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Quel concept pour les

émotions aujourd’hui ?

Samuel Lepine - 08.04.2021


Séminaire « La représentation des émotions »
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L’importance des émotions
➢Les émotions jouent un rôle central dans notre vie quotidienne
- Une vie dépourvue d’expériences émotionnelles serait terriblement
plate !
- Nous apprécions de vivre certaines expériences émotionnelles, et
nous recherchons bien souvent de telles expériences

➢Mais il nous arrive également de penser que les émotions (parfois)


nous conduisent à commettre des actions stupides (la colère !)

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La nature des émotions

Deux questions :
1. Quelles sont les propriétés du concept d’émotion, et en quoi nous
permettent-elles de distinguer les émotions des autres états
affectifs ?
2. Comment rendre compte de ces propriétés de façon cohérente ?
Quel concept pour les émotions ?

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Quel concept pour les émotions aujourd’hui ?

I. Les propriétés du concept d’émotion

II. Comment conceptualiser les émotions ?

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Quel concept pour les émotions aujourd’hui ?

I. Les propriétés du concept d’émotion

II. Comment conceptualiser les émotions ?

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1. La passivité des émotions
➢Dans la plupart des cas, nous ne choisissons pas délibérément d’éprouver
une émotion. Ce sont des états « épisodiques », qui nous adviennent, et
qui ne durent généralement que quelques minutes ou quelques heures.

➢Les philosophes classiques utilisaient généralement le concept de passion


pour désigner les émotions, afin d’insister sur ce caractère passif.

➢Tout comme les réflexes, les émotions ont en ce sens un caractère


automatique, mais elles sont aussi dans une certaine mesure sous notre
contrôle.

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2. La phénoménologie des émotions
➢Les émotions ont une « phénoménologie » ou un aspect ressenti : il y
a un « effet que cela fait » de les éprouver. Mais comment décrire cet
aspect précisément?

➢Le plus souvent nous ressentons nos émotions sous la forme de


sensations corporelles.

➢Les émotions ont aussi une « valence » positive ou négative.

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3. L’intentionnalité des émotions
➢Les émotions ont un objet : nous sommes surpris par une remarque,
bouleversés par un film, joyeux après une victoire des Chicago Bulls, etc.

➢De ce point de vue, ont dit généralement que les émotions ont une
intentionnalité, ou un « contenu intentionnel »
Ce concept d’intentionnalité ne doit pas être confondu avec le
caractère intentionnel ou volontaire de nos actions.

➢Dire qu’un état mental a une intentionnalité ici revient simplement à dire
qu’il est dirigé vers un objet en particulier (ce ne semble pas être le cas des
sensations par exemple).

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➢De façon plus spécifique, une émotion constitue toujours une évaluation
positive ou négative de son objet (joie, surprise, admiration ≠ tristesse,
indignation, colère)
En ce sens, l’intentionnalité des émotions est dite « évaluative ».

➢Il semble aussi que chaque type d’émotion soit lié à un type spécifique de
valeur (en un sens non moral) :
- La peur est l’évaluation d’un objet comme constituant un « danger »
- La joie est l’évaluation d’un objet comme « réjouissant »
- La tristesse est l’évaluation d’un objet comme une « perte »

➢De ce point de vue il fait sens de penser qu’une évaluation émotionnelle


puisse être considérée comme « correcte » ou « appropriée » à son objet.
➢On dira alors que les valeurs constituent les « objets formels » des
émotions.
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En résumé
Les émotions sont des états:
1. Passifs et épisodiques
2. Dotés d’une phénoménologie corporelle plus ou moins riche, ainsi
que d’une valence
3. Dotés d’une intentionnalité évaluative

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Une brève cartographie des états affectifs
A partir de ces quelques caractéristiques, les émotions semblent
d’emblée pouvoir être distinguées d’autres états affectifs courants :
1. Les humeurs
2. Les sentiments
3. Les passions/affects
4. Les désirs

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Quel concept pour les émotions aujourd’hui ?

I. Les propriétés du concept d’émotion

II. Comment conceptualiser les émotions ?

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Plusieurs propositions rivales
a) La théorie jugementaliste

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La théorie jugementaliste
« Une émotion est un jugement (ou un ensemble de
jugements), quelque chose que nous faisons. (…) Une émotion
est un jugement basique à propos de nos Mois et de notre
place dans notre monde, la projection de valeurs et d’idéaux,
de structures et de mythologies, en fonction desquels nous
vivons et par le biais desquels nous expérimentons nos vies »
Solomon, The Passions, 1976/1993, p. 125-126.

« Les jugements et les objets qui constituent nos émotions


sont ceux qui sont tout particulièrement importants pour
nous, significatifs pour nous, concernant des affaires dans
lesquelles nous avons investi nos Mois » (1976/1993, p. 127).

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La théorie jugementaliste
On peut facilement comprendre cette théorie en la
mariant avec la théorie des « objets formels » :
• Si j’ai peur, c’est que je juge qu’un « danger » menace mes
intérêts, que je dois l’éviter, et que je dois par conséquent
me comporter d’une certaine manière.
• Si je suis triste c’est que je juge que je viens de subir une
« perte ».
• Si je suis en colère c’est que je juge que mes intérêts ont
été « offensés ».

« Pour moi, ma passion est ma manière de voir et de


structurer mon monde » (Solomon, 1976/1993, p. 124).

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Trois difficultés

➢Cette théorie est cognitivement très exigeante. Il n’est pas évident


que nous soyons toujours en train de formuler un jugement lorsque
nous éprouvons une émotion.

➢Certaines émotions ne reposent apparemment sur aucun jugement,


voire sont en contradiction ouverte avec nos croyances ou nos
jugements.

➢Comment la théorie jugementaliste peut-elle prendre en charge


l’aspect automatique ou passif des émotions, si elle soutient que les
émotions sont des jugements ?
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En résumé
La théorie jugementaliste :

➢Met l’accent sur le lien entre émotions et valeurs au


niveau du jugement

➢Mais elle propose une conception des émotions qui


semble exagérément intellectualiste

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Plusieurs propositions rivales
a) La théorie jugementaliste

b) La théorie mixte

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Plusieurs propositions rivales
a) La théorie jugementaliste

b) La théorie mixte

c) La théorie perceptuelle

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Les émotions comme perceptions de valeurs
➢Comprendre l’intentionnalité évaluative des émotions sur le modèle de
l’intentionnalité perceptive : les émotions comme type de perception nous
permettraient de percevoir des valeurs, de même que la vision nous
permet de percevoir des couleurs.

➢Exemples :
- La peur est la perception du danger
- La colère est la perception d’une offense
- La honte est la perception d’un soi dégradé
- Etc.

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Raisons de rapprocher émotions et perceptions

- La perception est souvent indépendante de toute maîtrise


conceptuelle. Il en va de même pour certaines émotions !
- Les émotions comme les perceptions ont une phénoménologie qui
leur est propre.
- Les émotions comme les perceptions sont passives.
- Les perceptions sont susceptibles d’être correctes ou incorrectes, et
les émotions aussi.
- Il y a des illusions émotionnelles analogues aux illusions perceptives.

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Un problème pour toute théorie perceptuelle
Dokic, J., et Lemaire, S. (2013). « Are Emotions Perceptions
of Value? ». Dialogue, 43(2), 227-247.

➢Est-ce que les valeurs nous sont vraiment « révélées » par


nos émotions, indépendamment de nos états mentaux
d’arrière-plan ?

➢Il semble au contraire que les informations évaluatives


sont plutôt le résultat d’un enrichissement de nos
émotions par d’autres sources d’informations non
perceptives.
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En résumé

La théorie perceptualiste :
➢Semble rendre compte de façon satisfaisante de l’ensemble des
aspects des émotions
➢Propose une théorie intuitive au sujet de la fonction des émotions
➢Mais elle soulève également de nouvelles difficultés liées à la
perception des valeurs

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Plusieurs propositions rivales
a) La théorie jugementaliste

b) La théorie mixte

c) La théorie perceptuelle

d) La théorie attitudinale

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Les attitudes émotionnelles (1)
➢Les émotions sont ici analysées à partir de leur
phénoménologie: ce sont des types distincts de
« conscience corporelle » (bodily awareness), où les
sensations sont ressenties comme « une attitude globale de
l’organisme » en face d’un objet (cf. Edouard Claparède).

➢Les sensations émotionnelles sont donc considérées ici


comme un schème complet, constituant une attitude
dirigée vers l’objet de l’émotion.

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Les attitudes émotionnelles (2)
L’attitude émotionnelle peut ainsi se comprendre comme le ressenti d’une
préparation à l’action, c’est-à-dire un état qui ne consiste pas nécessairement en
une action proprement dite, mais en une tendance à approcher un objet, à interagir
avec lui, ou le fuir, etc.

« La peur du chien est une expérience du chien comme dangereux, précisément parce
qu’elle consiste dans le ressenti (feeling) de la préparation du corps à agir de manière à
diminuer l’impact probable du chien sur celui-ci (fuite, attaque préemptive, etc.) »
(Deonna et Teroni, 2012, 81).

➢Les sensations corporelles, ici, sont constitutives de nos émotions comme


attitudes évaluatives.

Une attitude émotionnelle est donc évaluative précisément en ce qu’elle implique


des tendances à agir d’une manière ou d’une autre vis-à-vis d’un objet ou d’une
situation, qui reflètent la valeur que l’on attribue à l’objet de l’émotion. 26
Avantages de la théorie
- Elle marie habilement la phénoménologie et l’intentionnalité des
émotions, dans la mesure où l’une ne fait que refléter l’autre.

- Elle peut rendre compte de la diversité des contenus sur lesquels nos
émotions peuvent porter.

- Elle ne postule pas de rapport mystérieux aux valeurs : les émotions


ne portent plus sur des valeurs à proprement parler, mais sur des
objets qui peuvent être porteurs de valeurs.

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Difficultés et questions
1. Est-ce qu’il y a vraiment des différences de phénoménologie si
précises entre les différentes émotions ?

2. Est-ce qu’il n’y a pas des émotions dont la phénoménologie


corporelle est moins marquée et plutôt d’ordre cognitif ? Et dans ce
cas, est-ce qu’il y a vraiment un sens à parler de « phénoménologie
cognitive » ?

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Merci de votre
attention !

Mail: samuel.lepine@gmail.com
Twitter: @TrashtalkingSam 29

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