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ISBN : 978-2-213-72842-1
© Librairie Arthème Fayard, 2023.
À mes grand-mères, géomètre-topographe
et ingénieure du bâtiment ; à ma mère, mathématicienne ;
à mes tantes, ingénieure et astrophysicienne ;
à mes sœurs, généticienne et chercheuse en informatique.
Page de titre
Page de copyright
Introduction
Un processus fulgurant
L'impasse de la tautologie
Le tabou de la biologie
La réécriture de la préhistoire
Le progrès médical
Le féminicène
L'oblitération du problème
Le retour du patriarcat ?
Un biais de classe ?
Notes
Sources iconographiques
Introduction
Notez l’échelle logarithmique utilisée pour l’axe des ordonnées (la même distance sépare 0,1 de 1,
1 de 10, 10 de 100, etc.), rendue nécessaire par la chute spectaculaire du taux.
Un processus fulgurant
Notons que c’est, depuis, chose faite puisque Emmanuel Todd insiste sur le
même point : « aucun affrontement révolutionnaire sanglant n’a été
nécessaire pour ouvrir la voie à l’émancipation éducative et sexuelle des
femmes32 ». Le féminisme est donc loin d’avoir utilisé « tous les moyens » :
il n’a jamais utilisé le principal moyen de lutte, la violence, et plus largement
le rapport de force, pour faire plier le pouvoir masculin et lui « arracher » des
droits nouveaux. Cependant, là où Gisèle Halimi voit un motif de fierté, on
trouve plutôt matière à perplexité.
Une victoire paradoxale
La première phrase est vraie : les femmes, on l’a dit, ont en effet protesté
très sagement. Mais la seconde est fausse : les pouvoirs publics et plus
généralement les hommes leur ont, au contraire, accordé énormément de
choses, sans y avoir été réellement contraints. Simone de Beauvoir le note
d’ailleurs sans pitié dans un passage qui sert d’exergue à ce chapitre :
« Les prolétaires ont fait la révolution en Russie, les Noirs à Haïti, les Indochinois se battent en
Indochine : l’action des femmes n’a jamais été qu’une agitation symbolique ; elles n’ont gagné que ce
que les hommes ont bien voulu leur concéder ; elles n’ont rien pris : elles ont reçu42. »
L’impasse de la tautologie
C’est sur cette même utilité qu’insiste Emmanuel Todd qui rappelle à de
multiples reprises qu’avant d’être un instrument de domination, la division
sexuelle du travail a été un moyen d’augmenter l’efficacité de l’unité de
production-consommation qu’est le couple, en vue de la lourde tâche de
survivre et d’élever des enfants.
Les deux éléments constitutifs de l’avantage comparatif des hommes en
matière de chasse, ici cités – le dimorphisme sexuel et l’entrave que
constitue l’enfantement pour la mobilité –, ont été abondamment contestés
dans les écrits féministes, mais les arguments avancés ne résistent pas à
l’examen.
Le dimorphisme sexuel, évident dans l’humanité contemporaine – il est
par exemple au fondement de la séparation des femmes et des hommes dans
toutes les compétitions sportives –, est probablement présent dès l’origine
de notre espèce, comme il l’est chez la plupart des mammifères, et
notoirement chez nos cousins les grands primates. Si l’on ne peut exclure
que la sélection naturelle l’ait renforcé, la thèse extrême de Priscille
Touraille – le dimorphisme sexuel serait la conséquence de la domination
masculine, les hommes ayant privé les femmes de l’accès aux protéines23 –
est très discutable, et ne semble pas partagée par la plupart des
paléoanthropologues, pour lesquels la stature reste un élément important de
sexuation des squelettes. Quant à l’argument consistant à supposer que, vu
leurs conditions de vie, la femme préhistorique comme celle des sociétés
agricoles primitives étaient bien plus robustes que la femme d’aujourd’hui,
il tombe sous le sens ; mais l’homme était également plus puissant que son
homologue contemporain, de sorte que l’avantage comparatif ne fait que se
déplacer. Quelles que soient l’époque et les conditions de vie, le problème
n’est pas la force physique maximale qu’une femme peut développer, en
valeur absolue – nombre d’entre elles sont capables d’abattre un arbre et de
tuer une bête (ou un homme) –, mais le rapport entre la force physique
moyenne des deux sexes.
On ne saurait, à ce propos, être davantage d’accord avec l’historien
militaire Benoist Bihan, qui remarque que les représentations actuelles sur
la prétendue égalité de robustesse physique moyenne des hommes et des
femmes sont fortement influencées par les fictions hollywoodiennes des
dernières décennies, qui mettent en scène des personnages féminins à la
force et à l’adresse surhumaines24 ; celles-ci ont parfois une explication
plausible (dans Matrix, c’est la réalité virtuelle qui donne à Trinity la
capacité de réduire ses adversaires en miettes et de marcher sur les murs),
mais le plus souvent non, le cas-limite d’exagération assumée étant la satire
Kill Bill où la très frêle Uma Turman soulève, au bout de son fin bras tendu,
un homme embroché à la pointe de son épée. L’influence de ces plaisantes
fictions est loin d’être nulle : après la sortie du film Tigre et dragon, en
2000, les dojos parisiens ont vu débarquer des cohortes de filles désireuses
de devenir aussi fortes que Michelle Yeoh et Zhang Ziyi ; l’intention était
louable, mais l’expérience de la confrontation avec leurs homologues
masculins, parfois décevante – comme l’est souvent, rappelle Benoist
Bihan, celle des femmes qui s’engagent dans l’armée en s’imaginant prêtes
pour un corps-à-corps égalitaire.
L’idée selon laquelle les femmes étaient, à la préhistoire, aussi mobiles
que les hommes est également douteuse. Il est exact que les femmes du
paléolithique n’avaient pas autant d’enfants que les femmes des sociétés
agricoles qui ont suivi – on y reviendra. Les intervalles intergénésiques
étaient, chez les chasseurs-cueilleurs, de l’ordre de quatre ans ; mais ces
délais étaient entre autres le produit de l’allaitement prolongé qui était
pratiqué, dans ces sociétés, jusqu’à un âge très avancé – pas forcément ou
pas uniquement parce que ces populations avaient identifié la vertu
contraceptive de cet usage, mais parce que le mode d’alimentation des
chasseurs-cueilleurs, basé sur la venaison et incluant peu de céréales,
rendait malaisée une diversification trop précoce, et interdisait le sevrage
total avant un certain âge. Or si une femme en excellente forme physique –
et il ne fait pas de doute que les femmes de cette époque l’étaient en très
grande majorité – peut sans problème se déplacer sur de longues distances
lors des changements de camp ou pour assurer la cueillette des plantes, ces
déplacements devaient se faire soit avec les enfants, soit dans une zone
relativement proche du camp, pour être en mesure de continuer à les
nourrir, alors que la chasse au gros gibier impliquait des sorties pouvant
durer plusieurs jours. Aussi, quelque précieux qu’ait pu être, à cette époque,
le rôle des grand-mères – au demeurant forcément limité par une espérance
de vie bien plus courte que la nôtre –, il est peu probable que celles-ci aient
pu permettre à la femme préhistorique de vivre libérée de ses enfants,
comme le suggère avec beaucoup de légèreté Titiou Lecoq25. Quant aux
capacités de déplacement de la femme enceinte, il sera a fortiori permis de
ne pas les comparer à celles d’un homme. Répétons une dernière fois : une
femme, hors périodes de grossesse et d’allaitement, pouvait certainement
bouger – et chasser – aussi bien qu’un homme ; mais les femmes en tant
que groupe, étant donné ces périodes de diminution plus ou moins
importante de la mobilité, étaient moins indiquées pour se spécialiser dans
les tâches exigeant une disponibilité totale pour de longs déplacements.
Françoise Héritier ne dit pas, au fond, autre chose :
« [Le] contrôle [des hommes sur les femmes] est rendu possible par le handicap qui double le
pouvoir de fécondité : la femme enceinte ou qui allaite a une moins grande aptitude à la mobilité que
l’homme. On a pu ainsi montrer que chez les Bushman, chasseurs-cueilleurs nomades, sans animaux
domestiques pour fournir du lait, un homme parcourt entre cinq et six mille km par an, une femme
entre deux mille et trois mille. […] L’entrave à la mobilité n’implique pas pour autant une infériorité
des aptitudes physiques (ni, a fortiori, des aptitudes intellectuelles), cependant, elle a dû entraîner un
certain type de répartition des tâches, au sein des sociétés préhistoriques d’hommes sauvages,
chasseurs-collecteurs, qui dépendaient uniquement de la nature […]. Aux hommes la chasse aux gros
animaux et la protection des désarmés contre les prédateurs de tous ordres, aux femmes la
surveillance des jeunes non sevrés et la collecte des ressources alimentaires d’accès plus facile que le
gros gibier (on ne chasse pas aisément avec un bébé accroché au flanc) : répartition qui naît de
contraintes objectives et non de prédispositions psychologiques de l’un et l’autre sexe aux tâches qui
leur sont de la sorte imparties, ni d’une contrainte physique imposée par un sexe à l’autre26. »
L’immédiate spirale idéologique
Il explique surtout très bien la particularité qui est en général exhibée par
les féministes comme la preuve de l’inanité de tout argument
« naturaliste », à savoir le fait que les interdits, dans les sociétés primitives,
s’étendent souvent non seulement à la chasse, mais à un grand nombre
d’activités dont les femmes n’ont aucune raison objective d’être exclues
(par exemple, allumer le feu) :
« Non seulement les croyances liées au sang féminin devaient-elles systématiser l’antinomie entre les
femmes et la chasse, mais elles allaient fatalement contaminer, par mimétisme et généralisation,
d’autres activités. Le “ressort subjectif” de cette extension était la proximité symbolique de l’objet de
travail avec le sang ; on a déjà parlé de l’assimilation du jaillissement du feu, puis du métal en fusion,
à l’écoulement sanglant. Les prohibitions touchant au travail de la pierre et d’une manière générale,
de toutes les matières dures, procèdent du même élan. Toujours est-il que, par cette extension du
symbolisme subjectif, la division sexuelle du travail a pu elle aussi gagner en étendue et concerner
d’autres procès de travail. Partie d’une base objective, la division sexuelle du travail s’est ainsi
étendue selon des modalités largement arbitraires28. »
Le rasoir d’Ockham
Mais, même alambiqués et timides, ces écrits ont le mérite d’exister. Les
sciences sociales européennes tendant à suivre les modes américaines avec
un temps de décalage, gageons qu’on verra, dans quelques années ou
décennies, débarquer sur notre continent des approches plus réalistes.
En attendant, l’explication esquissée plus haut apparaît aujourd’hui,
curieusement, presque aussi scandaleuse qu’à l’époque de Simone de
Beauvoir, mais ce sont les féministes qu’elle scandalise désormais. Elles ne
peuvent pas l’accepter, car elle implique une inégalité de départ, fruit de la
différence biologique des sexes voulue par le mode de reproduction
humaine. Cette inégalité de départ a donc des allures d’un fait moralement
neutre, car même si elle découle, comme le montre bien de Beauvoir, de
l’« impérialisme » de l’âme humaine, qui transforme tout avantage en outil
d’oppression d’autrui37, elle se fonde sur une nécessité objective. Pour le
dire autrement, le genre humain, étant ce qu’il est, n’aurait pas pu, au départ
– et pendant très longtemps –, s’organiser autrement, d’une façon plus
favorable aux femmes. Pour les féministes, cette idée est insupportable : il
faut que la domination masculine soit d’emblée sans excuse, à la fois
arbitraire et moralement condamnable. Comme celle des Blancs sur les
Noirs dans l’Amérique esclavagiste, elle doit être intégralement le produit
d’une histoire et d’une idéologie. La différence biologique n’étant, dans le
cas du racisme, qu’un préjugé, il faut qu’il en soit à 100 % de même pour
l’oppression des femmes. Le manuel Introduction aux études sur le genre
l’énonce explicitement en évoquant la « stratégie militante […] qui guide
le travail de rapprochement entre le genre et la race » :
« [Dans] les années 1970 les luttes contre le racisme ont forgé les instruments conceptuels d’une
“débiologisation” du concept de race et de déconstruction de la pensée raciste : il s’agissait de
démontrer, d’une part, que la race est une construction sociale naturalisée et, d’autre part, que cette
biologisation de la pensée est au fondement de l’oppression raciste. Ces instruments à la fois
politiques et analytiques étaient immédiatement disponibles pour critiquer le genre, lui aussi
longtemps pensé dans les termes de représentations spontanées de la nature et de la biologie38. »
La réécriture de la préhistoire
Le schéma indique le nombre moyen d’enfants nés d’une femme au cours de sa vie féconde,
inversement proportionnel à la durée de l’intervalle entre les naissances, laquelle dépend de la
balance énergétique de la mère. La diagonale représente le nombre moyen d’enfants déterminé
par : 1) l’alimentation après l’accouchement (axe horizontal), la consommation d’aliments allant
de caloriquement pauvres (à gauche) à riches (à droite) ; 2) la dépense énergétique (axe vertical),
l’effort physique (principalement la mobilité) allant d’élevé, pour le mode de vie nomade (en
bas), à faible, pour le mode de vie sédentaire (en haut).
Or, tant pour les spécialistes du climat que pour les historiens, c’est-à-
dire du point de vue de la transformation du mode de vie des humains, la
date la plus logique est indiscutablement 1784 (brevet sur la machine à
vapeur), initialement proposée par Crutzen, le début de la révolution
industrielle marquant un bond dans les capacités de l’homme à transformer
la nature.
Certes, ce bond n’arrive pas de nulle part : comme le notent Bonneuil et
Fressoz, « le capitalisme industriel a été intensément préparé par le
“capitalisme marchand” depuis le xvie siècle […]. [L]’Anthropocène n’est
pas sorti tout armé du cerveau de James Watt, de la machine à vapeur et du
charbon, mais d’un long processus historique de mise en relation
économique du monde, d’exploitation des hommes et du globe, remontant
au xvie siècle et qui a rendu possible l’industrialisation6 ». Les historiens
notent en particulier le rôle de l’empire colonial britannique et du
commerce transatlantique, dans lequel ils voient, avec Eric Hobsbawm,
« “l’étincelle” qui déclencha la révolution industrielle7 », celle-ci n’ayant pu
démarrer que grâce à l’afflux en Angleterre de matières premières bon
marché et à l’existence de marchés coloniaux captifs. Toute une série
d’autres facteurs se sont alignés pour permettre cette révolution, par
exemple l’avance de l’Angleterre en matière d’éducation8, et le débat sur
ses origines est sans doute loin d’être clos.
Il ne s’en agit pas moins d’un point de rupture, d’un basculement. Si ni la
science ni la technologie ne naissent en Occident au xixe siècle (le principe
de la machine à vapeur est ainsi connu depuis Héron d’Alexandrie), l’entrée
dans l’ère des énergies fossiles va permettre une généralisation des procédés
technologiques à une échelle sans précédent, et donc, via l’explosion du
rendement des machines et de la productivité, une transformation également
sans précédent des conditions de vie des hommes.
Le progrès médical
À
Slogan : « À bas l’esclavage de la cuisine ! Vive le nouveau quotidien. » Inscriptions sur les
bâtiments : « Club », « Cantine », « Usine », « Cuisine », « Crèche ».
Un féminisme hors-sol
L’oblitération du problème
Cet extrait est exemplaire en ce qu’il montre comment les angles morts
relatifs au passé créent la cécité quant à l’avenir. Si les progrès de la
condition féminine sont dus au « combat de nos mères et de nos grand-
mères » et se résument à l’acquisition de « droits » et de « libertés » – une
vision dont on a montré le caractère idéaliste –, alors le nouveau statut des
femmes dépend tout entier de ces droits et de la capacité des femmes à les
« défendre ». Les défendre contre quoi ? La menace qu’on met
habituellement en avant se rapporte à l’idéologie réactionnaire – religieuse ou
d’extrême droite – qui n’attend que sa revanche et qu’il convient de
combattre sans relâche pour ne pas la laisser prospérer.
Ce problème n’est pas inexistant, bien sûr : on a montré à la fin du chapitre
précédent que les religions monothéistes vigoureuses représentent en effet un
frein puissant capable de ralentir, voire de renverser les progrès de la
condition féminine. C’est par exemple le cas dans les pays musulmans avec
le renforcement de l’islam rigoriste, mais aussi, dans une moindre mesure,
aux États-Unis, où la vitalité des évangélistes fondamentalistes n’est pas sans
rapport avec le durcissement de la législation sur l’avortement. Il est pourtant
bien imprudent d’en rester là.
Avoir précisé le passé doit aider à anticiper l’avenir. On a établi que
l’émancipation des femmes repose, en dernière instance, sur l’infrastructure
économique et technologique de nos sociétés. On a également vu que les
conditions mêmes qui ont autorisé le féminisme ont permis aux féministes
d’en oublier l’importance. Prenant leurs conditions de vie pour les conditions
de la vie en général, elles ont évacué à la fois la biologie et le progrès
technique qui a permis de la dompter. Les partisanes du constructivisme,
opposantes acharnées du naturalisme pour ce qui est des identités sexuelles et
de la domination masculine, naturalisent l’environnement matériel qui est le
leur. Il faut dire à leur décharge qu’elles ne sont pas les seules à le faire : la
majorité de la population, on l’a dit, en particulier des intellectuels, vit dans
cette oblitération bienheureuse. Oui, dans le monde des féministes
contemporaines, la biologie comme la nature n’existent pas. Mais elles se
remettraient à exister puissamment si les conditions matérielles qui nous en
coupent étaient abolies, ou même ébranlées.
Si les féministes actuelles ne s’inquiètent, concernant la condition
féminine, que du renouveau du catholicisme intégriste, c’est parce que,
refusant de considérer les prérequis de l’émancipation, elles ne réfléchissent
pas à ce qui pourrait les faire disparaître, ou simplement fragiliser, alors
qu’une telle disparition ferait s’écrouler tout l’édifice de l’émancipation
comme un palais dont on aurait soufflé les fondations. Leur confusion sur le
passé leur interdit de prendre conscience des dangers qui les menacent. Elle
les rend insouciantes. Car ce qui est fragile, ce ne sont pas ou pas seulement
les droits et les libertés des femmes ; ce sont les conditions matérielles qui
rendent ces droits et ces libertés possibles.
Il serait facile de laisser passer cette erreur : après tout, tant mieux si les
femmes ont oublié la manière difficile dont leurs aïeules ont vécu durant des
centaines de milliers d’années, et tant pis si cet oubli les fait planer dans la
stratosphère idéologique ou les amène à commettre des anachronismes. Rien
de grave à cela ; rien, en tout cas, de suffisamment grave pour essayer de les
convaincre de leur méprise. Mais l’identification des véritables menaces qui
pèsent sur les femmes est vitale si on veut les contrer. En ignorant la fragilité
des conditions sur lesquelles repose leur émancipation, les féministes ne se
donnent pas les moyens de les préserver.
Dix ans, deux COP et plusieurs rapports du GIEC plus tard, nous en
sommes au même point. Pour ne prendre qu’un exemple, l’interview de John
Kerry, représentant spécial du président Joe Biden, accordée à Reporterre en
mars 2022, surprend par sa légèreté : pas besoin d’abandonner l’American
way of life, on trouvera bien des technologies qui nous permettront de le
conserver12. Dans ce contexte, il y a peu de chances que l’humanité parvienne
à dominer les boucles de rétroaction destructrices avant que celles-ci ne la
déstabilisent à leur tour, d’autant que la fameuse « prise de conscience » est
longtemps restée très relative : ces dix dernières années, seulement 0,8 % des
reportages des journaux télévisés de TF1 et de France 2 mentionnaient les
changements climatiques13 ; le dernier rapport du GIEC, particulièrement
alarmant, ne s’est vu consacrer qu’entre 0,05 et 1,9 % du temps d’antenne sur
les chaînes privées d’information en continu (LCI, BFMTV, CNews), entre 5
et 6,5 % sur les chaînes publiques (France Info, France 2)14. L’été 2022,
marqué par des températures extrêmes sur toute la surface du globe et par des
inondations gigantesques au Pakistan, constituera peut-être un moment
charnière, mais il est trop tôt pour en juger.
Notons en passant que, si le présent est décevant, le passé n’incite pas non
plus à l’optimisme. Car les effets délétères de l’anthropocène ne sont pas une
découverte que l’humanité jusque-là ignorante aurait faite au début du
e
xxi siècle. Si le récit dominant – y compris parmi les grands philosophes tels
que Michel Serres ou Bruno Latour et chez les scientifiques spécialistes du
changement climatique, à commencer par James Lovelock – est bien celui-là,
les historiens rappellent que, dès les débuts du capitalisme industriel, les
contemporains posaient la question de l’épuisement des ressources et de la
dégradation de la nature. En dénonçant « la détérioration matérielle de la
planète », en 1821, « Charles Fourier ne faisait que reprendre un nombre
important de travaux et d’alertes scientifiques de son temps15 ». Avec l’essor
de l’industrialisation, les critiques n’ont pas manqué : Lewis Mumford a ainsi
brossé, en 1934, une fresque très ambivalente de l’histoire des techniques, qui
oscille entre glorification du progrès en marche et conscience des dégâts
environnementaux occasionnés par les excès de la civilisation machiniste16.
La « grande accélération » à partir de la fin de la Seconde Guerre mondiale a
également suscité des inquiétudes chez les scientifiques de l’époque tels que
William Vogt (Road to Survival), Fairfield Osborn (Our Plundered Planet),
Roger Revelle et Hans Suess. Au total, « [l]es sociétés de l’Anthropocène
n’ont pas détruit leurs environnements par inadvertance, ni sans considérer,
parfois avec effroi, les conséquences de leurs actions17 ». Au contraire,
« [f]orce est de constater l’ancienneté des critiques, mais aussi leur
impuissance à dévier les trajectoires historiques18 ». « La conclusion
s’impose, assez dérangeante en vérité, que nos ancêtres ont détruit les
environnements en toute connaissance de cause19. »
Le débat est tout aussi vivace à propos des conséquences politiques et
sociales de la crise à venir. Les optimistes y voient une occasion de repenser
les outils de gouvernement pour inventer de nouvelles formes de démocratie
participative et de mobilisation20, quand les pessimistes, comme Harald
Welzer, annoncent un état de guerre permanente21, les intermédiaires, comme
Yves Cochet, anticipant une organisation au sein de petites communautés
locales – pour les survivants, qui seront bien moins nombreux que nous ne le
sommes22.
L’ensemble de ces débats se retrouvent dans les controverses autour de la
« collapsologie », terme proposé en 2015 par Pablo Servigne pour désigner
un nouveau domaine de réflexion, au croisement de plusieurs disciplines –
climatologie, écologie, économie, biologie, démographie… Accusée de
mêler constats scientifiques et craintes irrationnelles, projections sérieuses et
exagérations, la collapsologie pâtit de l’intérêt que lui portent les
survivalistes, particulièrement nombreux à l’extrême droite, dont
l’engouement pour la fin du monde est teinté de complotisme, voire d’un
« désir de catastrophe23 ». Pourtant, si on laisse de côté le folklore survivaliste
et qu’on passe outre les termes – collapse ou « effondrement » renvoyant non
à la fin de l’humanité, mais à « la diminution brutale de la population
accompagnée d’une dégradation significative des conditions de vie (baisse
importante du produit industriel par tête, du quota alimentaire par tête, etc.)
de la fraction survivante24 » –, la collapsologie se contente de systématiser les
observations des spécialistes du système Terre, qui commencent à être
considérées par la communauté scientifique comme des faits établis. Si on
trouve Pablo Servigne insuffisamment institutionnel, on peut par exemple se
référer à l’Atlas de l’Anthropocène de François Gemenne et Aleksandar
Rankovic, postfacé par Bruno Latour25.
Globalement, malgré quelques excès et dérives, les pessimistes
apparaissent plus rationnels que les optimistes, et la critique de leurs
positions semble aujourd’hui avant tout rituelle. Le changement climatique,
l’altération de l’environnement et l’épuisement des ressources représentent
des réalités scientifiques. Ni les projets pharaoniques de la géo-ingénierie ni
le déploiement de la démocratie participative ne sauront probablement
empêcher une forme ou une autre d’effondrement de la civilisation thermo-
industrielle, et cet effondrement sera certainement un grand moment de
tourmente pour l’humanité, avant une probable adaptation – dans une
configuration nouvelle, sans doute sensiblement différente de celle que nous
connaissons. Le reconnaître n’est pas céder au catastrophisme, c’est refuser le
déni.
Habitués à ce déni, les auteurs de l’édition 2002 et 2012 du rapport
Meadows mentionnent « quelques-uns des préjugés, des simplifications, des
pièges de la langue orale et des mensonges populaires que l’on rencontre
fréquemment lorsqu’on parle des limites à la croissance ». En première place
figure l’idée suivante : « une mise en garde concernant l’avenir est une
prévision funeste », à laquelle les auteurs objectent qu’« une mise en garde
concernant l’avenir est une invitation à suivre une voie différente »26. C’est
ainsi qu’il faut voir les prospectives qu’on va exposer ci-dessous, s’agissant
de l’humanité entière comme s’agissant de sa partie féminine : non pas
comme un exercice d’imagination crépusculaire, mais comme une hypothèse
exploratoire qui doit nous aider à déterminer comment on peut atténuer,
sinon éviter, les scénarios les plus négatifs.
Également appelé scénario « point de repère » (dans les éditions récentes). Si dans l’édition
originale, celle de 1972, un seul graphique représentait plusieurs courbes, les éditions ultérieures
ont choisi d’introduire un niveau supérieur de détails tout en décomposant les données en trois
graphiques séparés.
Les climatologues, économistes et militants écologistes soulignent que la
crise à venir aura un côté foncièrement injuste, car, due en premier lieu à la
surproduction et à la surconsommation des pays riches, industrialisés de
longue date, elle se traduira par un effondrement climatique qui touchera en
premier lieu les pays pauvres, qui ont pourtant peu, voire n’ont presque pas
participé à la dégradation de l’environnement. En effet, les pays du Sud,
souvent dotés d’un climat déjà trop sec, sont particulièrement exposés au
risque alimentaire. Cependant la relation entre richesse actuelle et avenir
post-effondrement n’est pas aussi simple. Comment prévoir qui sera
« pauvre », qui sera « riche » dans le monde de demain ? La contraction de la
production et des échanges internationaux affectera particulièrement les
sociétés très avancées comme la nôtre, largement tertiarisées. Produisant peu
d’objets matériels, se contentant souvent, au mieux, de les assembler, elles
pâtiront grandement de la désorganisation, voire de la rupture des chaînes
logistiques et de l’arrêt des importations de produits manufacturés,
majoritairement fabriqués dans des pays encore industrialisés. Quant à la
production agricole, les changements climatiques vont modifier la carte des
régions fertiles alors que la raréfaction du pétrole et des engrais industriels
pénalisera les agricultures modernisées.
Qu’adviendra-t-il, par exemple, d’un pays comme la France ? Si les
échanges mondiaux diminuent drastiquement – car le transport sera cher,
mais aussi parce que les pays producteurs souhaiteront garder les produits
manufacturés comme énergétiques, moins abondants, pour leur propre
population –, il faudra davantage compter sur la production locale. Mais que
produit la France, en matière d’industrie ? Pas grand-chose, on le sait. Notre
pays est aujourd’hui un grand producteur de nourriture, ce qui le place a
priori dans une bonne position ; mais, avec la dégradation du climat, la
Beauce gardera-t-elle ses rendements ? Surtout, en l’absence de pétrole,
comment les terres seront-elles cultivées ? La nécessité de passer à une
agriculture moins mécanisée, avec des exploitations de taille réduite et
davantage de travail manuel, produira une importante désorganisation qui, à
moyen terme, risque d’être un facteur pénalisant. Au contraire, un pays du
tiers-monde, dont le climat pâtira peut-être plus du réchauffement, peut
paradoxalement avoir pour avantage une agriculture plus manuelle, mieux
préparée à la pénurie d’énergie – et une population habituée aux privations et
au travail physique.
Cependant, les pays les plus « riches » seront, dans le monde de demain,
ceux qui combineront un climat relativement tempéré, un reste de réserves
énergétiques fossiles et d’autres ressources naturelles sur leur territoire, des
sources d’énergie alternatives (par exemple un parc nucléaire), une
infrastructure industrielle, un savoir-faire technologique, des sols fertiles, de
l’eau en abondance – et des armes pour défendre toute cette richesse. J’y
ajouterais volontiers une dernière ressource, psychologique, qui renvoie à
l’avantage qui vient d’être évoqué à propos des pays du tiers-monde : une
population restée partiellement rustique, capable de s’adapter rapidement à
des conditions plus rudes et ouverte à l’esprit d’aventure et d’entreprise (au
sens traditionnel de cette expression et non au sens qui lui est aujourd’hui
donné dans l’idéologie néolibérale). Il n’y a pas, dans le monde, beaucoup de
régions qui répondent à ces critères. En fait, je n’en vois que deux : le nord
du continent nord-américain et le nord de l’Eurasie. Les États-Unis (qui, le
moment venu, pourront absorber leur voisin canadien, peu peuplé mais vaste,
frais et riche en eau et en bois) et la Russie (qui, du moins si elle parvient à se
protéger de la Chine, sera peut-être encore mieux équipée que son vieux
rival) sont les deux pays qui risquent – encore ! – de se retrouver en situation
d’entités dominantes, là où une vie « presque comme avant » pourra être
préservée plus longtemps qu’ailleurs, certainement au prix d’un régime ultra-
autoritaire, et où cette relative stabilité permettra de mener, plus rapidement
et plus efficacement qu’ailleurs, le nécessaire travail d’adaptation au monde
post-thermo-industriel. Il est étonnant que cet aspect des choses ne soit pas
davantage mentionné à propos du conflit en Ukraine, dans lequel la Russie,
premier exportateur mondial de céréales, cherche à annexer la partie est de
l’Ukraine, où est concentré l’essentiel des « terres noires » ultrafertiles. On
assiste peut-être aujourd’hui au premier conflit armé du monde de demain.
Dans ces conditions, les sanctions occidentales qui visent à isoler la Russie,
parce qu’elles la forcent à devenir encore plus autosuffisante, peuvent
paradoxalement accroître son avance en matière d’autonomie, facteur qui va
devenir crucial dans un monde aux échanges limités.
Quoi qu’il en soit, les inégalités entre les régions, dont il est difficile de
prévoir la carte exacte, ont une forte chance de se traduire par une
augmentation substantielle des migrations, les populations des zones très
affectées cherchant à rejoindre celles où la vie reste meilleure. Dans les pays
d’accueil, eux-mêmes fragilisés par la crise et manquant de ressources,
l’afflux de réfugiés ne manquera pas d’occasionner de fortes tensions, sinon
de la violence.
Plus globalement, la probabilité de violence interne augmentera
substantiellement, y compris en Occident. Dans une société habituée au
confort et à la consommation de masse, et confrontée à la réduction du
« quota alimentaire par tête » et du « produit industriel par tête » – ce qui
signifie qu’on aura peu à manger, pas forcément de quoi se vêtir ni se
chauffer –, seuls une éthique adamantine ou un État très organisé pourraient
empêcher l’augmentation de la violence interindividuelle. Une telle éthique, à
l’évidence, nous fait défaut ; quant à l’État, déjà affaibli, il sera d’autant plus
fragilisé par la crise. De nombreux collapsologues affirment sans ambages
que l’effondrement économique et climatique déstabilisera, voire fera
disparaître de nombreux États au profit de structures plus locales, non sans
passer par le stade de chaos ou de guerre civile. Les scénarios totalitaires ne
sont pas non plus exclus, mais ils ne pourront advenir qu’à l’issue d’une
première phase de désorganisation. Les chercheurs établis, toujours prudents,
se montrent plus pudiques, mais disent en substance la même chose avec des
mots plus compliqués :
« La liberté ne peut se penser que dans le cadre d’arrangements sociaux et d’édifices institutionnels.
Mais, comme l’observe l’historien Dipesh Chakrabarty, ces édifices politiques sont eux aussi
questionnés par les dérèglements actuels de l’Anthropocène : “le palais des libertés modernes s’est bâti
sur la base d’un usage toujours croissant d’énergies fossiles” qui viennent aujourd’hui à manquer ou à
dérégler le climat. Comment refonder l’idéal démocratique quand s’évanouit le rêve de l’abondance
matérielle27 ? »
Le retour du patriarcat ?
Virginia Woolf en dit autant d’Aphra Behn, l’une des premières femmes
de lettres de Grande-Bretagne :
« Elle dut travailler comme un homme, avec les hommes. En travaillant dur, elle parvint à gagner sa
vie. L’importance de ce fait a plus de poids que tout ce qu’elle a écrit, fût-ce même le magnifique
“J’ai fait un millier de martyrs” ou “L’amour en fantastique triomphe assis”, car c’est ici que
commence la liberté de l’esprit ou du moins la possibilité que, le temps aidant, l’esprit parvienne à
être assez libre pour écrire ce qui lui plaît. Car à présent qu’Aphra Behn avait fait ce geste, des filles
pouvaient aller trouver leurs parents et dire : Vous n’avez pas besoin de me faire une pension, je veux
gagner ma vie avec ma plume8. »
Inversement, les femmes ayant été des exemples de destin intellectuel et
social accompli ont souvent été, à l’instar de Madeleine Brès, insensibles au
militantisme et ont considéré les féministes ou les proto-féministes avec
distance, et même parfois avec mépris. Ainsi, George Sand, qui a tenu à être
aussi libre que possible, ne considérait pas qu’il était utile de mener une
lutte politique en faveur du droit de vote des femmes, et a répondu avec
dédain à la proposition des féministes saint-simoniennes qui ont lancé, en
1848, un appel pour la faire élire députée. Sa réaction, rarement
commentée, est exemplaire de l’esprit du féminisme du faire. En effet, Sand
considère que les féministes qui réclament le droit de vote mettent la
charrue avant les bœufs dans la mesure où le vote ne devrait être octroyé
qu’à des êtres libres ; les femmes restant sous la tutelle de leurs maris, leur
vote serait une aberration et leur élection, une absurdité. Il faut, selon elle,
que les femmes commencent par se libérer des contraintes civiles qui pèsent
sur elles, un progrès qu’elle estime possible étant donné l’évolution de la
société et des consciences. Sand appelle donc les femmes à devenir d’abord,
dans les faits, « les égales de [leurs] maris », sans quoi les « candidatures de
femmes […] ne peuvent pas être prises au sérieux »9. S’opposant à celles
qui font procéder l’émancipation de la participation à la vie politique, Sand
estime que les lois viennent couronner les transformations d’ores et déjà
effectives de la société, et que le meilleur moyen de hâter l’émancipation,
c’est de l’exercer là où on en a déjà l’occasion, et d’avancer pas à pas.
On pourrait écrire un livre entier uniquement sur les figures féminines
qui se sont attachées à faire, à agir dans une sphère donnée – science,
médecine, littérature, art – sans chercher à réclamer, en tout cas sans en
faire l’axe unique de leur action. On a beaucoup commenté les
photographies des congrès Solvay où l’on voit Marie Curie, seule femme
entourée d’une foule d’hommes ; la physicienne n’en a jamais fait une
plateforme pour dénoncer le peu de place fait aux femmes dans la science.
Elle s’est bornée à agir dans sa sphère de compétence, la recherche. Une
telle attitude n’exclut ni la conscience de l’inégalité des chances qui a
longtemps prévalu en sciences comme ailleurs – il était bien plus facile de
se former, puis de « percer » pour un homme que pour une femme – ni la
solidarité : ainsi, Marie Curie, première femme à diriger un laboratoire
scientifique, y accueille-t-elle, entre 1906 et 1934, quarante-cinq
chercheuses, contribuant, concrètement, à lancer et à faire vivre leur
carrière10.
Mentionnons, sans ordre ni hiérarchie, de façon parfaitement arbitraire –
car le projet n’est pas de dresser un répertoire, juste de fournir quelques
exemples – encore quelques figures de « premières », représentatives de
l’esprit du faire.
L’histoire soviétique en fournit beaucoup : comme l’instauration au
pouvoir du parti communiste était censée avoir une fois pour toutes octroyé
aux femmes tous les droits, ce sont les figures du faire et non du réclamer
qui y étaient exclusivement valorisées – la femme scientifique, la femme
médecin, la femme militaire, la femme cosmonaute… On connaît Valentina
Terechkova, seule femme au monde à avoir effectué un vol spatial solitaire,
abondamment utilisée par le pouvoir comme symbole de la libération des
femmes dans les pays socialistes. Mais c’est une autre Valentina, bien
moins connue, que j’aimerais mentionner. Valentina Orlikova obtient son
diplôme d’ingénieur du transport maritime en 1941, quelques jours avant
l’invasion allemande ; à 26 ans, elle commence sa carrière professionnelle
comme officier de navigation, d’abord sur un navire évacuant des blessés de
Tallinn, puis sur un paquebot qui réalise des allers-retours avec les États-
Unis, échangeant les matières premières contre les produits fournis dans le
cadre du lend-lease. Durant ces voyages – dont un sans accompagnement
de navires de guerre –, elle pilote plusieurs fois les manœuvres de
navigation pour éviter les torpilles allemandes. Lors de ses séjours aux
États-Unis, elle fait partie des marins qu’on charge de répondre aux
questions des journalistes américains ; elle donne donc plusieurs interviews
et participe même, en 1943, à la sixième édition du Army-Navy Screen
Magazine – série de films à destination du personnel militaire, réalisés par
Frank Capra –, où elle donne la réplique, dans une mise en scène très
hollywoodienne, à l’actrice Shirley Booth. Parmi les questions posées à
Orlikova, il y a forcément, à chaque fois : « Comment vous, femme menue,
arrivez à commander aux hommes ? » Elle répond en décrivant, de manière
précise et technique, les tâches qui lui reviennent et sa manière de
superviser le travail de l’équipage. À la fin d’une des conférences de presse,
le journaliste auteur de cette question aurait lâché : « Maintenant, je
comprends pourquoi les marins suivent vos ordres. » Après la guerre, elle
devient capitaine d’un baleinier, puis d’un grand chalutier ; de nombreux
témoignages d’hommes ayant travaillé sous son commandement décrivent
une femme de petite taille et d’un grand calme ; dans l’environnement
dangereux de l’océan Arctique, sa compétence et son sang-froid lui valaient
le respect unanime – ses décisions n’étaient jamais contestées.
Côté américain, citons Bessie Coleman. Fascinée par les exploits des
pilotes de la Première Guerre mondiale, Bessie Coleman, née en 1892, veut
en être, mais, parce qu’elle est noire, ne peut s’inscrire dans aucune école
de pilotage aux États-Unis. Elle part alors pour la France et étudie à l’école
des frères Caudron au Crotoy. Élève appliquée, seule femme (et seule
Noire) de la promotion, elle obtient son diplôme en sept mois au lieu de dix,
en 1921. Revenue aux États-Unis, elle veut ouvrir une école de pilotage
accessible aux Noirs. Elle meurt prématurément dans un accident d’avion,
mais une telle école ouvre en effet quelques années plus tard11. Si j’ai choisi
de la mentionner, elle plutôt qu’Amelia Earhart, diplômée deux ans après
elle, ce n’est pas uniquement parce que son destin est lié à la France, mais
aussi parce que Coleman représente particulièrement bien l’état d’esprit
consistant à contourner les obstacles institutionnels et pratiques – en tant
que femme, en tant que Noire dans un pays ségrégationniste, mais aussi en
tant que pauvre, elle voit son rêve triplement contrarié – par l’action.
L’émancipation universelle reste bien son but, mais c’est en offrant aux
discriminés la possibilité d’investir un domaine généraliste – en
l’occurrence, de devenir pilote – qu’elle se propose d’y contribuer.
L’esprit du faire est là, tout entier : agir, aussi bien et aussi loin que
possible dans les conditions présentes, et non exiger le changement de ces
conditions – d’abord parce que faire est la seule chose qui vaille, la raison
même du désir d’émancipation, et ensuite parce que faire, c’est donner
l’exemple, donc contribuer à ouvrir une brèche dans le mur des
représentations, celles des hommes mais aussi celles des femmes elles-
mêmes.
L’entrée des femmes en politique et la manière dont en parlent les livres
d’histoire illustrent les tensions entre les deux esprits du féminisme. En
évoquant les trois premières femmes nommées secrétaires d’État sous le
Front populaire, Michèle Riot-Sarcey remarque qu’« à l’exception d’Irène
Joliot-Curie, les secrétaires d’État, nouvellement promues, évitent les
déclarations féministes intempestives. Comme si le prix de la
reconnaissance se payait par le silence sur la question brûlante de
l’égalité12 ». Ce commentaire sous-entend qu’une telle attitude ne pouvait
résulter que des contraintes qui pesaient sur ces nouvelles venues à la
politique. Que des contraintes aient existé ne fait pas de doute ; mais il est
également possible que les « premières » aient avant tout été désireuses de
démontrer qu’elles étaient capables de faire preuve de compétence, sans
forcément rappeler sans cesse leur appartenance au sexe féminin – et
qu’elles aient espéré ainsi mieux servir la cause des femmes qu’en essayant
d’imposer des mesures politiques d’égalité. On peut appliquer la même
grille d’analyse à la nomination, en 1944, de plusieurs femmes résistantes à
des postes de responsabilité : Lucie Aubrac, déléguée de l’Assemblée
consultative d’Alger, à l’installation des comités départementaux de
libération (CDL) ; Raymonde Fiolet, dirigeante de Libération nord, à la
présidence des comités locaux de libération (CLL). « Il s’agit, sans
conteste, d’une reconnaissance, car les responsables de ces instances, certes
de transition, disposent d’un réel pouvoir politique », commente Michèle
Riot-Sarcey13. Une reconnaissance de quoi ? De la compétence généraliste
de ces femmes, qu’elles ont prouvée par leur action durant la guerre.
Cette reconnaissance est plus ou moins symbolique et plus ou moins
prononcée. Dans les pays occidentaux, pendant longtemps, elle fut surtout
éphémère : la guerre finie, les exploits des femmes résistantes sont
rapidement mis au second plan, et l’octroi du droit de vote aux Françaises
ne se traduit par aucun raz-de-marée féminin dans les fonctions électives ; il
en va de même dans les pays anglo-saxons, où la participation des femmes
en politique reste pendant longtemps très limitée. Même dans l’imaginaire
féministe, la figure des « premières », pourtant mobilisatrice sur le moment,
est éclipsée par celle des militantes et des théoriciennes du féminisme ; il
n’est pourtant pas certain que Simone de Beauvoir ou Kate Millett aient
davantage contribué à l’émancipation des femmes que Madeleine Brès ou
Charlotte Béquignon-Lagarde (première femme à devenir magistrate en
France en 1946) – ou, aux États-Unis, Elizabeth Blackwell (première
femme médecin, en 1849) ou Arabella Mansfield (première avocate, en
1869) –, qui ont ouvert la voie aux générations de femmes médecins et
juristes.
Il est intéressant de noter que le cinéma grand public, art populaire par
excellence, a suivi une évolution contraire – et paradoxale – puisqu’il
multiplie les personnages féminins « forts », des femmes d’action. Trinity
de Matrix, Beatrix Kiddo (et les autres personnages féminins) de Kill Bill,
Wonder Woman, Rey de la dernière trilogie de Star Wars, Katniss Everdeen
de Hunger Games, Furiosa de Mad Max Fury Road, Carol Danvers de
Captain Marvel, mais aussi les personnages des dessins animés de Walt
Disney comme Mulan, Elsa de La Reine des neiges, Vaiana, Rebelle… :
toutes ces héroïnes, et bien d’autres, ne réclament pas, ne dénoncent pas, ne
se plaignent pas, mais agissent et sont présentées comme (sur)puissantes.
Cette innovation suit à l’évidence les progrès du nouvel esprit du
féminisme, insistant sur la norme de parité ; elle obéit également à
l’injonction, qu’on avait abondamment commentée au chapitre 2,
d’oblitérer toute référence à l’inégalité physique entre les hommes et les
femmes – les femmes fortes du cinéma le sont en général aussi
physiquement. Femmes-guerrières, elles excellent dans le même domaine
que leurs homologues super-héros masculins, celui du combat, souvent
singulier. On a déjà mentionné, au chapitre 2, à quel point cette
représentation irréaliste de la force physique contribuait à entretenir les
jeunes femmes dans l’illusion d’inexistence de toute contrainte biologique.
Mais ce qui est également intéressant, c’est que cette floraison des femmes
du faire, de surcroît dans le domaine guerrier, est totalement déconnectée de
la réalité du féminisme contemporain, dominé par les doléances. Œuvre
idéologique reflétant les injonctions du féminisme, le cinéma offre une
image renversée du féminisme lui-même.
Car dans la réalité, celle qui a gagné, ce n’est pas Trinity (qui sait faire et
qui fait), mais Mimi geignarde (qui se plaint et réclame de l’attention).
Imagine-t-on Trinity dénoncer le machisme de la matrice et le masculinisme
de Neo ? Car c’est ce que font – à la place de Trinity elle-même – certaines
féministes : alors même qu’il s’agit d’un personnage féminin hautement
autonome, elles trouvent que ce n’est encore pas assez et dénoncent le fait
que Trinity se trouve reléguée au rôle d’adjuvant du personnage masculin,
véritable « élu ». Un nouveau concept, « syndrome Trinity », a même été
forgé pour pointer la tendance des femmes à s’effacer devant des hommes
pourtant moins compétents. De fait, rien ne semble assez, tout peut être
vexant : même Wonder Woman – une déesse-amazone sympathique – ne
satisfait pas entièrement les féministes, car il y a malgré tout dans le film un
héros masculin qui en sait plus que l’héroïne sur le monde contemporain, ce
qui tendrait à infantiliser celle-ci.
Ces reproches émanent de femmes qui, contrairement à Trinity, ne savent
ni marcher sur les murs ni piloter un hélicoptère. Les figures du féminisme
contemporain, ces femmes que le nouvel esprit du féminisme place au plus
haut de la hiérarchie symbolique, sont – en France – des Caroline de Haas,
des Clémentine Autain, des Alice Coffin, des Fatima Benomar et des
Pauline Harmange. Que font ces femmes, dans leur vie ? Elles se
spécialisent dans le féminisme. Elles n’ont en général aucun métier ; elles
ne possèdent aucune compétence généraliste ; elles ne font rien d’autre que
militer. Toute leur action consiste à dénoncer la résistance des hommes face
à l’émancipation des femmes et à réclamer toujours plus de droits et plus de
protections pour celles-ci. Même celles qui ont une profession – souvent
liée à l’écriture, comme Virginie Despentes, ou au spectacle, à l’instar
d’Adèle Haenel et des autres héroïnes de #MeToo – sont portées au pinacle
non parce qu’elles sont bonnes actrices ou journalistes, écrivaines à l’œuvre
marquante ou sociologues émérites, mais parce qu’elles dénoncent le
machisme. Où sont les analyses notables de Sandrine Rousseau en
économie ? Elle n’est pas considérée féministe grâce à ses palmes
académiques, mais grâce à sa promotion de l’« homme déconstruit ».
Ce sont ces femmes, professionnelles de la dénonciation et de la plainte,
qui sont mises en avant et non les figures contemporaines du féminisme du
faire, qui n’ont pourtant jamais été aussi nombreuses. En effet, les femmes
sont aujourd’hui présentes dans tous les domaines professionnels,
contribuant, à tous les échelons, au progrès de la connaissance et des savoir-
faire de l’humanité. Alors que les féministes dénoncent le manque de
femmes tout en haut des hiérarchies et dans les branches techniques,
certaines femmes y exercent, avec succès, leurs talents. Impossible de les
énumérer, ni de près ni de loin. Citons-en juste quelques-unes, pour planter
le décor. Il y a six ans partait, à 40 ans, Maryam Mirzakhani,
mathématicienne médaille Fields ; Susan Trumbore et Valérie Masson-
Delmotte sont parmi les meilleurs spécialistes mondiaux du climat ; Lila
Bouadma, réanimatrice et membre du Conseil scientifique, a été en
première ligne pour gérer la crise du Covid-19 ; l’architecte Leila Araghian
a gagné, à 26 ans, l’appel d’offres pour concevoir l’immense pont Tabiat à
Téhéran, puis a dirigé le pharaonique chantier de construction qui a
mobilisé des milliers d’hommes ; Charlie Blackwell-Thompson est, en
2022, la directrice de lancement au Kennedy Space Center, dans le cadre du
programme Artemis de retour sur la Lune ; Maryline Gygax Généro dirige,
de 2017 à 2020, le service de santé des armées. Ces femmes et des milliers
de leurs sœurs, connues ou anonymes, sont les héritières de Marie Curie, de
Valentina Orlikova, de Bessy Coleman, d’Arabella Mansfield, de Florence
Nightingale et de Madeleine Brès ; elles sont pourtant très peu mises en
lumière et ne sont valorisées par les féministes qu’à la condition d’ajouter à
leur travail un discours explicitement militant.
La tension entre les doléances et le faire traverse toutes les sphères
affectées par le débat sur la place des femmes. Emmanuel Todd retrace ainsi
la « désintégration » de l’anthropologie sous l’influence de l’idéologie du
nouveau féminisme, sur l’exemple d’un débat central pour cette discipline,
qui porte sur la contribution des hommes et des femmes à l’alimentation du
groupe dans les sociétés de chasseurs-cueilleurs. Todd décrit d’abord la
controverse, authentiquement scientifique, qui a opposé, dans les années
1960 et 1970, les auteurs de l’ouvrage collectif Man the Hunter – qui
soutiennent que le rôle des femmes, spécialisées dans la cueillette, est plus
important que celui des hommes-chasseurs – et Carol Ember, une
anthropologue femme, qui défend l’idée que la contribution des hommes est
au moins supérieure. Peu importe, en l’occurrence, qui a raison ou tort ; ce
que souligne Todd, c’est qu’à cette époque « hommes et femmes
participaient […] sereinement au débat. Il est caractéristique que les
“féministes” aient été, dans le cas de l’affrontement entre chasse et
cueillette, des hommes et qu’ils aient été contredits, sur la base d’une
argumentation technique serrée, par une femme. La vraie science n’a pas de
sexe21 ». Todd décrit ensuite l’influence grandissante du concept de genre
dans la discipline et la transformation des problématiques, l’anthropologie
devenant, pour les femmes chercheuses, un terrain de lutte idéologique où il
s’agit de démontrer la nature détestable de la partie masculine de l’humanité
– entérinant ainsi, soit dit en passant, « les stéréotypes les plus éculés sur ce
qui différencie intellectuellement et émotionnellement les femmes des
hommes ». Todd conclut avec mélancolie : « Les femmes extraordinaires
qui avaient contribué à l’épanouissement de la discipline ne sont plus22. »
Se préparer à la collision
Le temps est venu pour les féministes de regarder le réel en face. On l’a
dit, il est peu probable que le changement à venir, si brutal soit-il, dépouille
l’humanité de tous les acquis de l’âge industriel, la soumettant à nouveau à
un régime de survie qui la conduirait à abandonner tout souci d’égalité entre
les hommes et les femmes. Il est bien plus raisonnable de supposer que
nous serons confrontés à un régime hybride, où certaines conditions de
l’égalité vont s’effondrer, mais d’autres perdurer. Cet entre-deux peut
prendre des formes très différentes : si l’on prend deux pays comme le
Turkménistan et le Rwanda, qui présentent des taux de mortalité infantile
assez proches (le Rwanda a même un taux de fécondité plus élevé) et se
distinguent tous deux par un niveau élevé de violence contre les femmes, on
constate que la condition féminine globale est bien meilleure dans le
second, régulièrement classé parmi les dix premiers pays en matière de
Global Gender Gap. Parmi les facteurs, une action politique volontariste
qui a permis d’améliorer l’accès des filles à l’éducation, de maintenir une
forte proportion de femmes dans l’emploi salarié qu’elles ont massivement
investi à la suite des massacres de 1994, et de réduire l’écart des salaires.
Ces conditions ne font pas du Rwanda un paradis féministe ; mais la
participation des femmes au travail à l’extérieur du foyer est un puissant
levier d’égalisation. Il y a des chances pour que le mécanisme soit similaire
au moment de la crise à venir : la participation des femmes aux activités
vitales sera déterminante pour l’évolution de leur statut, entre dégringolade
dramatique et dégradation contrôlée. La promouvoir est vital pour le
fameux empowerment des femmes dans le nouveau monde.
Certes, il est utile de se battre pour que l’État mette tout en œuvre pour
cette promotion ; mais la situation des pays très avancés sur le plan de
l’égalité des sexes, comme la Norvège, montre que ces politiques n’ont pas
beaucoup d’effet sur la distribution des carrières en l’absence d’une prise de
conscience, par les femmes elles-mêmes, de la nécessité de s’y engager. Un
féminisme conséquent doit conduire à exposer cette nécessité et à inciter les
femmes à investir les sphères d’action « masculines », non par le biais de
quotas ou d’autres formes de discrimination positive, mais au travers de
l’effort personnel, du faire. N’est-ce pas à cela qu’exhorte, à la fin d’Une
chambre à soi, Virginia Woolf lorsqu’elle dit aux étudiantes qui écoutent sa
conférence sur les femmes et le roman :
« Comment puis-je encore vous encourager à vous plonger au cœur même de la vie ? Jeunes femmes,
dirais-je volontiers, […] vous êtes à mon avis d’une honteuse ignorance. Vous n’avez jamais ébranlé
l’empire ou mené une armée à la bataille. Les pièces de Shakespeare ne furent pas écrites par vous et
vous n’avez jamais initié une race barbare aux bienfaits de la civilisation. Quelle est votre excuse ?
61
»
Mais aujourd’hui, alors que plus aucun droit ne manque aux femmes,
qu’elles sont plus nombreuses que les hommes à accéder aux études
supérieures et qu’elles gagnent très majoritairement leur vie de façon
indépendante, peut-on continuer à considérer l’appel à la responsabilité
individuelle comme du victim-blaming ?
Cet appel est inaudible à gauche, on l’a vu, car la responsabilité
individuelle est associée à l’idéologie néolibérale et plus généralement à la
famille politique de droite. L’effort et le mérite, supposés être les voiles
recouvrant la reproduction des inégalités, sont irrémédiablement rattachés à
la phraséologie réactionnaire. C’est là une configuration tragique, car elle
prive les femmes de gauche d’un soubassement idéologique légitime
susceptible de les galvaniser en vue de l’action. Rien ne serait plus précieux
que de construire, pour les temps présents, un nouveau cadre de pensée qui
exalterait l’effort et le goût de l’obstacle sans relever de « l’esprit
d’entreprise » à l’américaine, ressort des cadres dynamiques visant la
réussite financière et l’écrasement des concurrents. Peut-on mobiliser
l’imaginaire révolutionnaire, les prolétaires étant appelés, fut un temps, à se
sauver eux-mêmes et à souffler eux-mêmes leur forge ? L’URSS, pétrie de
l’idéologie méritocratique, avait perpétué cet héritage et on voyait, il y a
quelques décennies encore, dans les classes ouvrières occidentales, des
restes de cet esprit dans l’orgueil du travail bien fait et l’ambition de
s’élever intellectuellement par la lecture. Peut-on puiser dans nos racines
civilisationnelles, dans l’amour romain de la construction, dont les vestiges,
qui parsèment toutes les terres méditerranéennes, sont une éclatante trace ?
J’appelle de mes vœux une philosophie féministe qui ferait de cet esprit sa
pierre angulaire.
En pratique, les féministes doivent avant tout montrer l’exemple. Pour les
anciennes générations, dont la mienne, il est trop tard pour changer de
champ et y exceller ; mais les jeunes féministes devraient s’y employer sans
compter. Toutes les femmes ne peuvent bien entendu pas faire de la science
ni des métiers techniques, ni devenir militaires. Mais celles qui ont la fibre
militante, oui, devraient être nombreuses à s’engager dans ces sphères.
C’est à cette démarche qu’on doit encourager les femmes, c’est elle qu’on
doit valoriser. C’est vers cette idéologie du faire que doit se déplacer le
centre de gravité du féminisme, au détriment des doléances et des
dénonciations, de la judiciarisation et de l’esprit victimaire.
L’argumentaire est simple : quel que soit le rôle des préférences
naturelles – nul, faible ou important –, on n’est jamais condamné à la
nature, et préférence ne veut pas dire incapacité ; il faut forcer l’obstacle –
naturel et social – et se forcer à embrasser des carrières peut-être difficiles,
mais éminemment utiles. Les filles d’aujourd’hui devraient prendre
conscience du fait que le monde se trouve à l’orée d’un grand
bouleversement et que, si elles veulent y défendre leur place, elles doivent
agir, ici et maintenant, pour s’armer de façon adéquate. Dans ce travail,
elles seront régulièrement désavantagées par les préjugés professionnels
résiduels et les inégalités persistantes en matière de tâches domestiques ;
mais il ne faut pas attendre la fin de ces difficultés pour agir, au risque de
rater le coche. Il ne faut se laisser décourager ni par les « ambiances
sexistes », ni par le volume de travail à fournir, ni par le risque de l’effet
Matilda – cette variante aggravée de l’effet Matthieu qui désigne la
tendance à attribuer les découvertes scientifiques faites par des femmes à
leurs homologues masculins63. Le temps des réclamations et des doléances
est révolu ; l’urgence est là et, face à cette urgence, il faut accepter de se
mobiliser dans ces conditions imparfaites, dans une sorte d’économie de
guerre du féminisme. Tôt ou tard, avec la dégradation des conditions de vie,
nous serons tous et toutes ramenés au réel ; mieux vaut s’y tourner de façon
volontaire et anticipée.
Dans ce grand chamboulement, comme dans la Bible, les derniers
risquent d’être les premiers. On vient de voir que les pays inégalitaires, peu
tolérants vis-à-vis du féminisme de la réclamation, offraient au contraire –
pour peu qu’ils ne soient pas carrément bloqués au stade quasi médiéval –
un terreau fertile pour le développement du féminisme du faire, dans ses
manifestations les plus modernes, telles que l’investissement des femmes
dans les STEM. Les femmes de ces pays, placées aujourd’hui dans une
position bien moins enviable que leurs sœurs occidentales, seront
paradoxalement avantagées en cas de désastre : non seulement elles seront
moins choquées par les événements, mais leurs compétences peuvent leur
donner davantage de prise sur ceux-ci. Les femmes des pays occidentaux
partent de la position la plus haute : habituées dans les faits à l’égalité, mais
aussi persuadées que revendiquer et dénoncer – en un mot, « se battre » –
est essentiel pour préserver leurs droits, elles sont de plus particulièrement
nombreuses à n’avoir fait que des études littéraires et à n’avoir aucune
compétence utile à exhiber. Elles risquent d’être les plus démunies devant la
cruauté de l’histoire ; c’est à elles qu’il convient de s’adresser, elles qu’il
faudrait secouer.
Un biais de classe ?
Les féministes trop âgées pour se lancer dans l’étude de la physique des
particules ou dans celle du maniement des lance-roquettes, et celles qui ne
peuvent pas vaincre leur ennui devant les sciences de l’ingénieur peuvent,
on vient de le dire, participer à la réformation des consciences en théorisant
et en promouvant l’esprit de la mobilisation. Dans cette optique, une tâche
connexe les attend : construire et diffuser un nouveau récit de
l’émancipation des femmes.
Ce livre a commencé par le narratif héroïque habituellement mis en
avant : l’émancipation serait le produit des luttes féministes, un « conquis »
arraché aux hommes au terme d’un combat qui n’est toujours pas
entièrement achevé. Ce combat a ses batailles – pour le droit de vote, pour
la contraception… –, son ennemi – la culture patriarcale – et ses héros, ou
plutôt ses héroïnes : Olympe de Gouges, Flora Tristan, Emmeline
Pankhurst, Simone Veil…, celles et ceux qui ont protesté contre l’inégalité
et qui ont revendiqué de nouveaux droits. Ce récit est simple et efficace ; sa
répétition exclusive lui donne des allures d’évidence. Or, s’il n’est pas
entièrement faux, il est, on l’a vu, très partiel, oblitérant les conditions qui
rendent possible chacune des « conquêtes » – ou plutôt des avancées –
comme celles qui les rendaient impossibles avant l’heure.
Pour hâter la mutation du féminisme vers un esprit davantage centré sur
le faire, il est nécessaire d’écrire et de faire connaître – par le biais de livres,
de films, de discours, mais aussi de programmes scolaires en histoire – un
contre-récit de la libération. Les ennemis, ici, ne sont pas les hommes, le
masculinisme, le patriarcat ou l’accord au masculin, mais le dénuement
devant la nature, l’absence d’infrastructure technologique, la non-maîtrise
du cycle reproductif et la mortalité infantile. Vaincus par le progrès
technique, fruit de la révolution industrielle, ces ennemis reviendront
demain sous de nouveaux avatars : réchauffement climatique, crise
énergétique et antibiorésistance – NDM-1 et MCR-1 sont, par exemple,
deux entités particulièrement misogynes. Les batailles sont celles contre
l’eau insalubre, contre la faim, contre la variole, contre le lavage des draps à
la main, contre la diphtérie, contre la pneumonie, contre le quatrième enfant
non désiré. Les héros et les héroïnes sont ceux et celles qui ont apporté aux
femmes les bienfaits du progrès : James Watt, Angélique du Coudray,
Édouard Jenner, Marie-Louise Lachapelle, Louis Pasteur, Émile Roux et
Emil von Behring, Ignace Philippe Semmelweis, Alexandre Fleming, Fidel
Pagés Miravé, Gregory Pincus, Louis Ernesto Miramontes, Ambroise
Croizat… Les hommes et les quelques femmes qui sont à l’origine
d’inventions et de pratiques qui ont impulsé des changements aux
retombées miraculeuses pour les femmes devraient figurer au firmament du
panthéon féministe. À côté de ces bienfaiteurs, il ne faut pas oublier toute
une série de femmes du faire qui, à chaque étape, ont tiré le meilleur parti
du périmètre d’action qui leur était offert, figures iconiques qu’il faut ériger
en exemples à suivre – nous en avons dressé, plus haut, quelques portraits.
Enfin, il faut aussi mettre à l’honneur les femmes et les quelques hommes
qui ont théorisé l’égalité entre les sexes et se sont battus pour l’imposer.
Ce récit, qui diffère considérablement du premier, ne s’y oppose pas
entièrement – il ne faut pas évacuer Olympe de Gouges, pas plus que
Benjamin Constant ou Simone Veil –, mais modifie la hiérarchie des
événements et le regard sur les chaînes de relations causales. Car la vision
qu’on a de ces chaînes détermine le type d’action à privilégier aujourd’hui.
Le récit centré sur les luttes conduit logiquement à continuer de « lutter » au
présent, s’attachant avant tout à l’ordre législatif et juridique ; celui centré
sur l’infrastructure commande de se mobiliser pour sauvegarder celle-ci et
pour investir les secteurs d’activité qui sont à son fondement. Écrire et faire
connaître ce récit est essentiel pour construire le nouvel esprit du
féminisme, le féminisme de la mobilisation, capable d’armer les femmes
pour les temps difficiles qui les attendent.
La tâche sera rude – au présent, et plus encore à l’avenir. Ce n’est donc
pas un projet confortable, mais une route ardue qu’il s’agit de tracer. Loin
d’être un antiféminisme ou un postféminisme, cet esprit est un
hyperféminisme, ou un féminisme d’adultes, prenant acte des apories de
l’émancipation et du tragique de l’histoire, mais décidé à agir en
connaissance de cause, patiemment, avec le courage qu’exige toujours la
lucidité.
Conclusion :
Sauver le féminicène
Introduction
1. Emmanuel Todd, Où en sont-elles ? Une esquisse de l’histoire des femmes, Paris, Seuil, 2022,
p. 9.
2. Ted Gurr, Why Men Rebel ?, Princeton, Princeton University Press, 1970.
3. Céline Piques, Déviriliser le monde. Demain sera féministe ou ne sera pas, Paris, Rue de
l’échiquier, 2022.
4. Adélaïde Bon, Sandrine Roudaut, Sandrine Rousseau, Par-delà l’Androcène, Paris, Seuil, 2022.
5. Emmanuel Todd, Où en sont-elles ?.., op. cit., p. 22.
6. Ibid.
Chapitre 1
Chapitre 2
Chapitre 3
Chapitre 4
1. Françoise Héritier, Michelle Perrot, Sylviane Agacinski, Nicole Bacharan, La Plus Belle
Histoire des femmes, op. cit., p. 10 et 17.
2. Ce rapport, rédigé par une équipe de scientifiques du MIT sous la supervision de Dennis
Meadows, s’intitulait The Limits to Growth et fut à l’époque (mal) traduit en français par « Halte à la
croissance ? ». Pour une édition récente, avec une préface inédite de Dennis Meadows, voir Dennis
Meadows, Donella Meadows, Jorgen Randers, Les Limites à la croissance (dans un monde fini),
Paris, Rue de l’échiquier, 2022.
3. Jean-Marc Jancovici, Alain Grandjean, Le plein s’il vous plaît ! La solution au problème de
l’énergie, Paris, Seuil, 2006 ; Jean-Marc Jancovici, Changer le monde, Paris, Calmann-Lévy, 2011 ;
Jean-Marc Jancovici, Dormez tranquilles jusqu’en 2100, et autres malentendus sur le climat et
l’énergie, Paris, Odile Jacob, 2017.
4. James Lovelock, La Terre est un être vivant : L’hypothèse Gaïa, Paris, Flammarion, 2017.
5. « René Barjavel et la molécule d’amour », dossier de René Barjavel, La Tempête, Paris,
Tallandier, Cercle du nouveau livre, 1982, propos recueillis par Anne Lavaud, p. 17-18.
6. Christophe Bonneuil, Jean-Baptiste Fressoz, L’Événement anthropocène…, op. cit., p. 35.
7. Ibid., p. 38.
8. https://www.dailymail.co.uk/news/article-541748/Were-doomed-40-years-global-catastrophe--
theres-NOTHING-says-climate-change-expert.html (consulté le 30 avril 2022).
9. Voir par exemple Guy McPherson, « Rapid Loss of Habitat for Homo sapiens », Academia
Letters, avril 2021.
10. Pablo Servigne, Raphaël Stevens, Comment tout peut s’effondrer. Petit manuel de
collapsologie à l’usage des générations présentes, Paris, Seuil, 2015.
11. https://www.lemonde.fr/planete/article/2012/05/25/la-croissance-mondiale-va-s-
arreter_1707352_3244.html (consulté le 2 mai 2022).
12. https://reporterre.net/John-Kerry-Negocier-l-american-way-of-life-C-est-une-fausse-question
(consulté le 15 juillet 2022).
13. https://polomarcus.github.io/television-news-analyser/website/ (consulté le 3 juin 2022).
14. https://www.arretsurimages.net/articles/a-la-tele-le-rapport-du-giec-vaincu-par-le-gel (consulté
le 3 juin 2022).
15. Christophe Bonneuil, Jean-Baptiste Fressoz, L’Événement anthropocène…, op. cit., p. 94.
16. Lewis Mumford, Technique et civilisation, Marseille, Éditions Parenthèses, 2016 (1934).
17. Christophe Bonneuil, Jean-Baptiste Fressoz, L’Événement anthropocène…, op. cit., p. 223.
18. Ibid., p. 172.
19. Ibid., p. 221.
20. Luc Semal, Face à l’effondrement. Militer à l’ombre des catastrophes, Paris, PUF, 2019.
21. Harald Welzer, Les Guerres du climat, Paris, Folio, 2012.
22. Yves Cochet, Devant l’effondrement, Paris, Les liens qui libèrent, 2019.
23. Bertrand Vidal, Survivalisme, êtes-vous prêts pour la fin du monde ?, Paris, Arkhê, 2018 ;
Henri-Pierre Jeudy, Le Désir de catastrophe, Paris, Aubier, 1990.
24. https://jancovici.com/recension-de-lectures/societes/rapport-du-club-de-rome-the-limits-of-
growth-1972/ (consulté le 19 mai 2022).
25. François Gemenne, Aleksandar Rankovic, Atlas de l’Anthropocène, op. cit.
26. Dennis Meadows, Donella Meadows, Jorgen Randers, Les Limites à la croissance (dans un
monde fini). Le rapport Meadows, 30 ans après, Paris, Rue de l’échiquier, 2012, p. 440.
27. Christophe Bonneuil, Jean-Baptiste Fressoz, L’Événement anthropocène…, op. cit., p. 56-57,
citant Dipesh Chakrabarty, « The climate of history : Four theses », Critical Inquiry, vol. 35, no 2,
2009, p. 197-222.
28. Harald Welzer, Les Guerres du climat, op. cit.
29. Bruno Tertrais, Les Guerres du climat. Contre-enquête sur un mythe moderne, Paris, CNRS
Éditions, 2016 – un pamphlet de 46 pages.
30. François Gemenne, Aleksandar Rankovic, Atlas de l’Anthropocène, op. cit., p. 58.
31. « Les progrès vers la réalisation des Objectifs de développement durable (ODD) : la situation
sur le genre en 2022 », https://www.unwomen.org/sites/default/files/2022-09/Progress-on-the-
sustainable-development-goals-the-gender-snapshot-2022-en_0.pdf (consulté le 11 septembre 2022).
32. François Gemenne, « The Anthropocene and its victims », dans C. Hamilton, F. Gemenne et
C. Bonneuil (dir.), The Anthropocene and the Global Environmental Crisis : Rethinking Modernity in
a new Epoch, Londres, Routledge, 2015.
33. André Grimaldi, « L’explosion épidémique des maladies chroniques », dans La Santé et la
Médecine, nouveaux traitements et enjeux éthiques et géopolitiques, Le Monde hors-série 2017,
p. 56-57.
34. https://ipbes.net/sites/default/files/2020-
11/20201029 %20Media %20Release %20IPBES %20Pandemics %20Workshop %20Report %20FR
_Final_0.pdf (consulté le 17 juin 2022).
35. Marie-Monique Robin, La Fabrique des pandémies, Paris, La Découverte, 2021.
36. Communiqué de presse de l’OMS, 30 avril 2014.
37. Les mêmes mécanisme s’appliquent au développement des résistances aux antifongiques chez
les champignons, responsables de graves infections nosocomiales, du fait notamment de la large
utilisation de ces produits dans l’industrie des fleurs.
38. Antoine Andremont, « Antiobiotiques et antibiorésistance, un avatar singulier de l’histoire
planétaire », dossier « L’antibiorésistance, un problème en quête de publics » coordonné par Jocelyne
Arquembourg, dans Questions de communication, no 29, 2016, p. 15-27.
39. Ibid.
40. Jim O’Neill, « Antimicrobial resistance : tackling a crisis for the health and wealth of
nations », Review on Antimicrobial Resistance, Londres, 2014 ; « Tackling drug-resistant infections
globally : final report and recommendations », Review on Antimicrobial Resistance, Londres, 2016.
41. Antimicrobial Resistance Collaborators, « Global burden of bacterial antimicrobial resistance
in 204 countries and territories in 2019 : an analysis for the Global Burden of Disease Study », The
Lancet, 19 janvier 2022.
42. https://www.euro.who.int/fr/health-topics/disease-prevention/antimicrobial-
resistance/news/news/2020/11/preventing-the-covid-19-pandemic-from-causing-an-antibiotic-
resistance-catastrophe (consulté le 9 juin 2022).
43. https://english.elpais.com/usa/2021-11-22/the-next-pandemic-how-covid-19-has-accelerated-
the-emergence-of-super-bacteria.html (consulté le 9 juin 2022).
44. Ibid.
45. « Le manque de nouveaux antibiotiques met en péril les efforts mondiaux visant à lutter contre
les infections résistantes », communiqué de l’OMS, 17 janvier 2020.
46. « René Barjavel, la mémoire et l’anticipation », dossier de René Barjavel, La Charrette bleue,
Paris, Tallandier, Cercle du nouveau livre, 1980, propos recueillis par Jérôme Le Thor, p. 23.
Chapitre 5
1. Voir Nancy Fraser, Fortunes of feminism : from state-managed capitalism to neoliberal crisis,
Brooklyn, New York, Verso Books, 2013 ; Cinzia Arruzza, Tithi Bhattacharya, Nancy Fraser,
Féminisme pour les 99 %. Un manifeste, Paris, La Découverte, 2019.
2. Voir Fatiha Agag-Boudjahlat, Le Grand Détournement, Paris, Les Éditions du Cerf, 2017.
3. Jacques Le Goff, Faut-il vraiment découper l’histoire en tranches ?, Paris, Seuil, 2014.
4. On se réfère ici, bien sûr, aux catégories wébériennes (Max Weber, L’Éthique protestante et
l’esprit du capitalisme, Paris, Plon, 1964 (1905)), mais aussi à leur utilisation plus récente (Luc
Boltanski, Ève Chiapello, Le Nouvel Esprit du capitalisme, Paris, Gallimard, 1999).
5. Caroline Schultze, La Femme médecin au xixe siècle, Paris, Librairie Ollier-Henry, 1888, p. 9.
6. Léa Salamé, Femmes puissantes et Femmes puissantes saison 2, Paris, Les Arènes/France Inter,
2020 et 2021.
7. Caroline Schultze, La Femme médecin…, op. cit., p. 19.
8. Virginia Woolf, Une chambre à soi, Paris, Denoël, 1992, p. 95-96.
9. George Sand, « Aux membres du Comité central », Correspondance, tome VIII, Georges
Lubin, 2018 (1848).
10. Natalie Pigeard-Micault, Les Femmes du laboratoire de Marie Curie, Paris, Glyphe, 2013.
11. Jacques Bréal, Jessie Coleman, l’ange noir, Paris, Michalon, 2008.
12. Michèle Riot-Sarcey, Histoire du féminisme, op. cit., p. 81.
13. Ibid., p. 86-87.
14. Emmanuel Todd, Où en sont-elles ?.., op. cit., p. 198.
15. Laure Bereni, La Bataille de la parité. Mobilisations pour la féminisation du pouvoir, Paris,
Économica, 2015.
16. Olympe Audouard, Guerre aux hommes, Paris, Payot, 2022 (1866).
17. Emmanuel Todd, Où en sont-elles ?.., op. cit., p. 24.
18. Betty Friedan, The Feminine Mystique, New York, W. W. Norton, 1963.
19. Virginia Woolf, Une chambre à soi, op. cit., p. 85.
20. Ibid., p. 104 et 109.
21. Emmanuel Todd, Où en sont-elles ?.., op. cit., p. 69.
22. Ibid., p. 78.
23. Annie Le Brun, Vagit-prop, Lâchez tout et autres textes, Paris, Ramsay, 1990 (textes parus
entre 1977 et 1987).
24. Camille Paglia, Sexual Personae. Art and decadence from Nefertiti to Emily Dickinson, Yale
University Press, 1990.
25. Katie Roiphe, The Morning After : Sex, Fear and Feminism, Boston, Back Bay Books, 1994.
26. Christina Hoff Sommers, Who stole Feminism ? How Women Have Betrayed Women, New
York, Simon and Schuster, 1994.
27. Naomi Wolf, Fire With Fire : The New Female Power and How It Will Change the 21st
Century, New York, Random House, 1993.
28. Laure Bereni, « Peut-on faire une sociologie féministe du féminisme ? De la division sexuelle
du travail à l’espace de la cause des femmes », dans Margaret Maruani (dir.), Je travaille, donc je
suis. Perspectives féministes, Paris, La Découverte, 2018, p. 255-265.
29. Emmanuel Todd, Où en sont-elles ?.., op. cit., p. 31.
30. Rebecca Stringer, Knowing Victims : Feminism, Agency and Victim Politics in Neoliberal
Times, Londres, Routledge, 2014.
31. Jean-Claude Michéa, L’Empire du moindre mal. Essai sur la civilisation libérale, Paris,
Flammarion, 2007.
32. Évangile selon Matthieu, chapitre 7.
33. Dimanche 4 septembre 2022, « Grand jury RTL ».
34. Marie Loison, Gwenaëlle Perrier, Camille Noûs, « Le langage inclusif est politique : une
spécificité française ? », Cahiers du genre, no 69, 2020/2, p. 5-29.
35. Emmanuel Todd, Où en sont-elles ?.., op. cit., p. 252.
36. Voir par exemple Aysem Mert, « Democracy in the Anthropocene », dans Agni Kalfagianni,
Doris Fuchs, Anders Hayden (dir.), Routledge Handbook of Global Sustainability Governance,
Londres, Routledge, 2020, p. 282-295 ; Delf Rothe, « Governing the End Times ? Planet Politics and
the Secular Eschatology of the Anthropocene », Millenium, Journal of International Studies, 1-22,
2019.
e
37. Michelle Perrot, « Abolir la domination masculine, voilà le défi du xxi siècle », L’Atlas des
femmes, de la préhistoire à #MeToo, Le Monde hors-série, 2021, p. 11.
38. Voir également les publications du Shift Project, notamment le rapport Former l’ingénieur du
e
xxi siècle : https://theshiftproject.org/article/publication-rapport-former-lingenieur-du-21esiecle.
Conclusion
Page 118 : Will Steffen et al., Global Change and the Earth System: A
Planet Under Pressure, Springer, 2005, cité par Christophe Bonneuil et
Jean-Baptiste Fressoz dans L’Événement anthropocène. La Terre, l’histoire
et nous, Paris, Seuil, « Points », 2016 p. 24-25.
Page 141 : Gilles Pison, « France 2004 : l’espérance de vie franchit le seuil
de 80 ans », dans Population et Sociétés (bulletin mensuel d’information de
l’INED), no 410, mars 2005, p. 2.