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Thèse de doctorat en droit privé

Présenté par

Mohamed Amine El youssoufi Alaoui

Sous le thème :

La sécurité fiscale du
contribuable au Maroc
Sous la direction de : Pr. Abdelaziz El Hila

Soutenue publiquement le :

Devant le jury :
ii
Sommaire
Introduction générale
La première partie : La précarité de la situation du contribuable devant
l’administration fiscale
Chapitre I- Les manifestations de l’insécurité dans la norme fiscale et son
application
Section I- L’abus de rétroactivité en matière fiscale
Section II- La sécurité juridique du contribuable face aux défis de la
dégradation de la qualité de la loi fiscale
Section III- La mauvaise application de la loi par les agents de
l’administration fiscale
Section IV- La problématique de la procédure de notification fiscale
Chapitre II- Déficience du contentieux fiscal à garantir la sécurité fiscale au
contribuable
Section I- Une faible position du contribuable face au fisc devant
les instances d’arbitrage
Section II- La réclamation contentieuse : le premier affrontement
déséquilibré entre le fisc et le contribuable
Section III- Insuffisance de la sécurité judiciaire du contribuable
pour l’établissement de sa sécurité juridique
Deuxième partie : Les moyens de renforcement de la sécurité fiscale du
contribuable
Chapitre I: Le renforcement de la sécurité fiscale du contribuable à travers
le réaménagement de la norme fiscale
Section I – L’aspect temporel de la sécurité fiscale : L’impératif de
prévisibilité et de stabilité de la norme fiscale
Section II- L'aspect formel de la sécurité fiscale : l'amélioration de
la qualité de la norme fiscale
Chapitre II- La préservation de la sécurité fiscale du contribuable comme
fondement de l'Etat de droit
Section I- La sécurité fiscale à travers le renforcement des droits et
libertés fondamentales du contribuable
Section II- La sécurité fiscale à travers la bonne administration de
la justice fiscale
Conclusion générale

iii
Introduction générale

1
La question sécuritaire est devenue de nos jours une obsession
préoccupante dans n'importe quel domaine. Le terme sécurité est désormais
associé à une panoplie d'adjectifs. On parle ainsi de sécurité publique, sécurité
sanitaire, sécurité alimentaire, sécurité routière, sécurité sociale, sécurité
énergétique, etc.

Cet aspect sécuritaire qui imprègne les politiques publiques, gagne aussi du
terrain dans le domaine juridique dont la matière fiscale constitue la discipline
favorite de l'insécurité.

La sécurité fiscale est une notion fascinante de par sa portée et son étendue.
C'est dans ce sens qu'une série de travaux académiques1 de journées d'études2
et de rapports publics3 a été dédiée à l'analyse de cette notion (A), tout en
gardant à l'esprit ses implications sur le climat des affaires et sur l'attractivité
des nations (B). Le Maroc ne fait pas exception, surtout que les effets négatifs
de l'insécurité fiscale sont les mêmes dans n'importe quelle économie.
Néanmoins, face à la rareté des études juridiques se rapportant à cette notion
dans le contexte marocain, et vu les problématiques juridiques qu'elle suscite,
on peut affirmer que cette étude présente un intérêt académique certain, de

1
- Frédéric DOUET, Contribution à l'étude de la sécurité juridique en droit fiscal interne français, édition LGDJ,
paris 1997(à l'origine thèse soutenue 1997,à la faculté de droit à Rouen)
- Benoît ARAGOU, De l'insécurité fiscale : le risque lié à la production de la règle fiscale, thèse soutenu en
2007 à la faculté de Toulouse 1
2
- La sécurité juridique du contribuable, Journée d'études de droit fiscal, organisée par le centre de droit et de
politique comparés, le 25 Octobre 2013, à l'université de Toulon, faculté de droit
- Sécurité fiscale, Journée d’études du 9 octobre 2009 organisée par le Centre de recherche: Droit de la sécurité
et de la défense de l’Université Paris Descartes et l’Institut international des sciences fiscales
- la sécurité fiscale au Maroc et en France, Colloque organisé par l'Association pour la fondation internationale
de finances publiques (Fondafip) en collaboration avec la TJR, à Rabat, le 12 mars 2016
- Sécurité juridique et fiscalité, journée d’études organisée le 5 novembre 2002 conjointement par l’Institut
d’études sur la justice et la Fédération des entreprises de Belgique.
3
- Améliorer la sécurité juridique des relations entre l’administration fiscale et les contribuables - une nouvelle
approche, Rapport au ministre du Budget, des comptes publics et de la fonction publique en France, Présenté par
M. Olivier FOUQUET, président de Section au Conseil d’Etat, Juin 2008
- "Améliorer la sécurité du droit fiscal pour renforcer l’attractivité du territoire", Rapport au ministre d’Etat,
ministre de l’économie, des finances et de l’industrie, établi par Bruno GIBERT, septembre 2004 (ci-après
rapport Gibert)

2
quoi nourrir de sérieuses motivations chez tout chercheur désireux de s'y
aventurer (C).

A- La notion de la sécurité fiscale :

Avant de creuser au fond de la notion de sécurité fiscale, une analyse des


termes qui la composent est indispensable. Ainsi, si on commence par le terme
sécurité, il semble dans un premier constat qu'il peut être défini aisément. Or,
en réalité ce terme cache un amalgame de significations. Selon M. Waever, « la
sécurité est un concept essentiellement contesté qui ne peut pas être défini de
façon précise en raison de son caractère politique inhérent4 ». En effet,
l'expression sécurité peut supporter plusieurs acceptions. C'est ce qui ressort
d'ailleurs du Dictionnaire Larousse, qui octroie à ce vocable une série de
définitions, comme par exemple: « Situation dans laquelle quelqu'un, quelque
chose n'est exposé à aucun danger, à aucun risque, en particulier d'agression
physique, d'accidents, de vol, de détérioration ». Le même dictionnaire définit
ce terme, en une « situation de quelqu'un qui se sent à l'abri du danger, qui est
rassuré », ou encore « absence ou limitation des risques dans un domaine
précis »...

De ces définitions on peut admettre que l'expression "sécurité" renvoie à un


état de psychose, d'inquiétude, de peur et d'incertitude, surtout lorsqu'on y
pense dans un angle préalable. Ce qui a d'ailleurs poussé Mme CEYHAN à
considérer que « la sécurité contient ... à la fois sécurité et insécurité5 ».

4
Ole WAEVER, Concepts of Security, Institute of Political Sciences, University of Copenhagen, 1997, p87.
Cité par Ayse CEYHAN, "Analyser la sécurité : Dillon, Waever, Williams et les autres", in Revue Cultures &
Conflits, n° 31-32 printemps-été 1998, p 42.
5
A. CEYHAN, Op. Cit. p 42.

3
Quel que soit le sens attribué à ce terme, l'être humain est naturellement
déterminé à chercher la sécurité dans tous les domaines où il opère. Il s'agit
d'ailleurs de l'une des fonctions du droit objectif, qui constitue le refuge de
tout individu contre les risques économiques, sociaux ou même physiques.
Sauf que le droit ne peut atteindre cet objectif sécuritaire que s'il est lui-même
sûr, d'où l'appellation "sécurité juridique".

Théoriquement, la sécurité juridique est « la sécurité du droit, de ses modes


d'expression et de réalisation, ainsi que la sécurité des droits subjectifs des
individus6 ». On est donc loin de l'aspect matériel de la sécurité, où le droit est
envisagé comme un outil pour sa réalisation.

La sécurité juridique est une notion très ancienne. Elle existait depuis
presque l'existence du droit lui-même, dans la mesure où il s'en sert pour
remplir ses fonctions. Il est communément admis que la sécurité juridique est
formellement liée à trois exigences : accessibilité, prévisibilité et stabilité du
droit objectif et des droits subjectifs. Plus précisément, les sujets de droit
doivent d'abord être avertis du contenu du droit applicable à leur situation et
de l'assimiler en conséquence afin qu'ils puissent agir en toute certitude.
Ensuite, le droit est supposé respecter leurs prévisions juridiques légalement
fondées. Et enfin, l'instabilité du droit peut générer un manque de confiance
envers les règles qui le composent.

Si on fouille profondément dans le sens de chacune de ces trois substances


de la notion de sécurité juridique, on constatera qu'elles sont
interdépendantes. Ainsi, l'accessibilité aux normes juridiques limite l'effet
néfaste de l'instabilité, et contribue par conséquent au respect de la

6
Thomas PIAZZON, La sécurité juridique, éd Defrénois, Alpha, Paris 2010, p3

4
prévisibilité des sujets de droit. Et dans un sens inverse, la stabilité permet
d'élaborer des normes accessibles fiables et certaines, ce qui se répercute
également sur le respect de leurs prévisions déjà bâties.

Cet examen du contenu de la sécurité juridique, ne peut suffire pour définir


cette notion au contour vague. Juridiquement, il n'existe aucun texte de la
Constitution ou de loi qui mentionne cette notion. Certes, on peut en trouver
de nombreuses applications en droit, sans pour autant en faire allusion.
L'ignorance de cette notion par les textes juridiques n'est pas exclusive au
Maroc, il s'agit d'ailleurs de la tendance dominante dans toutes les législations
internationales, en raison de son aspect flou qui risque de contredire le
principe de la légalité. Sauf que cela n'a pas empêché la doctrine de tenter de
la définir avec plus ou moins de précision. On peut citer ainsi la tentative du
doyen CORNU, qui a défini la "sécurité" comme étant « toute garantie, tout
système juridique de protection tendant à assurer, sans surprise, la bonne
exécution des obligations, à exclure ou au moins réduire l'incertitude dans la
réalisation du droit…7». Cette définition semble ainsi se limiter au seul aspect
prévisibilité dans les rapports interpersonnels, en niant toute allusion au droit
objectif. Le dictionnaire de Mr. CABRILLAC, quant à lui, propose trois
définitions à la sécurité juridique, afin de mieux appréhender cette notion. On
se limite de citer la première qui paraît employer des termes plus précis, tout
en englobant les trois composantes de la sécurité juridique. Il s'agit selon ledit
dictionnaire d'un « idéal vers lequel le droit doit tendre en édictant des règles
cohérentes, relativement stables et accessibles pour permettre aux individus
d’établir des prévisions8 ». Cette acception se démarque par l'emploi de

7
Gérard CORNU, Vocabulaire Juridique - Association Henri Capitant éd. Presse Universitaire de France, 1990,
p.750
8
Dictionnaire du vocabulaire juridique, Sous la direction de Rémy CABRILLAC, éd. Litec, 2002, p. 345

5
l'adjectif "idéal", qui n'est qu'une simple aspiration à atteindre par le droit, car
aucun système juridique ne peut prétendre garantir une parfaite sécurité
juridique.

Quelle que soit la pertinence des définitions proposées par la doctrine,


aucune d'entre elles ne fait mention du rôle de la justice dans la consécration
de la sécurité juridique. À vrai dire, la pratique a révélé que celle-ci est
indissociable de la sécurité judiciaire, puisqu'elle « n’a de sens que si un tiers
neutre et impartial est accessible, qu’il présente des garanties d’indépendance,
qu’il [a] les moyens d’entendre les parties publiquement, équitablement et
dans un délai raisonnable, que ses décisions sont intelligibles, accessibles et
prévisibles et dotées de l’autorité de la chose jugée9 ».

Ce constat se vérifie aisément en matière fiscale qui est par nature


conflictuelle, dans la mesure où les rapports entre le fisc et le contribuable se
démarquent naturellement par une discordance des intérêts. C'est ce qui
justifie d'ailleurs l'aspect large de la notion de sécurité fiscale, qui englobe
aussi bien la sécurité juridique en matière fiscale que la sécurité judiciaire lors
du contentieux fiscal. L'analyse de la sécurité du contribuable ne doit donc pas
se limiter à la seule étude de l'accessibilité, de la stabilité et de la prévisibilité
des normes fiscales. Elle doit aussi s'étendre à tous les aspects théoriques et
pratiques de la fiscalité, qui sont de nature à porter atteinte aux droits
fondamentaux du contribuable ou d'entraver le bénéfice d'une garantie
procédurale, contentieuse ou non-contentieuse.

9
"L’index de la sécurité juridique", Bruno DEFFAINS et Catherine KESSEDIJAN (Mai 2015) publié par La
Fondation pour le droit continental en Mai 2015, p10, disponible en ligne : http://www.fondation-
droitcontinental.org/fr/wp-content/uploads/2015/04/Rapport-ISJ-Juin-2015.pdf Consulté le 19/09/2016 à 18:34

6
Ce caractère large de la notion de sécurité fiscale justifie aussi son influence
sur l'attractivité des territoires sur le plan économique.

B- Impact de la sécurité fiscale sur l'attractivité économique des territoires

« Plus de sécurité pour plus de confiance, donc plus de croissance et plus


d'emplois. C'est cette dynamique vertueuse qu'il faut stimuler». C'est par cette
déclaration que Mme Ségolène Royal avait exprimé l'importance de la sécurité
pour l'amélioration du climat des affaires, lors d’une interview accordée au
magazine "Challenges" du 13 Avril 2006, alors qu'elle était candidate aux
élections présidentielles de la République française. En effet, la chasse aux
capitaux étrangers implique une mise en place d'un environnement rassurant
pour les investisseurs, afin qu'ils puissent y placer leurs capitaux en toute
sécurité. Cependant, face à l'influence grandissante du droit sur les rapports
commerciaux, la sécurité juridique est plus que jamais revendiquée. Ainsi, dans
le monde actuel, où « l'atmosphère normative est devenue irrespirable10 », à
cause de l'inflation, la complexité et l'imprévisibilité des normes juridiques,
l'initiative économique et l'attractivité du territoire connaissent une forte
régression, influant par là-même sur la compétitivité des nations. Il va sans dire
que les décisions économiques supposent au préalable que les règles du jeu
soient claires, stables et prévisibles, permettant ainsi aux investisseurs de se
concentrer uniquement sur leurs stratégies commerciales pour la conquête des
marchés. Or, dans l'état actuel des choses, la maîtrise du droit joue un rôle
décisif dans le processus décisionnel des opérateurs économiques implantés
au Maroc, ou souhaitant y monter un projet.

10
" Sécurité juridique et initiative économique " Rapport élaboré par un groupe de travail présidé par Henri de
CASTRIES, Club des juristes. Mai 2015, p 16. Disponible en ligne : http://www.leclubdesjuristes.com/wp-
content/uploads/2015/05/S%C3%A9curit%C3%A9-juridique-WEB.pdf consulté le 26/09/2016

7
Cette influence du droit sur les comportements des investisseurs, se
confirme solidement en droit fiscal, à travers son caractère interventionniste
permettant à l'Etat soit d'encourager une activité économique donnée par des
incitations fiscales, soit simplement de l'enrayer par une sur-imposition. Le
taux d'imposition, ou plus généralement la pression fiscale, joue donc un rôle
important dans l'attractivité des territoires. Mais il n'est pas le seul. L'élément
"sécurité fiscale" joue également un rôle décisif dans le processus décisionnel
de l'homo-économicus, qui ne peut établir une stratégie claire et engager ses
capitaux pour un investissement durable, que si les normes fiscales sont
stables11. Il en ressort avec évidence que l'inflation normative crée de plus en
plus d'hésitation dans l'esprit du contribuable, quant au choix d'un régime
fiscal de faveur, ou à l'incertitude de la persistance d'un avantage fiscal. Cela
ne veut pas dire qu'il importe d'encourager le statisme des normes fiscales.
Bien au contraire, la mondialisation de l'économie et le développement sans
cesse des nouvelles pratiques commerciales appellent à une adaptation
constante de la législation de l'impôt par rapport au contexte économique
conjoncturel, à condition que celle-ci n'affecte pas la sécurité juridique du
contribuable.

D'un autre côté, l'attractivité de notre Royaume peut être lourdement


affectée à cause de la complexité croissante des normes fiscales, qui sont
devenues avec le temps inintelligibles, surtout pour les investisseurs étrangers
qui choisissent un environnement juridique différent de celui de leur pays
d'origine. En effet, l'accessibilité de la norme fiscale est devenue l'un des
critères majeurs qui conditionne le choix de la zone d'implantation pour les

11
Il faut cependant nuancer ce jugement de valeur, étant donné que le Singapour qui réforme fréquemment sa
législation des affaires, est classé parmi « les économies où il est le plus facile de faire des affaires». Thierry
LAMBERT, "Réflexions sur la concurrence fiscale", Recueil Dalloz, 22 juillet 2010, nº 27, p. 1734

8
entreprises étrangères, dans la mesure où la clarté de la législation fiscale leur
permet de bâtir des prévisions en toute certitude.

On ne peut parler de complexité et d'instabilité sans évoquer la notion de la


"prévisibilité" des normes fiscales. À vrai dire, celle-ci renvoie surtout aux
problématiques engendrées par l'application des normes fiscales dans le
temps, notamment celles relatives à la rétroactivité, qui affecte négativement
l'attractivité du territoire. C'est ce qui ressort d'ailleurs du rapport Gibert qui
considère que « lorsque le législateur modifie rétroactivement le traitement
fiscal des situations passées, ou lorsqu’il rapporte un avantage fiscal avant
l’échéance initialement prévue, il bouleverse en effet les bases de calculs
microéconomiques sur lesquels sont fondées les décisions d’investissement,
d’emploi ou de production12 ».

Enfin, faisant partie intégrante de la sécurité fiscale, la sécurité judiciaire


contribue elle aussi à la promotion de l'attractivité des Etats, dans la mesure
où elle permet d'asseoir la confiance entre les intervenants économiques, dans
un environnement supposé marqué par la suprématie de la loi sur tous, y
compris l'Etat. C'est dans cet objectif que la Banque Mondiale produit
annuellement son rapport "Doing Business", au biais duquel elle évalue les
systèmes judiciaires de ses Etats membres, en se basant sur un certain nombre
de critères prédéfinis, comme : la célérité, le coût, la discrétion, la prévisibilité,
la sécurité, l’impartialité, l’indépendance, la compétence et la confiance.

De surcroît, si la garantie de la sécurité juridique est indispensable pour


l'assainissement du milieu des affaires, la sécurité judiciaire peut être qualifiée
"d'assurance tout risque", dont l'insécurité juridique figure au premier plan.

12
Rapport précité, dit rapport B. Gibert , p 65

9
C'est d'ailleurs ce qui confirme la thèse de la complémentarité de ces deux
notions en matière fiscale, qu'on a signalé précédemment.

Enfin, après avoir démontré l'influence de la sécurité fiscale sur l'attractivité


des territoires, on peut affirmer que l'étude de "la sécurité fiscale du
contribuable au Maroc" présente un intérêt pratique certain sur le plan
économique. Mais compte tenu de l'interaction du droit et de l'économie en
matière fiscale, le sujet présente aussi un intérêt scientifique sur le plan
juridique, consistant à avertir le législateur des zones d'insécurité dans le droit
régissant la matière fiscale, le poussant ainsi à partir en recherche de solutions
dans le droit comparé.

Partant de ces deux intérêts juridico-économiques, une problématique de


recherche se dégage clairement, appelant de la sorte à être solutionnée en
suivant une méthodologie bien précise.

C- Problématique et méthodologie de la recherche

Étant donné que l'étude de la sécurité fiscale du contribuable présente de


l’intérêt, la problématique qui en découle est pleine d’enseignements. Pour le
montrer, il y a lieu de soulever deux grandes interrogations, autour desquelles
se cristallise notre problématique de recherche. Ainsi, compte tenu du constat
de la situation du contribuable, on se demande si notre système fiscal lui assure
une sécurité juridique et judiciaire efficace.

Répondre à cette première question nécessite l'engagement d'un travail


d'évaluation des normes fiscales régissant l'établissement de l'impôt et les
procédures fiscales contentieuses ou non contentieuses. Cette démarche nous
permettra de dénicher les zones d'ombre de notre système fiscal, qui peuvent
éventuellement constituer un risque d'insécurité pour le contribuable. Mais

10
partant du postulat que ce système fiscal ne présente pas assez de garanties en
sécurité pour le contribuable, une deuxième question surgit, à savoir :
Comment peut-on remédier à cette insécurité ? La réponse à cette question
nous pousse à explorer le droit comparé, en essayant d’étudier quelques
expériences étrangères ayant tenté de trouver des solutions aux différents
problèmes de l’insécurité fiscale du contribuable. L’engagement de cette étude
nous permettra en fin d’analyse, de dénouer notre problématique centrale, en
mettant l’accent sur les moyens à même d’assurer la sécurité fiscale du
contribuable marocain ?

Pour mener cette analyse, qui se veut critique et constructive, nous avons
opté pour un plan binaire, en suivant une méthodologie de recherche ajustée à
notre sujet. Ainsi, dans la première partie, on procédera à un travail de
diagnostic du système fiscal marocain sur le double plan : sécurité
juridique/sécurité judiciaire, en essayant d'une part de mesurer le degré de la
prévisibilité et de l'accessibilité de la norme fiscale, et d'autre part de citer les
normes lacunaires créant un effet d'incertitude dans l'esprit du contribuable et
ouvrant la voie aux abus des agents du fisc. Quant à la seconde partie, il y sera
question de proposer quelques solutions aux problèmes de l'insécurité fiscale
relevés au niveau de la première partie, en recourant notamment au droit
comparé, au moyen de la méthode comparative fonctionnelle, « qui consiste à
étudier les diverses solutions apportées par différents systèmes de droit à un
même problème13 ».

Néanmoins, comme tout travail de recherche, notre thèse souffre de limites


spatiales, temporelles et matérielles qu'il importe de clarifier.

13
François DORION, Théorie du Droit Comparé, 2000, p20

11
Étant donné que le droit fiscal est une discipline large par ses branches14,
nous avons choisi d'éliminer du champ de notre étude portant sur la sécurité
fiscale du contribuable au Maroc, les règles de recouvrement, qui se
distinguent par leur autonomie de fait des autres règles du droit fiscal.

Sur le plan temporel, la délimitation du champ d'analyse de la présente


étude nous a été difficile à cause du caractère mouvant du droit fiscal. Le
changement fréquent des règles qui le régissent impose à tout chercheur qui
décide de s'aventurer dans la recherche sur cette discipline de droit, de
consulter l'historique des règles contestées, afin de mieux élucider leurs
caractères insécurisés.

Quant à la délimitation matérielle de notre travail de recherche, il importe


de préciser que cette étude est loin de dresser une liste exhaustive des
différents secteurs d'insécurité pour le contribuable, ainsi que toutes les
solutions pouvant être envisagées. Les cas recensés et les remèdes proposés
ne constituent que quelques exemples parmi d'autres, que les chercheurs sont
invités à explorer.

14
Il englobe ainsi les règles d'assiette et de liquidation de l'impôt, les procédures fiscales régissant
l'établissement, la contestation et le recouvrement de l'impôt, sans citer les différents chevauchements avec les
autres branches du droit et les sciences comptables

12
Première partie :

La précarité de la
situation du
contribuable devant
l’administration fiscale

13
Face à l’ampleur du fléau de l’insécurité fiscale, la situation du contribuable
est de plus en plus précaire devant l’administration fiscale, qui ne cesse de
gagner en puissance, profitant ainsi de la complexité, de l’instabilité et de
l’imprévisibilité des législations fiscales, mais aussi du déséquilibre frappant
entre les deux protagonistes lors du procès fiscal.

L’insécurité fiscale du contribuable apparaît ainsi non seulement à l’analyse


des normes régissant la matière fiscale et de la façon dont elles sont appliquées
(chapitre I), mais aussi à l’examen du processus du contentieux de l’impôt
(chapitre II).

14
Chapitre I- Les manifestations de l’insécurité dans la
norme fiscale et son application

L'effectivité de la sécurité juridique du contribuable est conditionnée par la


capacité de la norme juridique à lui permettre d’accéder à ses droits, et à
prévoir les conséquences de ses actes dans l’avenir. Au sens inverse, la norme
juridique serait une source d’insécurité juridique pour le contribuable, si les
conditions de l’accessibilité et de la prévisibilité ne sont pas remplies, ou si elle
est mal appliquée par les agents du fisc.

Afin de mieux appréhender ce constat, il importe de clarifier la notion de la


norme juridique, dont la définition nourrit un débat doctrinal acharné et
persistant jusqu'à nos jours.

Pour ne pas trop se mêler dans un débat d’idées sans grande importance
pour notre problématique, on se contente de présenter la position du
professeur GROULIER, qui nous paraît plus proche du contexte juridique actuel,
dans la mesure où il ne limite pas la définition de la norme juridique à son seul
caractère impérativiste, se traduisant principalement par une capacité à
imposer et à s’imposer. Cette approche est de nature à réduire la norme
juridique en une simple règle de conduite sociale, destinée à encadrer les
comportements des citoyens15. Elle a aussi comme inconvénient d’écarter du
champ de la norme juridique une grande partie des « manifestations
contemporaines de la production juridique … qu’on appelle encore le droit

15
Ce qui lie intrinsèquement la norme juridique à une notion de puissance de commandement inhérente à l’Etat.

15
mou, ou soft law 16», d’où l’intérêt à opter pour la notion "d’obligatoriété", qui
présente l’avantage de la neutralité, en se plaçant dans une perspective
instrumentale de la normativité juridique17.

Néanmoins, l’incorporation de nouveaux instruments juridiques dans le


corps des normes juridiques ne fait pas l’unanimité des auteurs. A vrai dire,
cette question a été longtemps débattue par la doctrine, dont une partie
refusait catégoriquement de leur reconnaître toute force obligatoire, puisqu’ils
ne sont contraignants ni pour les administrés ni pour le juge. Parmi ces
instruments juridiques, on trouve les pratiques administratives, dont figure au
premier plan : les circulaires, directives et instructions, qui connaissent
actuellement une expansion sans précédent, dans la plupart des disciplines de
droit notamment le droit fiscal. En effet, le caractère normatif de ces dispositifs
est devenu de nos jours incontestable, en raison de la place qu’occupe
l’administration entre le législateur et l’administré, lui permettant, selon M.
GHESTIN, de prendre tous les jours « de multiples décisions afin de répondre à
d'innombrables situations concrètes qui n'ont pas pu, dans leur diversité, être
toutes réglées directement par la loi 18». L’administration s’efforce donc à
interpréter la loi, au moyen d’une doctrine qu’elle se chargera par la suite
d’appliquer dans tous les cas semblables.

Partant de cette définition, une analyse du degré de protection de la sécurité


fiscale du contribuable par la norme fiscale s’impose, en recourant à un

16
Cédric GROULIER, peut-on penser la norme juridique sans l’impératif ? in Revue Droits, éd Presses
Universitaires de France, 2009/2 (n° 50), p. 248
17
Selon le Pr. GOULIER « le droit ne peut pas être simplement tenu pour le fruit d’un imperium ; il est surtout
une technique nécessaire d’organisation d’un vivre-ensemble procédant d’une volonté de se lier. » Op. Cit.
p.259.
18
Jacques GHESTIN, Rapport de synthèse, in Le rôle de la pratique dans la formation du droit, Travaux de
l'association Henri Capitant, Journées suisses, 1983, t. 34, éd. Economica, 1985, p. 6, cité par, Xavier PRES, Les
sources complémentaires du droit d'auteur français, éd. Presses universitaires d’Aix-Marseille, 2004, Aix-en-
Provence , p225. n° 209

16
diagnostic général des différents types de norme fiscale quelle qu'en soit la
nature (loi, règlement ou doctrine administrative), à travers l'analyse de la
question de la rétroactivité qui affecte lourdement l'aptitude du contribuable à
prévoir les conséquences de ses actes (section 1), pour se pencher juste après
dans une analyse critique de la qualité de la norme fiscale (section 2) sous
l’angle de l’accessibilité et de l’intelligibilité de la norme fiscale.

La sécurité fiscale du contribuable englobe également deux autres aspects


aussi importants que les précédents, l'un théorique et l'autre pratique. Sur le
plan théorique, la procédure de la notification pose toujours problème au
niveau de la sécurité fiscale du contribuable, qui risque de se voir dépossédé de
son droit à une procédure contradictoire (section 4). Sur le plan pratique, on ne
peut pas négliger la conduite égoïste de certains agents du fisc lors de
l'application de la norme fiscale, animée par un objectif de rendement, au
détriment du respect des garanties du contribuable, se traduisant en fin de
compte par une négation de sa sécurité fiscale (section 3).

Section I- L’abus de rétroactivité en matière fiscale

Dans tous les actes qu’il produit dans sa vie, l’homme est déterminé à
prendre en considération le temps. Ce dernier « a toujours exercé une
fascination importante sur l’homme. Maîtriser le temps, … ce serait posséder le
pouvoir absolu d’influencer, de modifier le cours des événements 19». Mais cela
ne signifie pas qu’il peut faire reculer le temps, c’est ce qu’on appelle la
rétroactivité. Il est donc dans l’impossibilité de modifier ou d’effacer les
événements passés. Dès qu’ils produisent ses effets au présent, le retour en
arrière n’est plus possible. Toutefois, il existe un domaine où l’homme peut

19
Oliver DEBAT, La rétroactivité et le droit fiscal, ed Defrenois 2006, Paris. P5

17
réordonner le cours des événements afin qu’ils produisent leurs effets dans le
présent ou le futur. Il s’agit du domaine du droit. En effet, le temps dans la
sphère juridique a une place centrale, dans la mesure où il permet de
déterminer avec précision le commencement et l’extinction des effets d’un
acte ou fait juridique. C’est ainsi que par le biais du temps, on arrive à préciser
le commencement d’exécution d’un contrat en matière civile, comme il nous
sert aussi de moyen pour préciser le délai de prescription, compter le délai de
contestation d’une décision.

La rétroactivité dans le domaine du droit est une technique permettant de


modifier le cours du temps. Elle présente beaucoup d’utilité pour ses usagers.
Elle permet ainsi à des contractants de convenir à ce qu’un contrat produise ses
effets à une date antérieure à celle de la conclusion du contrat. Elle peut aussi
servir au législateur de moyen pour adopter des lois engendrant des effets dans
le passé. C’est justement ce procédé qui est décrié sur le plan de la sécurité
juridique. En effet, « le citoyen n'hésite jamais à agir, quand il a la certitude
qu'il agit en vertu d'une loi. Mais si la loi n'est plus enfermée dans ses limites
naturelles, qui sont le passé, si chaque disposition nouvelle s'étend au gré du
législateur, il n'y a plus de confiance publique, plus de garantie pour tous ces
liens qui unissent les citoyens dans une société bien organisée20». A titre
illustratif, on trouve qu’une loi rétroactive peut porter atteinte à l’économie
des contrats en bouleversant les prévisions de chaque cocontractant, comme
elle peut aussi ériger un acte en une infraction pénale, et sanctionner de ce fait
des agissements commis dans le passé, alors qu’ils étaient en ce moment
irrépréhensibles. Dans ce sens le professeur M. J. ESSAID avait considéré que
« la remise en cause des droits régulièrement acquis sous l’empire de la loi

20
Jean KALINDERO, De la non rétroactivité des lois, éd Marescq Anié 1864, p4.

18
ancienne risque d’être source de désordre et d’anarchie 21», mais, selon ce
même professeur, cela n’exclus pas le caractère avantageux de la rétroactivité,
par exemple lorsque la règle de droit vient corriger rétroactivement une
situation d’insécurité, ou encore par la consécration d’une garantie
supplémentaire pour citoyen. Si on prend donc en considération « comme
critère les raisons mêmes qui ont fait admettre la non-rétraroactive, il semble
normal d'écarter le principe chaque fois que les considérions de justice, de
sécurité ou d'ordre social ne sont pas susceptibles d'être compromises, bien au
contraire 22».

Mis à part ce côté avantageux de ce mécanisme, tout le monde s’accorde sur


son caractère dangereux, surtout dans le domaine de la loi et du règlement, et
particulièrement, en matière du droit fiscal où le contribuable se trouve dans
une situation d’incertitude lorsque toutes ses prévisions se trouvent
bouleversées par une loi ou une doctrine administrative instituant
rétroactivement des charges supplémentaires. Il s’agit donc d’une atteinte
flagrante à sa sécurité juridique23. Cette dernière peut être également secouée
par un autre type de rétroactivité auquel on prête peu d’attention, que la
doctrine qualifie de petite rétroactivité et dont la cause principale réside dans

21
Mohammed Jalal ESSAID, L’introduction à l’étude de droit, éd Collection Connaissances, Rabat, 3éme éd,
2000. P 254.
22
Ibidem p.260.
23
La sécurité juridique implique l’adjonction de deux éléments : d’une part, la règle de droit doit être bien
formulée, afin d’éviter au contribuable toute incertitude quant à ses effets juridiques ; d’autre part, il faut que les
conséquences juridiques de cette règle soient parfaitement connues à l’avance. Il en ressort que la sécurité
juridique est intimement liée à l’application de la règle de droit dans le temps. Ainsi dans son célèbre discours de
prononcé à l’occasion de la publication du code civil, Protalis avait considérait que « l'homme, qui n'occupe
qu'un point dans le temps comme dans l'espace, serait un être bien malheureux, s'il ne pouvait pas se croire en
sûreté, même pour sa vie passée : pour cette portion de son existence, n'a-t-il pas déjà porté tout le poids de sa
destinée? Le passé peut laisser des regrets ; mais il termine toutes les incertitudes dans l'ordre de la nature, il n'y
a d'incertain que l'avenir, et encore l'incertitude est alors adoucie par l'espérance, cette compagne fidèle de notre
faiblesse. Ce serait empirer la triste condition de l'humanité, que de vouloir changer, pour un temps qui n'est
plus, à faire revivre nos craintes, sans pouvoir nous rendre nos espérances ». (Jean-Étienne-Marie
PORTALIS, ̎exposé des motifs du titre préliminaire du code civil, de la publication, des effets et de l'application
des lois en général̎ in Motifs et discours prononcés lors de la publication du code civil, par les divers orateur du
conseil d'Etat et du Tribunal, Ed Chez Firmin Didot frères, Libraires, Paris 1838. p28)

19
l’instabilité de la législation fiscale. En effet, chaque loi de finances vient avec
une panoplie de modifications qui affecte des dispositions censées durer plus
longtemps, ce qui nuit incontestablement à la confiance du contribuable.

L’étude de l’impact de la rétroactivité sur la sécurité du contribuable passe


par l’analyse de trois types de rétroactivité en matière fiscale, à savoir : la
rétroactivité des lois fiscales (§1), la rétroactivité de « la doctrine
administrative » (§2) et la rétroactivité « économique » des législations fiscales
(§3).

§ 1- La rétroactivité des lois fiscales :

Avant 1962, aucun texte de portée générale en droit marocain ne proclamait


expressément le principe de la non-rétroactivité des lois. Ce n’est que suite à la
célèbre affaire des huiles nocives que ce principe a été consacré par les
Constitutions marocaines qui se sont succédé de 1962 jusqu’en 2011, date de
l’adoption de la dernière Constitution, dont l’article 6 dispose sans ambiguïté
que « …la loi ne peut avoir d’effet rétroactif ». Il s’agit donc d’une interdiction
qui s’impose de manière absolue, ne laissant ainsi aucune marge à
l’interprétation ni à la dérogation. Or, en pratique, le législateur n’hésite pas à
y déroger quand bon lui semble, notamment en matière fiscale. Les lois fiscales
rétroactives sont devenues de nos jours une pratique courante. Chaque année,
au moins une disposition rétroactive est adoptée à l’occasion du vote de la loi
de finances.

En principe, la lecture des disposions de l’article 6 de la constitution de 2011


et de l’article 4 des Constitutions précédentes ne permet pas de relativiser la
portée du principe de non-rétroactivité. Or, en matière fiscale, le principe de
non-rétroactivité heurte d’autres principes de droit notamment le principe de

20
l’effet immédiat des lois, et la notion du fait générateur. Ce qui nous pousse à
poser des réserves sur son caractère absolu. C’est le cas des normes
rétrospectives que M. Fouquet dénomme « petite rétroactivité » dans son
célèbre rapport24 (A). Cependant, malgré l’atteinte qu’il porte à la sécurité
fiscale, ce type de rétroactivité reste tolérable par rapport au recours à la
rétroactivité pure et simple par le législateur, au mépris des termes de l’article
6 de la Constitution (B).
A- La rétroactivité des lois de finances

La question qui se pose à ce niveau, est de savoir si les lois de finances sont
par essence rétroactives, et par là elles tombent sous l’interdiction de l’article 6
de la Constitution.

Pour répondre à cette problématique, il faut rappeler un ancien débat


doctrinal qui opposait les tenants du principe de l’effet immédiat des lois à
ceux de la théorie des droits acquis.

En effet, le principe de l’effet immédiat des lois signifie que la loi nouvelle
s’applique dès son entrée en vigueur. De ce fait, ce principe est tourné vers
l’avenir et non pas vers le passé. Ce qui laisse entendre l’existence d’un lien
étroit entre l’effet immédiat et la non-rétroactivité des lois. Toutefois,
l’application immédiate d’une loi peut paraître comme une rétroactivité devant
un droit acquis.

A ce titre, une interrogation s’impose : est-ce que la théorie des droits acquis
constitue une exception au principe de l’application immédiate de la
nouvelle norme?

24
Amélioration de la sécurité juridique des relations entre l’administration fiscale et le contribuable : une
nouvelle approche", par Oliver FOUQUET, Rapport au ministre du Budget, des comptes publics et de la
fonction publique en France , 2008. Ed. La documentation française, p14

21
Il faut avant tout préciser qu’il n’a jamais été aisé de distinguer entre un
droit acquis et une simple expectative. D’où la difficulté pratique de prendre en
considération cette théorie pour écarter la rétroactivité des lois. Certains
auteurs ont essayé de tracer la ligne de démarcation entre un droit acquis et
une espérance de droit. Ainsi, selon les professeurs J.GHESTIN et G.
GOUBEAUX, « la notion de droit acquis exprime essentiellement un résultat.
Sont acquis les droits auxquels la loi nouvelle ne peut porter atteinte sans avoir
un effet rétroactif…25 »

Le droit fiscal constitue un terreau fertile pour nourrir ce débat, notamment


en matière d’impôts directs, qui regroupent les impôts qui taxent les
contribuables en raison d’une situation pérenne, c’est-à-dire, une situation
réputée stable et périodiquement renouvelable26. Ainsi en matière des
impositions sur le revenu27, si une loi fiscale nouvelle vient changer l’ancienne
loi en vertu de laquelle le contribuable a acquis des revenus, faut-il maintenir la
loi ancienne ou appliquer immédiatement la nouvelle loi ? Autrement dit, si la
loi nouvelle est appliquée avant la fin de la période de la réalisation du revenu,
peut-elle être considérée comme étant attentatoire aux droits acquis par le
contribuable ?
Pour répondre à cette question, il faut d’abord évoquer le principe de
l’annualité de l’impôt28 qui « présente deux aspects :
- Il importe que la loi fiscale soit mise en application tous les
ans ;
25
Jacques GHESTIN et Gilles GOUBEAUX, Traité de droit civil – Introduction générale, Paris, L.G.D.J., 1994,
pp. 89-99, notes n° 118 et138
26
Raymond FERRETTI, Cour de Droit Fiscal, p7
27
Ce terme doit être pris au sens large comme regroupant l’impôt sur le revenu et l’impôt sur les sociétés, car les
difficultés engendrées par ces deux impôts au regard de l’application de la norme fiscale dans le temps sont de
même ordre, puisqu’ils se calculent après l’écoulement d’une période donnée, généralement une année pour
déterminer le revenu imposable.
28
C’est un principe constitutionnel qui découle de l’annualité budgétaire, qui signifie l’autorisation de percevoir
l’impôt est annuelle et qui est concrétisé dans la loi de finance de l’année

22
- La loi d’impôt régit l’opération fiscale pour l’année
entière 29».

Or, l’application de la loi fiscale s’épuise le plus souvent en un simple instant


au cours duquel toutes les conditions légales nécessaires à l’application de
l’impôt sont réunies. Cet événement qui fait naître la dette fiscale du
contribuable s’appelle "le fait générateur de l’impôt".

De là, la combinaison du principe de l’annualité de l’impôt avec le concept


du fait générateur de l’impôt, est de nature à vider la théorie des droits acquis
de tout sens en matière fiscale. Ainsi, c’est par le biais du fait générateur qu’on
arrive à déterminer avec précision l’impôt applicable sur une situation fiscale
donnée, puisque c’est lui qui se trouve être à l’origine de la dette d’impôt.
Autrement dit, « les règles d’assiette relatives à l’établissement de l’impôt sont
celles en vigueur au moment du fait générateur de l’imposition30 », et puisque
c’est l’écoulement de la période qui permet le calcul de l’impôt, le fait
générateur de l’impôt sur le revenu (IR) ne peut être situé qu’à la fin de cette
période. C’est donc la survenance du terme de la période (c’est-à-dire le 31
décembre de l’année de l’imposition sauf dérogation contraire) qui constitue le
fait générateur de l’impôt sur le revenu. Par conséquent, « la situation à
prendre en considération est celle qui existe à la fin de l’année d’imposition et
c’est donc la législation en vigueur à cette date qui doit s’appliquer31 ». Le
même raisonnement peut être transposable à l’impôt sur les sociétés (IS), la
législation applicable est celle en vigueur au 31 décembre de l’année de
l’imposition ou au jour de la clôture de l’exercice. Par conséquent, c’est la loi de

29
Op cit, R. FERRITTI, p 31
30
Laurent DAVID, "La rétroactivité en matière fiscale", in Revue française de comptabilité, n°286 Février 1997 p48
31
O.Debat op cit, p 69

23
finances votée en fin d’année qui régira l’impôt sur le revenu et l’impôt sur les
sociétés pour les revenus ou bénéfices de la période en cours.

De ce qui précède, on conclut que les lois de finances ne peuvent pas


juridiquement être considérées comme des lois rétroactives au sens de l’article
6 de la Constitution de 2011, au moins en ce qui concerne l’IR et l’IS. Mais la
prise en compte du temps passé qu’elles impliquent permet de les différencier
des autres lois, en les classant parmi les normes dites rétrospectives32. « Les
normes rétrospectives ne sont pas juridiquement rétroactives car elles ne
modifient pas le passé ; elles ne produisent d’effet que pour l’avenir. Mais dans
la mesure où elles regardent vers le passé, le terme de rétrospectivité qui leur
sert de qualificatif peut paraître adéquat, surtout en ce qu’il permet de les
dissocier des normes classiques. Cet attribut n’apparaît cependant pas dans les
textes33».

Ce caractère rétrospectif ne dispense pas les lois de finances des critiques


sur le plan de la sécurité fiscale. Ainsi, les contribuables sont obligés d’attendre
l’écoulement de la période d’imposition afin de connaître le régime fiscal qui
leur est applicable. Par exemple, lorsqu’un contribuable accomplit un acte en
raison d’un régime fiscal de faveur applicable à cette opération en vertu de la
loi de finances de l’année précédente, celui-ci devra attendre l’entrée en
vigueur de la future loi de finances afin de connaître le régime fiscal réellement
applicable à cette opération34.

32
Plusieurs appellations sont attribuées aux lois de finances rétrospectives. Certains auteurs préfèrent parler de
"rétroactivité de fait ou de principe" (• Jean LAMARQUE, Ludovic AYRAULT et Olivier NEGRIN, Droit
fiscal général, Paris (2011), 2éme éd, Lexis Nexis/Litec p 463) d’autres parlent de "rétroactivité naturelle" ou
"petite rétroactivité" (Oliver FOUQUET, "La rétroactivité des lois fiscales", In la revue administrative, n° 278
avril 1994, p 140).
33
O.Debat op cit p 71
34
Frédéric DOUET, l'étude de la sécurité juridique en droit fiscal interne français, ed L.G.D.J., 1997, Paris, p112

24
Cette caractéristique des lois de finances met les contribuables dans une
situation d’ignorance totale de la règle fiscale applicable. Au moment où ils
accomplissent leurs actes, ils ne savent pas exactement "dans quelle sauce
fiscale ils seront mangés". « M. COZIAN a une formule explicite qui traduit
parfaitement ce malheureux état de fait : jouez d’abord, on vous donnera les
règles du jeu à la fin de la partie35».

Les exemples des dispositions rétrospectives ayant secoué les prévisions des
contribuables sont multiples. On en trouve au moins une dans chaque loi de
finances. On peut ainsi citer celle de l’année budgétaire 2008 qui avait révisé à
la hausse le taux de la TVA sur la location avec option d’achat (LOA) qui
s’applique aux loyers dus à compter du 1er janvier 2008. Cette mesure avait
pour effet de toucher l’économie des contrats conclus avant l’entrée en
vigueur de cette hausse, ce qui a généré une grande vague d’indignation chez
les consommateurs qui avaient conclu leurs contrats avec les établissements
financiers avant la publication de cette loi au Bulletin Officiel36.

Un autre exemple, plus choquant que le précédent, concerne une


contribution qui frappait le résultat des sociétés, et qui n’était pas connu
jusqu’à l’entrée en vigueur de la loi de finances de 2012. Il s’agit de la
"contribution pour l’appui à la cohésion sociale" dont le calcul repose sur le
montant du bénéfice net de l’exercice comptable déclaré au titre de l’impôt sur
les sociétés en 2012. «On taxera donc les entreprises sur un bénéfice de 2011,
au cours duquel cette contribution n’existait pas. Le fait générateur de cet

35
Maximilien MESSI, Nul n’est censé ignorer la loi fiscale, tome1, la recherche de la règle applicable, ed
L’Harmattan 2007, Paris, p 51
36
"TVA sur LOA: Les consommateurs crient à l’arnaque ", In L’économiste Édition N° 2702 du 29/01/2008.

25
impôt repose sur l’activité des entreprises au moment où le seul impôt à
acquitter était un IS de 30% »37.

Du côté de la jurisprudence, on peut dire que la position de la cour de


cassation n’est pas stable. Ainsi la cour s’est montrée plus protectrice envers le
contribuable en adoptant une position contraire à la théorie du fait générateur.
C’est ce qui ressort de l’un de ses arrêts, où la chambre administrative avait
considéré qu’en vertu de l’article 4 de la Constitution de 1996 qui dispose que
la loi ne peut avoir un effet rétroactif, le revenu imposable est celui réalisé dans
l’année qui suit l’entrée en vigueur de la loi qui a institué une nouvelle
imposition, « car parmi les objectif de la loi est d’assurer la quiétude en
garantissant l’accomplissement des transactions sur la base des règles
juridiques précédemment connues. Il est donc impossible d’imaginer que le
législateur ait comme but de surprendre les contribuables par un impôt qu’ils
n’ont pas pris en considération lors de leur transaction commerciale, puisqu’il
n’était même pas imposé l’année dans laquelle leur revenu a été imposable 38».

A vrai dire, il s’agit d’une jurisprudence courageuse qui privilégie l’équité sur
l’application du droit, en adoptant la théorie du droit acquis et écartant celle de
l’effet immédiat. Sauf que cette position semble être unique, puisque la cour
de cassation a eu l’occasion de s’exprimer sur la question à maintes reprises où
elle avait opté pour la théorie de l’effet immédiat des lois. Ainsi, pour ne citer

37
Fadel Agoumi, "Inconstitutionnel, le Fonds de cohésion sociale ? ", In La vie éco, ed du 25/06/2012
‫"لكن حيث ينص الفصل الرابع من الدستور على أنه ليس للقانون أثر رجعي وعليه فإن القانون الذي كان ساري المفعول سنة تحقيق الدخل وهو‬38
‫القانون القابل للتطبيق على الضريبة العامة على الدخل وليس القانون الذي أصبح ساري المفعول في تاريخ التصريح بالدخل ألن من غايات القانون‬
‫توفير االطمئنان بضمان التعامل على أساس قواعد قانونية معلومة مسبقا فال يمكن أن يكون قصد المشرع مفاجأة المتعاملين بضريبة لم يدخلوها في‬
.‫حسابهم االقتصادي ألنها لم تكن مفروضة أصال قبل السنة التي تحقق فيها دخلهم‬
‫ يكون غير خاضع لضريبة المساهمة المفروضة على المعفيين من الضريبة العامة على‬1991 ‫وحيث إن الدخل الذي ال نزاع في أنه تحقق سنة‬
‫الدخل ألن ضريبة المساهمة المفروضة على المعفيين من الضريبة العامة على الدخل ألن ضريبة المساهمة المذكورة هي ضريبة جديدة لم يقع‬
‫ فكان قرار فرض ضريبة المساهمة المنازع فيها قرار غير‬1992 ‫ الذي لم ينشر بالجريدة الرسمية إال في يناير‬1992 ‫إحداثها إال بقانون المالية لسنة‬
‫المؤرخ في‬1066 : ‫" المجلس األعلى القرار عدد‬.‫مشروع لخرقه قاعدة عدم رجعية القانون ويكون ما قضى به الحكم المستأنف في محله‬
‫ قضاء الغرفة اإلدارية في مجال الضرائب و‬:‫ منشور في مجلة دفاتر المجلي األعلى‬484/5/1/1995 : ‫ عدد‬: ‫ ملف إداري‬03/07/1997
13‫ ص‬2005/9 ‫ عدد‬2004 ‫ و‬1997 ‫التحصيل الفترة ما بين‬

26
que quelques exemples, la cour de cassation a considéré dans l'un de ses
récents arrêts, que l'administration fiscale doit tenir compte d'une nouvelle
mesure prescrite par la loi de finances de 2001, limitant le délai de réponse à
60 jours à compter de la date de la réception de la réponse du contribuable à la
première lettre. En appui à cette position, la cour avait considéré « que les lois
de nature procédurale s'appliquent immédiatement dès leur entrée en vigueur,
et que le principe de l'effet immédiat des lois consiste à appliquer les mesures
citées par la nouvelle loi sur les actes accomplis sous son égide, même s’ils
portent sur des faits dont la date est antérieure, ou si une partie des actes était
soumise à une loi antérieure39 ». La cour de cassation avait suivi ce même
raisonnement dans une autre affaire, en jugeant que les dispositions de l’article
242 al. 5 qui interdisent à l’expert nommé par le juge de fonder ses conclusions
sur des moyens ou documents qui n’ont pas été soumis à l’administration
durant la procédure contradictoire, sont des dispositions procédurales ayant un
effet immédiat40.

En dépit du caractère protecteur de la première jurisprudence, la seconde


position jurisprudentielle paraît plus raisonnable, puisqu’on ne peut remettre
en cause la rétrospectivité de la loi de finances pour des raisons de commodité,
qu’on aura l’occasion d’expliciter plus loin41. Par ailleurs, malgré les surprises
que peut comporter cette "rétroactivité de fait", elle reste relativement moins

39
Arrêt de la cour de cassation n° 622 en date du 20/12/2012, dossier administratif n° 80/4/1/2011 (non
publié).
40
Arrêt de la cour de cassation n° 136/2 en date du 13/02/2014 dossier administratif n° 1926/4/2/2012.
Sur cette même question, voir également les arrêts suivants :
 L’arrêt de la cour de cassation n° 38 en date du 17/01/2007, dossier adm n° 2102/2/4/2004 (non publié)
 L’arrêt de la cour de cassation n° 164 en date 27/02/2008 dossier adm n° 2857/4/2/2006 (non publié)
 L’arrêt de la cour de cassation n° 177 en date du 27/02/2009 dossier adm n° 2207/4/2/2006 (non publié)
 L’arrêt de la cour de cassation n° 5 en date du 05/01/2012 dossier adm n° 801/4/2/2011 (non publié)
41
V. infra Deuxième partie - chapitre 1- section 1- §2- B- 2-Les mesures législatives d'accompagnement pour les
normes fiscales nouvelles. P174

27
dangereuse sur le plan de la sécurité juridique, que les lois fiscales
expressément rétroactives lorsqu’elles sont défavorables au contribuable.

B- Les lois fiscales expressément rétroactives

C’est le type de rétroactivité le plus redoutable pour le contribuable sur le


plan de la sécurité fiscale, dans la mesure où le législateur édicte clairement
qu’une loi s’applique rétroactivement à la date de son entrée en vigueur. Mais
cela ne veut pas dire d’emblée que toutes les dispositions rétroactives sont
systématiquement défavorables au contribuable ; au contraire, la rétroactivité
peut servir de moyen pour clarifier certaines dispositions, corriger une situation
d’insécurité fiscale ou développer les garanties du contribuable. Toutefois,
malgré les avantages pouvant résulter de la rétroactivité, la lecture de l’article
6 de la Constitution laisse entendre que le principe de non-rétroactivité des lois
s’applique de manière absolue. Faut-il donc en déduire que l’interdiction
prévue par cet article ne peut en aucun cas subir d’exception ? Autrement dit,
peut-on accepter une disposition rétroactive au mépris de l’interdiction
constitutionnelle ?

Cette problématique ne se pose pas avec acuité en droit français, puisque le


principe de non-rétroactivité n’a pas de valeur constitutionnelle en matière
fiscale, mais cela n’a pas empêché le conseil constitutionnel et le conseil d’Etat
d’encadrer le recours à ce procédé (1). Quant au conseil constitutionnel
marocain, on remarque qu’il s’est inspiré de son homologue français, même si
sa démarche reste contestable à plus d’un titre (2).

28
1- La rétroactivité des lois fiscales en France

Cette question a été soulevée devant le Conseil Constitutionnel à maintes


reprises par des recours tendant à faire valoir la contrariété des lois fiscales
rétroactives au principe de la sécurité juridique.

Maître Laurent DAVID42 a résumé la position du Conseil Constitutionnel


français sur la question en trois types de limites permettant d’encadrer le
recours à la rétroactivité dans les lois fiscales :

D’abord, conformément au principe de la non-rétroactivité des lois


répressives posé par l'article 8 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du
Citoyen, la loi fiscale rétroactive ne saurait permettre d'infliger des sanctions à
des contribuables pour des agissements antérieurs à la publication des
nouvelles dispositions ;

Ensuite, l'application rétroactive de la loi fiscale ne peut porter préjudice aux


contribuables dont les droits ont été reconnus par une décision de justice
passée en force de chose jugée ou dont les obligations sont éteintes par une
prescription extinctive;

Enfin, si le législateur a le pouvoir de modifier rétroactivement la loi


fiscale, il ne doit le faire que pour des motifs d'intérêt général.

Ces trois limites incitent à formuler des remarques conséquentes. Ainsi on


constate que le Conseil n’a attribué la valeur constitutionnelle au principe de la
non-rétroactivité des lois que pour la première limite. C’est ce qui explique
d’ailleurs son application absolue par le Conseil. Il n’est pas question de
permettre aux autorités compétentes d’infliger des sanctions à des

42
L. DAVID. Op.Cit. p 49

29
contribuables pour des agissements antérieurs à la publication des nouvelles
dispositions43.

Quant à la seconde limite, il importe d’attirer l’attention sur le fait qu’elle ne


concerne que la décision passée en force de chose jugée qui doit être
distinguée de la décision ayant seulement l’autorité de la chose jugée. Cette
dernière n’acquiert la force de la chose jugée qu’après être devenue définitive
et donc exécutoire. Cette distinction laisse entendre que le Conseil écarte du
bénéfice de cette limite tous les jugements qui sont susceptibles d’un recours
suspensif d’exécution. Cette solution a été puisée dans le principe de la
séparation des pouvoirs, dans la mesure où « le législateur, en revenant sur des
décisions définitives rendues par le juge de l’impôt, se passe pour un juge de
l’application de droit, il empiète donc sur la compétence du pouvoir judiciaire
et irait à l’encontre du principe constitutionnel de l’indépendance de la
justice 44».

Le Conseil Constitutionnel a également écarté l’application de toute loi


rétroactive portant atteinte à une prescription extinctive, car cela constituerait
un trouble pour la paix sociale, en portant atteinte à un besoin naturel existant
dans toute société de promouvoir l’oubli, même si le contribuable avait agi en
mauvaise foi. Il doit donc être définitivement protégé dès qu’une prescription
extinctive lui est acquise.

En ce qui concerne la troisième limite, le conseil constitutionnel français s’est


abstenu dans un premier temps de censurer les lois fiscales à caractère

43
L’évolution du droit pénal vers la notion de droit répressif a influencé le droit fiscal : les dispositions
répressives qu’il prévoit, c’est-à-dire les sanctions fiscales, se trouvent ainsi admises au sein des dispositions à
‘’coloration pénale‘’, ce qui a permis l’application par la suite du principe constitutionnel de non-rétroactivité en
matière fiscale.
44
O. DEBAT op cit p .303

30
rétroactif, en affirmant qu’aucun principe à valeur constitutionnelle ne s’y
opposait45. Ce n’est qu’en 1986 qu’il a commencé à nuancer sa position en
énonçant que « par exception aux dispositions de valeur législative de l'article 2
du code civil, le législateur peut, pour des raisons "d'intérêt général", modifier
rétroactivement les règles que l'administration fiscale et le juge de l'impôt ont
pour mission d'appliquer 46». Toutefois, cette solution n’a pas pu clôturer le
débat. En effet, les discussions s’acharnent encore sur la portée de la notion
d’intérêt général. Ainsi, certains auteurs considèrent que « l’intérêt général
peut être entendu comme correspondant à l’intérêt de finances publiques.
Sous cet angle, les lois de finances rétroactives tendent à augmenter les
ressources fiscales de l’Etat47 ». C’est d’ailleurs cette interprétation qui se
trouve à la base de l’adoption des lois de validation. D’autres auteurs ont fait
valoir que l’intérêt général ne doit pas se confondre avec l’intérêt financier et
budgétaire du trésor public. Selon eux, il doit aussi correspondre à l’intérêt du
contribuable48, dans la mesure où il mérite une ample protection, vu sa faible
position par rapport à l’administration. Le critère d’intérêt général doit donc
être évalué sur la base de l’utilité de la rétroactivité au regard d’une double
considération : celle des droits du contribuable et celle de la société49.

45
C. Const. français décision n° 84184 rendue le 29 décembre 1984, publiée au http://www.conseil-
constitutionnel.fr/conseil-constitutionnel/francais/les-decisions/acces-par-date/decisions-depuis-1959/1984/84-
184-dc/decision-n-84-184-dc-du-29-decembre-1984.8137.html consulté le 05/08/2015 à 19 :35
46
C. const. français décision n° 86-232 rendue le 29 décembre 1986, publiée au http://www.conseil-
constitutionnel.fr/conseil-constitutionnel/francais/les-decisions/acces-par-date/decisions-depuis-1959/1986/86-
223-dc/decision-n-86-223-dc-du-29-decembre-1986.8297.html consulté le 05/08/2015 à 14 :30
47
F. DOUET op cit p 130
48
L. DAVID op. cit. p.49
49
O. DEBAT op. cit. p 336

31
Quelle qu’en soit la portée, le Conseil Constitutionnel se réfère aux travaux
préparatoires du parlement pour juger de la constitutionnalité de la loi vis-à-vis
de l’exigence de l’intérêt général50.

En conclusion, on note que le Conseil Constitutionnel s’est efforcé


d’encadrer au maximum la rétroactivité des lois fiscales malgré l’absence de
principe constitutionnel qui en interdit expressément le recours, comme c’est
le cas au Maroc.

2- La rétroactivité des lois fiscales au Maroc

Comme nous l’avons déjà évoqué, le Maroc a interdit expressément la


rétroactivité des lois à travers les différentes constitutions qui se sont succédé,
en commençant par celle de 1962 jusqu’à la toute dernière constitution de
2011. Toutefois, en dépit de cette interdiction, le législateur marocain n’a pas
hésité à y recourir à maintes reprises, en adoptant des dispositions rétroactives
dans tous les domaines. Et le droit fiscal en a eu la part du lion.

Certes, il ne serait pas convenable d’appliquer rigoureusement le principe


constitutionnel de la non-rétroactivité des lois, car il se peut que les effets
produits dans le passé par une loi fiscale soient bénéfiques aux contribuables.
On peut citer ainsi la loi n° 280 du 8 avril 198151 instituant des mesures
d’encouragement aux investissements immobiliers qui a décidé dans son article
2 de produire ses effets rétroactivement, soit à compter du 20 août 1980, date
à laquelle le défunt Roi Hassan II avait prononcé un discours sur les problèmes
du logement.

50
O. DEBAT op. cit 336
51
Dahir n° 1-81-207 publié au Bulletin Officiel n° : 3572 du 15/04/1981 - Page : 218

32
Au regard de cet avantage, il n’est pas souhaitable de priver le législateur
d’un outil aussi important comme la rétroactivité. Mais cela nous conduit à
nous interroger sur l’utilité d’incorporer dans la constitution une interdiction
expresse de la rétroactivité des lois, tout en permettant au législateur de la
transgresser à sa guise. Devant ce paradoxe, le Conseil constitutionnel
marocain s’est inspiré de son homologue français, en se basant sur la notion de
l’intérêt général. Sauf que le contexte juridique est bien différent : le conseil
constitutionnel a usé de cette notion non pas pour encadrer le recours à la
rétroactivité des lois par le législateur comme c’est le cas en France, mais pour
ouvrir la porte à notre parlement pour enfreindre l’interdiction posée par la
constitution. Inutile de revenir sur le sens de cette notion précédemment
exposé, puisque le raisonnement du conseil constitutionnel marocain a été
identique à celui de la France. Ainsi, au moyen d’une lettre déposée au Conseil
le 27 décembre 2001, certains parlementaires ont invoqué
l’inconstitutionnalité d’une disposition de la loi de finances pour l’année
budgétaire 2002 qui accorde rétroactivement une exonération des droits et
taxes applicables à l’importation des viandes de volailles, d’ovins et de bovins
au profit des Forces Armées Royales, à compter du 1er janvier 1996. En réponse
à ce recours, le conseil avait considéré que « le principe de non-rétroactivité
des lois, posé par l’article 4 de la Constitution, ne constitue pas une règle
absolue, du fait des exceptions qui y sont apportées dans le cadre de la loi de
finances, justifiées par des critères sur lesquels se base le législateur pour
régulariser des situations exceptionnelles, définies par l’administration dans un
but d’intérêt général …52 ».

52
C. const. marocain, décision n° 467 rendue le 31 décembre 2001dossier n° 2001/557
Voir à ce titre note de Amine BENADBALLAH "Le Conseil Constitutionnel et le principe de non-rétroactivité
(note de jurisprudence) " In REMALD, n°43 mars-avril 2002 p. 99 à 108

33
Cette solution donnée par le conseil constitutionnel semble être efficace sur
le plan pratique, permettant ainsi de tolérer l’adoption de lois rétroactives, qui
peuvent être avantageuses pour le contribuable, tout en gardant un droit de
contrôle sur ce type de lois, au moyen du critère de l’intérêt général. Toutefois,
sur le plan juridique, le raisonnement du conseil suscite de vives critiques.
Selon le professeur BENABDALLAH : « le constituant avait eu tort d’être si
catégorique, mais est-ce que le juge constitutionnel peut le corriger aussi
simplement en admettant des exceptions au principe, justifiées par des critères
sur lesquels se base le législateur pour régulariser des situations
exceptionnelles, définies par l’administration dans un but d’intérêt
général ? 53». De plus, ce critère d’intérêt général a comme inconvénient d’être
vague et imprécis, dans la mesure où la loi, expression de la volonté générale,
n’a vocation en principe que de conquérir un but d’intérêt général. Or nous
savons que toutes les lois en général et les lois de finances en particulier, sont
élaborées sous-forme de projet de loi par le gouvernement et soumises au vote
du Parlement, alors que « les propositions de lois fiscales sont quasi
inexistantes54». Il appartient donc à l’administration de déterminer « l’intérêt
général et c’est [au] législateur [de] doit lui offrir la base légale55», le tout, sous
la bénédiction du Conseil Constitutionnel.

Outre le caractère flou et imprécis de cette notion, elle pourra avoir comme
effet d’ouvrir la porte à la prolifération des lois rétroactives, sans même
craindre la censure du Conseil Constitutionnel par la suite56.

53
Op cit M. A. BENABDALLAH
54
Noureddine BENSOUDA, Analyse de la décision fiscale au Maroc, ed La Croisée des chemins, 2009, p 41
55
Op cit M. A. BENABDALLAH
56
Une tentative récente de recours devant le conseil constitutionnel en vue d’annuler une disposition rétroactive
dans la loi de finances. Mais les juges n’ont pas discuté le fond du recours, ils ont déclaré la demande
irrecevable, car intentée hors délai (le conseil constitutionnel, décision n° 912/13 rendue le 01 janvier 2013
dossier n° 1368/12.

34
Au total, si la rétroactivité des lois fiscales portent inéluctablement atteinte à
la prévisibilité du contribuable, le revirement de l’administration sur une
interprétation donnée n’est pas moins préjudiciable à ses prévisions,
notamment lorsque le fisc entend l’appliquer rétroactivement.

§ 2– Le changement rétroactif de « la doctrine


administrative »

Devant la dégradation sensible de la qualité de la loi fiscale causée


principalement par son instabilité ainsi que par l’accroissement de sa
complexité et de sa technicité, un besoin accru d’éclaircissement de ses
dispositions est apparu, afin de réduire au maximum le conflit d’interprétation.

En principe, le pouvoir d’interprétation appartient au juge de l’impôt, dont


les décisions ont une valeur normative à l’égard aussi bien du contribuable que
du fisc. Sauf que la jurisprudence ne peut résoudre tous les problèmes qui se
posent en droit fiscal, puisqu’elle n’intervient qu’après l’éclosion d’un litige.
D’où la nécessité du concours de l’administration57, étant la principale
praticienne du droit fiscal. Ainsi, pour l’accomplissement de cette lourde tâche,
l’administration fiscale recourt à divers instruments (les réponses
ministérielles, les notes de service, les circulaires, etc.) qu’on appelle
communément « doctrine administrative ».

En effet, l’interprétation de la loi fiscale par l’administration suscite deux


conséquences pratiques vis-à-vis des deux parties : elle favorise ainsi
« l’application uniforme de la loi fiscale par les agents de l’administration, ce
qui est sa mission première. Elle permet aussi, incidemment au contribuable,
de procéder à des choix fiscaux avec une plus grande sécurité, puisqu’il pourra

57
Laurence VAPAILLE, La Doctrine Administrative Fiscale, éd L’Harmattan 1999 Paris. p 132 et s,

35
connaître par avance la position de l’administration58». Cela ne veut pas dire
qu’elle est contraignante pour le contribuable. Ce dernier peut parfaitement
ignorer son existence et procéder lui-même à l’interprétation des textes
fiscaux. Dans ce cas, on serait devant ‘’un conflit d’interprétations’’.

Généralement, le contribuable préfère s’inscrire dans une situation autorisée


par l’administration, afin d’éviter tout risque de redressement fiscal, et dont les
conséquences financières peuvent se révéler en pratique réellement
dissuasives. En réaction à cette conséquence, le Conseil Economique, Social et
Environnemental, a donné comme exemple l’impôt sur les sociétés qui selon lui
souffre «d’une définition trop large de ses critères de calcul, générant pour le
contribuable une incertitude d’interprétation, que l’administration fiscale met
quasi systématiquement à profit pour redresser à son avantage. Les demandes
de clarification n’obtiennent que rarement des réponses claires, et la Direction
de la Législation Fiscale, étant intégrée à la Direction Générale des impôts, a
souvent une position qui privilégie l’interprétation des inspecteurs fiscaux59».

En plus de son effet dissuasif envers le contribuable, dans la pratique, la


doctrine administrative a l’avantage de s’appliquer en premier en écartant le
point de vue du contribuable, puisque les agents de l’administration
apprécieront, à l’évidence, la régularité des opérations du contribuable au
regard de la loi fiscale telle qu’elle est interprétée par leur administration. Ce
n’est que lors du contrôle de la régularité d’une situation fiscale par le juge que
cette doctrine pourra être remise en cause.

58
O. DEBAT, Op. Cit p 264
59
« Le système fiscal marocain: levier du développement économique et de cohésion sociale ». Avis sur auto-
saisine du Conseil Economique et Social et Environnemental vol. 9. rendu publique le 29 novembre 2012, p 8.

36
De ce qui précède, on remarque que la doctrine administrative se dote
implicitement d’une force juridique obligatoire, alors même qu’elle est
dépourvue de toute valeur juridique. En effet, « la prolifération de ces textes
ainsi que la position inférieure du contribuable par rapport à l’administration
incite à les considérer comme partie intégrante du droit fiscal60 ». Que seraient
donc les conséquences de cette force probante acquise par la doctrine
administrative sur la sécurité juridique du contribuable ?

Cette question ne se pose avec acuité que lorsqu’un conflit d’interprétation


entre le fisc et le contribuable s’est généré. Il importe de préciser à ce titre que
le contribuable ne va contester une doctrine que si elle lui est défavorable. Il
n’a aucun intérêt à agir contre une doctrine qui lui est favorable même si elle
est illégale. Le problème ne se pose que lorsqu’une position administrative
favorable au contribuable est remise en cause par l’administration. Dans ce cas,
est-ce qu’il est en droit d’exiger l’application de l’ancienne interprétation ? Plus
précisément, est-ce que le contribuable peut se prévaloir d’un droit acquis si
l’administration a fait un revirement quant à l’interprétation d’un texte fiscal
"in favorem" ?

Mais le problème ne réside pas dans le changement d’une interprétation par


l’administration, car rien ne lui interdit de revenir sur son appréciation d’une
situation fiscale donnée, mais ce qui est condamnable, c’est d’appliquer au
contribuable des redressements dans le passé sur la base d’une nouvelle
doctrine. Cette attitude met le contribuable dans un état d’insécurité certain,
en ignorant éternellement le sort de ses déclarations non prescrites. En effet,
l’application rétroactive d’une doctrine administrative défavorable au
contribuable, peut entraîner beaucoup de conséquences néfastes sur le plan de

60
Patrick SERLOOTEN, Droit fiscal des affaires, ed Dalloz 2009, Paris, p11

37
la sécurité fiscale ; le contribuable peut ainsi se voir subir des rehaussements
de ses impositions suite à un changement brusque de la doctrine
administrative.

La France a résolu définitivement ce problème. Désormais, la loi française


encadre avec précision ce droit d’interprétation de l’administration fiscale61, à
la différence du Maroc où aucune disposition législative n’encadre le droit de
reprise de l’administration fiscale en cas de changement rétroactif de son
interprétation des textes fiscaux. Sous l’égide de cette situation, le redevable
marocain vit une totale insécurité, en ignorant son sort jusqu’à l’expiration du
délai de prescription. Ainsi, il ressort de l’article 232 du code général des
impôts, qui régit le droit de reprise de l’administration, que les insuffisances,
ainsi que les erreurs et omissions totales ou partielles constatées dans la
détermination des bases d'imposition ou dans le calcul de l'impôt, imputables
aussi bien au contribuable qu'à l'administration, peuvent être réparées jusqu’à
l’expiration des délais de prescription tels qu’ils sont déterminés selon la
nature des impôts. Or, si l’administration revient sur une appréciation de la loi
fiscale, le contribuable peut en subir les conséquences en se voyant appliquer
des majorations ou des droits complémentaires, sous prétexte de constatation
« des insuffisances de perception, des erreurs et omissions totales ou
partielles» par l’administration.

Le recours à ces abus par le fisc est une certitude prouvée par l’histoire de
l’impôt au Maroc. On peut ainsi citer deux exemples :

Juste après le vote de la loi de finances de l’année 1998, la question de la


nature de la profession des pharmaciens s’est posée pour la première fois au

61
V. infra, partie2- chapitre 1- Section I- §1- B- 1- Limitation du pouvoir d’appréciation de l’administration
fiscale p.151

38
Maroc. La problématique qui s’est posée à l’époque était de savoir dans quelle
catégorie fallait-il ranger la profession de pharmacien tenant une officine
pharmaceutique ? S’agit-il d’une profession libérale ou bien purement
commerciale ?

Cette question n’était pas sans intérêt sur le plan fiscal. S’il s’agit d’une
profession libérale, il ne faudrait donc les assujettir à la TVA qu’après l’adoption
d’une loi spéciale, en tenant compte du principe « pas d’impôt sans loi ». Si en
revanche, il s’agit d’une activité commerciale, la soumission des pharmaciens à
la TVA serait donc tranchée.

Il faut d’abord préciser que la profession libérale se démarque nettement


des activités commerciales. Selon le professeur Omar AZZIMAN, « la différence
est de nature des services rendus, la finalité sociale de la profession libérale et
la finalité privée de l’activité commerciale, le désintéressement de la première
et l’esprit de lucre de la seconde, les motivations élevées des membres de la
profession libérale et l’asservissement des commerçants à la recherche
exclusive du profit62 ». C’est la raison pour laquelle les médecins sont interdits
de recourir à des procédés d’ordre commercial, comme ceux de la réclame et
de publicité. Ce qui explique la prohibition de l’exercice simultané de la
médecine et de la pharmacie63.

On comprend alors de ces propos que les pharmaciens sont des


commerçants, puisqu’ils exercent une activité commerciale et accomplissent
des actes de commerce64. Le problème ne réside pas dans cette interprétation,

62
Omar Azziman, La profession libérale au Maroc, édition de la faculté des sciences juridiques économiques, et
sociales de Rabat, 1980, p165.
63
O. Azziman, Op. Cit. p167.
64
Ce débat n’est plus d’actualité aujourd’hui, puisque le législateur a tranché cette question par l’adoption de la
loi n° 17-04 portant code du médicament (B.O. n° 5480 du 7 décembre 2006) dont l’article 81 dispose que « les

39
mais dans le silence de l’administration fiscale qui n’a jamais posé cette
question auparavant ; elle « aurait dû surgir depuis le 1er janvier 1992, date
d'entrée en vigueur de la disposition (art. 4-3ème alinéa de la loi relative à la
TVA) étendant le champ d'application de la taxe aux commerçants détaillants
ayant réalisé un chiffre d’affaire supérieur ou égal à 3.000.000 de DH. Par
conséquent, comment se fait-il que l'administration fiscale ne se soit rendu
compte de la situation des pharmaciens qu'au cours de l'année 199765? »

Vraisemblablement, le silence de l’administration ne peut être considéré ici


comme une prise de position, car il faut que son interprétation ait un caractère
explicite pour dire qu’il s’agit d’un revirement d’interprétation. De ce fait, les
pharmaciens ne peuvent prétendre disposer d’un droit acquis. Toutefois, poser
cette question de l’assujettissement des pharmaciens à la TVA, de manière
soudaine, en réclamant des arriérés, après de longues années de silence, porte
sans doute atteinte à leur sécurité juridique, en bouleversant ainsi leurs
prévisions.

Un autre exemple plus récent marque plus nettement ce type d’abus. Ainsi,
toujours en matière de TVA, ce sont les professionnels de la messagerie qui ont
vu leur prévisibilité troublée, en leur appliquant soudainement un taux de 20 %
au lieu de 14% auquel sont soumises les sociétés de transport. Selon le fisc,
l’activité de messagerie constitue un service à part entière, tout à fait distinct
de l’activité de transport, et devrait donc être soumise au taux normal de la
TVA. Comme dans le cas précédent, le problème ne réside pas dans cette
interprétation, mais dans le revirement du fisc après avoir longtemps taxé les

dispositions de la loi n° 15-95 formant code du commerce, …s’appliquent aux établissements pharmaceutiques
définis à l’article 74 ci-dessus dans la mesure où elles ne sont pas contraires à celle de la présente loi ».
65
"Une protection du contribuable contre les changements de doctrine administrative", InAuteur inconnu,
L’économiste Edition N°:391 Le 02/12/1998.

40
sociétés de messagerie par le taux réduit de 14% en les assimilant à des
sociétés de transport, ce qui a coûté cher à ces contribuables à cause des
majorations sur les 4 dernières années66.

En l’absence de texte protecteur de la prévisibilité du contribuable en


matière de revirement de la doctrine administrative, la cour de cassation a
récemment pris une position favorable au contribuable par le recours au
principe de la confiance légitime. Elle a décidé que « l’administration est tenue
par le contenu de sa circulaire envers les contribuables conformément au
principe de la confiance légitime, selon lequel l’interprétation faite de la loi au
moyen des circulaires permet au contribuable de connaître ses droits, et
constitue par conséquent une source de quiétude pour lui, en y faisant
confiance, et en conditionnant son action»67.

Par cette jurisprudence, on peut admettre que la cour de cassation est bien
en avance par rapport à la loi en matière de protection de la prévisibilité du
contribuable, dans la mesure où elle fait appel au principe communautaire de
la confiance légitime pour faire obstacle à un revirement d’interprétation par
l’administration fiscale.

Dans cette même perspective de protection des prévisions légitimes du


contribuable, la cour de cassation avait conclu que « les décisions
administratives ne peuvent pas porter atteinte à un droit acquis »68. Cette
solution est parfaitement transposable en matière fiscale, sous réserve de
prendre en considération la théorie du fait générateur développé

66
"La fatwa du fisc aux sociétés de messagerie", In L’économiste, Edition N°:4357 Le 12/09/2014.
‫ "ما ورد من تفسير بالدورية المذكورة ملزما لإلدارة في مواجهة الملزمين إعماال لمبدأ الثقة المشروعة الذي يجعل من اطمئنان الملزم لتفسير‬67
‫اإلدارة للقانون بواسطة الدوريات الصادرة عنها لمعرفة حقوقه ضرورة مردها ثقته في التفسير المذكور والتي على أساسها قام بالتصرف على نحو‬
)‫ (غير منشور‬2014/2/4/1394 :‫ ملف إداري (الثاني) عدد‬2015/07/09 :‫ المؤرخ فـي‬2/601 :‫ محكمة النقض القرار عدد‬."‫معين‬
68
Arrêt de la cour de cassation n°464 en date du 04/06/2008 dossier adm n° 470/4/1/2005 (non publié)

41
précédemment, car c’est en référence à ce critère que s’apprécie l’existence
ou non d’une atteinte à un droit acquis, que ce soit par un changement de
doctrine administrative ou par l’effet de la rétroactivité économique des lois
fiscales.

L’expression « rétroactivité économique » ne renvoie pas à une rétroactivité


au sens juridique du terme. Il s’agit d’une formulation employée pour désigner
un état de changement fréquent et massif des dispositions fiscales, créant ainsi
une perturbation au niveau des prévisions des contribuables. En effet, bien que
les lois ne disposent que pour l’avenir, le changement de certains dispositifs
fiscaux peut être source d’insécurité juridique pour le contribuable, « en
modifiant le traitement fiscal de situations en cours69», ce qui peut par
conséquent « modifier de manière substantielle le bilan prévisionnel d’un
investissement en cours d’exécution70 ».

Cette situation se concrétise chaque année par le vote de la loi de finances


qui apporte plusieurs remaniements à de nombreuses dispositions fiscales,
notamment celles du code général des impôts et de la charte des
investissements71. Or, l’instabilité des lois fiscales est de nature à nuire à
l’attractivité de notre pays qui s’est lancé dans la compétition au rang des pays
émergents pour attirer le plus grand nombre d’investissements directs
étrangers (IDE).

69
Rapport B. Gibert, Op. Cit. 66.
70
Améliorer la sécurité juridique des relations entre l’administration fiscale et les contribuables - une nouvelle
approche - Rapport FOUQUET p7 disponible au : http://www.ladocumentationfrancaise.fr/rapports-
publics/084000360/ consulté le 02/05/2016 à 19 :17.
71
Cette charte a pour objet de refléter le degré d’attractivité du pays pour les investisseurs, puisqu’il englobe la
plupart des dispositions incitatives à l’investissement, afin de capter le plus grand nombre de capitaux,
notamment étrangers. Sauf que la nature fondamentale de cette charte oblige de la modifier par une loi cadre, le
cas échéant.

42
En principe, rien n’interdit au législateur de modifier une loi fiscale. Il s’agit
au contraire de l’un de ses pouvoirs régaliens. De plus, il ne faut pas nier que
ces modifications peuvent être bénéfiques pour le contribuable, surtout
lorsqu’elles sont stipulées pour l’avenir, et quand elles prennent en
considération sa sécurité juridique. Dans ce sens, le conseil de l'impôt français
considère que « la sécurité juridique d'un contribuable est assurée lorsque ses
droits et obligations résultant d'une norme juridique ne peuvent être modifiés
que pour l'avenir et par une norme de niveau égal ou supérieur72». En outre, la
modification de la loi n’est généralement contestée que lorsqu’elle devient
fréquente. D’ailleurs, le terme même "d’instabilité" renvoie forcément à une
idée de répétition. Il ne s’agit pas du changement en tant que tel, mais de la
multiplication des changements.

L’instabilité des lois fiscales est souvent justifiée par le prétexte de la


nécessité de l’adaptation du droit fiscal avec l’évolution de la société.
Toutefois, l’analyse des changements entrepris par le législateur en matière
fiscale démontre que dans la plupart des cas, les intentions de ce dernier ne
seraient que « pour renier sa parole et revenir sur ses engagements73 », ce qui
met le contribuable dans un état d’inquiétude générale.

Sous le bénéfice de ces précisions préliminaires, nous allons tout d’abord


exposer les principales causes qui sont derrière l’instabilité des dispositions
fiscales (A), pour illustrer ensuite les manifestations de cette rétroactivité
économique (B).

72
"Fiscalité et vie des entreprises", 13éme rapport du conseil des impôts 1994, tome 1 Imprimerie des journaux
officiels, p 341
73
Maximilien MESSI, Nul n’est censé ignorer la loi fiscale, tome 1 : La recherche de la loi applicable, ed
L’Harmattan, p 39

43
A- Les causes de l’instabilité des lois fiscales

Plusieurs facteurs sont à l’origine de cette instabilité. Le mode d’élaboration


des règles fiscales en constitue l’une des causes majeures. En effet, la création
des normes fiscales se fait, le plus souvent, de manière hâtive, animée
principalement par des considérations budgétaires, en ignorant totalement les
intérêts des contribuables. Aucune préparation ou étude préalable ne précède
la création des lois fiscales afin de tracer clairement l’impact des mesures
adoptées. De plus, l’absence d’une vision à long terme rend notre système
fiscal condamné à une perpétuelle réforme.

Outre l’élaboration à la hâte des lois fiscales, l’omnipotence des règles


régissant l’impôt constitue une autre cause d’instabilité de ces lois. En effet, il
s’agit d’un résultat direct de l’interventionnisme de l’Etat par le biais du droit
fiscal, qui a pour conséquence directe de fausser les schémas « normaux »
d’échanges et d’investissements, et par là, porter préjudice à la neutralité de
l’impôt par le recours à des pratiques fiscales jugées dommageables. On
conclut que « l'impôt étant l’élément privilégié d'intervention dans les
domaines économiques et sociaux, il est alors logique que la législation fiscale
soit en augmentation continue74» et par voie de conséquence, en changement
continu.

Un autre facteur d’instabilité des lois réside dans les rectifications


incessantes des règles fiscales par le législateur. « A peine une disposition est-
elle adoptée qu’elle fait déjà apparaître son lot de carence que le législateur
prétend réparer en modifiant le texte précédent75 ».

74
F. Douet Op. Cit., P 36
75
M. MESSI , Op. Cit, p40

44
En définitive, on remarque que « cette maladie endémique s'aggrave en
période d'alternance politique. Le changement de majorité est, logiquement,
facteur d'instabilité normative : des règles nouvelles vont incarner le
changement76 ». En fin de compte, on se trouve devant des lois chargées par
des dispositions inutiles, rapidement désuètes et non intelligibles.
B- Les manifestations de la rétroactivité économique

L’instabilité des lois fiscales apparaît clairement à travers les termes


employés par les lois de finances, en l’occurrence, les mots « modifié »,
« abrogé » et « remplacé ». Ainsi, certains articles subissent plus fréquemment
des remaniements que d’autres, comme ceux relatifs aux exonérations
accordées aux promoteurs immobiliers. A ce titre, on cite les dispositions de
l’article 6-II-C (1° et 2°) du C.G.I. qui prévoient une imposition au taux réduit de
17,50% prévu à l’article 19-II-C du C.G.I., pour une période limitée dans le
temps au profit de quatre catégories d’entreprises, notamment celles titulaires
de revenus provenant de la location de cités, campus et résidences
universitaires. Cette exonération avait pour but d’encourager les opérations de
construction de cités, résidences et campus universitaires et de contribuer à la
résorption du déficit en matière d’hébergement des étudiants. Le paragraphe
III de l’article 16 bis de la loi de finances pour l’année budgétaire 2001 a prévu
l’exonération de certains impôts, droits, taxes et redevances en faveur des
promoteurs immobiliers qui réalisent, dans un délai maximum de trois ans, des
projets de construction de telles unités. Les promoteurs immobiliers,
personnes morales, bénéficient pour une période de cinq ans à compter de la
date d’obtention du permis d’habiter, d’une réduction de 50% de l’I.S., au titre

76
Nicolas MOLFESSIS, "Le changement ne justifie pas l'insécurité juridique", In Les Echos Business (édition
électronique) du 08/11/2012, http://business.lesechos.fr/directions-financieres/fiscalite/0202355262071-le-
changement-ne-justifie-pas-l-insecurite-juridique-2404.php consulté le 02/05/2016 à 19:41

45
des revenus provenant de la location de cités, résidences et campus
universitaires réalisés en conformité avec leur destination. Cette réduction de
l’I.S. concernait la construction de cités, de résidences et de campus
universitaires dont la capacité est au moins de mille (1000) lits. La loi de
finances 2007 a ramené cette condition à cinq cent (500) chambres dont la
capacité d’hébergement est au maximum de deux (2) lits par chambre. En
2008, la loi de finances a modifié une autre fois l’article 6 (II-C-2°) en réduisant
le nombre de chambres requis, de cinq cents (500) à deux cent cinquante (250).
De même la réduction de 50% d’impôt a été remplacée par un taux
proportionnel de 17,50%. Puis, en 2009, le nombre de chambres obligatoires
pour bénéficier de l’exonération a été réduit à cent cinquante. La loi de
finances pour l’année budgétaire 2010 a abrogé de cette mesure à compter du
1er janvier 2011. Il fallait attendre l’adoption de la loi de finances n° 43-10 pour
l’année budgétaire 2011 pour rétablir cet avantage accordé aux promoteurs
immobiliers qui construisent des campus, cités et résidences universitaires.
Actuellement, l’article 6-II-C-2° du code général des impôts en vigueur, n’exige
que 50 chambres dont la capacité d’hébergement est au maximum de deux lits
par chambre.

C’est un exemple parmi d’autres qui nous montre la fréquence des


remaniements que subit la loi fiscale, même si dans ce cas d’espèce, les
modifications ne viennent que pour alléger les conditions nécessaires à
l’obtention de l’exonération. Néanmoins, lorsque l’instabilité devient telle, elle
pourrait perturber l’élaboration de prévision juridique, en créant une confusion

46
dans l’esprit des investisseurs, surtout lorsque le législateur a décidé d’abroger
cet avantage fiscal en 201177.

En fin d’analyse, on doit affirmer avec certitude que l’instabilité porte


atteinte à la sécurité juridique du contribuable, en faussant ses prévisions
légitimes et en réduisant sa visibilité dont la cause principale est tributaire de la
dégradation de la qualité des normes fiscales, qui sont devenues avec le temps
inaccessibles et inintelligibles. Il existe donc un lien étroit de cause à effet entre
l’instabilité et l’accessibilité, puisque comme le dit un auteur « le temps donne
au droit de l’autorité78 ».

Section II- La sécurité juridique du contribuable face aux


défis de la dégradation de la qualité de la loi fiscale

C’est un phénomène universel qui connaît de nos jours une ampleur sans
précédent aussi bien dans les Etats développés que dans ceux en voie de
développement. Il touche toutes les disciplines du droit notamment le droit
fiscal, où il engendre un sentiment général de rejet de l’impôt.

L’adage " nul n’est censé ignorer la loi" est devenu vide de tout sens en
matière fiscale. Ainsi, « face à une fiscalité complexe, une majorité importante
des contribuables [connaissent] mal, ou pas du tout, la réglementation fiscale
… notamment ceux qui ne bénéficient pas de l'aide du conseil fiscal souvent

77
Cette confusion peut être parfaitement illustrée par un autre exemple, portant sur la taxe des terrains non bâtis,
qui depuis son institution par la loi de finances de l’année 1978, a subi beaucoup de modifications, entre tantôt
l’exonération et tantôt la restauration. Cette confusion a généré plein de litige comme le montre les arrêts cités
ci-après :
 Arrêt de la cour de cassation n° 1050 en date 20/12/2012 dossier n° 1490/4/1/2010 (non publié)
 Arrêt de la cour de cassation n° 38 en date du 17/01/2007, dossier adm. N° 2102/4/2/2004 (non publié)
 Arrêt de la cour de cassation n° 536 en date du 23/06/2011 dossier adm. N° 592/4/1/2010,
(57-56‫ ص‬،12/2014 ‫ عدد‬،‫ الغرفة اإلدارية‬،‫(منشور في نشرة قرارات محكمة النقض‬
 Arrêt de la cour d’appel administrative de Rabat n° 199 en date du 18/04/2007 dossier n° 9/06/57
78
Thomas PIAZZON, La sécurité juridique, ed. Defrénois, Alpha 2010. p.32

47
onéreux. Le devoir d'informer qui pèse sur le fisc doit se fonder sur un constat
inverse selon lequel "nul n'est censé connaître la loi" 79».

Cette difficulté à l’accès au droit touche non seulement le contribuable,


considéré comme un profane du droit fiscal, mais aussi les gens de l’art dont la
fiscalité fait partie de leur quotidien, comme les agents de l’administration
fiscale, les experts comptables et les magistrats qui se trouvent souvent
dépassés par l’évolution rapide du droit fiscal, liée à l’inflation législative et
l’instabilité des normes fiscales, devenues avec le temps d’une technicité et
complexité extrêmes.

Dans ce sens, la Cour des Comptes française avait dénoncé ce nouveau mal
touchant le droit fiscal, en affirmant que « le Code Général des Impôts est
devenu, aux yeux même de l'administration, inintelligible, avec un vocabulaire
parfois désuet et une rédaction souvent obscure80 », à quoi il faut ajouter que,
« chaque année, environ 20 % des articles du Code sont remaniés81 ». Tout cela
nous conduit à nous interroger sur le degré d’accessibilité des normes fiscales
au contribuable, sachant que cette notion possède deux facettes dont l’une
dépend de l’autre : l’accessibilité matérielle ou physique (§1) et l’accessibilité
intellectuelle (§2).

§ 1- L’accessibilité matérielle :

Il s’agit du sens littéral du terme accessibilité, qui renvoie à une action


d’accéder physiquement au corpus des règles juridiques. En effet la
connaissance de la règle de droit n’est pas innée. De plus, une loi ne peut être

79
ElHilali Cherif, Les rapports entre le fisc et les contribuables: les exigences de la bonne gouvernance fiscale.
Thèse soutenue publiquement à la faculté de droit de Rabat- Agdal, année universitaire 2010-2011. p.12
80
, "Les relations de l’administration fiscale avec les particuliers et les entreprises", Rapport public thématique,
Evaluation d’une politique publique. Cour des Comptes française, Février 2012. p29
81
N. MOLFESSIS, Article Précité.

48
opposable aux sujets de droit que s’ils en ont pris connaissance. D’où le
développement des systèmes de vulgarisation du droit.

A vrai dire, cette question ne se pose plus aujourd’hui avec intensité, du fait
notamment du développement des technologies de l’information qui
constituent de nos jours un support important de diffusion de droit. On peut
citer à cet égard l’exemple du site web du secrétariat général du
gouvernement82, qui constitue une grande avancée dans le sens de l’accès au
droit. On y trouve ainsi tous les Bulletins Officiels publiés depuis 1913, ainsi que
les projets de lois et de règlements, en permettant aux lecteurs de les
commenter à travers des forums publics. Un autre exemple est celui des
portails de chaque département ministériel qui contiennent une rubrique
dédiée aux textes juridiques (les lois, règlements et circulaires…) se rapportant
à leur domaine d’activité.

Sur le plan fiscal, deux sites web d’une importance capitale méritent d’être
cités : il s’agit en premier lieu de celui du ministère de finances83 et en second
lieu de celui de la direction générale des impôts84. Les deux sites web
constituent une source importante aussi bien pour les contribuables que pour
les professionnels et les chercheurs en droit fiscal. On y trouve ainsi toutes les
lois fiscales actualisées, en plus des règlements et des notes circulaires en
vigueur.

Néanmoins, en dépit des efforts déployés par les gouvernements successifs,


l’accès physique au droit au Maroc reste très faible. Certes, si le recours aux
nouvelles technologies de l’information a contribué à une large diffusion du

82
http://www.sgg.gov.ma
83
http://www.finances.gov.ma
84
http://www.tax.gov.ma

49
droit, l’utilisation de ces techniques reste limitée à cause de l’analphabétisme
persistant et du manque d’une culture informatique et juridique.

Ce mal de l’inaccessibilité matérielle touche également la jurisprudence qui


souffre de la rareté de la publication dont les vertus sont innombrables. Elle
permet ainsi d’éviter la contradiction des arrêts, en contribuant à l’unification
et à la stabilité de la jurisprudence. Elle a également l’avantage de mettre en
place un système de contrôle public des magistrats et de renforcer en
conséquence la transparence de la justice.

Les mêmes avantages peuvent être tirés de la publication des décisions des
commissions d’arbitrage (les commissions locales de taxation et la commission
nationale des recours fiscaux), dont l’importance est capitale pour tous les
praticiens du droit fiscal. C’est dans ce sens que cette exigence a été
recommandée par les assises nationales sur la fiscalité tenues les 26 et 27
novembre 199985, puis réitérée lors des dernières assises nationales tenues les
29 et 30 avril 201386.

En somme, si l’accessibilité matérielle du droit fiscal est relativement


avancée au Maroc, il n’est pas de même en ce qui concerne l’accessibilité
intellectuelle.

§ 2- L’accessibilité intellectuelle

C’est une notion bien plus complexe que l’accessibilité matérielle. Elle
implique ainsi que « les règles prennent toute leur portée à la lumière du
corpus juridique dans lequel elles sont appelées à s’insérer, sans qu’il faille,

85
DGI, Assises nationales sur la fiscalité, 26 et 27 novembre 1999, p 101 http://ebookbrowse.com/assises-
nationales-sur-fiscalite-maroc-pdf-d178972247 consulté le 13/06/2015 à 16 :20
86
Recueil des travaux des assises nationales sur la fiscalité 29 et 30 avril 2013,publié par la direction générale
des impôts, p74.

50
pour y parvenir, faire appel à trop de dispositions extérieures au texte »87. La
notion de l’accessibilité intellectuelle renvoie donc à celle de l’intelligibilité du
droit, qui constitue l’un des piliers de la sécurité juridique du contribuable.

Après avoir déterminé les caractéristiques de la notion de l’accessibilité


intellectuelle du droit (A), on constatera que la législation fiscale paraît
forcément inintelligible (C), mais cela n’empêche pas de relever quelques
efforts déployés par les pouvoirs publics dans le sens de la simplification (B).
A- Caractéristiques de la notion de l’accessibilité intellectuelle

«Qui dit inflation, dit dévalorisation : quand le droit bavarde, le citoyen ne


lui prête plus qu’une oreille distraite». C’est par ces termes que le conseil d’Etat
français88 a voulu exprimer l’effet de la dégradation de la qualité de la loi sur la
sécurité juridique du citoyen. Celle-ci est le jeu de plusieurs facteurs, dont la
prolifération des textes juridiques, l’instabilité des règles et la complexification
croissante du droit, engendrant avec le temps un besoin grandissant
d’intelligibilité de la règle de droit, qui renvoie à des thèmes tels que la lisibilité,
la clarté et la compréhensibilité du droit.

La lisibilité a trait à la forme de la règle, elle suppose donc qu’elle soit écrite.
Mme Koubi la définit « comme la qualité d’un texte qui peut être lu
promptement, assimilé facilement, dont les éléments essentiels sont identifiés
et simplement retenus 89». La présentation formelle des textes doit être
cohérente et doit aider au jaillissement de leur sens. Cela concerne aussi
l’esthétique linguistique à travers le bon usage de la langue de rédaction qui

87
"Etudes et documents du conseil d’Etat", Rapport du conseil d’Etat de France n°57, 2006, ed. la
documentation française, p 282
88
"De la sécurité juridique ", Rapport du Conseil d’État : études et documents du Conseil d’État, Rapport public
199, Volume 43/1992, ed la documentation française. P20
89
Genevieve Koubi, " Lire et comprendre : quelle intelligibilité de la loi ? ", In Le Titre préliminaire du Code
civil sous la direction de KOUBI Geneviève, FAURE Georges, Economica, coll. Etudes juridiques, 2003, p227.

51
octroie une bonne lisibilité au texte de droit. Ce dernier, une fois découvert et
lu, encore faut-il qu’il soit compris, d’où le principe de la clarté des lois.

Bien entendu, celui qui fait la loi doit être clair. C’est sous cet angle que le
Conseil Constitutionnel français a érigé la notion de la clarté en un principe à
valeur constitutionnelle, en se fondant sur la Déclaration des Droits de
l’Homme et des Citoyens90.

Quant au fond de la notion de la clarté de la règle, il semble qu’il existe une


grande similitude entre celle-ci et la notion de la compréhensibilité de la règle,
la différence est de degré plus que de nature : la compréhensibilité serait une
exigence moins forte que la clarté91. L’appréciation de ces deux notions se fait
de manière subjective, selon que le lecteur est un profane ou un juriste. Il en
est de même pour le législateur dont les intentions sont principalement
nourries par des motivations politiques, à la différence du juriste qui voit la loi
comme étant un ensemble de règles qui s’insèrent dans un système de
connaissances et de pensées auxquelles seul le juriste a accès.

En somme, quel qu’en soit l’usage, la loi doit être simple et précise pour être
compréhensible et par conséquent, accessible. C’est dans cette optique que
notre législateur a entrepris des réformes pour la rendre plus simple et
intelligible.

90
« Il a en effet estimé que l’égalité devant la loi, énoncée par l’article 6 de la Déclaration, et la garantie des
droits, requise par son article 16, pourraient ne pas être effectives si les citoyens ne disposaient pas d’une
connaissance suffisante des normes qui leur sont applicables. Il a estimé qu’une telle connaissance était en outre
nécessaire à l’exercice des droits et libertés garantis tant par l’article 4 de la Déclaration, en vertu duquel cet
exercice n’a de bornes que celles déterminées par la loi, que par son article 5 aux termes duquel tout ce qui n’est
pas défendu par la loi ne peut être empêché et nul ne peut être contraint à faire ce qu’elle n’ordonne pas » O.
Dutheillet de Lamothe, "La sécurité juridique : le point de vue du juge constitutionnel", in Rapport public du
Conseil d'Etat 2006, Paris, La Documentation française, 2006.
91
T. PIAZZON, Op. Cit. p20

52
B- Quelques exemples des efforts déployés pour l’amélioration de l’intelligibilité du
droit fiscal

Personne ne peut nier la complexité dont sont revêtues les lois


contemporaines, notamment celles régissant la matière fiscale. A cet égard, il
faut signaler qu’à l’occasion de chaque débat national sur la réforme de la
fiscalité, la question de la simplification de la législation fiscale domine une
grande part de la discussion. Ainsi, lors du colloque national sur la réforme
fiscale92 tenu à Rabat le 6 et 7 mai 1983, M. KTIRI avait signalé que l’instabilité
et l’inconstance du système fiscal marocain le rend plus compliqué « par
l’accumulation de techniques et modalités d’imposition qui génèrent des
confusions et des contradictions93 » chez le contribuable. Ce même reproche a
été repris lors des assises nationales sur la fiscalité au Maroc tenues à Rabat le
26 et 27 novembre 1999, où M. Mohamed BEKKALI avait considéré que « cette
complexité découle autant de la multiplicité et du nombre d’impôts et taxes
existants qu’en raison des modifications annuelles de la législation fiscale94 ».
De même lors des dernières assises nationales sur la fiscalité tenues le 29 et 30
Avril 2013, la question avait fait l’unanimité de tous les intervenants95, en
multipliant ainsi les propositions pour la clarification des textes fiscaux,

92
Cette réforme vient à la suite du rapport de la mission menée par Vito TANZI, Peter S. GRIFFITH et Luc DE
WULF le 22 mars 1979 par le Fond Monétaire International, Département des Finances Publiques, sous le titre
de « la réforme fiscale au Maroc ». Dans ce rapport, les chargés de cette mission ont constaté que « la
multiplicité des impôts est aussi considérée comme une grande faiblesse du système fiscal marocain. Elle
entraîne plus une perte de temps dans la gestion des impôts qu’elle ne procure de recettes. Le F.M.I. propose de
supprimer tous les impôts ayant pour seul objectif de fournir des recettes et dont le rendement est inférieur à
0,5% du total des recettes fiscales ». Noureddine BENSOUDA, Analyse de la décision fiscale au Maroc, 2009
Editions La croisée des chemins, p.68.
93
Mustapha El KTIRI, "Le système fiscal marocain actuel et les solutions de réforme", Acte du Colloque
national tenu à Rabat le 6-7 Mai 1983, sous le thème : La réforme fiscale au Maroc (1985) Les éditions
Maghrébine, p.130
94
Mohamed BEKKALI, "Le contrôle fiscal : objectifs et contraintes ". In Assises nationales sur la fiscalité au
Maroc, Ed Ministère de l’économie et des finances de la privatisation et du tourisme, 1999, p 84.
95
Tout au long des débats chaque intervenant n’a pas raté de rappeler que la législation fiscale marocaine
manque toujours de clarté et de simplicité, que ce soit au niveau des panels relatifs à la législation fiscale qu’au
niveau de ceux des procédures. V. Recueil des assises nationales sur la fiscalité, Op. Cit, p42.

53
« notamment concernant les référentiels appliqués et la définition des règles
de calcul des différents impôts 96».

La complexité fiscale a été également confirmée par le Conseil Economique,


Social et Environnemental dans son rapport sur le système fiscal marocain,
dans lequel il a avoué que « le diagnostic du système fiscal est un exercice
lourd et complexe en raison de la diversité des intervenants et de leurs points
de vue respectifs, souvent contradictoires et divergents, mais surtout de la
complexité de la matière souvent trop technique97 ». De surcroît, la complexité
du système fiscal est due aussi, selon le conseil, aux dérogations fiscales. « En
effet, les dispositifs dérogatoires altèrent la lisibilité de la fiscalité et peuvent
entraîner des coûts de gestion élevés tant pour les usagers que pour
l’administration fiscale98 ».

Il ne faut pas tout de même nier les efforts déployés par le législateur
marocain dans le sens de la clarification et la simplification des dispositions
fiscales. On peut ainsi citer l’adoption de ″la charte du contribuable vérifié″, qui
a été introduite par l’article 7 de la loi de finances n° 43-10 pour l’année
budgétaire 2011, qui consiste en « un document qui synthétise les droits et
obligations des parties lors des opérations de vérification et au cours de la
procédure contradictoire de rectification99 », et qui devrait être annexée à
l’avis de vérification notifié, sous peine d’annulation de toute la procédure.

On peut également avancer comme exemple la TVA sur la livraison à soi-


même de construction pour l’habitation principale qui a été remplacée, suite à

96
Ibidem, p 65
97
"Le système fiscal marocain : Développement économique et cohésion sociale", Rapport du Conseil
Economique, Social et Environnemental., novembre 2012. p10
98
Ibidem., p 51
99
DGI, note circulaire n°717 tome3, avril 2011, p 195.

54
l’adoption de la loi de finances de l’année 2013, par la contribution au profit du
Fonds d’Appui à la Cohésion Sociale. Le gouvernement a attribué ce
changement d’abord au faible rendement de la TVA sur la livraison à soi-même
de construction à usage d’habitation, puis aux mauvaises pratiques de fraude,
de falsification et de présentation de factures fictives ou de complaisances,
« qui portent atteinte au climat de confiance qui doit régner entre les
contribuables et l’administration fiscale100». En plus de ces avantages
budgétaires, cette nouvelle contribution a le mérite d’être simple et claire,
dans la mesure où elle instaure un barème progressif fixant le montant à payer
en fonction de la superficie couverte, malgré le fait qu’il soit inéquitable101.

Toujours dans le cadre des efforts des pouvoirs publics pour la clarification et
la simplification des normes régissant la matière fiscale, on ne peut pas passer
sous silence la grande réforme de la taxe sur la valeur ajoutée, qui figure parmi
les recommandations phares des assises nationales sur la fiscalité de Skhirate.
En effet, cette taxe constituait un exemple frappant de la technicité et de
l’incohérence de la législation fiscale. M. BENSOUDA, le Trésorier Général du
Royaume, avait souligné « que beaucoup de chemin reste à faire
particulièrement en matière de TVA, car cette taxe comporte toujours de
nombreux taux et que le taux zéro qui devait être réservé exclusivement aux
exportations, est appliqué à un grand nombre d’autres opérations. Cette taxe
comporte également un nombre important de dérogations fiscales qui la
compliquent, altèrent sa cohérence, compromettent sa neutralité et en
réduisent le rendement102. C’est pour cette raison qu’une réforme globale de

100
Note de présentation du projet de loi de finances pour l’année 2013. P 113.
101
L’iniquité de cette contribution se manifeste à travers l’application d’un même barème sur tous les types de
biens quelle qu’en soit la valeur vénale.
102
Noureddine BENSOUDA, Trésorier Général du Royaume, "Quels dispositifs de mobilisation des ressources
publiques ? Quelle politique fiscale ? " Contribution au Colloque International sur les Finances Publiques sous le

55
cette taxe a été engagée depuis la promulgation de la loi de finances pour
l’année 2014, en supprimant tous les taux d’exceptions pour se contenter de
deux taux seulement, à savoir les taux 10% et 20%103.

On peut multiplier les exemples de clarification et de simplification104,


néanmoins, la complexité et l’inaccessibilité des normes fiscales persistent à de
nombreux égards.

C- Manifestations de l’inaccessibilité intellectuelle du droit fiscal

« Une norme juridique non aisément accessible est donc un facteur


d'insécurité105 ». Cette évidence tient surtout du fait que la sécurité juridique
suppose que les sujets de droit connaissent à l’avance les règles qui ont
vocation à régir leurs situations. Ce qui nous a conduit à nous interroger sur la
valeur réelle de l’adage nemo legem ignorare censeture en matière fiscale.
Ainsi, dans l’état actuel des choses, cet adage semble plus proche de la fiction
que de la réalité. L’inflation législative, l’instabilité, l’incohérence et la
technicité des lois fiscales sont toutes des facteurs d’insécurité des
contribuables, dans la mesure où elles limitent considérablement son accès au
droit. On comprend dès lors que l’accessibilité en matière fiscale restera une
revendication éternelle.

Pour illustrer cette situation, on peut citer l’impôt sur le revenu (I.R.) qui
reste caractérisé par une cédularité accrue malgré les efforts de simplification

thème : « Réforme des Finances Publiques et Nouvelle Gouvernance », tenu à Wuhan, Hubei Chine, les 15 et 16
janvier 2011.p38 www.fondafip.org/f1699_texte.pdf consulté le 10/05/2016 à 18:22.
103
Note de présentation du projet de loi de finances pour l’année budgétaire 2014. P142
104
Comme la publication d’un Référentiel des Prix des Transactions Immobilières opposable à l’administration
seule, ou encore l’adoption du Statut de l’Auto-entrepreneur…
105
. Frédéric Douet Op. Cit, p 2

56
initiés depuis la réforme de 1984106. C’est dans ce sens que Pr. N.AKESBI avait
déclaré qu’« on prétend que les taxes sur les profits immobiliers, les produits
des actions, ou les placements à revenu fixe ont été supprimées et intégrées à
l’IR, …alors qu’elles ont été en fait seulement chapeautées par ce dernier,
gardant quasiment toutes leurs caractéristiques originelles (taux, assiette,
mode de paiement…) ! De sorte que l’impôt sur le revenu (qui du reste n’a plus
la prétention d’être «général») ressemble plus à une addition d’impôts
cédulaires107, coexistant sous un même "chapiteau", qu’à un véritable impôt
synthétique108 ».

En outre, nul doute que l’inflation législative, que certains auteurs préfèrent
qualifier de «productivisme juridique109 », constitue un fléau contemporain
dont souffre notre corpus législatif, en accentuant ainsi l'insécurité et
l'instabilité juridique du contribuable, ce qui provoque chez lui un grand
désarroi, et un sentiment de marginalisation par la multiplication des
prélèvements fiscaux. Dans ce contexte, Pr AKESBI s’est interrogé sur l’utilité de
certaines contributions au regard du rendement budgétaire, puisque, selon lui,
« la densité du système reste excessive au regard du rendement de la grande
majorité de ses composantes. Ainsi, en se tenant au seul chapitre du "ministère
de l’Economie et des Finances" dans la loi de finances pour 2008, on compte
encore plus d’une quarantaine de lignes budgétaires "actives", correspondant à
des "prélèvements", "impôts", "droits" et "taxes", alors que nous savons bien

106
Cette réforme a été énoncée par la loi-cadre n° 3-83 relative à la réforme fiscale adoptée par la chambre des
représentants le 20 décembre 1982 et promulguée par le dahir n° 1-83-38 du 23 avril 1984.
107
Comme la Taxe sur le produit des actions et parts sociales (T.P.A), la Taxe sur les Produits de Placements à
Revenus Fixes (T.P.P.R.F.), la Contribution sur les Revenus Professionnels et Fonciers Exonérés (C.R.P.F.E.) et
la Taxe sur les Profits de Cession de Valeurs Mobilières (T.P.C.V.M.).
108
Najib AKESBI. "Evaluation du système fiscal, (Deuxième et dernière partie : Une fiscalité complexe,
incohérente et injuste", In La revue ECONOMIA n°3 / juin - septembre 2008 p.75
109
Appellation employée par Maximilien MESSI, Op. Cit. p 54. et aussi par Fréderic DOUET, Op. Cit. p.32.

57
que quatre impôts seulement (TVA, IS, IR et DD) rapportent plus de 80% des
recettes fiscales totales110 ».

Devant cet état de fait, même « l’expert fiscal le plus averti, pour ne pas
parler du simple contribuable, se trouve perdu dans cette jungle de textes
fiscaux et doit consulter des textes et des décisions disparates, pas toujours
disponibles et, surtout, pas toujours en harmonie les uns avec les autres111 ».

De manière générale, cette situation a pour effet d’entraîner une régression


considérable du « consentement à l’impôt » par les citoyens, donnant ainsi lieu
à une résistance et un rejet de l’impôt qui se manifestent à travers une
propagation de la fraude et de l’évasion fiscale. A ce propos, Mr Thierry
LAMBRET a écrit que : « le genre humain redoute rarement ce qu'il comprend,
et encore moins ce en quoi il croit. Le pouvoir politique a tout intérêt à faire
ratifier ses choix et l'administration se fait un devoir de faire comprendre son
action quotidienne ; elle recherche le consensus autour des valeurs qu'elle
véhicule et souhaite l'adhésion des contribuables. Dans cette entreprise,
l'administration doit expliquer que l'impôt est nécessaire et que l'action
administrative est un mal inévitable;… L'administration fiscale se trouve devant
deux difficultés incontournables : comment expliquer un système fiscal
complexe et décrié de toutes parts ? Comment justifier son action considérée
généralement de façon répressive 112» ?

110
Op.Cit. N. AKESBI, p 75.
111
Rachid LAZRAK, "Le système fiscal marocain : Moteur ou frein au développement de l’entreprise (Seconde
partie) ", L'économiste, Date d'édition : 31/05/2007, N° 2538.
112
• Thierry LAMBRET, "Le contribuable face à l’administration fiscale." In psychologie et science
administrative. Presse Universitaire de France, collection CURAPP, 2, 1985, p113.

58
Mis à part ces considérations, la complexité et l’incohérence de notre
système fiscal est de nature à favoriser le non-respect des prescriptions légales
par les agents de l’administration fiscale.

Section III- La mauvaise application de la loi par les agents


de l’administration fiscale

Il importe à ce titre de dépasser le volet théorique de la loi fiscale et de se


mêler dans l’exploration de son volet pratique à travers l’analyse du
comportement de l’administration fiscale et le degré de son respect des
législations fiscales. Mais avant de se lancer dans cette étude, il importe de
rappeler une évidence selon laquelle une loi fiscale n’est adoptée que pour être
correctement appliquée. Cela veut dire que les agents du fisc doivent se
contenter de l’appliquer à la lettre. Et si une interprétation s’avère nécessaire,
elle doit être faite au profit du contribuable, c’est-à-dire, en respectant ses
droits et garanties.

Or, dans la pratique, l'action du fisc est souvent animée par des
considérations de rendement budgétaire et d’intérêt du trésor, ce qui mène
souvent à la négation d'un certain nombre de droits fondamentaux du
contribuable, notamment ceux liés au respect de la procédure contradictoire et
à la présomption de bonne foi.

Cette réalité peut être aisément vérifiée par l'analyse de quelques pratiques
contestables du fisc, en particulier en matière de contrôle et de redressement
fiscal, et qui mettent le contribuable dans une situation de précarité et
d’insécurité fiscale.

59
§ 1- La désorganisation de la procédure du contrôle fiscal

Dans un système fiscal déclaratif, le contrôle fiscal est une procédure


déterminante, permettant au fisc de s'assurer de l'exactitude des déclarations
des contribuables. Il s'agit donc d'un droit de l'administration fiscale, concrétisé
par un certain nombre de prérogatives nécessaires pour son exercice (le droit
de constatation, le droit de communication…). Toutefois, le recours au contrôle
fiscal peut s’avérer source d'abus pour le contribuable, notamment lorsque
l’administration ne prend pas en considération un principe qui en est le
corollaire, à savoir le principe de la présomption de la bonne foi du
contribuable.

C’est un principe d’une grande importance, qui se trouve au centre du


système déclaratif, en interdisant à l’administration de traiter les contribuables
par présomption comme des fraudeurs. C’est du reste ce qui a été affirmé dans
la charte du contribuable vérifié introduite par la loi de finances de l’année
budgétaire 2011, qui débute par citer les principes fondamentaux dont le
premier porte sur "le principe de la présomption de bonne foi", en vertu
duquel « les déclarations et les documents comptables déposés ou présentés à
l’administration fiscale sont présumés exacts et réguliers ».

Néanmoins, étant donné que le contenu de cette charte n’a pas de valeur
législative, il paraît logique qu’elle n’ait pas d’effet obligatoire envers
l’administration, qui en constitue le principal concepteur. C’est pour cette
raison que « les rapports entre le contribuable et l'administration fiscale
restent marqués par une certaine suspicion, pour ne pas dire animosité113 », ce

113
R. LAZRAK, Op. Cit.

60
qui aura pour effet d’encourager l’évasion et la fraude fiscale du contribuable
et de faire propager la corruption auprès de certains agents de l’administration.

L’analyse de certains critères de sélection pour le contrôle fiscal, prouve que


l’administration fiscale présume la mauvaise foi du contribuable (A). Il en est
aussi d’une pratique pas moins décriée, à savoir la notification du contrôle
fiscal à l’approche de l’échéance de la prescription (B).
A- Les critères de sélection des contribuables objets de contrôle fiscal

A vrai dire, le contrôle fiscal ne pose pas de problème en soi, car il s'agit d'un
droit de l'administration fiscale, mais cela n'empêche pas d’affirmer que cette
dernière peut en abuser, notamment lorsqu'il devient répétitif. Cette situation
met le contribuable dans un état d'ignorance totale de son résultat fiscal
jusqu'à la clôture des opérations de vérification, ce qui se répercute
certainement sur ses projections en termes d’investissements, voire même sur
la survie de son entreprise.

La Cour des Comptes avait signalé dans l’un de ses rapports que
l’administration fiscale ne dispose pas de stratégie suffisamment claire en
matière de contrôle fiscal. « L’approche adoptée se focalise essentiellement sur
des objectifs de recettes annuelles pour faire face aux exigences de la loi de
finances et beaucoup moins sur des aspects importants des missions dévolues
en principe à l’administration fiscale comme l’élargissement d’assiette,
l’établissement de l’équité fiscale, la promotion de l’investissement et de
114
l’activité économique,… ». Pour parvenir à ces objectifs, l’administration
avait adopté un certain nombre de critères lui permettant de sélectionner les

114
Rapport annuel de la Cour des Comptes, 2011, p35 -36

61
contribuables pouvant faire l’objet d’un contrôle fiscal, d’autant plus que celle-
ci souffre d’un déficit énorme en nombre d'inspecteurs vérificateurs115.

Parmi les critères les plus décriés, on trouve celui des antécédents fiscaux,
qui consiste à programmer un contrôle fiscal pour les entreprises ayant déjà un
passé fiscal, c’est-à-dire celles qui avaient fait l’objet d’un redressement fiscal
auparavant. C’est une pratique abusive, dans la mesure où elle stigmatise les
contribuables en tant que fraudeurs, sachant que la plupart d’entre eux
agissent de bonne foi, en se faisant redresser à cause de leur ignorance de la
législation fiscale, caractérisée par sa complexité et son changement fréquent.

Par ailleurs, il a été constaté que les entreprises les plus transparentes sont
celles qui se trouvent chaque fois contrôlées par le fisc, ce qui favorise le
basculement de ces derniers vers l’économie informelle116, dans la mesure où
« les entreprises contrôlées sont celles identifiées auprès de l'administration
fiscale, qui n'est pas en mesure de réaliser des contrôles auprès des entreprises
opérant dans le secteur de l'informel117 ».

Par ailleurs, on remarque que l’administration recourt à d’autres critères de


sélection pour le contrôle fiscal, comme celui de la taille de l’entreprise, en

115
L’effectif des vérificateurs, à l’instar de l’effectif global de la DGI, est resté stable avec une moyenne
d’environ 350 vérificateurs sur la période 2001 – 2010. Recueil des travaux des Assises Nationales sur la
Fiscalité 29 et 30 avril 2013, p 49.
116
Dans son allocution lors des assises nationales sur la fiscalité, la présidente de la CGEM avait signalé que ce
genre de pratique a tendance à développer « l'économie informelle qui nourrit le fléau de la concurrence
déloyale, plombe la compétitivité et crée un cannibalisme inter-entreprises ». V. Recueil des travaux des Assises
Nationales sur la Fiscalité Op. Cit., p30.
Le Conseil Economique, Social et Environnemental a critiqué ces pratiques du contrôle fiscal qui sont orientées
vers « les contribuables les plus apparents et transparents auprès desquels il serait plus facile d’opérer des
redressements et de réaliser des recettes supplémentaires. Le contrôle n’est pas en effet orienté vers les
contribuables les moins transparents et opérant dans l’informel ou l’opacité. Ce système n’incite pas à la
transparence et pousse les contribuables à se retrancher dans des activités non déclarées. Le contrôle n’est donc
pas efficace comme moyen de sanction contre les fraudeurs ». Le système fiscal marocain, développement
économique et cohésion sociale, avis sur auto-saisine du Conseil Economique, Social et Environnemental,
n°9/2012, p.8
117
Recueil des travaux des Assises Nationales sur la Fiscalité. Op. Cit. p.65

62
vertu duquel les grandes structures font l’objet de plus de contrôle que les
petites. Il en est de même pour les entreprises qui n'ont pas été contrôlées
depuis longtemps, en encourant un plus grand risque d'être à nouveau
contrôlées.
B- La notification à l’approche de l’échéance de la prescription

Il s'agit là aussi d'une pratique qui résulte à la fois du déficit des inspecteurs
vérificateurs dans l'administration fiscale et de la défection des systèmes de
gestion des processus liés à la collecte des ressources fiscales par la Direction
Générale des Impôts (DGI). Dans ce cadre, la Cour des Comptes avait relevé
quelques carences au niveau des systèmes d'information mis à la disposition de
la DGI. Ainsi dans son rapport annuel de 2011, la Cour avait mis l'accent sur les
insuffisances de la gestion, qui sont à l'origine de la fuite de beaucoup de
ressources fiscales à l'Etat. En effet, « la Cour des comptes a constaté que
l’essentiel des activités réalisées par les services d’assiette sont d’ordre
administratif… Peu d’attention est accordée aux travaux d’analyse et de
contrôle des déclarations fiscales reçues qui sont en principe le métier de base
des services d’assiette118 ». Cette situation génère beaucoup de retard dans la
relance des contribuables défaillants, qui, le plus souvent, ne se fait qu’à
l’approche de l’échéance de la prescription. Du point de vue juridique, ce fait
n'a rien d'illégal, au contraire, ce comportement des inspecteurs se justifie par
le fait qu’ils ne veulent faire échapper aucune recette à l'Etat. Or, dans la
pratique, les contrôleurs rejettent parfois la comptabilité établie par le
contribuable de manière systématique notamment lorsqu’ils « n’arrivent pas à
trouver des motifs solides de redressement ou lorsqu’il y a risque de
prescription119 ». À cela, il faut ajouter les perturbations des prévisions du

118
Rapport annuel de la Cour des Comptes 2011 Vol.1, p. 20
119
Ibidem, p38.

63
contribuable de bonne foi, en particulier lorsqu'il ne s'attend pas à un contrôle
assorti d'un complément d'impôt.

Les pratiques décriées en matière de contrôle fiscal n’ont pas de limites, il en


existe autant que l’imagination des inspecteurs gourmands a pu développer.
D'autant plus que la durée du contrôle est souvent longue, et le vérificateur
cherche par tous les moyens le motif de redressement « plutôt qu’à juger en
toute impartialité du respect des textes par le contribuable120 ».

§ 2- Le redressement fiscal comme moyen de rendement


budgétaire

Tout le monde s’accorde que le produit de l'impôt est le moteur de l'Etat.


Sans recettes fiscales, la machine étatique ne pourra pas fonctionner, ce qui se
traduira par conséquent en une absence de redistribution, de solidarité, de
service public et d’équipements collectifs. L’impôt est donc un moyen de
financement très important. Il constitue l’essentiel des ressources alimentant le
budget de l’Etat et des autres collectivités publiques au Maroc. En effet, selon
les chiffres officiels, plus de 85% des ressources ordinaires du budget général
de l'Etat proviennent de la récolte de l’impôt121. Cet énorme part reflète la
politique générale de l’administration fiscale qui accorde plus d'importance à la
croissance des ressources fiscales qu'aux droits des contribuables122. Afin
d’illustrer ce comportement du fisc, on exposera deux pratiques très répandues
dans le travail quotidien des agents vérificateurs, en l’occurrence : les
120
Rapport FOUQUET, OP. Cit. p 33.
121
Environ 85% à titre de l'année 2011, 87% concernant l'année budgétaire 2012 et 89% pour l'année budgétaire
2013,
122
Ceci apparaît clairement dans la politique menée par le fisc en vue de « maintenir en 2012 la même cadence
de recouvrement d’impôts qu’en 2011. Objectif : renflouer les caisses de l’Etat de 7,5 à 8 milliards de DH
supplémentaires au terme de cette année. Pour ce faire, il compte bien activer le bouton des contrôles ponctuels.
Un mode opératoire qui aura permis de procéder à pas moins de 350 vérifications pour un total de 1.400
contribuables. Un chiffre en hausse de 14% en un an ».
"Attention, le Fisc a faim! ", In L'économiste, Édition N° 3838 du 01/08/2013, p.10.

64
redressements systématiques et non motivés des agents du fisc, et le recours
massif aux transactions et leur impact sur la sécurité fiscale du contribuable.
A- Les redressements systématiques et non motivés

C'est la pratique la plus critiquée en termes de sécurité fiscale du


contribuable. Il s’agit en fait du fruit de la relation antagoniste qui existe entre
l'administration fiscale et le contribuable, car « le fait que le système soit
déclaratif met l’administration en situation de suspicion permanente vis-à-vis
du contribuable. Faut-il aussi souligner que le comportement de certains
contribuables en situation perpétuelle de déficit nourrit cette suspicion et met
l’Administration en position parfois agressive »123. Mais cette réalité ne justifie
pas la transgression de la loi qui exige que la décision de rectification des
impositions soit motivée, que ce soit au niveau de la procédure normale qu’au
niveau de la procédure accélérée, prévues respectivement par les articles 220
et 221 du CGI. Il en est de même des rectifications en matière de profits
fonciers prévues par l'article 224, qui permet à l’inspecteur des impôts
« d'apporter des rectifications ou de procéder à l’estimation du prix
d’acquisition et/ou des dépenses d’investissements non justifiées ou de la
valeur vénale des biens cédés » à condition qu’il notifie au contribuable « la
nouvelle base rectifiée ainsi que les motifs et le montant des redressements
envisagés… ». Sauf que cette exigence est très rarement respectée, notamment
en matière immobilière, qui connaît plus de 70% des litiges fiscaux124.

123
Rapport du CESE Op. Cit. p.70
124
Mohamed CHAOUI, "Fiscalité/contribuables Le rétablissement de la confiance, selon le CES, " L'Economiste
éd. n° 3924 du 07/12/2012
Dans le même ordre d'idée, le Conseil Economique, Social et Environnemental a également affirmé que « l’un
des secteurs qui génère le plus de frustration est celui de l’immobilier. Ainsi, pour des biens similaires ou dans la
même zone, les citoyens ont l’impression qu’il y a des traitements différenciés pour ce qui touche à la taxe sur
les profits immobiliers, pour les redressements concernant les droits d’enregistrement ou pour les montants des
taxes d’habitation à payer. Le manque de transparence des barèmes utilisés par l’administration fiscale nourrit
très largement le sentiment d’inégalité et d’injustice. Ainsi, les taxes d’habitation dont les montants diffèrent très
largement d’une maison à une autre, lorsque certains ne la payent même pas sans jamais être inquiétés,
nourrissant très largement le sentiment du deux poids, deux mesures. » Rapport du CESE Op. Cit. p 115.

65
En partant du principe de la présomption d'exactitude des déclarations des
contribuables, la charge de la preuve incombe à l'administration fiscale, à
l’exception de certains cas particuliers où la loi renverse ce fardeau sur le
contribuable. Ainsi l'article 213 du CGI dispose que « lorsque les écritures d’un
exercice comptable ou d’une période d’imposition présentent des irrégularités
graves de nature à mettre en cause la valeur probante de la comptabilité,
l’administration peut déterminer la base d’imposition d’après les éléments
dont elle dispose ». Ce même article enchaîne par citer à titre limitatif la liste
"des irrégularités graves", que l’administration doit relever. A
défaut, « l’administration ne peut remettre en cause ladite comptabilité et
reconstituer le chiffre d’affaires que si elle apporte la preuve de l’insuffisance
des chiffres déclarés ».

Les juges ont adopté une position ferme sur ce sujet, en censurant toute
décision de redressement non-motivée. Ainsi, on lit dans l’un des arrêts de la
Cour de cassation : « attendu que l'administration était incapable d’apporter la
preuve de la minoration du prix de vente déclaré des apparentements vendus,
en se contentant juste de dire qu'il était inférieur aux prix communément
appliqués dans le quartier, ce qui ne peut être retenu comme preuve de
minoration du chiffre d'affaire déclaré surtout que l'administration n'a pas
écarté la comptabilité de la société125».

2004/2/4/1455 : ‫ القسم الثاني عدد‬: ‫ ملف إداري‬2006/10/04 : ‫ المؤرخ في‬806 : ‫محكمة النقض (المجلس األعلى سابقا) القرار عدد‬125
‫(غير منشور) » حيث صح ما نعته المستأنفة أصليا على المستأنف ذلك أن اإلدارة الضريبية لم تقم دليال على وجود نقصان في أثمان بيع الشقق‬
‫المصرح بها واكتفت بالقول بأنها تقل عن األثمان المتداولة في الحي التي توجد به تلك الشقق الشيء الذي ال يشكل حجة على نقصان رقم‬
‫ من قانون الضريبة على الشركات تفرض على إدارة‬38 ‫المعامالت المصرح بها خصوصا وأن اإلدارة لم تستبعد محاسبة الشركة ولما كانت المادة‬
‫الضرائب إقامة الدليل على وجود نقصان في المبالغ التي وقع اإلقرار بها إذا كانت تعتزم مراجعة رقم المعامالت في حالة عدم وجود مبرر‬
« 1994 ‫ و‬1993 ‫ فقد جانب الحكم المستأنف الصواب فيما قضى به من إعادة تقدير رقم المعامالت المتعلقة بالسنتين‬،‫الستبعاد محاسبة الملزم‬
Les arrêts de ce type sont multiples, on peut citer quelques-uns à titre d’exemples :
 Arrêt de la cour de cassation n° 876 en date du 18/10/2006, dossier n° 1394/4/1/2001 (non publié)
 Arrêt de la cour de cassation n°818 en date 04/10/2006 dossier n° 2561/4/2/2005 (non publié)
 Arrêt de la cour de cassation n° 876 en date du 18/10/2006 dossier n° 1394/4/1/2001(non publié)

66
En réaction à ces mauvaises pratiques des inspecteurs des impôts, la
Direction Générale des Impôts avait pris l’initiative de publier un référentiel des
prix, affichant la valeur estimative retenue par le fisc, qu’il pourra
éventuellement appliquer aux profits fonciers ou aux droits d’enregistrement.

L’instauration de ce barème s’inscrit dans le cadre de la mise en œuvre des


recommandations des assises nationales sur la fiscalité tenues à Skhirate en
2013, sur le plan de « l’encadrement du pouvoir d’appréciation de
l’administration et clarification des textes126 ». Toutefois, l’objectif de sécurité
fiscale visé par cette nouvelle mesure n’a pas été totalement atteint. En effet,
on ne peut pas cacher que cette initiative de l’administration fiscale est
louable, dans la mesure où elle permet de protéger les prévisions du
contribuable, qui aura pour conséquence une vision claire et nette sur le
montant à payer, sans craindre d’éventuels redressements dans le futur, à
travers l’encadrement du pouvoir de l’administration fiscale et par
l’amélioration du « système d’intégrité et [de] la transparence en mettant les
parties prenantes au même niveau d’information127 ».

Cependant, on ne peut s’abstenir de relever quelques carences de ce


système, qui peuvent limiter sensiblement les objectifs visés par son adoption.

Ainsi, il faut signaler que cet argus immobilier ne couvre que certaines
grandes villes du Royaume, où il est encore question de limiter le bénéfice aux
seuls immeubles résidentiels. De plus, sont exclus du champ d’application de ce
référentiel : « les appartements à usage professionnel, les villas et maisons à
vocation professionnelle ou commerciale, les logements sociaux, dont les prix
sont encadrés par la réglementation, les logements destinés au recasement des
126
Synthèse des recommandations issues des assises nationales sur la fiscalité 29 et 30 avril 2013 à Skhirate, p8.
127
"Immobilier : La révolution de Zaghnoun", in Aujourd’hui le Maroc, de la 28/01/2001 n°2837 p. 4,5.

67
bidonvilles, le terrain urbain non loti, le terrain à usage industriel et le terrain à
usage agricole128 ».

D’un autre côté, il faut signaler que le directeur général des impôts n’a pas
manqué de préciser que ce référentiel n’est opposable qu’à l’administration
fiscale. A cet effet, le contribuable conserve toujours ses voies de recours
contre la valeur retenue par le fisc. Cela nous prête à déduire que
l’administration se trouve déchargée de prouver la valeur d’un bien immobilier
vendu à travers le recours à des contrats à titre de comparaison au cas par cas.
La charge de la preuve est désormais renversée par un simple instrument
administratif interne, en obligeant ainsi le contribuable mécontent à prouver
l’exactitude de ses déclarations par la voie du contentieux, sachant que les prix
indiqués dans ce barème ne reflètent en rien la valeur vénale des immeubles
concernés. C’est ce qui conduit certains contribuables à s’acharner contre cet
écart de prix129.

De ce qui précède, on peut conclure que ce barème n’a pas pu remplir les
objectifs de sécurité juridique auxquels il était assigné au départ,
principalement au niveau de l’encadrement du pouvoir d’appréciation de
l’administration.

128
"La DGI actualise le référentiel des prix", In Challenge l’hebdo marocain des décideurs, n°550 du 18/03/2016
129
Réda HARMAK "Référentiel des prix de l’immobilier : les réserves des notaires et des agents immobiliers ",
In La vie éco. Posté le 05/06/2015
http://lavieeco.com/news/economie/referentiel-des-prix-de-limmobilier-les-reserves-des-notaires-et-des-agents-
immobiliers-32827.html , consulté le 14/05/2016 à 20:00.

68
B- Les effets du pouvoir transactionnel de l'administration fiscale sur la sécurité du
contribuable

À tout moment de la procédure, le contribuable ou son représentant légal


peut conclure un accord à l'amiable avec l'administration sur les redressements
notifiés. En effet, dans le même esprit de la recherche d'un rendement
budgétaire, l'administration fiscale encourage ses agents à solder les litiges par
des accords à l'amiable. Ainsi, l'évolution des dossiers réglés à l'amiable en
nombre et en valeurs n'a cessé de s'accroître ces dernières années130.

Il est vrai que ce type de règlement des litiges fiscaux présente un avantage
certain pour le contribuable dans la mesure où il lui permet d'éviter la voie
contentieuse devant les instances arbitrales et judicaires souvent lente et
coûteuse. Mais ce choix n'est pas sans dangers pour lui, puisqu'il est dans une
position de faiblesse devant l'administration dans le processus de négociation,
ce qui le pousse à accepter les impositions même si elles ont été émises à tort.
Dans ce sens, le Conseil Economique, Social et Environnemental, dans son
rapport sur le système fiscal marocain, avait relevé qu’il y a « un retard dans la
mise en œuvre effective, à tous les niveaux, du principe d’application mesurée
de la loi fiscale, et qui se reflète principalement dans la lente diffusion des
"bonnes pratiques" de contrôle, et se traduit par des redressements souvent
jugés disproportionnés par rapport aux performances du contribuable, et dont
plus de la moitié est souvent abandonnée finalement par voie transactionnelle
131
».

130
Les chiffres officiels le confirment, ainsi le nombre de dossiers réglés à l'amiable en 2005 n'était que de
2089 ; en 2006 le chiffre s'est élevé à 1 760 018 dossiers, également en 2007 avec un chiffre de 2 446 910 soit
une variation de +39%. En 2008 le nombre de dossier réglés à l'amiable a atteint 3 133 816 soit une hausse de
+29.9% par rapport à 2007. Source : Rapport d'activité publié par la DGI relative aux années 2005-2008-2009
131
Le rapport du CESE (précité) p.63

69
De même, les auditeurs de la Cour des Comptes n'ont pas manqué de
fustiger le recours massif à l'accord à l'amiable, ainsi que l’insécurité juridique
du contribuable pouvant en résulter. Ainsi, après avoir examiné un échantillon
d’accords à l’amiable conclus entre la Direction Générale des Impôts et les
contribuables, les auditeurs de la Cour ont relevé « que ces accords ne
contiennent pas les détails de l’imposition établie ni les bases de conclusion des
accords. Cette situation met en évidence le large pouvoir d’appréciation des
services de vérification et les risques afférents à l’adoption de bases imposables
insuffisamment détaillées au niveau des accords conclus ainsi que le risque
d’iniquité dans le traitement des contribuables132 ».

En effet, ce large pouvoir d'appréciation ouvre largement la porte à la


corruption133, et par là, à l’abus134 puis à l’insécurité juridique, sachant que
chaque accord doit être accompagné d'une lettre de désistement de la part de
l’intéressé par laquelle il renonce expressément à tout recours actuel ou
éventuel devant les commissions d’arbitrage, l’administration ou le tribunal
compétent, ainsi qu’à toute demande en restitution concernant les chefs de
redressement.

132
Il arrive parfois même que les services de l’administration fiscale concluent "des accords transactionnels sans
que les redressements ne soient notifiés aux contribuables. Dans certains cas, la vérification peut n’être faite
qu’en partie et même ne pas être réalisée. Cette situation concerne de manière particulière le secteur de la
promotion immobilière, pour lequel la procédure de vérification se limite souvent au seul envoi de l’avis de
vérification au contribuable.
Cette pratique a pour conséquence d’engendrer une iniquité de traitement entre les contribuables puisqu’aucun
élément objectif et mesurable n’est pris en compte pour arrêter le montant de l’accord. Rapport annuel de la Cour
des Comptes de l'année 2011 p.38.
133
C’est pour cette raison que les experts de l’OCDE considèrent « les systèmes laissant aux agents un pouvoir
administratif discrétionnaire excessif sur les allègements fiscaux ont tendance à inviter la corruption et à ébranler
les objectifs de bonne gouvernance, essentiels à un environnement fiable et attirant l’investissement. » Rapport
de l'OCDE sur "Compétitivité et développement du secteur privé : Maroc 2010 : la stratégie de développement
du climat des affaires ", 2011, p.7.
134
Sur ce sujet, la Cour de Cassation a été amenée à examiner un litige où le contribuable avait dénié la
conclusion d’une transaction avec le fisc, en invoquant son ignorance de la procédure fiscale qu’il juge complexe
ainsi que son analphabétisme. Ce qui a amené cette cour à ordonner le renvoi du dossier à nouveau à la Cour
d’Appel administrative afin d’approfondir ses instructions sur les allégations du contribuable.
Arrêt n° 400 en date du 06/09/2012, dossa adm, n° 851/4/2/2011 (non publié)

70
Par ailleurs, ces effets néfastes de la transaction ne se limitent pas au seul
contribuable qui l'a conclue, elles peuvent s'étendre aussi à des tiers qui ne
faisaient pas partie de l'accord conclu avec le fisc. C’est le cas notamment d'un
acquéreur d’un bien immobilier qui avait déclaré dans le contrat de vente le
prix réel convenu, mais étant donné que l'administration notifie des
redressements de manière systématique, il s'est trouvé contraint d'accepter un
compromis avec le fisc pour éviter le recours au contentieux dont le résultat est
incertain. En pratique, cet accord conclu par l'acquéreur est souvent utilisé par
l'administration comme moyen de preuve contre le vendeur pour le paiement
d'un complément d'impôt en application du dernier alinéa de l'article 224 du
CGI, selon lequel « les dissimulations reconnues par les parties au contrat
donnent lieu à une imposition supplémentaire dans le délai de reprise… ».

Dans le même ordre d’idées, la Cour de Cassation135 avait jugé


favorablement la cause d’un contribuable débouté en appel, qui avait réclamé
l’annulation des redressements imposés par l’administration suite à la
reconnaissance par l’acheteur de la valeur vénale retenue par elle. Pour réfuter
la démarche du fisc, le contribuable avait présenté aux juges une déclaration
légalisée par l’acheteur, dans laquelle il dénie toute dissimulation du prix par le
vendeur, tout en confirmant avoir été contraint de signer un accord à l’amiable
avec le fisc pour ne pas retarder son projet immobilier, étant donné qu’il a
contracté un crédit à cette fin. A cet effet, la Cour de Cassation, avait cassé
l’arrêt de la Cour d’appel en y renvoyant le dossier à nouveau pour instruire les
allégations du contribuable, en motivant sa décision par l’article 228 du dahir
des obligations et des contrats, portant sur l’effet relatif des conventions à
l’égard des tiers.

135
Arrêt de la Cour de Cassation n°835/2 en date du 24/04/2014 dossier n° 3810/4/2/2013 (non publié)

71
En conclusion, si le comportement de l’administration ne vise que la
préservation des intérêts du trésor, il ne doit pas pourtant être au détriment de
la sécurité fiscale du contribuable. Dans ce sens, M. FONGUE, avait considéré
que « l’orientation du contrôle fiscal est … liée à sa nature intrinsèque. Dans la
mesure où ce dernier ne crée pas de matière imposable, il est
conceptuellement et pratiquement difficile de lui assigner des objectifs de
rentabilité financière et contraignante. L’assignation des objectifs de cette
nature au contrôle fiscal est révélatrice d’un état d’esprit de soupçon et de
stigmatisation du contribuable 136».

Section IV- La problématique de la procédure de


notification fiscale

Avant la réforme de 1984, l’établissement de l’impôt ne dépendait que de la


volonté de l’administration fiscale, le contribuable quant à lui, ne pouvait que
soit payer l’impôt établi soit contester les bases d’imposition.

Avec l’introduction du système déclaratif, le contribuable définit lui-même sa


charge fiscale, dans un esprit civique, mais sous réserve de respecter le droit
pour l’administration de contrôler l’exactitude de ses déclarations.
L’administration, quant à elle, est tenue de respecter une procédure
contradictoire permettant au contribuable de défendre ses conclusions. Pour
cela, il importe que ce dernier soit informé au départ des reproches qui lui sont
adressées, d’où l’importance de la notification dans les procédures fiscales. Il
s’agit d’une procédure qui permet à l’administration d’entrer en dialogue
directement avec le contribuable concernant sa situation fiscale. Toutefois, il

136
Roland ANTAGA FONGUE, Le contrôle fiscal et la protection du contribuable dans un contexte
d’ajustement structurel, Ed Le Harmattan, p.14

72
faut signaler que la mise en œuvre de cette garantie a été le terrain de
beaucoup de litiges entre le fisc et le contribuable, ce qui était à l’origine de
multiples modifications de cette procédure (§1), en aboutissant en fin de
compte à une régression de la garantie du débat contradictoire pour le
contribuable (§2).

§ 1- L’évolution de la procédure de notification dans le droit


fiscal marocain

Chronologiquement parlant, cette évolution est marquée par trois étapes : la


première est celle qui précède la promulgation de la loi de finances pour
l’année 1995, suivie par l’étape post-promulgation de cette loi de finances, et
qui s’est étalée jusqu’à l’adoption de la loi de finances 2001, où la procédure de
notification va connaître une tournure considérable.

Rappelons qu’avant 1995, le législateur n’accordait aucune attention


spéciale quant aux procédés de la notification, c’est pourquoi plusieurs moyens
de notification étaient pratiquées selon la nature de la redevance fiscale. Ainsi,
en matière des droits d’enregistrement et de timbre, la notification se faisait
par l’intermédiaire d’un huissier de justice, ce qui n’était pas le cas pour les
autres impôts dont la notification se faisait le plus souvent par voie postale, qui
deviendra par la suite une pratique générale à toutes les redevances fiscales.
Mais avec le temps, cette méthode s’est révélée inefficace en particulier sur le
plan pratique, car beaucoup de lettres de notification ne parvenaient pas à
leurs destinataires pour des raisons liées aux services de la poste. Ce qui laissait
prescrire beaucoup de redevances fiscales. Dans ce contexte légal, la Cour de
Cassation considérait que « le pli de la notification ne peut être considéré
comme reçu par l'intéressé que s’il lui a été remis en personne ou dans son
domicile à une personne habilitée par la loi de recevoir ce pli en son nom. Or, le

73
retour du pli avec la mention non réclamé… ne peut constituer une remise ou
un refus de réception valant comme réception légale137 »..

En vue de combler cette lacune, le législateur avait adopté la loi de finances


pour l’année 1995, où il a permis à l’inspecteur de recourir à d’autres formes
de notification, après l’échec des méthodes postales. En d’autres termes, cette
loi autorisait l’inspecteur à recourir aux services des huissiers de justice ou à
l’aide des agents assermentés de l'administration fiscale pour accomplir cette
formalité, lorsque le pli de la notification est retourné portant la mention non
réclamé ou adresse incomplète. Cependant, malgré cette intervention
législative, les problématiques de la notification n’ont pas été résolues, dans la
mesure où l’administration ne prenait connaissance de l’échec de cette
procédure qu’après vingt jours de son expédition138, ce qui risque de laisser
beaucoup de contribuables fraudeurs s’échapper par l’effet de la
prescription139.

Ce n’est qu’après la promulgation de la loi de finances de l’année budgétaire


2001 que la procédure de notification va connaître un changement radical.
Ainsi, face à la multiplication des recours en nullité de la procédure
d’imposition pour défaut de notification, le législateur avait institué deux
nouvelles mesures qui vont chambouler toute la procédure. La première
consiste à éliminer toutes les restrictions posées par la loi quant au choix du
moyen de notification, en laissant l’administration libre d’opter pour le procédé

‫ المرجع العلمي الجتهاد القضاء اإلداري ابراهيم‬54963 ‫ قرار عدد‬67701 ‫ في ملف رقم‬1978/12/27 ‫ بتاريخ‬1 ‫ قرار محكمة النقض عدد‬137
13‫ ص‬.2009 ‫ الطبعة الثانية‬،‫ المنازعات الجبائية المتعلقة بربط و تحصيل الضريبة بي رقراق‬، ‫ أورده محمد القصري‬.249 ‫زعيم ص‬
‫ " وحيث إن في حرص المشرع على التنصيص على الرسالة الموصى بها مع اإلشعار‬:‫كما جاء في أحد قرارت محكمة النقض في نفس السياق‬
‫ ملف‬.2006/10/18: ‫ المؤرخ في‬874 ‫بالتسليم داللة على أن العبرة بتاريخ توصل الملزم بالرسالة ال بتاريخ إرسالها" قرار المجلس األعلى عدد‬
2005/2/4/320 : ‫إداري عدد‬
60 ‫ ص‬،‫ العمل القضائي والمنازعات الضريبية‬،‫ منشور بدفاتر المجلس األعلى‬،‫ مسطرة التبليغ في القانون الضريبي المغربي‬،‫عب د الغني خالد‬138
139
A ce propos, il importe de signaler que notre administration fiscale souffre depuis toujours d’un grand déficit
au niveau du personnel, c’est pour cette raison que les agents de l’administration n’adressent, dans la plupart des
cas, les lettre de notification qu’à l’approche des délais de prescription (v. supra, p. 63).

74
qui lui semble convenable. La seconde mesure quant à elle concerne
l’institution d’une présomption de réception du pli de la notification par le
contribuable, et ce après l’écoulement d’un délai de 10 jours suivant la date du
refus d'acceptation par ce dernier. Il faut signaler à ce titre, que cette solution a
été initialement adoptée par la jurisprudence marocaine140, pour faire face aux
contribuables de mauvaise foi. Dans ce même objectif, la jurisprudence est
allée plus loin, en considérant la notification comme valable, lorsque le pli ne
parvient pas au contribuable pour une raison liée à sa faute. C’est le cas
notamment, lorsqu’il n’a pas communiqué la bonne adresse de son domicile
fiscal141.

Néanmoins, en dépit de ces retouches législatives, l’administration n’a pas


pu stopper l’hémorragie des pertes de ressources fiscales pour vice de
procédure de la notification, il a fallu introduire une nouvelle réforme
législative en 2005 afin d’élargir le champ d’application de la réforme de 2001,
pour englober les documents retournés avec la « mention non réclamé,
changement d’adresse, adresse inconnue ou incomplète, locaux fermés ou
contribuable inconnu à l’adresse indiquée»142.

En somme, si la réforme de la procédure de notification en 2005 s’est


révélée efficace pour l’administration, en faisant obstacle à toute tentative de
recours en nullité contre une procédure d’imposition pour défaut de
notification, elle a d’un autre égard lésé le contribuable de bonne foi, qui voit
désormais sa sécurité fiscale menacée.

.17 ‫ ص‬،‫ مرجع سابق‬،‫ أورده القصري‬،‫ قضية بناني ضد إدارة الضرئب‬2000 /197 ‫حكم إدارية فاس بالملف عدد‬140
.18 ‫ ص‬،‫ مرجع سابق‬،‫ أورده القصري‬،‫ قضية ورثة كشوط ضد إدارة الضرائب‬2000/186 ‫حكم إدارية وجدة بالملف‬141
142
Ces dispositions ont été incorporées dans le livre des procédures fiscales puis dans le code général des impôts
dans son article 219.

75
§ 2- La fin du principe du contradictoire et l’avènement de
l’insécurité du contribuable

A la lecture de l’article 219 du code général des impôts, il apparaît


clairement que notre législateur ne donne plus aucune importance au principe
du contradictoire, le corollaire du principe déclaratif. Or dans un Etat de droit
où le droit de la défense est sacré143, toute personne a droit de défendre ses
intérêts.

D’un point de vue rationnel, on ne peut parler de procédure contradictoire


que lorsqu’il y a opposition d’intérêts et conflits de droit entre l’administration
et le contribuable. De ce fait, « l’évaluation de la base imposable et la
liquidation de l’impôt s’effectue normalement à partir de la déclaration du
contribuable. C’est seulement quand les services des impôts procèdent au
contrôle de la situation fiscale du contribuable que la nécessité de respecter
une procédure contradictoire individualisée se fait sentir »144. On parle donc
d’un ''débat contradictoire'' où l’une des parties dit et l’autre contredit, ce qui
implique que les deux parties préparent leur défense145. De ce fait, ce débat
suppose le respect de trois garanties liées principalement au contribuable qui
se trouve par la logique des choses dans la place du défendeur, suite à la
remise en cause par l’administration de sa déclaration146. La première garantie

143
Dans ce sens, l’article 118 de la constitution de 2011 dispose : « l'accès à la justice est garanti à toute
personne pour la défense de ses droits et de ses intérêts protégés par la loi.
Tout acte de nature réglementaire ou individuelle, pris en matière administrative, peut faire l'objet de recours
devant la juridiction administrative compétente. »
Dans le même ordre d’idées, l’article 120 ajoute : « toute personne a droit à un procès équitable et à un jugement
rendu dans un délai raisonnable.
Les droits de la défense sont garantis devant toutes les juridictions. »
144
Jamel AJROUD, Le principe du contradictoire dans la procédure d’imposition, Ed Centre de publication
universitaire 2008, Tunis,. p4
145
Ce principe profite donc aussi bien au demandeur qu’au défendeur. Ainsi, dans un conflit fiscal, aussi bien le
contribuable que le service des impôts défend des intérêts. Intérêt privé pour l’un et intérêt du trésor pour l’autre.
146
La déclaration fiscale constitue un acte de déclenchement de la procédure contradictoire. Mais ceci ne veut
pas dire que le contribuable qui n’accomplit pas cette formalité sera privé d’un débat contradictoire.

76
consiste en l’information du contribuable de la mesure envisagée contre lui, ce
qui suppose en second lieu, la connaissance des raisons qui motivent cette
mesure. Troisièmement, après être suffisamment informé, il importe qu’il soit
entendu s’il présente des observations dans un délai raisonnable. Pour
résumer, deux droits fondamentaux doivent être observés, à savoir : le droit
d’être informé et le droit d’être entendu.

Le débat contradictoire a également un intérêt pratique certain pour le fisc,


puisqu’il peut changer d’attitude après avoir entendu les conclusions du
contribuable. Comme il peut aussi renforcer sa décision en s’appuyant sur les
aveux de ce dernier. La contradiction permet donc de minimiser le risque
d’erreur par le service des impôts. Elle amène à cet effet « à une imposition
sans douleur, ou du moins avec moins de douleur »147.

Sur le plan juridique, la notification fiscale constitue une invitation à un


débat écrit et contradictoire. Or, si le contribuable ne reçoit pas le pli de
notification, aucune discussion ne peut être engagée, et il sera par conséquent
empêché de préparer sa défense148.

L’introduction de cette nouvelle mesure a incontestablement mis le


contribuable dans une situation de détresse totale, en allant par là même à
contre-courant de l’orientation générale du Royaume qui s’est inscrit dans la
voie de la démocratisation et du respect des droits de l’Homme. Sous l’égide de

L’administration fiscale est obligée d’inviter le contribuable à déposer sa déclaration, avant de procéder à la
taxation d’office.
147
J. AJROUD, Op. Cit. p31.
‫"لكن حيث إنه إذا كان من حق إدارة الضرائب فحص محاسبة الملزم فيما يتعلق بالسنوات التي لم يمض عليها أمر التقادم فذلك رهين بتمتيعه‬148
.‫بالضمانات المقررة في القوانين المنظمة للضرائب‬
105 ‫وحيث انه ال فائدة من توجيه اإلشعار بفحص المحاسبة إذا لم يبلغ إلى الملزم خمسة عشر يوما قبل الشروع فيه مادامت غاية المشرع في المادة‬
.‫من القانون المتعلق بالضريبة العامة على الدخل هي عدم مباغتة الملزم بعملية الفحص وتمكينه من فترة كافية إلعداد وثائق المحاسبة‬
‫وحيث لم تتقيد إدارة الضرائب بتلك المقتضيات بدليل عدم إدالئها بما يفيد تبليغ الشركة المستأنف عليها باإلشعار بالفحص واكتفت بالقول بأنها‬
‫ من القانون المتعلق بالضريبة على‬39 ‫ مما تكون معه مسطرة التصحيح الضريبي باطلة تطبيقا للفقرة السابعة المادة‬،‫وجهته إليها في األجل‬
)‫(غير منشور‬2004/2/4/308 : ‫ القسم الثاني عدد‬: ‫ ملف إداري‬2006/06/28 : ‫ المؤرخ في‬557 : ‫" قرارمحكمة النقض عدد‬.‫الشركات‬

77
cette loi, le contribuable vit dans une crainte continue contre les éventuels
abus pouvant émaner des agents de l’administration fiscale. Il n’est pas
question ici de remettre en cause l’honnêteté du personnel du service des
impôts, mais rien ne garantit que certains agents du fisc, de mauvaise foi,
n’usent de ces dispositions afin de priver le contribuable de son droit à la
défense149.

Par ailleurs, il faut rappeler que le législateur avait pensé à renforcer le droit
à l’information du contribuable, par l’introduction d’une nouvelle garantie
obligeant l’agent du fisc de joindre à l’avis de vérification une « charte de
contribuable vérifié» exposant ses droits et obligations. Mais dans l’état actuel
des choses, on s’interroge légitimement sur l’utilité de cette garantie, en
présence d’une loi aussi indulgente face à sa transgression.

En dernière analyse, on conclut que le régime actuel de la procédure de la


notification constitue une régression majeure du droit du contribuable à un
débat contradictoire. Toutefois, il faut signaler que cette réforme n’a pas pu
remplir les objectifs envisagés par l’administration, à savoir : limiter le contrôle
juridictionnel de la validité de la procédure de notification, dans la mesure où il
est toujours possible pour le contribuable de demander l’annulation de la
procédure d’imposition pour défaut de notification s’il arrive à établir qu’il a
communiqué à l’inspecteur des impôts la bonne adresse où il demeure
toujours150.

149
On peut citer à ce titre un arrêt de la Cour de Cassation ayant confirmé l’arrêt de la Cour d’Appel
Administrative de Rabat, qui avait annulé une décision de taxation d’office sur la base d’une notification jugée
invalide suite à l’inscription aux faux contre les signatures d’un cohéritier, qui s’est révélé positive. Selon la
Cour de Cassation, la démarche de la cour est tout à fait correcte « puisqu’il concerne une des garanties accordée
/par la loi dans le cadre de la procédure contradictoire ». Arrêt n° 565/2 en date du 02/07/2015 dossier n°
2324/4/2/2014 (non publié).
‫"حيث أنه إذا كان من حق اإلدارة الجبائية القيام بمراجعة الضريبة على األرباح العقارية في مواجهة الملزم بها متى توفرت لها عناصر ذلك‬-150
.‫فإن عملية التصحيح هذه رهينة بإشعار الملزم وفقا للمسطرة المنصوص عليها في القانون الشيء الذي لم تثبته‬

78
Conclusion du premier chapitre :

Au total, il résulte de notre analyse de la norme fiscale que non seulement


elle n’assure pas assez de sécurité pour le contribuable, mais aussi elle le met
dans un état d’insécurité dans certains cas.

Dans ce sens, le Professeur F. EL BACHA avait dénoncé avec des termes forts
l’état actuel de la législation fiscale, comme le montre ainsi le passage suivant :
« la loi de Finances contre les lois ! Lorsqu’on connaît l’environnement
juridique et politique dans lequel les lois de Finances sont adoptées, il y a
beaucoup à craindre pour la défense des contribuables, les droits des citoyens
et le respect de l’Etat de droit. Lorsque les réclamations se comptent par
milliers, lorsque la bonne foi des contribuables n’est plus présumée, lorsque,
sous prétexte d’autonomie ou d’indépendance du droit fiscal, les règles
élémentaires de preuve et de notification sont bafouées ôtant aux
contribuables toute possibilité réelle de défense… Le législateur a, fort
heureusement, muni les contribuables de garanties soit sous la forme de
procédures préalables à l’acte d’imposition soit par le recours au juge chargé
de contrôler la légalité de l’action administrative. Mais ce n’est pas du côté de
l’administration fiscale, soucieuse de consolider chaque jour davantage ses
pouvoirs d’investigation, de contrôle et de sanctions qu’il faut espérer une
quelconque protection151 » .

‫ علما أن طي التبليغ أرجع بعبارة‬،‫وحيث أنه ال شيء في الملف يفيد تبليغ المدعى باألسس الجديدة المعتمدة لمراجعة الضريبة على األرباح العقارية‬
‫غير مطلوب وأن التبليغ بواسطة عون اإلدارة لم ينجز خاصة وأن الملزم أثبت انه مازال يقطن بنفس العنوان المصرح به لإلدارة الشيء الذي يجعل‬
"‫الحكم المستأنف مجانبا للصواب ويتعين إلغاؤه‬
.)‫ (غير منشور‬2002/2/4/1365 : ‫ ملف إداري القسم الثاني عدد‬2006/1/25 : ‫ المؤرخ في‬54 : ‫قرار المجلس األعلى عدد‬
151
Farid EL BACHA, "Le contribuable face à l’administration fiscale", In L’Economiste, n° 2323 du 20/07/2006

79
Chapitre II- Incapacité du contentieux fiscal à
garantir la sécurité fiscale au contribuable

Le contribuable en bon citoyen qu’il est présumé être, est censé faire ses
déclarations à temps et payer ses impôts dont il est redevable, ce qui reflète un
véritable consentement à l’impôt de sa part. Mais cela suppose que l’impôt soit
légalement établi par l’administration fiscale et dénué de tout excès de
pouvoir, notamment en matière d’évaluation de la base imposable. Or, la
décision de l’impôt n’est pas toujours une décision agréable pour le
contribuable. En effet, la relation contribuable-fisc se traduit tantôt par une
relation de collaboration tantôt par un rapport de conflit, où l’un des deux
protagonistes recourt au contentieux fiscal afin de trouver une solution à leur
différend. Ceci dit, reste à savoir si les règles du contentieux fiscal assurent
suffisamment de sécurité pour le contribuable au Maroc.

Pour répondre à cette problématique, il importe tout d’abord de définir le


concept du "contentieux fiscal", avant d’examiner les règles qui le régissent à
travers le diagnostic des différentes procédures juridictionnelles et
administratives destinées à la résolution des litiges qui surgissent entre le fisc
et le redevable.

En décortiquant ainsi l’expression "contentieux fiscal", on remarque qu’elle


se compose de deux termes. Le premier renvoie à une situation d’antagonisme
entre deux parties ou plus, qui défendent des intérêts contradictoires. Il s’agit
donc de l’ensemble des litiges qui peuvent surgir entre des sujets de droit, ainsi
que les moyens et procédés mis en place pour les résoudre.

80
Quant au terme "fiscal", il a pour origine le mot "fisc", qui signifie
« l’ensemble des administrations chargées de percevoir, de fixer et de répartir
les impôts152 ». On parle aussi de fiscalité qui désigne l’ensemble des règles qui
régissent la matière fiscale.

Globalement, on peut dire que le contentieux fiscal constitue « d’une part,


tout litige entre le contribuable et l’administration à l’occasion de la
détermination de l’impôt par cette dernière ou de sa liquidation ou son
recouvrement, et d’autre part, par la procédure civile ou judiciaire légale suivie
pour arranger le désaccord153».

Étant de nature hybride, le contentieux fiscal est régi à la fois par le droit
judiciaire privé et le droit fiscal. L’article 8 de la loi n° 41-90 instituant les
tribunaux administratifs attribue la compétence matérielle aux juridictions
administratives154, après, bien entendu, l’épuisement des autres voies de
recours à savoir : le recours obligatoire par voie de réclamation devant
l’administration155, et le recours facultatif devant les instances d’arbitrage156.

Après cette brève introduction, il est temps de se pencher sur notre


problématique, qu’il importe d’étudier dans trois sections : la première sera
consacrée à l’analyse de l’efficacité du recours devant les instances arbitrales

152
Lexique des termes juridiques, ed Dalloz, 13e édition, 2001, p.263
153
Med MARZAK et A. ABELILA « Le contentieux fiscal au Maroc entre la théorie et la pratique » Edition AL
Oumnia 1998, 2ème édition, cité par, SABAH CHERKAOUI, Le contentieux fiscal au Maroc : voies de recours
et rôle de l’expert-comptable, Mémoire soutenue à l’Institut Supérieur du Commerce et d’Administration des
Entreprises (ISCAE), p 29
154
Le Dahir n° 1-91-225 du 22 rebia I 1414 (10 septembre 1993)
155
A ce titre on distingue entre la réclamation contentieuse et la réclamation gracieuse, mais puisqu’on est en
train d’étudier le contentieux fiscal on se limitera à examiner seulement la réclamation contentieuse.
156
A ce titre il faut signaler que le législateur a traité le recours devant les instances arbitrales hors du titre relatif
au « contentieux de l’impôt » au sein du code général des impôts, mais cela n’exclut pas que la procédure devant
ces entités arbitrales est belle et bien contentieuse, dans la mesure où l’article 225 du CGI dispose que les
commissions locales « statuent sur les litiges qui leur sont soumis…». De plus, l’article 220-IVdu CGI permet au
contribuable ou à l’administration de faire recours contre les décisions de la commission locale de taxation
devant la Commission Nationale du Recours Fiscal.

81
sur le plan de la protection du contribuable contre l’éventuel abus de
l’administration fiscale (section I). Quant à la seconde section, il serait question
d’examiner la réclamation contentieuse et ses effets sur la sécurité fiscale du
contribuable (section II). Enfin, on se bornera dans une troisième section à
étudier la sécurité fiscale du contribuable lors du contentieux judiciaire (section
III).

Section I- Une faible position du contribuable face au fisc


devant les instances d’arbitrage

Après la notification des redressements comme signe d’inacceptation des


justifications du contribuable aux remarques soulevées par l’administration, le
débat contradictoire n’est pas définitivement clos. Le contribuable dispose d’un
droit de recours facultatif, sans frais, et sans obligation de se faire assister par
un avocat, devant les commissions d’arbitrage, lui permettant de réouvrir à
nouveau la discussion contradictoire.

En partant du critère de la gratuité de la procédure et du caractère


exécutoire de ses décisions, on peut aisément classer ce recours parmi les
modes alternatifs de règlement des conflits. Toutefois, après l’analyse de leur
nature juridique, ainsi que du code de la procédure civile, notamment les
articles qui régissent l’arbitrage et la médiation, on conclut que ces institutions
ont une nature particulière.

D’ailleurs, l’objectif principal derrière l’instauration de ces institutions était


de créer une instance de recours de proximité, capable de trancher les litiges
fiscaux à travers une procédure simplifiée, rapide et sans frais. Ce qui aura par
la suite comme effet de désencombrer les tribunaux, dont le recours se
caractérise par une procédure longue et coûteuse.
82
Historiquement, l’institution de la première commission d’arbitrage remonte
à 1908, date de l’instauration de l’impôt urbain157. S’en est suivie la création
d’une série de nouvelles commissions d’arbitrage à l’occasion de l’instauration
d’impôts modernes, qui resteront en vigueur jusqu’à la promulgation du dahir
du 31 décembre 1939 portant réglementation de l'impôt sur les bénéfices, où il
a été l’occasion de mettre en place des commissions locales basées dans
quelques villes et régions du Royaume et une commission centrale à Rabat158.

Cette évolution s’est poursuivie après l’avènement de l’indépendance,


suivant ainsi le changement structurel que connaissait le Maroc à l’époque.
Dans ce cadre, une série d’amendements a été promulguée, parmi lesquels
figure le dahir du 18 Octobre 1957159 qui a attribué la présidence des
commissions locales aux représentants des gouverneurs. Ensuite, la loi de
finances de 1982 a constitué le départ d’un processus de réforme globale de
tout le système fiscal marocain, dont les instances arbitrales, en élargissant la
représentativité du contribuable en leur sein.

Aujourd’hui les commissions arbitrales ont toutes à leur tête un magistrat


chargé d’assurer la présidence et de veiller à la bonne marche de la procédure.
De plus, dans une approche de simplification du système fiscal, notre
législateur a supprimé toutes les commissions d’arbitrage spécialisées en se
contentant seulement de trois commissions à savoir : les commissions locales
communales (C.L.C.), les commissions locales de taxation (CLT) et la
commission nationale des recours fiscaux (CNRF) qui est une commission
permanente qui siège à Rabat.

157
Jacques JOUANNET, L’évolution de la fiscalité marocaine depuis l’instauration du protectorat, L.G.D.J Paris
1953 tome 1, p142.
158
Bulletin Officiel n° : 2472 du 11/03/1960 - Page : 535
159
Bulletin Officiel n° : 2347 du 18/10/1957 - Page : 2256

83
En dépit du progrès que les commissions arbitrales ont connu, notamment
en termes de simplification et d’indépendance, il semble que leur capacité pour
préserver la sécurité du contribuable est loin d’être satisfaisante. Ainsi, c’est à
travers l’analyse de la nature juridique de ces instances (§1) qu’on a pu élucider
leur degré de préservation de la sécurité fiscale du contribuable (§2).

§ 1- La nature juridique des commissions arbitrales

Cette question a alimenté un houleux débat doctrinal au Maroc, entre les


tenants de la nature arbitrale de ces commissions et ceux qui optent pour la
nature judiciaire, et entre les deux ceux qui les considèrent comme de pures
instances administratives. Il importe de préciser à ce titre que ce débat trouve
ses fondements dans le vide juridique sur la question en droit marocain, à la
différence du droit égyptien où le a déclaré sans équivoque que les
commissions de recours sont des législateur instances judiciaires, capables de
trancher tous les litiges fiscaux portant sur des questions de droit ou de fait160.

A- La nature arbitrale des commissions fiscales

L’arbitrage est tout d'abord « une procédure de règlement de litige par le


recours à une ou plusieurs personnes privées (en nombre impair) appelées
arbitres »161. Il s’agit d’un mode alternatif de règlement des différends qui « a
pour objet de faire trancher un litige par un tribunal arbitral qui reçoit des
parties la mission de juger en vertu d'une convention d'arbitrage162».

La question qu’on devrait se poser ici, est de savoir si l'Etat peut faire partie
d'un contentieux soumis à l'arbitrage d'un arbitre.

‫ الدار‬،49 ‫ عدد‬،‫ منشورات المجلة المغربية لإلدارة المحلية والتنمية‬،‫ دراسة تحليلية ونقدية‬،‫ القانون الضريبي المغربي‬،‫ محمد الشكيري‬160
546 ‫ ص‬،2004 ‫ طبعة‬،‫البيضاء‬
161
Lexique des termes juridiques, Dalloz, 13 éd 2001, p. 43
162
L’article 306 du code de la procédure civile

84
Cette question a été tranchée par l'article 310 du code de la procédure civile
(CPC) aux termes duquel : « les litiges relatifs aux actes unilatéraux de l'Etat,
des collectivités locales ou autres organismes dotés de prérogatives de
puissance publique ne peuvent faire l'objet d'arbitrage.
Toutefois, les contestations pécuniaires qui en résultent peuvent faire l'objet
d'un compromis d'arbitrage à l'exception de celles concernant l'application
d'une loi fiscale ».

Cette interdiction a été également confirmée par le second alinéa de l’article


244 du C.G.I. selon lequel « les litiges relatifs à l’application de la loi fiscale ne
peuvent faire l’objet d’arbitrage. »

En partant de ces deux articles, on peut affirmer avec certitude que les litiges
fiscaux ne peuvent être tranchés par un arbitre, reste donc à savoir si les
commissions fiscales sont elles-mêmes de nature arbitrale au sens de l'article
306 du CPC.

La réponse à cette question ne peut être que négative, pour trois


considérations :
Premièrement, il faut préciser que le qualificatif "arbitral", qui est souvent
attaché à ces commissions, n’est qu’une appellation doctrinale, et ne relève à
cet effet d'aucun texte légal, à l'exception de l'article 20 de l'ancienne loi n° 37-
89 relative à la taxe urbaine163 qui a utilisé le terme de "commission
d’arbitrage" pour désigner les instances chargées de trancher les réclamations
contre les évaluations de la commission de recensement.
Deuxièmement, l'arbitrage est un procédé contractuel qui résulte d'une
clause "compromissoire" insérée dans le contrat. Or, la saisine des commissions

163
Dahir n° 1-89-228 du 30 décembre 1989, publié au B.O. n° 4027 en date 03/01/1990

85
fiscales se fait à l'initiative d'une seule volonté, à savoir celle du contribuable
ou du fisc164.
Troisièmement, la sentence arbitrale n'est exécutoire qu'après
l'accomplissement d’une procédure d'exequatur, contrairement aux décisions
des commissions qui deviennent exécutoires juste après l'écoulement du délai
de 60 jours suivant la notification aux deux parties.

S'il est désormais acquis que les commissions ne sont pas de nature
arbitrale, leur mode de fonctionnement laisse entendre qu’elles sont plutôt de
nature judiciaire.

B- La nature judiciaire des commissions

À ce titre, il importe de signaler que, conformément à l'article 71 de la


Constitution de 2011, « la création de nouvelles catégories de juridictions » est
du domaine de la loi, dans la mesure où c’est elle qui garantit l'indépendance
de ces institutions par rapport au pouvoir législatif et exécutif. La loi veille aussi
au respect de quelques principes généraux du procès équitable, tel que la
contradiction lors des débats, l'instruction des faits et la motivation de leurs
décisions. En effet, en prenant en considération ces critères, on peut être induit
à conclure que les commissions ont un caractère judiciaire, puisqu'elles sont
créées par la loi qui détermine avec précision la procédure suivie devant elles,
et qui les astreint à trois obligations : respecter d’abord le principe du

164
A ce titre, il faut signaler que la jurisprudence a toujours confirmé le caractère facultatif du recours devant les
commissions d’arbitrage, on peut citer ainsi l’arrêt de la Cour Suprême, (l’actuelle Cour de Cassation), n° 872 en
date du 18/10/2006, chambre administrative, dossier n° 235-4-2-2005.
‫ حيث ان اللجوء إلى مسطرة اللجان‬، ‫ "لكن‬2005-2-4-235 : ‫عدد‬-‫ ملف إداري –القسم الثاني‬2006-10-18 : ‫ المؤرخ في‬872 : ‫القرار عدد‬
‫مسالة اختيارية ويجوز للملزم رفع النزاع مباشرة إلى القضاء من غير ان يطلب إحالة ملفه على اللجنة االستشارية المكلفة برسوم التسجيل فان ما‬
". ‫أثير بهذا الصدد غير مقبول‬

86
contradictoire lors des débats, puis procéder à des enquêtes si elles sont
nécessaires, et enfin motiver leurs décisions165.

Cependant, en dépit de ces critères que les commissions d’arbitrage ont en


commun avec les instances judiciaires, elles ne peuvent être qualifiées ainsi en
raison de l’absence d’un élément important, à savoir leur indépendance par
rapport à l'autorité gouvernementale. En effet, la dépendance des commissions
du pouvoir exécutif se manifeste clairement à travers leur composition
dominée par l'autorité administrative, fiscale ou territoriale. Ajouté à cela, le
rôle central de l’administration fiscale dans ces instances, en mettant à leur
disposition tous les moyens logistiques, matériels et humains nécessaires à leur
fonctionnement.

En conclusion, si la nature juridique des commissions n'est ni arbitrale ni


judiciaire, elle ne saurait donc être qu’administrative.

C- La nature administrative des commissions

Outre les considérations précédemment déduites, le caractère administratif


des commissions d’arbitrage peut facilement se vérifier aussi bien au niveau de
leur organisation qu'au niveau de leur fonctionnement.

Ainsi, en examinant la composition de ces commissions, on remarque que la


présence de l'administration est frappante, de sorte qu’elle est représentée
dans la CLT par le chef du service local des impôts ou son représentant qui tient
le rôle de secrétaire rapporteur, ainsi que par le représentant du gouverneur.
Le seul magistrat relevant de l’autorité judiciaire ne dispose que d’une voix
prépondérante en cas de partage de voix.

165
Abdallah BOUDAHRAIN, Le contentieux fiscal au Maroc, EDEMAR, Casablanca, 1984, p.59.

87
Par ailleurs, dans la pratique, c’est l'administration qui se charge de
l'établissement des CLT, en fixant le siège et le ressort de leurs compétences.
C'est elle aussi qui s'occupe de tous les besoins en moyens humains et
matériels.

Quant à la CNRF, le législateur l'a placée sous l'autorité du chef de


gouvernement qui nomme tous ses membres y compris les sept magistrats qui
président les sous-commissions166.

Le caractère administratif des commissions se confirme également à travers


l'analyse de leur mode de fonctionnement. Le premier constat qu'on peut
évoquer à ce stade est le rôle central joué par l'inspecteur chargé de la
vérification fiscale, notamment au niveau de la CLT. Ainsi, c'est à son niveau
que la procédure se prépare en rédigeant un rapport détaillé qui résume, en
deux colonnes, la position de l'administration et celle du contribuable. Il le
présente par la suite au fonctionnaire chargé du rôle de secrétaire rapporteur
en cinq copies. Ce dernier peut éventuellement le compléter par d'autres
informations qu’il juge nécessaires, comme la forme de la société, le siège
social167...

Dans le même cadre du fonctionnement des commissions d’arbitrage, la


domination de l’administration fiscale est nettement apparente. Ainsi, la
notification de la décision de la CLT est assurée par un secrétaire rapporteur
qui n’est autre que « le chef du service local des impôts ou son représentant ».
Ce dernier s'occupe aussi de l’information des deux parties de l’épuisement du
délai de 12 mois sans que la CLT prenne une décision, afin que l’administration
166
Ahmed NARHACH, Essai sur la nature du pouvoir fiscal Au Maroc, thèse des Finances publiques et fiscalité,
Thèse soutenue publiquement à l'université Mohamed V- Agdal, Faculté des Sciences Juridiques Economiques
et Sociales, Rabat, années universitaire 2000 – 2001, p 257.
.538‫ ص‬،‫ مرجع سابق‬، ‫محمد شكري‬167

88
procède dans un délai de 2 mois au transfert du dossier à la CNRF (article 225
du C.G.I.).

En confirmation du caractère administratif des commissions, certains


auteurs vont jusqu’à qualifier le recours devant elle comme un simple recours
hiérarchique, puisqu’il s’agit pour eux d’une continuation de la procédure
contradictoire de la vérification168. Mais en réalité, on ne peut parler de recours
hiérarchique sans évoquer l’autorité administrative. En effet, comme il est
communément admis, l'acte de l’administration se résume en deux types
d'actes juridiques, à s'avoir : l’acte unilatéral ou décision exécutoire, et le
contrat administratif169. Or, en examinant les décisions des commissions
d’arbitrage, on constate qu'elles ne représentent ni l'un ni l'autre. De surcroît,
les décisions de ces commissions ne peuvent faire l'objet d'un recours en
annulation pour excès de pouvoir, puisque la loi fiscale a prévu un recours
parallèle170.

Cette position a été affirmée bien longtemps par une jurisprudence de haute
juridiction du Royaume ayant confirmé le caractère administratif des
commissions arbitrales, pour écarter ensuite tout recours pour excès de
pouvoir contre leurs décisions. Il en résulte ainsi que, « 1° les commissions tant
locales que centrales de taxation de l'impôt sur les bénéfices professionnels
n'ont pas le caractère de juridictions et prennent des décisions de caractère
administratif. En les instituant, le législateur a entendu non pas organiser un

336‫ ص‬2002 ‫ الدار البيضاء‬،‫ مطبعة دار النشر المغربية‬،‫ المسطرة في القانون الضريبي المغربي‬،‫خالد عبد الغني‬168
169
Michel ROUSSET et Olivier ROUSSET, Droit administratif – Tome 1 - L'action administrative. 2e édition
Grenoble, Presses Universitaires de Grenoble, 2004, p141
170
Dans ce sens, le dernier alinéa de l'article 23 de la loi n° 41-90 instituant les tribunaux administratifs
considère le recours en annulation comme irrecevable « contre les décisions administratives lorsque les
intéressés disposent pour faire valoir leurs droits du recours ordinaire de pleine juridiction. »

89
contentieux juridictionnel, mais offrir aux redevables des garanties
supplémentaires d'examen par des organismes administratifs.

2° et 3°Les litiges ne portant pas sur la détermination des bases de l’impôt


sont de la compétence des juridictions de 1913. Un recours pour excès de
pouvoir n'est en conséquence pas recevable contre une décision de la
commission centrale de taxation qui a statué sur une telle question, le
contribuable disposant d'un recours ordinaire de pleine juridiction 171 ».

De ce qui précède, on conclut que les commissions d’arbitrage sont des


instances administratives ayant un aspect arbitral, dans la mesure où elles
n'ont pas les mêmes qualités que les instances juridictionnelles, même si elles
peuvent en revêtir certaines apparences. Elles ne peuvent non plus être
considérées comme des institutions administratives pures et simples, pour les
raisons évoquées précédemment.

Au terme de cette analyse, et après avoir confirmé leur caractère


administratif un peu spécifique, on se demande si les instances arbitrales
assurent suffisamment de sécurité pour le contribuable contre les éventuels
abus ou simplement erreurs de l'administration fiscale. C’est ce qu’on
s’efforcera de relever dans le paragraphe qui suit.

171
Cour Suprême, Chambre administrative, arrêt n°246 en date du 12 Juillet 1962 Dossiers n°7233-7234, publié
dans Revue de Jurisprudence de la Cour Suprême, Chambre Administrative 1961-1965 -édition numérique,
décembre 2000 p 61

90
§ 2- L’évaluation de l’efficacité des commissions arbitrales
dans le cadre de la protection de la sécurité fiscale du
contribuable à la lumière de sa nature juridique

Après avoir souligné le caractère administratif à la couleur arbitrale des


commissions de recours fiscal, il serait question de démontrer son effet sur la
sécurité du contribuable. On ne peut pas traiter cette question d’un point de
vue purement négatif, car les atouts des instances arbitrales en la matière sont
non négligeables (A), mais ils ne peuvent tout de même s’élever à la perfection
(B).

A- La préservation de la sécurité fiscale du contribuable par les commissions de


recours fiscaux

Personne ne peut nier le rôle joué par les commissions de recours fiscal dans
la protection des droits du contribuable. En effet, le seul fait d'instaurer ce
recours constitue une avancée considérable en termes de garanties légales
accordées aux contribuables, puisqu’il permet une continuation du dialogue
entre l'administration et le contribuable, même s’il se fait de manière indirecte,
c’est-à-dire par l'intermédiaire des membres des commissions.

Parmi les bienfaits qu’on peut également compter en faveur de ses


instances, en matière d'amélioration de la sécurité fiscale du contribuable, on
peut citer la gratuité de la procédure, qui permet d'éviter au contribuable de
débourser d’énormes frais de justice en plus des honoraires d'un avocat.

De plus, dans un objectif de bon fonctionnement, le législateur a mis à la


tête de chaque commission un magistrat de siège, afin d'assurer une bonne
application de tous les textes juridiques, et de veiller au respect des

91
procédures, telles que les notifications et les règles de la présence et de la prise
des décisions.

La présidence par un juge a aussi pour avantage de faciliter la distinction


entre les problèmes de fait et ceux de droit172 que la loi a exclus du champ de
leur compétence. Sans oublier le côté psychologique, puisque la présidence par
un juge peut alimenter dans l'esprit des usagers de ces commissions une
sensation de justice et d’impartialité.

Par ailleurs, par souci d’amélioration de la qualité des prestations octroyées


par les commissions d’arbitrage, le législateur marocain n'a pas cessé
d'introduire de nouvelles garanties aussi bien au niveau de leur composition
qu'au niveau de leur fonctionnement. On peut citer à cet égard quelques
exemples : ainsi, avant 2001, aucun texte de loi n'obligeait les commissions
d’arbitrage à motiver leurs décisions. Ce n’est qu’à compter de la promulgation
de la loi de finances 2001 qu’une obligation de motivation des décisions
rendues a été instaurée. Toutefois, malgré ce remaniement, on remarque que
« les décisions des CLT ne sont pas souvent motivées173 ».

De même, dans le cadre de l'accélération des procédures et du


raccourcissement des délais, le législateur a adopté quelques mesures très
louables. C’est ainsi que le délai maximum entre la date d’introduction d’un
recours devant la CNRF et celle de la décision qui est prise à son sujet, fixé par
le décret du 30 décembre 1987 à 24 mois, a été ramené à 12 mois à compter
de la promulgation de la Loi de Finances 1996/1997174. Cette même tendance

172
S. CHERKAOUI, Op Cit. ,p 36
173
"Le système fiscal marocain : développement économique et cohésion sociale", Rapport du conseil
économique et social et environnemental, novembre 2012, p. 65
174
Azzeddine BENMOUSSA, "Les voies de recours du contribuable devant les commissions locales de taxation
et devant la CNRF", In les Actes des Assises Nationales sur la Fiscalité au Maroc 1999, p75.

92
s’est poursuivie lors de l’adoption de la loi de finances pour l’année 2016, dont
l’article 8 a modifié et complété quelques dispositions du code général des
impôts, notamment ceux portant sur le fonctionnement de la CLT, où le
législateur a bien fait de réduire le délai de réponse de cette dernière à 12 mois
au lieu de 24 mois, à compter de la date de la réception de la requête et des
documents transmis par l’administration.

En ce qui concerne le délai de recours devant les tribunaux, il est fixé à 60


jours par l'article 242 du C.G.I.. Ce délai commence à courir à compter de la
date de la notification de la décision de la CNRF175 et non pas celle de l'émission
du rôle de l'imposition qui dépend de la volonté de l'inspecteur, comme cela
était avant la modification de cet article par la loi de finances n° 43-10 pour
l’année budgétaire 2011.

Dans le cadre de l’encadrement de l’action de l’administration, le législateur


de la loi de finances de 2011 a établi un délai de quatre mois pour que
l’administration procède à la communication à la CLT des requêtes du
contribuable, ainsi que tous les documents relatifs aux actes de la procédure
contradictoire permettant à ladite commission de statuer, et ce à compter de la
date de notification à l’administration du pourvoi du contribuable devant ladite
commission (l'article 220-III du CGI). Cette garantie a été encore une fois
renforcée par la loi de finances 2016, en réduisant ce délai à trois mois, en
instaurant une sévère sanction en cas de non-respect de ce délai, en
l’occurrence : le retour aux bases déclarées ou acceptées par le contribuable176.

175
Ainsi que celle de la CLT après la promulgation de la loi de finances 2016
176
A signaler que cette nouveauté vient confirmer la position bien établie de la Cour de Cassation, ayant
confirmé à plusieurs égards les décisions des juges de fond prononçant la nullité de la procédure de
redressement, lorsque l’administration omet de transmettre le dossier à la CLT, suite à la demande du
contribuable. On lit ainsi dans l’un des attendus de ses arrêts : « attendu que l’administration n’a pas pu prouver

93
En définitif, malgré les efforts déployés par le législateur en vue de renforcer
la sécurité du contribuable par le biais des commissions de recours, beaucoup
de pas restent à franchir, notamment en termes de promotion de leur
indépendance et d'allègement des délais, afin de rendre leurs décisions plus
crédibles et plus sécurisantes.

B- La déficience des commissions de recours pour la préservation de la sécurité du


contribuable

En dépit des avancées considérables précédemment signalées, le recours


devant les commissions d’arbitrage est loin d'assurer une bonne protection du
contribuable contre les éventuelles erreurs et abus de l'administration fiscale.

L'analyse des textes légaux qui régissent ces instances dévoile leur
impuissance pour préserver la sécurité fiscale du contribuable, et ce pour
plusieurs raisons.

La première cause qu’on peut signaler concerne l’opportunité de ce recours


pour le contribuable. Ainsi, le recours à ces commissions peut quelquefois se
révéler inutile voir même préjudiciable à ses intérêts, dans la mesure où la
dépendance de ces commissions à l'administration se répercute
incontestablement sur l'impartialité de ses décisions. A cet effet, les
contribuables ont de plus en plus tendance à abandonner cette voie de recours

l’envoi du dossier à la CLT, elle est donc considérée comme responsable de la privation du contribuable de l’une
des garanties prévues par la loi, d’où la nullité de toute la procédure d’imposition… »
‫ في الملف اإلداري عدد‬2007/6/27 ‫ بتاريخ‬654 ‫ وكذلك قرارها عدد‬2006/2/4/140 ‫ في الملف اإلداري عدد‬294 ‫قرار محكمة النقض عدد‬
‫ دراسة في بعض جوانب مسطرة التصحيح الضريبي على ضوء مستجدات قانون المالية لسنة‬،‫رضى التايدي‬.‫ أوردهما ذ‬2005/2/15584
2011/16 ‫ عدد‬،‫ دفاتر المجلس األعلى‬،‫ اإلشكاالت القانونية والعملية في المجال الضربي‬:‫ مدا خلة في الندوة الوطنية حول موضوع‬،2011
.174‫ص‬
Cette même position a été confirmée dans d’autres cas :
 Arrêt n° 23/2 en date du 15/01/2015, dossier n° 2586/4/2/2013 (non publié)
 Arrêt n° 26/2 en date du 15/01/2015, dossier n° 2680/4/2/2013 (non publié)

94
à cause des délais longs et non contraignants qui caractérisent la procédure,
sachant que le recours à ces instances n'est pas obligatoire.

La dépendance des commissions à l'administration fiscale peut être


clairement déduite aussi bien de leur composition que des procédures suivies.
En effet, comme nous l'avons déjà relevé précédemment, la majorité des
membres des commissions (locales ou nationale) sont nommés par
l'administration. Ainsi, dans la commission locale, on remarquera que le fisc à
côté de l'administration territoriale concourent conjointement à la nomination
de tous les membres de cette commission, à l'exception du président qui est un
magistrat nommé d’office en vertu d’un décret du chef de gouvernement en
date du 22 novembre 1996, ayant confié cette mission aux présidents des
tribunaux de première instance ou à l’un de leurs substituts ; sauf la
commission de Casablanca-Anfa qui est répartie en deux commissions en
considération du nombre élevé de dossiers qui lui sont soumis177. Il en est de
même en ce qui concerne les membres de la CNRF, qui sont tous nommés par
le chef du gouvernement, y compris les magistrats.

Quant au fonctionnement des deux types commissions, il est assuré par


l'administration fiscale qui met ses propres moyens financiers et logistiques,
ainsi qu'un grand nombre de fonctionnaires, à leur disposition178.

Cette domination de l'administration est de nature à réduire l’utilité de ce


recours en érigeant le fisc en juge et partie de ses propres décisions.

En ce qui concerne les procédures suivies devant les commissions, on


constate que beaucoup de dispositions procédurales concrétisent cette

)535‫ مرجع سابق ص‬،‫ (أورده محمد شكيري‬1996 ‫ دجنبر‬2 ‫ بتاريخ‬4435 ‫ نشر بالجريدة الرسمية عدد‬177
178
A. NARHACH Op. Cit., p 252

95
dépendance au fisc. A cet effet, on reprochait à l’ancienne loi le fait de priver le
contribuable d’une garantie considérable à cause d’un événement ne relevant
pas de sa volonté. Ainsi, dans le cas de l’épuisement du mandat d’un
représentant du contribuable au sein de la CLT, sans plus possibilité de le
proroger, la loi donnait au contribuable le choix entre deux options
désavantageuses : soit qu’il accepte par écrit de comparaître devant la CLT
dans sa composition restreinte, ne comprenant que le président, le
représentant du gouverneur de la préfecture ou de la province et le chef du
service local des impôts, et ce dans un délai de 30 jours à compter de la date de
réception de la lettre notifiée par l'inspecteur dans ce sens ; soit qu’il ne
réponde pas à cette notification, et dans ce cas, à l'expiration du délai imparti,
l'administration doit soumettre le litige à la CNRF, le contribuable se trouve à
cet effet contraint de se désister d’un degré de recours.

Au lieu de résoudre ce problème, le législateur de la loi de finances de 2016


a enlevé catégoriquement cette garantie, en précisant que la CLT statue
valablement « en présence du président et de deux autres membres », sans
exiger que l’un de ces membres soit le représentant des contribuables, comme
c’était le cas sous l’égide de l’ancienne loi.

D’autres points faibles ont été soulevés par le Conseil Economique, Social et
Environnemental concernant le fonctionnement desdites commissions
notamment la CLT. Le Conseil les a résumés en cinq remarques :
« - La lenteur dans la prise de ses décisions ;
- Les réunions de la CLT se caractérisent par des discussions superficielles
des différents points objets du litige. Ce qui ne permet pas à la CLT de prendre
des décisions fondées ;
- Les décisions des CLT ne sont pas souvent motivées ;

96
- L’insuffisance de la formation technique de ses membres notamment
dans les domaines de la fiscalité, la comptabilité et l’économie ne permet pas
l’appréciation rapide des arguments de chacune des parties ;

- La plupart sinon la totalité des décisions de la CLT font l’objet d’un


recours devant la CNRF ».179

En ce qui concerne cette dernière remarque du CESE, il importe de signaler


que notre législateur a supprimé la dualité de recours devant les commissions
d’arbitrage pour les litiges nés après l’entrée en vigueur de la loi de finances
2016, soit à partir du 1er janvier 2016, en délimitant la compétence matérielle
de chaque commission, dont les décisions seront définitives et exécutoires,
sauf dans des cas déterminés par la loi180. Cette démarche du législateur
constitue une véritable régression au niveau des droits et garanties du
contribuable, dans la mesure où elle le prive purement et simplement d’un
degré de recours, sous prétexte de raccourcissement des délais. Il aurait été
préférable de penser à renforcer l’indépendance et la performance de ces
institutions, plutôt que se contenter de supprimer un degré de recours.

179
Le Rapport du CESE précité, p. 65
180
- En ce qui concerne la CLT :
 Rectifications en matière de revenus professionnels déterminés selon le régime du bénéfice forfaitaire,
de revenus et profits fonciers, de revenus et profits de capitaux mobiliers et des droits d’enregistrement
et de timbre ;
 vérification de comptabilité des contribuables dont le chiffre d’affaires déclaré au compte de produits et
charges, au titre de chaque exercice de la période non prescrite vérifiée, est inférieur à dix (10) millions
de dirhams
- S’agissant de la CNRF :
 à l’examen de l’ensemble de la situation fiscale des contribuables prévu à l’article 216 ci-dessus, quel
que soit le chiffre d’affaires déclaré;
 aux vérifications de comptabilité des contribuables lorsque le chiffre d’affaires déclaré au compte de
produits et charges, au titre de l’un des exercices vérifiés, est égal ou supérieur à dix (10) millions de
dirhams.
 les recours pour lesquels les commissions locales de taxation n’ont pas pris de décision dans le délai de
(12) douze mois.

97
Les commissions ont également été décriées par les panelistes lors des
assises nationales sur la fiscalité de 2013, sur le plan de la formation technique
de leurs membres. Ils ont ainsi proposé « de former leurs membres et de
mettre à leur disposition une jurisprudence fiscale qui pourrait guider leurs
décisions. En parallèle, il serait bénéfique de systématiser la présence d'un
expert-comptable dans la commission 181 ».

De ce qui précède, on peut conclure que les commissions d’arbitrage n’ont


pas pu parvenir à leur but de préservation de la sécurité fiscale du
contribuable. Ce qui oblige le contribuable à négliger cette voie de recours, en
portant son litige directement devant la justice, sachant que la nouvelle loi de
finances pour l’année 2016 a interdit expressément au contribuable d’intenter
simultanément un recours devant les commissions et la justice. Comme il fait
d’ailleurs en cas de taxation d’office à tort, où la jurisprudence a permis au
contribuable d’ignorer l’obligation de recours à la réclamation contentieuse
avant tout recours en justice.

Section II- La réclamation contentieuse : le premier


affrontement déséquilibré entre le fisc et le contribuable.

C’est un procédé qui permet au contribuable de soumettre à l’administration


fiscale une doléance afin de réviser une décision fiscale donnée. Sauf que son
caractère obligatoire le rend décrié à plus d’un titre. A vrai dire, le caractère
contraignant de la réclamation est de nature à la vider de l’objectif pour lequel
elle a été initialement instituée. Ce n’est plus donc un droit du contribuable qui
s’estime être surtaxé ou imposé à tort, et qui désire en conséquence contester
une partie ou la totalité de ses impositions, mais seulement un simple rempart
181
Recueil des travaux des assises nationales sur la fiscalité 29 et 30 avril 2013, p50

98
pour les contribuables, qui joue le rôle du filtre des litiges fiscaux avant de
passer à la phase judiciaire (§1), sachant qu’elle est entièrement dominée par
l’administration en raison de l’absence de toute procédure contradictoire (§2).

§ 1- La réclamation contentieuse : le filtre des litiges fiscaux


avant l’étape judiciaire

Historiquement, l’instauration de cette obligation trouve son origine dans


une ancienne théorie du droit administratif nommée « la théorie du ministre
juge », par laquelle on a confié à l’administration le soins « de régler les litiges
auxquels elle était partie 182». Toutefois, avec le temps, cette théorie a été
abandonnée, ne laissant derrière elle que les pratiques qui en ont découlé,
comme la réclamation contentieuse en matière fiscale.

Personne ne peut nier les vertus certains de la réclamation contentieuse,


notamment sur le plan de l’économie d’énergie et d’argent, aussi bien pour
l’administration fiscale que pour le contribuable, puisqu’elle permet à
l’administration de revoir sa décision, en particulier lorsque celle-ci est
entachée d’une irrégularité suite à une erreur matérielle ou humaine de la part
de ses agents. Mais d’un autre côté, elle a comme inconvénient de permettre à
l’administration de faire pression sur le contribuable pour qu’il accepte ses
conclusions, en passant un accord à l’amiable avec elle, même si la décision de
l’administration fiscale est mal fondée (C). Cette situation se concrétise
davantage par deux autres éléments caractérisant ce procédé, en l’occurrence,
son effet non suspensif du recouvrement de la dette fiscale (A), et le délai de
réponse accordé au fisc qui est excessivement long (B).

182
Aurélie GARCIA, Le recours administratif préalable et obligatoire, mémoire master (2007), Université de
Pau et des pays de l’Aldour.p24, disponible en ligne http://paudroitpublic.univ-
pau.fr/live/digitalAssets/128/128137_memoire_a_garcia.pdf consulté le 23/05/2016 à 17:17

99
A- Le caractère non suspensif d’exécution de la réclamation contentieuse

« Payer d’abord et réclamer après ». C’est par cette indication qu’on peut
illustrer le caractère non suspensif de recouvrement du recours administratif
préalable. À vrai dire, c’est une solution qui paraît tout à fait logique,
puisqu’elle fait obstacle aux fraudeurs qui recourent à ce procédé juste pour
retarder l’exécution de la dette fiscale. Mais d’un autre côté, elle constitue un
fardeau pour le contribuable de bonne foi, qui désire contester une partie ou la
totalité de ses impositions, en le déterminant dans la plupart des cas à
transiger avec l’administration, au lieu de s’aventurer dans une voie de recours
aux conséquences incertaines.

Il importe de signaler néanmoins que l’effet non suspensif de recouvrement


de la réclamation contentieuse n’est pas absolu. En effet, l’article 242 du C.G.I.
a posé une exception à ce principe, en permettant au contribuable qui recourt
à cette procédure de demander le sursis du recouvrement à condition qu’il
constitue des garanties suffisantes. Toutefois, devant ces termes vagues et
imprécis, l’appréciation du caractère suffisant de la garantie légalement
constituée reste tributaire du pouvoir d’appréciation des agents du fisc chargés
d’examiner ces demandes.

Par ailleurs, l’analyse de la procédure de la réclamation contentieuse permet


de déduire qu’elle ne laisse aucune place au débat contradictoire, même si en
pratique, l’administration peut exiger du contribuable l’apport de quelques
informations ou documents supplémentaires, nécessaires pour l’instruction de
la demande, sans pour autant ouvrir un dialogue avec lui. L’administration
fiscale y apparaît donc comme un juge de ses propres décisions.

100
De ce qui précède, il paraît clairement que le recours administratif préalable
et obligatoire menace la sécurité fiscale du contribuable, surtout lorsqu’il se
voit refuser un sursis de paiement de l’impôt, sachant que le contribuable est
obligé d’attendre l’expiration d’un délai de 3 mois après l’introduction de la
réclamation, afin de considérer le silence de l’administration comme un refus
implicite lui ouvrant le droit de passer à l’étape judiciaire du contentieux de
l’impôt.
B- Délai excessivement long pour une réponse facultative

Malgré le long délai accordé par la loi, l’administration n’est pas tenue de
répondre aux doléances du contribuable en l’absence d’une disposition
spécifique l’obligeant à le faire. Ce droit d’option accordé au fisc, confirme ainsi
le caractère déséquilibré qui marque cette procédure dans la mesure où elle
n’est contraignante que pour le contribuable.

Ce déséquilibre se manifeste également au niveau de la discordance qui


existe entre les délais accordés à chacun des deux protagonistes puisqu’on
accorde à l’administration un délai de 3 mois pour instruire la réclamation du
contribuable contre un mois accordé au contribuable pour préparer sa requête
introductive d’instance devant le tribunal, qui court à compter soit de
l’expiration du 3ème mois sans réponse du fisc, soit de la réponse de ce
dernier.

Il est à signaler que le délai de réponse de l’administration était de 6 mois


avant la promulgation de la loi de finances 2016, qui a fort heureusement
réduit ce délai de moitié. Toutefois, malgré cette intervention législative, on
estime que le délai de 3 mois est également long, compte tenu de la rapidité
qui caractérise les affaires commerciales de nos jours, ainsi que le

101
développement des moyens de communication permettant au fisc de traiter et
de répondre rapidement aux doléances des contribuables.

En définitive, d’après les chiffres officiels183, la réclamation constitue un


véritable filtre pour les éventuels litiges judiciaires, qui se soldent la plupart du
temps par des concessions émanant du contribuable, afin qu’il puisse
s’arranger avec le fisc.
C- De la réclamation contentieuse à l’accord à l’amiable

Etant précisé qu’à tout moment de la procédure, un accord à l’amiable peut


être conclu184, à l’initiative du contribuable, en adressant à cet effet une
demande à l’administration fiscale où il l’invite à s’arranger sur le montant à
payer, assorti d’un engagement de la part du contribuable de renoncer à tout
recours judiciaire ou parajudiciaire.

Superficiellement, il paraît que le contribuable est libre de conclure cet


accord, mais la réalité est tout autre, dans la mesure où le caractère obligatoire
de la réclamation met le plus souvent le contribuable dans une obligation de
mettre fin au litige par voie de transaction. Comme le confirme d’ailleurs un
auteur qui considère que « l’obligation d’un recours administratif préalable
pousse souvent le contribuable à accepter les solutions proposées par
l’administration fiscale185 ».

Cette réalité est donc la conséquence du sentiment d’infériorité que ressent


le contribuable envers l’administration, car « il confond l’administration fiscale

183
Selon M. Abdellatif ZAGHNOUN, l’ex-directeur général de la direction générale des impôts « Nous recevons
près de 80.000 doléances par an, et nous avons réussi à traiter près de 82% de ces dossiers en 2013 ». "Contrôle
fiscal, neuf milliards de DH générés en 2013", In l’Economiste, N° 4196 du 22/01/2014
184
V. supra, Partie I- chapitre I- section III- B- 2-Les effets du pouvoir transactionnel de l'administration fiscale
sur la sécurité du contribuable. P69
185
S.CHERKAOUI, Op. Cit., p.94

102
avec ‘’el makhzen’’ et évite souvent d’intenter une action judiciaire contre elle.
D’autant plus que la procédure judiciaire reste complexe et lente186».

Dans le même contexte, le CESE avait mis l’accent sur l’inconvénient de ce


recours obligatoire en affirmant que « nombreux sont les cas de régularisation
qui font l’objet d’une demande de remise gracieuse souvent suivie d’un avis
favorable partiellement ou totalement de la part de l’administration… Un tel
système ne fait que développer le sentiment d’insécurité chez les contribuables
de bonne foi, renforcer le pouvoir d’appréciation et discrétionnaire de
l’administration aux yeux de ces contribuables, tout en augmentant la charge
de travail de l’administration pour le traitement de tous ces dossiers de
réclamations gracieuses ou contentieuses qui en découlent187 ».

En dernière analyse, on constate que le caractère obligatoire du recours


administratif préalable a mis l’administration dans une position dominante.

§ 2- La position dominante de l'administration fiscale lors de


la procédure de la réclamation

On peut constater cette domination à deux niveaux : d’abord sur le plan de


la faculté pour l’administration de ne pas répondre aux réclamations des
contribuables ; ensuite, en matière d’instruction de la doléance du
contribuable, qui se fait par l’inspecteur chargé de l’affaire et en l’absence de
tout débat contradictoire.

186
Ibidem p.94
187
Rapport du CESE précité, p. 73

103
A- La liberté de l’administration de garder le silence en matière de réclamation

A la lecture du code général des impôts, on ne trouve aucune disposition


légale qui oblige l’administration à répondre aux réclamations des
contribuables, et ce en dépit du long délai d’instruction qui lui est accordé par
la loi. Cette liberté de choix est déduite des termes de l’article 235, qui oblige le
contribuable à attendre l’expiration d’un délai de 6 mois (3 mois depuis la
promulgation de la loi de finances 2016) pour pouvoir intenter une action en
justice. Autrement dit, le dépassement de ce délai est considéré comme un
refus implicite par le fisc.

De plus, la situation du contribuable devient encore plus délicate, lorsqu’on


prend en considération les conséquences négatives de l’effet non suspensif du
recouvrement qui caractérise la réclamation contentieuse, puisque seules deux
options douloureuses s’offrent à lui, à savoir : payer l’impôt contesté avant
toute réclamation, ou demander le sursis de recouvrement avec la constitution
d’une garantie suffisante, si bien évidemment il en dispose. Devant cette
situation de blocage, les intérêts économiques du contribuable peuvent être
lésés notamment lorsque les sommes exigées sont très importantes, ce
qui peut lui provoquer un état de cessation de paiement, voire même une
liquidation judiciaire avec toutes les conséquences sociales qui peuvent en
découler. Sachant que la procédure de restitution des sommes payées à tort,
suite à la reconnaissance de l’administration de son erreur est très complexe188.

Par ailleurs, sur le plan de délai d’instruction, il faut signaler que beaucoup
de réclamations se soldent par un défaut de réponse. L’administration fiscale
justifie cette situation par le manque d’inspecteurs, même si la DGI s’est

191‫ ص‬،‫ مرجع سابق‬،‫ محمد شكري‬188

104
efforcée ce dernier temps pour surmonter cette difficulté, en tentant de
résorber le flux de doléances des contribuables qui s’élève à plus de 80 000
chaque année, et en liquidant en même temps le stock déjà existant afin
d’éviter de reconstituer un autre. Dans ce sens, la DGI avait établi un contrat
programme avec ses inspecteurs, par lesquels ils s’engagent « de traiter au
moins cinq dossiers chacun par semaine 189».

En somme, on constate que l’administration dispose d’un véritable arsenal


de prérogatives lui permettant de dominer la procédure de réclamation
préalable, et par la suite, devenir juge de ses propres décisions.

B- L’agent instructeur : juge et partie dans la procédure de réclamation

C’est une pratique qui découle de l’organisation administrative du fisc. En


effet, la compétence de traitement des réclamations varie en fonction de
l’importance des sommes contestées. Ainsi, dans le cadre de la politique de la
décentralisation, il a été dévolu aux services régionaux la compétence
d’instruire et de répondre aux réclamations dont le montant ne dépasse pas un
plafond déterminé par une décision du ministre de finances. En cas de
dépassement de ce seuil, la compétence sera transmise au directeur régional
de la préfecture du grand Casablanca, qui, lui aussi, se décharge du dossier si
les sommes objets de la demande surpassent un plafond prédéterminé par le
ministre de finance, qui devient à cet égard le seul compétent pour trancher le
litige. D’ailleurs, quel que soit le montant des sommes réclamées, c’est
l’inspecteur relevant des services régionaux qui se charge de l’instruction de la
doléance et de la préparation du projet de la décision à prendre par le service
compétent. Dans ce cadre, il peut demander au contribuable de fournir toute

189
« La réforme fiscale ne peut se faire en une année ! », La vie éco, le 7 février 2014, p 26

105
information ou document supplémentaire qu’il estime nécessaire pour
accomplir sa mission, en se faisant assister par l’inspecteur chargé de l’assiette,
qui donne son avis sur l’affaire, et parfois même, participe dans la prise de
décision.

Cette collaboration étroite avec l’inspecteur chargé de l’établissement de


l’impôt se justifie par sa proximité du contribuable se traduisant par une
connaissance étroite de son activité190, mais cela n’est pas sans effet sur la
sécurité fiscale du contribuable. Ainsi, malgré les avantages pratiques qui en
découlent, elle reste tout de même décriée, car la participation de l’inspecteur
de l’assiette dans l’instruction et la prise de décision en matière de réclamation
a pour effet d’influencer l’appréciation de l’inspecteur du contentieux et peut
rendre, par conséquent, la décision à prendre dépourvue de toute valeur,
puisqu’il « est illogique que le contentieux soit traité par le même inspecteur
qui s’occupe du dossier du contribuable. Comment peut-il faire son enquête et
trancher en toute neutralité alors que c’est lui qui a déclenché l’imposition
source du contentieux. Peut-il être juge et partie ? 191 ».

Cette procédure – interne – de l’administration décrédibilise le procédé de


réclamation, et pousse beaucoup de contribuables à recourir à la justice sans
observation de son caractère obligatoire. C’est ce qui a déterminé les juges
administratifs à nuancer cette obligation en posant un certain nombre
d’exceptions qu’on aura l’occasion de voir dans la deuxième partie, lors du
traitement de la protection de la sécurité fiscale du contribuable par le juge192.

525 ‫ ص‬،‫ مرجع سابق‬،‫ محمد الشكيري‬190


191
S. CHERKAOUI Op.cit., p. 95
192
V. infra, Partie II/Chapitre II/ Section II/A- La contribution du juge fiscal marocain à la préservation de la
sécurité fiscale du contribuable

106
En définitive, malgré l’utilité pratique du recours administratif préalable, son
caractère obligatoire, associé aux prérogatives exorbitantes de l’administration
en la matière, l’a réduit en une simple formalité pour le contribuable qui doit
nécessairement être remplie, afin de pouvoir passer à des phases judiciaires du
contentieux fiscal.

Section III- Insuffisance de la sécurité judiciaire du


contribuable pour l’établissement de sa sécurité juridique

Le recours judiciaire constitue l'ultime étape dans le contentieux fiscal après


l'épuisement de toutes les tentatives d'arbitrage, ou l'échec du recours
hiérarchique par voie de réclamation. Il s’agit donc de la dernière issue qui
s’offre au contribuable pour qu’il puisse avoir gain de cause. C’est pour cela
qu’il doit être suffisamment accessible et efficace afin de garantir une bonne
sécurité pour le contribuable contre les éventuelles erreurs et abus de la part
de l'administration fiscale.

Au Maroc, ce sont les tribunaux administratifs qui sont compétents pour


connaître de tous les litiges fiscaux en vertu de l'article 8 de la loi n° 41-90
instituant les tribunaux administratifs193. En effet, il s'agit là d'un point positif
dans le droit fiscal marocain, à la différence de la France où deux ordres de
juridictions se partagent la compétence en matière de contentieux fiscal : le
tribunal de grande instance, dont la compétence est limitée aux litiges relatifs
aux droits de l'enregistrement, la taxe de publicité foncière, les droits de
timbre, et les contributions indirectes ou taxe assimilée (L.199 du LPF), et le
tribunal administratif qui se charge des autres contributions fiscales, à savoir

193
Avant l'institution de ces tribunaux c'étaient les tribunaux de première instance qui étaient compétents pour
trancher les litiges fiscaux. V. à ce sujet, A. Boudahrain, ouvrage précité, p.41

107
les impôts directs, les taxes sur le chiffre d'affaires et assimilées, ainsi que les
sanctions fiscales s'y rattachant194. Cette dualité de compétence juridictionnelle
dans le système judiciaire français en matière fiscale est de nature à nourrir
davantage la complexité des procédures et de créer une confusion dans l’esprit
du contribuable.

A côté de la garantie de l’unité de juridiction, on peut ajouter celle du double


degré de juridiction, permettant au contribuable lésé de porter le litige devant
une juridiction de premier degré avec faculté de faire appel devant la Cour
d’Appel Administrative195, qui est elle-même soumise au contrôle de la Cour de
Cassation.

Tous ces avantages du système judiciaire marocain au niveau fiscal


constituent une garantie certaine pour le contribuable contre l'insécurité
fiscale, résultant principalement des pratiques administratives, ou des lacunes
d'origine légale, causées soit par l’inflation législative ou par la rédaction
défectueuse de quelques textes de loi. C’est pour cette raison que la
jurisprudence en matière fiscale s'est montrée suffisamment créatrice et
protectrice du contribuable, en interprétant les textes fiscaux en sa faveur,
étant donné qu’il constitue la partie la plus faible dans procès fiscal.

Cependant, en dépit de tous ces avantages, beaucoup de reproches peuvent


être formulées à l'encontre de notre système juridictionnel, particulièrement
au sujet des limites de la protection de la sécurité judiciaire du contribuable.
Mais, avant d'exposer ces limites (§2), il faut d’abord préciser l'acception du
principe de la sécurité judiciaire (§1).

194
Thierry LAMBERT, Contentieux fiscal, éd Hachette supérieur, 2011,Paris, p54
195
Cette voie de recours n'a été introduite que récemment en vertu de la loi n° 80-03 publiée le 23 février 2006.

108
§ 1- L'acception du principe de la sécurité judiciaire

Il faut signaler avant tout que ce concept a été adopté pour la première fois
par les rédacteurs de la Constitution de 2011 en vertu de l'article 117 qui
dispose que « le juge est en charge de la protection des droits et libertés et de
la sécurité judiciaire des personnes et des groupes, ainsi que de l'application de
la loi. »

Sauf que l'application de ce concept est le résultat de la réunion de deux


autres notions. C'est ainsi qu’on ne peut parler de sécurité judiciaire tant que
notre justice n'est pas à la fois sécurisée et sécurisante. En effet, les deux
notions ne se coïncident pas dans un même sens. Une justice est dite sécurisée
lorsqu'elle est suffisamment accessible et que les décisions qu’elle produit sont
définitivement exécutoires. Mais on parle d’une justice sécurisante lorsqu’elle
assure une sécurité effective aux justiciables par le biais de l’application juste et
équitable de la loi.

A partir de ces deux définitions, on conclut que ces deux concepts sont
interdépendants. C’est-à-dire que l'existence de l'un est conditionnée par
l'effectivité de l'autre. Il ne peut donc y avoir de justice sécurisante si elle n'est
pas sécurisée. Et inversement, une justice sécurisée serait sans utilité si elle
n'est pas assez sécurisante.

En raison de ce lien de cause à effet mutuel, l’évaluation du degré de


sécurité de notre justice nous permettra automatiquement de déduire sa
capacité d’être sécurisante. C’est pour cela qu’on concentrera notre analyse sur
les critères qui permettent de qualifier une justice de "sécurisée", à savoir
l'accès au service de la justice (A) et le droit à l’exécution des décisions de
justice (B).

109
A- L'accès à la justice

Comme nous l'avons déjà précisé précédemment, le recours au juge de


l'impôt symbolise toujours l'échec des voies de médiation et de conciliation.
« C'est l'ultime espoir du contribuable qui n'a pas pu trouver un arrangement
avec le fisc lors des différents modes de règlement de conflit qui se sont offerts
196
à lui ». Il importe donc que la saisine du juge ne soit entravée par aucune
disposition légale ni réglementaire afin de rendre l'exercice de ce droit effectif.

En prenant en considération l'importance de ce droit, le constituant


marocain l'a érigé en garantie constitutionnelle, en vertu de l'article 118 de la
Constitution de 2011 qui dispose que : « L'accès à la justice est garanti à toute
personne pour la défense de ses droits et de ses intérêts protégés par la loi... ».
Cette reconnaissance constitutionnelle, vient pour entériner la proclamation de
ce droit par un certain nombre de textes internationaux adoptés par le Maroc,
tel que le pacte international relatif aux droits civils et politiques du 19
décembre 1966 dont l'article 14 prévoit que le droit d'accès au tribunal ou à un
juge est garanti.

Cependant, l'effectivité de l'exercice du droit d'accès au juge dépend de


l'existence d'un certain nombre de droits essentiels, en l’occurrence, le droit
d'être entendu par un juge impartial (1), les droits de la défense (2) et le droit
d'obtenir un jugement dans un temps raisonnable (2).

196
Karim SID AHMED, Droits fondamentaux du contribuable et procédures fiscales, Etude comparative- les
droits d'origine procédurale du contribuable. Tome 2, Ed L'HARMATTAN 2007, Paris. p 63

110
1- Le droit d’être entendu par un juge impartial

Par définition, l'impartialité du juge suppose tout d'abord son indépendance


par rapport aux deux autres pouvoirs au sein de l’Etat, à savoir, le pouvoir
exécutif et le pouvoir législatif. C’est la raison pour laquelle on remarque que la
plupart des conventions et pactes internationaux qui consacrent ce principe
l'associent toujours à celui de l'indépendance, on cite à cet égard l’article 14 du
pacte international relatif aux droits civils et politiques selon lequel : « toute
personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement et
publiquement par un tribunal compétent, indépendant et impartial (…) ». Il en
est aussi de l'article 10 de la Déclaration universelle des droits de l'homme de
1948 qui dispose que « toute personne a droit, en pleine égalité, à ce que sa
cause soit entendue équitablement et publiquement par un tribunal
indépendant et impartial, qui décidera, soit de ses droits et obligations, soit du
bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle ».197

Ce principe d'impartialité découle également de quelques dispositions de


notre droit interne, en commençant par la loi suprême de la nation aux termes
de laquelle : « les magistrats du siège ne sont astreints qu'à la seule application
de la loi. Les décisions de justice sont rendues sur le seul fondement de
l'application impartiale de la loi. » (Article 110). Il résulte aussi de quelques
dispositions légales notamment celles qui réglementent la récusation des
magistrats et qui découlent des articles du 295 à 299 du code de la procédure
civile. À ce titre, l'appréciation de la partialité du magistrat se fait au moyen de

197
On peut ajouter aussi l'article 37 de la Convention internationale sur les droits de l'enfant dont le troisième
alinéa dispose que : « Les enfants privés de liberté [ont] le droit d'avoir rapidement accès à l'assistance juridique
ou à toute autre assistance appropriée, ainsi que le droit de contester la légalité de leur privation de liberté devant
un tribunal ou une autre autorité compétente, indépendante et impartiale, et à ce qu'une décision rapide soit prise
en la matière. »

111
critères objectifs, comme par exemple, lorsque le juge est un parent ou un allié
de l’une des parties au procès, ou quand il a un intérêt personnel à l’affaire…

Quant à l’appréciation de l'impartialité subjective, il paraît plus délicat de la


déterminer à cause de la difficulté d'apporter la preuve de la partialité du juge.
Il faut ainsi démontrer que « le juge, dans son for intérieur, ait favorisé ou
défavorisé tel plaideur198 ». De manière générale, « le jugement doit être rendu
par application de la règle de droit appropriée aux faits souverainement
appréciés, à l’issue d’un débat contradictoire, et non en fonction des
convictions personnelles du juge, de ses à priori, de ses amitiés ou
inimitiés199 ». Dans ce même contexte, le professeur K. SID AHMED a défini
l'impartialité des juges sous deux angles : « dans son acception positive,
l'impartialité qualifie d'une appréciation dénuée de subjectivité, d'un
comportement objectif ou caractérisé par sa neutralité. Dans son acception
négative, l'impartialité renvoie à l'idée de la non intervention d'une personne, à
son abstention ou encore sa neutralité 200».

En conclusion, l'impartialité du juge de l'impôt est sans doute un élément


central pour la consécration de la sécurité judiciaire, encore faut-il munir le
justiciable d'un certain nombre de droits et garanties lui permettant de mieux
se défendre.

2- Les droits de la défense

Lorsqu’on évoque les droits de la défense, on pense immédiatement à


certain nombre de garanties sans lesquels on ne peut parler de procès
équitable. En effet, le sens des droits de la défense a depuis longtemps pris un
198
Maitadi NENG A GAMANDA, Droit judiciaire privé, Ed Droit et idées nouvelles 2006, p. 124
199
Natalie FRICERO, Memento LMD- Les institutions judiciaires, Ed Gualilno Lextenso 5e édition 2014, p. 38
200
K. SID AHMED, Op. Cit., p. 78

112
tournant positif important. Il ne s'agit plus d'accorder « des faveurs (…) à une
partie structurellement en position de faiblesse », mais « d'arracher la
personne de cet état d'infériorité pour la mettre à force égale avec l'autre201 ».
De ce fait, on conclut que le droit à un procès contradictoire est au centre de
tous les droits de la défense, car « le principe contradictoire est l'âme du
procès au point qu'il est dit de droit processuel. Il est par essence commun à
toutes les procédures202 », que ce soit de type accusatoire ou inquisitoire.

En peu de mots, le contradictoire est le droit de savoir et de discuter, qui


suppose que les parties soient au minimum entendues et qu'elles puissent
avoir des éléments du procès afin de pouvoir débattre utilement.

À cette garantie s'ajoute le droit à un procès public, ou comme il est


brièvement désigné : "la publicité judiciaire". Il s'agit de « l'ensemble des
moyens destinés à permettre d'informer le public de l'existence, du
déroulement, de l'issue d'une instance juridictionnelle203 ». C'est une garantie
importante pour le justiciable contre l'éventuelle arbitraire des juges, puisqu'il
permet d'exercer un contrôle sur leurs activités. Cette importance se manifeste
davantage par le contrôle exercé par l'opinion publique, puisqu'elle constitue
« un baromètre de la confiance des citoyens en leur justice…204 ». La publicité
des débats permet donc « aux citoyens de contrôler le fonctionnement de la
justice et contribue à l’effectivité du procès équitable205». Dans ce sens, le
tribunal administratif de Rabat avait eu l’occasion de se prononcer sur la

201
Marie-Anne Frison-Roche, Bruno GENEVOIS, Serge GUINCHARD, ̎Evaluation critique̎, in Variations
autour d'un droit commun, sous la direction Mireille Delmas-Marty, Horatia Muir Watt, Hélène Ruiz Fabri éd.
société de législation comparée, 2002 Pari, p. 159
202
Loïc CADIET, Jacques NORMAND, Soraya AMRANI MEKKI, Théorie générale du procès, éd PUF Coll.
Thémis droit, 2010, p. 628
203
Dictionnaire de la justice, sous la direction de Loïc Cadiet, Ed PUF, p. 1111
204
Théorie générale du procès Op. Cit., p. 660
205
Natalie FRICERO, Procédure civile Mémentos LMD, Ed Gualino lextenso, 2013-2014

113
question, en considérant que la demande de publication d’un jugement
s’insère dans le cadre du droit à l’information tel que le garantit l’article 27 de
la Constitution en faisant partie des droits fondamentaux, et ne dépend pas, de
ce fait, de la production d’une ordonnance du juge des référés, puisqu’il
constitue un mécanisme de contrôle de la justice par le peuple, et une source
de confiance en l’action des magistrats qui peut être redressée afin de garantir
la sécurité juridique et judiciaire206. Cependant, en dépit des garanties offertes
par la publicité judiciaire, sa coexistence avec le secret dans le procès est non
moins négligeable. En effet, en analysant les textes procéduraux, on constate
que le secret constitue aussi une garantie pour le justiciable, notamment sur le
terrain de la présomption d'innocence ou le secret des correspondances avec
l'avocat.

Par ailleurs, tout comme la publicité judiciaire, la garantie des droits de la


défense est tributaire du respect de l'obligation de motivation des décisions de
justice. En effet, la motivation des décisions de justice est une nécessité pour
pouvoir les contester. Dans ce sens, Maître Faye considère que « l'obligation de
motiver les jugements est pour le justiciable la plus précieuse des garanties,
elle le protège contre l'arbitraire, lui fournit la preuve que sa demande et ses
moyens ont été sérieusement examinés ; et en même temps, elle met obstacle
à ce que le juge puisse soustraire sa décision au contrôle de la Cour de
Cassation207 ». De surcroît, cette garantie résulte de toutes les lois de nature
procédurale, puisqu'elle est intimement liée au droit à un procès équitable. On

‫ وجهة نظر بخصوص‬:‫ الملف الشهري‬،‫ محمد الهيني‬.‫ أورده د‬،‫ عن المحكمة اإلدارية بالرباط‬2013/07/25 ‫ الصادر بتاريخ‬2769 ‫حكم عدد‬206
‫ وال يتوقف على أمر‬،‫ من الدستور‬27 ‫ "إن طلب نشر الحكم يندرج في إطار الحق في المعلومة المكرس في الفصل‬: ‫نشر األحكام الجيدة والمعيبة‬
‫قضائي ألنه من الحقوق العامة باعتباره آلية للرقابة الشعبية على العمل القضائي ومصدر للثقة في عمل القضاة وتقويمه لضمان األمن القانوني‬
."‫والقضائي‬
http://www.marocdroit.com/‫بقلم‬-‫والمعيبة‬-‫الجيدة‬-‫األحكام‬-‫نشر‬-‫بخصوص‬-‫نظر‬-‫وجهة‬-‫الشهري‬-‫_الملف‬a4757.html
consulté le 01/06/2016 à 18 :05
207
Jurisclasseur Procédure Fascicule 208 n°3, citation du conseiller Faye 1903, pièce 25a

114
cite à titre d'exemple l'article 50 du code de la procédure civile aux termes
duquel « les jugements sont rendus en audience publique….Ils doivent toujours
être motivés… ». De même, le législateur a considéré le « défaut de motifs »
dans les arrêts de la Cour d’Appel comme une cause légitime pour se pourvoir
en cassation208.

La motivation des décisions de justice se trouve donc au centre des droits de


la défense des justiciables, puisqu'elle leur permet d'exercer un autre droit de
la défense à savoir le droit à une voie de recours, ou plus précisément "le droit
à un recours contre les décisions judiciaires". Il ne s'agit pas d'un droit absolu,
c'est ce qui explique le fait qu'il ne soit inscrit nulle part en terme général.
Cependant, « toute restriction à une voie de recours doit ainsi poursuivre un
motif légitime et être proportionnée au but recherché209 », comme par
exemple le souci d'efficacité des jugements, ou le motif du règlement des
litiges dans un délai raisonnable.

3- Le droit d'obtenir un jugement dans un temps raisonnable

Assurément, dans notre civilisation juridique, la confiance va en principe au


juge, à qui il appartient de trancher au mieux le litige dont il est saisi. De ce fait,
il importe de lui accorder le temps qui lui est nécessaire pour accomplir ses
fonctions de justice. Toutefois, « il est évident qu'une durée excessive de
l'instance menace directement l'effectivité du recours engagé », d'où l'intérêt
que « le juge s'efforce de statuer dans un laps de temps qui ne remette pas en
cause l'utilité même de son intervention aux yeux des justiciables 210». C'est
ainsi qu’on a vu apparaître ce nouveau concept du droit d'obtenir un jugement

208
Article 359 du code de la procédure civile
209
. L. CADIET Op. Cit p702
210
David BAILLEUL, L'efficacité comparée des recours pour excès de pouvoir et de plein contentieux objectif
en droit public français, L.G.D.J. 2002, p. 148

115
dans un délai raisonnable, sans qu’il fasse l’objet d’une définition juridique,
« c'est pour cette raison qu'il faut rechercher d'après le sens élémentaire des
termes le contenu de la jurisprudence des cours et tribunaux211 ».
Manifestement, l'expression de délai raisonnable se compose de deux mots, le
terme délai désigne littéralement le temps qui sépare deux instants et
corresponds au temps accordé pour accomplir une action. Quant au terme
raisonnable il désigne « tout ce qui est conforme à la sagesse, l’équité ou ce qui
est suffisant, convenable sans excès212».

Toutefois, l'appréciation du délai raisonnable d'un procès ne peut se baser


sur des critères stricts, dans la mesure où il est difficile de déterminer à
l'avance le temps nécessaire pour trancher un litige. « Il s'agit donc d'un
concept éminemment subjectif dont le contenu est susceptible de varier dans
chaque espèce… en fonction de plusieurs paramètres qui constituent le degré
de complexité de l'affaire, le comportement des autorités nationales -
administratives et juridictionnelles - mais également celui du justiciable, et
l'enjeu du litige213 ».

Le droit à un jugement dans un délai raisonnable est un droit mondialement


reconnu, il figure ainsi dans les articles 9 et 14 du pacte international relatif aux
droits civils et politiques de 1966. De plus, il a été érigé, pour la première fois,
en principe constitutionnel en vertu de l'article 120 de la Constitution de 2011,
en attendant l'adoption de l’arsenal juridique pour sa pleine mise en œuvre.

En somme, l’accès à la justice suppose donc que les jugements soient rendus
par un juge impartial, dans un temps raisonnable, et garantissant tous les droits
211
Elise Espérance NANA, Droits de l'homme et justice : Le délai de procédure pénale au Cameroun, Ed
L'Harmattan 2010, Paris, p. 31
212
Ibidem. p. 30
213
D. BAILLEUL Op. Cit., p. 151

116
de la défense. Toutefois, ce jugement ne vaut rien au sens de la sécurité
judiciaire s’il n'a pas été exécuté.

B- L'exécution des décisions judiciaires

Dans la perspective d'assurer une bonne justice, la décision judiciaire


intervient pour sanctionner une longue période d'investigations, de recherche
et d'échanges de mémoires entre les protagonistes. Cependant, cette décision
devient vide de toute utilité si elle n'est pas mise en exécution dans un temps
raisonnable.

En principe, l'exécution des décisions se fait le plus souvent de manière


spontanée, comme en matière civile, où on constate que les débiteurs
s'exécutent volontairement dans la plupart des cas, sans que le créancier ne
soit conduit à mettre en œuvre des mesures d'exécution forcée, ce qui ne
réduit pas l'utilité des moyens d'exécution forcée, dans la mesure où ils jouent
un rôle coercitif et dissuasif, en créant un sentiment de crainte chez le débiteur
récalcitrant d'être contraint à l'exécution.

Néanmoins, l'efficacité des mesures d'exécution forcée constitue un élément


essentiel pour apprécier la qualité globale d’un ordre juridique national. C’est
dans ce sens que M. François Vinckel avait affirmé qu’un « droit de l’exécution
forcée performant est un instrument déterminant du crédit : la sécurité des
transactions suppose que des moyens d’exécution efficaces et rapides soient
mis à la disposition des créanciers. Parallèlement, la crédibilité de l’institution
judiciaire d’un État implique des règles qui assurent l’exécution effective des
décisions de justice214 ».

214
François Vinckel, Droit de l'exécution forcée, Paris, 2008, éd Gualino, p. 16

117
Ce problème se pose avec acuité lorsque l'une des parties au procès est une
personne de droit public qui « détient le monopole de la contrainte étatique et
jouit de certains privilèges tels que l’insaisissabilité de ses biens ou
l’inapplicabilité à son encontre des voies d’exécution du droit commun215 ». En
effet, les statistiques officielles affirment que la majorité des jugements des
tribunaux administratifs sont restés en suspens d'exécution pendant les années
de 2007 à 2012. Le chiffre officiel s’élève à 54.87 % des jugements non
exécutés216. Cet énorme chiffre, nous pousse à nous interroger sur la situation
du justiciable qui a fait confiance à la justice ainsi que sur le sort du principe de
la sécurité juridique. Que peut donc faire l'usager d'un service public qui n'a pas
pu contraindre une administration à se plier devant le dispositif d'une décision
définitive ? Devant cette impasse, les magistrats du tribunal administratif ont
mis en place de nouvelles méthodes afin d'obliger l'autorité administrative
récalcitrante à exécuter les décisions de justice, en se basant sur l'article 7 de la
loi 41-90 qui dispose que les règles du code de procédure civile sont applicables
devant les tribunaux administratifs, sauf disposition contraire prévue par la loi.

Historiquement, la position de la jurisprudence en la matière est passée par


deux étapes. Au départ, la Cour Suprême refusait catégoriquement d’envoyer

215
Mourad AIT SAKEL, "L'exécution des décisions de la justice administrative", p. 5
www.tarabat.ma/ar/recherches/02-2-Recherche.pdf consulté le 29/03/2015 à 14 :58

216

118
des injonctions à l’administration, « en se basant sur une interprétation
littérale et restrictive de son texte constitutif qui ne prévoit pas expressément
cette compétence 217». Quant aux juridictions de fond, elles se contentaient
d’avancer l’article 25 du code de procédure civile, qui leur interdit d’entraver
l’action de l’administration. Ce n’est qu’après la création des tribunaux
administratifs, que la haute instance juridictionnelle du Royaume a opéré un
revirement jurisprudentiel « en procédant à une interprétation plus extensive
de l’article 25 lorsqu’elle a commencé à considérer que l’action administrative
que le juge n’a pas le pouvoir d’entraver est l’action administrative légale 218».

Cette avancée historique que notre justice a accomplie n’a pas pu freiner la
propagation du phénomène de l'inexécution des décisions judiciaire par
l'administration, d’où l'intérêt de recours à des méthodes empruntées du code
de la procédure civile afin de stopper la résistance abusive de qu-elques
autorités administratives. À ce titre, on peut citer une procédure de l’exécution
forcée des jugements qui a jusqu’à présent prouvé une certaine efficacité. Il
s'agit de l'astreinte contre la personne physique responsable de l'inexécution.
C’est un mécanisme qui a le mérite d'être dissuasif à l'encontre des
responsables administratifs, dans la mesure où c’est sa responsabilité
personnelle qui est menacée d'être engagée. Afin d’illustrer le but du recours à
ce procédé, le professeur M. A. BENABDELLAH a considéré que si « une
condamnation doit être prononcée pour inexécution, elle ne doit pas l’être
contre l’administration car ce serait alors le contribuable qui la paierait, mais
contre le responsable à son origine qui doit savoir à l’avance que, en vertu de la
loi, s’il veut se permettre de s’opposer d’une manière ou d’une autre à
l’exécution d’une décision de justice revêtue de l’autorité de la chose jugée, il
217
M. AIT SAKEL, Op. Cit. p10
218
Ibidem,

119
devra payer ce luxe sur ses deniers propres et non sur le compte du Trésor
public, c'est-à-dire des administrés et des justiciables219 ».

Toutefois, ce procédé doit être utilisé avec prudence, car il se peut que le
responsable administratif soit dans une situation d'impasse, ne lui permettant
pas d'exécuter la décision. C’est le cas notamment lorsqu'une décision a pour
effet de secouer un ordonnancement juridique selon lequel des droits acquis se
sont constitués car l'annulation d'une décision administrative pourra donc
porter atteinte à la sécurité juridique des tiers220.

De surcroît, l'administration peut recourir à la notion de l'ordre public pour


suspendre provisoirement l'exécution d'une décision de justice. De même, la
suspension peut être ordonnée par le juge des référés s'il a été saisi par l'une
des parties au procès pour le motif de difficulté d'exécution.

De ce qui précède, on conclut que le respect de l’autorité de la chose jugée


constitue la pierre angulaire de la consécration d'un Etat de droit, et par
conséquent garantit la sécurité juridique des justiciables, car une décision de
justice définitive mais non exécutoire ne vaut qu’un avis consultatif non
contraignant.

Tous ces développements précédemment étalés renvoient directement à


notre problématique sur la recherche de la sécurité fiscale du contribuable en
droit marocain, dans la mesure où son existence dépend de la mise en place

219
Mohamed Amine Benabdellah, "Note sous le jugement du tribunal administratif de Rabat, héritiers El achiri",
REMALD, n° 20-21, 1997, p. 248.
220
Comme le soutient ainsi M. AIT SAKEL « Ainsi, l’annulation ab initio d’une décision administrative ne peut
imposer à l’administration de revenir sur d’autres décisions qu’à la condition que ces dernières ne [soient] pas
devenues définitives et que cette révision ne porte pas atteinte aux droits acquis que les bénéficiaires ont pu en
tirer » M. Ait SAKEL Op. Cit,, p. 13

120
d'un système judiciaire parfaitement accessible et dont les décisions judiciaires
sont exécutées sans délai.

§ 2- La limite de la sécurité judiciaire du contribuable

La consécration de la sécurité du contribuable est conditionnée


nécessairement par l'existence d'une sécurité judiciaire effective, puisque
l'absence de cette dernière ne fait qu’augmenter la situation de précarité du
contribuable devant la montée en puissance de l’administration fiscale.

L’importance de la sécurité judiciaire en matière fiscale s'explique par le fait


que le juge constitue l'ultime espoir du contribuable après l'épuisement de
toutes les voies de recours administratives et arbitrales. D’autant plus que les
garanties d'impartialité que procure le recours judiciaire au contribuable sont
plus importantes que celles fournies par les autres voies de recours.

L’étude du concept de la sécurité judiciaire nous a permis, entre autres


d’évaluer le degré de la sécurité du contribuable dans le contentieux fiscal.
Ainsi, c’est au moyen des critères de la sécurité judiciaire précédemment
exposés qu'on a pu relever quelques dispositions et pratiques qui nourrissent
encore l'insécurité du contribuable lors du contentieux judiciaire. Il serait
difficile de procéder à un recensement exhaustif des différentes situations
d'insécurité judiciaire du contribuable dans le procès fiscal, mais de manière
générale, on peut dire que le contribuable éprouve beaucoup de difficultés
pour accéder au service de la justice (A). Il en est de même lors du procès fiscal,
où les règles de la procédure n’assurent pas assez de sécurité au contribuable
(B). Cette insécurité se confirme également et davantage par le non-respect de
la chose jugée par l'administration (C).

121
A- Une accessibilité limitée du contribuable à la justice fiscale

Au départ, il faut rappeler que le droit de saisir un juge est un droit


fondamental, en vertu duquel on peut jouir de toutes les garanties d'un procès
équitable. Cependant, le recours au juge de l'impôt symbolise souvent l'échec
des voies de médiation et de conciliation, comme c'est le cas d'ailleurs dans
toutes les autres branches de droit.

En matière fiscale, il existe un certains nombres de critères qui confirment le


manque d'accessibilité dont souffre le contribuable. On peut citer par exemple
les frais de justice qui ont alimenté un large débat jurisprudentiel et doctrinal
sur la nature juridique du procès fiscal. Ainsi, certains auteurs ont considéré le
contentieux fiscal comme étant un recours en annulation, d’où l’obligation de
dispenser le contribuable du paiement de la taxe judiciaire, en vertu de l'article
22 de la loi n° 41-90 instituant les tribunaux administratifs. D'autres auteurs ont
opté pour la négation de cette nature au procès fiscal, en le considérant
comme relevant de pleine juridiction, puisque le législateur lui a réservé un
chapitre spécial dans cette loi221. Concernant ce sujet, la Cour de Cassation
avait pris une position centriste. Elle avait posé comme principe la qualification
du contentieux judiciaire fiscal comme étant un recours de pleine juridiction,
tout en laissant une marge restreinte au recours en annulation222. Ainsi, chaque
type de recours présente ses propres caractéristiques. Dans le recours en
annulation, le juge se contente d'apprécier la légalité de la décision contestée.

221
Documentation pratique- FISCAL- éd. Francis Lefebvre- 1989, Feuillet 3. p. 282
1997/1/5/573 ‫ ملف إداري عدد‬1997/07/24 ‫ المؤرخ في‬1188 ‫ قرار محكمة النقض عدد‬222
‫ المنازعات الضريبية‬. 41/90 ‫اختصاص المحكمة اإلدارية قائم للبث في كل من دعوى اإللغاء ودعوى القضاء الشامل في نطاق قانون‬- )1- "
.‫تدخل في نطاق الطائفة الثانية من الدعاوي‬
".‫ المحكمة اإلدارية مختصة ولو أن الطاعنة استعملت مصطلح اإللغاء الخاص بالطائفة األولى من الدعاوي‬-)2 -

122
Sa sentence ne peut qu’annuler l'imposition déjà établie, et avec un effet
rétroactif, de sorte que l'acte administratif annulé est réputé n'avoir jamais
existé. « Le juge a donc un rôle de défenseur du contribuable contre l’excès de
pouvoir de l’administration fiscale. Mais le juge de cet excès de pouvoir ne peut
qu’annuler l’acte irrégulier sans lui substituer une décision régulière223 ». Quant
au recours de pleine juridiction, le juge dispose en plus du pouvoir
d’annulation, d’un pouvoir de changement (à la hausse ou à la baisse) et même
d’une demande d’indemnisation. Le juge a donc le pouvoir d’établir l’impôt au
lieu et place de l’administration fiscale. Mais l'effet du jugement ne dépasse
pas les parties au procès. Par ailleurs, l'article 23 de la loi 41-90 instituant les
tribunaux administratifs considère le recours en annulation comme non
recevable si les intéressés disposent d'un recours ordinaire de pleine
juridiction224 pour faire valoir leurs droits. Le contribuable doit donc intenter le
recours de pleine juridiction sauf lorsqu'il conteste sa soumission même à
l'imposition225, autrement dit, lorsqu’il réfute même sa qualité de contribuable.

Sur cette base, il est aisé de conclure que le contribuable désirant contester
le montant d'un impôt est tenu de payer la taxe judiciaire, dont le taux peut
s'élever jusqu'à 4% de la totalité du montant de l'impôt ou complément
d'impôt objet de la demande226. Ce qui constitue une véritable entrave à l'accès

223
S. CHERKAOUI. Op. Cit., p. 68
224
Communément appelé par recours parallèle.
.1999/1/5/887 ‫ ملف إداري عدد‬1999/12/09 ‫ المؤرخ في‬1583 ‫ القرار محكمة النقض عدد‬225
‫"إذا كانت المنازعة الضريبية تندرج مبدئيا ضمن القضاء الشامل إال أنه يمكن استثناء رفعها في إطار دعوى اإللغاء المعفاة من الرسوم القضائية‬
"‫كلما انتفت الصلة بين الملزم والضريبة المنازع فيها‬
226
Ainsi, en vertu de l'article 24 de l'annexe 1 du Dahir du 27 avril 1984 " Si la demande est d'un montant
déterminé, il est perçu :
1. de 1.000 dirhams jusqu'à 5.000 dirhams : 4% sur le total de la demande avec un minimum de perception de,
50 dirhams.
- si la demande excède 5.000 dirhams jusqu'à 20 000, dirhams : 2,5% sur le total de la demande avec un
minimum de perception de 200 dirhams.
- si la demande excède 20.000 dirhams : 1% sur le total de la demande et, en sus de 300 dirhams.
2- Cette taxe est due sur toute demande tendant à l'exécution ou à l'affranchissement d'une obligation dérivant
d'un titre ou de la loi…".

123
du contribuable à la justice, même si les frais de justice sont en principe
supportés par la partie déboutée. Néanmoins, le contribuable affronte, en
pratique, beaucoup d’obstacles de la part de l'administration fiscale lors de la
restitution des impôts et frais de justice227. Ajoutons à cela le problème de
l'obligation d'être assisté par un avocat inscrit au tableau de l’un des barreaux
du Royaume. « Les honoraires de celui-ci viennent s'ajouter aux frais judiciaires
que nécessite chaque requête. Alors que la justice marocaine considère que le
droit à la défense est l'un des droits généraux 228».

Le problème du droit de l'accès au juge ne se pose avec acuité que lorsque le


contribuable n'obtient pas le sursis de paiement, notamment lorsque la dette
fiscale est très importante, à tel point que l'exécution peut causer d'énormes
préjudices au contribuable229.

En effet « le sursis de paiement, s'il est un droit essentiel pour le


contribuable puisqu'il a pour objet de protéger son patrimoine, soulève
pourtant une nouvelle fois le problème de la place de l'administration fiscale

- À ce titre il importe de rappeler que le tribunal administratif de Casablanca n'exigeait pas le paiement de cette
taxe en considérant le contentieux fiscal relève des juridictions d'annulation exonérées par la loi de cette taxe.
571 ‫ ص‬،‫محمد شكيري مرجع سابق‬
227
On aura l'occasion de revoir ce sujet plus loin, lors du traitement du problème de l'inexécution des décisions
de justice par le fisc.
228
C. ELHILALI, Op. Cit., p.172
229
À titre d'information, dans un précédent jurisprudentiel unique, la responsabilité civile de l'administration
fiscale a été engagée à cause des dégâts qu'elle a dû causer à un contribuable par l'émission d'un rôle d'imposition
malgré sa connaissance préalable de l'annulation de l'imposition objet du présent rôle.
‫ الذي تزامن مع إخضاعه‬1999 ‫» وحيث انه الجدال بين الطرفين على تحقق توقف المدعي عن مزاولة نشاطه المهني بصفة نهائية منذ سنة‬
116 ‫ كما أكد عليه قرار الغرفة اإلدارية بمحكمة النقض عدد‬2001/12/31 ‫لمسطرة الفرض التلقائي للضريبة التي كانت موضوع تنفيذ منذ تاريخ‬
‫ مما يشكل بوضوح ضررا جليا بالمركز القانوني للمدعي حتى‬،‫ رغم صيرورتها ملغاة بمقتضى هذا السند القضائي النهائي‬2009/2/11 ‫وتاريخ‬
‫مع تسجيله لعجز برسم السنة السابقة للفرض المذكور حسبما تمسكت به اإلدارة الجبائية طالما ان الضوابط الضريبية المعمول بها‬
‫تحفظ لمن وجد في مثل هذا المركز القانوني الحق في إمكانية خصم العجز من أرباح السنوات المحاسبية الموالية لغاية السنة الرابعة التي تلي‬
‫ من نفس‬144 ‫ من المدونة العامة للضرائب المحال عليها بمقتضى المادة‬112 ‫السنة المحاسبية التي حصل فيها العجز عمال بمقتضيات المادة‬
‫المدونة وهو ما تعذر تحققه بسبب التوجيب الضريبي غير المشروع الذي طال المدعي وحال دون استفادته من العجز القابل للترحيل برسم‬
« . ‫السنوات الثالث الالحقة‬
.09/7/310 : ‫ ملف رقم‬2012/2/7 : ‫ الصادر بتاريخ‬441 : ‫حكم المحكمة اإلدارية بالرباط رقم‬

124
dans la procédure contentieuse. Celle-ci se trouvant de nouveau en position de
juge et de partie 230».

D'un autre côté, l'accès du contribuable à la justice est limité par


l'emplacement des institutions judiciaires. Ainsi, si l'accessibilité aux tribunaux
administratifs est relativement assurée, puisqu'ils sont installés au niveau de
chaque région231, le nombre des Cours d'Appels administratives reste
insuffisant, voire même insignifiant, puisqu'il n'est institué que deux Cours
d'Appels dont une basée à Rabat, et l'autre à Marrakech. Quant au pourvoi en
cassation, il n'est accessible qu'à une faible tranche de la population, vu qu'il
n'existe qu'une seule Cour de Cassation qui siège à Rabat.

Enfin, comme nous l’avons étalé plus haut232, l'accessibilité à la justice fiscale
est également entravée par le recours administratif préalable obligatoire, et ce
aussi bien par son effet non suspensif de recouvrement, que par sa longue
durée de traitement.

Au terme de cette analyse, on conclut que le droit à un juge en matière


fiscale se place à un stade rudimentaire, au point que la plupart des litiges sont
désamorcés avant l’étape judiciaire. Même le peu de contestations qui
parviennent à la justice ne trouvent pas un terrain sécurisé lors du procès.

B- L'insécurité judiciaire lors du procès fiscal

L'analyse du déroulement du procès fiscal nous a permis de relever deux


caractéristiques qui le marquent, à savoir la complexité et le déséquilibre.

230
K. SID AHMED, Op. Cit. p. 93.
231
Une accessibilité relative car il existe des régions territorialement larges, ce qui élimine ce droit à une large
tranche de la population.
232
V. supra, Chapitre 2, Section 2, A- La réclamation contentieuse : le filtre des litiges fiscaux avant l’étape
judiciaire. P.99

125
Ainsi, la complexité du procès de l'impôt est principalement tributaire du
particularisme du droit fiscal et son autonomie par rapport aux autres branches
de droit. Elle est aussi due à la diversité des textes applicables en matière de
contentieux judiciaire. Ainsi, on trouve que les règles qui régissent le recours
judiciaire dans le code général des impôts ne sont pas regroupées dans une
seule rubrique afin de faciliter la procédure233. De plus, les règles du code de la
procédure civile sont aussi applicables dans le procès fiscal, et ce en vertu de
l'article 7 de la loi 41-90 instituant les tribunaux administratifs qui renvoie aux
règles de ce code.

D'un autre côté, le procès de l'impôt est par nature déséquilibré, dans la
mesure où le contribuable affronte une administration toute puissante par ses
prérogatives et par ses cadres, qui maîtrisent parfaitement les législations
fiscales, ainsi que les règles du jeu devant les tribunaux. Pour marquer ce
déséquilibre ″naturel″, le rapport de la commission AICARDI n'a pas manqué de
signaler dès 1986 que « le contribuable est placé par l'effet soit de la loi soit de
la jurisprudence dans une situation d'infériorité que rien ne justifie234 ».

Au total, il paraît nettement que la complexité des règles du droit fiscal et le


déséquilibre devant le juge sont les principaux facteurs de l'insécurité du
contribuable au cours du procès fiscal. Ce qui explique que la procédure
judiciaire est dominée par des professionnels qui maîtrisent parfaitement la
matière. On assiste ainsi de nos jours à un dessaisissement de la part du juge

233
En se référant au CGI, on trouve que le législateur a réservé le second chapitre du titre II au contentieux
judiciaire, en édictant seulement deux articles : l'un régit le contentieux suite à une contestation de la décision de
l'une des commissions, et l'autre concerne le contentieux suite à une réclamation. Cependant, l'intitulé de ce
chapitre laisse entendre que toutes les règles du contentieux judiciaire sont regroupées en son sein. Or, en réalité,
il existe beaucoup de dispositions du code qui régissent la procédure devant le juge de l'impôt citées dans
d’autres articles, dont notamment : les articles 220, 221, 225, 226...
234
"L'amélioration des rapports entre les citoyens et les administrations fiscales et douanières", Par Maurice
Aicardi, Rapport au ministre d'Etat de l'Economie, des Finances et de la privatisation, Paris, La Documentation
française, 1986, p. 44

126
de l'impôt au profit de l'expert désigné soit d'office soit à la demande de l'une
des parties.

Il est évident que juridiquement parlant, le juge n'est pas tenu par les
conclusions de l'expert, et reste par conséquent libre de les adopter totalement
ou partiellement, comme il peut même demander une expertise
complémentaire ou une contre-expertise. L’expertise a donc un simple
caractère consultatif.

Toutefois, la réalité est toute autre. En pratique, l'expertise judiciaire en


matière fiscale s'est convertie du caractère consultatif vers un véritable
caractère décisionnel235, notamment dans les affaires qui portent sur la
contestation d'un complément d'impôt suite à un contrôle fiscal236.

Assurément, le recours à l'avis de l'expert par le juge constitue une mesure


inévitable dans la plupart des cas, à cause du caractère technique de certaines
opérations, comme celles portant sur la détermination de la valeur vénale ou
locative d'un immeuble237.

De plus, vu le lien étroit qui existe entre le droit fiscal et la science


comptable238, le juge devient incapable de déchiffrer les pièces comptables

373 ‫ ص‬،‫ الدار البيضاء‬،‫ مطبعة دار النشر المغربية‬،2002 ‫عبد الغني خالد " المسطرة في القانون الضريبي المغربي" طبعة‬235
‫ في المئة من "القضايا التي‬95 ‫ فإن ما يزيد عن‬،‫ رئيس مصلحة الشؤون القضائية بالمديرية العامة للضرائب‬،‫حسب السيد عبد الرحمان أبيال‬236
"‫ أفضت إلى مسطرة اللجان‬،‫يتم اللجوء فيها إلى خبرة تتعلق بالقضايا المتعلقة بالمنازعة في ضرائب تكميلية مبنية على مراقبة جبائية‬
111 ‫ ص‬،16 ‫ عدد‬،‫ دفاتر المجلس األعلى‬،‫ ندوة حولة اإلشكاالت القانونية و العملية في المجال الضريبي‬،‫خصوصيات الخبرة في المادة الضريبة‬
‫ (غير‬2005/2/4/11 : ‫ القسم الثاني عدد‬: ‫ ملف إداري‬2006/09/13 : ‫ المؤرخ في‬714 : ‫المجلس األعلى (محكمة النقض حاليا) القرار عدد‬237
)‫منشور‬
‫ المتعلق‬1/61/442 ‫"وحيث إنه إذا كان من حق اإلدارة أن تحدد القيمة الكرائية للمحل الذي يزاول فيه الملزم نشاطه تطبيقا لمقتضيات القانون رقم‬
‫بالضريبة المهنية في فصله السادس فإنه في غياب أي عنصر لتحديد القيمة الكرائية تكون المحكمة لما أمرت بإجراء خبرة لتحديد القيمة الكرائية‬
."‫ ومن المتعين تأييده‬.‫للمحل المستأنف عليه والنشاط الممارس فيه كان حكمها مصادفا للصواب‬
238
M. ZAHIRI a écrit dans ce sens que « comptabilité et fiscalité sont deux disciplines confrontées à la nécessité
de mesurer les faits aboutissant notamment à la détermination des situations patrimoniales et des résultats de
l'entreprise. Ainsi, elles ont un domaine commun important et s'interpénètrent largement. La fiscalité se fonde
sur les règles élaborées par la comptabilité, qui à son tour est influencée par les considérations de contraintes
fiscales »

127
fournies par le contribuable, ce qui le détermine à recourir systématiquement
au service de l'expert-comptable.

Cette situation est tributaire de plusieurs facteurs, parmi lesquels on trouve


l'insuffisance de formation initiale des magistrats, notamment dans des
domaines pointus comme la matière fiscale et comptable, puisque le cursus
universitaire ainsi que le cycle de formation au sein de l’institut supérieur de la
magistrature ne contiennent pas de programme relatif à ces deux disciplines239,
à part quelques cours universitaires théoriques enseignés en marge de la
matière des finances publiques.

Nul doute que certains magistrats affectés auprès des tribunaux


administratifs peuvent acquérir quelques notions fiscales et comptables, à
force de côtoyer ces matières. Mais malheureusement, en l’absence d’une
justice spécialisée, ils finiront indubitablement par s'en éloigner à la première
occasion de promotion acquise.

Le recours massif à l’assistance des experts, constitue l’effet principal de la


non spécialisation des magistrats. De ce fait « le juge devient seulement un
témoin passif, qui se borne à constater que la preuve est ou n’est pas
apportée 240». C’est ce qui se répercute d’ailleurs sur la qualité d’une grande
partie des décisions judiciaires rendues, et qui se solde le plus souvent soit par

Yahia ZAHIRI, La fiscalité et la comptabilité de l'entreprise au Maroc, thèse soutenue publiquement, à la faculté
des sciences juridiques, économiques et sociales de Oujda, Université Mohamed Premier, 2003-2004, p1
239
Actuellement, un stage au sein de la direction générale des impôts a été programmé dans le cursus des futurs
magistrats. C’est une initiative louable mais qui reste insuffisante, à cause de la complexité de la matière fiscale.
C’est pour cela qu’il est recommandé d’établir une véritable spécialisation des magistrats dès l’intégration de
l’institut supérieur de la magistrature, en mettant à leur disposition une formation théorique appuyée par des
stages pratiques auprès des inspecteurs du fisc et des experts comptables ainsi qu’au sein des tribunaux
administratifs.
240
Op.Cit. C. Hilali, p. 174

128
l’irrecevabilité pour vice de forme, soit par l’approbation des conclusions de
l’expert241.

De manière générale, cette pathologie n'est pas sans effet sur la sécurité
judiciaire du contribuable. C'est ainsi qu'on assiste de nos jours à une
excessivité exagérée dans les délais de prise des décisions judiciaires, dont
l’une des causes est le recours à l’expertise judiciaire. C’est du reste un
phénomène qui n’est pas spécifique au contentieux de l'impôt, tout le système
judiciaire marocain en souffre, sauf qu’en matière fiscale le préjudice paraît
particulièrement plus important, dans la mesure où le recours au juge de
l'impôt n'est pas en principe suspensif de poursuites pour le recouvrement des
rôles émis242, « ce qui peut soulever un problème de sécurité juridique pour le
plaideur. La longueur des recours affectera également les finances du
contribuable, qui n'aura pas obtenu le sursis du paiement243 ». De surcroît, il
existe également un risque d’insécurité judiciaire pour le contribuable par
l’effet de l’élargissement du pouvoir discrétionnaire des experts comptables,
qui peuvent exiger du contribuable des contreparties en plus des honoraires
versés par le tribunal, en vue d’adopter une position qui lui serait favorable244,

241
En effet, la plupart des décisions rendues sont soit rejetées pour vice de forme, soit motivées ainsi : "attendu
que les conclusions de l'expert ont été conformes à la loi, il importe donc de les approuver…
‫ تبين لها أنه جاء مستوفيا لكل الشروط الشكلية والموضوعية إذ قام‬...‫"وحيث أنه بعد تفحص المحكمة لتقرير الخبرة المنجزة من طرف الخبير‬
‫ أما اإلدارة‬،‫ كما برر تقديراته على حجج ثابتة‬،‫بتقديم رقم المعامالت في غياب محاسبة مضبوطة بشكل دقيق معتمدا على كل المعطيات المتطلبة‬
" ‫الجبائية فلم تدل بما يخالف ذلك لذا ارتأت المصادقة على هذا التقرير والحكم ببطالن الضريبة المتنازع بشأنها في ما زاد على تقرير الخبير‬
‫ نقال عن العربي الكزداح " الطعون الجبائية في ظل‬.2002 ‫ مارس أبريل‬43 ‫ منشور ب م م إ د ت عدد‬2001/11/15 ‫ بتاريخ‬893 ‫حكم عدد‬
274‫ ص‬،2004/2003 ‫ الموسم الجامعي‬، ‫ جامعة محمد الخامس أكدال‬، ‫المحاكم اإلدارية بالمغرب " أطروحة لنيل الدكتورة في الحقوق‬
‫ (العمل القضائي في المنازعات الضريبية بين مواقف محاكم‬2005/09/29 ‫ بتاريخ‬1330 ‫كما ورد في حكم المحكمة اإلدارية بارباط عدد‬
‫ في حالة‬-1 " )‫ و ما بعد‬104‫ ص‬،2010،‫ منشورات مجلة الحقوق المغربية‬،‫ الجزء الثاني‬،‫ حياة البجدايني‬،‫الموضوع و توجيهات ال مجلس األعلى‬
‫ يمكن االستعانة بخبير مختص قصد‬،‫الخالف بين الملزم و مديرية الضرائب حول القيمة الحقيقية للعقار موضوع الضريبة على األرباح العقارية‬
‫ تقرير الخبرة المستجمع للشروط الشكلية المتضمن لتقديرات مبنية على أسس واضحة يصلح العتماده في الفصل بين‬-2 .‫نعم‬...‫االسترشاد برأيه‬
".‫نعم‬... ‫الخالف القائم حول قيمة العقار‬
242
Le contribuable est tenu de payer l'impôt indépendamment de son recours en justice, sauf s'il obtient le sursis
de recouvrement par une ordonnance du juge des référés, dans l’attente d’un jugement dans le fond, à condition
de constituer des garanties suffisantes pour couvrir les rôles émis.
243
K. SID AHMED. Op. Cit.. P68 du
244
Cela n'empêche pas de dire qu'il y a aussi des contribuables malhonnêtes qui corrompent l'expert
volontairement pour les mêmes fins.

129
tout en étant persuadé que ses conclusions seront probablement adoptées par
le tribunal. Ils se substituent donc aux juges même s’ils ne présentent aucune
garantie d'indépendance et d'impartialité245.

Dans tous les cas, ces décisions même souvent favorables au contribuable,
resteront lettres mortes si elles ne sont pas exécutées par le fisc.

C- L'inexécution des décisions de justice

Comme nous l’avons signalé auparavant, une décision de justice ne vaut que
si elle est exécutée. La production d’une décision exécutoire est l’essence
même du recours judiciaire, sinon à quoi sert de porter un litige devant un
tribunal si on sait à l’avance que ses décisions seront dépourvues de la force
exécutoire.

La problématique de l’inexécution des décisions de justice par


l’administration est devenue une obsession qui menace tout le système
judicaire du Royaume, réputé être le garant de l’Etat de droit et de la sécurité
juridique.

En effet, si l’administration fiscale dispose de beaucoup de moyens


discrétionnaires pour faire exécuter ses décisions (saisie, hypothèque de trésor,
avis au tiers détenteur, contrainte par corps…), le contribuable n’a par contre
aucun moyen pour obliger l’administration fiscale à exécuter les décisions
rendues à son encontre.

‫ اإلشكاالت القانونية والعلمية في المجال‬: ‫ مداخلة في الندوة الوطنية حول موضوع‬،‫ خصوصيات الخبرة في المادة الضريبية‬،‫عبد الرحمان أبيال‬
110 ‫ ص‬،2011/16 ‫ دفاتر المجلس االعلى العدد‬،‫الضريبي‬
245
Selon Abderrahman ABILLA, (Chef de service des affaires judiciaires au sein de la DGI) le juge recours à
l’expertise dans plus de 95 % des affaires contentieux et qui portent sur des différends qui surgissent à l’occasion
d’un contrôle fiscal.
‫ مقال سابق‬،‫عبد الرحمان أبيال‬

130
Ce phénomène a créé une situation désastreuse auprès d’un grand nombre
de contribuables246, qui sont allés jusqu’à la liquidation judiciaire de certaines
entreprises en difficultés247. Cette situation a pour effet d’encourager les
contribuables à basculer vers l’économie informelle, avec l’expansion de la
fraude et de l’évasion fiscale.

Toutefois, comme nous l’avons relevé précédemment, la jurisprudence


marocaine n’a pas hésité à imaginer des formules issues du droit commun de la
procédure civile, comme le prononcé de l’astreinte contre l’autorité
administrative récalcitrante. Sauf qu’en réalité, il faut reconnaître qu’il n’existe
jusqu’à présent à notre connaissance, aucune jurisprudence de ce genre en
matière fiscale, ce qui ne prouve pas que l’administration fiscale procède
automatiquement à l’exécution des décisions judiciaires, car l’inexécution ne
prend pas seulement la forme du refus express ou tacite d’exécuter une
décision la condamnant de restituer le montant d’un impôt indûment perçu, ou
annulant l’une de ses décisions administratives248. Elle peut aussi revêtir la

‫م‬2008/2007 : ‫ رسالة لنيل دبلوم الدراسات العليا المعمقة السنة الدراسية‬،‫ منازعات الوعاء الضريبي أمام القضاء اإلداري‬،‫نجيب البقالي‬246
80-79 ‫ ص‬،‫المحمدية‬
247
Le tribunal administratif a eu l’occasion d’établir la responsabilité de l’administration fiscale pour faute
grave, en causant l’arrêt définitif de l’activité professionnelle du contribuable, à cause de « son obstination pour
recourir à la taxation d’office et entamer les procédures du recouvrement forcé …malgré l’annulation de ladite
procédure en vertu d’un jugement définitif »
.09/7/310 : ‫ ملف رقم‬2012/2/7 : ‫ الصادر بتاريخ‬441 : ‫حكم المحكمة اإلدارية بالرباط رقم‬
‫ قيام مسؤولية المصالح الجبائية الموجبة للتعويض رهين بتوافر شروط قانونية من جملتها ارتكابها لخطأ جسيم غير مقترن بصعوبات‬-1"
. ‫استثنائية تحول دون تقدير وضعية الملزم على وجه سليم‬
‫ إصرار مصلحة الوعاء الضريبي على سلوك مسطرة الفرض التلقائي في مواجهة المدعي ومباشرة إجراءات التحصيل الجبري من حجز و‬-2
‫رهن رسمي بمناسبة هذا الفرض الضريبي رغم انتفاء موجبات تطبيقه في ظل العجز المسجل بمحاسبة المدعي و المستخلص من تقرير مفتشها‬
‫ فضال عن إلغاء المسطرة المذكورة بموجب حكم قضائي‬،‫المحقق الذي كان محل تأييد من لدن اللجنة الوطنية للنظر في الطعون المتعلقة بالضريبة‬
‫ يشكل خطأ جسيما ما دام أنه لم يقترن بصعوبات تحول دون تحديد الوضعية الجبائية للمدعي بشكل سليم و يرتب مسؤوليتها اإلدارية عن‬:‫نهائي‬
‫ نعم‬: ‫كافة األضرار المادية و المعنوية المترتبة عن هــــــــذا الخطأ‬
‫ التوقف النهائي عن النشاط المهني من جراء الخطأ الجسيم المنسوب لمصلحة الوعاء الضريبي والحرمان من فرص الربح واالمتيازات‬-3
‫عناصر كافية لتقييم‬... ‫ من المدونة العامة للضرائب والمساس بالسمعة داخل سوق االستثمارات العقارية‬144 ‫المخولة قانونا بمقتضى المادة‬
. ‫ نعم‬: ‫الضرر على ضوء المراكز القانونية لألطراف في إطار السلطة التقديرية للمحكمة‬
248
Dans ce sens, la Cour de Cassation a souvent annulé la décision de l’administration qui a refusé de délivrer
une attestation de régularité fiscale au contribuable sans juste motif, (arrêt n° 922 en date du 24/10/2007 dossier
administratif n° 2675/4/2/2005 Publié sur Site de Jurisprudence du Cabinet Bassamat & Associée
http://www.jurisprudence.ma, consulté le 14/02/2016 à 10 :30

131
forme d’un retard dans l’exécution, à ce titre on peut citer un jugement du
tribunal administratif de rabat en date 03/11/1998249, qui a condamné
l’administration fiscale au versement d’une indemnité de 2000 dirhams au
contribuable, pour retard de restitution des sommes indûment payées.

Il en est aussi d’un arrêt de la Cour de Cassation250 ayant confirmé un


jugement du tribunal administratif de Fès, concernant le refus de restitution
des frais de justice. Ainsi, suite à l’annulation des impositions émises par
l’administration fiscale en vertu d’un arrêt de la Cour de Cassation, un
contribuable avait engagé la procédure d’exécution, qui s’est accomplie avec
succès dans le côté relatif à l’annulation du rôle de l’impôt, mais il s’est affronté
au refus du percepteur en ce qui concerne la restitution des frais de justice,
sous prétexte d’absence de fond, dans la mesure où l’engagement des
dépenses de l’Etat nécessite l’émission d’un ordre de paiement. Pour l’obliger à
s’exécuter, le contribuable s’est orienté de nouveau vers la justice, en faisant
produire un jugement prononçant une indemnité à l’encontre de l’Etat. Ce
jugement a été confirmé en appel par la Cour de Cassation qui a considéré que
s’il est vrai qu’il n’était pas possible pour le percepteur de restituer les frais de
justice lors de la première tentative, soit à l’occasion de la notification des
décisions définitives en date du 20/03/2002 décidant l’annulation de l’impôt…
il n’est plus question d’évoquer les mêmes prétextes d’absence de l’ordre de
paiement, puisqu’il pouvait engager cette dépense dans le cadre du budget de
l’année à venir, dans la mesure où il a été avisé à nouveau par le contribuable,
Arrêt n°44 en date du 12/10/2000 dossier administratif n° 1481/4/1/1991 publié à la revue des cahiers de la Cour
Suprême, La jurisprudence de la chambre administrative en matière d’assiette et de recouvrement fiscal entre
1997 et 2004 n° 9/2005, p. 63
‫ لذلك ارتأت‬1998/01/13 ‫ وذلك مند تاريخ‬،‫ "حيث أن تماطل إدارة الضرائب ثابت من خالل توصلها بطلب استرداد المبلغ وعدم استجابتها‬249
‫ العمل‬،‫ درهم في مواجهة مديرية الضرائب" أوردته سعاد بنور‬2000 ‫المحكمة لما لها من سلطة تقديرية تحديد تعويض عن التماطل في مبلغ‬
‫ ص‬،2003 ‫ دار القلم‬،‫ فقهية و قضائية مع أحدث االجتهادات الصادرة عن المجلس األعلى‬،‫ قانونية‬،‫ دراسة تحليلية‬،‫القضائي في المادة الجبائية‬
.208
250
Arrêt de la Cour de Cassation n° 426 en date du 07/05/2008 dossier administratif, section 2, n°619/4/2/2006
(non publié)

132
tel qu’il a été constaté par le procès-verbal de refus d’exécution dressé le
06/01/2005.

En définitive, on peut affirmer globalement que la justice fiscale constitue le


seul recours impartial dont dispose le contribuable pour protéger ses droits et
garanties, et ce en dépit des différents caractères de l’insécurité judiciaire
qu’on a pu relever.

133
Conclusion du deuxième chapitre

Au bilan de cette analyse diagnostique des différentes voies de recours dont


dispose le contribuable, on peut conclure que les règles du contentieux de
l'impôt souffrent d'énormes insuffisances qu'on peut résumer en trois
constatations : d'abord la dépendance des commissions d'arbitrage au fisc
relevée au niveau de leur composition et de leur fonctionnement. S'en suit
l'inutilité de la réclamation contentieuse, qui n’est qu’un moyen utilisé par le
fisc pour conclure des accords à l'amiable avec le contribuable dans des
conditions de déséquilibre total entre les parties, avec toutes les conséquences
négatives pouvant en découler. Et enfin, les défaillances au niveau des
éléments de la sécurité judiciaire pour la protection de la sécurité juridique du
contribuable.

Néanmoins, malgré les efforts du législateur pour surmonter certaines


limites du système de recours en matière fiscale, les règles du contentieux
fiscal sont loin de garantir pour le contribuable un recours impartial, équitable
et pouvant trancher le litige dans un temps raisonnable, surtout en l'absence
d'une volonté réelle de remédier aux failles qui fragilisent le système de
recours fiscal, en vue de garantir la sécurité juridique du contribuable, et en
suivant dans ce sens les pratiques les plus réussies en droit comparé.

134
Conclusion de la première partie

A la fin de cette brève évaluation du système fiscal marocain, on peut


confirmer avec certitude la précarité du contribuable face à l’administration
fiscale aussi bien sur le plan de l’imprévisibilité, la complexité, et l’instabilité de
la législation fiscale et de la doctrine administrative, que en raison de certaines
pratiques abusives de quelques agents du fisc, ce qui risque,
vraisemblablement de nuire à l’initiative privée et à l’attractivité du
Royaume251.

Ce même effet peut également s’aggraver par la déficience du contentieux


fiscal, qui ne garantit pas au contribuable lésé l’accès à un droit de recours
efficace.

Face à cette situation, de nombreuses voix se sont élevées pour réclamer


plus de sécurité pour le contribuable, ce qui a poussé l’administration fiscale à
entamer un travail de refonte globale du Code Général des Impôts, en
collaboration avec l’Ordre des experts comptables et la CGEM, en vue de
renforcer la lisibilité et l’intelligibilité des textes fiscaux objets de divergences
d’interprétation entre le fisc et le contribuable252. Il importe donc de ne pas
rater cette occasion historique pour rétablir la sécurité fiscale du contribuable,
d’où la nécessité de s’inspirer des expériences étrangères les plus réussies et
les plus modernes en la matière.

251
Voir introduction générale- B- Impact de la sécurité fiscale sur l'attractivité économique des territoires
252
Selon un communiqué publié dans le portail de la DGI, le travail sera mené par 6 groupes de travail qui
traiteront chacun un volet du CGI, et dont l’action sera coordonnée par un comité restreint qui centralisera les
contributions des différents groupes de travail et veillera sur la cohérence d’ensemble. Le projet sera par la suite
soumis à un comité de pilotage pour validation.

135
Deuxième partie : Les
moyens de
renforcement de la
sécurité fiscale du
contribuable

136
Au niveau de la première partie de cette thèse, nous nous sommes
évertués à dresser un bilan de la situation précaire du contribuable au Maroc,
marquée principalement par la dégradation de sa sécurité, d’une part par
l’effet de l’intelligibilité, l’instabilité et l’imprévisibilité de la norme fiscale, et
d’autre part, par l’incapacité de tous les systèmes de recours en vigueur à le
protéger. Devant cette constatation, notre étude s’est acheminée vers la
recherche de tous les remèdes possibles aux différents cas d’insécurité
recensés, à l’aide bien entendu, des expériences étrangères. Dans cet objectif,
nous allons nous contenter au départ à rechercher les moyens de
renforcement de la sécurité fiscale du contribuable à travers le
réaménagement de la norme fiscale sur le double aspect : temporel et formel
(chapitre I). Nous nous intéresserons par la suite à la notion de l’Etat de droit
qui offre au contribuable une panoplie de garanties, notamment sur le plan de
la protection de ses droits fondamentaux et d’un droit de recours lui
garantissant une sécurité judiciaire suffisante (chapitre II).

Chapitre I: Le renforcement de la sécurité fiscale du


contribuable à travers le réaménagement de la norme
fiscale

Il est désormais établi que la fiscalité est devenue le domaine de toutes


les incohérences et la complexité des normes juridiques. Ainsi, devant la
prolifération des textes régissant la matière fiscale et l'absence de structure
cohérente de ces textes, le terrain de l'insécurité du contribuable s'est
considérablement élargi. Cette situation est tributaire principalement de la
détérioration de la qualité de la norme fiscale causée par la prolifération du

137
phénomène du renvoi, et celui de la cédularité des impositions, au détriment
de la lisibilité et de la clarté des textes fiscaux.

D’un autre côté, on ne peut pas perdre de vue l’imprévisibilité du droit


fiscal pour le contribuable, provoquée par l’instabilité des normes fiscales (loi
ou doctrine administrative) appelée également rétroactivité économique, et
dont l’effet ne diffère pas beaucoup de celui de la rétroactivité pure et simple
des lois interdites par la constitution.

Toutes ces problématiques décortiquées dans nos analyses précédentes,


tendent à démonter que le contribuable marocain manque de sécurité
juridique. Il est de notre devoir en tant que chercheur de prospecter des
solutions juridiques capables d’éradiquer ce mal, en se référant notamment
aux expériences étrangères en la matière. Pour ce faire, il est proposé de
répartir notre analyse en deux sections : la première sera consacrée à l'aspect
temporel de la sécurité fiscale, qui consiste en la consécration de la prévisibilité
et de la stabilité de la norme fiscale. Quant à la seconde section, il serait
question d'étudier l'aspect formel de la sécurité fiscale à travers l'amélioration
de la qualité de la norme fiscale.

Section I – L’aspect temporel de la sécurité fiscale :


L’impératif de prévisibilité et de stabilité de la norme fiscale

L’analyse du contenu de la stabilité et de la prévisibilité nous a permis de


constater que les deux notions renvoient à une idée du temps, qui constituent
aussi un concept étroitement lié à la sécurité juridique. En effet, la stabilité
concerne essentiellement le respect du passé, quant à la prévisibilité, elle
intéresse plus nettement le futur. La notion de la prévisibilité se trouve donc au
centre de la sécurité juridique, voire même son élément le plus fondamental,
138
dans la mesure où le but principal poursuivi par l'accessibilité et la stabilité est
de contribuer à la mise en valeur de la prévisibilité, le tout dans l’objectif
général de promouvoir la sécurité juridique253.

Cependant, cette quête de stabilité ne doit pas être exagérée, créant ainsi
un statisme dans les normes juridiques, M. DEBAT rapporte à ce propos qu’une
« limite à la sécurité juridique trouve sa traduction dans un principe de
mutabilité des règles et situations juridiques, qui, par souci de justice ou
d'équité, amène à améliorer de manière constante l'ordonnancement juridique
et l'adapter à une société changeante254». Cette nuance apportée à la notion
de la sécurité juridique, se confirme surtout en matière fiscale, qualifiée de
discipline mouvante par nature, puisque la règle fiscale est devenue un
instrument de politique économique et sociale permettant d’agir sur le
comportement des contribuables par des phénomènes d’incitation ou de
dissuasion.

Inutile de creuser davantage dans ce débat d’idées, dans la mesure où il ne


servira pas beaucoup à résoudre la problématique de l’imprévisibilité du
contribuable. Il importe donc de s’interroger sur les moyens qu’on peut
adopter en vue d’atteindre cette fin.

Pour répondre à cette interrogation, on a adopté une démarche


comparative, en se référant à des exemples étrangers en général et européens
en particulier, qui peuvent être pris comme modèles d'inspiration pour notre
droit.

253
Sur cette question, voir les développements de M. Thomas PIAZZON, La sécurité juridique, éd Lextenso
défrénois, Alpha, 2010, p. 44
254
Oliver DEBAT, La rétroactivité et le droit fiscal, éd Defrénois 2006, p. 342

139
À travers les différentes expériences étrangères en la matière, nous allons
commencer par exposer des solutions subjectives ayant un effet global sur
l'ensemble du problème de l'imprévisibilité (§1), en mesurant ainsi leur degré
de compatibilité par rapport à notre ordre juridique, notamment sur le plan du
respect de la hiérarchie des normes. On étudiera par la suite les moyens
objectifs qui correspondent à des principes et mécanismes tirés du principe
général de la sécurité juridique, en plus de quelques techniques ayant prouvé
leur efficacité sur le plan du droit comparé (§2).

Pour mieux appréhender ce projet de recherche qu’on compte


entreprendre, il semble utile de distinguer entre le caractère objectif et
subjectif de la prévisibilité en matière fiscale. En effet, la prévisibilité objective
est celle qui existe réellement et objectivement, en permettant ainsi à tous les
contribuables de bâtir des prévisions en fonction d'un certain nombre de
critères préétablis par le droit objectif. À l'opposé, la prévisibilité subjective
s'intéresse surtout au souci de respecter les prévisions déjà bâties par le
contribuable, dans ce cas, la recherche de la prévisibilité doit s'opérer dans
l’esprit de chaque contribuable. Elle peut exister réellement comme il peut ne
s'agir que de simples expectatives. Donc, entre objectivité et subjectivité, le
droit fiscal doit non seulement offrir la possibilité d'établir des prévisions, mais
aussi de respecter les prévisions volontaires régulièrement élaborées sous son
empire.

§ 1- Les moyens subjectifs assurant la prévisibilité du


contribuable
La prévisibilité est fondamentalement dominée par son aspect subjectif,
dans la mesure où elle se situe au cœur de la notion de la sécurité juridique qui
est par essence subjective. En effet, la sécurité est d'abord un sentiment dont

140
la teneur varie d'une personne à une autre. BATIFFOL considère dans ce
sens que « la sécurité ne se confond pas avec la simple protection de l'individu
et de sa liberté. Elle exprime plus précisément l'aspiration à un système de
règles certaines, parce qu'une telle certitude répond au besoin décisif de
prévisibilité : il faut qu'un chacun puisse prévoir les conséquences de ses actes,
et déterminer par suite ce qu'il peut ou doit faire ou ne pas faire ; il faut qu'un
chacun puisse aussi prévoir ce qu'autrui a le droit de faire ou ne pas faire pour
régler ses attitudes en conséquences 255».

À cet effet, le recours à des solutions subjectives paraît plus convenable


pour régler les problèmes de l'imprévisibilité des normes fiscales. Une tentative
de consécration d'un droit subjectif à la sécurité juridique serait louable, en
permettant aux contribuables de s'en prévaloir devant les tribunaux (A).
Toutefois, cette méthode n'est pas sans risque sur la cohérence de notre droit
(B), d'où l'intérêt de la "consommer avec prudence", en recourant à des
mécanismes juridiques dérivés de ce droit subjectif à la sécurité juridique (C).

A- La consécration du droit à la sécurité juridique


À ce niveau, il n'est plus question d'invoquer la sécurité juridique sous
l'angle de la qualité du système fiscal objectivement apprécié, mais comme un
droit individuel au profit du contribuable qui peut l'invoquer chaque fois qu'il
se sent lésé dans ses prévisions légitimement fondées.

Les méthodes de cette consécration peuvent être multiples. Ainsi, il


pourrait s'agir de modifier la loi organique relative à la loi de finances,
notamment le chapitre portant sur le vote de ce genre de loi (article 52s). Sauf
que « l'appartenance de cette norme au bloc de constitutionalité [n’est] pas

255
Henri Batiffol, la philosophie du droit, Presse Universitaire de France, coll. Que sais-je?, 1997, p. 103

141
certaine256 ». De plus, par ce moyen, le droit à la sécurité juridique n'aura
qu'une portée limité sur le droit fiscal. Il serait donc préférable d'opter pour
une autre méthode qui serait plus générale et d'une efficacité suffisante, on
pense à ce titre à l'introduction de ce droit subjectif dans le corps même de la
constitution ou au moins dans son préambule.

L’efficacité de cette solution est indiscutable, mais elle reste tout de même
difficilement réalisable, en raison du caractère rigide des réformes
constitutionnels dans notre pays, d’où l’intérêt de penser à une autre méthode
plus simple et efficace pour l'incorporation de ce droit dans notre système
juridique. On pense ainsi aux instruments internationaux, que la constitution
classe au-dessus des lois, sachant qu’ils constituent même les origines de la
notion de la sécurité juridique. En effet, à l'instar du concept d'Etat de droit,
celui de la sécurité juridique a évolué progressivement sous l'influence des
idéologies individualistes et des notions des droits de l'Homme et des libertés
fondamentales257. On peut citer à cet égard la convention européenne des
droits de l'Homme où le droit à la sécurité juridique a été déduit par la Cour
européenne des droits de l'Homme à maintes reprises à l'occasion de son
interprétation de cette convention. Ce concept de "sécurité juridique" a été
évoqué pour la première fois par cette Cour le 13 juin 1979 à travers l’arrêt
Marckx c/ Belgique258, où on lit dans l'un de ses énoncés que « le principe de
sécurité juridique, nécessairement inhérent au droit de la Convention comme
au droit communautaire, dispense l’État belge de remettre en cause des actes

256
O.DEBAT, Op. Cit. p. 348
257
Nicolas MOLFESSIS, "Les ‘’avancées ‘’ de la sécurité juridique", Revue trimestrielle de droit civil (RTD
civ), 2000, p. 662
258
Elodie BORDES, "Radioscopie jurisprudentielle du principe de sécurité juridique : analyses de évolutions
possibles à la lumière de la QPC ", atelier n°7 du 8e Congrès national français du droit constitutionnel, tenu à
Nancy le 16, 17 et 18 juin 2011, p. 6. Publié en ligne
http://www.droitconstitutionnel.org/congresNancy/comN7/bordesTD7.pdf consulté le 15/08/2016

142
ou situations juridiques antérieurs au prononcé du présent arrêt ». C'est donc
l'attachement à la protection des droits de l'Homme qui explique le succès
actuel du principe de la sécurité juridique.

Malgré l'emploi du terme principe par la Cour, l'application subjective de la


sécurité juridique est indéniable. C’est pour cette raison que la Cour utilise le
plus souvent un autre principe qui constitue le corollaire subjectif du principe
de la sécurité juridique, à savoir le principe de la confiance légitime, en vertu
duquel « la loi ne peut remettre en cause du jour au lendemain une situation
juridique, ou un avantage prévu par un texte que le contribuable de bonne foi
pouvait penser stable sinon durable 259». C'est un principe qui est donc
totalement basé sur l'appréciation du juge au cas par cas, à travers la recherche
de l'existence ou non des espérances fondées, en faisant prévaloir l'intérêt
particulier sur l'intérêt général. On parle donc d'une « sécurité juridique vue
par les lunette des contribuables, particulier ou opérateur économique 260».

Ce concept de confiance légitime puise ses origines dans le droit allemand,


où il a été développé dans l’après-guerre par la jurisprudence de la Cour
fédérale administrative. Quelques années après, il a été transporté à d'autres
pays européens, notamment la Suisse et le Danemark, avant qu'il soit adopté
par l'ancienne Cour de Justice des Communautés Européennes (CJCE),
actuellement Cour de Justice de l’Union Européen (CJUE), en 1965 à travers
l'arrêt Lemmerz-Werke GmbH261. A vrai dire, c'est au sein de cette Cour où ce
principe s'est réellement développé, à côté de son principe d'origine de la

259
Benoît DELAUNAY, "Faut-il reconnaître un principe de confiance légitime en droit fiscal ? " In Sécurité
fiscale, sous la direction de Jacques Buisson, éd L'HARMATTAN, Paris, 2011, p. 42
260
Benoît DELAUNAY, Article précité p. 45.
261
Le droit administratif français et le principe de confiance légitime, Séminaire de droit administratif, M. le
Prof. Bertrand Seiller Séance du 8 novembre 2010, Exposé présenté par Arnaud Bordenave, publié au
http://dpa.u-paris2.fr/wp-content/uploads/2013/11/Administratif_-_expose_Bordenave.pdf consulté le
12/09/2014 à 19:45

143
sécurité juridique, pour devenir par la suite l'un des piliers du droit
communautaire262.

Toutefois, malgré la consécration du principe de la confiance légitime par le


droit communautaire, le droit français semble être réticent à l'inclure au sein
de son corpus juridique à cause de la tradition juridique française, qui est
principalement légaliste263. Le Maroc, suivant ainsi les pas de son ex-
colonisateur, ne fait aucune application de ce principe sur le plan légal et ce
malgré ses avantages certains sur l'économie du pays, notamment à travers le
renforcement de la compétitivité des opérateurs économiques264. Quant au
plan jurisprudentiel, il faut citer un arrêt de la Cour de Cassation qui me semble
unique, où les conseillers de cette Cour ont considéré que « l’administration est
tenue par le contenu de sa circulaire envers les contribuables conformément
au principe de la confiance légitime, selon lequel l’interprétation faite de la loi
au moyen des circulaires permet au contribuable de connaître ses droits, et
constitue par conséquent une source de quiétude pour lui, en y faisant
confiance, et en conditionnant son action265».

En plus de ses bienfaits sur l’économie du pays, la consécration du principe


de la confiance légitime peut avoir d'autres répercussions avantageuses sur le
plan de la qualité des normes fiscales, dans la mesure où il permettra « d'éviter

262
À ce titre on remarque que ces deux principes "sont invoqués ou mentionnées dans 10% des arrêts de la Cour
de justice" même s'ils sont rejetés dans la majeure partie des cas, à cause des lourdes conditions posées par cette
Cour (T. PIAZZON Op. Cit. p. 370)
263
On verra plus loin les répercussions de ce concept sur les principes juridiques français.
264
Jean-Yves CHABANNE, «De la méfiance légitime des redevables de l'impôt», Les petites Affiches 1999
n°192, p. 11
265
Cour de Cassation, arrêt n° 601/2 en date du 09/07/2015, dossier administratif n° 1394/4/2/2014 (non publié).

144
la précipitation dans l'élaboration de nouvelles politiques ainsi que l'application
brutale de ces dernières266 ».

Par ailleurs, à la différence du principe général de la sécurité juridique, la


confiance légitime correspond à un mécanisme assez précis, assorti de
conditions et d'effets déterminés. Ainsi, selon la définition de Mme Planchon,
« le principe du respect de la confiance légitime interdit aux institutions
communautaires de modifier une réglementation brutalement, sans prévenir
les agents économiques intéressés ou sans l'assortir de mesures transitoires
effectives, à moins que l'intérêt public péremptoire ne s'oppose à de telles
précautions267 ». De ce fait, pour la mise en œuvre de ce principe, le juge
communautaire s’assure de la réunion d’une « série de conditions qui s'avèrent
très restrictives 268». Ainsi, pour que le principe de confiance légitime ait
vocation à s'appliquer, il est nécessaire que les autorités communautaires aient
fait naître auprès de l'administré "des espérances fondées". De surcroît, il faut
établir solidement et avec des motivations sérieuses que les sujets de droit ont
cru en la stabilité de la réglementation en cause et sur laquelle est fondée leur
situation juridique (par exemple l'équilibre du contrat passé avec un tiers).
Ainsi ne peuvent suffire à fonder une espérance légitime une directive
communautaire avant son délai de transposition, une résolution du parlement
ou une déclaration politique du Conseil. Enfin, la mesure contestée doit être
imprévisible pour des opérateurs prudents et avisés269.

266
Propos de Mme HEERS, membre de la justice administrative, cités dans l'exposé de Norine Zaoui : Le droit
administratif français et le principe de confiance légitime, Séminaire de droit administratif général, M. le
Professeur Jacques Petit, p. 9. http://dpa.u-paris2.fr/wp-content/uploads/2013/11/Administratif_-
_expose_Zaoui.pdf consulté le 13/09/2014 à 15:35
267
Marie-Hélène VIEU-PLANCHON, "Le principe de confiance légitime devant la Cour de Justice des
Communautés ",In Revue de la recherche juridique R.R.J, 1994, p. 449
268
M-H PLANCHON, Article précité, p. 471
269
Cette limite à la mise en œuvre du principe de confiance légitime est appréciée avec une particulière sévérité
par le juge communautaire. Le droit communautaire étant un droit essentiellement économique et par conséquent

145
Cependant, même si la sécurité juridique et la confiance légitime sont deux
principes à égale valeur en droit communautaire, une dissemblance notable
existe entre les deux principes. Ainsi, comme l'énonce M. DEBAT : « alors que
la sécurité juridique stricto sensu serait d'une logique abstraite, la confiance
légitime serait axée sur la situation concrète des intéressés. Autrement dit, le
premier principe exige la conformité des actes des autorités à une règle
objective, celle de la sécurité; quant au second, il est d'avantage de nature
subjective en ce qu'il se place du point de vue du destinataire270 ». Ce caractère
subjectif du principe de la confiance légitime présente un avantage certain par
rapport à celui de la sécurité juridique, permettant ainsi au juge de procéder à
un examen casuistique, mettant en avant la situation concrète du contribuable,
à la différence du principe de la sécurité juridique qui est de caractère objectif
et abstrait, où le juge doit déclarer la disposition pointue de doigt comme étant
soit accessible et prévisible pour tous, soit elle ne l'est pour personne.

En conclusion, malgré les avantages de la sécurité juridique subjective et


son corollaire, le principe de la confiance légitime, sa consécration par le droit
marocain semble être utopique en raison de son caractère général et imprécis,
ne permettant pas ainsi de définir avec précision sa portée et ses limites. De
plus, comme le soutient M. PIAZZON, « cette idéologie de droits de l'Homme,
dont participe la conception subjective du droit à la sécurité juridique, pourrait
remodeler en profondeur notre droit271 », ce qui aura pour effet de sacrifier la
cohérence même de notre système juridique.

mouvant, les sujets de droit doivent s'attendre à des évolutions qu'ils doivent anticiper voir, et dans certains cas,
deviner. (M-H PLANHCON, article précité, p. 446 et s.). Voir aussi Michel FROMONT, "Le principe de
sécurité juridique " In, Revue Actualité juridique du droit administratif (AJDA), 1996, n° spécial, p. 178.
270
O. DEBAT, Op. Cit. p. 343
271
Thomas PIAZZON, La sécurité Juridique, éd Défrénois lextenso éditions, 2010, p. 419.

146
B- L'incidence de la subjectivation de la sécurité juridique sur le droit objectif
marocain
La consécration du droit à la sécurité juridique subjective présente
incontestablement des avantages innombrables pour le contribuable. Ainsi, en
vertu de ce droit, le contribuable peut réclamer l'éviction d'une règle
rétroactive ou simplement rétrospective chaque fois que ses espérances
fondées n'ont pas été respectées272. Il en est aussi lorsqu'une doctrine
administrative remet en cause une situation stable du contribuable, en
permettant ainsi, à ce dernier d’opposer à l'administration sa position initiale,
qui lui était favorable.

Toutefois, malgré les avantages irréfutables de ce droit subjectif, son


incompatibilité avec le droit marocain ne peut être niée. Ainsi, si le but
principal derrière la consécration de ce droit est d'assurer une sécurité
juridique au contribuable, son incorporation dans notre système juridique
pourra avoir un effet inverse, à cause de la perte de la cohérence du droit
objectif. En effet, comme il a été précédemment démontré, la mise en œuvre
d'une protection des prévisions du contribuable par la consécration d’un droit à
la sécurité juridique nécessite un examen casuistique par le juge fiscal,
moyennant des techniques de recherche psychologique.

Cette technique étrangère à notre système juridique aura pour effet de


rétablir l'insécurité en créant une incertitude quant aux solutions adoptées,
puisqu’il y en aurait une multitude pour une même situation juridique. On
serait donc devant "une jurisprudence d'équité", par laquelle le juge verra ses

272
Il importe de rappeler à ce titre que l’article 133 de la constitution de 2011, permet à la Cour Constitutionnelle
de statuer sur « une exception d'inconstitutionnalité soulevée au cours d'un procès, lorsqu'il est soutenu par l'une
des parties que la loi dont dépend l'issue du litige, porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution
», sauf que cet article ne peut être appliqué qu’après l’adoption d’une loi organique fixant « les conditions et
modalités d'application ».

147
pouvoirs « systématiquement renforcés, au détriment de l'ordre de la loi
pourtant source de sécurité objective273 ». On serait donc devant un "droit
optatif" laissant au juge le pouvoir de trancher comme il l'entend.

Par ailleurs, à l'image de la sécurité juridique subjective, le principe de


confiance légitime est également dominé par une « considération des facteurs
psychologiques274 ». Ainsi lors de son instruction de l’affaire, le juge doit
rechercher rigoureusement les circonstances de la cause en fonction de
considérations elles-mêmes subjectives, et qui supposent une appréciation au
cas par cas de l'information et de l'attitude concrète du requérant, voire même
de sa bonne foi.

Cet exercice d'analyse auquel doit se livrer le juge, constitue un


empiétement flagrant dans le domaine de la loi, dans la mesure où une loi
votée par les représentants de la nation peut être écartée au nom du droit à la
sécurité juridique, ou son corollaire le principe de la confiance légitime.

Tous ces facteurs déstabilisateurs du droit objectif ont poussé le juge


français à rejeter partiellement le principe communautaire de la confiance
légitime, puisque la jurisprudence française est partagée entre l’impératif de la
protection de son ordre juridique basé sur le principe de la légalité, et
l’obligation d'appliquer les principes généraux du droit communautaire. C’est
ce qui résulte d’ailleurs des instructions du Conseil Constitutionnel français, qui
a imposé cette obligation aux autorités nationales dans sa décision portant sur
la ratification du traité sur l'Union Européenne275, tout en nuançant sa position,

273
T. PIAZZON, Op. Cit., p. 422
274
Sylvia CALMES, Du principe de protection de la confiance légitime en droit allemand, communautaire et
français, éd Dalloz, Coll. Nouvelle bibliothèque de thèse, vol 1, 2001, Paris, p. 36
275
Conseil Constitutionnel français 9 avril 1992, Décision n°92-308 DC : recueil DC, p.55,
v. aussi le lien suivant :

148
en considérant qu'aucune « …norme de valeur constitutionnelle ne garantit un
principe dit de confiance légitime276 ». Devant cette position controversée du
Conseil Constitutionnel français, le juge judiciaire a adopté une double attitude
qui paraît plus adaptée au contexte juridique français. Ainsi, le Conseil d'État
avait considéré dans un arrêt du 30 novembre 1994 « que le champ
d'application du principe de confiance légitime ne recouvrait pas les
impositions exclusivement régies par le droit interne277 », mais à l’opposé, ce
principe peut « jouer en matière de taxe sur la valeur ajoutée, puisqu'elle fait
l'objet d'une réglementation communautaire278 ».

De ce qui précède, on peut déduire que le juge administratif français est


tenu d'appliquer le principe de la confiance légitime tel que le conçoit la CJCE,
dès lors que l’on se trouve dans le champ d'application du droit
communautaire. Dans ce cas, le principe de la confiance légitime s'élève à une
valeur supra-législative, au rang des autres principes généraux du droit
communautaire. Hormis ce cas, aucune appellation à ce principe ne doit être
faite.

En guise de conclusion, on peut citer les propos de M. PIAZZON, qui


considère le droit à la sécurité juridique comme « une sorte de cadeau

http://www.conseil-constitutionnel.fr/conseil-con..c/decision-n-92-308-dc-du-09-avril-1992.8798.html consulté
le 01/12/2013 à 15:35
276
Conseil Constitutionnel français 30 décembre 1996, décision n° 96-385 DC : JO du 31 décembre 1996 pages
19490 et suivant.
v. aussi le lien suivant :
http://www.conseil-constitutionnel.fr/conseil-constitutionnel/francais/les-decisions/acces-par-date/decisions-
depuis-1959/1996/96-385-dc/decision-n-96-385-dc-du-30-decembre-1996.10826.html consulté le 01/12/2013 à
18:37
277
Conseil d'État 30 novembre 1994 8e et 9e sous-sections, cité par O. DEBAT, Op. Cit. n° 474, p. 346. L'auteur
explicite davantage en citant une décision de la Cour Administrative d'Appel de Bordeaux rendue le 22 février
1994, en vertu de laquelle "la Cour ayant conclu qu'en tout état de cause, le non-respect éventuel par les
dispositions nationales des principes de sécurité juridique et de confiance légitime ne saurait avoir pour effet de
faire obstacle à l'application de la loi fiscale"
278
Conseil d'État 16 novembre 2005, 9e et 10e sous-sections, n°265 179, cité par O. DEBAT, Op. Cit. n°474 p.
346

149
empoisonné : il participe d'abord du pullulement des droits subjectifs, au
détriment de la cohérence du droit objectif ; il renforce ensuite tellement les
pouvoirs du juge que celui-ci se montre très sévère pour en caractériser une
violation. Parfois, il se retourne enfin contre les sujets de droits en scrutant la
légitimité de leur prévision279 ». Il importe donc de savoir résister aux
demandes de subjectivation du droit à la sécurité juridique, car selon le Doyen
Carbonnier « le risque c’est que tout besoin demande à être reconnu comme
droit subjectif280 ».

Ce refus parfaitement clair de consacrer la sécurité juridique subjective en


droit administratif français, ne signifie pas que le recours à ce concept est
totalement absent. En effet, la sécurité juridique subjective progresse sans la
consécration symbolique du droit à la sécurité juridique ou du principe de
confiance légitime, mais à travers des applications dérivées de ces deux
concepts.

C- Quelques alternatives dérivées du droit fondamental à la sécurité juridique tirées


du droit comparé
Devant l’échec de la consécration du droit à la sécurité juridique, ou du
principe de la confiance légitime par le droit français, quelques mesures
juridiques à caractère subjectif ont servi d’alternatives à ces deux concepts, en
garantissant une certaine prévisibilité aux contribuables. Ces mesures peuvent
être axées sur deux volets, l’un concerne la limitation du pouvoir
d’appréciation de l’administration fiscale (1), et l’autre a trait principalement à
l’engagement sans faute de la responsabilité de l’Etat du fait des lois (2).

279
T. PIAZZON, Op. Cit.p. 425
280
Jean Carbonnier, Droit et passion du droit, Flammarion, coll. « Forum », 1996, Paris, p. 125.

150
1- Limitation du pouvoir d’appréciation de l’administration fiscale
Comme nous l’avons démontré précédemment281, l’administration fiscale a
vu son pouvoir d’appréciation se développer au fil du temps, au point de
rompre toute égalité entre le fisc et le contribuable, et d’élargir la zone de
l’insécurité de ce dernier. Toutefois, ce développement n’a pas été
accompagné par des mesures législatives en mesure d’encadrer l’action
interprétative de l’administration fiscale. Ainsi, aucune disposition législative ne
permet de contrôler les répercussions des revirements des interprétations ou
des prises de position de l’administration fiscale sur la prévisibilité du
contribuable, notamment lorsqu’elle lui fait supporter de nouvelles charges
inattendues.

Devant cette situation, et face à l’incompatibilité du principe de confiance


légitime avec le droit marocain, il importe de réformer notre droit fiscal, en se
référant ainsi à certains mécanismes juridiques à caractère subjectif, emprunté
au droit fiscal français.

a- Les articles L80A et L80B du livre des procédures fiscales


français

L’adoption de ces deux articles n’est pas nouvelle, elle remonte au 26


décembre 1959, date de la promulgation de la loi n°59-1472. Il s’agit d’une
garantie qui protège le contribuable français contre non seulement l’effet
rétroactif du changement de l’interprétation de l’administration (l’article L 80
A), mais aussi, contre l’appréciation des situations de fait par le fisc (l’article L
80 B).

281
V. supra, Partie I - chapitre I - section I- paragraphe 2. p.35.

151
Ainsi, aux termes de l’article L80A du livre des procédures fiscales (LPF) : « il
ne sera procédé à aucun rehaussement d'impositions antérieures si la cause du
rehaussement poursuivi par l'administration est un différend sur
l'interprétation par le redevable de bonne foi du texte fiscal et s'il est démontré
que l'interprétation sur laquelle est fondée la première décision a été, à
l'époque, formellement admise par l'administration.

Lorsque le redevable a appliqué un texte fiscal selon l'interprétation que


l'administration avait fait connaître par ses instructions ou circulaires publiées
et qu'elle n'avait pas rapporté à la date des opérations en cause, elle ne peut
poursuivre aucun rehaussement en soutenant une interprétation différente.
Sont également opposables à l'administration, dans les mêmes conditions, les
instructions ou circulaires publiées relatives au recouvrement de l'impôt et aux
pénalités fiscales. »

Il apparaît clairement que le législateur français a voulu par cet article


permettre au contribuable de se prévaloir d’une interprétation favorable,
abandonnée par l’administration fiscale. Il est donc en mesure d’opposer à
l’administration son interprétation initiale282, car même si la doctrine
administrative n’a pas de force obligatoire, elle peut être créatrice de droit
pour le contribuable.

Il ne s’agit pas ici de l’une des applications de la notion du "droit acquis"


quant au maintien d’une doctrine administrative, parce que rien n’interdit à
l’administration de remettre en cause une interprétation, mais on peut
qualifier ce mécanisme juridique "d’un droit de profiter pour le passé d’une
doctrine in favorem".

282
L’inverse n’est pas possible, c’est-à-dire que l’administration ne peut opposer son interprétation aux
contribuables.

152
Par ailleurs, à l’instar des lois fiscales, une doctrine administrative ne peut
être qualifiée de rétroactive qu’en se référant au critère du fait générateur de
l’impôt. Autrement dit, l’administration ne peut exiger une imposition
supplémentaire en se basant sur une nouvelle interprétation de la loi fiscale
intervenue après le fait générateur de l’impôt. Ainsi, le contribuable ayant fait
l’objet d’une taxation d’office à la suite d’une omission de déclaration, ne peut
invoquer le bénéfice de l’article L 80 A du LPF.

A la différence du premier alinéa, le second alinéa de cet article exige que


l’interprétation de l’administration invoquée par le contribuable soit publiée.
Le procédé de publication importe peu, puisque la loi n’en donne aucune
précision. L’interprétation en question peut être ainsi publiée soit sur le portail
Web de l’administration soit dans les journaux. Mais à défaut de publication, le
contribuable pourra recourir au premier alinéa si tout de même les conditions
requises sont remplies.

On peut assimiler aux interprétations doctrinales, les appréciations


données par l’administration à la suite d’une situation de fait ou à l’occasion
d’une réponse dans le cadre de la procédure de rescrit. A cet effet, rien
n’interdit à l’administration fiscale de modifier son analyse sur une situation de
fait. Ce que l’article L 80 B du LPF lui interdit en revanche, c’est de revenir
rétroactivement sur sa position, en faisant supporter au contribuable des
charges supplémentaires dues à une nouvelle lecture des textes fiscaux.

Les conditions de mise en œuvre de l’article L 80 B sont calquées sur celle


de l’article L 80 A. Ainsi, la prise de position doit tout d’abord être formelle,
c’est-à-dire résulter d’une décision écrite, signée par un fonctionnaire qualifié
pour engager l’administration, son silence ne peut donc être considéré comme
une prise de position formelle, sauf en matière de rescrit. De plus,

153
l’appréciation de l’administration fiscale doit être antérieure à la date de dépôt
de la déclaration ou en l’absence d’obligation déclarative, à celle du paiement.
Enfin, la décision doit concerner le contribuable lui-même, de sorte qu’il ne
peut s’inspirer des exemples similaires à sa situation283.

En définitive, il faut noter que même si le législateur français a essayé de


garantir la prévisibilité du contribuable contre le changement rétroactif d’une
doctrine administrative, au moyen des articles L 80 A et L 80 B du LPF, les
conditions de leur mise en œuvre les rendent difficilement invocables. Selon M.
SERLOOTEN : « on remarquera que selon des études effectuées, la doctrine
administrative ne serait reconnue opposable à l’administration que dans 5 %
des cas où elle est invoquée devant le juge fiscal. Ce chiffre témoigne du
caractère le plus souvent illusoire de la garantie apportée au contribuable par
l’article L. 80 A du livre des procédures fiscales».284

Mis à part la pertinence de ces critiques, l’adoption de ces deux articles par
le législateur français a octroyé « aux contribuables une sécurité juridique
indéniable, en leur garantissant pour le passé une certaine permanence des
solutions administratives285 ». Il serait donc plus critiquable de priver le
contribuable marocain de telles garanties, sachant que l’objectif principal
derrière leurs adoption n’était que d’« éviter la procédure longue du
contentieux de la responsabilité en offrant au contribuable par la décharge du
redressement auquel prétend l’administration, une indemnisation forfaitaire
du préjudice qu’il aurait subi s’il avait conservé son droit de reprise286 ».

283
Patrick SERLOOTEN : Droit fiscal des affaires, Précis Dalloz, 2013, n° 16, p. 16
284
P. SERLOOTEN, Op. Cit. n°14, p. 14.
285
O. DEBAT Op. Cit.. n° 357 p. 266
286
Benoît DELAUNAY, "Faut-il reconnaître un principe de confiance légitime en droit fiscal ? " In Sécurité
fiscale, sous la direction de Jacques Buisson, éd L'HARMATTAN, Paris, 2011, p. 73

154
b- La responsabilité de l'administration pour avoir induit le
contribuable en erreur

C’est l’une des meilleures alternatives au principe de la confiance légitime,


qui emprunte les voies classiques de la responsabilité délictuelle, tout en
offrant au contribuable une bonne protection contre les revirements
d’interprétation par l’administration.

Il ne faut pas nier que le contribuable agit en homme prudent et avisé


lorsqu’il suit les orientations de l’administration fiscale. Par ce comportement,
on dit qu’il agit en bon père de famille. L’administration pourrait ainsi voir sa
responsabilité mise en jeu si elle décide un jour de revenir sur une
interprétation donnée au contribuable. Elle peut ainsi engager sa responsabilité
pour faute si elle induit les contribuables en erreur, soit en leur donnant des
renseignements erronés, soit en prenant à leur égard des promesses ou
engagements illégaux qu’elle ne tient pas, lorsqu’il en résulte un préjudice.
C’est le cas du « maire d’une commune qui s’est engagé vis-à-vis d’un
contribuable à ce que ce dernier bénéficie d’une exonération fiscale, alors que
le conseil municipal a finalement voté un dispositif ne permettant qu’une
exonération pour moitié de l’imposition en cause engage la responsabilité de la
commune sur le terrain de la faute simple en raison de la promesse non
tenue 287».

Ce type de responsabilité sans faute de l’administration fiscale par l’effet du


changement d’une interprétation, ne diffère pas beaucoup de la responsabilité
de l’Etat du fait des lois, quant aux modalités de leur mise en œuvre et leurs
effets protecteurs des droits du contribuable.

287
B. DELAUNAY, article précité, p. 72.

155
2- La responsabilité sans faute de l’Etat du fait des lois
Décidément, « nul n’a droit au maintien de la réglementation qui lui est
appliquée 288», il n’y a donc aucun droit acquis pour l’avenir au maintien d’une
législation ou d’une réglementation. Mais cela n’empêche pas qu’un
changement législatif peut être préjudiciable à un contribuable, c’est le cas
notamment de l’augmentation de la charge fiscale d’un contribuable à la suite
d’un changement imprévisible de l’impôt. C’est dans le but de permettre au
contribuable d’obtenir une réparation de ce préjudice que le juge français a
inventé un nouveau type de responsabilité de la puissance publique, engagée
sans faute, dans le cadre de l’exercice de son pouvoir législatif289. Il s’agit tout
simplement, de la réparation du préjudice causé par un acte juridique de l’État,
élaboré à l’occasion de l’accomplissement de son activité législative.

Cependant, l’indemnisation du préjudice subi par le fait d’une


réglementation n’est pas absolue. En effet, la jurisprudence française exige que
la nouvelle loi ait causé au sujet de droit un préjudice anormal et spécial, et
qu’un intérêt général prééminent ne s’oppose pas à cette indemnisation ou
que la loi ne l’ait pas expressément exclu290.

En définitive, le principe de la responsabilité de l’Etat législateur est l’un des


manifestations indirectes du droit à la sécurité juridique, puisqu’il permet au
juge de recourir à des moyens d’examens subjectifs. Ce qui a pour effet de
heurter de nouveau le principe de la légalité, éminemment sacré en droit

288
Le conseil d’Etat français, Rapport public de l’année 2006, p. 293.
289
C’est l’arrêt SA des produits laitiers « La Fleurette » qui marque le point de départ de la consécration du
principe de la responsabilité de l’Etat par le fait des lois, il retrace les traits et les aspects fondamentaux de ce
principe. (CE, Ass., 14 janvier 1938, SA des produits laitiers « La Fleurette », rec. p. 25, Grands arrêts de la
jurisprudence administrative, Dalloz, 15e édition, 2005, n° 52, p. 319)
290
• Marceau LONG, Prosper WEIL, Guy BRAIBANT, Pierre DELVOLVE, Bruno GENEVOIS,, Les
grands arrêts de la jurisprudence administrative, Dalloz, 18e édition 2011, Paris,variation p. 312.

156
français, d’où l’intérêt de recourir à des moyens objectifs pour le
rétablissement, et la sauvegarde de la prévisibilité du contribuable.

§ 2- Les moyens objectifs voués à la préservation de la


prévisibilité du contribuable
La principale leçon qu'on peut tirer de l'opportunité de la consécration des
moyens subjectifs de protection de la sécurité juridique du contribuable, c’est
de ne pas sacrifier la lisibilité et la cohérence de notre ordre juridique, en vue
de sauvegarder quelques intérêts individuels. Il existe autant de mécanismes
classiquement utilisés par notre droit destinés à assurer directement ou
indirectement la sécurité juridique du contribuable. Il s'agit de quelques
applications concrètes du principe général de la sécurité juridique, caractérisé
par son objectivisme, en faisant appel à des méthodes nettement abstraites291,
permettant au juge d’en tirer l’une de ces deux conclusions : soit la norme
fiscale est accessible et prévisible pour tous soit elle ne l'est pas.

Ce caractère objectif du principe de la sécurité juridique a poussé certains


auteurs à opter pour sa consécration constitutionnelle en tant que principe
objectif. A cet effet, « elle ne représenterait pas un droit subjectif directement
invocable par les particuliers, mais permettant au juge constitutionnel de
vérifier que les dispositions prises par le législateur répondent aux exigences
qui relèvent de la sécurité juridique 292». D’autres auteurs en revanche,
contestent la formalisation de ce principe, à cause de son caractère imprécis,
ayant un contour flou dont on est incapable de cerner les limites, tel est le cas
de toutes les « notions fonctionnelles qui ne peuvent être ni limitées par les

291
O. DEBAT Op. Cit., n°479, p349
292
Bertrand MATHIEU, "Liberté contractuelle et sécurité juridique : les oracles ambigus des sages de la rue de
Montpensier", Les Petites Affiches, 7 mars 1997, n° 29, p. 7. Voir aussi sur le même sujet, la thèse publiée de
Madame Anne-Laure VALEMBOIS, La constitutionnalisation de l'exigence de sécurité juridique en droit
français, Paris, L.G.D.J; Collection Thèses, 2005.

157
théories ni encadrées par les définitions293». C'est dans ce sens qu'il ressort des
propos de M. DOUET que « …la sécurité juridique est un concept polysémique.
Dès lors, en admettant que le Conseil Constitutionnel contrôle purement et
simplement la non-conformité de la loi fiscale au principe de la sécurité
juridique, cela l'obligerait à dépasser très largement le cadre qu'il s'est imparti.
De plus, il s'agit d'un terme générique englobant des acceptions susceptibles de
mettre en jeu des intérêts contradictoires294 ». À partir de ce constat, on peut
déduire les causes de l'absence d'un principe fondamental de la sécurité
juridique dans le droit positif marocain. Néanmoins, on ne peut pas nier
l'existence d'un impératif fondamental de sécurité juridique, autour duquel se
cristallise un ensemble d'applications ponctuelles du principe de la sécurité
juridique (A) sous forme de principes constitutionnels et mécanismes
juridiques. Toutefois, le recours à ces "sous-principes" demeure insuffisant
pour protéger le contribuable marocain contre l'imprévisibilité de la norme
fiscale, d'où l'intérêt de se référer aux expériences étrangères dans ce domaine
afin de lutter efficacement contre cette pathologie qui affecte les normes
fiscales au Maroc (B).

A- Les manifestations ponctuelles du principe de la sécurité juridique dans le droit


marocain
Manifestement, notre droit positif est riche en mécanismes juridiques
issues du principe général de la sécurité juridique, et ayant pour vocation de
renforcer la prévisibilité du contribuable. Ainsi, l'un des composants essentiels
du principe de la sécurité juridique est la non-rétroactivité des lois, qui est un
principe constitutionnel figurant dans toutes les versions de la loi suprême du
293
Abdelmadjid DJEBBAR, "Le Conseil Constitutionnel et la sécurité juridique", in La semaine juridique -
Actes du colloque d’Alger 9-10 décembre 2012- Édition Générale - supplément Au N° 27 - 1er juillet 2013, p.
23
294
Frédéric DOUET, Contribution à l'étude de la sécurité juridique en droit fiscal interne français, bibliothèque
du droit privé, Tome 280 LGDJ, 1997 n°200 p. 127

158
pays depuis son indépendance (1), sauf qu'en pratique, il paraît que ce principe
est impuissant devant les lois rétrospectives et les doctrines administratives à
effet rétroactif. Un autre principe fondamental de notre droit, aussi ancien que
le précédent, a pour but de protéger la sécurité juridique du contribuable à
travers l’encadrement du droit de reprise de l'administration fiscale. Il s'agit du
dispositif de la prescription (2) corollaire au droit du contribuable à l'oubli.
Toutefois ce principe est de moins en moins efficace, face à la l’envahissement
des dérogations légales. La troisième place sera réservée à un nouvel outil de
garantie de la prévisibilité du contribuable, caractérisé par la contractualisation
de la relation fisc/contribuable à travers l’introduction du mécanisme de
l’accord préalable sur les prix de transfert (3).

1- Le principe de la non-rétroactivité des lois


On a pu décortiquer auparavant la portée et les limites du principe de la
non-rétroactivité des lois sur les lois fiscales, en exposant la solution retenue
par le Conseil Constitutionnel en vue de nuancer le caractère absolu de cette
interdiction constitutionnelle. C’est dans cet objectif que ce conseil avait
recouru à la notion de l'intérêt général pour permettre d’adopter des lois à
effet rétroactif, en s’alignant ainsi à certains Etats étrangers ayant opté pour
cette solution, comme la Belgique, où la jurisprudence subordonne la
constitutionnalité des lois fiscales rétroactives à l’existence d’une justification
objective et raisonnable, en plus d’une exigence de proportionnalité au but
légitime poursuivi. Il en est aussi de l'Allemagne, où les lois fiscales rétroactives
sont considérées comme inconstitutionnelles par la Cour constitutionnelle de
Karlsruhe « sauf lorsque la loi vise à confirmer une situation juridique remise en
cause par la jurisprudence (cas des lois de validation), à clarifier une situation

159
juridique trouble ou confuse, à annuler des situations juridiques caduques ou à
satisfaire des motifs impératifs d’intérêt général295».

Sauf que malgré cette position du Conseil Constitutionnel marocain,


l'efficacité du principe de non-rétroactivité n'a pas été anéantie, ce qui est
prouvé par l'absence totale des lois de validation, qui fleurissent dans de
nombreux pays comme la France, malgré leur caractère fortement décrié par la
doctrine. Il en est aussi des lois "faussement interprétatives", qui cachent en
réalité une disposition rétroactive, afin de contourner une interprétation
jurisprudentielle susceptible d'occasionner des pertes de ressource pour le
Trésor.

Cependant, l’interdiction de la non-rétroactivité des lois s'est montrée


impuissante devant le phénomène de la rétroactivité de fait, appelé également
"rétrospectivité". À vrai dire, la prohibition qui découle du quatrième alinéa de
l'article 6 de la constitution est sans effet sur les lois rétrospectives, constituées
principalement par les lois de finances. C’est l’application de l’effet immédiat
des lois qui crée une situation de rétroactivité lors de l’entrée en vigueur d’une
nouvelle loi de finances, en heurtant par là même le principe des droits
acquis296.

A l’instar des lois rétrospectives, le principe de la non-rétroactivité des lois


ne peut non plus s'appliquer aux instruments administratifs, tels que les
circulaires, notes de service et les avis émis à la suite d'une demande de
clarification par le contribuable. En effet, l'interdiction de l'article 6 ne peut

295
Rapport B. Gibert, Op. Cit, p 72
296
Cette problématique juridique a été explicitement exposée plus haut, v. Supra : Première partie/chapitre 1/
section1/ Paragraphe 1/A- la rétroactivité des lois de finances. P.21

160
concerner que les lois, et ne peut pas par conséquent être étendue par
analogie à la doctrine administrative.

Devant l’impuissance du principe de la non-rétroactivité des lois face aux


lois rétrospectives et également face à la doctrine administrative à effet
rétroactif, il faudrait penser à adopter d’autres techniques juridiques, capables
de préserver la prévisibilité du contribuable297.

Toutefois, en dépit de ces insuffisances, le caractère protecteur du principe


constitutionnel de la non-rétroactivité des lois est incontestable. À la différence
de la France où la non-rétroactivité des lois ne joue que dans certains cas précis
comme en matière de prescription extinctive298.

2- Le principe de la prescription
Il s'agit d'une règle fondamentale du droit qui permet au contribuable de
mettre fin à une situation d'incertitude. Il symbolise le droit à l'oubli, qui a pour
effet de contribuer à la paix sociale et à la stabilité des situations. Selon une
formule très ancienne qui remonte à l'époque de l'Empire romain, Cassiodore
avait considéré que « la prescription est la protectrice du genre humain
introduite pour l’utilité publique299». C'est donc une technique qui répond à
l’origine à un souci de sécurité juridique à travers l'encadrement du droit de
reprise de l'administration fiscale300 tout en ayant pour vocation générale de
rétablir une justice fiscale et d’asseoir l'égalité entre les citoyens.

297
On aura l’occasion de citer quelques techniques juridiques issue du droit comparé, dédié à la préservation de
la prévisibilité du contribuable, Cf. infra : Deuxième partie/ Chapitre 1/ Section 1 p.138
298
V. Supra : Première partie/chapitre 1/ section1/ Paragraphe 1/B-/1- La rétroactivité des lois fiscales en France.
P.29
299
"Le régime des prescriptions civiles et pénales", Rapport d'information du Sénat français, Par MM. Jean-
Jacques HYEST, Hugues PORTELLI et Richard YUNG, session ordinaire 2006-2007, p. 7
http://www.senat.fr/rap/r06-338/r06-3381.pdf , consulté le 16/10/2014 à 9:46
300
Régi par l'article 232 du C.G.I.

161
Le délai de reprise «correspond à une période de temps au-delà de laquelle
l’administration fiscale ne pourra plus rectifier les déclarations du contribuable
et procéder à un redressement fiscal301». En d’autres termes, il s'agit d'une
prescription extinctive qui fait éteindre le droit de regard rétrospectif de
l'administration, après l'écoulement d'un laps de temps. Sauf que ce dernier est
loin d'être homogène. En effet, on assiste de nos jours à une multiplication
d'exceptions au délai légal de prescription prévu par l'article 232 du C.G.I., qui
interviennent généralement à titre de sanction. Ainsi, la prescription ne fait pas
échec au droit de reprise dévolu à l'administration concernant les périodes
prescrites, en matière d’I.S., d’I.R ou de T.V.A., dans de nombreux cas, on cite à
titre d'exemple, en matière des droits d'enregistrement et de timbres,
l’administration peut réclamer dans un délai de dix (10) ans à compter de la
date des actes concernés, les droits, pénalités, amendes et majorations dus,
lorsque les actes et conventions objet de l'impôt n'ont pas été enregistrés.

On peut évoquer un autre exemple pour confirmer cette nouvelle tendance


dérogatoire au délai de prescription de 4 ans. Ainsi une disposition de portée
générale a été récemment introduite, en vertu de l’article 8 de la loi de
finances 2016302, en vue d’incorporer un 15ème paragraphe dans l’article 232 du
C.G.I., selon lequel : « Les droits dus ainsi que la pénalité et les majorations y
afférentes, dont sont redevables les contribuables n’ayant pas déposé leur
déclaration, sont exigibles en totalité pour toutes les années n’ayant pas fait
l’objet de déclaration, même si le délai de prescription a expiré. Toutefois, ce
délai ne peut être supérieur à dix (10) ans».

301
Didier REINS, "Le droit de reprise ou la prescription fiscale", in le Site Web : Le Village de la
justice,http://www.village-justice.com/articles/droit-reprise-prescription-
fiscale,15858.html#syMMPhsRzwKsU60I.99, consulté le 16/10/2014 à 10:31
302
Publié au B.O. n° Nº 6423 Bis du 21-12-2015, p. 4844

162
En dernière analyse, on peut affirmer que malgré les effets pervers de cette
nouvelle tendance de multiplication des dérogations par le législateur
marocain, la règle de la prescription reste une bonne garantie objective de la
sécurité fiscale du contribuable, puisqu'elle permet toujours de promouvoir le
respect de ses prévisions légitimes, et par conséquent la protection de ses
droits acquis.

3- Les accords préalables sur les prix de transfert


Afin de conquérir des marchés étrangers, les opérateurs économiques
entreprennent des relations transfrontalières leur permettant d’élargir le
champ de commercialisation de leurs services et produits. Dans ce but les
entreprises recourent à des techniques de délocalisation, en installant des
bureaux et filiales à l’étranger ou en créant un département central du groupe
localisé dans une filiale qui intervient au profit de plusieurs entreprises du
groupe.

Cette internationalisation des structures économiques pose


traditionnellement un problème fiscal liée à la détermination du bénéfice
imposable : il s’agit de la localisation géographique des bénéfices réalisés par
les entreprises opérant dans plusieurs pays, qui est désigné sous la
dénomination de la fixation du prix de transfert.

Pour l’administration fiscale, «les multinationales qui délocalisent


s’inscrivent toutes dans une optique d’optimisation fiscale303», les entreprises
cherchent à transférer leur bénéfice là où le taux d’imposition est faible, en
profitant des conventions internationales limitant la double imposition. C’est

303
Propos de l’ex directeur de la DGI M. Abdellatif Zaghnoun, recueillis par Moussa Diop : "Fiscalité : Prix de
transfert, informel et relations contribuable-fisc au menu " in la nouvelle tribune, , https://lnt.ma/fiscalite-
chambre-de-commerce-belgo-luxembourgoise-et-de-laec-prix-de-transfert-informel-et-relations-contribuable-
fisc-au-menu/ consulté le 24/04/2017 à 17 :08

163
une sorte d’évasion fiscale pouvant générer une perte de ressource importante
pour l’Etat.

Prenant conscience de ces enjeux, les administrations fiscales ont renforcé


leur contrôle sur les transactions intra-groupe afin qu’il n’y ait pas d’évasion
fiscale. « Dès l'instant où des marchandises ou des services sont vendus ou
rendus entre entités d'un même groupe, les administrations fiscales veillent à
ce que les modalités opératoires et les rémunérations soient celles de "la pleine
concurrence", à savoir comme si tout se passait entre parties
indépendantes304». Autrement dit, l’administration fiscale se borne à examiner
la politique des prix de transfert des entités appartenant à un groupe situé
dans des Etats différents, pour s’assurer que les prix des marchandises, des
services et des actifs vendus ou échangés sont bien ceux du marché comme s’il
s’agit d’une relation entre entités indépendantes.

On en conclut que l’enjeu principal des pays est de « protéger leur base
d’imposition, sans pour autant créer des doubles impositions ou une insécurité
juridique susceptibles d’entraver l’investissement direct étranger et les
échanges internationaux 305».

Le défi majeur des multinationales au Maroc réside dans l’obligation du


respect, à la fois des législations régissant la matière fiscale que celle du
change. Or, sur la question des prix de transfert, les règles des deux matières
sont hétérogènes. Ainsi, « pour le même produit, les brigades de l’Office des

304
Paradis fiscaux et opérations internationales : Mesures anti-évasion / Lutte contre le blanchiment / Pays et
zone à fiscalité privilégiée. 4e Ed. de Francis Lefebvre, 2005, p. 501
305
"Législation sur les prix de transfert – proposition d’approche". Document préparé par le Secrétariat de
l’OCDE, Juin 2011, p. 2, http://www.oecd.org/fr/ctp/prix-de-transfert/46667779.pdf , consulté le 15/02/2016 à
11:49.

164
changes et des impôts appliquent chacune leur propre référence306 », ce qui
crée une sorte d’insécurité lors de l’établissement d’une politique de prix de
transfert par les multinationales.

En réaction contre cet effet d’insécurité juridique, et dans le cadre de la


mise en œuvre des recommandations des assises nationales sur la fiscalité de
2013, le législateur marocain a introduit, lors de l’adoption de la loi de finances
2015, un nouveau mécanisme « permettant aux entreprises ayant des liens de
dépendance avec des sociétés étrangères de conclure un accord préalable sur
les prix de transfert conformément au principe de pleine concurrence307 ». A ce
titre deux articles (234 bis et 234 ter) ont été ajoutés au Code Général des
Impôts, régissant le champ d’application, la durée de l’accord et les garanties
des deux parties à la suite de la conclusion de cet accord.

L’introduction de ce nouveau dispositif contribuera sans doute au


renforcement de la prévisibilité du contribuable, sauf que sa mise en œuvre
effective dépend de l’adoption d’un texte règlementaire, qui définira les
modalités de la conclusion de ces accords, comme le type d’informations
exigées pour la signature de l’accord, le déroulement des discussions avec le
fisc.

Au total, on peut conclure que la contractualisation des rapports entre le


fisc et le contribuable reste le meilleur moyen pour créer un climat de
confiance entre les deux protagonistes, leur assurant ainsi une prévisibilité
mutuelle, c’est pour cela que beaucoup de pays ont développé des techniques
contractuelles ne se limitant pas au seul domaine du prix de transfert.

"Prix de transfert : La double peine", in L’économiste Édition N° 4211 12/02/2014


306
307
Note circulaire n° 724, relative aux dispositions fiscales de la loi de finances n°100-14 pour l'année
budgétaire 2015, p38.

165
B- Quelques techniques juridiques de la préservation de la prévisibilité du
contribuable en droit comparé
L’analyse des systèmes fiscaux comparés nous a enseigné une multitude de
méthodes et de techniques, permettant de promouvoir la prévisibilité du
contribuable. Nous allons examiner quelques-uns en deux subdivisions, la
première concerne les moyens juridiques permettant au contribuable de
sécuriser ses transactions contre le volte-face du fisc à travers l’instauration
d’un système de consultation préalable (1). Quant au second, il sera réservé à
l'adoption de certaines mesures législatives d'accompagnement pour les
normes fiscales nouvelles pour limiter le mal de l'instabilité de la législation
fiscale (2).

1- La consultation préalable de l'administration fiscale


Le germe de complexité qui touche la matière fiscale est l'une des causes
majeures de l’imprévisibilité du contribuable. Cependant, malgré l'intervention
de l'administration fiscale par le biais de la publication annuelle d'une note
circulaire interprétative des nouvelles dispositions de la loi de finances, la
complexité des lois ne fait que s'aggraver, en raison du décalage qui existe
entre le texte initial et l'interprétation retenue par le fisc. On peut citer
l'exemple de l'article 10-I-F-1° du Code Général des Impôts qui prévoit que
« …la déduction des dotations aux amortissements est effectuée dans les
limites des taux admis d’après les usages de chaque profession, industrie ou
branche d’activité… ». On déduit des termes de cet article que l’entreprise a le
droit d’appliquer un taux spécifique pour chaque branche d’activité. Or dans la
pratique, l’inspecteur des impôts suit les consignes de l'administration fiscale
qui impose plusieurs taux dans sa circulaire, abstraction faite de la nature de
l’activité.

166
Cet exemple illustre parfaitement les conflits d’interprétation pouvant
surgir entre le fisc et le contribuable, d'où l'intérêt d'adopter une procédure de
consultation préalable similaire à la procédure "de prise de position formelle"
en France appelée également "Rescrit fiscal", ou au "système des décisions
anticipées en matière fiscale" en Belgique communément désigné: "Ruling
fiscal".

a- Le rescrit fiscal en France

L'introduction du rescrit en France remonte au 8 juillet 1987, date à


laquelle la loi n° 87-502 a été adoptée, en se conformant aux recommandations
de la commission dite Aicardi308. Son objectif est de sécuriser le contribuable
quand celui-ci conclut un contrat, signe une convention ou se livre à certaines
transactions. Il se définit « comme un mécanisme, dont l'initiative est à la
discrétion d'un contribuable, lui permettant d'obtenir un diagnostic, un avis,
une opinion juridique parfois protecteur mais jamais contraignant, sur sa
situation fiscale au regard d'un texte fiscal309 ». Cette prise de position de
l'administration doit être formelle, et peut concerner tous les impôts, droits
taxes figurant dans le Code Général des Impôts. Cependant, elle est exclue en
matière de procédures de contrôle fiscal, d'obligation comptable ou de
modalités d'application des pénalités310. Par ailleurs, il faut signaler que
l'opinion émise par l'administration n'a aucune portée juridique, puisqu'elle
n'est pas contraignante pour le contribuable lorsqu'elle lui est défavorable. Ce
dernier « conserve [ainsi] le choix de s'y conformer ou non, cependant qu'il

308
V. le Rapport dit AICARDI, sur "L'amélioration des rapports entre les citoyens et les administrations fiscales
et douanières", Rapport au ministre d'Etat de l'Economie, des Finances et de la privatisation, Paris, La
Documentation française, 1986
309
Jean-Pierre LIEB et Richard HEURTIER, "Propos introductif à la sécurité juridique en matière fiscale ", in
Sécurité fiscale, sous la direction de Jacques BUISSON, Ed L'Harmattan Paris, 2011, p. 26
310
Thierry LAMBERT, "La sécurité fiscale du contribuable vis-à-vis de l'administration ", in Sécurité fiscale,
sous la direction de Jacques BUISSON, Ed L'Harmattan Paris, 2011, p.160

167
n'existe aucune sanction à son endroit inscrite dans la loi s'il ne s'y conforme
pas311 ».

Par ailleurs, on assiste de nos jours à une évolution considérable du


système du rescrit fiscal en France. Il existe désormais une typologie de rescrit
qui varie en fonction de son objet. Ainsi pour ne pas les citer tous, nous allons
les classer en deux catégories :

- Un rescrit dit général, selon lequel l'administration est invitée à prendre


formellement position sur l'appréciation d'une situation de fait au regard d'un
texte fiscal quelconque, mais sans être juridiquement tenue de déférer à cette
demande.

- Des rescrits dits spécifiques312, institués dans des domaines limitativement


énumérés par le législateur, qui obligent l'administration à se déterminer dans
un délai précis (entre 2 et 6 mois selon les cas) dont l'irrespect déclenche le
bénéfice de la garantie prévue par le premier alinéa de l'article L. 80 A.

De façon générale, l'adoption du mécanisme du rescrit est de nature à


«garantir une meilleure sécurité juridique et d'apporter une limite au droit de
reprise de l'administration en lui interdisant de procéder à des rehaussements
contraires à ses propres prises de position formelle sur l’interprétation d’un
texte fiscal313». C’est cependant cette dernière caractéristique qui fait la
distinction entre le rescrit fiscal314 en France et le ruling fiscal en Belgique. En

311
J-Pi LIEB et R HEURTIER Op. Cit. p. 26
312
Le rescrit « amortissements exceptionnels», le rescrit « entreprise implantée en zones franches urbaines », le
rescrit « crédit d’impôt recherche », le rescrit « jeunes entreprises innovantes et jeunes entreprises universitaires
», le rescrit « pôle de compétitivité », le rescrit établissement stable, le rescrit « qualification de vos revenus », le
rescrit « mécénat », le rescrit valeur, le rescrit « abus de droit », les accords préalables en matière de prix de
transfert...
313
L’instruction administrative de la direction générale des finances publiques n°13 L-11-10 du 9 septembre
2010 (Bulletin officiel des impôts n°86 du 4 octobre 2010) concernant la procédure du Rescrit.
314
On ajoute le qualificatif de "fiscal" pour le distinguer du rescrit social

168
effet, à la différence de la France, le service des impôts belge est habilité à
contester un ruling pris en violation de la loi, en invoquant l'ordre public. Le
principe de la sécurité juridique ne peut servir de base pour obtenir
l'application d'un ruling contra legem.

b- Le ruling fiscal en Belgique

Instauré par la loi du 24 décembre 2002315, le ruling fiscal est un système de


consultation préalable, caractérisé par la promotion du dialogue entre
l’administration et le contribuable, en renforçant par conséquence, la
prédictibilité du contribuable sur les conséquences fiscales des opérations ou
des situations envisagées par lui. C'est dans ce but que l’article 20, alinéa 1er, de
la loi du 24 décembre 2002, prévoit que « le Service public fédéral Finances se
prononce par voie de décision anticipée sur toute demande relative à
l’application des lois d’impôts qui relèvent de ses compétences ou dont il
assure le service de la perception et du recouvrement ». Le ruling concerne
donc toutes les demandes relatives à tous les impôts directs, indirects et taxes
assimilées.

Par ailleurs, il faut noter que l’adoption de cette loi n’est pas le point de
départ de ce type de garantie pour le contribuable, à vrai dire il existe depuis
longtemps en Belgique deux systèmes de consultation préalable : l'un porte sur
les décisions anticipées et l'autre sur un système d'accords fiscaux préalables.
Mais l'application de ces systèmes a dévoilé au fil du temps leurs défauts
pratiques, particulièrement dus à leur portée limitée et à leur incohérence.
Ainsi, on remarque que les décisions prises par les commissions des accords
fiscaux préalables « sont souvent prises dans des sens différents, alors même

315
Voir le site du service des décisions anticipées en matière fiscale, au sein du Service public fédéral Finances
http://www.ruling.be/Legislation.htm consulté le 09/06/2016 à 11:45

169
que les situations de fait exposées à la commission sont apparemment
identiques316». Il fallait donc penser à réformer ces deux systèmes par un autre
plus efficace, uniforme et cohérent, d’où l’adoption en 2002 du système de
décision anticipée en matière fiscale, dont la procédure ce présente en
pratique comme suit : « le demandeur et le Service public fédéral Finances
déterminent d'un commun accord et de manière préalable les opérations qui
doivent être effectuées pour que la décision anticipée produise ses effets et
celles qui ne peuvent être réalisées sous peine de rendre la décision anticipée
caduque. Une décision favorable peut donc être subordonnée à des conditions
et restrictions précises… Un tel accord ne forme pas pour autant un contrat
mais un cadre convenu d’exécution d’un engagement unilatéral conditionnel :
le respect des opérations décrites vaut engagement de la part de
l’administration de ne pas dénoncer la décision anticipée et garantit au
demandeur le droit au régime fiscal précisé dans l’accord, moyennant le
respect de toutes les conditions prévues à cet effet à l’occasion de la réalisation
de l’opération317 ».

En dernière analyse, mis-à-part le fait que cet accord n’engage pas le fisc s’il
enfreint la loi, il paraît que ce système présente plus d’avantages que le rescrit
fiscal en France318, dans la mesure où il donne plus de marge à la concertation
et au dialogue entre le contribuable et le fisc, ce qui a pour effet en premier
lieu de limiter la part d'incertitude du redevable et de promouvoir en second
lieu, le consentement à l'impôt. Ce même objectif est également derrière

316
Roland FORESTINI et Roland ROSOUX, "Les décisions anticipées en matière fiscale en Belgique : pourquoi
et comment changer le régime applicable ? " in Revue général du contentieux fiscal, éd LARCIER 2002/1, p. 34
317
R. FORESTINI et R. ROSOUX, Article précité, p. 35
318
A l’exception de la possibilité de remise en cause par l'administration fiscale belge de son interprétation
devant le tribunal, si elle s'est avérée contraire à la loi.

170
l’adoption de quelques mesures législatives d'accompagnement pour les
normes fiscales nouvelles.

2- Les mesures législatives d'accompagnement pour les normes


fiscales nouvelles
Un bon système fiscal est celui qui garantit une certaine stabilité au
contribuable afin de préserver sa sécurité fiscale. Ainsi, « l'instabilité du
système laisse au contribuable l'impression d'une remise en question
permanente des règles du jeu et dont il estime être la perpétuelle victime319».

Cette instabilité est causée le plus souvent par les modifications incessantes
introduites chaque année par les lois de finances, ajouté à cela leur caractère
rétrospectif qui peut remettre en cause des situations stables et répétitives.

Il n'est pas question à ce niveau de plaider pour le "conservatisme excessif"


en réclamant que les normes fiscales soient figées dans le temps, car la stabilité
ne signifie pas le statisme. À vrai dire personne ne conteste que la règle de
droit gagne plus d'autorité par son ancienneté, mais cela ne justifie pas
l'immobilisation du droit en écartant toute possibilité d'adaptation et de
flexibilité. De plus « le concept de sécurité juridique ne saurait en effet
constituer […] un habillage moderne du conservatisme juridique, un
mécanisme institutionnalisé de protection des situations acquises, même
injustes, au nom de la stabilité de la règle de droit320 ».

Il importe donc d'adopter une position centriste entre le statisme et


l'impératif de stabilité des lois fiscales. Dans cet objectif, nous allons étudier
l'opportunité de la limitation de l'effet négatif de la rétrospectivité des lois de

319
Jean Baptiste GEFFROY, Grands Problèmes Fiscaux Contemporains, éd., Presses universitaires de France,
1993, Paris, p. 304
320
Rapport du conseil d'Etat, "Sécurité juridique et complexité du droit", Paris 2006, p. 282

171
finances, ainsi que l'imprévisibilité liée à la rétroactivité économique des lois
fiscales. À cet effet, nous allons nous efforcer d’exposer quelques techniques
de la science de la légistique, permettant d'accroître la prévisibilité du
contribuable lors de la remise en cause de sa situation réputée stable et
durable.

Mais avant de présenter ces méthodes, il paraît primordial de mettre


l'accent sur l'importance de l'information préalable du contribuable de
l'imminence d'une réforme, afin de la rendre prévisible au maximum. Dans ce
sens, la commission FOUQUET avait suggéré dans son rapport que le
gouvernement doit s'engager à « procéder à une consultation ouverte,
débutant trois mois avant son dépôt au Parlement, sur tout texte fiscal figurant
dans une loi de finances, assortie de la présentation d’une étude d’impact321 ».
Mais puisqu’il ne s’agit que d’un engagement politique, il va falloir
l'accompagner d’une modification de la loi organique relative aux lois de
finances (LOLF), en y inscrivant « que les dispositions de nature fiscale qui
n’auraient pas été annoncées au plus tard trois mois avant le dépôt au
Parlement de la loi de finances les contenant (c’est-à-dire en pratique début
juin) ne seraient applicables qu’à compter de l’année suivante, sauf motif
d’intérêt général suffisant, urgence ou contrainte budgétaire 322».

L'adoption de cette proposition aura pour effet de permettre au


contribuable de s'adapter aux éventuelles difficultés d’application et d'anticiper
l’effet des mesures envisagées avant l'entrée en vigueur de la nouvelle

321
Améliorer la sécurité juridique des relations entre l’administration fiscale et les contribuables : une nouvelle
approche. Rapport au ministre du Budget, des comptes publics et de la fonction publique en France, Juin 2008,
p.16
322
Rapport précité, p. 16

172
disposition. Il a aussi comme avantage de faciliter la rédaction anticipée des
projets d’instruction de l’administration.

Le développement de ces mesures de concertation préalable est louable


mais insuffisant, d'où l'intérêt de les accompagner par d'autres techniques qui
assureraient une transition entre l'ancienne et la nouvelle loi. Comme par
exemple maintenir le droit en vigueur pour certaines situations juridiques
acquises avant la publication des nouvelles normes. Cela veut dire que le
législateur peut corriger les conséquences de l'application immédiate de la
norme nouvelle -avec tous les effets rétroactifs pouvant s’en suivre - en évitant
de remettre en cause certaines opérations réputées stables. On peut par
exemple faire la distinction entre les règles de taux, qui continueraient à être
fixées en fin d’exercice, et les règles d’assiette, qui seraient fixées en début
d’exercice.

On peut citer dans ce sens l'arrêt du Conseil d'Etat français qui a stipulé
qu' « il incombe au pouvoir réglementaire d'édicter, pour des motifs de
sécurité juridique, les mesures transitoires qu'implique, le cas échéant, une
réglementation nouvelle323 ».

Une autre technique législative peut être utilisée par notre législateur pour
diminuer l'effet imprévisible d'une réforme. Il s'agit de retarder l'entrée en
vigueur d’une nouvelle disposition fiscale afin de donner suffisamment de
temps aux contribuables pour s’y adapter et s’y conformer. Il a aussi pour
avantage de permettre à l’administration de mettre en place les dispositifs
d’accompagnement sans retard.

323
CE, ass., 24 mars 2006, n°288460, KPMG et a JurisData n° 2006-069857, cité par Anne LEVADE, "Propos
introductifs : La sécurité juridique", in La semaine Juridique - Actes du colloque d’Alger 9-10 décembre 2012
Pour la 4ème édition de la Convention des Juristes de la Méditerranée, Édition Générale - supplément Au N° 27,
1er juillet 2013, p. 9

173
Toutefois, en dépit des avantages de cette technique, beaucoup de
difficultés pratiques font obstacle à sa mise en œuvre. Ainsi, selon le rapport
Gibert, l'application différée d'une règle d'imposition pour une année
« affaiblirait considérablement la réactivité de la politique fiscale …[et par
conséquent] la mise en œuvre des actions de politique économique se
trouverait décalée d’une année par rapport aux inflexions observées dans le
cycle, ce qui, compte tenu des délais de transmission des impulsions de
politique économique, reviendrait dans les faits à neutraliser en grande partie
la capacité d’anticipation et d’intervention contracyclique de l’Etat324 ».

De manière générale, l’adoption des mesures législatives


d’accompagnement auront certainement un effet bénéfique quant à la
limitation des conséquences négatifs de l’instabilité des lois, ce qui se
répercutera sans aucun doute sur la qualité de la norme fiscale, notamment
par l’adoption des études d’impact des nouvelles lois de finances.

Section II- L'aspect formel de la sécurité fiscale :


l'amélioration de la qualité de la norme fiscale

À côté de son aspect temporel, la sécurité juridique suppose également le


respect d'un aspect formel, selon lequel les normes fiscales doivent être
accessibles matériellement et intellectuellement. Pour cela, il importe de veiller
à leur simplification par l'amélioration de leur qualité rédactionnelle et la
limitation de l'inflation normative. Dans cet objectif, l’analyse du droit comparé
en la matière est indispensable, étant donné que la complexité et
l'inintelligibilité du droit fiscal est un phénomène transfrontalier.

324
Rapport B. Gibert, Op.Cit. p. 77

174
Mais avant d'entamer notre analyse, il paraît important de rappeler la
définition de l'accessibilité matérielle qui se distingue de l'accessibilité
intellectuelle. Ainsi on entend par accessibilité matérielle tous les moyens de
droit qui permettent au contribuable d'avoir un accès physique aux règles de
droit qui régissent sa situation particulière. Il s'agit en d'autres termes, de
l'ensemble des outils qui facilite une large diffusion du droit. Il est vrai que ce
type d’accessibilité ne pose plus de problème de nos jours, surtout avec le
développement des technologies de l’information appuyé par une volonté
publique ferme de démocratiser les normes fiscales. L'accessibilité
intellectuelle en matière fiscale connaît en revanche une régression
considérable, marquée par un manque de lisibilité, de clarté, de
compréhensibilité ou encore d’intelligibilité du droit fiscal325, dont la cause
principale est tributaire de l’infection du droit fiscal marocain par le virus de
l'inflation normative.

Il faut signaler que mis à part la sécurité du contribuable, la qualité des


normes fiscales a beaucoup d'autres vertus comme la promotion du
consentement à l'impôt, en encourageant une partie des contribuables opérant
dans le secteur informel à se manifester au fisc. Elle permet aussi de renforcer
l'attractivité du pays.

Ainsi, depuis 1776 Adam Smith avait mis l'accent sur l'importance de la
qualité de la fiscalité, selon lui « la taxe ou portion d'impôt que chaque individu
est tenu de payer doit être certaine et non arbitraire. L'époque de paiement, le
mode de paiement, la quantité à payer, tout cela doit être clair et précis tant

325
V. Supra. Première partie/chapitre 1/ section2/ Paragraphe 2/C- Manifestation de l’inaccessibilité
intellectuelle du droit fiscal. P 56

175
pour le contribuable qu'aux yeux de toute autre personne326 ». De ce fait, la
norme fiscale doit être établie avec une très haute qualité sur tous les plans
afin de bien définir avec précision les droits et obligations du contribuable et de
l'administration fiscale. Pour cela il importe qu'un contrôle de qualité soit
instauré avant l'adoption de chaque règle fiscale, afin de ne produire que des
textes clairs, précis et aisément compréhensibles (§1). Ce contrôle de qualité
doit être accompagné par des mesures de simplification des règles fiscales en
vigueur (§2) dans le but d'améliorer la qualité de tout le dispositif fiscal
marocain.

§ 1- Le contrôle de la qualité des normes fiscales avant leur


adoption
Ce contrôle à priori est d'une importance indéniable, puisqu'il permet
d'anticiper la censure des dispositions complexes ou dépourvues de
normativité. Toutefois, pour parvenir à cet objectif, il importe d'attribuer les
fonctions du contrôle à un organisme public indépendant comme c'est le cas
dans de nombreux pays étrangers (A), et de prévoir aussi un mécanisme
d'étude d'impact portant sur toute nouvelle disposition, afin de mesurer son
effet sur la sécurité fiscale du contribuable (B).

A- Le contrôle d'intelligibilité et d'accessibilité des lois fiscales par un organisme


indépendant

On ne peut pas nier le contrôle effectué par la direction générale de la


législation et des études juridique au sein du secrétariat général du
gouvernement sur les projets de lois et règlements à travers la coordination de
leur préparation et de leur mise au point, en procédant « sur le plan juridique,
326
Adam Smith, Recherche sur la nature et les causes de la richesse des nations, tome 2, paris, ed Flammarion,
1991, livre V, chapitre2, section 2, deuxième maxime, p. 457. Cité par Frédéric DOUET, Contribution à l’étude
de la sécurité juridique en droit fiscal interne français, ed L.G.D.J. 1997, p1.

176
à l’examen de tous les projets de lois ou règlements en vue de vérifier leur
conformité avec les dispositions constitutionnelles et leur compatibilité avec la
327
législation et la réglementation en vigueur ». Pourtant, ce contrôle reste
dépourvu d'efficacité en matière fiscale, étant donné que toutes les
dispositions sont adoptées par les lois de finances conformément aux règles de
la loi organique n° 130-13 relative à la loi de finances328, qui ne réserve pas
assez de temps à l'examen et au contrôle de ces lois329, en plus de la
dépendance de nature de cet organisme au pouvoir exécutif.

Il faut donc que le Maroc s'aligne aux pays occidentaux, ayant institué un
organisme indépendant, chargé de contrôler la qualité des lois et règlements.
On peut citer le cas de la France où le Conseil Constitutionnel s'est proclamé
garant de la qualité des lois, en luttant contre sa dégradation. En effet, «le
Conseil Constitutionnel a élaboré une jurisprudence qui, en cherchant à mettre
un terme à ces dérives, non seulement encadre l'activité du législateur, en lui
fixant de plus grandes contraintes sur la procédure législative, mais également
lui impose désormais des exigences que la rédaction de la loi elle-même doit
respecter pour ne pas encourir le risque de censure330». Ainsi, le Conseil
Constitutionnel sanctionne le législateur pour l'incompétence négative lorsqu'il
délègue ses compétences à un autre pouvoir, il censure aussi les dispositions
légales qui prêtent à plusieurs interprétations331, la loi « silencieuse »332, la loi

327
Article 4 du décret n° 2.83.365 du 7 Joumada I 1405 (29 janvier 1985) relatif à l’organisation du Secrétariat
Général du Gouvernement
328
Dahir n° 1-15-62 du 14 Chaabane 1436 (2 juin 2015) portant promulgation de la loi organique n° 130-13
relative à la loi de finances. (Publié au BO n° 6370 du 18/06/2015)
329
D'ailleurs, à la lecture des dispositions de cette loi, on déduit que le secrétariat général du gouvernement ne
dispose pas d’assez de temps pour examiner les lois de finances. Si on compte ainsi les 60 jours octroyés aux
deux chambres du parlement pour l'examen et le vote de cette loi, sans que le dépôt devant la première chambre
ne soit effectué au-delà du 20 octobre de l'année budgétaire en cours. Ce qui rend le contrôle du secrétariat
général du gouvernement sans efficacité en la matière.
330
La qualité de la loi, Note de synthèse du service des études juridiques n° 3 (2007-2008), 1er octobre 2007, p.
9, disponible sur le lien: http://www.senat.fr/ej/ej03/ej03_mono.html consulté le 29/07/2016à 6 :36
331
Décision n° 85-191 DC du 10 juillet 1985

177
ambiguë333, les lois non-normatives334, le renvoi à une loi ultérieure335. Par
ailleurs, le Conseil oblige le législateur à respecter l’objectif de valeur
constitutionnelle d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi336, tout en tolérant
une certaine complexité si celle-ci régit des matières très complexes337.
Cependant, le Conseil Constitutionnel a abandonné le recours au principe de
clarté pour écarter les lois imprécises, puisqu'il « induit une rigidité qui cadre
mal avec la relativité de la notion de qualité du droit 338».

En tout cas, le système fiscal français reste plus sécurisant en termes de


qualité de droit en comparaison avec le système britannique qui est «un
système de droit dénué de Constitution, gouverné par le principe de
souveraineté du Parlement et dans lequel le juge dispose d'un pouvoir
normatif339». Ajoutée à cela l’absence de codification en la matière en dépit de
la grande variété des redevances fiscales, causée par la multitude des sources
de droit gouvernant la matière340. Cette situation est de nature à créer un
désordre législatif dans le système fiscal du pays, dont le contribuable est la
principale victime. Fort heureusement, le gouvernement s'en est rendu compte
assez tôt, en instaurant un système de contrôle de la qualité rédactionnelle des
lois. Ainsi, on peut citer l'Office of Parliamentary Counsel of the treasury, à qui
on doit le mérite de veiller à l'harmonisation du droit de l'Union Européenne341,
et qui contrôle aussi la qualité rédactionnelle des textes de loi à l'aide d'un

332
Décision n° 85-198 DC du 13 décembre 1985
333
Décision n° 99-423 DC du13 janvier 2000
334
Décision n° 2004-500 DC du 29 juillet 2004
335
Décision n° 2005-519 DC du 29 juillet 2005
336
Décision n° 2003-475 DC du 24 juillet 2003
337
Décision n° 2000-437 DC du 19 décembre 2000
338
La qualité de la loi, Op Cit p. 19
339
Oliver CAHN, "Regard comparé sur le régime britannique", in Sécurité fiscale, sous la direction de Jacques
BUISSON, Ed L'Harmattan Paris, 2011, p. 99
340
On en compte ainsi les Actes du Parlement, les Statutory Insruments et le précédent jurisprudentiel.
341
O. CAHN, Op. Cit. p. 110

178
certain nombre de juristes experts d'un grand professionnalisme342. En outre, «
le Parlement a voté en 1997 une procédure spéciale relative à l’adoption de ces
lois, dite Tax Law Rewrite Bills. En deuxième lecture, les textes fiscaux sont
renvoyés pour avis à une commission conjointe aux deux Chambres. Celle-ci
réalise de nombreuses auditions d’experts et d’acteurs extérieurs afin
d’améliorer la qualité rédactionnelle des textes en vue d’une meilleure
accessibilité343».

Pas si loin du Maroc, l'Algérie a aussi instauré un contrôle de la qualité des


projets de lois par le Conseil d'Etat qui doit être consulté pour avis avant qu'ils
soient délibérés en conseil des ministres.
-Le conseil doit en effet veiller à la qualité rédactionnelle des projets de lois,
en s'assurant qu’ils sont « rédigés dans une langue correcte et compréhensible
par le plus grand nombre de lecteurs possible…
-le texte doit être concis et sa décomposition en articles doit correspondre
à la nature des questions traitées ;
-le projet de loi doit contenir des dispositions normatives et non pas des
déclarations sans effet juridique ;
- le Conseil d’État vérifie que le texte proposé exprime sans ambigüité les
intentions du Gouvernement ;
- enfin, le Conseil d’État s’efforce de prévoir et de prévenir les difficultés
d’interprétation et d’application du texte344». Toutefois, malgré le
perfectionnement en apparence de ce modèle algérien, son efficacité reste

342
ERNST FREUND, "The problem of intelligent legislation, Proceedings of the American Political Science
Association", In The American Political Science Review, Vol. 4, 1907, p. 76
343
John S. BELL, "La loi britannique et la sécurité juridique du droit", in Rapport public du conseil d'Etat, 2006
- Sécurité juridique et complexité du droit, Etudes et Documents n°57, 2006, p. 342
344
Kamel FENNICHE, La jurisprudence du Conseil d’État et le concept de sécurité juridique, in La semaine
Juridique - Actes du colloque d’Alger 9-10 décembre 2012 Pour la 4ème édition de la Convention des Juristes de
la Méditerranée, Édition Générale - supplément Au N° 27 - 1er juillet 2013, p. 29

179
limitée, dans la mesure où le conseil n’émet qu’un avis à caractère consultatif,
n’obligeant pas le gouvernement à le suivre.

En conclusion, l'institution d'un contrôle préalable des projets de lois par un


organisme indépendant est une priorité indispensable, encore faut-il que leur
rédaction soit accompagnée par une étude d'impact sur l’économie de manière
générale et sur le contribuable à titre particulier, avant de les deux documents
au parlement pour examen.

B- L'étude de l'impact des projets de lois sur le contribuable


Il s'agit d'une pratique très répandue dans la plupart des pays
occidentaux345, notamment ceux qui sont membres de l'Organisation de
Coopération et de Développement Economiques (OCDE). Cette dernière «qui
fait œuvre de pionnier en matière de réforme réglementaire, contribue
également à la diffusion de connaissances et d’une expertise sur l’analyse
d’impact de la réglementation (AIR) en recensant les meilleures pratiques des
pays de l’OCDE346».

L'OCDE n'a pas cessé de rappeler à plusieurs occasions, les avantages de ce


procédé particulièrement sur le plan de la promotion de la qualité des
réglementations en assurant leur accessibilité matérielle et intellectuelle. Il
s'agit d'un moyen d'évaluation ex ante des projets de réglementation, en
dégageant ainsi leurs avantages sur les ressources de l'Etat et leur impact sur
les droits existants du contribuable. « Elle a lieu à un stade précoce du cycle de
vie de la réglementation au moment où les objectifs de la réglementation sont

345
Ainsi en Italie l'étude d'impact des nouvelles législations résulte d'un décret du premier ministre qui date de
mars 2000, sous la dénomination d'analyse technique légale, (Analisi tecnico-normativa). Au Pays-Bas, on parle
de "the Business Effects Analysis", qui se focalise surtout sur l'effet des nouvelles règlementations sur les
affaires.
346
"Construire un cadre institutionnel pour l’analyse d’impact de la réglementation (AIR) : orientations destinées
aux décideurs", OCDE, version 1.1, 2008, p. 8

180
définis et que de nombreuses alternatives sont possibles … [Ce] n’est [donc]
pas un substitut à la prise de décision mais elle contribue à l’élaboration des
décisions à travers les informations qu’elle apporte et une démonstration de la
cohérence de l’intervention gouvernementale347». Le recours au procédé de
l'AIR permet d'évaluer les politiques publiques réglementaires en exigeant une
définition claire des objectifs recherchés par ces politiques, à travers la mise en
évidence d’un besoin précis. Par ailleurs, l'AIR doit «déterminer si l’instrument
réglementaire est nécessaire et dans quelles conditions il peut être le plus
efficace et le plus efficient pour atteindre ces objectifs348».

Parmi les pays ayant développé ce mécanisme, on cite la France où la


pratique de l'évaluation préalable des projets de lois et de règlements est régie
par les dispositions des articles 8 à 12 de la loi organique n° 2009-403 du 15
avril 2009349 pris pour l’application du troisième alinéa de l’article 39 de la
Constitution, introduit par la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008. Sauf que
l'article 12 de cette loi organique exclut de son champ d'application les projets
de lois de finances initiale et rectificative, puisque leur évaluation préalable

347
Rapport précité, p. 16
348
"Recommandation du Conseil de l’OCDE concernant la politique et la gouvernance réglementaires", OCDE
2012, pp. 11 et 12
349
Ainsi selon l'article 8 de la loi organique du 15 avril 2009, l'étude d'impact doit être explicitée dans un
document joint au projet de loi, qui comporte les motifs derrière la réforme envisagée, et exposent avec précision
:
« ― l'articulation du projet de loi avec le droit européen en vigueur ou en cours d'élaboration, et son impact sur
l'ordre juridique interne ;
― l'état d'application du droit sur le territoire national dans le ou les domaines visés par le projet de loi ;
― les modalités d'application dans le temps des dispositions envisagées, les textes législatifs et réglementaires à
abroger et les mesures transitoires proposées ;
― les conditions d'application des dispositions envisagées dans les collectivités régies par les articles 73 et 74 de
la Constitution, en Nouvelle-Calédonie et dans les Terres australes et antarctiques françaises, en justifiant, le cas
échéant, les adaptations proposées et l'absence d'application des dispositions à certaines de ces collectivités ;
― l'évaluation des conséquences économiques, financières, sociales et environnementales, ainsi que des coûts et
bénéfices financiers attendus des dispositions envisagées pour chaque catégorie d'administrations publiques et de
personnes physiques et morales intéressées, en indiquant la méthode de calcul retenue ;
― l'évaluation des conséquences des dispositions envisagées sur l'emploi public ;
― les consultations qui ont été menées avant la saisine du Conseil d'Etat ;
― la liste prévisionnelle des textes d'application nécessaires. »

181
relève des articles 51 et 53 de la loi organique relative aux lois de finances
(LOLF) n° 2001-692 du 1er août 2001, qui est lui-même limité :
 Aux articles fiscaux, qu’ils figurent en première partie ou en
seconde partie de la loi de finances ;
 aux dispositions relatives aux autres ressources de l’État inscrites
en première partie de la loi de finances, dès lors qu’elles affectent
l’équilibre budgétaire ;
 et aux dispositions de la seconde partie qui relèvent du domaine
facultatif et partagé, énumérées au 7° du II de l’article 34 de la LOLF350».
En Espagne, depuis la réforme des méthodes de travail du gouvernement
par l’adoption de la loi n° 50-1997 du 27 novembre 1997 relative au
Gouvernement, (dite : ley del Gobierno), le gouvernement doit accompagner
tout projet de loi ou de règlement par «un rapport sur la nécessité et
l'opportunité de la mesure et d'un mémorandum économique contenant une
estimation des coûts, auxquels s'ajoutent les rapports et évaluations
complémentaires jugés indispensables pour garantir l'opportunité et la légalité
du texte… Pour les lois et les décrets Royaux, les autorités réglementaires
peuvent utiliser un questionnaire d'évaluation des projets de textes normatifs
(Cuestionario de Evaluacion de Proyectos Normativos) 351».Les citoyens et les
entreprises dont les intérêts seront affectés par la réglementation en
préparation doivent être obligatoirement consultés352.

350
Guide de légistique, 1.1.2 étude d'impact, Version du 1 er août 2014, http://www.legifrance.gouv.fr/Droit-
francais/Guide-de-legistique/I.-Conception-des-textes/1.1.-Necessite-des-normes/1.1.2.-Etudes-d-impact,
consulté le 04/12/2014 à 17:08
351
" La réforme de la règlementation en Espagne - La capacité du gouvernement de produire une règlementation
de grande qualité", Rapport de l’OCDE, 2000, p. 35 http://www.oecd.org/fr/gov/politique-
reglementaire/2713672.pdf consulté le 06/12/2014 à 14:35
352
Rapport précité, p. 29

182
Au Royaume-Uni, un système "d'évaluation de l'impact des
réglementations" (Regulatory Impact Assessment) est opérationnel depuis
1998. Il s'agit d'un outil clé pour assurer une production d'une réglementation
de qualité tout en réduisant les charges inutiles pour les affaires. « Le "Cabinet
Office" exige que les projets de lois soient accompagnés de Regulatory Impact
Assessments. Ces études d’impact ont pour fonction d’évaluer les éventuelles
conséquences de toute nouvelle réglementation, par une approche en termes
de bilan coûts-avantages. Elles doivent par ailleurs recenser toutes les
alternatives possibles, y compris l’abandon du projet de loi353». La réalisation
de ces documents se fait par les départements ministériels concernés par la
réforme envisagée, en concertation avec tous les acteurs directement
concernés ainsi qu’avec les experts les plus compétents dans le domaine.

Toutefois, malgré les avantages des mécanismes d'évaluation préalable des


projets de réglementation, ils ne peuvent être efficaces que s'ils sont contrôlés
par des organes indépendants. D’ailleurs, c'est ce qui a été confirmé par une
étude réalisée par l’OCDE portant sur l'évolution de la politique de
gouvernance réglementaire dans les pays membres, dont l'auteur a signalé que
de nombreux pays354 ont attribué à un organe central indépendant la mission
de contrôler la qualité des analyses d’impact de la réglementation, en allant
parfois dans certains pays355 jusqu’à permettre la demande aux ministres de
réviser une réglementation établie356. On se trouve dans ce cas dans le
périmètre de la simplification des normes fiscales en vigueur.

353
John S. BELL, "La loi britannique et la sécurité juridique du droit", in Rapport public du conseil d'Etat, 2006
- Sécurité juridique et complexité du droit, Etudes et Documents n°57, 2006, p. 342
354
Comme L'Australie, le Canada, la République Tchèque, la Hongrie, l'Italie, la Corée du Nord, le Mexique, les
Pays-Bas, la Pologne, la Suède, la Suisse, le Royaume-Uni et les Etats-Unis.
355
Comme au Canada, en Corée du Nord et au Royaume-Uni.
356
"The Evolution of Regulatory Policy in OECD Countries", par Nick MALYSHEV, OCDE 2008,
http://www.oecd.org/gov/regulatory-policy/41882845.pdf consulté le 08/12/2014 à 19:44

183
§ 2- La simplification des normes fiscales en vigueur
« Un impôt simple est un impôt qu'on peut comprendre aisément, qu'on
peut gérer facilement et qu'on peut accepter en conséquence. A contrario, un
système fiscal complexe accroît les coûts d'établissement, de recouvrement et
de contrôle ainsi que les coûts supportés par le contribuable pour le calcul et la
déclaration de ses impôts357». C’est par ces mots que le Professeur NMILI avait
résumé les avantages de la simplification fiscale et les inconvénients de la
complexité fiscale. Néanmoins, lors du diagnostic de la législation fiscale
marocaine dans la première partie de cette thèse, on a pu établir que notre
système fiscal constitue un obstacle de taille aux affaires, à l’investissement, à
la compétitivité et à la croissance économique. Ceci est dû à plusieurs facteurs
dont le «coût de la discipline fiscale qui a tendance à augmenter selon le
nombre d’impôts auxquels est soumis un entrepreneur, la fréquence des
déclarations, les niveaux d’administration impliqués et la complexité des règles
fiscales358». Toutefois, comme on l'avait signalé précédemment, ces
pathologies ne sont pas propres au Maroc, beaucoup d’Etats en souffrent, mais
à des degrés différents, ce qui a poussé un bon nombre d'entre eux à élaborer
des techniques innovantes, dans le but de simplifier leurs systèmes fiscaux.
Sauf que toute démarche de simplification de la législation fiscale n'est pas une
chose aisée. D'abord, toute entreprise de simplification est nécessairement
coûteuse, puisqu'elle nécessite le déploiement d'un groupe d’experts
indépendants chargés d'élaborer des propositions concrètes compatibles avec
la réalité socio-économique marocaine. De plus, la réforme générale du régime
fiscal générera vraisemblablement des mécontents qui verront leur charge

357
Mohammed NMILI, Pour un impôt juste, Essai sur les préalables au civisme fiscal, les éditions Oser, 2011,
Casablanca, p. 296
358
Rapport de l'OCDE, Maroc – Stratégie de développement du climat des affaires – Dimension : politique et
administration fiscale, juin 2011, p. 51 http://www.oecd.org/fr/investissement/dsp/48218030.pdf, consulté le
14/01/2015 à 15:35

184
fiscale augmentée, en faisant connaître par la suite leur contrariété aux urnes
électorales359. C'est ce qui explique la réticence des politiciens de s'aventurer
dans toute réforme fiscale pour la simplification du système360.

Hormis ces désavantages, les vertus de la simplification fiscale sont


innombrables. Elles permettront ainsi au gouvernement de réaliser
d'importantes économies de ressources, tout en assurant une assiette fiscale
plus sûre et des recettes prévisibles. D’un autre côté, une fiscalité moins
complexe est bénéfique pour l'entreprise contribuable, dans la mesure où elle
contribuera à la diminution du coût de conformité à travers la réduction de la
paperasserie et l'accroissement de l'efficience, en consacrant davantage de
temps aux activités productives. Il permettra aussi aux contribuables de gérer
leur fiscalité sans le concours d'un expert souvent onéreux (sauf dans les cas où
la loi exige la certification des comptes par un commissaire aux comptes). Il est
donc important de sensibiliser les contribuables sur les avantages qu'ils
peuvent tirer de la simplification fiscale afin de les accepter en dépit des
inconvénients qui peuvent en résulter.

Plusieurs méthodes de simplification de la norme fiscale peuvent être tirées


du droit comparé, dont la plus célèbre est la codification (A) qui consiste à
rassembler des textes juridiques épars en les connectant sous forme d’un
arbre. Mais l'inflation législative vide tous les codes fiscaux de leur substance
en faisant régner à nouveau la complexité dans les textes fiscaux, d'où le

359
Karl NYREN, Tax simplification could hurt (or help), inLibrary Journal. 4/1/1985, vol.110 Issue 6, p. 21
360
À ce titre, il faut citer les propos du M. Thierry Mandon, le secrétaire d'Etat français à la Réforme de l'Etat et
à la Simplification, qui a considéré qu’« aucun pays ne sait faire de réforme fiscale d'envergure et significative
sans croissance», attendu que chaque réforme fiscale crée obligatoirement un mécontentement d'une partie de la
population.
http://www.linternaute.com/actualite/politique/thierry-mandon-invite-de-directpolitique-le-2-12-14.shtml?print
consulté le 05/01/2015 à 10:14

185
recours à la technique de la refonte (B) en vue de réécrire les codes gâchés par
"le productivisme juridique".

A- La codification comme moyen de simplification fiscale


La codification est un excellent moyen pour la simplification fiscale, elle
tend principalement à faciliter la connaissance et la communication des règles
de droit, afin d'en assurer une meilleure accessibilité pour les usagers. C’est ce
qu’on peut déduire d’ailleurs de la définition proposée par M. D. BOURCIER qui
considère la codification comme un «processus dont la source est un corpus de
textes hétérogènes et l’objectif est la constitution d’un ensemble raisonné de
textes ou de matériaux structurés par une cohérence interne361».

L'histoire des codes fiscaux (1) à travers le monde est fascinante, et son
étude n'est pas sans utilité, puisqu'il nous permettra de comprendre l'état
actuel du Code Général des Impôts marocains (2), qui est marqué par sa
complexité, et de proposer par la suite la méthodologie à suivre pour mieux
codifier et maintenir la cohérence des codes (3).

1- L'histoire de la codification fiscale en droit comparé


La technique de la codification en matière fiscale ne date pas d'aujourd'hui,
en réalité le premier code des impôts remonte à 1919 en Allemagne362. Son but
a été «d'unifier les procédures, donner des pouvoirs de contrôle à
l'Administration, tant l'évasion fiscale est grande, accorder des garanties aux
contribuables et renforcer l'indépendance financière des Busd face aux
Länder363». Son influence à l'échelle mondiale était de taille, il a inspiré ainsi

361
Danièle BOURCIER, "Sciences juridiques et complexité, Un nouveau modèle d’analyse", in Droit et
Cultures- technologies, droit et justice, éd L'HAMATTAN, n° 61, 2011, p .37
362
Pour ample information sur l'historique de la codification fiscale, voir Norma CABALLERO GUZMAN,
Codes des impôts en droit comparé : Contribution à une théorie de la codification fiscale, éd L'Harmattan Paris,
2011, p. 41 et suivante.
363
N. CABALLERO G., Op. Cit., p. 44

186
plusieurs autres codes dont celui de l'Italie, élaboré en 1943 par Ezio VANONI.
Une véritable doctrine codificatrice italo-germanique s’est constituée, qui va
par la suite s’exporter vers l'Amérique Latine en transitant par l'Espagne. Ce
sont donc les chercheurs italiens, comme Mario PUGLIESE et Dino JARACH, qui
ont contribué à la codification fiscale en Argentine et au Mexique. En parallèle,
la codification fiscale a connu une autre vague d'influence émanant de la
France qui a inauguré son premier code un peu plus tard que l'Allemagne, soit
en 1926. Sauf qu'à la différence du code allemand, qui est dit un "code statut",
s'intéressant principalement aux droits et obligations de l'administration et du
contribuable, le code fiscal français se veut un "code calcul" qui se focalise sur
le calcul de l'impôt sur le revenu, les contributions indirectes et les droits
d'enregistrement et de timbre. Ce nouveau-né exercera lui aussi son influence
à l'échelle internationale, en particulier sur la Belgique qui aura son code des
impôts en 1927, et aux USA qui se dotera de son premier code en matière
fiscale en 1939. On se trouvera donc devant deux courants de codification
fiscale, l'un italo-germanique et l'autre franco-anglo-saxon. Mais avec le temps,
les codes "statut" vont vite se ramasser, puisqu'ils ne rassemblent que le droit
fiscal général alors que les codes "calcul", «compilant le droit fiscal spécial ne
peuvent que s'étaler au fil des législations démultipliées364». Ce qui a donné
lieu à un retour à la complexité des normes fiscales, devenues avec le temps
inaccessibles. Devant cet état de chose, la France s'est vu obliger (le 6 Avril
1950) à la refonte de ses 6 codes fiscaux en un seul code, intitulé : le Code
Général des Impôts.

364
Selon Mme N. CABALLERO G., la codification connaîtra une forte inflation des articles comme aux Etats-
Unis où elle « arrivera jusqu'à 9899 sections ou articles, contenant 3.4 millions de mots qui, imprimés à 60 lignes
par page, atteindraient un volume de 7.500 pages en format A4» Idem. p. 61

187
De ce qui précède, on conclut que l'inflation législative est la principale
pathologie qui fait dégrader la qualité des codes fiscaux, d'où l'intérêt d'éviter
certaines pratiques pouvant nuire à la lisibilité et à la cohérence de ces codes,
comme le fait de donner à un nouveau chapitre dans le code une numérotation
non orthodoxe, ou le fait de changer le numéro d’un article pour lui en
attribuer un autre parce que l’on a inséré plus haut des dispositions
nouvelles365.

2- La codification fiscale au Maroc


Historiquement, la codification fiscale au Maroc est passée par plusieurs
étapes avant que le premier Code Général des Impôts ne soit adopté en 2007. Il
faut d'abord signaler que l'adoption de ce code a été recommandé par les
assises fiscales sur la fiscalité de 1999366, ayant « tracé la voie aux travaux de
codification menés suivant les étapes suivantes :
 la mise à niveau progressive des textes fiscaux par des mesures
d’harmonisation, de simplification et d’adaptation à l’évolution de
l’environnement général de l’économie ;
 la réforme des droits d’enregistrement en 2004 ;
 l’élaboration du Livre des Procédures Fiscales en 2005 ;
 l’élaboration du Livre d’Assiette et de Recouvrement en 2006 ;
 l’élaboration du Code Général des Impôts en 2007 ;

365
Guide pour l'élaboration des textes législatifs et réglementaires, p. 57,
https://www.legifrance.gouv.fr/content/download/1679/11687/version/1/file/guide_legistique_2007.pdf, consulté
le 22/02/2016 à 11:20
366
DGI, Assises nationales sur la fiscalité, 26 et 27 novembre 1999, p 114 http://ebookbrowse.com/assises-
nationales-sur-fiscalite-maroc-pdf-d178972247, consulté le 13/06/2015 à 16:20

188
 la refonte des droits de timbre et de la taxe spéciale annuelle sur
les véhicules automobiles et leur insertion dans un livre III du Code
Général des Impôts en 2009 367».

Toutefois en dépit de tous les efforts fournis par le législateur marocain


dans le sens de la simplification du système fiscal par la codification, « la
cédularité n’a pas totalement disparu368». En effet, beaucoup de taxes
cédulaires sont encore en vigueur, sans faire partie du corps du CGI. En outre,
la réglementation applicable à l'impôt sur le revenu est structurée selon la
logique des rétributions cédulaires, et ce malgré l'affirmation de l'existence
d'un "impôt unique sur le revenu".

Par la multiplication des exemples de l’incohérence et la complexité du


Code Général des Impôts marocain369, on peut dire qu’il se présente comme
une succession de régimes, sans lien les uns avec les autres. Ces régimes
résultent le plus souvent d'un empilement de dérogations à des règles
générales qui ne sont elles-mêmes plus identifiables.

En ce qui concerne la rédaction du code, on constate qu'elle est souvent


imprécise et obscure à cause de l’usage systématique des renvois d’une
disposition à une autre, ainsi que la taille de ses articles jugés trop longs370.

En résumé, lorsqu'on analyse le CGI marocain, on constate que l'objectif


d'intelligibilité et d'accessibilité pour lequel il a été adopté n'est qu'une fiction,
le codificateur marocain n'a fait que compiler quelques taxes et redevances

367
Le préambule du Code Général des Impôts, édition de la DGI 2014
368
Rapport CESE 2012, p. 18
369
V. supra, partie 1/ chapitre 1/ section2/ B- L’accessibilité intellectuelle. P50
370
Comme l’article 92 qui compte plus de 28 pages.

189
fiscales dans un document unique, en négligeant les modalités et les méthodes
de rédaction des codes.

Outre ces pathologies, l'inflation législative a tendance à créer davantage


de disparité au sein de cette structure législative, au point de générer une
incohérence entre ses différents articles, à travers l’adjonction incessante de
textes en utilisant des "bis", "ter", "quater"…

Quant à la numérotation du CGI, on remarque que le législateur marocain a


opté pour une numérotation de type continue, qui a pour avantage d’être
facilement mémorisable, à la différence de la numérotation discontinue qui est
à la fois complexe et difficilement mémorable371.

Par ailleurs, même si le Code Général des Impôts marocain est


particulièrement bref et concis372, il a l'inconvénient d'être déséquilibré. Ainsi
on remarque que 84% de ses articles sont concentrés dans la partie I, portant
sur les règles d'assiette et de recouvrement. Contre 16% des articles réservés
au livre de la procédure fiscale373.

Enfin, au niveau du fond, le CGI marocain se limite aux seules dispositions


législatives au mépris des dispositions réglementaires, à la différence du CGI
français qui englobe les deux types de texte, en faisant distinguer les
dispositions de type législatif par l’initiale "L.", et les dispositions
règlementaires par un "R.".

371
C'est ce qui ressort d’ailleurs du résultat d'un questionnaire, où la majorité des praticiens considère la
numérotation continue comme plus facile, en comparaison avec la numérotation discontinue. Sur ce sujet voir :
Philippe Reigné, La numérotation dans la codification, Rapport général, Laboratoire de sociologie juridique,
université Paris II, Paris, Juillet 1999, annexes http://www.ladocumentationfrancaise.fr/var/storage/rapports-
publics/004001268/0000.pdf, consulté le 26/01/2015 à 17:08
372
Un jugement de valeur partagé par N. CABALLERO G., Op. Cit., p. 41
373
Ibidem p. 298

190
3- La méthodologie de la codification fiscale et la maintenance
des codes
De manière générale, l'élaboration d'un code doit être précédée par la
sélection et l'organisation des dispositions ayant véritablement des liens entre
elles. Ensuite, un plan reflétant l'organisation du code doit être établi, en
stipulant au départ les grands principes généraux qui inspirent la matière objet
de codification. Il serait préférable d’adopter une démarche déductive, en
allant du général au particulier, afin de « faciliter ultérieurement la gestion des
exceptions et des dispositions particulières ». Enfin, le code est habituellement
scindé en livre, titre et chapitre qui ne doivent pas dépasser au maximum 9 à
cause de la numérotation décimale374.

Cette méthodologie d’ordre générale sur l’élaboration des codes doit être
complétée par quelques démarches propres aux codes fiscaux, à savoir un
recensement exhaustif de tous les textes légaux et réglementaires, suivi par
une détermination de la structure du code des impôts en distinguant entre les
règles de fond et les règles de procédure, tout en cherchant une cohérence
entre les différentes règles de fond. L'incorporation des textes sélectionnés
dans le code doit s'accompagner par une actualisation de la terminologie et
une élimination des textes non fiscaux et des textes abrogés.

La conception d’un bon code doit être accompagnée par la mise en place
d’un processus de contrôle de qualité, afin de faire face au flux de nouvelles
normes ou de normes amendées, pouvant dénaturer la structure du code. Il est
donc proposé de prévoir un mécanisme de maintenance permanente, touchant
à la fois la forme et le fond du code fiscal.

374
Guide précité p. 57,

191
En conclusion, il faut admettre que le recours au procédé de la codification
pour simplifier le droit fiscal ne doit pas se limiter à compiler un droit ou même
à l'ordonner. En effet, un travail de fond doit l’accompagner à travers la refonte
globale de tous les textes fiscaux, en dépassant le cadre textuel, vers une
véritable pensée fiscale, capable de préserver la sécurité fiscale du
contribuable.

B- La simplification par voie de refonte du Code Général des Impôts


Devant la complexité accrue du système fiscal marocain375, la refonte de
l'ensemble de la législation fiscale reste le meilleur moyen pour l'harmonisation
et la simplification du droit fiscal. Il s’agit d’un procédé qui «consiste en
l’adoption d’un nouvel acte juridique qui, -même s’il est fondé sur le résultat de
la consolidation -, reformule la législation en y intégrant plusieurs actes et en y
apportant les modifications rendues nécessaires par l’évolution du secteur
d’activités auquel il s’applique 376».

Concrètement, la refonte du droit fiscal peut s'opérer de différentes


manières. Il peut s'agir par exemple d'une fusion, d'une ou plusieurs
contributions fiscales à un impôt ou taxe, ou simplement d'une suppression
pure et simple d'une redevance fiscale, dans le but de simplifier et
d'harmoniser le système fiscal dans sa globalité.

375
Ce jugement de valeur doit en effet être relativisé, dans la mesure où la complexité du droit fiscal marocain
est incomparable avec l'inaccessibilité de certains systèmes fiscaux, comme celui de la France. Afin de
démontrer cette situation, un auteur avait décrit la complexité du CGI français en estimant que « le temps de
lecture du code (sans ses annexes) est traditionnellement évalué à dix mois : si l'on ajoute que 20% du code sont
modifiés tous les ans, il apparaît que nul ne peut prétendre connaître, à un moment donné, la totalité de la
législation fiscale applicable ». Alexandre MAITROT de la MOTTE, "Faut-il réécrire le Code Général des
Impôts? ", in Sécurité Fiscale, sous la direction de jacques BUISSON, L'Harmattan, Paris, 2011, p. 76
376
"De l'élaboration de la législation communautaire à sa mise en œuvre en droit national" : contribution du
Conseil économique et social à la réflexion sur « mieux légiférer » , Rapport du Conseil économique et social,
France, septembre 2007, p. 105

192
Les expériences étrangères en la matière sont nombreuses, sauf que leur
résultat diffère en fonction de l'ampleur des réformes engagées par les Etats.
On remarque ainsi que la simplification du système fiscal français est restée
limitée à l'instar des mesures prises dans ce sens, si l'on compare avec
l'expérience britannique, et dans un degré plus élevé, le modèle suédois.

1- L'échec de l'expérience française en matière de


simplification du droit fiscal
L'inintelligibilité et l'inaccessibilité des lois fiscales françaises ont été
signalées dans plusieurs rapports publics en incitant le gouvernement à
adopter des politiques de simplification et d'amélioration de la qualité des lois
en général et des lois fiscales en particulier. Cette situation a poussé le
législateur à adopter des lois de simplification habilitant le gouvernement à
clarifier et à simplifier les lois en vigueur par voie d'ordonnance. C’est un
procédé pratique et efficace en raison de sa souplesse, permettant de parvenir
aux enjeux souhaités dans un laps de temps réduit, même s’il a été critiqué par
plusieurs auteurs en le jugeant « attentatoire au principe de la légalité fiscale
377
». « Jusqu’en 2003, le recours aux lois d’habilitation est demeuré épisodique
et parcellaire. Il a été systématisé à l’occasion de l’adoption des deux lois de
simplification du droit des 2 juillet 2003 et 9 décembre 2004 qui comportent de
larges habilitations378». Ainsi, aux termes de l'article 7 de loi du 2 juillet 2003 : «
Dans les conditions prévues par l'article 38 de la Constitution, le Gouvernement

377
Christian LOPEZ, "La loi fiscale : qualité et sécurité", in L'administration de l'impôt en France et dans le
Monde, Sous la direction de Marc LEROY, éd L'Harmattan, Paris, 2008, p. 65
378
Marc Guillaume, "Les ordonnances : tuer ou sauver la loi ? " In, Revue Pouvoirs, éd Le Seuil 2005 n° 114, p.
119

193
est autorisé à prendre par ordonnance toutes mesures modifiant le Code
Général des Impôts et le livre des procédures fiscales pour :
1° Abroger les dispositions fiscales devenues sans objet et adapter celles
qui sont obsolètes;
2° Elargir les possibilités et assouplir les modalités d'option pour des
régimes fiscaux spécifiques ;
3° Simplifier les démarches des usagers en allégeant ou supprimant des
formalités de déclaration ou de paiement de certains impôts et simplifier les
modalités de recouvrement de l'impôt par l'administration fiscale ;
4° Clarifier la formulation d'actes administratifs résultant de dispositions de
forme législative et relative à l'assiette ou au recouvrement de l'impôt.
II. - Les ordonnances prises dans le cadre du présent article ne pourront
donner lieu à des dépenses fiscales nouvelles »

Il en est de même pour la loi dite de simplification du 9 décembre 2004,


dont l'article 24 autorise le gouvernement à prendre par ordonnance
conformément à l'article 38 de la constitution, « toutes mesures adaptant la
législation relative aux impositions de toute nature pour …7° Adapter les
articles du Code Général des Impôts qui se réfèrent à des dispositions relevant
d'autres législations qui ont été modifiées ou abrogées ».

La volonté des pouvoirs publics de refondre le Code Général des Impôts


s'est confirmée par la promulgation d'une série de lois de simplifications379 qui
ont pleinement contribué à la simplification et à la clarification de plusieurs de

379
- LOI n° 2007-1787 du 20 décembre 2007 relative à la simplification du droit
- LOI n° 2009-526 du 12 mai 2009 de simplification et de clarification du droit et d'allègement des procédures
- LOI n° 2011-525 du 17 mai 2011 de simplification et d'amélioration de la qualité du droit
- LOI n° 2012-387 du 22 mars 2012 relative à la simplification du droit et à l'allégement des démarches
administratives

194
ses dispositions, ainsi qu’à la ratification des ordonnances prises par le
gouvernement dans ce sens.

Cependant, malgré tous ces efforts, les appels à la refonte globale du Code
Général des Impôts n'ont pas cessé. C’est dans ce sens que le professeur
MAITROT avait affirmé qu'au «regard des enjeux économiques auxquels l'Etat
est actuellement confronté, il serait en fin de compte doublement dangereux
de ne pas réécrire le Code Général des Impôts. D'une part, parce qu'en raison
du sentiment d'insécurité juridique suscité - à tort ou à raison - par le Code
Général des Impôts dans sa version actuelle, la France pourrait perdre encore
plus son attractivité économique. Et, d'autre part, parce qu'au-delà de la simple
question de l'image qu'en donne le Code, c'est en fait l'ensemble du système
fiscal français qui doit être repensé380».

Dans le même sens, le rapport Fouquet avait mis l’accent sur la nécessité
d'une refonte globale du CGI, en recommandant que cet objectif soit réalisé sur
trois étapes, et que « la mise en œuvre de cette proposition nécessiterait
l’intervention d’une cellule dédiée, créée pour l’occasion et pour une durée
limitée à la DLF, dotée de moyens humains suffisants, travaillant en
concertation avec la Commission supérieure de codification et le Conseil
d’Etat381».

380
Alexandre MAITROT de la MOTTE, Faut-il réécrire le Code Général des Impôts?, in Sécurité Fiscale, sous
la direction de jacques BUISSON, L'Harmattan, 2011, p. 93
381
"Amélioration de la sécurité juridique des relations entre l’administration fiscale et le contribuable : une
nouvelle approche", par Oliver FOUQUET, Rapport au ministre du Budget, des comptes publics et de la
fonction publique en France , 2008, éd. La documentation française. p. 11

195
2- L'expérience britannique en matière de refonte de la
législation fiscale
L'expérience du Royaume-Uni en matière de simplification par voie de
refonte de la législation fiscale est encore plus ambitieuse. Ainsi devant le
désordre législatif qui entachait le droit fiscal britannique, le parlement a
décidé de modifier en 1997 la procédure d'adoption des lois de finances, une
réforme qui s'est traduite par l'instauration d'un nouveau mécanisme appelé
"Tax Law rewrite Bills" en vertu duquel tous les textes fiscaux sont renvoyés en
deuxième lecture pour avis à une commission conjointe aux deux chambres382,
et ce en vue d'améliorer la qualité rédactionnelle en contribution avec des
experts dans le domaine. Toutefois, étant donné que cette procédure ne
concernait que les nouvelles lois, il a fallu adopter en 2001 un nouveau
mécanisme nommé "Tax Law Rewrite Project" ayant pour but de réécrire la
législation fiscale directe du Royaume-Uni pour la rendre plus claire et plus
facile à utiliser, tout en gardant les mêmes lois. Pour accomplir cette tâche, un
comité spécialisé a été mis en place, appelé le "Tax Law Rewrite Committee", à
qui revient le mérite de clarifier et de simplifier beaucoup de lois en utilisant un
langage simple et accessible383. Néanmoins, en dépit de tous ces outils, le Tax
384
Law rewrite Project « n'a accouché que de réformette ». C’est ce qui a

382
John S. BELL, "La loi britannique et la sécurité juridique", in CE, Rapport public 2006 - Sécurité Juridique et
complexité du droit, Etudes et Documents n°57, 2006, p. 342
383
To date the project has delivered the following:
•The Capital Allowances Act 2001 (effective from April 2001)
•The Income Tax (Earnings and Pensions) Act 2003 (effective from April 2003)
•The Income Tax (Pay as You Earn) Regulations 2003 (effective from April 2004)
•The Income Tax (Trading and Other Income) Act 2005 (effective from April 2005)
•The Income Tax Act 2007 (effective from April 2007)
•The Corporation Tax Act 2009
•The Corporation Tax Act 2010
•The Taxation (International and Other Provisions) Act 2010
Source : Tax Law Rewrite, The National Archives,
http://webarchive.nationalarchives.gov.uk/+/http:/www.hmrc.gov.uk/rewrite/index.htm consulté le 18/02/2015 à
17:23
384
Olivier CAHN, Regard Comparé sur le régime britannique, in La sécurité Fiscale, sous la direction de Jacques
BUISSON, éd L'Harmattan, 2011, p. 113

196
poussé l'un des auteurs britanniques à considérer la simplification du droit
385
fiscal en Grande Bretagne comme un « rêve impossible », d'où la nécessité
de prévoir un régime de refonte plus poussé, permettant au comité de
réécriture des lois fiscales de dépasser le cadre linguistique vers une véritable
réforme du système fiscal.

3- Le modèle suédois en matière de refonte de la législation


fiscale
L’expérience suédoise en la matière est parmi les plus réussies, méritant
ainsi d'être qualifiée de modèle à l'échelle internationale. En effet, dans une
conjoncture de crise caractérisée par une augmentation de la dette publique et
un taux de chômage record et une récession économique, la Suède a engagé
dès le début des années 90s des réformes radicales ayant touché tous les
secteurs, et qu’il fallait accompagner par une réforme fiscale, se traduisant par
la refonte de la législation fiscale en faisant concilier un double impératif :
alléger et simplifier l'impôt afin de soutenir la croissance économique tout en
assurant l’augmentation des recettes fiscales dans le but de réduire le déficit. À
cet effet, il a fallu « la mise en place d'un système "dual" dans lequel les
revenus du travail demeurent soumis à des taux d'imposition progressifs tandis
que, pour les revenus du capital, c'est un taux forfaitaire à 30 % qui
s'applique386». Une réforme qui a eu le mérite d'augmenter le consentement à
l'impôt en réduisant considérablement la fraude fiscale387. Dans un sondage

385
James MALCOLM, "Tax simplification : the impossible dream? " In British Tax Review, n°4, 2008 pp.392-
411
386
Philippe AGHION et Bénédicte BERNER, "Vive le modèle suédois !" in le Monde, (journal) le 10/01/2013,
disponible en linge sur http://www.lemonde.fr/idees/article/2013/01/10/vive-le-modele-
suedois_1815026_3232.html consulté le 22/02/2016 à 17:13
387
Il faut noter à ce propos que le système de sanction fiscale suédois est parmi les plus dissuasifs dans le
monde. Les majorations peuvent ainsi atteindre 40% de l'impôt évité, sans compter les sanctions judiciaires, qui
peuvent aller jusqu’à le prononcement de peines privatives de liberté, ce qui a créé un débat doctrinal et
jurisprudentiel concernant le respect du suède du principe "Ne Bis in Idem". (v. à ce titre, Xavier GROUSSOT
and Angelica ERICSSON, ̎Ne Bis in Idem in EU and ECHR legal order : a matter of uniform interpretation ? ̎,

197
réalisé en Octobre 2005 auprès de 1 000 entreprises de 10 pays européens,
seul 38% des chefs d'entreprise suédois considèrent la législation fiscale
complexe. Ce chiffre s'élève à 91% pour la Pologne et 86% pour la France388.

in Ne Bis in Idem in EU Law, by Bas van BOCKEL, ed Cambridge University Press, 2016, idge Cambridge
p.90.)
388
Rapport FOUQUET, Op. Cit., p. 10

198
Conclusion du chapitre 1
A la fin de notre analyse comparative, il faut avouer que les expériences
étrangères précédemment étudiées peuvent servir de bonne référence pour le
Maroc, afin d'améliorer l'intelligibilité et la prévisibilité des normes fiscales.

Sur le plan du renforcement de la prévisibilité du contribuable, il importe


d'adopter en urgence le procédé du rescrit, permettant ainsi au contribuable
d'interroger le fisc sur toute opération jugée complexe, et dont les
répercussions fiscales peuvent se révéler incertaines. L'exemple français en la
matière est très intéressant, dans la mesure où il permet d’assurer une certaine
sécurité juridique à travers l’engagement de l'administration fiscale par sa
propre position. Notre législateur peut également s'inspirer du modèle belge
relatif aux décisions anticipées, suite à l'établissement d'un accord préalable
entre le fisc et le contribuable, et dont l’accès doit être limité à quelques cas
restrictivement énumérés par la loi. Cette vision restrictive se justifie par
l’effectif important des agents du fisc qui doivent être. On peut ainsi permettre
le recours à ce procédé dans les cas relatifs aux concentrations des entreprises,
qui génèrent le plus souvent des divergences entre le fisc et le contribuable, au
niveau de l'évaluation de l'actif de l'entreprise absorbée.

Il va sans dire que le recours à ces deux techniques peut aussi servir à
contourner momentanément l'effet négatif de l'inintelligibilité de certaines
normes fiscales, dans la mesure où la mauvaise qualité d'une norme peut créer
l'incertitude dans l'esprit du contribuable. Sauf que le recours à ces méthodes
ne peut être suffisant pour éradiquer ce mal, dont la principale cause est
l’inflation législative. C’est pour cette raison que le gouvernement est appelé à
proposer une réforme globale contenant une refonte générale du code général
des impôts, à l'instar du modèle suédois, en supprimant ainsi toutes les

199
redevances fiscales n’ayant pas une grande répercussion sur les recettes de
l’Etat, tout en synthétisant les impôts et les taxes les plus rentables (IS, IR, TVA,
et droits d’enregistrement), à travers la minimisation des dérogations au taux
principal d’imposition, ainsi que les régimes d’exception aux règles de
l’établissement de l’impôt et celles des exonérations fiscales ou de la
prescription.

La mise en œuvre de ces propositions n’est pas une simple question de


réflexion à laquelle peut se livrer un chercheur. A vrai dire, la simplification du
système fiscal marocain nécessite l’engagement d’une étude de terrain, qui
devrait être de préférence confiée à un organisme indépendant, regroupant
des experts en fiscalité, et doté de moyens efficaces pour accomplir sa mission
avec la plus grande diligence.

200
Chapitre 2- La préservation de la sécurité fiscale du
contribuable comme fondement de l'Etat de droit

Parler d’un Etat de droit, c'est indiquer principalement le règne du "droit",


par opposition au règne de la force, marqué par des manifestations
despotiques de la puissance publique.

Les auteurs évoquent trois critères pour identifier un Etat de droit. Le


premier a trait à la légalité, selon lequel « toute mesure administrative, tout
acte gouvernemental, toute intervention dans la sphère privée ou sociale doit
s'appuyer sur une disposition légale389 ». Le deuxième critère concerne la
nécessité de contrôler toute mesure étatique, dont celles qui émanent du
législateur. Enfin un troisième critère qui conditionne l'existence des deux
premiers, se rapporte à l'indépendance de la magistrature et la dépendance de
celle-ci à l'égard du droit et de la loi. « Cette dépendance-indépendance assure
aux personnes privées la possibilité constante d'un recours contre les décisions
administratives390 ».

De ces trois critères on peut conclure que le principe de la sécurité


juridique trouve son fondement dans celui de l'Etat de droit, puisque ce dernier
suppose que l’État impose et s’impose à lui-même le respect du droit, à travers
des règles de droit démocratiques, dont la normativité ne peut être fondée et
justifiée que par l’établissement de la sécurité juridique, entendue sous sa
double dimension de qualité et de prévisibilité391. Dans le même ordre d'idées,
le Professeur PIAZZON explique que « le principe de protection de la confiance

389
Jean-François KERVEGAN, "Hegel et l'Etat de droit", in Archives de Philosophie- Recherches et
documentation, éd Centre Sèvres, Vol. 50, n°1, Janvier- Mars 1987, p. 60
390
Ibid., p. 60
391
Anne LEVADE, Article précité, p.11

201
légitime, lui-même rattaché à celui de la sécurité juridique par ce "rapport de
dérivation", forme […] au bout de la chaîne de déduction, une des implications
concrètes de l'Etat de droit. Le droit en général, le juge et l'administration en
particulier, doivent en effet se montrer respectueux des situations juridiques
qu’ils ont fait naître et qui, simples expectatives ou situations fondées sur une
décision illégale, ont néanmoins créé une croyance dans l'esprit des sujets de
droit de bonne-foi 392».

C'est dans ce sens que la jurisprudence allemande considère que « les


droits de l'homme et les principes d'État de droit délimitent étroitement tous
les actes d'autorité, qui lèsent des positions garanties par la Constitution. Le
principe de l'Etat de droit exige que l'individu puisse avoir confiance en ce que
son comportement, légal selon le droit au moment de celui-ci, ne sera pas
qualifié ultérieurement par la jurisprudence d'illicite393».

Le rattachement du principe de la sécurité juridique à celui de l'Etat de


droit se vérifie non seulement sur le plan de la qualité et de la prévisibilité du
droit, mais aussi au niveau de l'application de ce droit par la puissance publique
représentée par le fisc, dont les actes sont soumis au contrôle du juge qui veille
au respect des droits et libertés du contribuable. Ce sont donc des applications
concrètes du principe de l'Etat de droit et par là même celui de la sécurité
juridique, à travers le respect de deux principes, celui de la hiérarchie des
normes et celui de l’indépendance de la justice. Le premier implique que les
prérogatives de tous les organes étatiques soient clairement définies, et que la
validité des normes qu’ils édictent dépende du respect de l’ensemble des

392
T. PIAZZON, Op. Cit, p. 148
393
Günther GRASMANN "La constitutionnalité des règles de droit rétroactives et rétrospectives dans la
jurisprudence allemande ", In: Revue internationale de droit comparé. Vol. 41 N°4, Octobre-décembre 1989, p.
1021

202
normes de droit supérieures. Quant au principe de l'indépendance de la justice,
il habilite les juridictions à confronter les différentes normes, en vue de juger
de leur légalité, et de leur conformité à des règles ayant un rang plus élevé
dans la hiérarchie des normes.

C'est sous cet angle qu'il importe d'étudier la sécurité juridique du


contribuable en tant que fondement du principe de l'Etat de droit, en essayant
de relever dans une première section le rôle de la promotion des droits et
libertés fondamentales du contribuable pour préserver sa sécurité fiscale, puis
en analysant dans une seconde section les meilleurs moyens pour mettre en
place une bonne justice fiscale, capable de protéger à la fois : la sécurité fiscale
des contribuables et les intérêts du trésor, le tout en s’inspirant des
expériences étrangères les plus réussies dans ce domaine.

Section 1- La sécurité fiscale à travers le renforcement des


droits et libertés fondamentales du contribuable

Mis à part sa nature, l'impôt suppose l'emploi des moyens de contrainte


collective, dont le recours peut générer des atteintes aux droits et libertés du
contribuable. D'ailleurs, historiquement, plusieurs révoltes fiscales à travers le
monde s'acharnèrent contre le « manque de transparence 394» des procédures
de collecte de l'impôt par la puissance publique, qui dispose de tous les moyens
pour parvenir à ses fins. Aucune disposition légale ou extra-légale ne délimitait
à l'époque les pouvoirs de l'administration fiscale.

Ce n'est qu'à partir du dernier quart du 20ème siècle qu'on a commencé à


parler de la notion des droits du contribuable, notion forgée sous l'influence de

394
Karim Sid Ahmed, Droits fondamentaux du contribuable et procédures fiscales, Étude comparative, t1: les
droits d'origine non procédurale du contribuable, éd. L'HARMATTAN 2007, p. 29

203
l'épanouissement du concept des droits de l’homme395. Ainsi, en 1987
l'association internationale de la fiscalité a organisé à Bruxelles un séminaire
portant sur la fiscalité et les droits de l'homme396, qui constitue le premier
débat scientifique sur la question des droits du contribuable. Trois ans plus
tard, l'OCDE a réalisé un sondage auprès des contribuables de ses Etats
membres397 en y concluant que la plupart de ces pays ne disposent pas d'une
charte du contribuable : un document où sont regroupés tous les droits du
contribuable.

L’évolution de la protection des droits des contribuables continue toujours


son fleurissement, mais à des degrés différents d'un pays à l’autre, en prenant
en considération les critères de l'histoire et de la tradition juridique de chacun
d'eux.

On remarque toutefois que l'apparition des droits du contribuable est liée à


l'évolution de la technique de l'administration de l'impôt, puisqu’à l’origine, les
procédures fiscales se caractérisaient par l’absence de contrôle fiscal dans la
mesure où la fiscalité était "indiciaire" obligeant l'administration à opérer des
recensements et à dresser des rôles pour l’établissement de l’impôt. Ce n'est
qu'avec « l'apparition d'impôt à base plus personnalisé et prenant en compte
tous les éléments du patrimoine et de revenus, que la technique déclarative
s'est introduite dans la relation contribuable et fisc398» déterminant ainsi le
législateur à déléguer à l’administration fiscale des pouvoirs importants de
contrôle. Nous citerons ici, en particulier, le droit de constatation, le droit de
395
Bogumił BRZEZINSKI, ̎Taxpayers’ Rights: Some Theoretical Issues,̎ in Wlodzimierz Nykiel. and Malgorata
sek, Protection of Taxpayer's Rights: European, International and Domestic Tax Law Perspective, ed. Wolters
Kluwer, 2009 Warsaw, p.18;
396
"Taxation and human rights": proceedings of a seminar held in Brussels in 1987 during the 41 st Congress of
the International Fiscal Association, éd Deventer: Netherlands; Boston : Kluwer Law and Taxation, 1988
397
"Taxpayers’ Rights and Obligations: A Survey of the Legal Situation in OECD Countries", By the Committee
on Fiscal Affairs. Working Party No. 8, The OECD, Paris 1990, Vol 19.
398
André BARILARI, Le Consentement à l'impôt, éd. Presses de Sciences Po, Paris, 2000, p. 46

204
communication, la vérification de comptabilité, le pouvoir d’appréciation, le
pouvoir de redressement et le pouvoir des sanctions administratives. Le
recours à ces prérogatives de puissance publique est incontestablement
nécessaire pour le bon fonctionnement des services des impôts, notamment au
niveau de son action de lutte contre la fraude fiscale, mais elles peuvent aussi
présenter un danger pour la sécurité fiscale du contribuable399, surtout avec le
développement des politiques du durcissement des procédures de contrôle
fiscal, qui restent animées par un esprit de rendement budgétaire400, même si
c’est aux dépens des droits des contribuables, d'où l'intérêt d'élargir les droits
et garanties du contribuable afin de rétablir l'équilibre des relations
contribuable/fisc. À ce titre, deux types de droits du contribuable méritent
d'être protégés : le droit au respect de la vie privée (§1) et le droit à
l'information (§2).

§ 1- Le droit du contribuable au respect de sa vie privée

C'est un droit nouvellement proclamé par la Constitution marocaine de


2011 dont l’article 24 dispose que « toute personne a droit à la protection de sa
vie privée ».

En effet, le caractère récent de la notion de la vie privée se confirme


également à l'échelle internationale, puisque « les premières expressions
jurisprudentielles de la protection des biens de la personnalité apparaît dans la
première moitié du XIXe siècle, en Angleterre (1825, 1849), en France
(1845) 401». Cependant, le sens de la notion de "vie privée" est loin de faire

399
v. Olivier FOUQUET, "Sécurité fiscale et fraude fiscale", in Revue française de finances publiques, n° 127,
éd. L.G.D.J. Lextenso édition, pp. 151-161
400
Voir supra : Partie 1- Chapitre1- section 3- B- Le redressement fiscal comme moyen de rendement
budgétaire. P.64
401
François RIGAUX, "la liberté de la vie privée", in Revue internationale du droit comparé, Vol43, N°3/1991,
p539

205
l'unanimité de la doctrine, et cela pour deux raisons : la première tient du
caractère subjectif de cette notion402, puisque la délimitation de la sphère
privée par rapport à la sphère publique varie d'une personne à une autre. La
seconde raison trouve ses fondements dans les multitudes des droits
fondamentaux que le droit au respect de la vie privée englobe en son sein, on
cite à titre d'exemple : la protection du droit à l'intimité, à l'image, à l'honneur,
à la confidentialité, à la sacralité du domicile…

Sans trop s'aventurer dans un débat de définition403, on se concentrera


pour notre étude sur l'analyse du droit au respect à la vie privée du
contribuable sous l'angle de la protection de son domicile et de sa
confidentialité, puisqu'il s'agit des droits les plus menacés par la procédure de
contrôle fiscal.
A- Le droit au respect du domicile du contribuable

Sans la garantie du contribuable contre les perquisitions fiscales, on ne peut


prétendre le protéger contre l'insécurité fiscale. Ainsi, le législateur marocain a
doté l'administration fiscale "d'une arme de dissuasion"404 très forte, lui
permettant de lutter efficacement contre la fraude fiscale. Il s'agit du droit de
constatation régi par l'article 210 du CGI permettant aux enquêteurs de
l'administration d'opérer des intrusions inopinées dans les locaux d'une
entreprise afin de vérifier le bien-fondé des opérations et mentions portées sur
les factures reçues d’un fournisseur ou adressées à un client, en les faisant

402
Selon un auteur, la notion de la vie privée … est impossible à définir, elle se sent plus qu'elle se définit et il
serait même inutile de s'y essayer tant ses contours fugaces se déplacent au gré des circonstances. (Marie-
Thérèse MEULDERS-KLEIN, "Vie Privée, Vie Familiale et droits de l'homme", in Revue internationale de droit
comparé, vol 44 n°4/1992 p. 770)
403
Sur ce sujet v. Bernard BEIGNIER et Jeremy ANTIPPAS, " La protection de la vie privée », in Liberté et
droits fondamentaux", sous la direction de Rémy CABRILLAC, éd Dalloz, Paris, 2013, p. 213s
404
"Bensouda: « Le droit de constatation n’est pas une mitraillette » - Le contrôle imprévu: Les garanties du
Fisc", In L'économiste N° 2445 du 18/01/2007, http://www.leconomiste.com/article/bensouda-le-droit-de-
constatation-n-est-pas-une-mitraillette consulté le 7 juin 2015 à 12:06

206
rapprocher des livres, des registres, de la comptabilité « ainsi que de tout
document professionnel se rapportant à des opérations qui ont donné lieu ou
auraient donné lieu à facturation405 ». Néanmoins, l'exercice de ce droit n'est
pas sans danger sur la sécurité fiscale du contribuable dans la mesure où il
s'exerce à l'improviste dans les locaux professionnels du contribuable. On se
demande à ce niveau si les dispositions de l'article 24 de la Constitution
peuvent être applicables pour contrecarrer la rigueur de cette prérogative du
fisc. Pour cela, il importe tout d'abord de définir la notion du domicile afin de la
faire rapprocher de celle du domicile fiscal (1). Puis, il serait question d’exposer
quelques expériences étrangères en matière de protection du contribuable
contre les dangers des perquisitions fiscales (2).

1- La détermination de la notion du domicile

A la lecture de l’article 24 de la loi fondamentale du Royaume, on trouve


qu'il dispose dans son second alinéa que "le domicile est inviolable", mais sans
donner d'amples détails quant au sens de cette notion. Il précise tout de même
que « les perquisitions ne peuvent intervenir que dans les conditions et les
formes prévues par la loi ».

Il s'agit incontestablement d'une garantie solide pour la sacralité du


domicile, sauf que la définition de ceci pose réellement problème,
particulièrement au niveau de la possibilité de l’étendre au domicile fiscal du
contribuable.

405
Khalid HALOUI, Les Garanties du contribuable dans le cadre du contrôle fiscal en droit marocain, thèse
soutenue le 2 décembre 2011 à L'université de Grenoble, p. 30

207
L’intérêt de cette extension profitera surtout aux entreprises (personne
morale ou non), en assimilant les locaux professionnels du contribuable à un
domicile, tel qu’il est conçu par la constitution.

En France, cette notion s'est développée progressivement vers un sens plus


élargi, jusqu'à embrasser « la résidence secondaire, la chambre d'hôtel louée et
le bureau, mais le local doit être habitable406 ». C'est ainsi que la chambre
criminelle de la Cour de Cassation française a pu adopter une définition
extensive, en jugeant que « le terme domicile ne désigne pas seulement le lieu
où une personne a son principal établissement, mais encore le lieu, qu'il y
habite ou non, où elle a le droit de se dire chez elle, quels que soit le titre
juridique de son occupation et l'affectation donnée aux locaux 407».

Au Maroc, face à une indigence de jurisprudence en la matière,


l'interprétation du texte constitutionnel pose réellement problème,
notamment dans sa version arabe. Ainsi, à la lecture de l'article 24 de la
constitution, on remarque qu'il utilise le terme (‫ )منزل‬qui signifie maison ou
demeure et non pas (‫ )موطن‬qui peut avoir un sens plus large que le précèdent.
Est-ce qu'on doit comprendre par-là que le constituant marocain a voulu limiter
la protection constitutionnelle aux seuls locaux d'habitation sans l'étendre aux
locaux professionnels ? Cette problématique se confirme davantage lorsqu’on
sait que les droits de l'homme sont essentiellement conçus au profit de l'être
humain à l'exclusion des personnes morales.

À vrai dire, la discussion sur la nature du domicile doit en principe être


dépassée au Maroc, dans la mesure où il a été tranché par de nombreux droits

406
K. Sid Ahmed, Op. Cit., p. 148
407
Cass. Crim., 4 janvier 1972 Bill. Crim., n° 6; 13 octobre 1982, Bull. crim., n°281. Cité par K.SID AHMED,
Op. Cit., p. 148

208
étrangers, comme par exemple le droit européen où un problème
terminologique similaire à celui de l'article 24 de la constitution marocaine s'est
posé au niveau de l'article 8 de la convention européenne des droits de
l'homme, dont le terme "domicile" en langue française est traduit par le mot
"home" en langue anglaise qui a une connotation limitée par rapport au
premier. Ainsi, afin de rétablir l'harmonie du droit européen et d'assurer une
égalité de traitement entre les différents citoyens européens, la Cour
Européenne des Droits de l'Homme (CEDH) a tranché la question en faveur
d'une interprétation extensive du terme domicile, en jugeant que « la
perquisition opérée dans les locaux d'une société commerciale est une
ingérence portant atteinte au droit de celle-ci au respect de son "domicile" 408».

Sur le plan des droits des pays membres, l'assimilation des locaux
professionnels au domicile ne fait pas l'unanimité. Ainsi, la France a réglé la
question par un arrêt de la Cour de Cassation rendu le 23 mai 1995 en
soutenant « qu'une personne morale bénéficie d'un domicile au sens de
409
l'article 226-4 du code pénal qui doit être protégé ». Quant à la république
Fédérale d'Allemagne, on trouve que sa loi fondamentale déclare
expressément dans son article 19 que « les droits fondamentaux s'appliquent
aussi aux personnes morales dans la mesure où ils leurs sont applicables en
raison de leur nature 410». Concernant le droit espagnol, « la distinction entre
investigation dans un lieu professionnel et investigation dans un lieu servant de

408
CEDH, Colas Est et autres c/ France, 16 avril 2002, requête n° 37971/97, Recueil des arrêts et des décisions
2002-III, §§ 40-42 ; cité par Kouamé HUBERT KOKI, Les droits fondamentaux des personnes morales dans la
convention européenne des droits de l'homme, thèse de doctorat, soutenue à l’université de La Rochelle, 2011,
France, p. 398
409
Cass. Crim., 23 mai 1995, Bull. Crim., n°193; rev. Sociétés 1996, p. 109 ; cité par Hélène MARTRON, Les
droits de la personnalité des personnes morales de droit privé, éd. LGDJ, 2011, Paris, p. 18
410
V. La constitution de l’Allemagne en langue française dans le portail du Gouvernement Fédéral,
http://www.bundesregierung.de/Content/FR/_Anlagen/loi-fondamentale.pdf?__blob=publicationFile, consulté le
21/06/2015 à 10:58

209
411
cadre de vie (affectés exclusivement à l'habitation) …subsiste toujours ». En
effet, la réglementation fiscale espagnole n'exige dans le premier cas que
l'obtention d'une autorisation d'un supérieur hiérarchique, à la différence du
second cas où un mandat du juge est nécessaire pour effectuer les
perquisitions fiscales. Cette tendance protectrice est présente de nos jours
dans la plupart des pays occidentaux412, sans faire de distinction entre le
domicile destiné à l'habitation et celui consacré à une activité professionnelle.

2- La protection judiciaire du domicile fiscal

Comme nous l'avons déjà relevé, le recours aux perquisitions fiscales par le
fisc est souvent justifié par la prévention contre la fraude fiscale, ce qui sert
aussi de soubassement du caractère inopiné du droit de constatation accordé
au fisc marocain. À ce titre on trouve deux intérêts opposés qui se confrontent,
d'un côté la protection des droits individuels du contribuable notamment le
respect de son domicile, et de l'autre côté, la préservation des intérêts du
trésor, qui n'est autre que la bonne perception de l'impôt. Devant ce conflit
d'intérêt, la CEDH a eu l'occasion de préciser, que face à la lutte contre la
fraude, les Etats contractants peuvent recourir à des pouvoirs d'investigation,
en autorisant par la loi des ingérences dans le droit au respect de la vie privée,
de la correspondance et du domicile, à la seule condition que les mesures
prises soient proportionnées au but légitime recherché413. De ce fait et vu le
caractère attentatoire aux droits individuels de cette mesure, l'intervention du

411
K. Sid Ahmed, Op. Cit., p. 119
412
OCDE, Taxpayers’ Rights and Obligations – Practice Note, p. 5
413
Décision de la CEDH en date du 25 février 1993, MIAILHE C/ La France. Cité par Dimitri YERNAULT,
"Les pouvoirs d'investigation de l'administration face à la délinquance économique : les locaux professionnels et
l'article 8 de la Convention européenne" (obs/s. Cour eur. dr. h., Miailhe c. France, 25 février 1993), in Revue
trimestrielle des droits de l'homme, éd. Nemesis, n° 17 Janvier 2014, p. 121,

210
juge nous semble nécessaire, en s'alignant ainsi à la plupart des pays
occidentaux en la matière.

Ainsi, en France, l'exercice du droit de visite et de saisie a évolué avec le


temps en s'alignant progressivement au régime applicable en matière pénale,
d'où l'appellation de perquisitions fiscales414. Concrètement, cette évolution n'a
commencé que le 29 décembre 1983, date à laquelle le Conseil Constitutionnel
avait décidé que « la perquisition des locaux doit faire l'objet d'une autorisation
qui ne peut être donnée que par le juge judiciaire 415». Sans tarder, le
législateur a entériné cette décision, en vertu de la loi de finances de 1985,
dont les dispositions resteront en vigueur jusqu'à nos jours, en vertu de l'article
L16B-II du livre des procédures fiscales aux termes duquel « chaque visite doit
être autorisée par une ordonnance du juge des libertés et de la détention du
tribunal de grande instance dans le ressort duquel sont situés les lieux à visiter.

Le juge doit vérifier de manière concrète que la demande d'autorisation qui


lui est soumise est bien fondée ; cette demande doit comporter tous les
éléments d'information en possession de l'administration de nature à justifier
la visite… ».

En Suède, le pouvoir de visite et de saisie du fisc est également limité par la


loi. L'administration fiscale doit demander au tribunal un mandat pour
perquisitionner les locaux du contribuable à la recherche des documents
pertinents permettant d'évaluer son revenu. Ce mandat ne sera donc accordé
au fisc qu'à la réunion d'une triple condition : le tribunal doit tout d'abord
établir que le contribuable n'a pas fourni les documents requis, il doit ensuite

414
Christian LOPEZ, "La sécurité fiscale et libertés publiques", in la sécurité fiscale, sous la direction de
Jacques BUISSON, éd L’Harmattan, Paris, 2011, p. 151
415
Jean LAMARQUE, Perquisitions fiscales, Justices 1997, n°5, p. 297, cité par K. SID AHMED, Op. Cit., p. 96

211
évaluer la pertinence des informations recherchées par l'administration, en
s’assurant enfin qu'une telle action est raisonnablement proportionnée416.

La même voie est suivie par la Grande-Bretagne en matière d'impôt sur le


revenu, en permettant aux agents du fisc de pénétrer dans les locaux d'une
entreprise ou du domicile des personnes physiques, après l'obtention d'une
ordonnance du juge, qui doit vérifier l'existence de sérieux indices qui font
suspecter qu'une infraction impliquant une fraude sérieuse a été commise417.

Tout compte fait, on conclut que la présence d’un juge autorisant ou non
les perquisitions et les visites domiciliaires est devenu une nécessité pressante
pour le Maroc, afin de protéger le contribuable contre cette insécurité
procédurale en matière d'investigations administratives. Sachant que
l'administration use de ses pouvoirs exorbitants, afin qu'elle puisse parvenir à
la vérité, c’est-à-dire établir la preuve de la fausseté des déclarations, ce qui se
traduit par une rupture d'égalité entre les deux protagonistes qui peut trouver
son justification dans la mission de service publique dont est investi le fisc.
Personne ne peut contester ces pouvoirs de l’administration, mais ce qui est
critiquable c'est de permettre à l'administration d'en user sans le concours d’un
juge, qui sera éventuellement appelé pour trancher le différend qui les oppose.
Comment peut-on concevoir que l'administration, potentiellement
demanderesse au tribunal, puisse user de quelques pièces à conviction qu'elle
a pu recueillir lors d'une opération de perquisition effectuée sous sa diligence.

416
Anders HULTQVIST, "Taxpayers' Rights in Sweden", in Revenue Law Journal (Austrilia): Vol. 7: Iss. 1,
1997, p. 46
417
S. 20C Taxes Management Act 1970, voir aussi: HM Revenue and Customs and the Taxpayer Modernising
Powers, Deterrents and Safeguards, Document on Criminal Investigation Powers issued in August 2006, By The
Chartered Institute of Taxation, pp. 14 et15,
http://old.tax.org.uk/attach.pl/4877/5115/CriminalInvestigationPowers%20final311006.pdf%22 consulté le
27/06/2015 à 16:23

212
Il importe donc de penser à nuancer le droit de constatation de
l’administration fiscale, afin de préserver la sécurité fiscale du contribuable en
élargissant ses garanties, notamment par l'intervention du juge qui doit veiller
au bon déroulement de la procédure.

Toutefois, en dépit du caractère protecteur de cette garantie en matière de


perquisition fiscale, elle reste incapable de préserver la confidentialité du
contribuable, notamment lorsque les recherches du fisc se déroulent dans les
locaux d'un professionnel astreint à l'obligation du secret professionnel418.
B- Le droit au respect de la confidentialité du contribuable

Tout individu a son propre jardin secret419, au sein duquel il met à l'abri du
regard des autres un ensemble d'informations qu'il juge confidentielles et
intimes, soit pour des raisons professionnelles (on parle donc de secret
professionnel, secret d'affaire, secret bancaire…) soit pour des raisons
personnelles (le secret familial, médical, …). Il faut donc déterminer tout
d'abord la notion de confidentialité dans le contexte du droit fiscal (1) avant de
mettre la lumière sur l'importance de la protection de la confidentialité du
contribuable afin de préserver sa sécurité fiscale (2).

1- La notion de confidentialité en droit fiscal

À vrai dire, le domaine de la confidentialité des gens a toujours été protégé


par le droit. C'est dans ce but que plusieurs dispositions légales ont été

418
Voir notamment l’arrêt de la Cour Européenne des Droits de l’Homme du 24 juillet 2008 (André c/ France)
qui conclut que la visite domiciliaire et les saisies effectuées au domicile des avocats étaient, dans les
circonstances de l’espèce, disproportionnées par rapport au but poursuivi. Arrêt cité par Philippe Mortimer,
Secret professionnel de l’avocat et droit de visite de l’administration fiscale : la France condamnée par la CEDH,
10/10/2008, http://www.village-justice.com/articles/Secret-professionnel-avocat-droit,4377.html, consulté le
14/06/2016 à 13:36.
419
Pour de plus amples idées sur ce sujet, voir : Yves-Henri BONELLO, Le secret, coll. « Que sais-je ? » éd.
Presse Universitaire de France., 1998. Paris.
Voir aussi, Jean-Philippe PIERRON, "Sous le sceau du secret", in Études 2004/5 (Tome 400) pp. 625-635

213
adoptées. On cite à titre d’exemple les articles 446 et 447 du code pénal
marocain qui définissent l'infraction de violation du secret professionnel, et qui
constitue le droit commun de plusieurs lois spéciales régissant certaines
professions, comme l’article 18 du dahir n° 1-58-008 du 24 février 1958 portant
statut général de la fonction publique qui renvoie à ces dispositions en liant
tout fonctionnaire à une obligation de discrétion pour l’ensemble « des faits et
informations dont il a connaissance dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice
de ses fonctions ». En matière fiscale, l’article 246 du C.G.I. renvoie aussi à la
règle du secret professionnel en stipulant que toutes les personnes appelées à
l’occasion de l’exercice de leurs fonctions ou attributions à intervenir dans
l’établissement, le contrôle, la perception ou le contentieux des impôts, droits
et taxes sont tenues au secret professionnel dans les termes des lois pénales en
vigueur420.

Le législateur a instauré également une protection en faveur des personnes


physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel, par la loi
n°09-08 promulguée par le Dahir n° 1‐09‐15 du 18 février 2009.

Toutefois, en dépit de la multiplicité des types de protection légale, le droit


du contribuable à la confidentialité n'est pas absolu. En effet, naturellement, la
vie en société implique nécessairement que les hommes qui la composent
dévoilent quelques éléments de leur vie privée nécessaires au fonctionnement
des organes sociaux. C'est d’ailleurs en vertu de cette brèche qu'intervient
l'action de l'administration fiscale, en exerçant ses prérogatives dans un but
d'intérêt général, en l'occurrence la collecte des recettes fiscales, au moyen

420
Cette obligation peut être levée en vertu d'une ordonnance du juge compétent en autorisant la communication
des renseignements ou la délivrance des copies d’actes, documents ou registres en leur possession aux parties,
autres que les contractants ou contribuables concernés ou à leurs ayants cause à titre universel (article 246-1°,
parg 2.)

214
d'un certain nombre d'instruments juridiques de contrôle fiscal comme le droit
de communication et le droit de constatation. Néanmoins, des limites sont
fixées afin d'éviter tout abus ou excès dans l’exercice de ses actions. Ainsi, il
ressort de l'article 214-I-1°)-a. du C.G.I. que le fisc est en mesure de solliciter
« les documents de service ou comptables détenus par les administrations de
l’Etat, les collectivités locales, les établissements publics et tout organisme
soumis au contrôle de l’Etat, sans que puisse être opposé le secret
professionnel ». Cette disposition souffre toutefois de quelques limites
notamment pour les professions libérales dont l’exercice implique des
prestations de service à caractère juridique, fiscal ou comptable nécessitant le
respect du secret professionnel, telles que celles des avocats, interprètes,
notaires, adouls, architectes, huissiers de justice, experts comptables,
conseillers juridiques, qui sont en mesure, en vertu de l’article 214 (I- 1°) du
C.G.I., de s’abstenir à communiquer la globalité des dossiers de leurs clients.

La menace de la confidentialité du contribuable ne s'opère pas seulement


lorsque l'administration fiscale exerce ses droits de constatation et de
communication, mais aussi dans le cadre des échanges de renseignements avec
d’autres administrations fiscales étrangères à l’occasion de l’application des
conventions d'assistance réciproque en matière d'impôts, qu’elles soient
bilatérales ou multilatérales conclues sous les auspices des organisations
internationales (SDN, l'OCDE, l'ONU…).

Cette menace au droit à la confidentialité du contribuable se fait sentir


également lors de la vérification de la comptabilité informatisée des
entreprises régie par l'article 212 (I- 3e alinéa) du C.G.I.421, qui trace un

421
Aux termes de cet article, « si la comptabilité est tenue par des moyens informatiques ou si les documents
sont conservés sous forme de microfiches, le contrôle porte sur l’ensemble des informations, données et

215
périmètre de contrôle du fisc par des termes vagues, dont l'interprétation
extensive peut étendre la vérification à tous les documents relatifs au
fonctionnement de l'entreprise comme ceux portant sur la gestion du
personnel, le marketing ou l'aspect strictement technique de la production, et
dont la divulgation peut nuire à la sécurité fiscale du contribuable.

2- La protection de la sécurité fiscale du contribuable par le


respect de sa confidentialité

Sur le plan de la sécurité fiscale du contribuable, l'utilité de la protection


légale de sa confidentialité n'apparaît clairement qu'en matière du secret des
affaires, dans la mesure où la divulgation d’un tel type de secrets peut
entraîner un affaiblissement de la position concurrentielle du redevable. C'est
pour cette raison que le législateur suédois a adopté la notion de "sensitive
information" (information sensible) permettant au contribuable d'écarter, lors
du déroulement d'une procédure de vérification, un certain nombre
d'informations qu'il juge sensibles, en recourant au juge chaque fois qu'un
désaccord sur cette qualification surgit entre l'administration et le contribuable
afin de mesurer le degré de sensibilité et d'importance des informations et
documents sollicités par l'administration. Sont ainsi considérées comme
informations sensibles : les informations techniques telles que les désignes
d'un produit, le secret des affaires tel que la liste des clients et le contenu des
compagnes publicitaires. Les consultations juridiques données par les bureaux
de conseil fiscal sont également couvertes par cette garantie légale422.

traitements informatiques qui concourent directement ou indirectement à la formation des résultats comptables
ou fiscaux et à l’élaboration des déclarations fiscales, ainsi que sur la documentation relative à l’analyse, à la
programmation et à l’exécution des traitements. »
422
Anders HULTQVIST, Taxpayers' Rights in Sweden, in Revenue Law Journal (Austrilia): Vol. 7: Iss. 1, 1997,
p. 48

216
S'agissant des informations échangées entre administrations étrangères
dans le cadre des accords d'assistance réciproque en matière fiscale, l'OCDE a
récemment publié un rapport portant guide des meilleures pratiques de la
protection de la confidentialité du contribuable, en incitant les Etats membres
à s'en inspirer pour atteindre une meilleures protection des données
personnelles et « s'assurer que les renseignements communiqués ne pourront
être utilisés qu'aux fins prévues par l'instrument utilisé 423». Selon ce même
rapport, « les contribuables doivent avoir l'assurance que les informations
financières les concernant, souvent de nature sensible, ne seront pas
divulguées de façon inopportune, ni intentionnellement ni par accident ». Ainsi,
parmi les exemples cités par ce rapport, on trouve celui du Danemark et du
Suède où la loi « prévoit que toute restriction imposée par l’Etat requis quant à
l’utilisation des renseignements reçus doit s’appliquer même si elle est
contraire au droit national ». C’est également le cas aux États-Unis où on
applique les exigences de confidentialité du droit national lorsqu’elles sont plus
contraignantes que celles prévues par la convention internationale considérée.

L’analyse de ces exemples nous conduit à critiquer notre loi nationale n°09-
08 relative à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des
données à caractère personnel, dont l'article 43 pose comme principe
l'interdiction de « transférer les données à caractère personnel vers un Etat
étranger que si cet Etat assure un niveau de protection suffisant de la vie privée
et des libertés et droits fondamentaux des personnes à l'égard du traitement
dont ces données font l'objet ou peuvent faire l'objet…424 ». Mais cette
extraordinaire garantie posée par le législateur sera battue en brèche par

423
"Garantir la confidentialité : le guide de l'OCDE sur la protection des échanges de renseignements à des fins
fiscales", 2012, p. 5, http://www.oecd.org/fr/ctp/echange-de-renseignements-fiscaux/rapport-garantir-la-
confidentialite.pdf consulté le 23/08/2015 à 20:07
424
B.O n° 5714 du 05/03/2009 p345

217
l'article qui suit, en stipulant que « … le responsable d'un traitement peut
transférer des données à caractère personnel vers un Etat ne répondant pas
aux conditions prévues à l'article ci‐dessus, si la personne à laquelle se
rapportent les données a consenti expressément à leur transfert ou … Si le
transfert s'effectue en application d'un accord bilatéral ou multilatéral auquel le
Royaume du Maroc est partie ». Cela veut dire que l'administration marocaine
détentrice des données à caractère personnel d'une personne physique (au
sens de l'article premier de cette loi) peut les transférer à un Etat étranger qui
s'unit avec le Royaume par un accord d'échange de renseignements, même si le
niveau de la garantie de confidentialité chez ces Etats est inférieur à celui du
Maroc.

En dernière analyse, on peut conclure que le droit du contribuable au


respect de sa vie privée mérite davantage d'être encouragé au Maroc,
notamment avec le développement des procédés de lutte contre la fraude
fiscale, et les dangers d'atteinte à la sécurité fiscale qui peuvent s’en suivre.
Néanmoins, la préservation du secret fiscal du contribuable ne peut aller
jusqu'à la limitation de son droit à l'information. Autrement dit, les restrictions
légales à la divulgation des informations en matière fiscale ne peuvent freiner
l’exercice du droit du contribuable à l'accès inconditionnel à tous les
renseignements administratifs relatifs à son statut fiscal.

§ 2-Droit du contribuable à l'information

L’accès du contribuable à l'information en matière fiscale est l'un des piliers


de la préservation de sa sécurité juridique. Ainsi, au nom du principe de l'Etat
de droit, l'information du contribuable constitue une réelle garantie de son
droit à la défense étant un élément fondamental du principe du contradictoire.
Dans ce sens, le contribuable doit être informé de l'engagement de toute

218
procédure de contrôle en vue de préparer sa défense. Il doit être aussi mis au
courant de tous les éléments (documents, pièces, informations…) qui lui sont
opposés par l'administration, ainsi que toutes les conséquences financières qui
peuvent éventuellement résulter d'une décision de redressement fiscal.

D'un point de vue plus global, la sécurité juridique des contribuables


implique qu'ils « soient clairement informés de leurs droits et obligations, et
aient accès à tous les documents susceptibles de les éclairer à ce sujet 425».

Au total, on peut dire que le droit du contribuable à l’information peut


prendre deux formes, une générale, selon laquelle l’administration est obligée
de communiquer au contribuable, de manière claire et synthétique, l’ensemble
de ses droits et obligations (A), et une forme spécifique à l’application de
certaines procédures fiscales (B).
A- Le droit du contribuable d’être informé sur ses droits et obligations

Le droit d'accès à l'information est un droit fondamental relevant du


principe de la transparence qui implique que les citoyens soient informés des
activités des administrations et aient accès à leurs documents, afin de mieux
exercer leurs droits et remplir leurs obligations. Sa mise en œuvre entre
souvent en conflit avec le droit des individus au respect de leur vie privée,
notamment le droit à la confidentialité qui constitue une limite à son exercice.

Le caractère fondamental de ce droit a amené beaucoup de pays à


l’incorporer au sein de leurs lois fondamentales. Le Maroc n’a pas manqué à
suivre cette tendance de constitutionnalisation, en proclamant pour la
première fois dans la Constitution de 2011 (article 27) le droit des citoyennes et
citoyens « d’accéder à l'information détenue par l'administration publique, les
425
Robert ANDERSEN, "Information et publicité en droit fiscal ", in Sécurité juridique et fiscalité : Actes de la
journée d'études du 5 novembre 2002, éd Bruxelles Bruylant 2003, p. 15

219
institutions élues et les organismes investis de mission de service public », tout
en précisant que ce droit ne peut être limité que par la loi dans des cas biens
déterminés. Toutefois, faute de texte d'application, l'exercice de ce droit reste
jusqu'à présent gelé. Devant cette évidence, le contribuable marocain ne peut
obliger l'administration fiscale à l'informer sur ses droits et obligations, sauf
lorsqu'il est sujet d'une procédure de vérification de la comptabilité où la loi a
obligé l'administration à annexer à la notification de l’avis de vérification, une
charte du contribuable vérifié, sous peine d’annulation de toute la procédure
(article 212- I du CGI). Sauf que cette limitation de son champ d’application aux
seuls contribuables vérifiés écarte de son bénéficie une large tranche de la
population fiscale, ce qui a amené le professeur NMILI à formuler quelques
propositions intéressantes en vue d’innover le contenu de cette charte et
d’élargir son champ de couverture à toutes les catégories de contribuables.
Ainsi, selon lui, « beaucoup plus qu’un inventaire des droits de contribuable, la
charte doit correspondre à un engagement de bonnes pratiques et être
opposable à l’administration. Le contribuable doit être en mesure de s’y référer
pour faire valoir ses droits auprès de cette administration 426». L’auteur a
poursuivi par d’autres suggestions, comme prévoir la possibilité pour le
contribuable de consulter en ligne sa situation fiscale, ses déclarations de
revenus, ses avis d’impositions et ses données de paiement. Pouvoir « saisir
l’administration fiscale sur des questions précises, par courrier classique ou
électronique et lui garantir une réponse détaillée et claire dans un délai à
fixer… 427»

Sur le plan pratique, l'information du contribuable de ses droits et


obligations contribue indéniablement au renforcement de sa sécurité fiscale,

426
Mohammed NMILI, Pour un impôt juste, les éditions Oser 2011 p. 255- 256
427
Ibidem p. 26

220
dans la mesure où la diffusion la plus large possible et de manière synthétique
des droits et obligations du contribuable rend la législation fiscale plus
intelligible et indolore, ce qui se répercute par conséquent sur le taux
d'adhésion fiscale et le taux de conformité à la législation fiscale. Dans cette
optique, une étude effectuée sur un échantillon de contribuables néo-zélandais
a démontré que la connaissance en matière fiscale contribue inévitablement à
l'adhésion volontaire au système fiscal428, et par là-même, à la lutte contre la
fraude et l'évasion fiscale429.

L'adoption d'une charte des droits et obligations du contribuable est


devenue une nécessité urgente, vue l’accroissement incessant de la complexité
et de l'inaccessibilité dont souffre notre législation fiscale430. Dans cette
attention, il importe de se référer au modèle élaboré par l'OCDE, en citant
quelques expériences réussies, notamment les modèles américain et australien
en la matière.

1- Le modèle des chartes et déclarations établies par l'OCDE


Nombreux sont les pays qui ont adopté une charte ou une déclaration qui
regroupe de manière synthétique l'ensemble des droits et obligations garanties
par leur législations fiscales. Devant la variété de ces droits et obligations,
l'OCDE a essayé de les classifier en deux listes, en se référant aux modèles de
chartes et déclarations adoptées par ses pays membres. Ainsi selon une note

428
Saad NATRAH, "Tax knowledge, tax complexity and tax compliance: taxpayers’ view", In 2nd World
Conference On Business, Economics And Management-2013, éd. Procedia - Social and Behavioral Sciences 109
(2014) p. 1070
429
Marion TURRIN, La légitime répression de la fraude fiscale, thèse soutenue publiquement le 8 janvier 2011,
à la Faculté de droit et de science politique d'Aix-Mareille, p. 85
430
V. supra : Partie I- Chapitre I- Section2- B- L’accessibilité intellectuelle. P.50

221
établie par cette organisation internationale431, on peut compter cinq types de
droits fondamentaux :
- Le droit d'être informé, assisté et entendu ;
- Le droit à un recours ;
- Le droit de ne payer que le montant exact de l'impôt ;
- Le droit à la sécurité juridique ;
- Le droit au respect de la vie privée ;
- Le droit au respect de la confidentialité et du secret.
À l'opposé, l'OCDE recommande que les chartes contiennent cinq types
d'obligations :
- L'obligation d'être honnête ;
- L'obligation d'être coopératif ;
- L'obligation de fournir des informations et des documents précis dans le
délai ;
- L'obligation de tenir des registres ;
- L'obligation de payer ses impôts dans le délai.

L'OCDE a défini chacun de ces droits et obligations, en précisant leur


contenu avec un langage simple, afin de le rendre le plus largement accessible
et compréhensible. Néanmoins, il importe de s'attarder un peu sur le contenu
du droit d'être informé, assisté et entendu, puisqu'il constitue le pivot de la
jouissance des autres droits du contribuable et de l'appréhension de ses
obligations. Ainsi, selon la note de l'OCDE précitée, les contribuables ont le
droit d'avoir des informations à jour sur le fonctionnement du système fiscal et

431
"The OECD Committee of Fiscal Affairs Forum on Tax Administration, Taxpayers’ Rights and Obligations –
Practice Note. Tax guidance series" (2003), disponible en ligne au
http://www.oecd.org/tax/administration/Taxpayers'_Rights_and_Obligations-Practice_Note.pdf consulté le
22/10/2015 à 20:36

222
sur la façon dont leurs impôts sont évalués. Ils ont également le droit d'être
informés de leurs droits, notamment ceux ayant trait à leurs affaires.

En ce qui concerne les moyens qui peuvent être utilisés pour l'information
du contribuable, l'OCDE a précisé que l'administration fiscale dispose d'une
variété de moyens en plus des chartes et déclarations, comme par exemple le
téléphone, les brochures d'information, les guides en vidéo, etc.

En dernière analyse, il faut avouer que le modèle de la charte du


contribuable, élaboré par l'OCDE, reste une bonne référence pour les pays qui
ne disposent pas d'un document similaire, mais il reste moins protecteur de ce
droit par rapport à d'autres modèles étrangers plus développés,
particulièrement les modèles américain et australien.

2- L'information du contribuable en Australie

L'Australie figure parmi les pays qui protègent le plus le droit du


contribuable à l'information. Cette protection prend deux formes, la première
concerne les rulings publics et privés en vertu desquels le contribuable peut
obtenir des informations générales et spécifiques sur l'application de la loi
fiscale par l'Australian Taxation Office (ATO), dans un temps utile, soit avant la
date des déclarations fiscales. Ce mécanisme revêt une importance non
négligeable au niveau de l'information du contribuable, il permet ainsi de
réduire à néant les poches d'incertitude chez le contribuable à travers la
clarification de la législation fiscale par l'administration elle-même, en
s'engageant à ne pas revenir sur son interprétation432. Le second type de
protection a trait au droit général des citoyens de demander des informations

432
V. les caractéristiques de certains types et le mode d'emploi des rescrits fiscaux (rulings) précédemment
étudiés dans la deuxième partie/Chapitre I/Section 1/B/2/a- La consultation préalable de l'administration fiscale

223
détenues par les départements ministériels et agences de la Commonwealth.
Ce droit fondamental est exercé dans le cadre d'une loi nommée "Freedom of
information Act 1982" (loi sur la liberté d'accès à l'information)433. En vertu de
cette loi, tout contribuable australien peut accéder à certaines informations et
documents liés à sa situation fiscale, détenus par les autorités fiscales, tels que
les informations délivrées par les tiers, les rulings publics ainsi que les
procédures et directives utilisées par le Tax Office dans la prise des décisions434.

Outre ces deux garanties, il existe en Australie une charte des droits des
contribuables élaborée par l'Australian Taxation Office, par laquelle il s'engage
de fournir « des renseignements exacts, clairs et cohérents pour aider le
contribuable à comprendre ses droits et à remplir ses obligations435 ». La charte
précise également que le terme renseignements désigne aussi bien les
informations publiées sur l’application de la loi en général que les conseils
personnels sur la façon dont cette loi s’applique aux circonstances particulières
à chaque contribuable. L'ATO s'engage aussi de tenir compte, lors de
l'établissement de l'impôt, des erreurs commises par le contribuable en se fiant
à des informations erronées ou trompeuses.

3- L'information du contribuable aux Etats-Unis d'Amérique

La consécration expresse par le droit fiscal américain du droit à


l'information du contribuable est très récente, soit à l'occasion de l'adoption de
la première charte des droits du contribuable en juin 2014. Certes, il existait
aux États-Unis avant cette date plusieurs lois portant le nom de "Taxpayers Bill
433
Karen WHEELWRIGHT, Taxpayers' Rights in Australia in Revenue Law Journal (Austrilia): Vol. 7: Iss. 1,
1997, p. 241
434
6ème paragraphe du Freedom of Information Act (1982) en ligne à
http://downloads.icbglobal.org/au/ATO/Accessing_information_under_the_Freedom_of_Information_Act_N255
4.pdf , consulté le 17/10/2015 à 10:30
435
Accessible en ligne depuis le portail officiel de cet office :
https://www.ato.gov.au/workarea/DownloadAsset.aspx?id=9438 consulté le 17/10/2015 à 11:17

224
of Rights" contenant des droits au profit du contribuable et qui ont été
incorporées dans le code des revenus internes (Internal Revenue Code), mais
sans constituer une liste thématique des droits et obligations des
contribuables. Ainsi, en 1988, le Congrès avait adopté le "Omnibus Taxpayer
Bill Of Right 1" instituant au profit du contribuable certains moyens juridiques
lui permettant d'éviter les éventuels abus de pouvoir de l'administration fiscale
(Internal Revenue Service). S'en est suivie l'adoption d'une nouvelle loi en 1996
s'intitulant "The Taxpayers' Bill of Rights 2", qui a octroyé au contribuable une
protection additionnelle de ses droits, en lui assurant davantage de garanties
lorsqu'il traite avec le fisc. Deux ans plus tard, l'Internal Revenue Code a été à
nouveau amendé après la promulgation du "Taxpayers' Bill of Rights 3", qui
s'est caractérisé par une nette amélioration de la protection des droits du
contribuable américain.

Il fallait attendre seize ans après, soit en juin 2014, pour que l'Internal
Revenue Service publie une charte du contribuable, regroupant tous les droits
énoncés dans les Taxpayers' Bill of Rights, sous l'intitulé "vos droits en tant que
contribuable" (your rignts as a taxpayer)436. Parmi les droits cités par ce
document, on trouve le droit d'être informé, selon lequel les contribuables ont
le droit de connaître leur devoir pour se conformer aux lois fiscales. Ils ont aussi
le droit à une explication claire des lois et procédures de l'administration fiscale
à travers les formulaires d'impôt, les instructions, les publications et les avis.

Sauf que la protection du droit à l'information du contribuable n'est pas


exclusivement liée à sa consécration par cette charte, en effet, le Taxpayers' Bill
of Rights 2 avait doté le contribuable américain d'une garantie de taille, en
instituant le Taxpayer Advocate Service (TAS) qui constitue " la voix du

436
Voir l'intégralité de la charte au https://www.irs.gov/pub/irs-pdf/p1.pdf consulté le 10/06/2016 à 15:45

225
contribuable au sein de l'administration fiscale ". Il s’agit d’un service public
ayant pour mission de s’assurer que chaque contribuable est traité
équitablement et qu’il est en mesure de comprendre ses droits auprès du
fisc437. En application de ses missions, le TAS offre une gamme de services aux
contribuables, dont un service de conseil fiscal et d’accompagnement afin
d’aider les contribuables à mieux comprendre les tenants et les aboutissants
d’une situation donnée438.

Il faut signaler que la charte des droits du contribuable américain de 2014 a


été adoptée suite aux nombreuses recommandations élaborées par le TAS,
notamment son rapport annuel de 2013 soulevé au Congress, où il avait signalé
que « l'adoption d'une charte des droits du contribuable aura pour effet
d'encourager les contribuables à remplir volontairement leurs obligations
fiscales, sans recourir aux moyens de recouvrement forcé-, caractérisés par leur
coût élevé pour le fisc439 ». Le TAS avait publié dans ce même rapport un
exemple de charte comprenant dix droits fondamentaux pour le contribuable,
qui sera adopté une année plus tard par l'Internal Revenue Service.

En général, quel que soit le moyen adopté pour garantir le droit du


contribuable à l'accès à l'information, son impact positif sur le bon
déroulement des procédures fiscales est certain, puisqu'il constitue le pivot du
principe contradictoire, le corolaire de la garantie du droit de la défense au
cours de ces procédures.

437
TAXPAYER ADVOCATE SERVICE, Who We Are, en ligne sur :
http://www.taxpayeradvocate.irs.gov/About-TAS/Who-We-Are . Consulté le 15/10/2015 à 9:55
438
Abe GREENBAUM, Taxpayers' Bills of Rights 1 and 2 : A Charter to be Followed by the Rest of the World
or Just Another Attack on the Tax Authority?, in Revenue Law Journal (Austrilia): Vol. 7: Iss. 1, 1997, p. 152
439
Rapport annuel présenté au Congress en 2013, Vol.1, p. 5 http://www.taxpayeradvocate.irs.gov/2013-Annual-
Report/full-2013-annual-report-to-congress.html consulté le 16/10/2015 à 18:21

226
B- Le droit du contribuable à l'information dans les procédures fiscales

Ce n'est pas un hasard qu'un auteur ait affirmé qu'au « premier chef de
critiques adressées à l'encontre des procédures fiscales figure le manque
d'information du contribuable440 ». L'information dont il est question ici ne
concerne pas seulement l'envoi au contribuable vérifié d'une charte contenant
un inventaire des droits dont il peut se prévaloir pendant le déroulement de la
procédure de contrôle fiscal. Cette nouvelle obligation, mise à la charge du fisc
depuis 2011, est incontestablement bénéfique au contribuable sur le plan de la
concrétisation du droit à l'information, mais ce qui importe à présent c'est de
s'intéresser à des informations de nature différente à celles incorporées dans
cette charte. Il s'agit en l'occurrence : des notifications ou des remises directes
par les agents de l'administration, des différents avis qui servent à renseigner le
contribuable sur chaque étape des procédures fiscales, ainsi que sur les
éventuelles conséquences financières qui peuvent en découler.
L’analyse des procédures fiscales en droit marocain révèle l’existence de
plusieurs cas d’information du contribuable, on peut citer quelques-uns à titre
d’exemple :
- L'information du contribuable sur l'exercice du droit de constatation, par
la remise d'un avis dès la première intervention de l'agent de
l'administration.
- L'information du contribuable de la clôture de la procédure de l'exercice
du droit de constatation.
- L'information du contribuable de l'engagement d'une procédure de
vérification (la charte du contribuable vérifié doit être annexée à l'avis
de vérification).

440
Jean-Claude DRIE, Procédures de contrôle fiscal - la voie de l'équilibre, éd L'Harmattan, 2005, Paris, p. 43

227
- L'information du contribuable de la volonté de l'inspecteur de ne pas
rectifier les bases d'imposition.
- L'information du contribuable des motifs, de la nature et du montant
détaillé des redressements envisagés à la suite d'une procédure de
vérification, en l'invitant à formuler ses observations dans un délai de 30
jours après la réception de la notification.
- L'information du contribuable de son droit de se pourvoir auprès de la
commission locale de taxation, ou auprès de la commission nationale
des recours fiscaux, dans un délai de 30 jours après la réception de la
notification, et qu'à défaut de contestation, les bases imposables
notifiées seront définitives.
- L'information du contribuable de la décision prise par l’une de ces
commissions, et de son droit de recours contre ladite décision devant le
tribunal compétent.
- L'information du contribuable de son droit de recours auprès de la
commission nationale, si après l'expiration d'un délai de 24 mois après
l'introduction de la requête, la commission locale n'a pas statué sur le
litige. Etc.

Généralement, la communication de ces informations conditionnent


l'efficacité d'autres garanties offertes par la loi, comme la garantie du droit de
la défense dont l’effectivité ne peut être assurée que par la protection d'un
certain nombre de droits du contribuable, comme le droit de se faire assister
par un conseil, le droit de présenter ses observations sur les redressements
proposés, le droit de saisir les commissions d’arbitrage, …

À ce titre, il importe de rappeler que la procédure de notification telle


qu’elle est régit actuellement par l'article 219 du CGI, peut vider toutes ces

228
garanties de leurs substances, en écartant toute possibilité de débat
contradictoire au profit du contribuable441. Le fait de considérer un document
notifié comme effectivement remis lorsque son envoi a été fait par lettre
recommandée avec accusé de réception ou par l'intermédiaire des agents du
greffe, des huissiers de justice ou par voie administrative, et qu'il n'a pu être
remis au contribuable après l'écoulement d'un délai de 10 jours qui suit la date
de constatation de l'échec de la remise, si ce document a été retourné avec
l'une des mentions suivantes : non-réclamé, changement d'adresse, adresse
inconnue, adresse incomplète , locaux fermés, ou contribuable inconnu à
l'adresse indiquée.

L'objectif de l'adoption de cette mesure était principalement de contourner


les manœuvres frauduleuses des contribuables malhonnêtes qui cherchent à
vicier la procédure engagée et à mettre le fisc dans l'échec d'interrompre la
prescription. Sauf que cette noble quête cache derrière elle une vraie insécurité
pour les contribuables honnêtes, qui risquent de se voir imposés d'office voire
même redressés fiscalement, sans même être informés des reproches se
trouvant à la base.

L'annulation pure et simple de cette mesure est revendiquée par tous les
professionnels du droit fiscal, qu'ils soient professeurs universitaires442 ou
magistrats443, en déplorant tous une dégradation considérable de la sécurité
juridique du contribuable, à travers la négation pure et simple de son droit à
l'information par la mise en œuvre de cette mesure controversée, formant

441
Voir les développements précédemment avancés concernant ce sujet, Partie I- Chapitre I- Section VI- B- La
fin du principe du contradictoire et l’avènement de l’insécurité du contribuable.
442
Mohammed NMILI, Op. Cit. p. 252. V. aussi l’article de Pr Farid EL BACHA, Le contribuable face à
l’administration fiscale, L’Economiste, Ed n° 2323 du 20/07/2006
.86 ‫ ص‬،2009 ‫ سنة‬،‫ طبعة دار أبي رقراق‬،‫ المنازعات الجبائية المتعلقة بربط وتحصيل الضريبة أمام القضاء المغربي‬،‫ محمد القصري‬.‫ذ‬443
29‫ و‬28 ‫ أشغال اليومين الدراسيين‬،‫ المسطرة التواجهية وإجراءات التبليغ في الضريبة العامة على الدخل‬،‫ عبد الغني يفوت‬.‫أنظر كذلك مداخة ذ‬
.52‫ ص‬،2005/8 ‫ منشور بمجلة دفاتر المجلس األعلى عدد‬،‫ العمل القضائي والمنازعات الضريبية‬:‫ تحت عنوان‬2005 ‫مارس‬

229
ainsi une exception au droit commun de la notification tel qu'il est régit par le
code de la procédure civile.

Certes, le combat contre la fraude fiscale doit être inconditionnellement


encouragé, mais le meilleur moyen de le faire serait de penser à développer
des solutions incitatives afin de conduire les fraudeurs à se repentir, tout en
adoptant une position ferme et impitoyable envers les professionnels de la
fraude, qui ont l'habitude d'éluder l'impôt. À cette fin, il faut penser à alourdir
les sanctions pénales afin qu'elles soient davantage dissuasives envers les
récidivistes444.

Au total, il est désormais clair que l'effectivité du droit du contribuable à


l'information conditionne l'exercice des principaux droits et garanties qui lui
sont accordés, notamment le droit à un recours à une justice fiscale impartiale.

Section 2- La sécurité fiscale à travers la bonne


administration de la justice fiscale

Il s’agit de l'ultime espoir du contribuable qui veut « contester légalement


les abus du pouvoir non seulement des administrations directement impliquées
dans la gestion du système fiscal, mais aussi les avis ou décisions des
commissions locales ou la commission nationale de recours fiscal, au cas où il
juge leur position favorable à l'administration fiscale445 ».

444
Il faut signaler à ce titre que le projet de loi de finances de 2016 contenait avant son adoption des sanctions
pénales lourdes contre les fraudeurs, mais hélas, elles ont été supprimées par les parlementaires avant le vote,
pour des motifs d’ordres sociale et économique.
445
Ahmed NARHACH, Essai sur la nature du pouvoir fiscal au Maroc, Thèse soutenue publiquement à
l'université Mohamed V- Agdal, Faculté des Sciences Juridiques Economiques et Sociales, Rabat, année
Universitaire 2000-2001, p. 261

230
Le recours à la justice fiscale constitue donc la meilleure garantie pour la
sécurité fiscale du contribuable, notamment lorsqu'elle présente les
caractéristiques d'une justice sécurisée et sécurisante. Il importe de rappeler à
ce titre que la sécurité judiciaire du contribuable ne peut être garantie sans la
réunion de ces deux concepts, nécessitant la garantie de trois types de droits
processuels à savoir : le droit du contribuable à l'accès au juge, le droit
d'obtenir une décision judiciaire dans un délai raisonnable, et le droit à
l'exécution des décisions judiciaires446.

On a pu déduire de l'examen du contenu de ces trois garanties que le


législateur marocain était incapable de garantir une meilleure sécurité
judiciaire pour le contribuable. En effet, l'accessibilité à la justice fiscale n’est
pas encore totalement garantie, et ce pour des raisons d’ordres pécuniaires447
et matériels448, ajoutée à cela, la complexité des règles du droit fiscal générant
ainsi un déséquilibre entre les parties lors du procès fiscal. Sans oublier le
problème d'inexécution des décisions de justice, qui peut prendre la forme un
refus d'exécution pur et simple, où d’un retard dans l'exécution.

En dépit de cette sombre image dressée du système judiciaire marocain, le


juge marocain a développé une attitude protectrice de la sécurité fiscale du
contribuable, en adoptant des positions favorables au contribuable en vue de
contrecarrer le pouvoir exorbitant du fisc (§1). Mais cela n’empêche pas de
penser à développer une justice fiscale capable de garantir au contribuable une
bonne administration de la justice, en s’efforçant à développer les modes

446
v. supra Première partie/ Chapitre 2/ Section 3/ §1- L'acception du principe de la sécurité judiciaire. P. 108
447
Comme l’exigence de paiement des frais de justice, l'obligation de se faire assister par un avocat et le
caractère non suspensif du recouvrement de la dette fiscale.
448
Comme l'éloignement des tribunaux et cours de justice.

231
alternatifs du règlement des conflits en matière de contentieux fiscal, qui
connaissent de nos jours un bon essor en droit comparé (§2).

§ 1- La contribution du juge fiscal marocain pour la


préservation de la sécurité fiscale du contribuable

L'analyse des décisions des juges de l'impôt démontre que la jurisprudence


marocaine se positionne nettement aux côtés du contribuable, en s'efforçant
de lui assurer une meilleure sécurité juridique. Cette préservation peut prendre
soit la forme d’un adoucissement de la rigueur de certaines règles
procédurales, soit la protection du contribuable contre l’éventuel abus de droit
de l’administration fiscale, à travers le contrôle de la légalité des différentes
décisions produites par l'administration fiscale et l’interprétation des
dispositions fiscales favorablement au contribuable.

A- L'adoucissement de la rigueur de certaines règles procédurales

On a pu démontrer précédemment que l'application de certaines règles


procédurales peut priver le contribuable de ses droits les plus élémentaires,
notamment le droit au débat contradictoire et le droit à la défense, qui
risquent d'être anéantis à cause de l'application stricte de la procédure de la
notification régie par l'article 219 du C.G.I. Il en est également du droit du
contribuable à l'accès au juge, qui se trouve entravé par l'obligation de recours
administratif préalable, sachant que ce procédé n'a pas d'effet suspensif du
recouvrement de l'impôt. C'est pour cette raison qu'on a conclu distinctement
qu'une réforme législative est devenue indispensable, en s’inscrivant dans une
optique protectrice de l’ensemble des droits du contribuable. Mais en
attendant, on peut compter sur le juge fiscal marocain, qui a adopté des

232
jurisprudences courageuses, visant à alléger la rigueur de ces règles
procédurales, et à établir par là-même la sécurité fiscale du contribuable.

1- Une lecture restrictive des dispositions de l'article 219 du


CGI relatif à la notification

Persuadé par l’importance de la notification pour le contribuable,


notamment sur le plan de la protection de son droit à l’information, le juge
marocain a toujours contrôlé avec rigueur le respect de cette formalité, en
sanctionnant par la nullité toute procédure de contrôle ou de redressement
effectuée au mépris de cette garantie.

Cependant, devant l'ineffectivité des réformes initiées par l’administration,


dans le but de stopper la censure des juridictions fiscales sur les décisions du
fisc en la matière, un nouveau remaniement de la procédure de la notification
est entré en vigueur en 2005, portant gravement atteinte au droit du
contribuable à la défense dans le cadre d’une procédure contradictoire.

Néanmoins, en dépit de cette réforme, le contrôle de la validité de la


notification par le juge n'a pas pu être évité par l'administration. Le
contribuable peut ainsi prouver que la notification n'a pas été effectuée par
l'administration à l'adresse indiquée dans sa déclaration449.

Par ailleurs, dans un objectif de protection du droit du contribuable à un


débat contradictoire, la jurisprudence a forgé une définition restrictive de la
mention "non-réclamé", en considérant que le retour du pli de notification
portant cette mention ne signifie pas forcément que le contribuable concerné a
449
Voir à titre d'exemple l'arrêt de la Cour de Cassation n° 2/143 rendu le 13/02/2014, dossier n° 2641/4/2/2014,
où la Cour avait réfuté les allégations soutenues par l'administration appuyant l’idée que l'adresse du
contribuable était incomplète. On peut citer également l'arrêt de la Cour d'Appel administrative de Rabat n° 2943
rendu le 17/07/2013 dossier n° 271/13/9, où la Cour avait considéré que le pli portant la mention "fait retour à
l'expéditeur" sans déterminer les causes de l'impossibilité de notification, n'a aucune valeur juridique.

233
été valablement notifié, étant donné que le sens juridique et littérale de la
mention "non réclamé" veut dire que le contribuable n'a pas retiré le pli mis à
sa disposition à la poste, même s'il a été averti par cette dernière pour se
référer à ce service afin de procéder au retrait du pli.

Cette définition a été adoptée par la Cour d'Appel administrative de Rabat à


plusieurs occasions. On peut citer ainsi un arrêt450 où la Cour avait annulé le
complément d'impôt imposé par le fisc en raison de l'absence de preuve de la
réception de l’avis de notification par le contribuable, même si le pli porte la
mention "non-réclamé".

La même définition a été employée par cette Cour lors d'une autre
instance451 afin d'annuler une procédure de redressement entamée par le fisc
se fiant seulement au pli de notification portant la mention "non-réclamé",
sans vérifier si le contribuable avait vraiment été touché par les services de la
poste.

Il s'agit désormais d'une jurisprudence stable et continue des juridictions de


fond et soutenue par la Cour de Cassation452, ce qui implique que
l’administration fiscale la prenne en considération.

450
Arrêt de la Cour d’Appel Administrative de Rabat n°2794 en date du 08/07/2013 du dossier n° 9/13/551 (non
publié)
451
Arrêt de la Cour d’Appel Administrative de Rabat n°2792 en date du 08/07/2013 du dossier n° 9/13/533 (non
publié)
452
Voir par exemple l'arrêt de la Cour d’Appel administrative de Rabat n° 2687 en date du 01/07/2013 dossier n°
9/12/779 qui a été également confirmé par la Cour de Cassation dans son arrêt n°25/2 rendu le 09/01/2014 du
dossier n° 992/4/2/2012 (non publié), en écartant le moyen avancé par l'administration, par lequel elle a
considéré que ce n’est pas un hasard que le législateur avait employé le terme "envoi" dans l'article 10 du livre
des procédures fiscales relatives à la procédure de la notification. Mais la Cour avait confirmé la position de la
Cour d’Appel en soutenant que la procédure de rectification en matière de profits fonciers est régie par l'article
15 du livre des procédures fiscales, aux termes duquel, "l'inspecteur des impôts est amené à apporter des
rectifications …, il notifie au contribuable, dans les formes prévues à l'article 10 ci-dessus, la nouvelle base
rectifiée ainsi que les motifs et le montant des redressements envisagés dans un délai maximum de soixante (60)
jours suivant la date du dépôt de ladite déclaration." De ce fait la Cour déduit que la mention non- réclamé ne
peut avoir d'effet juridique sans prouver que le contribuable ait réellement été mis au courant que le pli est mis à
sa disposition au service de la poste.

234
Dans le même cadre du contrôle de la validité de la procédure de
notification, la Cour de Cassation avait soutenu que le pli de notification doit
être expédié à chacun des redevables des droits à l'enregistrement, même s'ils
sont des co-acteurs dans l'indivision, et qu'ils vivent dans la même adresse,
étant donné que le principe de la solidarité des acheteurs dans l'indivision ne
s'applique qu'en matière de recouvrement de ces droits et non pas à la
procédure de rectification qui est une procédure nécessairement
contradictoire453.

De ce qui précède, il apparaît clairement que le juge de l’impôt marocain


s’est engagé avec détermination dans la protection du droit à l'information du
contribuable, nécessaire à l’effectivité du droit de la défense. Le même
engagement du juge marocain est constaté dans ses positions courageuses
pour la protection du droit du contribuable à un juge.

2- La protection judiciaire du droit du contribuable à l'accès à


la justice

On a pu expliciter plus haut comment l'obligation légale de formuler une


réclamation avant tout recours judiciaire entrave le droit du contribuable
d'accéder à la justice, et à quel point aussi l'effet non suspensif de
recouvrement de l'impôt de ce recours aggrave cette situation454.

Devant l’indifférence du législateur pour protéger ce droit constitutionnel


du contribuable, le juge des impôts s'en est chargé, en adoptant des
jurisprudences innovantes et créatrices de droit. Dans ce cadre, l'intervention
du juge fiscal s'est axée sur deux niveaux : le premier concerne l'allègement des

453
L'arrêt de la Cour de Cassation n° 388 rendu le 30/08/2012 dossier n° 845/4/2/2011 (non publié)
454
V. supra : Partie 1- Chapitre 2- Section 1- A- 1- Le caractère non suspensif d’exécution de la réclamation
contentieuse. P.100.

235
‫‪règles régissant la réclamation préalable. Le second a trait à l'octroi du sursis de‬‬
‫‪recouvrement sans exiger le dépôt d'une garantie.‬‬

‫‪S’agissant de l'obligation du recours administratif préalable avant tout‬‬


‫‪recours judiciaire, il est désormais admis que l'inobservation de cette exigence‬‬
‫‪par le contribuable n'est plus systématiquement sanctionnée par l'irrecevabilité‬‬
‫‪de son action judiciaire. En effet, la jurisprudence avait posé comme exigence‬‬
‫‪que la contestation formulée par le contribuable directement devant la justice‬‬
‫‪ait pour objet la négation de sa qualité en tant que contribuable455. Autrement‬‬
‫‪dit, il doit prouver qu’il n’est pas concerné par l’imposition émise. Il peut aussi‬‬
‫‪se désengager de cette obligation quand l'administration ne respecte pas une‬‬
‫‪règle procédurale, en procédant par exemple à la taxation du contribuable‬‬
‫‪d'office au mépris des règles qui régissent cette procédure456, ou à la négation‬‬
‫‪du droit à une procédure contradictoire à travers l'ignorance de sa demande de‬‬
‫‪soumettre le litige à la commission locale de taxation457.‬‬

‫‪La jurisprudence marocaine en matière fiscale a eu aussi le mérite de‬‬


‫‪permettre au contribuable d'intenter une action en justice sans attendre‬‬
‫‪l'expiration du délai de 6 mois‬‬ ‫‪suivant la date de l'introduction de la‬‬

‫‪" 455‬إذا كان الشخص ينازع في صفته كملزم بآداء الضريبة‪ ،‬فإن بإمكانه الطعن مباشرة أمام القضاء في الضريبة المفروضة عليه دون ضرورة‬
‫سلوكه لمسطرة الطعن اإلداري" ‪.‬قرار محكمة النقض عدد ‪ 588‬الغرفة اإلدارية المؤرخ في ‪( 04/07/2006‬الملف عدد ‪)904/4/2/2003‬‬
‫منشور بمجلة قضاء المجلس األعلى‪ -‬اإلصدار الرقمي ماي ‪ 2007‬العدد ‪ 67‬ص ‪223‬‬
‫‪" 456‬إذا كان الفصل ‪ 114‬من قانون الضريبة العامة على الدخل يوجب على الملزم توجيه تظلم إلى مدير الضرائب قبل رفع النزاع أمام القضاء‪،‬‬
‫فإن التقيد بهذا التظلم يصبح غير الزم في حالة انتقاء صفة الملزم عن المخاطب بالضريبة و عدم احترام اإلدارة لمسطرة الفرض التلقائي‪".‬‬
‫قرار محكمة النقض‪ :‬عدد ‪ 22 :‬المؤرخ في ‪ 2000-10-05 :‬ملف إداري ‪-‬عدد ‪ 1999-1-4-1289 :‬منشور في مجلة دفاتر المجلس األعلى‪:‬‬
‫قضاء الغرفة اإلدارية في مجال الضرائب و التحصيل الفترة ما بين ‪ 1997‬و ‪ 2004‬عدد ‪ 9/2005‬ص ‪60‬‬
‫وجاء في قرار آخر‪" :‬إذا كان البند ‪ 11‬من القانون المنظم للضريبة على األرباح العقارية يوجب على الملزمين بهده الضريبة رفع التظلم إلى مدير‬
‫الضرائب قبل رفع الدعوى أمام المحكمة فإن ذلك مشروط بأن تكون إدارة الضرائب قد احترمت من جهتها اإلجراءات المسطرية المتعلقة‬
‫بالفرض التلقائي للضريبة‪.‬عدم احترام إدارة الضرائب للمسطرة المذكورة يجعل الملزم غير مقيد باحترام مسطرة التظلم قبل رفع النزاع أمام‬
‫القضاء ‪ ".‬محكمة النقض القرار عدد ‪ 264 :‬المؤرخ في ‪ 18/04/2002‬ملف إداري ‪ :‬عدد ‪ 902/4/1/2001 :‬منشور في مجلة دفاتر المجلس‬
‫األعلى‪ :‬قضاء الغرفة اإلدارية في مجال الضرائب و التحصيل الفترة ما بين ‪ 1997‬و ‪ 2004‬عدد ‪ 9/2005‬ص ‪130‬‬
‫‪" 457‬لكن حيث إن مسطرة التظلم اإلداري ال تكون واجبة إال إذا كانت إدارة الضرائب قد فرضت الضريبة تطبيقا لمسطرة سليمة تتقيد بالنصوص‬
‫الضريبية الواجبة التطبيق حسب األحوال‪ ،‬ومن مجملتها المسطرة التواجهية‪ .‬وأما في نازلة الحال فإنه لم يثبت لمحكمة االستئناف أن الطاعنة قد‬
‫أحالت النزاع على اللجنة المحلية لتقدير الضريبة بناء على الطلب الذي تقدم به المطلوب في الطعن واعتبارا بأن اإلشعار بإمكانية الطعن أمام‬
‫اللجنة الوطنية ال أثر له للسبب المذكور‪ .‬وأن مسطرة التصحيح الضريبي معيبة وردت الدفع المثار بشأن خرق المادة ‪ 235‬من المدونة العامة‬
‫للضرائب والمتعلقة بمسطرة التظلم تكون قد طبقت القانون تطبيقا سليما " قرار محكمة النقض عدد ‪ 89/2‬المؤرخ في ‪ 30/01/2014‬ملف إداري‬
‫عدد ‪( 1993/4/2/2012‬غير منشور)‬

‫‪236‬‬
réclamation, lorsque cette dernière est restée sans réponse (ce délai a été
réduit à 3 mois après la promulgation de la loi de finances de l’année 2016). On
peut citer à cet égard une ancienne jurisprudence de la Cour de Cassation selon
laquelle il est « inutile d'obliger le contribuable à respecter les délais légaux
pour l'introduction d'une instance judiciaire tant que l'administration fiscale
avait exprimé sa position défavorable devant le tribunal458 ».

La jurisprudence a permis aussi au contribuable d'intenter une action en


justice même après l'expiration du délai légal, soit après l’épuisement du
septième mois suivant la date de l'introduction de la réclamation ayant restée
sans réponse, notamment lorsque l'administration répond à la doléance du
contribuable en dehors du délai légal459, ou lorsqu'elle demande un
supplément d'informations ou de documents pour les besoins de l'instruction
de sa demande, dans ce cas, la Cour de Cassation avait considéré que cette
demande est de nature à rouvrir de nouveau le délai de recours en justice pour
le contribuable460.

Sur un autre plan, la protection judiciaire du droit du contribuable à l'accès


au juge s'étend aussi à l'octroi non conditionnel du sursis à l'exécution des
mesures du recouvrement de l'impôt, qui constitue une véritable entrave à
l'exercice de ce droit.

C’est une mesure conservatoire judiciaire, qui doit être distinguée du


recours amiable du contribuable au comptable chargé du recouvrement afin de
458
Arrêt de la Cour de Cassation n° 21 du 05/10/2000 dossier n° 21 rendu le 05/10/2000 dossier administratif
n°1263/4/1999 publié à la revue Cahiers de la Cour Suprême n°9/2005 p. 56.
Cette même position a été suivie par les juridictions de fond, comme par exemple le jugement rendu par le
tribunal administratif de Rabat n°1686 rendu le 3/05/2012, dans le dossier n°139/7/2010.
Jugement publié au portail Adala du ministère de la justice,
http://adala.justice.gov.ma/AR/DocumentViewer.aspx?id=13072.htm , consulté le 26/07/2014 à11:58
‫ محمد القصري في كتابه المنازعات الجبائية المتعلقة بربط و تحصيل‬.‫ أورده ذ‬2003/12/05 ‫حكم المحكمة اإلدارية بوجدة الصادر بتاريخ‬459
.102 .‫ ص‬2009 ‫ دار أبي رقراق الطبعة الثانية‬،‫الضريبة أمام القضاء المغربي‬
.101 .‫ مرجع سابق ص‬،‫ أورده القصري‬،635/4/2/4 ‫ في الملف عدد‬482 ‫ قرار محكمة النقض رقم‬460

237
sursoir au paiement de l'impôt ou complément d'impôt contesté. Cette
procédure est régie par l'article 117 de la loi n° 15-97 formant code de
recouvrement des créances publiques, dont l’acceptation est conditionnée par
la réunion de deux exigences : d'abord l'introduction par le contribuable de la
réclamation contentieuse conformément aux lois et règlements en vigueur, et
ensuite la constitution d'une garantie suffisante propre à assurer le
recouvrement des créances contestées.

Quant à la suspension d'exécution du recouvrement de l'impôt, il relève de


l'office du juge administratif des référés, et ce en raison de l'urgence qui
caractérise cette mesure conservatoire en prenant en considération le danger
qui peut menacer l'actif et la liberté du contribuable par l'effet des mesures du
recouvrement forcé. Aucun texte spécifique ne sert de fondement à cette
mesure, mais les juges des référés se basent sur l'article 19 de la loi n° 41-90
instituant les tribunaux administratifs461 pour se proclamer compétents pour
trancher ce genre de litige.

Cette tendance est confirmée par plusieurs jurisprudences, en considérant


que l'examen de la suspension d'exécution du recouvrement de l'impôt par le
juge administratif des référés doit porter sur le caractère sérieux de la
contestation du contribuable sans se mêler dans le fond du litige462.

461
Aux termes de cet article, « le président du tribunal administratif ou la personne déléguée par lui est
compétent, en tant que juge des référés et des ordonnances sur requête, pour connaître des demandes provisoires
et conservatoires. »
)‫ (غير منشور‬310/4/1/2011 ‫ في الملف عدد‬11/04/2013 ‫ المؤرخ في‬381 ‫ قرار محكمة النقض عدد‬- 462
‫ أي تطور للقضاء االستعجالي‬،‫ أورده مصطفى التراب‬70/4/4/2001 ‫ في الملف عدد‬24/04/2003 ‫ بتاريخ‬272 ‫ قرار محكمة النقض عدد‬-
،‫ دفاتر المجلس األعلى‬،‫ اإلشكاالت القانونية والعملية في المجال الضريبي‬:‫اإلداري في مجال المنازعات الجبائية؟ الندوة الوطنية حول موضوع‬
186 ‫ ص‬،2011/16 ‫عدد‬
.‫ ص‬.‫ مرجع سابق‬،‫ أورده مصطفى التراب‬،3/06/2‫ و‬14 ‫ في الملفين‬2006/11/13 ‫ بتاريخ‬3 ‫ قرار محكمة االستئناف اإلدارية بالرباط عدد‬-
182
‫ منقول من موقع محكمتي بتاريخ‬2/06/21 ‫ في الملف رقم‬2006/12/04 ‫ بتاريخ‬12 ‫ قرار محكمة االستئناف اإلدارية بالرباط عدد‬-
14:52 ‫ على الساعة‬03/01/2016
https://www.mahkamaty.com/2014/09/13/‫اإلدار‬-‫االستئناف‬-‫لمحكمة‬-‫قضائية‬-‫قواعد‬

238
La distinction entre la procédure du sursis au paiement de l'impôt et celle
de la suspension de l'exécution de la procédure de recouvrement est d'origine
judiciaire. On lit ainsi dans l'un des arrêts de la Cour de Cassation, « attendu
que les dispositions de l'article 117 du code de recouvrement des créances
publiques concerne les demandes en sursis du paiement adressées au
comptable chargé du recouvrement. Quant aux demandes en suspension de
l'exécution, c'est le droit commun qui s'applique, notamment les dispositions
de l'article 149 du code de la procédure civile, qui permettent aux juges des
référés d'ordonner cette suspension chaque fois que les conditions de
l'urgence et du sérieux de la contestation sont remplies463 ».

En outre, vu le flou qui caractérise le contenu de cette dernière condition,


la Cour a eu l'occasion de préciser dans l'un de ses arrêts, que la contestation
du contribuable peut être qualifiée de sérieuse « soit lorsqu'il conteste son
statut en tant que contribuable, soit lorsque la décision de l'établissement de
l'impôt ou de l'imposition est illégale464 ».

Sur un autre plan, la Cour de Cassation avait soutenu la position des


magistrats des référés qui dispensent le contribuable d’introduire une
réclamation préalablement avant tout recours au juge des référés pour
suspendre l'exécution du recouvrement, dans la mesure où cela « s’oppose
même à la nature urgente de cette demande, impliquant le recours au juge le
plutôt possible… D'un autre côté, attendu que le principe de l'obligation du
paiement de l'impôt avant toute contestation n'est pas absolu, il est tout à fait
admis à tous ceux qui contestent la légalité de leur imposition ou qui réclament

‫ على‬03/01/2016 ‫ منقول من موقع محكمتي بتاريخ‬2/06/22 ‫ في الملف‬2006/12/25 ‫ بتاريخ‬24 ‫قرار محكمة االستئناف اإلدارية بالرباط عدد‬
-15:10 ‫الساعة‬
https://www.mahkamaty.com/2014/09/13/‫اإلدار‬-‫االستئناف‬-‫لمحكمة‬-‫قضائية‬-‫قواعد‬
187 ‫ ص‬،‫ مرجع سابق‬،‫ أورده مصطفى التراب‬،1511/4/1/2011 ‫ في الملف عدد‬11/04/2002 ‫ بتاريخ‬257 ‫ قرار محكمة النقض عدد‬463
187 ‫ ص‬،‫ نفس المرجع السابق‬،1528/4/1/2001 ‫ في الملف عدد‬03/01/2002 ‫ بتاريخ‬10 ‫ قرار محكمة النقض عدد‬464

239
le bénéfice d'une exonération de demander la suspension de l'exécution du
recouvrement sans la constitution d'une garantie 465».

En conclusion, on peut admettre que le juge fiscal marocain a tenté avec


succès de protéger partialement le droit du contribuable à l'accès au juge.
Toutefois, on est loin de dire qu'il a pu éradiquer totalement tous les obstacles
qui entravent cet accès. La solution législative reste donc indispensable, en
procédant à la réforme de toutes les dispositions sources de cette entrave. En
attendant cette réforme, on peut compter sur la jurisprudence pour
contrecarrer les éventuels abus de pouvoir de l'administration fiscale.

B- La protection du contribuable contre les abus de pouvoir de l'administration


fiscale

Naturellement, personne n'est en droit de contester le pouvoir exorbitant


de l'administration fiscale qui lui est nécessaire pour accomplir sa mission de
service public. Ce qui est critiquable, c’est qu’elle ne le fasse pas dans la
légalité. C'est à ce niveau que l'intervention du juge fiscal revêt un intérêt
capital, puisqu'elle a permis l'éclosion d'une jurisprudence protectrice de la
sécurité fiscale du contribuable, non seulement par le moyen du contrôle de la
légalité des décisions de l'administration fiscale (1), mais aussi en interprétant
les dispositions fiscales favorablement au contribuable (2).

1- Le contrôle de la légalité des décisions de l'administration


fiscale

Il est désormais bien établi que le contentieux judiciaire fiscal fait partie des
recours en pleine juridiction, où le juge dispose de plus de liberté pour changer
(à la hausse ou à la baisse) le montant des impositions en plus d'un pouvoir
465
Arrêt de la Cour de Cassation n° 381 en date du 11/04/2013 dans le dossier 310/4/1/2011 (non publié)

240
d'annulation. Il s'agit là d'une précision d'origine jurisprudentielle, où la Cour
de Cassation avait confirmé cette nature à maintes occasions466, tout en
ouvrant une brèche pour l'acceptation du recours en annulation par le
justiciable qui réfute son statut en tant que contribuable467. Cette tendance
trouve son explication dans les avantages que présente ce type de recours,
notamment la gratuité de l'instance et l'effet rétroactif de la décision judiciaire.
La Cour a donc permis cette exception pour des raisons de protection de la
sécurité juridique, puisqu'il paraît inconcevable d'obliger un justiciable de payer
des frais de justice pour contester une imposition à tort468.

Le même objectif de protection de la sécurité juridique était derrière


l'extension de cette exception à d'autres cas de figures. Il s'agit en particulier
du recours du contribuable contre la décision de l'administration portant
exercice du droit de préemption, ou portant refus d'octroi d'une attestation
administrative.

En ce qui concerne le premier cas de figure, il importe de préciser tout


d'abord que le législateur a institué ce droit de préemption pour sanctionner
les pratiques de minorations des prix et de déclarations estimatives indiquées
dans les contrats de cession. Il ne s'agit pas donc d'un véritable droit auquel
l'administration peut recourir quand bon lui semble. En effet, le législateur a

466
« … Attendu qu'il est clair que le tribunal administratif connaît les recours en annulation prévus par la loi 41-
90 et les contentieux de pleine juridiction cités à titre limitatif ; et attendu que les litiges relatifs aux impôts font
partie de la deuxième catégorie d'actions, que la présente affaire en fait clairement partie, ce qui signifie que le
tribunal administratif était compétent pour trancher le litige même si la requérante avait utilisé le terme
"annulation", tant que le but de l'action est l'annulation d’une imposition et la récupération des montants qu'elle
prétend avoir versés à la perception alors même qu'ils ne sont pas dûs … ». Arrêt de la Cour de Cassation n°
1188 en date du 24/04/1997 dossier n° 573/5/1/1997.
‫ الفترة بين سنتين‬،‫ قضاء الغرفة اإلدارية بالمجلس األعلى في مجال الضرائب والتحصيل‬،‫منشور بدفاتر المجلس األعلى‬
.14.‫ مطبعة أيليت ص‬2005/9 ‫ عدد‬،2004/1997
- Arrêt de la Cour de Cassation n° 903 en date du 14/12/2005 dossier n° 1870/4/2/2004
467
- Arrêt de la Cour de Cassation n° 1583 en date du 09/12/1999 dossier n° 887/5/1/1999,
- Arrêt de la Cour de Cassation n° 248 en date du 05/04/2001 dossier n°1104/4/1/2000
468
V. supra, Partie 1/Chapitre 2/Section 3/§2/A-Une accessibilité limitée du contribuable à la justice fiscale.
P.122

241
pris soin de l’encadrer en précisant dans l'article 143 du C.G.I. les conditions de
forme et de fond nécessaires à son application. Par conséquent, pour que
l'administration puisse recourir à ce procédé, il faut d'abord qu'elle prouve
l'insuffisance du prix de vente déclaré ou de la déclaration estimative par
rapport au prix du marché. Cette détermination n'est pas faite à sa guise, il
importe qu’elle la prouve en recourant à des postes de comparaison par des
contrats similaires dans la même zone. En tous cas, la décision de
l'administration reste susceptible de recours.

La seconde condition posée par l'article 143 du C.G.I. concerne l'obligation


pour l'administration de prouver que « le paiement des droits établis sur
estimation de l’administration n’a pu être obtenu à l’amiable469 ».

Enfin l'article 143 du C.G.I. renvoie à l'article 218 du même code, qui fixe un
délai de 6 mois à compter du jour de l’enregistrement ou de la réalisation de la
condition suspensive si elle a été stipulée par le contrat, pour notifier son
intention d'exercer ce droit, sans dépasser un mois après cette notification
pour régler le montant dû par l’Etat, comprenant ainsi « le prix déclaré ou la
valeur vénale reconnue, majoré :
1°- des droits d’enregistrement acquittés et des droits éventuellement
perçus à la conservation de la propriété foncière;

469
Il importe de signaler à ce titre que ce texte a été rédigé en des termes vagues et imprécis, pouvant laisser une
grande marge de manœuvre pour l'administration, ce qui risquera d'affecter la sécurité fiscale du contribuable.
On remarque ainsi que le législateur a omis de préciser le délai minimum que l'administration peut accorder au
contribuable mis en demeure afin qu'il puisse payer les sommes exigées. C’est ainsi que dans une affaire de
justice, un contribuable avait contesté la décision de l’administration fiscale portant exercice de droit de
préemption, après lui avoir accordé un délai de 10 jours pour constituer une grande somme. La position de la
Cour de Cassation était clairement favorable au contribuable en considérant que face au silence du législateur sur
cette question, l’administration doit accorder un délai raisonnable au contribuable afin qu’il puisse constituer les
sommes dues. Arrêt n°722/2 en date du 08/10/2015 dossier n°1964/4/2/2013 (non publié)

242
2°- d’une somme calculée à raison de cinq pour cent (5%) du prix déclaré ou
de la valeur vénale reconnue, représentant forfaitairement les autres loyaux
coûts du contrat, ainsi que les impenses ».

Etant une décision administrative, et en l’absence d’un recours parallèle,


permettant au contribuable de contester la légalité de cette décision, le juge
des recours pour excès de pouvoir est tout à fait compétent pour anéantir une
décision de préemption entachée par un vice d'illégalité. Ainsi, dans un cas
d'espèce, la Cour de Cassation avait tranché en faveur d'un contribuable en
qualifiant la décision de préemption de l'administration fiscale comme un abus
de pouvoir470. Dans une autre affaire, la chambre administrative de la Cour de
Cassation avait réfuté l’exception d’incompétence matérielle soulevée par
l’administration, qui selon elle devrait revenir aux juridictions civiles. Mais la
Cour avait tranché en faveur des juridictions d’excès de pouvoir, dans la
mesure où le fisc n’est pas un copropriétaire dans l’indivision471.

En ce qui concerne le contrôle du respect des conditions légales, on peut


citer un arrêt de la Cour d’Appel Administrative de Rabat ayant annulé la
décision de l'administration fiscale portant exercice de son droit de
préemption, pour défaut de preuve de la minoration du prix de vente par le
contribuable par rapport à la valeur vénale de l’immeuble sur le marché472.

D'un autre côté, le contrôle de la légalité des décisions de l'administration


fiscale s'étend également aux cas de refus d'octroi d'une attestation
administrative par le fisc, notamment lorsqu’il s’agit d'une attestation de

،‫ حسن المولودي‬.‫ أورده ذ‬.47524 ‫ ملف إداري عدد‬11/08/1978 ‫ الصادر بتاريخ‬342 ‫ قرار محكمة النقض (الغرفة اإلدارية) عدد‬470
‫ اإلشكاالت القانونية‬:‫ مداخلة في الندوة الوطنية حول موضوع‬،‫ممارسة حق الشفعة في المادة الضريبية بين النص القانوني واالجتهاد القضائي‬
.329 .‫ ص‬،16/2011 ‫ دفاتر المجلس األعلى‬،‫والعلمية في المجال الضريبي‬
471
Arrêt de la Cour de Cassation n° 1701/1 en date du 23/07/2015 dossier n° 15/04/01/2012 (non publié)
‫ المنازعات الضريبية في‬،‫ منشور في كتاب كريم لحرش‬24/08/2011 ‫ المؤرخ في‬2373 ‫ قرار محكمة االستئناف اإلدارية بالرباط عدد‬472
.182 ‫ ص‬2013 ‫ سنة‬21 ‫ سلسلة الالمركزية واإلدارة الترابية عدد‬،‫القانون المغربي‬

243
régularité fiscale, ou comme elle est communément appelée "le quitus fiscal".
Ce document administratif revêt une grande importance pour les entreprises
concurrentes aux marchés publics, ainsi que pour contribuables qui vendent un
bien immobilier, dans la mesure où le notaire retient tout ou une partie du prix
de la vente jusqu'à production dudit quitus, afin de se désengager de sa
responsabilité solidaire avec le contribuable.

Devant l'intransigeance de l'administration de délivrer l'une de ces deux


attestations, la Cour de Cassation avait considéré que « le fait d’apporter la
preuve de l’exemption de toute redevance fiscale concernant l’immeuble
vendu, donne droit aux pourvoyeurs en cassation à une attestation délivrée par
l'administration certifiant la régularité de leur situation fiscale ou de leur
exonération de l'impôt sur le profit foncier le cas échéant. D’un autre côté, le
fait que l'administration refuse de leur délivrer l'une de ces deux attestations
constitue une décision administrative distincte du contentieux fiscal, pouvant
faire l'objet d'un recours en annulation473 ».

Dans une autre espèce, la haute juridiction avait décidé que


« l'administration fiscale est tenue de délivrer au contribuable une attestation
établissant la régularité de sa situation fiscale pour lui permettre de
soumissionner aux marchés publics s'il arrive à établir qu'il s'est acquitté de
toutes les redevances fiscales mises à sa charge474 ».

On ne peut certes limiter le domaine d'action du juge d'excès de pouvoirs à


ces deux exemples, dans la mesure où son champ d'intervention est aussi large

:‫ منشور في مجلة دفاتر المجلس األعلى‬1481/4/1/1991 : ‫ عدد‬: ‫ ملف إداري‬12/10/2000 ‫ المؤرخ في‬44 : ‫ قرار محكمة النقض عدد‬473
.63 ‫ ص‬9/2005 ‫ عدد‬2004 ‫ و‬1997 ‫قضاء الغرفة اإلدارية في مجال الضرائب و التحصيل الفترة ما بين‬
474
Arrêt de la Cour de Cassation n° 922 en date 24/10/2007 dossier n° 2675/4/2/2005
http://www.jurisprudence.ma/decision/ccass24102007922 consulté le 16/01/2016 à 16:53

244
qu’il peut englober une infinité de litiges. Comme le cas du refus d'exécution
d'une décision judiciaire définitive par le fisc.

1- L'interprétation des dispositions fiscales favorablement au contribuable

À l'instar de la loi pénale, la loi fiscale est d'interprétation stricte, en se


tenant ainsi au principe constitutionnel de la légalité de l'impôt. Mais lorsque la
portée de cette loi est incertaine, il y a lieu d'appliquer un vieux adage latin, "in
dubio contra fiscum", qui signifie « dans le doute, la loi doit être interprétée
contre le fisc 475». En application de ce principe, le juge fiscal marocain avait
adopté une lecture favorable au contribuable des dispositions fiscales,
lorsqu'elles sont obscures ou prêtent à confusion. Afin d'illustrer cette attitude
jurisprudentielle, il importe de citer quelques décisions judiciaires où les juges
se sont positionnés aux côtés du contribuable à l’occasion de l’interprétation
d’une disposition légale.

C'est ainsi qu'en matière de solidarité, on constate que le juge fiscal


marocain avait choisi d'alléger la teneur de certaines dispositions légales y
afférentes, afin de bloquer leur effet sur le contribuable.

C’est ainsi qu’à l'occasion de l'interprétation de l'article 65 du C.G.I., le


tribunal administratif de Rabat avait jugé que les redressements du prix d'une
vente immobilière reconnus par l'un des copropriétaires dans l’indivision
n'engage pas les autres. De ce fait, son approbation ne peut s'étendre qu'à sa
part indivise, puisqu'il est inconcevable de faire supporter tous les
copropriétaires les conséquences d'une erreur commise par leur consort. Cette
position du tribunal a été justifiée par le recours aux règles générales des
obligations, étant des dispositions spéciales, et qui devraient s'appliquer par

475
Albert TIBERGHIEN, Manuel de droit fiscal 2014-2015, Ed Wolters Kluwer/, Waterloo, Belgique 2014, p.33

245
priorité aux règles du droit fiscal qui sont selon cette instance, des règles
d'ordre général476.

Dans une autre espèce portant sur l'interprétation de ce même article, la


Cour d'Appel Administrative de Rabat avait considéré que le paiement par
l'acheteur d'un supplément des droits d'enregistrement ne constitue pas une
reconnaissance expresse de sa part au sens de l'article 65. Selon cette Cour, le
tribunal devrait chercher à déduire d'après ce paiement les intentions de
l'acheteur, pour établir s'il s'agit vraiment d'une reconnaissance du prix réel de
vente ou non477.

Restant dans le cadre de la solidarité, la Cour de Cassation avait distingué


entre les procédures de recouvrement et celles du redressement, en ne
limitant l'application des règles de la solidarité qu'aux premières. C'est
d'ailleurs ce qu'on lit dans l'un de ses arrêts, où elle avait considéré que la
notification des redressements des droits d'enregistrement adressée à un seul
acheteur dans l'indivision ne peut suffire pour produire ses effets juridiques
envers les autres acheteurs, même s'ils résident dans une même adresse478.

La même position a été réaffirmée dans un autre arrêt de la Cour de


Cassation où il a été jugé qu'il n'y a pas lieu d'appliquer les règles de la
solidarité tant que le contrat de vente indique clairement les parts de chaque
vendeur dans le prix de vente ainsi que leurs adresses respectives479.

En rapport toujours avec le sujet de l'interprétation des dispositions fiscales


favorablement au contribuable par le juge fiscal, on peut citer l'arrêt de la Cour

476
Jugement du tribunal administratif de Rabat en date du 28/02/2013 dossier n° 163/7/2009 (non publié)
477
Arrêt de la cour d'appel administrative de Rabat n° 122/2 en date du 06/02/2014 dossier administratif n°
401/4/2/2012 (non publié)
478
Arrêt de la Cour de Cassation, n° 388 en date du 30/08/2012 dossier n° 845/4/2/2011(non publié
479
Arrêt de la Cour de Cassation n° 1053 en date du 20/12/2012, dossier n° 1452/4/1/2011 (non publié)

246
de Cassation, ayant confirmé un arrêt de la Cour d'Appel Administrative de
Rabat, qui avait interprété les dispositions de l'article 47 al 2 de la loi 24-86
instituant un impôt sur les sociétés (retranscrit actuellement dans l'article 193
du C.G.I.) de manière très élargie, en motivant sa décision par l'analyse des
intentions du législateur qui étaient à la base de l'instauration d'une obligation
de règlement des factures par l'un des moyens de paiement édictés par cet
article, sous peine d'appliquer sur le vendeur ou le prestataire de service une
amende de 6% du montant de la transaction. En effet, selon cette Cour,
l’objectif recherché par le législateur derrière cette diversité des moyens de
paiement étaient, d'un côté de faciliter les transactions commerciales, et d'un
autre, de rendre ces transactions plus transparentes, afin de permettre au fisc
de mieux les contrôler et de limiter la fraude fiscale. Cela signifie que le
règlement effectué par un procédé autre que ceux cités par cet article, peut
être accepté lorsqu'il permet à l'administration de contrôler ce paiement, sans
dol ni dissimulation du prix ou mauvaise foi du contribuable. On peut donc
admettre que les objectifs poursuivis par cette loi ont bien été respectés, et
donc il n'y a pas lieu d'appliquer les sanctions qu'elle prévoit. La Cour de
Cassation tire de ce raisonnement la conséquence qu'il y a lieu d'assimiler tout
paiement opéré par voie de versement en liquide dans le compte de la société
défenderesse à un virement bancaire au sens de l'article 47 de la loi 24-86480.

En conclusion, on peut dire de manière globale que les magistrats


marocains ont adopté une attitude plutôt protectrice de la sécurité fiscale du
contribuable, animée par une vocation de préservation de la partie la plus
faible au procès481, tout en ayant à l'esprit que la voie judiciaire constitue

480
Arrêt de la Cour de Cassation n° 2/55 rendu par deux chambre le 22/01/2014 dossier n° 142/4/2012 (non
publié)
‫ دراسة نماذج من المنازعات الجبائية واإلشكاالت المطروحة في الميدان العملي خالل‬:‫ قواعد التقاضي في المادة الضريبية‬،‫ حياة البجدايني‬481
98 ‫ ص‬،2010 ،‫ دراسات قضائية ؛ دار اآلفاق المغربية للنشر والتوزيع‬:‫ منشورات مجلة الحقوق المغربية‬،‫مراحل الوعاء والتصفية والتحصيل‬

247
l'unique voie de recours impartiale dont dispose le contribuable. Toutefois, en
dépit de ces efforts fournis par le juge fiscal marocain, les maux dont souffre la
justice marocaine décourage beaucoup de contribuables à y recourir. Il préfère
ainsi transiger avec l'administration dans un état de déséquilibre total des
droits et obligations plutôt que de recourir aux voies contentieuses jugées
coûteuses, incertaines et longues. C'est donc l'adage juridique : « un mauvais
arrangement vaut mieux qu’un bon procès » qui anime cet état d'esprit du
contribuable marocain. Dans cette perspective, il importe de penser à
développer des solutions pratiques capables de résoudre ces carences, dans le
but d'assurer une meilleure protection de la sécurité fiscale au contribuable.

§ 2- Une meilleure administration de la justice pour une


meilleure sécurité du contribuable

Beaucoup de solutions peuvent être proposées pour faire face aux


problèmes de la justice marocaine482, mais il serait préférable d'adopter une
solution globale, permettant d’assurer au contribuable une accessibilité
efficace à une justice de proximité, impartiale, gratuite, qui rend des sentences
dans un délai raisonnable et immédiatement exécutable. Ceci nous conduit à
penser aux modes alternatifs de règlement du conflit (MARC), qui connaissent
actuellement un bon essor en matière fiscale, offrant ainsi des procédures plus
souples et moins onéreuses pour le contribuable tout en profitant aussi à
l’administration fiscale qui verra incontestablement sa recette augmentée483.

Il faut préciser à ce titre que le recours devant les commissions arbitrales


ainsi que la conclusion des transactions avec le fisc ne peuvent être classés

482
Il faut préciser qu’on désigne par le terme justice aussi bien les instances judiciaires qu’arbitrales, dans la
mesure où ces deux voies de recours ont pour but de satisfaire la sécurité judiciaire du contribuable.
483
"How Can an Excessive Volume of Tax Disputes Be Dealt With? ", (A Tax Law Note), Par Victor
THURONYI, (Decembre 2012) le Fond Monétaire International (FMI). p. 31.

248
parmi les modes alternatifs de règlement de conflit, même s’ils s’inscrivent
dans la logique de l’évitement du procès fiscal, puisqu’ils ne présentent aucune
garantie d’indépendance et d’impartialité.

On ne peut certes réfuter l’importance de ces voies de recours, qui ont le


mérite d’absorber une grande partie des différends qui surgissent entre le fisc
et le contribuable. Sauf que ce succès peut trouver une explication dans
l’absence des MARC dans le système de recours marocain en matière fiscale,
ainsi que dans les inconvénients qui entachent le recours au contentieux
judiciaire. Les contribuables se trouvent de ce fait contraints de s’orienter vers
les commissions d’arbitrage ou parfois même de conclure des transactions avec
le fisc, dans des conditions d’extrême inégalité.

Face à cette situation, et devant le besoin intense d’une voie de recours


alternative pour résoudre les litiges fiscaux, ouvrir le droit de recourir à
l’arbitrage en droit fiscal serait tout à fait bénéfique aussi bien aux
contribuables qu’à l’administration fiscale (A). Mais vu les difficultés théoriques
que pose le critère de "l’arbitrabilité" des litiges fiscaux, il importe
d’encourager le recours aux autres types de MARC, notamment la conciliation
et la médiation, en développant des institutions spécialisées en matière fiscale
présentant les garanties d’efficience, d’accessibilité et d’impartialité (B).

A- La consécration du recours à l’arbitrage pour le règlement des litiges fiscaux

Il paraît étrange de parler d’arbitrage en matière fiscale, dans la mesure où


ils donnent lieu à des formes particulières de contractualisation du procès
entre la super puissante administration fiscale et le simple contribuable.
D’ailleurs, le droit marocain est catégorique sur cette question en se
positionnant du côté de l’interdiction pure et simple de ce mode de règlement
de conflit en matière fiscale. Il faut rappeler à ce titre que le code général des
249
impôts (article 244) ainsi que le code de la procédure civile (article 310)
excluent expressément les litiges fiscaux du champ d’application de l’arbitrage,
ce qui prive le contribuable des avantages de cette voie de recours
extrajudiciaire.

Il est vrai que le rapprochement de l’arbitrage au domaine fiscal est un


exercice difficile, car la fiscalité constitue l’une des prérogatives régaliennes de
l’Etat, consistant particulièrement à lever et collecter l’impôt. « On conçoit ainsi
difficilement qu’un tribunal arbitral soit compétent pour trancher un litige fiscal
entre l’administration et le contribuable484 ». Mais cet argument ne tient pas
bon pour expliquer cette incompatibilité, sachant que le statut du contribuable
s’est élevé au rang d’un véritable client dans de nombreux pays, marquant
théoriquement l’émergence d’une sorte d’égalité de traitement entre lui et le
fisc.

Toutefois, si on admet l’arbitrabilité des litiges fiscaux, c’est-à-dire leur


aptitude à constituer l’objet d’un arbitrage, une difficulté pratique pourrait se
poser. Ainsi, étant donné que «l’arbitrage est un mode conventionnel de
résolution des litiges par des particuliers (les arbitres) choisis par les parties et
investis de la mission de juger à la place des juridictions étatiques 485», on se
demande par quel moyen l’arbitre serait-il désigné ?

La réponse à cette question lèverait toute difficulté relative à la consécration


de ce mode alternatif de règlement de conflit. A cet effet, on se réfèrera au
droit comparé, à travers l’étude des expériences des pays ayant adopté
l’arbitrage en matière fiscale.

484
Karim SID AHMED, Droits fondamentaux du contribuable et procédures fiscales, étude comparative, tome 2,
éd L’harmattan, 2007, p. 51.
485
David RENDES, Pierre DELVOLVE et Thierry TANQUEREL, L’arbitrage en droit public, éd Bruylant,
Bruxelles 2010, p. 230

250
On peut ainsi citer l’exemple des États-Unis, où "l’Administrative Conference
of the United States" (ACUS)486 avait encouragé les agences fédérales à recourir
aux modes alternatifs de règlement de conflit notamment l’arbitrage depuis les
années 80. Mais, cette position ne veut pas dire que la question de
l’arbitrabilité d’un litige impliquant un Etat fédéral n’a pas suscité de débat.
Ainsi, au départ, "l’Office of legal Counsel" (OLC) avait considéré que l’arbitrage
des affaires opposant l’Etat à un citoyen était inconstitutionnel. Mais
progressivement, cette doctrine fut abandonnée en 1995 par l’OLC en jugeant
ce recours extrajudiciaire « conforme à la constitution dès lors que l’arbitre
tient son pouvoir d’un texte législatif et non exclusivement d’un contrat 487».

Sur le plan spécifique aux matières fiscales, l’arbitrage a été également


consacré par étapes. Dans un premier temps, seuls quelques États-Fédérés
avaient adopté ce mode de règlement de conflit, en limitant le champ de
compétence de l’arbitre à quelques matières précises (ratione materiae).
Cependant, dans le but d’encourager le recours à cette technique qui se base
sur le "Tax Court rule 124", en vigueur depuis 1990488, et sous la pression du
parlement américain, l’Internal Revenue Service (IRS) avait adopté en 2000 un
projet pilote en deux ans, destiné à rendre l’arbitrage dans le domaine fiscal
plus accessible « en baissant sensiblement les seuils de recours de dix millions à
un million de dollars… En 2003, la procédure sera prolongée d’une année
supplémentaire et finalement c’est en 2006 que le programme est instauré de
manière permanente489». Sauf que le contribuable n’est en mesure de recourir

486
Il s’agit d’une agence ayant pour vocation de rechercher des améliorations de la procédure et du
fonctionnement de l’administration et de la justice.
487
Kevin JESTIN, "Vers un renforcement de l’arbitrage comme mode de résolution des conflits en droit fiscal ?
Analyse comparée France-États-Unis". In Jurisdoctoria n° 2, 2009, p. 76.
488
Richard SANSING, "Voluntary binding arbitration as an alternative to tax court litigation", in National Tax
Journal, Vol. 50, No. 2 (June, 1997), p. 279.
489
K JESTIN, article précité, p. 78.

251
à ce procédé qu’après avoir introduit une réclamation, qui devrait bien
entendu se solder par l’échec des négociations avec l’IRS490. A ce titre, le
contribuable doit formuler une demande adressée à l’administration, qui doit
répondre dans un délai de deux semaines. « Après notification d’acceptation,
les parties procèdent à la rédaction du compromis d’arbitrage, dans un délai
d’un mois, précisant les arbitres compétents pour trancher le litige, ces
derniers étant choisis parmi l’administration fiscale ou par un organisme
indépendant d’arbitrage. La sentence arbitrale doit être rendue dans un délai
de trois mois après la signature du compromis491 ».

Néanmoins, ce modèle présente l’inconvénient majeur de conditionner


l’effectivité du choix de cette voie de recours par le contribuable par
l’acceptation de l’administration, dont la décision de refus n’est susceptible
d’aucun recours. Le contribuable dont la demande a été refusée, n’a cependant
droit qu’à des éclaircissements sur les motifs de ce refus, ce qui vide le droit de
recours à l’arbitrage de tout sens.

Cette réticence envers le recours à l’arbitrage en matière fiscale aux États-


Unis peut s’expliquer par la peur de perdre des ressources budgétaires
importantes, c’est en tout cas le motif qui a été invoqué par le gouvernement
Georgien pour supprimer le ″Tax Arbitration Councils″ en 2005, qui était
pourtant classé parmi les institutions les plus protectrices des droits du
contribuable dans le monde.

490
David PARSLY, "The internal revenue service and alternative dispute resolution: moving from infancy to
legitimacy", in Cardozo Journal of Conflict Resolution vol. 8 n°2/2007, p. 711.
491
K JESTIN, article précité, p. 78.

252
L’abolition de cette institution en Géorgie a été fortement décriée par la
communauté des affaires492, puisqu’elle bénéficiait d’une large indépendance
vis-à-vis du gouvernement, en appliquant les règles de l’arbitrage privé, ce qui
interdisait aux fonctionnaires publics d’exercer les fonctions de l’arbitre. En
outre, et à la différence des États-Unis, le choix de l’option de l’arbitrage par le
contribuable était libre et sans exigence du consentement de l’administration
fiscale493.

Un autre régime aussi sophistiqué et libéral que le précédent existe en


Portugal, où le contribuable dispose d’un droit de désigner librement un
arbitre pour statuer conjointement avec deux autres de ses paires, dont un est
choisi par l’administration fiscale, et le troisième arbitre est désigné par un
compromis des autres premiers pour occuper les fonctions de président du
″tribunal arbitral fiscal″494. Mais le choix de ces arbitres n’est pas laissé à la
discrétion des parties, en effet, la loi met quelques exigences de qualification
que l’arbitre amené à statuer sur un litige fiscal doit avoir. Ainsi, pour un litige
portant sur un montant égal ou supérieur à 500.000,00 €, le président du
collège d’arbitres doit justifier d’une expérience en tant que juriste
professionnel du droit fiscal, ayant servi en tant que fonctionnaire publique ou
occupé l’une des fonctions de droit, comme la magistrature ou les barreaux ou
avoir un master en droit fiscal. Si le montant du litige égale ou dépasse

492
"Business people Condemn Cancellation of Tax Arbitration", in Civil Georgia, ed 21/04/2005.
493
V. Note précité du Fond monétaire international, p. 38.
494
Si les parties n’arrivent pas à s’entendre sur le choix du troisième arbitre (président), c’est le Ethics
Committee of the Centre for Administrative Arbitration qui se charge de le désigner (article 6- parag 2- b- du
décret-loi n° 10/2011, 20 Janvier 2011 relatif à l’arbitrage fiscal, publié dans le site-web du Centre d’arbitrage
administratif, http://www.caad.org.pt/files/documentos/CAAD_AT-RJAT_OE2013_en.pdf, consulté le
07/03/2016 à 20:30)

253
1.000.000,00 €, l’arbitre président doit avoir soit une expérience dans le corps
de la magistrature soit le degré du doctorat en droit fiscal495.

La sentence arbitrale peut également être rendue par un seul arbitre si le


contribuable décide de ne pas désigner un arbitre et que le montant du litige
ne dépasse pas 60.000 €496.

La loi portugaise a aussi le mérite de limiter la procédure d’arbitrage dans le


temps, en instituant un délai de 6 mois renouvelable une seule fois pour rendre
la sentence497.

Enfin, l’arbitrage fiscal en Portugal se distingue par la faculté des parties


d’interjeter appel contre une sentence arbitrale, à condition que les parties
aient prévu cette possibilité au départ. Dans ce cas, l’appel peut être formulé
soit devant la Cour Constitutionnelle si la sentence arbitrale s’est basée sur des
motifs d’inconstitutionnalité, soit devant la Cour Suprême Administrative
lorsque la sentence contredit une autre décision rendue par cette Cour ou par
la Cour Administrative Centrale, portant sur un même point légal498.

Après l’exposé de ces trois expériences internationales, on peut affirmer que


l’arbitrage en matière fiscale fait bénéficier au contribuable un véritable procès
équitable, avec toutes les garanties qui s’en suivent, notamment celles de
l’impartialité et de la rapidité. Ce qui infirme par conséquent toute thèse
excluant le recours à cette voie alternative de recours en droit fiscal au motif
d’incompatibilité.

495
V. Note précité du Fond monétaire international, p. 56
496
Francisco de Sousa da Câmara, "Arbitration as a Means of Resolving Tax Disputes", in European Taxation.
Ed. International Bureau of Fiscal Documentation (IBFD) November 2014, p. 499.
497
Legal Regime of Tax Arbitration, une présentation de la loi sur l’arbitrage fiscal, établie par le Centre
d’arbitrage administratif, connu par les initiales C.A.AD. p.1
http://www.caad.org.pt/files/documentos/CAAD_AT-RJAT_OE2013_en.pdf , consulté le 07/03/2016 à 18:04
498
L’article 25 du décret-loi n° 10/2011, 20 Janvier 2011 relatif à l’arbitrage fiscal.

254
Par ailleurs, l’arbitrage se distingue nettement des autres modes alternatifs
de règlement de conflit, dans la mesure où l’arbitre rend des décisions
obligatoires et exécutoires au même titre que le juge, à la différence du
médiateur et du conciliateur qui ne sont pas en mesure d’imposer leur solution
aux parties.

B- La conciliation et la médiation : deux alternatives à la judiciarisation du procès


fiscal

L'instauration de la médiation et de la conciliation en matière fiscale


présente les mêmes difficultés pratiques relevées précédemment en matière
d'arbitrage, notamment en ce qui concerne le procédé de désignation du
médiateur ou du conciliateur par les parties. Mais cela n'empêche pas
d'intégrer ces deux techniques de résolution de conflit dans le corpus juridique
régissant la matière fiscale, en procédant ainsi à leur institutionnalisation à
travers la création d'organismes ad hoc spécialisés et indépendants, et qui
auront spécifiquement pour mission : soit de rapprocher les positions
divergentes des parties pour parvenir à un accord (on serait donc dans la piste
de la médiation), soit de proposer une solution au litige, « en donnant son
interprétation sur les points litigieux, en fournissant une assistance technique,
en recherchant les voies d'un règlement négocié informel ou à travers une
médiation subséquente » (on parlerai dans ce cas de la conciliation)499.

Il faut préciser à ce titre que le législateur marocain a réglementé la


médiation dans le code de la procédure civile qui la définit dans son article 327-
56 comme étant un « contrat par lequel des parties s'accordent pour désigner
un médiateur chargé de faciliter la conclusion d'une transaction pour mettre fin
au litige né ou à naître ». Ce même article renvoie aux dispositions relatives au
499
Karim Sid Ahmed, Droits fondamentaux du contribuable et procédures fiscales T2, p. 25

255
contrat de transaction dans le dahir du 9 ramadan 1331 (12 août 1913) formant
code des obligations et des contrats, et qui est défini par l'article 1098 en un
« contrat par lequel les parties terminent ou préviennent une contestation
moyennant la renonciation de chacune d'elles à une partie de ses prétentions
réciproques, ou la cession qu'elle fait d'une valeur ou d'un droit à l'autre
partie ». On est donc dans le terrain du négociable, qui supposerait que le fisc
dispose « de la capacité d'aliéner à titre onéreux, la chose sur laquelle il compte
transiger » (article 1099 du DOC), ce qui est catégoriquement incompatible
avec sa mission de service public. D’où l’intérêt de mettre en place la
médiation institutionnelle, en la faisant obéir à des règles spéciales régissant
l'organisation et les attributions de l'institution qui s'en chargera. Cela nous fait
penser à l'institution du Médiateur du Royaume du Maroc, qui a succédé à
l'institution de Diwan Al Madalim, pour moderniser le concept de Médiation
institutionnelle à l'instar des institutions d'ombudsman à l'échelle
internationale.

L'instauration d'un médiateur institutionnel au Maroc est certes bénéfique


pour le citoyen en général et pour le contribuable en particulier, mais encore
faut-il le doter d'une indépendance et de moyens d'action efficaces pour lui
permettre d'entériner la sécurité fiscale du contribuable (1). Sauf
qu'actuellement, il est tendance de créer des institutions de médiation ou de
conciliation spécialisées dans le règlement des différends fiscaux (2).

1- L'institution du Médiateur du Royaume du Maroc

La création de l’institution du Médiateur du Royaume, au début de l’année


2011, constitue une avancée considérable en matière de protection des droits
des usagers des services publics. Il s'agit d'une institution constitutionnelle qui
a été créée dans le but de diffuser les valeurs de la moralisation et de la

256
transparence dans la gestion des services publics, ainsi que de veiller à
l'exécution des décisions judiciaires en la dotant d'un pouvoir décisionnel
renforcé par des mesures dissuasives pouvant faire pression sur
l'administration récalcitrante pour exécuter ses recommandations et
propositions, pouvant s'élever à des interprétations des lois et règlements
susceptibles d’être à la base de l'initiation d'une réforme.

Mis à part ces prérogatives de contrôle de l'action de l'administration, le


médiateur du Royaume exerce des fonctions de médiation pour solutionner les
litiges qui surgissent entre les usagers des services publiques et
l'administration, et ce en dehors des procédures légales telles qu'elles sont
observées par les tribunaux administratifs, et en faisant appel aux règles de
justice et d'équité.

On lit dans ce sens dans l'une des recommandations de cette institution que
« la médiation institutionnelle constitue un cadre obligatoire pour
l’administration, chaque fois que des personnes y ont recours comme solution
alternative aux litiges500 ».

Toutefois, il a été constaté que cette position a été contredite par le


Médiateur lui-même, en matière fiscale en considérant que « le plaignant qui a
choisi de recourir à la Commission d’arbitrage instituée par le Code Général des
Impôts, est tenu de respecter cette voie de règlement ,en saisissant la
Commission Nationale du recours fiscal, selon le principe "Una Via Electa"501 ».

500
Recommandation au Président de la Commune Urbaine de M’diq (Dossier N° 23944/08), publiée à la revue
de l'institution du médiateur du Royaume de Maroc, n°2/ Août 2014, p. 30
Cette même position a été exprimée à maintes reprises par le Médiateur, voir notamment la recommandation au
Président du Conseil municipal de Dakhla (Dossier N° 20927/07) Ibid. pp. 28-29.
On peut également citer la recommandation objet du dossier n° 27223/10du 17/08/2015 publiée à la revue de
l'institution du Médiateur du Royaume de Maroc, n°6/décembre 2015 p. 33.
501
Revue de l'institution du médiateur du Royaume du Maroc n° 2/Août 2014, p. 25

257
Cette attitude du Médiateur est tout à fait critiquable, dans le mesure où
l'article 220-IV- du CGI considère le recours contre les décisions des
commissions locales de taxation devant la commission nationale des recours
fiscaux comme optionnel, et pour autant que le législateur prévoit un délai de
soixante (60) jours suivant la date de la notification aux parties de la décision
de la CLT pour porter le litige devant la CNRF. Si aucun recours n'a été formulé
au-delà de ce délai la décision de la CLT est réputée définitive. Mais cela
n'empêche pas le contribuable de porter le litige devant le tribunal. Et si on
raisonne par analogie, le recours au Médiateur du Royaume comme voie de
recours alternative à la justice devrait être ouvert au contribuable502.

D’ailleurs ce débat n’est plus d’actualité aujourd’hui, surtout avec la


suppression en 2016 le double degré de recours devant les commissions
d’arbitrage, ce qui rend désormais cette jurisprudence du Médiateur caduc et
sans effets sur les cas d’espèce à venir.

En outre, à l'instar de la réclamation, on reproche au recours à la médiation


institutionnelle de ne pas avoir d’effets interruptifs ou suspensifs, sous prétexte
qu'elle aura un effet dilatoire préjudiciable au fisc. Cet argument ne tient pas
bon, dans la mesure où le législateur a prévu des délais courts pour instruire et
trancher un litige soumis au Médiateur du Royaume.

De manière générale, personne ne peut contester l'efficacité du Médiateur


du Royaume dans la résolution des litiges opposant les usagers à
l'administration, d'autant plus que le législateur l'a doté d'un pouvoir coercitif
effectif lui permettant d'avertir le premier ministre, en sa qualité de chef de
l'administration publique, dans les cas où cette dernière s'oppose à mettre en

502
Ce raisonnement n’est valable que pour les litiges nés avant la promulgation de la loi de finances 2016, en
vertu du principe de la non-rétroactivité des lois.

258
œuvre ses recommandations. Il peut même recommander de prendre des
mesures disciplinaires ou pénales le cas échéant, à l'encontre de l'agent qui
refuse d'exécuter une décision de justice définitive503… Au regard de toutes ces
qualités, on ne peut qu'encourager le recours à la médiation institutionnelle
pour résoudre les litiges fiscaux, sauf qu'il serait souhaitable de créer des
instances de médiation ou de conciliation spécialisées dans le domaine fiscal,
comme il est tendance de nos jours, et ce pour mieux assister le contribuable
devant l'administration fiscale.

2- La médiation et de la conciliation institutionnelles


spécialisées dans les litiges fiscaux

Devant la complexité croissante des différentes disciplines de droit, la


spécialisation est désormais une obligation qui s'impose à tout praticien de
droit, quelle que soit la nature de son travail. Le droit fiscal ne fait pas
l’exception à cette tendance contemporaine, c'est pourquoi il est recommandé
d'adopter des institutions indépendantes et spécialisées, chargées de trancher
les litiges fiscaux au moyen de la médiation ou de la conciliation.

Les exemples à travers le monde sont multiples, on se limitera à en citer


trois, en l'occurrence le conciliateur judiciaire en matière fiscale en Tunisie (a),
la médiation fiscale aux États-Unis (b) et le service de conciliation fiscale de la
Belgique (c).

503
Article 32 du Dahir du 17 Mars 2011 portant création de l’Institution du Médiateur, publié au B.O. n° 5926

259
a- Le conciliateur judiciaire en matière fiscale en Tunisie

Après l'échec des commissions paritaires (commissions régionales de


conciliation au siège de chaque gouvernorat, commission spéciale de taxation
d’office) à se substituer au recours juridictionnel dans le cadre de la résolution
des litiges fiscaux, le législateur tunisien a décidé de concevoir une phase de
conciliation obligatoire orchestrée par le juge rapporteur avant de soumettre le
litige à la juridiction compétente.

Cette réforme remonte au 1er janvier 2002, date d'entrée en vigueur du code
des droits et procédures fiscaux (C.D.P.F)504, qui précise que le juge rapporteur
doit faire de son mieux pour rapprocher les points de vue de l'administration et
du contribuable, et dresser, le cas échéant, un procès-verbal signé par les
parties concrétisant l'arrangement convenu par les deux parties (article 60 du
CDPF).

Par ailleurs, dans le but de trancher le litige dans un temps raisonnable, le


législateur a limité cette procédure dans le temps, en fixant un délai maximum
de quatre-vingt-dix jours à compter de la date de la première audience, qui
peut être prorogé de trente jours par le président du tribunal, à la demande
motivée du juge rapporteur (article 61 du CDPF).

Si la soumission de cette phase précontentieuse à un magistrat de siège vise


à garantir une impartialité dans le règlement des différends, son efficacité dans
la pratique paraît limitée, c'est du moins ce que le Professeur A. KTATA a pu
déduire après son analyse pratique des dispositions régissant cette

504
La loi n° 2000-82 du 9 août 2000 portant promulgation du code des droits et procédures fiscaux dont l'article
7 a fixé la date d'entrée en vigueur le 1er Janvier 2002

260
procédure505. Ainsi, selon elle, la conciliation fiscale juridictionnelle est
inopérante pour la prévention du contentieux pour plusieurs raisons. La
première a trait au caractère non suspensif d'exécution de la procédure de
recouvrement de l'impôt contesté, ce qui rend le contribuable désintéressé par
cette procédure, d'autant plus que sa comparution devant le juge conciliateur
n'est pas obligatoire. D'un autre côté, il est difficilement concevable de voir
l'agent de l'administration proposer des réductions du montant de l’impôt
objet de l’arrêté de taxation au contribuable, puisqu'en pratique,
« l'administration désigne selon les cas un représentant permanent qui prend
en charge l’ensemble des dossiers d’un centre régional de contrôle des impôts
ou désigne l’agent chargé de la vérification du dossier pour la représenter506 ».
Enfin, l'auteur critique une autre pratique qui porte atteinte à l'égalité des
parties au procès, en mettant l'administration dans une position supérieure par
rapport au contribuable, qui devrait prendre l’initiative de présenter un projet
de conciliation à la demande du juge rapporteur, en la soumettant à
l'administration pour en donner son avis, soit favorablement soit
défavorablement.

Mis à part ses défauts, le modèle tunisien de la conciliation juridictionnelle


en matière fiscale paraît très attrayant, et constitue une source d'inspiration
pour le Maroc, tout en y faisant apporter quelques retouches au niveau de la
procédure d'application. Mais cela n'exclut pas d'évaluer d'autres systèmes
étrangers de règlement alternatif des litiges fiscaux, notamment celui des
États-Unis.

505
Aïda KTATA, La conciliation juridictionnelle en matière fiscale, Revue Tunisienne de Fiscalité, n° 3, 2005,
p. 112
506
Ibidem p. 113

261
b- La médiation fiscale aux États-Unis

Son institution remonte à 1995, quand le gouvernement américain avait


adopté un programme pilote consistant à introduire le mécanisme de la
médiation pour résoudre les différends opposant l'administration fiscale (the
Internal Revenue Service- IRS) et le contribuable507. Il s'agit d'un procédé
facultatif dont le recours se fait à l'initiative de chacune des parties. Si c'est le
contribuable qui décide d'y recourir, il doit présenter une demande à l'agent
des recours (Appeals Officer auprès de l'IRS), qui doit à son tour décider de son
sort soit par l'acceptation ou le refus. Ainsi si la réponse est négative, aucun
recours ne s'offre au contribuable, il ne peut de ce fait que solliciter un
entretien avec l'agent des recours pour essayer de le convaincre. Si en
revanche la demande du contribuable a été acceptée, un médiateur est
immédiatement désigné auprès des agents relevant de "l'office of appeals"
formés spécialement pour cette tâche. Le médiateur désigné se chargera ainsi
de trouver un terrain d'entente entre les parties, et formuler en conséquence
un projet d'accord sur lequel elles pourraient éventuellement convenir.

Le mode de désignation du médiateur et son appartenance au corps de l'IRS


avait suscité beaucoup de reproches à ce système, en mettant en cause sa
neutralité et sa confidentialité, car le succès de ce processus dépend
naturellement de la confiance que les deux parties accordent au médiateur.
Ainsi en cas de doute sur sa neutralité ou sa confidentialité, les parties peuvent
se montrer hésitantes, en s'abstenant à divulguer toutes les informations
utiles, permettant au médiateur de faire aboutir ce processus. Malgré ces
critiques, ce mécanisme reste marqué par son caractère négocié, étant donné

507
Kendall C. Jones, Thomas A. Cullinan, Joseph M. DePew,: "Practice note: Post apeals mediation", in Tax
Executive, n° 64 , July/August 2012, p. 311

262
que les parties restent libres d'adhérer ou pas au projet de règlement établi par
le médiateur. En outre, il est permis au contribuable de désigner un co-
médiateur, à condition qu’il se charge de sa rémunération508.

Par ailleurs, afin d'adapter ce mode de règlement alternatif de conflit à tous


les types de contribuables, l'IRS avait mis en place trois sortes de programmes
de médiation. Le premier concerne la médiation post-recours (Post-appeals
Mediation) qui ne s'ouvre au contribuable qu'après l'épuisement de toutes les
voies de recours ordinaires. Quant au second type de médiation, il concerne le
programme de règlement accéléré pour les grandes et moyennes entreprises
(The Large and Mid-Size Business Fast Track settlement program), qui est placé
sous la direction et le contrôle de l'office of appeals et la division des grandes
et moyennes entreprises. Après le test de ce programme, l'IRS a décidé en 2006
d’étendre ses paramètres aux petites entreprises et aux travailleurs individuels
à travers la conception du programme de médiation accélérée pour ce type de
contribuables appelé en anglais Small Business/Self-Employed Fast-Track
Mediation Program509.

Il va sans dire que les formules de médiation fiscale proposées par l'IRS
présentent un avantage certain pour le contribuable, notamment en terme de
rapidité de leur résultat ainsi que de flexibilité et de simplicité de la procédure.
Néanmoins, en dépit de toutes ces qualités, le système de la médiation fiscale
aux États-Unis souffre d'une imperfection de taille consistant en l'appartenance
du médiateur au corps de l'IRS, ce qui peut rendre ce recours illusoire. Cette
même critique peut être adressée au service de la conciliation fiscale en

508
David Parsly, The internal revenue service and alternative dispute resolution: moving from infancy to
legitimacy, in cardozo journal of conflict resolution, Vol. 8/2007, p. 685,
509
https://www.irs.gov/Individuals/Fast-Track-Settlement-Small-Business-Self-Employed consulté le
18/04/2016 à 19:06

263
Belgique, avec une seule nuance au niveau de la nomination des conciliateurs
qui relève de la compétence du Roi.
c- Le Service de la conciliation fiscale en Belgique

La création de ce service intervient en « réponse à la complexité sans cesse


croissante de la législation fiscale et à la nécessité d’obtenir l’adhésion des
contribuables aux prélèvements dont ils font l’objet510 ».

C'est donc un instrument de la sécurité juridique aussi bien du contribuable


que de l'administration fiscale, puisqu'il « contribuera à réduire les contentieux
judiciaires parfois injustifiés, coûteux en termes humains et financiers, et à
accélérer l’encaissement des sommes, objets du litige511 ».

C'est un service créé au sein du Service Public Fédéral Finances, chargé


d'examiner « les demandes de conciliation dont il est saisi… en toute
objectivité, impartialité et indépendance et dans le respect de la loi ; il tend à
concilier les points de vue des parties et leur adresse un rapport de
conciliation512 ».

La direction de ce service est confiée à un collège composé d’au moins trois


et d’au plus cinq membres, appelés « conciliateurs fiscaux »513, qui ne reçoivent
d’instructions d’aucune autorité, et ne peuvent être relevés de leur charge, en
raison d’actes qu’ils accomplissent dans le cadre de leurs fonctions, sauf en cas
de faute grave514.

510
Travaux préparatoires de l'article portant création du Service de conciliation fiscale. Document parlementaire,
Chambre des représentants de Belgique, le 29 Janvier 2007, Document ° 2873/001, p. 87,
http://www.dekamer.be/FLWB/pdf/51/2873/51K2873001.pdf consulté le 19/04/2016 à 19:16
511
Ibidem
512
L'article 116 de la loi du 25 avril 2007 portant dispositions diverses
513
Article 1er de l'arrêté royal portant exécution du Chapitre 5 du Titre VII de la loi du 25 avril 2007 portant des
dispositions diverses (IV)
514
Article 6 de l'arrêté précité

264
Cependant, la loi a posé des limites à l'accès à cette institution, en lui
permettant de refuser de traiter la demande de conciliation formulée par le
contribuable lorsqu'il apparaît aux conciliateurs que la demande est
manifestement non fondée, ou si le demandeur n'a manifestement pas
accompli les démarches auprès de l'autorité administrative compétente
concernée en vue de concilier les points de vue.

En outre, au regard de son caractère compromissoire, deux conséquences


logiques découlent de ce procédé. Ainsi, en premier lieu, le recours au service
de la conciliation fiscale n'a pas d'effet suspensif et interruptif de
recouvrement515. En second lieu, les rapports de conciliation et les décisions
relatives à la recevabilité de la demande de conciliation ne sont susceptibles
d'aucun recours administratif ou judiciaire.

Enfin, suite à la décision du service de conciliation fiscale, l’autorité


administrative peut, dans la mesure où elle l’estime justifié, revoir à la baisse le
montant de la taxe ou celui des amendes établies dans la notification pour
autant que cette révision n’implique pas exemption ou modération d’impôt. Il
s’agit d’une conséquence logique du caractère négocié de la conciliation, où
chaque partie reste libre à adhérer ou pas au projet de règlement du litige
établi par les conciliateurs.

515
Pour donner plus de chances de réussite à la procédure de conciliation, une proposition de loi a été déposée le
13 novembre 2014, prévoyant une suspension du recouvrement à partir du moment où la demande de
conciliation a été déclarée recevable jusqu’à la décision finale du service de conciliation fiscale, et ce, pour une
durée de trois mois au maximum.
http://www.dekamer.be/flwb/pdf/54/0607/54K0607001.pdf consulté le 22/06/2016 à 10 :29.

265
Conclusion du Chapitre 2 :

A la fin de cette analyse, on peut conclure que la promotion de l’Etat de droit


est intrinsèquement liée à la protection de la sécurité juridique, notamment
sous l’angle du respect des droits fondamentaux du contribuable, dont la
protection dépend de la mise en place d’un système de recours impartial et
efficace.

En se basant sur les expériences étrangères précédemment exposées, il est


suggéré d’attribuer au juge une place centrale dans les procédures fiscales,
particulièrement celles qui sont susceptibles de violer un droit fondamental
constitutionnellement protégé, comme le droit à la confidentialité, étant donné
que l’information joue un rôle très important dans le monde des affaires. Il
importe à cet égard de prévoir l’obligation pour l’administration fiscale de
solliciter l’aval du juge, chaque fois que l’un de ces droits est éminemment
menacé.

D’un autre côté, il faut noter que la stipulation de ces droits au profit du
contribuable sera inefficace si le système de recours ne garantit pas une
impartialité et une efficience suffisante. C’est pour cette raison qu’il faut
penser à développer le recours devant les commissions à travers le
renforcement de leur indépendance vis-à-vis du pouvoir exécutif, en les
érigeant en institutions dotées d’une autonomie budgétaire et de gestion, ne
relevant d’aucun département ministériel. De même, la mise en place d’un
système de règlement alternatif de conflits serait très louable, à condition qu’il
ne soit pas obligatoire, afin de ne pas entraver le recours à la justice, qui reste
quand même le recours le plus impartial, mis-à-part les défauts liés à la longue
durée du procès et au manque de formation des magistrats dans le domaine

266
fiscal, et qui nécessite une intervention structurale dans tout le corps de la
justice.

267
Conclusion de la deuxième partie

« Appliquer toujours les formules les plus modernes dont l'expérience a


révélé l'excellence; ne pas hésiter à réaliser nombre de réformes qu'en France
et à l'étranger on réclame depuis longtemps 516», telle est ainsi la devise du
Maréchal Lyautey, qui est toujours de mise, notamment en matière fiscale,
puisqu’elle se caractérise par la mouvance et le développement constant.
L’étude donc du droit comparé s’est révélée fructueuse pour notre recherche,
dans la mesure où elle nous a permis de relever des solutions intéressantes qui
méritent d’être expérimentées au Maroc.

516
Cité par Anne VERMES, "Les pionniers du management: le Maréchal Hubert Lyautey : Sidi Lyautey ou
l'autorité éclairée", in Managment, n°225, décembre 2014, p99

268
Conclusion Générale

269
L’analyse de notre système fiscal sous l’angle de la sécurité du contribuable,
nous a permis d’affirmer avec évidence la précarité de ce dernier à plus d’un
titre. On a pu à cet égard exposer quelques exemples illustratifs des zones
d’insécurités, où le contribuable opère dans l’incertitude totale. C’est ainsi
qu’au départ, on a commencé par exposer l’épineux problème de la
rétroactivité des normes fiscales, notamment la rétroactivité économique, qui
entraine par ricochet une instabilité de ces normes, puis une dégradation de
leur qualité. En passant par la suite à l’analyse des mauvaises pratiques de
certains agents du fisc, qui peuvent être illégales, comme la notification des
redressements fiscaux de manière automatique et sans motifs, ou s’inscrivant
dans la légalité totale, à travers le recours à la nouvelle procédure de la
notification, qui viole ouvertement le droit du contribuable à une procédure
contradictoire. Le tout, en l’absence d’un droit de recours efficace, garantissant
une accessibilité et une impartialité suffisante, que ce soit sur le plan
administratif, au moyen des commissions d’arbitrages ou de la réclamation
contentieuse, ou sur le plan judiciaire.

Toutes ces constatations nous ont guidé à creuser dans le droit comparé,
pour en puiser des solutions à ces problèmes. Mais vu les spécificités et les
traditions juridiques de chaque pays, un travail d’adaptation et d’amélioration
de ces solutions s’avère nécessaire, afin qu’elles puissent s’accommoder à
notre contexte national. A cet effet, on a pu illustrer plus loin, que la
consécration d’un droit à la sécurité juridique aura des répercussions négatives
sur notre système juridique à tradition légaliste. C’est pour cette raison qu’on a
proposé d’adopter des solutions dérivées à ce droit subjectif, ayant trait
seulement aux normes juridiques crées par une interprétation formulée par
l’administration fiscale. D’où l’intérêt de prévoir un dispositif d’encadrement
du pouvoir d’interprétation du fisc, limitant ses effets dans le temps, au moyen
270
de la notion de la "confiance légitime", ou celle de "la responsabilité de
l’administration pour avoir induit le contribuable dans l’erreur".

D’un autre côté, les techniques de consultation préalable de l’administration,


comme le rescrit et le ruling fiscal, doivent aussitôt être adoptées par notre
législateur, au regard des avantages certains qu’il procure au contribuable sur
le plan de la prévisibilité. Il faut saluer à ce niveau, l’initiative récente de notre
législateur qui a intégré dans le code général des impôts la technique de
l’accord préalable du prix de transfert, qui constitue l’un des mécanismes de
consultation préalable de l’administration fiscale, destinés à préserver la
prévisibilité du contribuable.

Outre ces techniques, il serait souhaitable que le gouvernement véhicule le


plus largement possible, les réformes à venir, afin de permettre aux
contribuables de se préparer au mieux aux éventuelles répercussions sur leurs
trésoreries.

Quant au problème de la complexité des textes fiscaux, une attention


particulière doit être réservée à la procédure de leur élaboration, en instaurant
un contrôle antérieur à travers le recours au procédé de l’étude d’impact ou
par l’institution d’un organisme indépendant chargé de contrôler la qualité des
textes fiscaux. A ce titre, l’institution d’un Conseil d’Etat serait souhaitable à
l’instar de celui de la France, et dont les missions se résument en trois actions :
conseiller, juger et gérer. La première consiste à donner des conseils au
Gouvernement pour la préparation des projets de loi, décrets et arrêtés. La
seconde a un caractère judiciaire, puisque ce Conseil est le juge administratif
suprême qui tranche les litiges relatifs aux actes des administrations. Quant à
sa mission de gestion, le conseil est chargé de gérer les 8 cours administratives
d'appel, les 42 tribunaux administratifs et la Cour nationale du droit d'asile.

271
En ce qui concerne les textes fiscaux en vigueur, une relecture profonde de
tous ces textes est recommandée, dans le but de les simplifier autant que faire
se peut. Dans ce sens, les pouvoirs publics doivent refondre globalement le
code général des impôts, en essayant de conserver un certain équilibre entre
les intérêts du contribuable et ceux du trésor public. Les expériences
internationales dans ce domaine sont riches d’enseignements, marquées par
l’échec de certaines d’entre elles, et la réussite d’autres, dont la conclusion
principale qu’on peut tirer est que, l’aboutissement de tout projet de
simplification des textes fiscaux en vigueurs est conditionné par le courage
d’engager des réformes profondes dans le système fiscal en globalité, comme
ce fut le cas en Suède.

Néanmoins, la multiplication des exemples de la simplification fiscale à


travers le monde, ne peut cacher une réalité certaine, à savoir le caractère
complexe de tout procédé de simplification. Il faut citer à cet égard un ouvrage
collectif récemment publié, portant l’intitulé « la complexité de la simplification
fiscale : quelques expériences autour du monde »517. Les contributeurs à cet
ouvrage relatent les expériences de simplification fiscale dans plusieurs pays518,
en s’accordant tous sur le caractère complexe de ce processus, qui nécessite
l’engagement d’une volonté publique ferme.

Sur un autre plan, l’étude de la sécurité fiscale du contribuable sous l’angle


de la promotion de l’Etat de droit, a été une occasion pour explorer les droits et
libertés fondamentales de ce dernier, en analysant les différents moyens
pouvant lui s’offrir pour les conserver. A ce titre, on remarque à travers l’étude

517
James SIMON, Adrian SAWYER, Tamer BUDAK, The Complexity of Tax Simplification : Experiences
From Around the World, Palgrave Macmillan (UK) 1st edition 2016.
518
L’Australie, la Chine, le Canada, la Malaisie, la Nouvelle Zélande, la Russie, l’Afrique du Sud, le Thaïlande,
la Turquie, le Royaume Uni et les Etats-Unis

272
de cette question en droit comparé que le juge joue un rôle central dans le
déroulement des procédures fiscales, particulièrement celles dont la mise en
œuvre risque de mettre en péril un droit fondamental du contribuable. A cet
effet, on a focalisé notre analyse sur d’une part, le droit au respect de la vie
privée, incluant en son sein le droit à la confidentialité et le droit au respect du
domicile, et d’autre part, le droit du contribuable à l’information. On cite à cet
égard l’exemple des perquisitions et des visites domiciliaires, que la plupart des
pays conditionnes le recours par une autorisation préalable du juge, en raison
de son caractère éventuellement attentatoire au droit au respect du domicile. Il
en est de même en ce qui concerne le respect de la confidentialité du
contribuable, où le suède constitue un bon exemple à suivre, notamment en
matière de protection des informations sensibles. Le législateur suédois a prévu
à ce titre une garantie originale, en permettant à l’administration fiscale et au
contribuable de solliciter l’arbitrage du juge chaque fois qu’un désaccord surgit
entre eux quant au degré de sensibilité et de l'importance des informations et
documents sollicités par l'administration.

S’agissant du droit du contribuable à l’information, on peut affirmer qu’il ne


manque pas d’importance sur le plan de la sécurité fiscale, d’autant plus qu’il
constitue la principal arme de défense que le contribuable détient contre
l’éventuel arbitraire de l’administration fiscal, que ce soit avant ou lors des
procédures fiscales. En vue de mieux protéger ce droit, certains Etats ont mis
en place des garanties au profit du contribuable, comme l’instauration d’une
procédure de consultation préalable (le Rulling en Australie), ou l’institution
d’organismes publics spécialisés dans l’assistance des contribuables (le
Taxpayer Avocate aux Etats-Unis).

273
A ce titre il importe de signaler que le législateur avait adopté récemment519
une procédure similaire au rulling fiscal en Belgique, appliquée en matière
douanière, et qui s’inscrit dans le « souci d’améliorer l’attractivité de notre
pays à travers l’instauration de plus de transparence et de prévisibilité »520.
Cette mesure permet aux importateurs et exportateurs de produire une
décision anticipée qui constitue une source d’informations nécessaires à la
réalisation de leurs opérations d’importation et d’exportation. Il s’agit d’une
avancée courageuse de la part de notre législateur, il importe à présent
d’étendre ce régime à la matière fiscale, dans le but d’améliorer la prévisibilité
du contribuable.

La garantie d’un droit de recours accessible au contribuable constitue aussi


l’une des facettes de la sécurité fiscale comme fondement d’un Etat de droit.
Néanmoins, vue les multiples défaillances de notre système judiciaire, on a
proposé d’ouvrir la voie aux modes alternatifs de recours, caractérisé par leur
libéralisme, en mettant l’administration et le contribuable au même pied
d’égalité. On peut donc s’aligner aux pays ayant adopté l’arbitrage, la
conciliation ou la médiation en matière fiscale, en essayant d’emprunter une
formule convenable à notre contexte juridique, d’où le besoin de revoir
radicalement la composition et les prérogatives des commissions d’arbitrages,
afin de renforcer leurs prérogatives, leur indépendance et leur efficacité, sans
oublier d’élargir leur champs de compétence vers les questions de droit.

Dans le même ordre d’idée, il est proposé de supprimer le passage


obligatoire par la réclamation contentieuse préalable, en réduisant le délai de
réponse de l’administration fiscale à 60 jours à compter du dépôt de la

519
Article 3 de la loi de Finance n° 70-15 pour l’année budgétaire 2016 (B.O. n° 6423 Bis du 21/12/2015)
520
Circulaire N° 5558/210 de l’administration de la douane et impôts indirects datée le 29 Décembre 2015,
http://www.douane.gov.ma/adil/pdf/5558.pdf Consulté le 20/04/2017 à 6 :41.

274
réclamation, et ce en s’alignant au délai du recours en annulation pour excès
de pouvoir prévu dans l’article 23 de la loi n° 41-90 instituant des tribunaux
administratifs, et dont le quatrième paragraphe dispose que « le silence
conservé pendant une période de 60 jours par l'administration à la suite d'une
demande dont elle a été saisie équivaut sauf disposition législative contraire, à
un rejet. L'intéressé peut alors introduire un recours devant le tribunal
administratif dans le délai de 60 jours à compter de l'expiration de la période
de 60 jours ci-dessus spécifiée. »

En fin d’analyse, la sécurité fiscale du contribuable est devenue sans


conteste une revendication de plus en plus pressante au Maroc comme
ailleurs. Il s’agit donc d’un fléau universel, invitant les Etats à collaborer
bilatéralement ou multilatéralement, pour forger les meilleurs remèdes, dans
le but ultime de la sécurisation des recettes de l’Etat. L’équation est désormais
claire : sécurité fiscale du contribuable = sécurité fiscale de l’Etat.

275
Bibliographie
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Brussels, in 1987 during the 41st Congress of the International
Fiscal Association, (1988), Deventer: Netherlands; Boston : Kluwer
Law and Taxation.
 Abdelmadjid DJEBBAR, « Le Conseil Constitutionnel et la sécurité
juridique », semaine Juridique sous le thème la sécurité juridique,
Actes du colloque d’Alger 9-10 décembre 2012 Pour la 4ème
édition de la Convention des Juristes de la Méditerranée (1er juillet
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279
 Alexandre MAITROT de la MOTTE, « Faut-il réécrire le Code Général
des Impôts ? » in La sécurité fiscale : Journée d’études du 9 octobre
2009 organisée par le Centre de recherche Droit de la sécurité et de
la défense de l’Université Paris Descartes et l’Institut international
des sciences fiscales, Jacques BUISSON, (2011), Paris, L'Harmattan.
 Anne LEVADE, « Propos introductifs », La semaine Juridique- Actes
du colloque d’Alger 9-10 décembre 2012 Pour la 4ème édition de
la Convention des Juristes de la Méditerranée sous le thème
sécurité juridique, (1er juillet 2013), Édition Générale - supplément
Au N° 27.
 Azzeddine BENMOUSSA, « Les voies de recours du contribuable
devant les commissions locales de taxation et devant la CNRF,», les
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et 27 Novembre 1999, Rabat, Ministère de l'économie et des
finances.
 Benoît DELAUNAY, « Faut-il reconnaître un principe de confiance
légitime en droit fiscal? », in La sécurité fiscale : Journée d’études
du 9 octobre 2009 organisée par le Centre de recherche Droit de la
sécurité et de la défense de l’Université Paris Descartes et l’Institut
international des sciences fiscales, Jacques BUISSON, (2011), Paris,
L'Harmattan.
 Christian LOPEZ, « La sécurité fiscale et libertés publique », in La
sécurité fiscale : Journée d’études du 9 octobre 2009 organisée par
le Centre de recherche Droit de la sécurité et de la défense de
l’Université Paris Descartes et l’Institut international des sciences
fiscales, Jacques BUISSON, (2011), Paris, L'Harmattan.
 Elodie BORDES, « Radioscopie jurisprudentielle du principe de
sécurité juridique : analyses de évolutions possibles à la lumière de
la QPC (atelier n°7) », in 8e Congrès national français du droit
constitutionnel (le 16, 17 et 18 juin 2011) Nancy- France.
 Jean-Pierre LIEB et Richard HEURTIER, « Propos introductif à la
sécurité juridique en matière fiscale », in La sécurité fiscale : Journée
d’études du 9 octobre 2009 organisée par le Centre de recherche
Droit de la sécurité et de la défense de l’Université Paris Descartes

280
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(2011), Paris, L'Harmattan.
 Mohamed BEKKALI, « Le contrôle fiscal : objectif et contraintes »,
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 Noureddine BENSOUDA, « Quels dispositifs de mobilisation des
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Colloque International sur les Finances Publiques sous le thème :
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organisé conjointement par l’Université d'économie de Hubei et de
FONDAFIP (15 et 16 janvier 2011), Wuhan, Hubei Chine.
 Oliver CAHN, « Regard comparé sur le régime britannique », in La
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morales dans la convention européenne des droits de l'homme, thèse
de doctorat, soutenue à l’université de La Rochelle, 2011, France.
 Marion TURRIN, La légitime répression de la fraude fiscale, thèse
soutenue publiquement le 8 janvier 2011, à la Faculté de droit et de
science politique d'Aix-Mareille, p. 85
 Marion TURRIN, La légitime répression de la fraude fiscale, thèse
soutenue publiquement le 8 janvier 2011, à la Faculté de droit et de
science politique d'Aix-Mareille

282
 SABAH CHERKAOUI, Le contentieux fiscal au Maroc : voies de recours
et rôle de l’expert-comptable, Mémoire soutenue à l’Institut
Supérieur du Commerce et d’Administration des Entreprises (ISCAE)
 Yahia ZAHIRI, La fiscalité et la comptabilité de l'entreprise au Maroc,
thèse soutenue publiquement, à la faculté des sciences juridiques,
économiques et sociales de Oujda, Université Mohamed Premier,
2003-2004
‫ رسالة لنيل دبلوم الدراسات العليا‬،‫ منازعات الوعاء الضريبي أمام القضاء اإلداري‬،‫ نجيب البقالي‬
،‫م المحمدية‬2008/2007 : ‫المعمقة السنة الدراسية‬
‫ عن العربي الكزداح " الطعون الجبائية في ظل المحاكم اإلدارية بالمغرب " أطروحة لنيل الدكتورة في‬
،2004/2003 ‫ الموسم الجامعي‬، ‫ جامعة محمد الخامس أكدال‬، ‫الحقوق‬

Rapports et études :
 « Amélioration de la sécurité juridique des relations entre
l’administration fiscale et le contribuable : une nouvelle approche »,
Olivier FOUQUET, (juin 2008) Rapport au ministre du Budget, des
comptes publics et de la fonction publique en France. Ed la
documentation française.
 « Améliorer la sécurité du droit fiscal pour renforcer l’attractivité du
territoire », Bruno GIBERT, (septembre 2004) Rapport au ministre d’Etat,
ministre de l’économie, des finances et de l’industrie français.
 « Compétitivité et développement du secteur privé : Maroc 2010 : la
stratégie de développement du climat des affaires », (2011) Organisation
de Coopération et de Développement Économiques (OCDE)
 « Construire un cadre institutionnel pour l’analyse d’impact de la
réglementation (AIR) : orientations destinées aux décideurs », (2008)
Organisation de Coopération et de Développement Économiques (OCDE)
version 1.1..
 « De la sécurité juridique », Rapport du Conseil d’État : études et
documents du Conseil d’État, (1991) Le Conseil d’État français. Ed. La
documentation française.
 « De l'élaboration de la législation communautaire à sa mise en œuvre
en droit national : contribution du Conseil économique et social à la
réflexion sur "mieux légiférer" ». France, (septembre 2007) Rapport du
Conseil économique et social.

283
 « Fiscalité et vie des entreprises », le Conseil des Impôts français. 13éme
rapport, tome 1 (1994 ).
 « Garantir la confidentialité : le guide de l'OCDE sur la protection des
échanges de renseignements à des fins fiscales », (2012) Organisation de
Coopération et de Développement Économiques (OCDE).
 « How Can an Excessive Volume of Tax Disputes Be Dealt With? » (A Tax
Law Note), Par Victor THURONYI, (Decembre 2012) le Fond Monétaire
International (FMI).
 « L’index de la sécurité juridique », Bruno DEFFAINS et Catherine
KESSEDIJAN (Mai 2015) La Fondation pour le droit continental.
 « La réforme de la règlementation en Espagne - La capacité du
gouvernement de produire une règlementation de grande qualité »,
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(2000).
 « L'amélioration des rapports entre les citoyens et les administrations
fiscales et douanières », Par Maurice Aicardi (1986) Rapport au ministre
d'Etat de l'Economie, des Finances et de la privatisation.
 « Le régime des prescriptions civiles et pénales », Rapport d'information
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YUNG, (session ordinaire 2006-2007) Le Sénat français.
 « Le système fiscal marocain : levier du développement économique et
de cohésion sociale ». Avis sur auto-saisine du Conseil Economique et
Social et Environnemental rendu publique le 29 novembre 2012, vol. 9.
 « le système fiscal marocain : Développement économique et cohésion
sociale », (novembre 2012) Rapport du Conseil Economique, Social et
Environnemental.
 « Législation sur les prix de transfert – proposition d’approche »,
Document préparé par le Secrétariat de l’OCDE (Juin 2011) Organisation
de Coopération et de Développement Économiques (OCDE).
 « Les relations de l’administration fiscale avec les particuliers et les
entreprises ». Rapport public thématique, Evaluation d’une politique
publique, (Février 2012) Cour des Comptes française. Ed. La
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 « Rapport Annuel de la Cour des Comptes », (2011) Cour des Comptes Au
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 « Rapport du Conseil d’État : études et documents du Conseil d’État », N)
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284
 « Recommandation du Conseil de l’OCDE concernant la politique et la
gouvernance réglementaires », (2012) Organisation de Coopération et de
Développement Économiques (OCDE)
 « Sécurité juridique et initiative économique », un groupe de travail
présidé par Henri de CASTRIES (Mai 2015). Club des juristes (Think Tank).
 « Taxpayers' rights and obligations: a survey of the legal situation in
OECD countries », By Committee on Fiscal Affairs. Working Party No. 8
(1990) The Organisation for Economic Co-operation and Development
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 « The Evolution of Regulatory Policy in OECD Countries », By Nick
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 « The OECD Committee of Fiscal Affairs Forum on Tax Administration,
Taxpayers’ Rights and Obligations – Practice Note. Tax guidance series »,
(2003) The Organisation for Economic Co-operation and Development
(OECD).

Dictionnaires :
 Dictionnaire de la justice, sous la direction de Loïc Cadiet, (2004), éd
Presses Universitaires de France.
 Lexique des termes juridiques, 2001, Dalloz, 13e édition.
 Dictionnaire du vocabulaire juridique, Sous la direction de Rémy
CABRILLAC, (2002).
 Vocabulaire Juridique - Association Henri Capitant, par Gérard CORNU,
(1990)

Webographie :

 le portail documentaire au Site Web du ministère de la justice :


http://adala.justice.gov.ma
 Le site Web de Association pour la fondation internationale de
finances publiques : www.fondafip.org
 Le site Web de Jurisprudence du Cabinet Bassamat & Associée :
http://www.jurisprudence.ma
 Le site Web de la Chambre des Représentants Bèlge :
http://www.dekamer.be

285
 Le site Web de la direction de l'information légale et administrative
auprès du Premier ministre en France :
http://www.ladocumentationfrancaise.fr/
 Le site Web de la Fondation pour le Droit Continental :
http://www.fondation-droitcontinental.org
 Le site Web de l'administration de la douane et des impôts indirects :
http://www.douane.gov.ma
 Le site Web de l'administration fiscale américaine : https://www.irs.gov
 Le site Web de l'administration fiscale australienne :
https://www.ato.gov.au/
 Le site Web de l'administration fiscale du Royaume Uni :
http://www.tax.org.uk/
 Le site Web de l'archive nationale du Royaume Uni :
http://www.nationalarchives.gov.uk/
 Le site Web de l'Association Française de Droit Constitutionnel :
http://www.droitconstitutionnel.org
 Le site Web de l'organisation de Coopération et de Développement
Économiques : http://www.oecd.org/
 Le site Web du Centre d'arbitrage administratif au Portugal :
http://www.caad.org.pt
 Le site Web du Conseil Constitutionnel Français : http://www.conseil-
constitutionnel.fr/
 Le site Web du gouvernement fédéral Allemand :
https://www.bundesregierung.de/
 Le site Web du journal le Monde : http://www.lemonde.fr
 Le site Web du Journal l'économiste : http://www.leconomiste.com
 Le site Web du National Taxpayer Advocate :
http://www.taxpayeradvocate.irs.gov
 Le site Web du Sénat Français : http://www.senat.fr
 Le site Web du Service des Décisions Anticipées en matières fiscales
(Ruling) en Bélgique : http://www.ruling.be/
 Le site Web du service public de la diffusion du droit par l'Internet en
France : http://www.legifrance.gouv.fr
 Le site Web du Think Tank juridique français "le Club des Juristes" :
http://www.leclubdesjuristes.com/
 Le site Web du Tribunal administratif de Rabat : www.tarabat.ma/

286
 Moteur de recherche des thèses françaises soutenues ou en
préparation : www.theses.fr/
 Un site Web d'actualité français : http://www.linternaute.com
 Un site Web de Jurisprudence : https://www.mahkamaty.com
 Un Site Web de l'information Juridique au Maroc
http://www.marocdroit.com/
 Un site Web français dédié à la communauté du droit :
http://www.village-justice.com

287
Table des matières
Introduction générale.............................................................................................................................. 1
A- La notion de la sécurité fiscale : .................................................................................. 3
B- Impact de la sécurité fiscale sur l'attractivité économique des territoires ................. 7
C- Problématique et méthodologie de la recherche ..................................................... 10
Première partie : ............................................................................................................................... 13
Chapitre I- Les manifestations de l’insécurité dans la norme fiscale et son application .............. 15
Section I- L’abus de rétroactivité en matière fiscale ................................................................. 17
§ 1- La rétroactivité des lois fiscales : ............................................................................... 20
A- La rétroactivité des lois de finances .......................................................................... 21
B- Les lois fiscales expressément rétroactives ............................................................... 28
1- La rétroactivité des lois fiscales en France ............................................................ 29
2- La rétroactivité des lois fiscales au Maroc............................................................. 32
§ 2– Le changement rétroactif de « la doctrine administrative » .................................... 35
A- Les causes de l’instabilité des lois fiscales ................................................................. 44
B- Les manifestations de la rétroactivité économique .................................................. 45
Section II- La sécurité juridique du contribuable face aux défis de la dégradation de la qualité
de la loi fiscale ........................................................................................................................... 47
§ 1- L’accessibilité matérielle : ......................................................................................... 48
§ 2- L’accessibilité intellectuelle ....................................................................................... 50
A- Caractéristiques de la notion de l’accessibilité intellectuelle ................................... 51
B- Quelques exemples des efforts déployés pour l’amélioration de l’intelligibilité du
droit fiscal ............................................................................................................................ 53
C- Manifestations de l’inaccessibilité intellectuelle du droit fiscal ............................... 56
Section III- La mauvaise application de la loi par les agents de l’administration fiscale ........... 59
§ 1- La désorganisation de la procédure du contrôle fiscal ............................................. 60
A- Les critères de sélection des contribuables objets de contrôle fiscal ....................... 61
B- La notification à l’approche de l’échéance de la prescription.................................. 63
§ 2- Le redressement fiscal comme moyen de rendement budgétaire ........................... 64
A- Les redressements systématiques et non motivés ................................................... 65

288
B- Les effets du pouvoir transactionnel de l'administration fiscale sur la sécurité du
contribuable ........................................................................................................................ 69
Section IV- La problématique de la procédure de notification fiscale ...................................... 72
§ 1- L’évolution de la procédure de notification dans le droit fiscal marocain................ 73
§ 2- La fin du principe du contradictoire et l’avènement de l’insécurité du contribuable76
Conclusion du premier chapitre : .......................................................................... 79
Chapitre II- Incapacité du contentieux fiscal à garantir la sécurité fiscale au contribuable ......... 80
Section I- Une faible position du contribuable face au fisc devant les instances d’arbitrage... 82
§ 1- La nature juridique des commissions arbitrales ....................................................... 84
A- La nature arbitrale des commissions fiscales ............................................................ 84
B- La nature judiciaire des commissions........................................................................ 86
C- La nature administrative des commissions ............................................................... 87
§ 2- L’évaluation de l’efficacité des commissions arbitrales dans le cadre de la protection
de la sécurité fiscale du contribuable à la lumière de sa nature juridique .............................. 91
A- La préservation de la sécurité fiscale du contribuable par les commissions de
recours fiscaux..................................................................................................................... 91
B- La déficience des commissions de recours pour la préservation de la sécurité du
contribuable ........................................................................................................................ 94
Section II- La réclamation contentieuse : le premier affrontement déséquilibré entre le fisc et
le contribuable. ......................................................................................................................... 98
§ 1- La réclamation contentieuse : le filtre des litiges fiscaux avant l’étape judiciaire .... 99
A- Le caractère non suspensif d’exécution de la réclamation contentieuse ............... 100
B- Délai excessivement long pour une réponse facultative ........................................ 101
C- De la réclamation contentieuse à l’accord à l’amiable ........................................... 102
§ 2- La position dominante de l'administration fiscale lors de la procédure de la
réclamation............................................................................................................................. 103
A- La liberté de l’administration de garder le silence en matière de réclamation ...... 104
B- L’agent instructeur : juge et partie dans la procédure de réclamation .................. 105
Section III- Insuffisance de la sécurité judiciaire du contribuable pour l’établissement de sa
sécurité juridique..................................................................................................................... 107
§ 1- L'acception du principe de la sécurité judiciaire ..................................................... 109
A- L'accès à la justice.................................................................................................... 110
1- Le droit d’être entendu par un juge impartial ..................................................... 111
2- Les droits de la défense ....................................................................................... 112
3- Le droit d'obtenir un jugement dans un temps raisonnable ............................... 115

289
B- L'exécution des décisions judiciaires ....................................................................... 117
§ 2- La limite de la sécurité judiciaire du contribuable .................................................. 121
A- Une accessibilité limitée du contribuable à la justice fiscale .................................. 122
B- L'insécurité judiciaire lors du procès fiscal .............................................................. 125
C- L'inexécution des décisions de justice ..................................................................... 130
Conclusion du deuxième chapitre ....................................................................... 134
Conclusion de la première partie ........................................................................ 135
Deuxième partie : Les moyens de renforcement de la sécurité fiscale du contribuable ................ 136
Chapitre I: Le renforcement de la sécurité fiscale du contribuable à travers le réaménagement
de la norme fiscale ...................................................................................................................... 137
Section I – L’aspect temporel de la sécurité fiscale : L’impératif de prévisibilité et de stabilité
de la norme fiscale .................................................................................................................. 138
§ 1- Les moyens subjectifs assurant la prévisibilité du contribuable ............................. 140
A- La consécration du droit à la sécurité juridique ...................................................... 141
B- L'incidence de la subjectivation de la sécurité juridique sur le droit objectif marocain
……………………………………………………………………………………………………………………………147
C- Quelques alternatives dérivées du droit fondamental à la sécurité juridique tirées
du droit comparé ............................................................................................................... 150
1- Limitation du pouvoir d’appréciation de l’administration fiscale ....................... 151
a- Les articles L80A et L80B du livre des procédures fiscales français ................. 151
b- La responsabilité de l'administration pour avoir induit le contribuable en erreur
…………………………………………………………………………………………………………………….155
2- La responsabilité sans faute de l’Etat du fait des lois.......................................... 156
§ 2- Les moyens objectifs voués à la préservation de la prévisibilité du contribuable .. 157
A- Les manifestations ponctuelles du principe de la sécurité juridique dans le droit
marocain............................................................................................................................ 158
1- Le principe de la non-rétroactivité des lois ......................................................... 159
2- Le principe de la prescription .............................................................................. 161
3- Les accords préalables sur les prix de transfert .................................................. 163
B- Quelques techniques juridiques de la préservation de la prévisibilité du contribuable
en droit comparé ............................................................................................................... 166
1- La consultation préalable de l'administration fiscale .......................................... 166
a- Le rescrit fiscal en France ................................................................................. 167
b- Le ruling fiscal en Belgique ............................................................................... 169
2- Les mesures législatives d'accompagnement pour les normes fiscales nouvelles
………………………………………………………………………………………………………………………171

290
Section II- L'aspect formel de la sécurité fiscale : l'amélioration de la qualité de la norme
fiscale ....................................................................................................................................... 174
§ 1- Le contrôle de la qualité des normes fiscales avant leur adoption ......................... 176
A- Le contrôle d'intelligibilité et d'accessibilité des lois fiscales par un organisme
indépendant ...................................................................................................................... 176
B- L'étude de l'impact des projets de lois sur le contribuable ..................................... 180
§ 2- La simplification des normes fiscales en vigueur .................................................... 184
A- La codification comme moyen de simplification fiscale .......................................... 186
1- L'histoire de la codification fiscale en droit comparé.......................................... 186
2- La codification fiscale au Maroc .......................................................................... 188
3- La méthodologie de la codification fiscale et la maintenance des codes ........... 191
B- La simplification par voie de refonte du Code Général des Impôts ........................ 192
1- L'échec de l'expérience française en matière de simplification du droit fiscal ... 193
2- L'expérience britannique en matière de refonte de la législation fiscale ........... 196
3- Le modèle suédois en matière de refonte de la législation fiscale ..................... 197
Conclusion du chapitre 1 ..................................................................................... 199
Chapitre 2- La préservation de la sécurité fiscale du contribuable comme fondement de l'Etat de
droit ............................................................................................................................................. 201
Section 1- La sécurité fiscale à travers le renforcement des droits et libertés fondamentales du
contribuable ............................................................................................................................ 203
§ 1- Le droit du contribuable au respect de sa vie privée .............................................. 205
A- Le droit au respect du domicile du contribuable .................................................... 206
1- La détermination de la notion du domicile ......................................................... 207
2- La protection judiciaire du domicile fiscal ........................................................... 210
B- Le droit au respect de la confidentialité du contribuable ....................................... 213
1- La notion de confidentialité en droit fiscal .......................................................... 213
2- La protection de la sécurité fiscale du contribuable par le respect de sa
confidentialité ............................................................................................................. 216
§ 2-Droit du contribuable à l'information ...................................................................... 218
A- Le droit du contribuable d’être informé sur ses droits et obligations .................... 219
1- Le modèle des chartes et déclarations établies par l'OCDE ................................ 221
2- L'information du contribuable en Australie ........................................................ 223
3- L'information du contribuable aux Etats-Unis d'Amérique ................................. 224
B- Le droit du contribuable à l'information dans les procédures fiscales ................... 227
Section 2- La sécurité fiscale à travers la bonne administration de la justice fiscale ............. 230

291
§ 1- La contribution du juge fiscal marocain pour la préservation de la sécurité fiscale du
contribuable ........................................................................................................................... 232
A- L'adoucissement de la rigueur de certaines règles procédurales ........................... 232
1- Une lecture restrictive des dispositions de l'article 219 du CGI relatif à la
notification .................................................................................................................. 233
2- La protection judiciaire du droit du contribuable à l'accès à la justice ............... 235
B- La protection du contribuable contre les abus de pouvoir de l'administration fiscale
240
1- Le contrôle de la légalité des décisions de l'administration fiscale..................... 240
§ 2- Une meilleure administration de la justice pour une meilleure sécurité du
contribuable ........................................................................................................................... 248
A- La consécration du recours à l’arbitrage pour le règlement des litiges fiscaux ...... 249
B- La conciliation et la médiation : deux alternatives à la judiciarisation du procès fiscal
255
1- L'institution du Médiateur du Royaume du Maroc ............................................. 256
2- La médiation et de la conciliation institutionnelles spécialisées dans les litiges
fiscaux .......................................................................................................................... 259
a- Le conciliateur judiciaire en matière fiscale en Tunisie.................................... 260
b- La médiation fiscale aux États-Unis.................................................................. 262
c- Le Service de la conciliation fiscale en Belgique ............................................... 264
Conclusion du Chapitre 2 :................................................................................... 266
Conclusion de la deuxième partie ....................................................................... 268
Conclusion Générale............................................................................................................................ 269

292

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