge doit se préoccuper de l’activité pour laquelle le défendeur est attrait devant lui, il doit, en plus, s’intéresser à la nature des biens objets de l’exécution. Enfin, la renonciation éventuelle à l’immunité d’exécution est
séparée de la renonciation à l’immunité de juridiction et doit être conforme au droit international. […]
137. Les apports de la loi Sapin II. – C’est notamment cet arrêt qui a incité le gouvernement français à insérer deux dispositions dans la loi Sapin II (art. 59 et 60. – L. n° 2016-1691 du 9 déc. 2016, relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de
la vie économique, JO 10 déc., texte n° 2) qui ont positivement passé le contrôle du Conseil constitutionnel. L’article 59 insère dans le Code des procédures civiles d’exécution trois articles L.111-1-1 à L.111-1-3. L’article L.111-1-1 prévoit qu’une autorisation préalable d’un juge
est nécessaire pour mettre en œuvre des mesures conservatoires ou d’exécution forcée sur un bien appartenant à un État étranger. En vertu de l’article L.111-1-2, cette autorisation peut être accordée si l’État a expressément consenti à l’application d’une telle mesure ou s’il a
réservé ou affecté ce bien à la satisfaction de la demande objet de la procédure. Elle peut également l’être si un jugement ou une sentence arbitrale a été rendu contre cet État, que le bien est destiné à être utilisé autrement qu’à des fins de service public non commerciales et
qu’il « entretient un lien avec l’entité contre laquelle la procédure a été intentée ». L’article L.111-1-3 dispose que des mesures conservatoires ou d’exécution forcée ne peuvent être mises en œuvre, en l’absence de renonciation expresse et spéciale des États concernés, sur les
biens utilisés ou destinés à être utilisés dans l’exercice des fonctions de la mission diplomatique des États étrangers ou de leurs postes consulaires, de leurs missions spéciales ou de leurs missions auprès des organisations internationales. […]
146. Renonciation à l’immunité d’exécution. – Jusqu’à l’arrêt « Creighton », il était admis que l’immunité d’exécution étant absolue, sauf rares exceptions, la renonciation devait être entourée de plus de précautions encore que pour l’immunité de juridiction. C’est pourquoi,
durant de nombreuses années, la jurisprudence a exigé que la renonciation soit expresse et spéciale. En d’autres termes, le juge français devait s’assurer que l’État avait effectivement exprimé clairement sa volonté de ne plus être protégé par l’immunité d’exécution. Cette
exigence empêchait notamment de déduire une renonciation à l’immunité d’exécution de la renonciation à l’immunité de juridiction. Cette exigence entraînait l’obligation pour le juge français de vérifier la portée de la renonciation invoquée séparément pour les deux immunités.
147. Le caractère spécial de la renonciation. – En exigeant que, par sa renonciation, l’État étranger précise particulièrement les biens qu’il entendait soustraire à l’immunité d’exécution, le droit français protégeait l’État étranger éventuellement au-delà de ce qu’il aurait lui-
même voulu. Les arrêts NML Capital c/ Argentine sont dans cette ligne. Pour justifier cette exigence, on a pu estimer, un temps, que le droit international coutumier et la codification qui en a été faite par la Convention des Nations unies de 2005 n’admettaient pas que l’État
renonce de manière générale et abstraite à son immunité d’exécution sans désigner spécifiquement les biens sur lesquels la renonciation pouvait avoir effet. Pourtant, le texte de la Convention de 2005 est clair. Soit l’État renonce de manière générale expressément selon trois
formes limitativement énumérées par le texte (art. 19. a) ; soit l’État vise certains biens en les réservant ou les affectant (art. 19. b) ; soit les biens sont spécifiquement utilisés ou destinés à être utilisés par l’État autrement qu’à des fins de service public non commerciales
(art. 19. c). C’est pourquoi, la Cour de cassation a eu raison d’abandonner l’exigence d’une renonciation spéciale en jugeant que « le droit international n’exige pas de renonciation autre qu’expresse à l’immunité d’exécution » (Civ. 1re , 13 mai 2015, Commisimpex c/ République
du Congo, n° 13-17.751). […]

Document 19. Article 67 de la Constitution française

Le Président de la République n’est pas responsable des actes accomplis en cette qualité, sous réserve des dispositions des articles 53-2 et 68.
Il ne peut, durant son mandat et devant aucune juridiction ou autorité administrative française, être requis de témoigner non plus que faire l’objet d’une action, d’un acte d’information, d’instruction ou de poursuite. Tout délai de prescription ou de forclusion est suspendu.
Les instances et procédures auxquelles il est ainsi fait obstacle peuvent être reprises ou engagées contre lui à l’expiration d’un délai d’un mois suivant la cessation des fonctions.

Document 20. Extraits (sans notes de bas de page) du fascicule « Terrorisme – Poursuites et indemnisation – Procédure interne » du Répertoire Dalloz de droit pénal, rédigé par Monsieur Yves Mayaud

Art. 3 – Immunité de juridiction


397. Définition. – L’immunité de juridiction est un privilège dont bénéficient les hauts responsables politiques, chefs d’État ou membres de gouvernement, en vertu duquel ils ne peuvent être déférés devant les juridictions d’un État étranger, ni en matière pénale ni en
matière civile. Cela ne signifie pas qu’ils soient irresponsables : le fond n’est pas en cause, seule la compétence est affectée. Au service de la souveraineté, l’immunité met ses bénéficiaires à l’abri de toute action devant des juridictions étrangères, ce qui est une situation
confortable et enviable, mais ce qui n’est pas non plus sans être fortement débattu de nos jours, pour consacrer une solution de moins en moins acceptée, surtout lorsque les faits sont d’une particulière gravité. Ce « privilège » trouve sa source dans la coutume
internationale et il ne doit pas être confondu avec ce qui participe plus étroitement des relations diplomatiques ou consulaires, quant à elles régies par deux conventions, dites « Conventions de Vienne », du 18 avril 1961 pour les premières, et du 24 avril 1963 pour les
secondes.
398. Étendue. – L’immunité doit être doublement précisée dans son étendue, en rapport avec les personnes pouvant y prétendre et en lien avec les actes qu’elle couvre de ses effets.

• § 1er – Personnes protégées


399. Jurisprudence internationale. – La Cour internationale de justice a eu l’opportunité de prendre position sur l’étendue personnelle de l’immunité de juridiction. Elle l’a fait par une décision du 14 février 2002, en rapport avec l’affaire Yerodia, jugeant qu’« il est clairement
établi en droit international que […] certaines personnes occupant un rang élevé dans l’État, telles que le chef du gouvernement ou le ministre des Affaires étrangères, jouissent dans les autres États d’immunités, tant civiles que pénales » (§ 51). […]
401. Jurisprudence interne. – La jurisprudence française de référence est celle de la Cour de cassation, plus spécialement de sa chambre criminelle. Une formule domine, empruntée à un arrêt du 23 novembre 2004, et plusieurs fois confirmée depuis : « La coutume
internationale qui s’oppose à la poursuite des États devant les juridictions pénales d’un État étranger s’étend aux organes et entités qui constituent l’émanation de l’État ainsi qu’à leurs agents en raison d’actes qui, comme en l’espèce, relèvent de la souveraineté de l’État
concerné ».
[…] La Cour de cassation est ainsi dans le droit fil de la jurisprudence internationale, telle que nous l’avons rapportée sous couvert des arrêts de la Cour internationale de justice. Elle admet, elle aussi, que l’immunité de juridiction, et l’exception d’irrecevabilité qui en
découle, ne saurait être réservée à des personnalités qualifiées relevant d’une liste exhaustive et définitivement fermée : chef d’État, chef de gouvernement, ministre des Affaires étrangères. C’est autrement qu’elle est conçue, tout ce qui participe de la souveraineté étrangère
ayant vocation à la rejoindre, pour en assurer la plénitude, laquelle ne pourrait être dans un système figé, alors que les réalités étatiques sont diversifiées et évolutives. […]

• § 2 – Actes couverts
403. Actes de souveraineté. – Sont couverts par l’immunité de juridiction les seuls actes de puissance publique ou accomplis dans l’intérêt d’un service public. La Cour de cassation est très explicite sur cette condition : « Les États étrangers et les organisations qui en
constituent l’émanation ne bénéficient de l’immunité de juridiction, immunité relative et non absolue, qu’autant que l’acte qui donne lieu au litige ou qui leur est imputé à faute participe, par sa nature et sa finalité, à l’exercice de la souveraineté de ces États et n’est donc pas
un acte de gestion ». […]
404. Limites tirées du jus cogens. – L’immunité de juridiction génère de plus en plus des réactions négatives, pour être regardée comme une inégalité devant la responsabilité pénale et un facteur d’impunité d’autant plus contestable que les faits sont graves. C’est
précisément en rapport avec ce que certaines infractions, le plus souvent de qualification criminelle, manifestent d’agressions et d’atteintes intolérables, que l’immunité est remise en cause. Il est volontiers proposé de ne pas en faire un absolu, acquis sur la personnalité de
haut rang de ceux qui l’invoquent, mais une exception nourrie de relativité, fonction des crimes ou des délits commis, avec possibilité d’en restreindre l’étendue toutes les fois que l’acte de souveraineté revendiqué se révèle incompatible avec ce qui ne saurait être admis au
sens du droit international lui-même, du jus cogens.
405. La Chambre des Lords a été l’une des premières à intervenir sur le sujet, après que l’Espagne eut réclamé au Royaume-Uni, sur le fondement de la compétence universelle, l’extradition du général PINOCHET, de passage à Londres, pour des crimes de tortures réputés
commis alors qu’il était au pouvoir. L’immunité de juridiction fut invoquée, et deux arrêts furent rendus par la juridiction britannique, l’un le 25 novembre 1998, l’autre le 24 mars 1999, qui ont finalement concédé, à la faveur d’une démonstration technique pour le second, à ce
que certains actes, de par leur nature même, ne pussent relever de la catégorie de ceux entrant dans les fonctions officielles d’un chef d’État, au premier rang desquels les violations graves des droits humains.
406. Situation du terrorisme. – La Cour de cassation a pris position dans l’arrêt dit « Khadafi » du 13 mars 2001, en lien avec l’attentat commis le 19 septembre 1989 contre un avion DC 10 de la compagnie UTA, lequel, en explosant au-dessus du Niger, avait causé la mort de
170 personnes, plusieurs d’entre elles étant de nationalité française. Le chef d’État en exercice de la Jamahiriya arabe libyenne, le colonel KADHAFI, avait été mis en cause pour son implication dans cette action terroriste. La chambre criminelle a adhéré au principe de limites
affectant l’immunité, tout en constatant qu’elles ne concernaient pas les faits de l’espèce : « En l’état du droit international, le crime dénoncé, quelle qu’en soit la gravité, ne relève pas des exceptions au principe de l’immunité de juridiction des chefs d’État étrangers en
exercice ». Comme l’écrit Mme Renée Koering-Joulin, « à l’imitation de la Chambre des Lords dans le second arrêt Pinochet, la chambre criminelle a ouvert une brèche dans l’absolutisme de la protection immunitaire des chefs d’État en exercice soupçonnés de crimes
internationaux graves, tout en affirmant que le terrorisme ne relève pas de cette catégorie, au moins pour l’instant… ». Aussi curieux que cela puisse paraître, le terrorisme est donc couvert par l’immunité de juridiction, bien qu’il soit difficile d’y voir une prérogative de
souveraineté ou un acte ordinaire de gestion souveraine…
407. Il y a fort à parier que l’évolution n’en est pas encore à sa phase terminale, et que, tôt ou tard, à l’instar des statuts des Tribunaux pénaux internationaux pour l’ex-Yougoslavie (1993) et le Rwanda (1996), ainsi que celui de la Cour pénale internationale (1998), sera exclu
du champ de l’immunité tout ce qui participe de la violation grave des droits fondamentaux, dont les actions terroristes.

Document 21. Extraits (sans notes de bas de page) de l’article de Madame Gaëlle Deharo-Dalbignat, « Délicatesse et modération : l’immunité de robe ne couvre pas les propos tenus par l’avocat hors de l’audience », Gaz.
Pal. 17 avr. 2012, p. 20

À l’issue du prononcé d’une solution défavorable à son client, un avocat manifesta sa déception ab irato, exprimant son opinion quant à la décision du jury en termes fort peu élogieux. […]
Selon l’article 41 de la loi du 29 juillet 1881, l’avocat est protégé tant des propos outrageants à son encontre que de ceux qu’il pourrait tenir. Ainsi « ne donneront lieu à aucune action en diffamation, injure ou outrage, ni le compte rendu fidèle fait de bonne foi des débats
judiciaires, ni les discours prononcés ou les écrits produits devant les tribunaux ». Si, au cours de l’audience, l’avocat est libre de s’exprimer dans le cadre de l’exercice des droits de la défense, l’immunité de robe cesse cependant au sortir de celle-ci. Or, en l’espèce, l’avocat
avait répondu aux questions des journalistes à l’issue de l’audience ; si bien que les mots avaient été prononcés hors du prétoire et n’étaient donc pas protégés par l’immunité de robe. Il en résulte que les propos de l’avocat pouvaient donc être considérés comme
méconnaissant les obligations de délicatesse et de modération, dans les conditions précisées par la jurisprudence antérieure. […]
La solution vient compléter les linéaments déjà posés par les décisions antérieures. Bien qu’elle ait considéré que la règle de l’article 41 de la loi du 29 juillet 1881 est générale et s’applique devant toutes les juridictions, d’instruction comme de jugement, elle n’en nuance
pas moins la portée. D’une part, l’immunité de robe ne s’applique pas aux propos étrangers à la cause. D’autre part, elle ne s’applique pas non plus à l’instance disciplinaire statuant sur les propos tenus par l’avocat. Enfin, au terme de l’espèce rapportée, l’immunité de robe
est d’interprétation stricte et ne s’applique pas hors du prétoire.

Document 22. Extraits de l’article « Agressions sexuelles présumées : le Vatican lève l’immunité de son représentant en France », Journal Le Monde, 8 juillet 2019

La décision est historique. « Une mesure extraordinaire », selon le Saint-Siège. Lundi 8 juillet, le Vatican a levé l’immunité de son représentant en France, le nonce apostolique Luigi Ventura, qui était visé par une enquête à Paris pour « agressions sexuelles » après les
plaintes de quatre hommes, dont trois au moins lui reprochent des attouchements.
« Le Saint-Siège renonce à l’immunité de juridiction dont bénéficie Mgr Luigi Ventura en vertu de la convention de Vienne du 18 avril 1961 sur les relations diplomatiques », a expliqué le porte-parole intérimaire du Saint-Siège, précisant que la décision « a été officiellement
communiquée aux autorités françaises la semaine dernière ». Le communiqué explique qu’« il s’agit d’une mesure extraordinaire qui confirme la volonté exprimée par le nonce lui-même dès le début de cette affaire de collaborer pleinement et spontanément » avec la justice
française.

Document 23. Extraits de la tribune de Monsieur Emmanuel Dockès « Pendant la grève, la sanction illicite des actes illicites », Journal Libération, 4 février 2020

La grève est non seulement la cessation du travail, mais c’est aussi la cessation de la subordination. L’obéissance habituelle, quotidienne, cesse. La révolte commence. Dans tous les systèmes démocratiques, où règne la légitime crainte d’un pouvoir sans contre-pouvoir,
cette révolte est un droit. Mais c’est un droit atypique, un droit de briser la paix à laquelle chacun aspire. Un droit de créer une tension, de nuire, et de nuire notamment à celui qu’habituellement on sert. C’est cela qui autorise le gréviste à passer temporairement du statut de
rouage du pouvoir au statut de contre-pouvoir. Mais c’est aussi cela qui menace le gréviste. Le puissant dont l’autorité est bafouée ne réagit pas forcément bien. Il est tenté par la répression.
[…] il convient de rappeler à la puissance publique, comme aux puissances privées, quelques règles de droit. Pendant la grève, le droit de punir, le pouvoir disciplinaire, n’est plus ce qu’il est habituellement. Pendant la grève, les habituels subordonnés ne le sont plus. Ils
ne sont plus soumis au pouvoir de direction, ni, par conséquent, au pouvoir disciplinaire de leur employeur. En termes techniques, on dit que le pouvoir disciplinaire est suspendu pendant la grève. Les sanctions disciplinaires pour faits commis au cours des grèves, même
fautifs, sont donc, en principe, nulles et les éventuelles commissions disciplinaires incompétentes. Sauf exceptions strictement encadrées, aucune sanction disciplinaire ne peut être édictée contre un gréviste pour des faits commis pendant la grève, même s’il a commis des
fautes, même s’il a commis des fautes graves. Et réciproquement, aucun avantage particulier, comme une prime, ne peut être accordé aux salariés non grévistes ès qualités. Il semble nécessaire de le rappeler, notamment la direction de la SNCF, qui semble l’avoir oublié. Les
primes antigrève constituent des discriminations sanctionnées par la Cour de cassation (arrêt du 1er juin 2010) si aucun surcroît de travail spécifique ou sujétion n’a pu être prouvé.
Cela ne signifie pas que tout est autorisé au cours des grèves. Ce qui est illégal reste illégal. Simplement, la sanction des fautes commises au cours des grèves n’est plus, en principe, de la compétence de l’employeur. Cette sanction relève du droit commun, du droit de la
responsabilité ou du droit pénal. Un gréviste qui a commis un délit au cours de la grève pourra être poursuivi. La victime directe d’une infraction pénale peut porter plainte contre son auteur. Ainsi, un non-gréviste victime d’injures homophobes peut porter plainte contre les
auteurs de ces injures (mais non l’employeur de la victime, lequel n’est pas une victime directe).
Il existe une exception au principe de l’immunité disciplinaire des grévistes et une seule. Dans les cas les plus graves, le Code du travail prévoit la possibilité du licenciement pour faute lourde (article L.2511-1). Le législateur a considéré qu’un employeur ne pouvait être
tenu de conserver un gréviste qui avait commis à son encontre une faute intentionnelle et d’une exceptionnelle gravité, autrement dit une « faute lourde ». Et cette exceptionnelle gravité doit être jugée dans le contexte d’insubordination active qu’est la grève. Au cours des
grèves, il est banal que les grévistes investissent les locaux de l’entreprise, qu’ils prononcent des injures contre les non-grévistes, etc. Ces faits sont peut-être fautifs mais ils sont habituels. S’ils ne sont pas exceptionnellement graves, ce ne sont pas des « fautes lourdes ».
C’est ainsi que la Cour de cassation ou le Conseil d’État ont pu juger, au vu du contexte, que n’étaient pas des fautes lourdes le fait de prononcer des injures, en dehors de toute violence physique (arrêt du 10 mai 2001), d’occuper les locaux (arrêt du 16 mai 1989), de partir
avec les camions de l’entreprise (arrêt du 8 février 2012), de bloquer l’entreprise avec des camions (arrêt du 9 mai 2012), de participer à un piquet de grève filtrant (arrêt du 2 février 1996). […]
SUJET N° 1 | Découverte du sujet et des documents

I. Réflexion préalable sur le sujet

L’intitulé du sujet invite le candidat a une réflexion sur ses contours : la note de synthèse traite des « immunités en droit », notion juridique dont il faudra trouver une définition dans le contenu des documents.
Par les termes généraux de l’intitulé, le dossier a vocation à traiter des immunités dans plusieurs branches du droit. Le sujet n’est donc pas limité aux immunités en matière pénale.
La difficulté qui se pose pour le candidat est de rechercher au cours de sa lecture les différents champs du droit envisagés afin de les regrouper pour que les développements ne s’apparentent pas à un catalogue d’idées.
La lecture du sujet conduit donc à deux priorités : trouver une définition des immunités et définir les contours de la notion au travers des documents proposés.

II. Lecture préalable du sommaire des documents

Le document numéro 1 se rapporte à un article du Code pénal qui doit vraisemblablement définir certaines immunités en matière pénale. S’agissant d’un article unique, il pourra être opportun de le lire parmi les premiers documents.
• Document 2 : Extraits (sans notes de bas de page) de la note de Monsieur Dirk Baugard sous la décision du Conseil d’État du 15 décembre 2010, Gaz. Pal., 2 février 2011, p. 12 : ce document se rapporte à une décision rendue par une juridiction administrative. La décision
commentée est ancienne puisqu’elle date de 2010. Il y aura lieu pour le candidat de lire ce document lorsqu’il abordera l’aspect non pénal des immunités pour savoir en quoi le conseil d’État a pu se prononcer sur la question.
• Document 3 : Arrêt rendu en Assemblée plénière par la Cour de cassation, 14 décembre 2001, 00-82.066 : cette décision est ancienne et a été rendue par l’Assemblée plénière de la Cour de cassation. Une question, relative aux immunités a dû entraîner au début des
années 2000 une divergence de position entre les différentes chambres de la Cour de cassation. Ce document pourra être lu en même temps que le document n° 1 relatif à la matière pénale.
• Document 4 : Extraits (sans notes de bas de page) des observations de Monsieur François Mélin sous l’arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation rendu le 3 février 2021 (n° 19-10669), Dalloz Actualité, 2 mars 2021 : cette décision est récente et paraît
relative à la sphère civile. Manifestement les immunités en droit interne dépassent le seul cadre pénal. Il y aurait aussi des immunités en matière civile. Ce document pourra être lu en même temps que les autres décisions de justice, sauf à ce que des notes de doctrine
viennent expliquer par branche du droit les décisions respectives.
• Document 5 : Extraits (sans notes de bas de page) du fascicule « Privilèges et immunités de l’Union européenne » du Répertoire Dalloz de droit européen, rédigé par Madame Isabelle Pinge : ce document fait référence à des immunités qui existeraient également en droit
communautaire. Dès lors, en plus des distinctions existant en droit interne, il y a lieu d’opposer droit interne et droit communautaire. L’idée que le plan sera difficile à trouver se confirme : en effet, il y a une pluralité d’immunités et il ne peut être procédé à une analyse
successive de chacune d’entre elles.
Il va falloir trouver des idées communes afin de dégager des parties et sous-parties.
• Document 6 : Arrêt rendu par la chambre sociale de la Cour de cassation le 27 novembre 2019, n° 18-13.790 : cet arrêt est également récent, et a trait aux immunités en droit social.
En l’état de la lecture du sommaire, les idées pourraient se classer en fonction des domaines suivants : droit interne (pénal, civil, social) et droit communautaire. Cette distinction, inadaptée pour l’élaboration d’un plan car non problématique, pourra toutefois permettre
d’orienter la lecture des documents.
• Document 7 : Extraits (sans notes de bas de page) de l’article de Madame Brigitte Stern, « Pinochet face à la justice », Études 2001/1 (Tome 394), pages 7 à 18 : l’intitulé de ce document ne permet pas d’en deviner le sens ou la porter sauf à toutefois comprendre qu’il
s’agit d’un article de doctrine, susceptible d’être utile pour préciser les termes du sujet.
• Document 8 : Extraits de l’arrêt rendu par la chambre criminelle de la Cour de cassation le 26 février 2020 (n° 19-81.561) : cet arrêt est récent et doit traiter de la question de l’immunité en matière pénale. Il sera examiné en même temps que les autres documents relevant de ce
champ.
• Document 9 : Extraits (sans notes de bas de page) de l’article de Monsieur Fabien Bottini, « Chef de l’État, ministres, parlementaires : et si l’immunité était levée ? », Journal The conversation, 26 janvier 2021 : cet article de presse traite de la question de l’immunité des
représentants politiques, manifestement en France. Il semblerait que l’immunité envisagée par l’auteur soit pénale. Le document pourrait être lu en même temps que les documents concernant la matière pénale.
• Document 10 : Compte-rendu de la décision du Tribunal de l’Union européenne, en date du 12 février 2020, aff. T-248/19, Bilde c/ Parlement, par Monsieur Vincent Bassani, Europe n° 4, avril 2020, comm. 114 : ce document, relatif au droit communautaire, sera lu en même
temps que le document n° 5.
• Document 11 : Compte-rendu de l’arrêt rendu par la chambre criminelle de la Cour de cassation le 8 avril 2010 (n° 09-88675), LexisNexis, 18 nov. 2015 : il s’agit d’un arrêt de la chambre criminelle qui doit traiter des immunités en matière pénale. Cet arrêt, plus ancien que le
précédent, sera également lu en même temps que les documents traitant du droit pénal.
• Document 12 : Extraits (sans notes de bas de page) de l’article de Madame Agnès Cerf-Hollender, « L’évolution du champ des immunités familiales en matière pénale », LPA 8 sept. 2017, n° 129k3, p. 56 : cette note de doctrine va apporter un éclairage sur les immunités
en matière pénale. Ce document sera lu en même temps que les autres documents de droit pénal. Nous conseillons toutefois de le lire de façon prioritaire car il peut permettre de mieux comprendre la portée des arrêts de jurisprudence.
• Document 13 : Extraits de l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme, Al-Adsani c. Royaume-Uni, 21 novembre 2001 : cet arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme ne concerne pas la France. Pour autant, son application peut avoir des incidences en
diverses matières. Dans le doute quant à sa portée, nous examinerons cette décision lors de la lecture des documents communautaires.
• Document 14 : Extraits de l’ouvrage de MM. Malaurie, Aynès et Stoffel-Munck, Droit des obligations, 11e éd., 2020, n° 105 : ce document paraît particulièrement intéressant car il traite a priori des immunités en matière civile. Nous le lirons en priorité, lors de la lecture des
documents étrangers à la sphère pénale en droit interne, afin de dégager le cas échéant une articulation logique entre les différentes immunités en droit interne.
• Document 15 : Compte-rendu de l’arrêt de la chambre criminelle du 19 décembre 2012 (n° 12-81043) par Madame Catherine Berlaud, Gaz. Pal. 24 janv. 2013, n° 114w2 : ce document sera consulté en priorité lors de la lecture des documents relatifs à la matière pénale, car il
s’agit d’un commentaire d’arrêt. Le candidat ne perdra pas de vue la chronologie entre les divers arrêts afin de déterminer si certaines notions ont évolué.
• Document 16 : Extraits de l’article « Le Conseil constitutionnel retoque le texte sur la protection des sources des journalistes », Journal Le Point, 10 novembre 2016 : ce document est un article de presse et n’a pas la dimension technique des autres documents relatifs à
la matière pénale. Le secret des sources apparaît comme un développement minoritaire au regard des notions en cause. Ce document sera envisagé lors de la lecture des autres textes relatifs à la matière pénale. Cette lecture n’est pas prioritaire, sauf à ce que d’autres
documents soient relatifs à une immunité journalistique.
• Document 17 : Extraits du fascicule « Responsabilité pénale en cascade dans la presse écrite et l’édition » par Monsieur Jérôme Bossan, J.-Cl. Communication : ce document, à valeur technique, relève de la sphère pénale et du cas particulier de la presse. Il sera traité
lors de la lecture des documents pénaux et sera lié au document n° 16.
• Document 18 : Extraits (sans notes de bas de page) du fascicule « Immunités » du Répertoire Dalloz de droit international, rédigé par Madame Catherine Kessedjian : ce document, a priori à forte valeur technique, sera lu prioritairement au moment des lectures
intéressant le champ du droit international
• Document 19 : Article 67 de la Constitution française : ce document sera lu prioritairement, s’agissant de grands principes. Pour autant, il ne semble pas qu’il ait trait à la matière pénale. Il peut s’agir des immunités des acteurs politiques du pays. Aussi, sera-t-il lu en
même temps que le document n° 9.
On peut déjà noter qu’au sein de la matière pénale des sous-catégories existent en fonction de bénéficiaires des immunités : les immunités familiales et les immunités attachées à un mandat électif.
• Document 20 : Extraits (sans notes de bas de page) du fascicule « Terrorisme – Poursuites et indemnisation – Procédure interne » du Répertoire Dalloz de droit pénal, rédigé par Monsieur Yves Mayaud : cet article, à valeur technique, paraît de prime abord sans lien
avec le sujet. Toutefois, il relève de la matière pénale. Il sera lu en même temps que les documents relevant de cette matière.
• Document 21 : Extraits (sans notes de bas de page) de l’article de Madame Gaëlle Deharo-Dalbignat, « Délicatesse et modération : l’immunité de robe ne couvre pas les propos tenus par l’avocat hors de l’audience », Gaz. Pal. 17 avr. 2012, p. 20 : ce document semble
relatif à l’immunité de l’avocat pour les propos tenus. Ce document peut être en lien avec les poursuites pénales et sera donc classé aux côtés des documents de droit pénal.
• Document 22 : Extraits de l’article « Agressions sexuelles présumées : le Vatican lève l’immunité de son représentant en France », Journal Le Monde, 8 juillet 2019 : ce document est à la fois en lien avec la matière pénale et la matière internationale. Il sera examiné lors de
la lecture des documents de droit international.
• Document 23 : Extraits de la tribune de Monsieur Emmanuel Dockès « Pendant la grève, la sanction illicite des actes illicites », Journal Libération, 4 février 2020 : ce document paraît en lien avec le droit social.

III. Lecture orientée des documents

Suivant ce survol des documents, certains paraissent relever principalement de la matière pénale. Pour autant, cette impression, qui va orienter la lecture, devra être corrigée après avoir appréhendé le contenu précis des documents.

• Documents relevant manifestement de la matière pénale : documents n° 1, 3, 8, 9, 11, 12, 15, 16, 17, 20, 21
Au vu de la pluralité de documents relatifs à la matière pénale, ce critère ne peut être retenu pour établir une articulation logique du plan. En effet, construire une partie relative à la matière pénale conduirait à l’opposer artificiellement à un autre groupe d’idées, reposant sur
peu de documents disparates, et provoquerait inévitablement un déséquilibre des parties.
Aussi, tout en débutant la lecture par les documents pénaux, nous garderons en tête qu’il est nécessaire d’identifier les articulations logiques au sujet.

• Document 1 : Article 311-12 du Code pénal


Ce document peut être synthétisé de la manière suivante :

L’article 311-12 du Code pénal prévoit que ne peuvent être poursuivies pour vol les personnes ayant commis l’infraction au préjudice de leurs ascendants ou descendants ou encore de leur conjoint.
Les poursuites sont toutefois possibles lorsque le vol porte sur des documents indispensables à la vie quotidienne ou des moyens de paiement ou de télécommunication, ou encore lorsque l’auteur est en charge d’une mesure de protection à l’égard de la victime.

• Document 3

Cet arrêt est difficile à comprendre s’il est appréhendé indépendamment de toute autre source. Dès lors, le risque est important de se livrer à un commentaire de la décision, et donc de mobiliser des connaissances extérieures au document. Il paraît ainsi plus sage de
rechercher une explication qui pourrait être contenue dans d’autres documents. En l’état, et pour éviter toute analyse ou erreur d’interprétation, le document ne saurait être mis en perspective avec le sujet, l’arrêt n’évoquant pas explicitement les immunités. Nous pouvons
alors prudemment retenir que :

Dans un arrêt du 14 décembre 2001, l’Assemblée plénière de la Cour de cassation a jugé que le préposé qui commet intentionnellement une infraction, même sur l’ordre de son commettant, est pénalement et civilement responsable des conséquences dommageables
de celle-ci, les instructions qu’il a reçues du commettant ne l’exonérant pas de sa responsabilité.
À la lecture de ces deux documents, relevant de la matière pénale, il apparaît qu’existent deux types d’immunités, les unes relatives aux liens familiaux et les autres s’inscrivant dans l’exécution d’un lien contractuel. Cette idée ne sera pas forcément retenue in fine,
mais va servir à la lecture des autres documents.

• Document 12
Ce document de doctrine est particulièrement dense, dans la mesure où il contient des définitions, l’état du droit mais aussi une évolution de celui-ci. À sa lecture, le candidat relève qu’il est fait référence à l’article L.622-1 du CESEDA, déjà cité dans un autre document. Il
sera ainsi intéressant de profiter de l’analyse faite par cet auteur de la disposition en cause.
Le document peut être synthétisé de la manière suivante :

Il existe au sein de la famille des immunités en matière pénale, certaines dites d’ordre patrimonial, empêchant les poursuites, d’autres, dites morales conçues comme des causes d’irresponsabilité pénale. Les premières concernent les infractions commises contre
les biens de certains membres la famille, tandis que les secondes sont relatives à des infractions commises dans l’intérêt de membres de la famille. Pour les immunités d’ordre moral, la loi prévoit des exclusions afin de protéger les personnes faibles, de garantir
l’intérêt général ou de préserver l’ordre public.
Cette synthèse est très sommaire et les éléments contenus dans le document pourront, le cas échéant, être davantage développés si au cours de la phase de rédaction un point technique apparaît comme essentiel.

• Document 8
L’arrêt peut ainsi être synthétisé :

L’article L.622-4 3° du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et demandeurs d’asile (CESEDA) prévoit une immunité pénale pour la personne, physique ou morale, qui apporte, sans contrepartie une aide à but exclusivement humanitaire au séjour ou à la
circulation d’un étranger sans titre. La chambre criminelle, dans son arrêt du 26 février 2020, a précisé que ces dispositions s’appliquent même en l’absence de détresse des migrants et bénéficient également aux actions non spontanées et militantes pouvant
s’inscrire dans un cadre associatif.
• Documents relevant manifestement du droit social : documents 2, 6, 23
• Document 2
L’immunité du salarié protégé

Le Conseil d’État, dans un arrêt du 15 décembre 2010, revenant sur sa jurisprudence antérieure, a considéré que l’immunité disciplinaire du salarié protégé devait s’appliquer et interdire son licenciement en cas de commission d’une faute étrangère à ses fonctions
et liée à un fait survenu en dehors de l’exécution du contrat de travail.
Bien qu’il soit tentant pour l’étudiant d’expliquer ce qu’est un salarié protégé, le texte s’abstenant de le faire, il n’est pas possible, sauf à en trouver une définition dans un autre document, d’aller plus avant dans l’analyse.

• Document 6

Ce document, qui a la lecture du sommaire donnait l’impression de se rapporter au droit social, relève en réalité du droit international. En survolant le document, il apparaît que la notion d’immunité de juridiction, que l’on retrouve dans plusieurs autres documents, est
évoquée. Au vu de la répétition de ce terme, il est certain que la notion d’immunité de juridiction devra être reprise et définie dans la note de synthèse.

Si l’immunité de juridiction est garantie aux États étrangers en application de l’article 11 §2 de la Convention des Nations unies du 2 décembre 2004, la chambre sociale de la Cour de cassation a jugé dans un arrêt du 27 novembre 2019 que le juge national reste
compétent pour écarter le principe de l’immunité de juridiction faute pour l’État étranger de rapporter la preuve que l’action en justice risque d’interférer avec les intérêts de l’État en matière de sécurité.

• Document 23

Ce document aborde l’existence d’une immunité disciplinaire au profit du salarié gréviste. Il en définit les raisons d’être et les limites.

Lors d’une grève, le pouvoir disciplinaire étant suspendu, il en résulte une immunité disciplinaire à l’égard du salarié gréviste. Cette immunité trouve sa limite dans la commission d’une faute intentionnelle et d’une exceptionnelle gravité, qui caractériserait une
faute lourde au sens de l’article L.2511-1 du Code du travail, et justifierait un licenciement.

• Documents de droit interne en matière civile : documents 4, 14


• Document 4
Tout comme le document n° 6, son contenu qui paraissait relever du contentieux civil, renvoie en réalité à des notions de droit international. Il aborde l’immunité de juridiction des missions diplomatiques étrangères. Ce document sera classé aux côtés des documents
relatifs au droit international.
Le texte fait référence à une immunité d’exécution, notion qu’il faudra faire figurer dans la note et définir, et de l’évolution de la jurisprudence concernant cette notion.

Dans un arrêt du 3 février 2021, la 1 re chambre civile de la Cour de cassation s’est prononcée sur la question de l’immunité d’exécution relative à des missions diplomatiques étrangères. Si, depuis l’entrée en vigueur de l’article L.111-1 du Code des procédures
civiles d’exécution, il ne peut être renoncé au bénéfice de l’immunité d’exécution que de façon expresse et spéciale, il existe une présomption d’immunité lorsque l’exécution porte sur les fonds d’une ambassade. Il appartient alors au demandeur à la saisie de
rapporter la preuve que les fonds ont une destination privée ou commerciale.

• Document 14

Ce document très succinct concerne l’immunité du préposé dans le cadre d’un contrat. Il renvoie aux notions évoquées dans le document n° 3. Pour autant, il ne semble pas que l’arrêt d’Assemblée plénière auquel il est fait référence dans le texte soit la décision du
document n° 3. En effet, les noms des parties ne sont pas identiques. Faute d’éléments supplémentaires, et par prudence, nous nous abstiendrons de toute interprétation.

Le préposé jouit, depuis un arrêt Costedoat rendu par l’Assemblée plénière de la Cour de cassation d’une immunité pour les faits qui s’inscrivent dans la limite de sa mission. Cette immunité, qui est personnelle au préposé, n’exclut pas sa responsabilité civile et la
prise en compte de son éventuelle faute pour réduire ou exclure son propre droit à indemnisation.

• Documents de droit international : Documents 5, 7, 10, 11, 13, 18


• Document 5
Ce document renvoie immédiatement au document n° 4 dans la mesure où il précise les notions contenues dans l’arrêt de la 1re chambre civile du 3 février 2021.
Les documents n° 4 et 5 seront donc joints pour l’analyse.

Consacrée par l’article 343 du TFUE, l’immunité de l’Union européenne est destinée à garantir à celle-ci son indépendance et sa continuité d’action. Elle bénéficie à l’organisation elle-même ainsi qu’aux personnes qui concourent à son fonctionnement.
Au regard de l’article 274 du TFUE, si l’Union européenne ne dispose pas d’une immunité de juridiction, la Cour de justice a compétence pour examiner la quasi-totalité des litiges concernant l’Union européenne, ce qui conduit certains auteurs à considérer qu’existe
une immunité de juridiction de fait.
Concernant l’exécution des décisions à l’encontre de l’Union européenne, il n’y a pas d’immunité d’exécution, toutefois le protocole n° 7 prévoit une autorisation de la Cour de justice afin de prévenir toute entrave au bon fonctionnement et à l’indépendance de l’Union.

À ce stade des lectures, plusieurs blocs d’idées émergent : des immunités en droit interne et des immunités au regard de la souveraineté des États étrangers.
Le document n° 7, qui ne pouvait être classé à la lecture du sommaire, montre qu’il évoque la question de l’immunité diplomatique. Il sera dès lors envisagé dans le cadre des documents à portée internationale.

• Document 7

Ce document est relatif à l’immunité de juridiction du chef d’État étranger. Le texte ne dispose pas d’une valeur technique forte, mais plutôt d’une dimension illustrative relatant la situation du Général Pinochet.

Si l’immunité d’un chef d’État s’applique à tous les actes commis dans l’exercice de ses fonctions, l’arrestation du général Pinochet a conduit la justice anglaise à se prononcer sur l’étendue de cette notion. Par une décision du 24 mars 1999, les juges anglais ont
exclu l’immunité du chef d’État étranger en relevant que certains actes graves, tels que des meurtres ou des tortures, ne pouvaient jamais s’inscrire dans les fonctions du chef d’État.

Bilan intermédiaire de la lecture des documents


Plusieurs idées importantes apparaissent : il y a une immunité d’ordre familial ou fonction d’un lien contractuel (commettant/préposé, salarié protégé), qui pourraient être regroupées autour de l’idée des immunités attachées à la personne et d’autres immunités liées à la
souveraineté de l’État étranger (immunités de juridiction et d’exécution).

• Document 10

Si le député européen bénéficie d’une immunité, celle-ci peut être levée par le Parlement européen. Par ailleurs, tel que l’a jugé le Tribunal de l’Union européenne le 12 février 2020, rien ne s’oppose à ce qu’une procédure pénale soit ouverte dans un État membre à
l’égard d’un parlementaire qui a fait l’objet d’une procédure en recouvrement de sommes litigieuses et qui a pourtant procédé au remboursement de celles-ci.

• Document 11

La chambre criminelle de la Cour de cassation a jugé, dans un arrêt du 8 avril 2010, que l’immunité de juridiction et l’inviolabilité diplomatique prévues à l’article 38,1 de la Convention de Vienne du 18 avril 1961 bénéficiant aux ressortissants d’un État accréditaire
de l’UNESCO, ne s’appliquent qu’à la condition que les faits reprochés aient un lien avec l’exercice de leurs fonctions.

• Document 13
Ce document est difficilement exploitable car il s’agit d’un très court extrait d’un arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme. De fait, il est peu aisé de le synthétiser sans prendre le risque de l’interpréter. Nous proposerons donc une synthèse très prudente.

La Cour européenne des droits de l’homme, dans un arrêt Adsani c/ Royaume-Uni, a jugé que l’immunité de juridiction d’un État étranger, principe de droit international, ne constitue pas une restriction disproportionnée au droit d’accès à un tribunal garanti par
l’article 6 de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme.

• Document 18

Ce document est riche en informations. Son survol permet d’identifier immédiatement plusieurs points essentiels au devoir : d’abord, on retrouve l’adage latin fondant le principe de l’immunité en droit international, puis ensuite, on relève que les notions d’immunité de
juridiction et d’immunité d’exécution sont fondamentales pour le sujet. De surcroît, ces deux notions sont définies, ce qui présente encore un avantage pour la rédaction.

L’immunité des États étrangers, attribut de la souveraineté, est issue du principe de droit international par in parem non habet imperium. Elle vise à garantir leur indépendance et la continuité de leur action. Les États étrangers et les organisations internationales,
dont l’Union européenne, sont titulaires d’une immunité. Sont également bénéficiaires de celle-ci les personnes qui concourent à leur fonctionnement. L’immunité de juridiction empêche qu’un État soit jugé par un État étranger, tandis que l’immunité d’exécution fait
obstacle à toute voie d’exécution contre ses biens. L’immunité de juridiction s’applique aux États ainsi qu’à leurs émanations, aux chefs d’État et membres du gouvernement. L’immunité d’exécution est par nature absolue, toutefois, et notamment depuis l’entrée en
vigueur de la loi Sapin II en 2016, la renonciation à l’immunité d’exécution est possible, elle doit être expresse et spéciale.

• Document 20

Ce document de doctrine est également très riche en informations et recoupe, par certains aspects, les développements du document n° 18.

L’immunité de juridiction, liée à la souveraineté, empêche les représentants d’un État ou les membres d’un gouvernement étranger, d’être jugés par un État tiers. Ce principe a été consacré par la Cour internationale de justice dans une décision du 14 février 2002.
L’immunité, qui s’applique à toutes les émanations de l’État, ne concerne que les actes qui par leur nature et leur finalité participent à l’exercice de la souveraineté. Le Royaume Uni a ainsi écarté le bénéfice de cette immunité au Général Pinochet du fait des crimes
et tortures commis sous son mandat.

• Document 22
Ce document n’a qu’une valeur illustrative.

L’État du Vatican en juillet 2021, a renoncé à l’immunité de juridiction de son représentant dans un autre État après qu’il y ait commis une infraction pénale (doc. 22).

• Documents relatifs à l’immunité du chef de l’État français : documents 9, 15, 19


• Document 9
Ce document, rapide à lire, est assez technique et permet d’appréhender différents aspects de la notion d’immunité. Il définit l’étendue de l’immunité des organes politiques en France, s’interroge quant à la conventionnalité des juridictions d’exception amenées à juger les
hommes politiques et estime une réforme nécessaire. Le candidat pourra ainsi utiliser ce document dans le cadre d’une définition des immunités en droit des représentants politiques de la Nation et envisager les limites à ces immunités, avec les procédures de jugement
dérogatoires.

Si des immunités protègent les parlementaires, les ministres et le Président de la République, afin de garantir la continuité de leurs fonctions, cette protection est toutefois limitée. En effet, les députés peuvent être pénalement poursuivis, sans autorisation du bureau
de leur chambre en cas de flagrant délit, et avec autorisation dans les autres cas. Les membres du gouvernement relèvent des juridictions de droit commun, sauf pour les faits rattachables à leur exercice qui sont de la compétence de la Cour de Justice de la
République. Le Président de la République, en cas de manquement à ses devoirs, manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat, peut être destitué par le Parlement réuni en Haute Cour. Selon Fabien BOTTINI, ces juridictions d’exception pourraient, par
l’absence de garanties suffisantes, être contraires à l’article 6 de la Convention européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme. Selon l’auteur, une réforme est nécessaire.

• Document 19
Ce document permet de donner une source juridique à certains des éléments contenus dans le document précédent (doc. 9).

L’immunité du Président de la République est garantie par l’article 67 de la Constitution qui interdit toute poursuite, instruction ou réquisition de témoigner à son encontre au cours de ces fonctions. Cette immunité cesse un mois après son mandat.

• Document 15

La Cour de cassation dans son arrêt du 19 décembre 2021 a jugé que l’immunité du Président de la République ne s’étend pas aux membres de son cabinet.

• Documents relatifs à la liberté d’expression :


documents 16, 17, 21
Non sans susciter de difficultés, la lecture des documents fait apparaître qu’en plus des précédentes catégories déjà relevées, plusieurs documents ont trait à la liberté d’expression. Ceux-ci ne paraissent pas pouvoir être intégrés à des groupes d’idées déjà identifiés. Le
découpage du plan est donc à redéfinir.

• Document 16

Ce document a trait, sans la nommer, à la question de la liberté d’expression et au secret des sources des journalistes.

Dans sa décision de novembre 2016, le Conseil Constitutionnel, les jugeant trop générales, a censuré les dispositions d’une loi relative à la protection des sources des journalistes qui instituaient une immunité à leur égard, ainsi qu’à l’égard de l’ensemble des
collaborateurs de rédaction. Cette immunité interdisait que soient engagées des poursuites en cas de commission de certains délits.

• Document 17
Ce document fait également référence, toujours sans la nommer, à la liberté d’expression et à l’immunité existant au profit de l’imprimeur.

Au terme de l’article 43 de la loi du 29 juillet 1881, l’imprimeur bénéficie d’une immunité pénale pour les écrits qu’il a imprimés. En effet, il ne peut être poursuivi comme complice du fait de l’impression des textes litigieux, sauf à être l’auteur de l’écrit contesté.

• Document 21
Ce document, relativement court, n’a qu’une valeur illustrative. Pour autant, il ne semble se rapporter à aucun groupe d’idées déjà identifié. Le seul élément susceptible de le rapprocher d’une thématique est le fait qu’il se réfère à la loi sur la presse du 29 juillet 1881 et qu’il
est relatif à la liberté d’expression de l’avocat. Il y est question d’une immunité de parole à l’audience.

L’article 41 de la loi du 29 juillet 1881 institue une immunité de parole pour les propos tenus par l’avocat dans le prétoire, s’opposant au prononcé de toute condamnation pénale. Toutefois cette « immunité de robe », n’exclut pas que soient diligentées des poursuites
disciplinaires à l’encontre de l’avocat. Cette immunité cesse dès que les propos litigieux sont tenus hors la salle d’audience (doc. 21).

IV. Réflexion sur le choix du plan

Lors de la lecture des documents, plusieurs idées successives de plan sont apparues. Pour permettre au candidat de suivre la réflexion menée, ces idées, bien que non retenues, seront détaillées comprendre leur limite :

1. Le plan Principe / Limites


Le plan Principe / limites pouvait apparaître comme adapté. Pourtant, la difficulté du sujet tient au fait de la multitude d’immunités évoquées par les documents. De fait, ce plan n’est pas adapté.

2. Le plan « Principe / Exception »


Ce plan permet de regrouper les éléments de définition et d’application dans une première partie avant d’envisager les exceptions dans une seconde partie.

I – La notion d’immunité en droit


A. La nature de l’immunité en droit
Immunité familiale / immunité protégeant la souveraineté de l’État ou celle d’une institution internationale
B. Le champ des immunités
Immunité de juridiction / immunité d’exécution / échec aux poursuites

II – Les limites aux immunités en droit


A. Des immunités limitées à l’exercice des fonctions
B. La levée d’immunité
La difficulté de ce plan est qu’il apparaît totalement déséquilibré. En effet, la seconde partie est, au vu du contenu des documents, bien trop faible au regard de la densité des idées de la première partie. Ce plan est, pour ce sujet, inapproprié.

3. L’idée de plan retenue


Au vu de la diversité des immunités en droit, qui touchent le contrat, la famille, la presse, mais aussi les organes de l’État et des États étrangers, la seule distinction permettant de regrouper les idées en conservant un équilibre au sein des parties est de distinguer les
personnes privées des personnes relevant de la puissance publique.
Il apparaît qu’un plan peut se dégager selon les axes suivants :
I – Les immunités en droit attachées aux personnes privées
II – Les immunités en droit attachées à la puissance publique
SUJET N° 1 | Corrigé de la note de synthèse
La notion d’immunité, qui étymologiquement désigne une exemption de charge, est apparue à la fin du XIIIe siècle. Elle n’a toutefois pas été mise en œuvre devant les juridictions avant le XIX e siècle (doc. 18).
Si en droit interne, certaines immunités protègent la solidarité familiale, les rapports contractuels ou plus généralement les libertés (doc. 12), au plan politique et international elles protègent la souveraineté en garantissant des immunités de juridiction et d’exécution
(doc. 18).
Ainsi, si des immunités existent au bénéfice de personnes privées (I), d’autres sont attachées à l’exercice de la puissance publique (II).

I – Les immunités en droit des personnes privées


Les immunités dont bénéficient les personnes garantissent d’une part les rapports existants entre elles (A), et d’autre part certaines libertés publiques (B).

A – Les immunités protégeant les rapports entre les personnes


Garantissant la solidarité familiale, le droit pénal prévoit des immunités familiales d’ordre patrimonial et moral. Concernant les premières, l’article 311-12 du Code pénal prévoit une immunité qui interdit toute poursuite lorsque des faits de vol ont été commis au préjudice d’un
membre de la famille, ascendant ou descendant ou conjoint. Cette immunité ne trouve toutefois pas à s’appliquer lorsque l’infraction porte sur des objets ou documents indispensables à la vie quotidienne ou lorsque l’auteur des faits est chargé d’une mission de protection
de la victime (doc. 1, 12). Concernant les immunités d’ordre moral, la loi prévoit une cause d’irresponsabilité pénale lorsque le lien familial explique la commission d’une infraction. Cette dernière cause d’immunité se trouve toutefois exclue quand existe une obligation de
dénonciation, notamment pour les atteintes graves à l’ordre public ou à l’intérêt des plus faibles, ou lorsque le lien familial est prohibé, s’agissant de la polygamie (doc. 12).
Dans la relation contractuelle existe aussi une immunité profitant au préposé. En effet celui-ci jouit, depuis un arrêt Costedoat rendu par l’Assemblée plénière de la Cour de cassation, d’une immunité pour les faits qui s’inscrivent dans la limite de sa mission (doc. 14). La
jurisprudence a toutefois retenu que cette immunité est personnelle et que lorsque le préposé commet une infraction pénale, même sur ordre du commettant, il demeure responsable des conséquences pénales et civiles, sa faute étant par ailleurs de nature à diminuer ou à
exclure son propre droit à indemnisation (Ass. plén. 14 décembre 2001, doc. 3, 14). Dans le cadre de l’exécution du contrat de travail, le salarié protégé, investi d’un mandat de représentation du personnel, bénéficie d’une immunité disciplinaire. En effet, le juge judiciaire et le
juge administratif retiennent qu’il ne peut faire l’objet d’un licenciement pour une faute intervenue en dehors de l’exécution de son contrat de travail (CE 15 décembre 2010, doc. 2).

B – Les immunités protégeant les libertés publiques


La loi du 29 juillet 1881 institue plusieurs immunités. Ainsi, son article 41 prévoit une immunité de parole pour les propos tenus par l’avocat dans le prétoire, toutefois cette « immunité de robe », n’exclut pas que soient diligentées des poursuites disciplinaires. Cette
immunité cesse par ailleurs dès que les propos litigieux sont tenus hors la salle d’audience (doc. 21).
Concernant la liberté de la presse, au terme de l’article 43 de la même loi, l’imprimeur bénéficie d’une immunité pénale. En effet, il ne peut être poursuivi comme complice pour l’impression de textes litigieux sauf à établir qu’il est lui-même l’auteur de l’écrit contesté (doc. 17).
Si une immunité pénale du journaliste existe également, afin de garantir le secret des sources, le Conseil Constitutionnel a toutefois censuré, dans une décision de novembre 2016, les dispositions d’une loi qui visaient à exclure de façon trop générale toute poursuite à
l’encontre de journalistes et collaborateurs de la rédaction pour la commission de certains délits (doc. 16).
Concernant le droit de grève, le pouvoir disciplinaire se trouve suspendu au cours de la grève et le salarié gréviste bénéficie de fait d’une immunité disciplinaire. Toutefois, cette immunité est exclue en cas de faute intentionnelle et d’une exceptionnelle gravité qui pourrait
justifier un licenciement pour faute lourde sur la base de l’article L.2511-1 du Code du travail (doc. 23).
Obstacle au délit de solidarité, instauré par l’article L.622-1 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et demandeurs d’asile (CESEDA), l’article L.622-4 3° du même code prévoit une immunité pénale pour la personne, physique ou morale, qui apporte, sans contrepartie
une aide à but exclusivement humanitaire au séjour ou à la circulation d’un étranger sans titre. La chambre criminelle, dans son arrêt du 26 février 2020, a précisé que ces dispositions s’appliquent même en l’absence de détresse des migrants et bénéficient également aux
actions non spontanées et militantes pouvant s’inscrire dans un cadre associatif (doc. 8, 12).

II – Les immunités en droit attachées à la puissance publique


Des immunités sont attachées à la puissance publique. Elles se manifestent à la fois en au profit des États étrangers (A’) mais bénéficient également aux chefs d’État (B’).

A – Les immunités des États étrangers


L’immunité des États étrangers est liée à leur souveraineté et est issue du principe de droit international par in parem non habet imperium. Elle vise à garantir l’indépendance et la continuité de leur action et bénéficie aux personnes qui concourent à son fonctionnement
(doc. 5, 18).
L’immunité de juridiction empêche un État de juger un État étranger. Si, au regard de l’article 274 du TFUE, l’Union européenne ne dispose pas d’une immunité de juridiction, la Cour de Justice a compétence pour examiner la quasi-totalité des litiges (doc. 5). La Cour
européenne des droits de l’homme a jugé que l’immunité de juridiction n’était pas nécessairement contraire à l’article 6 de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme (doc. 13, 18). Pour la Cour de cassation, l’immunité applicable aux ressortissants d’un
État étranger, en application de l’article 38,1 de la Convention de Vienne du 18 avril 1961, n’a toutefois pas vocation à s’appliquer lorsqu’une infraction, sans lien avec l’exercice des fonctions de l’agent, a été commise (Cass. Crim. 08 avril 2010, doc. 11). De la même manière, la
Cour de cassation admet que le principe d’immunité de juridiction soit écarté, dans le cadre de la légalité d’un licenciement d’un agent d’ambassade, dès lors qu’il n’est pas établi que l’action judiciaire présente un risque d’interférer avec les intérêts de cet État en matière de
sécurité (Cass. soc. 27 novembre 2019, doc. 6). Un État étranger peut en outre, tel que l’a fait le Vatican en juillet 2021, renoncer à l’immunité de son représentant lorsque celui-ci a commis une infraction pénale (doc. 22). Par ailleurs, le Parlement européen peut, indépendamment
d’éventuelles poursuites internes, décider de lever l’immunité d’un député (doc. 10).
L’immunité d’exécution interdit toute voie d’exécution sur les biens d’un État étranger (doc. 18). Au plan européen, toute mesure de contrainte à l’encontre de l’Union européenne doit être autorisée par la Cour de justice (doc. 5). Concernant les autres États, la Cour de
cassation a d’abord admis qu’il suffisait d’une renonciation expresse à l’immunité d’exécution pour l’écarter. Depuis l’entrée en vigueur de la loi Sapin du 9 décembre 2016 et de l’article L.111-1 du Code des procédures civiles d’exécution, elle exige désormais que pour qu’un
État étranger renonce à son immunité d’exécution, il faut que cette renonciation soit expresse et spéciale (Cass. civ. 1 re , 03 février 2021, doc. 4).

B – Les immunités des chefs d’État


En application de l’article 67 de la Constitution, le Président de la République Française n’est pas responsable des actes accomplis dans le cadre de ses fonctions. Les poursuites peuvent toutefois être exercées à son encontre un mois à compter de la cessation de son
mandat (doc. 19). Cette immunité du chef de l’État ne s’étend toutefois pas aux membres de son cabinet (Cass. crim. 19 décembre 2012, doc. 15). Une procédure de destitution peut être mise en œuvre à l’encontre du chef de l’État en cas de manquement à ses devoirs,
manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat (doc. 9). Concernant les parlementaires, ceux-ci peuvent être poursuivis sans conditions en cas d’infraction flagrante, les autres formes de poursuites sont subordonnées à une autorisation du bureau de leur
chambre. Les membres du gouvernement ne disposent d’aucune immunité, mais relèvent pour leur jugement de la compétence de la Cour de justice de la République (doc. 9).
La Cour internationale de justice a retenu que les chefs d’État étrangers, ainsi que les personnes occupant un rang élevé au sein de l’État, bénéficient d’une immunité de juridiction interdisant toute poursuite pénale ou civile à leur encontre dans un État étranger. La Cour
de cassation, dans un arrêt du 23 novembre 2004 a consacré ce principe découlant de la « coutume internationale », à la condition que le comportement fautif participe par sa nature et sa finalité à l’exercice de la souveraineté (doc. 20). Il a ainsi été jugé au Royaume-Uni
concernant le général Pinochet, que des violations graves des droits humains ne pouvaient caractériser des actes de souveraineté justifiant l’application d’une immunité de juridiction (doc. 7).
Lors de la rédaction du corrigé, il est apparu qu’un autre plan est possible pour la deuxième partie en construisant les deux sous-parties suivantes : A’. Les immunités de juridiction (qui inclut la partie relative aux chefs d’État) et en B’. Les immunités d’exécution, en
développant davantage les différentes jurisprudences et évolutions législatives.
SUJET N° 2

Le blasphème et la liberté d’expression


(Sujet ENM, septembre 2020)
SUJET N° 2 | Dossier documentaire

• Liste des documents


• Document n° 1 : Code de droit canonique (extraits).
• Document n° 2 : Cour de cassation, chambre criminelle, 28 juin 2017, n° de pourvoi : 16-83680.
• Document n° 3 : « Le blasphème est essentiellement une infraction politique », Jacques de Saint Victor, mardi 12 juillet 2016, lhistoire.fr.
• Document n° 4 : « L’Europe n’a pas évacué le blasphème, elle l’a transformé » Matthieu Stricot, publié le 29/06/2016, Lemondedesreligions.fr Festival philosophia.
• Document n° 5 : « Le blasphème, c’est sacré ! » 1er septembre 2019, Revuepolitique.fr.
• Document n° 6 : Droit au blasphème : une croisade laïque et démocratique, le 8 juin 2012, Contrepoints.org.
• Document n° 7 : Cour européenne des droits de l’homme ; Note d’information sur la jurisprudence de la Cour 222 / octobre 2018 ; E.S. c. Autriche – 38450/12 Arrêt 25.10.2018 [Section V].
• Document n° 8 : Délit de blasphème : « La CEDH n’est pas Charlie ! » Lefigaro.fr.
• Document n° 9 : Blasphème en France : frontière entre liberté d’expression et délit raciste, sélectionné par Perrine Debreu, Observatoirepharos.com.
• Document n° 10 : « Le blasphème fait partie des droits de l’homme, pas des bonnes manières » publié le 12 mars 2015, Lemonde.fr.
• Document n° 11 : Le blasphème en France et en Europe : droit ou délit ? Trois questions à Anastasia Colosimo, interview, 13 novembre 2018, institutmontaigne.org.

Document 1. Code de droit canonique (extraits)

LIVRE VI. LES SANCTIONS DANS L’ÉGLISE


DEUXIÈME PARTIE. LES PEINES POUR DES DÉLITS PARTICULIERS
TITRE I. LES DÉLITS CONTRE LA RELIGION ET L’UNITÉ DE L’ÉGLISE
Can. 1369 – Qui, dans un spectacle ou une assemblée publique, ou dans un écrit répandu dans le public, ou en utilisant d’autres moyens de communication sociale, profère un blasphème ou blesse gravement les bonnes mœurs, ou bien dit des injures ou excite à la haine ou
au mépris contre la religion ou l’Église, sera puni d’une juste peine.

Document 2. Cour de cassation, chambre criminelle, 28 juin 2017, N° de pourvoi : 16-83680

Sur le pourvoi formé […] contre l’arrêt de la cour d’appel de PARIS, chambre 2-7, en date du 11 mai 2016, qui, pour entrave concertée avec violences ou voies de fait à la liberté d’expression, a condamné […] à des peines d’amende ou de jours-amende ; […]
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 10 de la Convention européenne des droits de l’homme, 431-1 du Code pénal et 593 du Code de procédure pénale ; « en ce que l’arrêt attaqué a confirmé la culpabilité des demandeurs du chef d’entrave à la
liberté d’expression et les peines prononcées par les premiers juges et, sur l’action civile, les a condamnés à payer la somme de un euro aux parties civiles ; » aux motifs qu’en ce qui concerne l’entrave à une liberté publique, en l’espèce la liberté d’expression, cette notion ne
suppose pas nécessairement une action ayant rendue impossible l’exercice de cette liberté, la perturbation ou l’interruption d’un spectacle dans la limite de la résistance opposée aux perturbateurs correspondant à l’infraction visée par le texte qui fonde la prévention ; que,
par ailleurs, si c’est à bon droit que les prévenus opposent leur propre liberté d’expression à celle du spectacle (sic) qu’ils ont entravé, celui-ci ne saurait être admis en l’espèce dans la mesure où leur action n’est pas la réaction spontanée d’un spectateur à une
représentation, dont il critique la qualité ou le contenu, mais la volonté d’entraver un spectacle qui ne leur était nullement imposé ; que leur sera encore proposé l’attitude des quelques prévenus dont la désapprobation s’est exprimée par le seul fait de quitter la salle
éventuellement en exprimant d’une phrase du type « c’est un scandale » leur indignation ; […] ; qu’en effet, leurs interventions orales limitées ou assumées ne dépassent pas les limites de la liberté d’expression en ce qu’elles n’étaient pas de nature à provoquer l’interruption
du spectacle ; qu’il n’en est pas de même du fait de monter sur la scène, ou encore de manifester la volonté de le faire dans des conditions telles que la nécessaire intervention des services de sécurité entraîne l’interruption, même provisoire, du spectacle, tous comportements
qui caractérisent la voie de fait ; que la déclaration de culpabilité de l’ensemble des autres prévenus sera donc confirmée, de même que des peines exactement adaptées ; […] ; que les parties civiles dont la recevabilité n’a pas été contestée, soit celles de M. Roméo V…, de
M. Giancarlo W… et du Théâtre de la Ville ont donc, en des conclusions communes, sollicité chacune la condamnation des prévenus à leur payer un euro de dommages-intérêts au titre de leur préjudice moral ; […] ; que les parties civiles font valoir le fondement même de la
poursuite, soit l’atteinte à leur liberté d’expression ; que les prévenus ont fait plaidé (sic), selon les cas alternativement ou cumulativement, que leur action correspondait à l’exercice de leur propre liberté d’expression, ainsi que l’atteinte portée par les parties civiles à leurs
convictions religieuses, les parties civiles étant à ce dernier titre à l’origine de leur propre dommage, ils s’opposent, en conséquence, à une réparation, même symbolique ; que les prévenus condamnés au titre de l’action publique seront nécessairement tenu (sic) à la
réparation de l’incontestable préjudice moral subi par les parties civiles ; que la décision du tribunal sera sur ce point confirmée ;
« 1°) alors que l’entrave au sens de l’article 431-1 du Code pénal suppose une action concertée en vue d’empêcher totalement l’exercice de la liberté d’expression ; que le seul trouble momentané dans le déroulement d’un spectacle ne saurait donc constituer une entrave ;
qu’en l’espèce, le comportement des prévenus, qui relevait de l’exercice de leur liberté d’opinion, comprise dans celle d’expression, leur droit à leur liberté de conscience ayant été bafoué par l’injure faite à un symbole sacré de leur religion, n’a perturbé que momentanément le
déroulement du spectacle, qui a ensuite repris son cours sans être annulé ; que l’atteinte à la liberté d’expression des parties civiles a donc été proportionnée et a poursuivi un but légitime, l’exercice de leurs libertés d’expression et de conscience par les prévenus ; que la cour
d’appel a pourtant considéré que l’entrave à la liberté d’expression “ne suppose pas nécessairement une action ayant rendue impossible l’exercice de cette liberté, la perturbation et l’interruption du spectacle” “correspondant à l’infraction visée par le texte qui fonde la
prévention” ; qu’en statuant ainsi, la cour d’appel a violé l’article 431-1 du Code pénal » ;
« 2°) alors que le juge pénal ne peut prononcer de peine qu’autant qu’il a caractérisé tous les éléments constitutifs de l’infraction ; qu’il lui incombe, s’agissant du délit d’entrave à la liberté d’expression, de caractériser notamment la voie de fait, qui, en l’absence de
définition légale, s’entend de tout acte qui, sans atteindre physiquement la personne, est susceptible de lui causer une impression vive, une émotion violente et de troubler sa sécurité ; qu’en l’espèce, la cour d’appel a considéré que le « fait de monter sur la scène, ou encore
de manifester la volonté de le faire dans des conditions telles que la nécessaire intervention des services de sécurité entraine l’interruption, même provisoire, du spectacle » caractérisaient la voie de fait ; qu’en prononçant comme elle l’a fait, sans caractériser en quoi le fait de
monter sur scène, de prier, de chanter l’Ave Maria, de crier au blasphème, à la christianophobie et au scandale ou encore vive le Christ avait fait subir aux parties civiles une émotion violente et suscité la crainte pour leur sécurité et sans prendre en compte le fait qu’elles ont
pris, en toute connaissance de cause, le risque de choquer profondément des croyants en insultant un symbole sacré de leur religion chrétienne et qu’aucun acteur ou metteur en scène ne peut prétendre ignorer que, si sa liberté d’expression est sacrée, elle peut trouver ses
limites dans la souillure de ce qui est sacré pour d’autres, dont la réaction est donc prévisible, la cour d’appel a violé l’article 431-1 du Code pénal » ;
« 3°) alors que dans l’hypothèse d’un conflit dans lequel les parties invoquent l’atteinte à l’exercice d’une même liberté, le juge doit mettre en balance les intérêts de chaque partie, afin de rechercher si les deux atteintes s’équilibrent ou si l’une est abusive et de s’assurer
que la protection de la liberté d’une partie n’entraine pas le sacrifice de celle de l’autre ; qu’en l’espèce, la cour d’appel était invitée à mettre en balance la liberté d’expression des prévenus, qui revendiquaient leur droit de protester contre une injure faite à un symbole de la
religion, et celle des parties civiles, qui opposaient leur droit de mettre en scène un spectacle scatologique se terminant par la souillure du visage du Christ ; que la cour d’appel a pourtant considéré que “si c’est à bon droit que les prévenus opposent leur propre liberté
d’expression à celle du spectacle (sic) qu’ils ont entravé, celui-ci ne saurait être admis en l’espèce dans la mesure où leur action n’est pas la réaction spontanée d’un spectateur à une représentation, dont il critique la qualité ou le contenu, mais la volonté d’entraver un
spectacle qui ne leur était nullement imposé ; que leur sera encore proposé l’attitude des quelques prévenus dont la désapprobation s’est exprimée par le seul fait de quitter la salle éventuellement en exprimant d’une phrase du type ’c’est un scandale’ leur indignation ; […] ;
qu’en effet, leurs interventions orales limitées ou assumées ne dépassent pas les limites de la liberté d’expression en ce qu’elles n’étaient pas de nature à provoquer l’interruption du spectacle” ; qu’en statuant ainsi, sans mettre en balance les intérêts en cause, en réduisant
la liberté d’expression des prévenus à la faculté de quitter individuellement la salle, en pouvant “éventuellement” exprimer leur désapprobation, et en protégeant de manière absolue la liberté d’expression des parties civiles en occultant totalement celle des demandeurs, la
cour d’appel a violé l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme » ;
Attendu qu’il résulte de l’arrêt attaqué, du jugement qu’il confirme et des pièces de procédure que trois représentations du spectacle intitulé “Sur le concept du visage du fils de Dieu” ont été perturbées et momentanément interrompues par des spectateurs qui, de façon
concertée, sont montés sur la scène, en criant, chantant et priant, ou encore, lors de la dernière représentation concernée, ont lancé des boules puantes ; que M. X… et les autres demandeurs au pourvoi, ainsi que huit autres personnes, ont été poursuivis devant le tribunal
correctionnel, du chef susvisé ; que les juges du premier degré ont déclaré coupables les demandeurs au pourvoi autres que M. Christian I… ; que ces prévenus, ainsi que les parties civiles et, à titre incident, le ministère public, ont relevé appel de cette décision ;
Attendu que, pour confirmer le jugement à l’égard de vingt-six des trente appelants, l’arrêt énonce notamment que l’entrave à la liberté d’expression ne suppose pas nécessairement une action ayant rendu impossible l’exercice de cette liberté, mais est caractérisée par la
perturbation ou l’interruption d’un spectacle dans la limite de la résistance opposée aux perturbateurs ; que les juges, après avoir relaxé quatre prévenus qui ont quitté la salle en exprimant éventuellement d’une phrase leur indignation et n’ont ainsi pas outrepassé les limites
de leur liberté d’expression, ajoutent que les autres prévenus ne sauraient invoquer, en l’espèce, l’exercice de leur propre liberté d’expression, dès lors que, loin de manifester spontanément leur désapprobation, ils avaient la volonté d’entraver un spectacle qui ne leur était
nullement imposé ; que la cour d’appel retient enfin que le fait de monter sur la scène ou de tenter de le faire dans des conditions obligeant à l’intervention des services de sécurité, fait qui a entraîné l’interruption, même momentanée, du spectacle, caractérise la voie de fait ;
Attendu qu’en l’état de ces énonciations, procédant de son appréciation souveraine des faits et circonstances de la cause, dont il résulte qu’elle a, sans insuffisance ni contradiction, caractérisé, en tous ses éléments, tant matériel qu’intentionnel, le délit d’entrave
concertée avec voies de fait à la liberté d’expression dont elle a déclaré les prévenus coupables, la cour d’appel a justifié sa décision sans méconnaître les dispositions légales ou conventionnelles visées au moyen, lequel doit, en conséquence, être écarté ; […]
II. Sur le pourvoi en tant qu’il est formé pour les autres demandeurs :
Le REJETTE ; […]
Décision attaquée : Cour d’appel de Paris, du 11 mai 2016

Document 3. « Le blasphème est essentiellement une infraction politique », Jacques de Saint Victor, mardi 12 juillet 2016, lhistoire.fr

Michèl Winock a interviewé pour L’Histoire Jacques de Saint Victor qui a remporté le prix du Sénat du livre d’histoire 2016 pour son ouvrage Blasphème, brève histoire d’un crime imaginaire.
L’Histoire — Quelle définition donnez-vous du blasphème ?
Jacques de Saint Victor – Le blasphème a une définition extrêmement souple. C’est ce que l’on appelle une infraction molle, c’est une injure, un outrage à la divinité. Il évoque la désacralisation de ce qui est sacré : « Paroles qui outragent la divinité », dit le Littré. L’intérêt et
la difficulté de ce thème en histoire du droit tiennent au fait que cette infraction religieuse est essentiellement une infraction politique. En conséquence, sa définition évolue beaucoup selon les contextes politiques ou théologico-politiques.
L’Histoire — Le blasphème existe avant tout dans les religions monothéistes et aurait donc commencé avec les Hébreux. Que représentait pour eux le blasphème ? Est-il différent du blasphème chrétien ?
Jacques de Saint Victor – Chez les Hébreux, le blasphème est puni de mort parce que Moïse a annoncé aux enfants d’Israël : « Qui blasphème le nom de Yahvé devra mourir, toute la communauté le lapidera. Qu’il soit étranger ou citoyen, il mourra s’il blasphème le Nom. »
Les premiers chrétiens furent moins sévères que les Juifs. Il faut se souvenir que le Christ lui-même fut accusé de tenir des propos blasphématoires. Aussi les chrétiens sont-ils assez compréhensifs, notamment avec ce qu’ils appellent le « blasphème d’amour », comme le
cri de Léon Bloy dans Le Désespéré (1887). Chez les chrétiens, le blasphème y est le plus souvent considéré comme un péché dont il faut s’amender plutôt que comme un crime qu’il faut punir de mort. Dès lors, c’est bien souvent la législation civile – et non la législation
canonique – qui condamnait le plus sévèrement le blasphème. Au Moyen Âge, les rois craignent que le blasphème ne suscite les foudres divines contre leur royaume.
L’Histoire — Ce mot vient du latin. On parlait donc déjà de blasphème à Rome ?
Jacques de Saint Victor – Le blasphème était déjà présent chez les Grecs, on le retrouve, par exemple, dans certains textes de Platon. Mais il ne prend son sens et ne devient véritablement un crime grave et passible de mort en Occident qu’avec l’empereur Justinien (Novelle
77). Le droit romain chrétien reprend la sanction des Hébreux. C’est ce qui explique qu’il y ait eu, notamment à partir du XIIIe siècle – où l’on redécouvre le corpus juridique romain –, cette tentation de faire du blasphème un crime passible de la peine de mort. Saint Louis
(1226-1270), par exemple, était désireux de condamner à mort le blasphémateur et c’est le pape Clément IV qui, tout en le félicitant, lui recommanda de comprendre la singularité de cette infraction. On se limita alors au couple amende/pénitence.
L’Histoire — Le blasphème est une notion relative, puisque l’on peut toujours être traité de blasphémateur par quelqu’un qui n’a pas la même religion, je pense aux guerres de Religion, par exemple…
Jacques de Saint Victor – Bien sûr. À partir de la Renaissance et des guerres de Religion le blasphème devient ce que l’on peut appeler un crime identitaire : le blasphémateur, c’est « l’Autre », celui qui n’a pas la même religion. C’est un point particulièrement intéressant
parce qu’on va voir le blasphème être utilisé comme une arme pour s’imposer. Pour les fanatiques, la religion de l’autre est forcément une religion « blasphématrice ». C’est une conception qui durera au moins jusqu’aux traités de Westphalie de 1648. Au XVIIe siècle, ce
qu’on a appelé la « configuration blasphématoire » perd sa dimension politico-religieuse. Car les États européens cherchent à retrouver leur unité religieuse à travers la consécration du principe « Cujus regio, ejus religio », « la religion du prince est la religion du peuple ».
L’Histoire — Sous l’Ancien Régime le blasphème était donc un délit politique ?
Jacques de Saint Victor – Il peut être considéré comme un délit politique car il est associé au crime de lèse-majesté. Louis XIV s’en préoccupe : plusieurs déclarations royales, notamment en 1651 et 1666, officialisent la condamnation à mort pour les « blasphèmes énormes ».
Ce qui n’avait pas été prévu au Moyen Âge devient possible sous la monarchie absolue qui voit le triomphe du droit divin des rois. Celui qui outrage la divinité outrage par conséquent le roi. Les crimes de lèse-majesté divine et de lèse-majesté royale ne font pour ainsi dire
plus qu’un. Mais ce qui est beaucoup plus intéressant, c’est que, très vite, dès la fin du règne de Louis XIV, la conception du blasphème évolue : ce dernier va s’apparenter désormais à un trouble à l’ordre public. Au fond, ce n’est plus tellement parce qu’il offense Dieu
que le blasphémateur sera poursuivi mais essentiellement parce qu’il trouble l’ordre public en blessant ceux qui croient.
L’Histoire — Est-ce le cas du chevalier de La Barre, condamné à mort pour blasphème en 1766 ?
Jacques de Saint Victor – On l’accuse de plusieurs choses. Au départ il est soupçonné d’avoir tailladé un Christ sur la croix du pont d’Abbeville dans la nuit du 9 août 1765. Mais ensuite des éléments supplémentaires alourdissent le dossier ; on l’accuse, par exemple, de
ne pas s’être découvert lors d’une procession. On découvre chez lui, et c’est l’élément clé dans cette affaire, le Dictionnaire philosophique portatif de Voltaire. Cette affaire s’inscrit dans un contexte de règlement de comptes entre les jansénistes du parlement de Paris et le
clan des philosophes, en particulier Voltaire, qui explique la dramatique condamnation à mort de La Barre. Mais on peut dire que lorsque commence l’affaire ce qui choque en premier lieu, c’est que l’on ait blessé les croyants.
Les recueils de jurisprudence de l’époque, comme le Répertoire universel de Guyot ou celui de Merlin, soulignent tous que les juges ne doivent plus chercher à venger Dieu mais à protéger les consciences en condamnant ceux qui « attaquent la religion ». L’idée médiévale
selon laquelle il faudrait condamner une offense à Dieu car elle risquerait de porter préjudice au royaume n’est plus la conception qui prime en ce siècle des Lumières. On pense surtout à préserver le bon ordre d’une société chrétienne déjà en bonne partie sécularisée. La
place du divin y est souvent moins marquée qu’aux siècles passés.
L’Histoire — Cette affaire du chevalier de La Barre marque donc un tournant dans l’histoire du blasphème ?
Jacques de Saint Victor – Oui. C’est cette condamnation qui, en ayant bouleversé l’opinion, conduira à l’abolition du délit de blasphème dans le premier Code pénal de 1791.
L’Histoire — La Révolution a aboli le blasphème, mais vous écrivez que ce fut une « abolition en trompe l’œil »…
Jacques de Saint Victor – En effet, une loi du 17 mai 1819 (dite loi de Serre), supprimant la censure et réprimant les délits de presse, crée dans son article 8 l’infraction « d’outrage à la morale publique et religieuse ». Par ce dernier mot, elle rétablissait le délit de blasphème, tel
qu’il était entendu au XVIIIe siècle, c’est-à-dire un trouble à l’ordre public pour des propos blessants la religion. Pendant longtemps, les historiens se sont focalisés sur la loi de 1825 rétablissant la peine de mort pour le sacrilège. Mais cette loi grotesque n’a jamais été
appliquée et elle a été abolie dès 1830. Alors que l’article 8 de la loi de Serre, aggravé en 1822, est resté en vigueur jusqu’en 1881 ! C’est grâce à ce texte qu’on a pu poursuivre Flaubert, qu’on a pu condamner Baudelaire et Proudhon et tant d’autres. Dès le vote du texte,
Daru, à la Chambre des pairs, ne s’était pas trompé : « On commencera par proscrire un livre licencieux et on finira par […] mutiler l’Esprit des lois ». La répression fut de plus en plus pointilleuse, surtout sous le Second Empire. Benjamin Constant avait bien résumé le
danger : ce délit allait transformer les tribunaux en « arènes de métaphysique ».
L’Histoire — Il fallut donc attendre la IIIe République pour en finir avec le délit de blasphème ?
Jacques de Saint Victor – C’est la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse qui va supprimer l’outrage à la morale religieuse. On peut désormais critiquer librement les religions, à condition de ne pas injurier ni diffamer les croyants. Ajoutons qu’on peut aussi caricaturer
les religions (la législation contre les caricatures avait été très instable durant tout le XIX e siècle, le siècle de la caricature). On peut dire que la loi de 1881 crée le meilleur régime de liberté « encadrée ». Ce n’est pas la liberté totale, comme aux États-Unis, car il existe de
nombreuses limites (art. 23 à 40), notamment en matière d’injures et de diffamations. Mais elle préserve entièrement le débat d’idées.
Je voudrais évoquer un point très éclairant. La droite catholique la plus conservatrice, représentée à l’époque par Mgr Freppel, évoqua le « respect des croyances » pour essayer de préserver le délit d’outrage à la morale religieuse. Il fallait, selon Mgr Freppel, protéger ce
qu’il y avait « de plus auguste et de plus sacré dans le monde », c’est-à-dire Dieu. Il évoque les mots qui blessent, etc. Par une sorte d’ironie de l’histoire, on voit aujourd’hui certains de ceux qui ont attaqué en justice Charlie Hebdo reprendre mot pour mot les arguments
de la droite catholique la plus conservatrice de l’époque. Revanche posthume de Mgr Freppel ? À l’époque, Clemenceau avait balayé tous ces arguments d’un revers de manche : « Dieu se défendra bien lui-même ; il n’a pas besoin de la Chambre des députés. » Dès lors,
un climat de liberté d’expression s’imposa en France.
L’Histoire — Pourtant, en 1972, tout semble avoir été remis en question par la loi Pleven, et vous dites qu’aujourd’hui le délit de blasphème n’a jamais compté autant de défenseurs ?
Jacques de Saint Victor – Aujourd’hui, la situation est très paradoxale. Il est clair que le délit de blasphème ne risque pas d’être rétabli en France. La République laïque l’empêche, malgré les hésitations du droit européen et les tentatives de certains juristes catholiques,
dans les années 1980, de le restaurer subrepticement par le biais de la réparation de la « blessure aux convictions intimes ». Les arrêts de la Cour de cassation du 12 juillet 2000, que M e Henri Leclerc a justement qualifiés de « révolution du droit de la liberté d’expression »,
ont définitivement écarté ces tentatives.
Pourtant, à la même époque, c’est-à-dire dès le début des années 2000, on voit bien que la liberté d’expression est en crise : il y a un courant croissant de l’opinion, notamment dans les milieux islamistes, désireux de confondre critique de la religion et insulte aux croyants.
Cette évolution est liée au retour du religieux que Daniel Bensaïd a bien résumé : « Quand la politique est à la baisse, la théologie est à la hausse. » Ce ne sont plus seulement les penseurs réactionnaires qui remettent en cause l’héritage des Lumières, de Spinoza à Kant. La
critique des religions devient suspecte aux yeux de certains « progressistes ». En outre, la rédaction maladroite de la loi Pleven de 1972, créant le délit de « provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence » commises envers une personne non seulement à raison
de sa race mais aussi de son « appartenance à une religion déterminée » (comme si on « appartenait » à une religion), a involontairement tendu un piège en voulant bien faire. Désireuse de combattre à juste titre le racisme, elle a permis à des associations de porter plainte
en justice, alimentant non seulement le climat de judiciarisation du débat public mais aussi sa dérive communautariste. La justice a commis l’erreur d’autoriser à contester juridiquement non seulement des associations universalistes condamnant le racisme, comme la Ligue
des droits de l’homme, mais aussi des associations religieuses, souvent intégristes. Du coup, le fondement même du combat antiraciste a basculé. De l’affirmation de notre commune et égale appartenance au genre humain, il se métamorphose en exaltation des différences
et des croyances, pour revendiquer une différence d’identité, de culture ou de religion. Il n’est pas sûr que nous ayons beaucoup à y gagner en termes de cohésion publique.
(Propos recueillis par Michel Winock.)

Document 4. « L’Europe n’a pas évacué le blasphème, elle l’a transformé » Matthieu Stricot – publié le 29/06/2016 – Lemondedesreligions.fr Festival Philosophia

Entre théologie politique et philosophie, la question du blasphème a été le point de départ du débat Religions, croyances et interdits, organisé en mai dernier dans le cadre du festival Philosophia, à Saint-Émilion.
« Depuis quelques décennies, nous assistons à un choc des cultures entre les discours religieux et le monde sécularisé. » Isabelle Francq, journaliste à l’hebdomadaire La Vie, a animé le débat Religions, croyances et interdits le 29 mai dernier, à l’occasion du Festival
Philosophia, à Saint-Émilion (Gironde). « De la fatwa émise par l’ayatollah Khomeini contre l’écrivain britannique Salman Rushdie en 1989 aux attentats contre Charlie Hebdo en 2015, la notion de blasphème revient sur le devant de la scène. »
Sur ces mots, les cloches de l’église collégiale de Saint-Émilion se mettent à résonner dans le cloître qui abrite le débat. Anastasia Colosimo, doctorante à Sciences Po et spécialiste en théologie politique, ne se laisse pas impressionner : « Le blasphème est présent dans
toutes les cultures. Ce concept multiforme est d’origine théologico-politique, car toute politique se fonde sur une théologie. »
La jeune doctorante rappelle que, si le philosophe grec Socrate a été condamné à mort pour impiété, c’est qu’« il est allé à l’encontre des dieux de la Cité. Par extension, contre la Cité elle-même ». Elle signale également une autre grande figure condamnée pour
blasphème par le Sanhédrin : Jésus. « L’entité blasphémée a toujours été soit Dieu, soit le Prince. »
Avec la séparation de l’Église et de l’État, ce concept devrait ne plus avoir de sens.
« Sauf que tout s’est complexifié. Nous assistons à une sécularisation du blasphème dans les sociétés occidentales. » Certains pays européens résistent encore à la modernité : en Italie catholique, le blasphème est une infraction. Dans la Grèce orthodoxe, il constitue un
délit. « Pas seulement quand cela concerne la religion majoritaire. La législation est valable pour l’ensemble des religions présentes sur leur territoire. »

L’apparition du « croyant offensé »


Si ce délit n’existe plus en France, la loi sur la presse de 1881 reconnaît toutefois la diffamation envers une personne ou un groupe de personnes en rapport à leur appartenance ou non à une religion déterminée (article 32).
La loi Pleven de 1972 relative à la lutte contre le racisme est plus précise. « Cette dernière introduit l’interdiction de provocation à la haine et à la discrimination de toute race, ethnie, croyance… Par conséquent, elle autorise des communautés de victimes à porter
plainte, pour faire valoir leurs droits. L’Europe n’a pas évacué le blasphème, mais l’a transformé. »
Auparavant, les cas de blasphème ne renvoyaient qu’à deux entités : le blasphémateur et l’entité blasphémée. « Par un contournement juridique, la modernité en a introduit un troisième : le croyant offensé. Dans les pays musulmans également, la question de l’insulte
aux croyants est davantage mise en avant que l’insulte au Prophète ». Pour Anastasia Colosimo, « le retour du religieux a replacé l’homme là où il ne doit pas être. D’où une incompréhension. La démocratie devrait permettre toutes les opinions ».
Isabelle Francq s’interroge : « Après les attentats contre Charlie Hebdo, les chrétiens se sont prononcés en masse pour la liberté d’expression. Pourquoi cette liberté passe-t-elle bien dans nos sociétés judéo-chrétiennes, alors qu’elle est plus difficile à concevoir pour
d’autres communautés ? »

Des religions, plusieurs réalités


« Il faut d’abord s’interroger sur le sens du mot “religion”, qui cache des réalités très différentes », rappelle la philosophe Sophie Nordmann, enseignante à l’École pratique des hautes études (EPHE) et à l’École Polytechnique. « Commencer par questionner ce qui
semble aller de soi, comme l’expression “les monothéismes” ou l’association de la religion à la croyance en Dieu. »
Spécialiste de la philosophie juive contemporaine, Sophie Nordmann rappelle que le mot « religion » n’existe pas en hébreu ancien. « Le mot “dat” apparaît dans le livre d’Esther, mais ce terme issu du perse signifie “loi”. Cette idée de “loi” est centrale dans le
judaïsme, contrairement au christianisme qui s’est affirmé contre la loi juive. »
De plus, il n’y a pas d’équivalent du baptême dans le judaïsme, « pas même la circoncision. On naît juif. Ensuite, c’est une question de transmission de la loi, de la tradition ». Alors que les orthodoxes souhaitent garder cette tradition la plus intacte possible, les courants
juifs libéraux préfèrent l’adapter aux conditions de vie.
En outre, contrairement au christianisme, il n’y a pas de credo dans le judaïsme. « Le concept de credo lui-même est problématique. En effet, le judaïsme lutte contre toute idolâtrie, contre toute idée de maître qui nous serait supérieur. La croyance en Dieu peut être une
question, mais pas un présupposé. Dès lors, de quoi parle-t-on lorsque l’on évoque des croyants ? La confusion découle du manque de discernement entre ces différents termes. »
« Malgré ces différentes réalités, nous sommes bien obligés de dialoguer, remarque Isabelle Francq. Pourquoi la laïcité, qui devrait nous permettre de vivre ensemble, est-elle remise en cause par certains et défendue par d’autres ? »

Laïcité et intérêt général


Pour Anastasia Colosimo, le problème réside dans le fait que « l’État prend le religieux dans sa globalité, alors que les rapports à chaque religion sont différents ».
La laïcité française, issue du conflit entre l’État et la communauté catholique, s’inscrit dans un régime républicain. La spécialiste distingue deux visions de la laïcité et du bien commun : « Pour la conception anglo-saxonne, la somme des biens de tous les particuliers donne
l’intérêt général. La philosophie politique française est plus ambitieuse : l’intérêt général se place au-dessus de tous les intérêts particuliers.
Dans l’espace public, nous sommes tous égaux. »
Par conséquent, l’État ne s’adresse jamais à des communautés, mais à des citoyens. « Nous refusons ainsi de prendre en considération l’appartenance communautaire. » Après les attentats contre Charlie Hebdo, les pays anglo-saxons avaient accusé la France d’avoir un
système coercitif. « Pourtant, la laïcité française n’a aucune volonté de réprimer les appartenances. Elle a seulement la volonté d’émanciper l’homme, par un seuil, un “SMIC” de valeurs non négociables. »
Comment adapter cette conception à l’islam, dont « la foi se révèle dans l’observance de la loi ? Faut-il adapter la laïcité, prévoir des lois d’exception ? Il faut adopter un discours mesuré. Nous avons vocation à défendre le système pour s’accomplir, appartenir à
l’humanité. »
Sacralisation de l’État ?
La philosophe Sophie Nordmann différencie toutefois le contexte de 1905 de celui d’aujourd’hui : « D’une opposition passée entre laïques et antilaïques, nous sommes arrivés à un conflit entre différentes conceptions de la laïcité. » Certes, rares sont ceux qui rejettent le
principe de séparation de l’Église et de l’État. Le débat porte plutôt sur la visibilité dans l’espace public : « Cet espace doit-il être neutre ou doit-il permettre à toutes les singularités de s’y exprimer ? Le concept de transparence est omniprésent : doit-on privilégier l’invisible
ou le tout-visible ? Les opposants comme les défenseurs du port du voile disent agir au nom de la laïcité. »
Finalement, cette laïcité n’a-t-elle pas pour conséquence une « sacralisation de l’État » ? Cette question d’un spectateur à Anastasia Colosimo revient sur la polémique apparue lorsque La Marseillaise avait été sifflée au Stade de France en octobre 2001, avant un match de
football France-Algérie. La spécialiste de théologie politique rappelle que, si « la Révolution française était censée abolir l’ancien monde et le pouvoir de l’Église, les républicains ont mis en place le culte de l’Être Suprême, le baptême républicain, et même l’Évangile
républicain ».
Théologique et sacré constituent la politique : « Si l’on veut se débarrasser complètement du religieux, il faut abandonner ses rituels et changer de langage. Mais il demeure très difficile de faire sans le sacré, sachant que le mot existe. »
Pas d’autorité sans sacralité. « Cependant, le politique doit être capable de ne pas molester ses contradicteurs. »

Document 5. « Le blasphème, c’est sacré ! » 1er septembre 2019 Revuepolitique.fr

Lors de sa conférence sur la laïcité aux AMFiS d’été de la France insoumise le week-end dernier, Henri Pena-Ruiz a déclaré qu’on avait « le droit d’être islamophobe ». Depuis, le philosophe est accusé de racisme et est l’objet d’insultes et de menaces.
Réaction de Laurence Taillade,
présidente de Forces laïques
La polémique engagée autour des propos d’Henri Pena-Ruiz, lors de l’université d’été de la France insoumise, doit nous alerter sur la montée d’une forme de bien-pensance qui veut imposer à tout prix un retrait de nos principes fondamentaux.
Accusé de racisme, au prétexte d’avoir défendu le droit d’être islamophobe, athéophobe ou cathophobe, le philosophe, connu pour son œuvre au service de la lutte contre toutes les formes de xénophobie et à la promotion de la laïcité, est calomnié d’une manière
totalement injuste.
Le terme islamophobie vient de la contraction entre islam, qu’il n’est pas nécessaire de traduire ici et « phobie », de la racine grecque (pôpoç signifiant « frayeur » ou « crainte ». L’association de ces deux mots devrait désigner la crainte, la frayeur, éventuellement la haine
de l’islam.
Nulle référence aux musulmans ne pourrait y être associée.
Il n’est d’ailleurs pas admissible de critiquer un croyant du fait de sa croyance.
Pourtant on assiste à la naissance d’une véritable fumisterie intellectuelle avec le détournement de sens d’un mot qui trouverait sa source au XX e siècle. Tariq Ramadan, petit-fils du fondateur des Frères musulmans, s’en sert, au début des années quatre-vingt-dix, pour
désigner une forme de harcèlement des musulmans, comparable à l’antisémitisme. Quelques années plus tôt, les Mollahs iraniens en font un anathème contre leurs opposants, militants laïques et féministes, principalement.
L’utilisation de ce terme prend alors les contours d’un chantage au racisme, interdisant toute critique de l’islam et de ses dérives.
Ainsi, par un simple mot, ils ont trouvé le moyen de fracturer la Nation sans résistance, de communautariser, de repousser les limites de la République. Les Français de confession musulmane se sont trouvés sous la coupe d’islamistes, qui nous ont désarmés
intellectuellement. On a laissé ces individus coller des cibles sur le front de ceux qui ont voulu résister par leur plume. Toute l’équipe de Charlie Hebdo en a été la sanglante victime. Laissant la France dans la stupeur.
Faut-il le rappeler, être qualifié d’islamophobe tue.
Certains semblent trouver un malin plaisir à lister, jeter à la vindicte ceux dont les propos ne leur conviennent pas. À commencer par le CCIF, cette officine qui tente de revenir, notamment, sur les lois de 2004 et 2010, qu’ils jugent islamophobes. D’autres, au sein de la
France insoumise, portent les discours haineux de ce collectif, ou du Parti des Indigènes de la République. Ils attisent les tensions communautaristes et défendent l’indéfendable, sur les réseaux sociaux. Youssef Brakni tient des meetings politiques dans les mosquées et
apporte son soutien au terroriste Georges Ibrahim Abdallah. Danièle Obono défraye la chronique en affichant son amitié pour Houria Bouteldja, que Jean-Luc Mélenchon, lui-même, qualifie de « racialiste, antisémite, communautariste ». Ils sont loin d’être isolés.
Ces dissensions internes entre insoumis sont le révélateur de ce qui se joue au sein de la gauche de notre pays.
Elle a quitté le terrain des valeurs humanistes pour se consacrer à une lutte contre le racisme dévoyée en communautarisme en faveur des musulmans, nouveaux damnés de la terre.
En agissant ainsi, elle se détourne de ses luttes originelles et offre un bien triste spectacle, considérant que les maghrébins ne peuvent s’extraire de leur condition de musulmans issus de pays colonisés. Il s’agit d’une honteuse et larmoyante condescendance.
Le mal s’est métastasé à tous les partis prétendument progressistes. L’Observatoire de la laïcité n’y est pas étranger. Ses dirigeants ont banalisé le détournement cette expression. Alors qu’Elisabeth Badinter, sur les ondes de France Inter en janvier 2016, assumait qu’« il ne
faut pas avoir honte d’être traité d’islamophobe », Nicolas Cadène, rapporteur de cette instance gouvernementale, s’en était violemment pris à elle, sans jamais avoir été blâmé.
L’islam n’est ni une origine, ni une ethnie mais bien une religion qui doit, au même titre que les autres cultes, se prêter à l’exercice de la raison critique. Or, si toute exégèse de cette religion se trouve interdite, par cette malhonnêteté intellectuelle qu’est l’islamophobie, on se
retrouve face à un retour en force du délit de blasphème, ce qui semble totalement incongru, eu égard à notre histoire.
La France, pays de la Révolution et des Lumières, celle qui a inventé la séparation des Eglises et de l’État et le principe de liberté absolue de conscience, se voit interdire la possibilité de critiquer l’islam !
Ainsi, l’esprit même de la loi de 1905 se retrouve bafoué par des individus aculturés, au mieux, dangereux, au pire, si l’objectif visé est bien d’imposer la censure.
Où est passé l’esprit de concorde apporté par les Lumières ?
Y renoncer, c’est accepter le retour des persécutions au nom de la foi et des épisodes pas si lointains de notre histoire comme l’affaire Callas, la torture et la mise à mort du chevalier de La Barre, des massacres comme celui de la Saint Barthélémy. Sommes-nous devenus
tous si incultes ou amnésiques pour être incapables de nous accrocher à ce qui nous rend libres et égaux en droit et nous protège d’un retour des affrontements sanglants qu’ont provoqués les religions sur notre sol ? Cette poussée de l’indigénisme et de son corollaire, le
communautarisme, est aussi le fait d’une classe politique sans principe, prête à toutes les compromissions pour se faire élire, se maintenir, de l’élu local au parlementaire.
Les manœuvres deviennent mêmes grossières, comme l’exposé des motifs de la loi Avia, reprenant ce terme, pour justifier son adoption, ce qui, d’une part, créait une inégalité de traitement entre les religions mais aussi, de fait, réactivait le délit de blasphème.
Nous avons vécu l’apogée de cette séquence avec la prise de parole d’un ministre qui n’a pu s’empêcher de se fendre d’un tweet pour condamner les propos de l’un de nos plus brillants penseurs de la laïcité. Quel manque de culture et d’humilité !
Il revient aux élus de la République de garantir les principes républicains. La Laïcité est inscrite à l’article 1 de notre Constitution et son cadre est posé dans la loi de 1905. Il serait temps que chacun prenne conscience de l’importance de cet héritage que ce gouvernement
avait qualifié de poussiéreux, il y a moins d’un an, pour tenter de la modifier.
La Laïcité est le seul principe qui garantit notre liberté de pensée, de croire et de ne pas croire, de pratiquer un culte de notre choix, d’en changer, de n’en pratiquer aucun.
Elle est l’assurance de notre égalité de tous face à la loi, d’une fraternité renouvelée, car nous basons nos relations sur le socle qu’est la citoyenneté. Il est temps que nous retrouvions le chemin de la philosophie, celle qui fait naître la pensée et la nourrit. Celle qui nous
aide à regarder tous ensemble dans la même direction : vers le progrès de l’Homme et de la société.
Laurence Taillade, présidente de Forces laïques

Document 6. Droit au blasphème : une croisade laïque et démocratique, le 8 juin 2012, Contrepoints.org

Au-delà des manifestations de violence à l’égard de ceux qui tournent en dérision et/ou émettent des critiques sur des religions, se cache une véritable « croisade » juridique visant à saper l’un des corollaires de la liberté d’expression : le droit au blasphème.
Par Samy Sidis
L’incendie des locaux de Charlie Hebdo il y a quelques mois n’a pu qu’émouvoir tout démocrate qui se respecte, de la même manière que les violents incidents ayant succédé à la publication de caricatures de Mohammed dans un quotidien danois n’avaient pu manqué de
nous interpeller. Certains se souviendront enfin du tollé suscité il y a quelques années par le film La dernière tentation du Christ de Martin Scorsese. Ce serait oublier qu’outre ces manifestations de violence à l’égard de ceux qui tournent en dérision et/ou émettent des
critiques sur des religions, se cache une véritable « croisade » juridique visant à saper l’un des corollaires de la liberté d’expression : le droit au blasphème.
Le blasphème constitue « la parole ou le discours qui outrage la divinité, la religion ou ce qui est considéré comme respectable ou sacré ». Il s’agit d’un droit acquis de haute lutte dans la plupart des démocraties occidentales au cours des XIX e et XX e siècles. Il subsiste
néanmoins dans toute une série d’arsenaux pénaux, tels que les codes italien, finlandais, grec ou encore allemand. De même, le délit de blasphème existe en common law anglaise. Il est néanmoins réservé aux atteintes à la religion anglicane. Cette interprétation restrictive
permit à la High Court of Justice d’acquitter Salman Rushdie, accusé de blasphème par des extrémistes musulmans au moment de la publication des Versets sataniques. La Belgique et la France ont pour leur part évacué ce délit de leur Code pénal.
La liberté d’expression est la pierre angulaire de toute démocratie. Elle ne peut être réduite à pouvoir dire si l’on préfère la bière au vin, le bleu au vert ou encore les brunes aux blondes. À partir du moment où l’on ne porte pas atteinte aux droits d’autrui (en l’occurrence, le
droit de pratiquer librement sa religion), chacun doit pouvoir être libre de porter le jugement qu’il désire quant aux croyances des uns et des autres, quitte à le faire d’une manière maladroite voire imbécile.
Ce droit de critiquer la religion d’autrui, corollaire du droit à ne pas croire, est pourtant aujourd’hui menacé, non seulement par des comportements absolument inacceptables dans une démocratie, mais également au sein de diverses instances internationales, et non des
moindres.
Ainsi assiste-t-on, au sein du Conseil des droits de l’homme de l’ONU, à une offensive diplomatique de grande ampleur émanant des États membres de l’OCI (Organisation de la Conférence islamique). Elle vise à obtenir l’assimilation de la critique d’une religion à du
racisme, par le biais du recours au concept de « diffamation des religions ».
Ce concept constitue un danger pour nos droits et libertés. Si cette proposition venait à aboutir un jour, elle aurait notamment pour résultat de permettre à certains États, peu soucieux de protéger la liberté d’expression, de restreindre les droits humains de leurs dissidents
ainsi que de leurs minorités religieuses.
Elle aurait aussi pour conséquence de remettre en cause le droit au blasphème… y compris dans les États occidentaux !
De même, il semble que tant la Commission européenne que le Conseil de l’Europe aient fait le choix de consacrer cette assimilation. À titre d’exemple, l’« islamophobie » (qui consiste, étymologiquement, dans la « peur de l’islam » – non des personnes d’origine arabo-
musulmane) est mise sur le même plan que l’antisémitisme (qui désigne la haine des Juifs – non de la religion juive) dans plusieurs communications relatives à la lutte contre le racisme émanant de ces deux organisations.
Enfin, la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme est extrêmement préoccupante en matière de droit au blasphème.
Dans un arrêt « Handyside », la Cour déclarait que relevaient également de la liberté d’expression les propos qui « choquent, heurtent ou inquiètent ». Ce faisant, elle donnait à la liberté d’expression une portée maximaliste. Elle a cependant, et à plusieurs reprises, témoigné
d’une approche extrêmement dangereuse en matière de droit au blasphème.
Dans deux arrêts, la Cour valida des condamnations pour blasphème prononcées au Royaume-Uni (arrêt « Wingrove ») et en Autriche (arrêt « Otto Preminger Institut ») à l’encontre de films tournant en dérision les fondamentaux du christianisme. Dans un autre arrêt, elle
valida la condamnation d’un auteur turc pour avoir publié un ouvrage insultant à l’égard de Mahomet (arrêt « I.A. »).
Si elle admit que les religions pouvaient faire l’objet de critiques, elle estima néanmoins qu’en matière de liberté artistique, et s’agissant des droits d’autrui (en l’occurrence, les sentiments religieux), il convenait de reconnaître une large marge d’appréciation aux États dans
la mesure où « comme pour la « morale », il n’est pas possible de discerner à travers l’Europe une conception uniforme de la signification de la religion dans la société ».
L’argument est fallacieux : le droit au blasphème est un acquis de haute lutte des démocraties. Le fait pour des particuliers de critiquer une religion ne constitue pas en soi une atteinte à la liberté de culte des personnes pratiquant la religion visée. Ainsi, la diffusion d’un
film ou la publication d’un livre blasphématoires ne remettent en cause ni le droit des catholiques de pratiquer leur culte, ni celui des musulmans de croire en la vie exemplaire de leur prophète. Par contre, la censure avalisée par la Cour européenne des droits de l’homme force
la liberté d’expression du cinéaste ou de l’auteur à s’effacer devant la croyance d’autrui. Ces éléments, lus à la lumière des événements de cette semaine, ne peuvent bien évidemment que nous interpeller au plus haut point. Il apparaît de plus en plus clairement que le combat
en faveur du maintien du droit au blasphème devra se poursuivre au niveau européen (Union européenne et Conseil de l’Europe). Il devient en outre urgent de prendre conscience qu’une telle approche du droit au blasphème ne peut, à terme, que nous mener à une forme de
censure incompatible avec un régime démocratique dont le fonctionnement optimal ne peut être assuré que moyennant une liberté d’expression la plus étendue possible (tant qu’elle n’aboutit pas à la calomnie, la diffamation, l’appel à la haine raciale ou à la violence – les
fameux « fighting words » de la Cour suprême des États-Unis).
C’est à la volonté d’imposer une vérité parmi d’autres comme étant « la » Vérité à s’effacer face à la liberté d’expression. Non l’inverse. Que certains fassent un mauvais usage de cette liberté est un fait. Mais sommes-nous arrivés à un stade où nous devons interdire tout
ce qui déplaît ? Si la liberté d’expression ne permet plus de remettre en cause les interdits des uns et les tabous des autres, à quoi bon continuer à exprimer ses idées sur les grands sujets de société ?
C’est parce que des philosophes ont estimé, à l’époque des Lumières, que chacun devait pouvoir avoir le choix de respecter ou non les religions et leurs dogmes, que les conditions de la neutralité de l’État et, partant, de son impartialité à l’égard des croyances de ses
citoyens, ont pu être réunies.
Toute religion pratiquée dans le respect des droits et libertés fondamentaux est respectable. Mais la liberté d’expression est l’un des biens les plus précieux de notre démocratie. Sommes-nous prêts à la sacrifier sur l’autel des fanatismes ?
En tout état de cause, face au retour du religieux, notamment l’islam, dans les sociétés occidentales, la puissance publique se doit d’adopter une position extrêmement ferme et intransigeante afin d’assurer une société harmonieuse, respectueuse des croyances de chacun
(y compris de ceux qui ne croient pas ou ne veulent pas croire). Les valeurs fondamentales de notre démocratie ne sont pas, et ne seront jamais, négociables. À défaut, nous mettrons le doigt dans un engrenage dont nul ne sait où il ne mènera. Car, comme l’écrivit un jour
Heinrich Heine : « Là où l’on brûle des livres, on finit aussi par brûler des hommes ».

Document 7. Cour européenne des droits de l’homme, Note d’information sur la jurisprudence de la Cour 222 / Octobre 2018 E.S. c. Autriche – 38450/12 Arrêt 25.10.2018 [Section V], Article 10 Article 10-1 Liberté d’expression

Condamnation pénale et amende infligées à l’auteure de propos accusant le prophète Mahomet de pédophilie : non-violation.
En fait – La requérante tint des séminaires intitulés « Informations de base sur l’islam » à l’institut d’éducation du Parti libéral autrichien ancré à droite. Lors de l’un de ces séminaires, elle évoqua le mariage entre le prophète Mahomet et la jeune Aïcha alors âgée de six ans
et le fait que ledit mariage aurait été consommé lorsque celle-ci avait neuf ans. Elle déclara entre autres à ce sujet que Mahomet « aimait le faire avec des enfants », elle évoqua « l’histoire avec Aïcha et les relations sexuelles avec des enfants » et elle s’interrogea en ces
termes : « un homme de cinquante-six ans avec une fille de six ans, comment appelles-tu cela ? Donne-moi un exemple ? De quoi s’agit-il, si ce n’est de pédophilie ? »
Du fait de ces déclarations, la requérante fut condamnée en 2011 pour dénigrement de doctrines religieuses en application de l’article 188 du Code pénal. Elle se vit infliger une amende de 480 euros, susceptible d’être remplacée par une peine d’emprisonnement de 60 jours
en cas de non-paiement. Les juridictions nationales firent une distinction entre le mariage avec des enfants et la pédophilie. Elles estimèrent qu’en accusant Mahomet de pédophilie, la requérante avait simplement voulu le diffamer sans apporter aucune preuve que l’intérêt
sexuel du prophète pour Aïcha tenait à ce que celle-ci n’avait pas encore atteint la puberté ou que les autres épouses ou concubines de Mahomet étaient toutes aussi jeunes. Elles reprochèrent en particulier à la requérante de ne pas avoir tenu compte du fait que le mariage
en question s’était prolongé jusqu’au décès du prophète et qu’à ce moment-là, Aïcha avait atteint l’âge de dix-huit ans et donc passé la phase de la puberté.
En droit – Article 10 : Prévue par la loi, l’ingérence poursuivait le but légitime de la défense de l’ordre en préservant la paix religieuse et en protégeant les convictions religieuses d’autrui, ce qui relève de la protection des droits d’autrui au sens de l’article 10 § 2 de la
Convention.
Compte tenu du caractère particulièrement sensible de l’objet de la présente affaire, les autorités nationales bénéficiaient d’une ample marge d’appréciation, car elles étaient mieux placées pour déterminer quelles étaient les déclarations susceptibles de troubler la paix
religieuse dans le pays.
Pour ce qui est du contexte des déclarations litigieuses, les séminaires ont fait l’objet d’une large publicité sur internet et au moyen de tracts envoyés par le chef du Parti libéral de droite notamment à de jeunes électeurs auxquels ils étaient présentés comme des
« séminaires de grande qualité » dans le cadre d’un « programme d’enseignement gratuit ». Le titre du séminaire donnait l’impression – rétrospectivement trompeuse – qu’il contiendrait des informations objectives sur l’islam. Toute personne intéressée pouvait s’y inscrire et
la requérante ne pouvait donc pas présumer que seules des personnes partageant son point de vue seraient présentes ni ignorer que certains participants pourraient être heurtés par ses déclarations.
Les propos de la requérante étaient susceptibles de provoquer une indignation justifiée étant donné qu’ils n’ont pas été tenus d’une manière objective contribuant à un débat d’intérêt général, mais pouvaient uniquement être compris comme ayant visé à démontrer que
Mahomet n’était pas digne d’être vénéré. La requérante se décrivait comme une experte dans le domaine de la doctrine de l’islam, elle tenait des séminaires de ce type depuis déjà un certain temps, et elle était donc certainement consciente que ses déclarations reposaient en
partie sur des faits inexacts et de nature à susciter l’indignation (justifiée) d’autrui. Des représentations provocatrices d’objets de vénération religieuse susceptibles de heurter les adeptes de cette religion peuvent passer pour une violation malveillante de l’esprit de
tolérance, qui est l’un des fondements d’une société démocratique.
La requérante a subjectivement taxé Mahomet de pédophilie, y voyant sa préférence sexuelle générale, sans donner à son auditoire des informations neutres sur le contexte historique, ce qui a empêché tout débat sérieux sur la question et s’analyse donc en un jugement de
valeur dépourvu d’une base factuelle suffisante. Elle n’a produit aucun élément qui aurait pu permettre de qualifier ses propos de déclarations factuelles. Quant à son argument selon lequel quelques déclarations individuelles sont tolérables au cours d’une discussion
animée, il n’est pas compatible avec l’article 10 de la Convention de faire des déclarations accusatrices sous le couvert de l’expression d’une opinion par ailleurs acceptable et de prétendre que cela rend tolérables ces déclarations qui outrepassent les limites admissibles de la
liberté d’expression. C’est en outre à tort que la requérante a considéré que des attaques injurieuses contre des groupes religieux devaient être tolérées même si elles se fondaient sur des faits inexacts. La Cour a au contraire déjà jugé que les déclarations fondées sur des faits
(manifestement) contraires à la vérité ne bénéficient pas de la protection de l’article 10.
Concernant la proportionnalité de la sanction, la requérante a été condamnée pour ses trois déclarations à verser une amende d’un montant modeste s’élevant à seulement 480 EUR, alors même que le Code pénal prévoyait une peine de six mois d’emprisonnement. Cette
amende se situait dans le bas de l’échelle des peines et la sanction pénale en question ne saurait donc passer pour disproportionnée.
En conclusion, les juridictions nationales ont apprécié de façon exhaustive le contexte général dans lequel la requérante a formulé les déclarations en cause et elles ont soigneusement mis en balance le droit de celle-ci à la liberté d’expression et le droit des autres
personnes à la protection de leurs convictions religieuses et à la préservation de la paix religieuse dans la société autrichienne. Elles ont discuté de la limite entre la critique admissible de dogmes religieux et leur dénigrement et elles ont conclu que les déclarations de la
requérante étaient de nature à susciter une indignation justifiée chez les musulmans. La Cour observe par ailleurs que ces propos n’ont pas été tenus d’une manière neutre dans le but de contribuer objectivement à un débat d’intérêt général concernant le mariage des enfants,
mais qu’ils s’analysent plutôt en une généralisation dépourvue de base factuelle. En considérant les déclarations litigieuses comme ayant outrepassé les limites admissibles d’un débat objectif et en les qualifiant d’attaques abusives contre le prophète de l’islam risquant
d’engendrer des préjugés et de menacer la paix religieuse, les juridictions nationales sont parvenues à la conclusion qu’elles étaient susceptibles d’inciter à l’intolérance religieuse. Elles ont ainsi avancé des motifs pertinents et suffisants à l’appui de leurs décisions et n’ont
pas excédé leur ample marge d’appréciation. L’ingérence dans l’exercice par la requérante de ses droits découlant de l’article 10 répondait à un besoin social impérieux et elle était proportionnée au but légitime poursuivi.
Conclusion : non-violation (unanimité).

Document 8. Délit de blasphème : « La CEDH n’est pas Charlie ! » Lefigaro.fr

Figarovox/Entretien – Selon le docteur en droit Grégor Puppinck, en confirmant jeudi la condamnation d’une Autrichienne qui avait évoqué en public la « pédophilie » de Mahomet, la CEDH reconnaît l’existence d’un délit de blasphème.
Par Paul Sugy,
publié le 26 octobre 2018
Grégor Puppinck est docteur en droit et directeur du Centre européen pour le droit et la justice (ECLJ). Il est membre du panel d’experts de l’OSCE sur la liberté de conscience et de religion. Il est l’auteur d’une étude sur l’objection de conscience et les droits de l’homme,
publiée aux éditions du CNRS en 2016. Prochain livre à paraître : Les droits de l’homme dénaturé (Le Cerf, novembre 2018).
Les faits. En Autriche, lors d’une conférence organisée au sein du FPÔ et intitulée « connaissance élémentaire de l’islam », la conférencière et responsable du FPÔ a été condamnée pour avoir dit, à propos du mariage de Mahomet avec une fillette de 6 ans et de sa
consommation sexuelle à l’âge de 9 ans : « Comment appelons-nous cela, si ce n’est de la pédophilie ? ». Elle voulait notamment alerter sur la pratique du mariage des mineurs dans l’islam, suivant l’exemple de Mahomet. Alors qu’elle a contesté en 2012 cette condamnation
devant la Cour européenne des droits de l’homme, cette dernière a confirmé la décision des juges autrichiens dans un arrêt rendu public jeudi 25 octobre. L’ECLJ est intervenu dans cette affaire pour défendre la plaignante.
Figarovox – La Cour européenne des droits de l’homme vient de confirmer la condamnation d’une Autrichienne qui avait évoqué lors d’un meeting la « pédophilie » de Mahomet. Sur quel motif s’appuie cette condamnation ?
Grégor Puppinck — Le seul véritable motif de cette décision est la peur des musulmans. La Cour le dit expressément : les autorités autrichiennes ont eu raison de condamner ces propos pour préserver la « paix religieuse » et la « tolérance mutuelle » dans la société
autrichienne. Selon la Cour, les États auraient à présent, et c’est nouveau, « l’obligation d’assurer la coexistence pacifique de toutes les religions et de ceux n’appartenant à aucune religion, en garantissant la tolérance mutuelle ».
La Cour développe plusieurs arguments à l’appui de sa conclusion.
D’abord, elle juge l’intention même de la conférencière, et la condamne en estimant qu’elle n’a pas tant cherché à informer le public qu’à « dénigrer » Mahomet et à démontrer « qu’il n’est pas digne d’être vénéré », et par suite à inciter à la violence.
Ainsi, dénigrer Mahomet n’est pas protégé par la liberté d’expression : il ne faudrait en parler qu’avec respect et des bonnes intentions ! La Cour a jugé ensuite – de façon incroyable – que ces propos n’étaient pas l’expression d’un fait mais d’un jugement de valeur
personnel et hostile, car la conférencière n’aurait pas resitué les faits dans leur contexte historique, ni précisé que la première épouse de Mahomet était bien plus âgée que lui. Dès lors, elle aurait « généralisé » la pédophilie de Mahomet de façon malveillante. Pour la Cour,
alors, la conférencière était de mauvaise foi, et c’est « légitimement » que les musulmans auraient pu se sentir « offensés » par ces propos et que les juridictions autrichiennes les ont condamnés.
Cette décision est grave à mes yeux. D’abord parce qu’elle se résigne à l’intolérance et même à la violence des musulmans face à la critique, et qu’elle renonce à défendre fermement la liberté d’expression sur l’islam. En fait, c’est la violence même des musulmans qui
justifierait et exigerait que leurs croyances soient davantage protégées contre les critiques.
Plus profondément, cette décision est aussi très grave car elle fait primer les objectifs de « tolérance mutuelle » et de « coexistence pacifique » sur la liberté de pensée et d’expression en matière religieuse. Elle permet de museler la critique de l’islam au nom du vivre-
ensemble. Cela va à rebours de la modernité occidentale qui exige au contraire de soumettre l’islam à la critique historique, sans peur de bousculer les croyances de ses adeptes et même de provoquer des tensions.
La décision rendue par la CEDH aurait justifié la condamnation des caricatures de Charlie Hebdo.
Mais pour estimer et protéger le débat critique et la controverse, il faut encore croire en la vérité et en la vertu. Ce n’est malheureusement pas le cas de cette décision qui est purement relativiste. Faire de la tolérance et de la coexistence des valeurs et des objectifs en soi est
une abdication de l’esprit. La société européenne ne doit pas renoncer à être fondée sur la justice et la vertu qui sont, par définition, intransigeantes.
Ultimement, la logique de la coexistence et du vivre-ensemble repose sur le dogme absurde de l’égalité des religions. Pour ma part, je suis convaincu qu’il est urgent de détruire ce dogme, de critiquer et de comparer les religions par rapport à leur contribution au bien de
l’humanité. Quant à la liberté d’expression, je pense que seule la diffusion d’obscénités gratuitement offensantes et inutiles au débat ainsi que les propos incitant à la violence immédiate peuvent être restreints. Tout autre propos – surtout lorsqu’il s’appuie sur des faits réels
– devrait être protégé au titre de la liberté d’expression.
La décision rendue par la CEDH aurait justifié la condamnation des caricatures de Charlie Hebdo, mais aussi de Voltaire, Ernest Renan ou encore Auguste Comte. La Cour européenne des droits de l’homme n’est pas vraiment Charlie…
N’est-il pas étonnant de voir la CEDH maintenir un « délit de blasphème » alors même que, partout en Europe, il tend à disparaître ? Les Irlandais s’apprêtent par exemple à le retirer de leur Constitution.
Oui, il est vrai que depuis 2009, les instances internationales et européennes se sont toutes déclarées en faveur de l’abolition du délit de blasphème. C’est pourquoi il a été retiré du droit local alsacien en 2016, et que les Irlandais s’apprêtent à faire de même prochainement.
Cette décision de Strasbourg va donc à contre-courant.
La Cour a adopté une position inverse en accordant sa protection à des blasphèmes contre la religion chrétienne.
En fait, cette tendance est une réaction de défense face à l’offensive menée à l’ONU par l’organisation de la Conférence Islamique pour créer en droit international un délit de blasphème sous l’appellation de « de l’islam ». Il y a donc eu un conflit en droit international entre
les conceptions musulmane et occidentale de la liberté d’expression en matière religieuse. La Cour, dans cette affaire, a opté pour la conception musulmane… conforme à la charia.
En somme, la CEDH défend ceux qui blasphèment contre le christianisme, mais condamne ceux qui blasphèment contre l’islam…
Force est de constater que dans deux jugements récents, la Cour a adopté une position inverse en accordant sa protection à des blasphèmes contre la religion chrétienne. Il ne s’agissait pas, dans ces affaires, de débat historique, mais de simples publicités commerciales et
d’activisme politique.
Il y a d’abord eu l’affaire des publicités représentant le Christ et la Vierge Marie comme des junkys tatoués et lascifs. La Cour de Strasbourg n’a pas admis la condamnation de ces publicités, alors même qu’elles choquaient gratuitement, dans un seul objectif commercial.
Elle a condamné la Lituanie.
Il y a ensuite eu l’affaire des « Pussy Riot », ce fameux groupe d’agitatrices punk qui avait été lourdement condamné en Russie pour avoir organisé un concert sauvage dans le chœur de la Cathédrale orthodoxe de Moscou. Ici encore, la CEDH a protégé leur liberté
d’expression, reconnaissant tout au plus qu’une réaction au manquement à des règles ordinaires de conduite dans un lieu de culte aurait pu être justifiée.
On peine à s’expliquer la divergence d’approches de la Cour entre ces différentes affaires.
Ailleurs dans le monde, une jeune femme, Asia Bibi, a été condamnée à mort pour blasphème. Que font les défenseurs des droits de l’homme ? L’ECLJ dispose d’un bureau au Pakistan qui y défend courageusement les nombreux chrétiens persécutés, tels qu’Asia Bibi.
Face à l’islam, nous avons aussi besoin en Europe de défenseurs courageux des droits de l’homme. Ce n’est pas le signal que donne la Cour européenne avec cette décision… J’espère que cette affaire sera rejugée, en appel, devant la Grande Chambre de la Cour européenne,
et que celle-ci saura alors faire preuve du courage qu’exigent les circonstances actuelles.

Document 9. Blasphème en France : frontière entre liberté d’expression et délit raciste, sélectionné par Perrine Debreu, Observatoirepharos.com
En droit français, le droit au blasphème à proprement parler n’existe pas. La liberté d’expression, elle, si. Elle s’établit dans les articles 10 et 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. La Troisième République les complète avec la loi du 21 juillet 1881
relative à la liberté de la presse, dont les limites, l’injure et la diffamation, sont rares. Cette loi de 1881 abolit le délit de blasphème.
Néanmoins, en juillet 1972, des limites à la liberté d’expression surviennent avec la loi Pleven, du nom du ministre l’ayant portée, qui vient amender la loi de 1881. La loi – et notamment ses articles 24 et 32 – sanctionne le racisme, qui n’est dès lors plus considéré comme une
opinion. L’insulte, la diffamation et l’incitation à la haine, à la violence ou à la discrimination fondées sur la race, l’ethnie, la nation ou la religion sont interdites. L’interprétation de ce texte a donné lieu à nombre de débats autour des notions de liberté de la presse se heurtant
au sentiment religieux.
Dans un rapport de décembre 2013 intitulé Blasphème : Information sacrifiée sur l’autel de la religion, Reporters Sans Frontières (RSF) a examiné l’impact des accusations de blasphème contre des journalistes du monde entier. Était notamment analysé le danger que les
accusations représentent lorsqu’elles servent à restreindre la liberté d’expression. La France se place à la 32e place dans le classement mondial 2019 de la liberté de la presse, derrière ses voisins européens, entre autres.
La censure pour cause de blasphème peut être une des clés de compréhension de ce classement. RSF interroge sur le sentiment croyant : Le sentiment religieux peut-il être considéré comme un droit de l’Homme ? Si tel est le cas, prime-t-il sur ce droit fondamental qu’est la
liberté d’expression, et donc d’information ?
Blasphème : droit ou délit ? Un débat sans fin
Il est impossible d’aborder les limites à la liberté de la presse sans évoquer les attaques de Charlie Hebdo de 2015. Selon les mots du Président François Hollande à l’époque, « attaquer la liberté d’expression, la liberté de la presse revient à attaquer la République ».
Mais insulter un symbole religieux, ou attaquer une religion en général revient-il à porter atteinte aux croyants ? Le jugement relatif aux attentats de Charlie Hebdo a permis aux juges d’éclaircir cette question : il est autorisé d’insulter une-religion et ses symboles, mais il est
interdit d’en insulter les membres. À titre d’exemple, quand Brigitte Bardot, ancienne actrice française, écrit à propos des musulmans qu’ils « détruisent la France », elle est poursuivie par la justice. En revanche, quand l’auteur Michel Houellebecq qualifie l’Islam de
« religion stupide », il est acquitté. Cette frontière entre droit et délit n’est toutefois pas toujours évidente.
De nombreux jugements font en effet référence aux notions d’injure, de diffamation ou d’incitation à la haine raciale sans mentionner le blasphème en soi.
Cette distinction reflète une vision propre à la France, où les citoyens sont protégés, et non pas les cultes et idéologies. Ainsi, au moment du retour de la République en 1871, l’une des priorités des républicains était de mettre fin à l’hégémonie de l’Église catholique sur le
pays. Ces tensions entre République et groupes religieux génèrent parfois discordes et divisions. L’obsession liée à la question du blasphème, à savoir ce qui en est et ce qui n’en est pas, peut en quelque sorte représenter une forme d’excès favorisant la désunion sociale.
Puisque dans notre société laïcisée il n’est plus possible d’appeler à rendre illégal le blasphème, les groupes religieux se réfèrent au langage de la modernité, soit à l’offense envers les croyants. La mise en concurrence de ces deux arguments – l’un religieux, l’autre laïque –
mène à un débat sans fin. Les sensibilités de tous doivent-elles être à tout prix protégées au détriment de la liberté d’expression ? Ces sensibilités méritent-elles d’être érigées en droit fondamental ?
Liberté à géométrie variable ?
Aussi, le fait que des groupes, des associations, et pas seulement les individus eux-mêmes puissent invoquer le délit de blasphème pose question. La liberté d’expression, de presse, est entravée par ces groupes s’exprimant au nom de personnes et communautés qui se
disent victimes de racisme. Près de 10 ans avant les attentats de 2015, Charlie Hebdo avait déjà été induit en justice par l’Union des organisations islamiques de France (UOIF) et la Mosquée de Paris, pour ses caricatures du prophète. En parlant au nom d’une communauté
entière, les groupes dont les discours écartent parfois la complexité relative à ces corps sociaux créent in fine une catégorie que l’inconscient collectif a tendance à considérer par la suite comme homogène. Ces catégorisations tendent à accentuer divisions et compétitions,
tout en limitant la liberté d’expression.
Pour autant, s’évertuer à définir les contours de cette liberté d’informer ne permet en rien de l’appuyer, bien au contraire : cela accentue ses limites. Cependant, les lois fondatrices de la République, relatives aux libertés des citoyens, sont gravées dans le marbre et les
abroger serait une manière de légitimer les discours et comportements haineux. Elles sont nécessaires au respect mutuel et au vivre-ensemble mais doivent d’abord et surtout protéger les individus eux-mêmes. Ce danger, le journal Charlie Hebdo en a été victime. Aujourd’hui,
un exemplaire vendu sur deux sert à couvrir les coûts liés à la sécurisation des locaux du journal, et à assurer la protection de ses journalistes. Riss, caricaturiste présent lors des attentats, met alors en garde : « la liberté de la presse est en passe de devenir un luxe ». Mais la
liberté véritable, l’indépendance de la pensée, ne s’achète pas : elle se conquiert, se prend, et se défend, quoi qu’il en coûte.

Document 10. « Le blasphème fait partie des droits de l’homme, pas des bonnes manières » publié le 12 mars 2015, Lemonde.fr

Entretien avec André Comte-Sponville. Pour le philosophe, les opinions sont libres, tout comme l’est la critique de ces opinions, qu’elles soient religieuses ou idéologiques. S’opposer à une religion est un droit, comme celui d’être antifasciste ou anticommuniste.
Par Yann Plougastel et Yves Daudu
publié le 12 mars 2015
Agrégé de philosophie, auteur d’une vingtaine d’ouvrages, dont Du tragique au matérialisme (et retour), paru en janvier aux PUF, André Comte-Sponville a pour pères spirituels Épicure, les stoïciens, Montaigne et Spinoza. Il se définit comme matérialiste, rationaliste et
humaniste. Fortement influencé par l’héritage philosophique des Lumières, il défend une éthique humaniste et une spiritualité sans dieu. Nous l’avons interrogé sur les spécificités françaises en matière de liberté d’expression dans la pensée française.
La liberté d’expression est une liberté fondamentale. Comme toute liberté naturelle, on la voudrait absolue ; comme toute liberté socialement réglementée, elle connaît des limites. Mais pourrait-on imaginer ou réclamer une liberté d’expression sans limites ?
Il n’y a pas de liberté absolue. Même à l’état de nature, à supposer qu’il ait existé, la liberté de chacun dépend de la force dont il est capable ; elle est doublement limitée, et par sa propre faiblesse, et par la force des autres. C’est vrai a fortiori dans un État de droit. Pas de
liberté sans lois, pas de loi sans contraintes. On prend souvent l’exemple du Code de la route : s’il n’existait pas, ma liberté de circuler, théoriquement plus grande, serait en pratique presque nulle. S’agissant de la liberté d’expression, c’est différent. On pourrait envisager
qu’aucune loi ne la limite. Mais est-ce souhaitable ? Il faut bien interdire la diffamation, les appels au meurtre, protéger le droit d’auteur et les secrets commerciaux ou industriels… Même les États-Unis, où le Premier amendement garantit une liberté d’expression plus grande
que chez nous, lui reconnaissent certaines limites. Idem en France, qui interdit en outre les incitations à la haine raciale ou religieuse, le négationnisme et les atteintes à la vie privée. On peut discuter le détail de ces interdits (contre le négationnisme, je ne suis pas certain
qu’une loi soit la meilleure arme), mais guère en contester le principe.
La liberté d’expression est un droit essentiel de notre vie publique, mais la liberté est-elle une fin en soi, un absolu dénué de toute responsabilité ?
Oui, la liberté est une fin en soi, autrement dit une valeur, qui mérite qu’on se batte pour elle, voire qu’on lui sacrifie sa vie. C’est vrai notamment de la liberté d’expression, sans laquelle toute autre liberté serait tronquée ou vaine. Nous exempte-t-elle pour autant de toute
responsabilité ? Évidemment pas. C’est d’ailleurs ce qui est clairement énoncé par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 :
« La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme ; tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi. » Mais il n’y a pas que la loi ; il y a
aussi la morale. Il arrive qu’on s’interdise de dire certaines choses, non parce que ce serait pénalement répréhensible, mais parce que ce serait manquer de douceur, de compassion ou de délicatesse. Au peuple d’en décider, pour ce qui relève de la loi. À chacun d’en juger,
pour ce qui ne relève que de sa conscience.
La liberté véritable va-t-elle sans conscience de la responsabilité qui lui est intrinsèque ?
Aucune liberté ne vaut sans responsabilité. Mais si vous pensez à l’équipe de Charlie Hebdo, il me semble que ce serait aller trop vite que de les traiter d’irresponsables. On peut au contraire penser qu’ils ont assumé jusqu’au bout leur responsabilité de citoyens laïques
ou libertaires… Personne n’est juge, moralement, de la responsabilité d’autrui. Juridiquement, les tribunaux le sont, et il est arrivé plusieurs fois qu’ils condamnent Charlie Hebdo. Ce ne fut pas le cas lors des caricatures de Mahomet, et il me semble que le tribunal, dans
cette affaire, eut raison.
La dénonciation des religions est un droit incontestable, mais quels sont ses objectifs ?
Les objectifs varient selon les individus, comme toujours. Simplement, les opinions sont libres, donc aussi la critique des opinions. Cela vaut pour les religions comme pour n’importe quelle idéologie. Cela pose le problème de l’islamophobie. Le mot est équivoque. Si l’on
entend par « islamophobie » la haine ou le mépris des musulmans, ce n’est qu’une forme de racisme, aussi haïssable qu’elles le sont toutes. Est-elle très répandue ? Je n’en ai pas l’impression : un arabe athée ou un noir catholique sont sans doute davantage des victimes
du racisme qu’un musulman de type européen.
Mais, même marginal, ce racisme-là doit évidemment être combattu. En revanche, si on entend par « islamophobie » non pas la haine ou le mépris des musulmans mais le refus, la critique ou la peur de l’islam (c’est le sens étymologique du mot « islamophobie »), ce n’est
qu’une position idéologique comme une autre, qu’aucun État démocratique ne saurait interdire. On a le droit d’être antifasciste, anticommuniste ou antilibéral. Pourquoi n’aurait-on pas le droit de s’opposer au christianisme, au judaïsme ou à l’islam ?
La laïcité est-elle là pour garantir la liberté d’expression ?
Pas seulement. Pas d’abord. La laïcité est là pour garantir la liberté de croyance ou d’incroyance, donc aussi pour permettre la cohabitation paisible des différentes religions ou idéologies. Un État laïque n’est ni athée ni religieux. C’est pourquoi il protège toutes les
religions, comme il garantit le droit de n’en avoir aucune et de les critiquer toutes. « Je hais tous les dieux », disait le Prométhée d’Eschyle. C’est une opinion que nul n’est tenu de partager, mais que personne, dans un État laïque, n’a le droit d’interdire. Et comme il n’y a
pas de liberté d’opinion effective sans liberté d’expression, l’État, pour protéger celle-là, se doit aussi de garantir celle-ci.
Contrairement à plusieurs pays européens, l’interdiction du blasphème ne figure pas dans la législation française. Est-ce un des piliers, selon vous, de la liberté d’expression ?
Un pilier, ce serait sans doute trop dire. Mais que le droit de blasphémer soit un élément, parmi d’autres, de la liberté d’expression, je ne vois guère comment un laïque pourrait le contester. J’ai relu il y a peu la définition que je donnais du blasphème, dans mon Dictionnaire
philosophique. Permettez-moi d’en citer la dernière phrase : « Le blasphème fait partie des droits de l’homme, pas des bonnes manières. » Dans les situations ordinaires de la vie, mieux vaut donc éviter, individuellement, de le pratiquer. À quoi bon choquer ou blesser les
croyants ? Dans le cas de Charlie Hebdo, c’est différent : on ne va pas demander à un journal satirique et humoristique de respecter les bonnes manières ! J’ajoute qu’un droit que personne ne pratiquerait jamais risquerait fort de tomber en désuétude. Il est donc précieux
qu’un journal comme Charlie Hebdo existe et transgresse régulièrement ces bonnes manières que nous continuons, dans la vie quotidienne, de respecter.
Comment différencier ce qui entre dans le cadre de la liberté d’expression et ce qui en sort ?
Moralement, c’est à chacun d’en juger. Politiquement, cela relève du peuple souverain, donc du législateur. On a le droit de critiquer une loi. Pas de la violer.
Jusqu’où va la tolérance ?
Jusqu’au point où elle risque de se détruire elle-même. On peut tolérer des opinions dissidentes, et même il le faut. On ne peut pas accepter que certains prétendent, par la violence, renverser les institutions qui garantissent la liberté de tous.
On attribue à Voltaire la formule suivante : « Je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites mais je me battrai jusqu’à la mort pour que vous ayez le droit de le dire. » Est-ce toujours d’actualité ? Ou revient-on à la formule attribuée à Saint-Just : « Pas de liberté pour
les ennemis de la liberté » ?
La formule attribuée à Voltaire, même apocryphe, est belle. Celle de Saint-Just est outrancière. Si des gens publient des livres ou manifestent paisiblement pour demander la fin de la démocratie, il n’y a pas lieu de les sanctionner. S’ils fomentent une émeute ou un coup
d’État, c’est autre chose ! L’expression des idées est libre – dans les limites prévues par la loi. Mais l’ordre républicain doit s’imposer à tous.
Régis Debray notait : « La démocratie, c’est ce qui reste de la République quand on a éteint les Lumières. » Lors des grandes manifestations du 11 janvier, Voltaire fut souvent cité. À votre avis, plus qu’une affaire de religion, ces événements ne posent-ils pas la
question de la liberté d’expression et du fanatisme, déjà soulevée par les Lumières ? Le combat serait donc toujours le même et seuls les adversaires auraient changé ?
Oui, le combat reste le même : pour les Lumières, pour la liberté de conscience et d’expression, contre le fanatisme et l’obscurantisme. Et oui aussi, les adversaires ont changé. L’Église catholique, qui l’a tant combattue, a fini par accepter la laïcité. C’est une grande victoire.
Les laïques auraient tort de faire la fine bouche, mais aussi de s’endormir sur leurs lauriers. « Écrasons l’infâme », aimait à répéter Voltaire.
L’infâme, pour lui, c’était le fanatisme, à l’époque surtout catholique. Que le fanatisme, aujourd’hui, soit plus souvent le fait de musulmans, ce n’est pas une raison pour cesser de le combattre – ni bien sûr pour en accuser tous les musulmans, qui en sont, de par le monde,
les premières victimes. La ligne de front ne passe pas entre les croyants et les incroyants (Voltaire n’était pas athée) : elle passe entre les esprits libres, ouverts et tolérants, qu’ils aient ou non une religion, et les esprits intolérants ou fanatiques, quel que soit le Dieu dont ils
se réclament et quand bien même ils seraient athées.
Dans une tribune publiée dans Libération, vous écrivez : « Le blasphème fait partie des droits de l’homme. L’humour, des vertus du citoyen. » Peut-on rire de tout ? Et avec tout le monde ?
Desproges a répondu une fois pour toutes : « On peut rire de tout, mais pas avec n’importe qui. » Rire de Moïse, de Jésus ou de Mahomet, pourquoi pas ? Mais pas avec un antisémite, un terroriste antichrétien ou un raciste antimusulman !
On entend beaucoup l’idée selon laquelle il y aurait « deux poids, deux mesures », d’un côté Charlie Hebdo « caricaturant » le Prophète, et de l’autre Dieudonné « caricaturant » les juifs : on rit dans le cas du premier, on punit dans l’autre. Ne traite-t-on pas de
manière différenciée les religions ?
Qu’on traite, de fait, les religions de manière différenciée, ce n’est pas exclu. Il est plus facile, dans notre pays, de se moquer des chrétiens que des juifs ou des musulmans. Cela peut d’ailleurs s’expliquer par de bonnes raisons : les chrétiens, en France, ne sont guère
victimes de racisme ou de ségrégation ; on peut donc penser qu’ils ont moins besoin d’être protégés… Rappelons en passant qu’il en va tout autrement dans de nombreuses régions du globe : les chrétiens, aujourd’hui, sont sans doute la communauté religieuse la plus
persécutée du monde (le plus souvent par des fanatiques musulmans).
S’agissant de Dieudonné et de Charlie Hebdo, c’est différent. La loi interdit les incitations à la haine raciale, donc notamment l’antisémitisme. Elle n’interdit pas le blasphème. Faire « deux poids, deux mesures » n’est condamnable que s’il s’agit de deux objets identiques
ou très proches. Mais il s’agit ici de deux objets clairement différents : la dénonciation d’un groupe ethnique, d’une part, la caricature d’un personnage religieux, d’autre part. Comme je n’ai vu aucun spectacle de Dieudonné, je me garderai bien de me prononcer sur son
cas. Mais on ne peut pas reprocher aux juges d’appliquer la loi.

Document 11. Le blasphème en France et en Europe : droit ou délit ? Trois questions à Anastasia Colosimo – interview – 13 novembre 2018 – lnstitumontaigne.org

Anastasia Colosimo, professeure de théologie politique


à SciencesPo Paris
Le 25 octobre 2018, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a validé le blasphème d’Elisabeth Sabaditsch-Wolff, personnalité autrichienne qui avait qualifié le prophète Mahomet de « pédophile » lors d’une conférence du parti d’extrême-droite FPÔ en 2009. La
CEDH a estimé que cette déclaration menaçait la préservation de la paix religieuse, et que le verdict prononcé par la justice autrichienne ne contrevenait pas à l’article dix de la Convention européenne des droits de l’Homme relatif à la liberté d’expression. Anastasia Colosimo,
professeur de théologie politique à SciencesPo Paris, décrypte pour l’institut Montaigne l’évolution de la question du blasphème en France et en Europe.
Alors que la CEDH a validé la condamnation d’une femme autrichienne pour blasphème le 25 octobre dernier, le « droit au blasphème » consacré par l’État français est-il amené à évoluer ?
Il n’y a pas à proprement parler de « droit au blasphème » dans la loi française. La liberté d’expression compte, en France, parmi les libertés fondamentales, puisqu’elle est l’objet des articles 10 et 11 de la Déclaration des droits de 1789 qui laissent au législateur le soin d’en
établir les limites. Avec la loi du 21 juillet 1881 sur la liberté de la presse, qui par ailleurs s’applique plus généralement à toute forme d’expression, la IIIe République impose une législation libérale dont les limites, toutes strictement définies, ne constituent que des exceptions
justifiées à la règle générale de liberté. La loi de 1881 abolit définitivement le délit de blasphème, même dans sa forme sécularisée d’atteinte à la morale religieuse. Cependant, à ce régime de liberté élargi suit un régime de liberté plus restrictif, notamment à partir de la loi
Pleven de 1972 qui amende la loi de 1881 en créant les délits d’injure, de diffamation et de provocation à la haine, à la violence ou à la discrimination en raison de l’appartenance ou de la non-appartenance à une race, une ethnie, une nation ou une religion.
En France, il est possible d’insulter une religion, ses figures et ses symboles, il est en revanche interdit d’insulter les adeptes d’une religion.
L’introduction de ces nouveaux délits a entraîné des difficultés d’interprétation qui se sont matérialisées par des décisions de justice parfois douteuses et une réflexion jurisprudentielle intense sur le sens à accorder à l’injure, la diffamation et la provocation en raison de
l’appartenance ou de la non-appartenance à une religion.
Autrement dit, la question a été de savoir si insulter une religion en soi, ou des figures et des symboles d’une religion revenait à offenser les adeptes de cette religion.
Le procès intenté contre l’hebdomadaire Charlie Hebdo en 2007 pour la publication des caricatures de Mahomet a fini de clarifier la position des juges. En France, il est possible d’insulter une religion, ses figures et ses symboles, il est en revanche interdit d’insulter les
adeptes d’une religion.
Néanmoins la différence entre l’un et l’autre est parfois ténue, ce qui a entraîné une inflation de procès « en blasphème », sans que le mot ne soit jamais prononcé. On parle, vous l’aurez compris, d’injure, de diffamation et de provocation à la haine, à la violence ou à la
discrimination en raison de l’appartenance ou de la non-appartenance à une religion.
Ainsi, la position française, même si elle est en soi discutable et parfois ambiguë, est, en réalité, assez compatible avec la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme et ne devrait pas être amenée à évoluer, même si un excès de zèle de notre législateur est
toujours à craindre.
De toutes les manières, en matière de liberté d’expression, comme en matière de liberté religieuse, la Cour européenne des droits de l’homme laisse une certaine marge d’appréciation aux États. Raison pour laquelle, d’ailleurs, elle a validé la condamnation d’Elisabeth
Sabaditsch-Wolff, car l’article 188 du Code pénal autrichien condamne toute « humiliation du dogme religieux ».
La République d’Irlande a voté en faveur de l’abrogation du délit de blasphème le 26 octobre 2018. Cette décision est-elle représentative de l’évolution de la question du blasphème dans les autres pays européens ?
Toute la difficulté tient au processus de traduction qui, dans la plupart des pays européens, a fait passer le blasphème compris comme insulte à la divinité à un blasphème compris comme offense aux croyants ou à une atteinte à l’ordre public – c’est sous cet angle de la
préservation de l’ordre public qu’il faut d’ailleurs comprendre le concept de « préservation de la paix religieuse » défendu par la CEDH dans son arrêt. Le mot « blasphème » a le plus souvent disparu des législations européennes, mais le blasphème a trouvé des
traductions séculières qui, souvent, ont permis de perpétuer sa condamnation par d’autres moyens. Une approche comparative de ces différentes législations témoigne, en réalité, de l’extrême polysémie du lexique pénal autour de cette question. Là où il n’y a pas
d’incrimination stricto sensu pour blasphème, il existe une protection des bonnes mœurs ou de la pudeur, un régime d’autorisation ou de classification en matière cinématographique ou médiatique, une réglementation des messages publicitaires, un droit réprimant la
diffamation de groupe et punissant l’incitation à la discrimination ou à la haine, ces dispositions étant pour tout ou partie applicables au fait religieux. Au sein de ces législations à géométrie variable, se dégagent néanmoins trois formes distinctes de protection :
• celle sanctuarisant une vérité considérée comme sacrée par la collectivité, c’est le cas par exemple en Italie et en Grèce, mais aussi en Irlande jusqu’à très récemment,
• celle préservant les sentiments des croyants, c’est le cas par exemple en Autriche, en Allemagne ou encore en Espagne ;
• celle, enfin, condamnant l’hostilité envers un groupe ou un individu causée par leur libre affiliation ou appartenance, comme en France.
Les pays européens ayant totalement aboli tout ce qui pourrait se rapprocher, de près ou de loin, d’un délit de blasphème, sont, à vrai dire, rares. L’Angleterre en est un, mais le délit de blasphème n’y a été aboli qu’en 2008 et différents groupes de pression continuent à
contester cette abrogation, justement au nom de la protection des sentiments des croyants.
La décision de l’Irlande d’abolir sa loi antiblasphématoire est donc à saluer ! Il faut tout de même noter qu’il est, évidemment, plus facile d’abolir une loi explicitement antiblasphématoire que des lois implicitement antiblasphématoires. Si le délit de blasphème stricto sensu
tend naturellement à disparaître, ses traductions séculières prolifèrent dans un contexte européen de rétrécissement toujours plus important de la liberté d’expression.
La « préservation de la paix religieuse » défendue par la CEDH est-elle compatible avec la « liberté d’expression » inscrite dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 ?
La « préservation de la paix religieuse » se présente comme une sorte d’avatar de la préservation de l’ordre public, cette dernière faisant naturellement partie des prérogatives d’un État de droit. Ce motif, celui de la préservation de l’ordre public, a pu être utilisé dans
certaines décisions de justice en France concernant les atteintes religieuses sans jamais trop convaincre. Le législateur et le juge ont préféré le terrain individuel ou communautaire, en condamnant, comme nous l’avons déjà évoqué, l’injure, la diffamation, la provocation à
la haine, à la violence ou à la discrimination en raison de l’appartenance ou de la non-appartenance à une religion. Du reste, le motif de préservation de l’ordre public et même d’un ordre public immatériel a pu être utilisé dans d’autres affaires concernant la liberté
d’expression, notamment celle autour du spectacle de Dieudonné en 2015.
Concernant la CEDH, l’invocation de la « préservation de la paix religieuse » n’est pas nouvelle. Dans son arrêt Otto-Preminger-Institut contre Autriche de 1994, la Cour européenne a validé l’interdiction d’un film jugé blasphématoire par les autorités autrichiennes en
invoquant à la fois la « préservation de la paix religieuse » et la protection des sentiments des croyants : « En saisissant le film, les autorités autrichiennes ont agi pour protéger la paix religieuse dans cette région et pour empêcher que certains se sentent attaqués dans
leurs sentiments religieux de manière injustifiée et offensante. » (§56)
La liberté d’expression telle qu’inscrite dans la Déclaration des droits de l’homme de 1789 est une liberté comprise au sens large qui autorise la critique de toutes les religions.
Commentant cet arrêt, le philosophe Guy Haarscher parle d’une « dramatisation hobbesienne » excessive qui viserait à faire croire que la simple diffusion d’un film pourrait mettre le feu aux poudres et déclencher de sérieux troubles à la paix civile et religieuse. On est
évidemment tenté de penser la même chose concernant les propos d’Elisabeth Sabaditsch-Wolff. Rien ne laisse penser que ses propos auraient pu entraîner de tels troubles.
Ce qui se joue derrière, c’est toujours ce processus de traduction dont la Cour européenne, tout comme de nombreuses tribunaux européens, semble être tout à fait dupe. Il faut dire que l’argument est subtil. En vidant le délit de blasphème de tout caractère religieux, les
groupes confessionnels ont réussi un coup de maître.
Pour ce qui est spécifiquement de la France, la « préservation de la paix religieuse » ne peut en aucun cas concerner l’État qui est tenu à une neutralité totale vis-à-vis des différentes religions présentes sur le territoire national. La liberté d’expression telle qu’inscrite dans la
Déclaration des droits de l’homme de 1789 est une liberté comprise au sens large qui autorise la critique de toutes les religions. La loi Pleven de 1972 qui est venue modifier la loi sur la liberté de la presse de 1881 a néanmoins infléchi cette conception vers toujours plus de
restrictions et il ne serait pas étonnant de retrouver ce motif de « préservation de la paix religieuse » dans de futures décisions de justice. Ce serait là, à mon sens, une régression par rapport à la tradition française d’irrévérence qui fait partie de votre patrimoine national.
SUJET N° 2 | Corrigé de la note de synthèse
Défini par le Littré comme les « paroles qui outragent la divinité », le blasphème a été dépénalisé en France par la loi du 29 juillet 1881 (doc. 3, 6). Pour autant, les attentats de Charlie Hebdo de 2015, ou plus récemment l’incendie des locaux du journal, ont témoigné que la
caricature d’une figure religieuse peut encore exposer son auteur à la mort, tel que l’a montré l’assassinat des journalistes satiriques (doc. 6, 9). Dès lors, la coexistence entre la liberté d’expression et la critique de la religion demeure un enjeu pour la démocratie, tant au plan
national qu’au plan européen (doc. 9).
Si la primauté de la liberté d’expression l’emporte sur la protection des atteintes à la religion, réprimées par le blasphème (I), cette même liberté d’expression se trouve toutefois menacée par une résurgence du blasphème (II).

I – La primauté de la liberté d’expression sur le blasphème


A – La liberté d’expression garantie par la dépénalisation du blasphème
Puni de la peine de mort par les Hébreux et les Romains, le blasphème a été considéré par les premiers catholiques comme un simple pêché qui devait, selon l’article 1369 du code canonique, être puni d’une juste peine (doc. 1, 3). En France, le blasphème s’est sécularisé
pour devenir un délit politique lié au crime de lèse-majesté et puni de mort sous le règne de Louis XIV. Sa répression visait alors à prévenir le trouble à l’ordre public. La condamnation à mort du Chevalier de la Barre en 1766 a conduit à une réflexion qui a mené à l’abolition du
délit de blasphème en 1791. Pour autant, la loi Serre du 17 mai 1819, en réintroduisant le délit d’outrage à la morale publique et religieuse, a fait renaître l’infraction de blasphème. Le délit de blasphème n’a en définitive été de nouveau aboli qu’avec la loi sur la presse du
29 juillet 1881 qui autorise la critique de la religion, de ses figures et de ses symboles (doc. 9, 11). Si la dépénalisation du blasphème est intervenue dans plusieurs pays européens, le blasphème reste puni par la loi notamment en Italie, en Finlande ou en Grèce (doc. 4).

B – La liberté d’expression limitée par la protection des croyants


Définie par les articles 10 et 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, la liberté d’expression est une liberté fondamentale qui admet toutefois que le législateur puisse lui apporter des limites (doc. 9). Ainsi existe-t-il un délit d’entrave à la liberté d’expression,
prévu par l’article 431-1 du Code pénal, qui interdit – et ce même au nom du blasphème – de venir perturber, de façon concertée, un spectacle qui n’est pas imposé à autrui (Cass. crim. 28 juin 2017) (doc. 2). La loi Pleven de 1972 a introduit dans la loi du 29 juillet 1881 de
nouvelles dispositions sanctionnant les abus à la liberté d’expression. Ainsi, aux côtés des infractions de diffamation et injure est apparu un délit de provocation à la haine ou à la violence à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes à raison de leur origine ou de
leur appartenance réelle ou supposée à une religion (doc. 4, 9). Au moyen de ce texte, certains croyants ont tenté de rétablir le délit de blasphème en se prévalant d’une « blessure aux convictions intimes ». Ce raisonnement a été rejeté par la Cour de cassation dans ses arrêts
du 12 juillet 2000 (doc. 3). Certains auteurs ont toutefois vu avec l’application de la loi Pleven, une résurgence du délit de blasphème, non plus dirigé contre la religion en elle-même mais contre les croyants offensés (doc. 4).

II – Le retour du blasphème au détriment de la liberté d’expression


A – La liberté d’expression menacée par la religion
Jacques de Saint Victor estime que la justice, en autorisant des associations religieuses souvent intégristes, à agir contre ceux qui auraient offensé les croyants a commis une erreur (doc. 3). Certains auteurs relèvent que c’est notamment au travers de la notion
d’« islamophobie », qui serait une haine de l’Islam, que le blasphème a pu reprendre une place dans les prétoires. En effet, le blasphème à l’égard d’une religion n’étant plus poursuivi, des associations ont entendu traduire devant les tribunaux les auteurs de propos qui,
selon elles, incitent à la haine à l’égard d’une religion, et donc des croyants (doc. 5, 6). Cette tendance à la résurgence du blasphème est également marquée au plan international. À cet égard, l’action de l’Organisation de la conférence islamique œuvre à faire émerger une
« diffamation de l’Islam » (doc. 8). En France seraient menées des manœuvres destinées sous la pression religieuse à détourner la loi Pleven pour faire renaître l’infraction de blasphème (doc. 6, 11). Cette assimilation entre la haine d’une religion et la haine des croyants, serait
de nature à exclure de fait toute critique de la religion et interdirait notamment les journaux satiriques. Le blasphème s’affranchissant « des bonnes manières », selon André Comte-Sponville, la société s’exposerait alors à un retour du fanatisme (doc. 10).

B – L’existence du blasphème en droit européen


Alors que certains États de l’Union européenne ont, comme l’Irlande le 26 octobre 2018, abrogé l’infraction de blasphème, (doc. 11), la Cour européenne des droits de l’homme ne retient pas que la répression du blasphème soit une atteinte à la liberté d’expression garantie
par l’article 10 de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme. En effet, elle renvoie les États membres à leur législation interne, laquelle peut admettre qu’une atteinte soit portée à la liberté d’expression pour préserver « la paix religieuse » (doc. 7).
Dans un arrêt du 22 octobre 2018, la Cour a admis qu’une juridiction autrichienne puisse condamner une politicienne ayant qualifié le prophète Mahomet de pédophile lors d’une manifestation publique politique. Certains commentateurs critiquent le positionnement de la
Cour et estiment que cette jurisprudence est guidée par la peur des musulmans et qu’elle conduit à réintégrer le blasphème en droit européen (doc. 5, 8).

Analyse du sujet
Afin de permettre au candidat de comparer la nature des sujets proposés aux différents concours et examens officiels, il a été proposé de traiter le sujet donné au concours d’entrée à l’École nationale de Magistrature de septembre 2020.
Le dossier présenté comporte de fait moins de documents que celui habituellement remis aux candidats présentant l’examen d’entrée à l’École des Avocats.
Pour autant, le nombre de pages est relativement similaire.
Aussi, avec cette différence de substance à traiter, le candidat se doit de revoir l’exploitation qu’il fait d’ordinaire du contenu des documents. En effet, lorsque le nombre de documents étant réduit, s’impose la nécessité de puiser dans chacun des textes davantage d’idées
afin de respecter le nombre minimum de pages attendues pour l’élaboration d’une note de synthèse.
Il s’agit là d’un effort de préparation intéressant à réaliser : adapter l’approche du dossier en fonction du nombre de documents proposés.
Par ailleurs, le contenu du dossier révèle une pluralité de documents qui manquent de neutralité ; plusieurs d’entre eux sont particulièrement subjectifs.
Aussi, appartient-il à l’étudiant de ne pas présenter de façon objective ou factuelle l’opinion subjective d’un auteur, mais de déterminer si, au vu de la fréquence des idées subjectives, celles-ci méritaient ou non d’être reprises. Il s’agissait de la seconde difficulté
présentée par le sujet.
SUJET N° 3

Le commerce de l’influence
(Sujet du CRFPA 2020)
SUJET N° 3 | Dossier documentaire

• Liste des documents


• Document 1 : Article 25 de la Loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique (Loi dite « Sapin 2 »).
• Document 2 : Extraits de l’ouvrage collectif Lamy Droit pénal des affaires, 2019, n° 920 et s.
• Document 3 : Extraits (sans notes de bas de page) de l’article de Monsieur Tristan Girard-Gaymard, « Les influenceurs et le droit », Recueil Dalloz 2020, p. 92.
• Document 4 : Article 20 de la Loi n° 2008-3 du 3 janvier 2008 pour la confiance en l’économie numérique.
• Document 5 : Extraits (sans notes de bas de page) de l’article de Monsieur Arnaud Lecourt, « Loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite loi Sapin 2 », Revue trimestrielle de
droit commercial, 2017, p. 101.
• Document 6 : Article L. 1453-1 du Code de la santé publique.
• Document 7 : Extraits (sans notes de bas de page) de l’article de Maître Paul Lignières, « Les liaisons dangereuses entre les entreprises et l’État : la réglementation du lobbying, dernière étape ? », Droit Administratif n° 2, février 2018, repère 2.
• Document 8 : Extraits (sans notes de bas de page) de l’article de Maître Serge Lazareff, « Déontologie et arbitrage », Gaz. Pal. 24 avril 2007, n° GP20070424001, p. 3.
• Document 9 : Article L.3512-7 du Code de la santé publique.
• Document 10 : Arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 16 juillet 1997, n° 95-11837, suivi d’un extrait (sans notes de bas de page) de la note sous cet arrêt de Madame Raymonde Baillod, Revue des sociétés 1998, p. 71.
• Document 11 : Article L.121-3 du Code de la consommation.
• Document 12 : Extraits (sans notes de bas de page) de l’article de Monsieur Alain Juillet et Monsieur Bruno Racoucho, « Les stratégies d’influence ou la liberté de l’esprit face à la pensée convenue », Revue internationale d’intelligence économique 2012/1 (vol. 4),
p. 87.
• Document 13 : Extraits (sans notes de bas de page) de l’article de Maître Philippe Portier, « L’avocat lobbyiste, quelles perspectives ? », La Semaine Juridique édition générale n° 43, 20 octobre 2014, 1096.
• Document 14 : Réponse ministérielle, Journal Officiel, 4 décembre 2018, p. 11236.
• Document 15 : Arrêt rendu par la chambre criminelle de la Cour de cassation le 25 octobre 2017, n° 16-83724.
• Document 16 : Extraits (sans notes de bas de page) de l’article de Madame Tifany Labatut, « Médias sociaux – L’achat numérique d’abonnés, de likes, de vues ou de commentaires est-il légal ? », LPA 18 oct. 2019, n° 148 h 7, p. 10.
• Document 17 : Article 434-15 du Code pénal.
• Document 18 : Extraits (sans notes de bas de page) de l’article de Monsieur Laurent Carrié, « Contrats d’image de personnes », Jurisclasseur Communication, Fasc. 320, 2018.
• Document 19 : Article de Madame Fleur Jourdan, « Représentants d’intérêts : bilan des premières déclarations », La Semaine Juridique Administrations et Collectivités territoriales n° 24, 18 juin 2018, act. 514.
• Document 20 : Extraits (sans notes de bas de page) de l’article de Madame Laura Boulet et Madame Laureline Frossard, « Communication publicitaire digitale et influenceurs : organiser l’identification du caractère commercial », Communication Commerce électronique n
° 11, novembre 2018, 17.
• Document 21 : Article L.121-4,11° du Code de la consommation.
• Document 22 : Extraits de l’arrêt rendu par la chambre commerciale de la Cour de cassation le 20 novembre 2019, n° 18-12817.

Document 1. Article 25 de la Loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique (Loi dite « Sapin 2 »)

l. – Après la section 3 du chapitre 1er de la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique, est insérée une section 3 bis ainsi rédigée :

« Section 3 bis
« De la transparence des rapports entre les représentants d’intérêts et les pouvoirs publics
« Art. 18-1. – Un répertoire numérique assure l’information des citoyens sur les relations entre les représentants d’intérêts et les pouvoirs publics.
« Ce répertoire est rendu public par la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique.
Cette publication s’effectue dans un format ouvert librement utilisable et exploitable par un système de traitement automatisé, dans les conditions prévues au titre II du livre III du Code des relations entre le public et l’administration.
« Ce répertoire fait état, pour chaque représentant d’intérêts, des informations communiquées en application de l’article 18-3 de la présente loi. Il est commun à la Haute Autorité, pour la mise en œuvre des règles prévues à la sous-section 2, ainsi qu’à l’Assemblée nationale
et au Sénat pour la mise en œuvre des règles déterminées sur le fondement de la sous-section 1 de la présente section.
« Art. 18-2. – Sont des représentants d’intérêts, au sens de la présente section, les personnes morales de droit privé, les établissements publics ou groupements publics exerçant une activité industrielle et commerciale, les organismes mentionnés au chapitre 1er du titre
1er du livre VII du Code de commerce et au titre II du Code de l’artisanat, dont un dirigeant, un employé ou un membre a pour activité principale ou régulière d’influer sur la décision publique, notamment sur le contenu d’une loi ou d’un acte réglementaire en entrant en
communication avec :
« 1° Un membre du Gouvernement, ou un membre de cabinet ministériel ;
« 2° Un député, un sénateur, un collaborateur du Président de l’Assemblée nationale ou du Président du Sénat, d’un député, d’un sénateur ou d’un groupe parlementaire, ainsi qu’avec les agents des services des assemblées parlementaires ;
« 3° Un collaborateur du Président de la République ;
« 4° Le directeur général, le secrétaire général, ou leur adjoint, ou un membre du collège ou d’une commission investie d’un pouvoir de sanction d’une autorité administrative indépendante ou d’une autorité publique indépendante mentionnée au 6° du I de l’article 11 de la
présente loi ;
« 5° Une personne titulaire d’un emploi ou d’une fonction mentionné au 7° du même I ;
« 6° Une personne titulaire d’une fonction ou d’un mandat mentionné aux 2°, 3° ou 8° dudit I.
« 7° Un agent public occupant un emploi mentionné par le décret en Conseil d’État prévu au I de l’article 25 quinquies de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires.
« Sont également des représentants d’intérêts, au sens de la présente section, les personnes physiques qui ne sont pas employées par une personne morale mentionnée au premier alinéa du présent article et qui exercent à titre individuel une activité professionnelle
répondant aux conditions fixées au même premier alinéa.
« Ne sont pas des représentants d’intérêts au sens de la présente section :
« a) Les élus, dans l’exercice de leur mandat ;
« b) Les partis et groupements politiques, dans le cadre de leur mission prévue à l’article 4 de la Constitution ;
« c) Les organisations syndicales de fonctionnaires et, dans le cadre de la négociation prévue à l’article L.1 du Code du travail, les organisations syndicales de salariés et les organisations professionnelles d’employeurs ;
« d) Les associations à objet cultuel, dans leurs relations avec le ministre et les services ministériels chargés des cultes ;
« e) Les associations représentatives des élus dans l’exercice des missions prévues dans leurs statuts.

« Art. 18-3. – Tout représentant d’intérêts communique à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, par l’intermédiaire d’un téléservice, les informations suivantes :
« 1° Son identité, lorsqu’il s’agit d’une personne physique, ou celle de ses dirigeants et des personnes physiques chargées des activités de représentation d’intérêts en son sein, lorsqu’il s’agit d’une personne morale ;
« 2° Le champ de ses activités de représentation d’intérêts ;
« 3° Les actions relevant du champ de la représentation d’intérêts menées auprès des personnes mentionnées aux 1° à 7° de l’article 18-2, en précisant le montant des dépenses liées à ces actions durant l’année précédente ;
« 4° Le nombre de personnes qu’il emploie dans l’accomplissement de sa mission de représentation d’intérêts et, le cas échéant, son chiffre d’affaires de l’année précédente ;
« 5° Les organisations professionnelles ou syndicales ou les associations en lien avec les intérêts représentés auxquelles il appartient.
« Toute personne exerçant, pour le compte de tiers, une activité de représentation d’intérêts au sens du même article 18-2 communique en outre à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique l’identité de ces tiers.
« Un décret en Conseil d’État, pris après un avis public de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, précise :
« a) Le rythme et les modalités des communications prévues au présent article ainsi que les conditions de publication des informations correspondantes ;
« b) Les modalités de présentation des activités du représentant d’intérêts.

« Sous-section 1
« Détermination et mise en œuvre des règles applicables aux assemblées parlementaires
« Art. 18-4. – Les règles applicables aux représentants d’intérêts au sein de chaque assemblée parlementaire sont déterminées et mises en œuvre dans le respect des conditions fixées à l’article 4 quinquies de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au
fonctionnement des assemblées parlementaires.

« Sous-section 2
« Règles applicables aux autorités gouvernementales et administratives et aux collectivités locales
« Art. 18-5. – Les représentants d’intérêts exercent leur activité avec probité et intégrité. Ils sont tenus de :
« 1° Déclarer leur identité, l’organisme pour lequel ils travaillent et les intérêts ou entités qu’ils représentent dans leurs relations avec les personnes mentionnées aux 1° et 3° à 7° de l’article 18-2 ;
« 2° S’abstenir de proposer ou de remettre à ces personnes des présents, dons ou avantages quelconques d’une valeur significative ;
« 3° S’abstenir de toute incitation à l’égard de ces personnes à enfreindre les règles déontologiques qui leur sont applicables ;
« 4° S’abstenir de toute démarche auprès de ces personnes en vue d’obtenir des informations ou des décisions par des moyens frauduleux ;
« 5° S’abstenir d’obtenir ou d’essayer d’obtenir des informations ou décisions en communiquant délibérément à ces personnes des informations erronées ou en recourant à des manœuvres destinées à les tromper ;
« 6° S’abstenir d’organiser des colloques, manifestations ou réunions, dans lesquels les modalités de prise de parole par les personnes mentionnées aux 1° et 3° à 7° de l’article 18-2 sont liées au versement d’une rémunération sous quelque forme que ce soit ;
« 7° S’abstenir d’utiliser, à des fins commerciales ou publicitaires, les informations obtenues auprès des personnes mentionnées aux 1° et 3° à 7° de l’article 18-2 ;
« 8° S’abstenir de vendre à des tiers des copies de documents provenant du Gouvernement, d’une autorité administrative ou publique indépendante ou d’utiliser du papier à en-tête ainsi que le logo de ces autorités publiques et de ces organes administratifs ;
« 9° S’attacher à respecter l’ensemble des règles prévues aux 1° à 8° du présent article dans leurs rapports avec l’entourage direct des personnes exerçant les fonctions mentionnées aux 1° et 3° à 7° de l’article 18-2.
« Les présentes dispositions peuvent être précisées au sein d’un code de déontologie des représentants d’intérêts défini par décret en Conseil d’État, pris après un avis public de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique.

« Art. 18-6. – La Haute Autorité pour la transparence de la vie publique s’assure du respect des articles 18-3 et 18-5 par les représentants d’intérêts.
« Elle peut se faire communiquer, sur pièce, par les représentants d’intérêts, toute information ou tout document nécessaire à l’exercice de sa mission, sans que le secret professionnel puisse lui être opposé.
« Elle peut également procéder à des vérifications sur place dans les locaux professionnels des représentants d’intérêts, sur autorisation du juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance de Paris, dans des conditions fixées par décret en Conseil d’État.
« La Haute Autorité protège la confidentialité des informations et documents auxquels elle a accès pour l’exercice de sa mission, à l’exception des informations et documents dont la publication est prévue à la présente section.
« La Haute Autorité peut être saisie :
« 1° Par les personnes mentionnées aux 1° à 7° de l’article 18-2 sur la qualification à donner, au regard du même article 18-2, à l’activité d’une personne physique ou d’une personne morale mentionnée aux premier et neuvième alinéas dudit article 18-2 ;
« 2° Par les personnes qui y sont assujetties sur le respect des obligations déontologiques déterminées en application de l’article 18-5.
« La Haute Autorité ou, par délégation, son président rend son avis dans un délai de deux mois à compter de sa saisine. Ce délai peut être prolongé de deux mois par décision de son président, après qu’il a informé l’auteur de la saisine.
« Elle peut également être saisie par l’une des associations agréées par elle dans les conditions prévues à l’article 20.

« Art. 18-7. – Lorsque la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique constate, de sa propre initiative ou à la suite d’un signalement, un manquement aux règles prévues aux articles 18-3 et 18-5, elle :
« 1° Adresse au représentant d’intérêts concerné une mise en demeure, qu’elle peut rendre publique, de respecter les obligations auxquelles il est assujetti, après l’avoir mis en état de présenter ses observations ;
« 2° Avise la personne entrant dans le champ des 1° et 3° à 7° de l’article 18-2 qui aurait répondu favorablement à une sollicitation effectuée par un représentant d’intérêts mentionné au 1° du présent article et, le cas échéant, lui adresse des observations, sans les rendre
publiques.

« Art. 18-8. – Un décret en Conseil d’État, pris après avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés et de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, fixe les modalités d’application de la présente sous-section.

« Sous-section 3
« Sanctions pénales
« Art. 18-9. – Le fait, pour un représentant d’intérêts, de ne pas communiquer, de sa propre initiative ou à la demande de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, les informations qu’il est tenu de communiquer à cette dernière en application de l’article 18-3
est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 € d’amende.

« Art. 18-10. – Le fait, pour un représentant d’intérêts auquel la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique a préalablement adressé, en application de l’article 18-7, une mise en demeure de respecter les obligations déontologiques prévues à l’article 18-5, de
méconnaître à nouveau, dans les trois années suivantes, la même obligation est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 € d’amende.
[Dispositions déclarées non conformes à la Constitution par la décision du Conseil constitutionnel n° 2016-741 DC du 8 décembre 2016.]

Document 2. Extraits de l’ouvrage collectif Lamy Droit pénal des affaires, 2019, n° 920 et s.

920. Trafic d’influence passif


Le « trafic d’influence passif » est commis soit par une personne exerçant une fonction publique, soit aussi par une personne privée, qui se prévaut d’une influence réelle ou supposée et qui sollicite ou accepte des dons, offres ou promesses, en vue de faire obtenir au
remettant des avantages ou faveurs de toute sorte, dont les pouvoirs publics sont prétendument les dispensateurs.
921. Trafic d’influence actif
Le « trafic d’influence actif » est le fait d’un tiers, qui offre une rémunération, soit à une personne exerçant une fonction publique, soit à un simple particulier, qu’il croit posséder une influence sur les pouvoirs publics, en vue d’obtenir de ces derniers des avantages ou des
faveurs.
Il convient ici de ne pas confondre ce délit avec le délit de passation irrégulière de marché public (ancien délit de favoritisme) prévu à l’article 432-14 du Code pénal et qui ne vise que les « interventions » illégales réalisées dans le but d’éluder les dispositions impératives
d’attribution de marchés publics au bénéfice de l’attributaire du marché.
922. Qualité de l’auteur du trafic d’influence
La qualité de l’auteur de l’infraction diffère selon le texte concerné, la distinction entre le caractère actif et passif du délit étant insuffisante pour expliquer la différence entre la qualité requise des auteurs.
Ainsi, dans le cadre du trafic d’influence visé à l’article 433-2 du Code pénal, seul le simple particulier est visé par l’infraction, qu’il agisse à l’occasion d’un trafic d’influence par lequel il sollicite ou agrée des offres, promesses ou dons en vue d’user de l’influence qu’il est
censé posséder (C. pén., art. 433-2, al. 1er), ou bien soit qu’il cède aux sollicitations ou aux demandes qui lui sont faites, ou bien encore qu’il propose lui-même à un tiers d’user de son influence (C. pén., art. 433-2, al. 2).
Le simple particulier peut donc être à la fois poursuivi pour avoir été « corrupteur » ou « corrompu ». Si ces termes sont impropres pour le délit de trafic d’influence, ils ont l’intérêt d’illustrer plus clairement les textes du Code.
[…]
925. Notion d’« influence »
Dans le délit de corruption, le corrompu monnaye l’accomplissement d’un acte de sa fonction, ou d’un acte facilité par elle. Dans le domaine du trafic d’influence, la personne coupable ne se place pas dans le cadre de sa fonction, mais en dehors : elle use ou abuse du
crédit qu’elle possède, ou qu’elle croit posséder, du fait de sa position, dans la société ou l’administration, du fait aussi des relations d’amitié qu’elle a pu nouer avec d’autres personnes, ou des liens de collaboration qui se sont tissés entre elle et les fonctionnaires d’autres
services publics (Vitu A., J.-CI. Pénal, Fasc. 10, art. 432-11).
Le coupable trafique non de sa fonction, mais de sa qualité (Garraud R., Traité théorique et pratique du droit pénal français, Sirey, t. IV, nos 1526 et 1527). […]
Enfin, il y a lieu de souligner que l’influence dont se prévaut l’intermédiaire peut être réelle ou seulement supposée. Ainsi est également poursuivi le crédit imaginaire des prévenus, ce qui peut quelquefois aboutir à des difficultés dans la qualification de certains faits entre
les délits de trafic d’influence et d’escroquerie.

Document 3. Extraits (sans notes de bas de page) de l’article de Monsieur Tristan Girard-Gaymard, « Les influenceurs et le droit », Recueil Dalloz 2020, p. 92

L’influenceur est un intermédiaire entre une entreprise et la communauté des consommateurs, il est en ce sens chargé de créer un lien entre l’entreprise commanditaire et le public. Mais de quelle intermédiation s’agit-il ? Quelle est la nature de la relation que l’influenceur
entretient avec l’entreprise qui fait appel à lui ?
Tout d’abord, l’influenceur est-il un salarié ? Autrement dit, existe-t-il une relation de travail entre l’influenceur et l’entreprise qui fait appel à lui ? L’on connaît l’enjeu de la qualification de contrat de travail. Le Code du travail, pour épais qu’il soit, ne définit pas le contrat
de travail, mais la jurisprudence le définit comme le contrat au terme duquel une personne s’engage à accomplir une prestation de travail pour le compte et sous l’autorité d’une autre, qui consent à lui verser une rémunération. L’influenceur accomplit-il une prestation de
travail ?
[…] S’il existe un point d’achoppement de ce raisonnement en faveur de la qualification de contrat de travail, il faut principalement le situer au regard de l’état de subordination de l’influenceur.
Ce critère est d’ailleurs historiquement le plus pertinent pour qualifier la relation de travail, par-delà l’état de dépendance économique. Un salarié n’est salarié que parce qu’il est subordonné à son employeur, c’est-à-dire lorsque le salarié reçoit des instructions destinées à
déterminer les modalités d’exécution de sa prestation et que l’employeur a le pouvoir de le contrôler régulièrement et éventuellement de le sanctionner. Sur ce point, il faut relever que bien souvent l’influenceur détermine conjointement avec son cocontractant les conditions
d’exécution de sa prestation. Point d’unilatéralisme donc, qui pourrait laisser penser à une situation de dépendance juridique à l’égard de l’entreprise.
[…] Au-delà de ces quelques interrogations, il y a deux hypothèses qui emportent néanmoins avec certitude qualification de contrat de travail. D’une part, lorsque l’influenceur est un artiste ; d’autre part, lorsqu’il est un mannequin.
En premier lieu, lorsque le contrat entre une entreprise et un influenceur stipule que ce dernier devra, dans un premier temps, participer au tournage d’une vidéo organisée par la première et, dans un second temps, diffuser la vidéo sur ses réseaux sociaux, le contrat sera
qualifié de contrat d’artiste, la liste de ces contrats n’étant pas limitative. Si l’influenceur interprète un rôle, il pourra être qualifié d’artiste-interprète. Le contrat sera alors qualifié de contrat de travail.
En effet, il est prévu à l’article L.7121-3 du Code du travail que tout contrat par lequel une personne s’assure, moyennant rémunération, le concours d’un artiste du spectacle en vue de sa production est présumé être un contrat de travail dès lors que cet artiste n’exerce pas
l’activité qui fait l’objet de ce contrat dans des conditions impliquant son inscription au registre du commerce.
En second lieu, et s’agissant de l’activité de mannequin, l’article L.7123-2 du Code du travail définit celle-ci comme celle consistant, même à titre occasionnel, soit à présenter au public, directement ou indirectement par reproduction de son image sur tout support visuel ou
audiovisuel, un produit, un service ou un message publicitaire ; soit à poser comme modèle, avec ou sans utilisation ultérieure de son image.
L’activité de l’influenceur correspond souvent à la définition de l’activité de mannequin posée par le Code du travail, notamment lorsque le contrat entre l’entreprise et l’influenceur prévoit que ce dernier devra effectuer des séances de prise de vue et que les photographies
seront publiées sur les réseaux sociaux de l’influenceur. Le contrat sera alors présumé être un contrat de travail, en vertu de l’article L.7123-3 du Code du travail.
Si l’influenceur n’est qu’un prestataire de services se pose la question de son statut d’intermédiaire économique. Une première impression apparaît immédiatement lorsque l’on cherche à quel intermédiaire l’influenceur pourrait être assimilé. Sa situation originale l’éloigne
des statuts légaux bien connus, au premier rang desquels l’on trouve l’agent commercial et le représentant de commerce. L’influenceur n’a pas de fonction de représentation commerciale auprès du public, en ce sens qu’il n’entretient aucun lien direct avec lui. Il ne prend
aucun ordre d’une quelconque clientèle. L’influenceur serait-il alors un courtier ? Il est vrai que, par certains aspects, l’influenceur se rapproche du courtier en ce qu’il met en relation le public avec l’entreprise donneuse d’ordres. En promouvant ses produits ou ses services,
l’influenceur oriente les consommateurs vers l’entreprise qui les commercialise. Mais il ne s’engage pas « à tout mettre en œuvre pour présenter au donneur d’ordres une personne susceptible et désireuse de conclure le contrat proposé ». L’influenceur est-il alors un
commissionnaire ? Là encore, l’assimilation est difficile, car le commissionnaire agit pour le compte d’autrui, mais en son nom personnel. L’influenceur est bien plus en recul que le commissionnaire, car il ne contracte pas avec le public. La réflexion bute donc sur les
qualifications traditionnelles du droit de la distribution et se rapproche de celle que certains auteurs ont menée à propos d’intermédiaires économiques particuliers que sont les animateurs, démonstrateurs, démarcheurs, indicateurs, prospecteurs et visiteurs. Il fut un temps où
ces intermédiaires économiques originaux se donnaient à voir à l’homme de la rue à travers les fameuses dames de l’entreprise Tupperware. Ces femmes à l’esprit d’entreprise aiguisé ne mettaient en œuvre aucun élément permanent d’une entreprise, travaillaient « sans
personnel, sans moyens matériels différents de ceux utilisés pour leur vie personnelle, sans investissement intellectuel ou financier, sans compétence préalable ». Les influenceurs seraient-ils les nouvelles dames Tupperware ? Incontestablement, les animatrices Tupperware
se rapprochent des influenceurs, à la différence près que ces derniers n’entrent pas en contact avec la clientèle.
[…] Lorsque l’influence a été achetée, elle change de nature pour devenir une prestation intéressée, déterminée en partie par un tiers, le donneur d’ordres, et cette détermination doit alors être révélée au public.
Quid juris à présent ? Commençons par évoquer l’intéressante approche américaine qui, comme souvent, est une approche de droit souple. La Fédéral Trade Commission (FTC), autorité de concurrence, a émis des lignes directrices relatives à l’activité d’influenceur.
Naturellement, la FTC envisage l’épineuse question du montant de la rémunération de l’influenceur, quelle que soit au demeurant sa nature. Faut-il distinguer selon que l’influenceur a été amplement ou maigrement rémunéré pour sa prestation ? A priori, l’on serait tenté
d’affirmer que la transparence devrait être proportionnelle à la rémunération reçue. Mais la FTC ne raisonne pas ainsi et invite les influenceurs à se poser eux-mêmes la question, qui se résume en termes de probabilité : ou bien leur rémunération n’affectera raisonnablement
pas l’opinion du public relative à la crédibilité de l’influenceur, ou bien, au contraire, ce dernier sera discrédité aux yeux de son audience et il devra alors révéler au public l’existence d’une opération promotionnelle. La révélation est donc laissée à l’appréciation de
l’influenceur lui-même.
La Compétition and Markets Authority (CMA) anglaise adopte la même approche et encourage à une forme de say on pay : « say when you’ve been paid » indique l’autorité, quelle que soit la nature de cette rémunération. La CMA invite également à révéler la nature des
liens qui unissent un influenceur à son entreprise donneuse d’ordres. Par exemple, lorsqu’un influenceur communique à son réseau un code de réduction, il doit indiquer la nature promotionnelle de cette opération. La CMA justifie cette obligation de révélation de façon très
intéressante, en avançant une justification qui résume probablement, à elle seule, les enjeux de la révélation du partenariat conclu avec un influenceur : l’on ne saurait se faire passer pour un particulier, consommateur moyen, donnant des conseils d’achat certes subjectifs,
mais guidés par des goûts personnels, lorsqu’en réalité l’influence est l’objet d’une prestation contractuelle.
Quelle est la position du droit français ? L’ordre juridique adopte une approche mixte fondée sur le droit souple, mais également sur le droit dur. Les activités publicitaires relèvent d’une autorité de régulation qui n’en est pas une puisqu’elle est juridiquement une
association : l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP). Cet organisme a émis des recommandations le 7 juin 2017 concernant l’activité des influenceurs. L’ARPP recommande la révélation du partenariat existant entre un influenceur et une entreprise. La
prestation d’influence doit donc être ostensible, en ce sens que ses destinataires doivent être informés que le message qui leur est adressé a fait l’objet d’une collaboration entre un annonceur et l’influenceur. L’influenceur devra donc indiquer clairement que le contenu
visionné a été sponsorisé par une entreprise. De plus, l’information sur l’existence de l’influence doit être instantanée, en ce sens qu’elle doit être immédiatement visible par ses destinataires.
Qu’en est-il du droit dur ? Il faut, d’abord, saluer le pragmatisme de la jurisprudence qui n’hésite pas à regarder les réseaux sociaux comme un canal de publicité, y compris d’ailleurs lorsque l’information publicitaire est relayée par des particuliers. La question s’est posée
dans un arrêt de la première chambre civile du 3 juillet 2013 qui concernait l’entreprise Ricard. Celle-ci avait organisé une campagne publicitaire sur le réseau Facebook. Via une application téléchargée sur le compte Facebook, les utilisateurs pouvaient partager avec leur réseau
d’amis Facebook une recette de cocktail au pastis en cliquant sur le bouton « partager sur mon mur ». Le message adressé aux amis Facebook promouvait systématiquement la recette partagée ainsi que l’application Ricard. Assignée par une association de lutte contre
l’alcoolisme en cessation de cette campagne publicitaire, Ricard se défendait en invoquant le fait que le message diffusé par l’utilisateur n’était pas une publicité. Ce ne fut pas l’avis de la Cour de cassation qui approuva les juges du fond d’avoir décidé que le message
« relayé par l’intervention d’un internaute à l’intention de son réseau d’amis ne lui faisait pas perdre son caractère publicitaire ».

Document 4. Article 20 de la Loi n° 2008-3 du 3 janvier 2008 pour la confiance en l’économie numérique

Toute publicité, sous quelque forme que ce soit, accessible par un service de communication au public en ligne, doit pouvoir être clairement identifiée comme telle. Elle doit rendre clairement identifiable la personne physique ou morale pour le compte de laquelle elle est
réalisée.
L’alinéa précédent s’applique sans préjudice des dispositions réprimant les pratiques commerciales trompeuses prévues à l’article L.121-1 du Code de la consommation.

Document 5. Extraits (sans notes de bas de page) de l’article de Monsieur Arnaud Lecourt, « Loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie
économique, dite loi « Sapin 2 », Revue trimestrielle de droit commercial, 2017, p. 101

[…] La loi Sapin 2 ambitionne de renforcer la lutte contre la corruption et l’évasion fiscale en soumettant les grandes sociétés – sans condition de cotation et peu important leur forme juridique – à l’obligation d’instaurer en interne un programme de lutte contre la
corruption à compter du 1er juin 2017. Ce programme recouvre différents aspects qu’il convient de développer.
À compter du 1er juin 2017, les sociétés de grande taille (chiffre d’affaires consolidé ou non supérieur à 100 millions d’euros, emploi d’au moins 500 salariés directement ou par le biais d’un groupe dont l’effectif dépasse les 500 salariés et dont la mère a son siège social en
France) auront l’obligation de prendre des mesures en interne destinées à prévenir et à détecter, en France ou à l’étranger, les faits de corruption ou de trafic d’influence.
[…]

A – Mesures
La loi envisage sept grandes mesures que devront assumer les sociétés de grande taille, i.e. qui atteignent les seuils précités :
– établir un code de bonne conduite qui définit et illustre les différents comportements de nature à caractériser des faits de corruption ou de trafic d’influence ;
– mettre en place un mécanisme d’alerte interne pour recueillir les signalements émanant des salariés et relatifs à des comportements contraires au code de conduite (v. infra les lanceurs d’alerte) ;
– établir une cartographie des risques sous la forme d’une documentation actualisée périodiquement et qui présente une hiérarchie des risques d’exposition de la société à des sollicitations externes aux fins de corruption ;
[…]

B – Sanctions
La sanction des manquements à ces obligations nouvelles de probité repose sur l’Agence française anticorruption. C’est elle qui devra s’assurer du respect des mesures et, en cas de manquement constaté, et après avoir permis à l’auteur du manquement de présenter ses
observations, pourra adresser un avertissement aux représentants légaux de la société. Cette agence est dotée d’une commission des sanctions ; elle peut faire appel à des experts qualifiés pour l’assister dans la réalisation d’analyses juridiques, financières, fiscales et
comptables.
Cet organe pourra enjoindre à la société et à ses représentants d’adapter les procédures selon les recommandations qu’elle lui adressera et dans un délai qu’elle fixera, mais qui ne pourra excéder trois ans. L’agence pourra enfin condamner la société et ses dirigeants au
versement d’une somme ne pouvant excéder un million d’euros (200 000 € pour le dirigeant) ; l’amende est proportionnée à la gravité du manquement et à la situation financière de la personne physique ou morale sanctionnée.
[…] À côté de ce pouvoir de sanction « administratif », la loi Sapin 2 instaure la possibilité pour le juge pénal de prononcer, à l’encontre des sociétés reconnues coupables de corruption (active ou passive), trafic d’influence et délits assimilés, l’obligation de se soumettre,
sous le contrôle de l’Agence française anticorruption, à un programme de » mise en conformité » pour assurer la mise en œuvre de diverses mesures de prévention et de détection de faits de corruption (C. pén., nouv. art. 131-39-2). Cette mise sous » tutelle » de la société est
étonnante ; les frais occasionnés par le recours à des experts ou à tout autre intervenant seront supportés par la société, sans que leur montant ne puisse cependant excéder le montant de l’amende encourue pour les infractions qui ont donné lieu au programme de » mise en
conformité » (C. pén., nouv. art. 131-39-2, III). Les organes ou les représentants légaux de la société condamnée à cette peine qui s’abstiendront de prendre les mesures nécessaires ou feront obstacle à la bonne exécution des obligations qui en résultent encourront une peine
de deux ans d’emprisonnement et de 50 000 € d’amende (C. pén., nouv. art. 434-43-1). […]

Document 6. Article L. 1453-1 du Code de la santé publique

Article L.1453-1
I. Les entreprises produisant ou commercialisant des produits mentionnés au II de l’article L.5311-1 à l’exception de ceux mentionnés aux 14°, 15° et 17° ou assurant des prestations associées à ces produits sont tenues de rendre publics, sur un site internet public unique,
l’objet précis, la date, le bénéficiaire direct et le bénéficiaire final, et le montant des conventions qu’elles concluent avec :
1° Les professionnels de santé relevant de la quatrième partie du présent code ;
2° Les associations de professionnels de santé ;
3° Les étudiants se destinant aux professions relevant de la quatrième partie du présent code ainsi que les associations et groupements les représentant ;
4° Les associations d’usagers du système de santé ;
5° Les établissements de santé relevant de la sixième partie du présent code ;
6° Les académies, les fondations, les sociétés savantes et les sociétés ou organismes de conseil intervenant dans le secteur des produits ou prestations mentionnés au premier alinéa ;
7° Les personnes morales éditrices de presse, de services de radio ou de télévision et de services de communication au public en ligne ;
7° bis Les personnes qui, dans les médias ou sur les réseaux sociaux, présentent un ou plusieurs produits de santé, de manière à influencer le public ;
8° Les éditeurs de logiciels d’aide à la prescription et à la délivrance ;
9° Les personnes morales assurant ou participant à la formation initiale ou continue ou au développement professionnel continu des professionnels de santé mentionnés au 1° du présent I.

Document 7. Extraits (sans notes de bas de page) de l’article de Maître Paul Lignières, « Les liaisons dangereuses entre les entreprises et l’État : la réglementation du lobbying, dernière étape ? », Droit Administratif n° 2, février
2018, repère 2

[…] L’adoption du Code des relations entre le public et l’administration en 2015 a été une évolution tardive mais nécessaire dans la recherche de la transparence du processus d’adoption des décisions publiques. Toutefois, la question du lobbying n’avait pas été abordée
malgré l’impérieuse nécessité qui était déjà évidente et réclamée (V. notre article, Lobbying : sortir du déni de réalité : Les Échos, 17 nov. 2014 et notre contribution, La procédure administrative non contentieuse, un droit pour rétablir la confiance entre les citoyens et
l’administration, in Droit comparé de la procédure administrative, ss la dir. de Jean-Bernard Auby : Bruylant, 2016). La raison est que ce concept et celui des conflits d’intérêts ont longtemps fait l’objet d’un déni au sein de l’État qui les considérait comme des concepts anglo-
saxons ne devant pas polluer notre haute conception française de la chose publique. L’État placé sur un piédestal au-dessus des individus et des groupes est seul censé incarner un intérêt général qui transcenderait les intérêts particuliers ; le processus d’adoption de la
décision publique ne devrait pas être pollué par la manifestation de volontés individuelles. C’était l’ère du déni. Le lobbying s’est alors naturellement développé dans l’ombre et le secret. Les « déjeuners discrets » organisés par des » connaissances communes », les »
visiteurs du soir », la connivence entretenue entre les pouvoirs publics et les décideurs privés comme » l’entre-soi corporatiste d’une haute fonction publique qui se partage encore trop les postes de pouvoir », alimentent toutes les méfiances et révèlent une vraie faiblesse
démocratique (Th. Chopin et Ch. Lequesne, M. Macron a créé un espoir chez ceux qui croient aux bienfaits de la société ouverte : Le Monde, 28 déc. 2017, p. 21). Un rapport de Transparency International attribuait une note de 2,7 sur 10 à la France pour sa capacité à assurer
un lobbying intègre et transparent (un tableau de la réalité du lobbying en France : Transparence et intégrité du lobbying, un enjeu de démocratie, 2014). Ont été également dénoncées les influences opaques sur les décisions publiques que peuvent avoir certains consultants
et avocats anciens hauts fonctionnaires qui ont opté pour le pantouflage (P. France, A. Vauchez, Sphère publique, intérêts privés. Enquête sur un grand brouillage : Les Presses de Sciences Po, 2017). Les directions des administrations centrales et les cabinets ministériels
fonctionnent en effet de façon très opaque ; il est en pratique nécessaire de connaître quelqu’un pour pouvoir y avoir accès. En ce sens, les entreprises, les cabinets d’avocats ou de consultants recrutent quasiment toujours des anciens de telle ou telle administration afin
d’avoir des contacts au sein des pouvoirs publics ; lors de ces pantouflages, ce n’est donc pas la compétence qui est valorisée, mais la confusion des genres, la proximité voire le copinage. Les relations entre l’administration et la société civile sont alors essentiellement
fondées sur la proximité individuelle liée à l’appartenance à tel ou tel réseau et non sur la compétence ou la reconnaissance professionnelle. Cela n’est satisfaisant pour personne. Le soupçon de conflit d’intérêts est permanent.
[…]
C’est la loi Sapin 2 qui a imposé pour la première fois de véritables contraintes sur le sujet des représentants d’intérêts, traduction française du lobbying.
Depuis le 1er janvier 2018, les personnes ayant des activités de lobbying doivent s’inscrire et inscrire leurs entreprises sur un registre public et elles doivent publier annuellement un compte rendu de leurs activités de lobbying. La définition retenue pour l’activité de
lobbying, ou de représentant d’intérêt, est large. Et en réalité, il est très surprenant de voir que moins de 1 000 entreprises étaient enregistrées au début du mois de janvier.
D’un côté, certains refuseront sans doute le principe de transparence de leurs activités d’interface avec les pouvoirs publics ; ils vont ignorer ce nouveau texte ; ils expliqueront que la loi ne leur est pas applicable et ils constitueront la liste des recettes permettant
d’échapper à ces nouvelles contraintes en cherchant à respecter la règle tout en ignorant l’esprit.
D’un autre côté, les risques de sanctions en cas de contrôle, les risques de dénonciation via le nouveau mécanisme d’alerte mis en place au sein des entreprises ou encore les risques médiatiques sont tels qu’il est raisonnable de penser que quelques affaires vont voir le
jour dans les prochains mois et les prochaines années.
Comme pour les conflits d’intérêts, une loi est une première étape mais ce sont les saines habitudes que doivent prendre les uns et les autres qui permettront de normaliser les relations entre les entreprises et l’État. Évoquer ce sujet avec clarté, améliorer les pratiques avec
détermination permettra d’éviter des affaires médiatiques. C’est le prix à payer pour quitter le terrain de la défiance envers les pouvoirs publics, défiance si nuisible à l’économie et au climat démocratique.

Document 8. Extraits (sans notes de bas de page) de l’article de Maître Serge Lazareff, « Déontologie et arbitrage », Gaz. Pal. 24 avril 2007, n° GP20070424001, p. 3

Les cabinets anglo-saxons ont pour pratique de préparer leurs témoins, c’est-à-dire non seulement s’entretenir avec eux avant l’audience et rédiger, inspirer ou revoir leurs dépositions écrites mais, souvent, simuler l’arbitrage, des membres du cabinet jouant le rôle
d’arbitres de façon à ce que le témoin soit préparé à répondre aux questions qui lui seront posées, soit par le contradicteur, soit par le tribunal lui-même. Cette pratique est courante et indiscutée.
Les IBA Rules on the Taking of Evidence in International Commercial Arbitration, auxquelles il est de plus en plus fait référence, énoncent en leur article 4.3 « It shall not be improper for a Party, its officers, employées, legal advisors or other représentatives to interview its
witnesses or potential witnesses » (Il n’est pas inconvenant qu’une partie, sa direction, ses employés, ses conseils juridiques ou tout autre représentant s’entretienne avec ses témoins ou ses témoins éventuels).
Dans cet esprit, le règlement de la LCIA (London Court of International Arbitration) dispose “Subject to the mandatory provisions of any applicable law, it shall not be improper for any party or its legal représentatives to interview any witnesses or potential witnesses for
the purpose of presenting his testimony in written form or producing him as an oral witness” (Sous réserve des dispositions impératives de la loi applicable, il n’est pas inconvenant qu’une partie ou ses représentants légaux s’entretiennent avec un témoin ou un témoin
éventuel en vue de soumettre son témoignage écrit ou le faire entendre à l’audience).
Ainsi, voit-on des témoins dûment chapitrés qui paraissent répondre spontanément à des questions dont le tribunal sait pertinemment qu’elles lui ont été plus que suggérées, même si le témoin fait souvent semblant de faire un très grand effort pour chercher dans sa
mémoire les éléments de réponse.
Un tribunal arbitral quelque peu expérimenté arrivera à démêler dans ces témoignages sur commande où est la vérité, bien que les techniques de cross examination, que possèdent admirablement les Anglais et, peut-être à moindre degré, les Américains, fassent merveille.
Dans la pratique, tous les conseils pratiquant l’arbitrage international appliquent cette façon de faire.
Or, selon certains auteurs, les avocats de nombreux pays continentaux n’ont pas cette possibilité, contraire à leur déontologie.
Cependant, si les témoins subissent, avant l’audience, des traitements différents, l’égalité entre les parties est rompue et le procès n’est plus équitable.
L’article 10 des Usages du Barreau vaudois dispose clairement que « L’avocat s’interdit de discuter avec un témoin de la déposition future de celui-ci et de l’influencer de quelque manière que ce soit ; il évite toute démarche pouvant être interprétée dans ce sens ».
Des dispositions similaires existent en Belgique où il semble cependant que « […] la pratique est moins rigide et qu’on ne reprochera pas à une partie de s’assurer qu’un témoin ait vu quelque chose avant de le faire convoquer […] ».
En droit français, aucune disposition du Règlement intérieur national de la profession d’avocat (RIN) ne semble expressément interdire aux avocats de préparer les témoins.
Cependant, dans la mesure où cette préparation est susceptible de rompre l’égalité entre les parties, il convient de se référer à l’article 5 du RIN, relatif au respect du contradictoire.
5.1 – « L’avocat se conforme aux exigences du procès équitable. Il se comporte loyalement à l’égard de la partie adverse. Il respecte les droits de la défense et le principe du contradictoire ».
En outre, l’article 214 du NCPC dispose : « Les parties ne doivent ni interrompre, ni interpeller ni chercher à influencer les témoins qui déposent, ni s’adresser directement à eux sous peine d’exclusion ».
Comment, dans ces conditions, concilier les restrictions que peut imposer la déontologie d’un avocat avec le principe d’égalité selon lequel les deux parties devraient avoir le même droit de préparer les témoins ?
De fait, « [c]es questions ne sont pas théoriques. De nombreux arbitres internationaux auront eu l’occasion de voir des confrères de barreaux différents s’accuser de violation des usages parce que l’un avait rencontré des témoins avant l’audience tandis que l’autre se
l’était interdit […] ».
Théoriquement, l’avocat français risque de se trouver en conflit avec sa déontologie. Or, il conviendrait d’éviter que se pose une fois de plus la question d’une distorsion de concurrence entre conseils continentaux et conseils anglo-saxons, étant noté une fois de plus que
les avocats parisiens pratiquant l’arbitrage commercial international ont recours aux pratiques ci-dessus décrites. Il est donc souhaitable que, dans la droite ligne de Paris Place de droit, cette question soit résolue de telle sorte que les avocats français n’aient plus le moindre
scrupule à agir ouvertement dans l’intérêt de leur client.

Document 9. Article L. 3512-7 du Code de la santé publique

I. – Les fabricants, les importateurs et les distributeurs de produits du tabac ainsi que les entreprises, les organisations professionnelles ou les associations les représentant adressent chaque année au ministre chargé de la santé un rapport détaillant l’ensemble des
dépenses liées à des activités d’influence ou de représentation d’intérêts.
II. – Sont considérées comme des dépenses liées à des activités d’influence ou de représentation d’intérêts :
1° Les rémunérations de personnels employés en totalité ou en partie pour exercer des activités d’influence ou de représentation d’intérêts ;
2° Les achats de prestations auprès de sociétés de conseil en activités d’influence ou de représentation d’intérêts ;
3° Les avantages en nature ou en espèces, sous quelque forme que ce soit, d’une façon directe ou indirecte, dont la valeur dépasse 10 €, procurés à :
a) Des membres du Gouvernement ;
b) Des membres des cabinets ministériels ou à des collaborateurs du Président de la République ;
c) Des collaborateurs du Président de l’Assemblée nationale ou du Président du Sénat ;
d) Des parlementaires ;
e) Des personnes chargées d’une mission de service public que leur mission ou la nature de leur fonction appelle à prendre ou à préparer les décisions et les avis des autorités publiques relatifs aux produits du tabac ;
f) Des experts, personnes physiques ou morales, chargés, par convention avec une personne publique, d’une mission de conseil pour le compte d’une personne publique qui a pour mission de prendre ou de préparer les décisions et les avis des autorités publiques relatifs
aux produits du tabac.
III. – Le rapport mentionné au I indique, pour chaque entreprise tenue de l’établir :
1° Le montant total des rémunérations mentionnées au 1° du II et le nombre des personnes concernées ; 2° Le montant total et l’identité des bénéficiaires des dépenses mentionnées au
2° du II ;
3° La nature et l’identité du bénéficiaire de chaque dépense mentionnée au 3° du II.

Document 10. Arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 16 juillet 1997, n° 95-11837, suivi d’un extrait (sans notes de bas de page) de la note sous cet arrêt de Madame Raymonde Baillod, Revue
des sociétés 1998, p. 71

Vu l’article 1832 du Code civil ;


Attendu que, pour rejeter la demande de M. Lachaize, chirurgien, en remboursement de la somme globale de 303.500 F qu’il soutenait avoir versée de 1970 à 1977 à M. Cabanie, professeur à la Faculté de médecine de Bordeaux, qui exerçait son activité libérale dans plusieurs
cliniques, l’arrêt attaqué retient que la relation entre les deux praticiens s’analyse en une société de fait dans laquelle ils ont apporté respectivement l’un son industrie, l’autre son influence, leur volonté de collaborer à une « œuvre sanitaire commune » et leur souci d’en
partager les bénéfices, et que les sommes perçues par M. Cabanie de la part de M. Lachaize constituent les dividendes de la société de fait ayant existé entre eux ; Attendu qu’en se déterminant ainsi, sans rechercher en quoi consistait l’influence reconnue à M. Cabanie, et si
celle-ci, qui ne pourrait elle-même s’analyser que comme un apport en industrie, était licite, et sans s’expliquer sur les conditions dans lesquelles les rétrocessions versées par M. Lachaize à M. Cabanie entre 1970 et 1977, rétrocessions qui, à l’origine de 25 %, se sont
progressivement réduites, étaient constitutives de la répartition d’un bénéfice social, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision ;
Et sur le second moyen, pris en sa première branche :
Attendu que, pour rejeter les demandes de M. Lachaize en paiement de dommages-intérêts pour préjudice moral, perte de clientèle et préjudice matériel, l’arrêt retient que la liberté pour un associé de se retirer de la société avec l’accord de ses cocontractants résulte de
l’article 1869 du Code civil, et que ces demandes tendent à obtenir la réparation du préjudice causé par la rupture de la société de fait ;
Attendu cependant que, le raisonnement de la cour d’appel reposant sur l’existence d’une société de fait entre les deux chirurgiens, la cassation à intervenir sur le premier moyen doit également entraîner la cassation du chef du rejet des demandes précitées ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur la première branche du premier moyen, ni sur la seconde branche du second moyen : – Casse et annule, mais seulement en ce qu’il a rejeté les demandes de M. Lachaize en remboursement des sommes versées à
M. Cabanie et en paiement de dommages-intérêts pour préjudice moral, perte de clientèle et préjudice matériel, l’arrêt rendu le 7 décembre 1994, entre les parties, par la cour d’appel de Bordeaux.

Note
La décision ci-dessus rapportée (Bull. Joly Sociétés 1997, p. 992 s., note J.-J. Daigre) révèle un litige portant sur une rétrocession d’honoraires entre médecins. Un chirurgien réclame à un professeur de médecine exerçant son activité libérale dans plusieurs cliniques le
remboursement des sommes qu’il lui a versées entre 1970 et 1977. Sa demande est rejetée par la cour d’appel de Bordeaux : cette juridiction qualifie la relation entre les deux praticiens de société « de fait » dans laquelle ils ont apporté respectivement l’un son industrie (le
chirurgien), l’autre son influence (le professeur de médecine), et considère les sommes perçues par le professeur comme représentant sa participation dans les dividendes sociaux.
La censure intervient au visa de l’article 1832 C. civil, pour manque de base légale.
Rarissimes sont les décisions relatives à un apport d’« influence » (V. Lyon, 18 mars 1936, DP 1938.2.49, note Pic), d’où l’intérêt de l’arrêt. L’admission de cet apport est problématique en général, et plus encore dans les relations entre membres de professions libérales.

I. – Notre droit ne connaît que trois variétés d’apport : l’apport en numéraire, l’apport en nature et l’apport en industrie. (V. art. 1832 et 1843-3 C. civil). Sauf exigences légales particulières (Il existe en effet dans certains types de sociétés, que l’on peut qualifier de sociétés
d’exercice professionnel, une obligation légale de travail à la charge de chaque associé : c’est le cas dans les sociétés civiles professionnelles (loi du 29 nov. 1966), et dans les GAEC (art. L. 323-7 C. rur.), l’apport en industrie, qui est en règle générale l’apport d’une activité,
pourrait-il se limiter de la part du candidat-associé à l’apport de son influence, c’est-à-dire à l’apport du capital de confiance attaché à son nom du fait de sa notoriété dans les affaires ou dans tel secteur d’activité, l’apporteur ne consacrant pas au surplus d’activité spéciale
au profit de la société ?
Cet apport du nom et du crédit, qualifié par certains auteurs d’apport en garantie (cf. H. BLAISE, L’apport en société (Rec. Sirey, 1955), n° 131 s.), ne saurait s’analyser, ainsi que le relève la Cour de cassation, que comme un apport en industrie.

1. – Contre l’admission d’un tel apport, on peut avancer deux arguments :


– En premier lieu, les travaux préparatoires du Code Napoléon : lors de la discussion devant le Conseil d’État, la proposition d’un conseiller de mentionner dans l’article 1833 (ancien) l’apport du nom et de la réputation à côté de l’apport en industrie avait été repoussée. A
l’appui de cette décision, on avait fait valoir qu’« un nom isolé de tout acte de la personne est une chose fort abstraite, au lieu que l’industrie est une chose positive à laquelle il convient de s’arrêter » (V. FENET, Recueil complet des travaux préparatoires du Code civil
(15 vol. 1827-1830), t. XIV, p. 359 s.).
– En second lieu, le libellé de l’actuel article 1843-3, dernier alinéa, du Code civil : il donne à penser que seule une activité peut être constitutive d’un apport en industrie.

2. – Il reste néanmoins que le contenu de l’apport en industrie intéresse essentiellement les rapports entre associés puisque cet apport ne concourt pas à la formation du capital social (art. 1843-2, al. 2 C. civ.). Les associés sont en principe les meilleurs juges du service
rendu à la société par telle ou telle prestation à attendre de l’un d’eux. L’apport d’« influence » peut présenter un intérêt économique incontestable pour une société dès lors qu’il est de nature à faciliter effectivement ses relations d’affaires et par suite la réalisation des
objectifs sociaux.
Pour cette raison on le considère assez souvent comme une mise sociale suffisant à faire acquérir la qualité d’associé à celui qui procure un tel avantage à la société (V. PIC, Des sociétés commerciales (2e éd. 1925-1926), t. I, n° 21. HOUPIN et BOSVIEUX, Traité général
théorique et pratique des sociétés civiles et commerciales et des associations, 7e éd. (1935), t. I, n° 87. ESCARRA et RAULT, Traité théorique et pratique de droit commercial, t. I : Les sociétés commerciales (1950), n° 97). H. BLAISE, op. cit., n° 131. R. BAILLOD, L’apport en
industrie, thèse dactyl. Toulouse 1980, n° 31 s. Y. GUYON, Dr. affaires, 1.1, 8e éd. (1994), n° 107).
Mais les partisans de l’admission d’un tel apport la subordonnent à certaines limites :
– Tout d’abord, l’apport du nom et du crédit ne se conçoit que de la part de personnes bénéficiant d’une large notoriété dans le secteur considéré : l’« apport » consisterait en la différence qui existe au plan de l’influence entre un associé « ordinaire » et un associé »
exceptionnel ».
– Ensuite, il faut évidemment réserver les hypothèses d’exploitation illicite de son influence, comme par exemple le trafic d’influence (V. par ex. Y. GUYON, op. cit., n° 107).
La première chambre civile de la Cour de cassation dans le présent arrêt entérine au demeurant ce point de vue : elle reproche notamment à la cour d’appel de n’avoir pas recherché en quoi consistait l’influence reconnue au professeur de médecine et si celle-ci était licite.
[…]

Document 11. Article L. 121-3 du Code de la consommation

Une pratique commerciale est également trompeuse si, compte tenu des limites propres au moyen de communication utilisé et des circonstances qui l’entourent, elle omet, dissimule ou fournit de façon inintelligible, ambiguë ou à contretemps une information substantielle
ou lorsqu’elle n’indique pas sa véritable intention commerciale dès lors que celle-ci ne ressort pas déjà du contexte.
Lorsque le moyen de communication utilisé impose des limites d’espace ou de temps, il y a lieu, pour apprécier si des informations substantielles ont été omises, de tenir compte de ces limites ainsi que de toute mesure prise par le professionnel pour mettre ces informations
à la disposition du consommateur par d’autres moyens.
Dans toute communication commerciale constituant une invitation à l’achat et destinée au consommateur mentionnant le prix et les caractéristiques du bien ou du service proposé, sont considérées comme substantielles les informations suivantes :
1° Les caractéristiques principales du bien ou du service ;
2° L’adresse et l’identité du professionnel ;
3° Le prix toutes taxes comprises et les frais de livraison à la charge du consommateur, ou leur mode de calcul, s’ils ne peuvent être établis à l’avance ;
4° Les modalités de paiement, de livraison, d’exécution et de traitement des réclamations des consommateurs, dès lors qu’elles sont différentes de celles habituellement pratiquées dans le domaine d’activité professionnelle concerné ;
5° L’existence d’un droit de rétractation, si ce dernier est prévu par la loi.

Document 12. Extraits (sans notes de bas de page) de l’article de Monsieur Alain Juillet et Monsieur Bruno Racoucho, « Les stratégies d’influence ou la liberté de l’esprit face à la pensée convenue », Revue internationale
d’intelligence économique 2012/1 (Vol 4), p. 87

Il est évident que la pensée convenue n’est qu’un élément de façade d’une pensée unique, synthétisant les courants de la pensée convenue qu’elle surplombe, qui n’ose pas se révéler sous ses vrais traits. Confrontés à cet assujettissement de la pensée qui nous
condamne à ne plus percevoir le monde correctement – autrement dit tel qu’il est, dans sa réalité et sa complexité – il est urgent et même vital d’agir. Or, de par sa nature même, l’influence s’impose ici – sous sa forme positive ou négative – comme le recours idoine. Ce n’est
guère surprenant quand on sait que la valeur et la raison d’être de l’influence, c’est la capacité à afficher un critère de différenciation par rapport à ce qui est perçu d’ordinaire.
C’est justement parce que sa mécanique intime se déploie dans le domaine de la pensée et qu’elle se trouve au cœur des enjeux de pouvoir d’aujourd’hui que l’influence et ses modes de fonctionnement méritent d’être étudiés de près. Pour François-Bernard Huyghe,
« l’influence est à la fois une faculté psychologique (être capable de séduire, de provoquer le mimétisme ou la complicité, etc.) ; une catégorie sociologique (l’influence des médias, des intellectuels, des groupes de pression ou des églises est un fait social qui demande
explication) ; et enfin une forme politique (sous influence, les hommes agissent de la manière souhaitée par un personnage dominant) ». Et, précisant sa pensée, il ajoute : « l’influence se substitue à la force, aux contreparties, aux contraintes ou contrats, lorsqu’il s’agit de
faire faire ou de faire croire. Elle déplace le centre de gravité du pouvoir. Ainsi, celui qui exerce de l’influence sur l’opinion obtient une part hors norme de pouvoir […] L’influence s’exerce de manière d’autant plus énigmatique qu’à la multiplicité des pratiques s’ajoute celle
des théories censées les répertorier. Et depuis bien longtemps. En astrologie, d’où le mot tire son étymologie, la notion est d’abord liée à la croyance en l’influence des astres : l’influx, liquide invisible (fluxus), était censé s’écouler des planètes pour changer notre destin.
Influencer, c’est changer le destin ».
De fait, l’influence est aujourd’hui un élément essentiel dans les confrontations de tous ordres.
Comme l’écrit Éric Delbecque, c’est devenu « la pointe de diamant de l’intelligence économique ». Son changement de statut consacrant le passage d’un monde à l’autre, elle permet d’éviter la coercition pour laisser place aux jeux de l’esprit. « Dans le passé, les canons
établissaient le classement des nations. Les stratégies d’influence accompagnaient seulement de manière périphérique les mouvements essentiels parcourant l’échiquier militaire. À notre époque, la situation s’est totalement inversée : les stratégies d’influence expriment et
structurent les affrontements d’acteurs dans l’ensemble des sphères de compétition entre les collectivités humaines, les modèles culturels et les organisations privées ». Et Éric Delbecque de conclure : « Il faut apprendre à reconnaître les logiques d’influence pour
comprendre la nature de la puissance et des pouvoirs d’aujourd’hui ».
Il y a donc bel et bien une face lumineuse de l’influence et c’est celle-ci qu’il convient de mettre en avant. Mais ceci est rendu difficile par la perception aux connotations négatives de l’influence par nos concitoyens. Nous sommes face à un double obstacle d’ordre
sémantique.
D’abord le droit français utilise ce mot en l’associant au « trafic d’influence » et à toutes sortes d’activités illégales (François, 2004). Ensuite, nos contemporains ont trop souvent en tête l’héritage de la Guerre froide, avec des mots adoptés comme synonymes :
désinformation, manipulation, propagande grise ou noire, etc. De même Psyops (opérations psychologiques) et opérations de déception renvoient également bien souvent dans l’acception anglo-saxonne du terme à des actions négatives, qui visent à faire prendre à
l’adversaire des décisions non-conformes à ses intérêts (Vandomme, 2010).

Document 13. Extraits (sans notes de bas de page) de l’article de Maître Philippe Portier, « L’avocat lobbyiste, quelles perspectives ? », La Semaine Juridique Edition Générale n° 43, 20 octobre 2014,1096

L’activité de conseil en affaires publiques (ou lobbying) est pratiquée de longue date par les avocats dans les sociétés anglo-saxonnes, rompues au dialogue entre la société civile et les pouvoirs publics, ainsi que devant les institutions européennes, également ouvertes à
cette culture « participative ». Le centralisme jacobin qui marque notre fonctionnement institutionnel laissait traditionnellement peu de place à cette forme de gouvernance politique, mais un grand nombre de facteurs contribuent depuis quelques années à faire évoluer la
donne. Le rôle, l’expérience, les compétences, la méthodologie des avocats les amènent et les amèneront donc de plus en plus à intégrer dans leurs stratégies de dossiers et plus généralement dans leurs palettes de services, un rôle de représentation de leurs clients auprès
des producteurs de normes, générales ou individuelles, locales, nationales ou supranationales. L’Association des avocats lobbyistes a pour vocation, depuis 2011, de promouvoir cette activité dans la profession et auprès des entreprises françaises, ainsi que de promouvoir
les avocats (d’entreprises ou en entreprises) lobbyistes auprès des pouvoirs publics.
Qu’est-ce que le lobbying ?
Une approche classique du lobbying le définit comme une action qui vise à influencer directement ou indirectement les processus d’élaboration, d’application ou d’interprétation des mesures législatives, normes, règlements et plus généralement, de toute intervention ou
décision des pouvoirs publics. Il est le fait d’organismes non gouvernementaux (ONG), dans une perspective d’intérêt général (ou perçue comme telle par ces organismes), ou d’acteurs économiques privés, mus par leurs intérêts propres ou catégoriels, représentés ou non
par des associations professionnelles ou des fédérations. Il peut être également le fait d’acteurs publics, comme les États membres de l’Union européenne, ou leurs collectivités territoriales, auprès de la Commission européenne par exemple. Il est exercé directement par les
acteurs concernés (ce qui est généralement le cas des ONG et des acteurs publics) ou indirectement par l’intermédiaire de conseils spécialisés, anciens fonctionnaires, communicants ou avocats. Les cibles de leurs actions sont généralement productrices de normes
(législatives, communautaires ou réglementaires), de voire simples décisions individuelles (autorités administratives indépendantes ou administrations).
[…]
Pourquoi les avocats devraient-ils s’intéresser à cette activité ?
Pour reprendre les termes employés par un avocat américain, « quand l’avocat est confronté à des faits défavorables, il discute en droit ; quand il affronte des textes défavorables, il discute les faits. Mais s’il a affaire à des textes et des faits défavorables, il n’a qu’à changer
la loi » ! (you must be present to win : what business lawyers need to know about legislative advocacy, James R. Daughton, Jr)
Si la formule est indubitablement provocatrice, elle illustre bien une nouvelle facette de la manière dont les avocats, d’affaires surtout, peuvent envisager de servir les intérêts de leurs clients. Qu’un nouvel entrant sur le marché français se trouve confronté à des règles ou
des usages incompatibles avec son business model ; qu’une jeune entreprise innovante entre en rupture avec un monopole, de droit ou de fait (on peut penser au sujet des taxis (par ex. Uber, interdit en Allemagne), de l’hôtellerie (par ex. Airb&b), de l’expertise-comptable
(par ex. SmalIBusinessAct) ou même des avocats (par ex. les sites de consultation juridique low cost en ligne) ; qu’un commerçant ne puisse répondre aux exigences contemporaines de sa clientèle en l’état du droit (comme par ex. les enseignes souhaitant ouvrir le
dimanche ou le soir pour satisfaire aux exigences d’une clientèle touristique motivée par le shopping), la finalité de notre profession – représenter et défendre les intérêts de nos clients – doit désormais nous conduire à aborder la norme juridique non plus simplement pour
la décrypter et l’expliquer, l’interpréter et l’exploiter, mais également de manière proactive et évolutive, pour influer sur son devenir et, partant, sur sa qualité. […]
Les avocats français peuvent-ils pratiquer le lobbying ?
Le Conseil national des barreaux avait confirmé, dès 2008, que « les règles internes applicables à l’avocat français ne lui interdisent pas l’exercice d’une activité de représentant d’intérêts ou de lobbyiste » (Commission des règles et usages, AG, 12 et 13 sept. 2008, Avocat
français et lobbying, rapp. présenté par B. Van de Moortel et D. Vailly). Dans ce cadre, l’article P. 38 du Règlement intérieur du Barreau de Paris vient préciser que « l’avocat peut, auprès de toute autorité privée ou publique, française, communautaire ou étrangère,
représenter les intérêts de ses clients, personnes physiques ou morales ». La véritable difficulté provient de l’émergence, en France comme à Bruxelles, de règles de « transparence » recommandant – pour l’instant – aux lobbyistes entrant en contact avec des élus ou des
fonctionnaires, de s’inscrire dans un registre et d’y dévoiler l’identité de leurs clients. La compatibilité d’une telle inscription avec le respect du secret professionnel étant discutable, l’article P. 2.2.0.1 du Règlement intérieur du Barreau de Paris autorise désormais l’avocat à
faire mention, dans les registres, après avoir recueilli leur accord exprès, de l’identité de ses clients et du montant des honoraires perçus. Il en informe ensuite le bâtonnier.
Cette mesure, plus symbolique que décisive – dès lors que les registres actuels demeurent optionnels -, témoigne de la volonté du Barreau de Paris de favoriser le développement de cette activité, illustré par la création de l’Association des avocats lobbyistes en 2011
(httD.7Zwww.avocats-lobbvina.com) et, en 2014, de la Commission ouverte du Barreau de Paris sur le lobbying.

Document 14. Réponse ministérielle, Journal Officiel, 4 décembre 2018, p. 11236

15e législature
Question n° 13951 de M. Fabien Matras (La République en Marche – Var) Question écrite
Ministère interrogé > Travail Ministère attributaire > Travail Rubrique > justice Titre > Protection des jeunes mineurs sur YouTube
Question publiée au JO le : 06/11/2018 page : 9933
Réponse publiée au JO le : 04/12/2018 page : 11236
Texte de la question
M. Fabien Matras attire l’attention de Mme la ministre du travail sur les problématiques soulevées par le développement de vidéos mettant en scène de jeunes enfants sur des plateformes multimédias gratuites comme YouTube. L’utilisation de leur image n’est pas neutre et
contribue, malgré le très jeune âge de ces enfants dans certains cas, à en faire « des influenceurs » non-protégés par le droit du travail du fait d’un cadre juridique flou. En effet, dans ces vidéos les parents mettent en scène leurs enfants (parfois dès l’âge de quatre ans) en
train de procéder à diverses activités comme l’« unboxing » ou dans certains moments du quotidien. Ces vidéos sont bien souvent sponsorisées par des marques opérant ainsi des placements de produits destinés aux jeunes spectateurs de ces vidéos. Légalement, l’emploi
de mineurs de moins de 16 ans est encadré par plusieurs règles restrictives. Elles doivent notamment donner lieu à une prestation, à un lien de subordination ainsi qu’à une rémunération, dont une partie est versée sur un compte dédié à l’enfant et géré par la caisse de
consignation, et soumise à l’autorisation de l’article R.7124-1 du Code du travail. Pourtant, actuellement, le cadre juridique incertain qui entoure ces chaînes vidéos n’est pas sans effets sur la garantie des droits de ces enfants. En effet, ces chaînes relèvent du « loisir privé »
or, paradoxalement, elles sont utilisées à des fins financières et les enfants de ces chaînes « de loisirs » sont juridiquement considérés comme employés professionnels. En outre, les conditions entourant la rémunération des vidéos sur YouTube (par le système monétisation
ou de sponsoring) ne permettent pas de garantir qu’au moins une partie de l’argent revienne aux enfants comme cela devrait être le cas. Par ailleurs, l’article R. 7124-1 du Code du travail qui soumet à autorisation préfectorale l’emploi de mineurs de moins de 16 ans pour un
spectacle ou des productions déterminée a été modifié par le décret n° 2017-871 du 9 mai 2017 pour y intégrer l’organisation des compétitions de jeux vidéo, mais cette adaptation n’a pas pris en compte la pratique évolutive de ces vidéos. Au-delà de l’absence de cadre
juridique adapté, ces chaînes ne sont pas sans risques quant à la sécurité et la psyché des enfants exposés.

En effet, le président de l’Observatoire des mondes numériques en sciences humaines estimait ainsi que ces activités viennent perturber le développement personnel de l’enfant en effaçant les limites entre les notions de vie privée et familiale au profit d’une course à l’égo
induite par la visibilité sur internet nécessaire à ce genre d’activité. Le Défenseur des droits, saisi à ce sujet, a par ailleurs déclaré être « préoccupé » par le développement du phénomène.
En conséquence, il lui demande ce qu’il compte faire pour adapter le cadre juridique existant à ces problématiques.
Texte de la réponse
Le développement des vidéos, qui consistait initialement pour des parents à filmer leurs enfants dans le cadre de leurs activités de loisir n’est actuellement pas encadré de façon spécifique par le Code du travail, précisément parce qu’il s’agissait d’activités de loisirs. Ce
phénomène tant en termes de volume que de flux financiers conduit désormais à s’interroger sur la qualification « d’activités de loisirs » au regard de critères, notamment dégagés par la jurisprudence, qui caractérisent la relation de travail tels que l’obligation de prendre part à
l’activité, de suivre des règles définies unilatéralement, l’orientation dans l’analyse de la conduite ou la disponibilité permanente, la possibilité de sanctionner toute infraction à ces obligations. Toutes les vidéos mises en ligne ne répondent pas à ces critères. Nombre d’entre
elles relèvent encore de l’activité de loisir. Cependant la « superposition » entre lien de subordination et autorité parentale ne doit pas servir à masquer une éventuelle prestation de travail de la part des enfants qui, dès lors, relèverait des dispositions du code travail, lequel ne
permet le travail des mineurs de seize ans que dans des secteurs limitativement énumérés et sous conditions d’obtention d’une autorisation individuelle. Dans tous les cas, le cadre légal de cette activité prenant en compte l’indispensable protection de la jeunesse et du
respect des droits de l’enfant, nécessite d’être clarifié. C’est pourquoi, la ministre du travail a demandé à ses services de mener une expertise sur cette question.

Document 15. Arrêt rendu par la chambre criminelle de la Cour de cassation le 25 octobre 2017, n° 16-83724

Vu l’article 433-2 du Code pénal, alors en vigueur ;


Attendu que, selon ce texte, commet un trafic d’influence le particulier qui cède à des sollicitations ou propose des avantages quelconques pour qu’une personne abuse de son influence réelle ou supposée en vue de faire obtenir d’une autorité ou d’une administration
publique des distinctions, des emplois, des marchés ou toute autre décision favorable ;
Attendu qu’il résulte de l’arrêt attaqué que M. A…, membre de la DST, dirigeait avec M. Michel F…, ancien membre de la DGSE, plusieurs sociétés, notamment les sociétés TPMI, Contest international et Hobel, qu’au sein de ces deux dernières sociétés, qui avaient une
activité d’intelligence économique, ont été saisis des documents concernant des « propositions commerciales » pour des missions de renseignements, dont le bénéficiaire final était la société Direction des constructions Navales Internationale (DCNI) à capitaux d’État,
chargée de la commercialisation des produits et services de la direction des constructions navales au sein de la direction générale de l’armement du ministère de la défense, placée sous la double tutelle des ministères de la défense et des finances, que l’un des objectifs de ces
missions paraissait être d’obtenir des informations sur l’évolution des procédures, qui impliquaient financièrement la société DCNI, dans le contentieux des frégates de Taïwan, soit sur les informations judiciaires, dites « Clearstream », ouvertes en France et en Suisse et sur la
procédure devant lcour internationale d’arbitrage ; que M. X… a été le directeur financier et administratif de la société DCNI de juin 1992 à août 2002, date de sa mise à disposition, en qualité de directeur financier et juridique, de la société Armaris qui s’est substituée à la
DCNI ; que cette dernière, selon un accord-cadre du 20 juin 2000, a confié à la société Eurolux Gestion la gestion des contrats d’ingénierie commerciale ;
Attendu que M. X… a été poursuivi devant le tribunal correctionnel notamment du chef de trafic d’influence, « d’une part, en acceptant une proposition commerciale dénommée “Bonaparte (Proton)” du 26 mars 2003 adressée par la société Contest international à la société
Eurolux Gestion et destinée à la DCNI dans le but de recueillir un maximum d’informations sur les relations actuelles de “Proton”, code pour M. B… (désigné comme le principal adversaire de la DCNI), mission facturée 15 000 euros pour l’acquisition de documents que
l’administration peut obtenir, soit le fichier des comptes bancaires (Ficoba), les relevés de comptes et relevés téléphoniques concernant M. B…, d’autre part, en sollicitant une proposition commerciale de M. A… aux fins d’acquisition de la liste des clients de la chambre de
compensation Clearstream remise à un juge d’instruction, ayant donné lieu à un compte rendu analytique le 28 juillet 2004 adressé à la société Eurolux Gestion, et destinée à la DCNI, facturée 24 800 euros » ;
Attendu que du fait de son désistement d’appel, M. A… est définitivement condamné du chef de trafic d’influence passif dans le cadre des deux propositions commerciales précitées ;
Attendu que, pour confirmer le jugement du tribunal correctionnel et déclarer le prévenu coupable de trafic d’influence actif pour avoir accepté des propositions commerciales dont l’efficacité reposait sur l’« influence qu’il prêtait à son interlocuteur, l’arrêt retient que les
explications de MM. À… et X…, sur les informations et documents devant être recueillis et la rémunération prévue, établissent que les propositions commerciales résultaient d’un accord préalable entre eux, que l’obtention des documents sur M. B… ne peut résulter que de
l’influence exercée par M. A… ou l’une de ses sources, ayant un accès à des fichiers couverts par le secret professionnel du fait d’une personne habilitée ayant permis cet accès, ce qui constitue une décision favorable au sens de l’article 433-2 du Code pénal, en l’espèce une
décision prise par un agent public habilité à consulter une base de données, non accessible au public, nécessitant une habilitation et un code d’accès, et de remettre le résultat de cette consultation ;
Que les juges ajoutent que pour la « liste Clearstream », concernée par une information judiciaire et obtenue par l’intermédiaire d’un avocat en juillet 2004, comprenant 4 000 comptes et noms de titulaires, dont celui de M. B.,., la remise d’un compte rendu et d’un CD-Rom,
pouvant contenir, selon les déclarations des personnes impliquées, des flux financiers résultant de versements de commissions en rapport avec l’affaire, leur obtention présentait un intérêt certain dans la quête d’information à laquelle s’était livré M. X… avec le concours de
M. A…, et que, malgré l’ignorance alléguée par M. X… de leur existence en dépit de l’écho donné par la presse à cette affaire dans le courant du mois de juin, ces éléments confirment la connaissance par chacun d’eux de la provenance de ces informations à caractère
judiciaire ;
Mais attendu qu’en se déterminant ainsi, alors que le fait de se faire remettre par un agent d’une administration publique une information ou un document, même non accessible au public, ne peut constituer l’obtention d’une décision favorable de cette administration au
sens de l’article 433-2 du Code pénal, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision. […]

Document 16. Extraits de l’article de Madame Tifany Labatut, « Médias sociaux – L’achat numérique d’abonnés, de likes, de vues ou de commentaires est-il légal ? »

6. Le business du marketing d’influence sur les médias sociaux a fait naître de nouveaux marchés, dont la vente numérique d’abonnés, de followers, de likes. C’est pourquoi de nombreuses sociétés ont voulu s’y spécialiser afin d’en tirer profit. Et au regard de la multitude
de sites internet proposant ces services, il semble qu’il s’agisse là d’un placement fructueux. À présent, étudions le fonctionnement de ces sites.
7. Acheter des abonnés, des vues ou des likes est simple : il suffit de se rendre sur un site spécialisé dans ce type de commerce puis d’y choisir une offre. Il existe des offres individuelles, comme 1 000 vues YouTube livrées en 24 heures pour un montant de 5 €, 500 fans
Facebook obtenus en 48 heures pour un montant de 70 €, ou encore 100 000 followers livrés en 72 heures pour un montant de 5 000 €. L’on y compte également des offres plus complexes, fonctionnant par « packs », comme 1 000 followers Instagram procurés sur 30 jours,
assortis de 100 likes et 20 commentaires automatiques pour un montant de 40 €. Ce type d’offre a la particularité de simuler une hausse naturelle de la popularité. Elles préservent par conséquent la crédibilité du compte aux yeux du public. En effet, un abonné peut très vite se
rendre compte qu’un compte triche si ce dernier passe de 100 à 2 500 abonnés en seulement 24 heures. Ainsi, pour éviter tout soupçon, certains sites n’hésitent pas à proposer des offres sur mesure : comme l’achat de vues YouTube internationales auxquelles sont ajoutées
diverses options comme un visionnage moyen de 80 % de la vidéo (afin d’accroître les statistiques de la chaîne) ou l’ajout automatique de likes, dislikes et de commentaires sur la vidéo. Dans tous les cas, une fois l’offre sélectionnée, il suffit de fournir l’URL de la page
concernée, de valider son panier puis de payer sa commande. À partir de là, il n’y a plus qu’à attendre pour voir grimper la popularité dudit compte.
8. Cette vente numérique est-elle légale ? La plupart des sites internet assurent fournir de vrais followers, abonnés ou likes et avoir un procédé entièrement légal. C’est d’ailleurs ce que soutient le site internet acheter-des-fans.com au sein de ses conditions générales de
vente : « les fans et followers issus de nos services sont de vraies personnes utilisant leur réseau social et acceptant de liker/follow les pages que nous leur soumettons par l’intermédiaire de larges plates-formes dédiées à cet usage et partenaires du site www.acheter-des-
fans.com.
[…] Les méthodes de travail de nos prestataires sont légales au sens strict de la loi mais le site www.acheter-des-fans.com ne peut être tenu responsable de toute conséquence sur le lien (page, vidéo, site) soumis par le client. Lui seul peut être tenu responsable de
l’utilisation de nos services ». À la lecture de ces propos, il est certain que la véracité des comptes est un point clé pour rendre légal ce type de commerce. Effectivement, de nombreux réseaux sociaux, à l’image d’Instagram ou Facebook, traquent les faux comptes. De ce fait,
les conditions générales d’utilisation des médias sociaux interdisent ce type de pratiques et s’octroient le droit de supprimer les faux comptes. En ce sens, Instagram a en 2014 « supprimé plus de 300 millions de faux comptes, faisant perdre en une journée plus d’un million de
followers à des célébrités comme Kim Kardashian et Justin Bieber ». Pour sa part, Facebook a supprimé, en 2018, 1,5 milliard de faux comptes en 6 mois.
9. Il ressort de ces faits que certains sites spécialisés dans ce commerce font usage de faux comptes pour satisfaire leur clientèle. Or une telle pratique commerciale doit-elle être qualifiée de trompeuse ou bien être perçue comme de la stratégie publicitaire ? Sur un autre
plan, les conditions générales d’utilisation des médias sociaux n’indiquent rien au sujet des sites internet spécialisés dans la vente numérique de véritables abonnés, followers ou likes : l’achat sur ces sites de véritables abonnés est-il autorisé ou alors le client risque-t-il de
voir son compte supprimé pour avoir enfreint les conditions générales d’utilisation ? Si tel est le cas, comment expliquer que Facebook, Instagram, ou encore Twitter disposent de leur propre gestionnaire de publicité (Facebook for business, Twitter for business, Instagram for
business).
En effet, comme cela a été signalé dans nos propos introductifs, sur ces sites, il est possible de financer une campagne publicitaire afin de valoriser des produits et des services pour gagner en visibilité, acquérir de nouveaux abonnés ou des likes. Le procédé est semblable
à celui proposé par la concurrence, à ceci près que les gestionnaires de publicité proposés par les médias sociaux permettent de créer des annonces publicitaires, de sponsoriser des tweets ou encore de faire de la publicité ciblée en impliquant davantage le client dans le
processus de la campagne publicitaire. De la sorte, il est généralement demandé à l’acheteur de spécifier un grand nombre de données : « catégorie d’âge visée », « catégorie professionnelle visée », « pays visé », « centre d’intérêt », etc. Enfin, l’utilisation des gestionnaires
officiels de publicité des médias sociaux garantit une non-suppression du compte.
10. En conclusion, si la chasse aux faux abonnés, likes, dislikes semble être, dans une moindre mesure, une difficulté pouvant être contrôlée par les médias sociaux, l’achat numérique de vues YouTube et de commentaires l’est peut-être moins.

Document 17. Article 434-15 du Code pénal

Le fait d’user de promesses, offres, présents, pressions, menaces, voies de fait, manœuvres ou artifices au cours d’une procédure ou en vue d’une demande ou défense en justice afin de déterminer autrui soit à faire ou délivrer une déposition, une déclaration ou une
attestation mensongère, soit à s’abstenir de faire ou délivrer une déposition, une déclaration ou une attestation, est puni de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende, même si la subornation n’est pas suivie d’effet.

Document 18. Extraits (sans notes de bas de page) de l’article de Monsieur Laurent Carrié, « Contrats d’image de personnes », JurisClasseur Communication, Fasc. 320, 2018

[…] 4° Les contrats conclus avec les influenceurs


51. – Communication publicitaire digitale – Le développement de la communication digitale a conduit les annonceurs a développé des relations avec certains internautes (journalistes, bloggeurs, vlogguers, personnalités influentes, producteurs de contenus divers). Ces
relations, à l’origine, informelles étaient basées bien souvent sur un échange produit/service contre contenu.
L’influenceur, au sens large, produit un contenu pas, peu ou très contrôlé par la marque et reçoit en contrepartie une rémunération en espèces ou en nature. Peu à peu, les relations entre les marques et les influenceurs se sont formalisées et ont pris la forme de contrats. Ces
contrats sont extrêmement variés, encore assez peu standardisés de telle sorte que sous une même appellation se rangent des situations contractuelles très différentes.
52. – Liberté d’expression, caractère commercial et publicitaire – Ces contrats ont pour but la production d’un contenu. L’une des questions qui se posent est de savoir si ce contenu relève de la liberté d’expression, revêt un caractère commercial et, le cas échéant,
publicitaire. Dès lors qu’il a un caractère publicitaire, il est soumis à des règles visant à protéger le consommateur (identification du caractère publicitaire, transparence sur le rôle d’impulsion jouée par la marque, 3 questions à Thomas Defaux et Pauline Celeyron,
« Collaborations entre marques et influenceurs », Échos de la pratique : JCP E 2017, n° 37).
53. – Contenu – Ces contrats ont pour finalité la production d’un contenu. Une partie de ces contrats au moins peut comporter des prises de vues de l’influenceur, bloggeur/vloggeur, etc. avec la marque ou le produit. Les prises de vues sont organisées par la marque ou
par l’influenceur. Mais le contenu produit ne se réduit pas nécessairement à une image de l’influenceur et du produit. Il comporte bien souvent un contenu éditorial, même minime (ex. : un ou plusieurs tweet(s)).
54. – Rémunération – Ces contrats comportent le plus souvent une rémunération en espèces ou en nature (produits, services ou autres) ce qui pose bien évidemment la question du statut de ces rémunérations au regard du droit de la sécurité sociale et du droit fiscal
(salaires, honoraires) et plus généralement du statut de ces influenceurs (travailleurs indépendants, autoentrepreneurs, sociétés commerciales, salariés) avec le risque de travail dissimulé et de redressements de cotisations par l’URSSAF que comporte l’absence de statut.
55. – Variété de contrats – L’Autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP) distingue 3 types de contrats : le contrat d’influenceur, le contrat de blogueur publicitaire, le contrat de billet sponsorisé.
56. – Le contrat d’influenceur – L’ARPP le définit comme le contrat dans le cadre duquel un individu va exprimer un point de vue ou donner des conseils, dans un domaine spécifique et selon un style ou traitement qui lui sont propres et que son audience identifie.
L’influenceur peut agir dans un cadre purement éditorial ou en collaboration avec une marque pour la publication de contenus (placement de produits, participation à la production d’un contenu, diffusion d’un contenu publicitaire, etc.) (ARPP, Recommandation publicitaire
digitale V4 : www.arpp.org.).
57. – Le contrat de blogueur publicitaire – L’ARPP le définit comme un contrat visant à promouvoir un produit, un service ou une marque ou une entreprise s’inscrivant dans le contexte de communication de l’entreprise.
58. – Le contrat de billet sponsorisé – Il a pour objet la production par un internaute d’un billet publié pour le compte de l’annonceur contre rémunération.

Document 19. Article de Madame Fleur Jourdan, « Représentants d’intérêts : bilan des premières déclarations », La Semaine Juridique Administrations et Collectivités territoriales n° 24,18 juin 2018, act. 514

Les personnes qui s’étaient auto-identifiées comme « représentants d’intérêts », au sens des dispositions de l’article 25 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 dites « loi Sapin II » modifiant la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie
publique et de celles du décret n° 2017-867 du 9 mai 2017 relatif au répertoire numérique des représentants d’intérêts, devaient se déclarer comme telles et s’inscrire sur le répertoire numérique géré par la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (« HATVP » )
avant le 31 décembre 2017.
Elles avaient ensuite jusqu’au 30 avril 2018 pour déclarer les activités de représentation d’intérêts qu’elles avaient concrètement réalisées. Tous ces éléments ont permis à la HATVP de dresser, le 31 mai dernier, un premier bilan des déclarations qui lui ont été adressées
(disponible sur son site). Si ce bilan témoigne d’une réelle avancée en matière de transparence des actions de lobbying, précédemment peu encadrées en France, il révèle également qu’il existe encore certaines lacunes, voire certaines réticences. Le chemin sera encore long
pour que cette culture de la transparence soit totalement intégrée dans nos pratiques.
1 – Un répertoire des représentants d’intérêts encore incomplet
Pour rappel, un représentant d’intérêts est une personne, morale ou physique, privée ou publique, un dirigeant ou un employé, qui prend l’initiative de contacter un responsable public pour influer sur une décision publique (P. Villeneuve, Loi Sapin 2, collectivités
territoriales et lutte contre la corruption : le répertoire des représentants d’intérêts : Dr. adm. 2017, prat. 3).
Pour être qualifié comme tel, il doit exercer ces actions à titre d’activité principale. C’est-à-dire consacrer plus de la moitié de son temps, sur une période de six mois, à préparer, organiser et réaliser des actions de représentation d’intérêts ou avoir exercé ces actions de
manière régulière, soit avoir réalisé plus de dix actions d’influence au cours des 12 derniers mois.
Il ressort du bilan que 1 586 représentants d’intérêts sont désormais enregistrés sur le répertoire numérique des représentants d’intérêts géré par la HATVP. C’est un progrès dans la mesure où l’autorité administrative indépendante n’en dénombrait que 831 en janvier
dernier.
Toutefois, il est intéressant de noter qu’en Irlande 1 680 représentants d’intérêts sont inscrits à l’inventaire institué en 2015. Le Canada en dénombre 5 731. Quant à l’Union européenne, dont le répertoire a été créé en 2011, elle en compte plus de 11 000.
Il est donc raisonnable de considérer que la liste n’est pas encore complète. À titre d’exemple, quelques entreprises du CAC 40 ne sont pas encore inscrites au répertoire tandis que toutes les autres y figurent. En outre, certaines catégories refusent délibérément de se faire
recenser en invoquant notamment les règles de secret professionnel auxquelles elles sont astreintes.
La répartition des déclarants semble en revanche assez équilibrée :
48 % sont des organismes représentatifs (syndicats, chambres consulaires, organisations professionnelles) ;
29 % sont des sociétés (civiles ou commerciales) ;
16 % sont des associations ou organisations non gouvernementales ;
7 % sont des avocats ou consultants.
Source : HATVP : Répertoire des représentants d’intérêts :
bilan des premières déclarations d’activités, 31 mai 2018
La HATVP annonce qu’elle a engagé une première série de contrôles afin d’identifier les représentants d’intérêts non-inscrits. Pour rappel, ceux qui n’auraient pas accompli les formalités nécessaires sont susceptibles de s’exposer à une sanction pénale d’un an
d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende, en application de l’article 18-9 de la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique.
2 – Des déclarations d’activité qui sont encore à parfaire
Une fois répertoriés, les représentants d’intérêts devaient, avant le 1er mai 2018, déclarer les activités qu’ils avaient concrètement réalisées. Auprès de qui sont-ils intervenus ? Comment ? Pour influencer quelle décision ?
C’est certainement sur cet aspect que le bilan est le plus décevant.
Tout d’abord, il est intéressant de souligner que sur les 1586 représentants déclarés, seuls 841 ont publié leur déclaration d’activités. Soit à peine plus de la moitié.
Difficulté pratique pour déclarer ? Manque de suivi ? La HATVP les relancera certainement pour comprendre comment une personne qui déclare faire de ces actions de représentation d’intérêts son activité principale ou régulière n’a finalement aucun élément à déclarer.
Ensuite, et à l’issue d’un premier examen des déclarations d’activité, la Haute Autorité déplore elle-même une grande hétérogénéité des pratiques de déclaration. Une réflexion va donc être engagée par la HATVP pour améliorer ses lignes directrices.
En outre, chaque représentant d’intérêts a déclaré en moyenne 5,15 actions de représentation d’intérêts. Ce chiffre peut paraître faible dès lors qu’il a été rappelé ci-dessus qu’une des conditions pour être qualifié de représentant d’intérêts est de mener au moins… 10
actions par an ! Même si l’exercice ne portait cette fois que sur une période de 6 mois, cette statistique laisse tout de même penser que les déclarants ne se sont pas vraiment livrés à une déclaration exhaustive.
Sans trop de surprise, en revanche, on apprend également que le Gouvernement et le Parlement sont les principales cibles des démarches réalisées et que dans 38 % des actions de représentation d’intérêts, la loi est le type de décision publique influencée.
« Organiser des discussions informelles ou des réunions en tête-à-tête » est le type d’action privilégié par les représentants d’intérêts. Cette action, sans doute du fait de son contenu un peu flou, représente en effet 27 % des activités déclarées. Arrivent en seconde
position les actions visant à « transmettre aux décideurs publics des informations, expertises dans un objectif de conviction » (24 %).
L’objet de l’action de représentation d’intérêts, qui correspond à la description de la question sur laquelle a porté une action de représentation d’intérêts, a quant à lui été compris et renseigné de manière très diverse par les représentants d’intérêts, selon la HATVP. Elle
annonce en conséquence qu’elle complétera prochainement ses lignes directrices afin de mieux expliciter cette notion et de mieux guider les personnes chargées de remplir les déclarations d’activités.
Enfin, le bilan financier, c’est-à-dire les dépenses consacrées à ces activités de lobbying, peut également paraître sous-estimé, notamment au regard des pratiques étrangères.
Certains groupes du CAC 40 déclarent ainsi avoir consacré à ces activités quelques centaines de milliers d’euros (entre 800 et 900 000 euros en tête de classement), tandis que d’autres n’auraient engagé que quelques dizaines de milliers d’euros de dépenses pour ces
actions.
De telles disparités interrogent d’autant plus qu’à l’étranger les chiffres sont plus conséquents.
Ainsi, certains déclarants affichent un budget conséquent pour des actions à Bruxelles ou aux États-Unis contre un budget très significativement inférieur en France.
Finalement, ce bilan témoigne de débuts un peu hésitants de cette nouvelle pratique de déclaration des activités de représentation d’intérêts.
Ce défaut de maturité pourrait constituer un élément supplémentaire pour justifier le report, ou la suppression, de cette obligation de déclaration pour les actions de représentation d’intérêts auprès des élus locaux, dont l’entrée en vigueur était initialement prévue pour le
1er juillet 2018.
En effet, l’article 38 du projet de loi renforçant l’efficacité de l’administration pour une relation de confiance avec le public, porté par Gérald Darmanin, envisage d’abroger les dispositions des 6° et 7° de l’article 18-2 de la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la
transparence de la vie publique qui prévoyaient cette extension. Compte tenu du nombre d’exécutifs locaux, il ne semble pas que la démultiplication d’une pratique, qui, on l’a vu, est encore balbutiante, soit la plus efficace.

Document 20. Extraits (sans notes de bas de page) de l’article de Madame Laura Boulet et Madame Laureline Frossard, « Communication publicitaire digitale et influenceurs : organiser l’identification du caractère commercial »

[…] B. – Le cadre déontologique


L’ARPP (Autorité de régulation professionnelle de la publicité) a publié sur ce thème une grille de lecture au sein de sa Recommandation Communication publicitaire digitale afin de rappeler aux annonceurs, agences, médias et influenceurs l’obligation faite également d’un
point de vue déontologique d’identifier les communications commerciales. Partant du constat qu’un influenceur peut agir dans un cadre purement éditorial ou dans le cadre d’une collaboration commerciale avec une marque pour la publication de contenus (placement de
produits, participation à la production d’un contenu, diffusion d’un contenu publicitaire etc.), la grille de lecture distingue deux situations. D’une part, les cas dans lesquels l’influenceur agit en collaboration avec une marque avec une obligation de publication d’un contenu.
C’est par exemple le cas lorsque l’influenceur a une obligation de publier un contenu sur une marque, un produit, un évènement… Dans cette situation, l’existence de cette collaboration doit être portée par l’influenceur à la connaissance de son public. D’autre part, les cas
dans lesquels une collaboration entre un influenceur et un annonceur peut être qualifiée de « publicitaire ».
La relation est alors plus contraignante et l’annonceur a une véritable prise sur le contenu qui sera diffusé par l’influenceur. Elle doit alors non seulement faire l’objet d’une identification mais également respecter les règles déontologiques et, selon le type de contenu, celles
de droit positif concernant la publicité. Plusieurs critères cumulatifs sont posés pour déterminer la nature publicitaire du contenu : le contenu est réalisé dans le cadre d’engagements réciproques (paiement ou toute autre contrepartie) ; la marque ou ses représentants exerce
un contrôle éditorial prépondérant (discours imposé, scénario…) et une validation du contenu avant sa publication ; le contenu vise la promotion du produit ou du service de la marque. Dans ces deux situations, (simple collaboration commerciale et publicité), il est requis
d’adjoindre une indication explicite permettant d’identifier le caractère commercial du contenu, de manière à ce que ce caractère apparaisse instantanément à moins que celui-ci ne soit manifeste. Cette information peut se faire par tout moyen » dès lors qu’elle est portée à la
connaissance du public quel que soit son moyen d’accès au contenu » (sur les formes possibles, V. les recommandations ci-dessous). […]

Document 21. Article L. 121-4-11° du Code de la consommation

Sont réputées trompeuses, au sens des articles L. 121-2 et L. 121-3, les pratiques commerciales qui ont pour objet :
[…]
11° D’utiliser un contenu rédactionnel dans les médias pour faire la promotion d’un produit ou d’un service alors que le professionnel a financé celle-ci lui-même, sans l’indiquer clairement dans le contenu ou à l’aide d’images ou de sons clairement identifiables par le
consommateur ;

Document 22. Extraits de l’arrêt rendu par la chambre commerciale de la Cour de cassation le 20 novembre 2019, n° 18-12817

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Paris, 30 novembre 2017), que la société Équilibre implant chirurgical (la société EIC), ayant pour activité la commercialisation d’articles médicaux, chirurgicaux et orthopédiques, a, le 14 mars 2007, conclu avec la société Biomet France, aux
droits de laquelle est venue la société Zimmer Biomet France (la société Biomet), filiale d’un groupe américain, un contrat d’agent d’affaires d’une durée indéterminée, consistant, pour la première à rechercher des clients pour le compte de la seconde, moyennant le versement
de commissions sur la réalisation des ventes intervenues en France métropolitaine ; que, reprochant à la société EIC un manquement grave à ses obligations contractuelles pour n’avoir pas renouvelé son adhésion et sa certification à la politique de lutte contre la corruption
du groupe Biomet, à laquelle elle avait accepté de se soumettre, et omis de procéder à la déclaration de ses liens d’intérêts avec les professionnels de santé, prescrite par le décret n° 2013-414 du 21 mai 2013 en violation de l’article 14 du contrat, la société Biomet lui a, par lettre
du 8 juillet 2013, notifié la résiliation de celui-ci, sans préavis ; que contestant cette résiliation, la société EIC a assigné la société Biomet en paiement de dommages-intérêts pour rupture brutale d’une relation commerciale établie ;
Attendu que la société EIC fait grief à l’arrêt de rejeter ses demandes alors, selon le moyen : […]
3° que la rupture immédiate de relations commerciales établies suppose qu’une partie manque à ses obligations de façon suffisamment grave, au point de rendre impossible le maintien du lien contractuel ; que pour dire justifier la résiliation sans préavis du contrat d’agence
d’affaires, la cour d’appel a relevé que la société EIC n’avait pas transmis aux ordres professionnels compétents la déclaration de ses liens d’intérêts avec les professionnels de santé avant la date du 1er juin 2013 prévue par le décret n° 2013-414 du 21 mai 2013 ; qu’en statuant
ainsi, sans rechercher si l’omission imputée à la société EIC était susceptible de rejaillir sur la société Biomet et par conséquent de caractériser un manquement contractuel d’une gravité suffisante pour justifier la résiliation immédiate du contrat d’agence d’affaires, la cour
d’appel a privé sa décision de base légale sur le fondement de l’article L.442-6 du Code de commerce et de l’article 1147 du Code civil, en sa rédaction applicable à la cause antérieure à l’ordonnance du 10 février 2016 ;
Mais attendu, en premier lieu, qu’après avoir relevé que la société EIC n’avait pas donné suite aux trois courriels des 26 avril, 30 mai et 4 juin 2013, par lesquels la société Biomet lui demandait, conformément à ses obligations, de renouveler son adhésion et sa certification à
la politique anti-corruption du groupe avant l’échéance du contrat, le 8 juillet 2013, l’arrêt retient que la société EIC ne peut justifier son attitude par le fait que les documents transmis étaient rédigés en langue anglaise dès lors qu’en 2010, elle avait souscrit un engagement de
même nature au vu de documents rédigés dans cette même langue et qu’elle ne démontre pas avoir réclamé la transmission des documents en langue française ; qu’il relève encore que le groupe de droit américain Biomet était soumis aux États-Unis aux règles, issues du
« United States Foreign Corrupt Practices Act », interdisant aux sociétés visées de commettre des actes de corruption d’agents publics étrangers et qu’il avait, le 26 mars 2012, conclu avec les autorités américaines un accord dit de poursuites différées (APD), afin de mettre
un terme aux enquêtes du Department of Justice and Securities and Exchange Commission, à la condition de mettre en place, pendant une durée de trois ans pouvant être prorogée d’un an, une coopération substantielle de ses employés, distributeurs et agents commerciaux
avec les professionnels de santé ; qu’en l’état de ces constatations et appréciations, la cour d’appel qui, sans être tenue de suivre les parties dans le détail de leur argumentation, a estimé que, compte tenu des règles fixées par le programme de « compliance » et de l’accord
conclu, le manquement de la société EIC à ses obligations contractuelles, en ce qu’il était susceptible d’engager la propre responsabilité de la société Biomet, était suffisamment grave pour justifier la rupture de la relation commerciale sans préavis, a légalement justifié sa
décision.
SUJET N° 3 | Corrigé de la note de synthèse
L’influence revêt une telle importance « dans la nature de la puissance et des pouvoirs aujourd’hui » que Éric Delbecque la définit comme « la pointe de diamant de l’intelligence économique ». L’influence est pourtant négativement perçue par l’opinion publique qui
l’associe à l’infraction de trafic d’influence. Ce délit consiste à abuser de son influence réelle ou supposée, moyennant une contrepartie, en vue de faire obtenir un avantage à un tiers (doc. 12, 15).
L’influence est devenue un enjeu économique qui a fait apparaître à la fois une activité nouvelle, celle d’influenceur, et l’émergence d’un marché, et même d’un marketing (doc. 16). Aussi, l’essor de l’influence et la consécration de sa valeur marchande conduisent à la
nécessité de l’encadrer afin d’éviter les excès liés à son commerce (doc. 10).
Si le commerce de l’influence est admis dans le secteur privé (I), il fait l’objet d’un encadrement particulier à l’égard de la puissance publique (II).

I – Le commerce de l’influence dans le secteur privé


A – Le commerce de l’influence encadré dans le domaine économique
La valeur de l’influence demeure peu admise par les juridictions. Ainsi, si la Cour de cassation n’exclut pas qu’une « influence » puisse constituer un apport en industrie dans le cadre d’une société, elle exige toutefois que soit précisé en quoi consiste l’influence supposée
d’un associé et si celle-ci est licite (Cass. civ. 1 re , 16 juillet 1997 – doc. 10). Il en va différemment du secteur économique où la valeur de l’influence, notamment sur les réseaux sociaux, est réelle et a même donné lieu à un marché de la vente numérique d’abonnés, followers ou
de likes (doc. 16).
Si les grands réseaux sociaux disposent de leur propre gestionnaire de publicité, les règles de la publicité commerciale trouvent à s’appliquer, et notamment l’article 20 de loi du 03 janvier 2008, à ce secteur d’activité. La publicité, quelle qu’en soit sa forme, doit être
identifiable comme telle et permettre de déterminer la structure pour le compte de laquelle elle est réalisée. La violation de cette obligation est constitutive d’une pratique commerciale trompeuse punie par l’article L.121-1 du Code de la consommation (doc. 4, 16). Les
articles L.121-3 et L.121-4 11° du même code, décrivent en outre comme trompeuses les pratiques visant à, dans le cadre d’une invitation d’achat, ne pas informer le consommateur des caractéristiques essentiels du produit ou du bien, ou à utiliser un contenu rédactionnel
dans les médias pour la promotion d’un produit sans informer le consommateur qu’un professionnel en a financé le contenu (doc. 11, 21).
Dans le domaine de la santé l’influence est également encadrée, notamment par l’article L.1453-1 du Code de la santé publique, qui impose que les entreprises commercialisant certains produits ou services rendent publics sur un site internet unique la nature et le montant
des conventions conclues avec les professionnels de santé (doc. 6). La Cour de cassation a dans ce domaine jugé que le manquement à l’obligation de déclarations d’intérêts et le refus d’adhésion par un agent d’affaires à la certification à la politique de lutte anti-corruption
caractérisent un manquement contractuel suffisamment grave pour justifier la fin de la relation contractuelle sans préavis (Cass. com. 20 novembre 2019 – doc. 22).

B – Le commerce de l’influence et le statut particulier des influenceurs


L’émergence de nouvelle activité d’influenceur a conduit l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP) à émettre des recommandations le 07 juin 2017 quant à cette activité. En effet, si un influenceur peut être défini comme un intermédiaire entre une
entreprise commanditaire et le public constitué par la communauté des consommateurs, la singularité de sa fonction a interrogé quant aux règles à lui appliquer (doc. 3). L’influenceur peut exercer en tant qu’indépendant ou salarié, toutefois certaines activités relèvent
nécessairement des articles L.7121-3 ou L.7123-2 du Code du travail qui induisent la conclusion d’un contrat d’artiste, nécessitant un tournage, ou de mannequinat, lorsque l’image de la personne est associée à un produit (doc. 3, 18).
L’autorité de régulation retient deux situations concernant l’influenceur : soit il agit en collaboration avec une marque, auquel cas il doit en informer le public, soit s’il existe une véritable collaboration publicitaire avec un annonceur, qui a nécessité des engagements
réciproques et un contrôle de l’annonceur sur le contenu, alors le public doit être explicitement informé du contenu commercial (doc. 20). Elle distingue en outre trois types de contrats : le contrat d’influenceur, se limitant à l’activité initiale éditoriale, le contrat de blogueur
publicitaire, visant à promouvoir un produit, et le contrat de billet sponsorisé consistant à publier un billet pour le compte de l’annonceur (doc. 18).
Les mineurs mis en scène par leurs parents pour la promotion de produits via les réseaux sociaux peuvent apparaître comme des « influenceurs » non protégés par le droit du travail. Interrogé sur ce cas particulier, le ministre du Travail à admis que la législation en la matière
était imprécise et devait être clarifiée (doc. 14).

II – Le commerce de l’influence à l’égard de la puissance publique


A – L’influence à l’égard de la puissance publique et le lobbying
L’influence, réelle ou supposée, qu’une personne détient à l’égard des pouvoirs publics peut l’encourager à en faire commerce, ou l’exposer à être sollicitée par un tiers, contre avantage en retour, pour en user. Ces deux comportements, réprimés par l’article 432-11 du Code
pénal, sont qualifiés pour le premier de trafic d’influence actif et pour le second de trafic d’influence passif (doc. 2). Si l’article 433-2 du Code pénal incrimine l’abus d’influence en vue d’obtenir une décision favorable de la part d’une autorité publique, la seule remise d’un
document, qui ne s’analyse pas comme une décision favorable de l’administration, par une personne usant de son influence ne constitue pas l’infraction (Crim. 25 octobre 2017 – doc. 15).
L’activité de lobbying se définit comme l’action qui vise à influencer directement ou indirectement l’élaboration de la norme ou la décision des pouvoirs publics (doc. 13).
L’influence réelle d’intérêts privés à l’égard de la prise de décision publique a longtemps été ignorée par l’autorité publique. Pourtant certains hauts fonctionnaires sont parfois recrutés par le secteur privé, au regard de leurs « influences opaques », afin d’influer sur les
décideurs publics qu’ils ont connus : il s’agit du phénomène du « pantouflage ». Dans ces conditions le lobbying s’exerce dans le cadre de la prise de décision publique et conduit à un soupçon de conflit d’intérêt (doc. 7).
Les avocats anglo-saxons exercent cette activité de lobbying, visant à influer sur l’élaboration de la norme. Leur influence peut également s’exercer dans le cadre de la préparation des auditions de témoins, notamment dans le cadre de l’arbitrage international (doc. 8, 13). En
France, si le Conseil National des Barreaux a indiqué que l’activité de lobbying n’était pas en elle-même interdite aux avocats, l’article 434-15 du Code pénal punit toutefois de trois ans d’emprisonnement et de 45.000 euros d’amende celui qui aura, moyennant contrepartie,
influencé autrui en vue d’apporter un témoignage en justice (doc. 13, 17).

B – L’encadrement du commerce de l’influence à l’égard de la puissance publique


La loi dite Sapin 2 du 09 décembre 2016 a imposé aux grandes entreprises l’obligation de prendre, sous le contrôle de l’Agence française anti-corruption, des mesures internes pour prévenir et détecter notamment les faits de trafic d’influence. La loi a également prévu un
mécanisme de mise sous-tutelle au profit des juridictions pénales (doc. 5). La loi Sapin 2 a mis en œuvre la tenue un répertoire numérique, diffusé par la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HAPTVP), destiné à recenser les déclarations des représentants
d’intérêts (doc. 1). Le représentant d’intérêts est une personne qui prend l’initiative de contacter un responsable public pour influer sur la prise de décision publique (doc. 1, 19). En application de ces règles, depuis le 1er janvier 2018, les personnes ayant une activité de
lobbying doivent s’inscrire sur ce registre et publier annuellement le compte rendu de leur activité (doc. 7). Le bilan réalisé en mai 2018 a montré que le nombre d’inscrits au registre était manifestement en-deçà de la réalité et que les représentants d’intérêts n’ont que pour la
moitié d’entre eux déclaré la nature de leur activité. La HATVP a en conséquence annoncé qu’elle allait exercer des contrôles exposant les contrevenants à une peine d’un an d’emprisonnement et 15.000 euros d’amende (doc. 19). Si les entreprises du tabac sont soumises à
des dispositions particulières, régies par l’article L.3512-7 du Code de la santé publique, qui leur impose de déclarer leurs activités d’influence ou de représentation d’intérêts à l’égard de la puissance publique (doc. 9), l’activité lobbyiste de l’avocat se trouve quant à elle
confrontée à la difficulté d’une déclaration au registre au regard des règles régissant le secret professionnel (doc. 13).

Précisions sur la correction


Si le thème de la note de synthèse pouvait surprendre par l’apposition des notions de « commerce » et d’« influence », la lecture des documents du dossier s’avère toutefois assez simple.
En revanche, les documents sont nombreux et la difficulté du sujet tient au fait qu’ils recouvrent une multitude de domaines. Si l’étudiant peut identifier rapidement chacun des domaines en question, la difficulté est liée à l’articulation de ces idées dans le cadre d’un plan
qui ne soit pas un « catalogue » d’idées.
Lorsque plusieurs domaines sont envisagés, la priorité pour le candidat est en effet de déterminer des regroupements possibles et de s’interroger sur un plan adapté au sujet.
En lisant les documents, l’idée d’un plan « principe-limites », rappelant les termes du sujet, paraît approprié.
Les déclinaisons de ce plan, quant aux intitulés, sont nombreuses. Il est notamment envisageable de recourir à un plan du type :
« I – L’émergence d’un commerce de l’influence
II – Le nécessaire encadrement du commerce de l’influence ».
Pour autant, la lecture détaillée des documents montre qu’en réalité les idées s’inscrivent dans le cadre de deux groupes principaux : le commerce de l’influence dans le secteur public et cette même activité dans le secteur privé.
Après réflexion, c’est ce plan qui a été retenu pour l’élaboration de cette proposition de corrigé.
Dans un premier temps, il a été envisagé de placer le secteur en public en première partie. Toutefois, ce plan présentait l’inconvénient de positionner la partie dense relative aux influenceurs en II B’. De fait, une inversion est intervenue entre le I et le II.
Table des matières

PARTIE I
Réussir la note de synthèse

CHAPITRE 1 Pourquoi la note de synthèse ?


SECTION 1 | Savoir lire un dossier
SECTION 2 | Savoir déterminer la portée des éléments sélectionnés
SECTION 3 | Savoir restituer le contenu d’un dossier
SECTION 4 | Savoir gérer son temps

CHAPITRE 2 Réussir la note de synthèse en comprenant les attentes des professionnels du droit
SECTION 1 | L’avis de l’avocat
SECTION 2 | L’avis du magistrat

CHAPITRE 3 Quelques pièges à éviter


SECTION 1 | Éviter la subjectivité
SECTION 2 | Adapter son style

CHAPITRE 4 Savoir s’évaluer

CHAPITRE 5 La correction de la note de synthèse

PARTIE II
Méthodologie de la note de synthèse

CHAPITRE 1 La méthodologie déduite des textes officiels

CHAPITRE 2 La méthodologie proposée


I. La phase préalable à la lecture du dossier
A. La lecture préalable du sujet (5 minutes)
B. La lecture du sommaire des documents (5 minutes)
C. Le survol de l’entier dossier (5 minutes)
II. La phase de lecture du dossier
A. La manière de lire le dossier
B. L’analyse des documents
III. La recherche d’une problématique
IV. L’élaboration d’un plan
A. Le choix d’articulations logiques simples
B. Le recours à des plans classiques
C. Le choix des intitulés de plan
D. La manière de formuler les intitulés
V. La phase de rédaction
A. L’introduction
B. Le corps du devoir
C. Rien que l’essentiel
VI. La phase de relecture

PARTIE III
Sujets corrigés

SUJET N° 1 Les immunités en droit (Sujet du CRFPA septembre 2021)


Sujet n° 1 | Dossier documentaire
Sujet n° 1 | Découverte du sujet et des documents
I. Réflexion préalable sur le sujet
II. Lecture préalable du sommaire des documents
III. Lecture orientée des documents
IV. Réflexion sur le choix du plan
Sujet n° 1 | Corrigé de la note de synthèse

SUJET N° 2 Le blasphème et la liberté d’expression (Sujet ENM, septembre 2020)


Sujet n° 2 | Dossier documentaire
Sujet n° 2 | Corrigé de la note de synthèse

SUJET N° 3 Le commerce de l’influence (Sujet du CRFPA 2020)


Sujet n° 3 | Dossier documentaire
Sujet n° 3 | Corrigé de la note de synthèse

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