Vous êtes sur la page 1sur 3

De l’archétype de la sorcière à la condition féminine de l’extrême

contemporain
From the Archetype of the Witch to Feminine Condition in Contemporary Society
Author(s): Teodora Cernău
Subject(s): Language and Literature Studies, Book-Review
Published by: Editura Universitatii din Oradea

Summary/Abstract: Mona Chollet. 2018. Sorcières. La puissance invaincue des femmes. Paris: Éditions Zones.

Journal: Confluenţe. Texts and Contexts Reloaded

• Issue Year: I/2021


• Issue No: 1
• Page Range: 135-137
• Page Count: 3
• Language: French

Back to list

De l’archétype de la sorcière à la condition féminine de l’extrême


contemporain
Mona Chollet. 2018. Sorcières. La puissance invaincue des femmes. Paris: Éditions
Zones.
Journaliste et essayiste suisse, Mona Chollet a rédigé des ouvrages qui portent sur la
condition féminine, le féminisme, les médias et l’imaginaire contemporain. Dans
l’ouvrage Sorcières. La puissance invaincue des femmes, l’autrice nous offre un point de
vue personnel sur la figure de la sorcière à travers les âges. En voyageant dans le temps,
en décortiquant les systèmes de pensée, elle nous montre comment l’imagerie de la
sorcière imprègne encore notre société. Cette synthèse fascinante de la figure de la
sorcière propose une perspective argumentée, détaillée et constructive sur les archétypes
féminins, qui ont infiltré l’inconscient collectif, sabotant les options existentielles des
femmes.
Bien ancré dans le présent, cet ouvrage sociologique traite du féminisme et du
statut de la femme à travers les siècles. L’étude a entamé de nouvelles pistes de réflexion
sur la notion même de sorcière qui n’était au fond qu’une invention des hommes afin de
conserver leur pouvoir. Dans l’introduction, l’autrice nous montre que la chasse aux
sorcières est loin d’être un événement perdu dans les limbes de l’histoire, de la
superstition et de l’obscurantisme. Bien qu’enveloppé de romantisme ou légèreté par les
sorcières de la culture populaire, le phénomène a profondément marqué nos imaginaires
et la façon dont nous considérons la femme, ses désirs et son rôle supposé dans la société.
À la place de l’image repoussoir héritée des procès et des bûchers de la
Renaissance, Mona Chollet veut proposer une représentation différente de la sorcière, qui
serait investie des puissances positives. Dans la riche introduction (41 pages), on retrouve
des références littéraires et historiques qui nous font découvrir l’histoire niée ou
déréalisée qui a façonné notre monde. Par le slogan féministe des années 1970 «
Tremblez, tremblez, les sorcières sont revenues ! » (Tremate, tremate, le streghe son
tornate !), les héritières revendiquent la puissance terrifiante prêtée à leurs ancêtres par
les juges. Ensuite, la sorcière est un concept devenu rentable comme une marque qui
risque d’être dépourvue de son sens magique. D’ailleurs, au cœur de l’ouvrage de Mona
Chollet se trouve l’idée « d’explorer la postérité des sorcières. »
L’ouvrage est structuré en quatre chapitres qui explorent plusieurs hypostases des
héritières de ces femmes qui furent accusées de sorcellerie : la femme indépendante, la
femme sans enfants ou la femme âgée. Dans son premier chapitre, « Une vie à soi. Le
fléau de l'indépendance féminine », Mona Chollet s’intéresse aux rôles de la féminité
traditionnelle dont on nous fait une « propagande insistante ». Cela « nous affaiblit et
nous appauvrit » (p. 56). À partir de la série des portraits de femmes autonomes,
l’essayiste dresse la figure de l’aventurière qui tend vers la liberté et l’indépendance.
Émancipées des schémas habituels, ces femmes n’auront pas pourtant la chance
d’échapper de la perspective patriarcale qui les considère incomplètes et soumises à la
misère de la solitude. Le modèle interdit de l’aventurière qui fait le choix du célibat est
mis en relation avec le portrait de la femme qui suit les coutumes et les exigences
reproductrices de la société. En tenant des rôles sociaux inférieurs, la femme
traditionnelle est vue déchirée entre la maternité et le travail. Ce réflexe de servir et de se
sacrifier rend impossible la chance de réussite de la femme de nos jours. Lorsque
l’épanouissement personnel féminin passe par la maternité qui « flatte notre bonne
conscience et notre narcissisme collectif », ce choix devient un « boulet au pied » (p. 82).
Nourri de nombreuses références culturelles, le deuxième chapitre intitulé « Le
désir de la stérilité. Pas d'enfant, une possibilité » décrit la façon dont certaines femmes
se sont éduquées pour croire en leur force, tout en refusant la procréation. Mona Chollet
énumère des écrivaines telles que Simone de Beauvoir ou Virginia Woolf qui ont opté pour
leur carrière au dépit du rôle de mère. Dans cette enquête fascinante, l’auteur analyse les
raisons, qui ont pu motiver certaines femmes à résister à ce que le monde patriarcal leur
imposa : devenir mères. Selon l’essayiste, il y a trois catégories de femmes : celle qui veut
devenir mère, celle qui veut devenir tante, et celle qui devrait se tenir à distance de tout
enfant.
Tout en revenant à l’époque de la Renaissance, l’image de la sorcière est mise en
relation avec la figure de la guérisseuse qui était accusée d’empêcher ou interrompre des
grossesses et de faire mourir des enfants. Ainsi la contraception, l’avortement et
l’infanticide deviennent-ils des notions épineuses revendiquées par les grands thèmes
féministes. La fin du chapitre dévoile le secret ou la transgression la plus grave qu’une
femme puisse faire : regretter d’avoir eu des enfants.
Le troisième chapitre, «L’ivresse des cimes. Briser l'image de la ‘vieille peau’», est
le plus équilibré. L’auteur traite du thème de la vieillesse, tout en explorant les
caractéristiques de la désirabilité et de l’attractivité des femmes plus âgées. Considérées
indésirables par leur aspect et dangereuses par leur expérience, les vieilles femmes ont
été les victimes de prédilection des chasses aux sorcières. Le culte de la jeunesse paru dans
les dernières décennies ne fait qu’abîmer l’image du vieillissement féminin. Le poids de
dissimuler les traits de la péremption est mis seulement sur la femme, car « les hommes
ne vieillissent pas mieux que les femmes, ils ont seulement l’autorisation de vieillir » (p.
165). Ces représentations continuent à nourrir notre imaginaire et à perpétuer ce tabou
social.
Dans le dernier chapitre «Mettre ce monde cul par-dessus tête. Guerre à la nature,
guerre aux femmes », Mona Chollet dresse un bilan méthodique de la condition féminine
contemporaine. Elle nous invite à une lecture féministe de l’histoire par l’intermédiaire
de la métaphore de la sorcière. Les chasses aux sorcières deviennent des symptômes d’un
bouleversement plus profond de la société et du rôle de la femme dans son sein. L’univers
de la femme proche de la nature a été remplacé par le monde nouveau des hommes : « La
sorcière, symbole de la violence de la nature, déchaînait des orages, causait des maladies,
détruisait les récoltes, empêchait la génération et tuait les jeunes enfants. La femme qui
causait du désordre, comme la nature chaotique, devait être placée sous contrôle. » (p.
191). L’essayiste explore ainsi les liens entre la rationalité, la domination de la nature et
celle des femmes.
Si le cheminement proposé par Mona Chollet est percutant, on trouve parfois que
son argumentation finit par se contredire et perd sa force. Pourtant, la documentation et
le travail de recherche de la journaliste nous offrent de nouvelles pistes de réflexion et
affinent notre regard sur le monde et sur la place des femmes. L’héritage que les sorcières
nous lèguent de nos jours nous aide à lever les stéréotypes féminins et les rôles
socialement assignés.

Vous aimerez peut-être aussi