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l,Assemblée fédéraleet un bipartisme au gouvernement. En effet, de 1919 à Arrenlalrr urs (Hrsg.), schweizer Katholizismus ztvischen den weltkriegen 1920-
et deux 940, Fnbourg: Universitâtsverlag, 1994.
Ig2g,legouvernement est composé de cinq conseillers radicaux de I
les deux
catholiques conservateurs. Soudés par leur opposition à la gauche, Rumsux Roland, La Suisse de I'entre-deux-gue*es,Lausanne: payot, 1974.
partis gouvernementaux ont toutefois besoin du PAB pour se composer une
Srunnn Brigitte, un parti sous influence: le Parti communiste suisse, une section
majorité. du Komintern l93I à l939,Lausanne: L'Âge d'Homme, 1994.
Flngénéral,danslepystèmesuisse,onréélitlecollègegouvernemental
sortant.Il en va de même lors des élections partielles, à la suite de démissions
ou de décès. Ainsi, en 1928, au départ d'un radical vaudois, les
chambres
fédérales élisent sans problème un nouveau radical tout aussi vaudois,
d'un outsider de même tendance, Albert Meyer, soutenu par les catholiques
.et les paysans ! ce cas de tgure est destiné à se répéter, ajoutant un peu de
piment à une procédure trop souventjouée d'avance'
encore à quatre reprises
Quant aux socialistes déçus, ils présenteront
des candidats sans succès: ils devront attendre 1943 pour qu'un
des leurs
Mais restons dans les années 1930. Les effets de la crise sont considé_
rables sur la structure de l'économie. Globalement,
en termes d,emploi, le
secteur industriel demeure re prus important: il
occupe 43,2 vo de la popu-
lation active en 1930, 45,3 vo en 1950, ra diminution
,'u-o.ç*t seulement
66 après 1970. Toujours est-il que les secteurs les plus
fragiles de l,industrie
d'exportation sont détruits: dans le textile, la broderie
ei la rubanerie plus
particulièrement ne se relèveront plus. L horlogerie
aussi est très durement
Dn r,,q, cRISE À r,n PAIx DU TRAvarL touchée, alors qu'elle sortait à peine des difficultés
de I'après-guerre. Elle
avait pourtant essayé de s'adapter aux nouvelles conditions
du marché en
innovant, et en lançant dans les années 20 la montre-bracelet,
qui détrône
la montre de poche traditionneile. En revanche, r'industrie
des machines
Y nitiée aux États-Unis au début du siècle et instaurée en Allemagne en et la chimie résistent beaucoup mieux à la conjoncture,
et contrment leur
I ;rÀ-la fête des mères esr célébrée pour la première fois en 1932. place de premières industries d'exportation, qu,elles
conservent d,ailleurs
t I prr"-"nt commerciale, cette initiative est vue comme un moyen de jusqu'à nos jours. En L939,le secteur
des machines occupe le tiers de la
s'avère
."Iun"", la consommation dans une conjoncture morose. Le remède main-d'æuvre industrielle. Le textile, qui était encore
la piemière branche
dérisoire par rapport à la gravité de la situation, quand le
pays est frappé
au début des années 1920,ne compte plus
la plus grave de que pour 15 Va.
à son tour, I'arrnè" suivante, par la <<grande dépression>>' Les difficultés encouragent re développement des
politiques' cartels, ces associa-
l,histoire économique de par ses répercussions sociales et tions d'entreprises qui visent à limiter iu
o années 1920: par re contrôre et
Tout allait pour le mieux après les difficultés du début des "on"uo"nce
la réglementation de la production et des prix.
En 1931 est ainsi créée la
les indicateuri traduisaient l'Ënvol vers 1a prospérité,1e
plein emploi avait Société générale de l'horrogerie suisse (ASUAG),
hausse: 100 en I9I3;I39
qui détient une position
été réalisé enl926et I'index des salaires était à la de monopole dans la production des ébauches. ses promoteurs
y voient le
en 1923; I77 en 1933. Etpourtant, après le krach de wall street
d'octobre
moyen de résister à la concurrence étrangère. Déjà
Au début piésents dansi'industrie
1929,1,économie des grund. pâys industriels s'était effondrée. alimentaire (celle de la bière et du chocàlat) et
les pays sinistrés, i"-r""t"u, du bâtiment, les
i-tgZZ,34Étatsont Jéjà dévalué leur monnaie. Parmi cartels s'étendent à l'aluminium, à la chimie,
ainsi qu'à l,industrie laitière,
44vo|Dans
l,Allemagne, dont les taux de chômage oscillent entre 17 et entièrement cartellisée durant les années lg30.Lasurveillance
d'ailleurs, semble iné- des prix ins_
un premi-er temps, la suisse, tout comme la France taurée parla Confédération dès 1927 n'aque peu de prise sur une pratique
galement atreclée.Pourtant les chiffres du commerce extérieur
témoignent
dont le public a plutôt une impression bénÈfique.
chutent de
àejà ao recul conjoncturel. Entre 1929 et I932,les exportations Parmi les images fortes, outre les attroupements
est durement frappé, de chômeurs désæuvrés
Z mittiarOs à 800 millions de francs ! Et quand le pays dans les rues, ce sont les difficultés bancaires
et les files de petits épar-
entre 1933 et1936,la reprise s'amorce déjà à l'étranger' gnants qui cherchent à récupérer leurs
fonds qui ont frappé l'opinion. Très
dépendantes de I 'étranger pour leurs activités, les huit grandes banques de
Chômage et secret bancaire sont ébranlées par la récession, qui entraîne une diminution
de
du total de leurs bilans entre 1930 et 1935.Le blocage
En Suisse, le chômage s'installe avec des taux plutôt modérés
par des avoirs ban-
enAllemagne dès 1931 affecte directement leur fonctionnement.
port à ce que connaissent d'autres pays européens' La statistique de liquidités, la Banque populaire suisse bénéficie
En
et de 4,810
indique 0A Vo en 1929, une moyenne de 2,8 7o porn 1932 directe de la Confédération une soûtme de 100
en 1933 d'une
1936^'avecunepointeà118000chômeursendécembre1935 millions de francs , qul
d'entrer dans au quart des dépenses fédérales ! À Genève, la
les taux se stabilisent vers le bas,2,l Vo en 1939, avant Banque d, escompte
a q
suisse est enfaillite en 1934. Ces expériences provoquent I'interventton fédéral Jean-Marie Musy, la proposition de réduire
les salaires du person-
régulatice de la confédération. La même année, la Loi fédétale
sur les nel fédéral ne passe pas la rampe du référendum
en 1933. Enhardie par ce
UÀques instaure des règles de gestion pour protéger les petits épargnants; succès, la gauche lance une initiative pour combattre la crise et la misère
d,uneielle ingérence étatique, peu appréciée par les ban- qui recueille plus de 330 000 signatures. un
record, tout co'rne la parti-
"n "o-p"nration
quiers, ia loi renforce les dispositions du secret bancaire' cipation à la votation en 1935 : g4 vo pour un net
rejet d,un texte dont le
gouvernement affirmait qu'il aurait créé en Europe
contrairement à une légende complaisamment colportée par les
banques, <<un petit État
futuriste
ce n,est donc pas pour piotéger les immigrés
juifs que celui-ci a été ins- de type socialiste>> ! En réalité, l'initiative prévoyait
la mise en æuvre d,un
placer leurs capitaux en Suisse, les programme de travaux publics et une politique
tauré. Certes, iorsqu'ils cherctralent à active de l,État tnancée
pæ des emprunts. Malgré cet échec, le parti
juifs fortunés étaient traqués par les nazis en quête d'indices permettant socialiste ne désarme pas et
ensuite d'exercer un chantage sur les familles demeurées en
Allemagne' travaille à un programme d'économie planifiée susceptible
de résoudre res
du siècle, insister sur la discrétion dans la < contradictions > du libéralisme.
Mais en réaIité,depuis le déLut
gestion des comptes était devenu une stratégie des banques pour attirer les
Les autorités ne peuvent rester indifférentes au constat
d'une diminution
tendait
fapitaux, en cette époque où la pression fiscale sur les hauts revenus constante du revenu national sous les effets de
la déflation. Il n,empêche
à s,accroître dans les pays voiiins. Depuis le premier conflit
mondial,la que les milieux économiques sont très réticents à admettre I'intervention-
Suisse, qui assume désormais un rôle de place financière internationale, est
nisme étatique: celui-ci impliquerait de trouver
de nouvelles recettes, donc
coûIrne le monffe
devenue une plaque tournante de la gestion des capitaux, d'accroître la pression fiscale. Avec le franc fort et
stable, la clé des succès
I'installation à Bâle en 1930 de la Banque des règlements internationaux' de l'économie suisse est qu'elle constitue,
en comparaison internationale,
la plus ancienne des institutions financières internationales' Durant les un îlot d'imposition modérée.La suisse
reste attachée à la parité or du franc,
autorités
unné., 1920,Ies banques résistent fermement aux démarches des comme la France et l'Italie d'ailleurs, et les recettes
de la confédération
fiscales étrangères en vue d'obtenir des renseignements sur la provenance
proviennent pour l'essentiel des tarifs douaniers,
donc de la consommation.
de certains placements. Les tentatives d'enrayer la fuite des capitaux
sont
En 1936 toutefois, ces positions ne sont plus tenables.
notamment des Averti de la déva-
particulièrement insistantes au début des années 1930, avec luation du franc français et contre l,avis des milieux
perquisitions dans les locaux parisiens de plusieurs banques helvétiques qui bancaires, le Conseil
fédéral, sous I'impulsion du radical Hermann
permettent l'établissement d'une liste d'en viron mille noms de
fraudeun Obrecht (1882-1940) en
charge du Département de l,économie publique,
bancaire lui se résout à profiter du
supposés ! Dans ce cadre, la reconnaissance par la loi du secret moment et dévalue de 30 Vo le 26 septembre, donnant
ainsi un coup de fouet
donne un statut d'intérêt public et calme I' mquiétude des
grandes banques.
le bénéfique aux exportations. Bien pensée, l' opération
En 1943,pour en pérenniser le principe, la Confédération introduira succès, car on réussit à en maîtriser les effets
est techniquement un
sur le coût de la vre; surtout,
tème d'imposition à la source des révenus de capitaux, connu
sous le
les exportations progressent en valeur de
d'<impôt anticiPé>. 45 Vo en une ânnée , alors que les
nuitées du tourisme sont multipliées par quatre
! Le chômage commence
à se résorber. Dans la foulée, le Conseil
fêdéral se fait accorder les pleins
Les remèdes à la crise puvoirs pour prendre des mesures en cas d, urgence,
sans avoir à passer
de la les formes législatives parlementaires usuelles.
Sur la question des solutions à mettre en ceuvre pour sortir C'est ce qu'on appelle
on imaline aisément que des conceptions très différentes
voient le jour. le régime des arrêtés urgents
années 1930 marquent un changement considérable d' attitude Par Le débat n'est pas clos pour autant. La lutte contre la politique défla-
au libéralisme triomphant. Au-delà d'actions ponctuelles, l' intervention trouve une nouvelle impulsion avec le mouvement dit des
Lignes
l'État est considérée plus globalement comme utile et même (Richtlinienbewegung), qui vise à reconstruire I'
économie et la
si l'on veut discipliner les intérêts des partenaires économiques Issu des milieux qui ont soutenu l,initiative de crise, il
acquiert
D'une part, du côté de la gauche et des syndicats, des économistes audience large en voulant réunir ouvriers et paysans.
On y trouve aussi
'Weber (I897-I97 4) prônent la I'Union syndicale suisse et le parti socialiste, que de grandes
premier plan comme Max asso-
d'
économique afin de juguler la crise par des mesures de création d'employés et du personnel de l, administration des mouvements
,
et une fiscalité taxant les possédants. D'autre part, le Conseil
fédéral s
Jeunes paysans et de jeunes catholiques. Créé en 1 937
,le mouvement
tient à la doctrine classique de la déflation' Préparée par le nettement position pour la sauvegarde de la démocratie (contre
le
À Genève, portée par des milieux non confessionnels,l,idée
communisteetlesdroitesextrêmes),toutenformulantdesrevendications corporative
a également séduit, durant les années
économiquer-"réutiond'emplois,politiquesociale-etpolitiques-findu 1920,l,union de défense économique.
un certain succès, notamment' ce mouvement, qui recrutait parmi les classes moyennes,
régime dËs anêtés urgents. Sàn action aura avait connu des
pJ l,entremise d'unJ initiative sur la limitation de la clause d'urgence,
succès électoraux avant de se rapprocher des
mouvements d,extrême_droite.
Après l'échec du gouvernement socialiste de Léon
retiréeauprofitd'uncontre-projetgouvernementalquelepeupleaccepte Nicole en 1936, les
son influence la mise sur pied, partisans de l'ordre corporatif réussiront
en janvier 1939. On peut attrib;er aussi à même à faire passer une loi qui
<<création de possibilités donne force légale aux contrats coilectifs de travail
dès 1g3g, d,un graniprogramme fédéralintitulé présÀtés par une orga_
nisation professionnelle paritaire. Déclarée inconstitutionnelle,
de travail >. elle ne sera
pas appliquée, tandis qu'une loi similaire
dans le canton de Fribourg ne sera
Levastedébatautourdesmesuresàprendrepoursortir-delacriseva jamais promulguée.
à I'idée d'inscrire dans
finalement convertir la coalition gouvernementale
le libéralisme éco- Deux séries d'événements ont porté un coup d'arrêt
la constitution un certain nombre de mesures limitant décisif au projet
corporatif : d'une part, son échec politique en L934_35,
no-iqu".Leprincipeenestdéfinidéjàenlg3T,maisilfaudraattendre et d,autre part, la
pour les mettre .rou," l'aval populaire' retardé par la guerre' La
votation conclusion de la <paix du travail>, qui lui coupe
littéralement l,herbe sous
"n
<<articles économiques>> aura lieu en 1947' Depuis
lors' la les pieds.
.approuvant les pour sauvegarder
confédération a la possibilité d'éâicter des dispositions Parmi les facteurs qui incitent à utiliser la voie politique
pour réaliser
les régions défavorisées et
les branches é"onoiriques menacées, protéger les idées corporatives, les références à l'enseignement
,o"iu à" l'Égiir";
conjoncturett:
prévenir les crises écônomiques' Toute la politique .9.11 havers l'encyclique euadragesimo anno oe
tg:t ont joué leur rôle. peut-
compétence de l',Etat
, .e"orrd" moitié du xx" siècle repose sur cette nouvelle être aussi le modèle de l'Autriche, dirigée
par le chancerier Donfuss, qui
1 central. adopte en 1934 une constitution corporæiste pour
se démarquer du national_
socialisme. Reste que l'initiative déposée en 1934 a été concoctée par des
La Suisse consensuelle $oupes d'extrême-droite (ceux qu'on appelle les <<fronts>>), soutenus par
le mouvement catholique Aufgebot et les jeunes
conservateurs, lesquers ne
.Indépendammentdesnécessitésliéesàlacriseéconomique,lesannées partagent pas forcément les positions antidémocratiques
tgZO-tg3O sont traversées par un vaste débat
sur la réforme de l'État' de des premiers. En
effet,l'initiative demande une révision totale de la constitution
fédérale en
l,économieetdelasociétâL'unedesformuleslesplusdiscutéesasans vue de transformer la suisse en un État
corporatiste et autoritaire avec un
du
de corriger les défauts
doute été le corporatisme. cette doctrine s'efforce chef,le landammnn fédéral. cette initiative dite <<frontiste>>
patronat et les ouvriers' La fut nettement
libéralisme économiqoe en faisant collaborer le refusée le 8 septembre 1935. son échec apparaît
de caractère public' où
corporation au sens do o" siècle est un groupement du corporatisme.
Qefactocornme un désaveu
ouvriers sous le regard de
sont représentés paritairement les patrons eL les
les salaires et Entre:temps, à l'écart du champ politique, le dossier
i,É*, àn vue de âxer les règles des rapports économiques, soitdroite, jusqu'à plus solide sur le terrain des rapports
a trouvé un ancrage
politiques de deiravail.
les prix. De telles idées oniséduit les courants Du point de vue social, il
patronat et le catholicisme s'agit d'une démarche similaire à celle qui a
l,extrême-droite et au fascisme, mais aussi le instauré lès premières formules
de concordance dans le processus d'expression
social.Cequ'onappelleenSuissela<<Paixduffavail>>estlapierreangu- de la volonté politique. on
sait que le système repose sur ra participation
taire de ce capitalisme tégulé et organisé' de prusieurs pLi, u,, gou-
vernement afin de trouver une majorité dans
un pariement plurariste. Ici, re
Déjààlafinduxufsiècle,lecatholicismesocials'estmontréattirépar contexte est bien sûr la pression déflationniste
Rerum novarun
la foimule. ses fondements sont définis dans I'encyclique les conflits de travail durant les années
sur res saraires, qui multiplie
rg3}.Lapuissante centrale syndi_
dupapeLéonXIII(1891),dontl,unedesprincipalessourcesd'inspiration cale des ouvriers de la métallurgie
a été le travail de réflexion mené en suisse
pal un cercle-d'intellectuels et de I'horlogerie GorrrltD a proposé dès
1929 de régler les conditions de travail par
(l'UniondeFribourg)'Durantl'entre-deux-gueres'sousl'impulsionde des contrats collectifs générali_
sés. Mais c'est en 1937 que des
l,abbé André Su'rroli'(fgg5-1940), le syndicalisme
chrétien-social s'est négociations décisives avec l,Association
patronale de l'industrie et des métaux (AsM)
lancédanscettevoie,présentéecommeunealternativeausocialisme'Un aboutissent à un accord dit
du mouvement dans toute <Paix du travail>. cette convention institutionnalise
important réseau d,assôciations incarne la vitalité la négociation en cas
de différends sur les conditions de travail et exclut
la Suisse romande. les meùres de combat,
d,une reconnaissance par les
conrme la grève et le lock-out. De fait, il s,agit
et' pour le patronat' d'un for-
syndicats des vertus de l'économie de marché
La production ne risque plus
midable atout face à la concurrence étrangère.
d,êtreentravéepardesconflitssociauxauxconséquencesimprévisibles'
La<Paixdutravail>>nudonn"runeimpulsiondécisiveàtapratiquedéjà
acc.rdS normatifs entre ceux
courante des <<conventions collectives>, ces
régler les conditions de
qu'on appelle les <<partenaires sociaux>>' en vue de
d'activité' Entte 1929 et
travail et de salaire da+s les différentes branches
lg50,leurnombrepassed,environ300àprèsdel500.Leurprincipaleffet
À ce titre' la <Paix du
grèves' 67
est de faire disparuit* qouti totalement les
travail> a sa plàce dans la mythologie nationale'
La pBsrn BRUNB
OnrpNurroN BTBLToGRAPITIQUE
*'"rrorrffl"rrt et disparaissent au début de la guerre' Plus généralement, cette crise souligne l'échec de la politique étran-
gère. Il se précise lors de la guerre d'Espagne (dès juillet 1sze1, quand le
La Suisse et l'Italie de Mussolini conseil fédéral interdit I'exportation d'armes, sans pouvoir empêcher
les
1920 par le enrôlements de quelque 800 volontaires au service des Brigades
La politique extérieure de la Suisse est dirigée depuis interna-
tionales favorables à la cause républicaine. ces derniers seront poursuivis
conseillerfédéralGiuseppeMotta(1871-1940).Lui-mêmelatin,Mottaa pénalement en Suisse, alors que le conseil fédéral reconnaît le
unË àttitude favorable au régime de Benito
Mussolini.
;;;;";;;ï;* ment de Franco au début de I'année 1939. Le débat fut pourtant uif,
louverne-
AprèslamarchesurRomedu23octobre!g22,cedernierformeunnou. on
se demandait si la non-intervention de la communauté internationale "-était
veaugouvernementavantdegagnellesélectionsdelg24etd,organiserdu vraiment acceptable dans une situation d'agression contre une république
pourtant, le discours ambigu
son emprise autoritaire so, le !oi,.rroir. Et
germanisé> - qtti fait écho aux légalement instaurée, de surcroît avec l'appui de pays tiers !
Duce (leguide) sur le Tessin uabâtardi et À vrai dire,
de l'italianitê -, sensible à I'incapacité de la sDN à régler les conflits, le conseiller
idéesdu mouvement culturel |oca|, L,Adula, défenseur fédéral
sur la duplicité du régime' Au Motta opère dès 1937 un revirement assez spectaculaire qui vise à
aurait pu être susceptible d'attirer l'attention se désen-
(faisceaux) encadrent d'ailleurs les gager de la sDN. En mai 1938, le conseil de la
Tessin même, 4", g"orrp"-" nts defasci SDN prend donc acte du
souhait de la Suisse d'être libérée du système des sanctions. Insistant
sur
I'incompatibilité de la neutralité avec le pacte de la SDN,I'argumentation
7a
Voir ci-dessus p.431
de tout ce qui va dans le sens d'un renforcement des capacités de défense
militaire du pays.
viscérale de la subversion communiste, d'autre Part, un antisé- Dès 1933, l'augmentation progressive des crédits d'armement est à
a pris dès 1936 I'ordre du jour - ils montent de 85 à 351 millions de francs avant 1939
mitisme latent. On sait par exemple que le Conseil fédéral -,
des mesures pour réprimer les menées communlstes>>.
<< Le parti de cette en même temps que s'allonge la durée du service militaire, acceptée en vote
percePtion exagérée du populaire et effective en 1938. L'école de recrue passe de 67 à llSjours et
obédience sera même interdit en 19407s' Une telle
dans la crainte de ce le cours de répétition est fixé à 20 jours par année. Tout cela s'opère dans
complot subversif de la gauche trouve son pendant
I
qu 'on appelle à l'époque l'<<enjuivement>> de la société civile. Cet anti- un climat de popularité autour de l'armée qui explique déjà le formidable
et des disPositions succès de l'emprunt fédéral dit de défense nationale en 1936: là où l'on
sémitisme viscéral se traduit Par des réticences mentales
à des ressortis- espérait 235 millions, ce sont tnalement 332 millions qui ont été souscrits,
discriminantes lorsqu'il s'agit d'accorder la naturalisation
930, les cornmunautés juives malgré le taux d'intérêt modeste. Minger lui-même en retire un énorme
sants d'origine juive. Au milieu des années 1
à Berne. La
obtiennent justice, en partie seulement, lors d'un
procès Pro- succès d'estime, beaucoup de gens simples s'identifiant à cet authentique
la diffusion des Protocoles des sages de Sion,ce paysan qui ne manque d'ailleurs pas de s'appuyer sur les éléments de la
cédure visait à empêcher
pièce maîtresse de la
faux grossier du début du xx" siècle, qui a constitué la
culture terrienne très vivaces dans les mentalités helvétiques. En aucun cas,
juive mondiale. Plus il ne donne prise à de quelconques complaisances pour I'Allemagne nazie.
propagande hitlérienne sur une prétendue consPiration
généralement aussi, le rejet de l'autre se traduit Par la crainte de l'Ueber- La dégradation de la situation internationale favorise bien sûr la conver-
toujours vive même si la proportion de sion de I'opinion à la nécessité d'une armée renforcée. C'est le cas avec la
fremdung ( surpopulation étrangère),
dePuis la Première
ressortissants d' origine étrangère n'a cessé de diminuer guene d'Espagne en 1936, qui donne un avant-goût tragique de ce que pour-
Guerre mondiale pour atteindre 5 2 To en t 940. Cette volonté d'endigue- raient être les conséquences d'une guerre totale sur les civils. Chaque fois
que la brutalité des
ment est tellement ancrée dans les pratiques helvétiques que I'Allemagne franchit un nouvel échelon dans son escalade agressive,
mesures prises en Allemagne contre Ies
juifs dès 1933 a Pu surprendre, mais
Minger n'a plus qu'à se laisser porter par les attentes de la population. Ainsi,
Il couPs de force
n'a en aucun cas suscité de réaction' en ira autrement des la même année, la remilitarisation de la Rhénanie facilite I'acceptation par
à favoriser l'accePtation
de l'Allemagne conffe ses voisins, qui contribuent les Chambres fédérales du programme d'armement. On va commencer à
fabriquer des chars blindés en argumentant, au plus fort de la crise écono-
Léon Nicole, partisan inconditionnel de la mique, qu'il y a là une opportunité pour créer de nouveaux emplois. Dès
?5
Après avoir été exclu du Parti socialiste, le Genevois
nouvelle formation politique d'extrême-gauche, elle-même interdite en 1937, même les socialistes vont cesser de s'opposer aux crédits militaires
de Moscou, lance une
Publie lz Voix ouvrière
du Travail, qui dk
Les rescapés du communisme formeront en 1944le
Parti en acceptant les valeurs de la défense nationale.
1945
Le 12 mars 1938, les troupes allemandes franchissent la frontière autri-
de la démocratie, mais qui s'est nettement distancé du
chienne etl'Anschluss (rattachement) est proclamé. Cette fois-ci,l'onde de fascisme et du
nazisme. Il a succédé en 1934 à Jean-Marie Musy, démissionnaire. pour
choc a des effets durables dans l'opinion suisse: une sorte d'union sacrée Etter, I'essentiel consiste à maintenir I'existence de la Suisse
resserre les liens de la nation. Tous les partis convergent pour appuyer les d'abord dans
les consciences, pulr une préparation morale. c'est pourquoi
mesures allant dans le sens du renforcement militaire, économique et cultu- les intellec-
tuels se sont aussi mobilisés, en particulier les histori"nr.
rel du pays. Alors que le défaitisme gagne l'Europe après les accords de un médiéviste
comme Karl Meyerprononce en 193g un discours intitulé <<Notre
Munich de septembre 1938, la Suisse procède au minage des ponts et des mission
après la chute de I'Autriche>, dans lequel il milite pour
routes. Quand les Allemands entrent à Prague en mars 1939, on accélère le renforcement
de la défense nationale. comme l'écrit aussi le p.of"rr"u,
le programme d'armernent par un nouveau crédit de 415 millions, accepté bâlois Edgar
Bonjour (1898-1991), plus tard auteur d'une magistrale histoire
par le peuple en juin 1939. Jusque là, tout a été fut pour éviter d'indisposer de la
neutralité suisse: <<avec les armes tirées de l'arseial de la connaissance
l'Allemagne. Ainsi, en exerçant des pressions sur le secrétariat de la Société historique on est mieux équipé pour se défendre>. La même
des Nations, le gouvernement se conforme à la politique d'apaisement des année 193g,
la fierté est grande quand r'équipe suisse de football élimine r,équipe
puissances occidentales. Sur un point cependant, le Conseil fédéral ne tran- d'Allemagne, le 9 juin à paris, en huitième de finale de la coupe
sige pas: il ne muselle pas la presse comme le souhaitait Hitler, quoique soit du mônde,
en gagnant 4 à21
créée, tout au début de la guerre, la << Division presse et radio >>, qui équivaut
cette volonté d'exister en tant que nation trouve sa pleine expression
à un contrôle de la presse par l'armée, mais sans censure préalable.
dans le message du conseil fédéral daté du 9 décembre
À dire vrai, I'armée suisse est surclassée par la Wehrmacht,même si elle r93g, que l,on a
considéré comme la Magna carta de la politique culturelle.-Rédigé
est nettement mieux préparée qu'en 1914. Les mesures de Minger n'ont pas par
Etter suivant les idées de Gonzague de Rèynold, ce texte
représente bien
'encore eu le temps d'améliorer le rapport de force. Les défenses aériennes les idéologies de renouveau national des années 1930
et antichars sont quasi inexistantes, l'artillerie démodée, les réserves en avec sa définition
célèbre de la <<suissitude>. plus forte que la traduction
française,la version
munitions dérisoires. Pour éviter de saper le moral des soldats,la hiérarchie allemande insiste sur ce qui distingue I'essence de la Suisse,
militaire compense ces faiblesses par une propagande destinée à montrer être lié à la
terre et <<enraciné dans Ie sol>>.La tnalité de ce document
prescriptif est
aux soldats et à la population que l'armée est prête à servir. C'est le message de promouvoir la culture et res échanges culturelsT6.
cet ou3eËtir se concré_
'dtt frlm Notre armé e,diffusé en 1939 . Il met l' accent sur les armes nouvelles tisera après la guerre avec la mise en æuvre de la fondati
àn pro Helvetia,
et inscrit la volonté de défense dans I'histoire, en évoquant les succès des Entre-temps, une sorte d'office de contre-propagande prend
gueres du xv" siècle ! en charge le
projet culturel, sous le nom de <<Armée et ioyèrrr, qui
va soutenir le point
La préparation économique est aussi nettement meilleure qu'avant la de vue suisse et faire æuvre explicative durant toute
la durée de la guerre.
Première Guerre mondiale. À partir de 1937 sont posées les bases de ce qui L'affirmation de la conscience suisse et la volonté morale de résistance
deviendra un véritable système de <<défense économique>>, avec I'organi- trouvent un large écho popuraire à travers I'Exposition nationale
sation dite de <<l'économie de guerre>>. Les offices fédéraux sont dotés de
de 1939.
connue sous son diminutif suisse-alémanique dà Landi,la
manifestation se
nouvelles compétences pour surveiller le commerce et la production. C'est tient à Zurich de mai à octobre. Avec près de l0 millions
de visiteurs, elle
Friedrich Traugott Wahlen (1899-1985) qui dirige ce dispositif. Il est consi- devient le but d'une sorte de pèlerinage patriotique autour
des symboles
déré comme le père de la <bataille des champs>. Dès le printemps 1938, incamant la quintessence de la Suisse. un tetepnerique supporté
par deux
la lôi impose la constitution de réserves alimentaires. Ensuite, des mesures pylônes relie les deux rives du lac dezunch,su, un"àirtancè
qui constitue
sont prises pour l'extension des cultures: entre 1939 et l944,les surfaces alors la plus longue portée du monde. Telle en est l,attraction
embléma_
cultivées doublent. tique. Il est vrai que la Landi célèbre de multiples prouesses
techniques que
recense aussi la grande fresque de Hans Erni, comportant
une locomotive
La défense spirituelle électrique, une turbine, un barrage et un Dougtas bcg de
Swissair. Mais
la mise en scène juxtapose explicitement ces réalisations
Uun des aspects les plus originaux de la période se situe dans I'inves- de I'ingénierie
tissement culturel désigné sous l'expression de <<défense spirituelle>.
Cette idée a été diffusée par le conseiller fêdêral conservateur Philipp Etter
76
on peut mentionner, dans la mouvance de Ia défense spirituelle, la
,
décision, toute symbolique tant elle
conceme une petite minorité' de reconnaître le rhéto-romanche
(1891-1977), catholique engagé et défenseur d'une vision corporative comme quatrième langue nationale.
cette proposition a été très largement acceptée en votation
DoDulaire en février r 9iR
L'un des épisodes du ûlm évoque des réfugiés tchèques venus d,Italie.
moderne avec des scènes folkloriques traditionnelles, en une grande récon-
cette invraisemblance historique acquiert toutefois une dimension symbo_
ciliation du monde rural et du monde urbain, de la tradition et de la moder-
lique très explicite avec la liquidation bien réelle de la Tchécoslovaquie
nité.Ladiversité du pays est exprimée par I'entremise de la voie surélevée par
'
mande vers l'ouest.Llarmée occupe une ligne qui court du lac de Zurich a été une extraordinaire opportunité pour
faire passer des marchandises et
au Hauenstein. L'hiver 1939-40 est consacré à préparer des fortifications des personnes.
bétonnées et des obstacles antichars - les fameuses lignes de tétraèdres de
.lesDu côté helvétique, on coûlmence à démobiliser pour ne maintenir sous
béton appelées <<toblerones>> à cause de leur ressemblance avec le célèbre drapeaux qu'environ 120000 hommes. Les travaux de défense sur
le
chocolat -, qui traversent le paysage vallonné du Plateau, dans l'attente Plateau sont interrompus et l'on commence à mettre en æuvre
le nouveau
principe d'échelonnement en profondeur, qui comprend trois niveaux: des compromrsslon avec les vainqueurs du moment: ses excuses
et sa docilité
iroup"t frontières, une position avancée de couverture et surtout le repli face au Reich tnomphant et, surtout, l'entrevue accordée
à une nouvelre
de liessentiel des forces dans les Alpes. C'est ce qu'on appelle le <réduit organisation d'extrême-droite, le Mouvement national suisse.
convaincu
national>>: mise à I'abri,l'armée est solidement campée sur des positions de vivre l'<<aurore d'un mythe hitlérien>>, celui-ci peut
tabler sur environ
fortiflées, épaulées par les forteresses souterraines de Saint-Maurice, du 2000 sympathisants, appuyés par les ressortissants âllemands
en suisse, au
Gothard et de Sargans, aûn d'empêcher la prise de contrôle des passages moins 10000 hommes susceptibles de former de véritables commandos.
alpins par I'ennemi. on dépense 900 millions de francs pour l'aménagement Quelques semaines plus tard, un ultimatum suggérant l,entrée de nazis au
des caiemates, des forts et des obstacles antichars. Le problème demeurait conseil fédéral et la menace d'une marche rui B"*" amènent finalement
qu'il fallait expliquer aux civils le bien-fondé de cet abandon des zones le gouvernement à en interdire les activités. D,autres que pilet-Golaz
que le nouveau disposi
feuplées et des villes : rl'était surtout indispensable prônent ouvertement I'accommodement avec la situation
nouveile, tels
iif soit opérationnet. À U tn du printemps 1941 seulement, cette stratégie, les signataires de la <pétition des 200>>, parmi lesquels
des personnalités
admise à l'époque et quelque peu controversée après la guerre, commence académiques, militaires et du monde économique, qui veulent <<pracer
à fonctionner. Par la suite,l'armée Se lenforcera singulièrement, notamment nos relations evec les pays voisins sur une base de confiance
récipioqueu
en s'équipant d'armes antichars et par. la formation d'unités spécialisées, (novembre 1940). E1fin, même les organisations
classées a posteriori
telles que la défense antiaérienne,la surveillance aérienne,le service com- comme résistantes, telle la Ligue du Gothard, fondée le
30 juin 1940 et qui
plémentaire féminin et les troupes de grenadiers (dès 1943). regroupera bientôt quelque 9000 membres, tiennent
un discours pour le
La Suisse a donc vécu une période de vide stratégique alors même moins ambigu. on y trouve les lassés de la démocratie parlementaire
qui
qu'Hitler, excédéde n'avoir pas pu achever le bouclage de la Confédération, rêvent d'un gouvernement autoritaire. Du moins n,était-il pas
question de
f3aisait étudier des plans d'attaque qui visaient à écraser l'armée sur le recourir à la force ou de s'appuyer sur des mouvements
de masse pour que
Plateau. Le prétexte a\rait été facile à invoquer, puisque, lors de leur avance soit accepté ce progmmme. Il est en outre certain que ni pilet-Golaz,
ni ses
en France,les Allemands avaient mis la main sur des papiers confidentiels collègues relativement conciliants avec l,Allemugnà qu"
sont les conseillers
du haut commandement qui faisaient état de plans d'état-major très avan- fédéraux Enrico celio (le successeur de Motta en rb+o)
ou Ernst wetter,
cés pour une coopération avec l'armée suisse. Le général Guisan avait sans n'étaient disposés à capituler face au Reich.
doui" tu. ce point outrepassé ses compétences et mis en péril la neutralité. c'est du côté des milieux militaires que vient le sursaut pour la
résis-
Il se trouve que la menace allemande s'estompe, opportunément pour la tance. En juillet 1940, quelques jeunes officiers
ont pensé iune sorte de
Suisse, au printemps !94I, quand d'autres terrains d'opération (l'Afrique coup d'État avant de se raviser et de créer un groupement,
la Ligue des
du Nord puis les Balkans) accaparent les stratèges de Berlin' officiers, dont le but est d'avoir dans chaque unité de I'armée
un officier
bien décidé à la résistance. Éventée,la conjuration
suscita plutôt de la sym_
Le choix de la résistance pathie, si bien que la procédure disciplinaire aboutit
à des peines légères.
Les idées de résistance vont être diffusées légalement
par la sàction <<Armée
Dépassant toutes les attentes, la valeur symbolique du Gothard et des et Foyer>, qui organise des conférences pour res
militàires et des cours pour
AlpeJa conféré au <<réduit>> un rôle dissuasif, en devenant le symbole d'une l_e1-clvils, auxquels participèrent durant toute la période
de la guerre prus de
voionté de résistance. Cette voie n'était pourtant pas acquise a priori. 100 000 personnes. c'est incontestablement l'iÀrmation
ori" qui supplée
Ailrès la débâcle française, le défaitisme passif a libre cours, accentué aux carences inévitables de la presse écrite, menacée par
la censure. Les
par la démobilisation partielle,l'abandon des positions militaires du Plateau journalistes se sont très vite responsabilisés
pour tenir compte de l,immense
et l'absence d'un discours clair de la part des autorités. La Suisse ne peut susceptibilité de l'Allemagne face à toute critique. En
effet, les journaux
compter que sur elle-même pour éviter la guerre. Le jour de l'entrée en doivent éviter de s'identifier à la cause des A[iés, car le gouvernement
viguàur de l'armistice,le 25 juin 1940, le président de la confédération, allemand amalgame constamment la température de l'opiniJn
pubrique et
le-Vaudois Marcel Pilet-Golaz, s'adresse à la nation sur les ondes. Son la volonté politique du gouvernement suisse. Relevons
uur.i qu" I'informa-
discours est pour le moins alambiqué: son appel àun <<nouvel équilibre>>, tion concernant le déroulement de la guerre est largement
contrôlée par les
à l'adaptation aux circonstances ainsi qu'à la <<renaissance intérieure>> puissances de l'Axe l'Alremagne, l'Itarie et le
- Japon -, riées par un pacte
et à la <<restauration du monde disloqué>> sont probablement très mal de septembre 1940 en vue d'imposer un nouver
ordre mondial. En L94z,le
compris. D'autres épisodes plutôt ambigus font suspecter Pilet-Golaz de joumal filmé nazi occupe les.deux tiers du
créneau des actualités dans les
s'étend à des les services de I'armée. La plus célèbre est le <<Bureau Ha>> de Hans
salles de cinéma suisse ! Il n'empêche, la volonté de résister
natio- Hausamann, qui dispose, déjà avant la guerre, d'un réseau d'informateurs
cercles civils, notamrnent gtàce aumouvement <<Action de résistance
1940. dans toute l'Europe. Quant aux services suisses de renseignements,
nale >>, une organisation secrète de 400 membres active dès septembre ils sont
dirigés par leur créateur,le colonel Roger Masson. Très efficace
Le rapport d'armée du 25 juillet 1940 est entré dans la légende helvé- réseau d'informateurs jusque dans les sphères du pouvoir
et fort d,un
tique. Càlour-là, le général a pris le risque de convoquer tous
les officiers hitlérien, Masson
risquée ades contacts directs avec le colonel ss Schellenberg,chefde l,espionnage
a partir du grade dJmajor sui la prairie du Grùtli, une opération allemand. Deux rencontres secrètes entre Guisan et Schellenberg
On ne sait
compte tenu des possibiiités d'une attaque aérienne allemande. se dérou_
leront en mars 1943 sans que le conseil fédéral en soit informé, ce qui
pas exactement ce qu'a dit Guisan à ses subordonnés ni le nombre
exact de est
encore une fois, de la part du commandement militaire, une
participants, probableme nt 420 militaires. Rien ne prouve que le général manière d,ou-
se
trepasser son rôle. À cette occasion, le général remet à l,officier
les archives, dans lesquelles allemand
soit tenu aux notes, retrouvées plus tard dans une lettre où il mentionne son intention <<irrévocable et
il explique sommairement le <<réduit national> et désigne clairement les immuable>> de tenir
le front des Alpes. Les services de renseignements contribuent
ennemis intérieurs que sont les communistes, tout en appelant ùla largement à
<<rénova-
convaincre que la Suisse ne serait pas une seconde Norvège et que
tion>> nationalell.iar manque de temps, il a vraisemblablement
improvisé tous les
axes de transports seraient immédiatement détruits
précis aux parti- d,ugi"ssion. or,
des propos patriotiques quin'ont pas laissé de souvenirs "u,
"npuissanËs
le transit par les Alpes est un enjeu essentiel pour les
est ètonnànt, c'estf impact de l'événement sur l'ensemble de l,Axe.
"ifun,r.
C" iui Er mars 1943 également,les services de Masson reçoivent des informations
oetapopulation.Mécontente,l'Allemagnedénonceuneprovocation' alarmantes sur l'imminence d'une décision d,attaquer la
radiodiffusée le 1"'août suisse. prises
euant i ôoisan, il récidive lors d'une allocution très au sérieux par l'état-major, ces nouvelles se révèlent infondées,
ù+O en appelant à <<penser en Suisses et agir en Suisses>>' acquérant du mais
-t conrme il
s'avère difficile aujourd'hui de juger s'il s,agissait effectivement
même coup une autorité incontestable de chef moral. Les historiens menace réelle ou d'une manæuvre de diversion.
d,une
willi Gautschi vont jusqu'à parler de <<miracle du Griitli>> ! En 1943, avec le débarquement ailié en sicile puis, en 1944, avecles
débarquements en Provence et en Normandie, la guerre
Les années de guerre se rapproche dan-
gereusement du territoire suisse. comme les services
secrets n;éxcluent pas
guene à une action allemande,le général demande une nouvelle
Ainsi magnifiée,l'armée va continuer durant toutes les années de mobilisation. Elle
jouer un rôlJ majeur dans la cohésion nationale. Cela ne va pas sans tensions est refusée par le gouvernement, qui ne veut pas inquiéter
la popuration
qu'il
auec l" pouvoir civil. Guisan ne s'entend guère ni avec Pilet-Golaz, :Iite. It est vrai que les soldats rappelés à ce momentlà en comprennenr
de renseignements' difficilement les raisons. pour une fois,le conseil fédéral s,était montré
a d'ailleurs essayé de déstabiliser à I'aide des services plus
ni avec le successeur de Minger au Département militaire, Karl Kobelt. perspicace que l'autorité militaire.
Il a quelques difficultés aussi avec le conseiller fédétal walther stampfli, Dès août 1944, des troupes retirées du <<réduit>> sont disposées
dans le
le patron^de l,économie de guerre. Fort de sa popularité, Guisan fait
de Jura et sur le Plateau. on pouvait en effet se demander si
les Âliés n,allaient
l'ombre au pouvoir civil et piend, aux yeux de la population' un statut de pas traverser la Suisse. une armée américaine
opère dans la région de
rassembleur, incarnant la résistance à l'Allemagne' Be]{ort et, au printemps 1945, c'est le généralfrançais de Lattre
de Tassigny
écarter des postes clés les officiers trop ouvertement qui longe la frontière du Rhin en Allemagne du Sud. Staline,
. Il en profite pour de son côté,
n'excluait pas une solution militaire à travers la Suisse depuis l,Italie.
gLrmanophiles, comme le colonel Gustav Diiniker ou 1e chef de l'instruc-
le pre-
iion, Utrictr Wille,le propre fils de l'ancien général en poste durant Le 8 mai 1945, date de la capituration de l'Allemagne, proclamé jour
mier conflit mondial. Les services de renseignements lui servent d'appui de la victoire par les Alliés, des manifestations spontinées
de liesse ont
au besoin. La Suisse est d'ailleurs une plaque toumante de l'espionnage lieu partout en suisse. un peu plus tard, une délégâtion militaire
suisse est
durant la guerre. Des agences privées d'information vont collaborer
avec invitée par de Lattre de Tassigny à visiter des rescapés des horreurs
nazies.
<<Pour que vous puissiezvoir de vos yeux>>,explique
|officier français au
77
11 ne faut pas surinterpréter I'usage du terme << rénovation>>. Il
participe au vocabulaire connoté de général Guisan.
l'époque et n'est pas utilisé seulement par les partisans d'un ordre musclé. Même un socialiste comme
fédéral Ernst Nobs y a recours dâns le titre de son livre de 7943,Helvetische Erneurerung
le conseiller
(19214), pour définir son projet d'une Suisse sociale-
traduit en français par Rénovation helvétique
démocrate.
OnrpNr,lrroN BIBLIocRAPHIQUE
documentaires mais s'autorisent néanmoins à penser que les lingots d'or Si l'idéal d'autarcie économique préconisé par le pran d,extension
provenant de la Reichsbank pouvaient contenir de I'or volé à des victimes agricole représente une chose, la-réalité
structurelle d,une économie très
juives - une thématique reprise à plusieurs reprises ensuite, notamment par industrialisée, tout entière^basée sur I'importation
de matières premières et
la télévision dans une émission de 1983 -, les milieux financiers réagissent I'exportation de produits fabriqués, en constitue
une autre. auant la guerre,
en entretenant la suspicion contre les historiens trop critiques à leur goût et le Reich est déjà le premier client et le premier
fournisseur de la Suisse. Dès
poussent à la banalisation des faits. le début du conflit, les Alriés instaurent
un blocus strict et ne laissent passer
que des produits soumis à l'octroi d'une
Si ces premières révélations ont peu d'écho dans I'opinion, celle-ci autorisation, tout en admettant
provisoirement que la suisse doit, pour des
s'enflamme, en Suisse comme aux USA, lors des attaques du Congrès juif raisons vitales, commercer avec
l'Allemagne. Après la capitulation de ra France,
mondial en 1995. Totalement dépassé par l'ampleur de I'affaire,le gouver- les Alliés sont en revanche
de plus en plus restrictifs et il faudra
nement suisse n'a d'autre recours que de confier aux historiens la missiOn attendre 1944 pour que leur attitude
s'assouplisse. concrètement, le pays encercré
d'examiner le rôle de la Suisse pendant la Deuxième Guerre mondiale, par tes puissances de rAxe
subit 1'étranglement économiqué des Alliés.
espérant ainsi calmer le jeu. C'est pourquoi une Commission indépendante Là seute rgne de chemin de
fer existarte vers ra partie de la France non
d,experts, dite commission Bergier, du nom de l'historien cité ci-dessus qui occupée esicontrôlée par les
Allemands à La Plaine (Genève). comment
l'a présidée, est mise sur pied en décembre 1996. ne pas se réorienter alors vers
I'Allemagne, seule en mesure de laisser passer
Ce sont donc des décennies de juridisme étroit, de condescendance des res marchandises et d,acheter
en retour les produits de l,industrie
banques et d'irresponsabilité de la classe politique qui ont précédé le devoir
helvétique ?
Malgré ce contexte, les autorités ont refusé de s,associer
de mémoire assumé honorablement et sans dérobade par la plupart de ceux à r,embargo
total des exportations vers res Altiés voulu
qui ont étudié les dossiers. Ils ont alors porté un large éclairage sur le pro- par l'Ailemagne même si, dans
les faits' ce commerce va demeurer
blème des réfugiés et sur I'ampleur des rapports économiques et financiers symbolique. par la force des choses.
Ces services rendus et l'envoi de ces fournitures commenceront à devenir
ceux-là pouvaient difficilement bénéficier des produits que l'industrie
plus problématiques à partir de la seconde moitié de I'année 1943, quand le
suisse airait été disposée à leur livrer. Entre 1940 et 1944,I'industrie
sort de la guerre aura tourné. Ils vont se réduire peu à peu et s'interrompre
exporte pour 633 -illion. de francs vers les pays de I'Axe, 57
millions
en 1945.
veis les Alliés (sans pouvoir chiffrer la contrebande, sans doute importante)
et 60 millions vers les pays neutres. Rappelons que même s'ils
paraissent
énormes à l'échelle suisse, ces chiffres ne représentent qu'un infime pour- Le franc suisse et l'or
centage des besoins économiques des belligérants (moins de 0,5 Vo dela
a Là où les choses deviennent plus compliquées, c'est quand I'Allemagne
produ"ction allemande d'armement' par exemple)' UAllemagne
ainsi
se trouve dans I'impossibilité de payer les livraisons et les services. Déjà
bénéficié de livraisons dlarmes, de constituants d'armes, de munitions,
de
d'horlogerie ainsi durant les années de crise, le commerce avec I'Europe centrale fonction-
détonateurs, d'aluminium, de machines, de mécanisme
nait sur un système dit de <clearing>>. Des accords de compensation fixent
que de fourniture d'énergie électrique. Entre 1940 et1944,Il Vo
des armes,
à I'avance le montant des transactions entre la Suisse et ses partenaires
i6 Eo d", munitions et l8 Eo des machines outils fabriquées en Suisse lui commerciaux, ceci pour éviter les transferts de devises. Les importateurs
installées en
ont été livrées. Les nombreuses filiales d'entreprises suisses
contraintes suisses paient leurs marchandises à un office de clearing qui, lui, règle les
Allemagne ont continué leurs activités en se pliant aux nouvelles
exportateurs. Par ce biais,la monnaie nationale reste dans le pays. Le même
du pouioir nazi.I-l <<aryanisation>> de 1'économie les oblige à se séparer de
embau- système est appliqué dans le pays partenaire pour ses propres ressortissants.
leuis employés juifs et les pénuries de main-d'æuvre les amènent à
allemandes, des travailleurs forcés Très vite, au début de la guerre, les Allemands ont des arriérés, c'est-
coÂ*à le font les auties entreprises
"he., prisonniers de guerre, qui vont subir des conditions inhumaines de à-dire qu'ils obtiennent plus qu'ils ne livrent; ils se mettent donc en situation
et des
de dépendance par rapport à la Suisse. Pour éviter le tarissement des fourni-
tfavail. Même Swissaii, pour côntinuer à desservir les liaisons vers le Reich
tures, les acteurs économiques ont alors consenti d'énormes crédits à I'Alle-
a dû prouver <l'aryanité>> de ses équipages !
magne, un objet de nombreuses négociations en 1940,I94I et 1943. C'est
Bon an mal an, sans trop se poser de questions, la Suisse a donc
reçu
le char- ce qu'on appelle des <<avances de clearing>>. Mais vu que les Allemands
des produits indispensables à sa survie économique, en particulier
d'ailleurs de plus en ont de plus en plus de difficultés à honorer leurs engagements, les arriérés
Uon, le fer et le pétrole, dont les livraisons ont été
notamment les s'accumulent. Pour les solder, l'Allemagne va vendre de l'or à la Suisse.
pio, leutoires. Liindustrie a ainsi pu continuer à produire,
produits de effet,le projet nazide créer un grand espace économique à l'échelle de
En
àquipements nécessaires à la défense nationale, mais aussi les
la l'Europe est un échec. Tout en pillant les régions occupées, I'Allemagne est
consornmation courante, tout en évitant le chômage et, par contrecoup'
contrainte d'acheter à d'autres des produits stratégiques comme le tungstène,
cessation totale des livraisons aux Alliés78'
le pétrole,le chrome,le cuivre,le plomb, le caoutchouc. Sont concernés la
La stratégie du <réduit national>> donne par ailleurs une importance Roumanie,l'Espagne,le Portugal et la Turquie. Co*-" le dollar et la livre,
considérable aux lignes de chemin de fer à travels les Alpes, soigneusement qui servaient avant la guerre aux paiements internationaux, sont soumis au
les relations
surveillées par l'armée. Elles sont indispensables pour assurer contrôle des changes, il n'est plus possible d'en disposer librement en dehors
entre l,Allemagne et I'Italie. Les Allemands avaient donc tout
intérêt à les
des États-Unis et de la Grande-Bretagne. Monnaie non belligérante,le franc
savoir sous contrôle neutre. Entre 1940 et 1943, c'est un trafic ininterrompu suisse devient dès lors le nouveau moyen de paiement international, à vrai
de trains lourds, chargés de marchandises (40 vo des besoins italiens
en
dire la seule monnaie à valeur constante par rapport à I'or et de surcroît non
notamment) {ui traversent la Suisse. Les tonnages ont augmenté
"turfron soumise au contrôle des changes. Les francs suisses vont être de plus en plus
de manière spectaculaire, en triplant de volume ! Il n'y a cependant
pas eu
Les personnes convoités partout dans le monde. Comment en obtenir? Tout simplement en
de transit de matériel de guerre ni de convois de déportés.
vendant de l'or à la Banque nationale suisse (BNS) !
volontaires à
transportées à travers la Suisse ont été des travailleurs italiens
Aussi bien les Alliés que les puissances de l'Axe vont recourir aux ser-
destination de I'Allemagne.
vices de la Banque nationale. SiIa Reichsbank a vendu pour l'équivalent
de 1J milliard de francs, les Alliés ne sont pas en reste, en négociant de
7s Notons que contrairement à ce qui se passe dans les pays en
guerre. le taux d'activité des femmes a I'or pour un montant proche. Mais cet or est bloqué aux États-Unis depuis
plutôt tendance à baisser. 35 7o seulement des femmes de 15 à 64 ans travaillent en dehors de leur foyer
l94I - tout comme les réserves légales que la Banque nationale avait pris la
diffusée de la main-d'æuvre féminine fabriquant des obus est sans doute
en 1947. Si I'image souvent
précaution de transférer avant le conflit - sous prétexte qu'il aurait pu servir
s'est avérée plus imPortante.
bien réelle, c'est dans I'agriculture que la place des femmes
les intérêts de guerre allemands. D'une certaine manière, I'attitude intran-
sigeante des Alliés rend la Suisse encore plus dépendante de l'Allemagne ! OnrnNrarroN BIBLIocRApHTeuE
Incontestablement, les services financiers rendus par la Suisse se révèlent Luor Regula, < Pourquoi la Suisse ? : réflexions sur le rôle
d'un pays neutre pendant
une pièce maîtresse de la dissuasion économique qui aprotégé le pays d'une et après la guerre>, in Goscu-Bn constantin
quelconque agression militaire, sans que cet effet ait été consciemment
[e.a], spoliations it restitutions des
biens juifs en Europe xf siècre, paris : Editions Autrernen
, p. 269-310.
t,2007
pris en compte par les responsables politiques de l'époque, du moins avant Mnncuener Philippe, La suisseface au III. Reich: réduit national
la dernière année de guerre. Que le Reich ait eu besoin des services de la et dissuasion
économique, I 940- I 945, Lausanne : Éditions 24 heures, I
99 I .
place financière suisse est en revanche une évidence reconnue par les hauts MencunnRr.Philippe, L'économie suisse entre l,Axe et les
responsables allemands, qui subordonnent les fournitures de matières pre- Alliés lg3g_1g45,
Neuchâtel: Éditions Alphil, 2006.
mières à la poursuite des services tnanciers. exerçant ainsi une forte pres-
PnnnnNoup Marc, conrar Alain [et al.], La prace financière et les banques szisses
sion. Il n'en demeure pourtant pas moins certain que la Suisse, par souci de àl'époque du national-socialisme: les relations des grandes
neutralité, a toujours tenté de conserver des relations frnancières équilibrées banques avec l,Alle_
nagne ( I 9 3 I - I 946 ), Lausanne & Ziinch : payot & Chronos,
2002.
avec les deux camps. hnnr*ouo M arc, Banquiers et diplomntes suisses : ( rg3s-1g46),Lausanne
: Editions
Les historiens n'ont de cesse de souligner la logique technique de la poli- Antipodes,2011.
tique menée par la Banque nationale, qui a cornme fonction de maintenir la la suisse,le national-socialisme
et la seconde Guerre mondiale: rapportfinal de
parité du franc et la stabilité des prix. Lerachatde francs français, de dollars, la commission indépendante d'experts suisse-seconde
Guerre moniiare, ziiich:
de livres sterling doit être équilibré par de l'or pour faire baisser le cours du Pendo Verlag,2002.
franc, qui tend à être surévahé.La Confédération est tenue de ne pas laisser Et la série complète des 25 volumes du rapport de la
commission indépendante
'la masse monétaire en circulation gonfler en trop grande proportion. L État d'experts Suisse-Seconde Guerre mondiale parus à Zuichchez
chronos verlag,
émet des emprunts pour récupérer des francs, qui servent ensuite à acheter 2001-2002.
de l'or à la BNS, et les retirer ainsi du marché. C'est ce qu'on désigne en
jargon financier comme la < stérilisation de 1'or>.
Les historiens les plus nuancés, tel Philippe Marguerat, ont montré à quel
'point il est réducteur de considérer les dirigeants de l'économie comme de
purs gestionnaires sans autre préoccupation que d'assurer la continuité des
affaires. La preuve se situe dans l'égalité de traitement recherchée tant du côté
de l'Allemagne qu'auprès des Alliés. La difficulté majeure du dossier reste
que la Banque nationale suisse, tout comme les autorités politiques, ont nouni
des soupçons quant à l'origine douteuse de l'or allemand: or de la Banque de
Hollande et or des réserves monétaires de Belgique, or spolié aux victimes du
nazisme dans les camps (équivalant à au moins un demi-million de francs),
le tout refondu sous l'apparence de lingots allemands ! Il y a eu donc de toute
évidence recel et blanchiment d'or volé ! Dans le même ordre d'idée, même
si leis montants concernés sont d'une importance bien moindre que le trafic
d'or, les banques ont sans aucun doute négocié des papiers-valeurs volés dans
les pays occupés. Des avoirs juifs extorqués par les nazis ont été transférés en
Allemagne. Les compagnies d'assurance ont remboursé des polices d'assu-
rance aux autorités nazies, qui exerçaient un chantage sur leurs propriétaires
légitimes avant de les envoyer dans les camps. Les biens restants constitue-
ront ensuite les biens en déshérence. L éthique eût voulu qu'immédiatement
après la guerre, ces pratiques eussent été reconnues et fassent l'objet de com-
pensations généreuses. Ce ne fut malheureusement pas le cas.
est un étranger comme les autres, soumis au critère de
la <<capacité de
réception du pays>. on veut bien admettre les réfugiés politiques
mena-
cés de poursuites dans leur pays; en revanche, est-ce
que ta persécution
raciale, dont les nouvelles venues d'Allemagne disent ta
brutaliié, doit être
considérée comme ayant un caractère politique ? comment
admettre en
effet que cet Étut civilisé puisse traiter àe manière inhumaine
ses ressor-
t]ssa_nts ? D'autre part, l'admission de juifs ne
va-t-elle pas provoquer des
flambées d'antisémitisme, vu le puissant sentiment de rejet
déjà présent?
Inévitablement, la perception que les suisses se sont façônnes
ae l'étran-
7l ger qui fuit son pays reposait toujours sur une appréciaiion
la menace. Faut-il alors reur reprocher d'avoir étè avanttout
subjective de
frileusement
préoccupés par les incertitudes de l'avenir, économiquement
d,abord, puis
Ls poros ops LNNÉEs soMBREs : très inquiets face à la guerre ensuite?
Dèsl'Ansch/zss (mars 1938), tous res pays européens se barricadent
LA BAReun Érl.rr-ELLE Pr,rrNn ? pour
empêcher le flot de réfugiés juifs de passer leurs frontières.
Avec la Suède,
la suisse impose le visa aux passeports autrichiens dès mars-avril
193g.
Ensuite, elle prévoit l'obligation du visa pour les passeports
allemands, ce
qui est tÈs emba:rassant puisque la vie économique
ue d'images douloureuses et de témoignages tragiques de réfu- et culturelle s,oriente
vers le grand pays au-delà du Rhin, sans compter que
giés refoulés, promis à un sort abominable, combien de visages |Anemagne, inévita-
blement, agira de manière réciproque.
infiniment tristes d'enfants désemparés, voilà ce qui vient spon-
tanément à I'esprit dès qu'on évoque ce chapitre difficile de I'histoire du Au début du mois de juilret 193g, à la demande du président des États-
conflit. La Suisse a probablement accueilli pendant la durée de la guene unis, Franklin Roosevelt,les délégués de 32 pays se rLncontrent
à l,hôtel
guelque 60000 réfugiés civils, dont la moitié était des juifs. Elle a interné Royal d'Évian pour constater, au-delà des belles déclarations
de principe,
qu'aucun pays n'est disposé à ouvrir largement ses frontières
plus de 100000 soldats français, polonais et italiens. Il est néanmoins dif- à des immi-
grants juifs. Les pays d'Europe occidentale
ûcile de dire avec précision combien sont ceux qui ont essayé de franchir s'estiment dêjà <<saturés>>.
la frontière et ont été repoussés. on a longtemps parlé de 10000 cas, dont En suisse, les services de porice se résolvent dès |automne l93g
à
on connaît les noms; les recherches récentes avancent plutôt le chiffre de chercher un moyen de limiter I'obligation du visa qui devait être imposé
21000 civils refoulés, en majorité des juifs. Il faut tenir compte aussi des aux ressortissants allemands. L idéal serait de iéserver l,obligation
aux
peut-être ressortissants non aryens. Les discussions entre le ministère
15 000 personnes auxquelles le visa a été refusé. Certaines se sont allemand et
présentées à la frontière avec le risque d'être refoulées' les diplomates suisses à Berlin aboutissent à la proposition
d,inscrire un
<J> dans les passeports des Alremands réputésluiis,
auxquels seuls on
demanderait le visa. La Suisse accepte cette formule à laquelle
Le refuge avant la guerre se rallie
aussi la Suède. Que l'origine de ce tampon soit une
idée alernande ou une
durant les années Ig3A,aggravée par la crise, la crainte de la surpo- suggestion de l'administration fédérale, toujours est-il que
son adoption
pulation étrangère est bien vivace. Ciblée sur cette préoccupation, la marque certainement, comme le relève l'historien Anoié
Lasserre, une
iégislation en vigueur demeure totalement inadaptée à réceptionner un <<capitulation morale>> de la suisse. ses effets
tragiques sont encore plus
ufno* de réfugiés craignant pour leur sécurité et attendant de la Suisse évidents après la <<nuitde cristal>> (9-10 novemb." tb:s)
lors de laquelle,
un refuge. ce sont les cantons qui ont compétence en matière de séjour partout en Allemagne et dans les territoires déjà annexés,
les nazis mettent
et d'établissement, la confédération statuant sur le droit d'asile. or, seul à sac les synagogues, ainsi que res magasins et
maisons appartenant à des
l'<<étranger>> est une catégorie juridique. Il est soumis à la Loi sur
le ressortissants juifs.
publique n'est pas totalement dupe; qo"tq,-r"s 'lrài*, d"t hommes d'Égtse c'est en août 1942 que le conseiller fédéral Eduard von Steiger (1ggl-
1962) parle d'une <<embarcation de sauvetage déjà lourdement chargée>>,
èt des théologiens notamment, prônent la désobéissance. Le président du
une métaphore qui deviendra célèbre avec la formule <<La barque
synode de l'ÉgHse réformée de ZadLch osera même dénoncer en 1943 le est
qui entraîne la coresponsabi- pleine>>. cette conviction a l'assentiment quasi général de
.ràfrr. d'accueillir des réfugiés comme un acte la population,
juifs qui craint I'arrivée massive d'étrangers. De leur côté, les
lité de la Suisse à l'anéantissement des ! n" ,"
pressent pas pour accueillir les réfugiés et financer leur "*lton,
hébergement.
Dès le printemps 1940, des mesures d'internement préconisées par les L'armée installe des barbelés à Genève et dans le valais. Les frontières
se
militaires désignent les <<étrangers à risque>>. Ce terme concerne bien sûr verrouillent donc en août 1942 selon des instructions confidentielles. celles-
tous ceux qui contreviennent à la police des étrangers. Les réfugiés valides ci, vite éventées, provoquent chez des personnes privées ou des organisa-
vont être regroupés dans des camps de travail; plus tard, on transformera des tions s'occupant des réfugiés des réactions si vivés qu,elles atteignènt
les
hôtels et pensions en homes d'internement. Avec la débâcle de la France,la autorités responsables. ces dernières, craignant un mouvement d,opinion
Suisse est confrontée à un afflux de militaires: environ 40 000 soldats sont plus large, hésitent et reviennent un peu en arrière: tolérance
au début à
internés quasiment d'un coup, sans problèmes majeurs. Ils seront affectés à la frontière genevoise, puis autorisation générale d'entrer, sans distinction
des ffavaux agricoles. de race, pour les personnes âgées et les tamilles accompagnées
de petits
La <<solution finale>> décrétée en juillet 1941 et les déportations systé- enfantsTe. À cela s'ajoutent, d'une part, les nombreuses entrées clandestines
matiques dès 1942 font pressentir un afflux massif aux frontières. Les ins- de réfugiés, aidés par des organisations caritatives ou même par des suisses
tructions d'août 1942 proposent une solution purement administrative qui et, d'autre part, la situation très troublée à la frontière tessinoise
en raison
permet d'éluder toute considération humanitaire: on ne permettra I'entrée des événements italiens.
qu'aux réfugiés politiques et aux déserteurs. Or, les juifs ne sont toujours
pas considérés comme des réfugiés politiques !
Quoique restrictives, les mesures prises ne réussissent pas à entraver Lessnnnn André, Frontières et camps: le refuge en suisse de 1933 à 1945,
le gonflement du refuge dès 1943. Officiellement on comptait moins de Lausanne: Payot, 1995.
5000 réfugiés civils à l'automne 1942; il y en aura plus de 26000 à la fin Ptcenr Jacques, La suisse et les Juifs 1933-1945 : antisémitisme suisse, défense du
de 1943. Quand la guerre tourne, ce seront encore de nouvelles catégories iudaisme, politique internationale envers les émigrants et les réfugiés. Lausanne:
de fugitifs qui essaieront de gagner la Suisse: des fascistes traqués après la Editions d'En bas, 2000.
fuite de Mussolini, les réfractaires au travail obligatoire, les résistants et les ks réfugiés civils et la frontière genevoise durant la Deuxième Guerre mondiale,
maquisards pourchassés, puis même des Allemands fuyant I'avance russe. Genève: Archives d'État, 2000.
Fin 1944, on comptera probablement plus de 100000 réfugiés et intemés Scuvror-rN Antonia, Die andere Schweiz: Helfurinnen, Kriegskinder und humani_
sans que la barque ne coule. trire Optik 1933-1942,ZÙrnch: Chronos, i999.
La population commence à s'émouvoir, car les informations sur les unabhângige Expertenkommission schweiz-Zweiter vy'eltkrieg (Hrsg.), Die
exactions nazies, jusqu'alors considérées comme trop inouïes par I'opi- Schweiz und die Fliichtlinge zur Zeit des Nationalsolialismus,Zinch: Chronos,
nion incrédule, ont enfin trouvé une large audience. Encore faudrairil que 2001.
les juifs persécutés puissent venir en Suisse ! Certes, les instructions du
12 juillet 1944 marquent un revirement: la persécution raciale est finale-
ment reconnue comme motif politique d'asile. Les dépenses humanitaires
consenties par la Confédération sont à l'avenant: deux cent mille francs en
'.1939 et 18 millions en1943t
C'est en 1944-45 que le consul suisse en Hongrie, Carl Lutz (1895-1975),
mène de son propre chef une action d'envergure qui lui permet de sauver
plus de 60000 juifs à Budapest, en leur procurant des passeports sous pro-
tection diplomatique afin qu'ils puissent émigrer vers la Palestine.
t.
À ta fin de la guerre, un asile temporaire fut accordé à quelque 60000
enfants des pays voisins pour un court séjour avant qu'ils ne rentrent chez
eux. L'aide aux enfants a suscité une grande émotion, dont témoigne un
film de fiction de Leopold Lindtberg (I9O2-I984) en l9M, Marie-Louise;
son succès fit connaître indirectement les horreurs de la guerre. Du même
cinéaste, la D ernière chance ,produit en 1 945, relate le parcours d'un groupe
de civils italiens qui échappe aux poursuites allemandes pour arriver en
Suisse. La scène finale ûxe une longue file de réfugiés dans Ia neige avec
ce commentaire'. <<Des millions d'hommes en Europe parcourent le même
chemin. Un jour, ils retourneroû enrtn chez eux>>. Ces fictions valorisantes
recôuvrent une réalité moins glorieuse, celle d'une politique frileuse dans
un contexte d'antisémitisme latent. Mais gardons-nous des jugements
sommaires. Dire a posteriori qu'une ouverture totale du pays aux réfugiés
n'aurait créé aucune difficulté est un peu facile. Reste que le poids moral
des responsabilités de ces années sombres constitue un passé douloureux à
assumer et dont la mémoire ne peut pas s'effacer.