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Analyse du Cycle de Vie (ACV)

par Patrick ROUSSEAUX


Professeur de l’Université de Poitiers, Chercheur au Laboratoire de Combustion
et Détonique LCD (UPR 9028)
Directeur du Département Gestion des Risques de l’IRIAF (Institut des Risques Industriels,
Assurantiels et Financiers)

1. Genèse de l’ACV ....................................................................................... G 5 500 — 2


2. Méthodologie ACV................................................................................... — 2
3. Applications de l’ACV ............................................................................. — 3
4. Points faibles de l’ACV ........................................................................... — 3
5. Points forts de l’ACV............................................................................... — 4

et article introductif a pour objet de présenter l’outil Analyse du Cycle de vie


C (ACV), son origine, son cadre méthodologique, ses applications ainsi
qu’une analyse critique, en liaison avec la rubrique ACV, constituée des articles
qui suivent.

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26/09/2008
ANALYSE DU CYCLE DE VIE (ACV) _________________________________________________________________________________________________________

1. Genèse de l’ACV ou de recherche et développement. C’est dans ce contexte que l’outil


ACV a été créé et qu’il est devenu rapidement incontournable dans
l’évaluation environnementale des produits.
L’accroissement de la production et la diversification des produits
sont une caractéristique essentielle des sociétés industrielles, au
stade actuel de leur développement. Tous les observateurs actuels
s’accordent aujourd’hui pour attribuer aux produits de grande con- 2. Méthodologie ACV
sommation, une responsabilité majeure dans la dégradation de
l’environnement et ce à tous les stades du cycle de vie : extraction
des matières premières – production – distribution – consommation L’ACV consiste à évaluer tous les impacts environnementaux
– valorisation – élimination. La prise de conscience de ces problè- potentiels d’un système (un produit voire aussi un procédé ou un
mes de pollution et de gestion des ressources naturelles rend néces- service) assurant une (ou plusieurs) fonction(s), le long de son cycle
saire une meilleure connaissance des cycles de vie des produits de vie. Le cadre méthodologique de l’ACV a été normalisé entre 1997
ainsi qu’une évaluation contingente des impacts sur l’environne- et 2000 par la série de normes ISO 14040 à 14043. Selon ces normes,
ment aux différents stades de ces cycles. Pour mieux comprendre cette méthodologie se construit en quatre phases : objectifs, inven-
cette prise de conscience progressive, examinons rapidement la taire (bilan matière énergie), analyse des impacts et interprétation.
chronologie des problèmes environnementaux dans notre société. 1) Objectifs : les deux principaux objectifs sont :
● Pollutions chroniques locales — l’évaluation comparative des étapes d’un cycle de vie afin
Les problèmes ont été perçus dans un premier temps comme des d’identifier les transferts de pollution ;
pollutions chroniques locales qui affectaient essentiellement les — l’évaluation comparative de plusieurs cycles de vie
écosystèmes aquatiques, car ces derniers sont les plus fragiles. « concurrents » afin d’identifier les systèmes les plus respectueux
Pour aborder ce premier problème, la France créa en 1965 les Agen- de l’environnement.
ces de Bassin. Il s’ensuivit une mise en œuvre de traitements effica- Afin de comparer ces différents systèmes, leur définition est éta-
ces des effluents liquides. Il est vite apparu que ces traitements blie sur la base de leur fonction. Cette base de comparaison, appe-
engendraient de grandes quantités de déchets solides. Ce transfert lée « unité fonctionnelle », est définie avec précision à partir de
de pollution, aggravé par la production importante des déchets l’objectif de l’étude, de son utilisation et de la fonction étudiée. Dès
urbains et industriels, était à l’origine, en 1975, de la création de lors que l’objectif a été fixé, les systèmes à étudier doivent être par-
l’Agence Nationale pour la Récupération et l’élimination des Déchets faitement explicités.
(ANRED).
Ces objectifs seront détaillés dans l’article :
● Épuisement des ressources naturelles [G 5 510] Analyse du cycle de vie : réalisation de l’inventaire.
Parallèlement aux problèmes de pollution chronique local, une 2) Inventaire : il s’agit d’identifier et de quantifier les flux de
autre préoccupation relative à la gestion des ressources naturelles matière et d’énergie entrant et sortant des systèmes. L’existence
est apparue, en 1972, à travers les travaux du Club de Rome ou à la d’erreurs est inhérente à l’élaboration de tels bilans et ces erreurs
suite des différents chocs pétroliers. doivent être estimées. Il faut également souligner que le bilan
● Pollutions chroniques globales matière énergie de différentes installations peut présenter des diffé-
Une nouvelle dimension des problèmes d’environnement est rences significatives. Afin d’éviter, dans certains cas, des géné-
ensuite apparue avec la notion de pollutions chroniques globales. ralisations abusives, il convient de bien décrire chaque système
Des phénomènes comme les pluies acides, la dégradation de la cou- (nature du procédé, paramètres de fonctionnement...). On compta-
che d’ozone stratosphérique, l’effet de serre, sont présentés comme bilise ainsi les entrants (matières premières et énergie) et les sor-
perturbateurs à moyen et long terme de grands mécanismes de tants (produit, coproduit, rejets dans l’air et l’eau et déchets solides)
fonctionnement de la planète. On voit là apparaître en plus de pour tout ou partie du cycle de vie étudié. La réalisation de ces
l’impact des rejets liquides et des déchets, l’impact des émissions bilans exige une recherche bibliographique importante et de nom-
gazeuses. C’est ainsi que, en reprenant le principe pollueur-payeur breux contacts avec les industriels.
élaboré par les Agences de Bassin, l’Agence pour la Qualité de l’Air Cet inventaire sera détaillé dans les articles :
(AQA), a été institutionnalisée en France en 1980. [G 5 510] Analyse du cycle de vie : réalisation de l’inventaire
● Pollutions accidentelles [G 5 910] Dématérialisation : mesure par bilan matières et MIPS.
Aux notions de pollutions chroniques locales et globales s’ajoute 3) Analyse des impacts : cette phase consiste à :
enfin la notion de pollution accidentelle. Dans les années 1980, une — traduire les flux de matière et d’énergie précédemment recen-
série d’accidents graves (Seveso, Bhopal, Tchernobyl, Bale...) a sés en terme d’impacts potentiels sur l’environnement ; on peut
montré qu’il ne s’agissait pas seulement de réduire le flux de pol- regrouper ces impacts au sein de deux familles principales :
luants rejetés en permanence, mais aussi de faire face à des situa- • impacts locaux : conséquences toxiques et écotoxiques, et
tions imprévues. Il s’avérait important d’intégrer la préoccupation nuisances telles que le bruit et les odeurs,
de prévention des risques technologiques majeurs dans le fonction- • impacts globaux : effet de serre, dégradation de la couche
nement des installations industrielles. d’ozone, épuisement des ressources naturelles.
Tout naturellement, la prise en compte simultanée des problèmes La prise en compte de tous ces éléments permet la réalisation
de pollution et de gestion des ressources aboutissait à la fin des d’un bilan environnemental ;
années 1970 à la notion de technologies propres qui prend en — comparer ces bilans environnementaux, il faut tenter de
compte la nécessité de réduire les pollutions et d’économiser les répondre à la question suivante : « au regard des impacts évalués,
matières premières et l’énergie. quel est le système globalement le plus respectueux de
Enfin, un palier supplémentaire a été franchi dans les années 1980, l’environnement ? » Ce problème devient vite complexe lorsque
lorsque la réflexion, au départ limitée à la production, a également impacts et systèmes se multiplient.
porté sur le produit, ce fut le concept d’écoproduit. De ce fait, les pro- Cette analyse des impacts sera détaillée dans les articles :
duits eux-mêmes et leur utilisation sont maintenant en première ligne [G 5 605] Analyse du cycle de vie : évaluation des impacts
(lessives, emballages, carburants, peintures...). Ainsi, des secteurs [G 5 610] Analyse du cycle de vie : problématique de l’évaluation
pour lesquels la protection de l’environnement ne constituait qu’un des impacts
aspect périphérique de la compétitivité voient-ils désormais cette pré- [G 5 615] Analyse du cycle de vie : méthodes d’évaluation des
occupation jouer un rôle plus central dans leur stratégie de marketing impacts.

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4) Interprétation : il s’agit :
— de réaliser une synthèse des bilans environnementaux ;
4. Points faibles de l’ACV
— d’exploiter ces bilans pour répondre au mieux aux objectifs
choisis. Les principaux points faibles sont les suivants : la disponibilité et
En terme de champs disciplinaires, la phase 1 relève d’une la qualité des données et les lacunes méthodologiques persistantes.
approche systémique classique, la phase 2 concerne essentielle- ● Disponibilité et la qualité des données
ment le génie des procédés et des systèmes industriels, la phase 3 Aujourd’hui, les principales limites de l’ACV résident dans la dis-
fait appel pour la caractérisation des impacts aux disciplines de ponibilité des données. Plusieurs problèmes sont rencontrés :
toxicologie, d’écotoxicologie, à l’écologie et pour la comparaison
— les données nécessaires ne sont pas habituellement mesurées
des bilans environnementaux aux méthodes mathématiques
par les exploitants ;
d’analyse multicritère, et la phase 4, quant à elle, relève de l’aide
— les données sont confidentielles et difficilement accessibles ;
à la décision.
— les données sont trop agrégées dans les bases de données
existantes et sont difficilement exploitables ;
— les incertitudes sur les données ne sont pas précisées ;
— les données informatisées sont encore trop rares et peu unifor-
3. Applications de l’ACV mes.
De plus, l’ACV demande la mise à disposition de trois types prin-
cipaux de données :
Au niveau application, l’ACV a surtout été utilisée pour étudier et — des données d’exploitation et des bilans sur les procédés uni-
labéliser des produits simples comme les emballages, les lessives taires pour les inventaires ;
ou les peintures et vernis. L’objectif de ces labels est de favoriser — des données techniques, économiques et sociales sur les pro-
les produits qui, à valeur d’usage et qualité égales, ont l’impact duits et déchets pour les affectations problématiques (cf. [G 5 550]
global jugé le plus faible sur l’environnement à tous les stades de Analyse du cycle de vie : problèmes d’affectation) ;
leur vie. — des données sur les effets des polluants dont les données toxi-
cologiques.
Des applications seront détaillées dans les articles :
Pour faire face aux problèmes de disponibilité des données, il fau-
[G 5 850] Analyse du cycle de vie : applications dans les écolabels
drait utiliser de façon systématique un format des données stan-
[G 6 250] La promotion de la qualité écologique des produits et dard. De plus, les données pourraient être gérées, regroupées et
les écolabels. mises à disposition par des organismes tels que l’ADEME (Agence
Les autres applications possibles de l’ACV sont les suivantes : De l’Environnement et de la Maîtrise de l’Énergie) ou l’IFEN (Institut
Français de l’ENvironnement) pour la France. Les principales
— écoconception des produits et des procédés à savoir la prise
répercussions de cette mauvaise disponibilité des données sont le
en compte de l’environnement dès leur conception ;
nombre important d’hypothèses, des simplifications parfois mal jus-
— sélection (choix) du produit ou du procédé le plus respectueux tifiables, des incertitudes dans les données et la mauvaise transpor-
de l’environnement parmi des solutions proposées (par comparai- tabilité des informations d’une étude à une autre.
son des cycles de vie de ces solutions) ;
Assurer une bonne qualité des données d’inventaire du cycle de
— amélioration d’un produit ou procédé (du point de vue de son
vie (ICV) et gérer les incertitudes sur les impacts environnementaux
impact environnemental) par observation des points faibles pour
sont également un enjeu primordial pour la crédibilité de l’outil ACV.
l’environnement durant son cycle de vie ;
— gestion d’un procédé par son suivi et son contrôle en le La SETAC (Society of Environmental Toxicology and Chemistry),
comparant à une situation de référence ou à des résultats organisme de référence sur les ACV, énonce cet enjeu par cette
escomptés ; illustration :
— proposition de réglementations concernant l’environnement Qualité des données de l’ICV × Qualité de la méthode ACV =
par comparaison d’ACV de plusieurs procédés rendant le même
Qualité des résultats de l’ACV
service.
Plus spécifique à l’écoconception, des articles seront détaillés : Qualité des données et incertitudes seront détaillées dans les
articles :
[G 6 000] Conception écologique des produits [G 5 750] Analyse du cycle de vie : évaluation de la qualité des
[G 6 010] Écoconception : état de l’art des outils disponibles données
[G 6 050] Démarches d’écoconception en entreprise [G 5 620] Analyse du cycle de vie : incertitudes des évaluations
[G 6 100] EIME, un outil d’aide à la conception des produits. des impacts.
Des applications concrètes sont présentées dans les articles : ● Des lacunes méthodologiques persistantes

[G 5 800] Analyse du cycle de vie : application dans l’industrie Les principales lacunes dans l’évaluation des impacts sont :
automobile — la nécessité d’intégrer des paramètres spatio-temporels dans
[G 5 810] Analyse du cycle de vie : application aux systèmes de les bilans matière-énergie (en accord avec les objectifs de l’étude et
dépollution. les possibilités offertes) ;
Il est important de noter que la norme ISO prévoit une revue — l’amélioration de la pertinence des indicateurs d’impact.
critique pour toute ACV comparative divulguée au public. Cette La robustesse des recommandations et la qualité des études sont
revue critique consiste en une expertise de l’ACV par des trop peu évaluées. Il est alors difficile de se lancer dans une boucle
personnes indépendantes du commanditaire et du réalisateur de d’amélioration continue.
l’étude. Toutefois, l’ACV ne doit pas être perçue comme l’outil à tout faire.
Pour faciliter ces applications, il existe sur le marché un certain C’est un outil d’évaluation environnementale grossière car il ne
nombre de logiciels. prend pas en compte les impacts locaux réels. En effet, s’il l’on veut
comparer les impacts environnementaux des différentes étapes
Deux articles vous aideront sur ce sujet : d’un cycle de vie (qui généralement ne se trouvent pas au même
[G 6 350] Analyse du cycle de vie : comment choisir un logiciel endroit et qui de plus n’ont pas fonctionné en même temps), on est
[G 5 780] Analyse du cycle de vie : logiciel SimaPro 5.0. obligé de définir le même référentiel environnemental pour chacune

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de ces étapes. Ce référentiel, complètement fictif, est défini à partir agir. En revanche, la réponse à la question du « comment agir » est
de concentrations de référence. Cette approche permet alors de dis- du ressort des compétences du spécialiste du système.
qualifier un cycle de vie qui serait très mauvais d’un point de vue ● L’évaluation quantitative des impacts
environnemental. Puis, s’il l’on veut affiner l’étude, il faut alors se
tourner vers d’autres outils comme par exemple, les études La méthode ACV permet, en dépit des difficultés inhérentes à cet
d’impact qui prennent en compte le contexte local réel. objectif, la quantification des impacts potentiels vis-à-vis de l’envi-
ronnement à travers les indicateurs d’impact. Cette quantification
constitue une donnée nouvelle intéressante dans la mesure où cer-
tains types d’impact vont être de plus en plus utilisés par les pou-
5. Points forts de l’ACV voirs publics pour fixer des objectifs de qualité environnementale
aux systèmes industriels. On peut citer par exemple la contribution
à l’effet de serre.
Les principaux points forts sont les suivants : la notion de cycle de
vie et l’évaluation quantitative des impacts.
En conclusion, la plupart des secteurs d’activité (industries de la
● La notion de cycle de vie
grande consommation, industries chimiques, secteur de la cons-
Cette notion permet d’identifier et de prendre en compte les trans- truction, filières énergétiques...) utilisent depuis quelques années
ferts de pollution, ce qui n’est pas le cas des autres méthodes les ACV. Animés par le souci de prendre le pas sur les pressions
comme l’étude d’impact, le SME (Système de management environ- législatives et réglementaires à venir en matière d’environnement
nemental), l’observatoire de l’environnement... Par exemple, une (normes ISO 14000, Politique intégrée des produits de l’UE, Directi-
étape du cycle de vie d’une filière peut s’avérer très « propre » au ves européennes sur les produits en fin de vie, les écolabels), ces
niveau de ses frontières mais poser en amont et en aval des problè- différents acteurs se tournent vers l’outil ACV qui, à l’heure actuelle,
mes d’environnement. L’importance de l’impact du transport des leur fournit des éléments pour mettre en place une politique envi-
matières et de l’énergie dans une filière peut également être éva- ronnementale à la fois transparente et cohérente. Notons enfin que,
luée. L’ACV a pu montré aussi que le recyclage n’est pas, dans tous au niveau de la recherche publique sur l’ACV, la France a un certain
les cas, synonyme de bénéfice pour l’environnement. Finalement, retard dans ce domaine qui se traduit entre autre par une très faible
l’ACV, par la prise en compte de toutes les étapes du cycle de vie, est représentativité française dans les congrès internationaux et les
alors utile dans la recherche d’amélioration pour savoir où il faut programmes européens de recherche.

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