Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
El-Hassane KATIR
Docteur en droit public en fiscalité
Enseignant-vacataire à la Faculté de Droit de Souissi, Rabat
(1) Mathieu Bertrand, « La sécurité juridique : un principe constitutionnel clandestin mais efficient », Droit constitutionnel :
mélanges Patrice Gelard, Paris, Montchrestien, 1999.
(2) Sylvia Brunet, « La conception originelle de la sécurité juridique : l’Allemagne », in Titre VII : la Sécurité juridique,
2020/2, n° 5, p. 79 à 90.
(3) https://www.doctrine.fr
(4) Rania Trimeche, « La protection du contribuable de bonne foi », Master de recherches en droit des affaires, Faculté
des Sciences juridiques, politiques et sociales de Tunis, 2008.
expression trop vague recouvrant une diversité de principes, et parfois même un simple
idéal qu’on cherche à atteindre ou encore un mythe qu’on ne pourra jamais atteindre.
D’ailleurs, le dictionnaire du vocabulaire juridique définit la sécurité juridique comme
étant un « idéal vers lequel le droit doit tendre en édictant des règles cohérentes, relativement
stables et accessibles pour permettre aux individus d’établir des prévisions (5) ».
Pour Elsa Bernard, « la sécurité juridique est un principe trop large (…) trop incertain,
il ne suffit pas à lui-même, puisqu’il ne constitue que la simple reconnaissance d’un idéal
de sécurité juridique, sans déboucher sur des règles concrètement applicables (6) ».
De sa part, Sylvia Calmes avance que, la sécurité juridique « constitue une notion
polysémique, et les auteurs s’accordent pour admettre que les tentatives de définition se
heurtent à de sérieuses difficultés. Il parait donc malaisé de concevoir la notion en soi, de
manière générique ou abstraite (7) ».
En France, le Conseil constitutionnel refuse de consacrer le principe de sécurité
juridique pour ne reconnaître que ses manifestations ponctuelles. Seul le Conseil d’État,
à l’instar de la Cour de justice de l’Union européenne, érige expressément la sécurité
juridique en principe général du droit (8).
En Effet, au niveau de l’espace européen, la sécurité juridique a été érigée en « principe
général du droit communautaire visant à protéger les ressortissants des États-membres
de tout préjudice lié à une absence de lisibilité des actes communautaires dont ils sont
destinataires (9) ».
En droit fiscal, ce terme est souvent utilisé pour exprimer le sentiment éprouvé par le
contribuable de l’existence d’un danger touchant ou pouvant toucher ses droits découlant
d’une législation fiscale mouvante.
Aussi, d’un point de vue théorique, et à l’instar des principes de justice et d’égalité, la
sécurité juridique constitue une finalité et un impératif qui « semble se confondre avec la
notion de droit elle-même (10) ».
Pour d’autres, la sécurité juridique constitue « l’essence même de l’État de droit (11) »,
et l’unanimité a été acquise sur le fait qu’elle a toujours été considérée, sur le plan
historique, comme une valeur fondamentale.
Ainsi, pour Paul Roubier, la « sécurité est la première valeur sociale à atteindre. (…)
Elle est la valeur la plus essentielle pour l’harmonie des rapports humains. L’exigence
(5) Rémy Cabrillac (s. dir.), Dictionnaire du vocabulaire juridique, Litec/LexisNexis, 2008, p. 370.
(6) Elsa Bernard, La Spécificité du standard juridique en droit communautaire, Bruylantt, Bruxelles, 2010, p. 270 et s.
(7) Sylvia Calmes, Du principe de protection de la confiance légitime en droit communautaire et français, Dalloz,
coll. Nouvelle bibliothèque de thèses, Paris, 2001, p. 156.
(8) CE, Ass., 24 mars 2006, n° 288460, 288465, 288474 et 288485, KPMG.
(9) Rémy Cabrillac (s. dir.), op. cit., p. 370.
(10) Sylvia Calmes, op. cit., p. 156.
(11) Anne-Laure Valembois, La Constitutionnalisation de l’exigence de sécurité juridique en droit français, LGDJ,
Paris 2005, p. 29.
de sécurité naît de la même nécessité profonde que l’idée de loi de la nature : c’est le
besoin de constituer en un ordre le désordre des données dispersées, de pouvoir prévoir et
dominer la réalité » (12).
D’un point de vue de la technique juridique, la sécurité renvoie à un contenu précis
des la norme juridique. Il s’agit alors des modes d’expression et de réalisation du droit qui
forme la sécurité juridique proprement dite (13). L’un des modes d’expression du droit est
la stabilité de la norme légale dans le temps.
Pour synthétiser, la sécurité juridique peut être déclinée en deux dimensions (14).
Une dimension objective qui suppose que la norme juridique doive être intelligible
et accessible par les citoyens ce qui suppose une certaine stabilité normative, et une
dimension subjective qui exige qu’une confiance légitime qui doit s’instaurer entre les
autorités normatives et leurs administrés qui méritent une protection en cas de changement
brutal de la norme.
Il en résulte que, la sécurité juridique consiste principalement en la non-rétroactivité
des actes administratifs et en l’intangibilité des actes créateurs de droits. Il s’épuise dans
l’idée de stabilité des situations juridiques et de l’environnement juridique sûr, à l’abri des
revirements impromptus affectant la norme de droit. Autrement dit, la sécurité juridique
« est presque la raison d’être du droit lui-même (15) ».
Aussi, on peut dire que la sécurité juridique constitue une parade contre les
changements imprévisibles et radicaux du droit faisant de la sorte un obstacle aux
changements rétroactifs de la règle de droit.
Sur un plan subjectif, la sécurité juridique, loin d’être considérée comme un idéal,
est plutôt l’expression d’un besoin exprimé par le citoyen, et un gage de paix sociale
et progrès économique. Vu donc sous cet angle, la sécurité juridique ne peut avoir de
corollaire que la stabilité de la règle de droit.
(12) Paul Roubier, Théorie générale du droit, Paris, Editions Sirey, 1951, p. 323-333.
(13) Thomas Piazzon, La Sécurité juridique, Paris, Editions Defrénois, 2009, p. 12, coll. Doctorat & Notariat.
(14) Dominique Soulas de Roussel et Philippe Raimbault, « Nature et racines du principe de sécurité juridique : une
mise au point », RIDC, mars 2003, n° 1, p. 85.
(15) Michel Fromont, « Le principe de sécurité juridique », AJDA, Droit communautaire et droit administratif,
n° spécial, 20 juin 1996, p. 178.
(16) En France, le principe de clarté de la loi découle de l’article 34 de la Constitution. Ce principe se distingue du
principe de l’objectif de valeur constitutionnelle d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi fondé sur les articles 4, 5,
6 et 16 de la Déclaration de 1789.
Vu sous cet angle, la stabilité juridique est entendue comme l’exigence de garantir la
stabilité des situations juridiques dans le temps. Cette exigence, implique que la norme
juridique doit être aussi permanente que possible et demeurer suffisamment stable pour
que l’on puisse s’y référer pour le bien de la société.
Transposé au niveau du droit fiscal, ce principe de sécurité juridique apparaît quelque
peu paradoxal si ce n’est précisément pour dénoncer son absence (17). En effet, partant du
fait que le droit est censé suivre l’évolution de la société, il doit donc être forcément sujet
à mutations fréquentes.
Autrement dit, il y a un temps pour le droit en ce sens que les règles de droit qui sont
posées par l’homme pour le présent et l’avenir, en fonction de situations passées, changent
ou se transforment et parfois même abolies et abrogées.
Plus précisément, en matière fiscale, la difficulté est de faire cohabiter deux enjeux
difficiles à unir : la stabilité et la mutabilité. C’est pourquoi, il est parfois difficile d’exiger
la sécurité de la norme fiscale complexe par nature et de la concilier en même temps
avec la nécessaire évolution des textes fiscaux qui doivent s’adapter à la mutation de
l’environnement économique et social.
En effet, réputé pour sa technicité et sa complexité, le droit fiscal explique, en partie,
son instabilité rendant la norme fiscale peu sécurisante. C’est ce que le rapport Fouquet a
parfaitement mis en évidence en annonçant que « l’instabilité et la complexité de la norme
fiscale sont les premières causes d’insécurité juridique (18) ».
D’autres invoquent les circonstances d’élaboration de la norme fiscale qui sont
votées dans un temps limité encadré par la loi organique des lois de finances (19), et qui
constituent un facteur non négligeable contribuant à l’insécurité de cette norme.
Cependant, et comme le confirme René Demogue, « rien n’est plus contraire au respect
et à l’idée même de droit, que l’instabilité législative et juridique. Le droit est la charpente
solide des sociétés humaines, il ne faut y introduire des modifications qu’à bon escient,
après des études approfondies et beaucoup de réflexion (20) ».
(17) Ariane Périn-Dureau, « Le principe de sécurité juridique et le droit fiscal », Conseil constitutionnel , Titre VII,
2020/2, n° 5, p. 52 à 60.
(18) Rapport Fouquet, Améliorer la sécurité juridique des relations entre l’administration fiscale et les contribuables :
une nouvelle approche, 2008, cité par Michel Bouvier, op. cit., p. VII.
(19) Dahir n° 1-15-62 du 2 juin 2015 portant promulgation de la loi organique n° 130-13 relative à la loi de finances
qui dispose dans son article 49 que : « La Chambre des représentants se prononce sur le projet de loi de finances de
l’année dans un délai de trente (30) jours suivant la date de son dépôt ». De même « La Chambre des conseillers
se prononce sur le projet dans un délai de vingt deux (22) jours suivant sa saisine ». Enfin, « La Chambre des
représentants examine les amendements votés par la Chambre des conseillers et adopte en dernier ressort le projet de
loi de finances dans un délai n’excédant pas six (6) jours ».
(20) René Demogue, Les Notions fondamentales de droit privé, essai critique, Paris, 1911. Disponible sur le site de la
Bibliothèque Nationale de France. http://gallica.bnf.fr
Pour Thomas Piazzon, la sécurité juridique peut être définie comme « le droit pour
un individu d’être fixé sur le contenu des dispositions qui lui sont applicables (21) »
et d’ajouter en guise d’explication, toujours selon l’auteur, que le doit ne doit pas être
incohérent, instable et secret (22).
Enfin, pour le Conseil d’Etat français, « le principe de la sécurité juridique implique
que les citoyens soient, sans que cela appelle de leur par des efforts insurmontables, en
mesure de déterminer ce qui est permis et ce qui est défendu par la le droit applicable. Pour
parvenir à ce résultat, les normes édictées doivent être claires et intelligibles, et ne pas être
soumises, dans le temps, à des variations trop fréquentes, ni surtout imprévisibles (23) ».
Il en découle de tout ce qui précède que la stabilité de la norme juridique dans le temps
est d’une importance capitale et détermine largement l’amélioration de l’environnement
économique et social d’un pays. Rien d’étonnant non plus de remarquer que cette exigence
de stabilité de la norme juridique a toujours été une préoccupation sociétale du fait que
le principe de non rétroactivité de la loi qui se retrouve dans toutes les Constitutions,
constitue l’une des sources majeures de stabilité des situations juridiques qui relie
d’ailleurs la notion du temps à celle du droit.
C’est la raison pour laquelle le législateur doit donc assurer à la fois la sécurité
des relations sociales, permettre aux individus de se fier à la loi pour les situations qui
s’échelonneront dans le futur, mais il doit aussi pouvoir modifier les règles applicables
lorsqu’il pensera qu’une meilleure justice ou un progrès économique ou sociale le
requière (24).
Il en résulté que la nouvelle norme juridique qui vient remplacer l’ancienne doit
trouver sa raison d’être dans le fait qu’elle constitue un progrès, un pas en avant dans la
réalisation d’une plus grande justice sociale. Et c’est pour cette raison que l’instabilité
du droit ne concerne le changement en tant que tel de la règle de droit, mais concerne le
changement récurrent qui devient source d’insécurité juridique.
mettant les contribuables dans l’incapacité de bâtir leur futur personnel ou celui de leur
entreprise (26) ».
En effet, la stabilité des règles fiscales permettent aux contribuables « d’évoluer
dans un environnement juridique à l’abri des aléas et de revirements affectant les règles
énoncées (27) ».
Pour Jean Carbonnier, le sentiment d’insécurité juridique constitue une angoisse
contemporaine qui se transforme en une sorte d’inquiétude et d’anxiété juridique. En
effet, dans ces circonstances, « le droit suscite l’angoisse alors qu’on espérait de lui la
tranquillité » (28).
En effet, la sécurité juridique suppose « la conciliation (29) » entre l’exigence
d’une modification maîtrisée de la norme juridique rendu nécessaire par la mutation de
l’ordre social et l’impératif de stabilité de l’ordre juridique gage de la paix sociale et du
développement économique.
Cela est d’autant plus vrai en matière fiscale lorsque le destinataire de la norme fiscale
est « une entreprise qui mène une politique sociale, qui doit générer des profits (30) ».
En matière fiscale, on sait que parmi les domaines frappés par l’insécurité juridique,
le droit fiscal arrive en premier plan. De ce fait, le droit fiscal et la sécurité juridique
paraissent entretenir des rapports passionnels, étant donné la masse de modifications
introduites chaque année à l’occasion du vote de la loi de finances.
Cependant, les changements répétitifs de la norme fiscale sont de nature à créer un
malaise pour les chefs d’entreprises et pourra engendrer une fuite des investisseurs aussi
bien nationaux qu’étrangers.
En effet, l’un des critères sur lesquels se base le processus de prise de décision en
matière d’investissement est bien l’existence d’un cadre légal suffisamment solide, fiable
et pérenne capable de calculer les risques inhérents à l’opération d’investissement et
offrant à l’opérateur économique une visibilité suffisante dans le temps.
Aussi, le besoin de stabilité fiscale pour l’entreprise n’est plus à démontrer pour
des raisons aussi bien économiques, sociales et financières. Sur ce point, la doctrine est
unanime pour conclure que les attentes des entreprises se sont amplifiées sous l’effet des
imperfections du processus d’élaboration de la norme juridique (31). De plus, un système
(26) Idid., p. V.
(27) Jean-Claude Bouchard, « Chronique », in Revue de droit fiscal, n° 20, 18 mai 2007.
(28) Jean Carbonnier, cité par Gérard Mameteau, in Apprendre à douter : questions de droit, questions sur le droit,
Études offertes à Claude Lombois, Jean-Pierre Marguenaud (s. dir.), Presse Universitaires de Limoges, 2004, p. 365.
(29) Jean-Marc Sauve, « L’entreprise et la sécurité juridique », Intervention au Colloque organisé par la Société de
législation comparée au Conseil d’Etat Français le 21 novembre 2014. http://www.conseil-etat.fr/Actualites/Discours-
Intervenbtions/L-entreprises-et-la-securite-juridique.
(30) Mounir Neggaoui et Abdelilah Adyater, « La sécurité juridique en droit fiscal : lecture comparative », in
Al Manara, mai 2020. http://revuealmanara.com.
(31) Hafid Ait Elhaj et Amine Zenjari, « L’impact de la fiscalité sur la décision d’investissement : le cas du Maroc », in
Revue marocaine de contrôle de gestion, n° 4, 2012, p. 401.
fiscal attractif d’investissement n’est pas forcément celui qui multiplie les dépenses
fiscales, mais « un système intéressant de près à la sécurité des investisseurs (32) ».
Il en résulte que l’instabilité de la norme fiscale est de nature à perturber les business
plan des investisseurs et compromettre la continuité des droits acquis surtout en cas de
changement brusque de la législation.
L’effet de surprise est donc toit à fait déconseillé en matière fiscale et il est tout à fait
légitime de donner assez de temps aux opérateurs économiques pour pouvoir anticiper les
coûts et les avantages pouvant découler d’un changement de législation fiscale.
Cette préoccupation de stabilité juridique est d’ailleurs ancrée dans l’histoire puisque
Jean-Etienne-Marie Portalis préconisait déjà depuis 1801 que « le législateur ne doit
pas frapper sans avertir : s’il en était autrement, la loi, contre son objet essentiel, ne se
proposerait donc pas à rendre les hommes meilleurs, mais seulement de les rendre plus
malheureux ; ce serait contraire à l’essence même des choses (33) ».
Aussi, les bouleversements des statuts juridiques causés par une modification de la
législation, si elle est vraiment nécessaire, doivent être sinon anticipés et prévisibles
du moins différés dans le temps par l’adoption de mesures transitoires afin de donner
suffisamment de recul aux personnes concernées pour s’adapter à la nouvelle modification
législative.
En effet, en matière fiscale, la prévisibilité permet au contribuable de se projeter dans
le futur et de faire ses prévisions en connaissance de cause. D’aucuns pensent que le droit
« est avant tout un instrument de sécurité et par là de liberté. Ce n’est que si il peut prévoir
les conséquences qui s’attachent à ces actes que l’homme pourra décider sciemment
d’entreprendre une activité, qu’il pourra organiser son travail, fonder sa famille, qu’il
espérera conserver ce qu’il acquiert… (34) ».
Normalement, les relations être l’administration fiscale et les contribuables doivent être
imprégnées par la confiance qui doit être elle-même garantie sur des bases de droit selon
un principe de protection juridique de la confiance légitime (35).
Sur un plan subjectif, le concept de confiance légitime est le corollaire du principe de
sécurité juridique. C’est pour cela que M. Puissochet avance que « la confiance légitime
n’est rien d’autre que la sécurité juridique vue sous l’angle du particulier (36) ». Autrement
(32) Mohammed Bellouch, Les Exonérations fiscales pour encourager les investissements, thèse de doctorat en droit,
Faculté des Sciences juridiques, économiques et sociales, Université Hassan II, Casablanca 1990, p. 20. Voir aussi,
Mohammed Nmili, « Le gâchis des incitations fiscales à l’investissement », in Revue marocaine de droit économique,
n° 4, 2011, p. 37.
(33) Jean-Etienne-Marie Portalis, « Discours préliminaire du premier projet de code civil », 1801, p. 12. Disponible
sur : http:/books.google.co.ma.
(34) Jean-Louis Bergel, Théorie générale du droit, Dalloz, Paris, 1999, p. 114.
(35) Benoît Delauny, « Faut-il reconnaître un principe de confiance légitime en droit fiscal ? », in La Sécurité juridique,
op. cit., p. 41.
(36) Jean-Pierre Puissochet, cité par Jean-Pierre Lieb et Richard Heurtier, « Propos introductifs à la sécurité juridique
en matière fiscale », in La Sécurité fiscale, Jaques Buisson (s. dir.), L’Harmattan, 2011, p. 17.
dit, la sécurité juridique implique le respect de la confiance que les citoyens peuvent placer
dans la stabilité de leur environnement juridique.
Aussi, la prolifération législative et normative, la médiocre qualité formelle des lois
ou les défauts de l’élaboration jurisprudentielle des normes constituent, le changement
fréquent des normes et des régimes juridiques sont autant de sources récurrentes
d’insécurité juridique, de moins en moins acceptables à mesure que se développe l’idée
selon laquelle le droit doit être tourné vers la protection des individus.
Ce principe de confiance légitime « impose que la loi ne puisse pas remettre en cause
du jour au lendemain une situation juridique ou un avantage prévu par un texte que le
contribuable de bonne foi pouvait penser stable sinon durable (37) ».
Autrement dit, ce principe paraît être le « corollaire » du principe de sécurité juridique
ou encore « la face subjective et concrète du principe de la sécurité juridique entendu
stricto sensu (38) ».
Malheureusement ce principe de confiance légitime, d’origine allemande, n’a pas
encore pris racine en droit fiscal marocain qui a connu au cours des dix dernières années
une instabilité d’une ampleur telle qu’on peut dire qu’elle frôle les limites de l’irrationnel.
une phase d’instabilité allant jusqu’à remettre en cause les principes élémentaires du droit
fiscal universellement reconnus (39).
Le droit fiscal est par nature un droit mouvant et évolutif qui s’adapte aux changements
de l’environnement économique et social. Il est donc tout à fait légitime que ce droit
s’intéresse aux situations nouvelles en leur trouvant l’habillage fiscal adéquat en vue
d’instaurer une certaine équité fiscale entre les contribuables.
Si cette situation est tout à fait normale, ce qui ne l’est pas au contraire, c’est lorsque
des situations juridiques sont bouleversées et chamboulées sans aucune raison logique en
méconnaissance des principes élémentaires du droit fiscal.
Cela est dû, en ce qui concerne les parlementaires, au « faible engagement du politique
et du pouvoir législatif dans le champ fiscal qui n’est discuté qu’une seul fois pas an au
cours de la présentation du projet de loi de finances au parlement ».
Quant à l’administration fiscale, cette situation a pour origine « le manque de maîtrise
de la fiscalité et de son histoire (40) » en raison des choix de gouvernance ayant largement
impacté le mode de gestion de l’impôt. Malheureusement, en matière de politique fiscale,
il y a des moments de l’histoire où l’irrationnel prend le dessus du fait de la prévalence de
certains rapports de force.
Ainsi, durant plus d’une décennie, la législation fiscale marocaine a connu des
changements radicaux dans les paradigmes de la fiscalité aboutissant à des situations qui
peuvent être qualifiées d’irrationnelles (41). Plus encore, il a été constaté l’installation
d’une absurdité législative dont les sources sont largement dues à une gouvernance
défaillante du champ fiscal, dont la responsabilité est partagée entre le Parlement et
l’Administration fiscale.
C’est dire que parfois, certains, empruntent des raccourcis et recourent à un traitement
simpliste des problématiques fiscales (42), alors que la fiscalité est un carrefour de
disciplines juridiques, économiques, politiques, sociales, etc.
On a ainsi assisté ces dernières années à « un processus de déconstruction (43) » du
système fiscal marocain qui lui fait perdre de sa rationalité originelle au point de frôler
une absurdité législative. Ainsi, on pu observer à titre d’exemple, d’un coté un impôt sur
le revenu des personnes physiques devenu en grande partie un impôt proportionnel au lieu
(39) Voir sur ce point notamment notre article, « Le déclin des principes universels d’imposition des revenus des
personnes physiques : cas de l’impôt sur le revenu au Maroc », in REMALD, n° 143, novembre-décembre 2018.
(40) Noureddine Bensouda, Rapport introductif, Colloque international sur les finances publiques sous le thème : « Les
grands défis des finances publiques du XXIe siècle au Maroc et en France ? », Rabat, le 19 novembre 2021.
(41) Voir aussi notre article, « La progressivité en matière d’impôt sur les sociétés », in REMALD, n° 138-139, janvier-
avril 2018.
(42) Noureddine Bensouda, op. cit.
(43) Marie-Christine Esclassan, « L’impact de la crise sur le système fiscal : une nouvelle problématique, la sécurisation
des recettes fiscales », in Finances publiques au Maroc et en France : enjeux et réponse face à la crise, colloque des
12 et 13 septembre 2009, RFFP, LGDJ, p. 73-82, p. 81.
d’être progressif, alors que paradoxalement, et de l’autre un impôt sur les sociétés devenu
progressif au lieu qu’il soit proportionnel.
D’autres exemples de cette absurdité législative en matière fiscale ne manquent pas et
on peut en citer quelques uns les plus saillants :
– 2011 : Institution d’un abattement de 40 % au titre des revenus salariaux perçus par
les sportifs professionnels, qui va être augmenté à 50 % en 2020, puis étendu en 2021
aux entraîneurs, éducateurs et staff technique. Cet abattement va encore être modifié
en 2021 de 50 % à 90 % pour être ramené à 80 % en 2022, à 70 % en 2023 et à 60 %
en 2024. Ces taux vont encore subir une modification par la loi de finances pour
l’année 2022 comme soit : 90 % au titre des années 2021, 2022 et 2023, 80 % au titre
de l’année 2024, 70 % au titre de l’année 2025 et 60 % au titre de l’année 2026.
– 2014 : Institution d’un impôt sur les sociétés basé sur le chiffre d’affaires au lieu du
résultat de l’entreprise et son abrogation en 2015.
– 2014 : Institution d’un registre obligatoire des recettes et des dépenses pour les
contribuables soumis au régime du bénéfice forfaitaire et son abrogation en 2015.
– 2014 : Institution d’un taux de 30 % en matière de profits fonciers applicables à la
première cession de terrains inclus dans le périmètre urbain ; et abrogation de ce
taux en 2023.
– 2016 : Institution d’un barème proportionnel en matière d’impôt sur les sociétés et
son abrogation en 2018.
– 2017 : Abattement de 100 % au titre des dividendes distribués par l’OPCI à une
personne morale soumise à l’IS, suppression de cet abattement en 2018, retour à
l’abattement au taux de 60 % en 2019 et réduction de cet abattement à 40 % en 2023.
– 2018 : Institution d’un barème progressif en matière d’impôt sur les sociétés et son
abrogation en 2021.
– 2018 : Suppression de l’abattement de 40 % pour les titulaires de revenus fonciers et
réinstauration de cet abattement en 2022.
– 2020 : Possibilité de bénéficier de l’exonération en cas de cession de l’habitation
principale avant le délai de six ans sous certaines conditions, et abrogation de cette
possibilité en 2023.
– 2021 : Retour au barème proportionnel en matière d’impôt sur les sociétés et son
abrogation en 2022.
– 2023 : Réaménagement des taux de l’IS.
– 2019 : Institution de l’option pour les titulaires de revenus fonciers soit de faire la
déclaration soit de subir l’impôt retenu à la source au taux libératoire et abrogation
de cette option en 2022.
– 2021 : Exonération des marchands de matériaux de récupération de la TVA avec
droit à déduction, puis remplacement en 2022, retour à la situation d’avant à savoir
une exonération de la TVA sans droit à déduction.
– 37
% pour les établissements de crédit et organismes assimilés, Bank Al-Maghrib, la Caisse de
2008 Dépôt et de Gestion (CDG) ainsi que les sociétés d’assurances et de réassurances ;
– 30 % pour les autres sociétés.
– 3 7 % pour les établissements de crédit et organismes assimilés, Bank Al-Maghrib, la CDG ainsi que
les sociétés d’assurances et de réassurances ;
2011 – 30 % pour les autres sociétés ;
– 15 % pour les sociétés réalisant un chiffre d’affaires inférieur ou égal à trois millions (3 000 000)
dirhams, hors taxe sur la valeur ajoutée.
– 3 7 % pour les établissements de crédit et organismes assimilés, Bank Al-Maghrib, la CDG ainsi que
les sociétés d’assurances et de réassurances ;
2013 – 30 % pour les autres sociétés ;
– 10 % pour les sociétés réalisant un bénéfice fiscal inférieur ou égal à trois cent mille (300 000)
dirhams.
– 37
%, pour les établissements de crédit et organismes assimilés, Bank Al-Maghrib, la CDG, ainsi
que les sociétés d’assurances et de réassurances.
– Barème progressif et réaménagement des tranches et taux applicables comme suit :
– 3 7 %, pour les établissements de crédit et organismes assimilés, Bank Al-Maghrib, la CDG, ainsi
que les sociétés d’assurances et de réassurances.
– Révision du barème progressif comme suit :
– L e taux de 31 % est ramené à 17,50 % pour certains secteurs (exportation, hôtellerie…) lorsque le
bénéfice net est supérieur à un million (1 000 000) de dirhams.
– 37 %, pour les établissements de crédit et organismes assimilés, Bank Al-Maghrib, la CDG, ainsi
que les sociétés d’assurances et de réassurances.
– L
e taux de 20 % qui était applicable aux sociétés qui réalisent un bénéfice net égal ou supérieur à
100 000 000 de dirhams est majoré comme suit :
– L
e taux de 26 % qui était applicable aux sociétés industrielles qui réalisent un bénéfice net inférieur
à 100 000 000 de dirhams est diminué comme suit :
Exercice ouvert à compter du Taux
1 janvier 2023
er
24,50
1er janvier 2024 23
1er janvier 2025 21,5
1er janvier 2026 20
– L
e taux de 31 % qui était applicable aux sociétés qui réalisent un bénéfice net supérieur à 1 000 000
de dirhams et inférieur à 100 000 000 dirhams est diminué comme suit :
Exercice ouvert à compter du Taux
1er janvier 2023 28,25
1 janvier 2024
er
25,50
1er janvier 2025 22,75
1er janvier 2026 20
– L
e taux de 31 % qui était applicable aux sociétés qui réalisent un bu bénéfice net égal ou supérieur
à 100 000 000 de dirhams est majoré comme suit :
Exercice ouvert à compter du Taux
1er janvier 2023 32
Toutefois, les sociétés qui réalisent un bénéfice net égal ou supérieur à cent millions (100 000 000) de
dirhams ne peuvent bénéficier d’un taux inférieur aux taux stipulés ci-dessus, même si elles réalisent
un bénéfice net inférieur au montant précité pour une année des années comptables ouverts au cours
la période allant du 1er janvier 2023 au 31 décembre 2026.
– Le taux de 15 % est majoré comme suit :
Exercice ouvert à compter du Taux
1er janvier 2023 16,25
1 janvier 2024
er
17,50
1er janvier 2025 18,75
1er janvier 2026 20
– Le taux de 37 % est majoré comme suit :
Exercice ouvert à compter du Taux
1 janvier 2023
er
37,75
1er janvier 2024 38,50
1er janvier 2025 39,25
1 janvier 2026
er
40
Ainsi, de 2011 à 2023, soit sur une période de 12 ans, pas mois de 8 modifications
ont été introduites sut le taux de l’impôt sur les sociétés, allant de l’institution d’un taux
d’imposition sur le chiffre d’affaires, à plusieurs taux proportionnels, puis à un barème
proportionnel, suivi d’un barème progressif qui va être abandonné pour le barème
proportionnel de nouveau, avant d’être lui aussi abandonné pour trois taux proportionnel
en 2023. L’année 2018 peut être considérée comme une année de rupture avec la logique
de l’impôt sur les sociétés, par l’institution d’un barème progressif.
Durant la même période on est passé de deux taux (30 et 37 %) à l’expérimentation de
8 taux d’imposition en la matière (10 %, 15 %, 17,50 %, 20 %, 26 %, 28 %, 30 % et 31 %).
Et encore, la loi de finances pour l’année budgétaire 2023 a prévu une période
transitoire de trois (3) ans allant du 1er janvier 2023 au 31 décembre 2026 durant laquelle
chaque année il y aura, à chaque exercice, application de plusieurs taux d’imposition des
sociétés
Ainsi, durant la période transitoire 2023-2026, l’administration fiscale et les sociétés
concernées sont tenues de gérer vingt (20) taux d’impôt sur les sociétés à savoir : 12,5 %,
16,25 %, 15 %, 17,50 %, 18,75 %, 21,50 %, 22,75 %, 23 %, 23,75 %, 24,50 %, 25,50 %,
27,50 %, 28,25 %, 31,25 %, 32 %, 33 %, 35 %, 37,75 %, 38,50 %, 39,25 %.
Finalement ce n’est qu’à partir du 1er janvier 2027 que les taux de l’impôt sur les
sociétés vont se stabiliser si, entre temps, des changements ne seront pas introduits par les
lois de finances à venir.
Cet exemple illustre le degré de l’instabilité de la norme fiscale en matière d’impôt sur
les sociétés dont on peut en déduire toute les conséquences en termes de sécurité juridique
pour les entreprises.
(44) La loi n° 44-10 relative au statut « Casablanca Finance City » promulguée par le dahir n° 1-10-196 du 13 décembre
2010.
(45) La loi n° 44-10 a été révisée par le décret-loi n° 2-20-665 du 30 septembre 2020 portant réorganisation de
« Casablanca Finance City ».
les mesures fiscales se succèdent au fil des ans aboutissant à un changement récurrent du
statut fiscal des sociétés ayant le statut CFC.
Ainsi, l’instabilité du régime fiscal applicable aux sociétés ayant le statut CFC en
matière d’impôt sur les sociétés et d’impôt sur le revenu, depuis 2011, est soulignée dans
le tableau ci après :
Ainsi, sur une période de dix (10) ans, le régime fiscal de la place financière de
Casablanca (CFC) a subi seize (16) modifications en matière d’impôt sur les sociétés et
d’impôt sur le revenu.
En effet, rien qu’en matière d’impôt sur les sociétés, on est passé d’un seul taux
d’imposition de 8,75 % en 2011 à 15 % en 2020 puis à 20 % en 2023, lequel taux va
être appliqué de manière progressive sur quatre (4) ans comme suit : 16,25 % au titre de
l’exercice ouvert à compter du 1er janvier 2023 ; 17,50 % au titre de l’exercice ouvert
à compter du 1er janvier 2024 et 18,75 % au titre de l’exercice ouvert à compter du 1er
janvier 2025. Ce n’est qu’à partir du 1er janvier 2026 que le taux d’imposition va se
stabiliser à 20 %.
Il va sans dire que cette instabilité de la norme fiscale impacte de manière significative
la décision des investisseurs étrangers de choisir la place financière de Casablanca comme
hub financier africain (46), et contribue, in fine, à renforcer l’attractivité des places
financières concurrentes.
(46) Le nombre des entités bénéficiaires du statut CFC à fin 2021 est de 196 entreprises, Rapport d’activité de la
Direction du Trésor et des Finances extérieurs, ministère de l’Économie et des Finances, Rabat, 2021, p. 58.
(47) Michel Bouvier, op. cit., p. V.
Conclusion
Brillant par son absence du corpus normatif textuel, la sécurité juridique n’a cessé de
tourmenter la doctrine, spécifiquement en matière fiscale.
En effet, si le principe de sécurité juridique n’a pas de valeur constitutionnelle
nommément consacrée, il n’en demeure par moins qu’il constitue une nécessité
fondamentale dans un État de droit.
Aussi, le principe de sécurité juridique est affirmé comme principe général du droit, à
plusieurs niveaux. Mais au niveau de la norme fiscale, il reste un idéal, dune d’application
très timide au détriment des garanties des contribuables.
Cependant, en matière fiscale, la sécurité juridique ne doit pas rester un simple idéal
vers lequel la norme juridique doit tendre en édictant des règles cohérentes, relativement
(48) Les rapports publics du Conseil d’État français de 1991 et 2006 parlent de la « loi bavarde », le « droit flou » ou
encore la « loi jetable ».
(49) Jean-Pierre Lieb et Richard Heurtier, « Propos introductifs à la sécurité juridique en matière fiscale », in La
Sécurité fiscale, Jacques Busson (s. dir.), L’Harmattan 2011, p. 13.
stables et accessibles pour permettre aux individus d’établir des prévisions. Elle doit être
une réalité ressentie par les contribuables pour pouvoir donner au consentement à l’impôt
toute la signification qu’il mérite dans un État de droit.
La sécurité juridique, dans sa composante temporelle, prend des allures à géométrie
variable selon que sa composante objective ou subjective aura été préservée (50). En
ce sens, la sécurité juridique n’apparaît pas comme un droit ni même une garantie des
contribuables mais comme une exigence de qualité de la loi et, plus largement du droit.
Il en résulte que l’État de droit doit exiger que les actes des pouvoirs publics soient
non seulement clairs et précis, mais également stables dans le temps. Du coup, la sécurité
juridique signifie la qualité d’un ordre juridique qui assure à ses destinataires lisibilité et
confiance dans le droit d’aujourd’hui qui sera, selon toute probabilité, le droit de demain.
En effet, comme l’a si bien dit Paul Roubier, « là où cette valeur essentielle qu’est la
sécurité juridique a disparu, il n’y a plus aucune valeur qui puisse subsister, le mot même
du progrès devient une dérision, et les pires injustices se multiplient avec le désordre. Le
droit cède la place (…) à de pures considérations d’opportunités (51) ».
En matière fiscale, l’insécurité juridique n’est pas seulement liée à la complexité du
texte législatif. Elle est également liée, dans une grande proportion, à la modification
fréquente, non justifiée, de la norme fiscale.
En évoquant le cas de la législation fiscale marocaine, on a vu que la décennie 2011-2021
a été une période d’instabilité juridique par excellence. Beaucoup de mesures fiscales ont
été introduites dans le texte juridique sans aucune étude sérieuse en prêchant des arguments
fragiles qui vont être rapidement réfutés après quelques années sinon l’année d’après.
En effet, comment expliquer qu’une disposition présentée au cours d’une année donnée
et défendue par tout un arsenal d’arguments puisse être abrogée l’année d’après avec des
contres arguments présentés par les mêmes acteurs qui ont élaboré les arguments initiaux ?
Cette absurdité législative ne peut que nuire à l’État de droit que nous espérons tous
édifier et contribue à la déstabilisation de la confiance des contribuables aussi bien dans
l’administration que dans parlement.
On ose espérer que la nouvelle loi-cadre n° 69-19 (52) portant reforme fiscale puisse
aboutir à mettre fin à l’absurdité du système fiscal marocain qu’il a vécu ces dernières
années et instaurer la sécurité juridique énoncée dans son préambule afin de consolider
l’État de droit.
Il s’en suit donc que la responsabilité du pouvoir législatif dans la consécration de la
sécurité juridique à travers la qualité et la stabilité des normes fiscales, est un élément
déterminant pour l’édification de la consolidation de l’État de droit.
Bibliographie