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Georges Vigarello

Histoire
des pratiques
de santé
Le sain et le malsain
depuis le Moyen Âge
Éditions du Seuil
La première édition de cet ouvrage
a été publiée dans la collection
L’UNIVERS HISTORIQUE sous le titre :
Le Sain et le Malsain
Santé et mieux-être depuis le Moyen Âge
Préface
« Livre des secrets », « Livre pour la santé garder » ou
« Livre pour prolonger la vie », c’est sur des conseils censés
« conserver et garder la santé corporelle » que s’ouvrent les
grands textes médiévaux visant la bonne santé physique et
l’entretien de soi. Le projet du présent ouvrage est d’en suivre
les développements et les mutations dans les siècles
postérieurs. Il est aussi d’en suivre les correspondances
pratiques : les manières individuelles et collectives d’éloigner
le mal, les gestes faits pour prévenir avant même de soigner. Il
est, du coup, de suivre les certitudes et les savoirs, les
techniques, les croyances et les imaginaires auxquels ces
démarches se réfèrent dans le temps.
Une histoire de l’entretien du corps n’est pas celle des
maladies, ni même celle des thérapies. Elle n’est pas non plus
celle des innombrables déterminants agissant sur la santé, ces
influences les plus hétérogènes traversant les géographies
physiques et sociales, les modes de vie, les environnements,
les milieux. Elle n’est pas, autrement dit, celle des effets
directement subis par les corps. Elle est plutôt celle des
défenses, celle des calculs et des prévisions. Elle privilégie les
attitudes de sauvegarde, les stratégies conservatrices, les
desseins prédictifs, comportements d’autant plus spécifiques
qu’ils présupposent un sens généralement négatif donné à la
santé : l’absence de maladie. Ce qui montre au passage
combien l’entretien du corps, celui de l’hygiène classique
surtout, désigne l’ensemble des dispositifs censés maintenir le
plus longtemps possible la bonne marche organique, ceux
lentement construits pour éviter les malaises, les accès
physiques, les accidents de santé, ceux faits pour assurer une
« vie saine » comme une « vie longue » ; tous comportements
devant précéder le mal pour mieux le circonscrire et surtout
l’éviter. Non, bien sûr, que cette histoire soit totalement
indépendante de celle des maladies : la défense du corps
répond d’abord aux maux existants dans une époque et dans
un lieu, jusqu’à se calquer partiellement sur eux. Mais cette
défense et plus largement l’entretien de soi ne s’y limitent pas,
pouvant prévenir des maux qui n’existent pas ou ignorer ceux
qui existent, pouvant aussi mobiliser une perspective tout
simplement spécifique du maintien de la santé : investir des
renforcements largement indépendants des troubles et des
infirmités, développant une histoire conservant son originalité.
Que cette histoire des attitudes préventives s’impose ne fait
aucun doute : le vaccin est une démarche plus contemporaine
que le recours aux élixirs, comme les mesures de désinfection
chimiques et épidémiques sont plus contemporaines que les
feux médiévaux déclenchés contre le « venin de l’air ».
L’ensemble d’une culture est présente dans cette manière dont
le mal est profilé et prévenu. Les différences temporelles sont
à cet égard aussi révélatrices que contextualisées :
l’antiseptique est plus « moderne » que l’amulette protectrice,
la prise de tension sanguine plus moderne que la saignée, la
surveillance du cholestérol plus moderne que l’attention aux
couleurs du teint. Chacune de ces démarches, de la plus
modeste à la plus marquante, confirme l’existence ancienne
d’une défense du corps et d’une prévision du mal, chacune
d’entre elles aussi suggère des recompositions et des
renouvellements. Nombre de ces changements sont d’ailleurs
d’emblée sensibles et prévisibles, faisant place à des
investissements toujours plus collectifs, à des objets de risque
toujours plus variés, à des stratégies temporelles toujours plus
élaborées. Ils ne sauraient pourtant se restreindre à une
complexité progressive, les pratiques sanitaires réorientant
leurs logiques et leurs légitimités, concrétisant des ruptures et
des discontinuités : la saignée préventive, celle dite de
« précaution » à la Cour du Grand roi et le recours préventif à
l’usage du froid, grand air, bain frais ou vêtement léger, dans
la France des Lumières appartiennent à deux univers
différents. Ces changements sont encore inévitablement liés à
ceux des représentations du corps comme à ceux des
représentations sociales du malheur ou du danger : prévoir
mobilise, avec leur contexte, les plus diversifiés des outils
mentaux.
Cette histoire, autant le dire, n’est pas faite. Demeurée celle
de la maladie plutôt que celle de son évitement, préoccupée
davantage de thérapeutique que de prévention, elle s’est
cantonnée à la pratique soignante, celle des gestes les plus
spectaculaires visant à réduire le mal. Le présent livre tente, en
revanche, l’histoire des pratiques de prévision et d’entretien du
corps, celle du maintien de la santé dans les aléas de la vie.
C’est pour mieux souligner ce projet d’investigation des
pratiques sanitaires qu’il est apparu plus pertinent de changer
le titre de l’ouvrage par rapport à celui de l’édition précédente.
Histoire des pratiques de santé souligne davantage le
programme auquel ce livre a obéi : suivre les manières
différentes dont notre culture a cru, dans le temps, devoir et
pouvoir préserver le corps.
Introduction
L’eau minérale est un vecteur de santé. Elle élimine toxines
et déchets. La publicité l’affirme. Les médecins ne le
contredisent pas. L’image de cette eau filtrant les organes se
décline aujourd’hui jusqu’à la banalité. Il faut « éliminer ». Le
thème est moderne, relayé par les références de la biochimie.
Mais le thème est traditionnel aussi. Rien de plus ancien que
les pratiques d’épurement : celles des étuves médiévales, des
saignées, des vieux élixirs dont l’action devait chasser les
humeurs viciées.
Un premier constat s’impose : l’entretien du corps ou,
même, l’attitude préventive envers le mal n’ont pas été
inventés par le monde contemporain. Innombrables sont les
démarches anciennes visant à activer les organes, à les
préserver de toute atteinte extérieure. Un second constat aussi :
celui d’une survivance de grands repères ; la volonté
d’épurement, par exemple, traverse le temps, habitée par la
crainte des déchets, ceux qui menacent le corps de quelque
inexorable décomposition. Les images de force aussi
traversent le temps : celle, toute immédiate, apportée par la
nourriture ou les boissons ; celle, plus travaillée, apportée par
l’exercice, le régime de vie ou la pharmacopée. Force et
épurement : deux principes qui, depuis longtemps,
commandent l’entretien du corps.
D’obscures continuités demeurent, bien sûr : quelques
superstitieux d’aujourd’hui ne désavoueraient pas l’histoire de
ce roi médiéval convaincu d’éloigner les épidémies grâce à la
clarté de son saphir, bague toute particulière, « aimant » si fort
la pureté qu’elle menaçait de se briser quand le seigneur « était
aux prises amoureuses avec sa femme 1 ». Les différences,
pourtant, sont déterminantes malgré la proximité de certaines
images : l’insistance sur la saignée préventive, par exemple,
décisive encore dans la Castille de Gil Blas de Santiliane 2, au
début du XVIIIe siècle, est largement invalidée dans les
décennies suivantes. La saignée n’est plus démarche
d’entretien à la fin du XVIIIe siècle. La perte de sang apparaît
inutile, dangereuse. Les « éléments » à éliminer changent de
statut, alors même que leur présence est plus pressante, plus
constante. Un travail sur le sensible s’opère, visant des objets
toujours plus infimes : sécrétions discrètes, rejets cachés. Un
travail sur le danger s’opère aussi, visant de nouveaux risques
avec les toxines, microbes ou impuretés infectieuses. C’est au
sein même du projet d’« épurer » que, dans la longue durée,
changent, du tout au tout, attentes et objets. Ce sont ces lignes
imaginaires qu’il faut reconstituer.
Histoire dispersée, enfin, hétérogène, que cette histoire de
l’entretien du corps, tant sont différentes les pratiques qu’elle
prend en compte, tant sont variées, émiettées, les inquiétudes
qu’elle retient. Les préceptes traditionnels sur les moyens de
prolonger la vie sont largement sensibles au détail, soulignant
quelquefois jusqu’à la minutie mille gestes apparemment sans
relation entre eux choix des aliments, surveillance des odeurs,
des ans, des climats, remarques sur les attitudes durant le
sommeil, curiosité sur les effets du chaud, du froid, des
éternuements ou même des bâillements. Le risque sanitaire a
le visage de la dispersion, celui du décousu, sinon de
l’incohérence. La représentation du corps, pourtant, offre un
thème de convergence, l’occasion d’unifier le sens de ces actes
nettement séparés. Déterminante, par exemple, est la
différence entre le corps des préservations médiévales,
totalement dépendant des forces cosmiques, habité par les
signes du zodiaque, immergé dans le cycle des planètes ou
celui des saisons, et le corps des protections « classiques »,
soumis aux mécaniques, façonné par les analogies physiques
et machiniques, jusqu’à l’artifice. Différent encore, le corps
des défenses énergétiques, celui du XIXe siècle, unité
organique d’autant plus efficace et protégée qu’elle dispose de
ressource calorique pour l’animer et de puissance nerveuse
pour la contrôler. Il faut ce principe nouveau de rentabilité
« combustive », au milieu du XIXe siècle, pour que soient
aussitôt réorientées les valeurs données à la nourriture, aux
boissons, à l’air respiré, au travail, au repos, à la propreté d’un
corps censé laisser pénétrer l’oxygène par la peau. C’est bien
de rupture dans le temps qu’il s’agit ici. L’histoire rejoint alors
celles des modèles du corps, auxquelles les principes de
résistance et d’efficacité organiques se sont successivement
référés.
Impossible, bien sûr, de suivre cette histoire sans la
confronter à celle des organisations, et plus encore à celle des
politiques sanitaires. L’intervention des communautés pèse sur
les conduites de chacun. L’État monarchique, par exemple,
avec son renforcement moderne, accumule les interventions
sur les gestes préservateurs. Les règlements imposés aux villes
ont contribué à l’éloignement des pestes, au XVIIe siècle, tout
en renouvelant les inquiétudes et les investissements collectifs.
Exactement comme l’organisation du travail, à partir de la fin
du XVIIIe siècle, la tentative de le rendre plus régulier, plus
assuré, transforme les surveillances individuelles.
Partiellement, au moins, l’entretien du corps semble promu par
la gestion des cités. Il en est aussi une des conditions. Il
accompagne, du coup, le développement des grands mythes
communautaires, celui des références obscures à l’unité du
groupe, avec leurs croyances et leurs tensions.
Jamais cette solidarité communautaire n’a semblé plus
élaborée qu’aujourd’hui : investissements étatiques dans la
recherche, sophistication des stratégies préventives, extension
d’une sécurité sociale lentement et laborieusement acquise.
Mais jamais non plus ce dernier échafaudage solidariste n’a
semblé plus menacé : fin de l’État-Providence, sentiment
grandissant (fût-il quelquefois subjectif) de risques sanitaires
mal contrôlés, croissance quasi sauvage d’un marché de la
santé, définition plus personnalisée des critères de santé. Le
corps social et le corps individuel semblent alors plus
fortement confrontés.
L’histoire de l’entretien du corps, c’est bien, et en premier
lieu, celle d’une conquête individuelle, la lente précision de
cette santé que Georges Canguilhem a montré devenant
« relativiste et individualiste 3 », un approfondissement de
l’autonomie, sinon de l’intimité. C’est aussi celle d’un
engagement collectif. Une histoire qui devient alors celle de
l’ajustement toujours difficile entre la politique sanitaire et les
exigences privées. Ajustement d’autant plus exigeant
aujourd’hui que les vieilles solidarités autoritaires ne sauraient
plus guère avoir cours.
Cette histoire se doit ainsi de suivre les transformations
conjointes de l’imaginaire du corps et de l’imaginaire du
groupe.
PREMIÈRE PARTIE

OBÉIR AU COSMOS
XIIIe-XVIe SIÈCLE
CHAPITRE I

La force des contacts


Légende, bien sûr, que celle de cette héritière mourante,
isolée dans l’ultime château de La Quête du Graal, au XIIIe
siècle, mais brusquement soignée de sa lèpre par un sang très
« pur 4 » : celui tiré d’une pucelle passant près du château,
faite prisonnière avant d’être longuement saignée ; le liquide
virginal efface les pourritures et les plaies par son seul contact.
La scène appartient au mythe et moins à la médecine. Elle
s’apparente même au miracle. Mais elle révèle deux principes
médiévaux fixant l’efficacité curative de certains objets. Leur
pureté d’abord, qualité toute imprégnée d’imaginaire et, dans
ce cas précis, de morale ; issue d’un art des analogies, d’une
recherche où dominent les ressemblances et les comparaisons.
Le second principe est celui du contact : le sang de la pucelle
répandu sur la peau agit par contiguïté, comme le font, avec
plus de force quelquefois encore, amulettes, pendentifs ou
joyaux, portés pour communiquer leur vertu « purifiante ».
Les mêmes principes demeurent lorsqu’il s’agit non plus
seulement de soigner, mais de protéger : l’ambition préventive,
ici encore, est d’éloigner tout contact impur ; l’inquiétude
majeure, réitérante au point d’apparaître unique, est celle des
pourritures internes.
1. Un mal exemplaire
La lèpre confirme, jusqu’à l’évidence visuelle, les
équivalences entre la maladie et le cadavre dans le monde
médiéval ; chairs dégradées, déformation des traits,
suintements. La décomposition n’est plus seulement ici le
mécanisme secret du mal, sa lente progression dans l’obscurité
des organes ; elle en est encore le versant ostensible, sa mise
en scène monstrueuse. Comme le montrent les lépreux pressés
autour du bûcher d’Yseult, dans le roman du XIIe siècle,
méconnaissables et putréfiés : « Cent lépreux, déformés, la
chair rongée et toute blanchâtre, accourus sur leurs béquilles
au claquement des crécelles…, leurs paupières enflées, leurs
yeux sanglants…, leurs haillons collés aux plaies qui
suintent 5. » Hommes informes et déjà sans visage. La lèpre
est d’autant plus redoutée qu’elle rend la pourriture visible.
D’un mal repérable au mal obscur
La transmission du mal semble identifiée : attribuée au
contact, à la proximité, diffusion toujours tragique. C’est la
décomposition qui se communique d’un corps à l’autre par un
mécanisme confus mais implacable : un mal venu des
« humeurs pourries 6 », pour Arnaud de Villeneuve, ou venu
du « fumet malin 7 », pour Constantin l’Africain ; un mal
rendant la proximité du malade alarmante, comme ses entours,
son contact. D’où la crainte du toucher, celle du souffle aussi,
et le rejet social qui en résulte : « À cause de cela, il faut
séparer les lépreux des autres hommes pour qu’ils ne
corrompent pas l’air et rendent lépreux les personnes
saines 8. » Se préserver, dans ce cas, c’est rejeter le malade :
l’éloignement physique joue avec l’impureté. Le rituel de la
proscription est même un rituel d’enterrement. La coutume
règle la scène comme une disparition physique et religieuse :
messe des morts, geste du curé prenant de la terre du cimetière
avant de la jeter par trois fois sur la tête du ladre, avec une
« pèle en la main », paroles rituelles, enfin, codifiant la
« séparation » : « Mon amy c’est signe que tu es mort quant au
monde, et pour ce ayes patience à toi… 9 » Plus que toute
autre maladie du Moyen Âge, la lèpre convainc que le mal est
pourriture cadavérique.
La préservation conduit à un total refoulement du malade, à
son isolement aux confins. Non que l’exclusion soit réussie, ou
absolue. Le règlement de la léproserie de Lille, en 1239,
interdit aux lépreux l’accès à la ville, tout en leur autorisant
l’accès aux campagnes, à condition de n’entrer dans aucune
maison 10. Le règlement de la léproserie de Périgueux, en
1217, autorise même la traversée de la ville, à condition de ne
pas y séjourner 11. D’où les litiges, les incidents : une
répétition de plaintes, aux XIIe et XIIIe siècles, à l’égard de
« lépreux errants, ivrognes et luxurieux, qui vont de tous côtés,
de localités en localités, de places publiques en places
publiques 12 ». La crécelle avertit du passage, et la crainte
focalise bien d’autres maux que le seul délabrement physique.
La lèpre éloigne et même relègue sans pouvoir totalement
isoler. C’est ce mal pourtant qui déclenche la seule mesure
d’hygiène publique au XIIIe siècle.
Plus confuses sont les autres maladies médiévales, « fièvres
putrides » ou « malignes », « catarrhes », « morve », « flux du
ventre ». Leur possible origine contagieuse, leurs formes, leurs
différences entre elles, restent peu décrites et, surtout, peu
catégorisées. L’univers pathologique de Montaillou, à la fin du
XIIIe siècle, en est le meilleur exemple : lorsque le berger
Bernard Marty rend visite aux nobles frères de Castels, au tout
début de la décennie 1300, il les trouve tous les quatre au lit ;
il décrit la mort rapide de trois d’entre eux, y associant, au
même moment, la mort d’autres encore, sans qu’il évoque
jamais quelque éventuelle épidémie. Marty ne lie pas ces
maux entre eux. Il ne s’en protège pas directement. Pas plus,
d’ailleurs, que ne le fait Arnaud Teisseire, médecin le plus
voisin de Montaillou, installé à Lordat où il concilie une
activité de notaire avec celle de praticien 13. Peu de démarches
prévisionnelles, ici, et moins encore dans les villages plus
démunis : la lutte contre la mort devenue « inutile » par excès
de dénuement.
L’analogie du cadavre
Quelques démarches de préservation existent pourtant,
cahotiques, dispersées. Une image dominante les engendre : le
rapprochement avec le cadavre, la transposition de la
charogne. Il s’agit du repère le plus tangible, le plus simple
aussi, pour donner une forme saisissable à la réalité souvent
invisible et secrète du mal. Toutes les pourritures, dans ce cas,
alimentent l’analogie : le mal s’étend comme les moisissures ;
il gagne comme gagne le croupissement des eaux dormantes ;
il grandit comme font les gangrènes ou l’altération des marais.
Il déclenche un malaise sur le contact, sur la proximité, celle
qui peut transmettre de proche en proche une incontrôlable
corruption.
L’image est archaïque dans la culture occidentale. Les
scènes de La Légende dorée, au XIIIe siècle, sont parmi les
plus révélatrices, figurant la maladie en vermine grouillante,
multipliant les tableaux de larves et de vers. Une façon pour
Jacques de Voragine, l’évêque de Gênes, l’auteur de la
Légende, de rendre visible l’intervention céleste : Dieu
orchestre ses sanctions en les signalant aux yeux de tous par
un grouillement d’animalcules. Mais une façon aussi de
désigner la maladie, en suggérant une amorce d’explication, en
indiquant une causalité organique : l’analogie du cadavre
rongé de vermine fait mieux comprendre l’action du mal lui-
même. Comme pour la guérison de Vespasien, évoquée encore
par Voragine : « Aussitôt les vers lui sortirent du nez et il
retrouva la santé 14 ». « Ou la lente mort d’Hérode, le corps
d’autant plus meurtri que les vermisseaux l’envahissent,
innombrables, foisonnants, traversant et occupant les chairs,
transformant les organes en plaies immondes 15.
Jusqu’aux figurations symboliques, enfin, évoquées par
l’apologue d’un prédicateur allemand, au XIIIe siècle : le
portrait d’un bel enfant dont le dos est couvert de vers et de
crapauds paraît en songe à une femme ayant négligé la
confession ; le prédicateur explique qu’elle est comparable à
cet enfant pour avoir omis l’aveu de ses fautes : « Vivante d’un
côté, elle est déjà cadavre et pourriture de l’autre 16. »
Culpabilisation banale, dénuée de surprise, mais qui suggère la
représentation traditionnelle de la maladie : la présence de la
décomposition dans la vie même, ce mixte entre la « pureté »
du vif et la « gangrène » du mort ; la putréfaction devenue
registre unique où se décline le mal. Le repère est le même
dans la culture et la médecine arabes médiévales. Rhazes
n’expose-t-il pas des quartiers de viande aux différents
endroits de la ville, lorsqu’il est chargé par l’émir Adud ad
Dawla de reconstruire l’hôpital de Bagdad, au Xe siècle ? « Là
ou la décomposition était la plus lente, le lieu était le plus sain
et la fondation ainsi désignée 17. » La pourriture seule dit le
mal.
Est-ce absence de chimie, est-ce absence d’outil mental
pour pénétrer la structure de l’organique ? La représentation,
en tout cas, est ici livrée aux analogies les plus familières, aux
correspondances entre les sensations les plus quotidiennes : les
odeurs, les images. Les comparaisons sont fondées sur
l’expérience sensible, celle des chairs défaites : une façon de
fournir un objet à l’inquiétude, rendre compréhensible un mal
le plus souvent caché dans l’obscurité du corps. Autant de
rapprochements qui, à partir du putride et de ses images
d’organes définitivement vaincus par la maladie, orchestrent
l’évitement du mal.
L’impact de ces images toutes prosaïques fait mieux
comprendre les régimes médiévaux. Le souci premier est
d’éloigner les risques de décomposition, éviter l’entrée de la
pourriture dans le corps comme éviter sa naissance dans les
entrailles.
Les humeurs font le corps
Les représentations corporelles elles-mêmes se prêtent à de
telles craintes. Le corps est fait de substances éminemment
corruptibles, celles que tout incident rend immédiatement
visibles, émergeant des ouvertures ou des incisions les plus
discrètes : ce sont les humeurs, ces liqueurs fuyant aux
moindres blessures, présentes dans la salive, le pus, les
excrétions variées. Liquides mêlés, venus de l’assimilation des
aliments, ces humeurs imprègnent l’ensemble des organes,
infiltrent leurs espaces, occupent leurs cavités. Elles donnent
au corps consistance et couleur. Elles en sont le « principal
commencement 18 », restaurant les puretés, déclenchant les
décompositions. Leurs errances, leurs détériorations, font les
maladies. Leurs accidents font les symptômes. Tels sont les
catarrhes, celui qu’observe Volesce de Tarente, en 1387, à
Montpellier : « Si général qu’à peine la dixième partie de la
population en fut exempte ; tous les vieillards moururent 19. »
Tels sont les « flux de ventre », celui qui emporte Saint Louis,
devant Carthage en 1270, décrit par Joinville, brusquement
conscient que le roi devait « par tens trépasser 20 ». Tel est
encore ce « sang de mauvaise odeur », dont parle Barthélemy
l’Anglais, qui y voit le signe et la source de « merveilleuse
maladie 21 ».
Rien d’étrange, pourtant, dans ces avatars humides : les
humeurs n’ont d’autres modèles que les liquides familiers.
Elles traversent les mêmes « figures » ; elles se modifient
comme le font les eaux domestiques ou les fluides naturels :
lourdes ou légères, troubles ou claires, selon les lieux du corps,
selon les tempéraments ou les moments de l’année, elles
peuvent encore devenir instables et mobiles, jusqu’à
s’évaporer en invisibles nuages. D’où ces règles intuitives
pour mieux les « diriger ».
D’où encore l’urgence de surveiller ou d’accroître les
écoulements pour mieux favoriser les épurements. Le corps
protégé n’est-il pas un corps épuré ? Les médecins de
Charles V entretiennent durant de longues années une fistule à
son bras pour que puissent s’y échapper humeurs et « venins »
malsains 22. La mort du roi, en 1380, aurait d’ailleurs été
provoquée par la cessation de ce flux et par l’accumulation de
corruptions qu’elle aurait entraînée. Nombreuses sont les
correspondances entre ces écoulements possibles, l’un pouvant
se substituer à l’autre : les hémorroïdes de Louis XI, par
exemple, deviennent un gage de « longue vie », présentées à
Christophe de Bollale, l’ambassadeur milanais en 1473,
comme une force plus que comme un danger 23. L’acte
vénérien, de même, peut jouer avec les humeurs : « Il résout
une mauvaise condition du corps et calme la fureur, il est utile
aux mélancoliques, ramène les déments à la raison et supprime
la concupiscence amoureuse, même s’il est pratiqué avec une
autre femme que celle désirée 24. » Insistance constante, enfin,
sur les gestes d’évacuation naturelle, un des outils
« immédiats » du régime médiéval : « L’homme ne doit pas
longuement retenir son urine 25 », de même qu’il ne saurait
« retenir ses vents 26 ».
Les saignées, aussi, ont une place particulière dans ces
siècles centraux du Moyen Âge : la pratique doit décharger, en
le contrôlant, le surplus d’humeurs accumulées. Le geste est
suffisamment installé pour être objet de conventions dans les
institutions : les règlements des monastères médiévaux, ceux
des hôtels-Dieu, ceux des collèges aussi, outre les traités de
santé, le prennent explicitement en compte. Les statuts
élaborés par Robert d’Harcourt pour le collège qui porte son
nom, en 1311, mentionnent, par exemple, l’état de fatigue des
élèves saignés, les autorisant à prendre leur nourriture « dans
leur chambre avec un ou deux condisciples 27 ». Indication
banale, bien sûr, si elle ne révélait qu’il s’agit ici d’une
situation délibérée, envisagée indépendamment de toute
maladie, décidée pour le seul entretien du corps. Les élèves se
saignent par précaution. À quoi s’ajoute, dans plusieurs
règlements, la précision d’une fréquence annuelle : 6 saignées
par an pour les sœurs et les frères de l’hôtel-Dieu Contesse à
Lille, en 1250 28 ; 6 également à l’hôtel-Dieu de Vernon et à
celui de Pontoise, vers la fin du XIIIe siècle 29 ; 5 à la
congrégation de Saint-Victor évoquée par Martène 30 ; mais 3
seulement pour les lavandières de l’Hôtel-Dieu parisien, au
XIVe siècle 31. Différence de statut social, sans aucun doute,
faveur traduite immédiatement par le nombre de saignées
accordées : les lavandières n’ont pas le statut des frères et des
sœurs.
Plus obscures restent les conditions concrètes de ce geste
sur le sang : le recueil de l’abbaye de Saint-Victor recense, au
XIIIe siècle, 23 points d’incision possibles 32 : les veines du
cou, des tempes et du front, outre les emplacements des
jambes et des bras. Qu’importe si l’intervention est visible. La
curiosité s’attarde peu ici au sang coulant sur le visage.
Une autre pratique de défense tient une place déterminante,
irremplaçable, plus révélatrice encore des sensibilités et des
savoirs du XIIIe siècle : le port d’objets protecteurs, le
placement sur soi de matières éloignant les décompositions ;
ensemble d’anneaux, de pierres, de joyaux suspendus, censés
agir par la seule présence de leur brillance ou de leur clarté.
L’épurement commande alors le choix des matériaux.
2. Les joyaux de santé
L’exemple fréquemment répété, au XIIIᵉ siècle, de Galien
portant une pierre de jaspe « sur la bouche de l’estomac »,
chargée de « conforter » la digestion, confirme l’importance de
la pratique 33. C’est la matière, sa substance minérale, qui
transmet comme par mimétisme ses qualités propres. Pierres et
métaux rares, avec leur trame, leur consistance inaltérable et
dure, leur éclat, protègent d’autant mieux qu’ils sont purs.
Quelques-uns d’entre eux communiquent même l’essence
du soleil d’Orient dont ils sont nés : « C’est en Orient, dans
des pays où l’ardeur du soleil est très vive, que naissent les
gemmes et les pierres précieuses 34. » D’autres encore sont si
purs qu’ils possèdent l’odeur des aromates, comme cette
variété d’agate au parfum de myrrhe évoquée dans le lapidaire
de Marbode 35.
Le joyau protège doublement : en éloignant les « pourritures
externes », en empêchant le développement de « pourritures
internes ». Il illustre la pureté exploitée dans sa version la plus
sensible : un contact chargé de diffuser les vertus de l’objet
choisi, contact d’autant plus précieux qu’il assure une défense
définitive. La pierre garantit contre toute surprise. Assurance
de tout instant, elle évite même l’interrogation sur la nature du
mal. D’où l’importance de ces pendentifs précieux, la mention
régulière de certains d’entre eux, explicitement évoqués dans
les inventaires, comme celui du duc de Berry, en 1410 : deux
pierres portées « contre le venin », jointes à une perle
« pendant à une chaienne d’or 36 », que consignent
scrupuleusement les longs registres du frère de Charles V.
Même usage à la cour de Provence, quelques décennies plus
tard : les « pierres contre l’épidémie » recensées dans les
inventaires du roi René au XVe siècle 37. Même usage encore
avec les « languiers » de pierres précieuses plongés dans les
coupes pour protéger du venin 38. D’où ces traités de
lapidaire, jugés indispensables aux savoirs du temps,
différenciant 39 les pierres, leurs origines, s’étendant sur leurs
signes et sur leur valeur protectrice 40. Objets portés en sautoir
ou enchâssés sur l’habit, permettant une défense hétéroclite,
constante, ils apportent une « quintessence », une pureté, qui
s’opposent à toute corruption possible. L’assentiment est
général, suffisamment profond pour être adopté jusque dans le
secret des monastères : à l’hôtel-Dieu de Troyes, par exemple,
en 1263, où « nulle religieuse ne doit porter anneaux ni pierres
précieuses, si ce n’est pour cause de maladie 41 ». L’église
elle-même légitime l’existence de ces forces invisibles et
« naturelles ».
Le joyau défensif est à la mesure de la confusion des maux,
protégeant d’autant mieux que semblent innombrables les
désordres possibles.
Le contact préservateur
Que ne préviennent-ils pas, ces objets de parure ! Le but est
multiforme, foisonnant. Les pierres des lapidaires du XIIIe
siècle préservent des menaces de maux physiques autant que
des « approches de l’ennemi 42 » ; elles fortifient le cœur
autant qu’elles « mettent amour entre homme et femme 43 » ;
elles ont des effets corporels autant que des effets moraux.
Elles permettent « de vaincre tous les périls 44 », comme
l’agate dont le Grand Albert souligne la régularité et la
délicatesse de veines ; ou ces chrysoprases et onyx, enjeux de
longs combats, dans un conte silésien du XIIIe siècle,
protégeant de l’eau, du feu, préservant « quiconque les porte
en tournoi 45 », tout en repoussant infirmités et maladies.
Mélusine, dans le roman de Jean d’Arras au XIVe siècle,
illustre la variété de ces repères. Elle donne à ses enfants
embarquant à La Rochelle, dans leur expédition de
Famagouste pour affronter les « infidèles Sarrazins », deux
bagues, deux joyaux chargés de prévenir les maux physiques,
mais aussi d’assurer la victoire dans les combats, et même de
protéger contre les « enchantements 46 ».
Plus profondément, ces attentes disparates révèlent le statut
encore peu spécifique de la maladie, au XIIIe siècle : infirmités
ou désespoirs sont mêlés dans la même démarche de défense
générique : les atteintes naturelles sont rarement distinguées
des atteintes non naturelles, les désordres venus de causes
physiques de ceux venus de causes occultes. Les maladies
gardent plusieurs origines entrecroisées ; de l’accident
organique au « décret » divin, de l’affaiblissement des chairs à
l’ensorcellement humain. Le monde reste habité de forces
encore amalgamées, plurielles. C’est bien à elles que le joyau
est censé répondre.
Non que la maladie n’ait pas toujours de repères propres ;
plusieurs maux physiques, on l’a dit, sont distingués. Mais ce
recours aux pierres révèle combien cette distinction comporte
de zones d’ombre. Le joyau tolère une marge d’imprécision
dans la définition du mal tout en éloignant l’inquiétude à son
égard.
Ces objets rares, souvent coûteux, ont des équivalents plus
modestes : dents ou cornes innombrables, os portés en sautoir,
dissimulés ou visibles sur les habits des plus humbles.
Monteux, au XVIe siècle encore, conseille de préserver les
« petits enfants » en suspendant à leur cou dents de lièvres et
dents de chiens, dents de loups, dents de dauphins 47. Il évoque
les ivoires, les débris émaillés, concrétions dégrossies, toutes
substances qui dotent la pureté d’une particularité
supplémentaire. C’est que ces vestiges osseux ne sont pas
simples objets inertes. Ils gardent un rapport particulier avec le
vivant. Ils sont à la fois « dans » la vie et « au-delà ». Venus de
la vie, ils sont imputrescibles, ils entretiennent l’inaltérable
dans le corps même, transposant les chairs hors du temps.
Les pierres et les métaux aussi sont, au Moyen Âge,
supposés issus de l’organique. Ne sont-ils pas engendrés par la
terre, corps présumé vivant ? Les textes de Pline,
régulièrement repris, propagent l’image des veines et des
fibres précieuses traversant la terre comme les vaisseaux d’un
immense animal 48. C’est la perception toute réaliste des
premiers mineurs suivant les filons minéraux dans les
entrailles terrestres. Avec des représentations souvent
précises : tel cet arbre d’or, né du centre de la planète, alimenté
par ses liqueurs, réchauffé par son feu, et déployant ses
branches jusqu’à la surface, mêlé aux autres plantes et aux
autres métaux ; un arbre croissant toujours, multipliant et
étendant ses ramifications, pour fournir, dans les veines
mêmes du sol, un métal sans équivalent ; une matière quasi
vivante 49 : depuis Théophraste, il est d’ailleurs entendu que
pierres et métaux ont un sexe, exactement comme les corps
vivants 50.
Les reliques médiévales, malgré leur histoire bien
différente, appartiennent à la même catégorie d’objets.
Vestiges organiques réputés imputrescibles, elles protègent des
désagrégations physiques et de leurs conséquences. La relique
de saint Thomas Becket, au XIIe siècle, fait barrage aux
maladies, aux accidents, aux sorts. Elle repousse les flammes
devant lesquelles un homme de Rochester prétend l’avoir
brandie. Elle transmet le pouvoir du saint à son tombeau, aux
objets proches, à l’eau s’écoulant de la sépulture. Ce qui rend
cette « eau de saint Thomas Becket 51 » aussi précieuse que les
fragments du sol qui l’entourent. Le contact reste objet
premier d’attention. D’où ces associations entre l’action toute
physique des matériaux purs, et l’action plus surnaturelle des
objets sacrés.
Le corps des saints, leurs dépouilles surtout, sont
transfigurés en objets purs. Certains de ces objets apportent
une matière cristalline, comme cette « larme du Seigneur 52 »
versée sur Lazare, conservée en l’abbaye Saint-Pierre-lès-
Selincourt au diocèse d’Amiens, à la fin du XIIIe siècle.
D’autres apportent une pureté plus travaillée, plus édifiante,
totalement recomposée par le sacré. La Légende dorée
multiplie les exemples de suavités issues des cadavres de
martyrs, dépouilles toujours protectrices : saint André, entre
autres, dont le tombeau sécrète une « huile odorante 53 »,
pieusement recueillie ; ou saint Marc, dont le corps transporté
d’Alexandrie à Venise, en 468, répand un intense parfum par
toute la ville 54.
Le saint inverse en pureté ce qui est généralement perçu
comme pourriture. Il transpose tous les éléments des
décompositions en leur opposé. D’où la tradition de vertus
préservatrices attribuées au crachat de saint François, ou à
l’« ordure de ses mains et de ses pieds 55 ». L’immortalité
céleste du personnage sacré a transfiguré sa part humaine. Le
déchet s’y est métamorphosé ; d’autant plus précieux qu’il
incarne l’exemple d’une mort détournée, annulée.
Les valeurs du sacré sont alors, en toute légitimité, associées
à la pureté des matières : reliques entourées d’or ou de pierres
précieuses, sacralisation des minéraux. Le rite royal des
anneaux protecteurs, dans l’Angleterre du XIVe siècle,
multiplie les exemples de convergence. Édouard II offre, le
Vendredi Saint, sur l’autel de la cathédrale, une certaine
quantité d’or et d’argent. Le don comprend les monnaies
jugées les plus nobles, les plus parfaites. Le roi les « rachète »
ensuite avec des espèces plus communes déposées en échange.
Ce sont ces substances retrouvées, rehaussées d’une double
sacralisation, royale et divine, qui servent à fabriquer les
anneaux protecteurs, objets « a doner pour médecine à divers
gentz 56 ». Leur matière est censée mêler toutes les puretés
comme toutes les protections.
Poudres de perles et liqueurs d’or
L’action des métaux et minéraux précieux ne se limite pas,
pour le Moyen Âge, au seul contact physique. Ils subissent des
traitements, ils sont travaillés. Pilés, pulvérisés, ces objets
entrent dans la composition de liqueurs ou potions de santé. Ils
multiplient alors les effets purificateurs : c’est l’hématite qu’un
lapidaire du XIIe siècle mélange au jus de grenade pour
prévenir la « bouche sanglante et écumeuse 57 », ou la topaze
qu’Hildegarde de Bingen laisse longuement macérer dans du
vin pour agir sur les « gangrènes à l’intérieur du corps 58 » ou
le saphir encore qu’Hildegarde mêle à la salive et aux vapeurs
du vin pour « assainir l’estomac 59 ». Les élixirs de vie
peuvent être faits de joyaux. Isabeau de Bavière recourt aux
pierres, en 1420, pour prévenir un vieillissement ou un
affaiblissement déjà sensibles : des perles d’Orient
minutieusement pilées, jointes à des émeraudes, rubis
d’Alexandrie et jacinthes ; un lot acheté, très explicitement,
« pour la santé de la reine 60 ». Ingrédients quelquefois
retrouvés chez des usagers plus modestes : Laplane en repère
la trace dans des officines de Sisteron, aux XIIIe et XIVe
siècles, auxquels s’ajoutent d’hétéroclites pulvérisations de
cornes 61.
Mais l’ingrédient par excellence est l’or, signe extrême de
pureté. Un « ducat d’or » a préalablement bouilli dans la
potion d’Isabeau 62. De la « poudre d’or » est recommandée
par un traité de cuisine du XIVe siècle, pour « conforter » les
convives 63. Un mélange d’or, enfin, est à la base du baume
dont Olivier tire sa force pour affronter les Sarrasins dans le
roman de Fierabras, au XIIIe siècle. Un baume protecteur,
rendant « sain et sauf » ; si précieux qu’il vaut, avec ses barils,
l’or de « quarante cités 64 » ; si efficace qu’il rend Olivier
invincible au combat, déclenchant à lui seul la victoire.
Ce traitement de l’or n’est pas sans danger pourtant. Il
entraîne quelques pratiques confuses, le côtoiement de
l’alchimie, le maniement de mélanges occultes. Il provoque
plusieurs accidents : Thomas de Bologne, astrologue privé de
Charles VI, est inquiété en 1384 à la suite d’un élixir de vie
aux effets désastreux sur la santé de plusieurs princes.
L’arbitrage de Bernard de Trévise, savant incontesté et
diligemment consulté, ne peut éviter la relégation de
Thomas 65.
La liqueur d’or n’en reste pas moins, au Moyen Âge, le
gage le plus assuré de la pureté. En 1480, ce sont encore « 96
écus d’or vieil 66 » qui sont fondus par les apothicaires de
Louis XI, pour « certain breuvage appelé aurum potabile, à lui
ordonné pour médecine 67 ». Breuvage rectifié après plusieurs
distillations dont la formule reste secrète. La démarche
mobilise suffisamment de temps pour que son inventeur,
l’Italien Férault de Bonnel, puisse demander et obtenir auprès
de lui la présence de sa femme, spécialement dépêchée du
Piémont pour l’assister. Le métal solaire garde un prestige
longtemps dominant, cumulant rareté et pureté.
3. Épices et aromates
Aux substances dont la pureté est suggérée par le toucher et
le regard s’ajoutent, pour le Moyen Âge, celles dont la pureté
est suggérée par le goût et l’odorat. La qualité des objets ou
des produits protecteurs tient alors aux sensations « brutes »
qu’ils provoquent. Leur valeur est immergée dans du sensible.
Les impressions immédiates suggèrent et orientent.
Il s’agit d’une première « figure » dans les pratiques de
protection, une première logique : une confiance spontanée
dans le message des sens. La pureté préservatrice se voit, se
touche, se respire. Du coup, épices et parfums s’imposent par
l’agrément de leur saveur ou de leur odeur. Le bon goût
pourrait-il tromper ? L’effluve agréable pourrait-il trahir ?
Les épices et l’épurement
La valeur des épices concerne, au Moyen Âge, une pluralité
d’opérations : à leur arôme n’ajoutent-elles pas une action
particulière sur les chairs ? Leurs effets ne s’opposent-ils pas
aux décompositions ? C’est ce que suggèrent toutes les
Passions de Notre Seigneur du théâtre médiéval : Madeleine
s’adresse aux « épiciers » pour « oindre le corps du Christ 68 »,
afin de mieux le protéger ; elle marchande myrrhe, aloès ou
gingembre ; elle les mélange avant d’en user comme d’un
baume. Cette défense des chairs influence jusqu’à l’image de
la nourriture : absorber des épices, c’est écarter la pourriture,
éloigner la présence de la mort dans la vie. Barthélemy
l’Anglais le dit très concrètement malgré ses termes
exotiques : « Le poivre fait éternuer et purge le cerveau des
superfluités fleumatiques et mange la mauvaise chair et nettoie
les membres spirituels des superfluités roides et glueuses 69. »
Manger de l’ail a le même effet : « L’ail divise les grasses
humeurs et les déjette 70. » L’action des épices est double : elle
aère les humeurs, elle les évacue.
D’autres condiments, comme le sel, jouent par leur goût un
rôle proche : « lyesse et délectation de nostre vie 71 », denrée
d’autant plus précieuse qu’elle « a vertu à degaster et à
nectoyer les humeurs qui sont pourries 72 », le sel mêle l’effet
gustatif à l’action sur les chairs dont salaisons de gibiers ou de
poissons sont les exemples les plus visibles. La denrée est
jugée si précieuse qu’un décret du début du XIIIe siècle
impose à tout navire revenant vers Venise la nécessité de
porter une certaine quantité de sel 73. Cette valeur largement
admise conduit Charles d’Anjou à instituer, pour la première
fois, le monopole étatique du sel dans la Provence de la
seconde moitié du XIIIe siècle 74.
Le sel a même un effet plus troublant : le prêtre médiéval
l’utilise pour que, « le diable mis en fuite, vienne l’esprit de
sagesse 75 ». Il recourt au sel pour protéger les seuils des
maisons, pour éloigner le mal dans les onctions les plus
diverses. Manger salé devrait d’ailleurs aider à « chasser les
démons 76 », tout comme à neutraliser les esprits maléfiques :
une expulsion, sans doute, mais moralisée. Le sel aussi combat
des forces mêlées.
Le goût violent des épices les rendrait plus spécifiquement
purgatives. La pratique existe, dès le XIIIe siècle, d’épices
consommées après le repas pour favoriser la digestion :
« Après les viandes on se sert chez les riches, pour faire la
digestion, de l’anis, du fenouil, de la coriandre, confits au
sucre 77. » Pratique suffisamment reconnue pour que se créent
des instruments nouveaux : les « drageoirs », ces coupes ou
boîtes portant les épices, qui circulent entre les convives. C’est
même une prise d’épices distincte du repas qui s’impose, un
moment particulier de stimulation. L’accueil fait aux Anglais à
la cour de France, décrit par Froissart en 1390, en est une
version solennelle : « Quant ils eurent dîné, ils retournèrent
dans la chambre du roi, et là furent tant qu’on apporta vin et
épices en grands drageoirs d’or et d’argent 78. » Même rôle
digestif, même solennité, pour les diverses réceptions décrites
dans le Roman de Jehan de Paris. Jehan, qui dissimule son
rang royal sous des allures bourgeoises, le trahit par des
invitations fastueuses, fêtes d’autant plus longuement
évoquées qu’elles doivent suggérer le statut réel de ce héros
masqué. Les épices et l’or y jouent un rôle central : « Tantost
apportèrent espices et confitures de toutes sortes en grans
couppes d’or et de pierrerie ; après les vins de plusieurs
manières, dont le roy estait tout ésmerveillé 79. » Gingembre,
cannelle ou coriandre, le vin même, sont consommés ici, « à
part », bien après le repas. Les épices, conçues pour la
digestion, ont ainsi suscité un rituel, au moins chez les
privilégiés : manifestation d’échange, occasion de libéralité ;
liaison entre la précaution hygiénique et la sociabilité.
Un effet supplémentaire doit d’ailleurs être pris en compte :
épices et vins agissent sur les « esprits », l’élément le plus
subtil des humeurs. Matière proche du feu, les esprits
commandent aux gestes et aux sentiments, ils jouent le rôle
attribué plus tard à l’influx traversant les nerfs. Ils parcourent
instantanément les organes. Ils agissent comme un éther. Les
épices, dans ce cas, apportent leur substance volatile, leurs
parties quasi inflammables, particules invisibles,
incandescentes : le safran « enlumine les esprits et les fait
espandre par tous les membres 80 », le clou de girofle
« conforte moult la vertu spirituelle et aide la digestion 81 ».
Le vin également est principe « spiriteux », avec ses vapeurs,
ses fermentations. Il est l’occasion de batailles, de
« disputations » dans les fabliaux, chaque cru assurant être le
plus « confortatif », promettant de protéger des maux toujours
mieux et plus que d’autres. Les vins de Paris sont souverains
lorsqu’ils comparaissent devant le roi dans le fabliau du XIIIe
siècle :
Jamais maladie n’aurait
Jusques au jour qu’il mourrait 82.
Plus concrètement, épices et vin peuvent agir comme des
flammes. Ils ne chassent pas seulement les humeurs malsaines,
ils les brûlent. Ils mobilisent une image archaïque, présente
déjà dans les textes antiques : celle du foyer entretenant la vie.
La lampe, le fourneau, avec leur invisible brasier interne,
ajoutent à l’action de l’épurement. Le Secret des secrets,
évoquant au XIIIe siècle les épices et le vin comme denrées de
« longue vie », insiste sur cette nécessité d’entretenir le feu
vital assimilé à la « mèche qui trempe dans l’huile 83 ».
Une résonance mythique
La valeur épurante de ces produits du Levant est d’autant
plus importante au XIIIe siècle qu’ils envahissent les
références littéraires et religieuses. Un mythe existe sur
l’origine de ces essences étrangères ; une histoire, mêlant
sensations physiques et croyance, plaisir du goût et allusion
sacrée. Joinville l’évoque dans sa relation des croisades : ces
denrées aromatisées viendraient d’un lieu paradisiaque. Une
origine surnaturelle explique leurs effets. C’est le Nil, issu du
« Paradis terrestre », qui charrie « gingembre, rhubarbe et
cannelle 84 ». Un fleuve prolifique, pourvoyeur d’abondance :
« L’on dit que ces choses viennent du Paradis terrestre ; qui li
venz abat des arbres qui sont en Paradis, aussi comme li venz
abat en la forest ce cest pays li bois sec ; ce qui chiet du bois
sec au flum [fleuve], nous vendent li marchant en ce pays 85. »
Mythe repris régulièrement, au XIIIe siècle, avec ses variantes,
ses reformulations, ses fausses précisions. C’est l’Euphrate,
qui, pour Barthélemy l’Anglais, devient fleuve pourvoyeur,
chenal mystérieux de bois précieux : l’aloès, par exemple,
« chet en fleuve d’Inde et de Babylone ; ceux qui habitent près
de cette rivière jettent leurs rêts et pêchent cestui fut et le
gardent pour usage de médecine 86 ».
Peu importe, d’ailleurs, le détail géographique, le nom des
eaux ou celui de la ville. Peu importe la vallée lointaine. Reste
cette association obscure entre les épices et le « sacré », cette
allusion répétée au surnaturel. Une allusion à laquelle la
légende du Graal donne plus de force encore : lorsque le Saint
Vase, introduit dans la salle royale, porté par les assistants, est
déposé sur la table d’Arthur, l’attirance qui détermine la quête
est traduite en termes physiques. Un envoûtement sensuel, un
saisissement du corps, que seul l’effet des épices semble être
en mesure d’évoquer. Une « perfection » d’odeur, de goût, de
saveur aussi, que seules elles semblent pouvoir suggérer : « Il
entra par la grande porte, dès qu’il y eut pénétré, la salle se
remplit de bonnes odeurs comme si toutes les épices de la terre
s’y fussent épandues 87. » Image reprise encore pour évoquer
la dépendance de Galaad envers l’écu « enchanté », dans le
même récit, un des mille sortilèges que multiplie la légende
arthurienne : « Il sentait aussi bon que si toutes les épices du
monde eussent été épandues sur lui 88. » Même image, enfin,
lors des ultimes scènes de la quête : l’hostie consommée par
les compagnons retrouvés, et concentrant en elle toutes les
« suavités du monde 89 ». Le livre de Marco Polo lui-même, à
la fin du XIIIe siècle, tout en accumulant les témoignages
précis sur la culture des épices, leur commerce, leurs trajets
orientaux, ne dément pas toujours la tradition « fabuleuse ».
Livre des merveilles, il peut entretenir le mystère sur les êtres
et les choses rencontrés : ce jardin de Mulect, par exemple, en
Perse, paradisiaque avec ses fleuves de miel et d’eau 90.
Tout aussi révélateurs sont les mythes associant les épices
aux images de rajeunissement, à celles de renaissance, jouant
avec les métaphores de recommencements. Si le Phénix du
Bestiaire divin de Guillaume le Clerc de Normandie renaît
tous les cinq cents ans, transfiguré par le feu, c’est que
l’animal a d’abord consommé cannelle, gingembre, noix
muscade ou fenouil. Il s’est d’abord « chargé d’épices
excellentes, précieuses et de diverses espèces 91 ». Le feu lui-
même s’est embrasé de sarments odorants. Le Phénix revient à
la vie par les saveurs et par les odeurs.
C’est au rajeunissement présumé des serpents que sont enfin
quelquefois associés les aromates médiévaux. Parfums et
pierres précieuses peuvent habiter le corps de ces animaux à
mue, selon le Livre du monde de Vincent de Beauvais au XIIIe
siècle : « On dit qu’il y a en Éthiopie des serpents ailés. Il y a
aussi des serpents qui mangent du poivre blanc, qui ont sur la
tête des pierres précieuses 92. » Les vipères aussi affectionnent
les aromates. Pausanias, dès l’Antiquité, les décrit se
nourrissant de baume 93. Comme le Liber monstrorum du
XIIIe siècle décrit les serpents de la vallée de Iorda en Inde se
nourrissant de poivre blanc et jetant l’éclat de l’émeraude 94.
Décisive, dans ce cas, devient la liaison entre la mue animale,
le rajeunissement, les aromates et même les minéraux ; plus
explicable, aussi, la fascination pour le venin régénérateur du
serpent : poison, sans doute, mais dans un être dont la peau se
renouvelle avec le temps et dont le corps se protège par les
odeurs.
Les épices, substances régénérantes, commandent, on l’a
compris, ressources organiques et longévité. Elles traversent
l’imaginaire médiéval bien au-delà des critères de la cuisine et
de l’agrément.
La force du goût
Les épices produisent une action plus immédiate encore,
plus sourde, rarement explicitée par les textes. Lorsque les
Cris de Paris, au XIIIe siècle, proposent « le pain d’épice pour
le cœur 95 » ; ou lorsque Ogier, épuisé, est rétabli par le poivre
ajouté à sa viande, ces
Conins à la poivre moulu
Que la vigueur t’iest el cor revenue 96,
c’est bien que les épices sont censées conforter le corps par
le choc qu’elles provoquent. Elles opèrent par leur force
impressive. Elles ébranlent. Elles agissent alors moins par leur
pureté que par leur intensité sensible, moins par leur agrément
que par leur brutalité : une commotion des sens, un effet de
trouble, insistant, durable. Une façon de jouer avec la
sensation, mais en transposant sa véhémence en signe de
résistance et de robustesse. Une des références les plus
anciennes, à coup sûr : la confiance obscure donnée aux
saisissements immédiats du sensible.
Les épices sont ici directement « confortatives », jouant
avec une violence de saveur et de goût. Elles sont consommées
dans les situations d’effort, de fatigue. Ressources de carême,
comme le montrent les comptes du roi Jean le Bon, prisonnier
à Londres au milieu du XIVe siècle : la comptabilité des
épiciers du roi fait apparaître un doublement mensuel,
quelquefois même un triplement, dans l’achat du gingembre,
cannelle, girofle, sucre ou coriandre, pour le carême de
février 97. Ressource pour femme en couches aussi, comme le
montrent les comptes des frères Bonis, intermédiaires
montalbanais des commerces d’Orient dans la première moitié
du XIVe siècle. Il s’agit, dans ce cas, d’un véritable mélange
d’essences différentes, piquantes, poivrées, ou même sucrées :
tel chanoine de Montauban envoyant, en 1345, à une « dame »
de la ville du gingembre, du poivre, du safran, du girofle, à
l’issue de son accouchement 98 ; ou Pierre Verdu, bourgeois de
la même ville, commandant, en 1345, aux frères Bonis, de la
cannelle, du poivre, du gingembre, du girofle, pour sa femme
accouchée (que la dona sera agaguda 99). Mélange extrême
pour aviver les sens. Un des premiers modèles de l’excitation
créée par quelque drogue.
Le recours à ces denrées d’Orient sous-tend quelquefois une
visée sexuelle : les épices, par leur parfum, par leur saveur
toujours mêlée de chaleur brûlante, seraient, quasiment toutes,
« luxurieuses » : le poivre, en particulier, qui « donne bon
confort », l’anis aussi qui « provoque urine et irrite à
luxure 100 », où la noix muscade « grandement adaptée à notre
volupté 101 ». Une association reprise bien au-delà des textes
médicaux : les fabliaux répètent la scène de curés ou de
moines amoureux faisant une provision de « chair cuite en pot
et de pâté au poivre 102 », avant de rencontrer leur amie,
intensifiant ainsi les plaisirs. Ou Yolaine, attendant
impatiemment l’absence d’un mari incommode pour envoyer
son compagnon « de cœur » chercher « du poivre et du
cumin » que les deux amants consomment amoureusement,
avant qu’ils ne « se couchent et baisent et accolent 103 ». Ou le
jeune homme de Boccace tentant de séduire Monna Belcolare
en lui offrant régulièrement des bouquets d’ail frais 104. Cet ail
que Platine juge, à la même époque, susceptible de pousser les
hommes à « mercellerie et frénésie 105 ».
La boisson « extrême »
Le vin mêlé d’épices, le « claré », est plus stimulant encore,
avec son piment et son miel intensifiant les excitations
gustatives ; c’est le clareya, recensé par Stouff dans les
comptes du studium papal de Trets, au début du XIVe
siècle 106 : un liquide de fête, servant aussi de potion médicale.
C’est le breuvage servi pour la solennelle réception de
Flamenca dans le roman du XIIIe siècle : « La table fut
abondamment garnie de gaufres et de vins épicés, de rôtis, de
fruits, de baignets 107. » C’est le breuvage des festivités
amoureuses, comme celle du chevalier qui « faisait parler les
femmes », convié par une comtesse, comblé par elle :
De chars fresches, de venaisons
Et de plusieurs mets de poissons
Et de noviaus vins et de viez
Et de piments et de clarés 108.
L’hypocras est l’autre nom de ce vin très spécial ; avec son
patronyme médical (le « vin d’Hippocrate »), désignant mieux
encore le mixte entre remède et boisson d’agrément. Sa
composition, au goût travaillé, est décrite par Le Mesnagier de
Paris : cannelle, gingembre, garingal, sucre, « broyés et
détrempés » dans un « lot du meilleur vin de Beaune 109 ». Les
épices et le vin de Bourgogne, référence suprême des
dégustateurs parisiens. Villon rêve encore d’hypocras, au XVe
siècle, modèle cumulant toutes les saveurs ; boisson mirage,
hors de portée des buveurs sans deniers :
Boire hypocras à jour et à nuité
Rire, jouer, mignonner et baiser
Et nu à nu pour mieux les corps s’aiser 110.
Non que soit ignorée l’« eau-de-vie », avec sa concentration
par le feu, sa distillation qui en font un liquide à part :
l’alambic est présent dans l’outillage de l’alchimiste, l’« eau
ardente » est présente dans la pharmacopée. Jean de
Roquetaille, moine obscur d’Aurillac, fait même un éloge
émerveillé de la liqueur, au début du XIVe siècle, justifiant ce
mot d’eau-de-vie, jurant que l’usage régulier de cette
quintessence vivifie et rajeunit les vieillards. Elle ressuscite
même les morts, assure-t-il : « Quand [le mourant] aura cela
en l’estomac, il se lèvera incontinent et parlerat 111. » Le bon
moine sait comment « garder de corruption les oiseaux ou
pièces de chair mises en icelle eau 112 », il décrit longuement
l’alambic, il propose de distiller du sang humain pour avoir la
« quintessence la plus miraculeuse ». Il insiste sur le pouvoir
unique d’une eau susceptible « de conserver notre corps de
putréfaction 113 ». Mais cette eau n’est pas diffusée, dans les
siècles centraux du Moyen Âge. Matière secrète, objet d’une
transmutation d’éléments, sa connaissance relève de
l’alchimie.
Elle est « émanation de la divinité 114 », dit Raymond Lulle
dans un texte ésotérique. Matière inquiétante aussi, objet d’un
affrontement de contraires, sa composition mêle des catégories
généralement séparées, le froid et le chaud, le sec et l’humide :
« Elle est eau et pourtant elle brûle, elle refroidit et réchauffe,
elle dessèche et lave 115. »
L’eau-de-vie reste une denrée confidentielle, troublante, peu
usitée. Alors que l’hypocras, le vin aux épices, demeure la
denrée séductrice, le liquide salvateur. C’est sur son modèle
que sont composés les électuaires et remèdes « confortatifs »
vendus à la Maison Bonis, à Montauban, au milieu du XIVe
siècle. Avec des mélanges quelquefois préparés pour les plus
modestes, amalgamant l’ail, la rue, l’oignon ; tous produits
plus accessibles aux humbles.
La thériaque est un autre exemple de ces boissons de
mélange. Son origine remonte aux textes antiques :
accumulation d’épices (plusieurs dizaines d’espèces, selon les
formules) mêlées au vin, auxquelles s’ajoute du venin de
vipère pour en accroître la force. La boisson est censée recréer
la chaleur naturelle « consolari et recreare nativum
calorem 116 ». C’est le breuvage qu’utilisent les croisés décrits
par Guillaume de Tyr à la fin du XIIIe siècle. Ils en attendent
une protection contre les morsures dangereuses, une meilleure
résistance aux fatigues et aux maladies : « Cil prirent triade et
toutes les choses par quoi ils cuidèrent restreindre venin 117. »
Produit susceptible d’être consommé à tout instant grâce à de
petits récipients souvent portés comme reliquaires dont les
inventaires du XIIIe et du XIVe siècle gardent trace : « Ung
triaclier ou reliquaire de cassédoine blanc 118 », évoqué dans le
mobilier du Charles V ; ou l’objet recensé à l’abbaye de
Fécamp, en 1362 : « Une boîte d’argent où est le triaclier du
duc 119. » La relation semble toujours assurée entre l’intensité
gustative et l’efficacité tonique du produit.
La thériaque est une panacée. À cause de son goût sans
doute, de sa complexité et de ses mélanges aussi. Mais
comment ignorer sa cherté qui la rend plus précieuse ?
Une valorisation sociale
Les épices au XIIIe siècle parcourent d’immenses trajets.
Elles sont d’abord l’objet de tractations avec la puissance
sarrasine. Elles mobilisent ensuite des intermédiaires
multiples, des manipulations attentives, des gestions au long
cours : bateaux conduisant ces « herbes », graines, fleurs ou
écorces, depuis les Indes ou la Chine jusqu’à la mer Rouge,
caravanes ensuite jusqu’à Alexandrie, bateaux encore jusqu’à
Gênes ou Venise, diffusion enfin sur les comptoirs européens.
C’est le trajet le plus classique, avec ses risques et ses
inévitables contraintes de coût, avec ses bénéfices aussi : la
Sérénissime pratique dans les entrepôts du Grand Canal un
prix de vente 40 fois supérieur à celui du prix d’achat en
Asie 120. À l’arrivée, les épices sont si précieuses qu’elles sont
enfermées dans des coffres ; transportées avec soin, comme
celles du roi René chargées sur des mules spécialement
protégées lorsque le roi se déplace en Provence 121. Elles sont
tout simplement inaccessibles à beaucoup.
Une gradation sociale existe dans leur consommation. Rien
d’étonnant à ce que les 51 « paysans », « domestiques » ou
« manouvriers », recensés, entre 1342 et 1350, sur les livres de
comptes de la Maison Bonis, intermédiaire à Montauban de ce
commerce d’Orient, s’y dispensent de toute acquisition
d’épices. Les acheteurs « modestes » s’en tiennent à des
produits plus communs : fèves, blé, froment et quelquefois
chaussures, robes, tissus. Les acheteurs qualifiés de
« marchands » ou de « bourgeois », accèdent, en revanche, aux
produits du Levant : un sur trois au moins, dans la Maison
Bonis, s’en procure régulièrement. Alors que les nobles,
« damoiseaux », « évêques », « seigneurs » locaux, se livrent
aux achats d’épices les plus constants et répétés : gingembre,
noix muscade, cannelle, figurent en nombre dans chacune de
leurs commandes 122.
Sélection par le prix, bien sûr, plus que par la culture. La
livre de safran (489 g) vaut 64 sous à la fin du XIVe siècle 123,
la livre de noix muscade 50 sous 124, toutes deux plus que le
prix d’une vache, elle-même vendue 42 sous au comté de
Beaubec en 1396 125. Quant à la livre de poivre, n’excédant
pas une douzaine de sous 126, elle correspond au prix d’un
mouton gras, vendu 10 sous 5 deniers, à Saint-Martin-la-
Corneille, autour de 1400 127. Un électuaire « confortatif »
vaut également 10 sous à Montauban autour de 1380 128. Les
épices sont un luxe dont la valorisation imaginaire semble
d’autant plus grande que le produit reste rare. Ce que montre
la distribution dans les hôpitaux, toujours limitée aux périodes
de carême : compensation d’une nourriture jugée trop
« débile 129 ». Ce que montrent aussi les quelques récits
décrivant les repas des plus humbles ; celui qu’offre à deux
notables un modeste curé évoqué par Boccace en est un
exemple. L’hôte souhaite une fête réussie et décide
d’agrémenter la viande d’une sauce aux épices. Mais comment
faire pour les piler puisque lui manque le mortier de pierre ?
Seule une riche voisine résout la difficulté en lui prêtant le
mortier. Épisode anodin, bien sûr, si la rareté de l’outil ne
révélait la disparité sociale du recours aux épices 130.
Encore faut-il nuancer. Des succédanés existent. Un produit,
au moins, est au XIIIe siècle doté de qualités comparables. Il
est surtout beaucoup moins coûteux parce que domestique et
local : l’ail, « l’épice forte des petites gens », dit Platine. Un
stimulant « bon pour les gens de labeur 131 », une
consommation de vilains. Difficile d’en apprécier la présence
réelle. Les comptes ne la retiennent pas, ou peu. L’usage en est
certain, en tout cas, sur les bateaux et galères ibériques, à la fin
du XIIIe siècle : distribution aux marins « d’aux et d’oignons
pour les garder de la corruption de l’air de la mer et des eaux
corrompues 132 ». Le produit est jugé préservateur. Quelques
témoignages dispersés de médecins médiévaux le confirment :
« Pour cheminer use à manger oignons et aulx 133. » Mais, il
faut le redire, l’ail est d’abord « thériaque des paysans 134 ».
Le spectre des épices épouse le spectre social. Ce qui
confirme leur importance. Les riches ou les pauvres
combinent, à travers elles, acte préventif et aliments. Ils rêvent
d’une santé directement accessible dans les produits
consommés.
CHAPITRE II

L’ordre du monde
Beaucoup plus complexe est le régime alimentaire.
Démarche rare, élaborée par la pensée savante, cette
surveillance des nourritures demeure au XIIIe siècle une visée
peu partagée : tout au plus l’attitude d’une élite, elle-même
très limitée. Mais le régime confirme un mode de pensée : le
rôle attribué à la pureté des aliments, d’abord, celui
qu’imposent les équilibres d’humeurs. Il souligne plus encore
une liaison toute spéciale entre le corps et le monde, une
solidarité entre l’état des organes et la marche du ciel : le
triomphe de la pensée analogique, l’assurance dans la vertu
des ressemblances, celles déjà mises en œuvre par le port des
joyaux protecteurs. La vertu des pierres ne révèle-t-elle pas
l’existence de correspondances entre les objets de l’univers ?
Elle n’est qu’un exemple parmi d’autres : le régime lui-même
applique, jusqu’à la sophistication, le principe des contacts
analogiques et préservateurs. Le corps ne peut être protégé
sans sa mise sous tutelle. Il est soumis aux forces invisibles et
souterraines du monde.
1. Le régime et les astres
Le premier conseil alimentaire reste apparemment simple :
il se limite à l’affirmation d’une tempérance. La sobriété
entretient le corps, elle assure la pureté interne. Telle est la
réponse du collège de Salerne écrite spécialement pour
Édouard le Confesseur au XIe siècle sur la conduite de santé.
Texte personnalisé, destiné à un noble, ce qui en montre aussi
la rareté :
Mange peu quand tu soupes
Ne tiens trop longue table 135…
La « réserve » fonde le régime, avant même, bien sûr, la
mise en concordance avec les forces du monde.
« Modération » et choix alimentaire
Réserve identique avec Arnaud de Villeneuve commentant
au XIIIe siècle le Régime de Salerne : « L’homme doit être
sobre au boire et au manger, car boire et manger
excessivement le rend pesant et endormi 136. » Conséquences à
peine plus commentées avec les conseils du troubadour
provençal étudié par Bondurand : « Je sais par fine raison que
trop manger fait blanchir les cheveux ou grisonner avant le
temps et rend lourd et pesant 137. » L’indication rejoint les
premières règles de conduite courtoise, dont les cours
seigneuriales sont les initiatrices, autour du XIIIe siècle :
l’importance d’une prudence, la nécessité d’une tempérance ;
avec cette condamnation de « la manière dont certains
s’emparent de la soupière et en ingurgitent le contenu comme
s’ils avaient perdu la raison 138 ». Principes de bienséance
autant que de santé, ces règles préparent au comportement
« noble », celui de l’élite à laquelle elles s’adressent, tout en
valorisant la maîtrise. Rien d’autre que le lent polissage de la
culture du chevalier, l’intervention sur ses gestes, ses
manières, l’introduction d’un comportement de cour.
Pratiques encore peu partagées, elles restent, au XIIIe siècle,
celles de quelques princes ou de quelques clercs. Ces
préventions se propagent, pourtant, insensiblement à la fin du
Moyen Âge ; lentement reconnues au-delà des savants et des
nobles. Les lettres du médecin Ser Lapo à son ami Francesco
di Marco, banquier et armateur toscan, autour de 1380,
montrent leur progressive résonance dans l’élite. La langue de
Ser Lapo est familière, vivante. Ses conseils sont nombreux,
pragmatiques, attentifs à plusieurs pratiques : de l’exercice à
l’alimentation, du sommeil aux purgations. Ils sont concrets,
variant les exemples : « Procure-toi un bloc de bois et une scie
et donne quelques coups de lame ou encore monte à plusieurs
reprises tes escaliers en courant. Sinon tes aliments ne
reçoivent pas d’aide de la nature et, tout comme les braises
s’éteignent si on ne les ravive pas, la nourriture se fige dans
l’estomac par manque d’exercice… Ce qui veut dire [aussi]
qu’il te faut prendre des aliments faciles à digérer et aidant aux
fonctions de tes intestins. Et il serait excellent pour toi de
prendre, un quart d’heure avant tes repas, un plein demi-verre
d’un bon vin rouge, ni trop sec, ni trop doux 139. » Évoquant le
« feu » nécessaire, la légèreté des denrées, l’importance de
leur excrétion, Ser Lapo transmet et confirme la tradition. Il
prétend appliquer lui-même la modération qu’il conseille à
Francesco : « Bien des fois, le soir, je soupe sobrement, et rien
n’est meilleur pour la santé qu’une poignée d’olives : les
docteurs te le diront 140. »
Modération toute relative bien sûr, dont il faut mesurer la
distance avec des critères plus proches des nôtres. L’attitude
proposée n’est encore qu’un moment dans le lent polissage des
comportements et des mœurs. La sobriété recommandée par
Arnaud de Villeneuve, au XIIIe siècle, s’accommode d’une
ébriété mensuelle censée faciliter les évacuations. Les
vomissements qu’elle provoque, sur lesquels insiste Arnaud,
préserveraient « de choir en maladie chronique 141 ». D’autres
vomissements s’y ajoutent, quelquefois provoqués par le vin
du matin. Modération encore abrupte pour la sensibilité
d’aujourd’hui mais qui diffuse, quoi qu’il en soit, règles et
préceptes.
S’y ajoutent enfin, comme le suggère Ser Lapo, une
attention aux choix et aux qualités des aliments, une
discrimination toute fondée sur l’analogie. Les aliments
« confortatifs » doivent combiner pureté et légèreté, accumuler
les esprits tout en aidant la cuisson organique. Le « bon suc »
doit triompher, celui des bouillons dont les traités de santé
multiplient les exemples. Les « coulis », tirés d’herbes
odorantes ou de viandes fraîches, sont les plus fréquents, le
« bon coulis de chappon au sucre 142 », par exemple, donné
pour « conforter » la jeune accouchée dans Les Quinze Joies
du mariage, au XVe siècle.
La chair des oiseaux l’emporte sur tout autre aliment
solide : légère et vigoureuse puisque affrontant l’air et le vol,
elle est souple aussi, rose, facile à couper ou à broyer, peu
chargée en humidités, en viscosités. Recommandée avec
insistance dans les traités d’aliments, spécifiquement réservée
aux accouchées dans l’Hôtel-Dieu parisien du XIVe siècle, la
volaille s’oppose directement aux moiteurs ou aux épaisseurs
d’autres viandes, à celle du sanglier, par exemple, déconseillée
pour les « excréments et ordures qu’elle engendre 143 ». La
crainte, une fois encore, est celle des déchets, celle des
humidités excessives surchargeant les chairs jusqu’à précipiter
les corruptions. Ce sont les animaux venus des brumes et des
brouillards, ceux venus des zones moites, saturées d’eau, qui
portent les risques de décomposition plus rapide. Trop lourds,
trop humectés, ils ne pourraient clairement protéger la vie. La
relation à la pourriture fait le partage entre aliment sain et
aliment malsain.
Impossible, pourtant, de reconnaître dans ces choix de
denrées les seules suggestions sur le régime de vivre, au XIIIe
siècle. C’est que l’enjeu de la nourriture est plus vaste. Il est
lié à l’image du monde : l’entretien de la santé suppose une
affinité toute spéciale entre l’état du corps et celui des astres,
entre la marche des organes et celle des saisons, des vents, des
climats et des eaux.
Les références cosmiques
La représentation médiévale des « éléments » cosmiques est
particulière : elle promeut une ressemblance indéfiniment
répétée ; le corps lui-même n’étant que le reflet d’un ordre
plus large. Simple miroir, il répercute dans chacune de ses
parties celles, plus étendues mais identiques, qui composent
l’ensemble de l’univers : « Le monde s’enroulait sur lui-
même : la terre répétant le ciel, les visages se mirant dans les
étoiles et l’herbe enveloppant dans ses tiges les secrets qui
servent à l’homme 144. » Le corps est traversé de
« correspondances », il reproduit la nature à l’identique.
Le régime se doit d’obéir à cette vision abstraite : il suppose
une recherche de ressemblances entre les qualités des denrées
et celles du corps, entre l’humidité des climats et celle des
organes, entre la succession des saisons et celle des gestes,
celle des saveurs ou des habitations choisies : vision si
complexe qu’elle est sans doute peu appliquée, même si elle
révèle un principe décisif de savoir et de pensée.
La physique médiévale multiplie, à cet égard, les relations
spéculatives, cumulant les analogies explicites ou secrètes.
Elle constitue un système, un entrecroisement de
concordances, dont les qualités évoquées par la physique
antique restent le centre : le froid, le chaud, le sec et l’humide.
Le monde, comme le corps, combinerait quatre polarités
mêlant ces qualités deux à deux : froid-sec, froid-humide,
chaud-sec, chaud-humide. Chaque partie de l’univers, chacun
des objets de l’espace et du temps privilégieraient une de ces
quatre polarités. Tous appartiendraient à l’un de ces quatre
états possibles. D’où l’immense possibilité de
correspondances ; une résonance devenue universelle,
canalisée par des « quatre » : les 4 saisons, les 4
tempéraments, les 4 humeurs du corps, les 4 âges de la vie, les
4 groupes de planètes, les 4 groupes du zodiaque. D’où, enfin,
les croisements conjuguant chacun des quatre pôles 145 :
certaines saisons, certains tempéraments, certaines nourritures
ou climats, sont composés de qualités identiques, accordant,
ensemble, les mêmes « avantages » au corps ou les mêmes
« désavantages ». Le système est fait de convergences ou de
divergences qualitatives : le printemps, par exemple, saison de
substance humide et chaude, appelle les mêmes nourritures ou
comportements que le premier âge de la vie, les mêmes que le
tempérament sanguin, tous de substance semblable, humides et
chauds. La conduite est fondée, dans ce cas, sur des
compensations : éviter, durant cette saison, d’accroître les
humeurs qui abondent, « mengier viandes légières, purgier et
sainnier [soigner] por les humeurs oster 146 ». Conséquences
différentes lorsque le printemps est confronté à la vieillesse ou
au tempérament flegmatique, de qualité froide et humide :
dans ce cas, au contraire, les attributs du printemps doivent
être privilégiés, compensant l’engourdissement du vieillard ou
le froid du flegme, tous deux « frois et moistes ki est semblans
à yver 147 ». La visée, on l’aura compris, est de maintenir un
équilibre, une répartition équitable entre les humeurs : éviter
une perturbation qui risquerait d’entraîner un mélange
dangereux, avec son cortège de pourriture et de corruption. La
démarche qui équilibre contribue aux épurements.
Les planètes concourent encore à cette résonance de
qualités, en prescrivant leur influence propre, selon les signes
imposés à la naissance, ou selon les moments de l’année 148 :
Saturne, par exemple, froide et humide, fait les sujets sombres
et mélancoliques, soucieux et lents ; Jupiter, au contraire,
chaude et humide, planète radieuse comme le printemps, fait
les sujets joyeux et sanguins, alors que Mars, sec, « chaus et
bataillereus 149 », reste une planète « mauvaise » conduisant
aux colères et aux batailles. Autre conséquence : il faut
« recevoir la viande selon la nature du temps 150 », et, bien sûr
encore, selon le profil des planètes dont l’influence reste
déterminante sur les tempéraments : « por ce avent il que une
herbe est plus chaude ou plus froide que une autre 151 » ; cette
« herbe » change ses effets selon les gens, les climats, le ciel.
Logique apparemment parfaite, puisque chaque élément du
cosmos, nourriture comprise, appartient à l’une ou à l’autre
des quatre polarités qualitatives. Logique difficile aussi,
puisque au même moment, pour une même personne, les
qualités du tempérament, celles de l’âge, celles de la saison ou
des astres, peuvent, toutes, être différentes ou contraires. Elles
peuvent, toutes, s’opposer jusqu’à la confusion. Autant dire
que nombre de ces propositions restent alors théoriques plus
que réellement pratiques ; formelles plus que réellement
concrètes. Elles restent un mode de penser.
Plusieurs indices révèlent pourtant des applications bien
réelles : la préférence pour les jours de saignée, par exemple,
favorisée par les conjonctions chaudes et humides, accroissant
les humeurs ; alors que les qualités chaudes et sèches, au
contraire, les canicules de l’été, tarissant les humeurs,
déterminent les jours mauvais (dies mali), ceux où toute perte
de sang doit être évitée. La préoccupation est suffisamment
banale pour figurer dans les premiers règlements de barbiers :
les praticiens sont tenus d’acheter l’« armenac [l’almanach]
faict pour l’année 152 » auprès du premier valet de chambre du
roi ; document recensant régulièrement jours favorables et
jours défavorables.
Les règles des communautés religieuses privilégient aussi
les saisons, les éléments les plus directement sensibles du
cosmos. Les préceptes de santé, évoqués par le Codex Guta-
Cintram au XIIe siècle pour régler le quotidien des abbayes
allemandes, sont exclusivement saisonniers. Indiqués mois
après mois, ils se limitent à quelques phrases brèves, concises,
toutes fondées sur l’analogie climatique : en janvier, « bois à
jeûn quotidiennement une demi-livre de vin. Bois gingembre
rhaponic, prends de l’électuaire et la potion contre la
suffocation ; ne subis pas de saignée à cause du froid excessif,
parce que le corps se nourrit de la chaleur du sang 153 ».
Proposition évidemment différente en août, où chaleur et
sécheresse sont au centre de la préoccupation : « Ne subis pas
de saignée ; ne prends pas de solution ; ne mange ni choux, ni
mauves, parce qu’ils nourrissent la bile noire ; ne bois ni
hydromel, ni cidre, ni cervoise, s’ils ne sont pas tout récents ;
bois de l’absinthe et du pouliot 154. » C’est l’altération ou la
fermentation provoquées par la chaleur qui suscitent ici le
danger. Mais, même dans ces derniers cas, l’entretien de la vie
suppose la fusion avec la dynamique du monde. L’intervention
sur le corps s’accorde à la mouvance cosmique.
L’important tient aux déplacements du temps, et moins à
quelque laborieuse observation des signes du zodiaque. Non
que l’astrologie soit clairement condamnée. L’Église, malgré
ses textes, ne parvient pas à interdire la lecture des astres,
même dans les communautés. Thomas d’Aquin, très
banalement, avoue leur influence ; alors que Dante, au XIIIe
siècle, rêve, en parcourant le Purgatoire, d’avoir « les yeux
tournés vers le vermeil du zodiaque 155 », déchiffrant, dans
une disposition du Scorpion, le signe d’un « châtiment
céleste 156 ». Rien d’autre qu’un exemple de christianisation
de l’astrologie.
La vertu des bombances
Un paradoxe existe dans ces siècles centraux du Moyen
Âge : c’est qu’au moment où se diffuse cette culture de la
tempérance une autre culture se développe recherchant la
solidité du corps dans le cumul alimentaire. Le contraire de la
sobriété : manger toujours davantage pour être mieux protégé.
C’est le modèle d’Ysengrin dans le roman du XIIe siècle,
soigné par une ingestion illimitée de victuailles, une quantité
prodigieuse de gibier conseillée par son médecin 157. Modèle
marquant parce qu’il fonde une tension durable, bien au-delà
du Moyen Âge : la force brute venue de la lourdeur du corps
contre la force plus subtile venue de la frugalité. Les deux
références sont opposées. Elles sont aussi quelquefois
combinées. Plusieurs raisons, d’abord, expliquent cette
attirance médiévale pour la nourriture généreuse.
L’aliment prolifique est un signe de puissance, avec ses
indices physiques, ses valorisations sociales. Le « clerc
écolier », dans le fabliau du XIIIe siècle, est, sans surprise,
« bien gros et gras, mangeant beaucoup 158 », jeune homme
puissant, vigoureux, sûr de son ascendant, « fort prisé », en
tout cas, de la « bourgeoise d’Orléans » qu’il a su séduire. Être
gras est un signe de ressource corporelle. Ce qui fonde
l’admiration pour Moniage Renoart expédiant, en un repas,
cinq pâtés et cinq chapons avec deux setiers de vin 159 ; ou
pour Guy de Bourgogne, homme « bien amplié », effrayant les
Sarrasins par sa robustesse physique, mangeant et buvant plus
que quatre chevaliers 160.
La faim aussi est à l’horizon de ces images fabuleuses. C’est
elle qui souligne jusqu’à l’extrême la valeur de l’aliment ;
c’est elle que provoquent ces famines bouleversant, entre le
XIe et le XIIIe siècle, une Europe que le manque de
communications prive de réelles pratiques de stockage et que
la culture extensive prive, plus encore, de réelles possibilités
de surplus. Désastres réguliers qu’accentuent les abattages
abusifs, la faiblesse des rendements, le manque de terres :
Robert Fossier calcule sur les registres terriers de la fin du
XIIIe siècle que seul un tiers des foyers paysans dispose du
minimum de 3 à 5 hectares jugés nécessaires pour nourrir une
famille 161. Désastres suffisamment graves pour atteindre
quelquefois les nobles et les puissants, ceux que leur aisance
aurait dû épargner et que la chronique montre pourtant
directement affectés : « La famine se mit à étendre ses ravages
et l’on put craindre la disparition du genre humain presque
entier… La voix humaine elle-même devenait grêle, semblable
à de petits cris d’oiseaux mourants 162. » C’est l’image des
neuf plaies d’Égypte, celle que reprennent avec insistance les
psautiers du XIIIe siècle 163 ; la figure du mal bouleversant
régulièrement l’ensemble d’une communauté, jusqu’à tarir ses
approvisionnements.
Du coup, ripailles et bombances deviennent autant de
mirages, des rêves mobilisant l’attente, entretenant l’espoir.
C’est la présence répétée des pays de Cocagne dans les contes
médiévaux, avec leur décor envahi de chairs cuites, d’animaux
mis en broche, de provisions cumulées, si abondantes qu’elles
recouvrent les collines et les chemins, si ordonnées qu’elles
agencent les murs et les sols. Un paysage devenu lui-même
nourriture : « Les maisons sont encloses de bars, d’aloses et de
saumons ; les toits ont pour chevrons des esturgeons, pour
lattes des saucisses, pour couvertures des bacons, côtes de porc
salées et fumées, si appétissantes en carbonades 164. »
L’aliment accapare l’espace jusqu’à combler l’horizon.
L’Église médiévale elle-même ne peut toujours se dissocier
de telles images. Hugues de Saint-Victor, dans son Institution
pour les novices, au XIIe siècle, ne tance pas la goinfrerie,
mais seulement la nourriture « trop précieuse et
délicieuse 165 », la délicatesse excessive. Hugues semble
ignorer le glouton. De même, au XIVe siècle, lorsque Gerson
recense les péchés, dans son Sermon pour la conception de la
Vierge, il s’étend sur l’orgueil, la mécréance, la paresse,
l’envie, il les accuse de rendre jeunesse et beauté « puantes et
ridées 166 », mais ne cite ni l’excès de nourriture ni même la
gourmandise. Autant de silences devenant des indices de
comportement : une façon de révéler le jugement équivoque de
l’Église médiévale sur l’avidité alimentaire. Ce vice reste
péché véniel pour saint Thomas d’Aquin, même si l’auteur de
la Somme théologique voit dans la « vie sobre » et le « séjour à
l’air pur » les premiers préceptes « favorisant la
longévité 167 ».
Cette culture de la nourriture massive a ses développements
propres. Elle peut marquer la frontière entre les fortunés et les
autres, entre les nobles aussi et ceux qui ne le sont pas. Elle
s’approfondit durant le Moyen Âge. Les soldats du duc de
Brabant, cavaliers de petite noblesse, transitant entre Meuse et
Rhin, à la fin du XIVe siècle, ont une ration de 3 kilos de pain
et de 1,5 kilo de viande par homme et par jour 168. Quantité
sans commune mesure avec celle des rations de corvéables
souvent limitées au pain, à l’huile et au sel. Les repas évoqués
par Olivier de La Marche, ou ceux évoqués par Le Fèvre, à la
cour de Bourgogne autour de 1450, promeuvent, quant à eux,
les plats en architecture fabuleuse. La quantité s’est muée ici
en tableau ; la masse alimentaire est devenue objet de
spectacle : mise en scène sophistiquée de l’opulence. Ce sont
ces descriptions de « nefs à voile » poussées devant les
convives du duc de Bourgogne, immenses chars surchargés
d’hommes et de poissons ; ce sont ces pâtés suffisamment
volumineux pour enfermer figurants et décors, libérant
masques et animaux ; ou ces chairs amoncelées dans quelques
« fauves géants », acheminés, eux aussi, au milieu des salles
pour y être vidés 169. Ces festins du XVe siècle ne sont plus
simples occasions de foisonnement alimentaire, comme dans
La Maneline, le roman de Philippe de Beaumanoir, au XIIIe
siècle, où « on tua bœufs, porcs et ours en si grand nombre que
je ne saurais le dire 170 » ; ils sont occasion de contemplation
esthétique : jeux théâtraux, exploitations scéniques du cumul.
Les deux pôles défensifs : densité et épurement
Deux sensibilités s’affrontent ainsi sur l’aliment médiéval :
celle, savante, rare encore, de sa pondération quotidienne,
celle, plus habituelle, plus spontanée, de sa consommation
sans réserve. Elles opposent quelquefois médecins et frères
hospitaliers dans les hôpitaux : « Souvent les frères dépassent
la mesure ; ils vont de lit en lit, demandant ce que chacun
désire boire ou manger… Vous n’avez pas plus le droit de leur
donner des aliments contraires à leur santé que vous ne devriez
laisser une épée nue entre les mains d’un fou 171. » Ces deux
sensibilités opposent aussi le banquier toscan Francesco di
Marco à son médecin lorsque l’homme d’argent recommande,
à la fin du XIVe siècle, l’ingestion répétée de nombreux
chapons et pintades à un domestique malade. Viandes jugées
légères, sans doute, nobles même, mais dont la quantité
importe d’abord : « Je t’ai envoyé hier trois couples de
pintades, et prends soin de les manger, car tu ne pourrais rien
absorber de meilleur ni de plus sain et je continuerai à t’en
envoyer 172. »
Entre diète ou gavage se développent deux registres
imaginaires différents : la retenue qui fortifie en épurant, d’une
part, l’abondance qui fortifie en consolidant, d’autre part.
Deux sensibilités culturelles aussi : un régime de savants, de
lettrés et de clercs opposé à un régime de chevaliers ou même
d’hommes du peuple plus directement séduits par la massivité
et la lourdeur du corps. C’est l’opposition suggérée par la
tapisserie de Bayeux entre la table de l’évêque dont le seul plat
se limite à un poisson et celle des nobles dont les plats sont
aussi variés que colorés 173.
Densité et épurement sont les références majeures des
pratiques médiévales d’entretien du corps. Mais, à trop vouloir
les détailler, ces références deviennent elles-mêmes
imprécises, fondées qu’elles sont sur les analogies immédiates,
les sensations, les goûts. Leurs différences possibles
s’estompent, par exemple, dans le recours à certaines denrées
combinant puissance et pureté : le sang en est l’exemple,
consommé quelquefois comme équivalent de celui des
« guerriers moult hardis 174 », liquide dense, « solide » et pur à
la fois. Les boudins, « galettes de sang 175 » avidement
ingérées dans les nouvelles florentines de Sachetti, au XIVe
siècle, évoquent cette synthèse de matières compactes et
affinées. Les épices, poivre ou piment, avec leur force de
commotion et leur force évacuante, ont aussi la double
valence, comme les médailles du zodiaque : aux signes
astrologiques conservant l’équilibre et la pureté des humeurs
se conjuguent des signes astrologiques préservant au contraire
la lourdeur et la densité des chairs. C’est le succès, au XIIIe
siècle, des « médailles au lion », l’animal censé « l’emporter
sur tous les autres en force et en courage 176 », figure
cosmique dominante, par exemple, dans l’inventaire des
médailles astrologiques de Jean Biaise, médecin du roi de
Naples, en 1337 177.
Densité et épurement ont leurs zones opaques, peu
explicitées, mêlant largement encore le registre moral et le
registre sensible, les données visibles et les données obscures.
L’usage intensif des objets protecteurs souligne combien ces
deux pôles défensifs n’introduisent pas encore un travail du
corps sur lui-même. Ils supposent un organisme passif
conservé par des contacts ou des ajouts habilement disposés.
C’est sur ces deux pôles pourtant, densité et épurement, que
vont se multiplier de nouveaux repères de santé dans la France
ancienne, bien avant que ne soit perceptible un effet « réel »
sur les durées de vie, ou, même, plus simplement, sur
l’évitement de certains maux.
La gravité des crises épidémiques du Moyen Âge, la
recomposition des protections qu’elles appellent, vont dessiner
plus précisément les exigences de l’épurement, sans que le mal
soit ni mieux connu, ni mieux dominé.
2. Fléaux et corps ouverts
La peste abordant l’Europe en 1347 suscite des précautions
particulières, un ensemble de gestes d’autant plus nombreux
que la maladie est à la fois identifiée et inexpliquée : un mal
clairement désigné, reconnaissable et pourtant mystérieux.
L’expérience est sans rapport avec celle de la lèpre : la peste
est brutale, sa diffusion incontrôlable, intensifiée au cœur
même des cités. Le syndrome pesteux, dans sa version
pneumonique, provoque la mort en moins de deux jours. Sa
propagation est inexorable, alarmante, survenant quelquefois
après un simple échange de paroles avec un malade.
La première atteinte, provoquée à Marseille, en novembre
1347, par la présence de trois galères génoises « infectées »,
impose à la communauté une situation jusque-là inconnue : un
effondrement démographique sans précédent, une mortalité en
abîme. Une rue entière de Marseille, surnommée bientôt Rifle-
Rafle, perd en deux semaines la totalité de ses habitants 178.
Suivent des scènes cent fois décrites : actes de fuite,
d’épouvante, de résignation, tous gestes accélérant souvent la
prolifération du mal. Avignon est atteinte en janvier 1348 ;
11 000 corps y sont ensevelis en un mois et demi dans de
nouveaux cimetières, ouverts à la hâte dès février 179. La Curie
elle-même abandonne la ville, alors que Chauliac, médecin des
papes avignonnais, confesse péniblement son désarroi : « La
peste fut inutile et honteuse pour les médecins, d’autant qu’ils
n’osaient visiter les malades de peur d’être infectés, et quand
ils visitaient, n’y faisaient guère et ne gagnaient rien 180. »
C’est de cette impuissance, pourtant, que naissent de
nouvelles démarches de préservation de soi, une façon plus
complexe de protéger le corps, accentuant le repère des
épurements : enveloppes organiques jugées plus fragiles, plus
poreuses, provoquant une nouvelle vigilance, milieux de vie
plus inquiétants aussi, jugés plus dangereux ou nauséabonds,
provoquant de nouvelles mises à distance.
Le venin de l’air
La piété collective semble être d’abord la « meilleure »
réponse : les Très Belles Heures du duc de Berry décrivent
minutieusement les processions de flagellants encagoulés.
Elles suggèrent les prières dites aux quatre coins de l’horizon.
Elles évoquent deux rituels : celui du transport d’un dragon,
figurant le diable propagateur de peste, brûlé à l’issue de la
procession ; celui du transport de la croix, replacée en tête du
cortège, quelques mois plus tard, pour mieux marquer la
cessation du mal 181. Le rite dit combien l’horreur est
« subie », effet d’un désastre « envoyé » par quelque puissance
obscure. S’en défaire, c’est d’abord implorer.
La fuite est l’autre défense : immédiate, massive ; celle que
conseille la Sorbonne, officiellement consultée par Philippe
VI, lors de l’atteinte parisienne, en août 1348 ; la reprise d’une
affirmation de Rhazis :
Ces trois petits mots chassent la peste
Vite, loin et longtemps, où que l’on soit,
Partir vite, aller loin et droit devant 182.
La fuite, encore, est l’appel pressant que Pétrarque lance à
Boccace, lors de la peste de Padoue, la même année 183.
L’impuissance est si grande que l’avis de la Sorbonne, en
1348, n’envisage aucune démarche collective, aucune
organisation particulière de la communauté. Le collège savant
souligne surtout l’enjeu de quelques gestes individuels,
reprenant les conseils des traités de santé du Moyen Âge :
proscription des aliments « grossiers », chargés d’humeurs
malsaines, recommandation des épices et des parfums,
évocation des purges et des saignées 184.
L’attention à l’air, pourtant, gagne en importance, dès la
peste de 1348, pour devenir lentement dominante. L’air ne
fait-il pas fuir, « avec son venin et malice, moult pénétrant et
plein de vice 185 » ? La peste ne charrie-telle pas des « poudres
et des cendres 186 » ? N’est-elle pas faite de poussières
venimeuses, de « nuages » soulevés par les planètes en
déshérence ? Un air provoqué par de malheureuses
conjonctions astrales, agissant comme un poison : « Il faut
éviter avec soin l’air qui pourrait nous inoculer un tel venin et
le fuir d’homme à homme, de maison en maison, de village en
village, de ville en ville 187. »
L’image rappelle celle du lépreux tuant par son souffle,
effarouchant par ses entours et ses contacts ; mais elle s’est en
même temps déplacée, englobant les choses, les sites, les
localités. C’est l’« état » de l’air qui déclenche les pratiques
collectives comme les pratiques individuelles.
La crainte se fixe sur quelques lieux réputés infects, les
porcheries, interdites par les ordonnances du prévôt de Paris
en 1348 et 1350, les étals d’équarrissage, les charognes mal
enterrées, toutes zones où les chairs se décomposent à l’air
libre, au regard des passants. Ce sont les « tueries
d’animaux », en particulier, qui sont insensiblement l’objet
d’attentions nouvelles. Une méfiance sourde conduit au
déplacement des tueries hors de Paris ; un rejet exigé par les
lettres patentes de Charles VI, en 1416, et l’évocation explicite
de leurs « émanations » dangereuses : « En tant qu’il touche le
fait de la tuerie des bêtes, nous avons ordonné et ordonnons,
afin que l’air de nostre dite ville ne soit doresnavant infect ne
corrompu par icelles tueries et escorcheries et aussi que l’eaue
de la rivière de Seine ne soit corrompue ne infecte par le sang
et autres immondices desdites bêtes qui descendaient et que
l’on gectait en la dite rivière de Seine, que toutes tueries et
escorcheries se feront hors de notre dite ville de Paris 188. »
L’emplacement nouveau est celui des Tuileries, accommodé de
quelques « fosses », pour recevoir le sang, près du Louvre, au-
delà de l’enceinte de Charles V. C’est la première fois que
s’opère à Paris, dans un but de santé, un déplacement de
métiers ; la Grande Boucherie du Châtelet étant, d’ailleurs, la
même année, elle-même démantelée et disséminée, émiettée
en quatre lieux différents, afin « d’oster et éloigner tout ce qui
peut être cause et occasion de corruption ou infection d’air et
de nuire à corps humain 189 ».
Encore faut-il mesurer ces bouleversements, souligner
combien ils restent ancrés dans leur temps. Impossible, bien
sûr, d’y voir les prémices de l’assainissement moderne. Seules
l’odeur ou la pourriture visible inquiètent, et non la rivière,
réceptacle pourtant universel du rebut. À Orléans, autour de
1360, c’est bien dans la Loire que « doivent » être immergées
les viandes jugées infectées : « Aucun ne peut vendre char de
bœuf s’il a le fil ou est gléreux. Et pourront les jurés prendre
telle char et faire jeter en la rivière 190. » C’est dans la Loire,
encore, que sont déversés, par mesure de sécurité, immondices
et abats, débris et déchets d’animaux venus des boucheries :
les étaliers « nestayeront les rues où ils demourent… et les
ordures feront porter à la rivière chascun samedi 191 ».
L’entretien des boucheries, leur organisation spatiale,
traduisent l’amorce balbutiante d’un travail de sensibilité. La
boucherie de la place de l’Horloge, par exemple, à Avignon,
ne possède pas au XVe siècle d’enceinte fermée ; elle sert
d’abri, la nuit, aux mendiants et aux gens de passage. Plusieurs
plaintes réclament sa fermeture. Une barrière de bois est
placée, en 1489, avant d’être brisée et supprimée. Ce qui laisse
l’accès libre la nuit pour plusieurs années encore. Il faut la
découverte sur les étals, en 1527, de deux hommes morts de
peste pour que l’enceinte soit définitivement close 192.
Les corps poreux
L’attention à l’air s’accentue pourtant durant le XIVe siècle.
Une inquiétude sourde s’installe, directement liée à la peste.
L’attitude de chacun à l’égard de son propre corps impose un
repère supplémentaire. Jacopo Soldi exprime la nouvelle
crainte avec le plus de clarté, dans un Antidotaire contre le
temps de peste, du début du XVe siècle : « Les corps dont les
pores restent ouverts sont les plus aptes à subir
l’infection 193. » Le médecin florentin cite parmi les personnes
« plus facilement atteintes » celles dont la peau et les organes
sont envahis d’humidité, celles dont l’excès d’humeurs a
favorisé les ouvertures, celles dont la fatigue, la transpiration
ou la chaleur ont distendu les pores. Plusieurs comportements
se révèlent alors brusquement menaçants : l’exercice,
« échauffant et ouvrant les pores du corps 194 » ; la chaleur,
« ouvrant par trop les conduits du corps 195 » ; les bains ou
l’abandon « trop fréquent au plaisir sensuel, débilitant la vertu
naturelle 196 ». Dans chaque cas, l’air pestilent pourrait
infiltrer les organes et « infecter toutes les humeurs 197 ». Le
corps serait offert au mal comme un objet poreux, gagné,
pénétré par d’innombrables passages et ouvertures.
Des habitudes largement installées sont transformées : les
étuves, par exemple, progressivement interdites par temps de
peste, s’effacent du paysage urbain entre le XVe et le XVIe
siècle. Leur fermeture répétée à chaque épidémie, la crainte
d’une présence toujours latente du mal, accroissent leur
désaffection : « Étuves et bains, je vous en prie, fuyez-les ou
vous en mourrez 198. » Des quatre étuves dijonnaises du XIVe
siècle, la dernière est détruite au milieu du XIVe siècle 199.
Celles de Beauvais, d’Angers, de Sens, ont également disparu
au XIVe siècle 200. De la trentaine des bains parisiens, enfin,
recensés au XIVe siècle, un nombre infime est encore présent
dans le Livre commode des adresses de Paris de 1692 201 : un
effacement sur lequel plusieurs témoignages restent
convergents. Celui d’Érasme, par exemple, au début du XIVe
siècle : « Il y a vingt-cinq ans, rien n’était plus en vogue que
les bains publics ; aujourd’hui, il n’y en a plus, la nouvelle
peste nous a appris à nous en passer 202. » Non que les
pratiques hygiéniques aient été bouleversées. Ces bains, pour
la plupart d’entre eux, n’étaient pas des bains de propreté :
l’étuve reste, au Moyen Âge, un lieu de plaisir (même si elle
est aussi un lieu d’épuration en provoquant une transpiration),
elle touche à l’érotique plus qu’à l’entretien du corps. Elle
reste un espace de rencontre, voire de débauche.
Le risque s’étend encore avec cette image d’un corps plus
vulnérable. L’air pénétrant la peau devient une menace plus
large. Il suscite d’autres attentions : le danger de l’air froid
s’accroît, par exemple, susceptible de pénétrer le corps jusqu’à
figer le cœur. D’où ces descriptions de morts par
« refroidissement » à la chasse, à la paume, au jeu, dans les
chroniques du XVe siècle : Jacques de Bourbon, mort le 22
mai 1468, à Bruges, « par forfroiture d’avoir joué à la
paume 203 » ; Charny, qui, « par froid pris [après la chasse],
chut en un excès de fièvre 204 » ; d’où, encore, ce précepte
insistant autour de 1480 : « Ne pas prendre repos en temps
éventé. Car adonques la distillation de l’air percerait et
pénétrerait les poreaux et entrerait jusques aux parties
intérieures du corps 205. » Inquiétudes marginales, bien sûr, par
rapport à celle que mobilisent les épidémies, sans grand enjeu
même, mais qui montrent comment ont basculé des
représentations et se profilent de nouvelles défenses : un
engagement vers des protections « individuelles » et
mécaniques, entre autres.
Et puis tel air fait transmuer
Les humeurs du corps et pourir
Qui les membres devaient nourir 206.
CHAPITRE III

Contre le cosmos, le régime


La peste a accentué l’image d’une porosité des frontières
organiques, celle d’un corps plus perméable. Elle a permis, du
coup, de mieux imaginer la lente élaboration d’un barrage
entre le corps et son milieu. La « pureté » devant circuler dans
les organes n’est plus seulement celle des nourritures
transformées en humeurs, mais encore celle des effluves, des
eaux et des vents.
La brutale apparition de la syphilis, à la fin du XVe siècle,
ajoute de nouvelles craintes. Les symptômes du mal vénérien
déplacent davantage encore le regard. Un doute apparaît : l’air
peut-il être incriminé alors que la transmission semble directe,
suggérant le rôle du seul contact intime ? La contamination
syphilitique permet un infime glissement vers la
compréhension du phénomène contagieux : l’attention portée à
l’échange de sujet à sujet.
1. L’air ou la contagion ?
Les témoins des premiers symptômes de la syphilis, dans les
armées françaises et espagnoles, à la bataille de Fornoue, en
1495, ont le sentiment d’assister à un mal nouveau, un mal
terrible : « Cette maladie surpasse en horreur la lèpre
généralement incurable ou l’éléphantiasis, et la vie est en
danger 207. » Des pourritures sans nombre, « une gale hideuse
et noire… rien de plus dégoûtant 208 », une mort lente et
inexorable. Les interrogations se multiplient, à la fin du XVe
siècle, sur les circonstances exactes de cette affection
brusquement virulente que les soldats de Charles VIII portent
en France, après leurs aventures italiennes. Les explications, à
vrai dire, restent habituelles : planètes errantes, contacts
« impurs ». Décompositions ou pourritures sont toujours
accusées du rôle déclencheur. C’est l’idée de la transmission
qui change. Cette diffusion est très vite reconnue comme étant
sexuelle : « Par le contact vénérien, une maladie nouvelle, ou
tout au moins inconnue des médecins qui nous ont précédés, le
mal français, s’est glissée de l’Occident jusqu’à nous 209 »,
affirme Benedetti, en 1497, suggérant l’origine « américaine »
du mal, transporté par les soldats espagnols revenus des
« îles ». Cette identification du contact intime suggère,
insensiblement, de nouvelles protections.
Le premier principe contagieux
La maladie est bien d’« essence vénérienne 210 », dit
Bethencourt en 1527 qui, le premier, propose ce mot de
« vénérien » pour la définir : infection déclenchée par les
« embrassements avec une femme souillée 211 ». Non que la
« compagnie charnelle 212 » soit seule prise en compte. Paré,
comme d’autres, y ajoute la transmission par l’« haleine
infectée 213 » d’un vérolé, ou par l’attouchement de ses
chancres. Il décrit l’atteinte d’une famille entière après les
amours impures d’une nourrice dont le souffle gangrène
d’abord l’enfant, puis, par lui, la mère, le père et deux enfants
encore que le père « faisait souvent coucher avecques
luy 214 ». Mais l’explication sexuelle domine dans le milieu
savant : « maladie de la débauche 215 », assure Paracelse,
« maladie secrète » aussi, disent déjà quelques plaquettes de
charlatans.
L’affirmation permet un premier infléchissement des
explications épidémiques : l’infection ne serait plus liée à
quelque état de la nature, à quelque souillure répandue autour
des victimes, mais plutôt à une « semence », logée dans celui
qui transmet, à un venin directement communiqué par les
sexes : un principe invisible mais qui fait de la maladie une
communication de sujet à sujet. Autrement dit : non plus
l’épidémie mais la contagion, non plus la dissémination
incernable mais la transmission localisée. Fracastor, médecin
de Padoue, est le premier en 1530 à évoquer ces « germes »
(seminaria) passant de corps en corps, pour répandre le mal. Il
est le premier à suggérer une vision parasitaire : « Petites
choses vivantes et invisibles 216 », transmises d’individu à
individu. Tentative ésotérique encore : Fracastor évoque une
vengeance divine. Il décrit l’aventure fictive d’un berger
profanateur, Syphile, banni des dieux pour ses actes d’irrespect
envers eux, payant, par sa maladie honteuse, ses sacrilèges et
ses impiétés. Fracastor recourt au mythe, mais il amorce aussi
l’image d’agents organiques propageant la maladie : celle
d’éléments matériels, de ferments, voyageant entre les
victimes. Fernel, quelques années plus tard, complète le
tableau explicatif. Il avance une précision décisive : la
transmission de la maladie s’effectuerait par le contact avec
une partie du corps « privée d’épiderme 217 ».
L’image d’une propagation en chaîne s’y ajoute :
contamination progressive d’ensembles humains à partir d’un
premier corps touché. C’est le récit proposé par Brassavole de
Ferrare, celui d’une « belle et honnête dame » présentant des
ulcérations aux parties génitales : « Elle contamine d’abord un
homme, puis deux, puis trois, puis cent, car c’était une
prostituée et aussi une fort belle femme 218. » Ou l’épisode
tout aussi révélateur évoqué par Maynart : une « fameuse
courtisane de Valence », infectée par un « chevalier atteint de
l’éléphantiasis » diffusant à son tour la maladie nouvelle 219.
La stratégie de l’exclusion du malade s’impose alors plus
que jamais : cantonnement et retranchement des vénériens,
évitement des mélanges. Moins pour soigner, d’ailleurs, que
pour « tenir la ville, à l’aide de Dieu, en bonne santé 220 ». Ce
qui entraîne la recherche de nouveaux lieux d’enfermement,
régulièrement reprise par le Parlement de Paris : Saint-
Eustache, Lourcynes, Saint-Germain en 1497, les Petites-
Maisons en 1557, construites sur l’emplacement de la
maladrerie Saint-Germain, la Trinité en 1586. Les vénériens
prennent le chemin des anciennes exclusions, occupant la
place laissée par les lépreux dont le mal est en récession.
Mais, plus que jamais aussi, la maladie illustre la difficulté
des relégations : les menaces de peines, ou même de
pendaison, ne peuvent conjurer la circulation des vénériens. Le
mal est d’autant plus présent que ses symptômes restent, un
temps, invisibles. Les malades « conversant parmi la ville avec
les personnes saines 221 » pullulent malgré les interdits dans le
Paris de la fin du XVe siècle. Certains parviennent à gagner
l’Hôtel-Dieu où le recensement provoqué par le prévôt des
marchands en décompte une centaine en 1508. D’autres
réintroduisent le mal à partir des faubourgs où ils se sont
réfugiés. Jusqu’à l’inévitable désuétude de l’ordonnance
d’exclusion, avouée par le Parlement de Paris au milieu du
XVIe siècle : « Depuis cet arrêt, cette maladie était devenue si
commune qu’il n’était plus observé 222. »
Quelques démarches promises à avenir sont, en revanche,
suggérées pour le contrôle des malades : celle de situer leur
implantation, par exemple, ou de cerner leur itinéraire. Ruy
Diaz de Islas recommande en 1539 que toutes les filles
publiques soient dotées d’un certificat attestant leur bonne
santé. Diaz propose même d’en étendre l’usage aux filles
d’auberge, promouvant le certificat en condition
d’embauche 223. La suggestion, bien sûr, n’a guère d’effet
immédiat. Au moins confirme-t-elle la tentative d’accroître la
ségrégation des prostituées, au XVIe siècle, jusqu’à
l’interdiction des bordels par les états d’Orléans en 1560 :
« Défendons tous bordaux… que voulons être punis
extraordinairement sans dissimulation ou convenance des
juges 224. » La crainte de la syphilis converge ici avec les
premières démarches contre-réformistes de moralisation
publique et de relégation des populations « douteuses ». Mais
la proposition de Diaz désigne surtout de nouvelles mesures
possibles envers les contagieux, comme celle de chercher à
maîtriser leurs déplacements. La syphilis aura favorisé une
conception plus « individualisante » des atteintes : accentuer le
regard sur le malade porteur, tenter de localiser le mal,
désigner et ficher les sujets douteux.
La démarche pour repousser ce mal à la limite du confin
géographique ou celle de désigner son porteur restent les
seules défenses clairement entreprises. Beaucoup plus difficile
se révèle l’élaboration d’une défense spécifiquement
individuelle : la préservation de soi dans l’acte sexuel, la
protection dans le contact, ne sont que très modiquement
évoquées. Le mal touche à une sphère de comportement
paraissant encore relever de l’instinct, appartenant aux
attitudes encore peu analysées ou peu interrogées : discours et
commentaires y ont peu de place, observations et
recommandations peu d’effets. Alménar est un des seuls, au
début du XVIe siècle, à suggérer des précautions à prendre
dans la relation sexuelle, recommandant « à l’homme et à la
femme de faire une toilette minutieuse après le coït en se
servant de leur chemise ou de tout autre linge propre et de ne
pas employer les serviettes des prostituées parce qu’elles sont
contaminées 225 ». Fallope ajoute en 1564 une précaution
limitée aux gestes de l’homme : celle d’entourer le gland après
le coït d’un morceau de toile imprégné de vin de malvoisie, de
poudre de bois de gaïac et de bois d’aloès 226. Bien peu
d’évocations, en revanche, sur les précautions spécifiques que
pourrait susciter la rencontre avec le mal, sinon quelques
suggestions vagues sur la reconnaissance des corps infectés,
ceux des prostituées surtout :
Mais gardez-vous de monter sur le tas
Sans chandelle ; ne soyez point honteux
Fouillez, jettez, regardez haut et bas
Et en après prenez tous vos ébas227
La préservation personnelle dans la syphilis n’est pas encore
clairement pensée, d’où l’importance de l’exclusion spatiale,
malgré ses défaillances.
Le choix de l’air
Pressentie, soupçonnée mais non vraiment située, la
contagion reste en réalité peu explicitée au XVIe siècle. La
corruption de l’air l’emporte toujours dans l’explication des
pestes. L’espace environnant reste le premier désigné.
C’est une « vapeur puante 228 » qui explique, pour
Ambroise Paré, la peste de l’Agenois en 1552 : celle issue de
corps entassés dans un puits du château de Pêne, au début des
guerres de Religion. Dans ce cas précis, le thème de la
préservation de soi reste générique, un ensemble de pratiques
identiques d’une maladie à l’autre : maintenir la pureté des
humeurs, manger « bonnes viandes », joncher le sol d’herbes
fraîches 229, porter « sur la région du cœur un sachet fait de
roses, violettes, feuilles de myrrhe 230 » pour mieux se
protéger du mauvais air. De même, l’« habit de peste »,
préconisé par les médecins du XVIe siècle, est-il d’abord
pensé pour préserver de l’air : vaste enveloppe recouvrante,
chargée d’obturer toute issue du corps, comme le « maroquin
du Levan », manteau au cuir souple et resserré censé faire
obstacle au venin pesteux porté par le vent, ou les étoffes
« étroites », lisses et parfumées, « tabis, tafetas et
camelots 231 ».
Quelques changements pourtant rappellent les attitudes
nouvelles suscitées par la syphilis. C’est directement sur le
porteur du mal et plus seulement sur l’espace physique que le
XVIe siècle permet d’accentuer le regard : les symptômes,
sans doute, mais surtout les emplacements, les déplacements
du malade. Une démarche originale s’impose pour la peste : la
réclamation, aux portes des villes, de billets de santé attestant
la non-contamination des entrants ; autrement dit, une
surveillance, par l’écrit, des voyageurs ou des errants. Biraben
en décèle la trace à Brignoles, dès 1494 232. Le procédé se
généralise au XVIe siècle, avec une exigence dont le
renforcement est quelquefois perceptible de peste en peste.
La véritable innovation défensive tient aux initiatives
collectives. Le prévôt de Paris institue, en 1553, une
succession de responsabilités en chaîne : « Le commissaire de
quartier appelle avec lui deux marguilliers, nommera deux
hommes en chaque paroisse qui auront chacun 10 livres parisis
pour leur peine 233. » Il s’agit de suivre l’itinéraire de la
pestilence. Chacun doit informer de l’apparition du mal, de
son avance possible, de lieu en lieu. À quoi s’ajoute
l’obligation faite aux habitants de participer directement au
réseau : l’arrêt de 1533 enjoint déjà « à tous ceux qui sauront
quelqu’un attaqué de la peste, ou qui en sera seulement
soupçonné, d’en avertir incessamment les dixainiers,
cinquanteniers, ou quarteniers 234 ». Le but reste bien de
localiser le mal, de le suivre, pour le compartimenter et le
cantonner.
Les officiers enfin prennent en charge ce qui appartenait
depuis longtemps à l’initiative des particuliers. Les prévôts de
santé effectuent la visite des maisons infectées, assurent leur
fermeture, leur aération : y « remuer et déplacer les meubles,
les transporter aux lieux qui seront ordonnés, nettoyer les
lieux, tenir les fenêtres ouvertes, fermer les portes 235 ». Ils
interviennent, dans ce cas, sur l’air comme sur les personnes ;
ils attachent les croix désignant les maisons suspectes ; ils
règlent l’isolement des malades, leur « transport, nuitamment,
à l’Hôtel-Dieu, par les hommes qui sont destinés à ce
service 236 » ; ils assurent l’inhumation des corps.
Ces règlements de la fin du XVIe siècle restent valables
pour plusieurs décennies : responsables hiérarchisés par
secteurs, malades obligés de déclarer leur mal pour mieux être
isolés. À quoi s’ajoute le retour répété des ordonnances
anciennes, dénonciation des lieux malodorants, évacuation de
mendiants, interdiction de marchandises issues de zones
« infectes ».
La peste n’est encore ni connue ni maîtrisée, la réponse
devient seulement plus active, plus déterminée, plus concertée
aussi. Alors même que la localisation de l’inquiétude reste
inchangée : les espaces menaçants sont les espaces
malodorants ; le corps mis en péril est le corps « pénétré ».
2. La faim adoucie ?
Cornaro, noble padouan confessant son régime de vie au
milieu du XVIe siècle, souligne le succès de ses concitoyens
contre la peste : assèchement des marais, respect des
quarantaines. La mortalité de la ville aurait baissé. Cornaro
insiste alors sur d’autres menaces : les nourritures malsaines
des Padouans pouvant tuer plus que la peste… Il s’attarde au
détail et à la quantité des aliments, à leurs effets, suggérant
combien cette attention traduit sans doute le « vrai »
changement dans les pratiques de santé du XVIe siècle 237. La
nouveauté porte sur cette volonté toute particulière d’un lent
ménagement du corps : un travail déterminé et conscient sur le
temps. Changement discret apparemment, mais qui suppose un
recul de la faim, aussi bien qu’une espérance inédite dans la
durée de la vie. Cette sensibilité, décelable dès la fin du XVe
siècle, promeut une mutation possible des pratiques
quotidiennes.
Les lourdeurs jugées excessives
La critique des lourdeurs corporelles, le danger de la
voracité sont déjà évoqués à la fin du XVe siècle autrement
qu’ils ne l’étaient auparavant. Commynes le montre lorsqu’il
se complaît à décrire le régime alimentaire d’Édouard
d’Angleterre, dans les dernières années du XVe siècle : prince
comblé après l’échec de son rival Warwick, Édouard a
multiplié « fêtes et banquets », s’adonnant à ses passions,
mangeant et buvant jusqu’à tomber d’apoplexie. Le roi meurt
en 1483 sous l’abondance des humeurs, étouffé par son sang et
ses pesanteurs physiques : « Il prit ses plaisirs plus que devant,
ne craignant personne, et se fit gras et plein, et en fleur d’âge
le vinrent ronger ses excès, et mourut soudainement
d’apoplexie 238. » Commynes retrouve les mêmes accents pour
critiquer le « régime » de Mehmet Ottoman, l’empereur des
Turcs, dont les armées ont pu menacer Venise, trépassant au
même moment, à l’âge de cinquante-deux ans, pour avoir été
« grand gourmand outre mesure 239 ». Mehmet est saisi
d’enflures de jambes, de grosseurs variées que les chirurgiens
ne peuvent corriger, de troubles inattendus, « maladies qui lui
sont venues tôt 240 ». Aucun doute pour Commynes : la mort
est ici aidée « par la grande gourmandise 241 », peut-être
encore par quelque « châtiment de Dieu 242 ». Propos sans
surprise pour le lecteur d’aujourd’hui, sans intérêt même, s’ils
ne révélaient, en dehors des textes médicaux traditionnels, un
des premiers rapprochements entre l’excès de nourriture et la
mort. Les blâmes de Commynes imposent une évocation
« concrète » du danger des bombances, une illustration de
grosseurs physiques inquiétantes, la réprobation explicite de
formes corporelles dangereuses.
Il faut mesurer ici la distance entre ces descriptions de
Commynes, à la fin du XVe siècle, et celles de Froissart, un
siècle plus tôt. Froissart décrit avec enthousiasme les grandes
chères de Gaston de Foix dont il admire, durant son séjour à
Orthez, l’autorité et la prestance. Gaston mange « force
volailles 243 », il reste à table toujours plus de deux heures,
cumulant boissons et entremets. Lorsqu’il meurt, lui aussi
d’apoplexie en 1388, Froissart ne suggère pas de relation
possible avec son « régime ». Les assistants tentent de ranimer
le mourant en poussant dans sa bouche des épices et du pain,
toutes choses jugées « confortatives 244 ». Ils recourent au
prestige des aliments prolifiques, à celui des excitations et des
cumuls.
La nouvelle sensibilité de Commynes tient à la
condamnation physique de l’excès. Le propos s’attarde aux
dangers visibles, aux menaces de mort. Le regard se porte aux
formes pour y déceler pourritures et impuretés. Autrement dit,
la valorisation de la corpulence massive semble avoir reculé en
cette fin du XVe siècle. Ce qui explique, sans doute, les
moqueries des compagnons du jeune Loys de La Trémoille,
autour de 1490, dénigrant son profil, l’accusant de « devenir
aussi gros que le seigneur de Cran, son oncle paternel 245 ».
Loys s’en défend, s’aventurant dans un jeûne persévérant pour
mieux « surmonter nature 246 ».
Non, bien sûr, que la « maigreur » triomphe. Il s’agit plutôt
d’un moment dans la lente histoire opposant les formes, celui
d’une première défiance envers les volumes jugés trop
corpulents : la crainte de menaces physiques, doublées de
suggestions esthétiques. Tout au plus l’indice d’un premier
recul des lourdeurs, alors que les critères de l’excès, leurs
références, échappent encore à toute précision.
La « moindre » valorisation de l’aliment
Fallait-il que la faim exerce moins de pression tragique pour
que les « grosseurs » et les « réplétions » puissent en partie
perdre chez les nantis le prestige qu’elles avaient auparavant ?
Fallait-il que la valorisation de l’aliment s’atténue pour que
naisse cette tendance à dénoncer les corps « gros et gras 247 » ?
Difficile bien sûr de souligner ici des causalités directes ;
difficile de désigner le possible recul de la faim, au XVe siècle,
comme la condition directe de nouvelles appréciations des
formes et des densités du corps. Force seulement est de
constater des convergences : c’est au XVe siècle que
commencent à être évoquées, au-delà des seuls textes
médicaux ou des seuls rituels religieux, des démarches
concrètes de restriction hygiénique, des abstinences clairement
diététiques, alors même que la faim semble desserrer ses
contraintes.
La seconde moitié du XVe siècle est, à cet égard, un
moment charnière. Le pays nantais n’enregistre qu’une récolte
déficitaire entre 1465 et 1527 ; un seul effondrement
frumentaire, également dans le Cambraisis, entre 1439 et
1523 ; aucune disette sérieuse durant la même période en
Provence ou dans le Bassin parisien, alors que la crise
d’approvisionnement de 1315 y était restée sensible sur
plusieurs décennies 248. Non que soit survenue quelque
innovation technique dans le monde rural. Seule
l’augmentation des terres cultivées explique ici le
changement : le recul des épidémies depuis 1440 et
l’effacement de la guerre de Cent Ans s’accompagnent d’une
lente remontée démographique. Cet « entretenement et
copiosité du populaire 249 » dont parle Claude de Seyssel
visitant les campagnes de la fin du XVe siècle autorise à son
tour de nouvelles possibilités de défrichement. Causalités
circulaires qui génèrent une vitalité nouvelle et transforment le
rapport à la terre. Quelques chiffres le révèlent, malgré leur
rareté : l’augmentation progressive du rendement par grain,
avec la mise en valeur de terres neuves, le passage de 3,8 à 4,3
grains récoltés pour 1 grain d’orge semé, de 2,42 à 4,3 pour 1
grain d’avoine, entre 1350 et 1450, à Weschminster 250 ; ou
l’augmentation du cheptel, celui de Maillane, par exemple, en
Provence, passant d’une quarantaine de bêtes de trait en 1430
à 200 en 1471 251, celui des « lainiers » anglais, aussi, dont la
production s’accroît du tiers entre 1450 et 1480 252.
Avec, bien sûr, d’inévitables conséquences sur les régimes
alimentaires. Un accroissement de la consommation de viande
et de poisson est nettement perceptible à l’archevêché d’Arles,
entre 1429 et 1468 ; leur présence dans les dépenses
alimentaires passe de 39 % à 46 % 253. Le pain domine moins
au profit de nourritures plus diversifiées, plus riches : 32,1 %
de pain au Studium papal de Trets en 1365 contre 26 % à
l’archevêché d’Arles en 1468 254. Tous signes indirects, mais
repérables, d’une récession possible de la faim, ceux d’une
moindre crispation sur la nourriture et les denrées.
Ce qui n’indique évidemment pas une disparition des
famines. Quelques épisodes graves s’imposent jusqu’au
XVIIIe siècle. Un exemple parmi bien d’autres : la famine
intense de 1531, dans le pays nantais, « si grande que les
pauvres mouraient de faim par les rues et par les chemins et en
leurs maisons 255 ». Tout aussi intense est la famine gagnant
les pourtours de la Méditerranée entre 1521 et 1524. La mort
par la faim reste une réalité du XVIe siècle. Le roman
picaresque de Mateo Alemân à la fin du siècle, La Vie de
Guzmàn de Alfarache 256, témoigne au-delà de l’Espagne. Ses
pauvres, dont la nourriture occupe les rêves et les pensées, ne
sont pas seulement ceux de la Galice ou de l’Andalousie ; ils
sont encore ceux de l’Aquitaine ou du Poitou.
Accroissement des hommes et accroissement des denrées
ont pourtant, au XVIe siècle, des conséquences sur la vision
même de l’entretien du corps.
3. Modération et amour de la vie
La présence de la vie surtout a gagné du terrain au XVIe
siècle. La France, dont la population a diminué de moitié entre
1348 et 1450, passe de 12 millions à 20 millions d’habitants
entre 1530 et 1594, la Castille de 3 à 6 millions, alors que la
population anglaise fait plus que doubler durant la même
période 257. D’une région à l’autre les chiffres indiquent un
accroissement minimal de 50 % au cours du siècle. C’est bien
l’image de la vie qui peut changer ; la vision du temps surtout.
Un sens inédit de la durée s’affirme dès la fin du XVe siècle,
une attention plus marquée à la densité de l’existence, à ses
phases successives, à leur richesse. L’interrogation sur les pays
où la vie serait la plus longue devient un thème habituel des
traités de santé : l’Inde domine dans ces comparaisons
laborieuses ; son « air subtil et pur », ses « fruits excellents »,
ses « fleurs et pommes sauvages » ne permettraient-ils pas à
quelques vieillards d’approcher les trois cents ans 258 ? La
lamentation sur les morts précoces devient elle-même plus
insistante, plus pressante : aveu plus explicite, en tout cas,
d’attention au vivant.
L’inquiétude et l’éphémère
Les signes de cette affirmation charnelle se multiplient. La
jeune fille saisie par la mort, la beauté promise au cadavre,
figure nouvelle des livres d’heures et des tableaux de la fin du
XVe siècle, accentue, avec Dürer ou Baldung 259, quelques
décennies plus tard, l’occasion de trouble et d’exaltation : la
jouvencelle généralement habillée, au XVe siècle, menacée par
le squelette penché sur elle, devient ici un corps dénudé, lui-
même plus gracile, célébrant la beauté et les joies de la vie ;
l’image d’une fraîcheur, d’un éclat, dont la brièveté fait
précisément tout le prix. Figure transposée chez Titien en celle
d’une vieille femme décharnée, au regard tragique, pointant sa
main directement vers elle-même ; un papier échappe de cette
main où Titien révèle le sens du tableau : Col Tempo (« avec le
temps 260 »), visage altéré par la fuite des jours. Ce que
suggère, à sa manière encore, la nostalgie de Ronsard,
transposée en méditation sur le temps ; soulignant
l’évanouissement des instants, leur abolition, mais aussi leur
force et leur épaisseur :
Car je n’ai pas égard à cela que vous êtes
Mais au doux souvenir des beautés que je vi261.
Ou Les Regrets que la mélancolie de Du Bellay traduit en
une longue déploration sur le temps :
Las ! et nous cependant nous consumons notre âge
Sur le bord inconnu d’un étrange rivage,
Où le malheur nous fait ces tristes vers chanter 262.
La Pléiade a su transmettre cette inquiétude : un sens
nouveau de l’éphémère, une attention anxieuse aux durées, à
leur effacement ; elle a su, de surcroît, y trouver quelque
accent hédoniste, une inclination inédite pour l’évocation du
présent :
Vivez, si m’en croyez, n’attendez à demain 263.
Thomas More a le sentiment d’une découverte lorsqu’il
convie ses Utopiens, au début du XVIe siècle, à considérer la
santé comme une volupté, faisant d’elle une sensation de
maturité, d’acuité, une force particulière, jusque-là enfouie
dans la banalité des instants. C’est l’insistance radicalement
neuve sur une plénitude possible : « Il faut être de pierre ou
frappé de léthargie pour ne pas se complaire dans une santé
parfaite, pour ne pas y trouver de charme. Or ce charme, cette
complaisance, qu’est-ce autre chose que la volupté 264 ? » Ce
qui conduit à quelques partages abstraits entre une « santé
parfaite » et une « santé imparfaite », compliqués au passage
par la proposition de Monteux situant encore un troisième état
« entre les deux 265 ». Distinctions toutes relatives, bien sûr,
hasardeuses même sur ces différentes « espèces de santé 266 »,
par ailleurs peu décrites ou précisées, mais qui montrent
combien l’état de « bien-être » est lui-même plus
qu’auparavant désigné, observé, évalué.
Les textes chrétiens répercutent, à leur manière, les
préoccupations nouvelles. Les « arts de mourir », subtilement
analysés par Philippe Ariès, ces préceptes censés préparer le
mourant, largement diffusés depuis le Moyen Âge, révèlent un
changement notable au XVIe siècle 267. Longtemps centrés sur
le moment même de la mort, sur les gestes et les formes de
dévotion qu’elle exige, sur la chambre du mourant, avec son
espace et ses objets, ils suggèrent au XVIe siècle une piété plus
quotidienne, une vigilance s’étendant à tous les moments de la
vie. Chacun de ces instants ne risque-t-il pas d’être le dernier ?
Le sentiment plus aigu de l’instable, l’attachement plus vif au
présent, transforment lentement l’image même de la mort :
diluée dans la diversité des moments, l’intensité de l’heure
dernière tend à perdre en force. Les remarques s’étendent
insensiblement au « bien-vivre », aux prudences et aux
ménagements qu’il implique. La tempérance domine cette
perception du temps. Un mot, surtout, gagne un relief qu’il
n’avait pas : celui de sobriété. La conduite est à ménager,
l’intensité du temps à économiser : l’« art de mourir », avec
une tonalité inédite, insiste sur la « conservation du corps ». La
sensibilité s’est modifiée.
Une tempérance profane
L’humanisme de la Pléiade ou l’austérité chrétienne
confirment, par des voies différentes, la nouvelle perception du
temps ; les régimes y trouvent l’occasion de prospections
inédites. C’est bien cette sensibilité qu’illustre le long
témoignage de Cornaro, mort à Padoue en 1566, à l’âge de
quatre-vingt-dix-neuf ans, après un régime dont la description
reste classique sur plusieurs décennies. Seigneur vénitien aux
mœurs dissipées, Cornaro décide, à l’âge de quarante ans, de
restreindre sa nourriture à 12 onces d’aliments par jour
(environ 500 grammes) et à 14 onces de vin 268. Sa résolution,
prise en dehors de toute prescription médicale, est
explicitement liée à la volonté de prolonger la vie : maintenir
le corps « allègre » et « vigoureux », éviter d’« étouffer les
esprits » par la quantité de « viandes » absorbée. Une
restriction qui s’accentue encore avec la vieillesse : Cornaro
tente, après quatre-vingts ans, de diminuer certaines quantités,
tout en consommant plus souvent, mais avec de moindres
portions chaque fois.
Les préceptes sur la qualité des denrées restent, au contraire,
traditionnels chez ce Vénitien dont le traité est diffusé dans
toute l’Europe : choisies pour respecter la « chaleur » ou la
« froideur » des tempéraments, elles doivent, sans surprise,
être « simples » et légères, adaptées à l’estomac de chacun.
Tout vient de la sobriété, démarche si importante que Cornaro
parodie son nom en figure divine, lui adressant poèmes et
discours : « O divine sobriété qui es tellement utile et
profitable aux hommes… les faisant vivre un si grand âge que
la raison se rend entièrement maîtresse d’eux 269. » Figure si
imposante, enfin, qu’elle semble atténuer la peur même de la
mort. La sobriété permettrait d’éloigner le corps de toute
maladie, promettant une fin sans souffrance : « Non, la pensée
de la mort n’a pas de prise sur moi 270. » Le macabre y perd
une part de sa noirceur, la mort une part de sa force
menaçante. La « vie réglée » devient un secours contre
l’angoisse dernière : « Tu les délivres aussi de l’effroyable
pensée de la mort 271. » Cornaro emprunte à l’ars moriandi,
mais il déplace son objet et le transpose en démarche profane.
Il en adopte la construction et la finalité tout en transformant
son contenu : avec le « régime », la vigilance quotidienne sur
l’excès libère le corps de toute impureté ; avec l’« art de
mourir », la vigilance quotidienne sur le péché libère l’âme de
toute souillure. Dans les deux cas changerait le poids de la
mort, rendue moins effrayante, moins menaçante ; dans les
deux cas s’imposerait une préparation plus assidue, mais
moins inquiète ; une conscience plus aiguë du temps, une
façon d’en apprécier davantage l’intensité tout en la
ménageant : le développement d’une stratégie explicite de
durée. La sobriété devient, pour Cornaro, une voie de
conjuration du malheur, une façon profane de régler une
question posée, implicitement encore, dans les termes de la
religion.
L’ensemble du discours de Cornaro reste marqué par
l’empreinte religieuse. Le style démonstratif demeure celui de
l’exhortation, plus proche quelquefois de l’homélie ou du
sermon que de la démonstration savante : « Songez-y, je vous
en conjure, au nom de Dieu, car je suis certain [que l’excès de
nourriture] est un vice abominable 272. » Le précepte moral, la
suggestion d’une « autre vie » se font insensiblement prêche
d’une promesse, annonce d’une « espérance ». La nouvelle
existence amorcée par le régime est elle-même qualifiée de
renoncement. Les mots s’influencent par proximité de sens, ils
se substituent par voisinage de champ ; le ton de la conviction
glisse à celui de la conversion, la « vie réglée » devient « vie
sainte », l’accès au bonheur promis par la sobriété devient
grâce dont Cornaro doit déclarer avec insistance qu’elle n’est
pas surnaturelle : « Je leur dis que la grâce dont je jouis n’est
pas une grâce spéciale mais accessible à tout individu 273. »
Cornaro lui-même présente sa nouvelle vie comme une
dévotion, une docilité, l’adhésion entière à quelque puissance
éminente. L’adoption d’une pratique de restriction alimentaire,
avec les vigilances qu’elle implique, est invinciblement
comparée à la pratique religieuse de restriction, avec les
vigilances parallèles qu’elle impose : « Bien des gens
embrassent la vie de recueillement et de prière ; oh ! s’ils
embrassaient aussi pleinement la vie réglée et sobre 274. »
Jusqu’au bonheur déclenché par la santé ainsi obtenue qui
semble devenir une réplique du Paradis : les plaisirs sensibles
mais chastes, les paysages riants et pacifiés, la famille
entourant le saint vieillard pour mieux le vénérer. Le parallèle
est si présent qu’il est explicité : « On peut, comme moi,
posséder le paradis sur terre 275. » Cornaro utilise les
références sacrées, en les déplaçant, comme autant d’outils
faits pour mieux renforcer la conviction profane.
L’accès plus libre à quelque jouissance de vie, la force plus
grande accordée aux plaisirs quotidiens, empruntent ici un
style démonstratif, une rhétorique, un maniement de la morale,
qui restent ceux d’une tradition plus ancienne. Les formules du
discours, ses images, appartiennent au style de la prédication
sacrée, alors que son contenu s’en est largement détaché. Le
changement, pour paradoxal qu’il soit, conduit à cette
promotion du sensible et à cette surveillance plus exigeante de
la vie.
Présence du régime alimentaire
La pratique du régime devient du coup plus présente, au
XVIe siècle, plus commentée, plus précise. Cornaro, on l’a vu,
pèse ses aliments avant chaque repas, comme le fait Pontormo,
ce peintre florentin du milieu du XVIe siècle. Pontormo
consigne même scrupuleusement dans son Journal la quantité
et la qualité des denrées consommées. Il note les onces de
poisson ou de viande, leur mode de cuisson, bouilli, frit ou
rôti. Il jeûne après un malaise : le vendredi du 29 mars 1555,
où il ressent des douleurs de reins, « c’était un vendredi et le
soir je ne soupai pas et restai jusqu’au samedi soir, je mangeai
alors 10 onces de pain et deux œufs et une salade de fleurs de
bourrache 276 ». L’entretien du corps, plus qu’auparavant,
suscite le calcul journalier. De même Héroard, médecin du
futur Louis XIII, note-t-il scrupuleusement, au tout début du
XVIIe siècle, le poids des aliments consommés par le
dauphin : le 2 mai 1606, « potage 6 [onces] – asparges 8 –
chapon bouilly, ung aisleron ; le hault du bras de l’aisle – …
beurre frais sur du pain, 6… 277 » ; ou le mardi 16 mai,
« salade de fleurs de buglosse, 8 et 12 de pain – potage sur
l’assiette et dans le plat avec la moitié d’un chapon bouilly
haché, 16… 278 ». L’entretien du corps semble d’autant mieux
assuré que serait contrôlé le poids des denrées consommées.
Alors que les qualités restent traditionnelles, comme le
montre Cardan lorsqu’il s’interroge sur ses goûts : « Je trouve
plaisir à manger des écrevisses parce que ma mère en
mangeait avidement lorsqu’elle me portait dans son sein 279. »
Ou Rabelais lorsqu’il évoque le régime de Gargantua,
mangeant, les jours de pluie, « plus sobrement que es aultres
jours et viandes plus dessicatives et exténuantes, affin que
l’intempérie humide de l’air, communicquée au corps par
nécessaire confinité, feust par ce moyen corrigée 280 ». Ce
corps reste bien un ensemble « pénétré » par les pores. Il est
imprégné par l’air, gagné par l’atmosphère, froide, chaude,
sèche ou humide. Ce qui oriente, il faut le redire, le choix
alimentaire. Alors que la place de la nourriture et le souci de la
vie ont changé.
Le régime, bien sûr, est loin d’être la préoccupation de tous,
au XVIe siècle. Son ignorance ou sa négligence restent
largement sensibles, même chez les plus avertis. Dans une
lettre à Villeroy en 1579, Henri III, atteint pourtant d’une
goutte attribuée à ses excès alimentaires, insiste sur le refus de
toute restriction : « Je suis pris par le pied gauche d’un mal qui
ne me laisse dormir. C’est un sot mal, mais je me porte très
bien au reste. Adieu je mange comme un loup 281. » Gilles de
Gouberville, dont le témoignage est si précieux sur la petite
noblesse campagnarde, n’hésite pas à envoyer le 28 avril 1559
à une sœur « fort malade d’une pleuraysie » plusieurs
« flascons de cydre » et nombre de « pigeonnaulx 282 ».
Dallington, enfin, voyageur sensible aux gestes quotidiens,
traversant la France de 1598, note la « manière désordonnée de
manger » des Français. Il regrette leur absence apparente de
diète, « chose aussi en usage chez les femmes que chez les
hommes que nous pouvons voir assis en plein air devant leur
porte boire et manger en nombre 283 ».
La sobriété devient pourtant pratique plus « légitime »,
recherche plus commentée, plus estimée. C’est sa valeur de
modèle qui importe. Telle est bien la nouveauté : le régime a
plus de présence, même si son usage est loin d’être
globalement partagé. Lorsque Montaigne le conteste, jugeant
trop rigoureuses certaines de ses restrictions, jusqu’à les
accuser de mettre « en chartre 284 », il souligne l’intérêt que le
régime fait naître. Il le traite en thème familier. Il y recourt
quelquefois d’ailleurs, tout en avouant manger le plus souvent
goulûment jusqu’à mordre sa langue ou ses doigts. Il justifie,
au passage, ses diètes occasionnelles par le besoin de
« conserver sa vigueur au service de quelque activité du corps
et de l’esprit 285 ». Plus largement, les remarques de
Montaigne liant le goût alimentaire aux sensations de chaque
corps, son insistance sur la nécessité de ne pas changer les
nourritures devenues habituelles (« longtemps accoutumées »),
son attachement à son « expérience » personnelle et aux
adaptations qu’elle crée, dénotent une vigilance plus constante.
Présence discrète, enfin, dans La Cité du Soleil de
Campanella, mais notable. C’est dans l’alternance des mets
que les Solariens prétendent ménager leur estomac : « La
composition du repas change tous les jours. Un jour c’est de la
viande, le lendemain du poisson, et le troisième jour des
légumes. Le quatrième on revient à la viande, et ainsi de suite,
afin que l’estomac ne se fatigue pas… Les Solariens vivent
ordinairement jusqu’à cent ans 286. » Le régime n’est plus une
pratique d’exception.
La médecine de soi-même
L’insistance de Cornaro ou de Montaigne sur les aliments
convenant à chacun, les notes régulières de Pontormo sur ses
mesures diététiques, toutes ces indications sur une défense par
l’aliment, révèlent la présence d’une certitude grandissante : la
possibilité d’une médecine de soi-même.
L’évocation de cette médecine n’est pas nouvelle. Tibère
déjà en avait fait une des orientations de l’entretien de soi :
« Tout homme qui a passé trente années de sa vie doit être son
propre médecin 287 », cet homme doit reconnaître les denrées
qui lui conviennent et les habitudes qui lui sont heureuses. La
certitude de Montaigne : « Tu te fondes sur les contes des
médecins. Regarde plustost l’effect et l’expérience 288. »
Projet peu développé dans les traités de santé médiévaux, la
proposition prend ici une profondeur qu’elle n’avait pas.
Cornaro est celui qui en donne le plus de précision au XVIe
siècle. La « médecine de soi-même » devient avec lui un
thème de préoccupation spécifique, un travail d’écoute, une
expérience sur la durée aussi : « Il faut beaucoup de temps
pour ces observations intimes… Qui croirait que le vin vieux
d’un an nuit à mon estomac tandis que le vin nouveau lui est
favorable 289. » Le vieillard vénitien insiste sur la particularité
de ces attentions inaccessibles à tout regard extérieur. Il donne
des exemples, cite des observations : la non-convenance des
nourritures froides pour son estomac lui-même froid, d’où son
abandon des melons, poissons, tourtes ou chairs de porc ; la
grande différence qu’il éprouve entre le vin bu en juillet et le
vin bu en octobre, son impossibilité à en consommer durant
l’été et l’abattement de force qui en résulte ; ou la grande vertu
d’échauffement que ses organes accordent à la cinnamome,
cette cannelle d’Orient.
Un univers de signaux sensibles est exploré, qui n’a plus
aujourd’hui les mêmes désignations ni, sans aucun doute, le
même contenu. Les nuances retenues (froideur du poisson ou
du porc, chaleur de la cannelle) n’ont également plus guère de
sens. La physique du chaud et du froid, du sec et de l’humide,
reste totalement éloignée de la nôtre. Mais, en l’utilisant pour
adapter les aliments à son tempérament, Cornaro insiste sur
une particularité nouvelle : le bon goût, la bonne saveur, ne
sont plus gages suffisants. L’effet bénéfique suppose une
expérience, un choix, pour lesquels la « bonne odeur » ne
saurait suffire. Cornaro prétend ne consommer que denrées ou
vins « conformes à son tempérament » et non nécessairement
conformes à son goût. La distance avec les traités médiévaux
est bien consommée.
Une certitude demeure : le régime semble préservatif
comme l’étaient la liqueur d’or ou le joyau protecteur ; il est
assurance définitive. Mais une originalité s’est affirmée : seul
le sujet dispose des informations pertinentes, seul, en
définitive, il accède à l’interne du corps. La conséquence est
importante : cette médecine récusant le médecin n’est plus
seulement une option possible, un choix, mais une nécessité,
un recours obligé. L’observateur extérieur est partiellement
frappé d’infirmité : « L’homme ne saurait être le médecin
parfait que de lui seul 290. » Proposition dont il faut mesurer la
portée culturelle, beaucoup plus, bien sûr, que la très modeste
portée scientifique. Cette sphère privée investie et jugée hors
d’atteinte installe à sa manière l’individu moderne.
L’originalité tient à une confiance confuse : la conviction
encore élémentaire, mais nettement énoncée, d’un corps dont
le sujet est seul à pouvoir évaluer les dispositions. Ce contrôle
de soi que Cornaro suggère sur les pratiques de santé et
d’entretien corporel semble concordant avec le contrôle que
suggèrent au même moment Baltassare Castiglione ou Érasme
sur les pratiques de politesse et de bienséance 291 : l’urbanité
du XVIe siècle, la société de cour, conduisent à une
autosurveillance plus marquée, à une définition plus précise
des frontières de soi. Les textes contemporains sur les règles
de civilité ou sur l’étiquette du courtisan montrent combien, du
coup, peuvent s’accroître le nombre de comportements livrés à
l’intime et celui des expériences jugées incommunicables.
Baltasar Gracian le théorise mieux encore, quelques décennies
plus tard, montrant combien la cour, avec la multiplicité de
relations qu’elle engage, leur entrecroisement et leurs enjeux,
oblige à « se rendre impénétrable », à faire que rien « ne
paraisse au-dehors 292 ». Le modèle, bien sûr, se diffuse,
donnant plus de prestige à une surveillance particulière des
réactions et des affects. Réserve et autosurveillance, plus
nettement réglées que ne l’était la courtoisie médiévale, créent
de nouveaux espaces « intérieurs », ainsi que de nouvelles
manières d’éprouver le corps. L’attitude surveillée de Cornaro,
l’approfondissement du volume corporel qu’elle provoque
sont des conséquences de ces préoccupations nouvelles au
XVIe siècle.
L’originalité toute particulière du Vénitien est de se
confronter directement aux sensations privées, celles dont
l’existence n’est possible qu’après ce travail d’autocontrôle.
Cornaro applique si fidèlement le projet qu’il rédige ses
conseils à la première personne, mettant en scène son propre
exemple, évoquant sa vie à Padoue, ses aliments quotidiens,
l’organisation de sa maison, ses réactions aux accidents
familiers. D’où le ton particulier de ses « conseils pour vivre
longtemps », un recours au récit qui fait à la fois la séduction
du texte et sa logique, une relation très individualisée qui
provoque la saveur du propos tout en lui donnant son sens. Au
passage Cornaro invente un genre : celui des témoignages
personnalisés sur les pratiques de santé, l’association de
l’expérience individuelle et du compte rendu savant, un genre
bien vivant encore au XVIIe et au XVIIIe siècle.
C’est plus tard seulement, lorsque seront mieux évalués et
objectivés les signes de santé, que seront négligés ces récits
mêlant observation interne et ambition savante. Mais, en
calculant la sobriété jusqu’au chiffre, Cornaro donne au
régime une précision qu’il n’avait pas.
4. UN RÉGIME DES PAUVRES ?
Qu’il soit pratiqué ou négligé, ce régime gagne en
valorisation chez les privilégiés. Il est connu, commenté. Les
différences, en revanche, sont majeures entre les nantis et les
autres. Culture de l’élite et culture populaire accusent une
divergence grandissante, jusqu’à l’ironie d’Alemàn, en 1599 :
« Par crainte de mal faire aux riches, on en vient à leur faire
mal, les faisant manger par onces, boire par scrupules, vivre
par drachmes et mourir de faim plutôt que de maladie. Les
pauvres, parce qu’ils sont pauvres, chacun en a pitié… on leur
donne sans choix ni mesure… ils s’emplissent si bien qu’ils
sont étouffés sous les viandes et meurent saouls crevés 293. »
L’image du pauvre
C’est que la valorisation des quantités et des cumuls reste
dominante pour la culture populaire. Les formules des
proverbes recensés au XVIe siècle le disent sans détour : « Qui
bien mange, fiante et dort, n’a pas peur de la mort 294. »
Quelques-unes de ces formules suggèrent même directement la
sensation physique d’abondance, soulignant la sécurité
corporelle qu’elle inspire : « Qui non a lou ventre dure ne peut
dormir segur 295. » La profusion alimentaire demeure garantie
de préservation.
La divergence s’accroît encore entre les repères des nantis et
ceux des autres, parce que change l’image sociale des plus
humbles. Le dénuement peut devenir objet de sarcasmes, au
XVIe siècle, de critiques mordantes, déclenchant refoulements
et rejets. Insensiblement la pauvreté perd la valeur sacrée
qu’elle avait au Moyen Âge. Avènement d’une mentalité
moderne sans doute, valorisant le travail. La Réforme comme
le catholicisme de la fin du XVIe siècle rendent davantage le
pauvre responsable de son état. L’idéalisation franciscaine du
mendiant s’affaiblit au profit d’une exaltation du labeur. Les
conditions démographiques ont aussi rendu plus alarmant le
poids des pauvres, aggravant la distorsion entre une population
« croissant comme des souris dans une grange 296 » et une
production dont le développement n’est pas équivalent.
Famines et pestes survenant en 1527-1529 autour d’une Venise
florissante en sont l’exemple, avec ces rues de février 1528
envahies d’affamés : « La ville est en fête, on a organisé
nombre de mascarades, mais en même temps, jour et nuit, on
voit des foules immenses de miséreux 297. » Une nouvelle
politique envers la pauvreté se dessine dans plusieurs centres
européens, illustrée par les édits de Charles Quint en 1530 :
l’autorisation de mendier limitée aux seuls malades et
infirmes, la volonté de faire entrer en apprentissage les enfants
de mendiants pour les éloigner du « mal ». Thomas Platter
révèle aussi le changement de mentalité lorsqu’il raconte ses
errances au milieu du XVIe siècle, ses mendicités d’étudiant
sans ressources, s’étonnant des injures et des hostilités qu’elles
suscitent : « Les prédicateurs répétaient fréquemment dans
leur chaire : “Tu gagneras le pain à la sueur de ton front”,
s’efforçant de montrer combien le travail manuel est béni de
Dieu et trouvant mauvais qu’on fit de tous les stidiosi des
ecclésiastiques. Maître Ulrich lui-même disait qu’il fallait
contraindre les jeunes gens au travail pour prévenir le trop
grand nombre d’ecclésiastiques. Ainsi beaucoup renonçaient-
ils aux études 298. » Critique de l’« oisiveté » que Platter
reprendra plus tard à son compte, racontant sa réussite de
médecin estimé, évoquant son aisance matérielle, ses maisons,
sa prospérité acquise « par un grand travail 299 », soulignant à
son tour l’importance du mérite et du labeur.
Nourritures sordides
Cette distance accrue envers le pauvre au XVIe siècle se
traduit par un mépris plus directement physique ; dénonciation
de l’allure bien sûr, mais aussi des aliments, du « régime » ;
denrées jugées grossières, indigestes, quelquefois même
porteuses de peste et d’épidémie par les décompositions
qu’elles engendrent. La nourriture des plus démunis est dite
créer une « putredo » interne, susceptible, à elle seule, de
contaminer l’atmosphère. Les suspicions contre les corps
« sordides et fétides » des plus déshérités se multiplient.
L’ironie sur leurs masures, comparées « à des cavernes
infectes 300 », s’accroît, diffusée par quelques traités de santé
du XVIe siècle.
Transposée dans un registre de dérision, c’est encore la
conséquence des « cinq sommades de beaulx tribards aux
ails », cette nourriture du peuple offerte par les Amorautes à
Pantagruel : « Une puante haleine [lui] était venue de
l’estomach alors qu’il mangea tant d’aillade 301. »
L’exhalaison répand une peste envahissant Rouen et Nantes,
anéantissant une population impuissante et innombrable.
Autrement dit, la nourriture grossière n’atteint pas seulement
ceux qui l’absorbent, elle peut atteindre aussi ceux qui les
côtoient. Dans Le Page disgracié, un siècle plus tard,
L’Hermite évoque encore de « graves » maladies épidémiques
causées par l’intempérance de soldats se « saoulant de mauvais
aliments », jusqu’à provoquer une inexorable « putréfaction de
l’air 302 ».
Des régimes sont alors explicitement pensés pour les
pauvres. Sylvius, en 1542, propose, le premier, un
accommodement « diététique » des nourritures de fortune. Il y
explique comment rendre comestibles escargots, vers de terre
ou couleuvres, régulièrement consommés par les plus
déshérités : il faut qu’ils soient « bien vuydées et escorchées,
après en avoir couppé et jecté environ quatre goigtz de la teste,
et autant si vous voulez de la queue, bien lavées, et nettoyées
en lexive 303 ». L’aliment doit tout simplement être
« expurgé ». Travail sur les pourritures dont les denrées
« grouillantes » doivent être débarrassées. De même pour les
morceaux coriaces, les cartilages, les os tendres, les abats, le
lard ou la « tripaille », faut-il les piler, les hacher, avant de les
imprégner de vinaigre et les mêler de poudre aromatique :
c’est la lourdeur des denrées qu’il faut dans ce cas éviter, tout
en renforçant leur vertu odorante. Ce qui conduit au
recensement des « épices » les plus aisément disponibles :
« Romarain, sauge, hysoppe, sarriette, thym, marjolaine,
laurier, teste de chardon testu 304. » Dans ces conditions,
même les tendons, les nerfs ou les os peuvent donner « grande
et longue nourriture à gentz de labeur 305 ». Sont ainsi
accommodés « petitz et ieunes chiens, chatz, ratz, regnardz,
asnons, blereaux, furetons, oultre les bestes accoutumées 306 ».
Le vin, inaccessible parce que « trop cher aux poures »,
impose encore de surveiller leurs boissons. D’où ces substituts
purifiés et adoucis : « L’on peut eau cuitte avec un petit de
miel ou sucre ou raisin ou riglyce avec un peu de vin
aigre 307. » La nourriture du pauvre doit être « domestiquée ».
Le projet reste, bien sûr, utopique, sinon dérisoire ;
vaguement contradictoire aussi : le travail grossier n’appelle-t-
il pas des nourritures grossières, « bonnes à ceulx qui
travaillent fort et qui peuvent digérer viandes plus dures 308 » ?
Ce régime des pauvres montre seulement combien s’est
aiguisée, au XVIe siècle, la conscience de consommations
socialement différentes, combien le dégoût qu’inspire la
nourriture des plus humbles peut prendre la forme
d’inquiétudes sanitaires. Une façon de marquer quelques
frontières nouvelles à partir de la culture de l’élite.
5. Les voies d’un affranchissement
Les « croyances », enfin, sont un autre pôle de
différenciations au XVIe siècle. Par elles aussi s’accentuent les
distances sociales : une manière de dénoncer les puretés
obtenues par simple contact. Pour la première fois
l’éloignement des références médiévales est affirmé et
souligné. Les liqueurs d’or, les élixirs d’alchimistes sont
dénoncés comme potions dévoyées, artifices de charlatans,
croyances acceptables seulement pour les « petites gens ».
La dénonciation des joyaux protecteurs
Un geste d’Ambroise Paré indique le sens des
renouvellements. Appelé par le roi, un jour de 1570, à
témoigner sur la valeur protectrice d’une pierre rare, Ambroise
propose une preuve : donner du poison à un condamné à mort,
avant de faire « agir » la pierre et d’en constater les effets.
L’« expérience », acceptée, a lieu sur l’instant : un cuisinier du
roi, voleur de quelques plats d’argent, absorbe poison et
antidote (la pierre réduite en poudre), contre une promesse de
vie sauve. Le résultat aussitôt est édifiant : l’homme meurt
saisi de douleurs insoutenables, « cheminant comme une bête,
les yeux et la face flamboyants, jetant le sang par les oreilles,
le nez, la bouche, le siège et la verge 309 ». Le chirurgien du
roi triomphe. Son geste devient constat : la preuve que
l’« illusion » porte la souffrance et la mort. Leçon sanglante
donnée par la médecine, qui rejoint une dynamique culturelle
plus large, dans la seconde moitié du XVIe siècle : les toutes
premières affirmations d’une science « moderne », les
premiers refus de l’ouï-dire, la critique des « erreurs
populaires » aussi, auxquelles Laurent Joubert consacre un
livre inaugural, en 1572. Un texte péremptoire, entre autres,
sur le recours aux minéraux : « Cela semble superstitieux et
mensonger qu’il y a une vertu incroyable et secrète dans ces
pierres précieuses, soit qu’on les porte sur soi, ou que l’on en
use de la poudre d’icelle 310. » Plus nombreux aussi sont les
médecins cherchant une « mise à l’épreuve » de ces objets,
avant de les juger totalement inopérants : « Aucun effet
louable 311 » tient à indiquer Christophe Landré, après
quelques laborieuses tentatives par temps de peste, où il fait
porter par ses patients des objets purs pour mieux observer
leur « action ».
Le thème déborde la littérature médicale. Straparole,
l’imitateur vénitien de Boccace, vers 1550, fait dire à Maistre
Zéphire, l’apothicaire de ses dialogues, qu’il préfère les pierres
aux herbes médicinales, tout simplement parce qu’une fois
lancées sur les charlatans elles les atteignent « de plus cruelle
façon 312 ». C’est la dérision, dans ce cas, qui engage la lente
rupture avec les forces obscures, avec les effets par sympathie.
De même que Rabelais se moque de la « chaîne d’or pesant
vingt et cinq mille soixante et trois marcs d’or » qu’il fait
porter à Gargantua pour suivre la vieille prescription des
« médecins grégoys 313 » et le protéger des maux. Rien d’autre
qu’une dénonciation accrue des « charlatans » et des
« magiciens », au milieu du XVIe siècle, ces « insolents
bailleurs de balivernes, affronteurs et larrons 314 », qu’évoque
Ambroise Paré.
L’or potable, les liqueurs de pierre, les poudres d’ivoire,
sont amalgamés dans la dénonciation. Bernard Palissy prétend
se limiter aux constats : ne suffit-il pas de peser les pièces d’or
bouillies dans quelque potion de santé pour vérifier qu’elles
« sont aussi pesantes que devant 315 » ? La « limure d’or » ne
révèle alors guère de supériorité sur une simple poussière de
sable, assure Bernard, dans son texte sur l’« or potable » en
1580 : objet inerte, elle reste sans rapport avec ce qui se digère
et se consomme. Elle ne possède ni suc, ni ferment, ni air, ni
odeur, ajoute-t-il, en la différenciant des herbes et des plantes.
Affirmation hâtive, peu explicitée, mais engageant des
distinctions élémentaires : entre l’organique et l’inorganique,
entre ce qui peut devenir chair et ce qui ne le peut pas ; effort
balbutiant pour spécifier la vie.
La critique est peu diffusée encore, au milieu du XVIe
siècle. Elle partage les « savants » eux-mêmes. Chappelain,
médecin de Charles IX, en 1565, maintient l’usage d’une
corne de licorne trempant dans la coupe du roi pour éviter les
effets du poison ou de quelque autre infection 316. Il conserve
ainsi la tradition des « languiers » de pierres précieuses que les
rois médiévaux plongeaient dans leur vin. Paré lui-même,
malgré ses réserves sur la vertu des objets protecteurs, n’hésite
pas à recommander l’usage de l’or pour purifier une eau
corrompue : « Si on craint que l’eau ne soit viciée par temps
de peste, on la corrigera en la faisant un peu bouillir ou la
ferrer avec acier ou or ou argent chaud 317. » L’image de
l’efficacité des contacts purs demeure sans doute dominante
dans cette seconde moitié du XVIe siècle. À la corne de
licorne préservant les breuvages du roi répond la corne de
licorne préservant les breuvages de passants anonymes ; cette
corne qu’exploite « une honnête dame marchande » sur le
Pont-au-Change : « Un assez gros morceau attaché à la chaîne
d’argent qui trempe ordinairement dans une aiguière pleine
d’eau, de laquelle elle donne assez volontiers à tous ceux qui
lui en demandent 318. » Pour longtemps pierres précieuses et
liqueurs d’or font partie des pharmacopées. Les chirurgiens
embarqués sur les galères du roi disposent, dans leurs caisses
de campagne, à la fin même du XVIIe siècle, de « fragments
d’émeraude, de rubis, de saphir, de sardoine, de topaze 319 ».
Objets que la plupart d’entre eux s’empressent d’ailleurs de
vendre dans les ports de passage, pour d’inavouables
bénéfices, mais qui révèlent la persistance d’une
représentation. De même, Labat, missionnaire naturaliste de la
fin du XVIIe siècle, troque-t-il encore avec les Indiens caraïbes
« deux pierres vertes et deux camisats 320 », pour se protéger
de maux divers. Le dominicain voyageur livre au passage tous
les ressorts de la croyance. Il avoue une précaution
particulière : ces pierres ne doivent avoir touché aucun
cadavre, aucune chair pourrissante. Aussi se renseigne-t-il
avec insistance sur leur provenance. Seul un objet préservé
demeure en mesure d’agir.
Une rupture pourtant est engagée au XVIe siècle. Les
panoplies d’objets précieux perdent en légitimité. La force
prêtée au simple contact de matériaux bascule insensiblement
vers la superstition.
Jusqu’au pouvoir des reliques qui n’est déjà plus tout à fait
le même : leur assurance préservatrice, leur « émanation »
quasi physique, perdent en évidence. La Réforme dénonce une
divinisation de « charongnes », un recours idolâtre,
l’instauration d’intermédiaires inutiles entre l’âme du chrétien
et Dieu. Calvin consacre aux reliques la totalité d’un livre
recensant troquages ou supercheries : « On ne saurait adorer
un aneau de Notre Dame ou un sien peigne ou ceinture, qu’on
ne soit en danger d’adorer les bagues de quelque
paillarde 321. » Mais, au-delà de l’imposture possible, c’est
bien la sacralisation de dépouilles physiques que dénonce
surtout la Réforme, l’attribution de forces « illégitimes », cette
façon de « se mocquer de Dieu », plutôt que d’« instruire les
hommes 322 ». Agrippa d’Aubigné, évoquant ses premiers
voyages sur la Loire, relate avec distance les gestes de son
serviteur Eschalart se préservant de la peste d’Orléans en 1562
par « un psaume en la bouche 323 ».
L’Église elle-même, au XVIe siècle, tente de limiter l’usage
des reliques en le réglementant. Les conciles de Trente, de
Milan, d’Aix, après 1550, condamnent les manipulations trop
fréquentes de ces objets, leurs exploitations vénales. Ils
interdisent que les reliques soient distribuées, ou portées au
chevet des malades 324. Propositions très générales, à vrai dire,
mais le principe critique est important : la dénonciation du
superstitieux, sa mise en discussion, le recensement d’excès,
alors que le recours aux reliques reste, à l’évidence, dominant.
Anne d’Autriche, enceinte, ne demande-t-elle pas, en 1638
encore, une relique de saint Léonard à la ville de Saint-
Léonard-de-Noblat pour que le patron des prisonniers lui
assure une heureuse délivrance 325 ? Un évêque de l’Algarve
n’accepte-t-il pas en 1657 que les têtes de deux paysans
guérisseurs soient, à leur mort, placées « dans une niche de la
chapelle majeure, du côté de l’Évangile » pour perpétuer leurs
pouvoirs de prévention et de guérison ? 326 Exemple
remarquable d’une canonisation populaire, avec ses promesses
« médicales » bien particulières, imposée à l’autorité
épiscopale.
Un affranchissement du cosmos
La critique, en revanche, celle qui naît au XVIe siècle,
révèle une attention plus grande de l’élite aux principes
mécaniques, voire rationnels, à l’enchaînement des causes et
des faits. C’est la place du corps, son inscription dans
l’univers, son voisinage avec les forces naturelles, qui tendent
lentement à changer : moins dépendant de puissances
invisibles.
L’explication astrologique devient, sur ce point, un autre
exemple de renouvellements. Non, bien sûr, que s’efface au
XVIe siècle l’importance du rôle attribué aux astres : les papes
Jules II, Léon X, Paul III, jugent toujours nécessaire de
connaître l’emplacement des planètes et des signes avant de
fixer la date de leur couronnement, celle de leur entrée dans
une ville ou celle de la tenue d’un consistoire 327.
L’apprentissage de l’astrologie demeure toujours une condition
de l’apprentissage médical. Mais, au même moment, cette
astrologie perd en transparence, changeant insensiblement de
sens. Rabelais, déjà, en donne une version ridicule en publiant
de fausses prophéties. Les malheurs annoncés dans sa
Pantagruéline Prognostication, en 1533, ne sont que leurres
ou dérisions : « Ceste année les aveugles ne verront que bien
peu, les sourdz oyront assez mal, les muetz ne parleiont
guières, les riches se porteront un peu mieulx que les
pouvres 328. » L’astrologie n’est plus ici que facétie : « En
hyver, selon mon petit entendement, ne seront saiges ceulx qui
vendront leurs pellices et fourrures pour achepter du bois 329. »
Cornaro est plus nuancé et plus réaliste à la fois. Il montre la
force de conviction que garde l’astrologie au XVIe siècle pour
mieux la dénier. Il rappelle dans ses formules de régime et de
diète en 1558 l’inévitable « force » des astres, leur présence
manifeste, mais il suggère aussi la nécessité et la possibilité de
leur mise à distance. La démarche de santé devient, du coup,
affirmation d’affranchissement. Le régime sert à échapper aux
influences cosmiques. Il est fait pour les contrarier :
« L’opinion étant que les astres enclinent mais qu’ils ne
forcent point 330. » Cornaro assimile l’entretien de la santé à
un acte de « résistance », une façon de lutter contre les forces
invisibles du monde, une façon d’en limiter les effets, et non
plus seulement de les conjuguer ou de les « accompagner » :
« L’homme saura par son adresse personnelle vaincre
l’opposition des cieux et [triompher] d’une constitution débile
grâce à la vie sobre 331. » Cornaro retrouve les accents de
Machiavel, suggérant les voies pour surmonter hasards et
puissance des signes : « La Fortune est femme, elle ne cède
qu’à la violence ou à la hardiesse 332. » Le Prince est bien
celui « qui tient tête », il résiste, il décide ; c’est même avec
« férocité » qu’il doit commander à la Fortune. Langage abrupt
encore, au XVIe siècle, rare sans aucun doute, mais important.
Il confirme combien, dans le cas de l’entretien de soi, l’intérêt
peut déjà se porter à d’autres principes qu’à ceux des seules
pressions occultes. Il peut se porter aux mécanismes, par
exemple, aux fonctionnements concrets du corps, aux
techniques aussi, plus qu’aux seules contraintes du « ciel ».
6. Analogies « mécaniques »
La « machine », plus qu’auparavant, sert ici d’illustration.
Le corps, au XVIe siècle, ressemble davantage aux objets
fabriqués. Une image s’impose, offrant une représentation déjà
globale des agencements corporels et de leur autonomie
possible : le modèle de l’alambic, la cucurbite et les tubulures
épurant les essences.
L’usage de l’alambic est maîtrisé depuis le Moyen Âge,
mais il est demeuré longtemps mystérieux et secret ; pratique
cantonnée aux cabinets d’alchimistes ou d’apothicaires isolés.
La diffusion de la distillation au XVIe siècle facilite sans
aucun doute le recours au modèle.
L’alambic et la distillation
L’analogie oriente ici le sens des flux, elle suggère
l’ascension des humeurs dans le corps, leur épurement vers le
haut, un mouvement traversant l’ensemble des membres. C’est
la gravure de Gérard Dorn, au milieu du XVIe siècle 333 : un
homme inscrit dans un alambic, dont les étages anatomiques
représentent successivement le fourneau, la cucurbite, la
tubulure et le bec verseur. La « purification » rejoint
clairement le mécanisme technique : la tête laissant s’échapper
les humeurs préalablement travaillées.
Les conseils de santé donnés au XVIe siècle suivent tout
simplement l’image, comme le fait Straparole dans une de ses
nouvelles : « Le premier que vous teniez la tête sèche de toute
humeur, le second que vous ayez les pieds chauds 334. » Le
corps ne « distille » bien que si le sens des humeurs est
soutenu, « favorisé », orienté comme un parcours. En cas
contraire surgissent maladies et décompositions de matières ;
comme l’intense « cours du ventre » dont se dit victime Félix
Platter, un jour de 1552 : désordre causé, selon lui, par une
marche pieds nus sur un sol glacé, trouble de l’élévation des
humeurs déclenché par le froid 335.
Montaigne reprend l’image, insistant sur cette « chaleur qui
se prend d’abord aux pieds » pour être transformée en
« vapeur qui va montant et s’exhalant 336 ». Monteux aussi
reprend l’image, recommandant réchauffement des pieds et
l’assèchement de la tête, soulignant le danger de toute
évaporation contrariée. Le turban des Persans en serait la
preuve : les Orientaux enturbannés n’ont-ils pas les dents
pourries par quelque excès d’humeur stagnante ? Le turban
étouffe le feu, contrarie les flux 337. L’image se banalise, à la
fin du XVIe siècle : Bassompierre prétend reconnaître les
cadavres des Turcs, dans ses combats hongrois de 1603, « par
les dents toutes gâtées qu’ils avaient à cause de leur
turban 338 ». Le risque est de laisser les humeurs s’épaissir à la
tête, alors qu’elles doivent s’y épurer, s’y alléger aussi. D’où
la nécessité de les y conduire en les asséchant. L’alambic
illustre une figure canonique de l’épurement.
La consommation de « l’eau ardente », l’« eau de feu »,
prolonge encore l’image. L’esprit de vin conserve les
ressources acquises dans l’alambic. Il pénètre les organes
comme un « éther », séparant les matières, rejetant « ce qui
n’est pas pur », préservant les chairs de toute pourriture
jusqu’à « la grandissime vertu de dissoudre le sang caillé
tombé dans le corps 339 ». L’eau-de-vie est la plus active des
quintessences, réalisant l’adéquation entre son nom et son
action : elle est l’eau qui peut prolonger les jours. Son pouvoir
devient d’autant plus commenté que la liqueur commence à se
diffuser au-delà des secrets d’alchimistes. Ses vertus sont
moins frappées du mystère. Ses qualités contraires, associant
le froid de l’eau ou la chaleur du feu, l’humide et le sec,
inquiètent moins 340. Joubert propose même d’en faire le
réconfort des vieillards, citant le cas de morts retardées par le
recours à « ces eaux impériales, confections alkermès ou
autres choses cordiales 341 ». Ambroise Paré juge également
ces substances indispensables à la santé ; multipliant sans fin
leur diversité ; décrivant longuement comment disposer « par
petits lits en l’alambic de verre » les chairs de « veaux,
moutons, chevreaux, chappons, poullets, poulies grasses,
perdris, phaisans… hachées bien menu 342 », pour en tirer les
essences les plus actives. L’alambic accentue toutes les
purifications.
C’est bien la conservation qui a fait la qualité première de
l’eau-de-vie, son succès, pour les marins hollandais, premiers
agents de sa diffusion au XVIe siècle : liquide mieux protégé
que le vin dans les longues traversées 343 ; liquide plus
« puissant », aussi, donné régulièrement aux marins pour les
situations de force à partir de la fin du XVIe siècle : « par
forme d’augmentations et pour bordage d’artimon dans le
mauvais temps 344 ». Le marché s’étend suffisamment en
France pour que des régions comme l’Aunis ou la Charente
exportent, dès le XVIe siècle, vers la Hollande et l’Angleterre.
C’est bien la conservation et l’épurement, enfin, qui font toute
la séduction de l’image de l’alambic, première machine
analogique du corps, avant les montages mécaniques plus
géométrisés qu’inventera le XVIIe siècle.
La « république » du corps
Le modèle s’adjoint pourtant à d’autres encore, durant le
XVIe siècle. L’important est même ici le brusque
accroissement d’évocations analogiques, leur diversification,
leur multiplicité. Il s’agit moins d’allusions mécaniques,
d’ailleurs, que d’analogies jouant avec la hiérarchisation et le
commandement : l’orchestration polyphonique, par exemple,
ou la république, l’État, dans lequel chaque action doit
converger pour en préserver l’unité. Une façon de suggérer la
totalisation des organes, leur « unification », d’en souligner
aussi le fonctionnement propre, loin des repères cosmiques.
C’est autour de l’ordre que Cornaro développe les
comparaisons, celui de l’armée, celui de la ville, celui qui
« donne la victoire », celui qui « donne la stabilité » : dans
chaque cas l’analogie d’un commandement unique sur un
ensemble hiérarchisé 345. Brantôme donne quelques exemples
plus précis encore dans les Dames galantes : « Je tiens d’un
très grand médecin que les corps humains ne se peuvent
jamais guieres bien porter si tous leurs membres et parties,
depuis les plus grandes jusques aux plus petites, ne font
ensemblement leurs exercices et fonctions que la sage nature
leur a ordonné pour leur santé, et n’en facent une commune
accordance, comme d’un concert de musique, n’estant raison
qu’aucunes desdites parties et membres travaillent et les autres
chaument ; ainsi qu’en une république font tous les officiers,
artisans manouvriers et autres facent leur besogne
unanimement, sans se reposer ny se remettre les uns sur les
autres, si l’on veut qu’elle aille bien et que son corps demeure
sain et entier 346. »
La musique du XVIe siècle avec ses instruments plus
nombreux, plus émancipés, ses « concerts » s’aventurant
insensiblement vers la symphonie, aide à l’analogie. Les
premières analyses de Bodin sur l’État moderne, en 1550,
suggèrent aussi de nouveaux repères : la représentation d’une
république devenue personne morale, conjuguant organisation
et diversité, l’image d’une coordination centralisée, érigeant la
collectivité en entité 347. Le corps décrit comme une ville ou
comme une armée, par Cornaro, obéit au même principe :
celui d’un ordre, une unité physique hiérarchisée, commandée
du centre vers la périphérie. D’où cette association fréquente,
au XVIe siècle, entre l’entretien de la santé et le
« gouvernement », entre la conduite préservatrice et le
« commandement », la distribution de principes successifs et
subordonnés. C’est le titre d’un traité de La Framboisière,
médecin ordinaire du roi, en 1600, Le gouvernement
nécessaire à chacun pour vivre longuement. L’image ne
bouleverse pas nécessairement les pratiques 348. Elle montre
seulement que le corps gagne ici en visée « organisatrice ».
Son appropriation devient plus spécifique, moins amalgamée,
en tout cas, aux seules qualités de l’univers.
DEUXIÈME PARTIE

ÉVACUER LES HUMEURS


XVIIe SIÈCLE
CHAPITRE I

Mécanique corporelle et évacuation


Les silhouettes de Giovanni Bracelli, dédiées au duc Pierre
de Médicis en 1624 349, représentations filiformes illustrant le
corps en mouvement, reprennent, pour quelques-unes d’entre
elles, l’analogie avec l’alambic : le modèle du XVIe siècle
n’est pas oublié. Mais la série de Bracelli montre aussi que
l’outil du distillateur n’est plus le seul repère machinique du
corps au XVIIIe siècle. La plupart de ces gravures renouvellent
et multiplient les exemples de mécanismes les plus divers,
suggérant figures géométriques et articulations métalliques :
liaisons par vis et boulons, cavités reliées par tubulures,
mouvements déclenchés par ressorts. Les animations de
Giovanni Bracelli ne sont que jeux fictifs auxquels le graveur
lui-même refuse toute valeur réaliste. Le Florentin n’est ni
anatomiste, ni mécanicien, et Tristan Tzara, qui lui consacre
un long texte en 1963 350, y voit plutôt un précurseur des
surréalistes, un visionnaire maniant l’imaginaire avec audace
et dextérité. Cette inspiration du graveur italien mérite
pourtant une attention : la référence mécanique y possède un
sens décisif, révélant une transformation de la perception du
corps au XVIIe siècle.
D’autres indices confirment le changement. Le corps est
plus instrumenté, plus mécanisé dans les traités de santé du
XVIIe siècle que dans les traités antérieurs. Il est fait
davantage de circuits, de flux, comme ceux du cœur avec sa
mécanique circulatoire, découverte en 1628. Ce corps semble
moins soumis qu’au Moyen Âge aux seules influences
cosmiques. Il gagne en autonomie possible, disposant, plus
qu’auparavant, d’articulations et d’assemblages. Il devient
plus aisément l’objet de manipulations, de guidages,
d’interventions volontaires. Non que l’efficacité préventive en
soit bouleversée, ou que les guérisons en soient plus
nombreuses. Une certitude s’affirme, celle d’agir sur une
mécanique saisissable, celle de mieux en prévenir les ratés.
1. La régulation mécanique
L’attention aux qualités sanitaires des aliments, déjà, est
plus présente au XVIIe siècle. C’est cette attention que Marie
Mancini, la nièce de Mazarin, invoque pour justifier son
refuge temporaire dans un couvent, à son arrivée en France :
« Le peu de règles que je tenais dans ma manière de vivre,
mangeant sans distinction de ce qui pouvait faire bien ou mal,
m’avait réduite en un si pitoyable état que le Cardinal mon
oncle résolut de me mettre dans un couvent pour voir si je ne
me remettrais pas 351. » C’est un mauvais régime encore qui
est censé altérer la santé de Mme d’Aubigné, autour de 1690 ;
fondé sur des erreurs si « graves », selon le médecin du roi,
qu’il menacerait sa vie, lui interdisant tout espoir d’avoir un
enfant : « Monsieur Fagon est persuadé que Madame
d’Aubigné mange des vilenies et qu’elle n’aura jamais de
santé ni d’enfant si par une longue suite de bonnes nourritures
elle ne rétablit son estomac et ne purifie son sang 352. » Nul
doute, le régime alimentaire a une place soulignée au XVIIe
siècle, son importance est commentée et analysée.
Le régime alimentaire ou l’évacuation ?
Hooke, connu par ailleurs pour de savantes observations
microscopiques, cherche les conséquences de certains mets sur
son sommeil. Il accumule, autour de 1670, les notes cursives et
précises révélant une curiosité inédite : « Dormi moins bien
après avoir mangé du pudding au riz », « Mal dormi après du
fromage 353 ». Les échanges de lettres entre Saint-Évremond et
le comte d’Olonne fourmillent également d’appréciations sur
les effets de leurs consommations : l’occasion pour Saint-
Évremond de transposer la culture libertine en attention
particulière aux saveurs, celle de célébrer le vin d’Ay, « le plus
sain, le plus épuré de toute senteur du terroir 354 », celle de
condamner les ragoûts que les mélanges d’ingrédients
transformeraient en poisons. Les nourritures prises aux racines
mêmes de la vie sont davantage commentées, celles qui
possèdent le ferment des croissances, le lait, les œufs, les
viandes d’animaux à peine sevrés. Mme de Sévigné insiste sur
ces chairs d’animaux « enfants », leur sang rose, leur couleur
presque blanche : « Pour moi, je me gouverne entre le veau,
l’agneau et les petits poulets, je m’en porte si parfaitement
bien que je ne vous en souhaite pas davantage 355. » Les
régimes de Saint-Cyr et des Ursulines comprennent
régulièrement « beurre battu frais, œufs frais sur assiette 356 »,
quelquefois « volailles et agneaux 357 ». Plusieurs raffinés de
la cour combinent jusqu’à l’obsession chairs tendres et
laitages : l’entourage royal en France, autour de 1690, fait tout
simplement engraisser des veaux à l’aide de lait et d’œufs
« avec leur coque 358 ». L’extrême des viandes naissantes. Non
que ces consommations plus surveillées obéissent toujours aux
préceptes médicaux, comme pour les salades ou les fruits plus
nombreux, alors qu’ils sont jugés facteurs de décomposition
par la Faculté 359.
Descartes met au point, en Suède, une diète qu’il pense
infaillible. Ses visiteurs la présentent comme une réussite, un
espoir pour « vivre plusieurs siècles » : l’abbé Pécot en « fut si
content, qu’à son retour en France il renonça sérieusement à la
grande chère… et voulut se réduire à l’institut de Monsieur
Descartes, croyant que ce serait l’unique moyen de faire
réussir le secret qu’il prétendait avoir été trouvé par notre
philosophe pour faire vivre les hommes quatre ou cinq
siècles 360 ». Très « classique » pourtant demeure la démarche
de Descartes : « La meilleure manière de prolonger la vie et la
méthode à suivre pour garder un bon régime, c’est de vivre
comme les bêtes et entre autres de manger ce qui nous
plaît 361. » Descartes évalue, comme Cornaro un siècle
auparavant, les effets de ce qu’il mange, épiant ses
impressions, retenant ce qui lui agrée, persuadé que Dieu ne
peut tromper si les sensations sont « clairement et
distinctement » désignées. Vigilance d’autant plus grande que
le philosophe dit, en 1645, avoir fait de « la conservation de la
santé, le principal but de ses études 362 ».
La diète est ainsi admise et commentée au XVIIe siècle. Elle
est moquée seulement lorsqu’elle apparaît « extrême », comme
dans le cas de Mme de Gondran que Tallemant ridiculise en la
soupçonnant de folie : « Elle se mit en teste de maigrir. Pour
cela elle estoit vingt-quatre heures sans manger, beuvoit du
vinaigre, mangeoit des citrons et autres vilenies. Elle se joua à
se faire hydropique ; elle maigrit, mais elle n’a quasy plus de
santé. Elle est un peu cruche 363. » Ou dans le cas du curé de
Saint-Vincent du Mans, en 1702, que ses repas pris seulement
de huit jours en huit jours auraient conduit à une « inanition
mortelle 364 ».
Si les indices d’une plus grande surveillance de la nourriture
au XVIIe siècle sont réels, beaucoup plus importante est la
transformation des pratiques d’évacuation, celles qui
renouvellent saignées, transpirations, purgations. Beaucoup
plus révélatrice aussi d’un déplacement de culture. Le
changement est marquant. Le conflit entre les médecins et les
cuisiniers du roi en est un signe : les cuisiniers l’emportent
encore clairement sur le régime. Saint-Simon montre les
médecins de Louis XIV inquiets par le nombre de potages et
de sauces qu’il consomme. Il évoque leur crainte de voir le
sang royal « tourner en gangrène 365 », suggérant un régime
plus sec, plus « spiritueux », pour limiter l’excès de liquide. La
princesse Palatine elle-même, engloutissant pourtant
choucroutes et saucisses, s’étonne de l’intense appétit du roi :
une débauche de viandes bouillies que le mauvais état de ses
dents ne lui permet pas de mâcher 366. Mais les cuisiniers,
alertés, répondent que « c’est à eux à faire manger le roi et aux
médecins à le purger 367 » : les repas du souverain ne changent
pas. L’évacuation reste plus importante que l’ingestion.
Comme le montre encore l’attitude de M. de Bulion, conseiller
au Parlement de Paris, longuement cité par Tallemant : le
vieux parlementaire se fait « donner des lavements 368 » pour
mieux manger et moins en souffrir.
Le geste de la saignée est plus important encore. Il est
devenu si légitime, si banal dans la France classique, que les
proches de Monsieur, le frère du roi, gros mangeur au visage
« allumé », l’incitent, en 1701, à changer de chirurgien pour
être plus fréquemment et mieux saigné 369. Aucune remarque
sur la qualité ou l’excès d’aliments, dans ce cas, mais plutôt
l’insistance sur l’enjeu de l’évacuation : l’affirmation d’une
priorité dans les démarches d’entretien.
La force et la saignée
Mme de Sévigné souligne l’intensification de cette pratique
lorsque en 1675 le petit marquis de Grignan est saigné pour
une fièvre, à l’âge de trois ans ; un âge où l’incision semblait
jusque-là impossible. La marquise s’étonne : « De mon temps
on ne savait ce que c’était que de saigner un enfant de trois
ans 370. » Gui Patin assimile pourtant ces saignées précoces à
une assurance de force. C’est en soignant une bronchite de son
fils, lui aussi âgé de trois ans, en « déchargeant par les veines »
les catarrhes dont l’enfant « pensait s’étouffer 371 », que le
médecin parisien acquiert une conviction : la saignée précoce
fait les êtres forts ; elle joue un rôle préventif. Plusieurs
saignements provoqués ont donné au fils de Gui une vigueur
qu’il n’avait pas, un poumon renforcé, une résistance accrue :
« Il est aujourd’hui le plus fort de mes trois garçons 372. »
La fréquence de l’incision s’accroît, dans l’élite du XVIIe
siècle : plusieurs fois par mois pour le cardinal de Richelieu au
sommet du pouvoir, selon le témoignage d’Angelo Correr,
l’ambassadeur vénitien en 1639 373. Plusieurs fois par mois
aussi pour Louis XIII que Bouvard, son chirurgien, incise
jusqu’à 47 fois en une année 374. Fréquence identique encore
pour Mme des Porcellets, quelque trente ans plus tard, qui
préfère établir un contrat avec son chirurgien pour ne plus le
payer à l’acte : « J’ai passé une convention avec Monsieur
Darles, mon chirurgien, pour me servir [à la demande],
moyennant deux sommées de blé ou dix écus d’argent à mon
choix 375. » C’est alors chaque semaine que Mme des
Porcellets le reçoit pour une saignée. Même intensité enfin
pour Ménage, l’ami de Guez de Balzac et de Mme de La
Fayette, qui s’abonne, autour de 1670, auprès d’un chirurgien
pour une moyenne de 13 sols par saignée 376.
La pratique devient si commune qu’aucun danger ne
semblerait devoir en résulter. Bien au contraire, certains ne lui
attribuent qu’un seul risque : celui d’un « excès de santé »,
celui d’une abondance d’humeurs compensatrices, un surcroît
de sécrétions venues remplacer la fuite de sang ainsi
provoquée. Profusion sur laquelle la Bibliothèque des sciences
se perd en conjectures : « Une femme saignée plus de 60 fois
en un an pour des affections morales acquiert un embonpoint
tel que le poids de son corps augmente de plus de 150
livres 377. »
L’exemple royal reste le plus souvent cité, sinon le plus
imité : plusieurs saignées par mois sont régulièrement
mentionnées par le Journal de santé de Louis XIV ; une
« médecine » mensuelle s’y ajoute (lavement ou purge),
scrupuleusement rapportée par Saint-Simon ; ou la
combinaison des deux, évoquée par la princesse Palatine, en
1701, lorsque la santé du roi est jugée s’être affaiblie : « Sa
Majesté ne jouit plus d’une bonne santé, je le crains, car elle se
drogue continuellement. Il y a huit jours on lui a tiré par
mesure de précaution cinq palettes de sang ; il y a trois jours
elle a pris une forte médecine. De trois en trois semaines le roi
prend médecine 378. » La purgation préventive atteint ici une
complexité sans précédent. Elle précède toute initiative
importante, toute prévision de fatigue, tout départ en
campagne, « purifiant » le corps pour mieux l’aider à se
défendre. Plus encore, la prise de purgatif est elle-même
précédée d’une préparation épurante, un lavement qui en
complète et en accroît les effets : « Le 14 du mois de
septembre [1672], il se prépara, à l’heure de son coucher, par
un lavement et le lendemain il prit son bouillon purgatif 379. »
Le but, dans ce redoublement d’action, est bien aussi de rendre
plus « douce », plus maîtrisée, l’opération laxative. Un
accroissement des précautions sans qu’aient encore changé les
explications ou les repères traditionnels.
Les gestes d’intervention sur le corps, plus nombreux, plus
diversifiés au XVIIe siècle, se substituent lentement aux forces
obscures et aux effets de sympathie : une pureté « mise au
travail » et non plus seulement « mise au contact ». Il y a une
recherche d’objectivation dans ces allègements d’humeurs,
même s’ils sont erratiques : atteindre « physiquement » le mal
jusqu’à le montrer. Les allusions répétées aux nouvelles
machines du XVIIe siècle le confirment plus encore : le corps,
devenu « pompe », « fontaine », ou même « horloge », avec la
diffusion des références cartésiennes, est un corps
prioritairement soumis aux évacuations mécaniques. Il
manifeste un insensible affranchissement à l’égard des
mouvements du monde. Signe discret, presque invisible, de
l’ascension de l’individu moderne.
La découverte d’une circulation lymphatique, presque au
même moment que celle d’une circulation sanguine, sa
présentation en étoile ou en réseau (les « vaisseaux lactés » de
Gaspare Aselli 380), renforcent encore la conviction d’un
fonctionnement mécanique du corps. Les risques sont ceux des
tuyaux trop fragiles. Représentation liée aux techniques
hydrauliques du temps, mais qui privilégie les gestes
d’épurement liés à la tradition : « Comme il arrive aux
conduits de l’eau dans les fontaines de se boucher… Il arrive
aussi, très souvent, aux conduits du sang de se boucher ou de
se rompre, quand la liqueur qu’ils contiennent est plus épaisse
qu’elle ne devrait être, ou en trop grande quantité 381. »
L’image plus banale des cheminées, sur laquelle insiste
Duncan, conforte la même analogie de circuits encrassés :
« Car les fumées du sang ne sortent pas seulement par la
bouche et par les narines, elles doivent encore sortir par les
pores de tout le corps, qui tous ensemble font une cheminée
plus grande 382. » Même lorsque Malebranche juge la
« machine du corps » si complexe, « si admirable », que
l’homme devrait « trouver plus sûrement en lui-même ce qui
lui est nécessaire pour sa conservation, que par la
science 383 », même lorsque le docte académicien hésite à se
fier aux médecins, il recourt à la référence mécanique : flux et
circuits justifient pour lui l’usage régulier de la purge et de la
saignée, permettant de « dessaler le sang et les humeurs et en
ôter l’âcreté 384 ».
Machine et régulation
La mécanique a ses risques, bien sûr, ses effets quelquefois
hasardés, ses drames. Plusieurs échecs sont patents. L’attention
à une circulation mécanique du sang déclenche l’essai de
transfusions censées prolonger l’existence. Richard Lower, en
1665, inventeur de savantes soupapes d’argent, introduit du
sang étranger dans les artères du corps. Il prétend prévenir les
maux : échanger le sang « d’animaux vieux et jeunes, malades
et bien-portants 385 », donner une force neuve aux êtres
épuisés. Richard décrit quelques tentatives : la transfusion
entre deux chiens, puis celle de sang de mouton sur un
« pauvre homme débauché 386 » ; mais ses manipulations se
perdent dans l’échec et l’oubli. Jean Denis, obscur chirurgien
parisien, cherche également, en 1667, quelque célébrité dans
ces opérations audacieuses, vantées pour « faire revenir les
forces et rajeunir les vieils 387 ». Il décrit les réactions d’un
brave et « robuste » boucher de quarante-cinq ans qu’il dit
avoir transfusé avec du sang de mouton : l’homme prétend
ressentir aussitôt une exceptionnelle vigueur, égorgeant d’un
simple geste le mouton de l’expérience avant d’affronter « un
travail de tout son corps, aussi rude que les chevaux eux-
mêmes auraient de la peine d’y résister 388 ». Le sang de
mouton, faut-il le dire, n’est pas compatible avec le sang
humain. Plusieurs morts viendront interrompre ces
« expériences », ainsi qu’une condamnation par le lieutenant
criminel du Châtelet en avril 1668 389. La mécanique
corporelle a ses surprises, même si sa référence s’est imposée.
Étrange machine surtout qui ne semble pas avoir de guidage
interne, ni même de résistance propre : la perspective
mécaniste fait partiellement négliger l’existence possible de
ressources obscures intérieures, celle d’une vitalité intime. La
machine est ici livrée aux seules lois des forces mouvantes.
Les conseils de Mme de Sévigné donnés à sa fille ne révèlent
aucune sagesse venue du corps ; aucun équilibre, par exemple,
entre échauffement et rafraîchissement, aucun entre
dessèchement et humectation. Toute expérience extérieure
peut devenir sans limites. Innombrables sont les circonstances
risquant d’échauffer le sang jusqu’à créer « des ravages
cruels 390 » : le soleil de Provence qui transforme « en
four 391 » la chambre de Mme de Grignan, les jeux d’échecs
qui « font du mal tout en divertissant 392 », les boissons
chaudes, l’insuffisance de nourriture, l’attitude penchée pour
écrire qui « tuent la poitrine 393 », l’air d’Avignon qui
« enflamme la gorge 394 », la toute banale « agitation des
jours 395 ». Innombrables aussi sont les circonstances créant
d’incoercibles dessèchements : le vent de Grignan qui
« supprime le sommeil 396 », l’excès d’évacuations qui étanche
le corps, l’oubli du lait et des nourritures tendres qui amaigrit
les chairs.
Rien de plus sensible, pourtant, que ce corps mécanique,
rien de plus perturbable aussi. La machine subit passivement
les actions venues du dehors : réchauffement suscité par une
position de sommeil sur le dos peut entraîner la pierre 397 ; la
respiration d’un air chaud peut entraîner la rage 398 ; la
pénétration des « vents coulis » peut entraîner la mort 399. Le
danger est constant : la référence à une mécanique corporelle
semble même avoir rendue indispensable, permanente, la
vigilance qui en ajuste le cours. L’accroissement de
« science » accroît ici l’incertitude. Pour la première fois,
l’expérience de la santé révèle l’infinité du risque : les objets
menaçants se sont multipliés. Dieu seul, d’ailleurs, pourrait
être instance régulatrice. C’est l’aveu de Malebranche insistant
sur l’inépuisable du détail mécanique et sur l’impuissance à en
saisir l’ensemble : « Il est impossible que les hommes
connaissent assez toutes les figures et tous les mouvements des
petites parties de leur corps et de leur sang pour connaître que
si ils mangent [ce fruit] ils seront guéris 400. »
2. Flux plus divers, flux plus subtils
Le vrai changement des pratiques de santé dans la France du
XVIIe siècle tient à l’extension des pratiques évacuantes. Mme
de Nouveau le montre lorsqu’elle prend en 1656 une
« intendante de santé lui prescrivant ce qui faut qu’elle fasse
pour se bien porter 401 ». Sa pratique préventive se diversifie
en actions multipliées : non plus seulement la purge ou la
saignée, mais la transpiration, l’expectoration, le vomissement.
Les objets pris en compte sont moins visibles, les évacuations
provoquées plus subtiles. Un affinement du sensible,
caractéristique de la France classique.
Alors que ne se sont accrues ni les guérisons ni la durée de
vie ; alors que n’ont progressé ni la compréhension des
épidémies ni celle des désordres internes, c’est l’objet même
du geste d’entretien qui se déplace au XVIIe siècle. Exemple
remarquable d’une exigence préventive accrue, non suivie
d’efficacité.
La diversification des flux
Les fluides surveillés sont plus nombreux et plus travaillés.
L’antimoine, par exemple, frappe les esprits : minéral dont le
mélange avec le vin « purge par le haut et par le bas toutes les
humeurs qu’il rencontre 402 », l’antimoine est quelquefois
proposé comme panacée. Malebranche ne peut s’en passer,
jugeant son estomac fragile, éprouvant la nécessité de « le
nettoyer », tout en usant du « vin émétique en petite
quantité 403 ». Mme de Sévigné y voit l’occasion d’un
renouvellement complet des humeurs : « Après cela, on me
promet une santé éternelle. Dieu le veuille 404 ! » Eusèbe
Renaudot décrète même « l’antimoine triomphant 405 » en
1653. Mais la drogue est d’un usage complexe malgré tous les
adoucissants ou les atténuants qui s’y mêlent. Son action peut
être violente, semblable à celle de l’arsenic. La Pharmacopée
royale de Moyse Charas suggère discrètement ses dangers :
« On ne la doit donner qu’à des personnes bien robustes et qui
ayant la poitrine large puissent vomir facilement 406. »
L’antimoine reste plus un médicament qu’une potion
préservatrice : un remède utilisé dans les fièvres plus qu’une
drogue de précaution. Le recours à ce vin très spécial est limité
par le Parlement de Paris, le 16 avril 1666, qui « faict
inhibition et deffences à toutes personnes de s’en servir que
par les ordres des docteurs-médecins de la Faculté 407 ».
Évidente, au contraire, est au XVIIe siècle la tentative
d’accroître et de diversifier les flux protecteurs, avec une
multiplicité de propositions évoquées comme des découvertes.
Celles de Domergue par exemple, suggérant très sérieusement
en 1687 l’usage d’une plume d’oie « neuve et entière, dont le
bout soit doux », poussée au fond de la gorge, pour mieux
« attirer les eaux et les flegmes qui se forment dans la tête et
tombent sur la poitrine 408 ». Domergue propose encore de
« tirer l’air ou les vents qui se forment dans l’estomac 409 » par
de fréquentes pressions exercées sur le ventre ; suggérant
l’adoption d’une position particulière dans le lit pour accroître
les transpirations : « Se raidir, s’enfler et se gonfler le ventre et
tenir l’haleine autant qu’on le peut, la reprendre et se regonfler
continuellement, et se tenir dans cette posture couché dans les
draps sur le dos, la tête basse, sans chemise… l’on se trouve
alors tout couvert d’eau jusqu’aux extrémités 410. » Lui-même
estime, avec ces quelques gestes régulièrement répétés, s’être
gardé « des maladies causées par les eaux et par les vents qui
se forment dans le corps 411 ». L’« acte vénérien », bien sûr est
pris en compte : évacuation nécessaire, utile à l’équilibre des
humeurs, il est évoqué comme quelque mécanique vitale. Le
médecin de la France classique, imitant ses prédécesseurs, se
montre peu farouche pour les jeunes époux : « Il y a du danger
à retenir cet excrément… parce qu’estant retenu il se pourrit et
devient pernicieux comme venin 412. » Les jeunes veuves sont
victimes de « suffocations de matrices », de « pâles couleurs »,
de pléthores douloureuses, de « palpitations et syncopes 413 ».
Leurs maux justifient le remariage dans un délai raisonnable ;
ces maux expliquent aussi l’ironie de Bussy-Rabutin devant le
long veuvage de sa cousine la marquise de Sévigné : « Je ne
pense pas que vous eussiez plus de peine à prendre un galant
que du vin émétique 414. »
La santé, plus qu’auparavant, s’obtient par une
multiplication des flux. Ce que confirment encore les
témoignages laissés par De Lorme, dans ses Moyens faciles et
éprouvés, pour vivre près de cent ans 415, vieux médecin
normand mort à quatre-vingt-dix-huit ans : son lit de brique,
par exemple, sous lequel peut brûler un feu doux entretenant la
chaleur des vieillards, tout en facilitant les évaporations
d’humeurs ; ou ses pantalons et bottes de fourrures, portés la
nuit, pour favoriser échauffement et transpiration ; ou la peau
de cygne placée sur l’estomac pour aider à la coction des
aliments. Les gestes de De Lorme associent l’accroissement
des flux au renforcement du feu vital. Ils soutiennent la
chaleur du cœur, celle des viscères, toujours diminuée avec le
grand âge, dans une machine organique demeurée ici four ou
alambic. La tête, enfin, est plus que jamais évoquée : il y faut
des calottes, le jour, dissimulées sous le chapeau mais
épousant la forme du crâne pour mieux le protéger, il y faut
des bonnets, la nuit, pour faciliter l’absorption et
réchauffement des humeurs : le meilleur moyen d’éviter « les
fluxions sur les dents, sur la poitrine et autres
incommodités 416 ». Le bonnet est même quelquefois
considéré comme une « ample et grande ventouse » attirant
« les humeurs pituiteuses » qui pourraient, sans lui, faire « de
grands ravages dans les poumons 417 ».
Les évacuations invisibles
À cet intérêt pour la diversité des flux s’ajoute un autre
intérêt, au XVIIe siècle : l’orientation vers l’infime ; la
surveillance de fluides moins visibles et de signes proches de
l’insensible. C’est sur les sensations que s’effectue ce lent
travail d’affinement.
Sanctorius, austère médecin padouan ébloui par les pesages
et les comptages, révèle, au début du XVIIe siècle, ce
déplacement des objets d’attention. Il suggère un calcul
apparemment trivial : comparer le poids des matières ingérées
et celui des matières rejetées. Il insiste sur un constat : le poids
des excréments est inférieur, après chaque repas, à celui des
nourritures absorbées ; urine et défécation n’atteignent pas,
loin s’en faut, le volume des aliments ingérés. D’autres rejets
doivent être pris en compte pour expliquer la constance du
poids du corps, d’autres sources d’évacuation ; des
« matières » sans doute moins repérables. Sanctorius multiplie,
autour de 1625, comptages et observations, et se lance dans
une aventure immobile : il s’installe, une grande partie du jour,
sur une balance transformée en fauteuil dont il dissimule le
mécanisme au plafond pour rendre les mesures plus discrètes ;
et il vérifie ce que, bien sûr, il soupçonnait déjà : son corps
s’allège insensiblement au fil des heures. Sanctorius dévoile
un phénomène jusque-là négligé : celui de la « transpiration
insensible », cette sueur s’échappant des pores en
imperceptible vapeur. Il jure à la « découverte », révélant au
passage la très lente émergence de la science moderne, celle de
l’observation et du calcul.
La démarche permet d’affiner l’image de l’évacuation :
suggérer des mécanismes moins immédiatement décelables,
affaiblir la taille ou le volume des objets observés, travailler
sur leur « discrétion » possible, sans que change encore le
cadre explicatif de la santé ou de la maladie. La curiosité de
Sanctorius illustre le lent changement des pratiques d’entretien
dans l’Europe ancienne : un émiettement progressif des gestes,
leur orientation vers des objets plus cachés, alors même que le
déchet reste au centre des inquiétudes. Une accentuation des
vigilances pour un cadre théorique inchangé.
L’autre nouveauté est que Sanctorius apprécie son état
physique aux fluctuations de la balance : « Lorsqu’on
reconnaît par l’examen de la balance que la transpiration est
empêchée, on prévoit pour les jours suivants une plus
abondante transpiration ou quelque grande évacuation
sensible, peut-être un commencement de cachexie ou de
fièvre 418. » Le constat chiffré guide le comportement
préventif. La santé semble « mesurée ». S’y ajoute l’attention
à un sentiment tout particulier, celui de quelque légèreté
intérieure, de quelque allègement impalpable : « La marque
d’une parfaite santé consiste en deux points : l’un de se sentir
plus léger qu’à l’ordinaire, l’autre de n’être pas en effet
diminué de poids 419. » D’où enfin le conseil d’entretenir et de
surveiller cette imperceptible évaporation, d’en favoriser le
maintien et la régularité.
Sanctorius n’a pu provoquer une « vulgarisation » des
observations par la balance. L’engin demeure rarissime dans
les intérieurs du XVIIe siècle. Les inventaires après décès,
ceux mêmes des médecins, ne le citent quasiment pas. Les
suggestions du médecin de Padoue, par contre, montrent le
sens d’un progrès possible : la surveillance de manifestations
toujours plus discrètes des matières évacuées.
Cette démarche très neuve, en 1625, confirme combien la
pratique épurante a elle-même une histoire : sa mise en œuvre
évolue, du Moyen Âge au monde classique, dans ses formes,
dans ses dispositifs, malgré l’unité de son principe imaginaire.
Les conseils se précisent, jusqu’à poursuivre des raisons
jugées aujourd’hui dérisoires ou oubliées : la position du
sommeil, par exemple, imaginée au XVIIe siècle pour ne pas
contraindre les évaporations d’humeurs. L’attitude du dormeur
n’a pas à faire obstacle aux fuites invisibles épurant le corps. Il
faut dormir la tête surélevée, corps seulement incliné : « Les
vapeurs ont meilleure issue quand le corps et la tête sont droits
qu’estant couchés 420. » C’est une attention particulière aux
« brumes », aux « buées » du corps, qui s’est précisée ; un
intérêt pour les déchets vaporisés.
Les différences sont directement sensibles d’un siècle à
l’autre : les purgations de Mme de Sévigné sont, au XVIIe
siècle, plus fréquentes que celles du sieur de Gouberville, un
siècle plus tôt, révélant des exigences nouvelles. Le
gentilhomme normand se purge de loin en loin, autour de
1550, avec une pharmacopée aux effets toujours brusques,
jusqu’à le laisser quelquefois malade, épuisé ; comme cette
nuit de septembre 1553 où il doit recourir à deux domestiques
pour le veiller après d’insurmontables malaises dus au
breuvage purgatif pris, dit-il, seulement « par précaution 421 ».
La puissance du produit, sa force évacuante restent, pour
Gouberville, l’objectif dominant. La marquise, autour de 1680,
se purge au contraire avec sa « manne des capucins 422 », une
« eau de pervenche bien verte 423 » aux effets délibérément
bénins. Elle en recherche une action plus constante,
promouvant le souci de préservation en geste quasi quotidien.
La marquise boit son eau précieuse « comme une limonade…
pour n’y penser plus 424 ». Elle l’évoque comme une habitude
toute différente des grandes purges importunes et épisodiques.
L’argument est le même d’ailleurs lorsque Le Mercure galant,
en 1693, fait l’éloge d’une eau purgative découverte par un
obscur marchand de Bordeaux : l’eau de Rousselle. Le
Mercure conseille d’en boire peu mais souvent. Le breuvage,
au goût minéral, agirait avec constance et discrétion : « On
n’est point retenu au lit et dans la chambre, on est libre de
sortir et d’agir comme les autres quoiqu’il se soit fait une
évacuation considérable dans le corps 425. »
Du XVIe siècle au XVIIe siècle, la surveillance s’est
intensifiée : pression plus grande sur le geste quotidien pour
un imaginaire des humeurs quasi inchangé.
De l’élixir au linge blanc
L’attention aux évacuations subtiles a aussi des effets sur les
élixirs. Le Mercure galant multiplie, dans la seconde moitié du
XVIIe siècle, les exemples de potions nouvelles visant les
transpirations insensibles : le « remède » suggéré par quelque
apothicaire anonyme en 1681 est dans ce cas, liquide appliqué
à même la peau, agissant « par une insensible transpiration en
ouvrant les pores et tirant au-dehors les humeurs malignes qui
causent les maladies 426 » ; de même la pharmacopée inventée
par Audibert en 1687, obscur curé d’Ivry-en-Brie : un esprit de
vin préservant « par la transpiration en purifiant le sang 427 ».
Ou plus encore le breuvage consommé par Galdo, ce Vénitien
crédité de quatre cents ans d’âge par quelques crédules en
1687. Le Mercure galant doute, bien sûr, de l’ancienneté réelle
du mystérieux vieillard, mais il attribue sa longévité à
l’insensible transpiration que l’élixir aurait entretenue 428.
Le rapprochement avec l’« or potable » que tentent, coûte
que coûte, d’entretenir quelques créateurs de ces potions
nouvelles n’est plus qu’allusion formelle, ruse rhétorique,
même si le procédé confirme l’attachement ostensible à la
pureté. L’évocation de l’or peut tenir à la couleur ou à la
consistance du produit proposé : une « teinture orifique » par
exemple, pour l’« esprit de vin 429 » commercialisé par
Cormier, en 1693, mais l’effet de l’évacuation est bien devenu
premier. Rien d’autre ici qu’une « médecine universelle…
opérant par insensible transpiration 430 ». Le métal rare n’est
plus qu’un emblème et non une indication de contenu.
L’élixir garde pourtant un rôle particulier. Il fait espérer,
comme auparavant l’or potable, une garantie globale,
définitive, une protection constante. Chomel conserve des
accents médiévaux, dans son Dictionnaire d’oeconomie
domestique, en 1670, pour louer l’« élixir de propriété 431 »,
breuvage issu de l’alambic, mêlant eau-de-vie de vin, eau
distillée de mélisse, safran « subtilement pilé 432 ». L’action de
cette eau brûlante serait comparable à celle du « baume
naturel », assure Chomel, matière habitée de vertus occultes,
substance quasi magique « nécessaire à la conservation du
corps 433 ». Mais l’opération n’est plus celle des joyaux
protecteurs. Sa réussite tient à son influence toute
instrumentale sur les corpuscules du sang qu’elle expulse en
les échauffant. Aucun doute : l’élixir entretient l’espoir d’une
protection permanente, mais le procédé mis en jeu vise la
mécanique du corps.
Les conseils sur les pratiques quotidiennes de santé de
l’élite, les préceptes sur l’aliment, l’exercice, ou même le
vêtement, changent davantage encore lorsque l’attention se
porte aux émanations subtiles. Mme de Maintenon suggère à
son frère de « manger peu mais souvent », et surtout de « se
promener à cheval, en carrosse et en bateau, de marcher un
peu 434 ». Le mouvement tempéré favorise l’insensible
transpiration. Les frottements provoqués par les balancements
du carrosse agissent sur les plus fines humeurs. Mme de
Sévigné insiste sur la nécessité de ses propres déambulations,
à Vitré, à Guitry, aux Rochers, fustigeant sa fille, jugée trop
sédentaire à Grignan : « Promenez-vous, faites de l’exercice,
respirez votre bel air, mais ne demeurez point toujours dans ce
noir palais ou dans ce trou de cabinet 435. » Non, bien sûr, qu’il
s’agisse de quelque pratique intense : tout au contraire,
l’exercice « forcé » est toujours perçu comme violent,
dangereux, il échauffe le sang, il affaiblit ; la turbulence et le
bouleversement qu’il provoque sont accusés de « pourrir les
humeurs et d’allumer la fièvre 436 », de menacer quelque
équilibre encore mal défini ; d’autant que l’effort ouvre les
pores à l’excès, fragilisant le corps en l’offrant aux risques de
l’air « mauvais ».
L’activité du roi, ici encore, illustre la norme : ses chasses
martiales et calmes, avec leur gibier distribué dans un enclos,
« contribuent beaucoup à la santé et entretiennent la
vigueur 437 » ; alors qu’une chasse trop intense est jugée
dangereuse. Les exemples le montrent : le Journal de santé du
roi note, un jour d’été 1668, une agitation « rapide et
turbulente pour avoir été sur une glissoire qu’il avait fait faire
exprès dans son parc 438 ». Immédiatement l’entourage
s’inquiète, les médecins s’alarment : le roi ne saurait songer à
un divertissement aussi brusque. L’exercice doit être simple,
quotidien : une marche, quelque trajet… D’où son application
toujours possible, sa version banalement accessible. L’exercice
ne nécessite ni temps ni espace particuliers : Brienne, autour
de 1680, décrit le diplomate Chanut faisant son exercice en
« cultivant son potager de ses propres mains 439 », ce qui
étonne les visiteurs, la pratique étant jugée trop vile, mais ce
qui permet l’entretien des émanations invisibles. L’exercice
n’étant qu’agitation d’humeurs, son univers reste celui de
l’espace quotidien.
L’inquiétude sur ces humeurs éthérées rejoint au passage les
démarches de distinction, avec leur usage plus exigeant du
linge, le regard particulier porté à son renouvellement, à sa
blancheur, dans la seconde moitié du XVIIe siècle. Pratiques
de santé et pratiques de bienséance suivent sur ce point une
évolution parallèle : l’une et l’autre témoignent d’une attention
aux manifestations jugées plus discrètes du corps. C’est
l’affirmation des traités de santé de la France classique :
« Si le linge blanc a la vertu de nettoyer et attirer l’ordure et
la crasse du corps, il est certain que tant plus nous en tirons,
tant plus tôt nous serons purifiés 440. » Renouveler le linge,
c’est renouveler la transpiration insensible, agir sur les
humeurs en les purifiant. Autrement dit, mieux absorber la
sueur en la favorisant : « Le linge blanc de lessive peut s’en
abreuver plus facilement 441. » Le blanc attire l’humeur en
entretenant le corps. Les remarques croissantes dans les lettres,
dans les Mémoires ou les récits du XVIIe siècle, confirment
ces vigilances qui en étaient jusque-là largement absentes.
Un seuil de sensibilité s’est déplacé : le port d’une même
chemise pendant plusieurs jours est moins bien accepté dans
l’élite de la France classique. Le changement de linge
s’impose, plus qu’auparavant, comme une exigence intime, un
geste d’entretien physique, autant que de propreté. Mlle de
Montpensier qui fuit le Louvre lors de la Fronde parlementaire
en 1649 le montre à sa manière : réfugiée au château de Saint-
Germain, alors qu’elle n’a pu emporter ses malles, il lui faut
attendre dix jours qu’un équipage prudemment aventuré
depuis Paris lui restitue ses « commodités ». Elle tente, entre-
temps, de préserver ses habitudes compromises, mais elle en
souffre et juge l’épisode suffisamment pénible pour le noter
scrupuleusement : « Je n’avais pas de linge à changer et l’on
blanchissait ma chemise de nuit pendant le jour et ma chemise
de jour pendant la nuit 442. » Le changement de linge est
suggéré davantage aussi après les promenades, les exercices,
ou même les simples déplacements, alors même qu’il ne l’était
pas, ou peu, auparavant. Mme de Sévigné juge utile de s’y
attarder, après un parcours en carrosse dans sa campagne
rennaise : « Je vins chez mon fils changer de chemise et me
rafraîchir 443. » Ou Lister encore, voyageur anglais de la fin du
XVIIe siècle, qui fait du changement de chemise une marque
de bienséance, autant qu’un geste d’entretien : « Une bonne
chemise de toile changée tous les jours vaut, à mon avis, le
bain quotidien des Romains 444. »
Comportement d’autant plus important que l’ablution n’est
pas évoquée. Le recours à l’eau reste d’un usage redouté au
XVIIe siècle. Les pores ne sont-ils pas toujours censés s’ouvrir
avec la présence du liquide ? Ne demeurent-ils pas « béants »,
plus encore, après l’immersion du bain chaud ? Les craintes
nées des pestes sont ici inchangées : l’eau infiltre le corps en le
livrant aux menaces de l’air malsain, elle le laisse ouvert aux
quatre vents. Le bain n’est alors possible qu’entouré de
précautions redoublées : longue protection après l’immersion,
repos, attente d’un à deux jours avant de sortir à l’air. Le
marquis d’Effiat qui se baigne de loin en loin à Chaillot autour
de 1635, ne reparaît à la cour que plusieurs jours après chacun
de ses bains, voulant éviter tout danger de faiblesse 445. La
Grande Mademoiselle fait précéder ses quelques bains
exclusivement saisonniers de purges et de saignées 446.
L’immersion reste une pratique rare, sinon insolite. Seul
l’usage plus fréquent du linge, protégeant et absorbant à la
fois, manifeste les exigences nouvelles.
3. LA GRADUATION DES MAUX
Ces surveillances de fluides invisibles, ces insistances sur
les pourrissements infimes changent insensiblement la
désignation des maux. Ce sont des malaises nouveaux qui
peuvent ainsi être pris en compte, des troubles jusque-là peu
évoqués, ou tout simplement non perçus. Les écoulements
anodins déplacent les frontières de la santé, transformant en
désordre ce qui jusque-là ne l’était pas. Non que ces maux
soient définis par une indication vérifiée ou même objective.
Ils témoignent seulement d’un approfondissement du sensible,
un travail de culture.
Épidémie et représentation « immobile »
La peste demeure la référence exemplaire au XVIIe siècle,
celle qui orchestre l’ensemble des perceptions du mal. Il faut
l’évoquer pour suivre comment se recomposent les gestes
préventifs, des maux les plus menaçants à ceux qui le sont
moins.
La conscience des dangers de l’air, d’abord, demeure au
centre des défenses. La peste n’est plus envoyée par quelque
puissance obscure, elle « visite » les lieux, elle passe,
colportée par les soldats, les vagabonds, les groupes errants ;
une menace qui circule comme une chose et s’infiltre comme
un venin. C’est le sous-titre des règlements régulièrement
actualisés pour le retour du fléau : « Avertissements publiés
lors de la dernière visitation de 1603 et repris
aujourd’hui 447 ». Vision savante encore, réservée à ceux qui
portent un nouveau regard sur la nature au XVIIe siècle et
réduisent le monde aux « mouvements ordinaires 448 ». Cette
vision favorise une approche plus réaliste, suggérant des
quarantaines plus strictes, des vérifications plus serrées.
L’enquête conduite à Florence par exemple, demandée par les
autorités de la ville en 1621 à Filippo Lusagnini, « maître
maçon et ministre des rues », qui dit avoir trouvé 109 caves
gorgées d’eaux usées, 20 caves fermées entourées de fosses
d’aisances, 49 fosses débordantes et 8 puits d’eau non potable,
saturés de liquide noir venu de déjections variées 449. Entrées
et sorties des villes, circulations diverses surtout, sont plus
surveillées. C’est au XVIIe siècle que les ports de l’Adour
appliquent la patente de santé à l’ensemble des bateaux
entrants. C’est au XVIIe siècle que des garde-côtes sont
installés toutes les deux lieues, le long du littoral aquitain,
interdisant l’accès aux navires non pourvus de patentes 450.
Correspondances sanitaires plus nombreuses enfin, où les
échevins de Chambéry écrivent le 11 avril 1616 à ceux de
Grenoble pour leur annoncer la présence de la peste à Genève,
lesquels écrivent aussitôt à ceux de Gap pour leur transmettre
la nouvelle 451. Autant de mesures qui, en se multipliant, ont
sans doute éloigné la peste dans les dernières décennies du
siècle, malgré ses retours d’autant plus meurtriers qu’ils
atteignent une population devenue peu immunisée.
Mais cet éloignement ne saurait correspondre à un large
effacement des épidémies et moins encore à une meilleure
compréhension du mal. Bien au contraire. Sur ce terrain
lentement abandonné par les pestes, plusieurs maladies relais
viennent, au XVIIe siècle, capter les candidats aux épidémies.
Moins violentes, moins spectaculaires, ces maladies sont plus
constantes, endémiques, creusant quelquefois davantage la
saignée démographique ; ce sont les fièvres des pays de
marais, la malaria, les dysenteries, ces affections mal
répertoriées, au XVIIe siècle, dont Tourton constate les
ravages dans son livre de raison : « Les fièvres malignes de
1686 et 1694 ont tellement dépeuplé la ville d’Annonay qu’on
n’y compte plus, au mois de may 1694, que 2 800
personnes 452 » ; ce sont les dysenteries, également peu
identifiées, infections des mal nourris, qu’entretiennent les
eaux incontrôlées et les misères microbiennes ; c’est la petite
vérole (la variole) dont l’intensité redouble au XVIIe siècle, au
point qu’à Londres en 1668 Pepys l’évoque comme une des
remplaçantes possibles de la peste de 1666 : « On n’avait
jamais vu autant de petite vérole que depuis ces deux derniers
mois 453. » Toutes maladies qui s’implantent plus solidement
encore à la place de l’épidémie de peste quasiment disparue
après l’épisode londonien.
Rares, par ailleurs, sont au XVIIe siècle les assainissements
urbains obtenus par un bouleversement des espaces, comme
cette « très belle » allée d’arbres disposée par l’intendant
d’Amiens aux portes de la ville pour mieux agir sur la santé
collective : « Mes motifs ont esté pour cela d’empescher la
contagion dont cette ville a esté de temps en temps affligée,
pour que le menu peuple qui demeure toute la semaine
enfermé à son travail et l’hiver dans la puanteur du feu de
tourbes, va se purifier pour ainsy dire en s’esbatant et se
promenant au grand air 454. » Ou le pavage de La Rochelle
étendu en 1690 avec une visée quasi démographique : « Ces
améliorations augmenteront le nombre d’habitants en
assainissant la ville 455. » Ces projets rencontrent très vite
leurs limites au XVIIe siècle. Ils butent sur l’impossible
maîtrise des vidanges que les magistrats florentins
recommandent encore de déverser exclusivement dans l’Arno :
« Quant à l’odeur dégagée par cette matière tendre et liquide
lorsqu’elle est jetée dans l’Arno, il est de toute façon
inévitable qu’elle empeste quand on la remue ; c’est pourquoi
il semble juste de choisir le moment de la cloche puisque à
cette heure la population est à l’abri dans les maisons et tient
les fenêtres closes, particulièrement l’hiver 456. » Les projets
d’assainissement butent aussi sur les contraintes du pouvoir
monarchique en France : la mise en scène de sa force par
exemple. Les nouvelles places construites à Caen, Lyon,
Rennes ou Montpellier favorisent ainsi quelque aération, mais
elles obéissent d’abord au geste de « montrer » et moins à
celui d’assainir 457. Lorsque l’intendant de Dijon propose une
réfection des abords du palais bourguignon qu’il juge
« encombrés », il recherche exclusivement la majesté du lieu.
Anoblir les lignes, majorer les espaces : l’ouvrage dijonnais
est « nécessaire pour la beauté et l’ornement de cette ville, et
plus encore du logis du roi, lequel était l’un des plus
magnifiques du royaume 458 ». Le Grand Roi appelle le
monumental et moins le projet sanitaire. Blondel en donne la
règle austère dans ses cours d’architecture en 1680 : « Le
décor des façades et la recherche des ornements est la partie la
plus noble et la plus considérable de l’architecture 459 ».
La prévention, au contraire, consiste à éviter les lieux
« dangereux », à respirer des pommes d’ambre ou « des
éponges trempées de sauge et de genièvre 460 », ne pas
approcher des chambres de malades, s’éloigner prudemment
de leurs maisons, de leurs entours, comme la terreur de la
peste a pu l’imposer : le Palais Royal est abandonné par « les
jeunes personnes qui prétendaient en beauté 461 », lors de la
petite vérole du jeune roi en 1647. La chambre de Mme de
Fiesque, au château de Saint-Fargeau, est « éventée » durant
plusieurs jours, matelas et linges brûlés, après que cette amie
de Mlle de Montpensier y meurt en 1660 d’une fièvre
inconnue 462. Le mal est insidieux, invisible, bien peu endigué
par ces mesures individuelles sur les vents et les lieux. Son
intensité contribue à la démographie cahotique du XVIIe
siècle ; une démographie qui s’infléchit quelquefois en
régression : celle qui gagne les garrigues et les causses du
Lodevois, par exemple, autour de 1630, avec leur lente chute
des effectifs humains ; celle qui gagne aussi la vallée de
l’Anjou, brumeuse, insalubre, gravement infiltrée de
paludisme, autour de 1650, ou une Sologne délabrée par la
malaria 463.
Face à ces maux non maîtrisés, le recours à une logique des
impuretés internes du corps s’est pourtant approfondie.
Le fourmillement de l’air
L’air, d’abord, agissant sur les entrées et les sorties du corps,
se charge d’effets plus nombreux. Les pores sont au centre des
préoccupations lorsque le « malade imaginaire » de Molière
tient à « se garder du serein 464 », cet air pénétrant et humide,
qui en saturant la peau interrompt la transpiration. Repère
identique lorsque Mme de Sévigné dit craindre le brouillard
dense, celui dont la lourdeur peut boucher les plus fines
ouvertures du corps. Impossible d’envisager une promenade à
l’air trop nuageux : « J’ai appris que le soleil se coucha dans
un furieux nuage le 24 décembre (chose étrange) et que le
brouillard fut fort épais. Cela nous avertit, mes sœurs, qu’il ne
faut point se promener en cette saison 465. » Le climat menace
d’autant plus la transpiration insensible qu’il peut « constiper
subitement les pores 466 ». Le modèle des pestes, avec son air
pénétrant le corps pour le détruire, gagne ainsi en nuances et
en degrés. Un ensemble de perturbations physiques, modérées
ou anodines, prend existence dont les qualités de l’air restent
la cause.
Les surveillances s’amplifient, chez Mme de Maintenon par
exemple : l’air de Fontainebleau lui donne « peu de santé »,
provoquant « des maux qu’elle ne connaissait pas 467 »,
jusqu’à l’accabler de migraines, alors que l’air de Versailles
vient les apaiser « pour moitié 468 » et que celui de Chambord
lui permet de se « porter fort bien 469 ». L’air de Blois
provoque des malaises chez Mlle de Montpensier, ce que ne
fait pas celui d’Orléans : « Je m’en allai à Blois où le séjour
me déplaît fort et où l’air m’est absolument contraire, je n’y
fus jamais quinze jours que je n’y sente de grandes douleurs de
tête et que je n’y eûs de grands rhumes 470. » Chaque lieu a
son « air », avec les symptômes qu’il provoque, chaque ville
dispense ses influences particulières. Ce que confirment les
voyageurs au long cours : Challe, par exemple, écrivain du roi
embarqué sur l’Écueil, en 1690, décrivant l’air des îles
abordées. Nuances si nombreuses qu’elles finissent par
détériorer la santé de cet écrivain égaré chez les marins : « La
fièvre commence à me tenir… Je donne ceci au changement
de climats qui dérange la machine 471. « C’est encore
l’explication attribuée aux maux du duc de Mortemart, à la fin
du XVIIe siècle, voyageur aux expéditions « innombrables » :
« Cette maladie n’a point dû surprendre. Elle est l’effet du
changement qui se trouve dans les différents climats dont il a
respiré l’air en peu d’années 472. »
Non, bien sûr, que les appréciations soient toutes
convergentes. Coulanges affirme, en 1694, qu’il « n’y a pas
actuellement d’air plus détestable que celui de Paris 473 ».
Quelques années plus tôt, Duret attire la curiosité en enfermant
son enfant dans une cage de verre, pour mieux le protéger des
miasmes ambiants 474 ; alors que Mme de Maintenon assure
que cet air parisien peut guérir son frère d’incommodités les
plus variées 475, et que Lister le juge « incomparable » pour
soutenir la santé de ses amis anglais venus en France : « Ceux
qui toussaient et crachaient beaucoup furent bientôt
guéris 476. »
Peu importe, à vrai dire, la vérité de l’impression, peu
importe la qualité du jugement. C’est bien cette vigilance
nouvelle sur les maux peu définis qui reste de loin la plus
marquante : l’incommodité et non plus la maladie brutale,
l’indisposition et non plus l’infirmité, avec leurs parades elles
aussi plus discrètes.
L’ « état » des vaporeux
Un mal nouveau permet d’objectiver, au XVIIe siècle, cette
catégorie originale de malaises ; un mal dont le nom même
suggère l’effet directement physique : les vapeurs.
Le mot existait déjà. Il a une histoire, désignant le trouble
hystérique : la force des humeurs génitales féminines
contrariées, venues de l’« hypocondre » pour troubler le
cerveau. Dans cette version traditionnelle, les vapeurs
expliquent certains « égarements » de femmes dont Ambroise
Paré donne en 1573 l’interprétation physique ; celle que
suggéraient déjà les textes antiques : « L’utérus se gonfle et
enfle pour ce que quelque substance pourrie et corrompue en
icelui se résoud en vapeurs et ventosités des menstrues ou de
la corruption de la semence… dont s’engendrent de très cruels
accidents approchant quelquefois de ceux qui sont morts de
chiens enragés 477. » La femme hystérique est celle qui s’agite
jusqu’à la crispation révulsée sous l’action de ces vapeurs
condensées. L’évocation reste conventionnelle : comparaison
entre les effets de ces flux « acides » et ceux que provoquent
les venins de serpents ou les fureurs de la rage ; description
quasi morphologique de paralysie musculaire et de soubresauts
incontrôlés : l’image sans âge de l’hystérie.
Le mot de vapeurs, pourtant, étend son sens au XVIIe siècle.
Les airs et les souffles du corps gagnent une existence plus
diffuse, plus variée. Les vapeurs désignent aussi « les fumées
qui s’élèvent de l’estomac ou du bas-ventre vers le
cerveau 478 ». Elles proviennent de digestions incomplètes, de
nourritures excessives, d’embarras de poitrine. Elles
provoquent suffocations, étouffements, vertiges. Les vapeurs
de Louis XIV, la longue chronique des indigestions qui les
déclenchent, occupent une notable partie du Journal de santé
du roi. Elles l’« affaissent », l’obligeant à « se prendre et
s’appuyer un moment pour laisser dissiper cette fumée qui se
portait à sa vue et affaiblissait les jarrets 479 ». Elles l’obligent
à s’aliter avant d’être fortement purgé. Quant aux vapeurs
d’origine phtisique, celles qui tourmentent l’abbé Testu, l’ami
de Mme de La Fayette, elles sont si violentes que l’opium lui-
même ne peut les faire céder 480.
D’autres intensités sont possibles. Ces brumes venues de
fermentations internes ont aussi leurs versions plus anodines.
Le mot lui-même désigne l’impalpable. Il accroît le nombre
d’états intermédiaires entre santé et maladie jusqu’aux
symptômes demeurant quasiment secrets : « Selon le docteur
je suis fort bien et selon moi je suis fort mal 481 », avoue Mme
de Maintenon en évoquant ces épisodes de faiblesse et
d’abattement. Rien n’est changé dans le mécanisme : les
vapeurs sont les brumes issues de fermentations et de
pourrissements. Tout change, en revanche, dans les
dimensions prises en compte : les corpuscules sont
insaisissables. Mais, du coup, changent aussi les manières
d’évoquer le mal et celles de s’en préserver.
Une pratique sociale nouvelle favorise l’usage du mot : les
vapeurs alimentent un art du commerce social, ces échanges
préoccupés de « petites choses », de « petits sujets 482 »,
d’accidents quotidiens ou futiles qu’inventent les élites
urbaines du XVIIe siècle. Le mot indique une mutation de
sociabilité. L’implantation des gentilshommes à la ville, durant
le siècle, celle des propriétaires ruraux, des receveurs et juges
seigneuriaux, celle des officiers royaux aussi, créent un
inévitable renouvellement de la culture urbaine. Une
installation de cénacles, une dynamique de préciosité, où
boutiques de libraires, bibliothèques privées, salons, y
renouvellent les lieux de rencontres 483. L’ascendant de
notables lettrés s’éloignant des divertissements du XVIe siècle,
réprouvant leurs rires, leurs banquets, leurs exemples
rabelaisiens, impose un code de l’urbanité, un « art de plaire
dans la conversation 484 », une manière plus travaillée de
parler de soi comme une manière plus sophistiquée de
préserver le corps.
L’extension des villes d’eau, au XVIIe siècle, la création de
Bourbon-l’Archambault, de Forges-les-Eaux, de Vichy,
l’évocation régulière de leurs visiteurs par Le Mercure galant,
prolongent cette sociabilité nouvelle. Séjours d’une élite
encore étroite, comme le montrent les visites de Mme de
Montespan à Bourbon-l’Archambault en 1676 conduite dans
une calèche à six chevaux suivie de plusieurs fourgons, « six
mulets, dix ou douze cavaliers, un train de 45 personnes 485 ».
Ces transports aux eaux ne s’expliquent plus à la fin du siècle
par la seule raison médicale. Huet, l’évêque d’Avranches,
séjourne à Bourbon-l’Archambault pour effacer « faiblesses et
abattements 486 ». Fléchier s’attarde à Vichy « pour changer
d’air » autant que pour « fortifier le corps 487 ». L’eau y est
présentée par le Mercure de 1676 comme « excellent pour les
vapeurs 488 ». Les raisons préventives, et non seulement
curatives, commencent à mobiliser certains baigneurs. De
l’évitement des pestes à celui des vapeurs, c’est l’ensemble
d’un spectre défensif qui s’est largement déployé.
4. L’épurement des humbles
Les défenses des humbles demeurent bien sûr plus
traditionnelles au XVIIe siècle, ancrées comme jamais dans la
croyance aux solidarités cosmiques. C’est une double culture
qu’il s’agit une fois encore de distinguer, celle de l’élite et
celle des « autres », alors que le thème évacuateur semble
insensiblement se généraliser.
Les almanachs des colporteurs au XVIIe siècle
pronostiquant événements rares, intempéries ou malheurs, ces
livres bleus diffusés pour la première fois aux petits lecteurs
des villes et des campagnes, montrent bien l’importance, pour
eux, des rythmes saisonniers ou climatiques. Ces textes n’ont
pas rompu avec les repères médiévaux. Lectures de ruraux,
curiosités de « petites gens », même si d’autres publics plus
urbains sont concernés, les almanachs populaires prolongent
au XVIIe siècle l’attention traditionnelle aux indices du ciel.
Outils d’hommes vivant au plus près de la nature, ils
maintiennent l’observance des périodes « mauvaises » ou
« favorables » pour les gestes d’entretien, la volonté d’un
recours aux signes « bons pour prendre médecine » ou « bons
pour saigner 489 ». La « lune dans les Gémeaux », par
exemple, interdit toujours la saignée, compromise par les
chaleurs de l’été, alors que la « lune dans le Capricorne », avec
ses abondances de printemps, « est bonne pour saigner les
sanguins 490 ». Jusqu’à l’acte de se couper les cheveux qui
devrait observer les décours de la lune.
La santé des almanachs
Les références sont tout aussi « anciennes » lorsque est
évoqué le régime alimentaire. Seule y triomphe l’école de
Salerne, avec ses préceptes du XIe siècle, une sobriété
transposée en vers solennels et pompeux :
La courte table…
Voilà préambulairement
Ce qui fait vivre sainement 491.
Rares, dans ce cadre populaire, sont les détails sur la qualité
des nourritures ; alors qu’y est tout à fait nouvelle l’insistance
sur la retenue alimentaire et le contrôle des quantités. C’est
l’originalité de cette littérature faite pour le peuple :
l’instauration plus marquée d’un contrôle ; l’éloignement
explicite de sensibilités longtemps séduites par les nourritures
massives et les ingestions protectrices. La littérature de
colportage innove, pour ces gestes des plus humbles. Les
formules de potions « purifiantes » y abondent. « Syrops de
vie », « tisanes de santé », « ambres de vie » ou « parfums du
pauvre », se multiplient dans les traités de « maladie des
pauvres » ou les livres du « médecin charitable » du XVIIe
siècle : l’« eau céleste » avec genièvre et sureau, par exemple,
dont un mélange particulier aiderait les habitants de quelques
tribus lointaines à vivre près de 140 ans, permettant de
« rendre l’usage de la parole aux agonisants 492 » ; ou la tisane
de M. de Sainte-Catherine, censée « purger sans qu’on s’en
aperçoive 493 » tant ses effets seraient constants et mesurés.
Rien d’autre, au fond, qu’un arsenal d’élixirs mêlant les
plantes connues par les plus démunis : rue, chiendent, chicorée
sauvage ou même ortie et pissenlit.
Les subsistances des campagnes demeurent fragiles au
XVIIe siècle. Leur précarité est entretenue par des crises
cycliques, elles-mêmes accentuées par l’épisode froid
culminant autour de 1650, autant que par la gravité des guerres
du siècle, celles qui dévastent les marches de l’Est, jusqu’à la
Champagne et la Bourgogne, ou les terres « hérétiques » des
Cévennes et de Savoie. L’amorce d’une prospérité des villes
accroît encore le dénuement des campagnes : le transfert des
élites dans les villes du XVIIe siècle y a conduit les rentes et
les gains tirés du monde rural. Un déséquilibre qui, en cas de
crise surtout, joue en défaveur des campagnes.
Les gravures de Callot émaciant les corps pour mieux
souligner leurs « misères 494 », l’émotion de La Bruyère
« animalisant » les paysans pour mieux suggérer leur
dénuement 495, dessinent un XVIIe siècle tragique. Les scènes
sont nombreuses de sous-alimentation transposée en
corruption organique : « La plupart des pauvres, pour
prolonger un peu leur vie et apaiser un peu leur faim, mangent
des choses immondes et corrompues comme le sang qui coule
dans le ruisseau, les tripailles, boyaux, intestins et autres
choses semblables… Et tout cela produit des corruptions dans
le corps humain 496. » Les recensements de Vauban, à la fin du
siècle, sont alarmants. L’ingénieur du roi décompte
scrupuleusement la baisse de porcs, d’animaux de traits et de
subsistances dans l’élection de Vézelay. Il accuse la
« mauvaise nourriture » de rendre « lasches et paresseux » les
hommes de ce pays, condamnés aux « mauvais fruits, la
plupart sauvages, et à quelques herbes potagères de leurs
jardins cuites à l’eau avec un peu d’huile 497 ». Le mémoire
des commissaires du roi « sur la misère des peuples »
emprunte la même tonalité en 1687 : « On voit dans tous les
ordres et dans tous les états une diminution sensible et une
chute presque universelle 498. » C’est la privation de vin qui
est présentée ailleurs, de façon plus imaginaire bien sûr,
comme une cause de mort pour les rudes paysans des Flandres,
lors de la campagne de 1709 : « On a vu visiblement que ceux
qui ont eu des bouillons de bon vin de Bourgogne, et le reste à
profusion, il n’en est point mort un seul de ceux-là 499. »
Dénombrement lugubre, enfin, en Limousin à la fin du siècle,
où l’intendant, de Bouville, tente d’illustrer l’augmentation des
pauvres, dans les paroisses proches de Limoges, en comptant,
« avec toute l’exactitude imaginable, soixante-dix mille
personnes de tous âges et des deux sexes, qui se trouvent à
mendier leur pain 500 ».
La littérature bleue prend peu en compte ce dénuement. Elle
mêle plutôt un ensemble d’indications traditionnelles sur
l’astrologie et plus nouvelles sur les diètes, les élixirs, les
sirops, suggérant, elle aussi, la maîtrise plus serrée des
épurements.
Il est difficile de mesurer l’impact de ces propositions sur le
monde rural du Grand Roi. L’accroissement de leur diffusion,
seul, est un indice de succès : le nombre de colporteurs
autorisés à vendre ces livrets triple dans le siècle, passant de
quarante-cinq en 1611 à cent vingt en 1712 501 ; à quoi
s’ajoute, pour les campagnes, un très lent accroissement des
pratiques évacuatives : L’Hermine, en 1674, décrit l’usage très
régulier des saignées dans l’Alsace qu’il traverse, s’étonnant
de l’instrument utilisé pour inciser les chairs. Une pointe
(« flammette ») semblable aux lancettes que les maréchaux
appliquent aux chevaux, lourde lame dont l’effet est subi sans
broncher par les villageois : « Ils regardent cette opération
comme un remède et un préservatif excellent pour la santé, ils
ne se font pas une affaire de souffrir, au moins quatre fois
l’année… des taillades innombrables de rasoir dont on leur
déchiquette les épaules 502. » Grande, bien sûr, est la
différence entre le couteau incisant les chairs villageoises et
l’aiguille maniée par les chirurgiens parisiens. Grande aussi la
différence entre les seuils de douleur, variant selon les degrés
de rangs et de fortunes. Dans les deux cas, pourtant, la saignée
a gagné en importance et en valeur préventive. Dans les deux
cas l’imaginaire de l’évacuation semble renforcé.
Plusieurs mesures soulignent encore l’accroissement des
pratiques épurantes chez les paysans du Grand Roi. C’est du
sel par exemple que réclament les intendants du Dauphiné, de
la Champagne ou de la généralité de Paris, lors des grandes
famines des premières années du XVIIIe siècle. La salure
devrait retarder les décompositions d’humeurs.
D’Angervilliers, l’intendant dauphinois, insiste en 1709 sur
cette vision des résistances organiques : « On assure que s’ils
ont un peu de sel, qu’ils ne peuvent acheter, ils corrigeraient
par là la crudité de cette nourriture : ce qui éviterait des
maladies 503. » Daguesseau, procureur général au Parlement de
Paris, souligne plus encore le souci préventif : éloigner avec ce
recours au sel « des maladies contagieuses dont on voit déjà de
tristes préludes 504 ». Projet d’une monarchie centralisatrice,
progressivement sensible aux quantités de population et
tentant laborieusement d’en maintenir le nombre : l’assistance
devient devoir d’État et non plus seulement devoir d’Église.
Recours traditionnel aux denrées épurantes, mais geste très
nouveau pour les diffuser.
Un modèle de pensée
Le thème des épurations s’impose avec une telle évidence,
au XVIIe siècle, qu’il devient modèle de pensée, analogie si
convaincante qu’elle inspire d’autres comportements.
Saint François de Sales exploite le mot de purgation comme
un symbole lorsqu’il décrit les étapes successives d’une
édification à « la vie dévote », au début du XVIIe siècle : rejet
des « tares et déchets » dont le dévot doit se débarrasser ; rejet
des « excréments » intérieurs. Le mal moral, pourriture à
éliminer, étant lui-même assimilé aux matières malsaines
menaçant le corps : « Ayant ainsi préparé et ramassé les
humeurs peccantes de votre conscience, détestez-les et les
rejetez par une contrition et déplaisir aussi grand que votre
cœur pourra souffrir 505. »
C’est l’imaginaire social, surtout, qui est quasiment saturé
par une telle métaphore au XVIIe siècle. Une façon de penser
les composantes de la communauté en les dissociant, de gérer
l’ordre en excluant : pratique de ségrégation et de refoulement.
La défense contre la peste, comme l’était celle de la lèpre, est
fondée sur l’exclusion : le malade doit être enfermé à l’hôpital
où il est conduit de force, lorsqu’il refuse ou lorsqu’il
dissimule son mal, par un prévôt de santé chargé lui-même de
« vaquer incessamment à la recherche et perquisition des
maisons qui seront infectées de la maladie contagieuse, en
avertir par chacun jour les commissaires des quartiers 506 ».
Mais plus largement le raisonnement et la pratique de
l’évacuation touchent ceux qui appartiennent aux marges
sociales. L’intendant du Béarn le révèle en quelques mots
lorsqu’il entre dans Pau en 1676. L’équilibre social suppose,
comme pour le corps, exclusions et rejets : « Le roi m’a
envoyé dans la province pour la purger de tous les fainéants et
gens de mauvaise vie, et au sentiment d’Hippocrate, ce qui
forme les humeurs peccantes, est l’oisiveté 507. » Les peines
distribuées à quelques « filles de mauvaise vie » durant les
Grands-Jours d’Auvergne, en 1665, le confirment
concrètement : « marquée à la fleur de lys, fouettée par la ville
et exilée 508 ».
La métaphore d’une « purge » de tout rebut social traverse,
implicitement ou explicitement, les ordonnances du Grand
Siècle sur les pauvres, les vagabonds, les gens sans aveu :
gérer serait d’abord retirer ce qui « engorge » et pèse sur la
communauté comme l’« humeur viciée » pèse sur le corps.
Pauvres enfermés dans les hôpitaux généraux ; soldats
estropiés, exclus des villes et faubourgs pour rejoindre les
places frontières 509 ; prostituées mutilées, « nez et oreilles
coupés 510 », avant d’être éloignées de Versailles ou de
certains camps militaires ; ouvriers des Gobelins marqués à la
fleur de lys s’ils viennent à quitter la manufacture 511. La seule
voie semble être celle de l’ordre par le rebut. À l’horizon de ce
partage, tout ce qui menace la forme morale donnée à la
raison : l’oisiveté, le déracinement, le blasphème, comme l’a
montré Michel Foucault. Population châtiée pour sa misère,
son errance et son impiété : « Cette vermine s’attroupant dans
la ville, troublant l’ordre public, assiégeant les voitures,
demandant à grands cris l’aumône aux portes des églises et des
maisons particulières 512. » Les devins, aussi, ou les
astrologues « devant vider incessamment le royaume 513 ».
Ces images rendent plus difficiles les gestes d’assistance, elles
les retardent ou quelquefois les annulent, tout en confirmant la
valeur symbolique des gestes voués aux décompositions du
corps.
Le poids de la vie
C’est dans des pratiques beaucoup plus discrètes, presque
invisibles, que se manifeste, en revanche, une préservation
totalement nouvelle chez les plus démunis, au XVIIe siècle : la
tentative d’un allègement des charges par le recul de l’âge au
mariage. Lente élévation de l’âge des jeunes mariés, amorcée
au XVIe siècle en Angleterre, pour s’étendre, un siècle plus
tard, à l’Europe du centre et du nord. Un déplacement
chronologique aux conséquences notoires : il agit sur les
contraintes matérielles en restreignant le nombre d’enfants. Le
recul de quelques années pour la première union peut diminuer
sensiblement la fécondité d’un couple. Ce que montrent les
chiffres moyens calculés par Pierre Goubert pour le Beauvaisis
et par Pierre Deyon pour l’Amiénois 514. La conséquence est si
importante qu’elle devient « la clé du système démographique
ancien 515 ». D’autant plus importante même que cette
élévation de l’âge moyen du mariage est très sensible sur le
siècle, passant de moins de 20 ans à plus de 24 ans, pour les
filles du Bassin parisien 516 ; de 19,1 ans à 23,4 ans entre les
périodes 1578-1599 et 1655-1670 pour les filles d’Athis 517 ;
de 18,9 à 22,3 ans entre les périodes de 1560-1569 et 1610-
1619 pour les filles de Bourg-en-Bresse ; la proportion de
filles mariées avant 20 ans tombant ici de 69 % à 31 % pour
cette courte période 518. Les villes enfin révèlent un âge
moyen de mariage plus tardif que les campagnes : c’est au-
delà de 27 ans que se marient les filles de Saint-Malo ou de
Lyon, autour de 1700 519. Le recul de cet âge peut alors
avoisiner, selon les lieux, près de huit ans sur le siècle.
Pratique modeste, mineure apparemment, ou même
dérisoire, à l’égard des démarches de santé, cet
amoindrissement des naissances déplace pourtant le poids des
labeurs. Il modifie les fatigues et les devoirs. Avec cette
première « arme contraceptive 520 », la plus humble de toutes,
c’est peut-être l’amorce d’un lent progrès matériel qui
s’affirme sous l’Ancien Régime. Aucune victoire sur la
maladie, et moins encore sur la mort, dans ce nouveau
dispositif du mariage ; une atténuation, en revanche, fût-elle
infime, des épreuves et des incommodités et, au bout du
compte, un comportement préventif d’un genre inédit. Du
coup, l’affaissement démographique, souvent noté au XVIIe
siècle, est également sous-tendu par cet acte de volonté
obscure qui diminue le nombre d’enfants. Une tentative encore
balbutiante de défense, mais notable.
CHAPITRE II

Plantes épurantes et consommations


d’agrément
Lorsque l’ambassadeur du Portugal rapporte la longue
agonie du roi Guillaume III, en mars 1702, il insiste sur les
bienfaits du chocolat absorbé par le mourant : le liquide aurait
permis, durant plusieurs jours, de prolonger la vie du
monarque 521. Épisode dérisoire s’il ne confirmait
l’importance grandissante, au XVIIe siècle, de substances
nouvelles : café, tabac, thé, chocolat, tous produits venus
d’Amérique ou d’Orient, pour transformer les protections
quotidiennes.
Leur destin ressemble à celui qu’ont subi quelques siècles
plus tôt les épices médiévales. Rien de comparable, pourtant, à
l’âpreté de ces épices. Rien de comparable aux ressources
spiritueuses du vin ou de l’eau-de-vie. La plupart de ces
plantes s’allient au sucre, elles jouent avec les amertumes, les
parfums « légers ». Elles promeuvent des arômes atténués,
pour une action elle-même plus variée. Leurs influences
soulagent les vaporeux, donnent des forces aux faibles, de
l’attention aux somnolents. Changement d’autant plus
marquant qu’il confirme la défense contre les maux inédits du
XVIIe siècle : multiplicité des douleurs de tête, vapeurs,
perturbations de l’air. Les produits répondent aux nouvelles
préoccupations préventives.
Le lent recul des épices s’impose en tout premier lieu. C’est
lui qu’il faut d’abord décrire et expliquer.
1. L’« adoucissement » des aromates
Une moindre consommation de poivre, de gingembre ou de
cannelle s’est faite sans dénonciation particulière, sans critique
précise, avant même le début du XVIIe siècle. La confiture,
d’abord, prend la place de l’épice à l’issue des repas ou durant
les collations, dans la seconde moitié du XVIe siècle. Elle est
la denrée des amants dans les nouvelles de Straparole, en
1555 : le jeune homme conduit Philène « par la main », avant
leur rencontre amoureuse, devant « un petit cabinet assez près
de là où il y avait une table appareillée avec confitures
excellentes et vins exquis 522 ». D’autres scènes dans
L’Heptaméron de Marguerite de Navarre confirment le
changement. L’amoureux y fait souvent parvenir ses confitures
par quelque intermédiaire complaisant : « Et tous les soirs,
cette vieille dame portait des confitures à ceste princesse pour
sa collation 523. » C’est toute la différence avec les rencontres
amoureuses décrites au Moyen Âge : le poivre et le piment
partagés par les amants médiévaux sont devenus moins
présents dans les rituels d’excitation 524. Flandrin a souligné
cette lente conquête du sucré : la version imprimée du
Vivandier de Taillevent, à la fin du XVe siècle, utilise déjà du
sucre dans 18 % de ses recettes et le Livre fort excellent de
cuysine, au XVIe siècle, dans 31 % 525. L’« excitant » n’est
plus le même, la saveur sucrée l’emporte insensiblement. La
violence épicée des élixirs anciens a reculé devant des
compositions plus recherchées : mélanges affinés, tempérés,
incorporant moins de piment, mais plus d’eau de rose et de vin
doux. Une brutalité moins vive pour une diversité plus grande.
Compotes et sirops
La disponibilité brusquement accrue du sucre, au XVIe
siècle, explique déjà partiellement cette substitution. Rare
encore au Moyen Âge, laborieusement produit dans quelques
îles méditerranéennes, comme celles de Chypre ou de Candie,
le sucre devient une denrée nettement plus accessible au XVIe
siècle et surtout au XVIIe siècle : il est diffusé par un marché
atlantique que la culture de canne américaine a démultiplié et
que la traite a alimenté. Les plaines du Sous-Continent se sont
imposées, bouleversant la production, absorbant près de la
moitié des esclaves noirs envoyés aux Amériques, entre 1600
et 1700 526. La croissance américaine a explosé en quelques
décennies : les 1 000 tonnes exportées au début du XVIe siècle
sont devenues 200 000 au début du XVIIIe siècle 527. Plusieurs
indices confirment ces accroissements : à l’hôpital de Rennes,
les dépenses en fruits et confitures sont de 7 livres 3 sous, en
1608, alors qu’elles sont de 67 livres 18 sous, en 1667 ; à
l’hôpital de Saint-Malo, la quantité de sucre achetée en 1619
se limite à une livre, alors qu’elle atteint 30 livres en 1666 et
les années suivantes 528.
C’est un ensemble de gestes modestes, quelquefois
solennels, qui peuvent alors changer, même si le sucre
demeure un produit de demi-luxe au XVIIe siècle : les présents
de goût, par exemple, ceux qui flattent la sensibilité du
destinataire, gratifiant « la délicatesse de bouche ». Les
cadeaux de denrées les plus appréciées par Dürer, dans son
voyage aux anciens Pays-Bas, en 1520, sont les sucres que lui
proposent les marchands portugais : « Un petit tonneau de
sucres confits de toutes sortes, plus une boîte de sucre
candi 529 », offerts par Rodrigo Fernandez d’Almada, ou la
« grande quantité de sucre confit 530 », offerte par le même,
lorsque Dürer est atteint de fièvres et de maux de tête durant
les grands froids de l’hiver. Le sucre américain, transitant par
Lisbonne jusqu’au grand marchand d’Anvers, a pris la place
du produit du Levant : débris cristallisés de canne ou de
cassonade confite se sont imposés, même si subsistent des
consommations d’hypocras ou de plats épicés. C’est bien le
sucre, encore, qui accompagne thé, café, chocolat, renforçant
leur consommation, comme le suggère le traité des drogues de
Pomet, à la fin du XVIIe siècle : « Le café pris le matin, avec
un peu de sucre, est très utile à la santé 531. »
Le sucre fait tout l’intérêt des compotes et des sirops. Il
permet leur accumulation chez les plus riches. Il rend leur
diversité si grande, assure Moyse Charas dans sa
Pharmacopée royale en 1670, « que si on voulait s’assujettir à
les tenir tout préparés, les boutiques ne seraient pas assez
grandes pour les loger 532 » : sirop de coing « pour fortifier
l’estomac », sirop de guimauve « pour soulager les reins »,
sirop de rhubarbe, d’armoisie, de marjolaine « pour vuider
quelques mauvaises humeurs », le doux est fait aussi pour
rectifier et purifier le sang. Compotiers, poêles, cloches,
pommiers où se cuisent les fruits occupent comme jamais les
inventaires après décès du XVIIe siècle. Les échanges, enfin,
les paiements peuvent quelquefois en être modifiés : le
propriétaire d’une petite maison aux champs, en 1630, réclame
annuellement « 3 paniers de cerises, de chacun 10 livres et un
demi cent de pommes 533 », pour faire ses cuissons. Sucres,
compotes, sirops tiennent, jusque dans les modes de
financement, une place laissée par les épices médiévales.
Impossible, pourtant, d’expliquer par le seul accroissement
des denrées sucrées le recul des épices au XVIIe siècle. Les
historiens de la cuisine ont déjà montré combien s’y ajoutait
un travail tout particulier sur le goût : le prestige social
s’investit non plus dans l’épice, au XVIIe siècle, rendue elle-
même plus commune par le renouvellement des marchés et
celui des trajets, il s’investit plutôt dans le raffinement et la
diversité des « goûts », l’accroissement de leur variété. C’est
le « potage de santé », longuement évoqué par Nicolas de
Bonnefons dans ses Délices de la campagne, en 1654 :
« Qu’un Potage de santé soit un bon Potage de Bourgeois, bien
nourry de bonnes viandes bien choisies, et réduit à peu de
bouillon, sans hachis, Champignons, Épiceries, ny autres
ingrédients, mais qu’il soit simple, puisqu’il porte le nom de
santé ; que celuy aux Choux sente entièrement le Chou ; aux
Porreaux le Porreau ; aux Navets, le Navet, et ainsi des
autres… Et vous verrez que vos Maistres s’en porteront
mieux, auront toujours bon appétit, et que vous et ces
cuisiniers en recevrez de la louange 534. » La distinction
sociale tient à la diversification des ressources
gastronomiques, à l’accroissement du spectre des sensations
savoureuses : l’épice peut y contribuer ; elle peut aussi y faire
obstacle en travestissant le fumet de chaque produit. D’où
l’affaissement possible de son intérêt.
Diversité des parfums
Tous les aromates ne sont pas sanctionnés, bien au contraire.
Le parfum, au moins, garde une fonction active, même si
l’effet de commotion et d’ébranlement provoqué par les épices
est moins privilégié. La valeur protectrice des essences
odorantes, avec leurs effluves jugés plus doux, plus nombreux
ou nuancés, s’est accrue au XVIIe siècle. Les odeurs se sont
multipliées en perdant de leur brutalité. La culture les a
rendues plus riches, plus subtiles, tout en entretenant leur
possible destination préventive. Les gants, commandés par
Mazarin à ses parfumeurs italiens 535, sont rendus
préservateurs par leurs imprégnations aromatiques, comme les
« épithèmes » saturés d’essences portés sur le cœur pour
mieux le soutenir, ou les « chapelets de senteur », les « peaux
d’éventail parfumées », les « huiles aux fleurs pour les
perruques », tous censés « servir contre le mauvais air et avoir
des vertus médicinales 536 ». Le « bon goût » suppose toujours
une protection par les vinaigres de toilette, les eaux d’ange, de
mille fleurs, de néroli, de bergamote ; il suppose le recours aux
« bonnets piqués » décrits par la Pharmacopée royale de
Moyse Charas, en 1670 537 : ces coiffes dont les doublures
retiennent, accumulés dans la ouate, les racines d’iris, les
fleurs de lavande, les pétales de roses rouges, les « sommités
de marjolaine », le musc aussi et l’ambre gris, pour mieux
« conforter le cerveau » ou mieux défendre le corps de la
contagion.
Des poudriers sont chargés de diffuser l’effluve protecteur.
L’entourage de Grimmelshausen le confirme lorsque le jeune
Allemand, en 1638, saisi d’un incoercible malaise, répand
brusquement ses excréments en public et fait craindre une
propagation du mal par l’odeur : « On apporta alors des
parfums et des pastilles à brûler et les invités exhibèrent leurs
boîtes de senteur et de baume 538. » La bonne compagnie,
présente à la réception où se trouve Grimmelshausen, montre
ainsi sa familiarité avec le port d’arômes protecteurs. Aucun
effet sur le mal, bien évidemment, mais la certitude s’est
avivée. Les cassolettes s’échangent, se commentent, devenues
thèmes de conversation et de débats comme celles que Guez
de Balzac envoie à Ménage en 1660 : « Souvenez-vous qu’il
faut les brûler sur du verre afin que l’odeur en soit plus
pure 539. »
Le parfumeur affirme davantage sa présence contre la peste,
comme Étienne Cormus, en 1668, à Bruxelles, recevant 24
florins mensuels pour « fumiger, parfumer, purifier et
nettoyer 540 » passants et maisons. Le parfum éloigne le mal.
Mme de Maintenon le dit clairement aussi, recourant aux
odeurs pour protéger de la petite vérole son institution de
Saint-Cyr. Elle y fait même convoyer plusieurs essences
différentes, en 1695, agrémentées de préceptes et de
commentaires : « Voilà quelques citrons qui, piqués avec du
clou de girofle, préservent du mauvais air. Voilà des senteurs
que l’on y croit bonnes. Frottez le nez tous les matins à nos
petites pensionnaires avec de l’eau de la Reine de
Hongrie 541. » Lémery, en 1709 542, hiérarchise un « parfum
royal », un « parfum pour les bourgeois », un « parfum pour
les pauvres ». Quintessence du parfum royal, la « myrrhe
mêlée d’ambre gris » n’est bien sûr réservée qu’à quelques-
uns… Tous, en revanche, peuvent attendre une protection par
l’odeur.
2. Les plantes spirituelles
Le goût n’est plus le seul guide lorsque Nicolas Tulp
prescrit le thé à ses patients londoniens dès 1642. L’impact
organique a son importance : « Ceux qui usent thé sont par
cela seul exempts de toutes les maladies et parviennent à une
extrême vieillesse 543. » Effet obscur, sans doute, illusoire à
coup sûr, mais totalement indépendant de la seule saveur,
différent de l’impact physique attendu de l’épice. La valeur
gustative s’est effacée devant la valeur stimulante, même si la
qualité de l’arôme n’est pas négligée. Thé, café ou tabac en
sont autant d’exemples.
La fève du Levant
La véritable consommation de café est déclenchée à Paris en
1669 par les réceptions fastueuses qu’offre Soliman Aga,
mystificateur de génie, parvenant à se faire passer pour
l’ambassadeur personnel du Grand Turc 544. Le personnage est
habile, théâtral : il multiplie les solennités, reçoit la cour,
s’affiche, avant que sa lettre d’ambassade n’apparaisse tout
simplement comme un faux. Soliman est alors rejeté,
basculant dans le dérisoire, mais son passage éblouissant a
laissé une mode, l’usage d’une boisson que le pape
Clément VIII a déjà déclarée « diabolique et délicieuse 545 »,
ce café que le faux ambassadeur a offert dans des tasses de
porcelaine et des cafetières d’argent.
Le liquide s’impose au-delà de la cour. L’effet d’excitation
qu’il provoque semble tout désigné pour prévenir ou pour
soigner les vapeurs. Le café n’est-il pas censé dissiper les
brumes, les maux de tête, les lourdeurs ? C’est l’affirmation de
Blégny, polygraphe avide de nouveautés, commentant l’effet
du produit, décrivant les ustensiles qui l’accompagnent, tout
en indiquant l’adresse de quelques marchands parisiens : « Le
café abat presque avec la même promptitude les vapeurs qui
causent les insomnies, les assoupissements, les
inquiétudes 546. » Mme des Ursins ne dit rien d’autre à Mme de
Maintenon dans les lettres qu’elle échange avec elle de son
lointain séjour espagnol : « Je suis persuadée que presque tous
les maux viennent de mauvaises digestions et je sais par
expérience qu’il n’y a pas de meilleur remède que le café pour
bien digérer 547. » Chacun n’y voit qu’explication convenue :
l’épuration du sang, l’action des évacuants. Cette « fève noire
a un sel propre à raréfier les humeurs et à délayer celles qui
sont crasses et visqueuses. Elle aide le sang à circuler 548 ». Le
liquide du Levant est d’abord boisson d’entretien.
Une sensation nouvelle s’y ajoute pourtant : celle d’une
excitation plus intellectuelle. Dissipateur de fatigues, le café
serait aussi dissipateur de « nuages », d’obscurités quasi
mentales. Ce qu’exprime jusqu’au ridicule la jeune vaporeuse
d’une pièce de Dufresny, à la fin du XVIIe siècle, proposant
d’attendre la digestion du café avant d’aborder toute rencontre.
D’où la nécessité de faire régulièrement patienter ses
interlocuteurs : « Il faut bien une heure pour digérer un
café 549. » D’où, encore, la difficulté pour elle d’avoir toute
vie sociale. Dufresny choisit la caricature, mais il souligne au
passage la référence nouvelle : le projet d’accroître une
mobilisation physique et intellectuelle, le recours aux drogues
d’éveil.
Ces certitudes sont suffisamment inédites pour que Michelet
conclue à une mission historique du café 550 : celle de
bouleverser le régime des excitants, celle d’ébranler la toute-
puissance du vin ; l’apparition d’une boisson jugée
spécifiquement « intellectuelle » dont les négociants européens
d’Aden ont montré l’usage : « Lorsque nos marchands français
ont beaucoup de lettres à écrire et qu’ils veulent travailler
toute la nuit ils prennent une ou deux tasses de café 551. » Ce
que les puritains anglais ont perçu mieux que quiconque dès
1660, insistant sur cette opposition possible entre le café et le
vin, comme sur la recomposition des stimulants qu’elle peut
entraîner :
Alors que le doux venin de la grappe traîtresse
Avait ravi l’univers tout entier…
Le café arrive, cette liqueur grave et saine
Qui guérit l’estomac, rend le génie plus vif
Et ragaillardit les esprits sans rendre forcené 552.
C’est l’opposition évoquée par Michelet : « vigilance »
contre « ébriété », liqueur noire contre liqueur rouge. C’est le
signe aussi d’un glissement culturel plus profond où les
valeurs d’ordre et de raison prennent une place qu’elles
n’avaient pas, suggérant des objets spécifiques de stimulation.
Ce qui ne saurait rendre caduc l’usage traditionnel du vin ;
d’autant que le liquide fermenté subit ses propres
transformations au XVIIe siècle : amélioration des cépages et
de la vinification censée le rendre plus « médicinal ». Le vin
de Champagne, par exemple, avec ses raisins « blancs comme
le cristal 553 », dont la formule pétillante est découverte au
milieu du siècle, paraît conduire au plus loin la délicatesse et
la pureté. Vin doré, aéré jusqu’au symbole, son action sur les
esprits vitaux est jugée égale à nulle autre. Les flûtes qui le
contiennent semblent même faites pour dévoiler ces qualités :
fines et longues, rendant bien visibles « les perles qui
montent 554 ». Saint-Simon attribue la longévité de Duchesne,
le médecin des filles du roi, « au fait qu’il soupait tous les
soirs avec une salade et ne buvait que du vin de
Champagne 555 ». Le roi, autour de 1680, ne consomme que
du champagne, confirmant une hiérarchie des boissons
d’entretien.
C’est une nouvelle querelle entre les provinces, et un assaut
médical qu’il déclenche lorsqu’il accepte, autour de 1700, de
se convertir au bourgogne, jugé moins sec, plus velouté 556. La
désaffection royale provoque libelles, thèses d’école, discours
savants : la Faculté reste directement mêlée, au XVIIe siècle, à
la reconnaissance d’un vin. Elle doit garantir sa force, sinon
prouver son « aide à la digestion des aliments dont il est le
véhicule 557 ».
Le café, dans ce cas, ne fait qu’instaurer une querelle
supplémentaire, d’autant que l’excitation évoquée est plus
cérébrale, différenciée de toute amorce d’ivresse. Le thé enfin
redouble l’exemple. Thomas Garraway, le premier à en
exploiter la vente en Angleterre, sous Cromwell, utilise en
1657 les termes tenus quelques années plus tard par les
buveurs de café : « La boisson est reconnue des plus salubres,
elle préserve en parfaite santé… purifie les humeurs… active
le cerveau 558. » Le très sérieux Bontekoe, médecin hollandais
sensible au commerce d’Orient, propose, en 1698, de faire du
thé une boisson « éducative » susceptible de favoriser l’étude
et d’éveiller l’esprit. Elle aide à produire un suc nerveux très
subtil, une substance favorable à la réflexion : « Nous avons
fait cette épreuve en beaucoup de sujets et principalement dans
les enfants lesquels aïant très peu de dispositions pour
apprendre, après avoir bu du thé selon notre conseil, sont
devenus tout autres, aïant eu depuis ce temps l’entendement
fort vif, la mémoire fort heureuse et aïant été autant
susceptibles d’instruction qu’ils en étaient auparavant
incapables 559. » Bontekoe est si enthousiaste qu’il évalue à 6
ou 8 tasses par jour le minimum nécessaire pour conserver la
santé, mais il juge parfaitement raisonnable d’en boire 150 ou
200 ! Projet imagé encore par Huet, l’évêque d’Avranches,
prétendant faire des feuilles de thé le « balai de
l’intelligence 560 », la boisson ordonnant l’esprit.
La « prise » et la fumée
Le tabac subit une évolution plus complexe entre le XVIe et
le XVIIe siècle, avant de devenir également un « adjuvant de
la raison 561 ». La plante renforce d’abord la panoplie des
médicaments. Elle réduit les épanchements liquides, elle
draine, elle étanche ; qualité primordiale pour une médecine
assimilant le mal aux humeurs malsaines. Nicot, envoyant en
France le premier plant de tabac depuis son ambassade
portugaise, en 1560 562, a facilité les cures de Catherine de
Médicis : réduire ses migraines grâce aux feuilles de la plante
roulées en compresses. D’où ce nom durable d’« herbe de la
reine », celui de « nicotiane » aussi.
La fumée, au même moment, suscite plus de réserves.
Pratique inclassable, elle fait du tabac un produit épurant
autant qu’un produit suspect : l’« herbe du diable 563 », selon
l’élite colonisatrice du Nouveau Monde, évoquant les magies
indiennes et leurs rituels obscurs. C’est l’ivresse, souvent, qui
est associée au tabac fumé dans les « tabagies » du début du
XVIIe siècle, ces tavernes offrant pipes et chopines à quelques
consommateurs désargentés, « vagabonds, soldats,… ceux
qu’on nomme filous 564 », selon les termes de l’édit de 1624
imposant la fermeture de ces lieux méprisés. La fumée,
pourtant, a son effet préservateur : les autorités du collège
d’Eton, durant la peste de Londres en 1665, contraignent les
élèves à fumer la pipe pour mieux se préserver de
l’infection 565. Elles y attachent suffisamment d’importance
pour menacer de fouet tout collégien récalcitrant. Les gravures
des temps de peste, au milieu du siècle, signalent toujours
davantage les pipes des « enterreurs » avec leurs longs
panaches de fumée protectrice. Les estampes de Saint-Igny
campent des mousquetaires commentant en vers de mirliton la
protection qu’apporte la fumée :
Contre l’air pestilent d’une vapeur grossière
Nous humons le tabac pour vray médicament 566.
Alors que sont déjà plus intellectuelles les sensations
qu’évoquent les fumeurs d’Abraham Bosse, autour de 1650,
tirant sur leurs pipes finement travaillées : « Quand nous
sommes remplis d’humeurs mélancoliques, la vapeur du tabac
ravive nos esprits 567. » L’acte de fumer demeure, en revanche,
en ce milieu du XVIIe siècle, une pratique limitée, mal connue,
un geste suffisamment déroutant pour paraître vulgaire.
Tout change avec la « prise » et ses débris de feuille
« reniflés », « humés », selon un ensemble de mouvements
l’associant davantage au parfum. La rapide diffusion de cette
pratique, dans la seconde moitié du XVIIe siècle, s’appuie sur
une tradition : celle de l’aspiration des sels ou des aromates.
Elle promeut une excitation particulière. Vigneul-Marville
souligne avec précision l’association possible entre gestes
anciens et gestes nouveaux, à la fin du XVIIe siècle : « Il
semblait ces dernières années que tout le monde fût menacé
d’apoplexie. Chacun portait sur soi sa bouteille d’eau de Reine
de Hongrie ; on en prenait à toute heure pour prévenir le mal
dont on ne sentait pas la moindre approche. Mais après tout la
mode est passée : il faut céder au tabac ; on ne songe plus qu’à
se purger le cerveau 568. » Témoignage d’autant plus marquant
qu’il associe rôle préventif et geste d’agrément.
Le tabac révèle encore des vertus cartésiennes : « Il rend
l’esprit susceptible des plus hautes méditations dans l’étude
des sciences les plus difficiles, il éclaire l’entendement 569. »
Comme le café, comme le thé, il rend « la raison éclairée 570 ».
Ce que souligne l’image railleuse de Sganarelle, dans le
monologue du Dom Juan de Molière, prisant à l’ouverture de
la pièce : « Non seulement [le tabac] réjouit et purge le
cerveau, mais encore il instruit les âmes à la vertu 571. » Ou
l’ironie de Dufresny, prétendant, dans un long poème, perdre
« santé, raison, vivacité 572 », lorsqu’il oublie tout simplement
sa tabatière sur une table !
Au tabac favorisant les consommations de vin, aux fumées
corollaires des ivresses, commence à s’opposer ce tabac
aiguisant l’attention. Exactement comme au tabac des
« tabagies » du début du XVIIe siècle commence à s’opposer,
autour de 1670, celui des priseurs distingués. Les paroles
attribuées par Gondolffe aux paysans picards : « Le tabac nous
délasse, il nous récrée, il est notre dessert après nos frugals
repas 573 », sont, à cet égard, différentes des affirmations du
poète La Garenne : « Il conforte le cerveau 574. » De même
qu’est différent le tabac des soldats, ceux que décrit de Prade
par exemple en 1677, « soutenant les fatigues de la guerre,
sans boire ni manger, et sans prendre autre chose qu’une demi-
once de tabac en 24 heures 575 », et la poudre que le même de
Prade utilise pour accroître « l’imagination et la
mémoire 576 ». Le rappel des distances sociales s’ajoute, ici, à
la nouvelle image de l’excitant. Une stimulation tout à fait
inédite s’est clairement constituée.
Des résistances existent, bien sûr. Quelques médecins
prétendent avoir découvert une obstruction du cerveau faite de
« suie noirâtre », en disséquant un « preneur de tabac 577 ».
D’autres montrent les matières encrassant lentement les pipes,
pour les comparer aux « amas d’excréments 578 » qu’accumule
le tabac dans les cavités des organes. La mort de Boutet,
foudroyé brusquement au jeu de paume en 1665, est expliquée
par la « quantité prodigieuse de tabac qu’il prenait à tous les
moments 579 ». L’épurement ou l’engorgement, la délivrance
ou l’obstruction, restent, au XVIIe siècle, les images du sain et
du malsain : le tabac pourrait basculer d’un pôle à l’autre.
Dernière expérience, enfin, éprouvée par les priseurs de la
France classique : ils découvrent une « dépendance » qu’ils ne
comprennent pas. La Palatine parle d’un inexplicable
enchantement : « On l’appelle l’herbe enchantée, parce que
celui qui a commencé à en faire usage ne peut plus s’en
passer 580. » Labat cite le cas, en 1697, de quelques proches se
levant la nuit pour en prendre 581. Préfontaine s’étonne de ses
propres expédients, avouant découper quelquefois le fond de
ses poches, avec leur infime trace de tabac, pour effectuer la
prise qui lui manque 582. L’expérience devient celle de
l’excitant moderne.
Malgré ces surprises le tabac reste un instrument préventif
au XVIIe siècle : « Ce qui est remarquable dans cette plante,
c’est qu’on en use plus par précaution que dans l’urgence des
maladies 583. »
L’effet prime le goût
D’autres produits venus également d’ailleurs sont hasardés
comme panacées, à la fin du XVIIe siècle ; des denrées
confirmant cette attente nouvelle de vérification d’effet. Le
quinquina est une de ces plantes. L’écorce du Pérou a
clairement démontré depuis les années 1670 son pouvoir sur
les fièvres. Son action est souveraine contre les accès
intermittents, le paludisme, rendu commun par les marais de
l’ancienne France. Le remède dont la formule a été achetée par
le roi en 1679, pour 2 000 louis d’or, a guéri Colbert, Bossuet,
le dauphin, de fièvres jusque-là rebelles 584. L’écorce est le
tout premier exemple d’un succès face aux maladies
traditionnelles. D’où les tentatives d’en user pour la
prévention.
Les modèles initiaux de cette utilisation préventive viennent
des premiers guéris eux-mêmes. Bossuet, rétabli de ses accès
fébriles en 1679, « réutilise le quinquina toutes les fois qu’il a
la plus légère indisposition 585 ». Le Dauphin, promptement
rétabli lui aussi en 1679, avoue son enthousiasme à Racine. Il
veut faire du quinquina une boisson de sauvegarde, une potion
de santé mêlée au sucre et au vin : « L’autre jour à Marly,
Monseigneur, après un fort grand déjeuner avec la princesse de
Conti et d’autres dames, en envoya quérir deux bouteilles chez
les apothicaires du Roi et en but un grand verre, ce qui fut
suivi par toute la compagnie qui, trois heures après, n’en dîna
que mieux 586. » Le roi se convainc d’un usage régulier après
1690, mêlant le quinquina aux infusions de vin 587. Le duc de
Chevreuse aussi en use intensément, allant jusqu’à se cacher
pour en prendre tant sa consommation lui semble
excessive 588. Racine, enfin, peut prédire le succès du nouveau
breuvage, autour de 1680 : « La chose devient à la mode 589. »
Le liquide ne se banalise pourtant pas au XVIIIe siècle. Trop
coûteux, sans doute : le prix de la livre d’écorce (489 g)
s’élève encore à 9 livres en 1687 à Bordeaux, l’équivalent de
plus de vingt-cinq jours de travail pour un ouvrier tailleur. Le
produit, diffusé avec parcimonie, reste un remède pour les
fièvres et moins un remède de précaution ou de prévention.
Cet usage limité du quinquina montre seulement l’attention
nouvelle portée aux effets « réels », l’essai de les transposer,
de les exploiter pour mieux prévenir les maux. Il montre la
lente distance prise envers une valorisation longtemps
dominante, celle accordée aux impressions de saveur ou
d’odeur : le goût n’a joué aucun rôle dans ce premier intérêt
porté au quinquina.
Les prix aussi ont joué leur rôle dans le succès du café, du
thé ou du tabac. Le café, vendu 40 sols la livre, à Paris en
1687 590, devient accessible à un public distingué. Le tabac est
plus disponible encore : la poudre française, vendue 25 sols la
livre en 1681 591, soit quelque quatre jours de salaire d’un
ouvrier, atteint un public déjà varié. Le succès des plantes
nouvelles est ainsi lié à leur effet, à leur goût, à leur prix. Leur
usage fréquent devient possible, composant avec la santé et le
plaisir. Ces produits peuvent prolonger, au XVIIe siècle, le
projet plus ancien, archaïque même, de mêler la protection du
corps aux consommations quotidiennes : faire des potions
préservatrices des potions d’agrément.
3. Du remède à l’agrément
L’échange mondain qu’invente la société du XVIIe siècle
trouve un autre avantage dans ces plantes excitantes. Elles
servent les jeux de « conversation ». La prise de tabac « purifie
le cerveau » comme elle aide au dialogue, avoue Bontekoe :
« La plante a cette vertu de lier la société de toutes sortes de
gens et de les unir par la conversation 592. » Café ou tabac sont
alors les outils culturels d’une société, celle qui accède au
plaisir de dire, celle qui transforme la conversation en art du
quotidien. Ils ont ce rôle très spécial de prévenir les maux,
d’assainir les vapeurs, tout en permettant de mieux en parler.
Brunet insiste doctement en 1701 sur cette double visée
médicale et sociale : « L’usage du tabac en poudre et celui du
café » sont indispensables contre la fatigue et les « mauvaises
exhalaisons » comme ils sont « d’admirables inventions pour
remplir le vide des conversations 593 ».
Consommations instituées
Les plantes « spirituelles » installent de nouvelles pratiques
sociales. Leur adoption par l’élite de la fin du XVIIe siècle
recompose l’organisation des repas, renouvelant habitudes et
dispositifs matériels. Saint-Simon évoque minutieusement les
services de café dans les appartements de Mme de Maintenon,
décrivant les groupes attardés après le dîner autour des
cabarets, ces tables légères supportant les plateaux conçus
pour les nouveaux breuvages : « On était auprès de plusieurs
cabarets de thé et de café, en prenait qui voulait 594. » Le café
donne même son nom à cette fin de repas, devenant repère
chronologique, code temporel ; celui qu’utilise Saint-Simon
pour scander ses anecdotes et ses descriptions : « Le baron, qui
déjà ne savait plus où il était, se trouva fort bien, et au café
remet le pater… 595 » Histoire sans importance ici qui révèle,
en revanche, comment le nom d’une denrée devient le nom du
moment choisi pour sa consommation. La boisson
« digestive » a pris définitivement la place des épices
anciennes ; mêlant, elle aussi, la protection du corps aux gestes
les plus familiers. Les Mémoires de l’abbé de Choisy
soulignent combien la présence des nouveaux breuvages est
censée suggérer la qualité d’un accueil, parfois même d’un
repas : « Je donnais à souper fort souvent à mes voisines et
quelquefois à Monsieur le curé et à Granier, et sans me piquer
de faire grande chère, je la faisais assez bonne… On trouvait
chez moi du café, du thé, du chocolat 596. »
Les cafetières, les pièces de porcelaine exposées sur les
tables ou les cheminées pour le service du thé ou du café,
commencent à pénétrer les intérieurs de la fin du XVIIe siècle :
l’inventaire après décès du curé de Charenton, Antoine Sèvre,
relève en 1707 « cinq objets de faïence en garniture sur une
table 597 », jusqu’aux inventaires de logements modestes qui
peuvent mentionner des « plateaux ou cabarets garnis de tasses
et de soucoupes 598 » à la fin du XVIIe et au début du XVIIIe
siècle.
La diffusion du tabac est plus rapide et plus étendue. La
consommation est telle, à la fin du XVIIe siècle, que Colbert
en décide l’exploitation fiscale : la cession de l’ensemble du
marché à un fermier qui accepte, en contrepartie, d’acquitter
un bail au Trésor royal. La décision de Colbert ne mériterait
guère d’attention si elle ne révélait, quasi officiellement,
l’étonnante importance de la plante : une consommation
suffisamment marquante pour être l’objet d’un impôt distinct
et autonome. L’extension de la pratique en est confirmée. Le
montant du bail suit une progression constante. Il double, il
triple en quelques années : 500 000 livres en 1674, payées par
J. Breton, le premier fermier ; 1,5 million de livres, vingt ans
plus tard ; chiffre atteignant près de 8 millions de livres en
1730 599. Le tabac est en voie de banalisation.
L’excitant et la sociabilité
Les nouveaux produits sont suffisamment présents, enfin,
pour provoquer des lieux de consommation également inédits.
Pascal, un Arménien habitué aux usages des boissons turques,
ouvre, le premier, une « maison de café », en 1672, offrant
l’« arôme nouveau » pour 2,5 sous 600, ce qui en écarte toute
fréquentation populaire, mais rend possible un public de
marchands et de bourgeois. Procope en ouvre une autre en
1684, rue des Fossés-Saint-Germain, recueillant la clientèle
des comédiens du roi. 300 de ces établissements privilégiant le
café sont installés dans le Paris de 1710, plus de 3 000 le sont
déjà à Londres, au même moment. Lieux publics d’un nouveau
genre, avec leurs décors peints, leurs miroirs, leurs
consommations sucrées, quelquefois même leurs velours et
leurs tableaux, les cafés s’opposent aux tavernes et aux
cabarets où se consomment exclusivement vins et eaux-de-vie.
Lieux de conversations et de rencontres mondaines, ils
concrétisent la nouvelle sociabilité urbaine de la fin du XVIIe
siècle ; celle que met en scène Mailly en 1702 dans ses
Entretiens des cafés de Paris et les différends qui y
surviennent : « Les cafés sont des lieux fort agréables et où
l’on trouve toutes sortes de gens et de différents caractères.
L’on y voit de jeunes cavaliers qui s’y réjouissent
agréablement. L’on y voit des personnes savantes qui viennent
s’y délasser l’esprit du travail de cabinet. L’on en voit d’autres
dont la gravité et l’embonpoint tiennent lieu de mérite. Ceux-
ci, d’un ton élevé, imposent souvent silence aux plus habiles et
s’efforcent de louer ce qui est digne de blâme et de blâmer ce
qui est digne de louange… » Les scènes de Mailly n’ont ni
mordant ni relief littéraire, mais elles concrétisent des
exemples. Elles soulignent les occasions de rencontres, les
retrouvailles d’amis ou d’amants, les discussions d’après
théâtre, les palabres littéraires, la banalité des échanges
quotidiens enfin. Leurs personnages s’animent régulièrement
lorsque se comparent les vertus du vin avec celles du café ou
du tabac, révélant l’importance de cette interrogation répétée
sur la valeur respective des denrées stimulantes à la fin du
XVIIe siècle.
Le phénomène social est plus marquant encore à Londres où
le « Lloyd’s Coffeehouse », ouvert en 1687, devient un lieu de
rencontre pour négociants, armateurs et agents d’assurance.
Un lieu où se discutent les frets, les investissements maritimes,
les parcours et les gains ; informations et échos nombreux,
toujours réactualisés, si attendus que la maison juge utile de
les publier régulièrement sous forme de bulletin, le Lloyd’s
News. C’est alors la nouvelle activité du café qui se
transforme : le Lloyd’s n’est plus un débit de boissons au
XVIIIe siècle mais la compagnie d’assurances du même
nom 601.
Les cafés ont suffisamment d’attrait pour que Nemeitz, au
début du XVIIIe siècle, recommande leur visite à tous les
étrangers : « Je trouve bien qu’un jeune voyageur aille parfois
en ces cafés, l’après-dîner ou vers le soir, pour y écouter le
discours des novellistes 602. » Une tradition de l’échange y
naît, avec un accent politique que Montesquieu peut déjà
commenter en 1721 : « Si j’étais souverain de ce pays, je
fermerais les cafés, car ceux qui fréquentent ces endroits s’y
échauffent la cervelle… 603 » Il faut retenir encore des attentes
plus modestes, mais tout aussi importantes pour la sensibilité
quotidienne : la tentative de lier les consommations
d’agrément à une préoccupation d’entretien du corps,
rapprocher gestes de plaisir et gestes de santé. Les épices
médiévales ont bien trouvé leur substitut.
TROISIÈME PARTIE

RÉSISTER ET ENDURCIR
XVIIIe SIÈCLE
CHAPITRE I

La force des fibres


Au début du XVIIIe siècle, l’audace de Lady Mary Wortley
Montagu caractérise le plus clairement une mutation possible
des pratiques de préservation. Femme de l’ambassadeur
anglais près de l’Empire ottoman, cette voyageuse du Levant
avoue en 1717 un constat étonnant : la quasi-inexistence de la
petite vérole sur les bords du Bosphore, dans les villes de la
mer Noire ou dans celles de l’archipel grec qu’elle a plusieurs
fois visitées. Très peu de morts, selon elle, dues à cette fièvre
éruptive dont les effets sont catastrophiques à Londres ou à
Paris. Elle en voit la raison dans une pratique étrangère encore
aux Européens : l’inoculation volontaire de la maladie durant
les premiers âges de la vie, l’incision de la peau, l’insertion
dans la plaie de matières purulentes prises sur les boutons d’un
varioleux. La démarche apparaît simple et la communication
du mal, dans ce cas précis, anodine. Un court épisode fiévreux
survient quelques jours plus tard, suivi d’une éruption elle-
même brève et légère, avant que l’inoculé ne demeure
définitivement préservé : la maladie ne se prend jamais deux
fois, observation généralement reconnue au XVIIIe siècle,
rappelée ici pour fonder l’insertion. La protection s’acquiert
ainsi sans dommage : « Une semaine suffit pour retrouver son
état habituel. 604 »
Les lettres de Mary à son amie Sarah Chiswell soulignent
l’empirisme du procédé, elles évoquent même son caractère
quelquefois superstitieux : les Grecs ne tiennent-ils pas à
effectuer quatre piqûres en inoculant le mal, « une sur le front,
une sur chaque bras, une sur la poitrine 605 » pour mieux
rappeler la forme de la croix ? Mais le constat s’impose d’une
préservation réussie. Au point que le 19 mai 1718, à Belgrade,
Mary fait inciser son fils âgé de six ans, en s’adressant à une
vieille Grecque pratiquant « cette technique depuis de
nombreuses années 606 ». Le résultat est probant. Mary fait
inoculer son deuxième enfant et avoue un prosélytisme
totalement inédit dans ces premières années du XVIIIe siècle :
« J’ai assez de patriotisme pour tenter d’introduire en
Angleterre cette heureuse découverte 607. » Elle parvient
même à persuader plusieurs membres de la cour, dont la
princesse de Galles, de faire inoculer leurs enfants en 1721 et
1722.
L’incision ainsi pratiquée est « illogique » au regard des
habitudes du temps. Elle est contraire à une longue tradition,
ce qui rend son acceptation laborieuse, tourmentée. Mais elle
est historiquement décisive, symbolisant à elle seule la
transformation des pratiques de préservation du XVIIIe siècle.
Son lent succès, plus encore, accompagne un changement dans
l’image du corps : l’inoculation présuppose une force
particulière des organes, une résistance propre, une défense
cachée, non évoquées jusque-là. Aucun élixir ici, mais l’appel
à une réaction organique encore inexpliquée. C’est sur ce
déplacement de la sensibilité et de la représentation du corps,
sur cette amorce de puissance nouvelle, que les avatars de
l’inoculation sont particulièrement révélateurs.
1. Le « courage » d’inoculer
L’action de Lady Montagu est d’autant plus marquante que
la petite vérole a pris un versant tragique au XVIIIe siècle :
« Le fléau de l’Europe 608 » affirme Buchan en 1770,
s’installant sur la place de la peste définitivement effacée.
Endémique, le mal a de surcroît un aspect épidémique, se
propageant selon des vagues jugées toujours plus rapprochées.
Plus redoutables aussi avec une mortalité atteignant
quelquefois, comme à Boston en 1723, près de 20 % des
personnes infectées 609. Voltaire cite le chiffre de 23 000 morts
à Paris en 1723 610 ; Mathieu Marais certifie la « mort de
3 200 enfants et plus 611 », pour les seuls mois d’août et de
septembre de la même année. L’endémie est en progression,
attestée par les chiffres anglais calculés avec les méthodes
d’aujourd’hui : la mortalité variolique en Angleterre serait
passée de 1,6 % pour la période de 1574-1598 à 5,8 % pour
1650-1689 et 8 % pour 1720-1739 612.
Mais le plus important reste l’évaluation des contemporains,
fût-elle peu objective : le danger de la petite vérole représente
la peur du XVIIIe siècle. Les Journaux de Mathieu Marais ou
de Buvat le confirment, dès la Régence, évoquant
régulièrement les atteintes du mal avec une insistance
grandissante : « Tous les jours la petite vérole emporte
quelqu’un 613. » Buvat note les « ravages » faits par la maladie
dans l’armée dépêchée sur les frontières d’Espagne, en juillet
1719, pour s’opposer aux revendications d’Albéroni. Il ajoute,
le même jour, des chiffres alarmants sur une épidémie
italienne : « On assure qu’à Turin, en Piémont, la même
maladie a emporté plus de 4 000 personnes en très peu de
temps 614 ». Une vérification serrée des chiffres atteste une
mortalité variolique de 18,5 % à Dublin entre 1715 et 1746, et
de 14 % à Besançon autour de la même période 615. Autant
d’indications confirmant l’existence d’une nouvelle angoisse,
après celle de la peste. Autant de craintes rendant plus notable
encore l’audace de l’inoculation.
Une figure du mal
Les textes du XVIIIe siècle abondent en descriptions
implacables, celles de la petite vérole confluente surtout, dont
l’éruption irradie, outre la peau, les voies respiratoires et les
muqueuses : « Le corps plongé dans l’huile bouillante ; des
douleurs excessives. Avec la suppuration, le visage
monstrueusement enflé et défiguré ; les yeux clos ; le gosier
enflammé, fermé, ne pouvant avaler l’eau que son râle
demande sans cesse 616. » La mort frappe le dixième des
malades ; une part à peu près égale demeurant fortement
mutilée.
Le tragique du mal tient aux traces laissées sur le visage
d’une partie de ceux qui en réchappent : la défiguration par les
crevasses et les rougeurs dues aux pustules, la « picote », qui
grêle et déforme. La hantise ici traverse le XVIIe et le XVIIIe
siècle : le mal peut, en quelques jours, ruiner à jamais
apparence et beauté. C’est la description de Grimmelshausen,
effrayé par le bouleversement définitif de son aspect physique,
après un accès varioleux dans un village alsacien, durant la
guerre de Trente Ans : « Mon visage était grêlé de petits trous
qui lui donnent l’aspect d’une aire de grange où l’on a battu
des pois… Mes yeux étaient maintenant rouges et chassieux
comme ceux d’un octogénaire cacochyme 617. » L’atteinte est
si profonde que Grimmelshausen n’est pas reconnu lorsqu’il
entre dans son village de Bavière, provoquant une suite de
drames et de quiproquos. Plus cruel encore est le mot de Mme
de Sévigné sur Pélisson défiguré par le mal et jugé « abuser de
la permission qu’ont tous les hommes d’être laids 618 ». Ou le
jugement du cardinal de Bernis porté sur Tournemine, un de
ses anciens maîtres de collège : « le plus laid de son
siècle 619 ».
La présence insaisissable de la contagion renforce
l’inquiétude. Ni les cantonnements ni les éloignements
n’endiguent la diffusion, malgré les tentatives répétées à la fin
du XVIIe siècle : la résistance bien réelle du virus le rend
communicable par le vent, la pluie, l’eau, le commerce des
hommes et celui des objets. Son mode de propagation est
indécelable. La contagion, contrairement à la peste ou à la
lèpre, est partagée, du coup, par tous les groupes sociaux : ce
qui en accentue l’image redoutée. Le Dauphin de France en
meurt en 1711, l’empereur Joseph Ier en 1714, Louis XV en
1774.
Les représentations qu’éveille l’inoculation volontaire sont
alors d’autant plus troubles. Les risques semblent démesurés.
Cette introduction délibérée du pus heurte directement la
conception traditionnelle des gangrènes et de leurs effets. Elle
ressemble à une déraison. Comment pourrait-elle correspondre
« au Génie de notre peuple et à son mode de pensée 620 » ? Le
doute s’accentue en avril 1722, après la mort, en Angleterre,
du jeune William Spencer et du valet de Lord Bathurst, aux
lendemains de leur inoculation : un double drame figeant les
oppositions.
L’affrontement, accentué comme jamais, permet alors de
mieux saisir le paysage culturel et son évolution.
La querelle de l’inoculation et le prosélytisme
C’est en Angleterre que la confrontation s’avive. Elle y
précède largement celle qui aura lieu dans d’autres pays,
accentuée sans doute par le propagandisme de Lady Montagu,
mais aussi par une première modernité des institutions sociales
et savantes britanniques. Textes médicaux, lettres publiques,
articles, feuilles volantes ou même sermons en chaire, se
multiplient pour dénoncer ces méthodes « pratiquées
seulement par quelques femmes ignorantes parmi un peuple
illettré 621 ». Les médecins sont les plus bruyants pour rejeter
ces obscures rebouteuses de Circassie, « inaptes » à quelque
compétence médicale. Ils disent défendre la science, rejeter
l’illusion et l’empirisme. Ils disent combattre les remèdes de
bonnes femmes, les pratiques de charlatans, les croyances. Ce
qui rend le débat plus complexe encore : ces médecins
réticents peuvent prôner l’immobilisme au nom des Lumières,
les pratiques conservatrices au nom de la raison. C’est contre
cette argumentation « savante » que doit lutter la démarche
nouvelle. C’est contre un savoir constitué, différent déjà du
savoir populaire, qu’elle devra s’imposer.
Les résistances qu’elle rencontre font mieux comprendre,
faut-il le dire, la représentation traditionnelle de l’épidémie.
C’est que les adversaires de l’inoculation rappellent la vision
sans âge des gangrènes gagnant les organes. Selon eux, seule
une décomposition pourrait expliquer la variole, seuls
l’épurement et le non-contact pourraient éviter son
développement. L’insertion volontaire n’est plus alors que
geste fou, ajout d’un mal à un mal comparable au versement
d’un « baril de poudre à canon pour éteindre un grand
feu 622 ». L’argumentation négative souligne les cas
« effrayants » : ces 13 soldats français inoculés à Crémone,
autour de 1720, dont 4 seraient morts après l’opération, alors
que 6 autres en auraient conservé des malaises longtemps
invincibles 623 ; ou ces femmes enceintes, inoculées en
Nouvelle-Angleterre, aussitôt contraintes à l’avortement 624 ;
ou ces enfants dont l’inoculation déclenche une effloraison de
maux bariolés : « rakytis, écrouelles, tumeurs
chancreuses 625 ». Tous exemples confirmant combien la
vision traditionnelle du mal est nécessairement polymorphe :
l’infection y perd ses frontières, devenant objet de
métamorphoses, de déplacements insidieux, d’errances. Un
désordre promis aux mutations et aux bouleversements : « Il
n’y a aucune raison que la petite vérole insérée ne puisse
produire une éruption d’une tout autre sorte 626. » Les
médecins eux-mêmes seraient victimes de « dartres au visage
et aux mains 627 » en soignant la petite vérole ou en
l’inoculant. Autrement dit, malgré toutes les catégories
censées en distinguer les groupes différents, la maladie reste
bien ici un être multiforme, manifestation mouvante dont le
noyau se réduit à l’épisode obscur et inépuisable de la
décomposition.
La réponse des inoculateurs n’est pas directement théorique.
Buchan le dit dans sa Médecine domestique : « Le sentiment
que j’expose ici n’est pas le résultat de la théorie, mais
uniquement de l’observation 628. » Le recensement statistique
sert même pour la première fois de repère, avec pour seul
constat celui des réussites et des échecs. Jurin inaugure ce
calcul bien particulier en 1725. Une enquête approfondie
auprès des inoculateurs, associée au recensement d’« extraits
mortuaires sur 42 ans », le conduit à la première évaluation
statistique de la prévention médicale et à son usage
« militant » : « La quatorzième partie du genre humain meurt
de la petite vérole », alors que, selon les témoignages les plus
pessimistes, « il n’en meurt par inoculation que un sur
cinquante 629 ». La conclusion semble transparente :
l’insertion du mal sous la peau accroît « objectivement » la
vie. Les chiffres recensés sont précis, l’analyse concise. Le
livre de Jurin fait date, incontestablement. Il révolutionne
l’argument préventif. Il énonce, pour la première fois en
termes de pourcentages, les chances et les risques de vie.
Les accidents anglais de 1722 accentuent pourtant les
méfiances. Ils parviennent à faire oublier l’indication
statistique, comme Pierre Darmon l’a bien montré 630. D’où la
quasi-disparition de la pratique pour plusieurs années, et ce
jugement pessimiste de Montesquieu : « Un homme manqué
[lors de l’insertion] fera plus d’impression que cent. Il faut
savoir calculer 631. »
Un geste symbole
Le brusque accroissement épidémique de 1738 renouvelle
pourtant l’intérêt et fait renaître l’exploration statistique.
L’inoculation gagne du terrain, en Angleterre d’abord,
conduisant à des recensements de réussite plus crédibles qu’ils
ne l’étaient. La pratique s’est d’ailleurs affinée : dans le choix
des boutons insérés, dans la finesse de l’incision pratiquée.
Aucun accident, par exemple, sur les 1 000 inoculations
revendiquées en 1752 par Ramby 632. Aucun sur les 20 000
revendiquées en 1767 par Daniel Sutton, dont la réussite est si
grande qu’il doit mobiliser granges et hangars, dans ses deux
maisons de l’Essex, pour recevoir les inoculés 633. Innovation
déterminante enfin dans la lente naissance d’un service
sanitaire public : l’aménagement dans les hôpitaux de
Northampton en 1746 d’inoculations gratuites pour les plus
démunis. Non plus le rejet, mais l’accueil encore limité et le
traitement préventif pour contenir l’extension épidémique 634.
Très lentement l’inoculation s’installe en France dans la
seconde moitié du XVIIIe siècle, révélant le retard sur
l’Angleterre, mais suscitant quelques tentatives exemplaires.
Celle de Chastelux en 1754 qui choisit l’air de Bercy, jugé
plus pur, pour favoriser l’opération 635. Celle pratiquée sur les
enfants du duc d’Orléans aussi, le 12 mars 1756. Le duc
manifeste au passage son modernisme dans la famille royale,
recourant à Tronchin, l’ami de Voltaire et de Diderot, pour
effectuer l’incision. La polémique renaît, bien sûr, violente,
jusqu’à la décision du roi de subir l’inoculation en 1774,
l’année de son sacre, quelques mois après la mort de
Louis XV, emporté lui-même par la petite vérole. L’incision a
surmonté la tradition. L’engagement royal marque un point de
non-retour. Idée et pratique se sont imposées, même si leur
application en 1774 reste encore limitée.
L’inoculation a valeur de symbole. Elle inaugure une
statistique de la préservation, appliquant la loi des grands
nombres à l’entretien de la vie. Elle est aussi la première
démarche d’« immunisation » d’ensembles humains, le
premier essai d’une modification organique délibérée,
« définitive », faite pour défendre groupes et sujets.
C’est sur l’audace de cette démarche qu’il faut d’abord
s’arrêter, sur cette hardiesse qui prête une résistance toute
particulière aux organes. L’inoculation, dans ce cas, n’est
identique à aucune pratique passée. Elle n’exploite pas la lutte
du mal contre le mal comme le suggérait l’usage traditionnel
du venin de vipère ou de scorpion. Elle n’oppose pas deux
poisons pour mieux les annuler. Bien au contraire,
l’inoculation provoque une maladie réelle, un désordre. Elle
constitue toujours un dommage. Son originalité est même
d’être un trouble « dirigé », une atteinte volontaire, en même
temps qu’un mal surmonté. Elle accorde une ressource
immédiate au corps, une résistance invisible.
Cette croyance dans la force organique est obscure. Elle ne
s’appuie ni sur un mécanisme clairement décrit ni sur une
explication physique nettement définie. Elle révèle seulement
une confiance jusque-là inconnue : la certitude qu’existe une
force interne du corps, un principe invisible mais actif. La
conséquence en est une réorientation d’image : parallèlement
au corps abrité et clos des préservations traditionnelles, bardé
de fermetures et d’enveloppes chargées d’endiguer le venin,
commence à se profiler un corps protégé par des opérations
internes, sollicité dans ses forces et ses ressources, « stimulé »
dans ses résistances et son travail. Aux silhouettes des temps
de peste, recouvertes de leurs habits de cuir ou de leurs toiles
serrées, commencent à se substituer des silhouettes d’autant
plus défensives que leurs protections seraient internes. Les
grands barrages construits autour du corps cèdent en partie
devant des protections plus organiques. La rupture n’est pas
massive bien sûr, elle ne peut l’être totalement d’ailleurs (trop
nombreuses restent les contagions dont il faut se défendre par
l’isolement), mais elle est déjà marquée, suffisante en tout cas
pour bouleverser l’univers des pratiques. C’est cette
transformation qu’il s’agit maintenant de décrire et
d’expliquer.
2. Un corps fait de fibres
Lorsque, le 26 décembre 1747, Jallabert effectue
l’électrisation sur Nogues 636, un maître serrurier paralytique,
pour lui rendre ses mouvements perdus, il joue avec la
découverte toute récente du courant électrique et de sa
production. Il livre nerfs et muscles à une physique qui
réinvente ses repères. Il s’appuie également sur l’importance
inédite donnée aux parties solides du corps, les fibres, les
tissus. L’entreprise semble réussie : un mois plus tard, le 26
janvier 1748, Nogues surprend par ses progrès, soulevant une
bouteille de deux livres et mettant son chapeau. Le courant
électrique devient un modèle de puissance corporelle : les
humeurs ne sauraient tout expliquer. Il s’agit d’un des
premiers exemples d’attention aux forces internes, une des
premières tentatives pour figurer leur mécanisme et en
suggérer des analogies. Aucune relation immédiate avec
l’inoculation, et pourtant, ici encore, une confiance sourde et
diffuse dans des ressources organiques spécifiques. Les
défenses corporelles pourraient être repensées.
La fibre et l’humeur
De la pathologie à l’entretien du corps, les opérations
d’électrisation retiennent médecins et curieux, dans la seconde
moitié du XVIIIe siècle. Les « observations » se multiplient
autour de 1750 : Bernouilli électrise poules et grenouilles
après les avoir étouffées et prétend qu’elles retrouvent la vie.
Nicolas, en 1755, démonstrateur de chimie à l’université de
Nancy, ranime avec le courant des lapins asphyxiés par des
vapeurs de charbon. Abildgaard, médecin danois, ranime
oiseaux et quadrupèdes préalablement assommés 637. D’où
cette conclusion répétée : l’électrisation pourrait renforcer la
santé. Bertholon le certifie en suggérant l’affermissement du
pouls, de la respiration, de la digestion, sous le choc
électrique : « Rien n’est plus certainement propre à prévenir
les différentes maladies auxquelles le corps humain est
sujet 638. » Les êtres frêles pourraient en bénéficier, ceux
victimes de « faiblesse nerveuse », de manque de force diffus :
« Plusieurs feraient bien de se faire électriser, de temps en
temps, pendant toute leur vie 639. »
Les limites du phénomène sont rapidement perçues
pourtant : les paralytiques ne marchent pas sous l’effet du
courant, les muscles y gagnent rarement en vigueur, les
organes rarement en équilibre. La lourdeur de l’appareillage
ajoute à la difficulté d’application : le courant électrique
demeure d’un usage exceptionnel dans l’entretien de la santé,
au XVIIIe siècle. Mobilisé pour surmonter quelques maladies,
il est en réalité plus rarement exploité pour les prévenir : la
cure plus que la préservation, le choc correcteur plus que le
choc protecteur.
Peu importe, à vrai dire, les mésaventures du projet
électrique. L’important est bien qu’il confirme l’existence de
nouvelles représentations, la référence à une nouvelle
architecture intime du corps : la place grandissante de la fibre,
par exemple, censée communiquer le courant. Construction
filamenteuse, long linéament suggéré par l’œil des premiers
microscopes, la fibre devient au XVIIIe siècle l’unité
anatomique minimale, le premier fragment dont se composent
les parties du corps. Elle possède de surcroît ses impulsions et
ses ressources propres : « Le ton de la fibre n’est autre que son
état habituel 640. » C’est qu’elle est aussi la première unité de
mouvement et le premier principe de force : « En physiologie
la fibre est ce qu’est la ligne en mathématique 641 », assure
Diderot en 1765, la promouvant en structure organique
centrale, multipliant les évocations réticulaires : les « rêves »
du philosophe enchevêtrent dans l’espace interne du corps une
infinité de « faisceaux et de fils 642 » tous sensibles et actifs.
Les planches anatomiques de l’Encyclopédie de Diderot sont
elles-mêmes fibrillaires. Une poésie figurative s’y impose :
veines, veinules, filins ou canaux occupent comme une
immense chevelure nerveuse les espaces de ces corps
endormis, disséqués et ouverts 643. Autant d’images qui
s’éloignent des représentations plus traditionnelles où
dominaient poches et cavités faites pour retenir les humeurs.
Des planches de Dionis, à la fin du XVIIe siècle, où le corps
s’étage en une succession de sacs et d’anfractuosités 644, à
celles de Diderot, au milieu du XVIIIe siècle, où le corps
s’étend en une succession de textures et de filaments, l’univers
organique a basculé.
Difficile, bien sûr, autour de 1750 et plusieurs décennies
après, de désigner ces forces cachées dans les chairs : ni les
outils mentaux ni l’analyse de la matière ne permettent au
XVIIIe siècle d’interpréter clairement ces impulsions
physiques. Mais le refus d’y voir une émanation des humeurs,
fût-ce de leurs parties les plus volatiles, est toujours plus
fréquent : les qualités motrices ne siègent plus en toute priorité
dans l’état des liquides. Une observation faite depuis
longtemps prend brusquement un sens nouveau : les
mouvements organiques préservés malgré la mort, les
oscillations entretenues malgré la fuite des humeurs et du
sang. Bruwerus scrute attentivement le cœur de chiens
molosses dûment étranglés dont les « ventricules » se
contractent durant quelques heures encore sous l’effet du
scalpel ou de l’acide. Sa conclusion est révélatrice : « Nous
devons avouer que les fibres du corps vivant ont un
mouvement propre sensible, puisque ce mouvement subsiste
après leur séparation d’avec le corps dont elles faisaient
partie 645. » Seule une force bien particulière des fibres
pourrait expliquer ces étranges ressorts. Les fibres, celles
qu’évoque d’Alembert dans un pesant hommage au roi de
Prusse pour insister sur la puissance physique et l’ardeur
impétueuse de Frédéric, et non les humeurs : « La nature m’a
fait naître faible tandis qu’elle a donné à Votre Majesté des
fibres proportionnées à la vigueur et à l’étendue de son
génie 646. »
Pour la première fois, les vieilles catégories d’Hippocrate et
de Galien sont contestées. Les qualités humorales qu’a
toujours reprises la tradition perdent en pertinence, avec la
seconde moitié du XVIIIe siècle. L’imprégnation liquide des
corps, l’opposition entre bilieux, flegmatiques, sanguins ou
mélancoliques, distingués selon la fluidité, l’acidité ou la
chaleur de leurs humeurs, tous ces traits maniés depuis
longtemps par les plus doctes deviennent moins évidents.
Pressavin, Roussel, Préville, quelques autres encore, tentent de
s’attacher aux qualités présumées des tissus 647. Les
distinctions nouvelles opposent les corps de fibres délicates à
ceux de fibres consistantes, ou les corps de fibres relâchées à
ceux de fibres tendues. D’Holbach est même plus lapidaire
encore, faisant de la « matière électrique une des principales
causes de la diversité des hommes et de leurs facultés 648 », le
corps n’étant d’ailleurs qu’« un grand nerf 649 ». Distinction
laborieuse, quasi impossible même, mais qui confirme
combien les références se sont déplacées, jusqu’à démentir les
textes canoniques d’Hippocrate et de Galien.
Dans ces catégories hâtives, c’est une image de la santé et
de la maladie qui change après 1750 : une nouvelle façon de
décrire le désordre entraîné par les maux. La maladie viendrait
d’une faiblesse particulière. La certitude de Bordeu, par
exemple, en 1775 : « Nous sommes malades quand nos
fonctions sont troublées, ou quand l’énergie de nos parties,
leur ton, est détruit 650. » Ou, plus encore, la tentative de
donner aux nerfs, à leur spasme ou leur convulsion, un rôle
déterminant : « Toutes les maladies ne sont à proprement
parler que des maladies nerveuses, puisqu’elles sont le plus
souvent occasionnées et toujours accompagnées par quelque
dégradation dans les fonctions du système des nerfs 651. » La
Roche fait même dépendre en toute priorité du ton et de la
tension des artères la pureté du sang et ses risques de
décomposition 652. L’origine des maux s’est déplacée. La
force, en particulier, n’a plus tout à fait les mêmes causes ni le
même contenu.
Les formes nerveuses de l’inquiétude
Avec les nerfs, la tonalité donnée aux malaises quotidiens
change plus encore : éviter les troubles anodins, c’est d’abord
surveiller les effervescences jugées stériles, les tensions
« futiles ». Mieux que d’autres, Mme d’Épinay sait décrire ces
épuisements crispés : exténuée après un voyage à La Conge,
en décembre 1757, où le postillon a failli verser sa berline
dans une rivière, elle se dit prise « de mouvements convulsifs
dans tous les membres et de palpitations violentes 653 ». Ses
nerfs cèdent, mais dans l’excès de raideur et de tremblement.
Son abattement est d’abord contraction.
Le renouvellement d’image permet de mieux exprimer la
figure inédite de l’inquiétude hantant les milieux éclairés de la
seconde moitié du XVIIIe siècle : les désordres y deviennent
autant de malaises spasmodiques, de mobilisations
impuissantes. L’évocation des vapeurs en est, du coup,
largement transformée. Leur mécanisme a changé : alors que
Mme de Sévigné, Mme de Maintenon, Fagon, les médecins du
Grand Roi, assimilaient ces vapeurs à des « fumées brouillant
le cerveau 654 », à des « fermentations » venues du bas-ventre
ou de l’estomac, Mme d’Épinay, Julie de Lespinasse, Roussel
ou les médecins de Louis XVI y voient, un siècle plus tard, des
« agitations de nerfs 655 », des convulsions répétées, des
fébrilités : « La prétendue fumée n’est rien d’autre que
l’irritation des fibres 656 ». D’où les associations insistantes
avec quelque « tumulte intérieur », l’« intempérance des
idées 657 », le chagrin.
La place donnée aux nerfs, à leur irritation, à leur
« érétisme 658 », a recomposé les objets d’inquiétude. La
sensibilité « nerveuse » commande l’attention. Ce que montre
Hufeland lorsqu’il reprend les thèmes de la « médecine de soi-
même », à la fin du XVIIIe : les organes les plus vulnérables
de chacun seraient ceux que l’émotion et la sensibilité
atteignent le plus vivement. L’observation s’attarde aux effets
de nerfs : « L’essentiel pour chaque homme est donc de
connaître sa partie faible, et celui qui n’est pas médecin peut
facilement y parvenir. Il n’a, en effet, qu’à observer quel est
l’organe qui se ressent surtout des émotions et des passions
vives ; c’est certainement la partie faible 659. » Il s’agit alors
d’évaluer comment les poumons, l’estomac, les intestins ou le
cœur, inégalement pour chacun, « concentrent toutes les
impressions 660 » ; comment la fatigue, l’irritation ou les chocs
se portent plus facilement sur l’une de ces parties, selon les
individus et leurs caractéristiques propres. La fragilité
nerveuse désigne l’apparition de ces maux d’abord modestes.
Le spasme surtout retient les images négatives dont
l’onanisme devient une des figures privilégiées dans la
seconde moitié du XVIIIe siècle ; l’excès de tension sexuelle
et nerveuse. Le texte inaugural de Samuel-Auguste Tissot, en
1775, L’Onanisme, multiplie les cas de ces épuisements
nerveux survenus après la pratique réprouvée : un horloger de
dix-sept ans, patient de Tissot, ne devient-il pas l’objet d’accès
spasmodiques incoercibles et funestes 661 ? Tel autre encore,
jeune homme presque enfant, n’est-il pas victime d’agitations
brûlantes, de douleurs excessives, d’inflammations gagnant
l’ensemble du corps, « état le plus horrible et le plus
indéfinissable 662 » ? Ou tel autre, enfin, ne meurt-il pas de
convulsions et d’épilepsie, emporté à l’âge de quinze ans par
les fièvres et l’asphyxie 663 ? Tissot observe prioritairement les
nerfs auxquels il a par ailleurs consacré un livre : Traité des
nerfs et de leurs maladies 664. C’est bien une façon nouvelle
d’interroger la conscience sensible, d’imaginer ses
turbulences, son fonctionnement corporel, qui accroît ici le
champ des dangers possibles. Une image des tensions :
nervosisme, fébrilité, conduisent le médecin à côtoyer la
morale, stigmatisant quelque « venin infâme, particulier à
l’espèce humaine 665 ». Le thème des nerfs a bouleversé les
considérations sur la santé.
La condamnation des liqueurs « spiritueuses » trouve
également une force qu’elle n’avait pas. Les eaux-de-vie, par
exemple, risquent de « détruire le pouvoir des nerfs 666 ». Elles
provoquent tremblements et convulsions. L’importance ici
n’est plus la légèreté ou la lourdeur des essences semblables
aux esprits vitaux, contenues dans ces eaux fortes et grisantes,
mais plutôt leur action « irritante », leur force mordante : non
plus la pureté ou l’excès de leurs éléments volatils, mais plutôt
la nocivité de leurs éléments brûlants. Les liqueurs ardentes
attaquent le genre nerveux : elles consument le corps. Ce sont
elles qui auraient anéanti les sauvages du Canada, transportant
la nocivité des civilisations « énervantes » dans le monde de la
nature : « Cette boisson est le présent le plus funeste que
l’ancien monde ait fait au nouveau 667. » Ce sont elles qui
rendraient les ivresses mortelles, comme celle de cet ouvrier
d’Édimbourg, cité par Buchan, convaincu de se débarrasser
d’une fièvre en buvant une « bouteille entière d’eau-de-vie »,
mais immédiatement entraîné dans une mort brutale par
d’« effrayants » soubresauts 668.
La critique anglaise dénonce déjà les eaux-de-vie de misère,
la « mollasse » d’Édimbourg, sommairement distillée avec du
mauvais vin par les quelques deux mille alambics que compte
la ville en 1770. Buchan s’attarde aux images de portefaix et
d’ouvriers « chancelant dans les rues », à celles de mères
« vendant les habits de leurs enfants, vendant les aliments
qu’elles devaient manger, vendant ensuite leurs propres
enfants pour acheter un malheureux verre de liqueur 669 ».
Hogarth déjà, autour de 1750, avait illustré une ivrognerie du
malheur faite de violences, d’accidents et de morts, avec sa
Ruelle du gin, où s’accumulaient suicides, meurtres,
enterrements, effondrements de maisons et de vies 670. Jusqu’à
Wesley, enfin, méthodiste rigoureux qui demande en 1780 au
Parlement londonien la suppression légale de la distillation,
accusée d’accroître dangereusement la déchristianisation 671.
L’ivrognerie, pour cette fin de siècle anglais, devient le « vice
le plus abominable », « source de la plupart des autres
vices 672 ».
La critique française n’a pas encore cette intensité à la fin
du siècle : lorsque Rétif raconte sa rencontre avec l’« homme
ivre », sur le trottoir parisien gelé, c’est pour s’attarder à l’aide
qu’il lui apporte en le conduisant à l’Hôtel-Dieu 673. La
consommation de liqueurs condamnée est plutôt une
consommation de nantis. Celles que leurs essences trop
subtiles rendraient amollissantes. Celles que Roussel fustige
dans son Tableau de l’Homme et de la Femme, en évoquant
l’élan passionné pour les « viandes de haut goût et les liqueurs
spiritueuses et aromatiques ». La dénonciation s’en tient à un
« excès » de sensibilité, à une faiblesse intime, déficience de
privilégiés que la civilisation aurait rendus fragiles.
CHAPITRE II

Endurcir
L’état des fibres oriente les actions préventives. Un
impératif s’impose après 1750 : l’« affermissement ».
Une anecdote plusieurs fois évoquée par les traités de santé
le confirme jusqu’à la caricature. Une femme menant une vie
« languissante » à Paris est tirée de sa léthargie par la brutale
acquisition d’un héritage en province. Elle y gagne en ardeur,
en vivacité : le changement est brusque, massif ; la santé
s’épanouit ; le corps est transformé. Histoire banale dont
l’intérêt pourtant tient dans l’explication. C’est que la mutation
n’est pas ici liée à la fortune acquise, au luxe ou aux
divertissements qu’elle permet. Elle est liée, souligne avec
sérieux Pressavin 674, aux épreuves du voyage, à la
mobilisation de la route, à l’affrontement des ornières et des
cahots du chemin : une traversée de 40 lieues, effectuée dans
la mauvaise charrette d’un voiturier. Secousses et vibrations
ont avivé les fibres de la voyageuse. L’« exercice » l’a
fortifiée. La route l’a rajeunie. L’effet est moins celui de la
transpiration et de réchauffement que celui des chocs et même
des coups : une dureté affectant les « solides », un
raidissement promouvant la santé. C’est l’image de la fibre qui
oriente une nouvelle vision de la santé ; le durcissement, sous
sa forme la plus intuitivement physique.
Le thème des rudesses commande au même moment le
choix des régimes frugaux, l’importance nouvelle donnée au
froid, l’insistance sur l’« éducation naturelle ». Encore faut-il
mesurer combien cette image de l’affermissement converge
avec un bouleversement plus profond, une sensibilité orientée
plus qu’auparavant vers l’affrontement et le perfectionnement
de soi.
1. L’affermissement et le progrès
Le conflit entre mollesse et durcissement est au centre de
ces raidissements. L’art de « perfectionner l’espèce
humaine 675 » s’énonce comme un projet d’homme politique,
dans cette seconde moitié du XVIIIe siècle, autant que de
médecin. Le calcul se déplace vers des améliorations
progressives, des exercices graduels, une « perfectibilité
indéfinie 676 ». Le futur joue un rôle qu’il n’avait pas : « Un
libertin qui altère sa santé est plus coupable envers sa postérité
que le prodigue qui dissipe son bien et celui d’autrui 677. »
L’évacuation et l’affaiblissement
Au nom de l’affermissement, l’attitude préventive du passé
est récusée, surtout après 1750. La saignée est accusée
d’amollir plus que de raffermir : « Elle relâche et affaiblit les
muscles 678. » Jugée dangereuse, elle est insensiblement
délaissée, dans la seconde moitié du XVIIIe siècle : « Ils ont
enfin renoncé à la coutume de saigner un pauvre homme 25
fois, comme ils le faisaient encore il y a trente ans 679. »
L’incision pourrait même déclencher symptômes et maladies :
« tremblements habituels, convulsions habituelles 680 » relevés
par Tronchin sur un jeune homme ayant subi 833
phlébotomies en quelques années. Le geste pourtant survit
dans certaines habitudes populaires, fidèles pour quelque
temps encore à l’image exclusive de l’évacuation. Mercier le
dit en 1782 : « On saigne beaucoup moins, il n’y a plus que les
vieux chirurgiens qui soumettent le bon peuple à cette
dangereuse évacuation 681. » Quelques fièvres enfin, quelques
resserrements excessifs, appellent encore l’incision réparatrice.
Mais la saignée de précaution, celle censée préserver le corps
en l’épurant, n’est plus que « fantaisie nuisible 682 ». Elle
s’efface, dénoncée comme recours illusoire et dangereux.
La purge aussi est dénoncée. Tronchin se récrie devant le
régime dont lui parle Dufort de Cheverny : « On vous ordonne
des purgations, mais on fatigue vos nerfs 683. » Le risque est
identique à celui de la saignée : un relâchement de fibre, une
faiblesse non maîtrisée. Dufort raconte comment une purge
apparemment anodine l’abat brusquement au point de lui ôter
durant plusieurs jours « la force de sortir de son lit 684 ».
Non que soit abandonné tout épurement. L’image demeure
incontournable : les fibres commandent aussi les écoulements
et les flux. Le choc électrique séduit parce qu’il contracte
glandes et vaisseaux, il favorise leurs sécrétions. Nollet y voit
la possibilité d’accroître les transpirations, celle de
« désobstruer » les organes 685. Bianci prétend en 1755 avoir
purgé plusieurs personnes grâce à des pharmacopées placées
dans leurs mains pendant qu’il les électrisait. Il propose même
de promouvoir ce choc peu banal en pratique d’entretien
corporel : la santé par électrisation évacuante 686. Rétif qualifie
de « bienfaiteur de l’humanité » en 1788 l’inventeur d’une
« eau préservatrice », purgation qu’il juge très avantageuse
parce que d’un usage « facile et continuel 687 ». Diderot,
également, conseille à sa fille Angélique en 1773 d’éviter
après ses couches que son lait « ne corrompe toute la masse
des humeurs ». La jeune femme devra transpirer et se tenir
chaudement : « Tant qu’il s’exhale de votre corps la moindre
odeur laiteuse, gardez la chambre 688. » La crainte d’un
pourrissement d’humeurs ne s’efface pas. Elle devient
seulement plus nuancée, composant avec le thème nouveau du
durcissement.
La nature et le froid
Ce thème de la dureté déplace d’ailleurs les polarités
préventives. Le recours au froid, entre autres, transforme les
pratiques. La fraîcheur raidissant les fibres est toute contraire à
la chaleur traditionnellement prônée par les traités de santé.
Les conseils de Benjamin Franklin, autour de 1775, suggérant
des lits « simples » et recouverts de toile, s’opposent aux
conseils de De Lorme suggérant, un siècle plus tôt, des lits
recouverts de fourrures, chauffés comme des fours par leur
coffrage de briques. Les gestes de Franklin sont inverses de
ceux de la tradition : sa méthode pour assurer la fraîcheur du
sommeil, se lever la nuit, « bien secouer ses draps, une
vingtaine de fois, puis ouvrir son lit et le laisser rafraîchir en se
promenant dans sa chambre sans s’habiller 689 », est toute
contraire aux conseils de Domergue, cherchant en 1686 à
accroître la chaleur du sommeil par des positions du corps
adoptées dans des lits calfeutrés 690. La fraîcheur renforçatrice
est même si importante que Montesquieu se lance dans de
laborieuses observations pour mesurer le resserrement des
fibres scrutées au microscope sur une langue de bœuf
préalablement gelée 691.
Les pratiques anglaises sont plus révélatrices encore,
propageant de véritables modèles de comportement : bain
froid, marche le long des plages, régime austère sont les
premiers principes des curistes britanniques s’orientant vers le
Nord, au milieu du siècle, pour y trouver plus de rudesse. La
plage devient lieu d’affrontement, épreuve contre l’inquiétude
et les langueurs, ce qu’a remarquablement montré Corbin 692.
C’est une succession de plongeons dans la mer quasi glacée de
Southampton, par exemple, entre le 17 novembre 1747 et le 12
février 1748, qui auraient redonné vigueur et vivacité à un
jeune patient de Richard Frewin 693. L’action vise les fibres : la
seule immersion dans la lame océane provoque l’effet
renforçateur ; non pas la nage mais la rencontre du froid ; non
pas le mouvement du corps mais le saisissement de l’eau.
Frewin fait de son expérience glaciale une renaissance. Cette
première cure engage une large série d’expériences où la mer
sert ces étranges raidissements. Pour plusieurs décennies,
l’affrontement à la lame, la précipitation dans la vague restent
au centre de ces pratiques marines : le choc dans le froid du
brisant. Rien d’autre que la recherche d’une force réactive du
corps, une tension interne, immédiate.
Mais, au-delà du débat sur la fibre, c’est un débat sur la
rusticité qui traverse textes et pratiques de santé, après 1750.
La préoccupation y est explicitement culturelle. La crainte
d’un relâchement des fibres est aussi crainte de quelque
secrète indolence. Le thème de la mélancolie a saisi les classes
dominantes au XVIIIe siècle. Le bouleversement des Lumières
s’accompagne d’un doute sur la robustesse : le danger devient
celui des délicatesses, des raffinements, tous symptômes
attribués à une société urbaine, jugée pour la première fois en
France porteuse de maladie, de débilité. C’est que la ville,
brusquement développée au XVIIIe siècle, dans sa seconde
moitié surtout, suscite séduction et désaveu, attirance obscure
et critique morale, dont Le Paysan parvenu de Marivaux ou La
Paysanne pervertie de Rétif de La Bretonne sont les images
les plus révélatrices à quelques décennies de distance : perte
de force, dégradation diffuse, avilissement 694. L’exode des
campagnes, l’accroissement de l’urbain, au cours duquel Lyon
passe de 97 000 à plus de 150 000 habitants entre 1700 et
1800, Bordeaux de 45 000 à plus de 110 000, Berlin de 50 000
à 140 000, déclenchent sans doute ces craintes diffuses. La
justification morale domine les raidissements.
Dégénération et progrès
Les déficiences elles-mêmes sont dramatisées. Le spectre
d’une « dégénération » rôde dans ces allégations de faiblesse,
celui d’un dépérissement de l’espèce humaine. Les animaux
décrits par Buffon autour de 1750 sont évoqués comme autant
d’exemples. Leurs constitutions peuvent inexorablement se
dégrader : ne perdent-ils pas en vivacité, en fermeté, une fois
soumis à la domestication ? « La chétive brebis » n’est-elle pas
éloignée des robustesses du « mouflon dont elle est pourtant
issue 695 » ? Buffon est un des premiers à penser les
changements possibles d’une espèce en l’évaluant de
génération en génération selon ses formes et sa vitalité.
Squelettes et modes de vie se transforment avec le temps et les
lieux. De même l’homme pourrait-il perdre en ressources
corporelles avec la civilisation. L’abbé Galiani donne un bon
exemple de ces inquiétudes en postulant, dans une lettre
adressée à Diderot, un effacement des voyages et des
aventures, un affaissement des initiatives et des forces :
« Voyez de combien nous sommes énervés, amollis, dégradés.
Tous les progrès des sciences n’ont pas pu balancer le
reculement de la vigueur et de la vraie valeur 696. »
Les silhouettes deviennent un autre indice, pour la première
fois décrites selon des critères morphologiques explicites :
formes fragiles, contours affaiblis. La présence des débilités
physiques les plus traditionnelles, les mutilations observées
depuis toujours dans les rues et les places des villes, le
spectacle des déformations, des claudications, des
insuffisances de taille, deviennent moins bien acceptés autour
de 1750-1760. D’où l’appel à la réaction, au renforcement :
« Comment les gens qui tiennent les rênes du gouvernement
ne sont-ils pas frappés de rencontrer à chaque pas dans Paris
des nains, des bossus, des boiteux, des brancroches et des culs-
de-jatte 697 ? »
Les Mémoires de Dufort de Cheverny, autour de 1760,
multiplient les notations chiffrées sur la taille des amis du
comte, révélant inquiétude et vigilance mêlées. Dufort
commente régulièrement les grandes tailles : Marnier, par
exemple, « homme de cinq pieds onze pouces [1,94 m], de la
plus belle figure qu’on pût voir 698 », ou Boernier-Delorme,
portant vaillamment une taille avantageuse, « homme de cinq
pieds neuf pouces [1,88 m] d’une belle figure avec une
superbe basse taille 699 ». Buffon confirme davantage encore
cette sensibilité en se lançant dans des observations inconnues
jusque-là : il vérifie durant dix-sept ans, de six mois en six
mois, avec toise et équerre, la stature d’un jeune homme de
« la plus belle venue 700 », né en 1752. Il tente d’identifier des
rythmes d’accroissement, compare la croissance d’hiver avec
la croissance d’été, évalue la perte éventuelle de taille après
une fatigue, son gain après un repos. Résultats modestes, à vrai
dire, sinon largement illusoires, mais qui soulignent au moins
la décision d’observer plus objectivement la taille de chacun.
Geste d’autant plus révélateur aussi qu’il s’accompagne d’une
autre recherche de précision : celle d’indiquer la
correspondance souhaitable entre la taille et le poids de corps.
Buffon est le premier à suggérer des mesures précises : le
poids d’un homme de cinq pieds six pouces (1,81 m) doit être
de 160 à 180 livres (80 à 90 kg). Il est « déjà gros » s’il pèse
200 livres (100 kg), « trop gros » s’il pèse 230 livres (115 kg),
« beaucoup trop épais, enfin, s’il pèse 250 livres (125 kg) et
au-dessus 701 ». Aucune explication ne vient justifier ces
chiffres. Leur rôle est d’arrêter les limites d’une bonne ou
d’une mauvaise constitution, de préciser des seuils, d’évoquer
les quantités marquant le plus ou moins grand éloignement de
la silhouette jugée normale.
C’est au moment même où s’invente l’idée de progrès que
grandit cette inquiétude diffuse. Le temps deviendrait sujet à
récession possible. D’où l’ambition de « planifier » des
endurcissements. La volonté d’un perfectionnement est
évoquée comme elle ne l’a jamais été. C’est qu’au
dépérissement toujours redouté s’oppose, comme en miroir,
l’espoir d’une progression. Les projets de « perfectionnement
de l’espèce humaine » se multiplient dans la seconde moitié du
XVIIIe siècle, avec l’assurance que les corps sont perfectibles
comme l’ont été certaines « races de chevaux ou de
chiens 702 ». Faignet de Villeneuve n’hésite guère à côtoyer
l’eugénisme, lorsqu’il propose de constituer plusieurs
régiments de bossus et de borgnes chargés de tâches
subalternes pour alléger les armées, libérant ainsi de robustes
soldats pour assurer des mariages féconds et promouvoir une
solide descendance 703. Plus sérieusement Vandermonde
insiste sur la nécessité d’un gain de force, « la première
ressource de l’homme 704 », qu’il veut soumettre à un
perfectionnement régulier et continu par l’exercice et
l’hygiène. C’est l’équivalent du travail entrepris au même
moment par l’Encyclopédie pour le progrès de l’esprit :
l’affirmation d’une ascension possible de l’espèce humaine,
celle de son développement indéfini.
Un changement de société guide ces mobilisations. Les
valeurs hygiéniques du corps s’opposent ici au vieil idéal
aristocratique : l’investissement dans la descendance contre le
prestige des lignées. La bourgeoisie dont les valeurs dominent
au XVIIIe siècle s’affirme toujours plus par cette recherche de
forces physiques : celles, immédiates, de la santé, celles, plus
différées, d’un renforcement des générations à venir. Les
nouvelles valeurs sanitaires s’affrontent aux valeurs
traditionnelles du sang : la certitude de la postérité contre la
certitude de l’ascendance. L’opposition est simplificatrice bien
sûr, les transformations de la seconde moitié du XVIIIe siècle
sont trop profondes pour être limitées à un groupe
« bourgeois ». François Furet, Roger Chartier ou Daniel
Roche 705 ont montré la place que tient la noblesse dans cette
élite éclairée. Une société de « progrès » s’installe, quoi qu’il
en soit, promouvant une vigilance sur l’avenir physique d’une
communauté.
L’exercice et la fibre
Tronchin est de ceux qui mêlent le mieux le projet d’un
renforcement des fibres et celui d’un endurcissement moral.
La faiblesse organique devient faiblesse de civilisation : « Tant
que les Romains, au sortir du Champ de Mars, allaient se jeter
dans le Tibre, ils furent les maîtres du monde ; mais les bains
[chauds] d’Agrippa et de Néron en firent peu à peu des
esclaves 706. » L’eau froide doit saisir le corps comme elle
saisit l’acier. La référence filamenteuse converge du coup avec
le projet culturel : l’image physique de la fibre, son versant
directement concret, aident à la conviction. Grand initiateur de
régimes frugaux, d’exercices et de bains froids, Tronchin
s’attarde aux plus modestes des pratiques d’endurcissement :
supprimer les bonnets de nuit, ne pas porter de chapeau
« même à cheval », alléger l’épaisseur des habits, éviter les
fortes transpirations. Il reçoit à Genève le public éclairé
d’Europe. Mme d’Épinay y fait un long séjour, détaillant ses
nourritures de laitages et de fruits, ses promenades, le froid vif
« qui la fortifie 707 ». Voltaire qualifie de « grand homme 708 »
ce médecin qui condamne saignée et purgation, cet inventeur
de pratiques apparemment banales, naturelles, mais dont le
succès provoque l’adoption de modes nouvelles, les
« tronchines », robes raccourcies et dénuées de panier, faites
pour faciliter la marche.
Il faut dire que la « promenade de santé » devient plus
familière, dans le milieu cultivé. Condorcet commente à Julie
de Lespinasse ses propres marches hebdomadaires, celles qui
le conduisent de la rue d’Antin à sa maison de Nogent,
prétendant qu’elles l’ont « fortifié d’une manière
sensible 709 ». Buffon arpente son logement en comptant ses
pas pour mieux évaluer son exercice lorsqu’il ne peut sortir :
« Je me promène à plusieurs reprises dans mon appartement
où je fais chaque jour dix-huit cents à deux mille pas 710. »
Rousseau, plus encore, fait de la marche un thème de culture,
une façon d’approfondir la conscience, autant que la santé, un
engagement préromantique dans les vallons et les bois,
l’occasion, pour la première fois sans doute, d’y projeter une
aventure intérieure 711. Les promenades « nobles » acquièrent
le même but physique : celles du bois de Boulogne ou du bois
de Verrières, par exemple, qu’évoque le prince de Ligne autour
de 1760 et qui, « indépendamment des chasses, étaient trop
jolies pour qu’on ne les évoquât pas 712 ». Ou ces trajets
effectués par Casanova en 1755, à Milan, en voiture
découverte et à l’air vif pour « réparer ses forces 713 ».
Aucune gymnastique ici, aucune indication de mouvements
complexes. Le souffle n’est pas encore pris en compte, ni
l’opération musculaire. Mais le projet n’est déjà plus celui du
passé. L’efficacité tient à une propagation d’ondes et
d’oscillations. Montesquieu le confirme comme jamais,
comptant scrupuleusement les impulsions reçues sur la selle
d’un cheval, avant de les promouvoir en pratique privilégiée
d’entretien : « Il n’y a point d’allure meilleure pour la santé
que celle du cheval. Chaque pas fait une pulsation au
diaphragme, et dans une lieue il y a environ quatre mille
pulsations de plus qu’on n’aurait eu 714. » Influence d’autant
plus heureuse, enfin, que les anatomistes de la sensibilité
campent dans ce centre « sphrénique » un lieu très spécial
d’affectation et de renforcement du corps : zone où viendraient
converger les plus riches réseaux de nerfs 715.
Il faut la machine de Rabiqueau enfin, en 1775, pour que ce
rôle prêté à l’oscillation soit spécifié jusqu’à la caricature : un
« manège mécanique 716 » dans lequel sont placés des enfants
fragiles ou quelque peu déformés. La machine secoue en tous
sens les corps attachés sur elle et leur porte des « coups
commotionnaux » à l’aide de bras articulés. Elle les
« stimule ». Le manège de Rabiqueau serait ridicule s’il ne
confirmait la vision nouvelle des tensions physiques.
Beaucoup plus littéraires sont les remarques de Diderot
observant l’éducation des cadets de Catherine II à Saint-
Pétersbourg. Ses conclusions sont les mêmes sur les effets de
l’exercice et du froid. Les cadets y auraient gagné « une santé
à l’épreuve de toutes les intempéries et du climat 717 ».
2. L’aliment rustique
La rusticité commande aussi le choix des régimes
alimentaires dans cette seconde moitié du XVIIIe siècle : les
repas de Julie, par exemple, dans La Nouvelle Héloïse, « sans
viande, ni ragoût, ni sel 718 », ceux de Buffon aussi, « peu de
viande, du poisson, beaucoup de fruits 719 », ceux de
Cagliostro, encore, faits de fromage ou de macaronis pris une
seule fois par jour 720. L’opposition aux régimes traditionnels,
composés jusque-là de bouillons de volaille, de viandes
légères mais savoureuses, de jus limités mais succulents, la
critique de ces qualités travaillées, ne traduisent pas seulement
la recherche de solidité des chairs par quelque nourriture
primitive, elles traduisent aussi la dénonciation des
délicatesses provoquées par quelque excès d’artifice ou
d’affectation.
Frugivores et carnirores
Ce thème des endurcissements donne une forme nouvelle à
celui du végétarisme, en cette fin du XVIIIe siècle : les denrées
de la terre seraient plus nourrissantes que les denrées animales,
les aliments grossiers plus vivifiants que les aliments raffinés.
L’occasion de privilégier les consommations paysannes sur les
consommations urbaines : « Les habitants des villes qui font
de la viande leur nourriture principale passent misérablement
leur vie en proie à toutes sortes de maladies 721. » Buchan
détaille en 1778 les malheurs des citadins anglais jugés
« trop » carnivores, « généralement attaqués de scorbut et des
suites nombreuses de cette maladie ; telles que les
indigestions, la mélancolie, l’affection hypocondriaque 722 ».
Rousseau souligne la force terrienne de la sève pour mieux
insister sur les sordides équivalences des chairs rouges : « Les
grands scélérats s’endurcissent au meurtre en buvant du
sang 723. »
Des nuances existent pourtant : le laitage d’un climat sec de
montagne semble vivifiant alors que celui d’une Hollande
opulente et grasse ne saurait l’être. Peyssonnel, visiteur
d’Amsterdam en 1780, se dit frappé par l’affaissement et la
« grosseur » des Hollandais alourdis par leur nourriture
familière : « La populace hollandaise passe pour lourde.
L’affreuse humidité du pays qui relâche les fibres, le fromage,
les laitages qui épaississent les humeurs et multiplient les
viscosités, et l’usage de la bière qui attaque les nerfs, en sont
les causes physiques 724. » L’état des fibres commande celui
des formes et bien sûr aussi le contenu des régimes proposés :
« Les personnes faibles et qui ont des fibres relâchées
s’abstiendront de toute espèce d’aliments visqueux 725. »
Le modèle confirme surtout la place nouvelle attribuée à la
nature, au XVIIIe siècle. Cocchi reprend la scène canonique de
Pythagore arpentant les plages, contemplant la mer,
demandant à ce qu’y soient rejetés poissons et coquillages
apportés par les pêcheurs : « les moindres corps animaux » ne
doivent-ils pas être restitués à la vie ? Seul, dans ce cas, serait
légitime le régime végétarien. Cocchi insiste avec un accent
nettement inédit, comme Rousseau d’ailleurs, sur le respect dû
aux « ouvrages de la Nature les plus utiles et les plus dignes de
notre curiosité 726 ». Ce que confirment encore les premières
critiques de la chasse, à la fin du XVIIIe siècle ; les
dénonciations des pièges, des hallalis ; les accusations de
Francis Mundy contre les traqueurs de lièvres ou les tireurs
d’oiseaux : impossible, dans ce cas, d’approuver « le grand
plaisir trouvé à courir un pauvre lièvre sans défense, avec une
bande de vilains chiens de chasse hurlants… [aussi] inhumain
et barbare que le harcèlement des taureaux 727 ».
Un constat a par ailleurs accentué au XVIIIe siècle la valeur
nutritive prêtée aux végétaux : c’est leur efficacité dans la
préservation du scorbut. Cook observe en 1765, dans ses
voyages du Pacifique, qu’une nette augmentation de
nourritures végétales et une diminution de viandes salées
préservent l’équipage d’un mal jusque-là non maîtrisé : cette
maladie inexorable qui, du saignement des gencives aux
ulcères généralisés, condamne quelquefois les marins du long
cours. Cook hasarde des comparaisons. Il assure que son
régime de froment et de sucre, ses réserves de choucroute et de
choux salés, de moutarde et de jus de moût de bière, ont sans
aucun doute permis de limiter à un seul mort les pertes de son
équipage durant son deuxième voyage, celui de 1772 728.
Première sanction savante de l’action du végétal.
Les contradictions sont pourtant nombreuses dans ces
pratiques végétariennes. Rétif de La Bretonne le montre
involontairement : recommandant à plusieurs reprises l’usage
exclusif des denrées végétales, il détaille incidemment ses
visites aux restaurants parisiens, ses nourritures ordinaires
faites « d’ailes de poulets », de « rôtis excellents », ou de
chairs censées combler tout ce que « sa sensualité pouvait
désirer 729 ». Bougainville fait de même : citant en exemple le
régime sans viande de ses Tahitiens observés dans ses voyages
du Pacifique, il semble l’oublier lorsqu’il les montre, dans
plusieurs épisodes, élevant poules, pigeons ou cochons 730.
Peu importe d’ailleurs les contradictions. Le végétarisme
garde valeur d’indice culturel, à la fin du XVIIIe siècle : signe
d’un changement plus vaste, plus profond, il est la
confirmation d’une représentation nouvelle de la nature ;
l’espoir d’y trouver quelque alternative possible aux pressions
urbaines, un principe de force aussi.
Un débat est révélateur : l’homme est-il frugivore ou
carnivore, s’interrogent les savants de 1780 ? L’occasion pour
certains de rappeler la rusticité originelle du recours au
végétal ; l’occasion aussi d’interroger, pour la première fois,
les adaptations morphologiques : forme de la bouche, des
dents, des ongles, des intestins, ce qui confirme au passage
l’intérêt nouveau pour l’« architecture » du corps. Plusieurs
hygiénistes de la fin du siècle s’en tiennent à une conviction :
l’homme serait frugivore, « nous ne remarquons dans l’espèce
humaine aucun de ces caractères distinctifs de l’espèce des
carnivores 731 ». Si la qualité d’« omnivore » l’emporte en
définitive dans les textes savants, c’est malgré plusieurs
résistances théoriques et au prix de longs développements sur
les morphologies physiques : « Le tube intestinal de l’homme
est parfaitement disposé pour que l’homme soit un animal
omnivore. Il ressemble à celui des carnivores par la structure
du ventricule et par la brièveté du cæcum. Il se rapproche de
celui des herbivores par la longueur de l’intestin grêle 732. »
Le végétal séduit les nouveaux partisans de
l’endurcissement, comme il mobilise les recherches d’un
aliment « complet » pour le pauvre.
Féculents du pauvre
La découverte d’un végétal susceptible de remplacer les
grains est l’objet d’une attente traditionnelle dans le monde
rural : substituer au blé souvent défaillant d’autres denrées
plus accessibles. Une coutume du XVIIIe siècle veut, par
exemple, que les fèves et les pois calment la faim tout en
« gonflant dans l’estomac 733 ». C’est ailleurs qu’il faut
chercher. Mais les tentatives d’exploiter ces végétaux sont
cahotiques, dispersées, n’atténuant guère les famines qui
culminent encore de vingt ans en vingt ans durant le XVIIIe
siècle.
Plus importantes sont quelques initiatives locales.
Broussonnet expérimente sur les navets et l’abbé de Pomerel
sur les betteraves 734. Duhamel du Monceau recourt au riz en
1759, dans sa campagne bretonne, denrée peu connue mais
jugée « complète ». Il décrit sa cuisson à petit feu, son
épaississement progressif sous l’effet de l’eau. Il raconte ses
mélanges : le sel, le laurier, pour préparer des soupes
collectives, durant « certaines années de disette 735 ». Le maïs
aussi apparaît progressivement comme nourriture « complète »
au nord de la Méditerranée, dans la seconde moitié du XVIIIe
siècle : la polenta de l’Italie du Nord, la millasse aquitaine, la
mamaliga roumaine.
La pomme de terre transforme brusquement les pratiques en
renforçant le prestige du végétal après 1770. Le curé de Saint-
Roch l’utilise le premier en soupe économique, l’hiver
1769 736 : distribution à quelques paroissiens d’un bouillon
composé de ce légume jusque-là déprécié, accusé d’être
simple racine, lointain cousin des plantes vénéneuses par son
appartenance à la famille des solanacées. Varenne de Béost
donne la recette du bouillon dans sa cuisine des pauvres,
explicitement conçue pour « remédier aux accidents imprévus
de la disette des grains 737 », de même qu’il dessine des
machines pour transformer les pommes de terre cuites en
« pâte à pain 738 ». La conviction de Parmentier s’impose,
même si elle est d’abord théorique, longuement développée
dans son « Étude des substances alimentaires qui pourraient
atténuer les calamités d’une disette 739 » avec laquelle il
remporte le concours de l’Académie de Besançon lancé sur ce
thème en 1772. Parmentier vante la diversité des préparations
possibles du féculent, évoque cultures et quantités, décrit le
légume protégé par le sol, prospérant à l’abri du gel et des
intempéries. Il convainc Sébastien Mercier en plantant le
tubercule dans la plaine des Sablons, vaste espace où
manœuvraient les armées de Louis XV. Sébastien rêve alors à
un effacement des famines : « La pomme de terre qui ne craint
ni les gelées, ni les orages, ni les vents, ni la pluie, s’offre
également dans tous les terrains pour se convertir en pain
nourrissant et savoureux 740. » L’originalité de Parmentier tient
à son raisonnement strictement économique : « Un arpent de
ces racines nourrit deux fois plus l’homme que la même
étendue de terrain convertie en blé 741. » La cuisson des
tubercules exige encore deux fois moins de feu que celle d’une
égale quantité de pain. Projets et réalisations prolifèrent après
1780 : l’« amidon de santé 742 », la « farine de santé 743 »,
vendue 30 sols la livre, à peine plus que deux miches de pain
vendues 25 sols, les « biscuits de santé » également, tous
confectionnés avec le féculent ainsi exploité. La pomme de
terre explose à la fin du siècle : 40 espèces existent en 1789.
Reconnaissance extrême : la Commune de Paris ordonne de
transformer le Jardin des Tuileries en champ de pommes de
terre par l’arrêté du 21 ventôse an III 744.
La pomme de terre ne fait évidemment pas disparaître les
disettes : il faudra pour cela recomposer le trafic des grains et
leur distribution. L’édit de juillet 1764 autorisant la libre
circulation des blés dans le royaume et la création de systèmes
de stockage ont, à cet égard, joué un rôle déterminant 745. Les
famines s’effacent avec les vieux systèmes de contrôle limitant
le commerce de province à province. Mais le prestige du
nouveau légume montre combien l’aliment complet est encore
largement cherché dans le végétal. Viande animale trop
coûteuse, bien sûr aussi, comme le montrent les comptes
d’Antoine-Alexandre Barbier, notaire à Besançon en 1764,
enregistrant les achats de viande épisodiques, souvent limités
aux fêtes et occasions solennelles 746. Le prestige du végétal
tient au nouveau prestige du rustique autant qu’aux prosaïques
exigences de l’économique.
3. Une pédagogie réactive
Les pratiques éducatives, enfin, résument les attentes
d’endurcissement au XVIIIe siècle. Elles leur donnent même
tout leur sens : l’investissement dans le perfectionnement et le
futur. Les faiblesses ne s’amorcent-elles pas avec le premier
âge ? C’est l’affirmation de Buchan, dont la longue réflexion
sur « les causes générales des maladies » s’ouvre par un
chapitre consacré à l’enfance : « Pour donner une description
exacte des maladies d’après leurs causes originaires, il faut
commencer par jeter un coup d’œil sur la manière ordinaire de
conduire les hommes dans l’enfance 747. »
Le renforcement graduel
Un espace totalement neuf de préoccupation apparaît avec
cette perspective de renforcement : mise en action précoce des
fibres, lutte dès le premier âge contre les chairs tendres et la
faiblesse des nerfs. Au nourrisson retenu jusque-là dans la
chaleur du berceau ou la sécurité de son étroit maillot s’oppose
le nourrisson « libéré » dans ses langes. Rousseau évoque
Émile laissé libre de « ramper par la chambre 748 » et non plus
contraint par les bandes resserrées sur son corps. Mme de
Genlis, préceptrice passionnée des enfants du duc d’Orléans,
dans les années 1780, demande qu’ils marchent continûment
dans la pièce pendant les leçons pour mieux se fortifier 749.
L’action physique commande le principe des forces. Elle doit
rendre « plus flexible la texture des fibres 750 ». Non, ici
encore, que soit inventée quelque gymastique ou quelque
méthode particulière d’exécution : le choc et la vibration des
fibres l’emportent sur le choix des mouvements.
Une progression dans l’action, en revanche, est nettement
suggérée. Rousseau souhaite une accoutumance graduelle au
froid : « Ce n’est que par degré que l’on peut les ramener à la
vigueur primitive 751. » Mme de Genlis invente un
accroissement dans les intensités de gestes. La pratique toute
banale du jardinage, par exemple, devient l’occasion d’une
progression d’énergie : « Leurs seaux ont un double fond dans
lequel on peut glisser des lames de plomb à mesure que leurs
forces augmentent 752. » De même qu’est insensiblement plus
lourde la poulie que Mme de Genlis fait installer dans la
chambre des enfants d’Orléans, proportionnée aux vigueurs
croissantes. Une façon modeste, mais bien réelle, d’imaginer
des programmes et des progrès : rapporter la santé au futur.
Avec l’enfant, plus qu’avec tout autre, s’impose la
nouveauté de ces pratiques du XVIIIe siècle. La protection du
corps est ici directement liée au déclenchement d’une
puissance, sa mise au travail. La santé devient un thème
d’exercice. Le corps doit agir sur lui-même : « L’art de
l’éducation est en quelque sorte l’art de substituer un corps à
un autre 753. »
Fourcroy, conseiller au bailliage de Clermont, le dit plus
nettement encore lorsqu’il décide en 1770 d’appliquer les
démarches nouvelles sur son enfant nourrisson : eau froide,
« même durant les hivers rigoureux », aliments naturels, gestes
libres, exposition aux climats. Le résultat est une « santé
inaltérable 754 ». Fourcroy fait confiance à une défense venant
du corps, une résistance quasi autonome. Il rêve d’organes
suffisamment solides pour assurer leur propre protection : « Je
le revêtis par cette opération journalière d’une cuirasse à
l’égard de l’air le plus piquant qui n’a plus de prise sur eux au
bout de peu de temps 755. » D’où le renversement des repères
anciens : aux tuteurs extérieurs (maillots ou corsets), aux
épurements passifs, se sont substitués les mobilisations
actives, les contractions, le travail. Non plus la saignée qui
faisait pour Gui Patin, un siècle plus tôt, les enfants robustes
par évacuation d’humeurs 756, mais bien le durcissement
volontaire des fibres et des nerfs. L’ensemble des forces s’est
déplacé : « Il faut que tout vienne du dedans 757 », dit Andry
de Boisregard lorsqu’il propose en 1741 quelques exercices et
gestes élémentaires pour donner consistance à l’allure de
l’enfant. Il faut « agir de l’intérieur », dit encore Hufeland
dans des conseils aux mères plusieurs fois édités : « Je ne
connais rien de plus pernicieux, rien qui ne renferme aussi
parfaitement l’idée de faiblesse et d’infinnité, que le caractère
de la nature humaine, devenu presque général de nos jours,
d’agir de l’extérieur sur l’intérieur 758. » Alors qu’il faut au
contraire solliciter une défense « interne ».
Âges et vie
La mesure de la victoire sur la mort est décisive pour
comprendre cette relation à l’enfance. Les chiffres relevés par
les démographes sont formels : une baisse de la mortalité
s’impose à partir des années 1750 alors qu’aucune découverte
médicale ne vient directement l’expliquer. C’est de 34 % à
20 % que décline la mortalité des garçons au-dessous de cinq
ans, entre le XVIIe et le XVIIIe siècle, dans les familles
dirigeantes étudiées par Peller, et de 29 % à 16 % celle des
filles 759. La mort recule également dans les provinces
déshéritées, en Anjou, par exemple, longtemps décimée par les
endémies : 36 % de mortalité pour les enfants de moins de
cinq ans en 1670, 26 % en 1789, à La Chapelle-d’Alizé,
paroisse pourtant misérable, perdue au milieu des bois entre
Sarthe et Loir 760.
Un lent accroissement des subsistances, sans doute,
explique ces chiffres. La transformation des précautions, celle
des attitudes familières, l’expliquent plus encore : propreté
mieux soignée, quelques gestes de bon sens, des attentions,
des isolements contre l’épidémie, alors que l’inoculation
demeure encore peu diffusée. Toute la différence, pour l’élite,
entre les attitudes de Mme de Maraise en 1780 et celles de Mme
de Sévigné un siècle plus tôt. Les lettres qu’échange Mme de
Maraise avec parents et amis dès les premiers jours d’une
naissance sont les plus révélatrices : insistance sur une
surveillance constante, détails donnés sur l’air, le sommeil, la
nourriture, focalisation sur l’allaitement maternel, critique
incessante de l’ignorance et des préjugés. Mme de Maraise
multiplie les avis. Elle écrit sur ses enfants, sur son filleul né
en 1779, dont la fragilité la préoccupe souvent la « moitié de la
nuit 761 », sur Alphonse Oberkampf, fils de son ami
Christophe Philippe Oberkampf, l’inventeur des toiles de Jouy.
Elle avoue sa passion pour le premier âge, une des originalités
de ces conseils devenus habituels au XVIIIe siècle : « Je
m’étends parce que ce sujet m’intéresse plus que par
nécessité 762. » Beaucoup moins fréquents, au contraire,
étaient les préceptes de Mme de Sévigné, un siècle plus tôt,
moins précoces aussi, centrés sur le corset que devait porter
son petit-fils 763, sur les quelques saignées subies à trois
ans 764, sur la coupe de cheveux accusée de donner trop de
prise à l’air froid 765. La surveillance des risques de la petite
enfance s’est déplacée en un siècle : les proches prodiguent
leurs conseils dès la naissance ; ils le font sur les objets les
plus quotidiens : du contenu des bouillies à l’amplitude des
habits. Aucune découverte médicale, il faut le redire, à
l’exclusion de l’inoculation, mais un investissement différent,
dans son contenu et dans ses objets.
L’obstétrique encore joue un rôle dans un insensible recul
de la mort néonatale. La réprobation s’intensifie devant
l’inexpérience de quelques matrones : « Combien d’enfants
mutilés ! D’autres regardés comme morts et que des soins bien
entendus eussent appelés à la vie !… Telle est l’esquisse du
tableau effrayant, mais vrai, qu’offre tous les jours l’ignorance
des sages-femmes 766. » Des initiatives naissent visant à
réviser les compétences. Mme du Coudray est nommée par le
roi en 1767 « pour enseigner l’art des accouchements dans
toute l’étendue du royaume ». Elle traduit la pratique en
formules pédagogiques, avec exemples, figures, mannequin
articulé et manipulable favorisant l’apprentissage. Elle donne
des cours à Caen (1775), Rennes (1775-1776), Rouen (1776-
1777), Le Mans (1777-1778), Angers (1778). Elle délivre des
certificats reconnus par les intendants et amorce de nouvelles
transmissions de savoirs, comme François Lebrun l’a bien
analysé sur Angers : 109 femmes brevetées après quelques
semaines de cours suivis dans la grande salle de l’hôtel de
ville ; un enseignement de quinze jours s’adressant ensuite à
neuf chirurgiens de la province qui deviennent à leur tour
« chirurgiens démonstrateurs » et se chargent d’un cours tous
les ans dans les villes de leur ressort 767. Le réseau est fragile,
souvent abandonné avant la fin des années 1780 : les frais de
subsistance des élèves ne peuvent être honorés par les
seigneurs et les curés qui en sont « responsables ». Mais les
initiatives demeurent nombreuses, prises directement par les
intendants « pour engager cette fameuse accoucheuse à venir
donner des leçons sur cette importante matière aux femmes
des campagnes qui lui seront envoyées 768 ».
Les signes se multiplient de ces attentions aux naissances et
aux premiers âges, jusqu’aux repères les plus formels, comme
la manière de distribuer les posologies médicamenteuses aux
diverses périodes de la vie. Les échelles de l’enfance
prolifèrent comme jamais dans l’émiettement de ces doses
pour remèdes et potions, à la fin du siècle : quatre posologies
différentes entre l’âge de « quelques mois » et celui de dix-huit
ans pour l’ensemble des doses proposées par Tissot 769 ; quatre
posologies encore, entre deux ans et dix-sept ans pour la
poudre contre les fièvres de la dame Renault de Caen 770. Les
chiffres de cette dame Renault sont d’ailleurs d’autant plus
marquants qu’ils multiplient les catégories du grand âge :

1 grain 2-4 ans

2 grains 5-8 ans et 76-80 ans

3 grains 9-12 ans et 71-75 ans


4 grains 13-17 ans et 61-70 ans

5 grains 18-21 ans et 56-60 ans

6 grains 22-25 ans et 51-55 ans

7 grains 26-30 ans et 41-50 ans

8 grains 31-40 ans

On l’aura compris, c’est une espérance nouvelle de vie que


révèle l’insistance sur la diversité des âges ; une manière
nouvelle d’envisager les progressions et l’étendue des phases
de l’existence. La pratique, pour la première fois évidente au
XVIIIe siècle, d’une limitation volontaire des naissances
donne plus de sens encore à cette espérance. Le chiffre moyen
d’enfants par famille de paysans passe de 6,25 en 1730-1749 à
4,38 en 1770-1779, dans les neuf villages de l’Ouest de Paris
étudiés par Lachiver 771 ; le même chiffre passe de 6,15 à 2,00
pour la même période, dans les familles de pairs de France 772.
La chute est brutale, prononcée. L’investissement dans
l’enfance explique cette limitation volontaire : une attention
plus grande au temps et à l’instruction réservés à la fille ou au
fils. Mais la volonté d’un accroissement d’indépendance, la
recherche plus marquée d’allègement des charges familiales
exercent également leur influence sur la natalité. Un choix
inédit, après le recul de l’âge du mariage, dans l’affrontement
du poids de la vie.
De fait, la grande originalité démographique du XVIIIe
siècle est bien l’allongement de la vie : un gain de près de dix
ans en un siècle pour la France. L’espérance de vie à la
naissance passe de 30 à 40 ans ; plus marquante encore pour la
femme, la moitié d’entre elles ne mourant plus avant 30 ans
comme au XVIIe siècle, mais avant 45 ans 773. Des
transformations plus profondes doivent alors être prises en
compte, dont celle de l’espace et du cadre de vie, pour mieux
comprendre ce changement. Ce sont elles qu’il s’agit
d’explorer.
CHAPITRE III

Les ressources de l’air


Avec le XVIIIe siècle ce n’est pas seulement la mécanique
du corps qui autorise de nouveaux gestes préventifs, c’est
encore la manière de traiter les éléments physiques, celle
d’habiter les lieux, celle d’y conduire les flux.
Un accident tragique de 1694 profile déjà les questions
nouvelles qui, sur l’air et l’espace, auront toujours plus
d’importance au XVIIIe siècle. C’est l’épisode du faubourg de
Sainte-Savine à Troyes, évoqué par le Mercure : trois
personnes, prudemment descendues dans un puits pour
retrouver une perruque perdue par un enfant, y meurent
successivement, toutes saisies par quelque « effluve
méphytique ». L’explication est nouvelle : la mort viendrait de
la respiration ; « une fumée onctueuse » aurait rempli « les
bronchies » de ces hommes, achevant une irrémédiable
suffocation 774. Commentaire confus mais important. Il
inaugure une tentative répétée d’évaluer l’acte respiratoire,
celle d’apprécier sa relation à l’espace : recenser les
confinements et embarras de souffle.
1. Le renouvellement de l’air
Savoirs tout théoriques, dans un premier temps. Les
« expériences » provoquant la mort d’animaux par asphyxie
dans un air confiné deviennent courantes, avec la première
moitié du XVIIIe siècle. Arbuthnot, Haies, Boissier de
Sauvages, comptent même la durée des agonies selon le
volume du corps de l’animal et celui de la cloche dans laquelle
il est enfermé 775. Lapins, poules, oiseaux divers, meurent
selon des temps différents dans leur prison de verre. Haies
prétend en 1745 qu’une « linotte mise dans un vaisseau de la
capacité d’environ deux pintes [un peu moins de deux litres] y
meurt au bout de trois heures si l’air du vaisseau n’a aucune
communication avec l’air extérieur 776 ». Ces explications de
Haies, comme celles d’Arbuthnot ou de Boissier de Sauvages,
sont pour nous d’un autre âge. Ils ignorent en 1740-1750 le
rôle de l’oxygène 777. Ils jugent seulement la respiration
indispensable au mouvement du cœur et au rafraîchissement
du sang. Leurs préoccupations et leurs calculs pourtant sont
inédits.
Les « commodités »
Outre ces considérations savantes, c’est bien la
transformation des pratiques elles-mêmes qui est la plus
marquante au XVIIIe siècle, avec des effets très concrets :
l’intervention sur les appareils d’aération. Les cheminées, dans
les appartements des plus aisés, sont pour la première fois
conçues pour activer l’air. L’invention d’un isolement du feu et
de ses tabliers, laissant un espace libre entre les plaques
chaudes et le mur de soutien, met en mouvement l’air autour
du foyer. Gauger tente une telle construction en 1713 :
« Disposer le derrière de la cheminée de telle sorte que l’air
venant de l’extérieur puisse y circuler, s’y échauffer et se
rendre ensuite dans l’appartement 778. » Gauger souligne
l’action possible de ces cheminées sur « l’haleine gâtée des
malade 779 », les transpirations étouffées, les exhalaisons
fétides. Il calcule la durée du renouvellement de l’air selon le
volume de la pièce, l’importance des ouvertures et la
puissance du feu.
L’instrumentation appartient aux « commodités », celles
dont l’architecte Blondel, en 1752, prétend être « devenu
idolâtre », alors que ses « prédécesseurs les ignoraient un peu
trop 780 ». Elles ont transformé l’espace privé de l’élite : pièces
aux dimensions plus restreintes retenant la chaleur, plus
nombreuses, mobilier plus diversifié, mis au service d’une
instrumentation de l’intime, cent fois décrit, avec ses essences
rares, son format resserré, ses inventions mécaniques,
secrétaires à abattant, secrétaires à dessus, secrétaires à tiroirs,
toilettes à développements, chiffonnières, petits bureaux. Ces
commodités, que décrivent avec insistance architectes et
ébénistes, ont aussi transformé le rapport entre l’espace interne
et l’espace externe de l’habitation. Une véritable machine,
avec bouches d’aération et canalisations calculées, entretient
les échanges entre ces deux espaces, renforçant le bien-être.
L’appartement lui-même viendrait à « respirer ». Le montage
est repérable dans les transformations des grands hôtels
parisiens subies autour de 1730 ou 1740. À l’hôtel de Maisons,
par exemple, modifié par Mouret lors de l’achat de M. de
Saucourt en 1745. Certaines cheminées trop proches des portes
(celle de la salle de compagnie par exemple) sont déplacées
pour être disposées face aux fenêtres et assurer ainsi un
meilleur circuit de l’air 781. La maison de M. Sonning, rue de
Richelieu, est l’objet de modifications semblables en 1740 :
les cheminées des chambres y sont également déplacées pour
faire face aux fenêtres 782.
Le ventilateur constitue la véritable découverte
instrumentale du début du XVIIIe siècle. Désaguliers est le
premier à envisager, en 1735, un mécanisme utilisable pour
une chambre : large roue à ailettes enfermée dans une boîte,
avec tuyaux de toile aspirant et refoulant, le tout mû par une
manivelle de fer 783. L’espace des malades devrait, selon
Désaguliers, être ainsi outillé à cause du « mauvais air » qui y
règne. Les quelques modèles décrits sont autant de meubles
précieux aperçus dans les appartements luxueux : « Ceux que
nous avons vus étaient enfermés dans des caisses de bois de
rose de la plus grande élégance 784. » Ce sont des appareils
plus simples pourtant qui se diffusent, répandus en Angleterre
d’abord : roues à ailettes insérées dans les vitres, mues par les
courants d’air. Pingeron dit constater la présence du
mécanisme dans « toutes les chambres anglaises » autour de
1770 : « Rosettes mobiles inscrites dans des boîtes de fer-
blanc 785 » occupant la partie haute des croisées.
Non que l’instrumentation se généralise, bien sûr, mais elle
révèle une critique de l’aération « ancienne », celle qui
privilégiait la diffusion de parfum, celle qui purifiait par la
seule opération sur l’odeur et sa transformation : l’air,
maintenant, « doit » circuler. Tissot, dans ses « Avis au peuple
sur la santé », plusieurs fois réédités après 1760, impose parmi
les causes de mortalité du peuple le fait de ne pas « ouvrir
journellement les fenêtres 786 ».
Le souffle des foules
La respiration de groupes d’hommes dans des lieux confinés
oriente également l’attention nouvelle. Les foules et leurs
exhalaisons ne risqueraient-elles pas d’accroître le danger des
villes ? L’accumulation humaine, l’encombrement des lieux
offrent un nouvel objet à une inquiétude de l’urbain, elle-
même accentuée au XVIIIe siècle. Au manque d’élasticité de
l’air restitué par ces poumons contigus et trop nombreux
s’ajouterait l’excès de chaleur, d’humidité, d’odeurs qu’ils
provoquent. Boissier de Sauvages propose, en 1754, d’évaluer
l’insaisissable colonne d’air vicié censée surmonter la tête de
chaque homme, lorsque les vapeurs qu’il produit ne peuvent
s’échapper : « L’homme mange environ 5 livres par jour, ces 5
livres se changent toutes les 24 heures en excréments fétides et
volatils qui, réduits en vapeurs telles que la transpiration qui
en fait la moitié, devraient former sur une surface de 15 pieds,
telle que la peau, une colonne qui pèse 5 livres, c’est-à-dire
1 000 fois plus haute qu’un solide d’eau qui aurait cette
base 787. » Après un laborieux dénombrement effectué sur le
volume d’air inspiré et expiré, Arbuthnot évalue, quant à lui, à
20 minutes le temps mis pour mourir par 500 hommes
hermétiquement « enfermés dans une chambre de la capacité
de cinq cents tonneaux 788 ». L’haleine est bien devenue un
danger : la respiration et son « méphitisme » particulier sont
perçus comme décomposition ; le souffle est perçu comme
excrément. C’est l’air aussi, l’imprégnation miasmatique des
murs, qui entraîne les gangrènes d’hôpitaux, provoquant
quelquefois la mort de simples visiteurs de malades 789. D’où,
sans doute, les premiers essais, autour de 1745-1755, de
circulation de l’air dans les espaces collectifs.
C’est pour les navires, pour les prisons ou les hôpitaux que
Haies conçoit des ventilateurs monumentaux, dont certains
sont mus à la force du vent. Il suggère en 1745 d’installer un
moulin à vent sur le toit de la prison de Newgate pour mieux
impulser l’air dans une vaste tuyauterie interne 790 : l’action de
la machine doit prévenir une « fièvre putride » décimant les
prisonniers massés dans des cachots humides et nauséabonds.
Résultat médiocre, bien sûr : Haies évoque le seul « mauvais
air » alors qu’il s’agit d’une infection bactérienne indécelable
par les outils mentaux du XVIIIe siècle.
Les essais tentés sur les bateaux négriers provoquent des
effets plus concrets : le placement des ventilateurs animant
l’air des cales et des entreponts (lourdes caisses de sapin
munies de soupapes et de clapets mus à la force des bras) est
jugé réduire à tel point la mortalité parmi les esclaves entassés
que l’Amirauté les fait adopter, autour de 1750 791, sur les
vaisseaux militaires et marchands. Le navire, avec sa
promiscuité, milieu clos rapprochant souffles et odeurs,
entretenant croupissements et moisissures, étouffant
l’atmosphère au rythme du voyage et de ses étapes, est perçu
au XVIIIe siècle, Corbin l’a bien montré, comme l’exemple
canonique des confinements 792. Plusieurs machines sont
essayées pour rafraîchir les cales durant la seconde moitié du
siècle : des premières soupapes de Haies à des formules plus
« commodes », comme ces prises d’air sur le pont, captant le
fluide pour le diffuser par des « conduites internes jusqu’au
fond des cales 793 ».
Une très lente instrumentation gagne les lieux collectifs :
placement du ventilateur de Désaguliers en 1740 dans la
Chambre des Communes à Londres ou à l’hôpital de
Winchester 794, disposition de coupoles d’aération à l’hôpital
Saint-Louis ou à l’École royale militaire 795, placement de
« ventouses » encore à la salle Lancry de l’Hôtel-Dieu parisien
en 1748 796. Duhamel du Monceau, inspirateur des
aménagements de la salle Lancry, montre comment c’est un
poêle situé dans le grenier et mis en communication avec les
tuyaux d’aération qui provoque ici aspiration et circulation
d’air, cheminée très spéciale chargée d’effacer l’air des
gangrènes et des fièvres.
L’extension de cet appareillage collectif, il faut le redire,
n’est pas immédiate dans la seconde moitié du XVIIIe siècle.
Sébastien Mercier se plaint en 1782 de promesse non tenue au
sujet du ventilateur attendu à la nouvelle salle parisienne de
l’Opéra. Il dénonce cet air « immobile » toujours moins
supporté, évoquant l’atmosphère délétère des petites loges et
des poulaillers : « La police qui a soin de bannir des pièces les
mauvaises paroles devrait s’occuper à chasser des salles de
spectacle l’air respiré qui n’est plus respirable 797. »
2. Prévenir le mal des poitrinaires
L’angoisse de la phtisie accompagne cet intérêt pour le
souffle. La Société de médecine de Paris estime combattre un
mal grandissant lorsqu’elle offre en 1781 un prix pour
couronner le meilleur mémoire écrit sur la phtisie pulmonaire.
Le texte de Baumes, retenu pour l’obtention du prix en 1783,
confirme dès les premières lignes ce jugement alarmé : « La
phthisie pulmonaire est un des plus grands fléaux de
l’humanité, par sa nature et par ses résultats 798. » Les chiffres
manquent pour indiquer l’étendue réelle de la contagion.
Plusieurs indices, pourtant, suggèrent l’avancée du bacille
tuberculeux sur les terrains insensiblement abandonnés par la
variole à la fin du siècle : évocation croissante de l’atteinte
pulmonique dans les Affiches, Annonces et Avis divers ou dans
la Gazette de santé, propositions de remèdes toujours plus
spécifiques pour la combattre ou le prévenir, insistance sur les
témoignages comparant son état présent à son état passé.
L’affirmation de Duplanil, par exemple, le traducteur de
Buchan en 1780 : « Quoique cette maladie soit moins connue
en France [qu’en Angleterre], cependant il n’est personne qui
ne s’aperçoive qu’elle y est plus fréquente qu’autrefois 799. »
La morphologie inquiétante
Ce n’est pas l’importance de l’air qui dans un premier
temps, au XVIIIe siècle, est la première soulignée pour
dénoncer la phtisie. Bender insiste en 1759 sur l’alimentation.
Il décrit comment le recours régulier à un verre de vinaigre
pour diminuer « un embonpoint qui lui déplaisait » a entraîné
le mal pulmonique chez une jeune femme « jouissant pourtant
d’une santé parfaite 800 ». Buchan accuse aussi la nourriture,
les aliments de « haut goût », les liqueurs, les viandes
animales 801 : ces denrées multiplient les fébrilités déclenchant
les crachements de sang porteurs du mal. Un danger auquel le
sieur Fauvel, confiseur parisien, prétend répondre en 1778 par
l’invention d’une pâte suffisamment douce pour calmer ou
même prévenir la toux des « poitrinaires » : il s’agit d’un
« heureux mélange de l’amidon des pommes de terre et de la
pulpe des pommes de reinette, convenable à tous les sujets
maigres, bilieux, secs, épuisés, à ceux qui ont le sang âcre et
qui ont besoin d’un aliment capable de nourrir et d’adoucir, en
même temps, la grande masse des humeurs 802 ».
Les principes de force physique mobilisent encore les
préoccupations de soin et de prévention : affermissement
corporel, restitution du « ton » des fibres et des nerfs. Carlo
Gozzi, littérateur prolifique et remuant, explique en 1770
comment « une manière de vivre régulière et trois heures de
cheval tous les jours 803 » ont mis fin à des crachements de
sang aggravés pourtant chez lui depuis quelque temps. Tissot
multiplie les exemples de promenades à cheval jugées
bénéfiques, faisant même de l’équitation « le vrai spécifique
de cette maladie 804 ».
Ce qu’apprend plus que jamais le mal pulmonaire, c’est
surtout qu’il est fait d’étapes successives, de phases lentes,
repérables, dont les premières semblent toujours anodines :
une toux âcre accompagnée « de crachats plus ou moins
abondants », quelque oppression de poitrine, un goût amer
dans la bouche, le tout « sans aucune irritation sensible 805 ».
Telle serait la première étape : symptôme bénin installant
pourtant le malade sur la pente d’une déchéance insensible.
Contrairement à la peste ou à la petite vérole, ces premières
manifestations du mal phtisique sont toujours discrètes,
quelquefois même insignifiantes. Il s’agit d’une nouvelle
catégorie de maux : ceux des très lents délabrements,
dépérissements graduels dont les premiers signes sont d’abord
imperceptibles. Le mal mortel abandonne ici le terrain des
violences anciennes. La maladie y devient plus secrète, sinon
plus intime 806.
D’où le doute porté plus qu’auparavant sur des oppressions,
des toux répétées, des épisodes fébriles : l’inquiétude du
chevalier de Faublas, par exemple, dans le roman de Louvet en
1786, apprenant la fièvre minime, mais durable, installée chez
une amie proche : « Et si le danger devenait encore plus
grand ! Si la marquise, à la fleur de son âge, périssait
consumée d’une maladie lente 807 ! » D’où l’attention réservée
plus qu’auparavant aux signes avant-coureurs, aux maigreurs
persistantes, aux morphologies fragiles : « Ceux qui ont la
poitrine étroite et plate, les épaules élevées en ailes de chauve-
souris sont ordinairement victimes de cette maladie 808 » ;
ceux qui ont « le cou trop long 809 » aussi et l’haleine trop
courte. L’attention au souffle s’impose incontournablement.
L’observation croise le regard déjà porté au même moment sur
les silhouettes de faiblesse ou les attitudes contraintes.
L’air préservateur de phtisie
C’est le changement d’air, en définitive, qui semble pouvoir
alléger l’oppression des poitrinaires, après 1760-1770. C’est le
passage d’un « air dense à un autre moins épais 810 ». C’est le
voisinage des collines et des rivages, le séjour aux éthers libres
et légers. Gilchrist recense en 1770 les cas de guérison obtenus
après de longues traversées en bateau 811. Baumes dit lui-
même avoir vaincu un crachement de sang, à l’âge de dix-huit
ans, en montant tous les jours à cheval, mais aussi en
parcourant régulièrement en barque un grand étang traversé
par la brise 812. Lepecq de La Clôture présente les pêcheurs de
Polet près du Havre comme les mieux préservés de phtisie
grâce à l’air toujours agité qu’ils respirent 813.
Contrairement à la tradition, les qualités de l’air ne sont plus
limitées à son parfum. Julie de Lespinasse le dit, quelques
mois avant sa mort en 1775 où, vaincue par la toux et la
consomption, le jardin des Tuileries lui apparaît comme un
baume, une fois abandonné par la foule. L’air resserré de la
ville y retrouverait vibration et liberté : « J’aime mieux
respirer l’air doux et pur des Tuileries à l’heure où l’on y est
presque seul 814. » La circulation d’air est indispensable. À
défaut, les Annonces de Paris suggèrent en 1766 une
« machine pneumatique » agitant l’air près du visage des
pulmonaires 815.
L’évocation des causes de phtisie conduit d’ailleurs à un
nouveau recensement des airs dangereux dans la seconde
moitié du XVIIIe siècle. Les atmosphères étouffées semblent
les plus alarmantes : les ateliers obligeant à « inspirer des
molécules végétales », comme pour les meuniers ou les
bluteurs de grains ; les ateliers obligeant à « inspirer des
molécules animales », comme pour les corroyeurs ou les
cordonniers, ou des « molécules minérales » encore, comme
pour les potiers ou les sculpteurs, suscitent des inquiétudes
insistantes 816.
La sensation respiratoire enfin, au-delà même de l’odeur, est
évoquée comme indice d’alerte. Meister dit concrètement
éprouver l’air déclencheur de phtisie lorsqu’il visite
l’Angleterre en 1795 ; un air « reconnu » aux douleurs de
gorge comme aux gênes ressenties. Il dénonce les « suies », les
« caustiques » saturant le ciel anglais, provoquant des
sensations identifiables : toutes ces « fumées s’attachant aux
membranes qui en sont les plus susceptibles comme vous vous
en apercevez trop facilement le matin à votre réveil 817 ». Non
plus seulement les brumes ou les nuages de l’air, mais les
perceptions internes qu’il déclenche.
3. Le triomphe de l’espace et de l’air
L’enquête que lance l’Académie de médecine pour cerner
l’origine des épidémies en 1776 traduit l’importance attribuée
aux effets de l’air. L’ambition est plus générale, pourtant. Il
s’agit de la première enquête sanitaire organisée par une
institution médicale. Indice de changement de culture, la
démarche montre combien le médecin est gagné par le souci
de mesure, séduit par celui d’informer, et surtout d’agir sur le
milieu. Vicq d’Azir, nommé « commissaire général aux
épidémies 818 », soumet son questionnaire à d’innombrables
correspondants locaux. Des centaines de médecins ont ainsi
recensé les maladies saisonnières de leurs villes ou de leurs
villages, relevé les heures des marées, la force des vents, la
quantité des pluies. Leur information s’étend à l’état des rues
et des habitations, aux « nourritures journalières », au
déroulement des travaux et des jours. L’ensemble de ces
renseignements crée un genre, celui des « topographies
médicales », synthèses amorçant les premiers bilans sanitaires
effectués sur une communauté.
C’est la perspective d’un « État hygiéniste » qui se profile
ici, celui qui cherche à changer l’homme « par une action bien
calculée sur l’environnement de l’individu 819 ». Le projet que
reprennent les révolutionnaires et l’État du XIXe siècle : « Il
faut que l’hygiène aspire à perfectionner la nature humaine en
général 820. »
La différence des lieux
Beaucoup de tradition d’abord dans ces topographies
provinciales. Elles identifient l’homme à sa terre : il pousse
comme poussent les arbres, il végète comme le font les
terreaux. Les habitants des zones de la côte sont maigres sur
« leur sol sec et aride », dans le pays niçois, alors qu’ils sont
« gras, potelés et d’une stature plus élevée 821 » sur le sol tout
proche mais frais et arrosé de la campagne mentonnaise et
qu’ils sont « sombres et lourds 822 » dans l’humide vallée de
Montmorency. C’est le point ultime de l’intérêt porté depuis
longtemps aux atmosphères et aux climats : les « santés », les
allures, les ressources physiques, varient selon l’horizon des
terres et des patois. L’enquête n’offre guère ici de synthèse, et
ses indications sur les frimas ne peuvent guère éclairer sur les
épidémies.
Une lecture plus attentive montre pourtant de vrais
changements dans ces recensements médicaux. Le langage
fibrillaire, par exemple, s’impose plus fermement dans la
description du corps : les habitants de la Haute-Auvergne,
habitués aux airs froids et vifs, malgré un « ciel souvent
nébuleux », possèdent des « fibres fortes, massives et peu
irritables 823 ». Les pêcheurs de Marseille, habitués aux vents
secs comme aux atmosphères vaporeuses, possèdent une
« disposition vibratile 824 » qui leur donne chaleur et fermeté.
Les correspondants médicaux confirment la moindre
importance donnée aux humeurs.
Changement plus important : c’est un remodèlement des
espaces que projettent nombre de médecins, une action directe
sur le milieu. Raymond cherche les « moyens de corriger le
climat de la ville » lorsqu’il effectue la topographie médicale
de Marseille en 1777 : il regrette l’orientation des rues, le
dénudement de la colline, l’« engouffrement » du mistral ; il
propose de « planter des arbres de haute futaie 825 », de dresser
des murs, d’accroître le nombre de fontaines, d’adoucir un air
avivé par le soleil et le vent. Hallé précise également les
assainissements possibles lorsqu’il visite les bords de la Bièvre
sur l’injonction de la Société royale de médecine en 1789 :
éloignement des moulins qui en ralentissent le cours,
comblement des canaux latéraux qui en retiennent les
miasmes, création d’une pente plus uniforme pour en accélérer
le courant. Hallé est conscient d’un rôle en gestation, celui
d’une collaboration entre le médecin et le politique. Il se pose
en « interlocuteur » du pouvoir, suggérant de « conseiller les
artistes 826 » qui seraient chargés des travaux. Ce qui multiplie
les projets utopiques aussi : ceux de grands ventilateurs placés
au coin des rues, par exemple, animés par la force de moulins
hydrauliques, ou les pompes de l’abbé Mandres conçues pour
agiter les eaux croupissantes, ou les grands voiles de gaze mus
par des cordes faits pour renouveler l’air des bâtiments
publics 827.
De fait, la ville change dans la seconde moitié du XVIIIe
siècle. L’air y est repensé. Les ensembles architecturaux sont
davantage modelés par le précepte du médecin. Les projets de
Ledoux prétendent bannir les rues étroites accusées de
maintenir « le mur opposé si près qu’il comprime les
poumons, restreint les facultés et répercute les souffles
contagieux qu’il renferme 828 ». L’existence de charniers ou de
tombes entretenus au cœur des villes est également moins
supportée. La mort de plusieurs personnes en janvier 1774 est
attribuée à la seule fréquentation de l’église de Nantes : le
corps d’un seigneur « mort de fièvre putride » en décembre
1773 et enterré sous les dalles aurait « envenimé » l’air du lieu
saint 829. C’est ainsi, sous le contrôle de la Société royale de
médecine, qu’est fermé, puis exhumé et déplacé, le cimetière
des Saints-Innocents en 1786. Mercier en donne une
description fascinée : « Qu’on se représente des flambeaux
allumés, ces fosses immenses ouvertes pour la première fois,
ces débris d’ossements, ces feux épars. Il s’agissait de former
un lit de plusieurs pouces de chaux, d’en remplir des tranchées
profondes 830. » Le transfert des corps, entassés dans des
charrettes recouvertes de draps noirs, a lieu à partir du 7 avril
1786, des Saints-Innocents aux catacombes, la nuit, sous la
conduite du clergé. La théorie de l’air méphitique impose,
pour la première fois, l’éloignement des morts hors de la ville.
Elle impose aussi le découronnement des ponts dans la
dernière décennie du siècle : l’abattage des maisons étant jugé
nécessaire à la circulation de l’air 831.
C’est bien l’air qui demeure la préoccupation centrale de ces
médecins de la fin du XVIIIe siècle, même lorsqu’ils débattent
des quantités d’eau nécessaires à la ville. Menuret de
Chambaut n’a pas d’autre objectif lorsqu’il se félicite de la
présence d’un « magasin d’eau » dans la rue Vivienne, en
1785. Le liquide de ce grand réservoir, lâché par intervalles,
pourrait courir sur le pavé, y multiplier les flux et les ruisseaux
avant d’en emporter la poussière et la fange : « Ce qui serait
d’autant plus précieux que c’est pendant les chaleurs que les
mauvaises odeurs ont le plus d’énergie et de danger 832. » Le
rôle de l’eau se limite à l’effacement des odeurs. Sa substance
n’inquiète pas directement, pourvu qu’elle soit mise en
mouvement. Banau et Turben prétendent d’ailleurs que l’eau
de la Seine, puisée trois cents toises au-dessous de l’égout de
l’Hôtel-Dieu, peut être bue sans danger 833. L’agitation subie
sur le lit de la rivière suffit à la purifier.
Les médecins de la prévention
Une originalité toute particulière de cette enquête aériste, il
faut le redire, est de confirmer la place nouvelle faite au
médecin. Son statut n’est plus le même, à la fin du siècle,
comme n’est plus le même son rôle préventif : homme des
Lumières, il revendique une influence qu’il n’avait pas.
L’accroissement du nombre de praticiens, au XVIIIe siècle,
favorise sans doute cette affirmation. Les chiffres calculés par
Catherine Maillé-Virole sur Paris sont révélateurs : moins de
100 au début du siècle, les médecins parisiens sont 150 en
1780 et surtout 172 en 1789 834. Progression plus nette encore
pour les chirurgiens : 235 en 1715, 466 en 1789. Chiffres
proches également pour Caen où Jean-Claude Perrot constate
une augmentation de 38,7 % du personnel médical entre 1750
et 1792, alors que l’ensemble de la population s’accroît dans le
même temps de 9,3 % 835. Le personnage acquiert un prestige
inédit. Dufort de Cheverny est frappé, en 1752, par la façon
dont le médecin Dumoulin, venu de Paris à Versailles avec
« des souliers de paysan et un gros habit couleur de café qu’il
ne quittait jamais 836 », ordonne « en despote » le régime que
doit suivre le Dauphin pour sa petite vérole. Dumoulin glace
un entourage qui obéit. Cet accroissement de prestige est
d’ailleurs confirmé par les trajectoires de vie des médecins du
XVIIIe siècle. Louis Bagot, né en 1728 de parents sans
fortune, en est l’exemple caractéristique. Chirurgien de la
marine marchande, il soigne les esclaves des vaisseaux
négriers, autour de 1750. Revenu aux études, il est reçu
médecin à la faculté de Reims en 1762 avant de s’installer à
Saint-Brieuc et d’y devenir un notable apprécié. Son train de
vie grandit régulièrement : aucun domestique en 1762, une
servante en 1764, deux servantes en 1788. Son influence croît
aussi : il se fait inoculer publiquement en 1773 avec sa femme
et ses enfants, pour servir d’exemple et mieux surmonter les
réticences populaires. Son élection de maire de Saint-Brieuc,
enfin, en 1794 sanctionne ce crédit patiemment accumulé :
l’ancien chirurgien des esclaves a fait son parcours des
honneurs 837. D’autres figures confirment ces ascensions :
Thouret, médecin à Caen, directeur de l’École de santé à Paris
en 1794, puis tribun et membre du Corps législatif 838 ; ou
Hallé, accueilli par la Société royale de médecine avant même
qu’il soit médecin, occupant ensuite la première chaire
d’hygiène en 1794 pour devenir membre de l’Académie des
sciences à la fin du siècle 839.
Impossible de comprendre ces figures nouvelles sans les
associer à une volonté, tout aussi nouvelle, de diffuser le
savoir médical. La Gazette de santé, créée en 1773 pour
atteindre « les gens de la campagne » par l’intermédiaire « des
curés, des seigneurs et des dames charitables 840 » est
l’exemple caractéristique de cette expansion des Lumières. La
Gazette se veut éducative. Elle énumère les accidents de santé,
les morts par asphyxie, les maladies des artisans, le
méphitisme des cimetières ou l’insalubrité des marais. Elle
indique des recettes préservatrices, celle du bain d’air ou du
bain froid, comme celle de la farine d’amidon ou du vin de
quinquina, publiant des listes de centenaires, décrivant des
expériences sur l’air des montagnes ou la gangrène des
hôpitaux. Elle insiste surtout sur la nécessité d’une plus grande
présence médicale.
La condamnation de la « médecine de soi-même »,
argument régulièrement répété après 1770, confirme cette
insistance : les diètes sans contrôle, les régimes sans conseil,
seraient les plus dangereux. Seul le médecin devrait apprécier
ou proposer : « Il n’y a pas plus mauvais médecin que de soi-
même et on risque de se tuer quand on n’a pas les premières
notions de notre art 841. » La Gazette de santé en 1777 y voit
même une des raisons du « dépérissement de l’espèce » : les
« dictionnaires de santé », ces ouvrages dont chaque lecteur
tire le sentiment de pouvoir prévenir ses maux, multiplieraient
les maladies en les rendant plus incontrôlées. Une « médecine
mise entre les mains de tout le monde » ressemblerait plutôt à
« une épée mise entre les mains d’un fou 842 ». La prévention
des maux autant que leur cure relèvent du seul médecin.
Les médecins du social
C’est d’ailleurs à un large contrôle des comportements
populaires qu’engagent ces médecins de la fin du siècle
recensant pour la première fois les corps affaiblis par les
métiers. Chaque pratique provoque ses désordres. Chaque
profession engendre ses maux : les portefaix peuvent rompre
les fibres de leurs poumons à trop porter de poids ; les
laboureurs avoir des enflures de jambes à trop rester debout ;
les tailleurs avoir des contorsions de dos à trop rester assis 843.
Non que ces remarques soient bien vérifiées. L’évocation des
nerfs, celle des fibres, suggèrent ici des certitudes plus que des
observations. Un froissement de tissus, une rupture de
filaments, développent un infini d’inclinaisons et de frictions.
Winslow le montre sur une de ses malades, jeune femme de
grande taille, ayant exécuté de nombreux travaux la tête
penchée, sans surveiller la position de son buste, devenue
courbée jusqu’à la paralysie, « déformée au point d’avoir
perdu environ le quart de la hauteur de sa taille 844 ».
L’insistance est mise plus encore sur les maladies de
fatigue : l’épuisement des journaliers, l’accablement des
crocheteurs. C’est d’efforts excessifs que souffre la vie des
travailleurs de peine, c’est d’inflammations répétées, de
dessèchements mortels. Diderot en fait un élément de
l’horizon encyclopédique, donnant en filigrane la première
version d’une misère ouvrière : « Il y a beaucoup d’états dans
la société qui excèdent de fatigue, qui épuisent promptement
les forces et qui abrègent la vie 845. » D’où les conseils de
régimes délayants conçus pour les travailleurs d’effort, les
boissons rafraîchissantes, le petit-lait, le beurre, censés
s’opposer aux effets des frottements subis par les organes.
D’où encore la suggestion de limiter toute action pénible, celle
d’en répartir l’intensité dans le temps, d’en prévoir le
morcellement. Précepte savant, bien sûr, préoccupation
d’encyclopédiste, et plus rarement démarche d’ouvriers
confrontés aux tâches des ateliers et à leur dénuement, mais
qui confirme combien la compétence du médecin pénètre
davantage les comportements.
Cette compétence est faite aussi d’interventions plus
nombreuses sur les pratiques privées. Les correspondants de
Vicq d’Azir soulignent leurs propres tentatives pour influencer
concrètement les gestes populaires. Robin de Kériavalle,
médecin à Josselin, dit en 1776 avoir insisté auprès des
autorités de police pour éviter les longs et « dangereux »
séjours des morts dans les maisons avant leur enterrement 846.
Sellier, dans sa topographie médicale d’Amiens, réclame un
droit donné au médecin ou au chirurgien « de faire crever les
parois des murs dans les chambres trop étroites » où
séjournent des malades pour mieux en « évacuer le mauvais
air » ; les trous seraient ensuite « bouchés la nuit avec des
toiles 847 » pour éviter le trop grand froid.
La propreté du corps aussi devient un enjeu plus marqué.
Une propreté limitée aux odeurs et à leur perception, bien sûr.
Le lavage des pieds pour les hommes de la campagne ou
même le changement de bas sont censés limiter les épidémies
du Languedoc pour Banau et Turben en 1785 848. De même, le
changement de linge, l’éventement des literies, sont censés
limiter les fièvres pour des paysans bretons qui « couchent
avec les malades dans les mêmes lits, ne changeant la paille de
leur lit aussi souvent qu’elle est gâtée, occupant les lits de
ceux qui sont morts de maladie 849 ». La peau commence à
devenir objet d’attention chez ces enquêteurs de la fin du
siècle, imaginant autour d’elle les premières défenses contre le
mal. Une propreté de contact, mieux précisée lorsque les
médecins reprochent aux matrones accoucheuses de la fin du
siècle de négliger le lavage des mains, dénonçant leurs ongles
noirs, leurs doigts maculés. Plus qu’auparavant la barrière
défensive commence avec l’attention à la peau et son
entretien, fussent-ils, pour le peuple au moins, limités au
changement de linge et à l’ablution des mains 850.
L’air qui « prolonge la vie »
Une découverte, l’isolement de l’oxygène par Lavoisier en
1777, achève de renforcer l’image d’un médecin mieux
instruit, autant qu’elle achève de souligner l’importance
nouvelle de l’air. Le constat de Lavoisier transforme le sens de
la respiration : non plus simple mécanisme de rafraîchissement
du sang, non plus simple principe de soufflet assistant le cœur,
la respiration devient source directe d’énergie et de force.
L’oxygène nourrit la chimie du muscle. Il lui donne son feu,
transformant l’acte respiratoire en acte moteur. Le besoin
d’oxygène varierait d’ailleurs selon les circonstances : un
effort physique plus grand entraîne une consommation plus
grande de cet air très particulier. Lavoisier le vérifie par le
chiffre : l’oxygène nécessaire durant un exercice de lever de
poids croît « en raison directe de la somme des poids élevés à
une hauteur déterminée 851 ». Du coup s’imposent des
différences de consommation « en fonction de l’âge, de la
santé, de la vigueur 852 ». Du coup, aussi, une attention toute
spéciale à l’oxygène, à son usage, à ses quantités, pourrait
favoriser la préservation de soi.
Cet air laborieusement isolé devient pour Priestley un
prodigieux élixir de vie. Le pasteur anglais, chimiste de génie
à ses heures, accumule le précieux fluide dans un siphon de
verre, le respire abondamment et en attend quelque force
inconnue : « Il me sembla que ma poitrine se trouvait
singulièrement dégagée et à l’aise pendant quelque
temps 853. » Priestley pense disposer d’un nouvel art de
prolonger la vie : « Qui peut assurer que par la suite cet air pur
ne deviendra pas un objet de luxe très répandu 854 ? »
Plusieurs tentatives ont lieu sur les phtisiques autour de
1780. Caillens projette sur leur visage le fluide « purifié » :
« Je vis comme par enchantement le malade revenir peu à
peu 855. » La Gazette de santé répercute avec insistance les
pratiques du genre, hasardant la description de pompes
complexes proposées par quelques médecins industrieux. Une
inhalation « purifiée » par la chimie peut sauver : « On a vu
des malades près d’être suffoqués faute de respiration revenir
comme par enchantement en respirant de temps en temps l’air
déphlogistiqué, en guérir entièrement en très peu de
jours 856. » Mais l’air « éminemment respirable » ne peut être
manipulé en toute simplicité, et bien rares restent ceux qui
l’utilisent régulièrement autour de 1780.
4. Assurances et prévisions
Au-delà du renouvellement de l’air, au-delà de la
transformation des espaces de vie, un travail insensible de
défense contre les maux s’est opéré au XVIIIe siècle, dont les
acteurs eux-mêmes ne sont pas toujours conscients : ce travail
porte sur la prévision. La démarche est directement centrée sur
le risque : l’éventualité du malheur. Elle est centrée sur les
signes aussi, ceux qui révèlent le danger avant même qu’il ne
soit là. Aucune science « épidémiologique » ne vient fédérer
ces gestes dispersés. Aucune catégorie spécifique de savoir ne
les représente dans les traités de santé de l’Europe des
Lumières, alors qu’ils sont pourtant largement novateurs. Le
raisonnement dont ils relèvent ajoute une perspective
supplémentaire aux thèmes très émiettés de la santé : la
perspective prévisionnelle. L’investissement dans le futur a
sans aucun doute favorisé ce raisonnement.
Chiffrer le risque
Tenter de relier les risques de phtisie à la forme des
silhouettes, comme le font Baumes ou Bender 857, c’est définir
des populations plus susceptibles d’atteinte que d’autres ;
tenter de relier la naissance de maladies précises à l’exercice
de métiers tout aussi précis, comme le font Ramazzini,
Tourtelle ou Winslow 858, c’est également focaliser des
probabilités d’atteinte, orienter toute l’attention vers le
« possible ». Dans les deux cas la prévision s’est affinée.
L’approfondissement de la démarche préventive est fait d’une
exigence presque impalpable : celle d’une mise en perspective
temporelle, celle d’une tentative de déceler le mal avant même
qu’il ne soit déclaré. Non plus simplement se défendre contre
lui, mais repousser au plus lointain son apparition possible,
jouer avec le temps pour mieux en prévenir la présence. Le
port d’objets protecteurs au Moyen Âge correspond déjà à cet
effort de désigner des risques. Les quarantaines, les isolements
sont d’autres manières de « précéder » les dangers
épidémiques. La prévision existe, bien sûr, et depuis
longtemps. Mais le XVIIIe siècle révèle à cet égard une
originalité qu’il faut préciser, même si les auteurs du temps ne
parviennent pas toujours à l’expliciter : cette originalité tient à
la stratégie temporelle.
L’inoculation d’abord est l’exemple même de la tentative
d’annuler un mal à venir : protéger le corps contre toute
occurrence, en le transformant comme de l’intérieur. Elle
s’accompagne du premier calcul sur le risque de variole dans
une population donnée et, plus encore, du premier calcul sur le
risque d’échec du geste inoculateur lui-même. C’est en
pourcentage que s’énoncent dans ce cas le possible ou le
probable du mal. La remarque de Jurin, en 1725, déjà évoquée,
affirmant que la quatorzième partie du genre humain meurt de
la variole, alors que un sur 50 seulement meurt de
l’inoculation, résume toute l’originalité du raisonnement 859.
De la même manière, l’enquête de l’Académie royale en 1776,
établissant des tables de concordance entre l’apparition des
maux et les épisodes du milieu, s’essaie au chiffrage du risque.
Ses résultats sont aléatoires tant les épisodes retenus sont
cahotiques, sans limites, direction des vents, sécheresse ou
humidité des sols, durée des pluies, des brouillards, fréquence
des orages ou des tempêtes, mais la tentative de prévoir
cherche bien ses chiffres et ses lois 860.
Jusqu’à la description des symptômes qui est renouvelée
dans la seconde moitié du XVIIIe siècle. Buchan ne prétend-il
pas décrire, dans sa Médecine domestique, les « symptômes
précurseurs ou avant-coureurs des maladies graves 861 » pour
mieux anticiper leur danger ? Vœu tout théorique ici : la
connaissance, en 1780, des premiers signes de l’« incontinence
d’urine », de la « disenterie » ou de la « cardialgie »,
n’améliore guère encore leur prévention. Le raisonnement
anticipateur, en revanche, s’est systématisé. La démarche de
prévision est devenue si légitime, même, qu’une autre attitude,
toute aussi novatrice, peut naître autour de 1770 : celle de
l’assurance contre le mal.
L’assurance et l’ouvrier
La prévision dans ce cas n’est pas faite pour éviter
directement le mal, mais plutôt pour en atténuer les effets :
préserver une santé « minimale » malgré les atteintes ou,
mieux encore, préserver les ressources de la vie malgré la
présence de la maladie. C’est autour du travail et de ses
dangers que naissent ces « assurances » modernes.
La compagnie de Saint-Gobain met en place un système
d’assistance médicale pour les ouvriers avant le milieu du
XVIIIe siècle. Mais les maîtres tailleurs de Londres et de
Westminster sont les premiers, en 1770, à proposer une
pratique salariale incluant explicitement la préoccupation de la
santé. Les compagnons les y ont poussés, se plaignant de
fatigues et de morts précoces, prétendant même refuser
l’embauche s’ils ne sont pas davantage protégés. Les maîtres
ont hésité, résisté, mais ils ont cédé, s’engageant à soulager les
ouvriers en cas de maladie, comme à sustenter les ouvriers
devenus vieux ou infirmes. Le dispositif est précis, chiffré : 6
shillings 6 pence versés, par semaine, durant les six premiers
mois de la maladie, 5 shillings 3 pence, durant les mois
suivants, 3 shillings 6 pence pour ceux qui restent
invalides 862. Les tailleurs londoniens inventent la première
assurance sur le travail. Ils lui adjoignent la première prise en
compte de la vie privée des ouvriers. C’est qu’un devoir tout
personnel est exigé de ces compagnons tailleurs payés par
leurs maîtres : ils s’engagent de leur côté à garantir au mieux
l’intégrité de leur propre corps. Ne seront pas « assurés » ceux
qui « par leur débauche ou leur mauvais genre de vie se
seraient ruiné la santé et se trouveraient ainsi, par leur faute,
dans le cas de ne pouvoir travailler 863 ». Le dispositif crée de
nouveaux secours, il crée aussi de nouveaux contrôles. Plus
profondément, il inaugure une pratique inédite d’« auto-
contrôle ». Les ouvriers tailleurs ont à respecter un régime de
vie. Ils ont à s’« observer ». Le règlement anglais a peu
d’équivalents encore à la fin du XVIIIe siècle, mais il montre
combien l’assurance sur la maladie est liée encore à la morale.
Oberkampf dit la même chose lorsqu’il réorganise sa
manufacture de toiles peintes, à Jouy, en 1790 : « Ceux dont la
conduite aura été irréprochable, s’ils tombent malades, seront
payés comme en état de santé 864. »
Pour la première fois, le secours salarial se combine à
l’exigence d’une autosurveillance physique. Définition
« négative » encore, pour tout dire, où le devoir est surtout
d’éviter la débauche. Mais l’attention aux « maladies des
artisans » introduit, mieux que jamais auparavant, la
prévention de la santé dans le geste de l’ouvrier comme dans
celui du maître. Insensiblement, l’ouvrier devient comptable
de son corps, surveillé par le maître, pour mieux garantir le
travail.
QUATRIÈME PARTIE

LA FORCE DE SOI,
LA FORCE DES AUTRES
XIXe SIÈCLE
CHAPITRE I

Espace intime et espace public


Les épidémies changent de lois, au début du XIXe siècle,
même si leurs causes sont, comme auparavant, attribuées aux
mutations de l’air. La comtesse de Dash le montre en
expliquant sa terreur durant le choléra de 1832. Elle dit
redouter les effluves et les miasmes. Elle achète des poudres,
porte des sachets, inonde de camphre ses meubles et ses
parquets. Mais elle attribue surtout aux ivresses, aux bals des
barrières, aux turbulences et négligences ouvrières les morts
qu’elle juge toujours plus nombreuses les lundis et mardis
après les « excès » dominicaux 865. Ce sont les êtres déshérités
des fabriques, ceux des ateliers encombrés qui engendrent les
nouveaux foyers d’inquiétude, menaces venues des zones
obscures de la cité et non plus seulement des eaux dormantes,
des vents, des rues étroites ou des lieux confinés. Les dangers
de l’espace économique l’emportent sur ceux de l’espace
simplement urbain ou géographique.
Le thème de l’infection des pauvres menaçant les autres
s’est brusquement aiguisé. L’assistance comme la discipline
sociale prennent ainsi un autre relief : c’est en protégeant la
santé de quelques-uns, celle des déshérités surtout, c’est en les
obligeant aussi, qu’un investissement national pourrait mieux
protéger la santé de tous. L’État industriel se donne des
devoirs, secours protecteurs et surveillance autoritaire mêlés.
Une hygiène publique est en voie de constitution.
1. L’état « industriel » et l’initiative publique
L’implacable dégradation physique des plus démunis est
directement évoquée pour expliquer les malheurs du choléra
de 1832 : « Ce furent les hommes en veste et en haillons qui
ouvrirent cette horrible marche de Paris vers la mort 866. » Un
partage toujours plus aigu montre le choléra empruntant
l’espace des plus pauvres, les rues populaires, le « chemin des
révoltes et des insurrections 867 ». Ce que pressentait Pontard
en 1809 lorsqu’il voulait expliquer l’origine du typhus de
Périgueux et son emprise sur plusieurs lieux de la ville : « Les
endroits où avaient passé les prisonniers espagnols, sales,
fétides, rongés par la vermine, couverts de haillons, les rues
qu’ils avaient le plus fréquentées, les quartiers qu’ils avaient
habités, les individus qui ont eu des relations avec eux ou avec
les malades, ont été les seuls infectés 868. » Les pauvres jouent
dans le choléra de 1832 le rôle joué par les Espagnols dans le
typhus de 1809. Plus que jamais, les épidémies semblent venir
de cet « empire du mal établi sous nos yeux 869 ». En 1832, la
masse industrielle se fait menace sanitaire. C’est pour mieux la
gérer que l’État semble s’instituer en « État hygiéniste 870 ».
Décisions de gouvernement
Le souci statistique indique clairement les nouveaux
partages. La centralisation de données chiffrées sur les villes et
les campagnes existe, bien sûr, depuis Vauban au XVIIe
siècle 871. Mais la curiosité des préfets, dès les premières
décennies du XIXe siècle, signale plus que jamais les
conséquences sanitaires des différences sociales, des
professions, des gestes économiques. Les explorations sur la
mortalité dans les départements ou dans les quartiers des
villes, les premiers chiffres sur les atteintes phtisiques
différenciées selon les métiers, indiquent les effets directement
sanitaires d’une « aisance plus grande, d’une société plus
civilisée, d’une industrie plus avancée 872 ». Les enquêtes de
Villermé ou de Frégier sur les conditions des ouvriers, celle de
Parent-Duchâtelet sur la condition des prostituées, en 1834,
celle de Benoiston de Châteauneuf sur les différences entre
« la durée de vie chez les riches et chez les pauvres 873 », en
1832, ont largement renouvelé les enquêtes sur l’air, la terre,
les climats ou même les villes, menées au XVIIIe siècle. Les
nouveaux projets redéfinissent le territoire de l’hygiène
publique : travailler sur les rebuts de la société pour mieux en
maîtriser les dangers, « rebuts physiques (immondices, égouts,
chantiers d’équarrissage), mais aussi rebuts moraux
(débardeurs, égoutiers, chiffonniers, prostituées) 874 ».
L’hygiène se construit sur l’évaluation des « fléaux sociaux » ;
tous maux attribués à quelque zone inquiétante où la misère
propagerait l’infection en affaiblissant les corps.
Surveillance de quelques établissements aussi. L’État
possède depuis l’Empire divers conseils départementaux de
salubrité chargés de prospecter sur les fièvres, sur les odeurs
ou infections venues des fabriques, sur le danger des denrées
falsifiées. Paris dispose même pour la première fois en 1802
d’un conseil de 4 membres, médecins ou administrateurs
salariés, dont le nombre croît jusqu’à 18 en 1828 875. Un
décret de 1810 permet de hiérarchiser les établissements
dangereux : ceux de la première classe, les plus insalubres,
doivent être repoussés hors des villes, ceux de la deuxième
classe doivent observer des règles sur les odeurs, les fumées,
la macération des eaux, ceux de la troisième classe, enfin, sont
simplement soumis à autorisation 876. Le conseil mêle ainsi
police et santé, surveillance et sanctions. L’hygiène publique,
celle que les dictionnaires du XIXe siècle disent englober « les
modifications imprimées à l’homme par l’état social 877 »,
possède, pour la première fois, ses organes d’évaluation, sinon
de décision. Les statistiques obtenues après le choléra de 1832
sont le résultat de nouveaux instruments dont l’État s’est doté,
comme elles témoignent du nouveau regard sur la pauvreté :
« Il se trouva que dans les quartiers de la place Vendôme, des
Tuileries et de la Chaussée d’Antin, la mortalité avait été de
8 ‰ tandis qu’elle avait été de 52 à 53 ‰ dans les quartiers de
l’Hôtel de Ville et de la Cité, qui sont ceux de la misère 878. »
Les effets directs de l’engagement public restent pourtant
limités en ce début du XIXe siècle. L’importance attribuée aux
immondices et aux odeurs fait toujours obstacle à une réelle
compréhension des transmissions infectieuses. Le conseil de
salubrité déclare inoffensifs les « maux » engendrés par la
fabrique de produits chimiques de Charenton, en 1825, en se
fondant sur les seuls indices apparents, ceux physiquement
éprouvés par les enquêteurs : les effluves émis et jugés
supportables, la variété des plantes ou la couleur des légumes
poussant au pied des bâtiments 879. De même, les mesures
prises à l’annonce du choléra de 1832 demeurent uniquement
centrées sur les exhalaisons fétides : « Les ruelles les plus
étroites, les plus infectes furent pavées et fermées ; des travaux
rapides nettoyèrent les immondices de l’île Louviers 880. »
L’impression sensible, l’effet sur l’odorat influencent encore le
jugement. Le choléra est d’ailleurs déclaré non contagieux par
les enquêteurs de 1834, associé prioritairement à la misère et
aux conditions de vie 881.
Plus largement, c’est l’investissement étatique qui impose
ses limites : comment pourrait-il assurer d’emblée
l’accroissement des projets d’assainissement ? Le financement
fait défaut, les relais administratifs aussi. Une organisation est
à créer, outre la nécessité d’accroître les convictions, ce qui
rend inapplicables bien des propositions du conseil de
salubrité : l’évacuation par péniches des boues parisiennes
vers des champs d’épandage, jugée trop coûteuse autour de
1820 ; le drainage par des égouts des communes entourant
Paris, jugé aussi trop coûteux et toujours en projet autour
1840. Un clos central d’équarrissage, en revanche,
recommandé par le conseil pour réunir et isoler les abattoirs
parisiens, est adopté en 1839 882.
L’hygiène publique a renouvelé ses chiffres et ses
surveillances, au début du XIXe siècle, elle n’a pas encore
renouvelé ses savoirs ni mis en place tous les réseaux d’une
administration.
La vaccine et le réseau
L’institution de la vaccine est l’exemple le plus révélateur
du nouvel engagement étatique, avec celui de ses limites. C’est
que la défense contre la variole peut être bouleversée dès la fin
du XVIIIe siècle. Tout tient à un constat déjà ancien : les sujets
qui ont été victimes du cow-pox, la petite vérole des vaches,
restent réfractaires au virus variolique 883. Ils sont préservés
comme le sont ceux qui ont déjà subi l’infection. Les pustules
localisées sur les mamelles de vaches leur ont communiqué
des ulcères aux mains, accompagnés d’une fièvre passagère :
ils ont eu le cow-pox, maladie anodine, mais sont devenus
insensibles à la variole, maladie tragique. Jenner, le premier,
transpose le constat en expérience : le cow-pox inoculé, en mai
1796, sur James Phipp, un enfant de huit ans, le met à l’abri du
virus variolique inséré deux mois plus tard. Les avantages de
l’opération s’imposent : innocuité de l’insertion, efficacité de
son effet. Le premier vaccin est né. D’où le « rêve » de
préserver des populations entières et le vœu de vacciner
collectivement.
La fièvre et le bouton de la vaccine sont sans danger. Les
suites de l’insertion n’appellent pas de surveillance
particulière. Les chiffres anglais servent de confirmation,
toujours repris, pressants, accumulés en quelques mois : les 48
habitants du village de Lowther, vaccinés en une séance, en
1800, restent préservés lorsque la variole leur est
communiquée quelques semaines plus tard 884 ; les gardes du
roi d’Angleterre, les marins de la flotte, sont vaccinés sans
dommage en 1800 885 ; les soldats du camp d’Alexandrie le
sont en 1801 « sans discontinuer leur service 886 ». Aucun
accident dans ces vaccinations en série. Deux mots marquent
désormais toute la différence : l’« inoculation », l’ancienne
pratique insérant directement le bouton varioleux, et la
« vaccine », la nouvelle, insérant le bouton d’une maladie
différente, atténuée.
Deux raisons, surtout, rendent la vaccine plus sûre : le virus
ne s’y communique que par le sang et il est sans danger. Alors
que l’inoculation comportait des risques. Elle communiquait
une variole bien réelle et pouvait entretenir l’épidémie. Les
accidents du XVIIIe siècle sont rappelés avec insistance :
« C’est ainsi qu’à Vienne, Marie-Thérèse faisant inoculer
plusieurs enfants dans son palais, la petite vérole se propagea
dans un village voisin du palais, malgré les précautions que
l’on avait prises 887. » La différence est capitale : l’inoculation
oblige le médecin à transporter le mal qu’il veut combattre. La
vaccine au contraire permet de ne pas « toucher » le virus.
« L’extinction de la petite vérole » devient une ambition
pour la première fois fondée sur une technique contrôlée. Le
projet d’« anéantir à jamais le fléau 888 » devient l’objet de
déclarations officielles, de manifestes savants. L’éradication
du mal se profile comme une conquête possible.
C’est vers l’obligation de la vaccine que tendent les
préceptes médicaux. Valentin, qui correspond avec Jenner et
multiplie les interventions à Nancy autour de 1810, souligne
l’insuffisance des vaccinations ponctuelles, fussent-elles
nombreuses. Il évoque tout foyer comme une menace, que
seule l’« universalisation » du vaccin pourrait éloigner :
« Malgré tout ce que j’ai pu faire en ce pays pour la vaccine,
nous y avons des petites véroles. Je viens de traiter une
demoiselle de 32 ans, variolée naturellement par son jardinier
dont les sept enfants étaient atteints par cette peste 889. »
Fodéré souligne en 1813 les conséquences possibles de
vaccinations inégalement partagées par les communautés :
« J’ai vu, dans les Alpes-Maritimes, le petit village de Péglion,
dont tous les enfants avaient été vaccinés, rester intact au
milieu de deux autres gros villages voisins, Péglia et Contes,
qui étaient ravagés par une épidémie terrible et qui n’avaient
pas voulu se soumettre à la vaccination 890. »
Cette obligation serait la première du genre : contraindre
tout individu à subir une atteinte physique pour éviter le mal,
mais aussi pour l’éviter aux autres ; atteindre la chair de
chacun dans l’intérêt de tous. Les propositions se multiplient
en France dès le début du siècle : cette universalisation serait-
elle trop coûteuse ? « Les parents riches devraient payer les
opérations pour les enfants pauvres 891. » La conviction du
public serait-elle insuffisante ? « Il faut mettre sous ses yeux
des enfants rachitiques dont la santé a été améliorée par la
vaccine 892. » Une volonté étatique existe ainsi, pour la
première fois, en faveur d’une généralisation du vaccin. La
circulaire de Chaptal en 1804, montre ce désir
d’universalisation : « Vacciner les enfants de la patrie et les
envoyer dans les campagnes pour servir de vaccinifères ;
d’une manière plus générale vacciner gratuitement les
pauvres 893. » L’idée d’une obligation très particulière naît en
ce début du XIXe siècle, celle qui exige une surveillance
physique personnelle au nom même de la communauté : « Il
est curieux que l’on n’ose point forcer les hommes à se bien
porter, quand on les oblige à se faire tuer 894. »
Les dispositions sont nombreuses et nouvelles, qui vont
dans le sens d’une universalisation : la mise en place, au tout
début du XIXe siècle, d’un « comité central de vaccine » dont
dépendent des comités de département et même
d’arrondissement. Première organisation médicale hiérarchisée
selon le nouveau quadrillage politique du XIXe siècle, le
comité promeut des tournées de vaccinateurs. Plusieurs
décisions administratives confirment la volonté
propagandiste : le maire de Blessonville (Haute-Marne) est
suspendu de ses fonctions pour avoir refusé la vaccine aux
parents qui la lui réclamaient durant l’épidémie de 1816 895 ;
règlements ou décrets imposent depuis 1812 « dans les
établissements publics, dans les écoles, dans les collèges, dans
les armées… de faire la preuve que l’on a eu la petite vérole
ou qu’on a été vacciné 896 ». La diffusion administrative de la
vaccine concrétise un bouleversement de mœurs bien souligné
par Darmon : « Pour la première fois dans notre histoire l’État
affirme sa détermination de superviser un ensemble
d’opérations sanitaires 897. » Une instance centrale de
prévention dissémine ses agents locaux à travers mailles et
strates de l’espace national. Les médecins ne sont plus simples
informateurs et « experts » comme dans les premières
enquêtes épidémiques du XVIIIe siècle, ils sont acteurs dans
une intervention nationalement impulsée.
L’obstacle majeur reste, en revanche, celui du financement
et de l’administration. C’est sur l’acte gratuit des médecins
que Chaptal, le ministre de l’Intérieur en 1810, fonde tout
espoir. Chaptal voue le vaccinateur à un travail « militant ».
Certificats honorifiques, lettres de félicitations officielles,
médailles, titres de « vaccinateur en chef », viennent
récompenser l’opérateur consciencieux : « Confiez cet emploi
à ceux dont l’activité, le dévouement vous sont le plus connus.
Faites-leur envisager la possibilité d’obtenir les places de
médecin ou de chirurgien qui viendraient à vaquer dans leur
arrondissement, donnez-leur de la considération, excitez leur
émulation… 898 », recommande Chaptal en 1810. Mais ces
hommages formels ne font qu’ajouter à l’exhortation morale
auprès des vaccinés une exhortation morale auprès des
vaccinateurs. L’administration ne peut ici supporter les charges
d’un service public : c’est aux conseils généraux, aux
communes, aux responsables locaux, que reviennent, pour
longtemps, les initiatives de subventionner la tournée des
vaccinateurs. Les assises financières manquent à la vaccine
alors qu’existe, et c’est considérable, une prise de conscience
étatique.
2. LA PUISSANCE VITALE ET LE TRAVAIL
Les bouleversements culturels dans les premières décennies
du XIXe siècle sont plus importants encore que ces
tâtonnements administratifs : il s’agit de critères inédits de
santé que l’État, ici encore, ne parvient pas à prendre
totalement en charge mais qui profilent des changements de
pratiques. Il faut reprendre les connaissances nouvelles, les
enquêtes menées sous la Restauration ou la monarchie de
Juillet. Le dessin d’un « homme moyen » émerge lentement de
l’association des chiffres. Homme fictif, « moyenne autour de
laquelle oscillent les divers éléments sociaux 899 », il
renouvelle l’image de la santé collective.
La seule tentative de comparer la puissance musculaire
entre les hommes révèle déjà un programme et une vision du
monde. L’instrument de mesure semble ici anodin : le
dynamomètre inventé par Régner en 1805, mince ressort à
lame dont l’aiguille enregistreuse indique l’intensité des forces
exercées sur lui. L’appareil est un objet d’amusement. Il
pénètre les foires provinciales, les jeux de campagne, il
s’aventure sous les chapiteaux itinérants dressés au cœur des
villes. Daumier le représente dans Les Français peints par
eux-mêmes 900 alors que La Bédolière commente son usage
chez les saltimbanques de la monarchie de Juillet : « Frappez
sur ce tampon en lignes verticales ou horizontales, appuyez
l’épine dorsale contre ce coussin, vous pourrez même voir
surgir du dynamomètre un Hercule en bois peint auquel il vous
sera loisible de vous comparer 901. » Mais l’instrument peut
aussi être utilisé par des mains plus expertes et conduire à des
conclusions sanitaires : comparer la force entre des
populations, par exemple, chiffrer des robustesses, interpréter
des fragilités. L’« homme moyen » du début du XIXe siècle
réserve alors des surprises. Il désigne les différences sociales
par des chiffres auxquels les observateurs eux-mêmes ne
s’attendaient pas.
La force des citadins
Le dynamomètre de Régner, franchissant frontières et
continents, est utilisé pour des comparaisons entre cultures.
Les tableaux de Péron, dressés durant son tour du monde de
1806, semblent alors formels : les hommes de l’océan Austral
se montrent inférieurs en vigueur aux hommes venus
d’Europe. Les sauvages n’atteignent guère que 50 kilos de
pression de mains au dynamomètre alors que les marins
français et anglais atteignent ou dépassent 70 kilos.
Maurouard, un des officiers français, « terrasse plusieurs fois à
la lutte avec une grande facilité 902 » le plus robuste des
Diéménois. Les observations le confirment, répétées d’île en
île : ces « naturels », dont Cook ou Bougainville avaient vanté
la force autour de 1760, se révèlent débiles ou défaillants. La
plupart d’entre eux ne peuvent masquer leur déficit physique
malgré leurs « épaules larges et leurs reins bien dessinés 903 ».
L’image du sauvage comme celle du civilisé changent avec
cette volonté très appliquée de comparer des forces : l’homme
du Diémen, celui de Timor ou de la Nouvelle-Hollande
souffrent de leur dénuement jusque dans leur vigueur. Péron
s’offusque de leur ancienne valorisation par les
encyclopédistes du XVIIIe siècle. Il les relègue au bas d’une
échelle humaine que la certitude du progrès a brusquement
renforcée, installant les civilisations dans une implacable
hiérarchie. La « supériorité irrécusable 904 » de l’Européen sur
le sauvage se traduit par un surcroît de santé, observé ici à
partir de la force. La monumentale Histoire naturelle du genre
humain de Virey accumule, en 1824, les affirmations
tranchantes, comptabilisant les sauvages du nord de
l’Amérique pour évoquer leur vieillesse toujours prématurée,
leur nombre toujours restreint, leur solitude toujours
désolée 905. Le lien entre précarité matérielle et précarité
sanitaire s’est resserré.
Un raisonnement identique est appliqué à d’autres
« sauvages », plus proches, ceux qui hantent les ateliers et les
rues populeuses des villes : les ouvriers. La comparaison de
leur stature, la mesure de leur constitution, montrent un
changement dans l’image du pauvre, une façon inédite
d’apprécier ses faiblesses et de les expliquer.
Le souci de distinguer des degrés de civilisation oriente les
constats. Les premiers conseils de révision, par exemple,
suggèrent, après l’Empire, un ensemble de comparaisons
chiffrées : la taille moyenne de l’homme se révèle plus grande
à Paris que dans les communes limitrophes, plus grande dans
les départements riches que dans les départements pauvres,
plus grande dans « les départements où la population urbaine
est la plus nombreuse 906 ». D’où cette insistance nouvelle
pour infirmer la croyance des hygiénistes de la fin du XVIIIe
siècle : ce n’est pas dans les campagnes, loin s’en faut, que la
santé serait la plus sûre, c’est tout simplement dans les villes.
La taille moyenne y serait plus haute, les maladies moins
nombreuses, la durée de vie plus longue ; une différence que la
richesse de chaque quartier urbain peut encore accentuer,
comme prétend le montrer le préfet de la Seine en 1821 : les
habitants atteignant un « grand âge », ceux de 80 à 90 ans, sont
proportionnellement plus nombreux dans le quartier cossu des
Invalides et de Saint-Germain, le Xe arrondissement de Paris,
que dans le quartier plus pauvre des Halles et de Saint-
Eustache, le VIe arrondissement. La différence y est de plus du
double. Ces hommes et femmes de 80 à 90 ans sont 58 ‰ dans
le Xe arrondissement, ils ne sont plus que 25 ‰ dans le VIe
arrondissement 907. Constat identique pour les départements.
Ceux du Centre, Haute-Vienne, Corrèze, Charente, Dordogne
et Lot cumulent à cet égard les faiblesses : stature peu élevée,
maladies nombreuses, pauvreté diffuse. Pour la première fois
les causes évoquées sont clairement sociales : non seulement
la richesse, mais aussi la culture, le savoir, les comportements
et les habitudes de vie : « Il est remarquable que ces cinq
départements font partie de ceux où l’instruction primaire est
la moins répandue ; et c’est aussi dans ces populations qu’on
trouve en général le plus de réformes pour causes de teigne et
de scrofules, indices d’une grande malpropreté 908. » La
faiblesse physique est explicitement liée à une faiblesse de
savoir : le déficit sanitaire de l’ouvrier ou du paysan tient à
l’ignorance. Thème nouveau, peu développé encore au début
du XIXe siècle, alors qu’il profile une des grandes opérations
de culture engagées dans les décennies suivantes : les
populations laborieuses ont à être éduquées, elles doivent
suivre une instruction. De cette entreprise dépendent leur
travail comme leur santé. L’État qui a rompu avec les
légitimités religieuses et hiérarchiques d’Ancien Régime doit
non seulement être hygiéniste, il doit aussi être pédagogue.
La « force » organique
Au-delà de cette instruction profilée par l’école, un
programme de renforcement physique existe dans les années
1820. Clias ou Amoros en donnent des exemples. Les
exercices qu’ils inventent, dans leurs gymnases de Berne ou de
Paris, sont simples, variés, totalement nouveaux, abstraits
aussi (traction, flexion, extension, rotation…) ; leurs
mouvements y suivent des lignes géométriques (oblique,
horizontale, verticale, courbe…) ; leurs ensembles composent
des séries numérotées et ordonnées du simple au complexe,
avec progressions de difficultés et variations de durées dans
les leçons. Ces mouvements peuvent être exercés directement
sur le dynamomètre qui enregistre leur puissance. L’évaluation
des résultats est inédite, comme le montre Clias lorsqu’il décrit
la « renaissance » opérée en 1815 sur un frêle jeune homme de
dix-sept ans : extension de reins, traction de bras, pression de
mains, toutes ces forces auraient doublé en quelques mois 909.
Les formes du dynamomètre se diversifient d’ailleurs pour
mieux enregistrer les différents mouvements exercés 910. Le
calcul est sans rapport avec celui du XVIIIe siècle où
l’exercice n’était que durcissement de fibres, simple
raidissement, convergence d’oscillations stimulantes. La
nouveauté porte sur la géométrisation des gestes et leur
combinaison ; elle porte sur l’enregistrement des forces et leur
développement.
Autant dire que cette attention aux efficiences implique des
changements plus vastes. Elle suppose une lente
transformation de la culture du corps que seul le contexte
social ou économique permet de mieux comprendre. N’est-ce
pas l’image du travail qui change entre la fin du XVIIIe siècle
et le début du siècle suivant, promouvant une volonté plus
grande de calculer les capacités et de les comparer ? Une
vision déjà industrielle, une économie des gestes et des coûts :
l’inlassable répétition de mouvements spécialisés et précis
pour réaliser les objets « fabriqués » dont parle le baron Dupin
en 1826, dans sa « mécanique des arts et métiers 911 ». Ces
travaux réduits plus qu’auparavant « à un petit nombre de
mouvements 912 ». Les gravures des encyclopédies, leur
recomposition à quelques décennies de distance, illustrent ces
renouvellements. Les mains de l’ouvrier ou de l’artisan,
largement présentes dans les planches de l’Encyclopédie de
Diderot, au milieu du XVIIIe siècle, ces doigts agiles occupant
une partie du tableau pour souligner l’adresse des gestes,
s’effacent dans l’Encyclopédie moderne de Courtin en
1823 913. Le travail mécanique commence à s’imposer sur le
travail habile. La physique l’emporte sur la dextérité ; la
mesure sur le tact.
La gymnastique inspirée de gestes géométrisés acquiert un
statut officiel au début du XIXe siècle. Le gymnase d’Amoros,
ancien colonel espagnol rallié à l’Empire, est inauguré par un
ministre, Latour Maubourg, en 1820 914. Balzac en suit les
cours quelques années plus tard, décrivant dans La
Rabouilleuse des héros étonnants de force, quelques jeunes
gens d’Alençon « alertes comme des élèves d’Amoros 915 »,
s’évanouissant par d’impossibles escalades ou d’insaisissables
fuites dans les rues de la ville. Cette gymnastique pénètre les
dictionnaires du début du siècle, les encyclopédies, les livres
d’hygiène, elle triomphe dans les textes d’amusements et de
jeux. Elle provoque illustrations et commentaires. Elle séduit.
Plus difficile, en revanche, est son installation concrète. Elle
suppose l’aménagement d’espaces, l’usage d’appareillages
spécifiques et coûteux. Modèle inaugural, le gymnase
d’Amoros qui reçoit « les élèves de toutes les écoles
royales 916 » est l’objet d’une diffusion restreinte malgré sa
réplique de Montpellier en 1828 et l’existence de quelques
locaux privés. Une conviction est née sans que naisse une
large pratique. Le gymnase convainc, il impressionne, sans
que s’engage, dans les premières décennies du siècle, une
véritable transformation des habitudes et des comportements.
Au projet étatique de construire une série d’établissements
gymniques se heurte encore la difficulté d’en assurer les coûts
et d’en constituer l’administration.
3. Les prémices du confort
Les chiffres eux-mêmes profilent d’autres priorités que la
seule force musculaire. C’est l’influence bien particulière de
l’aisance et des conditions de vie que mettent en évidence les
« constats » de Péron sur les sauvages du bout du monde ou
les statistiques des préfets sur la mortalité dans les villes et les
campagnes. Insensiblement, le thème de la civilisation devient
argument sanitaire : l’agencement des maisons, leur confort, la
technique de l’habillement, celle des espaces intimes et des
objets quotidiens sont toujours davantage cités comme
assurances de santé.
Premiers objets du « confort »
Le mot confort devient plus fréquent sous la plume des
architectes autour de 1830. Il y acquiert un sens précis,
clairement indiqué par un projet de Victor Considérant décrit
en 1834 917 : une vision des espaces habités, utopique encore,
mais déjà suffisamment crédible pour être au seuil du réalisme
applicable. Les flux d’air et de lumière, ceux d’eau chaude et
de chaleur, sont totalement redistribués : la chaleur, par
exemple, est tirée d’un calorifère central servant à alimenter
les cuisines, les serres, les bains, autant qu’à chauffer les
appartements. Le projet vise à démultiplier les services. Il est
économique puisque ces tuyaux en contiennent d’autres, faits
pour conduire de l’eau courante chaude. Il est pragmatique
aussi puisque visant moins le luxe que l’efficacité. Un réseau
de circuits spécifiques, enfin, permet l’évacuation des déchets
par des conduits regroupés et enfouis.
Le mot confort acquiert ici un sens qu’il n’avait pas, fondé
sur cette vision unitaire de l’ensemble des fluides et sur la
transformation des pratiques qu’elle permet : « On conçoit
facilement combien ces dispositifs d’ensemble sont favorables
à la propreté générale, combien ils font circuler de confort et
contribuent à dépouiller le service domestique de ce qu’il a de
sale et répugnant et souvent de hideux dans les ménages de la
civilisation 918. » La rupture est radicale par rapport aux
« commodités » du siècle précédent. L’appartement n’est plus
seulement traversé par les flux d’air, il l’est aussi par les flux
de chaleur et d’eau. Il faudra du temps, bien sûr, pour que ces
dispositifs s’installent très concrètement, mais le principe est
présent. Il amorce l’agencement d’une « machinerie du
confort 919 » dont le rôle sanitaire est directement associé aux
certitudes de la civilisation.
Plus modestes sont les réalisations tangibles au tout début
du XIXe siècle. Objets et aménagements sont dispersés,
hétérogènes, proches des « recettes de ménage 920 » plus que
de l’entreprise architecturale. Mais ils indiquent clairement les
prémices d’une technologie de l’hygiène : murs revêtus de
feuilles de plomb vendues par la compagnie Hutchinson en
1823 pour isoler du froid 921, ou même revêtus de tablettes en
lave volcanique proposées par quelques marchands
parisiens 922 ; « sandales hygiéniques », « chaussures
imperméabilisées » pour « garantir les pieds contre
l’humidité 923 » ; gilets de flanelle garnis de manches pour
mieux conserver la chaleur 924 ; « chauffe-pieds de santé »
aménagés sous forme d’« élégante boîte métallique »
disposant d’un régulateur et d’une lampe à huile 925 ;
« pupitres chauffants », pour le travail de bureau, que vend
Schwickardi, un mécanicien de la rue Castiglione en 1827 926.
Les baignoires, aussi, apparaissent timidement dans les
logements des privilégiés, mais surtout celles que louent une
dizaine de sociétés parisiennes de « bains à domicile »
transportant cuve, eau chaude et seaux 927 ; ce qui permet,
selon le calcul d’Abel Hugo en 1835, une moyenne de 3 bains
par Parisien et par an 928. L’important n’est pas tant
l’éparpillement de ces objets, leur hétérogénéité, que le souci
technique qu’ils révèlent. Quelques réalisations ont même des
effets bien réels sans que leurs auteurs en soient toujours
conscients : les vitres, par exemple, progressivement installées
dans les maisons rurales durant le premier tiers du XIXe siècle.
Un dispositif qui pour la première fois fait obstacle aux
moustiques dans une Sologne longtemps décimée par la
malaria, alors que le rôle infectieux de l’insecte reste ignoré.
La brique aussi, installée à la place du torchis dans le premier
tiers du XIXe siècle, a un effet semblable en s’opposant à la
nidification des moustiques 929.
C’est bien une technologie préventive qui perce sous ces
instruments disparates du début du XIXe siècle, même si elle
n’est pas toujours consciente d’elle-même : une démarche
engendrant des appareils spécifiques, favorisant leur
conception et leur diffusion.
Civilisation et « force » alimentaire
La hiérarchie entre les techniques sanitaires concerne aussi
les régimes alimentaires. Le constat d’une infériorité des
campagnes renouvelle le jugement sur les nourritures :
légumes, céréales ou farineux ne font plus les régimes
satisfaisants. C’est le manque de viande qui causerait la
faiblesse des départements du Centre : ces régions dont
l’approvisionnement tout particulier en fait « la partie de la
France où l’on consomme le plus de châtaignes : car sur les
2 700 000 hectolitres que l’on consomme en France, ces 5
départements en consomment 1 436 000 930 ». Les paysans
mangeurs d’amidon ne sauraient avoir la vigueur des citadins
mangeurs de viande ; d’autant que, pour être mieux intensifiée,
la force doit être ramassée. Ce que ne permettrait pas le
volume fibreux et encombrant des végétaux. D’où l’indigence
physique attribuée aux paysans « ne vivant que de légumes, de
mucilagineux, qui ont les organes faibles, relâchés, un sang
peu épais, prédisposés aux maladies atoniques, muqueuses,
cachectiques 931 ». Alors que tout le contraire est provoqué par
un régime carné : « Qui ne voit que la diète animale fortifie
tous les organes, vivifie toutes les fonctions 932… ? ».
Cette insistance sur la viande confirme un très lent
enrichissement social, mais aussi l’ascendant décisif des
valeurs citadines. Le hameau de Balzac, dans Le Médecin de
campagne, ce lieu sauvage et isolé pris en charge comme une
mission d’un nouveau genre par le Dr Bénassis, ne prospère
que fortement relié à la ville : il la rejoint, sous l’action entêtée
du médecin, par un réseau de routes élargies, par un flux de
marchandises multipliées, par un échange fortement accru
d’hommes et d’idées. Lentement alors se modifie le régime
alimentaire de ces paysans romancés par Balzac, longtemps
voués « aux pommes de terre et aux laitages 933 ». Leur
nourriture se fait plus carnée, plus diversifiée : « Il s’y récolte
plus de sarrasin pour nourrir la volaille qu’il ne s’en semait
autrefois pour nourrir les hommes 934. » Les infirmités
s’atténuent. effacées par un recours aux viandes blanches et
rouges dont Bénassis juge l’action déterminante : « Je
guérissais les paysans de leurs maladies si faciles à guérir : il
ne s’agit jamais en effet que de leur rendre leurs forces par une
nourriture substantielle 935. » Le médecin de Balzac impose la
viande jusqu’au symbole, promouvant la boucherie en indice
premier de prospérité : « Une boucherie annonce dans un pays
autant d’intelligence que de richesse 936. »
Cette insistance sur la viande avive aussi des questions plus
savantes : la puissance des substances carnées devient plus que
jamais préoccupation de chimiste, thème d’expérience, de
manipulation. Thénard prétend identifier le principe actif des
chairs comestibles dans un suc qu’il isole en 1816 :
l’« osmazome », concentré liquide obtenu en traitant par
l’alcool un jus de viande préalablement dégraissé 937. Procédé
approximatif, bien sûr, hasardeux même, mais qui pour
longtemps donne un prestige particulier à l’extrait de viande et
à ses dérivés : « De tous les constituants des matières
animales, l’osmazome est la plus réparatrice 938. » D’où ces
tentatives nouvelles pour concentrer le jus dans des produits
dits de santé : tablettes à l’osmazome inventées par Cadet en
1820 pour l’usage de soupes ou de bouillons 939 ; chocolat à
l’osmazome, aux « effets toniques et extraordinairement
nourrissants 940 », approuvé en 1825 par l’Académie de
médecine ; poudre à l’osmazome, substance nutritive pour les
voyages ou les situations d’effort, recommandée par le
Dictionnaire abrégé de médecine en 1825 941. Loin des vieux
élixirs, la « force » est insensiblement propagée par des
aliments plus savants, objets d’une collaboration entre le
chimiste et le fabricant.
La santé romantique
L’insistance sur ces substances d’autant plus actives qu’elles
seraient peu volumineuses recouvre un autre déplacement de
sensibilité au début du XIXe siècle : le partage plus aigu entre
maigres et gros. La critique des nourritures exclusivement
végétales est aussi celle de l’excès d’embonpoint qu’elles
pourraient provoquer. Les mangeurs d’amidon ou de féculents
ne seraient pas seulement faibles, ils seraient « corpulents » :
« Les individus qui se nourrissent de farineux sont en général
lourds, indolents, pourvus de beaucoup de sang, plutôt
gras 942. »
L’esthétique n’est pas absente de ces préoccupations sur la
corpulence au début du XIXe siècle. Le conseil donné par
Brillat-Savarin pour l’usage d’une ceinture « anti-obésique »,
faite pour « resserrer à mesure que l’obésité diminue 943 »,
souligne le nouvel agencement du vêtement masculin : le
sanglage de la taille par la ceinture. L’accessoire installé sur
les rabats de l’habit étrangle le ventre, souligne les hanches,
bascule le profil. Les Prussiens envahissant la France de 1815
en offrent les premiers exemples avec leurs uniformes
nettement cintrés : « Les hommes étaient revêtus de petites
redingotes bleues collant sur le corps bombées à l’estomac,
serrées à la taille par des ceintures 944. »
La tenue du dandy, autour de 1820, est l’exemple extrême
de ces formes nouvelles : le profil du « cavalier florentin »
d’Ingres, peint en 1823, exhibe une taille retenue, un gilet
saillant et coloré 945. L’effet du gilet, accentué par les
épaulettes, rappelle la lente prise de conscience du rôle
nouveau donné à la respiration. La poitrine alimente la vie,
modifiant la richesse du sang. Les descriptions en font un
signe plus marqué de force et de santé. C’est sur elle que
s’attarde Edgar Poe en risquant la fiction d’un homme
machine, mécanisme aveugle et vide que la civilisation du fer
permettrait de créer : « Sa poitrine était incontestablement la
plus belle poitrine qu’il m’eût été donné de voir 946. » La
poitrine se détache sur une silhouette longtemps dominée par
le ventre, lui-même longtemps accentué par les lignes de
l’ancien pourpoint. C’est toute la différence entre les gravures
de Moreau le Jeune, autour de 1770, avec leurs habits à pans
évasés ouverts sur le ventre 947, et les gravures des Modes
françaises en 1820 avec leurs habits ceinturés 948.
Le dandy, bien sûr, a une diététique. Byron voyage en Italie
en compagnie d’un médecin qui prescrit exercices et repas. Il
perd 24 kilos en 1807 après avoir multiplié transpirations et
restrictions alimentaires. Les lettres de Byron définissent le
« bon état » du corps par la minceur : « Vous me demandez des
nouvelles de ma santé. Je suis d’une maigreur tolérable que
j’obtiens par l’exercice et l’abstinence 949. » Byron recourt à la
tradition des végétaux, légumes verts et biscuits, à l’eau
gazeuse, au thé, loin de l’importance nouvelle donnée à la
diète animale, mais il rêve bien de maigreur : « Rien ne lui fait
plus plaisir que de s’entendre dire qu’il maigrit 950. » Pour la
première fois, la diététique recoupe très explicitement le projet
d’entretien et le projet d’apparence. Le dandy substitue une
valeur de corps toute physique et personnelle aux valeurs de
rang et de condition promues par l’aristocratie traditionnelle.
La lutte contre la décadence, l’inquiétude sur le mélange des
ordres sociaux, au début du XIXe siècle, le culte de soi qui en
résulte, sont portés par un investissement dans la tenue et dans
la santé, toutes deux étroitement mêlées. Le dandysme tient
dans ce geste pour nous très contemporain, livrant l’individu
aux seules exigences de son affirmation personnelle : les
qualités d’apparence et de corps.
Un prestige des formes massives existe pourtant dans ces
premières décennies du siècle. Le ventre n’a pas perdu toute
dignité dans l’élite bourgeoise, bien au contraire : Balzac
constate avec insistance que le « notaire long et sec est une
exception 951 », celui qu’il décrit est toujours enrobé de graisse
onctueuse ; Briffault définit la silhouette empesée du député
élu à la Chambre de 1831 comme une certitude de dignité 952 ;
Vigny lui-même peut éprouver sa « taille mince 953 » comme
un obstacle à la réussite littéraire. Une maigreur « trop »
visible reste indice de pauvreté, d’indigence. Les miséreux de
Daumier ou d’Henri Monnier se reconnaissent à leur profil
famélique et la mise en scène de Monsieur Prudhomme en
1828, bourgeois « imposant, compassé, un rien
prétentieux 954 », confirme la force visible de la rondeur. C’est
d’ailleurs en observant hommes politiques ou hommes de
lettres que Théophile Gautier prétend au simple constat :
« L’homme de génie doit être gras 955. »
Mais les interminables comparaisons entre les effets
respectifs des diètes animales et végétales, dans ces premières
décennies du XIXe siècle, l’attachement du dandy à une
transformation de la personne physique, le renouvellement des
profils de mode, enfin, montrent combien, pour une part de
l’élite, les valeurs de santé sont déjà mêlées à un affinement de
la silhouette, combien l’image valorisée de l’entretien du corps
tient à celle d’un travail conduit entre soi et soi.
Les turbulences intimes de ce début du XIXe siècle ajoutent
une tension psychologique aux préoccupations sur le corps.
Les voyages de Byron, poussé par quelque instabilité
intérieure, en sont une illustration. « Pèlerin de l’éternité 956 »
comme le dit Shelley, son compagnon d’exil, Byron ne s’est
jamais installé, hanté par une blessure mal avouée. L’image est
presque usée de ces enfants des premières années du siècle
déchirés par quelque rêve inaccessible. Le romantisme a donné
son nom à ce mal particulier : cette espérance impossible à
combler. Un nom générique et flou, mais qui suggère des
attentes nouvelles : la déchirure d’un monde où se sont
effondrés les anciens ordres, où le jeu social semble plus
ouvert, comme plus nombreuses les illusions. C’est une
insatisfaction du présent que manifestent des hommes vivant
après la grande coupure de la Révolution, ceux qui aspirent à
une ascension sociale surtout et mesurent insensiblement ses
limites. D’où leur débauche d’espoirs, leur exaspération, leur
quête d’évasion. D’où surtout cette insistance nouvelle sur les
tensions intérieures, leurs effets physiques, le danger mortel
des penchants tristes : « Tout ce qui était n’est plus ; tout ce
qui sera n’est pas encore. Ne cherchez pas ailleurs le secret de
nos maux 957. » Musset voit une pression étouffante, une
menace quasi vitale, dans ces intensités douloureuses, autant
qu’il y voit une nécessité. Ce qui explique pour lui la mort de
compagnons plus jeunes : « Le seuil de notre siècle est pavé de
tombeaux 958. »
Cette sensibilité révèle une double tension autour de 1830 :
le risque vital des désirs excessifs mais aussi la fascination
qu’ils exercent. La Peau de chagrin est à cet égard un livre
symbole. C’est à trop vouloir et à trop pouvoir que s’expose
Raphaël. C’est ce dont il meurt : « Deux verbes expriment
toutes les formes que prennent ces deux causes de mort :
vouloir et pouvoir 959. » Le texte dit froidement combien la
durée de vie est menacée par l’investissement psychologique,
par l’ardeur et l’appétit. Mais le texte dit aussi la présence
incontournable de cette ardeur. D’autant qu’il y a « beaucoup
du véritable Balzac en ce Raphaël 960 » de La Peau de
chagrin, dissipant fortune, travaux, émotions et projets. Un
Balzac sensible à l’accroissement de liberté, à l’annonce de
promesse jusqu’au vertige que son temps a fait furtivement
entrevoir.
La santé romantique a ajouté un versant psychologique bien
particulier à l’hygiène : le régime de vie est dès lors plus
sourdement et concrètement confronté à la vie personnelle.
Les Journaux intimes du début du XIXe siècle, ceux de
Maine de Biran ou de Benjamin Constant le montrent, rédigés
non pas pour être publiés, mais pour aider leur auteur à trouver
quelque équilibre intérieur 961. Les pratiques de santé sont
renouvelées avec ce début du XIXe siècle, des exigences
collectives aux exigences intimes.
CHAPITRE II

L’invention de l’énergie
L’engagement de l’État devient pourtant l’événement
dominant des pratiques de santé au milieu du siècle. L’hygiène
publique est l’occasion d’investissements plus nombreux, plus
diversifiés, comme le montrent, après 1850, les grands travaux
creusant le cœur des villes pour y enfouir les réseaux d’eau. Le
contenu des arguments préventifs change, surtout, dans ces
décennies centrales du XIXe siècle pour mieux mobiliser la
collectivité. Attentes et inquiétudes sont reformulées. Un débat
s’est noué au point d’en être dramatisé, avant même la
découverte pastorienne : la dégénérescence, l’abâtardissement
progressif de l’espèce, sont brusquement perçus comme autant
de menaces. Ravages physiques de la première
industrialisation, sans doute, avec sa masse croissante
d’ouvriers étiolés, mais aussi prospection de maux plus
secrets, abaissement des naissances, consommation d’alcool,
crainte de désordres, de délabrements intimes, et surtout appel
quasi moral à l’engagement de tous. L’insistance sur une
dégénérescence possible est une façon d’agiter un danger
massif, de mobiliser les consciences, d’inventer des
solidarités : accroître la force des grands messages collectifs
dans une société où s’efface toujours plus l’argument
religieux. D’où la reformulation du projet hygiénique après
1850, la certitude de nouveaux enjeux, l’attention aux
faiblesses morales, par exemple, susceptibles d’inverser le
progrès, celles que la défaite de 1870 a semblé confirmer.
La stratégie mobilisatrice l’emporte évidemment sur les
résultats concrets, mais elle montre l’hygiène toujours plus
enrôlée dans la vaste pastorale nationale. L’État hygiéniste et
régénérateur s’impose à chacun, comme de l’extérieur,
trouvant dans la santé collective l’occasion d’une visée
commune.
1. Le spectre d’une dégénérescence
Les arguments de Starck, médecin de Stuttgart, expliquant
en 1871 la victoire allemande par une « dégénérescence » de la
nation française sont trop caricaturaux, bien sûr, pour être
acceptés ou même repris sous cette forme en France. Starck
accuse les Français d’avoir un cerveau inférieur en poids à
celui des Allemands, il leur reproche d’être victimes de
monomanie des grandeurs et de fréquenter les asiles d’aliénés
en nombre incomparablement plus massif que leurs voisins
saxons ou bavarois. L’Année scientifique se moque de ce
« cher docteur » qu’elle accuse de délire et dont elle explique
le propos par une haine sourde et peu contrôlée 962. Mais le
rédacteur de L’Année scientifique prend au sérieux le terme de
dégénérescence. Il lui a consacré plusieurs articles, dans les
années 1860, avant même le texte tapageur de Starck 963.
Les chiffres relevés au XIXe siècle, après 1850 surtout,
déclenchent régulièrement une interprétation pessimiste : le
nombre de conscrits dispensés pour défaut de taille, ou pour
infirmités, le nombre d’aliénés internés dans les hôpitaux, le
nombre d’enfants illégitimes ou morts au berceau, sont
présentés comme autant de signes alarmants. L’opinion
s’impose d’un risque de déficience quasi biologique. Le 3 mai
1863, le journal Le Siècle rappelle que cette opinion ne se
limite pas aux seuls médecins : « On sait que le ministère de la
Guerre a cru devoir abaisser de quelques centimètres la taille
exigée par les anciens règlements. Serions-nous bientôt forcés
de l’abaisser encore ? Avons-nous une perspective de race
lilliputienne ? » Le journaliste juge ces chiffres
« lamentables ». L’avenir serait à la décroissance.
Scènes et décors de la grande industrie grossissent à coup
sûr l’image autour de 1850. Les enquêtes ouvrières
convergent : les canuts lyonnais y sont de « petits
bonshommes rabougris, les jambes cagneuses 964 » ; les
ouvriers lillois y sont des « individus pâles à la chair molle et
flasque, estropiés de toutes les manières 965 » ; les enfants eux-
mêmes, ceux des courées de Lille par exemple, y sont des
« petits vieillards ridés, mous, flasques, édentés, au ventre
proéminent et dur, à la poitrine en carène de vaisseau 966 ».
Usés, déformés, vieillis, sont les mots dominants de ces
enquêtes lorsqu’elles désignent les ouvriers des fabriques et
des ateliers. Jules Simon dénonce encore « un lamentable
abâtardissement de la race 967 » en visitant les quartiers
ouvriers du Nord après 1870. L’abaissement de la fécondité
par couple, passée de 4,24 en 1800 à 3,16 en 1860 968, ajoute à
cette vision pessimiste, comme la migration urbaine décrite
plus masculine que féminine par les recensements laisse
entrevoir un affaissement des naissances : « Cette
prédominance du sexe masculin sur le sexe féminin dans les
centres urbains peut en partie rendre compte du relâchement
des mœurs et du développement de la prostitution fort
préjudiciable à l’accroissement de la population 969. »
Les hérédités malsaines
Exprimé sous cette forme, le thème de la dégénérescence est
nouveau, bariolé, centré sur l’affaiblissement de quelque force
« génitale ». Son évocation aide à mieux expliquer les santés
étiolées, mais aussi les crimes, la misère : « En 1830 il y avait
10 000 aliénés en France, il y en a 80 000 aujourd’hui et ce
chiffre s’accroît chaque jour en même temps que le
mouvement progressif de la population se ralentit 970. » La
crainte est bien là, celle d’un affaiblissement accru par
l’hérédité, un désordre gagnant les générations comme une
épidémie. Plus largement, la rhétorique dégénérative permet
de rendre compte du mal dans une « civilisation pourtant
puissante, parvenue au premier rang dans les sciences, dans les
arts, dans l’industrie 971 ».
Les nouvelles théories biologiques aident, bien sûr, aux
explications savantes. La démonstration de Lamarck effectuée
quelques décennies plus tôt est exploitée pour des
rapprochements jugés logiques : le constat de filiations
héréditaires au sein d’une même espèce par transmission de
caractères acquis. Les organes mis en sommeil dans la vie de
certains animaux iraient s’atrophiant chez leurs descendants.
C’est ce transformisme qui pourrait expliquer la
dégénérescence : détériorations successives accusées de
génération en génération jusqu’à la déchéance. D’où le champ
brusquement ouvert à l’interprétation des hérédités
malheureuses. Morel, le premier, en 1854, suggère ce
mécanisme d’infirmités croissantes en publiant son Traité de
la dégénérescence 972 : l’hérédité alcoolique, celle du
crétinisme, de la folie, celle de la tuberculose, de la syphilis,
maladies bien précises ou faiblesses diffuses, toutes
susceptibles d’une série sans fin de transmissions morbides.
L’état d’un sujet, son passé, l’attention qu’il se porte, engagent
alors plus que jamais l’état d’une descendance. La surveillance
de soi est une condition de la surveillance de tous.
Inquiétude d’autant plus caractéristique qu’il s’agit, pour la
première fois sans doute, d’évoquer avec elle la race et le sang.
C’est la plainte de Michelet : « la déchéance de la force
sanguine préparée de longue date » et perçue comme « un fait
de ce temps 973 ». Ou plus encore la fresque construite par
Zola illustrant les hérédités malsaines : le déterminisme
corporel implacable reliant les Rougon-Macquart. Gervaise,
l’héroïne de L’Assommoir morte dans la misère et l’ivrognerie
en 1869, a été conçue dans l’ivresse par Antoine Macquart en
1828. Ses quatre enfants sont tous victimes de névrose ou de
folie : la pendaison du peintre Claude Lantier, la fureur
meurtrière du mécanicien Étienne Lantier, suggèrent le
chaînon supplémentaire d’une dégradation s’achevant avec la
mort de Jacques Louis Lantier, en 1869, emporté à l’âge de
neuf ans par son hydrocéphalie 974. La lignée des Rougon-
Macquart multiplie les branches dégénératives où alcool et
folie viennent s’entrecroiser.
Inquiétude culturelle, bien sûr, qui colore les faits, déplace
le regard, au point que Broca est peu entendu lorsqu’il montre
en 1867 le lent accroissement de la taille physique et parle de
« prétendue dégénérescence » : le ministère de la Guerre a
abaissé la taille du conscrit en 1835 pour accroître le
recrutement, mais les exemptions pour « défaut de taille »
diminuent de 831 sur 10 000, en 1835, à 531 sur 10 000, en
1865 975. D’autres chiffres soulignent un lent repli de la mort,
eux aussi indiqués par Broca : la mortalité des nouveau-nés
tombée de 24 % en 1820 à 17 % en 1860, la durée de vie
passée de 27 ans en 1786 à 42 ans en 1856 976. Les chiffres
repris aujourd’hui et prolongés sur la fin du XIXe siècle
confirment l’analyse de Broca : la mortalité masculine passe
de 23 ‰ en 1861 à 19 ‰ en 1911, la mortalité féminine passe
de 22,8 ‰ en 1861 à 17 ‰ en 1911 977. Les disparités
sociales, en revanche, demeurent marquantes : Armengaud
relève un nombre de décès deux fois supérieur, pour l’année
1863, chez les individus de moins de 15 ans dans la classe
ouvrière de Lille, par rapport aux individus de même âge dans
les autres classes sociales 978. Une disparité qui a sans doute
favorisé l’argument dégénératif.
L’inquiétude est d’autant plus forte qu’elle vise la nation.
C’est elle qui est suspectée de « marcher vers la
décadence 979 ». C’est en son nom que les risques sont
évoqués. Des risques focalisés surtout sur le prolétariat
industriel, décrit par Morel comme la classe dégénérée par
excellence, masse mouvante, croissante, acculturée. Le spectre
d’une dégénérescence « digne de fixer l’attention
publique 980 » constitue alors un horizon de pensée, une
certitude sourde sur laquelle s’appuie un intense engagement
de l’État pour assainir, fixer une population instable, aider aux
communications, renforcer l’administration publique. Le
thème dégénératif est le fonds argumentaire accompagnant la
mutation de l’hygiène publique dans la seconde moitié du
XIXe siècle. Il impose le recours à une force surplombant les
individus, celle qui dicte quasiment en dehors d’eux les
normes et les devoirs.
C’est la sensibilité aux fléaux, en particulier, qui est
modifiée : leur brutalité n’est plus celle des vieilles épidémies.
Le thème dégénératif a sélectionné des maux nouveaux en
promouvant des préventions nouvelles. Alcoolisme,
prostitution, hérédités diffuses s’adressent davantage à la
culpabilité et au ressort personnel de chacun. D’où une
conversion des pratiques d’entretien du corps, un souci
préventif visant davantage la décision du sujet, sa force
intérieure. C’est en s’orientant toujours plus vers la morale que
s’approfondit, dans cet univers prépasteurien, la prévention du
XIXe siècle. Le contenu même du malsain s’est déplacé,
jouant avec l’avenir de l’espèce, pesant sur les valeurs
devenues les plus précieuses : l’accroissement et le progrès.
Fléaux dégénératifs et morale préventive
De tous les maux, l’alcoolisme est celui qui associe le plus
clairement l’inquiétude de la dégénérescence et le recours au
sursaut moral. Lancereaux vise directement une acuité toute
intérieure lorsqu’il étudie en 1874 les étapes de la
« dégradation » alcoolique subie par de jeunes ouvriers
provinciaux venus à Paris : l’hérédité, sans doute, mais aussi
l’insensible faiblesse devenue habitude, un manque
d’attention, de décision, un échec de conscience 981. D’où
l’appel à une vigilance personnelle pour mettre fin à un danger
collectif : « Il est un fait que c’est la paresse et surtout le
manque d’énergie des hommes qui les poussent à se livrer à
l’alcoolisme 982. »
Cette dégradation est jugée d’autant plus inquiétante que le
mot alcoolisme est nouveau après 1850. Il définit une maladie,
celle qui ajoute à l’ivrognerie séculaire un ensemble de
symptômes très circonscrits : atteinte du foie, atteinte des
vaisseaux, catarrhe chronique, tremblements et troubles
nerveux, delirium tremens… Il fallait sans doute un
accroissement de la durée de vie et de l’imprégnation vineuse
pour que les effets des boissons soient mieux délimités et
identifiés. Magnus Huss est le premier en 1849 983 à décrire
dans l’espace anatomique du buveur un ensemble de désordres
identiques d’un individu à l’autre : troubles toujours
reconnaissables dans leur succession, leur régularité, leur
gravité. La boisson excessive devient au XIXe siècle un danger
quasi mesuré.
La consommation d’alcool, il est vrai, a nettement grandi
avec le siècle, liée à la lente élévation du niveau de vie, à la
fabrication d’essences industrielles, à la multiplicité des
communications : la production d’alcool pur en France est
passée de 200 000 hectolitres au début du siècle à 891 000 en
1850, et à 2 360 000 hectolitres en 1900 984. La seule
consommation d’eau-de-vie double entre 1850 et 1875,
passant de 585 000 à 1 010 000 hectolitres 985. Croissance tout
aussi accélérée des établissements de vente : 60 000 débits
supplémentaires entre 1855 et 1865 986. C’est d’ailleurs en
échouant de café en café au cours d’une même journée,
associant vin blanc, absinthe ou vermouth, que le Rigimbart de
L’Éducation sentimentale donne une couleur réaliste au décor
de Flaubert 987. La progression alcoolique est indéniable,
durant la seconde moitié du siècle : « eau de soleil », « eau de
braves », « bistouille », « postillon », « rincette », « gloria » ou
« champoreau » alimentent le vocabulaire de buveurs plus
nombreux. Le mal menacerait « d’engloutir les forces vives de
la nation 988 », d’attaquer la volonté, de profiler la « déchéance
de la race et sa stérilité 989 ». C’est l’image de L’Assommoir :
le risque d’un envahissement sans limites des liqueurs
fermentées. L’alambic en instrument diabolique, celui qui,
« sans une flamme, sans une gaieté dans les reflets éteints de
ses cuivres, continuait, laissait couler sa sueur d’alcool, pareil
à une source lente et entêtée, qui à la longue devait envahir la
salle, se répandre sur les boulevards extérieurs, inonder le trou
immense de Paris 990 ».
Le thème dégénératif réactualise l’imaginaire des maladies
proliférantes, celles qui se multiplient en transitant d’un état à
l’autre comme une germination sans fin. Cet alcool bu par
faiblesse serait encore pourvoyeur de tuberculose, un des
autres fléaux du siècle : les fragilités nerveuses, les troubles
digestifs qu’il provoque, ne « s’accompagnent-ils pas d’une
maigreur progressive finissant presque invariablement par la
tuberculose 991 » ? Hayem le dit d’un mot plus trivial, laissant
peser sur la vie ou l’ascendance du tuberculeux un passé de
noirceur : « La tuberculose se prend sur le zinc 992. » C’est
l’alcoolisme qui provoquerait « l’encombrement des
hôpitaux 993 ». C’est lui qu’il faudrait prévenir par un effort de
conscience et de volonté.
La défense contre la syphilis est un autre versant de cette
prévention investie de morale : le mal vénérien ronge la « race
aux sources mêmes de la vie 994 », attaquant l’hérédité par ce
qui semble le plus incontrôlable, le plaisir et le désir. Les
chiffres ici encore seraient autant de preuves d’un
accroissement du mal : les admissions annuelles de vénériens
dans les hôpitaux de Paris, évoquées par Michel Lévy en
1845 : 2 112 en 1804, 5 059 en 1842 995 ; l’infection des
prostituées « proportionnellement plus importante de 1824 à
1832 que de 1812 à 1824 996 » ; les 50 000 hommes de troupe
annuellement infectés par la contagion, évoqués par Garin en
1870 997. Tous chiffres interprétés comme signes dégénératifs,
annonçant « une race infirme, abâtardie, le peuple d’avortons
qu’attend l’orthopédie 998 ».
La distorsion est claire entre le danger réel de la syphilis et
l’angoisse qu’elle provoque. L’infection cause moins de 3 %
des décès à la fin du siècle, la tuberculose en cause 20 %, mais
la syphilis apparaît comme le fléau majeur, celui qui
provoquerait « plus de mal que toutes les maladies
ensemble 999 ». Le président de la Société de médecine
publique et d’hygiène, Bouchardat, souhaite faire naître une
véritable « terreur » à son égard pour mieux « conserver et
préserver l’espèce humaine 1000 » ; le président de l’Académie
et de la Société de médecine du Vaucluse, Yvaren, y voit la
cause première de dégénérescence : « La société tout entière
devrait réunir ses efforts pour écraser ce grand destructeur,
cette mort chronique de la race humaine, pour extirper cette
lèpre immonde qui porte ses coups dans l’ombre 1001. »
Devenu le mal symbole, dans les dernières décennies du
siècle, la syphilis « a vérolé tout l’imaginaire social 1002 ».
C’est son image qui occupe les dérives littéraires de la
décadence et du déclin. C’est à partir de fleurs innocemment
coupées que le Des Esseintes de Huysmans, en 1884, est
poursuivi par la figure hideuse des pourritures syphilitiques.
Les fleurs se transposent en filaments monstrueux, imposant
une obsédante conclusion : « Tout n’est que syphilis. » Envahi
par la certitude des déchéances, projetant ses cauchemars en
hallucinations cosmiques, Des Esseintes devient le témoin
d’une espèce humaine menacée : « Il eut la brusque vision
d’une humanité sans cesse travaillée par le virus des anciens
âges. Depuis le commencement du monde, de père en fils,
toutes les créatures se transmettaient l’inusable héritage,
l’éternelle maladie qui a ravagé les ancêtres de l’homme, qui a
creusé jusqu’aux os maintenant exhumés les vieux
fossiles 1003. »
Protection de soi, protection de l’État
Jamais les dérives individuelles n’avaient à ce point semblé
menacer la protection communautaire. L’appel à la réaction de
la « société tout entière 1004 », au « gouvernement 1005 », aux
« nations civilisées 1006 » pour combattre ces fléaux qui
risquent « d’arrêter la marche ascendante de l’humanité 1007 »,
revient régulièrement dans les textes savants comme dans les
périodiques à vocation populaire. Tentative d’habiller une
morale du devoir. Signe du rôle grandissant prêté à l’État,
arbitre, plus qu’auparavant, des comportements de chacun.
L’initiative étatique est sollicitée, épiée, expliquée : « Notre
code » ne peut « laisser impunie la prostituée qui tue et
empoisonne la société 1008 ». La tentative d’opposer la loi aux
comportements jugés dégénératifs devient alors inséparable de
l’entreprise de protection collective. L’État, dans les dernières
décennies du siècle, légifère sur ces attitudes de plaisir et
d’excès. Mais l’intervention de la loi dans les comportements
les plus personnels ne va pas de soi. C’est la difficulté de régir
la sensibilité, celle d’intervenir sur les agréments privés, tout
en revendiquant la liberté promise depuis la fin du XVIIIe
siècle, que révèlent les lois proposées au XIXe siècle. La
surveillance autoritaire demeure à vrai dire dominante.
La réglementation sur la syphilis le montre, qui choisit un
public cible : les prostituées. Solution plus « simple » qu’une
surveillance étendue à chaque porteur possible du mal.
L’isolement des prostituées dans des maisons publiques ou, au
moins, leur mise en carte, réclamés dès le Consulat, sont
l’objet de demandes croissantes durant le siècle. D’où la
poursuite des filles insoumises, suspectées de communiquer le
mal plus fréquemment parce que moins surveillées. Les
statistiques de 1860 confirmeraient le danger de ces filles trop
libres : « 26,24 cas de maladie sur 100 pour les insoumises ;
1,58 cas de maladie sur 100 pour les filles en carte ou en
maison 1009. » La surveillance doit se fonder sur l’inspection
obligatoire : la visite médicale imposée pour mieux déceler
l’apparition possible de l’infection. Parent-Duchâtelet théorise
cette obligation dans un livre monumental en 1836 :
« Alléguera-t-on en faveur des prostituées la liberté que
chacun possède de faire ce qu’on voudra ? En d’autres termes,
peut-on et doit-on priver les prostituées de la liberté
individuelle 1010 ? » La visite est rendue obligatoire au milieu
du siècle, ainsi que la mise en hôpital si l’infection est décelée.
La critique de ces voies « réglementaires », la conscience de
leur inefficacité relative, sont perçues à la fin du siècle. Lutaud
ironise sur le leurre d’une surveillance autoritaire rendue
irréalisable par l’ampleur même des moyens qu’elle réclame :
ne faudrait-il pas « transformer les 85 000 prostituées de Paris
en fonctionnaires casernés » et faire examiner « tout candidat
en érection » par un médecin inspecteur 1011 ? D’autres
politiques sont tentées, en Norvège dès 1860, adoptées bientôt
par les États-Unis ou le Canada. Elles visent tous les citoyens
et non plus les seules prostituées. Elles poursuivent le malade,
l’individu, et non pas un groupe préalablement désigné :
l’obligation est faite au médecin de déclarer tout nouveau
malade, l’obligation est faite au malade de signer une
information selon laquelle un emprisonnement de trois ans
frappe celui qui infecte ou expose à l’infection une autre
personne. Attitudes tout aussi difficiles, mais plus modernes,
où la loi interpelle la responsabilité de chacun. La crainte du
péril vénérien, la volonté de désigner un milieu coupable,
restent sans doute trop fortes en France : l’existence des
maisons publiques, la réglementation des visites sont
maintenues à la fin du XIXe siècle.
Les obstacles rencontrés dans la législation sur la syphilis, à
la fin du XIXe siècle, sont d’ailleurs proches de ceux
rencontrés dans la législation sur l’alcoolisme : difficulté de
légiférer sur la sensibilité, difficulté de pénétrer les
comportements privés, au nom pourtant d’une défense de tous.
La loi de 1873 sur l’ivresse le confirme. Elle condamne
d’abord l’ivrognerie manifestée sur la voie publique et ses
récidives. Elle sanctionne les actes visibles, quasi publics, de
l’excès. Ce qui ne permet pas d’atteindre l’alcoolisme, ses
consommations éventuellement discrètes mais répétées, celles
que Huss avait dénoncées le premier quelque vingt-cinq ans
auparavant. Difficile, bien sûr, de porter le règlement au cœur
même des comportements les plus privés.
Une autre difficulté contrarie la législation sur l’alcoolisme,
comme la législation sur la syphilis dans cette seconde moitié
du XIXe siècle : la résistance de ceux qui en tirent des
avantages marchands. Les ligues ou amicales d’hôteliers et
d’hôtels meublés résistent aux velléités de suppression des
maisons publiques, comme divers regroupements de
cabaretiers ou de débitants résistent aux velléités d’interdits
des liqueurs et eaux-de-vie. Toute dénonciation tapageuse de
l’alcool déclenche l’opposition des tenanciers à la fin du
siècle. C’est le cas de l’affiche anti-alcoolique placardée dans
Paris, au tournant du siècle : « L’homme qui boit une quantité
immodérée de vin, de cidre ou de bière, devient aussi sûrement
alcoolique que celui qui boit de l’eau-de-vie. » Les auteurs de
l’affiche sont aussitôt assignés devant le tribunal civil par le
Syndicat des marchands de vin et des liquoristes qui obtient
gain de cause en dénonçant « cette affirmation
particulièrement osée en présence des contradictions de la
science 1012 ».
Mais cette affiche qui échoue est elle-même révélatrice.
Elle souligne la place nouvelle attribuée à l’« instruction » :
le prosélytisme et moins la loi. Cette tentative de prévenir ces
maux où la morale a sa part promeut une pastorale
pédagogique d’une ampleur sans égale : une entreprise de
persuasion à la mesure de l’alerte sociale et de la peur
provoquées.
De la moralisation des maux à la pédagogie
Lorsque Michel Lévy souligne en 1845 que, sur 4 430
prostituées recensées, 2 332 ne savent pas signer, c’est pour
mieux relier leur dépravation à leur manque d’instruction 1013.
Lorsque Henri Homo se livre en 1872 à une enquête sur les
prostituées de Château-Gontier, c’est pour mieux confirmer le
nombre infime d’années scolaires qu’elles ont suivies 1014. Les
filles qui se prostituent ne le feraient pas, affirment-ils, si elles
avaient reçu quelque instruction. La conclusion devient
péremptoire : « Partout où l’instruction pénètre, les excès
diminuent 1015. » D’où ces innombrables entreprises
pédagogiques, caractéristiques du XIXe siècle, cette volonté de
transformer les comportements par les Lumières, cette
insistance sur la moralisation et le savoir : « Le seul recours
qui reste ici, c’est de multiplier les leçons et les conseils de
l’hygiène populaire 1016. » La défense contre les maux
dégénératifs repose plus qu’auparavant sur une conviction : le
savoir est une arme privilégiée pour les prévenir.
La lutte antialcoolique est impulsée par un groupe organisé :
la Société française de tempérance, créée en 1873, qui
rassemble quelques milliers de membres autour de diverses
autorités morales, titulaires de l’Institut, professeurs ou
députés. La Société revendique une finalité sanitaire :
« Déraciner l’usage des alcooliques et surtout de l’eau-de-vie
par l’exemple que donnent les membres de la Société et leurs
familles en même temps qu’elle répand dans la population des
idées plus justes sur les fâcheux effets des alcooliques 1017. »
La Société recherche l’effet d’opinion : influencer la
sensibilité ; fédérer les certitudes de quelques-uns pour mieux
peser sur les décisions de tous. Son action est faite de gestes
symboliques et de slogans mis en scène : prix et médailles
récompensant les personnes tempérantes ou les œuvres
édificatrices, édition d’affiches, diffusion de messages,
financement de recherches ou de conférences sur les dangers
de l’alcoolisme. La Société offre le premier exemple d’un
militantisme sanitaire, une entreprise où sont discutés et
promus des dispositifs de santé : placards affichés dans les
salles d’hôpitaux, conférences provoquées dans les usines,
exposés savants suivis de concerts gratuits. L’interrogation sur
les moyens pédagogiques occupe les réunions : les formes de
propagande, le choix des termes ou des images, le recours, par
exemple, en 1875, à « la photographie sur verre projetée à la
lumière oxyhydrique pour représenter les différents états dans
lesquels sont plongés les individus intempérants 1018 ». La
Société édite un livre, Dangers et Abus des boissons
alcooliques de René Picard 1019, qu’elle cherche à diffuser
auprès du ministère de l’Instruction publique, des conseils
généraux, des mairies. Elle multiplie les avis sur la loi de 1873
et prétend surveiller son application. Sa finalité, on le voit, est
double : transformer les mœurs, peser sur les décisions
sanitaires.
Non que l’impact de cette Société française de tempérance
soit massif, dans ces années de 1870 : la revue qu’elle édite ne
dépasse pas les 1 500 exemplaires, le manuel qu’elle diffuse
n’atteint pas les 10 000 exemplaires 1020, les lectures qu’elle
propose dans les hôpitaux, faites publiquement par les malades
eux-mêmes, ne s’écartent guère des prêches simplistes et
martelés 1021. La nouveauté de la Société, pourtant, est de faire
exister une opinion collective et de travailler à son influence.
La manifestation d’une liberté publique plus grande, celle d’un
nouveau militantisme : démarche quasi politique que seul un
État en voie de démocratisation pouvait autoriser. Le débat sur
la prévention en est insensiblement transformé : médecins et
pouvoirs publics, voire architectes, ne sont plus les seuls à
forger les décisions sanitaires, un interlocuteur nouveau joue
un rôle, il a le profil anonyme de l’opinion.
Exemple bien limité, il faut le redire : nombre de membres
de la Société de tempérance sont des médecins, nombre de ses
dirigeants sont des titulaires de l’Académie de médecine.
L’argument propagé reste celui de la terreur à l’égard de
l’alcool énoncée par les médecins. Mais l’expression d’une
pensée sanitaire collective voit le jour, celle d’une opinion
discutée qui aura plus tard son importance. L’exemple est
quasi identique, au tout début du XXe siècle cette fois, pour la
syphilis ; plus révélateur même, puisque peuvent s’y affronter
une Fédération abolitionniste des maisons publiques et une
Société de prophylaxie sanitaire et morale favorable à leur
maintien. La solution reste aux partisans de la réglementation
des maisons, confortés par la terreur du péril vénérien. Des
oppositions pourtant se sont exprimées, donnant à la santé un
versant politique qu’elle n’avait pas.
D’autres exemples confirment ce travail d’opinion : l’Union
française antialcoolique, qui compte bientôt 40 000 membres,
créée par le Dr Legrain en 1891, la Société protectrice de
l’enfance créée en 1865 par Marjolin et reconnue d’utilité
publique en 1869 1022 orientant l’argument « régénérateur »
sur une hygiène infantile, militant pour le recours au lait
maternel et organisant des visites d’enfants placés en nourrice,
le Comité de défense contre la tuberculose créé par Léon
Bourgeois, ou l’Association pour l’accroissement de la
population française, créée en 1896 par le Dr Bertillon, chef
des travaux statistiques de la Ville de Paris. Son objet :
« Attirer l’attention de tous sur les dangers que la dépopulation
fait courir à la nation française et provoquer les mesures
fiscales ou autres propres à augmenter la natalité 1023. »
L’école, enfin, dans les dernières décennies du XIXe siècle,
est au centre de la campagne menée contre les maux
dégénératifs. L’enseignement d’une hygiène protectrice y
apparaît même déterminant. Le décret du 21 juin 1865 crée un
enseignement d’hygiène dispensé par un médecin 1024. La loi
sur l’école publique de 1882 est plus précise, indiquant dans
les matières obligatoires les « applications » des sciences « à
l’agriculture et à l’hygiène 1025 ». C’est sur la croisade
antialcoolique que cet hygiénisme scolaire est d’ailleurs le
plus mobilisé. Le ministère de l’Instruction publique autorise
en 1877 la diffusion de 30 000 affiches intitulées « Avis sur les
dangers des boissons alcooliques 1026 » et éditées par la
Société française de tempérance. Les manuels, ceux de
français surtout, multiplient les épisodes révélant les méfaits
de l’alcool. L’invitation de Simon par ses compagnons
mineurs, dans Monsieur Prévôt, livre de lecture courante pour
le certificat d’études à la fin du XIXe siècle, est l’occasion
d’une longue note sur l’intempérance, qualifiée de « plus
grand fléau de l’humanité 1027 ». L’avis donné aux auteurs de
manuels est d’ailleurs d’offrir « des anecdotes, des histoires
faciles à comprendre 1028 », comme la phrase quotidiennement
calligraphiée au tableau noir : « Le cabaret est un abattoir
d’hommes 1029. » Jusqu’aux images obsédantes de la
pédagogie antialcoolique de la fin du siècle qui entrent dans
cette stratégie, ces foies dessinés sur les murs des classes, ceux
dont parle Marcel Pagnol dans La Gloire de mon père, viscères
« horribles », figurés avec « leurs boursouflures vertes et leurs
étranglements violets qui leur donnent la forme de
topinambours 1030 ».
2. L’énergie qui protège
Aux fléaux dégénératifs ne s’opposent pas seulement la
conviction morale ou la loi, après 1850-1860, mais encore une
pratique préventive rénovée ; un ensemble de comportements
transformés par de nouvelles représentations du corps. C’est
que la machine corporelle n’est plus simple mécanique,
comme au XVIIe siècle, avec ses mouvements aspirants ou
refoulants ; elle n’est plus simple lacis de fibres, comme au
XVIIIe siècle, avec ses filaments enchevêtrés responsables des
forces et des résistances, ou même simple focalisation de
tensions musculaires comme au début du XIXe siècle. Elle est
machine productrice d’énergie, moteur créateur de rendement :
un équivalent des engins à vapeur animant les fabriques de
l’industrie du milieu du XIXe siècle. Son souffle est comparé à
celui « des locomotives dont nous entendons la respiration
puissante 1031 », sa chaleur à celle des « combustibles que
l’industrie emploie 1032 ». Son action illustre les lois de la
thermodynamique théorisées par Carnot en 1824 : une
conversion du calorique en possibilités précises de travail 1033.
D’où la liaison nouvelle entre l’efficacité et les ressources de
chaleur organique. La force des constitutions est l’objet de
mesures inconnues jusque-là : celle de la « capacité
respiratoire vitale », par exemple, qu’Hutchinson évalue avec
un spiromètre en 1846, petite cloche mobile dont le curseur
permet de calculer la quantité d’air propulsée en une seule
respiration. « Le résultat au spiromètre, variant suivant l’âge,
le sexe, le poids du corps 1034 » et la vigueur de chacun,
devient le signe de la « réserve d’oxygène vitale », celle qui
transforme la chaleur en travail.
L’emploi de la dépense « combustive » et sa surveillance
peuvent alors aider la démarche préventive ; une manière de
combattre la dégénérescence conjointement à l’entreprise de
moralisation. L’ensemble des règles de vie sont concernées :
l’art de se nourrir, qui favorise l’échange énergétique, celui de
respirer, qui participe directement aux combustions, mais
encore la propreté, censée favoriser la respiration par
l’entretien des pores. La nouvelle référence énergétique
redéfinit une cohérence entre les pratiques sanitaires les plus
différentes, après 1850, toutes centrées sur une mise en
puissance du feu organique. Une énergie inédite est exploitée.
L’aliment, le poumon, l’énergie
L’aliment, d’abord, est directement perçu comme élément
combustible. Bouchardat le montre jusqu’à la caricature en
1860 lorsqu’il dénombre les atteintes sociales de la phtisie :
233 cas de phtisiques sur 1 000 décès de pauvres, 68 cas de
phtisiques « seulement » sur 1 000 décès de personnes
aisées 1035. L’explication est inédite, focalisée sur le
mécanisme alimentaire : les « tubercules » naîtraient dans le
poumon du pauvre parce que manque chez lui une
calorification suffisante. L’indigence de nourriture provoque
l’indigence du feu, avec son reliquat de matières non
calcinées. Les tubercules sont comme des charbons mal brûlés.
Explication illusoire, bien sûr, mais qui fait de l’aliment le
combustible de l’oxygène pulmonaire. Bouchardat confirme sa
version calorique lorsqu’il suggère une liaison inattendue entre
le diabète et la phtisie : le sucre du diabétique, échappé des
reins sans avoir été brûlé, rend d’une autre manière
insuffisante l’activité des poumons. Sa perte limiterait leur feu,
d’où la naissance possible de tubercules. Le diabétique, plus
qu’un autre, serait exposé au mal pulmonaire : « J’ai assisté à
l’autopsie de 19 [diabétiques], dans les 19 cas des tubercules
ont été observés dans les poumons 1036. » Explication illusoire,
ici encore, mais qui souligne la liaison insistante entre la
nourriture et l’activité du poumon.
Bouchardat suggère alors de prévenir la phtisie par
l’aliment. Il encourage le recours régulier à l’huile de foie de
morue, la brune surtout, celle des morues de Terre-Neuve ou
de Norvège, dont la densité et le pouvoir calorifère seraient les
plus marquants. Boillet recourt au spiromètre pour le prouver,
l’instrument mesurant le volume pulmonaire de chacun :
l’usage de l’huile transformerait la capacité respiratoire 1037,
rendant en peu de temps le souffle plus ample. Loin de se
limiter à assouplir les membres perclus, comme le pensaient
quelques vieux utilisateurs du début du XIXe siècle, l’huile de
foie de morue réveille ainsi le poumon. Bue comme une
potion, le matin, le soir, l’huile convertit les vieux élixirs en
principe d’énergie. Prévention utile aux plus pauvres aussi,
puisque concentrant en peu de substance d’« intenses »
ressources. Son succès est durable. Les procédés quasi
industriels de sa production se multiplient dans la seconde
moitié du XIXe siècle, à Bergen en Norvège, à Terre-Neuve,
comme dans quelques dépôts occidentaux. Une trentaine
d’importateurs français sont dénombrés en 1877 1038. L’huile
« au goût désagréable de poisson 1039 », celle que le
pharmacien Meynet tente en 1875 de présenter sous forme de
dragées sucrées contenant « deux cuillerées à bouche 1040 »,
devient insensiblement un recours familier.
Au-delà du modeste produit, c’est le rôle attribué à l’aliment
qui est transformé. Liebig, le premier, renouvelle après 1840
les catégories nutritives. Le chimiste allemand divise les
aliments en respiratoires et plastiques : ceux qui activent le
feu, ceux qui reconstituent les tissus 1041. La formule s’impose
pour plusieurs décennies, cultivant l’analogie avec le moteur et
orientant les choix nutritifs : « Les aliments sont destinés à
entretenir les combustions tout comme la houille entretient la
chaleur du foyer 1042. » Le but du régime alimentaire est du
coup renouvelé, réglant l’équilibre entre les substances
respiratoires et les autres. Les calculs changent aussi,
indiquant en grammes les aliments brûleurs et les aliments
reconstituants : « Il est journellement perdu 130 grammes de
matières azotées et 310 grammes de carbone, il est évident que
les aliments devront contenir exactement la même somme
d’azote et de carbone 1043. » Les dosages sont facilités par des
tables nouvelles : celles de Payen, celles de Letheby ou de
Jules Cyr permettant d’apprécier la valeur en carbone et en
azote de chaque denrée. Elles indiquent que 100 unités de
viande de bœuf contiennent 11 unités de carbone alors que 100
unités de chocolat en contiennent 58 ; les mêmes proportions
étant de 16 pour le foie de veau et 42 pour les fèves 1044. Le
geste du régime n’est plus le même, composant avec des
chiffres inédits : ceux qui rendent équivalentes une quantité de
pain et une quantité très différente de légumes ou de biscuits ;
seules comptant leur valeur nutritive et leur quantité d’énergie.
Travail et viande de cheval
À quoi s’ajoutent, bien sûr, les différences entre les
situations de travail et celles de repos. L’intensité du feu varie
avec celle du labeur. Le modèle énergétique engendre de
nouvelles tables, celles qui précisent l’indispensable besoin en
carbone ou en azote provoqué par le travail. Un premier calcul
effectué sur des ouvriers anglais et français employés au
chemin de fer de Normandie entre 1840 et 1850 sert de
modèle : il attribue la supériorité anglaise aux 660 grammes de
viande absorbés par homme et par jour, surplus de matière
azotée remplaçant le muscle perdu. Les ouvriers français mis
au même régime camé auraient aussitôt rejoint l’efficacité
anglaise 1045. Le calcul est répété dans les chambres de Hirn :
lieux hermétiques et clos où des hommes effectuant un travail
sont soumis à de rigoureuses mesures, celles de toutes les
« entrées » et « sorties » de leur corps. Hirn, en 1865, certifie
le constat : les déchets azotés de ces travailleurs
expérimentaux sont deux fois plus importants qu’ils ne le sont
au repos 1046. La viande, les protéines, s’imposent, sans
conteste, comme aliment de travail. Il ne s’agit plus
simplement de « force du sang » comme le laissait entendre
Balzac 1047, mais plutôt de rendement énergétique, un jeu sur
l’exploitation calorique et chimique des matières consommées.
L’idée de rentabilité oriente le calcul : « D’après les ouvrages
de mécanique, un manœuvre, portant des fardeaux sur son dos
au haut d’une rampe douce ou d’un escalier, et revenant à
vide, produit un effort moyen de 65 kilogrammes ; à une
vitesse de 0,004 m par seconde, il travaille six heures et donne
un travail de 56 160 kilogrammètres. Comme une calorie, dans
la machine humaine, correspond à 62 kilogrammètres, on en
déduit que 56 160 kilogrammètres exigent pour se produire
905 calories 1048. »
Le manque d’azote, celui que contient la viande, favorise
d’ailleurs la dégénérescence : « Voyez l’Irlande. L’Irlande ?
L’Angleterre régnerait-elle paisiblement sur ce peuple en
détresse si la pomme de terre presque seule n’aidait celle-ci à
prolonger sa lamentable agonie 1049 ? » L’absence de viande
contraint, enfin, à l’usage de forces factices accentuant le
risque dégénératif : « L’homme soumis à un régime
alimentaire insuffisant se trouve fatalement entraîné à
demander aux boissons alcooliques, non pas la force qu’elles
ne sauraient lui donner, mais l’excitation impulsive nécessaire
pour dépenser sans trop souffrir sa propre substance 1050. »
C’est aussi par manque de ressources énergétiques que les
pauvres recourent aux boissons excitantes : rentabilité des
aliments, travail sur le souffle, sont alors jugés convergents.
L’entreprise morale de régénération trouve ses
correspondances physiques. La « mise en énergie » du corps
rejoint durant cette seconde moitié du XIXe siècle l’entreprise
de volonté.
La viande est d’ailleurs la première et quasi la seule denrée
sur laquelle portent les réformes de la nourriture scolaire après
1850. Un arrêté de Fortoul impose en 1853, 140 grammes de
viande pour les grands, 120 grammes pour les moyens, 100
grammes pour les petits, quantités portées respectivement à
200 grammes, 160 grammes et 120 grammes en 1889, après le
rapport d’une commission médicale 1051. Les ajustements sont
plus détaillés encore dans l’armée : la ration de viande, portée
de 250 grammes à 300 grammes en 1873, est subdivisée, après
1890, en ration de cantonnement et ration de campagne. Dans
ce dernier cas, les dépenses sont elles-mêmes modulées selon
l’intensité « forte » ou « faible » de la manœuvre 1052.
Hôpitaux et hospices sont également l’objet de nouveaux
règlements après une circulaire du 27 avril 1864 préconisant
de « donner deux fois chaque jour de la viande à tous les
malades », de privilégier le rôti jugé plus nutritif, alors que la
ration globale pourrait, en parallèle, être diminuée 1053. C’est
en grammes d’azote, enfin, que sont calculés les repas ouvriers
distribués dans quelques « familistères » industriels créés dans
la seconde moitié du siècle. Celui de Godin, à Guise, est
caractéristique : les 130 grammes de matières azotées
« nécessaires » sont obtenus après de rigoureux calculs sur la
quantité de soupe, celle de légumes frais, la portion de
fromage, les grammes de bouilli carné et de pain 1054. Une
frénésie de calculs balaie même les situations de travaux les
plus variés autour de 1860 pour différencier, dans chaque cas,
des régimes alimentaires chiffrés : « tisserands faisant un fort
travail », « ouvriers de marine en Crimée », forgerons,
boxeurs, ingénieurs, soldats ou matelots 1055, mais aussi
situations de « repos », d’« exercice modéré », de « travail
actif » ou de « travail dur 1056 ».
La certitude grandit, au milieu du siècle, qu’il faut
bouleverser le marché de la viande, déplacer les préférences et
les goûts. La viande de cheval, jusque-là négligée ou méprisée,
est au centre d’une véritable campagne de sensibilité. Le
directeur de l’École vétérinaire d’Alfort, Renault, en 1855,
convaincu de l’intérêt économique du produit, se lance dans
un vaste travail d’opinion. Il fait goûter la viande de cheval
aux ouvriers d’Alfort. Il organise des « banquets
hippophagiques » regroupant hommes politiques, journalistes,
savants, hommes de lettres, en vue de faire basculer la
sensibilité collective. Un objectif domine ces campagnes :
mettre sur le marché une viande plus accessible et moins
coûteuse, chercher à en accommoder le goût. Figuier, familier
de ces banquets hippophagiques, vante la valeur du saucisson
de cheval, celle du filet et surtout celle du bouillon :
suffisamment gras pour être « à la fois un aliment albuminoïde
et respiratoire 1057 ». L’initiative a un écho : le préfet de la
Seine autorise l’ouverture de boucheries chevalines le 9 août
1867 ; 5 000 animaux sont abattus chaque année, à Paris, dans
ces négoces d’un nouveau genre ; chiffre estimé à 30 000 en
France, en 1874, pour une viande qui est deux fois moins
coûteuse que celle du bœuf 1058. Renault considère qu’il a,
enfin, rendu accessible « à des millions d’hommes un aliment
réparateur 1059 ».
L’originalité de la campagne est aussi de recourir à des
interlocuteurs nouveaux : journalistes, hommes de science,
académiciens, « ceux qui ont mission d’éclairer l’opinion sur
toutes les questions se rattachant à l’agriculture et à
l’hygiène 1060 ». Les débats sur la santé, on l’a vu, ne se
limitent plus après 1850-1860 aux hommes politiques et aux
médecins : l’opinion a sa part, même si elle est, comme ici,
plus orientée qu’éclairée. La campagne est d’ailleurs la
réplique directe de celle entreprise contre les fléaux alcoolique
ou syphilitique. Les thèmes se répondent, variant seulement du
« négatif » au « positif » : passer de la dégénérescence à la
régénération ; inverser l’affaissement. Au centre de ce
renversement : la vision nouvelle de l’énergie. Il faut dire que
la consommation de viande croît régulièrement au XIXe siècle
pour des raisons plus banales, signe de lent enrichissement,
bien sûr, augmentant de 67 kilos à 80 kilos par habitant et par
an à Paris entre 1866 et 1878, de 52 kilos à 63 kilos par
habitant et par an à Marseille entre les mêmes dates 1061. C’est
l’attention fascinée de Xavier-Édouard Lejeune, modeste
employé accédant à une consommation plus ou moins
régulière de viande autour de 1865 : « Le veau devait être
plutôt blanc que sanguinolent et d’une couleur franche. Le
gigot de mouton de bonne qualité se reconnaissait à certains
indices de provenance. Les moutons des pâturages du Berry et
autres contrées françaises sont généralement gros, plantureux
et d’une chair délicate. Les moutons d’importation allemande
sont plus petits et moins tendres 1062. »
Les métamorphoses du souffle
La visée énergétique ne peut par ailleurs se limiter aux
seules substances alimentaires. L’attention au feu doit s’y
ajouter, ce principe qui dans la machine correspond au foyer et
dans l’organisme à la respiration : l’oxygène brûlant les
denrées.
Cent fois cette évocation du foyer est reprise au milieu du
siècle pour suggérer la prévention et la santé. Rayer cite en
1840 ces troupeaux de rennes transportés du Nord vers le Sud
pour y être domestiqués, mais régulièrement décimés par la
tuberculose : les poumons devenus moins laborieux, les tâches
moins rudes, provoqueraient la maladie en restreignant
l’échange gazeux 1063. Rufz veut prouver à la Martinique que
la phtisie touche d’abord les moins actifs, les créoles blanches
surtout, celles qui ont le moins de dépense respiratoire 1064.
Lagneau explique les phtisies dans les départements industriels
en 1877 par les travaux sédentaires réclamés par les fabriques,
tâches fixes dont les contraintes physiques limitent « le libre
fonctionnement des organes respiratoires 1065 ». L’exercice, au
contraire, inverse ces désordres en accentuant le souffle : son
feu protège plus que jamais. D’où ces innombrables
propositions d’actions préventives : Jaccoud suggère des
ascensions sur plan incliné pour prévenir la phtisie ; il réclame
l’usage d’un bâton « interposé entre la région dorsale et les
bras rejetés en arrière 1066 » ; il utilise également un
pulvérisateur à air comprimé conçu pour mieux pénétrer les
anfractuosités des bronches. La technique vise l’accroissement
du volume intrathoracique. Les stations thermales recourent
d’ailleurs au pulvérisateur, autour de 1860, pour projeter dans
les poumons vapeurs et nuages d’eau 1067.
L’explication des effets globaux de l’exercice change, enfin,
avec cette importance donnée au souffle. Bouchardat décrit en
1861 une pratique déjà nommée « entraînement 1068 » : un
balancement subtil entre l’exercice et le régime. La
préparation du boxeur Crible, par exemple, en vue de son
combat contre Molineau, quelques années plus tôt, surveillant
son poids du corps pour passer en trois mois de 188 à 152
livres après des courses mesurées et une alimentation
ajustée 1069. L’idée est de n’entretenir que la « chaleur utile »
tout en créant une « vitalité plus grande des tissus 1070 ». Il
s’agit, faut-il le dire, d’une nouvelle combinaison entre la
force et l’épurement. La nourriture n’est plus simple cumul
comme dans la représentation traditionnelle, l’évacuation aussi
n’est plus simple rejet. La vision d’une combustion efficace a
tout changé : c’est en brûlant que l’aliment provoque à la fois
l’élimination et l’énergie. L’organisme s’épure et se renforce
d’autant mieux qu’il s’active. Il gagne en rentabilité.
L’exploitation pédagogique de l’exercice est plus insistante
après 1850-1860. Les écoles primaires du Second Empire sont
très directement « encouragées » à créer leur gymnase.
Hillairet qui les visite au nom de l’empereur en 1868 se félicite
de quelques initiatives remarquées. Il cite comme une réussite
les « 242 gymnases… organisés par les écoles primaires du
département de l’Aisne » en 18 mois, entre 1867 et 1868 1071.
Petites salles, modestes à vrai dire, limitées le plus souvent
aux préaux, munies de quelques poids, barres ou bâtons ferrés,
elles abritent une leçon nouvelle. Les exercices d’ordre, la
discipline collective sont une part importante de ces projets.
La République s’empresse de rendre obligatoires ces exercices
bien cadencés. L’objectif, à coup sûr, est moral jusque dans le
choix des chants accompagnant les mouvements des écoliers.
Mais une insistance toute particulière est régulièrement
présente, celle qui fait du « développement de la cage
thoracique 1072 » un exercice obligé. Le travail du poumon
appartient au travail de l’école, dans cette seconde moitié du
XIXe siècle : il développe la santé et rendrait moins
supportable « l’atmosphère méphytique du cercle ou du
cabaret 1073 ».
Plus largement, c’est la sensibilité culturelle envers la
gymnastique qui a changé : Paris comptait 3 gymnases en
1850, il en compte 14 en 1860 et 32 en 1880. La pratique
devient visible, même si elle reste modeste selon les critères
d’aujourd’hui. Elle se spécialise aussi : sur cet ensemble
d’établissements, 4 déclarent avoir des finalités hygiéniques en
1860 alors qu’ils sont 14 en 1880 1074. L’établissement de Paz
est un des plus caractéristiques : une publicité le dénommant
« Grand Gymnase médical », en 1867, lui attribue une
fréquentation annuelle de 600 élèves 1075, soulignant les soins
annexes de massage ou d’hydrothérapie qu’il peut offrir. Le
Petit Journal lui consacre la totalité de sa première page, le 22
janvier 1875 : « La gymnastique médicale et rationnelle ne
fait-elle pas partie de l’hygiène nouvelle ? 1076 » Paz est
d’ailleurs le premier à présenter sa gymnastique comme un
modèle global de lutte contre les maux : « Un moyen
infaillible de prévenir les maladies et de prolonger
l’existence 1077. » Flaubert décrit la même attente préventive
chez Bouvard et Pécuchet lorsque, dans leur quête hétéroclite
et passionnée, il les montre recourant à la gymnastique après
avoir successivement expérimenté régimes, religions, lectures
de médecins, voire de charlatans 1078.
L’installation quasi exclusive des gymnases dans la partie
ouest de Paris, durant la seconde moitié du XIXe siècle, révèle
l’extension limitée de cette pratique 1079. Elle suggère aussi la
différence entre une gymnastique conçue pour l’école, avec
ses mouvements collectifs et scandés, et une gymnastique
choisie par l’élite, plus individuelle, disposant d’appareils
coûteux, faits de sangles, d’extenseurs et de potences mobiles
pour mieux développer le dessin des silhouettes. Il faut redire
pourtant que la véritable transformation est ailleurs. Elle tient
à l’image de la santé. Les signes de la robustesse ont changé.
Le souffle est à prendre en compte, recomposant les repères de
la résistance organique. La certitude de Michel Lévy :
« Calculer la capacité respiratoire vitale, c’est puiser de
précieuses indications pour la mesure de la force des individus
et la prophylaxie de leur mode d’imminence morbide 1080. »
L’indice combinant la hauteur de stature et le périmètre
thoracique, utilisé par l’armée française à la fin du siècle pour
réformer les « mauvaises » recrues, en est l’exemple concret.
Il permet d’obtenir un « coefficient de robusticité 1081 »
déployé ici sur cinq degrés possibles. L’appréciation des
constitutions devient plus subtile, moins immédiatement
séduite par la force apparente.
Un principe « total »
Impossible, enfin, de saisir l’importance du principe
énergétique après le milieu du siècle, sans en mesurer
l’extension toujours plus grande. Tous les conseils hygiéniques
en sont transformés après 1860. Gallard, par exemple, y
recourt pour expliquer les effets de la propreté : l’entretien de
la peau permettrait un afflux d’oxygène traversant les pores.
Assurance affirmée dans de très officielles leçons aux
instituteurs, données durant l’Exposition universelle de 1867 :
« La peau, bien nettoyée, est plus assouplie, elle fonctionne et
elle respire mieux ; car la peau respire comme les poumons, et
le sommeil, pris dans ces conditions, produit un repos
infiniment plus réparateur, qui donne à tout l’organisme une
nouvelle vigueur, une nouvelle énergie 1082. » L’entretien des
surfaces corporelles améliore la combustion organique. La
certitude est identique pour Yvaren, médecin avignonnais
rédigeant de véritables mémoires professionnels en 1882,
après plusieurs décennies de pratique : « La peau absorbe, de
même qu’elle respire 1083 » ; ou pour Beaugrand corrigeant la
sixième édition du Traité d’hygiène de Becquerel en 1877 et se
félicitant d’une multiplication par dix des bains publics
parisiens entre 1816 et 1876 : « On donne par an 1 818 500
bains ; ce qui, pour une population agglomérée de 950 000
habitants, fait 2,23 bains par an et par habitant 1084. »
Le thème thermodynamique du contrôle des pertes et du
calcul des rentabilités concerne à vrai dire l’ensemble des
comportements. La dépense sexuelle, par exemple, cantonnée
jusque-là à une place plutôt discrète dans les conseils
hygiéniques, y acquiert un enjeu souligné. Le souci du chiffre,
l’inquiétude d’un déficit précieux, dominent préceptes et
recommandations. Une véritable « bible hygiénique » pour
jeunes époux vient s’ajouter aux vieux tuteurs moraux. Debay,
par exemple, dans un livre édité plusieurs dizaines de fois
entre 1850 et 1870, comptabilise le nombre d’actes
hebdomadaires « supportables » selon l’âge et le
tempérament : « De vingt à trente ans, l’homme marié peut
exercer ses droits deux à quatre fois la semaine. De trente à
quarante ans l’homme doit se borner à deux fois par semaine.
De quarante à cinquante ans, une fois. De cinquante à soixante
ans, une fois tous les quinze jours et moins encore si l’on n’en
ressent pas le besoin 1085 » ; la « seconde vieillesse » étant
condamnée à une continence indispensable à sa survie. Le
raisonnement semble rigoureusement économique : ménager
la substance pour maintenir la chaleur et favoriser les forces
organiques. La liqueur précieuse participe aux réserves, aux
dépenses, aux efficacités, celles dont les pratiques hygiéniques
tirent leur sens après 1860. Le désir féminin, jugé plus avide,
plus trouble par l’homme du XIXe siècle, n’aurait qu’à
s’identifier aux prescriptions masculines : « Quoique la femme
puisse, sans inconvénient, répéter l’acte amoureux plus
fréquemment que l’homme, elle aura néanmoins raison d’en
être sobre, puisqu’il est avéré que celles qui en abusent sont
sujettes aux tristes affections des ovaires, de la matrice et à ce
mal terrible qu’on nomme le cancer 1086. »
Le modèle énergétique oriente les logiques sanitaires, dont
propreté ou sexualité ne sont que des exemples parmi d’autres.
3. L’énergie, la ville, le travail
Ce calcul sur les dépenses et les rentabilités n’a pas
seulement transformé la vision des défenses corporelles autour
de 1860. Il a transformé celle des défenses collectives. L’usage
de l’eau le montre, indissociable, au même moment, des
réflexions sur l’urbain. Non plus l’eau qui rafraîchit l’air,
comme au XVIIIe siècle, liquide courant sur le pavé pour en
éloigner l’odeur ; mais l’eau qui « travaille », celle qui
alimente « les besoins de l’industrie 1087 » en assurant « le
développement et la prospérité des villes 1088 ». Un principe
s’est imposé : « Plus l’eau est abondante, plus l’industrie se
développe 1089. »
La ville drainée
La conception nouvelle, cent fois décrite déjà, est celle du
drainage : réseau invisible charriant nourritures et déchets,
comme celui du sang. « Les galeries souterraines, organes de
la grande cité, fonctionnent comme ceux du corps humain,
sans se montrer au jour 1090. » De la captation des eaux claires
à la perte des eaux usées, l’ensemble de la chaîne hydraulique
est repensée par Haussmann. Les canalisations sont enfouies,
communicantes, censées atteindre chaque maison dans un
mouvement de flux et de reflux. Les sources lointaines, plus
« pures », et non plus la rivière en sont l’amorce. Les eaux de
la Vanne et de la Dhuys, captées dans les plaines de
Champagne, conduites par canalisation fermée en 1865 sur les
hauteurs de Paris, s’opposent à celles des vieux réservoirs
issus de la Seine où Bouchut, dans un rapport à l’Académie de
médecine en 1860 décrivait, flottant « en suspension, une
innombrable quantité d’êtres vivants qu’on prend à la cuillère
comme dans un potage 1091 ». Le réservoir de Ménilmontant
illustre le nouveau dispositif avec ses deux salles voûtées et
étagées : l’une retenant l’eau de source destinée à l’usage
domestique, l’autre retenant l’eau de rivière destinée à l’usage
industriel. La rivière est maintenant directement suspectée. Les
anecdotes se multiplient, dans les années 1860, sur les
hommes morts pour « avoir avalé une gorgée 1092 » d’eau de
Seine. Le captage des sources, seul, doit éviter le mal.
L’idée de l’égout collecteur aux branchements invisibles et
rayonnés achève la représentation machinique et organique de
l’alimentation urbaine, celle d’un travail « intérieur » assuré
par les flux : « Les sécrétions s’y exécuteraient
mystérieusement et maintiendraient la santé publique sans
troubler la bonne ordonnance de la ville et sans gâter sa beauté
extérieure 1093. » C’est en 1860 que commencent les premiers
travaux du tout-à-l’égout parisien. Les chiffres confirment
l’extension du dispositif entre 1860 et 1880 : les abonnements
d’eau passent de 8 770 en 1855 à 40 596 en 1875 ; la longueur
des égouts passe de 120 kilomètres en 1850 à 530 kilomètres
en 1875, et à 650 kilomètres en 1880 1094.
Dernier avatar de l’énergie dans ce réseau urbain à visée
sanitaire : l’idée de rendre productrices les eaux usées pour
mieux les rendre inoffensives ; faire travailler les déchets.
Haussmann formule la proposition en 1858. Élie Joliclerc la
concrétise quelques années plus tard. Concessionnaire de la
Ville de Paris pour la totalité des eaux d’égout en 1867, il tente
de réaliser un double objectif : éviter que l’eau des collecteurs
ne soit déversée dans la Seine, exploiter les matières ainsi
dérivées. Joliclerc utilise les eaux du collecteur d’Asnières,
débouchant dans le fleuve au-dessous de Paris et menaçant
Versailles ; il capte le flux, l’oriente vers la plaine de
Gennevilliers par une pompe à vapeur de 4 chevaux avant de
le faire servir aux cultures 1095.
L’originalité n’est évidemment pas dans la simple
application de l’engrais. Elle est dans la liaison entre l’énergie
et l’effacement du danger ; le recours à la force du déchet pour
annuler sa menace : « L’épuration par la combustion des
matières organiques dans le sol est le seul procédé connu
donnant des résultats satisfaisants 1096. » Il faut ce retour à la
terre, ce « cercle qui se ferme 1097 » où toute énergie serait
épuisée pour que le déchet soit lui-même « épuré » :
« Combustion lente, naturelle par le seul effet du passage des
eaux à travers les molécules du sol 1098. » Le principe en est
adopté pour Paris en 1877, l’exploitation s’étend aux plaines
de Chatou, de Saint-Germain, d’Argenteuil. Londres, enfin,
prolonge ses égouts jusqu’au bord de la mer pour rendre tout
simplement « fertiles des sables sans valeur 1099 ». Une
rentabilité promue en principe d’épuration.
Ce modèle de drainage des villes ne s’est pas imposé
d’emblée. D’autres modèles perdurent durant la seconde
moitié du XIXe siècle. Les eaux de Marseille restent captées
dans la Durance et séjournent longuement dans des réservoirs
clos pour perdre leurs boues. Les eaux de Lyon restent captées
dans le Rhône et sont filtrées sur des bancs de sable 1100. De
même la diffusion atteint-elle difficilement les logements à la
fin du XIXe siècle. Les chiffres relevés par Jean-Pierre
Goubert confirment résistances et archaïsmes : « Seules, en
1892, 290 villes sur 691 distribuent l’eau sous pression et la
délivrent à leurs abonnés. Ces 290 villes rassemblent
4 512 941 habitants, mais ne comptent que 127 318
abonnés 1101. » Plus hasardeux encore demeure le réseau des
eaux usées. L’enquête de Bechman en 1892 révèle que 90
villes sur 691 « disposent d’égouts auxquels ne sont raccordés
que 156 054 abonnés 1102 ». L’instrumentation est coûteuse,
complexe, ce qui explique les lenteurs de sa mise en place. Le
modèle généralise si fortement la maîtrise des flux qu’il peut
paraître à beaucoup irréalisable.
L’appel à l’énergie, pourtant, avec ses drainages et ses
rentabilités, fonde le principe des assainissements citadins.
Du travail régénéré au travail « protégé »
Cet appel à l’énergie accompagne enfin un nouveau rapport
au travail : le projet régénérateur réclame une participation de
tous. Non plus la réclusion ou l’éloignement des moins aptes,
comme dans la France classique 1103, mais leur redressement
et leur fusion dans la machine industrielle. L’énergie portée
par la première industrialisation tolère mal la perte. Elle
impose le concours de chacun. C’est le sens des croisades sur
les dangers dégénératifs. C’est le sens d’un aménagement des
cités minières, autour de 1860-1870 : « Le Creusot n’est pas
simplement une usine, c’est un véritable monde à part, une
sorte d’empire du fer, qui pourrait prendre pour devise : “Tout
pour le fer”. 22 000 personnes sont uniquement concentrées
dans cette idée dominante : extraire du minerai de fer 1104. »
L’assainissement énergétique concourt à cette totalisation. Un
idéal d’ordre et de rangement dont France-Ville, la cité
imaginée par Jules Verne dans Les 500 millions de la Bégum,
reste un repère magnifié. Le renforcement d’une police
sanitaire mise en devoir « d’amortir les prédispositions
morbides héréditaires 1105 » à travers une batterie
d’instructions collectives. Celles que colportent encore les
instructions de 1850 après le choléra de 1849 : désencombrer,
faire circuler l’eau, « porter la pioche dans les quartiers
pauvres 1106 ».
C’est de l’intérieur même du travail pourtant qu’allait
lentement naître un mode de pensée plus complexe. Il fallait la
confrontation aux tâches industrielles, le constat répété des
risques, l’explosion des machines, l’encombrement des
ateliers, les chocs. Il fallait les aléas d’une énergie devenue
menaçante pour que l’image de l’assainissement ne se limite
plus au thème des nettoiements. Reybaud pose le problème en
visitant Le Creusot dans les années 1870 : « Le jeu des
moteurs est une menace perpétuelle pour l’intégrité des
membres. Point de distraction, ni même d’oubli sous peine
d’être enlevé par une courroie ou broyé par un
engrenage 1107. » La prévision de l’accident doit devenir enjeu
d’assainissement.
Très hésitante a d’abord été la prise de conscience. Le
thème de l’accident provoque depuis le début du XIXe siècle
des litiges confus. C’est que les causes en sont souvent
nombreuses, obscures, mêlant intentions humaines et
déterminismes physiques. Chaque épisode tragique conduit à
soupçonner l’ouvrier, celui qui règle ou conduit la machine.
L’accident reste un drame, certes, mais exclu de toute
réparation, rapporté le plus souvent sans commentaire, comme
l’indique Le Prisme en 1841 : « Mme Angel est mère de quatre
enfants. Son mari est mort l’an dernier, pris dans l’engrenage
d’une machine à vapeur… On dit, entre voisins, qu’un ouvrier
était mort et qu’il laissait une femme et des enfants ; l’émotion
s’arrêta là 1108. »
C’est une garantie nouvelle pourtant qui est réclamée autour
de 1850-1860, plus fondamentale, établie sur la responsabilité
première du maître. Ce que montre la décision de la cour de
Dijon en 1878 : un ouvrier puddleur intente un procès contre
De Wendel pour avoir été atteint par des particules de fonte en
ignition. Un premier arrêt déboute l’ouvrier au nom de son
imprévoyance. Mais l’ouvrier reproche à De Wendel de
n’avoir pas imposé aux puddleurs des mesures protectrices
exigées pour d’autres ouvriers de la fabrique. La cour de Dijon
juge le reproche fondé : le patron ou « directeur d’industrie »
se doit, « sous peine de faute, de prévoir les causes non
seulement habituelles, mais simplement possibles d’accidents
et de prendre toutes les mesures qui seraient de nature à les
éviter 1109 ». Du coup naît une réflexion nouvelle sur les
conditions de la sécurité industrielle, l’environnement des
ateliers, l’évitement des chutes et des chocs.
Plusieurs décisions jurisprudentielles conduisent à des
règlements nouveaux, comme le décret du 1er mai 1880
imposant la nécessité « d’entourer d’étuis de bois ou de
grillages les parties dangereuses des appareils avec lesquels les
ouvriers n’ont pas affaire 1110 », ou édictant les épreuves
auxquelles doivent être soumises les machines à vapeur pour
être « conformes » : « Un timbre apposé après l’épreuve
indique en kilogrammes par centimètre carré la pression que la
vapeur ne doit pas dépasser 1111. »
Manquent encore les inspecteurs pour appliquer
rigoureusement les textes autour des années 1880. Manque
aussi la volonté de promouvoir l’impartialité, celle du
jugement équitable entre patrons et ouvriers. Les statistiques
sont ici formelles : plus de 80 % des accidents restent à la
charge des ouvriers autour de 1880, alors que de 12 % à 15 %
seulement sont à la charge des patrons 1112. Manquent enfin
certaines mises en concordance entre les découvertes bien
réelles de dangers chimiques et l’aménagement des ateliers. La
surveillance des meules à métaux par exemple n’est pas
respectée en 1880, alors que certaines d’entre elles pourraient
être rendues moins dangereuses. Le procédé d’Ancelin permet
depuis le milieu du siècle d’humidifier les meules et
d’endiguer les poussières métalliques qu’elles projettent. Un
calcul effectué en Angleterre révèle une espérance de vie
supérieure de 20 ans chez les ouvriers recourant au dispositif
humide par rapport à ceux qui ne l’utilisent pas 1113.
Une « hygiène industrielle 1114 » naît pourtant dans cette
seconde moitié du siècle qui ajoute aux accidents mécaniques
les risques d’intoxications les plus variées. L’exigence d’une
sécurité physique ouvrière a pris une forme qu’elle n’avait pas.
Le territoire de l’hygiène publique est redessiné. C’est un
double constat qu’impose la jurisprudence sur le devoir
patronal après 1850-1860 : l’État arbitre la sauvegarde
physique. Un État protecteur se profile dans les règles
d’assistance accordées « théoriquement » aux plus démunis.
Le deuxième constat porte sur l’image même de l’ouvrier. Les
exigences ici se déplacent. Au regard attendant de l’ouvrier un
sursaut de décision et de volonté pour mieux combattre la
dégénérescence s’ajoute un autre regard, plus égalitaire : celui
qui fait des attitudes et des comportements ouvriers le résultat
direct d’un environnement physique. Beaucoup, parmi les
médecins ou les politiques, commencent en cette fin de siècle
à interpréter l’« alcool du pauvre » comme une conséquence
de la misère, et non l’inverse 1115. Beaucoup commencent à
envisager l’imprévoyance comme une conséquence possible
du dénuement et des situations de travail : « L’imprudence est
forcée, elle est inévitable, elle résulte du travail lui-même ;
l’ouvrier au travail est exposé au péril à tout instant, il n’y
songe pas, il n’y peut songer ; s’il y songeait, il ne
l’affronterait pas 1116. » D’où la nécessité d’une protection
précise capable de prévenir jusqu’à l’inattention de l’ouvrier
lui-même. Et surtout l’insensible apparition d’un droit, celui
de la santé, indépendant des intentions de chacun.
C’est bien à partir de la référence énergétique que sont nées
de nouvelles images du corps et de nouvelles pratiques de
santé. C’est de cette référence aussi qu’est née une extension
du territoire sanitaire jusqu’à la prévention des accidents et
leur prise en charge par des mesures étatiques.
Prise de conscience très lente, il faut le redire, où les coûts
financiers de la protection sont autant d’occasions de
résistances et de retards. L’archaïsme est d’ailleurs quelquefois
plus confus, plus sourd, dans cette seconde moitié du XIXe
siècle, portant sur le modèle énergétique lui-même. D’anciens
modèles du corps demeurent vivaces. Le seul exemple des
formules publicitaires, dans les journaux des années 1860-
1880, en donne la confirmation.
4. L’archaïsme de l’élixir
Les publicités exploitées par la presse sont nouvelles, dans
la seconde moitié du siècle. Leurs placards aident à financer
des journaux devenus plus nombreux. Ces placards accordent
une place aux usages préventifs. Ils informent sur les sirops,
pilules, cordiaux ou toniques susceptibles de protéger le corps,
révélant au passage la culture du temps. Plusieurs de ces
produits correspondent, bien sûr, à la nouvelle attente
énergétique.
D’autres, au contraire, suggèrent l’existence de repères
sanitaires anciens. La séduction de l’élixir traditionnel, par
exemple, très présente encore dans les journaux populaires, ou
celle des vieux épurements d’humeurs. Des représentations
archaïques du corps coexistant avec celles de la modernité du
siècle.
Les potions publicitaires
Lorsque L’Illustration exalte l’eau de mélisse des Carmes
en 1864, le journal insiste sur le sérieux avec lequel d’austères
religieux ont préparé le produit. Ils ont appliqué un très
lointain secret. Une formule venue « en droite ligne des
druides qui la tenaient eux-mêmes des héritiers du prophète
Élie 1117 » ; tradition quasi sacralisée par cette présence du
vieux prophète. Le principe ne change pas lorsque l’almanach
du Musée des familles, en 1867, prône le thé du comte de
Saint-Germain : mystérieuse boisson que le « fameux comte
de la Cour de Louis XV » aurait utilisée pour atteindre son
« extraordinaire longévité 1118 ». La publicité de cette seconde
moitié du XIXe siècle mobilise croyances et convictions, alors
que l’appel à la science n’a jamais été aussi présent. Le thème
de la « panacée », depuis longtemps oublié par le savant,
conserve ici une crédibilité. La « Revalescière du Barry »
s’oppose autant à la gastrite qu’à la phtisie, aux rhumatismes
qu’à l’insomnie, aux hémorroïdes, aux glaires, aux
étourdissements 1119…
Plus révélateur est l’appel à des représentations
« anciennes » du fonctionnement corporel. Un mécanisme
organique identique est au centre des recommandations, il est
évoqué par plus des deux tiers de ces publicités : la purge. Le
rôle de l’eau de mélisse et du thé du comte de Saint-Germain
est le même : tous deux « purgent légèrement et sans
provoquer de coliques 1120 ». Le corps, pour ce public à
dominante populaire, mais aussi pour les lecteurs plus aisés du
Temps ou de L’Univers, s’entretient largement encore par
l’action sur les déchets. La constipation conserve un danger
sourd et réitérant. C’est contre elle que s’accumulent les
potions : l’« Affecteur » Boyveau, le biscuit Ollivier, l’eau de
Pullna, le charbon de Belloc, les pilules « végétales
gourmandes » Cauvin, la « podophylle » Coirre, le « Tamar
indien », l’eau Laferrière, le biscuit Caroz, les capsules
Laroze, l’« Apozème de santé » Lemaire. Les produits non
purgatifs eux-mêmes sont mobilisés contre la rétention des
déchets : le charbon de Belloc, par exemple, « remède par
excellence contre la constipation », alors qu’il « ne purge
pas 1121 ». Quelques formules rappellent les antiques
représentations d’humeurs, l’entretien opiniâtre de leur
écoulement pour mieux alléger les organes : « On emploie
encore le thé de Saint-Germain pour établir une dérivation
douce et prolongée sur l’intestin à la suite des congestions ou
apoplexies du cerveau, dans les catarrhes chroniques,
etc. 1122 »
Le temps, bien sûr, a marqué ces vieilles craintes. Les
produits au milieu du siècle sont industrialisés, promus
quelquefois sous l’apparence de la science elle-même ; leur
action de surcroît est toujours « mesurée », calculée jusqu’à
l’insensible : la purge parfaite est celle qui ne se ressent pas.
L’abondance de pilules ou d’élixirs purgatifs confirme,
pourtant, combien survivent les attentes traditionnelles malgré
le renouvellement des représentations.
L’ambiguïté des toniques
Les messages publicitaires adressés plus directement aux
médecins ne doivent également pas tromper, même s’ils
évoquent les découvertes nouvelles ou les médicaments déjà
connus : quinquina, huile de foie de morue, « reconstituants
nutrimentifs 1123 », extraits de « viande crue », comme l’élixir
Ducro, primé par une médaille d’argent à l’Exposition
universelle de Paris en 1875 1124. Leur modernité est acquise,
bien sûr. Le fer apparaît quelquefois dans ces denrées
composites. La découverte de fer fixateur d’oxygène dans les
cellules du sang promeut le minerai en nouveau partenaire de
la respiration. D’où la multiplicité de formules publicitaires,
autour de 1870, sur les « eaux ferrugineuses », les sels
« arsenico-ferriques naturels 1125 », les dragées au « phosphate
de fer tri-basique soluble 1126 ».
La caractéristique commune, pourtant, de plusieurs de ces
produits savants est qu’ils sont tout simplement mêlés au vin,
valorisés par leur accompagnement alcoolisé. Une quinzaine
de vins différents servent de véhicule au quinquina, au fer ou
au phosphate de chaux, dans le seul Journal d’hygiène pour
l’année 1876. Certains de ces vins seraient d’ailleurs
médicamenteux par eux-mêmes : le Saint-Raphaël, par
exemple, « prescrit exclusivement comme fortifiant dans les
Hôpitaux de Paris 1127 » ; ou le malaga, « tonique et digestif de
premier ordre 1128 ». La publicité médicale prolonge ainsi la
force des vieilles croyances. Elle puise dans la tradition,
rappelant elle aussi l’attirance pour l’élixir.
Une action nouvelle est reconnue à l’alcool dans la seconde
moitié du XIXe siècle : le vin aide à brûler l’oxygène. Le
produit est énergétique, il est aliment respiratoire. Sa
puissance calorique est suffisamment soulignée pour
apparaître nécessaire à la ration du soldat comme à celle de
l’écolier 1129. Mais l’accumulation des formules publicitaires
sur ces alcools médicaux, la diversité de leurs présentations,
celle de leurs usages, autour de 1870-1880, révèlent
d’obscures tolérances dans le langage du médecin lui-même.
Rochard, sévère pourfendeur de l’alcoolisme, inspecteur
général du Service de santé de la Marine en 1880, prétend que
« l’ivresse du vin reste inoffensive et se dissipe à la faveur
d’un sommeil prolongé 1130 », alors que l’ivresse due à l’eau-
de-vie, rendue toxique par la concentration d’alcool, serait le
vrai danger.
À la croisée du modèle énergétique et de la tradition
tonique, le vin conserve une trouble séduction. La croyance à
sa force survit chez ceux mêmes qui dénoncent l’alcoolisme.
Images vieillies et rénovées à la fois, leur repère n’est pas
encore abandonné. Les liquoristes et épiciers de la fin du siècle
parviennent encore après plusieurs procès à arracher la vente
du vin de quinquina aux seuls pharmaciens. Un jugement de
Lyon en 1888 autorise un débitant d’alcool à vendre du vin de
quinquina, estimant que ce produit « fortifiant » ne doit pas
être « considéré comme une composition relevant de la
pharmacie 1131 ».
Avec la coca utilisée dans certains vins, le maintien
d’archaïsmes est plus marquant encore. La science semble ici
tout déclencher. Elle permet de concentrer la force de la coca,
vieille pâte régénératrice des Indiens d’Amérique du Sud, par
l’isolement de son alcaloïde, en 1867 : la cocaïne. Plusieurs
firmes de pharmacie diffusent en France, dans les années
1870, du vin à la coca. La publicité du vin de Bain par
exemple s’attarde à la présence de « feuilles de coca
parfaitement authentiques et de premier choix, provenant des
plantations de M. Bollivian, ex-ministre plénipotentiaire de
Bolivie à Paris 1132 ». Le vin Mariani est plus connu grâce à
l’ingéniosité de son auteur. Mariani multiplie les envois
gracieux de son « vin à la coca du Pérou » : il adresse une
centaine de caisses au pape, quasi le même nombre au
président de la République, plusieurs dizaines de caisses à des
célébrités diverses. Il utilise ensuite les remerciements pour
composer des albums publicitaires d’un nouveau genre :
collections gravées où se juxtaposent les visages et les textes
de signataires notoires. Hommes de lettres, savants, hommes
politiques vantent alors l’effet « magique » de la potion du
« sorcier » Mariani recourant tout naturellement à l’image de
l’élixir ancien : « Vieux nectar olympique dont la recette
perdue depuis tant de siècles aurait été retrouvée dans les
archives des Incas de la préhistoire par un savant qui est aussi
un poète 1133. » La publicité de Mariani s’attache aux
traditions : « L’arôme subtil de la coca péruvienne se mêle
harmonieusement à la générosité du vieux vin de
France 1134. » Gustave Toudouze, l’auteur de Madame
Lambelle et de La Séductrice 1135, exprime avec le plus de
force cette passion inédite pour ce vin dont l’effet cocaïnique
lui reste mystérieux : « Véritable philtre magique, élixir
merveilleux [rendant] tout flambant de jeunesse nouvelle, de
passion de vie 1136. » Le toxique, non encore perçu comme tel,
maintient pour plusieurs décennies le prestige de ce vin aux
effets peu expliqués en 1870-1880. Produit accessible enfin,
son prix de 5 francs la bouteille équivalant au salaire journalier
moyen d’un ouvrier en 1880 (4 francs pour un ouvrier
boulanger, 6,50 francs 1137 pour un ouvrier tailleur) rend sa
consommation possible au-delà de la seule bourgeoisie.
Le vin Mariani est le témoin du progrès de la chimie en
1880 et même de la publicité, comme celui d’une insistance
sourde sur la magie des élixirs.
CHAPITRE III

De l’hygiène des lieux


à l’hygiène mentale
En décelant les corpuscules parasites prospérant dans les
œufs de vers à soie et décimant les élevages, Pasteur résout en
1865 un drame devenu économique pour les paysans du Midi :
les magnaneries dévastées par l’épidémie sont sauvées 1138.
Mais Pasteur fait aussi entrer la lutte antiépidémique dans sa
phase contemporaine. La certitude de Tyndall en 1882 : « Tout
le monde est maintenant d’accord sur ce point que certaines
maladies sont le produit de la vie parasitaire… La mauvaise
odeur qu’exhalent les égouts et les fosses d’aisances n’est pas
toujours la cause des maladies qu’on leur attribue 1139. » Un
accident survenu sur les eaux de la Vanne montre l’efficacité
de la théorie, même si elle est mal exploitée encore en 1890.
Cet accident impose l’usage temporaire d’eau de la Seine entre
le 31 octobre et le 5 novembre 1890, alors que le fleuve
charrie le bacille d’Eberth, porteur de la fièvre typhoïde,
découvert peu d’années auparavant. Rochard pronostique
aussitôt un accroissement des morts par cette fièvre dans le
Paris de décembre 1890. Le constat s’impose sans surprise : la
« marche de la fièvre typhoïde 1140 » est ascendante quinze
jours plus tard, pour croître encore en décembre : le chiffre
moyen des victimes hebdomadaires, limité à 11 au moment de
l’accident, s’élève à 51 entre le 7 et le 14 décembre, avant de
redevenir « normal » vers la mi-janvier. La prévision est
« vérifiée ». Le prestige nouveau de l’instrumentation savante
donne à ce constat grandeur nature la « valeur d’une
expérience de laboratoire 1141 ». La découverte pastorienne
peut renouveler le génie préventif, même s’il demeure ici
étrangement défaillant. Mais elle prolonge aussi une
dynamique culturelle amorcée avant elle : l’attention à des
sources toujours plus cachées du mal, laver ce qui ne se voit
pas, repousser ce qui ne se sent pas. Le travail sur le microbe
achève un travail sur le sensible. Le thème du microbe offre
surtout plus de prise aux mobilisations collectives : registre
inépuisable de références scientifiques, concision d’une
pédagogie de la santé, pastorale hygiénique où la nation
prétend renforcer sa cohérence dans l’engagement de chacun
pour la défense de tous.
1. « Maladies évitables »
Dans ces années de la fin du siècle, les traces de ferments
transmissibles sont recherchées comme autant de preuves
tangibles. Cornet détaille les investigations faites dans la
chambre d’hôtel où meurt de tuberculose en 1890 une actrice
berlinoise : recueil de poussières sur le bois du lit où reposait
la tête, sur les cadres des tableaux, les coffres, les étagères,
insistance sur le danger de ces particules transmettant la
tuberculose à des cobayes inoculés 1142. Le pharmacien Dornet
en 1890, à Souillac, reconnaît au microscope la présence du
« pénicillium glaucum » dans un confit de dinde avarié qui l’a
intoxiqué quelques jours auparavant 1143. Grancher décèle en
1889 le vibrion septique dans des poussières du sol dont il
confirme la virulence par l’inoculation d’animaux
témoins 1144. Le laboratoire a transformé les savoirs. Les
microbes s’observent, leur nombre se calcule, leur effet se
prévoit.
Les dangers invisibles
De coup, les dangers hygiéniques ne sont plus les mêmes
dans le dernier tiers du siècle. Une multitude de vigilances
anciennes deviennent inutiles ou sans objet : les alertes sur la
force des vents, l’aridité du sol, la pauvreté apparente ou
l’odeur des objets sont le plus souvent réduites à l’anecdote.
La vérité sanitaire s’énonce moins dans le recensement de tout
incident physique ou géographique que dans l’identification de
colonies bactériennes localisées et précises. Le danger s’est
resserré : il suffit « de simplifier les précautions à
prendre 1145 », dit très justement Bruno Latour dans une
analyse récente de la découverte microbienne. Protéger les
plaies n’impose plus de prospecter sans fin les miasmes
environnants, mais plutôt d’aseptiser la partie lésée. Une
économie de la prévention s’est substituée à sa profusion. Il y
a du défi autant qu’une vérité inédite dans l’affirmation de
Koch en 1888 : « Les maladies infectieuses et spécialement les
épidémies militaires ne sont jamais produites par la saleté, par
la viciation de l’air provenant de l’entassement des hommes,
par la faim, la pauvreté, les privations, ni par la somme de tous
ces facteurs. Leurs germes spécifiques, seuls, peuvent les
produire 1146. »
D’où des différences plus aiguës entre les maladies. Chaque
microbe a sa transmission propre, sa durée d’incubation, ses
principes d’action. Chaque germe est une espèce. Il se
reproduit aussi distinctement que le font des animaux
différents : « Si vous semez la variole, vous n’obtenez pas la
fièvre scarlatine, mais la variole indéfiniment et rien
d’autre 1147. » Les contrastes morbides se sont creusés. Ce qui
permet au ministère de l’Instruction publique en 1889 de
réglementer les durées de contagiosité selon chaque maladie
éruptive et d’imposer différents temps d’absence aux écoliers
malades : 40 jours après la première invasion pour la
scarlatine, 20 jours après la disparition des quintes pour la
coqueluche, 22 jours « à partir du début » pour les
oreillons 1148. Ce qui simplifie encore l’observation des
communications et des contacts. Quatre formes de
transmission pour la fièvre typhoïde, par exemple, sont
rigoureusement recensées : directe immédiate… contact avec
le malade, directe médiate… séjour dans la pièce du malade,
indirecte immédiate… contact avec les effets du malade,
indirecte médiate… contact avec les personnes ayant approché
le malade 1149.
D’où, enfin, la différenciation des défenses : ce sont les
déjections du malade qui sont les plus dangereuses dans les
cas de fièvre typhoïde ou de choléra, ce sont les produits
d’expectoration qui sont les plus dangereux dans les cas de
diphtérie. Les exemples abondent, d’une efficacité d’un
nouveau genre. L’usage d’eau bouillie supprime en 1878 les
décès par dysenterie sur le vapeur l’Aveyron, alors que les
morts dépassaient 20 % pour ces transports de soldats malades
entre Saigon et Toulon 1150. Le recours aux solutions
antiseptiques après 1880, dans certains hôpitaux parisiens, fait
chuter la mortalité provoquée par « les plaies des grandes
articulations 1151 » de 85 % à 16 %. Le recours aux étuves
désinfectantes en 1890 sur le Béarn, paquebot français venant
de Rio de Janeiro, met fin à l’épidémie de fièvre jaune qui
règne à bord 1152. Le recours au lait stérilisé fait brusquement
chuter la mortalité des nourrissons. Les procédés industriels de
stérilisation, ceux de Winter-Vigier, de Monti ou de Gaertner,
bouleversent définitivement l’« allaitement artificiel 1153 » : les
morts en bas âge dues aux diarrhées infectieuses passent, entre
1903 et 1912, de 1 857 à 1 203 pour les enfants parisiens 1154.
Ce qui transforme, il faut insister, les taux d’espérance de vie à
la naissance. Une conclusion traverse les textes des hygiénistes
de la fin du siècle : objets dangereux plus « visibles »,
menaces sanitaires plus circonscrites.
Une certitude aussi traverse ces textes : l’assimilation du
plus grand nombre de maladies au modèle infectieux. Le
cancer par exemple ne pourrait s’expliquer autrement en
1900 : « Le microbe encore inconnu résiderait dans le sol
humide, les moisissures des maisons, sur les légumes, salades
et fruits crus 1155. » C’est en garantissant la propreté que se
prévient le cancer : « Lavage méticuleux des mains après avoir
touché une tumeur, maison sèche sur sol sec, désinfection de la
chambre du cancéreux 1156. » Plus encore, ces désordres nés de
micro-organismes sont brusquement jugés « maladies
évitables ». L’Académie de médecine le dit dans son long
rapport de 1896 : « Le microbe, voilà l’ennemi 1157. » Une
croyance toute positive gagne certains hygiénistes de la fin du
siècle promettant jusqu’à l’« extinction 1158 » possible des
épidémies.
La maîtrise du vaccin ajoute, bien sûr, à cette croyance.
C’est le travail sur le bacille qui fait toute l’originalité de la
découverte pastorienne : c’est l’isolement du germe, sa
culture, son traitement comme objet « maniable ». Un travail
particulier qu’illustre l’expérience sur le vaccin charbonneux
des poules en 1878 : le ferment du charbon est d’abord
modifié, « préparé », avant d’être injecté ; atténué dans sa
virulence par une emprise technique que Duclaux définit
clairement en 1898 : « Le charbon et le choléra des poules ont
cette grande supériorité sur la vaccine et la variole qu’on voit
leurs microbes, qu’on peut les cultiver, étudier leurs propriétés
à leurs divers états de virulence et mettre en conflit leurs
puissances différentes avec les sensibilités, les réceptivités
d’animaux inégalement vaccinés 1159. » Le vaccin transforme
les ferments en objets « maîtrisés » : enclos dans une culture,
limités dans leurs développements, calculés dans leurs effets.
L’ambition est alors de créer un vaccin répondant à chaque
microbe pour éviter toute infection.
Une invasion ?
La lutte contre le microbe prolonge celle engagée contre la
dégénérescence. Ce sont les négligences, les rusticités que
poursuivent ici les conseils d’hygiène. Ne faut-il pas toujours
davantage alerter ? Dénoncer l’imprudence de ces trois
menuisiers dieppois, morts en vingt-quatre heures en 1892
après avoir mangé dans la chambre d’un cholérique alors
qu’ils étaient avertis du danger 1160 ; celle de ces familles de
Privas, refusant les mesures d’isolement durant l’épidémie de
croup en 1895, alors que la diphtérie demeurait encore
localisée sur la place Foirai, au centre de la cité
ardéchoise 1161 ; celle de ces locataires omettant toute pratique
de désinfection alors que leur appartement était précédemment
occupé par des familles tuberculeuses 1162 ; celle de ces
matrones rurales enfin, provoquant des morts par fièvres
puerpérales en pratiquant des accouchements avec des mains
infectées 1163. L’engagement contre le microbe, c’est aussi
celui de l’élite et du savoir.
La microbiologie peut ainsi multiplier les craintes, alors
même qu’elle avait rendu le danger plus focalisé, plus isolable.
Il lui faut étonner, frapper les consciences. Une façon de
renforcer l’image de l’institution savante autant que le statut
de l’hygiéniste, mais une façon aussi de convaincre en alertant.
D’où ces injonctions sur les bactéries pullulant dans les plus
minces volumes d’air ou d’eau : unités insaisissables,
« dormantes », amoncelées. Duclaux, le directeur de l’Institut
Pasteur à la fin du XIXe siècle, insiste sur les 15 000 bactéries
décomptées par mètre cube d’air à la salle Michon de la Pitié
en octobre 1896, ou sur les 6 970 bactéries décomptées, au
même moment et dans les mêmes conditions, à l’hôtel de ville
de Paris 1164. Il insiste encore sur les 1 840 bactéries
décomptées par centimètre cube d’eau, l’hiver 1888, à
l’arrivée parisienne des sources de la Vanne, ou sur les 6 565
bactéries décomptées, au même moment et dans les mêmes
conditions, à l’arrivée des sources de la Dhuys 1165. La Revue
d’hygiène souligne, non sans allusions sociales, le nombre de
bactéries relevées par centimètre carré sur le sol de wagons
berlinois : 12 624 en 4e classe, 5 481 en 3e, 4 347 en 2e, 2 583
1166
en 1re . Les calculs sont effectués sur des pièces de
monnaie : 3 500 bactéries sur chaque louis d’or, mais quelque
11 000 sur des billions de bronze, pièces semblant « contenir
la proportion la plus élevée de microbes 1167 ». Les calculs
sont effectués sur la peau : 20 espèces de bactéries différentes
sont dénombrées à la surface du corps par un correspondant de
la Revue d’hygiène en 1894 1168. Les calculs sont effectués
dans les orifices du corps : Vignal dit avoir découvert dans la
bouche de l’homme sain des microbes jusque-là inconnus,
d’autant plus redoutables qu’ignorés 1169.
D’où un ensemble de pratiques proposées pour contenir
l’envahissement. Gestes nouveaux dont l’efficacité est plus
présumée que vérifiée : le lavage de la langue, attentivement
nettoyée au savon et « grattée avec les dents 1170 » pour mieux
éviter tout dépôt de germe sur les papilles ; l’évitement du bain
au bénéfice de la douche pour empêcher que les microbes ne
stagnent sur la peau 1171 ; la préférence donnée à une
respiration exclusivement nasale, censée mieux faire obstacle
aux poussières et aux microbes de l’air 1172 ; la surveillance
sourcilleuse des insectes et mollusques du sol, enfin, limaces,
vers de terre ou larves susceptibles de ramener à la surface des
microbes dangereux ; Richard et Grancher disent avoir
« inoculé le tétanos à des animaux en leur insérant sous la
peau des parcelles de terre qui adhéraient à des pommes de
terre et à d’autres légumes 1173 ».
Les « délires de contagion », notés par Dauchez en 1891, ne
sont que la version extrême de ces précautions insistantes ;
comme la vigilance de cette patiente parisienne, Mme L.,
« changeant de vêtement et se lavant avec de l’eau phéniquée
chaque fois qu’elle entre ou sort de son appartement 1174 » ;
comme la crainte de ces propriétaires refusant de louer à des
médecins ou exigeant que les malades empruntent l’escalier de
service 1175. La poussière devient l’objectif nouveau des
inquiétudes domestiques : celle que chasse fiévreusement, « au
point d’en oublier de préparer les repas 1176 », la femme du
vieil instituteur décrite par Jules Renard, dans son Journal, en
1892 ; celle qu’efface avec une batterie de plumeaux Nadaud,
le notaire provincial d’un roman de Boylesve à la recherche de
quelque « ordre idéal 1177 » ; celle encore que redoute Baudot
dans plusieurs bureaux publics lorsqu’il recommande en 1894
de ne jamais balayer à sec ni d’épousseter dans une salle où
travaille un employé tuberculeux, mais au contraire de
multiplier sur toutes les surfaces nettoiements et lavages
humides 1178. Contrepartie de la révélation pasteurienne, une
« microbiomanie 1179 » semble née.
La poussière est l’exemple canonique d’un
approfondissement de l’attention hygiénique, celui qui va du
plus visible au moins visible. Dans la grande ascension de la
vigilance sanitaire, la « promotion » de la poussière constitue
une des ultimes étapes sur le chemin de la sensibilité
d’aujourd’hui. La maîtrise nouvelle sur le mal fait apparaître,
comme toujours dans ce cas, d’autres inquiétudes, plus
nombreuses, inconnues jusque-là.
Les microbes et les mœurs
La volonté de convaincre, il faut le redire, a sans doute pesé
sur les craintes de cette fin de siècle : c’est pour mieux rompre
avec les « errances » du passé que sont ainsi accumulés les
chiffres « précis » de la présence microbienne. D’autant que
restent nombreux, autour de 1890, les obstacles à la
compréhension des situations contagieuses. Marie Bashkirtseff
le montre bien involontairement lorsque, atteinte de
tuberculose, elle visite des médecins qui n’osent lui avouer son
mal : « Ils m’énervent tous ces docteurs ! J’ai fait examiner
mon gosier : pharyngite et catarrhe, rien que cela… 1180 » Les
précautions prophylactiques ne sont jamais évoquées dans
l’entourage de Marie, tant la maladie est à la fois pressante et
effacée, lancinante et déniée : « Le docteur prétend que ma
toux est purement nerveuse. C’est possible parce que je ne suis
pas enrhumée 1181. » Marie meurt après plusieurs séjours dans
les stations thermales, toutes censées soigner sa toux. Ce sont
ces « ignorances » bien sûr qui mobilisent les hygiénistes 1182,
convaincus de les combattre en suggérant l’invasion
microbienne.
Outre ces insistances toutes pédagogiques, c’est un véritable
travail de culture qui habite l’argumentation microbiologique.
L’allusion aux dangers microbiens n’a fait qu’aviver un
renouvellement déjà amorcé vers le milieu du siècle, celui des
pratiques de propreté, l’attention encore balbutiante aux zones
corporelles invisibles et cachées. La peur du microbe a ici
prolongé la mentalité nouvelle, elle a rendu plus vive une
sensibilité déjà présente. Le lent développement des bains-
lavoirs populaires dont Liverpool donne le modèle en
1842 1183, les premières expériences de Dunal en 1861 sur
l’installation de douches disposées en séries dans les casernes
marseillaises, les premières expériences de Merry Delabost en
1873 sur les cabines de douches d’eau chaude installées dans
la prison de Rouen 1184, ne doivent rien, bien sûr, aux
découvertes de Pasteur. Leur origine tient plutôt au
développement des réseaux d’eau, à une culture plus intime du
corps, à la volonté d’orienter les pratiques populaires. Les
aménagements sanitaires, l’individualisation des distributions
domestiques, les circulations souterraines, tous ces lourds
travaux urbains commencés au milieu du siècle, ne
s’expliquent pas par l’alerte microbienne. Ils sont, au
contraire, « aidés » par elle, rendus plus légitimes, plus
pressants.
Les métaphores et images sur les microbes, suscitées par les
tensions sociales et politiques de la fin du siècle, jouent
d’ailleurs un rôle dans cette convergence culturelle. C’est une
« guerre » que conduit Adrien Proust lorsqu’il est envoyé sur
la frontière pyrénéenne en 1892 prendre des mesures contre le
choléra : « L’année dernière quand nous étions menacés du
côté de l’Espagne, M. Proust est parti tout seul affronter
l’armée ennemie qui était déjà sur la frontière et il l’a
terrassée 1185. » Une guerre que chaque individu, chaque
corps, devrait reprendre à son compte. La présentation de
frontières corporelles menacées, celle d’un pouvoir organique
fragilisé, celle d’ennemis microscopiques mais féroces,
« barbares qui ne connaissent qu’une loi, la loi de la
multiplication 1186 », renvoient, selon l’occasion, aux révoltes
sociales du temps ou aux intimidations prussiennes.
Ces images, bien sûr, sont orientées par la conception
cellulaire du corps, celle dont Virchow a, le premier, montré la
précision et la complexité en 1858 : un corps fait de
corpuscules innombrables, unités microscopiques conjuguées
pour former un « organisme 1187 ». La vision est aiguisée
encore par la découverte de Metchnikoff en 1882 1188 :
l’identification des phagocytes, ces cellules chargées de
reconnaître et de détruire les corps étrangers aux organes. La
lutte contre le microbe possède dès lors ses agents intérieurs,
ses particules de vie dont l’hygiéniste doit favoriser le travail.
Ce sont elles qui focalisent le recours aux métaphores
guerrières, transposant la santé en terre d’affrontement et de
mission, « véritable empire 1189 » avec ses conflits, ses assauts,
sa police et ses armées. Les glissements de termes se
multiplient. Pasteur n’engage-t-il pas la science contre le
danger du « chancre prussien », lui-même « s’envenimant
comme une tumeur malsaine 1190 » ? D’où ces dispositifs
sanitaires présentés comme autant de combats : l’individu,
plus qu’auparavant, devient responsable de la dégénérescence
ou du sursaut collectifs. L’enseignement des microbiologistes
rejoint celui des politiques à la fin du siècle. C’est dans un
double sens, celui du corps, celui du pays, qu’il faut entendre
la mobilisation individuelle prônée par Jules Rochard en
1897 : « La moindre solution de continuité, l’érosion la plus
insignifiante, peuvent servir de porte d’entrée au
microbe 1191. »
Ce thème microbien peut d’ailleurs accompagner le projet
colonial. C’est à détruire les contagions venues d’ailleurs, les
sources lointaines de fange que devraient s’employer les pays
d’Occident. Poincaré préconise en 1884 un blocus local autour
de tout mal exotique 1192. La conviction grandit avec la fin du
siècle : envoi de délégations sanitaires dans les stations du
Levant, Constantinople, Alexandrie, Djeddah, Damas, Suez,
Fao, Aden, pour mieux surveiller les dangers qui y règnent et
interdire aux malades d’emprunter les bateaux venus
d’Europe 1193. D’où la dispense des quarantaines et
l’accélération des échanges. La volonté de maîtriser le microbe
convergeant quelquefois avec celle d’accroître les territoires
dominés.
2. L’espace « sanitaire »
Locaux et aménagements intérieurs sont évidemment
« touchés » par la révolution pastorienne. Ce que montre
Tyndall, le Louis Pasteur britannique, lorsqu’il inaugure le tout
premier musée d’hygiène à Regent Street au cœur de Londres
en 1883. Il souligne la création d’un univers sanitaire avec ses
objets spécialisés, ses espaces, ses fabricants et son
marché 1194. L’exposition sur l’hygiène à la caserne Lobau de
Paris en 1886 exploite le même principe : divers tuyaux de
verre livrant les flux au regard y font apprécier le mécanisme
des circuits, la qualité des branchements, la force des
alimentations et des débits 1195.
Impossible, ici encore, d’attribuer le changement à la seule
découverte microbienne. L’instrumentation de l’hygiène dans
ces dernières années du siècle est aussi le résultat d’un
insensible travail sur l’espace. L’intimité de corps, par
exemple, y conquiert une place qu’elle n’avait pas.
Le « génie sanitaire »
Non que le renouvellement des instruments sanitaires ne
doive rien au pastorisme, bien sûr. La mort de deux familiers
du prince de Galles en 1883 est expliquée par la déficience des
canalisations intérieures : la mauvaise fermeture d’un tuyau de
descente issu des water-closets de leur appartement aurait
laissé refluer odeurs et bactéries, provoquant fièvres et
contaminations 1196. La découverte des germes renforce la
préoccupation technique, rendant plus précieux la sûreté des
mécanismes hydrauliques et l’isolement des circuits.
Matériaux lavables, tuyauteries, appareils distributeurs,
constituent un nouveau registre technique pour les
constructeurs, autour de 1880. Celui que les architectes
qualifient de « plomberie d’eau 1197 » ; ou que quelques
techniciens, avec plus d’originalité, qualifient de « génie
sanitaire 1198 ». Des substances plus étanches, plus lisses,
transforment les décors : en Angleterre d’abord, en France
aussi, où Jacob parvient à vernisser et à émailler les argiles de
Pouilly-sur-Saône en 1886, avant qu’une dizaine de fabricants
ne diffusent le produit en 1890 1199. Grès et céramique se
substituent lentement à la fonte et au bois pour les meubles et
réceptacles mis au contact de l’eau.
Un dispositif particulier triomphe dans l’instrumentation
nouvelle : le siphon, dont le contour coudé est placé sous le
fond des cuvettes, des cuves ou des éviers, interrompant toute
communication avec les matières dangereuses. L’isolement
qu’il provoque est hermétique : l’eau qu’il retient interdit tout
reflux. Principe régulièrement assimilé aux nouveaux
appareillages, le siphon symbolise les pratiques hydrauliques
de la fin du siècle. Sa silhouette est au centre des images
publicitaires diffusées par les fabricants d’objets sanitaires
durant l’Exposition universelle de 1889, au point que la
maison Jeauménil et Rambervillers présente le dessin de sa
marque en l’entourant entièrement de ces motifs aux lignes
contournées 1200. Le siphon illustre deux objectifs
d’aménagements intérieurs : le renforcement des débits
domestiques, d’une part, le cloisonnement de chaque point
d’eau, d’autre part. Seule une puissante alimentation liquide
permet d’évacuer les vidanges par ce tuyau coudé ; mais seul
aussi ce procédé maintient une étanchéité entre intérieur et
extérieur.
Il faut les interrogations de quelques architectes de « la
vieille routine 1201 » pour mesurer le changement. Celles des
constructeurs d’une usine de textile, par exemple, en 1877,
disant avoir dû établir « des lieux d’aisances dans les salles de
tissage pour faciliter la surveillance » et regrettant
l’« inévitable » envahissement des miasmes et des odeurs. La
réponse de La Semaine des constructeurs est formelle : l’usage
du siphon aurait évité désagrément et danger – il permet pour
la première fois de placer « les lieux d’aisances à côté d’une
pièce couramment habitée 1202 ». Toute la différence avec les
certitudes du milieu du siècle qui imposaient encore de
« placer les latrines loin des chambres à coucher et du centre
des appartements 1203 ». Le siphon possède de surcroît une
efficacité sanitaire : il préserve le corps en isolant les matières.
Encore faut-il que l’eau parvienne en quantité suffisante dans
les étages. Le siphon domestique suppose la desserte de
chaque appartement, voire de chaque appareil. Sa diffusion est
liée au lent acheminement de l’eau installé à la fin du siècle,
celui qu’ont décrit Siegfried Giedon ou Jean-Pierre Goubert :
« L’eau courante fait son apparition tout d’abord dans les
caves, puis aux étages et finalement dans chaque appartement.
Les mots sont statiques. Seule une projection animée pourrait
rendre compte du cheminement de l’eau à travers l’organisme
même de la cité, son bond vers des niveaux plus élevés, sa
distribution dans la cuisine et, pour finir, dans la salle de
bains 1204. » Il faut la loi enfin pour renforcer cette
alimentation : le texte sur l’hygiène publique du 15 février
1902, par exemple, qui consacre son premier article à
l’acheminement de l’eau et oblige le maire de chaque
commune à « déterminer les prescriptions relatives à
l’alimentation en eau potable des maisons 1205 ».
Mais c’est aussi l’attente toute particulière de
« confortable », et non seulement l’influence du
microbiologiste, qui commande ces dispositifs. L’exigence est
précise, clairement indiquée par La Semaine des constructeurs
en 1888 lorsque cette revue insiste sur l’« indépendance
nécessaire de chacune des pièces ou de chacun des
appartements affectés à tel ou tel membre de la famille 1206 ».
La qualité des nouveaux lieux habités tient à leurs possibilités
d’isolement autant qu’à celles de leur mise en réseau. Ce que
dit la baronne Staffe en 1892 lorsqu’elle prétend
« transfigurer » le cabinet de toilette, pourvu d’eau courante et
mieux conçu pour les soins intimes : « La femme fait de son
cabinet de toilette un sanctuaire dont personne, pas même
l’époux aimé, surtout l’époux aimé, ne franchit le seuil 1207. »
Une intimité nouvelle se crée, facilitée par la flexibilité des
conduites d’eau, leur diversité, leur rapprochement des
chambres. Plusieurs appareils se combinent, facilitant la
suppression des domesticités intermédiaires. C’est le nouvel
appartement d’Edmond Rostand évoqué par Jules Renard en
1896 : « Avec Les Romanesques, il s’est offert un beau cabinet
de toilette, baignoire, bidet et lavabo 1208. » L’image de la salle
de bains contemporaine prend naissance, avec son eau
courante, ses instruments combinés, sa clôture, ses gestes
propres qui ne sont évidemment pas la seule conséquence de la
peur microbienne. Espace rare encore, comme le souligne la
note sur Rostand dans le Journal de Jules Renard, ou comme
le souligne l’aménagement de la préfecture d’Oran en 1880,
restreignant cette salle de bains au seul appartement du
préfet 1209, mais espace nouveau et totalement spécifique :
carrelage de grès, murs carrelés, bidet, lave-pieds, baignoire,
porte-serviettes et lavabo disposés pour que les instruments de
l’eau, tous outillés et alimentés, soient mis à portée de main et
qu’aucune présence étrangère ne vienne troubler
l’intimité 1210. Jusqu’au monde animal enfin dont les
comportements sont quelquefois réinterprétés à la lumière des
exigences nouvelles. Victor Rendu fait en 1880 du nid de
l’argyronète, minuscule araignée d’eau, l’exemple même de
l’intimité travaillée : « un domicile tout spécial », spacieux et
clos, préservant un habitacle individuel dans le « globe
argenté » d’une goutte d’air, « coque ovalaire toute de soie »,
d’où rayonnent pourtant grâce à des fils invisibles
d’innombrables liens avec la surface 1211 ; le modèle d’une
bulle d’autant plus maîtrisée qu’elle est alimentée de circuits.
Habitation et initiatives publiques
La privatisation des lieux sanitaires oriente encore la
campagne conduite sur les logements des ouvriers, dans les
années 1880. L’agencement intérieur du familistère de Guise,
par exemple, vaste ensemble d’appartements fondé par Godin
près de son usine d’ameublement au bord de l’Oise en 1860,
estimé d’emblée salubre, est au contraire jugé « déplorable
sous le rapport de l’hygiène » en 1891 1212. La conception du
bâtiment est en cause. Le « palais social », malgré son
immense façade de 180 mètres et ses 1 200 portes ou fenêtres,
est définitivement désavoué : ses espaces sanitaires sont trop
éloignés des appartements, ses tuyauteries trop peu
nombreuses ; « la promiscuité des lieux d’aisances, leur
situation dans les escaliers placés aux angles des bâtiments
sont des causes d’insalubrité évidente 1213 ». Critiques plus
mordantes encore pour les garnis parisiens visités par Du
Mesnil ou Martin Nadeau en 1883 : « La rareté des plombs ou
des cabinets d’aisances », la présence « de matières fécales sur
le rebord des fenêtres et sur les paliers 1214 ».
Un modèle s’impose, en revanche, pour un nouveau
logement ouvrier, autour de 1890 : c’est l’expérience de
Marseille dans le quartier des Catalans, ou celle de Paris,
avenue de Grenelle. Ce modèle est inspiré d’exemples
anglais : « Chaque appartement est isolé, il a sa porte ouverte
sur l’escalier avec un numéro indicateur, il a son cabinet
d’aisances à part, condition capitale pour l’hygiène comme
pour les mœurs 1215. » L’isolement, celui des sanitaires surtout,
permet d’allier deux ambitions : « celle de la propreté et celle
de la morale 1216 ». La transformation des mœurs, une fois
encore, conforte le constat du microbiologiste.
C’est que l’insistance sur le logement individualisé, l’espace
« décent » réservé à chacun, est une entreprise d’ordre en cette
fin de siècle ; une tentative de régler les mœurs ouvrières en
intervenant sur les mélanges et les promiscuités. La tenue de
l’habitat est projetée en pédagogie de comportement comme
jamais elle ne l’avait été jusque-là : « Sans logement, il n’y a
pas de famille ; sans famille, il n’y a pas de morale ; sans
morale, il n’y a pas d’homme ; sans hommes, il n’y a pas de
patrie 1217. » Inévitable spirale de la pédagogie nationale.
Mais l’originalité de la campagne sur les logements
ouvriers, à la fin du XIXe siècle, tient encore à une
interrogation inédite sur l’initiative de l’État : faut-il aider ces
familles que l’assainissement des villes et le bouleversement
des quartiers centraux ont repoussées aux périphéries, durant
la seconde moitié du XIXe siècle ? Faut-il financer, fût-ce
partiellement, la reconstruction des masures sordides autour de
Paris, à Saint-Denis, à Aubervilliers, quand Colin y prédit en
1883 l’accroissement de cas de choléra et de fièvres
typhoïdes 1218 ? La réponse est négative pour certains
libéraux : les déchéances du dénuement et les obstacles de
l’hérédité semblent insurmontables. Seule la répression, et non
l’assistance, reste pour eux adéquate : « Tout ce que la société
peut faire, dans son propre intérêt, est d’exercer une
surveillance sévère sur leurs taudis, de les assainir, de les
désinfecter quand le cas l’exige, sans consulter [les familles],
de même qu’on nettoie les égouts sans se préoccuper des rats
qui y ont élu domicile 1219. » Inutile, dans ce cas, d’utiliser la
finance.
Beaucoup, au contraire, à la fin du siècle, attendent une
intervention de l’État. Ils attendent l’engagement d’une
politique sociale pour mieux garantir la paix civile : vision
moderne d’un État médiateur. Bouloumié propose en 1899 la
création d’un impôt sur l’hygiène publique dont une partie
pourrait financer la construction de logements ouvriers 1220.
Insensiblement la fonction de l’État change, qui
d’« interdicteur » devient aussi « incitateur ». Son rôle, à la fin
du XIXe siècle, n’est plus seulement de contrôler, mais encore
de redistribuer, fût-ce partiellement, des richesses. Transition
lente, il faut le redire. L’aide au financement de logements
n’est ni visible ni même directe, dans un premier temps. La loi
du 30 novembre 1894 accorde pour la première fois des
« avantages aux sociétés se constituant dans le but de
construire des maisons hygiéniques et à bon marché 1221 » :
prêts à taux réduits, exemptions d’impôts. Dans ces soutiens
encore discrets se profilent l’image de l’État-Providence, sa
prise en charge d’une « aide à la santé », la transposition d’une
protection collective en politique de gouvernement. Avec
quelques résultats sur la durée de vie à la fin du XIXe siècle :
les comparaisons havraises réalisées en 1890 indiquent une
mortalité de 27 ‰ dans les nouvelles maisonnettes ouvrières
construites par la Société havraise des cités ouvrières et 50 ‰
dans les quartiers insalubres de la cité 1222. La loi de 1894 est
le premier exemple d’une aide publique au logement et à
l’hygiène privés, celui tout simplement d’une réponse à une
« demande sanitaire d’État 1223 ».
Les chiffres montrent la lenteur de ces aides au tournant du
siècle, elles-mêmes combattues par l’intérêt des propriétaires.
Il faut la première enquête demandée en 1906 par le « Conseil
supérieur des habitations à bon marché » pour apprécier le
dénuement réel : à Concarneau, 60 % des habitants vivent dans
des logements d’une pièce ; à Bordeaux, 743 logements d’une
pièce sont sans fenêtre ; à Saint-Étienne, le nombre
d’habitations pourvues de water-closets n’atteint pas 8 % ; à
Lille, ce même nombre n’atteint pas 5 % 1224. L’évaluation de
Bertillon effectuée entre 1906 et 1908 est tout aussi abrupte :
sur 1 000 Français, 260 habitent dans des logements
surpeuplés (plus de 2 personnes par pièce, la cuisine étant
comptée comme pièce) ; 360 habitent des logements
insuffisants ; 168 habitent des logements suffisants (une
personne par pièce) ; 167 habitent des logements larges ; 45
habitent des logements très larges (une personne pour plus de
2 pièces) 1225.
Le principe d’une aide de l’État est décisif en 1894. Il faut
plusieurs décennies, en revanche, pour que ses effets
deviennent sensibles et, surtout, pour que soit mieux pensée,
sous forme d’assurances sociales, par exemple, la participation
de chacun.
3. Le « malingre » et le « charnu »
Le calcul sur la quantité de microbes présents selon les
hauteurs atmosphériques atteintes, évaluation régulièrement
effectuée par les aéronautes de la fin du XIXe siècle, montre
combien l’ensemble de l’espace est concerné par la nouvelle
vision sanitaire : non pas seulement la ville, non pas seulement
le logement, mais le milieu, l’atmosphère, la géographie.
Christiani, dont l’aérostat survole Genève en 1891, confirme
l’observation de Pasteur sur les montagnes : l’effacement des
microbes avec l’accroissement de l’altitude. C’est même à
partir de 1 700 mètres que disparaîtraient les colonies
microbiennes 1226. Une certitude s’impose à la fin du siècle,
celle d’une asepsie garantie par le grand air. D’où l’avantage
des villégiatures : l’éloignement du mal par le soleil, le vent, la
lumière, le renforcement des défenses par les séjours à la mer,
à la montagne, par les jeux de nature.
Le thème focalise, comme en raccourci, nombre de
commentaires sur la santé : le plein air « tueur » d’agents
infectieux, les jeux « porteurs » de résistance et d’énergie, le
voyage « chasseur » de surmenage et d’étiolement.
Ce thème des villégiatures est un thème fédérateur. Il
combine pratiques hygiéniques et nouveaux loisirs. Il fait
converger l’apparition sociale des vacances et l’explication
savante des défenses microbiennes. Il ménage même une place
toute nouvelle aux malaises psychologiques. C’est une
attention totalement inédite aux fatigues et aux surmenages
que promeuvent, entre autres, les séjours de plein air, une
façon d’« écouter » comme jamais les désordres intimes.
Jusqu’à l’assistance publique, enfin, qui y trouve de nouveaux
investissements : l’envoi des plus « malingres », par exemple,
dans des villégiatures adaptées.
Sveltesses et dénudements
Le nombre des résidents d’Arcachon, 7 910 durant l’hiver,
double avec les mois d’été, lorsque, à partir de 1860, la ligne
de chemin de fer est prolongée depuis La Teste 1227. Les villes
du littoral picard, plus ingrat pourtant, sont également
transformées en stations balnéaires, lorsque, à partir des
années 1870, l’axe Paris-Boulogne est insensiblement
prolongé le long des côtes, vers Le Tréport ou Cayeux 1228.
Billets spéciaux pour les bains de mer, délivrés du 1er mai au
31 octobre, désignation de « trains de plaisir » avec horaires et
trajets adaptés pour « touristes », facilitent plus encore l’accès
aux stations durant cette fin de XIXe siècle 1229. Le guide
publié par Le Petit Journal, à partir de 1897, sur les « petits
trous pas chers », confirme l’existence d’une fréquentation
balnéaire non limitée à la haute bourgeoisie. Ce texte du Petit
Journal, le premier à être conçu pour l’économie autant que
pour le voyage, souligne qu’à Luc-sur-Mer, par exemple, un
ménage modeste peut vivre à moins de 8 à 10 francs par jour,
alors que le salaire de l’ouvrier est de 6 francs par jour en
1897 1230. Des bourses nouvelles accèdent ainsi aux bains de
mer, révélant une mobilité sociale associée à la mobilité du
voyage. Les « plages familiales, aimées des commerçants,
gens de Bourse ou d’administration dont les femmes et les
enfants hument l’air marin 1231 », deviennent insensiblement
une composante du paysage balnéaire.
Une approche plus sensuelle des paysages et des lieux
invente aussi de nouvelles défenses corporelles. Le bain par
immersion dans la lame, le geste du baigneur professionnel
précipitant le curiste dans l’écume, cèdent la place devant des
pratiques moins brutales et plus nuancées : celle du bain d’air
et de soleil, par exemple. La lumière anéantissant les microbes
l’emporte sur les vieux raidissements imposés par le froid. Les
affiches balnéaires de 1900 1232 soulignant les maillots conçus
pour la nage et le bain d’air rendent caduques les gravures de
Bertall illustrant, quelques années auparavant, le bain à la lame
et les groupes de curistes habillés sur les plages 1233. Les
théories de l’ensoleillement se transforment en cette fin de
siècle : Monteuuis ne se contente pas de rappeler l’action de la
lumière sur les bactéries lorsqu’il aménage dans son
établissement niçois une aire pour le bain de soleil. Il prétend
exploiter une forme nouvelle d’énergie : le soleil permettrait
d’accumuler les forces comme le condensateur permet
d’accumuler l’électricité. Les techniques du temps imposent
leurs analogies : « À tout bien considérer, la lumière est une
source de force bien plus naturelle et facile à transformer en
énergie vitale qu’un beef-teak 1234. » Les expériences se
multiplient sur les effets du soleil : les embryons exposés y
gagneraient en croissance, l’activité respiratoire en amplitude,
le corps humain en densité 1235.
Les nouveaux loisirs ne naissent évidemment pas des seules
convictions médicales. Un lent enrichissement social les
explique en toute priorité. L’argument sanitaire, en revanche,
aide à les justifier. Il leur donne dignité et légitimité. Mer et
montagne suggéreraient tout simplement des énergies encore
inconnues, profilant d’inépuisables indications de défense et
de protection.
Autant de changements expliquant la brusque majoration de
l’apparence corporelle et son entretien. La « légèreté » des
maillots de la fin du XIXe siècle, le dénudement des jambes,
celui des bras, les tissus plus serrés sur le corps, accentuent la
silhouette comme aucune tenue ne l’avait fait jusque-là. Jules
Renard le suggère, décrivant les baigneuses de l’été 1893,
« posant à petit coup, culotte dans la vague 1236 ». Hugues
Rebell le suggère plus encore dans ses romans avides de
sensations physiques, jouant avec le dévoilement et la nudité
des corps. Les baigneuses de Biarritz, par exemple, révèlent de
leur corps ce que l’hiver pouvait cacher : « Plus que les fêtes
du Casino le bain était le triomphe des beautés jeunes et
accomplies. Les femmes qui n’étaient pas sûres de leurs grâces
n’osaient s’y risquer. Et telles qui s’étaient fait remarquer
l’hiver précédent par une physionomie expressive,
langoureuse, espiègle, passionnée ; par les traits réguliers de
leur visage ; par l’art de se bien vêtir et de porter avec aisance
une toilette somptueuse, se voyaient avec étonnement
dédaignées, laissées en oubli pour des créatures de nom, de
figure et de tenue moins nobles, mais d’une solide et
harmonieuse charpente, d’une chair riche, claire, qui réjouit et
la main et l’œil 1237. » Le Charivari indique plus simplement
encore le nouveau rôle joué par la plage dans l’appréciation
des formes du corps : « Avez-vous vu sur le rivage de la mer
les hommes chauves à bedaine exubérante ? Ils sont là
paradant ; leurs adiposités luisantes s’étalent au soleil sans
avoir conscience du dégoût d’autrui 1238. » La chair « grasse »
bascule vers les valeurs négatives.
La surveillance des anatomies individuelles devient plus
fréquente à la fin du siècle, mais aussi l’évocation des régimes
alimentaires, celle des nourritures censées maintenant agir très
concrètement sur les lignes du corps. La « femme inquiète »
de Jules Bois tente régulièrement de s’éprouver devant une
glace en 1899, s’abîmant devant l’image de ses « jambes
grêles », celle de ses hanches devenues « moins aiguës 1239 ».
Marie Bashkirtseff est plus précise, étudiant scrupuleusement
sa silhouette en supputant le danger de toute « gourmandise
exagérée » : « À treize ans j’étais trop grasse et on me donnait
seize ans. Aujourd’hui je suis mince, entièrement formée,
d’ailleurs remarquablement cambrée, peut-être trop, je me
compare à toutes les statues et je ne trouve rien d’aussi cambré
et d’aussi large de hanches que moi. Est-ce un défaut ? 1240 »
Les « régimes d’amaigrissement » sont plus nombreux
aussi, plus expérimentés, suscitant conflits d’école et options
individuelles longuement discutées par les médecins, ceux
mêmes qui écrivent sur les bains d’air et de soleil. Soit, par
exemple, peu boire durant une cure d’amaigrissement pour
éviter le cumul d’humidités internes, soit beaucoup boire, au
contraire, pour exploiter le pouvoir diluant de l’eau. Les
chiffres préconisés par Orstel de 562 grammes d’eau en 24
heures sont radicalement différents de ceux préconisés par
Hennebourg, Kurtz ou Sée, de plusieurs litres d’eau par
jour 1241. Peu importe, bien sûr, le chiffre retenu. L’important
est cette présence plus régulière du thème de l’obésité ou de la
maigreur dans les petits catéchismes d’hygiène de la fin du
siècle ; cette façon de mêler les formes corporelles au régime,
comme le fait Paul Bourget en 1893, lorsque, pour souligner le
magnifique « sang de blonde vigoureuse » de la comtesse
Sténo, il rappelle la frugalité de ses déjeuners : œuf, viande
froide et thé 1242.
Rien à voir encore avec les formes d’aujourd’hui. Marie
Bashkirtseff associe la surveillance de la nourriture au
maintien d’une morphologie « pleine » : « Les épaules
demandent une ligne de plus en rondeur 1243 », assure-t-elle en
observant sa silhouette. Une publicité du Petit Journal de l’été
1910 sur le Sargol, nourriture énergétique, dénonce les
« échalas » et les « chétifs » qui peuvent hanter les plages. Elle
oppose un couple de jeunes gens efflanqués et disgracieux à un
couple volubile, confortablement assis sur une plage, dont le
corps « charnu » et l’assurance tranquille montrent qu’ils ne
connaissent pas « l’humiliation et l’embarras dont seuls les
gens émaciés ont à souffrir 1244 ». La crainte est à la maigreur
tuberculeuse autant qu’à l’obésité. D’où ce slogan insistant qui
n’aurait guère de sens aujourd’hui : « Laissez-nous vous faire
engraisser 1245 » ; ou ces propositions du Dr Monin, en 1910,
d’effectuer des « injections sous-cutanées journalières de 10 à
50 grammes d’huile d’olive stérilisée 1246 » pour mieux
assurer des rondeurs corporelles.
Le thème des anatomies individuelles, celui de la nudité ou
de l’intimité des formes, devient seulement un objet de
vigilance plus construit, plus avoué pour ces groupes qui
renouvellent à la fin du siècle les pratiques de la mer et du
soleil.
Les « sommets de l’extrême santé 1247 »
Impossible, enfin, de comprendre ces renouvellements sans
les associer à ceux du sport, cette pratique d’affrontements
plus libres, avec ses clubs et ses rencontres, née dans les deux
dernières décennies du siècle : une recherche d’air et d’espace
s’impose ici encore, de même qu’une description inédite des
formes et des allures du corps. C’est l’éblouissement de Proust
devant les jeunes filles déambulant sur la digue de Balbec :
« Soit grâce à l’enrichissement et au loisir, soit grâce aux
habitudes nouvelles du sport répandues même dans certains
milieux populaires et d’une culture physique à laquelle ne s’est
pas encore ajoutée celle de l’intelligence, un milieu social…
produit naturellement et en abondance de beaux corps aux
belles jambes, aux belles hanches, aux visages sains et
reposés, avec un air d’agilité et de ruse. Et n’étaient-ce pas de
nobles et calmes modèles de beauté humaine que je voyais là,
devant la mer, comme des statues exposées au soleil sur les
rives de la Grèce 1248 ? » L’investissement sur la sveltesse est
le même dans les descriptions à coup sûr plus banales et
sommaires des premiers magazines vélocipédiques de la fin du
XIXe siècle. Un modèle naît insensiblement, où le gage de
minceur, pour les femmes surtout, devient un gage d’élégance
et de santé : « Je n’oublierai jamais un certain soir de fête
mondaine au vélodrome Desgrange – celui d’hiver – le peloton
de petites bonnes femmes… De ces minces sauterelles, il y en
avait de noires, de rouges, de bleues, les unes taillées en
fuseau, les autres ayant des velléités d’être replètes – sans y
parvenir complètement du reste 1249. »
Non que le sport ait d’emblée obéi à une volonté sanitaire.
Les premières courses hasardées par quelques lycéens de
Condorcet dans la salle des pas perdus de la gare Saint-Lazare
en 1882 ne se fondent guère sur la recherche d’un profit
physique. Simples jeux, elles s’opposent surtout aux
gymnastiques rigides de l’école, aux exercices collectifs,
cadencés et scandés, inventés par les pédagogues du XIXe
siècle. Les courses des premières bicyclettes, dans les années
1890, offrent plus encore un sentiment de rupture. C’est
d’étourdissement que parle Audiot en 1897 : « L’ivresse de la
liberté dans le plaisir, voilà ce que symbolise la
bicyclette 1250 » ; c’est de vertige que parle l’historien Isaac
lorsqu’il découvre ces courses, au tournant du siècle : « Je me
vois pédalant voluptueusement à l’aube sur les chemins
forestiers… Dieu que c’était bon la pleine nature, la pleine
jeunesse et cette fraîcheur d’aube printanière 1251. » Le refus
de toute récréation confinée est d’ailleurs au centre de la
campagne conduite sur les nouveaux jeux par le journal Le
Temps en 1888 : « Ouvrons la cage… en plein air sur de vastes
surfaces 1252 », insiste Georges Rozet dans une série de
chroniques développées sur plusieurs mois.
L’assurance est obscure, bien sûr, toute faite de conviction,
mais elle traduit le sentiment nouveau de mobilité, celui d’une
conquête sur l’espace et le temps affirmée par l’élite de la fin
du siècle : la performance chiffrée du sport est bientôt
interprétée comme un perfectionnement sanitaire. Un modèle
d’accroissement que Le Temps commente après chaque
épreuve : « Non seulement les élèves nagent mieux, plus vite
et plus longtemps que les années précédentes, non seulement
ils font preuve d’une résistance à la fatigue qu’on ne leur avait
jamais encore connue, mais leur condition physique est
absolument différente de celle qu’elle était il y a 30
mois 1253. » L’existence d’un progrès possible installé au cœur
des défenses corporelles. Le sport devient ainsi démonstratif,
un signe de modernité, un gage d’essor, au point que les
promoteurs de l’Exposition universelle de 1900 le donnent
pour preuve d’un renouveau physique. L’exposition parisienne
exploite le symbole. Elle est la première de ces manifestations
universelles à utiliser la mise en scène sportive : épreuves
exhibées comme le sont les machines, associées à elles,
susceptibles comme elles d’un perfectionnement continu. Les
concours de course, ceux de saut, de tir, de lawn tennis,
dispersés autour des pavillons d’exposants ou dans les bois
périphériques de Paris, sont l’occasion de commenter la santé
collective, son avancée ou son déclin possibles. Le marathon
par exemple, effectué autour des fortifications parisiennes,
devient un indice parmi d’autres : « Décidément, les
pessimistes ont tort, la race humaine ne dégénère nullement
puisque nos contemporains peuvent accomplir sans danger
l’exploit qui coûta la vie au soldat d’Athènes 1254. » Les
performances des sportifs américains, souverains dans les
épreuves athlétiques, provoquent plus de certitude encore,
donnant à admirer « la race jeune et superbe qui s’est formée
dans le Nouveau Monde 1255 ».
L’originalité n’est pas de passer de la non-santé à la santé,
mais plutôt d’approfondir la santé elle-même, imaginer son
accroissement indéfini. C’est le « sanatorium pour bien-
portants 1256 », établissement projeté par Pierre de Coubertin
dans une de ses fictions à valeur de programme. L’image est
économique, orientée vers la « plus-value physique 1257 » :
régime, exercices, lever à 7 heures, coucher à 21 heures,
entraînement continu devraient transfigurer la santé jusqu’à
déplacer ses frontières. Jamais la normalité sanitaire n’avait à
ce point semblé modulable, perfectible, tendue vers le futur et
le progrès.
La certitude est même celle d’un changement de mœurs.
Georges Saint-Clair parle en 1888 d’un « mouvement soudain,
colossal… en faveur des exercices physiques 1258 ». Aucune
action sportive de masse pourtant. Les nageurs licenciés à la
Fédération française de natation sont moins de 1 000 en 1920,
et les athlètes licenciés à la Fédération française d’athlétisme
sont moins de 15 000 à la même date 1259. La pratique est
suffisamment nouvelle, en revanche, pour frapper les
convictions. Une assurance que traduit Bergson dans une
réponse au Gaulois littéraire en 1912 : « Ce que j’estime
surtout dans les sports, c’est la confiance en soi qu’ils
procurent… Je crois à une renaissance de la morale
française 1260. »
L’assistance et le malingre
Très différents sont les exercices populaires ; ceux des
sociétés de gymnastique constituées depuis la guerre de 1870,
avec leurs rituels collectifs 1261 ; ceux de l’école aussi, avec
leurs mouvements codés et contraints, auxquels le règlement
de 1892 ajoute, pour la première fois, la présence de jeux
récréatifs 1262. Les sociétés d’opinion de la fin du XIXe siècle,
nées pour propager l’exercice comme pour lutter contre
l’alcoolisme ou la tuberculose, accumulent ici les arguments
péremptoires : « S’occuper exclusivement de développer dans
les écoles les plus diverses la force et l’adresse de ceux qui
devront un jour le service militaire au pays et la santé et la
vigueur dont dépend l’équilibre intellectuel et moral 1263. »
Pasteur lui-même ne désigne guère d’autre perspective
lorsqu’il adhère à la Ligue nationale de l’éducation physique,
créée en 1888 pour « servir de cause sacrée au relèvement
national », rejoignant Georges Clemenceau, Alexandre
Dumas, Jules Verne, Émile Zola, et expliquant la raison de son
choix : « Vous pouvez me voir comme un mauvais exemple.
Mais vous voulez bien ajouter que c’est précisément ce qui fait
de moi un des adhérents les plus pénétrés de l’utilité de votre
ligue 1264. » La gymnastique, et non le sport, pour plusieurs
décennies encore, demeure la pratique de ces écoles publiques,
celle qui doit « préparer pour l’avenir des générations
d’hommes forts 1265 ». Le Manuel d’exercices physiques et de
jeux scolaires de 1892 promeut cette gymnastique en évidence
indiscutée : « Dans un pays comme le nôtre condamné pour
longtemps peut-être à une continuelle veillée d’armes, elle [la
gymnastique] apparaît comme une nécessité patriotique et
sacrée 1266. »
D’autres initiatives sont plus révélatrices d’un engagement
public. Cottinet, le directeur des écoles en 1883, choisit une
démarche originale lorsqu’il propose « d’arracher des élèves à
leur milieu morbide » pour les envoyer quelques semaines en
« colonies de vacances 1267 ». Bion a déjà tenté diverses
expériences en Allemagne depuis 1878. La protection sanitaire
habite l’ensemble du projet de Cottinet : limiter la contagion
tuberculeuse, renforcer les poitrines par le grand air. Un
programme défensif inspiré par la montagne, la mer, les
voyages des nouveaux loisirs : « Notre idée est purement
d’hygiène préventive. Nous devons enlever les écoliers étiolés
au méphitisme ambiant 1268. » Les colonies sont la version
populaire mais aussi scolarisée, quasi disciplinaire, des loisirs
de la fin du siècle, avec leurs exercices respiratoires
biquotidiens, commandés au coup de sifflet, comme pour le
groupe de l’Association Saint-Sulpice à L’Haÿ-sur-Seine en
1893, ou leurs chants obligatoires, « prolongés et cadencés »,
pour les « escouades militaires » de l’Œuvre au soleil ou de
l’Anguille lyonnaise à la même date 1269. Loisir du peuple, les
colonies auraient les vertus des loisirs du riche : régénérateur
et protecteur. Elles imposent, en revanche, le régime très
surveillé de l’école.
Jugé « productif au niveau social », l’établissement de ces
groupes saisonniers s’accélère à la fin du siècle : 18 élèves
parisiens sont envoyés pour 3 semaines en Haute-Marne en
1883, 100 sont envoyés dans les Vosges en 1884, près de
5 000 sont dispersés sur plusieurs sites en 1900. Les
subventions augmentent : 45 000 francs, par exemple, pour
l’initiative prise en 1883, et 220 000 en 1900 1270. L’assistance
fonde le projet : une dizaine d’élèves parisiens seulement
paient leur séjour sur les 4 800 qui partent en 1900. Il s’agit
même d’un versant neuf de l’assistance : la prise en charge
temporaire, mais globale, de groupes restreints. Le service des
colonies de vacances n’est pas encore destiné à tous. Il est
voué aux plus faibles. La collectivité tente avec elles
d’atteindre les enfants « prédisposés à la tuberculose et qu’il
s’agit de lui arracher 1271 ».
Cette restriction conduit à une originalité plus marquée
encore : ne faut-il pas désigner les enfants qui peuvent seuls
bénéficier du séjour ? Ne faut-il pas à travers eux sérier des
degrés de faiblesse ? D’où ces tentatives nouvelles pour
distinguer les « non-malades mais chétifs 1272 », cette
insistance pour hiérarchiser des états de santé en sélectionnant
des malingres. Ce que la municipalité lyonnaise concrétise au
début du siècle en utilisant le « coefficient de robusticité » de
Mayet : un calcul combinant les mesures du poids, celles de la
taille et du périmètre thoracique, comme pour les conscrits.
Les tables de Mayet retiennent 5 paliers chiffrés : seuls partent
en colonie les enfants occupant les deux derniers, ceux dont
les résultats sont faibles ou mauvais 1273.
L’assistance publique est ainsi contrainte de fixer des degrés
dans la non-maladie équivalant à autant de degrés de
prédisposition. L’idée de « terrain », celle de « moindre
résistance à l’ensemencement microbien 1274 », ont facilité la
précision de ces états tous distincts du mal et tous susceptibles
d’y conduire. Le thème de la prédisposition est d’ailleurs
devenu suffisamment familier au début du XXe siècle pour que
Galtier-Boissière relève, en 1909, 12 causes prédisposantes à
la tuberculose, dont le « mariage précoce », la « dépression
morale », le « travail excessif », le « plaisir excessif » et
surtout les périmètres de thorax qui, calculés « au niveau des
mamelons, sont inférieurs à la moitié de la taille plus 2
centimètres 1275 ». Le travail de la prévision s’est accentué
jusqu’à déterminer dans la santé elle-même les signes quasi
chiffrés d’une mauvaise santé à venir.
4. Concurrence et solidarité,
psychologie fin de siècle
Ce n’est plus le terme d’assistance, pourtant, qui est
dominant dans les pratiques sanitaires du tournant du siècle.
Un autre mot s’est imposé, qui mobilise les commentaires,
celui de solidarité. L’envoi gratuit en colonie de vacances, la
création de dispensaires pour mieux dépister la
tuberculose 1276, l’action préventive sur les sujets « sains »,
sont nés d’un nouveau « contrat social solidariste 1277 ». Ils
concrétisent un changement de culture : le passage du thème
encore émotionnel de « fraternité », sur lequel les
révolutionnaires de 1848 disent « poser tous les devoirs 1278 »,
à un thème plus directement économique sinon politique. Un
projet idéalisé par les manuels scolaires du début du XXe
siècle : « Ainsi toutes les classes sociales sont solidaires,
puisque le riche dans sa belle maison peut être atteint par la
tuberculose qui se développe dans le taudis voisin 1279. » La
préoccupation sociale l’emporte sur la seule morale. Le thème
du microbe a intensifié cette vision des interdépendances : se
défendre en participant à la défense des autres ; se protéger par
la protection de tous : « C’est Pasteur qui nous a fait
comprendre comment chacun de nos organes individuels par
l’invincible armée des infiniment petits qu’il recèle monte
pour ainsi dire à l’assaut de tous les organismes du monde.
C’est lui qui, par suite, nous a appris notre devoir
mutuel 1280. » L’itinéraire du microbe a recomposé les
solidarités.
L’assurance maladie
Le débat sur les habitations ouvrières autour de 1890 est lui
aussi traversé par le thème solidariste : « Les classes aisées
aussi bien que les classes pauvres ont intérêt à faire disparaître
les habitations insalubres, et il serait sage et prévoyant de la
part du riche de s’imposer les sacrifices nécessaires pour
atteindre ce but 1281. » L’État, on l’a vu, est pour la première
fois le garant de ces investissements. La politique du logement
social, autour de 1890, concrétise la nouvelle exigence :
l’entretien de soi ne saurait se penser sans l’entretien de tous.
Plus encore, c’est le terme de « devoir » qu’utilise le projet
solidariste. L’assurance obligatoire en est l’exemple ultime,
celle que crée l’État allemand, par exemple, en 1883 1282,
lorsqu’il institue en condition d’embauche l’acte de s’assurer
sur la maladie. Une assurance dont les effets ne se limitent pas
à mieux soigner le mal, mais aussi à mieux en organiser la
prévention. D’où la naissance de surveillances sanitaires liées
aux économies assurantielles : prévenir la contagion pour
alléger les coûts. Ce que profilent les sanatoriums populaires
allemands imaginés en 1885 : ces établissements d’autant plus
inédits qu’ils devraient recevoir « non pas les tuberculeux
avérés, déjà presque incurables, mais les candidats à la
tuberculose 1283 ». La lutte contre la maladie infectieuse est au
centre du projet. L’idée dominante est même de répertorier en
priorité les malingres, les chétifs, ceux que désignent leurs
seuls indices thoraciques, plutôt que les malades, ceux que
désignent leur contamination avérée.
Il s’agit « non seulement d’un devoir humanitaire, mais
aussi d’un devoir financier 1284 », indique Duclaux, le
directeur de l’Institut Pasteur commentant l’expérience
allemande : engendrement réciproque d’une pratique
préventive et d’une stratégie économique. D’où ces visites
régulières imposées aux ouvriers allemands par leur
compagnie d’assurances de la fin du siècle. Le sanatorium
deviendrait même doublement préventif : fortifier les plus
faibles et donner une nouvelle discipline de comportement,
introduire, du coup, « dans la vie populaire des coutumes et
des précautions de nature à prévenir le développement des
maladies 1285 ». Œuvre extrême, quasi irréalisable tant elle
exige en contrôle, en puissance de surveillance et d’accueil,
tant elle exige aussi en possibilité d’isolement social. La
prévention « solidariste » montre combien grandit la nécessité
de pénétrer les comportements privés dans l’intérêt de tous :
« Il ne faudrait plus cesser de suivre l’individu 1286. » D’où
l’ambiguïté de ces contrôles supervisant attitudes et
comportements au nom d’une défense collective alors même
que devient plus démocratique le projet politique.
Les 80 sanatoriums populaires allemands reçoivent
d’ailleurs très majoritairement des malades en 1900, et non les
« candidats à la tuberculose », comme le montrent les
statistiques de guérison, de rémission ou d’échec,
régulièrement publiées 1287. La réalisation n’est pas à la
hauteur de l’implacable théorie : les entrants sont déjà atteints
par le bacille. C’est le cas aussi, bien sûr, des sanatoriums
français, au nombre de 12 en 1914 1288.
D’autres exemples illustrent plus concrètement la visée
préventive et économique des assurances de la fin du siècle.
La traque de l’anémie des mineurs du Nord, entre autres, ces
ouvriers victimes de l’ankylostome, parasite prospérant dans la
moiteur des galeries profondes. Une maladie dont les
compagnies d’assurances suivent la trace en comparant sur
leurs livres de caisse les dépenses variant d’un lieu à l’autre
avec les virulences épidémiques. Les compagnies avouent
bruyamment leurs intérêts dans l’effacement du mal. Elles
négocient avec les houillères jusqu’à revendiquer
l’implantation de latrines à l’entrée et à l’intérieur des mines :
seul moyen, selon les experts, d’endiguer les effets du parasite
propagé par les défécations répandues sur le sol des galeries.
Le Populaire de Liège obtient les réaménagements dans les
bassins de la Meuse, au tout début du XXe siècle, premier
exemple d’une influence préventive des assurances maladie
sur le quotidien des mineurs 1289.
Encore faut-il mesurer le changement dans l’organisation
même de ces assurances, celui de leurs principes juridiques et
administratifs. Aucun rapport ici avec les premières caisses
privées anglaises, celles qui assuraient les ouvriers tailleurs de
la fin du XVIIIe siècle 1290. Le financement n’est plus
suspendu aux jugements moraux portés sur les malades.
Aucune référence aux « bons » ou aux « mauvais » ouvriers
dans les polices d’assurance de la fin du XIXe siècle : le risque
est partagé par des assurés réputés égaux, confrontés à des
aléas réputés identiques. Changement quasi moral que la
longue réflexion sur la réparation des accidents de travail a
sans aucun doute préparé. C’est le calcul du risque qui a tout
bouleversé à la fin du XIXe siècle, comme l’a montré
Ewald 1291 ; la nécessité de privilégier l’évaluation statistique
sur l’interminable recherche en responsabilité ; un calcul
transformant l’accident, épisode individuel, événement
toujours unique, en objet collectif, événement chiffrable dont
une assurance peut prévoir « le nombre probable dans l’année
à venir et fixer ainsi le taux de cotisation nécessaire pour en
réparer le dommage 1292 ». Du coup, l’indemnité devient
indépendante de la responsabilité. Elle est disjointe des
intentions. Elle correspond à un montage mathématique
garanti par le seul contrat. L’assurance maladie, celle que la loi
du 29 juin 1894 rend d’abord obligatoire en France pour les
seuls mineurs 1293, obéit au même principe : la cotisation
procure la certitude d’être indemnisé. Seule exigence : la
quote-part, un engagement individuel valant prérogative et
délivrance de droit.
L’autre changement par rapport aux caisses anciennes est
que la médiation n’est plus privée mais publique. C’est l’État
qui devient l’assureur. Déplacement fondamental dont les
conséquences sont toujours actuelles : une manière aussi de
dessiner l’État-Providence à partir des pratiques de santé : « Il
y avait l’État gendarme ; il y aura maintenant non pas
seulement l’État assureur mais l’État répartiteur des avantages
et des charges sociales, l’État garant de l’égalité des citoyens
devant les charges publiques 1294. » Dans ces premières lois,
au tournant du siècle, se trouve le fondement de la Sécurité
sociale élaborée durant les décennies suivantes, celle qui,
après 1946 surtout, étend plus largement les risques pris en
compte et les publics indemnisés.
Le resserrement du réseau
Impossible dès lors d’échapper au débat sur la
réorganisation des services de santé à la fin du XIXe siècle. Le
réseau sanitaire, par exemple, s’est renforcé durant la seconde
moitié du XIXe siècle. Un Comité national consultatif
d’hygiène publique possède, depuis le décret du 18 décembre
1848, ses agents locaux déployés jusque dans les
arrondissements : les conseils d’hygiène publique. Chacun
d’entre eux comprend de 7 à 15 membres nommés pour 4 ans
par le préfet. Leur compétence comprend la propagation de la
vaccine, la salubrité des ateliers, l’assainissement des localités,
les grands travaux d’utilité publique, « les moyens d’améliorer
les conditions sanitaires des populations industrielles et
agricoles 1295 »… Mais leur fonctionnement montre le retard
de la pratique administrative sur l’évolution des idées. Les
décisions prises dans ce secteur ne relèvent-elles pas du
ministère du Commerce ? Ce qui indique combien l’inquiétude
administrative demeure focalisée sur la circulation des choses
et des gens, celle des objets porteurs de germes, celle des
personnes contaminées. La police sanitaire en 1880 est encore
police des échanges, surveillance des frontières, contrôle des
passages et des trajets.
Il faut le décret du 5 janvier 1889 pour que s’opère le
transfert au ministère de l’Intérieur. Opération majeure
centralisant l’hygiène publique dans une unité administrative
unique : celle de « l’assistance et de l’hygiène publique 1296 ».
Ce qui resserre directives et conseils tout en renforçant leur
impact. Un réseau de médecins inspecteurs des écoles accroît
depuis 1886 les possibilités de visites et de prévention ;
inspecteurs nommés sur concours pour couvrir communes ou
départements 1297. Une loi de santé publique, enfin, donne en
1902 quelques réponses aux problèmes juridiques depuis
longtemps débattus : « Prise en charge par l’État 1298 » des
assainissements locaux en cas d’épidémie ou de pénurie
communale, vaccination et revaccination obligatoires,
déclaration obligatoire des maladies infectieuses.
Mais cette affectation de l’hygiène publique au ministère de
l’Intérieur est elle-même révélatrice, soulignant la vigueur
toujours présente de la vision « armée », la volonté de
soumettre l’ensemble de la santé à une puissance de police et
de contrainte : cette collaboration toujours laborieuse entre la
surveillance hygiénique et la discipline ou l’autorité. C’est
« seulement » en 1919 en Angleterre et en 1920 en France
qu’est créé un ministère de la Santé, achevant la lente
élaboration d’une spécificité administrative.
Ce développement de l’hygiène publique révèle un double
visage, au tournant du siècle, deux visions de la santé
collective, différentes, presque opposées et pourtant
indissolublement liées : celle de la mobilisation autoritaire,
une défense d’autant plus pesante qu’elle se réfère à l’absolu
de la nation, à son avenir, son « sang », sinon à sa survie.
L’hygiène publique obéit ici, assure Léon Bourgeois dans un
discours de 1889, « aux nécessités du patriotisme, car elle a
pour but et pour effet de conserver et d’accroître ce capital
humain dont la moindre parcelle ne peut être perdue sans une
atteinte à la sécurité nationale et la grandeur de la patrie 1299 ».
Cette hygiène pèse alors comme une force extérieure,
surplombant les individus, poursuivant un sens en dehors
d’eux : l’accomplissement d’un destin collectif où dominent la
nation et le sang, le « grandissement de la patrie, de la race et
de l’humanité 1300 ».
L’autre vision mêle à l’assainissement l’idée d’une
participation très particulière au collectif. Elle fait de l’État un
immense prestataire de services, médiateur chargé en priorité
de mieux protéger l’individu, prolonger sa vie, prévenir ses
maux. Une façon d’engager un intérêt quasi égoïste dans la
mutualité en bornant la visée sociale au seul développement de
la vie. L’objectif de cet État redistributeur, répartiteur des
avantages et des charges, est alors la sauvegarde et l’entretien
de ses membres, l’achèvement de la santé publique devenue le
« fondement où repose le bonheur du peuple 1301 » ; ambition
non plus transcendante mais immanente, celle qui légitime le
social à la défense de chacun, un sens issu des individus et non
plus de quelque force surplombante. Le mot même de « santé
publique » insensiblement substitué à celui d’« hygiène
publique » au début du XXe siècle souligne le changement :
l’insistance sur le capital physique individuel et collectif 1302.
C’est bien le destin des sociétés démocratiques qu’illustrent
ces projets de solidarité, ces formules sociales où certains ont
pu voir « la disparition constante et progressive de la notion de
souveraineté 1303 » : la santé et la protection de chacun
projetées au centre des objectifs collectifs, à défaut
d’ambitions affirmées en dehors des individus. Assurances
maladie, assurances contre les accidents dessinent à la fin du
XIXe siècle des dispositifs quasi actuels, ceux qui renouvellent
le projet politique en renouvelant les attentes de santé.
Concurrence et prévention psychologique
Un mal guette pourtant cette certitude inédite à la fin du
siècle ; un mal directement lié à la place conquise par les
individus, traversés par le sentiment d’être brusquement
« concurrents », livrés à un monde jugé aussi brusquement
plus technique : solidarité toute volontaire sans doute, mais
concurrences perçues plus pressantes. Doutes, interrogations
sur les forces intimes, craintes de défaillances, au point que se
dessine pour la première fois le territoire d’une santé
psychologique.
Une expérience de Fleury en 1898 indique la voie de ces
inquiétudes. Fleury compare deux efforts : lorsqu’il serre sa
main sur le dynamomètre après avoir fermé les yeux, il
effectue une pression de 55 kilos ; lorsqu’il serre sa main sur
le même dynamomètre après avoir regardé un « rouge vif » ou
un « vert éclatant », il effectue une pression de 65 kilos.
L’alerte des sens accroît la puissance et la mobilisation. Mais
cette alerte, du coup, accroît aussi la fatigue. D’où
l’épuisement possible venu d’excitations intenses et répétées,
un trait que Fleury dit être contemporain. L’affaiblissement
intime, prétend Fleury, celui de la force intérieure, aurait
grandi en cette fin de siècle, provoqué par un milieu matériel
plus complexe, des échanges plus rapides, un cumul de
signaux et d’appels, une brusque accélération des compétitions
sociales : « Dans une ville comme Paris, chaque jour, chacun
de nous perçoit une quantité prodigieuse de ces
vibrations 1304. » La volonté des citadins semble menacée de
faiblesse par un excès de stimulation, de promiscuités, de
rivalités. Des mots nouveaux sont forgés pour désigner les
troubles : surmenage, neurasthénie, surmènement, épuisement
nerveux, névrose d’épuisement. Le Des Esseintes de
Huysmans illustre cette terminologie en 1884, doutant de sa
propre force, gagné par des obsessions qui « annihilent ses
desseins, brisent ses volontés, guident un défilé de rêves qu’il
subissait, passivement, sans même essayer de s’y
soustraire 1305 ». Le neurasthénique de Mirbeau s’abîme
également dans un « affaiblissement mental 1306 » qu’aucun
voyage ne peut distraire.
Une curiosité inédite découvre les « excès » du travail
scolaire, les obstacles des apprentissages épuisants ou ceux du
cumul des tâches ; la description canonique de Sarcey
évoquant ce valet de chambre analphabète livré à
d’insurmontables contentions pour apprendre à lire : « Il
m’écoutait avec une prodigieuse intensité d’attention, je
voyais se gonfler sous l’effort la veine de ses tempes et la
sueur lui ruisseler le front… Huit jours après il eut une fièvre
cérébrale 1307 » ; ou les récits de Mosso sur ces soldats « très
robustes… pâlissant et tombant de faiblesse après chaque
examen » conçu pour évaluer leur niveau 1308 ; ou celles de
Guyau sur les « céphalées violentes », les courbatures et les
abattements dont semblent victimes les lycéens surmenés 1309.
Mosso, un des premiers, en 1896, tente de mesurer ces
fatigues psychiques. Il les calcule avec l’ergographe,
instrument enregistrant la tension du fléchisseur du doigt. Il
montre cette tension s’affaissant au bout d’une journée de
travail intellectuel. Il suit les degrés de l’affaiblissement
rapportés à l’intensité de l’effort mental. Il compare les effets
d’un apprentissage de vers rimés avec ceux provoqués par
l’étude d’un texte, l’écriture de lettres, la conduite d’une
conférence 1310. Peu importe, bien sûr, la valeur des
comparaisons et moins encore la méthode de calcul. La
nouveauté est de désigner cette fatigue psychique, d’en
imaginer la mesure, d’en proposer la prévention. Un objet
d’hygiène apparaît qui n’était pas pris en compte. « Hygiène
du neurasthénique », dit à sa manière Antonin Proust dans un
livre plusieurs fois réédité après 1895 1311.
D’autant que l’explication sur l’origine possible de ces
malaises se complique à la fin du siècle. Il faut redire combien
le sentiment d’un affrontement généralisé, la certitude d’un
struggle for life dont l’expression se banalise en France,
reviennent régulièrement dans ces textes à vocation
psychologique : « Une foule d’individus imposent à leur
cerveau un travail au-dessus de leur force 1312. » Spencer
légitime même la nécessité d’une « culture compétitive »
autour de 1880 pour que s’affirment « toutes les professions et
toutes les affaires 1313 ». Conviction favorisée encore par le
développement des échelles hiérarchiques et l’accroissement
du spectre social. La compagnie des Chemins de fer du Nord
en est le meilleur exemple en 1900, déployant une large
gradation de postes intermédiaires, la plupart gravis année
après année par l’employé consciencieux : 28 échelons de
qualification ou de traitement aux « travaux et voies » ; 43 aux
« matériels et tractions » ; 64 à l’exploitation, ce qui diversifie
comme jamais les échelons, les grades, accentuant l’espérance
de réussite ou de promotion 1314. Ce sont ces tensions que
prétendent viser les villégiatures nouvelles, ce sont aussi les
surmenages que visent les excursions scolaires, les départs
annuels pour quelques jours hors de la ville effectués dans les
lycées fortunés ; celui qu’institue l’École alsacienne, par
exemple, à partir de 1890 : cinq jours en juillet dans les Vosges
autour du lac de Gérardmer avec des marches de 18 kilomètres
par jour en 2 étapes 1315.
Dans le développement des maux à redouter et à prévenir,
les malaises psychologiques acquièrent une profondeur qu’ils
n’avaient pas. Ils sont nommés, décrits, évalués jusqu’aux
tentatives d’en suggérer la mise en chiffres et l’explication.
Peu importe la précision de cette explication. Le résultat est
une extension du territoire de l’hygiène, la prise en compte de
désordres intimes, la place plus grande donnée aux errances du
moi.
CINQUIÈME PARTIE

MIEUX-ÊTRE ?
XXe SIÈCLE
Mieux-être ?
Luke, le personnage d’une nouvelle d’Edmund White, en
1988, se livre à une expérience psychologique : il « visualise
des cellules saines avalant des cellules malades 1316 » pour
retarder le moment où sa séropositivité se transforme en sida.
Il attend de son état imaginaire un effet sur son état cellulaire,
manifestant une étonnante confiance dans sa force intérieure ;
signe de la place grandissante donnée au registre
psychologique et à son efficacité supposée : « J’arrive à me
représenter les globules blancs telle une sorte de nuage de
salubrité 1317. »
Plus encore, les personnages de White indiquent un nouveau
rapport au mal : l’attente d’indices sanguins et de taux
globulaires ; une quête rythmant leurs gestes quotidiens ; la
possibilité de commenter interminablement le tableau chiffré
désignant leur état de résistance. C’est l’initiative plus grande
des acteurs que soulignent ces textes, avec cette formule
revenant comme un leitmotiv : « Tu dois te prendre en
charge 1318. » Le sida révèle ici les ultimes déplacements des
pôles préventifs : responsabilisation, individualisme, précision
du calcul du risque, sophistication des techniques de dépistage.
Mais le sida révèle aussi de nouvelles zones d’ombre :
l’impuissance durable à saisir l’originalité de la séropositivité
découverte en 1981, le rôle trouble de l’industrialisation de la
santé qui a sans doute permis le maintien de sang contaminé
sur le marché de la transfusion ou qui a pu favoriser la
négligence de tests pour des raisons de coût. Unique par le mal
qu’il représente, mêlant, comme aucune épidémie jusque-là, le
sang, le sexe et la mort, le sida l’est aussi par ce qu’il nous
apprend de nos sociétés.
1. Le sida, la prévention, la responsabilité
Il faut revenir sur les premières informations données du
fléau autour de 1981-1983, celles de la presse, en particulier,
qui ont rapproché l’infection nouvelle des catastrophes
anciennes 1319. Le titre de Libération, le 13 novembre 1981 :
« La peste aux USA » ; celui du Nouvel Observateur, le 26
avril 1985 : « Sida, la nouvelle peste » ; les commentaires du
Quotidien de Paris, le 28 avril 1983 : « Face à un fléau qui
serait l’équivalent de la peste et de la lèpre au Moyen Âge, les
réactions deviennent irrationnelles, irréfléchies. » La
comparaison frappe, bien sûr, par sa disproportion avec la
réalité. La mortalité à elle seule est différente de celle des
vieilles épidémies, même si le chiffre de 20 250 cas de sida
déclarés en France entre 1981 et 1992 1320 est considérable,
tout comme celui de 100 000 morts de la maladie aux États-
Unis entre 1981 et 1991 1321, où celui, plus encore, de
l’atteinte parisienne : première cause de mortalité depuis 1992
chez les Parisiens hommes de 25 à 44 ans 1322.
Le scénario du fléau majeur
Croyances et illusions se sont longtemps multipliées,
nombreuses, inattendues ; comme le montre, en 1992, le
procès intenté en France contre la vente de serviettes très
particulières, réputées effacer le « virus du sida » d’un
« combiné téléphonique, de la poignée d’un chariot de
supermarché ou d’une lunette de W.-C. 1323 » ; comme le
montre aussi l’enquête de Jean-Paul Moatti, en 1990,
indiquant que 34 % des personnes françaises interrogées
jugent possible la communication du virus par les toilettes
publiques 1324 ; où comme le montrent encore quelques
comportements proches des vieilles défiances contre les
« premiers » microbes : le congé donné par des propriétaires
new-yorkais à leurs locataires médecins recevant des patients
atteints du sida 1325. La peur entretient les errances, même si
plus de dix ans après la découverte de l’épidémie certaines
d’entre elles sont aujourd’hui mieux maîtrisées.
Plus caractéristique est une autre manifestation de
l’inquiétude ; celle qui projette un effondrement social
possible, l’évocation d’un risque d’effacement collectif par le
mal : la réponse de 30 % d’enquêtés dans la population
française avouant, en 1991, faire du sida « le souci
essentiel 1326 » ; la supplique contenue dans un rapport de
1987, par ailleurs pertinent et précis : « Continuons dans cette
voie et nous prouverons notre inaptitude à réagir devant une
urgence qui met en danger notre société 1327 » ; la phrase plus
concise inscrite au bas d’une affiche de 1988 : « La France ne
veut pas mourir du sida. » L’image proposée, lointaine,
confuse mais insistante, est celle de la « fin », l’échec de tous,
celle de la chute, globale, implacable.
Les nuances sont nombreuses, bien sûr. Un consensus a eu
lieu dans la grande presse, pour conjurer une panique
collective, quelques années après la prise de conscience de
l’épidémie en 1981. Les titres le montrent ; celui de L’Express,
le 26 juillet 1985 : « Faut-il avoir peur du sida ? » ; celui du
Point, le 16 septembre 1985 : « Psychose ou réalité. Sida :
faut-il avoir peur du sexe ? » Une enquête nationale de 1991,
donnant aux chiffres une précision qu’ils n’avaient pas,
contribue, parmi bien d’autres travaux, à plus d’objectivité :
100 000 à 200 000 personnes contaminées en France à la fin
de l’année 1989, alors que des prévisions antérieures
évoquaient, sans base scientifique réelle, 300 000 personnes
contaminées, quelquefois même 500 000 1328. D’où, pour
beaucoup, l’urgence d’informer sans passion : « Le sida n’est
pas la peste, c’est simplement le sida et cela suffit 1329. »
Bien que moins évoqué, le scénario du danger majeur ne
disparaît pas, pourtant : un sous-titre du Monde le rappelle, le
20 juin 1990 : « Nous devons nous considérer en état de
guerre » ; un titre du Parisien libéré, le 20 juillet 1992 : « Des
prévisions catastrophiques » ; ou quelques phrases de
célébrités assimilant l’épidémie à « la maladie la plus
dévastatrice et au problème social le plus important de notre
époque 1330 ». Ces formules suggèrent un besoin très
spécifique des sociétés contemporaines : la mise en scène
alarmée du déclin pour mieux le conjurer. Une façon
d’esquiver l’« impossible » tout en le côtoyant. Démarche
caractéristique de communautés devenues plus techniques,
plus démocratiques surtout, et a-religieuses, celles qui doivent
plus que d’autres fabriquer leur sens et entretenir leur
cohésion. Le scénario apocalyptique accélère programmes et
défis. L’horreur de la dégénérescence renforçait, au XIXe
siècle, les ambitions du temps : la mise en scène du progrès,
les affirmations nationales. Le scénario du cataclysme
conserve une force fédérative aujourd’hui, même si les
pratiques autoritaires n’ont plus la même légitimité, ni l’idée
de progrès la même transparence. Le sida s’ajoute d’ailleurs à
d’autres scénarios de la « fin » comme l’a suggéré Susan
Sontag dans une énumération cumulative et bariolée, montrant
combien le sens du risque s’est étendu dans nos sociétés
médiatiques et surinformées : « À la mort des océans, des lacs
et des forêts ; à la croissance incontrôlée des populations dans
les pays pauvres du monde ; aux accidents nucléaires comme
celui de Tchernobyl ; à l’affaiblissement et aux trous de la
couche d’ozone ; à la vieille menace de confrontation
nucléaire entre superpuissances, ou d’attaque nucléaire par
l’un des États rebelles qui échappent au contrôle des
superpuissances – à tous ces périls il faut désormais ajouter le
sida 1331. »
Une autre raison, plus sommaire, peut expliquer « la
démesure des réactions de l’opinion publique 1332 » devant
l’épidémie nouvelle. C’est l’habitude toute contemporaine de
multiplier les préventions efficaces : la tuberculose, par
exemple, dont la mortalité de 150 pour 100 000 habitants
français, en 1935, est de moins de 7 pour 100 000 en
1970 1333 ; la syphilis, dont les cas déclarés au nombre de
15 000 en 1945 sont de 3 000 en 1970 1334 ; ou certains
cancers, comme ceux de l’estomac, dont la mortalité de 20
pour 100 000 en 1950 est de 5 pour 100 000 en 1980 1335.
C’est bien le sentiment d’une plus grande emprise sur les
pathologies, celui d’un endiguement des infections surtout, qui
rend d’emblée les maux moins acceptables. D’où, contre le
sida, cette mise en place d’un dispositif scientifique sans
précédent : la création, dès février 1982, d’un groupe de travail
à Paris avec les représentants de spécialités médicales
différentes ; la tenue de conférences mondiales annuelles
lourdement médiatisées, dont celle d’Amsterdam, en 1992,
réunissant plus de 11 000 participants, près de 1 000 orateurs
pour 5 000 communications 1336 ; la création, entre 1988 et
1989 en France, de plusieurs organismes aux responsabilités
complémentaires et ciblées : l’Agence nationale de la
recherche sur le sida pour sélectionner et coordonner les
actions de recherche, l’Agence de lutte contre le sida pour
coordonner les actions gouvernementales, le Conseil national
du sida pour soumettre des recommandations éthiques et
sociales. Tous organismes d’une évidente utilité, mais qui
montrent le traitement « particulier » dont bénéficie le mal et
donnent un poids très nouveau à certaines comparaisons : « Il
faut “sidaïser” les autres pathologies… Nous pourrions rêver
d’une santé publique qui suivrait toutes les pathologies avec
autant d’attention, des études économiques, épidémiologiques,
sociologiques faisant le point, semestre après semestre sur
l’évolution de la situation 1337 ! »
« Responsabiliser »
Le sida est devenu le « fléau du XXe siècle 1338 », celui qui,
en une décennie, a envahi toutes les consciences, mais aussi
celui qui, par les défenses proposées, révèle un ultime
déplacement du rapport entre l’individu et la communauté. Les
gestes à l’égard des personnes infectées, par exemple,
montrent combien le mal appartient à un autre univers culturel
que celui des anciennes épidémies. Le comportement préventif
marque l’aboutissement d’un long trajet historique, celui qui
inverse insensiblement les défenses contre le mal : moins
rejeter le porteur de risque, par exemple, et mieux élaborer les
défenses individuelles, moins agir sur l’autre et plus agir sur
soi. Le renversement s’opère d’autant mieux avec le sida que
l’épidémie concerne des pratiques éminemment individuelles,
la sexualité, la toxicomanie.
Plusieurs voix, dans un premier temps, n’ont certes pas
hésité à suggérer la mise en quarantaine du malade, assimilant
la personne infectée au danger qu’il faut éloigner. Image toute
traditionnelle de l’assaut « extérieur », celle de
l’envahissement, avec son cortège de répressions et de rejets.
Les exemples d’isolement existent : placement, en 1985, dans
un bâtiment séparé, des 139 détenus porteurs du virus à la
prison modèle de Limestone en Alabama 1339 ; l’insistance des
autorités de Besançon en 1992 pour trouver « antinomique par
rapport à la vocation climatique de la ville 1340 »
l’implantation d’un centre réservé aux malades atteints du
sida ; ou même la récente exclusion par les très sourcilleux
membres d’un club de billard hollandais d’un des sociétaires
présentant une séropositivité 1341.
Les mesures non discriminatoires se sont imposées,
pourtant, même si les États-Unis continuent de refuser le
permis de séjour aux porteurs du virus, soulignant ainsi la
différence entre un puritanisme américain et d’autres
comportements plus libéraux. Une « seule arme 1342 », à vrai
dire, est aujourd’hui jugée efficace, prônée plus que jamais par
les campagnes publiques : le changement des gestes intimes, et
non le retranchement des personnes infectées. Le débat sur la
réouverture des maisons closes l’a montré en 1990. La
proposition d’isoler les prostituées est restée sans écho : un
acte jugé aussi indigne que dangereux ; mesure pouvant
déclencher toutes les stratégies transgressives, le désir des
« exclues » d’échapper à la surveillance, par exemple, et, du
coup, celui d’échapper aux gestes préventifs comme aux
gestes de soins. Trop risquée aussi la naissance d’un faux
sentiment de sécurité : l’impression de résoudre le problème
en l’enfouissant dans le secret des maisons closes, alors que
l’alerte doit porter sur chaque comportement individuel 1343.
Un changement est consommé : le refoulement tout théorique
de la syphilis dans les murs de la prostitution appartient au
XIXe siècle.
Le refus d’étendre l’obligation des tests de dépistage montre
aussi l’insistance nouvelle sur la responsabilisation. Ces tests,
dont le résultat peut apprendre brutalement l’existence d’une
séropositivité, sont obligatoires en France depuis juin 1985
pour les dons du sang ; le risque étant ici massif. L’Académie
de médecine en a voulu étendre le principe. Elle recommande
le 11 février 1992 leur application obligatoire aux femmes
enceintes, comme leur présence obligatoire dans les certificats
prénuptiaux : une façon de repérer les malades pour mieux les
contrôler 1344. Mais, à peine le vote connu, les avis indignés se
multiplient. Sur l’effet contre-productif d’une obligation
générale, d’abord : « Toute personne qui apprend sa
séropositivité, sans avoir fait la démarche volontaire, va
refuser pendant un temps une prise en charge de soins 1345 » ;
sur l’effet psychologique très particulier de cette obligation,
ensuite, donnant à chacun la fausse impression d’être protégé
par le contrôle des autres : « Toute mesure de dépistage
systématique a un effet de démobilisation, de
déresponsabilisation, chaque personne négative compte sur les
personnes infectées pour assurer la sécurité de tous 1346. » Un
communiqué ministériel tranche le débat en mars 1992 : les
tests de dépistage demeurent non obligatoires à l’exclusion des
dons du sang 1347. Attitude qui confirme un souci dominant :
la défense contre le sida tient à l’attitude de chacun.
Éduquer
C’est l’éducation qui fonde alors les pratiques préventives.
D’où l’importance décisive des campagnes et messages
publics. D’où, surtout, ce rôle spécifique donné à l’État :
contribuer à la pédagogie plus qu’à la répression. Non que les
résultats obéissent automatiquement à cette visée officielle.
Les enquêtes montrent combien la compréhension du message
n’implique pas toujours sa mise en acte. Nombreux sont les
enquêtés pour dire, en 1990, que les campagnes ont amélioré
leurs connaissances sur la prévention du sida (66 %), plus
rares pour dire qu’elles ont modifié leur conduite personnelle
(12 %) 1348, chiffres à peine majorés dans l’enquête de
1992 1349. L’affinement du message est alors la tâche
constante, interminable, de la démarche préventive.
Au moins ce travail est-il sans rapport aujourd’hui avec
celui du XIXe siècle. Les formules employées, le sens des
images, confirment l’effacement des vieilles propagandes. Le
message devient information minimale, et non plus consigne
morale ; comme pour cette jeune femme dévêtue et complice,
à laquelle une affiche allemande prête une confidence précise :
« Je suis à vous en toute confiance, mais avec un
condom 1350 » ; ou pour ce couple danois, surplombant
l’image d’un préservatif soulignée d’un bref conseil : « Ayez
un peu de bon sens dans vos rencontres occasionnelles 1351. »
Tout aussi réaliste encore est la formule française diffusée en
1989, « le sida, chacun de nous peut le rencontrer 1352 ». Les
suggestions sont directes, dépouillées, les comportements
n’étant ni jugés ni commentés, pour mieux ramener le public
au plus près du danger « réel ». La prolongation d’une
dynamique culturelle depuis longtemps commencée, celle d’un
individualisme fondé sur la rationalité.
La vigilance économique est l’autre versant de cette
politique pédagogique : rendre les conseils « concrétisables »
pour les rendre plus crédibles, faciliter l’accès aux tests de
dépistage, par exemple, ou accroître la diffusion des seringues
et des préservatifs. Des obstacles surgissent, bien sûr,
inattendus, soulignant combien la santé est aujourd’hui
devenue un marché. Les tests ne se sont-ils pas développés au
rythme de tensions financières ? La concurrence entre firmes
françaises et américaines exploitant les brevets a freiné leur
application en 1985 et 1986, alors qu’ils étaient obligatoires
pour les dons du sang 1353. De même la création de « centres
de dépistages anonymes et gratuits » préconisée par la
Direction générale de la santé, en 1985, s’est-elle encore peu
étendue pour de simples raisons de coût. D’où cette plainte de
la directrice du centre de Lariboisière, en 1992 : « On a entre 5
et 10 consultants par heure au minimum ; et parfois, on peut se
retrouver avec 30 personnes en attente 1354. » Beaucoup plus
grave : des contaminations ont eu lieu dans des conditions
obscures où la volonté de préserver des intérêts médicaux ou
financiers semble avoir dominé.
Zones d’ombre
Divers jugements de justice dans l’affaire du « sang
contaminé » révèlent un paradoxe tragique : l’investissement
exceptionnel dans la prévention du mal n’a pas empêché
« l’oubli des règles de déontologie médicale 1355 » dans le
maniement du sang. Ce qui a provoqué la contamination de
50 % des 4 000 hémophiles français. Une « défaillance »
rendue pourtant possible par un progrès : la technique de
concentration du facteur VIII coagulant qui a transformé la vie
des hémophiles après 1970. La poudre aisément portable,
utilisable à tout moment et en quelques minutes, a
révolutionné l’indépendance physique de ces malades ; l’usage
d’ampoules de 20 millilitres leur permettant de multiplier les
injections et de prévenir les micro-hémorragies internes. Un
risque pourtant est décelé en 1983 : il suffit d’un seul donneur
séropositif pour contaminer l’ensemble d’un lot ; danger
d’autant plus sérieux qu’il faut le mélange de 4 000 à 5 000
dons individuels pour fabriquer industriellement un lot.
L’examen clinique de 3 hémophiles, fin 1983, montre qu’ils
sont contaminés. Les lots mis en circulation sont
potentiellement dangereux.
Depuis mai 1983, un procédé de chauffage dans la
fabrication des concentrés permet d’inactiver le virus du sida.
Des produits chauffés sont vendus et diffusés par la firme
américaine Travenol-Hyland 1356. Ils ne sont pas utilisés en
France : hésitations et inertie semblent frapper les autorités de
la transfusion sanguine. C’est au début de 1985 que la preuve
est apportée : seuls sont reconnus protecteurs les produits
chauffés ; plusieurs centres français amorcent leur fabrication.
Le scandale pourtant est à venir : le Centre national de la
transfusion sanguine juge « trop » coûteuse en mai 1985 la
perte de lots non chauffés. Le raisonnement économique, celui
de la rentabilité d’une « véritable usine à sang 1357 »,
l’emporte sur le raisonnement épidémiologique. Ce qui rend
terrible cette injonction du directeur du Centre, le 7 mai 1985,
alors que le risque semble établi : « Ceci suppose
naturellement que le stock de produits “contaminants” soit
distribué dans sa totalité avant de proposer ces produits
chauffés de substitution 1358. » On sait la diffusion infectieuse
qui en est résultée et la condamnation pénale du 23 octobre
1992, confirmée en appel le 13 juillet 1993 1359.
L’exemple ne se limite pas à la France : 44 % des
hémophiles sont contaminés en Grande-Bretagne, 60 à 90 %
aux États-Unis, 48 à 61 % en Allemagne, 40 à 70 % en
Irlande, 72,4 % au Brésil 1360. Plus difficile est de comprendre
comment ont pu « être acceptés pour autrui des risques de
mort 1361 », alors que la maladie était qualifiée de « peste du
XXe siècle » et que les engagements étatiques s’étaient
largement renforcés. Une faille dans la santé publique au
moment où les attentes de sécurité n’avaient jamais semblé
plus pressantes ? Le recul de la blouse blanche devant le calcul
du boutiquier ? L’affaire du sang contaminé, c’est d’abord
cette impossibilité d’abandonner une logique industrielle, la
mise en place de produits si efficaces et si coûteux que leurs
dangers potentiels ont pu paraître « secondaires ». L’épisode
rappelle encore combien la sophistication médicale fait naître
de risques là même où ils n’étaient ni perçus ni pensés,
imposant une vigilance nouvelle dont l’évidence a pu tarder à
s’imposer.
Mais l’affaire du sang contaminé, c’est une autre
méconnaissance, plus obscure et plus collective celle-là : la
difficulté de comprendre rapidement l’originalité toute
particulière de chaque épidémie, la durable sous-estimation de
la transmission du sida par le sang, entre autres, ou la durable
mécompréhension du sens précis de la séropositivité. Très
révélatrice est ici la réaction des époux Mailloc lorsqu’ils
apprennent en juillet 1984 la séropositivité de leurs enfants
hémophiles : « Nous ne savions pas ce que cela voulait dire.
On disait à l’époque que le fait d’avoir des anticorps protégeait
contre le sida comme pour l’hépatite. Nous ne nous sommes
pas inquiétés 1362. » Une réaction confirmant combien
l’intensité de la peur a pu s’accommoder de connaissances
tronquées. Une difficulté d’abandonner les vieux repères de la
microbiologie traditionnelle avec ses transmissions par contact
et ses défenses par anticorps. L’épidémie a effrayé comme
jamais, alors même que « personne jusqu’à l’été 1985 » n’a
rapidement et clairement « mesuré vraiment sa gravité 1363 ».
La condamnation de quelques responsables pourrait alors
masquer des défaillances plus opaques. Elle pourrait, en
stigmatisant des fautes individuelles, dispenser d’une réflexion
sur les responsabilités et les croyances collectives. C’est bien
ce qu’enseigne un des épisodes les plus tragiques de
l’infection par le virus du sida : la technologie et l’exigence de
rentabilité ont pu occulter la déontologie chez ceux qui
savaient, mais aussi les vieilles notions épidémiques, outre la
peur diffuse, ont pu entretenir nombre d’illusions chez ceux
qui auraient dû savoir ; y compris chez des médecins avouant
aujourd’hui avoir été surpris par l’épidémie nouvelle,
reconnaissant la « formidable myopie du début des années
80 1364 » et la difficulté à mesurer l’importance de la
transmission par le sang. Cette confession d’un anesthésiste
interrogé par Le Monde en février 1993 : « Nous n’avons
qu’une manière de nous en tirer : l’humilité 1365. »
D’autres zones d’ombre persistent, bien sûr : la différence
d’atteinte entre régions et continents par exemple. La peur
occidentale s’accommode ici d’une ignorance relative : les
pays du tiers-monde rassemblent actuellement plus de 80 %
des cas de sida, les morts africaines représentant à elles seules
75 % des morts dues à l’épidémie 1366. Différence dans les
modes de transmission où l’infection par contact hétérosexuel
peut varier de 10 % en Amérique du Nord à 70 % en Afrique
subsaharienne 1367. Différence dans les modes de vie où
certaines collectivités du tiers-monde assimilent les
campagnes pour l’usage du préservatif à l’invention de
colonisateurs dangereux 1368. Différence dans
l’instrumentation où certains hôpitaux africains comme celui
de Kinshasa ne disposent « ni d’argent ni de matériel 1369 ».
Différence dans les investissements enfin, où, sur le 1,5
milliard de dollars dépensés pour la prévention dans le monde,
6 % seulement vont aux pays en voie de développement 1370.
L’épidémie est bien multiple, variant avec les continents.
La scène sanitaire est plus que jamais disparate. Le partage
entre nantis et non-nantis étendu aux relations entre pays a
transformé la lutte antiépidémique : le combat sur les
frontières, celui que menait Adrien Proust en 1889 pour arrêter
le choléra sur les crêtes pyrénéennes 1371, n’a plus valeur
universelle. Les flux de circulation contemporains comme le
développement « galopant 1372 » de l’épidémie en Afrique ou
en Asie ont déplacé le problème. Les échanges imposent le
danger, même si la menace porte moins, en l’occurrence, sur le
sida que sur les infections opportunistes qu’il développe : « Il
est à craindre que l’existence d’une population de plusieurs
millions d’individus aux défenses immunitaires affaiblies
favorise la résurgence de maladies très contagieuses que l’on
croyait jugulées dans notre monde développé 1373. » Aucune
défense des pays industrialisés ne semble alors assurée sans
intervention préventive auprès des plus démunis. D’où cette
ambiguïté très contemporaine : les maladies proliférant dans
les zones déshéritées, repoussées comme les guerres aux
périphéries de l’industrie et du progrès 1374, drames vaguement
ignorés, égarés dans les flux télévisuels, et l’amorce de
solidarités nouvelles, mal perçues encore, imposées au-delà du
simple humanisme avec ces régions « éloignées ».
Les attitudes envers le sida sont un miroir des pratiques de
santé d’aujourd’hui, par la responsabilisation de chacun
qu’elles semblent favoriser, donnant aux décisions
individuelles une place qu’elles n’avaient pas ; par l’existence
de zones d’ombre aussi, révélant des résistances nouvelles aux
démarches sanitaires et appelant sans doute à recomposer les
solidarités.
2. La santé « indéfinie »
Les pratiques sanitaires quotidiennes semblent favoriser une
nouvelle responsabilisation. La prévention à l’égard du sida le
montre. Le modèle s’étend à l’ensemble des gestes de santé :
la surveillance continue, pour chacun, de ses propres indices
physiques en est un exemple. L’individualisme cent fois étudié
dans les années 1980 1375, avec sa rhétorique publicitaire, ses
formules consommatoires, son intensification des choix, donne
un ton particulier aux préceptes actuels de santé sur lesquels
des zones d’ombre persistent aussi.
« Faites votre auto-contrôle 1376 »
Une publicité anodine dans un mensuel français de 1992
révèle la double révolution des pratiques préventives depuis
ces dernières années. Un texte accompagné de photos
d’hommes et de femmes anonymes prises aux différents âges
de la vie propose l’acquisition d’une minuscule boîte : le
produit permet d’effectuer un test très précis, « connaître votre
taux de cholestérol… en trois minutes chez vous, à tout
moment et à jeun 1377 » ; apprécier la présence de cet alcool
stéroïde dont l’excès possible se dépose lentement sur les
artères jusqu’à les affaiblir ou les obturer. Le chiffre obtenu
désigne le risque d’accident cardiaque. D’où l’objectif du test :
mieux orienter régimes et modes de vie.
Il faut une première révolution préventive pour rendre
possible ce calcul : l’extension de maladies peu ou non
évoquées par les hygiénistes du début du siècle, maladies
cardiaques, cancers, celles dont l’importance prend le pas sur
les maux infectieux du XIXe siècle. D’où les études accélérées
pour repérer l’origine de ces maladies « nouvelles ». Keys, un
des premiers aussi, autour de 1950, souligne la liaison
statistique entre la cardiopathie coronarienne et l’ingestion
excessive d’acides gras saturés producteurs de cholestérol 1378.
La carrière sanitaire du cholestérol est alors déclenchée :
substance taboue, imposant le calcul laborieux des taux jugés
normaux, 2 grammes par litre de sang pour les personnes de
20 à 30 ans, 2,4 pour celles de plus de 40 ans.
Mais il faut une deuxième révolution préventive pour que le
test ainsi auto-administré soit devenu possible. Il faut que des
instruments jusque-là réservés aux professionnels de la santé
soient propagés dans le public, simplifiés, commercialisés. Il
faut une demande aussi pour que ces auto-contrôlés soient
jugés acceptables. À ces conditions naissent ces enregistreurs
minuscules dont la panoplie s’étend aujourd’hui. Le test de
grossesse en est un des exemples les plus courants. Le recours
à l’Urimho en est un autre : petit instrument se « glissant
facilement dans votre poche 1379 » et permettant de connaître
la concentration en sels minéraux par simple contact d’une
goutte d’urine. Un voyant coloré s’allume (vert, jaune ou
rouge) pour « indiquer votre risque de calcul rénal 1380 ».
Conséquence : une appréciation immédiate du régime
alimentaire adapté. Autre exemple, le « tensiomètre digital » :
la possibilité d’effectuer « régulièrement chez soi un acte de
prévention élémentaire et indispensable 1381 » avec un petit
appareil enregistrant la tension artérielle sur l’index.
L’usage de ces tests souligne une tendance forte des
nouvelles démarches préventives : la tentative de « piloter »
son propre corps à l’aide d’un appareillage individuel, suivre
la fluctuation de ses taux, prévoir les conséquences de leurs
relevés. À l’image énergétique inventée au XIXe siècle,
toujours présente dans la recherche de ressources caloriques,
vient aujourd’hui s’associer celle d’un corps informatisé,
maintenu dans ses équilibres par l’observation continue de
signaux chiffrés. Ce qu’Attali évoque en projetant l’usage de
capteurs placés à même la peau : « De nombreux instruments
d’auto-diagnostic utiliseront bientôt des microprocesseurs…
Un jour chacun portera au poignet un appareil enregistrant en
permanence l’état de son cœur, sa tension artérielle, son taux
de cholestérol, etc. D’autres appareils portatifs ou greffés
mesureront de même d’autres paramètres de santé 1382. » La
vision est quasi utopique, l’ère des capteurs généralisés
demeure lointaine. Mais la tendance est présente, confirmée
par les appareils actuels d’auto-diagnostic.
Des facteurs de risque à l’individualisation génétique
Le pilotage que chacun peut exercer sur lui-même est
facilité par la révolution de l’épidémiologie : le privilège
donné aux facteurs de risque et surtout à leur possible profil
individuel. Le recul des maladies infectieuses après 1950 et le
développement de l’outil statistique ont facilité le changement.
Plus encore, c’est l’ignorance de la cause exacte des
« nouveaux » troubles, au milieu du siècle, cancers, maladies
cardiaques ou respiratoires, qui a privilégié la recherche de
probabilités, celle de coefficients et de pourcentages : les
« chances » statistiques que court un individu d’être atteint. Le
calcul s’est affiné, individualisé, portant sur l’environnement
et les attitudes de chacun : le tabac, par exemple, qui multiplie
par 2,7 chez le fumeur et par 4,1 chez le grand fumeur (fumant
plus de 15 cigarettes par jour en inhalant la fumée) le risque
d’une maladie coronarienne ; ou le diabète qui double ce
risque coronarien ; ou le taux de cholestérol différencié selon
le « risque modéré » ou « élevé » qu’il exerce 1383. La
probabilité porte sur des lieux, des publics, des
comportements. Les risques de cancer, par exemple,
augmentés de 100 fois chez les « grands fumeurs » et les
« grands buveurs » 1384 ; ou le risque d’une pression artérielle
excessive augmentée de 2 fois chez la jeune fille dont le poids
du corps dépasse de 20 % la norme de référence, et de 2,5 fois
chez le jeune garçon obéissant aux mêmes conditions 1385 ; ou
le risque de cancer du sein augmenté de 3 fois par l’existence
d’un antécédent familial (mère, tante, sœur) 1386.
C’est à épier ces facteurs de risque que s’oriente le régime
de vie : adapter le comportement aux menaces individuelles et
chiffrées. D’où la nouvelle formulation des conseils de santé :
« Selon vos facteurs de risque certains examens vous
concernent particulièrement 1387 » ; traquer non plus
seulement des causes directes, comme les microbes dissimulés
dans le milieu, mais des causes prédisposantes, celles qui
changent avec le présent et le passé de chacun.
Plus individualisée encore est la prévention fondée sur
l’analyse génétique : celle du gène DD, producteur d’une
enzyme vaso-constrictive favorisant l’obturation des
coronaires 1388 ; ou celle des trois gènes du diabète découverts
en 1991 1389. Pour la première fois, une « médecine
prédictive » fondée sur « le dépistage prénatal et
préclinique 1390 » devrait désigner le profil sanitaire d’un
individu, ses risques, ses maladies à venir. D’où les
conséquences préventives possibles : « Quand nos
connaissances seront assez avancées, cette méthode pourrait,
d’une manière plus générale, permettre d’organiser la “niche
écologique” de chacun en fonction de son patrimoine
génétique 1391. » Résultats encore peu affirmés, bien sûr, mais
le projet de « carte génétique » confirme bien l’attente d’une
prévention plus individualisée.
Tendance repérable encore dans la presse vulgarisant
l’information médicale, celle qui prétend ne pas laisser le
consommateur « désarmé à l’heure du choix 1392 ».
Une santé « consommée »
Le nombre de magazines spécialisés dans la prévention,
avec leur diffusion à grande échelle, leur exploitation
publicitaire, s’est multiplié depuis une vingtaine d’années :
plus de 15 titres aujourd’hui en France (Top santé, Réponse à
tout santé, Santé-Magazine, Santérama, Santé plus,
Prévention santé, Que choisir santé…), alors qu’un ou 2
seulement existaient dans les années 1970. Croissance des
lecteurs aussi : Santé-Magazine est devenu, en 1991, le
deuxième en nombre de lecteurs (4 285 000) parmi les 120
mensuels français les plus diffusés ; Top santé le douzième
(2 674 000) 1393. Progression accentuée en 1992, 4 550 000
lecteurs pour Santé-Magazine et 3 640 000 pour Top santé,
qui, du coup, devient le sixième mensuel 1394. L’ensemble
répond à une attente. Consommateurs sollicités dans leurs
soucis individuels et guidés dans leurs indices médicaux :
« Déchiffrez votre analyse du sang 1395 », « Les bons chiffres
de la tension artérielle 1396 », « Pour y voir plus clair dans vos
analyses biologiques 1397 », « Le guide des examens
gynécologiques 1398 », « Les examens au masculin 1399 ». Le
projet est explicite : rendre le code accessible, aider aux
options de chacun.
Les magazines révèlent encore une extension inépuisable
des maux pris en compte : conseils donnés pour fortifier les
ongles, éviter la lourdeur des jambes, limiter les sifflements
d’oreille, lutter contre les « sentiments de tristesse », le
manque de sommeil, le stress, mais aussi pour prévenir des
cancers ou identifier des troubles cardiaques. Série de
recommandations prolongées de numéro en numéro,
indéfiniment renouvelées, qui tient à l’aiguisement de la
sensibilité autant qu’aux découvertes médicales. Le processus
de civilisation déplace depuis longtemps les frontières entre le
supportable et le non-supportable, approfondissant le sensible,
rendant moins tolérés des « mal être » auparavant acceptés.
L’exigence n’est pas nouvelle. Elle s’est à coup sûr intensifiée.
Les enquêtes confirment ce gain progressif de conscience,
jusqu’à souligner son accélération récente. Le nombre de
maladies déclarées par les personnes interrogées s’est accru de
plus des trois quarts entre 1970 et 1980, comme le montrent
deux questionnaires identiques proposés, avec dix ans d’écart,
à un échantillon lui-même identique de population : 37 637
maladies déclarées par les enquêtés en 1970, 60 058 en 1980.
La progression est marquante. Elle révèle 1,62 maladie
déclarée par personne en 1970 et 2,28 en 1980 1400. Chiffre
sans grand rapport avec les affections réelles. La France n’est
pas plus malade en 1980 qu’elle ne l’était en 1970. Bien au
contraire, l’espérance de vie est passée de 76 à 79 ans pour les
femmes, entre 1970 et 1980, et de 68 à 71 ans pour les
hommes (82 et 74 ans respectivement aujourd’hui) 1401. La
vigilance sur soi, en revanche, s’est accrue, comme s’est
déplacée la frontière entre santé et maladie, expliquant en
partie le succès de ces magazines « toujours plus utiles pour
votre santé 1402 ».
Les pratiques consommatoires expliquent plus encore ce
succès récent. Une santé promue en style de vie, vendue
comme le sont aujourd’hui la plupart des actes quotidiens.
« Shopping santé 1403 », « Produits-santé du mois 1404 »,
articles « vous voulant du bien 1405 » occupent ces magazines
d’un nouveau genre. Le marketing oriente les sollicitations :
« bons d’essais 1406 » pour les produits, « jeux santé 1407 » sur
les marques, concours offrant des séjours gratuits en
thalassothérapie ou en « écoles du dos 1408 », abonnements
pour les « health clubs 1409 », les « clubs de mise en forme »,
les « cures jambes légères 1410 », les « centres de soins
marins 1411 », les stages « pleine vitalité 1412 ».
C’est à séduire, bien sûr, que sont ainsi engagés ces séjours
« stimulant vos défenses immunitaires 1413 » où ces denrées
luttant contre le cholestérol. C’est à créer un effet de clientèle,
fidéliser un public. Le marché de cette santé consommée
propose « toujours plus », étendant son territoire, comme l’a
fait avant lui le marché des biens domestiques. Une expression
nouvelle l’impose : « mieux être ». Elle fait le titre des
magazines de santé : « Goûtez au plaisir de mieux être 1414 » ;
elle fait le titre d’affiches publicitaires : « Pour mieux être
dans son corps et dans sa tête 1415 » ; elle fait le titre de livres
de régime : « Mieux être en 1 000 questions 1416 ». Formule
sans éclat, apparemment insignifiante, cette expression change
en profondeur les objectifs sanitaires. Elle rejoint la nouvelle
définition donnée par l’Organisation mondiale de la santé
évoquant « un état complet de bien-être physique, mental et
social ne se caractérisant pas uniquement par l’absence de
maladie ou d’infirmité ». Le but ici n’est plus simplement
d’écarter le mal comme le suggéraient les textes traditionnels,
ni même d’accroître les résistances organiques comme le
suggéraient, dès la fin du XVIIIe siècle, les thèmes du progrès,
il est aussi d’approfondir un sentiment, une façon de ressentir
et d’éprouver le corps. Au classique travail qui protège du mal
s’ajoute un interminable et obscur travail qui quête le bien-
être.
Les exigences du « mieux-être »
La manière même dont se concrétisent les pratiques de santé
peut alors changer. C’est le thème du plaisir que manie la
rhétorique sanitaire : « choisissez de vous faire du bien 1417 »,
« cet été, réveillez vos sens 1418 », « mariez plaisir et bien-
être 1419 ». Il y a un versant hédoniste, bien sûr, dans cette
insistance à « jouer sur la carte bien-être 1420 », à « rendre vos
siestes créatives 1421 », ou à proposer des conseils « adaptés à
vos besoins 1422 ». Les corps lisses, légers, bronzés des
magazines de santé, échappent aux ordres rigides des vieilles
gymnastiques ou aux prescriptions tatillonnes des vieux
régimes professoraux. Triomphe d’un individu plus
indépendant, plus narcissique sans doute, comme
d’innombrables textes l’ont souligné dans les années 1980, le
renouvellement de l’investissement sur le corps s’est imposé
comme une vérité d’autant plus tangible que sont tombés les
« au-delà », ou que se sont effacés les « grands messages ». La
chute des transcendances, politiques, morales, religieuses,
renforce cette importance de la conscience corporelle 1423 :
mieux s’éprouver, accroître le registre des sensibilités, ne pas
vieillir. Elle suggère l’investissement physique comme une
ressource ultime, de durée, de certitude, d’engagement très
personnalisé, installant une maîtrise de soi totalement
traversée par l’attention au physique et à son immédiateté.
Comment ne pas voir, pourtant, l’ambiguïté possible de ces
« évidences » ? À commencer par le versant hédoniste des
pratiques nouvelles. La minceur en est le meilleur exemple. Le
thème occupe toutes les pages des magazines de santé,
présenté comme un impératif d’autant plus obligé qu’il semble
définitivement accepté, d’autant plus « a-contraignant » qu’il
est jugé inévitable (« J’ai choisi de mincir heureuse 1424 » – le
choix n’étant pas de mincir, mais plutôt de le faire avec
« bonheur »). D’où la présence massive du thème lorsque sont
évoqués les formes du corps, mais aussi les aliments, les
exercices, les soins de vacances, ou tout simplement le
sommeil (« maigrir en dormant 1425 »). La chute des « au-
delà », l’effacement des grands messages livrent à vrai dire le
corps à une rigueur accrue des normes, imposant un
déplacement de l’exigence, une raideur particulière sur cet
ultime objet de valorisation. Ce qui fait du bien-être une
« servitude » nouvelle 1426. Que ces normes « consommées »
apparaissent plus séductrices ou plus libres ne fait aucun
doute. Que leurs contraintes ou leurs tensions demeurent bien
réelles ne fait aucun doute non plus.
D’autant que des formules plus insidieuses promeuvent un
modèle d’efficacité combative. Il s’agit aussi de « tester votre
efficacité 1427 », accroître « votre business force 1428 »,
« n’être rien d’autre que le meilleur 1429 ». Un projet que le
« livre scandale » de 1988, 300 médicaments pour se
surpasser physiquement et intellectuellement 1430, illustre avec
insistance. L’ouvrage, un temps interdit parce qu’il décrit
l’usage de substances jugées dangereuses, représente mieux
que tout autre la perspective nouvelle : accentuer les
performances autant que la sensualité de chacun. Ce que les
auteurs de ce livre sur le « surpassement » expliquent sans
fard : « Nous vivons dans un monde impitoyable où être le
plus fort, le plus débrouillard, le plus malin, le plus rapide,
mais aussi le plus résistant est devenu une condition nécessaire
sinon suffisante pour exister, pour réussir ou plus simplement
pour tenir 1431. » Cette explication reste partielle, bien sûr : le
struggle for life n’est pas une découverte de ces dernières
décennies, et le cynisme n’est pas a priori dominant. Mais la
pression grandit pour une promotion de chacun. Le gagneur a
plus de légitimité. Les magazines visant « une attitude mentale
gagnante 1432 » se sont multipliés eux aussi, de Challenge à
Managers et de Défis à Dynasteurs… C’est l’image de la
réussite, bien sûr, qui s’est démocratisée, suggérant à chacun
de se réaliser, fût-ce en devenant tout simplement lui-même.
D’où cette idée d’une excellence accessible ; la performance
promue en « autoréalisation de masse 1433 » ; la nécessité de
s’affirmer transposée en modèle banalisé et non plus en
modèle d’exception. Visée ultime de nos sociétés
démocratiques où le « héros ordinaire » guide « votre
réussite 1434 » et occupe les écrans.
Une double injonction contradictoire pèse alors sur chacun :
« Devenir vous et en être fier 1435 », mais aussi se détendre,
s’abandonner. La tension avec le corps ou les « retrouvailles
avec le corps 1436 » ; la réussite ou le retrait. Contradiction des
sociétés publicitaires, avec leur consommation de masse, où
une « philosophie de l’autocontrainte 1437 » faite pour
fabriquer les produits est indissolublement liée à une
« philosophie de la recherche du plaisir 1438 » faite pour les
vendre : rationaliser le temps, l’exploiter, mais aussi et
contradictoirement en jouir. Ce que montre l’augmentation des
produits psychotropes à visée divergente : la croissance des
tranquillisants comme celle des stimulants. Un tiers de la
population française avoue consommer des tranquillisants,
7 % étant des consommateurs réguliers 1439 ; alors
qu’augmentent tout autant les cocktails vitaminiques,
psychostimulants, Survector et autres amphétamine-like pour
avoir, « très vite, le goût d’agir, la volonté
d’entreprendre 1440 ». Les consommations de santé épousent
les contradictions de la culture.
Des zones d’ombre subsistent, bien sûr, dans ces pratiques
consommatoires, où l’intérêt financier peut tout simplement
l’emporter. L’usage du Duxil par exemple 1441 : médicament
conçu contre l’insuffisance circulatoire, commercialisé comme
« oxygénateur cérébral », dosé selon un seuil de gravité de 1 à
5, le Duxil a très vite été vendu comme une substance
préventive, sur l’initiative d’un directeur de marketing, sans
que cet effet préventif ait été clairement démontré. Une
prévention non prouvée, mais qui peut bouleverser les chiffres
de vente. La campagne publicitaire, lourdement orchestrée, a
ici multiplié productions vidéo et « congrès » de
sensibilisation pour informer les médecins et multiplier les
acheteurs. L’enjeu commercial a du coup débordé l’enjeu
sanitaire. Les cas du genre abondent dans ce succès de
produits préventifs aux effets non vérifiés : « l’organomètre
détecteur d’énergie 1442 », les « capsules d’ail gastro-
résistantes 1443 » ou le « dentifrice sans eau et sans brosse à
dents 1444 »… La santé consommée promeut aussi ses
pharmacologies incontrôlées 1445.
Une combinaison de modèles
Aucun doute : la logique consommatoire du « mieux-être »
a transformé les pratiques préventives, installées plus que
jamais dans un développement indéfini. Quelques modèles
s’imposent ici plus que d’autres ; certaines représentations
valorisées du corps par exemple. Le « mieux-être » possède
ses axes et ses choix.
Il faut souligner combien demeurent fortes certaines
polarités imaginaires. L’évocation toute critique d’un
personnage de Vautrin, dans une de ses nouvelles récentes, cet
Abel Truchant, notaire provincial, « ami des arts et de la
mangeaille », avec ses « artères calaminées par la graisse » et
son cœur « pompant à la baisse 1446 », indique bien le sens de
certaines images : le danger est toujours aux encrassements.
Ce qu’indiquent les innombrables conseils formulés dans les
magazines de santé pour « épurer votre foie 1447 », « dissoudre
les graisses 1448 », choisir des huiles « encrassant moins les
artères que d’autres 1449 ». Les vieilles références à
l’épurement du corps n’ont pas disparu, bien au contraire.
Elles sont seulement plus travaillées, sinon euphémisées :
déplaçant les mots, les images, évoquant les graisses et non les
déchets, dénonçant les « stockages » et non les pourrissements.
Dépôts divers, circuits embarrassés, demeurent les indices
intuitifs du corps malsain. C’est la graisse qui focalise les
nouveaux dégoûts, matière plus noble que les déchets, plus
insidieuse aussi, infiltrant les moindres espaces et gagnant
chaque enveloppe. Une graisse devenue objet littéraire, celle
que surveille le commissaire Maigret dans quelques-unes de
ses cures provinciales 1450, celle qui obsède Isabelle de Santis
dans un roman de Catherine Rihoit 1451, au point que chaque
difficulté de sa vie semble liée à un bourrelet excessif : « j’ai
grossi », « j’ai maigri », rythment les amours d’Isabelle, ses
réussites et ses échecs, mêlant indissolublement repères
esthétiques et repères sanitaires.
L’allègement des denrées pénètre d’ailleurs les mœurs
alimentaires au point que deux Français sur trois considèrent
l’usage de produits allégés comme « une façon d’être
raisonnable 1452 » ; au point aussi qu’une véritable
« lipophobie 1453 » s’impose sur les marchés de grande surface
sans que soient toujours mesurés ses possibles effets
contradictoires : l’accroissement des quantités ingérées, entre
autres, pour compenser l’affaiblissement calorique du produit,
ce qui peut tout simplement annuler l’allègement.
L’énergie est l’autre indice intuitif du sain et du malsain,
perçue elle encore très différemment des attentes passées : la
« basse » énergie alimentaire l’emporte, associée à une
« haute » dépense énergétique par exercice et pratiques
tonifiantes. La sévérité des régimes se dit d’ailleurs en chiffres
d’abaissement calorique : de 1 600 à 1 300 calories, par
exemple, pour passer d’un « régime doux » à un « régime
intense 1454 ». Insistance sur « les calories néfastes à la santé »,
celles qui, non consommées, « s’accumulent sous forme de
graisse 1455 » ; calcul toujours renouvelé sur les dépenses
nécessaires, celles qui sont brûlées par l’activité quotidienne,
alors que les surcroîts inutiles perturberaient la
« chaudière 1456 ». Les formules nouvelles disent la force du
modèle : « Limiter l’apport calorique, brûler les graisses,
épurer l’organisme, éliminer la cellulite 1457. » Cette énergie
ainsi contrôlée serait à la croisée des anciennes et des
nouvelles images : celle de la modération toute traditionnelle,
exprimée ici par la dépense et la combustion, celle d’une visée
plus large, alarmée par les environnements non maîtrisés et les
déchets d’industries, rêvant de forces non polluantes et
mesurées. L’énergie corporelle devrait ajouter la « douceur » à
l’intensité : « cœur solide, artères souples, muscles
dynamiques et cholestérol équilibré 1458 ».
Un nouveau modèle, enfin, vient composer avec les
précédents et participer aux critères subjectifs de santé : celui
d’un corps directement alerté sur les sensations, machine
informationnelle aux circuits maîtrisés. L’« écoute » des sens :
« Prendre conscience de son corps avec toutes ses articulations
pour qu’il puisse s’exprimer librement 1459. » Non plus
seulement la force, mais le sensible, non plus seulement
l’énergie, mais les perceptions : obtenir « une image de toutes
les parties de son corps 1460 », scruter les cénesthésies autant
que les effets musculaires, « solliciter le système nerveux,
hautement réceptif, pour aménager une information
subtile 1461 », se concentrer sur « son mouvement
personnel 1462 ». L’image d’un héros de Pirsig, traversant en
moto les plaines de l’Ouest américain en écoutant chaque
vibration de sa machine jusqu’à l’éprouver totalement en lui :
« Sensibilité cénesthésique profonde qui permet d’apprécier la
flexibilité des matériaux 1463. » Les nouvelles attentes vont
aux techniques relaxées, aux gestes contrôlés et
« mentalisés » : tous ces exercices promouvant l’ajustement
perceptif, « souplesse, détente et viscosité des
mouvements 1464 », relâchement travaillé, « connaissance
intime de soi-même 1465 », mais aussi jeux de pilotage et de
glisse des nouveaux engins sportifs, surfs, ailes volantes, skis
ou planches à voile, où le travail des sens peut l’emporter sur
celui des muscles.
Jusqu’aux diététiciens qui confirment la présence de ce
modèle « informationnel » et inventent une « diététique du
cerveau 1466 » : remarques inépuisables sur la nécessité du
magnésium, du sélénium, du zinc ou du cuivre ; indications
savantes sur les vitamines, l’acide folique ou les acides
aminés, qui révèlent d’ailleurs des attentes plus que des
résultats. C’est la prise en compte du cerveau dans la
diététique qui est ici originale plus que son contenu. C’est la
liaison entre le souci de santé et le « développement du
système nerveux au mieux de ses possibilités 1467 », plus que
la vérification des effets. D’autant qu’il n’existerait pas
directement « d’aliment-cerveau » et que cette diététique
particulière ne semble guère s’éloigner d’une diététique
générale. Ses conclusions demeurent d’ailleurs sans surprise :
« Adaptée, légère et variée, la nourriture permettra à
l’organisme d’être alerte et au cerveau d’être efficace 1468. »
La diététique ajoute ainsi le thème de l’informatisation
corporelle à ceux de l’épurement et de l’énergie.
3. Le défi politique
Les normes nouvelles ont aussi leurs détracteurs. Le
dénigrement de leur omniprésence par exemple : « Je fume et
je veux qu’on me fiche la paix. C’est clair et net, non ? 1469 »,
tranche J.-J. Brochier dans un pamphlet récent, réactivant
l’antagonisme entre les exigences sanitaires et l’autonomie de
chacun. Conflit très actuel entre deux libertés : celle que
promet la référence savante du « mieux-être », celle que
promet un épanouissement plus immédiat visant l’affirmation
de soi ; le fumeur inquiet du dommage et rejetant le tabac, le
fumeur décidant de « sa vie » et assumant le tabac.
L’antagonisme peut d’ailleurs en masquer un autre plus
fondamental, plus douloureux aussi sur les coûts collectifs,
transformant les enjeux sanitaires en conflits de solidarité.
Un conflit de libertés
Le risque de la fumée est devenu l’exemple le plus banal de
ces oppositions. Le constat du coût humain d’abord, qui fait du
tabac le responsable de près de 90 % des cancers du poumon
et de près de la moitié des décès annuels par
coronaropathie 1470. Un risque si important qu’il est reconnu
comme cause officielle de décès en Grande-Bretagne depuis
septembre 1992 1471. Le dispositif d’interdiction ensuite,
nouveau par rapport à la tradition : non plus la seule action sur
l’affichage ou la publicité comme ce fut le cas pour certains
alcools, mais l’intervention directe sur le fumeur et son
intimité. L’Union européenne impose depuis 1989 la présence
d’une mention sanitaire sur tout paquet de cigarettes, censée
interpeller le geste lui-même : « Fumer provoque le cancer »
ou « Fumer provoque des maladies cardio-vasculaires 1472 » ;
l’article 16 de la loi Évin du 10 janvier 1991 supprime la
possibilité de fumer dans tous bureaux à caractère public, elle-
même déjà réglementée par le décret du 12 septembre 1977 ;
la pression sur le fumeur, enfin, est accrue par l’article 7 de la
même loi, imposant la tenue d’une manifestation annuelle
intitulée « jour sans tabac », soumettant la fumée à une
vindicte implicite. La pression est accentuée par le débat sur
« la fumée des autres 1473 », celle, désagréable ou dangereuse,
que subit le voisin du fumeur, évaluée dans certains cas à
l’équivalent de 5 à 25 cigarettes par jour 1474. Le conflit est
alors campé : « Les non-fumeurs se rebiffent 1475. » C’est la
défense plus aiguë de l’espace intime qui s’impose, autant que
la conscience de maux jusque-là non perçus.
On voit mieux combien les mesures sur le tabac peuvent
affronter deux libertés : celle du fumeur, celle du non-fumeur.
D’où l’initiative de l’association créée par les producteurs de
tabac réunis en congrès national à Cahors en avril 1989, pour
assurer « le respect du fumeur et la défense de sa liberté 1476 ».
Il s’agit d’une des issues actuelles des sociétés démocratiques,
tentées de renforcer la sensibilité individualiste : « Chacun
chez soi et chacun pour soi : tels sont les mots d’ordre…
Apothéose de l’esprit bourgeois : l’espace public où chacun
peut parler à égalité disparaît, c’est le privé qui devient la
mesure de toute chose : chacun n’adhère qu’à un parti qui est
soi-même 1477. » On voit mieux aussi comment d’autres
craintes très différentes peuvent naître au-delà de ce « chacun
pour soi » : la défiance contre une intolérance pratiquée au
nom de l’hygiène, par exemple, ou la défiance contre le
renouveau de quelque ordre moral promouvant l’hygiénisme
en vertu civique ; la suspicion contre un rigorisme substituant
des valeurs de défense individuelle à celles des grands
modèles autoritaires aujourd’hui effacés. Des signes existent
de cette emprise non avouée, facilités par l’aiguisement de la
sensibilité et l’extrême diversité des malaises possibles : les
associations créées récemment aux États-Unis contre l’usage
en public du parfum ou contre la musique des radios portables
le montrent 1478, demandant à l’État une implacable
réglementation des odeurs et des bruits ; projets sourcilleux
jusqu’à la caricature prétendant préserver l’espace de chacun
en multipliant les contraintes. Ce qui fait craindre à Alain
Madelin un nouveau « paternalisme d’État 1479 » et conduit
Pierre Mauroy à une interrogation aussi troublée qu’ironique :
« Va-t-on demain, parce que le cholestérol est responsable des
maladies cardio-vasculaires, interdire la bonne chère 1480 ? »
La culpabilisation serait rampante. Un nouvel hygiénisme
naîtrait dans nos sociétés, insinuant, défensif, après celui
autoritaire et péremptoire de la fin du XIXe siècle.
Raisonnement extrême, bien sûr. C’est l’affrontement des
libertés qui est à retenir ici, et l’accroissement des objets jugés
menaçants, plus que le triomphe de quelque paternalisme
sournois. L’initiative de l’État pourrait même sembler encore
prudente à un examen plus attentif. Des mesures
réglementaires ne restent-elles pas « étrangement » en suspens
alors qu’elles sont depuis longtemps attendues et approuvées ?
Celles, en particulier, qui pourraient limiter fortement la
mortalité due à la consommation d’alcool et de tabac, ou la
mortalité due aux accidents de la route. Les statistiques sont
impitoyables : ce sont plus de 60 000 morts par an qu’on peut,
en France, attribuer à l’usage du tabac, 40 000 à celui de
l’alcool et près de 10 000 aux accidents de la route. Chiffres
comparables à une « catastrophe en miettes 1481 », peu visible
parce que dispersée. Cette relative discrétion étatique est
repérable : refus d’augmenter fortement le prix de la cigarette
alors que la mesure rendrait son usage plus largement
dissuasif ; réticence à interdire toutes les publicités sur l’alcool
alors que leur budget a doublé entre 1981 et 1985 (460,7
millions de francs et 837,9 millions 1482) ; réticence à limiter
fortement la vitesse des véhicules alors que cette vitesse
compte parmi les principales causes des accidents.
Force est de constater l’efficience de certains groupes de
pression : suffisamment puissants pour entretenir l’existence
de pratiques jugées dangereuses, suffisamment persuasifs pour
retarder les « interdits » que ces pratiques devraient imposer.
L’État, sans aucun doute, est condamné au compromis :
arbitrage laborieux entre des libertés incarnées ici par les lois
du marché. Difficile d’affirmer la naissance d’un hygiénisme
tentaculaire.
Le renouvellement des risques et la responsabilité
Il faut revenir, en revanche, sur le conflit des libertés et sur
l’attente toujours accrue de sécurité individuelle. L’exemple
américain montre à quel point cette évolution peut engendrer
des tensions. Non que cet exemple révèle l’avenir de nos
sociétés ; il peut au moins en indiquer des tendances. Tout
commence avec une série d’actions engagées par un groupe de
légistes américains dans les années 1970. Leur projet est
explicite : désigner des responsables dans les accidents ou les
atteintes physiques provoqués par les techniques quotidiennes,
le milieu, la pollution ; améliorer la prévention, prendre en
compte la progression de l’exigence sécuritaire tout en
dévoilant le renouvellement des risques venus de
l’environnement technique et industriel 1483.
Cette prise de conscience ressemble à celle qui a eu lieu
autour de 1860 sur les accidents de travail 1484. Elle vise la
protection du consommateur ou de l’usager exactement
comme la juridiction sur les accidents de travail a visé la
protection de l’ouvrier : favoriser la santé publique en
indemnisant les dommages et en les prévenant ; désigner une
catégorie de préjudices peu ou non prise en compte par les
assurances traditionnelles : défectuosités de produits,
altérations de l’environnement, aléas médicaux. Préjudices que
l’exigence sécuritaire a rendus plus sensibles et que le
renouvellement des techniques a rendus plus variés, plus
diffus.
L’initiative américaine épouse son temps en s’attaquant au
renouvellement des maux. Le résultat pourtant est décevant.
Une attitude systématique de soupçon comme la volonté
d’arracher coûte que coûte l’indemnisation se sont révélées si
fortes qu’elles ont favorisé la dérive du projet. Le système
juridique américain a permis une prise en compte illimitée de
défaillances ou de défectuosités techniques et surtout une
recherche sans fin de responsables pour obtenir
l’indemnisation des victimes. Ce qui a provoqué la
condamnation de médecins n’ayant commis aucune faute dans
l’accident qui leur était pourtant reproché, ou la condamnation
de fabricants ayant pris toutes les mesures souhaitables pour
éviter le défaut du produit pourtant incriminé. Les démarches
procédurières se sont multipliées, les plaintes en tout genre,
l’acharnement à désigner un coupable, jusqu’aux décisions
caricaturales : « La concordance fortuite entre la carte des
personnes atteintes de leucémie et la carte retraçant les
implantations d’usines chimiques a suffi, par exemple, pour
convaincre un jury de la pertinence de la relation ainsi
établie… alors même que l’on aurait pu obtenir un résultat
similaire en superposant la carte des leucémies à celle des
parcs nationaux 1485. » D’où l’hésitation de certaines firmes
devant la crainte de procès et l’abandon de recherches utiles à
la prévention. Un résultat contraire au but recherché. Le
nombre de fabricants de vaccins a été divisé par plus de 2
entre 1965 et 1985, ce qui a fait perdre aux entreprises
américaines l’ascendant qu’elles affichaient dans ce
secteur 1486. Des examens diagnostiques (dont quelques
examens artériels) ont disparu par crainte de procès 1487.
Conséquence redoutable pour la coronographie, indispensable
pour connaître la bonne santé des artères, mais qui peut, de
fait, provoquer dans un cas sur mille la mort du patient.
Le manque relatif de protection sociale aux États-Unis a
sans doute favorisé cette recherche acharnée de responsables
et cette course à l’indemnisation dans laquelle plusieurs
avocats se sont tout simplement spécialisés. Mais la seule
obligation de désigner un « coupable » pour obtenir réparation
a également suscité des dérives juridiques : un risque
d’affrontement croissant entre particuliers sans que le droit ni
la prévention aient pu y gagner. Une tendance identique naît
insensiblement dans les pays européens. L’affaire du sang
contaminé l’a fait entrevoir. Cette tendance peut occulter une
évaluation sereine des risques.
Une voie de dénouement se dessine peut-être avec la
proposition de François Ewald 1488 : faire que le préjudice soit
évalué et réparé indépendamment de la culpabilité possible du
médecin, du fabricant ou du technicien. Il faut que les risques
solvables soient alors définis et recensés, ce qui est redoutable,
mais laisse entrevoir une issue. La loi de mars 1993 a fait
entrer la transfusion sanguine dans cette catégorie nouvelle de
dommages indemnisés en dehors de toute faute établie 1489.
Une double loi resterait à élaborer sur les risques médicaux :
celle réglant les indemnités, celle réglant les culpabilités ; la
première « mettrait au clair le rôle, la responsabilité, la place
du médecin comme du patient dans la relation médicale », la
seconde, « plus prosaïque », définirait « l’indemnisation des
risques thérapeutiques liés au progrès médical 1490 ».
Un conflit de solidarités
Un dernier conflit s’est aiguisé, qui peut peser aujourd’hui
sur les pratiques préventives. Il est directement lié à l’attente
indéfinie de mieux-être, montrant à quel point les projets
sécuritaires promus à la fin du XIXe siècle atteignent leur
point de rupture. La tension est transparente : les dépenses de
santé augmentent tous les ans dans les pays européens plus
rapidement que n’augmente la croissance. Leur progression
moyenne a été de plus de 16 % par an en France entre 1970 et
1985, alors que l’accroissement du produit intérieur brut ne
dépassait pas 6 % 1491. Les frais de remboursement s’envolent,
« filant à une vitesse trois fois plus élevée que celle de la
sacro-sainte croissance 1492 », les dépenses d’assurance
maladie étant passées de 356 milliards de francs en 1988 à 473
milliards de francs en 1992 1493.
Plusieurs causes de cette accélération sont identifiées : le
vieillissement de la population ; l’offre médicale, plus
technique, plus spécialisée, multipliant les actes
pharmacologiques et instrumentés ; la visée du « mieux-être »
enfin, avec son irrésistible ascension de maux surveillés,
fouillés, commentés. D’où la politique de sécurité sociale
régulièrement adoptée par les gouvernements récents :
« Diminuer le taux de remboursement et augmenter les
cotisations pour compenser l’explosion de la consommation de
soins et maintenir le déficit dans les limites
supportables 1494. » D’où encore la tentative d’obtenir un
accord avec les partenaires sociaux sur les « dispositifs
prévisionnels d’évolution des dépenses de santé » et la
surveillance mise en place en 1992 pour sanctionner les
praticiens multipliant « indûment les actes et les
prescriptions 1495 ». L’accroissement des dépenses demeure
pourtant menaçant, non compensé par la limitation régulière
du taux de remboursement 1496.
Ces contraintes de coût révèlent les impasses actuelles de
l’État-Providence. Elles provoquent un conflit de solidarités
dont il faut mesurer les formes : la nécessité d’un choix entre
les maux à prévenir, par exemple, imposée par les obstacles
financiers. C’est la question, feignant le cynisme, posée par Le
Monde : « Estimez-vous que 100 millions de francs est une
somme trop importante pour la prévention d’une leucémie ? »
Et la réponse toute prosaïque de Claude Got : « Oui, parce que
la même somme utilisée différemment peut éviter un plus
grand nombre de morts. Elle représente également une aide
ménagère quotidienne pendant un an pour plusieurs centaines
de personnes âgées isolées. L’époque de la santé qui n’a pas de
prix est révolue. Il faut utiliser au mieux nos moyens 1497. » Le
choix de l’investissement, celui des maladies ou des
dommages à prévenir, au détriment d’autres jugés parfois plus
graves, deviennent des exemples d’école en épidémiologie : un
modèle chiffré qui peut conduire un médecin scolaire à
investir ses moyens dans la prévention des accidents à deux
roues plutôt que dans celle des maladies sexuellement
transmissibles 1498. C’est le principe même d’une protection
générale, son coût, qui obligent à sélectionner les solidarités et
à les opposer, alors même que les maux sont plus nombreux et
mieux connus. D’où le privilège réservé à certains de ces
maux et la négligence volontaire réservée à d’autres ; la
« solidarité » envers certaines douleurs et la « non-solidarité »
envers d’autres. Paradoxe qu’expliquent aujourd’hui les
limites de l’État-Providence.
Un autre conflit de solidarités naît de l’abaissement des taux
de remboursement : ils pénalisent les plus démunis, ceux qui
peuvent le moins investir dans les dépenses de santé. La
disparité s’accroît ici mécaniquement, « incompatible avec une
véritable solidarité nationale 1499 » : les difficultés des plus
pauvres limitent leurs consultations en médecine de ville ; ce
qui provoque le seul recours aux soins lourds et coûteux de
l’hôpital, mais ce qui devient du coup contraire aux économies
collectives. Deux médecines, deux pratiques de la santé sont
ainsi partagées par les frontières sociales : « Plus on a une
formation poussée et une place élevée dans la hiérarchie
professionnelle, plus on a des revenus élevés, plus on dépense
de soins en ville, moins on coûte à l’hôpital 1500. » À l’inverse,
l’enfermement « des pauvres dans le ghetto hospitalier »
contribue à « ruiner les dépenses publiques 1501 ». D’où les
propositions toujours plus nombreuses de bouleverser les
pratiques préventives jusqu’à transformer l’esprit des
consultations médicales ; abaisser leur coût en privilégiant un
rôle de conseil, sinon d’éducation à l’égard du patient, viser
des populations jusqu’ici peu concernées : « Un prescripteur
coûte 4 à 5 fois plus à la société qu’un non-prescripteur »,
insiste Lazar en projetant un « renouveau de la médecine
libérale 1502 ». Le projet conduirait à une mutation des études
médicales, à celle de l’image du médecin comme à celle du
rôle donné au travail social. Il contraindrait d’orienter les
solidarités vers un nouveau rôle préventif du médecin. Un
projet si brutal qu’il demeure encore prospectif.
On l’aura compris, après la solidarité du XIXe siècle,
attentive à investir les lieux d’infection, après la solidarité de
la Sécurité sociale, attentive à répartir les dépenses, une
solidarité nouvelle semble naître, attendant une prévention
supportée collectivement. Mais cette « prévention solidaire »
pourrait-elle, seule, endiguer des dépenses rendues aujourd’hui
insolvables par l’ardeur au « mieux-être » ?
Procès, réformes, responsabilités

Les interrogations d’aujourd’hui 1503


Nombre de dynamiques évoquées dans la dernière partie de
ce texte se sont accentuées : une succession de procès, dont
ceux du sang contaminé, a confirmé l’apparition d’attitudes
nouvelles face aux accidents sanitaires et la volonté
systématique d’en désigner les responsables, fussent-ils
politiques ou administratifs ; la reconnaissance par les textes
du « principe de précaution » a officialisé la nécessité de
préciser et d’évaluer les risques dans toute démarche sanitaire ;
des décisions sur le financement public des dépenses de santé
ont confirmé les limites de l’État providence et l’aiguisement
des conflits de solidarité. Plus qu’auparavant sans doute le
discours préventif s’est imposé 1504. Certaines de ces
dynamiques se sont en revanche si fortement développées ces
dernières années qu’elles suscitent de nouveaux commentaires
par rapport à ceux proposés dans la dernière partie de ce texte :
la loi engage à gérer autrement les pratiques de santé alors que
la forme répétitive de « catastrophes » collectives a fait
quasiment apparaître des phénomènes sanitaires d’un nouveau
genre. Une source de conflit s’y est avivée au point d’opposer
régulièrement l’opinion aux responsables, les usagers aux
décideurs. Impossible d’ignorer cette nouveauté « des maux de
notre modernité 1505 » rapprochant les affaires de la vache
folle, de l’amiante, du sang ou de l’hormone de croissance
contaminés : atteintes collectives aux conséquences mal
évaluées, quelquefois indéfinies, avec cette distance toujours
plus douloureusement ressentie entre les individus et les
initiateurs des choix sanitaires, cette volonté opiniâtre d’en
tirer des conséquences sur les stratégies préventives et
éducatives, alors même que la santé ne constitue pas encore un
champ totalement unifié.
1. Affaires nouvelles, modèles anciens
La seule affaire du sang contaminé par exemple ne peut déjà
plus être évoquée en 1999 comme elle l’était en 1993 dans les
paragraphes précédents. Devenue toujours plus médiatique,
elle est aussi devenue plus symbolique autant que plus
contrastée. Les procès se sont succédé, les prises de
conscience se sont recomposées. Non que tout soit à
reconsidérer. Une conclusion au moins demeure inchangée :
« L’épidémie a effrayé comme jamais, alors même que
“personne jusqu’à l’été 85” n’a rapidement et clairement
“mesuré vraiment sa gravité” 1506. » Mais ce qui était au centre
des préoccupations juridiques au début de ces années 1990, la
contamination des hémophiles, n’occupe plus la même place
en 1999. Le constat progressif des effets des
dysfonctionnements transfusionnels, leur multiplicité,
l’avivement des expertises et des débats ont transformé la
vision rétrospective des faits, provoquant ces « reconstructions
permanentes » évoquées par Jean Baptiste Brunet 1507.
Les zones d’ombre se sont étendues, devenues
rétrospectivement plus sombres en 1999 qu’elles ne l’étaient
en 1993. Aquilino Morelle par exemple a montré, un des
premiers, combien le manque de vigilance initial dans le
risque de contamination sanguine tenait à la non-sélection des
donneurs : plus précisément la non-élimination clinique des
groupes à risque dans les dons du sang, mesure qui aurait dû
s’imposer avant l’existence des tests de dépistage en 1985. La
non-prise en compte d’une circulaire du secrétariat d’État à la
santé du 20 juin 1983, adressée aux centres de transfusion
sanguine et demandant l’élimination des donneurs à risque
dans les collectes de sang, a eu des conséquences quasi
chiffrables aujourd’hui : « Ainsi au Royaume-Uni, on ne
comptait que 91 transfusés contaminés par le VIH au 31 mars
1995, soit 16,5 fois moins que dans notre pays, qui enregistrait
1 498 cas à la même date. Or outre-Manche, la sélection
clinique des donneurs a toujours été faite
soigneusement 1508. » La faille, autrement dit, n’est pas
seulement celle de l’usage pour les hémophiles en 1985 de lots
contaminés, parce que non chauffés, elle est aussi celle d’un
manque de précaution dans le recours aux dons eux-mêmes,
avant l’existence des tests de dépistage et alors que le risque
était désigné. Ce qui a accru le nombre des victimes et le
champ des responsabilités. D’autres failles encore sont
apparues : le non-rappel des lots contaminés une fois
généralisé le procédé de chauffage des produits
antihémophiliques par exemple, ou le non-rappel des
transfusés, alors qu’un rapport du 30 mai 1985 préconisait
« d’informer les receveurs de produits sanguins 1509 » pour
mieux évaluer leur éventuelle contamination et prévenir leur
éventuelle contagiosité.
Manquements aux règles déontologiques par l’absence de
précaution dans l’acte réalisé, ces comportements témoignent
« de manière accablante d’une cécité collective des
professionnels de santé 1510 ». Ils confirment aussi la toute-
puissance d’une logique administrative où la confiance
confuse dans les dispositifs techniques ou institutionnels a pu
altérer les plus classiques seuils de vigilance, provoquant « ce
bal tragique dont les protagonistes sont les patients, les
médecins, les administrateurs, les journalistes, les juges, les
élus politiques 1511 ».
Le retour sur ces zones d’ombre est d’autant plus
indispensable pourtant qu’il révèle à quel point ces
dysfonctionnements ne sont pas a priori univoques. C’est une
volonté « généreuse » par exemple qui, en France, dans le cas
de la non-sélection des donneurs, a pu conduire au tragique : le
refus de discriminer pour éviter de stigmatiser les groupes à
risque en particulier. Ce sentiment clairement exprimé par
Willy Rozembaum en 1984 : « Avec la possible contagion du
sida par le sang, nous avons frôlé la catastrophe. Les centres
de transfusion sanguine, en effet, ont établi en mai 1983, des
formulaires dans le but d’écarter du don du sang des
populations à risque, mesure hâtive et indélicate… (Elle) tend
à introduire la vieille idée raciste de la contagion des
homosexuels 1512. » Plus largement c’est toute la tradition du
don du sang en France qui a renforcé la difficulté de
soupçonner le donneur : la vieille image vertueuse de ce
dernier, celle de son acte anonyme et gratuit, annulant
partiellement la défiance, rendant son geste étranger à toute
idée d’impureté.
Mais revenir sur les zones d’ombre, c’est encore les mesurer
au savoir du début des années 1980, là même où notre vision
rétrospective ne cesse de les interroger, là même où notre hâte
à condamner pourrait encore s’aveugler. Il faut redire alors
combien l’épidémie a effrayé 1513, loin de l’indifférence dont
certains la croient avoir été l’objet. Il faut redire surtout
combien les savoirs sur elle ont pu demeurer lacunaires et
leurrants. Situation exemplaire précisément où le mal
nécessitait, pour être compris, une conversion des mentalités.
Ce que Jean Bernard évoque aujourd’hui en datant ce lent et
difficile renversement : « Entre 1984 et 1986, on est passé
progressivement de la notion de séropositivité signifiant
protection et défense, à celle signifiant que le porteur de virus
n’a aucune protection. C’est, je le répète, une notion neuve en
médecine, qui remet en cause les conceptions pasteuriennes,
car jusqu’à l’apparition de cette maladie, la présence
d’anticorps signifiait que l’on était protégé 1514. » Le vieux
repère des maladies infectieuses a bien joué un rôle d’obstacle
dans la compréhension du nouveau. D’où cette leçon majeure
des premières errances dans la défense contre le sida : le poids
des modèles traditionnellement efficaces, la difficulté à
bouleverser les cadres classiques de référence, l’enjeu des
ignorances et faux savoirs longtemps mêlés aux fautes
indiscutées.
Des mécanismes identiques se sont répétés avec la
« maladie de la vache folle » et son équivalent clinique chez
l’homme, la maladie de Creutzfeldt-Jakob : la durable
croyance par exemple d’une impossible transmission à
l’homme, cette conviction d’une identité entre
l’encéphalopathie spongiforme bovine et la scrapie des
moutons dont l’existence depuis deux cents ans demeurait sans
dommage pour les populations humaines. Il faut 1996, dix ans
après la découverte de l’épidémie animale et une trop longue
série de cas troublants, ceux de deux fermiers britanniques
ayant passé leur vie dans une exploitation laitière et ayant péri
en 1993 de la maladie de Creutzfeldt-Jakob en particulier, pour
que le ministre britannique de la santé évoque pour la première
fois une liaison possible entre la maladie de la vache folle et
celle de Creutzfeldt-Jakob 1515. À quoi s’ajoutent des fautes et
négligences en séries : une détection défaillante par exemple,
où seules 60 % des vaches malades en 1992 et 40 % en 1993
et 1994 1516 ont été identifiées ; un coupable laxisme
international aussi, où des farines animales infectées
soupçonnées être à l’origine du mal ont pu être exportées par
les Britanniques alors qu’elles étaient interdites en Grande-
Bretagne 1517.
Mais l’originalité de ces affaires ne tient ni à la seule
opposition entre l’effet réel et l’effet longtemps supposé de
nouveaux agents pathogènes, ni aux seules fautes et
négligences qu’elles ont pu révéler. Leur originalité tient
encore à leur mode d’atteinte collective et aux réactions
sociales en chaîne qu’elles ont pu déclencher 1518. Une double
caractéristique en particulier spécifie leur développement, dont
la plus marquante est leur connexion avec de nouvelles
contraintes décisionnelles et techniques. Les individus sont ici
dans une position fortement asymétrique par rapport à ceux
qui décident : disparité toujours plus mal acceptée aujourd’hui,
mal comprise aussi, provoquant dans une communauté cet
obscur sentiment de constituer une société de victimes. Non
que cette asymétrie soit inédite, elle est seulement rendue plus
opaque sinon plus notable par l’omniprésence de l’univers
technologique, ses risques, sa complexité, plus insupportable
aussi par les exigences individualistes ou le credo d’une
opinion toujours mieux informée. Impossible d’ignorer cette
certitude croissante qui ferait de chacun une victime de
décisions prises ailleurs, cette contradiction entre
l’accroissement des autonomies et le maintien de dépendances
imposées par la mise en œuvre des réseaux techniques et des
industries. D’où cette explosion de plaintes et de procès, cette
volonté constante de révision des faits.
La deuxième de ces caractéristiques tient au décalage
temporel entre la décision et le drame provoqué : cancers
développés à bas bruit, germes incubés lentement, désordres
physiques longtemps mal perçus et pourtant irrémédiables.
D’où cet accroissement des effets d’après-coup, cette révolte
toujours plus exacerbée des victimes découvrant les
négligences ou les erreurs dans leurs conséquences lointaines
et a posteriori. D’où encore cette remontée sans fin sur
l’événement déclencheur, ces quêtes toujours recommencées
sur les origines et leurs effets.
2. Des « catastrophes » sanitaires à l’imbroglio
judiciaire
L’affaire du sang contaminé illustre cette double originalité
jusqu’au symbole. La recherche en chaîne des responsabilités
a été interminable, conduisant du procès des dirigeants de la
transfusion sanguine à celui des ministres.
L’approfondissement de l’inculpation a été continu,
conduisant, en dépit de l’autorité de la chose jugée, de celle de
« tromperie sur les qualités substantielles d’un produit » à
celle d’empoisonnement ou de complicité
d’empoisonnement 1519. Les faits ont été requalifiés, les
inculpés se sont multipliés 1520. L’accusation s’est accrue avec
la prise de conscience des zones d’ombre. Rien de choquant à
l’évidence dans l’engagement de poursuites successives ; rien
de choquant dans l’obligation faite aux autorités
administratives ou politiques de s’expliquer sur des décisions
sanitaires. Le résultat sans aucun doute est à mettre au crédit
de l’accusation. Trop de passions en revanche ont conduit aux
procès, trop de genres juridiques aussi se sont mêlés pour
mieux répondre à des victimes jusque-là négligées.
Le renvoi en cours d’assises, le 20 mai 1999, de quelques
responsables de la transfusion sanguine pour crime
d’empoisonnement ou de complicité d’empoisonnement est
troublant. Il revient d’une part sur la chose jugée 1521, ce qui
ne saurait être évident en droit. Il s’oppose d’autre part à la
déclaration de la Cour de cassation du 2 juillet 1998 : « La
seule connaissance du pouvoir mortel de la substance
administrée ne suffit pas à caractériser l’intention
homicide 1522. » Les désaccords de juristes subsistent sur
l’objet même de l’inculpation, la manière de qualifier
l’intentionnalité en particulier, ils subsistent aussi sur
l’interprétation des faits : l’intentionnalité d’abord, où, dans le
cas de l’écoulement de lots contaminés, la faute correspond
pour les uns à un homicide par imprudence alors qu’elle
correspond pour d’autres à une décision délibérée de tuer 1523 ;
l’interprétation des faits ensuite, où dans le cas du retard causé
aux tests de dépistage du sang, la contamination conséquente
correspond pour les uns à l’inévitable nécessité de garantir la
validité de ces tests, alors qu’elle correspond pour d’autres à la
volonté délibérée de protéger le test français jusque-là en
concurrence avec le test américain et plus tardivement achevé
que lui 1524. Comme jamais sans doute s’affrontent ici
« procureurs » et « avocats 1525 », confirmant la complexité
des faits. Mais comme jamais aussi s’impose un
« emballement » judiciaire où la recherche d’aggravation et de
culpabilité à tout prix s’est voulue à la hauteur du nombre de
morts plus qu’à la hauteur d’une froide mesure des fautes. Une
spirale sans fin semble avoir emporté la volonté de trouver
coûte que coûte une intention homicide alors que l’affaire du
sang demeure, selon toute apparence, étrangère à
l’intentionnalité de tuer 1526. L’incapacité du droit
administratif à qualifier ici la faute et à identifier les fautifs est
sans doute à l’origine de cette interminable procédure pénale.
Mais la reprise toujours recommencée et toujours rectifiée du
procès n’aurait pu être possible sans le durable sentiment des
victimes de n’avoir pas été entendues. Elle n’aurait pu être
possible surtout sans cette attitude collective nouvelle refusant
toujours moins la fatalité et recherchant toujours plus la
responsabilité, fût-ce au prix de quelque accommodement avec
la vérité. C’est bien « dans ce contexte où la logique de
victimisation peut rompre toutes les digues des principes du
droit démocratique » qu’il faut comprendre « l’activisme
judiciaire 1527 » dont ces affaires sanitaires sont aujourd’hui
l’objet.
L’image donnée par le procès des ministres a laissé percer
une dérive identique dans la recherche de coupables à tout
prix, tentative quelque peu exaspérée de renverser l’asymétrie
dans laquelle les victimes se sont trouvées 1528. Les confusions
n’ont pas manqué dans cette volonté d’aller aux sources
apparemment ultimes des décisions, révélant combien ces
drames sanitaires ne reçoivent pas encore de réponse juridique
adéquate. Deux genres de jugements, en particulier, ont été
amalgamés, celui portant sur la responsabilité pénale et celui
portant sur la responsabilité administrative et politique. Le
premier concerne « la faute commise individuellement et
préalablement codifiée par le droit pénal 1529 », le second
concerne la faute commise dans un dispositif de dépendances
complexes, faites de solidarités et de décisions collectives.
Toutes différences évoquées le plus clairement par Robert
Badinter dans un commentaire du procès : « L’incrimination
est de droit commun mais les faits reprochés relèvent d’actes
de gouvernement 1530. » La voie pénale satisfait à coup sûr les
victimes avec son versant spectaculaire, elle ne manque en
revanche ni de risques, ni d’anomalies, pouvant tout
simplement conduire « le juge à se substituer à l’électeur pour
apprécier l’exercice du pouvoir normatif 1531 ». Une procédure
est encore à trouver qui permette de juger plus sereinement ces
deux responsabilités.
Non bien évidemment que soient ici à écarter les
responsabilités individuelles : négligences ou impérities
personnalisées dans des décisions pourtant collectives. Mais
ces fautes semblent trop durement sanctionnées par la justice
pénale, trop aisément ignorées en revanche par l’arbitrage
administratif. Comment clairement sanctionner ce qui relève
d’une défaillance personnelle dans la conduite d’une politique
sanitaire et concertée ? L’objectif serait bien « d’atteindre la
personne et sa capacité de nuire liée à son titre à intervenir
dans l’espace public 1532 ». Une « responsabilité civique 1533 »
serait ainsi à inventer, comme le propose Antoine Garapon,
responsabilité publique bien particulière dont les affaires du
sang montrent toute l’importance et dont le poids s’avère
quelquefois désastreux lors de décisions technologiques aux
effets incontrôlés.
Ces affaires pourtant ont déclenché l’amorce d’une
démocratie technologique. Des institutions chargées de les
prévenir ont été installées ou renforcées, Agence française du
sang 1534, Établissement français des greffes 1535, Haut Comité
de la santé publique 1536, Agence du médicament 1537, Réseau
national de santé publique 1538, etc. Une incrimination de mise
en danger d’autrui a été créée par le code pénal de 1996,
permettant de mieux stigmatiser les délits d’imprudence. Une
loi « relative au renforcement de la veille sanitaire et au
contrôle de la sécurité sanitaire des produits destinés à
l’homme » a été promulguée en 1998 1539, exclusivement
orientée vers le risque épidémiologique. Des limites en
revanche demeurent. Une convergence, en particulier, reste à
trouver entre la connaissance de risques nouveaux,
l’information à leur égard et leur acceptabilité collective. Le
refus actuellement opposé par les industriels de l’agro-
alimentaire au dévoilement de leurs essais sur les organismes
génétiquement modifiés (OGM) rappelle le long chemin à
parcourir sur les voies d’une totale clarté 1540.
3. Les dépenses de santé, réforme impossible ?
Les réformes engagées sur les dépenses de santé depuis
1996 conduisent également à renouveler en 1999 les constats
suggérés en 1993 dans les paragraphes précédents. La loi du
22 février 1996 a créé une rupture, faisant du Parlement
l’arbitre des dépenses, rapportant leur montant au seul
accroissement de la richesse nationale, instaurant un contrat
public « au terme duquel la période de croissance incontrôlée
des dépenses de santé serait close 1541 ». Dispositif largement
nouveau, il arrête les dépenses par un vote agissant
directement sur l’offre, contraignant les soins hospitaliers, les
honoraires médicaux, les prescriptions médicamenteuses. Le
procédé est d’autant plus marquant que les dispositifs
précédents ont toujours agi sur la demande en limitant le taux
de remboursement, creusant ainsi l’inégalité devant les soins
sans jamais juguler l’accroissement des dépenses. Aucun
doute, les gages de maîtrise se sont multipliés, tous centrés sur
une limite de l’offre : recommandations de bonnes pratiques,
références médicales opposables, formation médicale
continue, remplacement des cartes de la sécurité sociale par
des cartes à puce où pourront être suivis l’ensemble des actes
médicaux, panoplie de médicaments « génériques »
équivalents et moins chers, développement de l’évaluation et
de l’accréditation en santé 1542, etc.
Réforme profonde, ses effets pourtant ne sont pas à la
hauteur des résultats escomptés. Les dépenses, un temps
contenues, ne le sont plus vraiment aujourd’hui : celles de ville
par exemple ont dépassé de 9 milliards en 1998 l’objectif qui
leur était fixé, malgré des mesures urgentes prises par le
gouvernement 1543 ; l’ensemble des indices confirme en 1999
l’existence d’un « déficit important » en lieu et « place de
l’équilibre promis 1544 ». Force est de constater la non-
application de plusieurs dispositifs pourtant prévus : l’usage
du carnet de santé par exemple, ou le changement en
profondeur de l’acte de prescrire et du recours au
médicament 1545, tous s’opposant trop lourdement sans doute à
l’actuelle culture sanitaire. Force surtout est de constater
l’absence dans l’ensemble législatif de 1996 de ce qui pourrait
contenir le plus efficacement la demande : non pas la simple
limite imposée à l’offre, mais sa restructuration ; la
reconversion des médecins par exemple, les spécialistes
surtout, devenus trop nombreux si, comme le veut la loi, de
nouvelles filières de soins font du généraliste un point de
passage obligé, un gage de contrôle et de conseil ; le
renouvellement qualitatif des démarches sanitaires aussi, afin
de rendre plus crédible la contrainte exercée sur l’offre en
accentuant sa qualité. Ce que Gilles Johanet a relevé avec le
plus de clarté : « Dans cette situation de maîtrise imposée qui
est obligatoirement bouleversante, il est indispensable d’avoir
un discours pas seulement économique mais humaniste,
éthique, en un mot politique sur la maîtrise. Ce discours
n’existe pas 1546. »
À quoi s’ajoute l’inévitable nécessité de transformer la
demande en agissant sur sa structure même, principe de
responsabilisation des usagers par exemple dont plusieurs
exemples confirment un très prévisible effet préventif : « En
Allemagne, la prise en charge d’une couronne dentaire est à
40 %, mais si le patient a suivi durant les deux années
précédentes des soins conservateurs, elle est de 75 % 1547. »
Une façon d’ajuster la demande en favorisant la prévention.
C’est d’ailleurs à ce renforcement obligé de la prévention
que conduisent la plupart des comparaisons internationales :
« Le système français est cher, efficace pour la médecine
curative, en retard et souvent encore défaillant pour la
prévention. Ces conclusions militent pour de nouvelles formes
de rémunération spécifique incitant à développer à la fois
l’offre et la demande de prévention (abonnement auprès d’un
généraliste ou d’un dentiste, capitation, prime aux
résultats…) 1548. » C’est aussi à une action très particulière sur
la culture sanitaire que devrait conduire la nécessité toute
pédagogique de « montrer l’ampleur des dépenses inutiles, les
gaspillages réalisés prétendument pour le bien-être 1549 »,
favoriser les prises de conscience, habituer aux
« précautions », partager plus efficacement dans les dépenses
l’important du superflu.
4. Une culture en mal d’unité
Réorienter les pôles de cette culture sanitaire serait sans
aucun doute le gage de mieux en assurer l’économie et la
rationalité. Les possibilités se révèlent ici les plus ouvertes une
fois prises en compte les dépenses actuellement
consenties :10 F pour l’éducation à la santé en France, par an
et par habitant, 250 F pour la médecine préventive, 11 000 F
pour les soins 1550. Les marges de développement d’une
éducation à la santé semblent évidentes comme semblent
évidentes les nouvelles définitions de son contenu : « La
“santé” perçue rejoint la notion de qualité de vie 1551. » Jamais
sans doute les enjeux d’une éducation à la santé n’ont semblé
aussi étendus, jamais la volonté de définir la santé « comme un
tout 1552 » n’a été aussi marquée. Les projets sanitaires vont au
« mode de vie », au « healthy-style 1553 », aux ensembles
coordonnés de méthodes, d’habitudes, de savoirs. Les
indicateurs vont des critères individuels les plus intimes aux
critères environnementaux les plus englobants. Tout suggère
combien cette « approche globale des attitudes et
comportements de santé 1554 » devrait imposer un champ de
pratiques et de références largement unifiées.
Une difficulté demeure pourtant dans la diffusion de la
culture sanitaire et de l’éducation à la santé. Cette difficulté,
toute conceptuelle à vrai dire et souvent masquée, porte sur
l’identité concrète du thème, son unité interne, son
homogénéité tangible au-delà des apparences premières et des
discours convenus. Comment rendre convergents des objets
aussi différents que ceux du tabagisme, de la consommation
alimentaire ou de la violence ? Comment unifier des actes que
tout pourrait séparer ? Le risque sanitaire ne franchit pas
toujours l’image de l’émiettement. D’autant que l’attente
culturelle du « mieux-être » est elle-même multiple, liant ses
exigences à celles des modes consommatoires, à leur
dispersion, à leurs exclusives individualistes, leur propension
au « toujours plus ». Comment encore énumérer les pratiques
« saines » sans côtoyer les préceptes simplistes ou naïfs ?
Quelques chapitres d’une nouvelle culture sanitaire se
dessinent en revanche dans la mise en évidence de
comportements à risques 1555, ou dans celle d’attitudes de
civisme et de citoyenneté 1556. Quelques catégories de
démarches précises pourraient être suggérées corrélant divers
comportements de santé 1557. Mais un programme manque
encore faisant de la santé publique un savoir totalisé,
diffusable et réfléchi, alors que les vieux repères de l’hygiène
scolaire n’ont plus guère de validité, limités aux seules
références microbiennes ou aux seuls gestes interdicteurs.
Les thèmes d’actions recensées sur une année dans les
établissements scolaires d’un même département français
illustrent cette difficulté, juxtaposant les comportements les
plus divers et les objets les plus bigarrés : « La santé en
général », « corps puberté et adolescence, vie amoureuse,
grossesse et contraception », « l’alimentation », « les rythmes
de l’enfant », « le sommeil », « la maltraitance et droits de
l’enfant », « prévention bucco-dentaire », « le cancer », « les
vaccinations », « l’asthme et les allergies », « l’hépatite B »,
« sport, activité cardiaque et muscles », « les gestes
d’urgence », « la lutte contre les poux » 1558. Illustration
identique avec les chapitres d’une recherche conduite
récemment et conjointement dans onze pays sur l’éducation à
la santé : « Consommation de tabac et autres drogues, exercice
et activités de loisir, nutrition, régime alimentaire et soins
dentaires, problèmes physiques des médicaments, intégration
sociale 1559. » D’où ce consensus diffus pour faire de ce
nouvel espace une nébuleuse quelque peu hybride et
indéterminée : un ensemble de références massives dans un
cours universitaire de santé publique, sans doute, mais
difficilement unifiées dans un enseignement scolaire où elles
demeurent de surcroît marginales et peu développées 1560. La
culture sanitaire, devenue toujours plus centrale dans un
monde désenchanté, est encore peu présente dans les
démarches clairement éducatives ; largement exploitée dans
les magazines de grande diffusion, elle l’est peu encore dans
les pédagogies construites et concertées.
Si le mythe d’une « santé parfaite 1561 » envahit les
imaginaires, son extension en revanche, sa diversité, son
infinité même en font un ensemble nécessairement peu ou mal
dominé.
Conclusion
Le geste défensif change dans le temps comme changent les
repères de l’efficacité organique. L’histoire du sain et du
malsain, nous l’avions pressenti, met en scène l’histoire des
représentations du corps, mêlant leurs repères savants et leurs
repères imaginaires. La référence aux humeurs, par exemple, a
longtemps dominé la pratique préventive. Matières imprégnant
les organes, elles indiquent les qualités du corps et suggèrent
les actes d’entretien. L’épurement et l’évacuation ont alors
dominé les réponses défensives, depuis les gestes superstitieux
jusqu’aux gestes plus instruits. Il faut l’image d’une première
résistance organique au XVIIIe siècle, la certitude que le corps
possède une puissance propre, pour recomposer les espoirs de
santé. Cette image suggère l’usage de forces intérieures, le
recours à des principes réactifs jusque-là inconnus ou négligés.
Elle autorise l’inoculation de la petite vérole ; elle légitime le
recours au froid, transforme le thème de l’exercice, relance le
prestige d’une rusticité alimentaire, accordant une confiance
obscure à d’invisibles ressources corporelles. Tout change
encore avec la référence plus savante aux calories durant le
XIXe siècle. Les premières images d’énergie et de rentabilité
organique canalisent le regard sur la puissance « combustive »,
déplacent la valeur de l’aliment, bouleversent l’importance
donnée au souffle. Alors que les images centrées aujourd’hui
sur le contrôle nerveux et la sensibilité interne donnent une
place nouvelle au travail de conscience, accentuant l’enjeu de
la sensibilité corporelle et de l’écoute de soi, aiguisant toujours
davantage le versant psychologique de la santé. Cette
succession de représentations montre d’ailleurs l’ascendance
progressive de l’autonomie corporelle, la très lente
indépendance par rapport aux mouvements cosmiques, le
recours à des ressources toutes individuelles, jusqu’à la
démarche très actuelle recourant au capital génétique pour
individualiser la santé.
Les dispositifs collectifs jouent aussi un rôle déterminant
dans les actions d’entretien corporel, comme nous l’avions
profilé au début de ce travail. Ils définissent des seuils
d’efficacité, celui du labeur, celui des forces de population. Ils
orchestrent insensiblement les défenses épidémiques ou
désignent les menaces qui pèsent sur tous. L’histoire de
l’entretien du corps révèle alors les moments importants de ces
stratégies collectives, soulignant leurs liens avec les
changements de la puissance publique : les cités anciennes, par
exemple, accentuant leurs surveillances sur les itinéraires du
mal épidémique, focalisées sur l’isolement des malades, le
recensement des lieux malodorants, sans jamais vraiment les
maîtriser ; l’État « hygiénique » de la fin du XVIIIe siècle et
du début du XIXe siècle revendiquant une attention nouvelle
aux quantités de populations, engageant des réaménagements
d’espace, déplacements de cimetières, transport de l’eau,
circulation de l’air, élaborant cahotiquement un réseau
administratif chargé de la santé, pour imposer des finalités
sanitaires à des citoyens voulus « vigoureux » ; l’État
« solidaire » de la fin du XIXe siècle jouant avec la métaphore
microbienne pour rappeler jusqu’à l’incantation que la santé
de chacun doit garantir celle de tous, inventant les formules
quasi contemporaines de l’assurance maladie et de la Sécurité
sociale en proposant l’investissement de chacun dans une
autosurveillance à valeur collective.
L’histoire montre ici non plus le déplacement de
l’individualisation, mais celui de la prise en charge
communautaire. Investissement longtemps balbutiant, limité
aux mesures réglementaires des temps d’épidémie, avant de
devenir plus régulier, sous-tendu par une administration, celle
qui apparaît par exemple en filigrane au XVIIIe siècle avec les
premières enquêtes sanitaires nationales. Investissement
longtemps autoritaire aussi, projetant l’assistance comme une
discipline indiscutée avant d’instaurer des solidarités plus
contractuelles dont les assurances de la fin du XIXe siècle sont
les premiers exemples.
Mais, au-delà des influences exercées par l’imaginaire
corporel ou de celles exercées par les dispositifs collectifs,
cette histoire de l’entretien du corps fait exister un objet dont
l’importance a grandi au cours de notre investigation : celui de
la frontière entre le sain et le malsain. Une frontière
suffisamment mobile et suffisamment éclairante pour devenir
un thème central du parcours historique. Les seuils de ce qui
est physiquement toléré, l’apparition du maladif ou du
dangereux se déplacent avec la civilisation. Les pommes
d’ambre portées au XVIIe siècle pour rendre plus sain l’air
respiré deviennent ridicules au XVIIIe siècle ; le danger
s’imposant malgré le parfum, et le sain ne se limitant plus à la
bonne odeur. Le territoire du morbide, l’évaluation du risque,
celle de la sécurité, leurs limites respectives se sont
transformés. La conscience du corps se transforme tout autant
en s’approfondissant. Elle peut infléchir en signes maladifs des
sensations longtemps négligées ou même non perçues. La
phtisie, toujours décrite au XVIIe siècle dans son état installé,
avec amaigrissement aigu, oppressions intenses, « crachats
purulents », est davantage décrite au XVIIIe siècle dans ses
états successifs ; les premières phases devenant d’autant plus
annonciatrices qu’elles sont anodines, gênes imperceptibles,
toux légères et éloignées, fatigues discrètes ou négligées. La
stratégie préventive trouve du coup de nouveaux objets
d’investissement. Elle s’attache au XVIIIe siècle aux signes
précoces des phtisies jusqu’à la prise en compte des
morphologies prédisposantes. Un univers de précautions prend
consistance, fussent-elles objectivement inefficaces. Les
indices du mal se conquièrent sur ce qui jusque-là n’éveillait
aucune inquiétude. Les pratiques de prévision et d’entretien
trouvent alors leur objet dans cette recomposition constante de
la frontière entre le sain et le malsain.
Ces déplacements vont aussi contre les opinions historiques
trop établies : le thème dominant n’est pas celui d’une maîtrise
progressive du mal. C’est le territoire du risque, à vrai dire, qui
s’étend, alors même que s’accroît le savoir. Science et
technique conduisent à maîtriser les dangers, en même temps
qu’elles conduisent à les renouveler. Elles surmontent les
menaces anciennes, mais elles dévoilent des menaces
nouvelles. D’où cette certitude d’affronter des désordres
toujours plus diffus et variés. Il faut souligner, par exemple,
l’emprise de la découverte microbienne après 1870 : contrôle
plus assuré du corps, simplification de la démarche préventive,
renforcement remarquable de son efficacité. Mais il faut
souligner aussi les impuissances qu’elle désigne : microbes
inquiétants, partout soupçonnés et partout poursuivis, dangers
infiltrés dans les matières les plus dérobées, obligeant à un
travail continu sur ce qui n’est ni visible, ni sensible. Ce ne
sont pas seulement les frontières entre ce qui est contrôlé et ce
qui ne l’est pas qui se déplacent, c’est encore la vision chaque
fois renouvelée de ce qui fait le risque et le malheur. Jusqu’à
l’obsession quelquefois, comme ces dames de charité qui
refusent brusquement de visiter les malades à la fin du XIXe
siècle, parce qu’elles craignent la présence de microbes
inconnus. Jusqu’à l’extrême aussi, comme l’attente sécuritaire
d’aujourd’hui qui n’a jamais été aussi sûre en même temps
qu’elle n’a jamais autant soupçonné de maux émiettés, variés
et inattendus.
Plus profondément, enfin, les changements portent sur le
sens même donné au projet d’entretien. La vision
traditionnelle de la santé donne à ce projet une perspective
stable, sinon transparente : conserver un bien que le mal
menace. Il s’agit de « garder sa santé ». Mais une vision plus
moderne ne se satisfait plus de ce thème statique. Il faut au
contraire « améliorer », perfectionner un bien dont les limites
s’avèrent plus ouvertes. D’où les investissements totalement
novateurs dès la fin du XVIIIe siècle dans les promesses
sanitaires : un futur susceptible de changer les corps. L’attente
du « mieux-être », renforcée aujourd’hui par les pratiques
consommatoires et les inquiétudes sécuritaires, prolonge cette
image d’une santé indéfiniment perfectible. Elle installe, sans
que la conscience en soit toujours bien claire, l’idée d’un corps
susceptible de transformations sans fin. C’est
l’« approfondissement » de la santé qui devient un devoir et
non plus seulement la lutte contre le mal. Entreprise dont le
coût lui-même est indéfini, porteur, entre autres, de la crise
actuelle des politiques de santé.
Du même auteur
Le Corps redressé
Histoire d’un pouvoir pédagogique
Delarge, 1978
Le Propre et le Sale
L’hygiène du corps depuis le Moyen Âge
Seuil, 1985
Une histoire culturelle du sport
Techniques d’hier et d’aujourd’hui
Laffont et EPS, 1988
Le Sain et le Malsain
Santé et mieux être depuis le Moyen Âge
Seuil, 1993
Histoire du viol, XVIe XXe siècle
Seuil, 1998
1 . J.-J. Wecker, Le Grand Thrésor ou Dispensaire et Antidotaire des remèdes
servant à la santé du corps humain, Genève, 1610, p. 57.

2 . A. R. Le Sage, Histoire de Gil Blas de Santillane. Romanciers du XVIIIe


siècle, Paris, Gallimard, La Pléiade, 1966. La saignée y est systématiquement
utilisée pour l’entretien comme pour la cure : « On ne peut trop saigner un
malade », 1.1, p. 571.

3 . G. Canguilhem, Le Normal et le Pathologique, Paris, PUF, 1966 (1re éd.


1943), p. 107.

4 . La Quête du Graal (XIIe siècle), Paris, Éd. du Seuil, coll. « Points


Sagesses », 1982, p. 270.

5 . Le Roman de Tristan et Iseult (XIIe siècle), Paris, « 10/18 », 1981, p. 85.

6 . A. de Villeneuve, Compendium medicine (XIIIe siècle), Anvers, 1586 livre


II, chap. XLVI, p. 109.

7 . Constantin l’Africain (XIe siècle), cité par F. Bériac, Histoire des lépreux au
Moyen Âge, une société d’exclus, Paris, Imago, 1988, p. 25.
8 . A. de Villeneuve, op. cit., p. 109.
9 . Droit coutumier cité par J. Somonnet, Des institutions et de la vie privée en
Bourgogne, Dijon, 1867, p. 374.
10 . L. Le Grand, Statuts d’hôtels-Dieu et de léproseries, Paris, 1901, p. 199.
11 . F. Bériac, op. cit., p. 185.

12 . Summa pastorialis, diocèse de Paris, XIIIe siècle, E. F. Ravaisson,


Catalogue général des manuscrits des bibliothèques publiques des départements,
Paris, 1841,1.1, p. 641.
13 . E. Le Roy Ladurie, Montaillou village occitan, de 1294 à 1324, Paris,
Gallimard, 1975, p. 329, n. 2.

14 . J. de Voragine, La Légende dorée (XIIIe siècle), Paris, 1909, p. 255.


15 . Ib., p. 60.
16 . Cité par J. Delumeau, Le Péché et la Peur, la culpabilisation en Occident,
XIIIe-XVIIIe siècles, Paris, Fayard, 1983, p. 55.
17 . Cité par D. Jacquart et F. Micheau, La Médecine arabe et l’Occident
médiéval, Paris, Maisonneuve et Larose, 1990, p. 58.

18 . Barthélemy l’Anglais, Le Grand Propriétaire de toutes choses (XIIIe


siècle), Paris, 1556, p. 29.
19 . Cité par J.-N. Biraben, « L’hygiène, la maladie, la mort », Histoire de la
population française, t.1, Des origines à la Renaissance, sous la direction de J.
Dupâquier, Paris, PUF, 1988, p. 441.
20 . Joinville, Histoire de Saint Louis (XIIIe siècle). Historiens et Chroniqueurs
du Moyen Âge, Paris, Gallimard, La Pléiade, 1952, p. 361.
21 . Barthélemy l’Anglais, op. cit., p. 30.

22 . Froissart, Chroniques (XIVe siècle). Historiens et Chroniqueurs du Moyen


Âge, op. cit., p. 477.
23 . P. M. Kendall, Louis XI, l’intelligence au pouvoir, Paris, Marabout, 1984
re
(1 éd. anglaise 1971), p. 300.

24 . De coïtu (XIe siècle), cité par D. Jacquart et F. Micheau, La Médecine


arabe et l’Occident médiéval, op. cit., p. 117.
25 . A. de Villeneuve, Régime de santé pour conserver le corps humain et vivre
longuement (XIIIe siècle), éd. fin XVe siècle, s.p.

26 . Le Régime de santé de l’école de Salerne (XIe siècle), Paris, 1630, p. 38.


27 . Statuts du collège d’Harcourt (1311), H.-L. Bouquet, L’Ancien Collège
d’Harcourt, Paris, 1891, p. 74.
28 . L. Le Grand, op. cit., p. 73.
29 . Ib., p. 171 et 129.
30 . Voir L. Gougand, « La pratique de la phlébotomie dans les cloîtres », Revue
Mabillon, 1924, p. 5.
31 . M. Brièle, Collection de documents pour servir à l’histoire des hôpitaux de
Paris, Paris, 1888, t. III, année 1370, p. 7.

32 . Recueil de l’abbaye Saint-Victor (XIIIe siècle), M.-J. Imbault-Huart, La


Médecine au Moyen Âge à travers les manuscrits de la Bibliothèque nationale,
Paris, Éd. de la Porte Verte, 1983, p. 114.
33 . Commentaire de P. A. Mathiolus au livre de Dioscoride, Les Six Livres de
matière médicale, Lyon, 1622, p. 540.

34 . Hildegarde de Bingen, Le Livre des subtilités des créatures divines (XIIe


siècle), Grenoble, Millon, 1988, t. I, p. 231.
35 . J.-P. Albert, Odeurs de sainteté, la mythologie chrétienne des aromates,
Paris, EHESS, 1990, p. 65.
36 . J. Guiffrey, Inventaire de Jean duc de Berry, Paris, 1894, t. II n° 1143.
37 . A. d’Agnel, Les Comptes du roi René, Paris, 1910,1.1, p. 337.
38 . G. Morgane Tanguy, Anne de Bretagne, jardins secrets, Paris, 1991, F.
Sorlot et F. Lanore, p. 117.
39 . Les plus pures de ces pierres, émeraudes ou saphirs, sont toujours les plus
efficaces.

40 . L. Pannier, Les Lapidaires français des XIIe, XIIIe, XIVe siècles, Paris,
1882.
41 . P. Gaignard, Anciens Statuts de l’hôtel-Dieu Le Comte de Troyes, Troyes,
1853, p. 43.

42 . Lapidaire (XIIIe siècle), L. Pannier, op. cit., p. 79.


43 . Id.

44 . Albert le Grand, Vertus des herbes, plantes, animaux et pierres (XIIIe


siècle), E. Santini de Riols, Les Pierres magiques, Paris, 1905, p. 36.

45 . La Ceinture (XIIIe siècle), Le Chevalier nu, contes de l’Allemagne


médiévale, Paris, Stock, 1988, p. 103.

46 . Jean d’Arras, Mélusine (XIIIe siècle), Paris, Stock, 1979, p. 113.


47 . H. de Monteux, Conservation de santé et prolongation de vie, livre fort utile
et nécessaire non seulement aux médecins, mais aussi à toute personne qui veult
avoir sa santé corporelle sans laquelle cette vie est sans fruit, Paris, 1572, p. 220.
48 . Pline l’Ancien, Histoire naturelle de l’or et de l’argent, Paris, éd. française
1729, p. 1.
49 . F. D. Adams, The Birth and Development of the Geological Sciences,
Londres, 1938, p. 286, « The golden tree ».
50 . R. Lenoble, Esquisse d’une histoire de l’idée de nature, Paris, Albin
Michel, 1968, p. 298.
51 . R. C. Finucane, Miracles and Pilgrims. Popular Believes in Medieval
England, Londres, Dent, 1977, p. 89-90.
52 . P. Saintyves, Les Reliques et les Images légendaires, Paris, Laffont, coll.
« Bouquins », 1987 (1re éd. 1912), p. 955.
53 . J. de Voragine, op. cit., p. 15.
54 . Ib., p. 235 ; voir aussi P. Camporesi, La Chair impassible, Paris,
Flammarion, 1986 (1re éd. italienne 1983), p. 7.
55 . P. de Mamix, Premier Tome du tableau des différences de la religion, La
Rochelle, 1601, p. 402.
56 . Ordonnance d’Édouard II citée par M. Bloch, Les Rois thaumaturges, Paris,
Gallimard, 1983 (1re éd. 1924), p. 160.
57 . L. Pannier, op. cit., p. 81.
58 . Hildegarde de Bingen, op. cit., 1.1, p. 249.
59 . Ib., p. 243.
60 . A. Cabanès, Remèdes d’autrefois, Paris, 1905, p. 181.
61 . E. de Laplane, Histoire de Sisteron tirée des archives, Digne, 1848, t. Il, p.
500.
62 . A. Cabanès, op. cit., p. 182.
63 . Bibliothèque de l’École des chartes, Paris, 1860, 5° série, 1.1, p. 209.
64 . Fierabras (XIIIe siècle), Paris, 1857, p. 46.
65 . W. Gauzenmüller, L’Alchimie au Moyen Âge, Paris, 1940, p. 92-93.
66 . « Les Comptes du roi », cités par P. Champion, Louis XI et ses physiciens,
Lyon, 1935, p. 56.
67 . Id.

68 . Passion de Notre Seigneur (version du XVe siècle), P. Dorveaux, L’Épicier


du mystère de la Passion publié par Achille Juvénal, Paris, 1911, p. 5.
69 . Barthélemy l’Anglais, op. cit., p. 170. Sur le recours médical aux épices au
Moyen Âge, voir, entre autres, B. Lauriaux, « De l’usage des épices dans
l’alimentation médiévale », Médiévales, 1983, n° 2.
70 . Ib., p. 153.
71 . Ib., p. 149.
72 . Id.
73 . P. Meyer, L’Homme et le Sel, réflexion sur l’histoire humaine et l’évolution
de la médecine, Paris, Fayard, 1982, p. 70.
74 . J.-F. Bergier, Une histoire du sel, Paris, PUF, 1982, p. 52.
75 . P. Meyer, op. cit., p. 70.
76 . Id.

77 . Triomphe de la noble dame (XIVe siècle), cité par C. Husson, Étude sur les
épices, aromates, sauces, condiments et assaisonnements. Leur histoire, leur utilité,
leur danger, Paris, 1883, p. 12.
78 . Froissart, op. cit., p. 804.

79 . Le Roman de Jehan de Paris (fin XVe siècle). Poètes et Romanciers du


Moyen Âge, Paris, Gallimard, La Pléiade, 1952, p. 748.

80 . Benoît de Nurcie, La Nef de santé (XVe siècle), Paris, 1507, s.p.


81 . Barthélemy l’Anglais, op. cit., p. 162.

82 . Vincent d’Andéli, « Bataille des vins » (XIIIe siècle), Œuvres, Paris, 1881,
p. 28.
83 . Le Secret des secrets (xme siècle), in C. V. Langlois, La Vie en France au
Moyen Âge, Paris, 1925, t. II, p. 92.
84 . Joinville, op. cit., p. 241.
85 . Id.
86 . Barthélemy l’Anglais, op. cit., p. 152.
87 . La Quête du Graal, op. cit., p. 63.
88 . Ib., p. 76.
89 . Ib., p. 300.

90 . Marco Polo, Le Livre des merveilles (XIIIe siècle), in É. Carton, Voyageurs


anciens et modernes, ou Choix des relations de voyages les plus intéressants, Paris,
1861,1.1, p. 285.

91 . Pierre de Beauvais, Bestiaire (XIIIe siècle), Bestiaires du Moyen Âge, Paris,


Stock, 1980, p. 31.
92 . Cité par J.-P. Albert, Odeurs de sainteté, op. cit., p. 118, n. 24.
93 . Ib., p. 118.
94 . Id.
95 . Cité par C. Husson, op. cit., p. 5.
96 . L. Gautier, La Chevalerie, Paris, 1884, p. 634.

97 . « Journal de la dépense du roi Jean le Bon en Angleterre » (1er juill. 1359-8


juill. 1360), in L. Douët d’Arcq, Comptes de l’argenterie des rois de France au
XIVe siècle, Paris, 1851, p. 195 sq.

98 . « Livre des comptes des frères Bonis, marchands montalbanais du XIVe


siècle », Archives historiques de la Gascogne, 1890, p. 140.
99 . Ib., p. 203.
100 . Benoît de Nurcie, op. cit., s.p.

101 . B. Platine, L’Honnête Volupté (XVe siècle), Paris, 1871, p. 176.

102 . Cité par E. Barbazan, Fabliaux et Contes des poètes français des XIIe,
XIIIe, XIVe et XVe siècles, Paris, 1808 (1re éd. 1756), t. IV, p. 182.
103 . Cité par A. de Montaiglon, Recueil général et complet des fabliaux des
XIIIe et XIVe siècles, Paris, 1872– 1890, t. V, p. 222.

104 . Boccace, Le Décaméron (e siècle), Paris, 1878, t. II, p. 217.


105 . B. Platine, op. cit., p. 181.

106 . L. Stouff, Ravitaillement et Alimentation en Provence aux XIVe et XVe


siècles, Paris, Mouton, 1970, p. 84.
107 . Le Roman de Flamenca (1250), in R. Nelli et R. Lavaud, Les Troubadours,
Bruxelles, Desclée de Brouwer, 1960, p. 693.

108 . « Le chevalier qui faisait parler les femmes… » (XIIIe siècle), E.


Barbazan, Fabliaux…, op. cit., t. III, p. 425.

109 . Le Mesnagier de Paris (XIVe siècle), Paris, 1846, t. II, p. 273.


110 . Cité par J. Favier, François Villon, Paris, Fayard, 1982, p. 87.
111 . J. de Roquetaille, La Vertu et Propriété de l’eau ardente (e siècle), Paris,
1581, p. 127.
112 . Ib., p. 17.
113 . Ib., p. 12.
114 . Cité par J. Dujardin, Recherches rétrospectives sur l’art de la distillation,
Paris, 1900, p. 39.
115 . S. Colnort-Bodet, « Eau-de-vie logique et “banqueroutiers du Saint-
Esprit” », Mélanges en l’honneur de Charles Morazé, Toulouse, Privât, 1979, p.
311.

116 . Chronique du XIIe siècle citée par J. Hacard, La Thériaque au Moyen Âge,
Paris, 1947, p. 54.
117 . Id.
118 . J. Labarte, Inventaire du mobilier de Charles V, 1879, n° 2249, p. 145.
119 . Inventaire de l’abbaye de Fécamp, 1362, in J. Hacard, op. cit., p. 56.
120 . P. Delaveau, Les Épices, histoire, description et usages…, Paris, Albin-
Michel, 1987, p. 57.
121 . A. d’Agnel, op. cit., t. III, p. 30.
122 . « Livre des comptes des frères Bonis », op. cit.
123 . G. d’Avenel, Histoire économique de la propriété, des salaires et des
denrées depuis l’an 1200 jusqu’à l’an 1800, Paris, 1898, t. IV, p. 500.
124 . Ib., t. IV, p. 503.
125 . C. de Beaurepaire, Notes et Documents concernant l’état des campagnes
de la haute Normandie dans les derniers temps du Moyen Âge, Paris, 1865, p. 353.
126 . Ib., p. 385.
127 . Ib., p. 356.

128 . E. Forestié, Apothicaires, Médecins et Chirurgiens montalbanais du XIVe


siècle, Montauban, 1887, p. 5.
129 . P. Dorveaux, Inventaire de la pharmacie de l’hôpital Saint-Nicolas de
Metz, Paris, 1894, p. 3.
130 . Boccace, op. cit., p. 280.
131 . B. Platine, op. cit., p. 181.

132 . J.-J. Hémardinquer, « Sur les galères de Toscane au XVIe siècle », Pour
une histoire de l’alimentation, sous la direction de J.-J. Hémardinquer, Paris,
Cahier des Annales, Colin, 1970, p. 88.

133 . Aldebrandin de Sienne, Le Régime du corps (XIIIe siècle), Paris, 1911, p.


69.
134 . A. de Villeneuve, Régime…, op. cit., s.p.
135 . Le Régime de Salerne, op. cit., p. 3.
136 . A. de Villeneuve, Régime…, op. cit., s.p.

137 . Cité par E. Bondurand, « Une diététique provençale » (e siècle), Revue du


Midi, septembre 1895, p. 198.

138 . « Contenance de table » (XIIIe siècle), in N. Elias, La Civilisation des


mœurs, Paris, Calmann-Lévy, 1973 (1re éd. allemande 1939), p. 122.
139 . Cité par I. Origo, Le Marchand de Prato, la vie d’un banquier toscan au
XIVe siècle, Paris, Albin Michel, 1989 (1re éd. anglaise 1957), p. 301.
140 . Ib., p. 278.
141 . A. de Villeneuve, Régime…, op. cit., s.p.

142 . Les Quinze Joies du mariage (XIVe siècle). Poètes et Romanciers du


Moyen Âge, Paris, Gallimard, La Pléiade, 1952, p. 607.
143 . Barthélemy l’Anglais, op. cit., p. 177.
144 . M. Foucault, Les Mots et les Choses, une archéologie des sciences
humaines, Paris, Gallimard, 1966, p. 32.

145 . Isidore de Séville, Traité de la Nature (VIIe siècle), in M.-J. Imbault-


Huart, op. cit., p. 56.
146 . Aldebrandin de Sienne, Régime…, op. cit., p. 63.
147 . Id.
148 . M. Santucci, « L’homme et les planètes dans les planches de l’homme
anatomique et de l’homme astrologique », Sénéfiance, 1984, n° 13.

149 . B. Latini, Le Livre du trésor (XIIIe siècle). Jeux et Sapience du Moyen


Âge, Paris, Gallimard, La Pléiade, 1951, p. 748.
150 . Barthélemy l’Anglais, op. cit., p. 60.
151 . B. Latini, op. cit., p. 734.
152 . Règlement des barbiers de 1497 cité par T. Charmasson, « L’établissement
d’un almanach médical pour l’année 1437 », Congrès national des sociétés
savantes, Besançon, 1974, p. 218.

153 . Codex Guta-Sintram (XIIe siècle), in M. Parisse, Les Nonnes au Moyen


Âge, Paris, Christine Bonneton, 1983, p. 162.
154 . Ib., p. 164.

155 . Dante Alighieri, La Divine Comédie (XIVe siècle), Œuvres complètes,


Paris, Gallimard, La Pléiade, 1965, p. 1141, v. 64.
156 . Ib., p. 1699.

157 . Le Roman de Renart (XIIIe siècle), Paris, Stock, 1979, p. 113.


158 . La Bourgeoise d’Orléans (XIIIe siècle), Contes et Fabliaux, Paris, Stock,
1981, p. 105.
159 . Moniage Renart, BN, ms français, 368, f° 246.
160 . Gui de Bourgogne, cité par L. Gautier, op. cit., éd. de 1895, p. 632.
161 . R. Fossier, « Le temps de la faim », Les Malheurs du temps. Histoire des
fléaux et des calamités en France, sous la direction de J. Delumeau et Y. Lequin,
Paris, Larousse, 1987, p. 135.

162 . Raoul Glaber, moine de Cluny au XIe siècle, cité par J. Le Goff, La
Civilisation de l’Occident médiéval, Paris, Arthaud, 1967, p. 298-299.

163 . Le Psautier de Saint Louis (e siècle), BN, ms latin, 10525, f°. 31.

164 . Le Pays de Cocagne (XIVe siècle), BN ms français, 7218, f° 167.

165 . Hugues de Saint-Victor, Institution pour les novices (XIIe siècle), cité par
J.– L. Flandrin, « La distinction et le goût », in Histoire de la vie privée, sous la
direction de P. Ariès et G. Duby, Paris, Éd. du Seuil, 1986, t. III, De la Renaissance
aux Lumières, p. 290.

166 . J. Gerson, « Sermon pour la conception de la Vierge » (XIVe siècle), Six


Sermons inédits de Gerson, Paris, 1946, p. 418.

167 . Saint Thomas d’Aquin, Opuscules (XIIIe siècle), Paris, 1856-1857, t. VII,
p. 527.
168 . C. Gaier, « L’approvisionnement et le régime alimentaire des troupes dans
le duché de Limbourg et les terres d’outre-Meuse », Le Moyen Âge, 1968, n° 3-4, p.
557-559.

169 . J. Le Fèvre, Chronique (XVe siècle), Paris, 1881, p. 293-294.

170 . P. de Beaumanoir, La Manekine (XIIIe siècle), Paris, Stock, 1980, p. 86.

171 . J. de Vitry, Sermons (XIIIe siècle), cité par M. Mollat, « La vie


quotidienne dans les hôpitaux médiévaux », in Histoire des hôpitaux en France,
sous la direction de J. Imbert, Toulouse, Privât, 1982, p. 121.
172 . Cité par I. Origo, op. cit., p. 281.
173 . « L’évêque Odon présidant le festin », Tapisserie dite de la reine Mathilde
(XIe siècle), ville de Bayeux.
174 . C. de Pisan, Livre des faits et gestes et bonnes mœurs du roi Charles V
(XIVe siècle), Paris, 1941, p. 193.

175 . Au banquet du porc pendu (XIVe siècle), Tables florentines, écrire et


manger avec Franco Sachetti, Paris, Stock, 1984, p. 70.
176 . B. Delmas, « Médailles astrologiques et talismaniques dans le Midi de la
France (XIIIe-XIVe siècles) », in Actes du 96ᵉ congrès des Sociétés savantes,
Toulouse, 1971, t. 1, p. 448, n. 46.
177 . Ib., p. 450.
178 . J.-N. Biraben, « L’hygiène, la maladie… », op. cit., p. 437.
179 . J.-N. Biraben « Les temps de l’Apocalypse », in Les Malheurs du temps,
op. cit., p. 183.

180 . G. de Chauliac, La Grande Chirurgie (XIVe siècle), Paris, 1890, p. 171.


181 . Très Belles Heures du duc de Berry (env. 1410), Paris, Draeger, 1975, f°.
74 et 74 v.
182 . Cité par J. Nohl, La Mort noire, chronique de la peste, Paris, Payot, 1986
(1re éd. anglaise 1926), p. 96.
183 . A. Philippe, Histoire de la peste noire, 1346-1350, Paris, 1859, p. 49.
184 . Consultation de la faculté de médecine de Paris, L. A. J. Michon,
Documents inédits de la grande peste de 1348, Paris, 1860.
185 . 0. de La Haye, Poème sur la grande peste de 1348, Lyon, 1888, p. 43. Le
texte de O. de La Haye, écrit peu après la Grande Peste, est une interprétation
versifiée de la consultation de la Sorbonne.
186 . Ib., p. 19.
187 . G. Fulginatis, Contra pestilestium concilium (1348), cité par A. Philippe,
op. cit., p. 224.
188 . Lettres patentes de Charles VI, août 1416, in R. de Lespinasse, Les
Métiers et Corporations, Paris, 1886, p. 276.
189 . Ib., p. 275.
190 . Ordonnance pour les bouchers (env. 1360), art. VII, in C. Cuissard, Étude
sur le commerce et l’industrie à Orléans avant 1789, Orléans, 1897, p. 269-270.
191 . Ib., art. XXV, p. 271.
192 . A. Pleindoux, Les Maîtres de victuailles et le Commerce de la boucherie
en Avignon sous la domination des Papes, Avignon, 1924, p. 58.

193 . J. Soldi, Antidotario per il tempo di peste (XVe siècle), Florence, 1630, p.
19.
194 . Ib., p. 20.
195 . Ib., p. 18.

196 . T. Le Forestier, Le Régime contre épidémie et pestilence (XVe siècle),


Paris, s.d., p. 102.

197 . M. Ficin, Antidote des maladies pestilentes (XVe siècle), Paris, 1595, p.
16.
198 . G. Bunel, Œuvre excellente et à chacun désirant soi de peste préserver…,
Paris, 1836 (1re éd. 1513), p. 17.
199 . J. Garnier, Les Étuves dijonnaises, Dijon, 1867, p. 30.
200 . P. Goubert, Beauvais et le Beauvaisis de 1600 à 1730, Paris, SEV-PEN,
1960, t. 1, p. 232 ; et F. Lebrun, La Mort en Anjou au XVIIIe siècle, Paris, Mouton,
1971, p. 266.

201 . N. de Blégny, Livre commode des adresses de Paris, 1878 (1re éd. 1692),
p. 184.

202 . D. Érasme, Les Hôtelleries, trad., Paris, 1872 (1re éd. 1526), p. 18.

203 . J. de Wavrin, Anciennes Chroniques d’Angleterre (XVe siècle), Paris,


1859, t. II. p. 375.
204 . G. Chastelain, Œuvres, Bruxelles, 1863-1866, t. III, Chroniques, 1454-
1458, p. 442.
205 . Benoît de Nurcie, op. ait., s.p.
206 . O. de La Haye, op. cit., p. 43.
207 . A. Benedicti, Veronensis physici historiae corporis humani…, 1497. cité
par C. Quétel, Le Mal de Naples, Paris, Seghers, 1986, p. 11.

208 . J. Grunbeck, De la mentalugre ou mal français, Paris, 1884 (1re éd. 1496),
p. 35.
209 . Cité par C. Quétel, op. cit., p. 11.
210 . J. de Bethencourt, Nouveau Carême de pénitence, purgatoire d’expiation,
Paris, 1871 (1re éd. 1527), p. 34.
211 . J. Fernel, Traité de la parfaite cure de maladie vénérienne, Paris, 1633
re
(1 éd. 1579), p. 37.
212 . T. de Héry, La Méthode curative de la maladie vénérienne, Paris, 1552, p.
14.
213 . A. Paré, Traité de la grosse vérolle (1575), Œuvres complètes, Paris,
Malgaigne éd., 1840-1841, t. II, p. 528.
214 . Id.

215 . T. Paracelse, La Grande Chirurgie, Paris, 1593 (1re éd. latine 1573), p.
167.
216 . G. Fracastor, Les 3 Livres sur la contagion, les maladies contagieuses et
leur traitement, Paris, 1893 (1re éd. latine 1550), p. 5 et 6.
217 . J. Fernel, op. cit., p. 38.
218 . A. M. Brassavole de Ferrare, Examen omnium loch… de morho gallico,
Venise, 1553, cité par C. Quétel, op. cit., p. 87.
219 . P. Maynart de Vérone, Tractato de morbe gallico, 1516, cité par L.
Thuasne, Le Mal français à l’époque de V expédition de Charles VIII en Italie,
Paris, 1886, p. 114.
220 . A. Péricaud, « Notice sur André d’Espinay, cardinal, archevêque de Lyon
et Bordeaux », Revue du Lyonnais, 1854, VIII.
221 . Ordonnance du Parlement de Paris sur la grosse vérolle, 6 mars 1497, in
A. Chéreau, Les Ordonnances de peste, Paris, 1873, p. 92.
222 . Arrêt du Parlement de Paris, 1510, B N, ms français, FF 21629.
223 . Cité par C. Quétel, op. cit., p. 86.
224 . Ordonnance du roi Charles IX sur les plaintes des députéz des trois Estats
tenus en la ville d’Orléans, art. CI, Les Édits et Ordonnances des très chrestiens
roys, Lyon, 1677, t. I, p. 79.
225 . J. Alménar, Libelli due de morbo gallico, Lyon, 1528, cité par J.
Jeanselme, Histoire de la syphilis, son origine, son expansion, Paris, 1931, p. 183.
226 . G. Falloppio, Tractatus de morbo Gallico, Patavii, 1564, cité par J.
Jeanselme, op. cit., p. 183.
227 . Le Triumphe de haulte et puissante dame verolle, Royne du Puy
d’Amours… (1539), cité par C. Quétel, op. cit., p. 90.
228 . A. Paré, De la peste (1568), Œuvres complètes, op. cit., t. III, p. 358.
229 . Froissart, op. cit., p. 833.
230 . O. Ferrier, Remèdes préservatifs et confortatifs contre la peste, Lyon,
1548, p. 33.
231 . E. Labadie, Traité de la peste divisé en diagnostic, pronostic, curation,
Toulouse, 1620, p. 40.
232 . J.-N. Biraben, Les Hommes et la Peste en France et dans les pays
européens et méditerranéens, Paris, Mouton, 1976, t. II, p. 88.
233 . Ordonnance du prévôt des marchands, 13 septembre 1533, in N. de
Lamarre, Traité de la police, Paris, 1722 (1re éd. 1698), 1.1, p. 651.
234 . Ib., 1.1, p. 649.
235 . Id.
236 . Id.
237 . L. Cornaro, De la sobriété, conseils pour vivre longtemps, Grenoble,
Millon, 1991 (1re éd. italienne 1558).
238 . P. de Commynes, Mémoires (1464-1498), Historiens et Chroniqueurs du
Moyen Âge, op. cit., p. 1289.
239 . Ib., p. 1292.
240 . Id.
241 . Id.
242 . Id.
243 . Froissart, op. cit., p. 531.
244 . Ib., p. 833.

245 . J. Bouchet, Le Panégyrique du chevalier de La Trémoille (début XVIe


siècle), Paris, 1820, p. 44.
246 . Id.
247 . Id.
248 . H. Neveux, « Déclin et reprise : la fluctuation biséculaire 1330-1560 »,
Histoire de la France rurale, sous la direction de G. Duby et A. Wallon, Paris, Éd.
du Seuil, 1975, t. II, p. 99-100.

249 . C. de Seyssel, Grande Monarchie de France, Paris, 1557 (1re éd. 1519), p.
44.
250 . G. Duby, Économie et Vie des campagnes de l’Occident médiéval, Paris,
Aubier, 1962, t. II, p. 614.
251 . Ib., t. II, p. 615.
252 . G. Fourquin, Histoire économique de l’Occident médiéval, Paris, Colin,
1979, p. 278.
253 . L. Stouff, op. cit., p. 227.
254 . Ib., p. 226.
255 . A. M. Nantes, GG 705, cité par A. Croix, op. cit., 1.1, p. 366.
256 . M. Aleman, Guzman de Aliarache (1599). Romans picaresques espagnols,
Paris, Gallimard, La Pléiade, 1968.
257 . M. Vovelle, La Mort et l’Occident de 1300 à nos jours, Paris, Gallimard,
1983, p. 182.
258 . G. Pictorius, Les Sept Dialogues, Paris, 1557, p. 16.
259 . A. Dürer, La Jeune Fille et la Mort.
260 . Le Titien, « La vecchia », 1505, Venise, Galleria dell’Accademia.
261 . P. de Ronsard, « L’an se rajeunissait », Second Livre de mélanges (1559),
Poésies choisies, Paris, Garnier, 1969, p. 111.
262 . J. Du Bellay, « Cependant que Magny… », Les Regrets (1558), Poètes du
XVIe siècle, Paris, Gallimard, La Pléiade, 1953, p. 452.
263 . P. de Ronsard, « Quand vous serez bien vieille… », Les Amours (1552),
Paris, Garnier, 1963, p. 431.
264 . T. More, L’Utopie (1518), Voyages aux pays de nulle part, Paris, Laffont,
coll. « Bouquins », 1990, p. 172.
265 . H. de Monteux, op. cit., p. 5.
266 . Id.
267 . P. Ariès, L’Homme devant la mort, Paris, Éd du Seuil, 1977, p. 304-305.
268 . L. Cornaro, op. cit., p. 52.
269 . Ib., p. 85.
270 . Ib., p. 95.
271 . Ib., p. 85-86.
272 . Ib., p. 41.
273 . Ib., p. 105.
274 . Ib., p. 97.
275 . Ib., p. 102.
276 . Cité par R. et M. Wittkower, Les Enfants de Saturne, psychologie et
comportement des artistes, de l’Antiquité à la Révolution française, Paris, Macula,
1985 (1re éd. américaine 1958), p. 93.
277 . Journal de Jean Hérourd (1601-1627), Paris, Fayard, 1989, t. I, p. 935.
278 . Ib., 1.1, p. 953.

279 . G. Cardan, Ma vie, Paris, Belin, 1992 (1re éd. 1575-1576), p. 51.
280 . F. Rabelais, La Vie très horrificque du Grand Gargantua (1532), Œuvres
complètes, Paris, Gallimard, La Pléiade, 1955, p. 99.
281 . Cité par P. Chevallier, Henri III, Paris, Fayard, 1985, p. 370.
282 . Un sire de Gouberville gentilhomme campagnard de 1553 à 1562, publié
par A. Tollemer, Paris, Mouton, 1972 (1re éd. 1870), p. 244.
283 . R. Dallington, The View of France, un aperçu de la France telle qu’elle
était vers l’an 1598, Versailles, 1892 (1re éd. anglaise 1604), p. 174-175.
284 . M. de Montaigne, Essais (1580), Paris, Gallimard, La Pléiade, 1958, p.
1218.
285 . Ib., p. 1241.
286 . T. Campanella, La Cité du Soleil (1613), Voyage aux pays de nulle part,
op. cit., p. 261.

287 . Cité par C. Suétone, Vies des douze Césars (Ier siècle), Paris, Les Belles-
Lettres, 1932, t. II, p. 54.
288 . M. de Montaigne, op. cit., p. 107. Voir aussi F. Bâtisse, Montaigne et la
médecine, Paris, Les Belles-Lettres, 1962, p. 67.
289 . L. Cornaro, op. cit., p. 55.
290 . Id.
291 . Érasme, La Civilité puérile (1530), Paris, Ramsay, 1976, Baltassare
Castiglione, Le Courtisan (1528), Paris, 1537.
292 . B. Gracian, Le Héros (1647), Paris, Champ libre, 1973, p. 26 et 15 ; voir J.
Revel, « Les usages de la civilité », Histoire de la vie privée, sous la direction de P.
Ariès et G. Duby, Paris, Éd. du Seuil, 1986, t. III.
293 . M. Aleman, op. cit., p. 87.
294 . L. Joubert, Erreurs populaires touchant la médecine et le régime de santé,
Paris, 1578, t. II, p. 145.
295 . Ib., t. Il, p. 115.
296 . H. Neveux et J. Céard, « Un monde qui se dérègle », Les Malheurs du
temps, op. cit., p. 262.

297 . M. Senudo, I diari (XVIe siècle), cité par B. Geremek, La Potence ou la


Pitié, l’Europe et les pauvres du Moyen Âge à nos jours, Paris, Gallimard, 1986
(1re éd. polonaise 1978), p. 175.

298 . T. Platter, La Vie de Thomas Platter (XVIe siècle), Genève, 1862, p. 61.
299 . Ib., p. 140.
300 . R. Gropetii Atrebatis, Regimen sanitatis, Paris, 1539, f°. 35 ; voir J.
Dupèbe, « La diététique et l’alimentation des pauvres selon Sylvius », in Pratiques
et Discours alimentaires à la Renaissance, Actes du colloque de Tours 1979, sous la
direction de J.-C. Margolin et R. Sauzet, Paris, Maisonneuve et Larose, 1982.
301 . F. Rabelais, Pantagruel, roi des Dipsodes (1532), Œuvres, op. cit., p. 326.
302 . T. L’Hermite, Le Page disgracié, Paris, 1642, p. 300.
303 . J. Sylvius, Régime de santé pour les poures, Paris, 1542, P. 44-45.
304 . Ib., f°. 4L
305 . Ib., f°. 42.
306 . Ib., f°. 43.
307 . Ib., f°. 48.
308 . Ib., f°. 4L
309 . A. Paré, Œuvres…, op. cit., t. III, p. 341.
310 . Cité par A. Paré, Discours de la licorne (1580), in Des monstres, des
prodiges, des voyages, Paris, Livre club du libraire, 1964, p. 166.
311 . C. Landré, De l’oecoiatrie, Paris, 1573, p. 800.

312 . G. F. Straparole, Les Facétieuses Nuits, Paris, 1857 (1re éd. 1550-1551), t.
II, p. 58.
313 . F. Rabelais, Gargantua, op. cit., p. 51-52.
314 . A. Paré, Discours de la licorne, op. cit., p. 167.
315 . B. Palissy, Discours admirables de la nature des eaux et des fontaines tant
naturelles qu’artificielles, Paris, 1580, p. 225.
316 . A. Paré, Discours de la licorne, op. cit., p. 162.
317 . A. Paré, De la peste, op. cit., t. III, p. 368.
318 . A. Paré, Discours de la licorne, op. cit., p. 159.
319 . A. Zysberg, Les Galériens, vies et destins de 60 000forçats sur les galères
de France, 1680-1748, Paris, Éd. du Seuil, coll. « L’Univers historique », 1987, p.
214.
320 . J.-B. Labat, Voyage aux îles françaises de l’Amérique (1693-1705), Paris,
Seghers, 1979, p. 138.
321 . J. Calvin, Traité des reliques, Genève, 1599, p. 74.
322 . P. de Moulin, Bouclier de la Foy ou défense de la confession de foy des
Eglises Réformées du Royaume de France, Charenton, s.d. (XVIIe siècle), p. 481.
323 . T. Agrippa d’Aubigné, Sa vie à ses enfants (1552-1630), Œuvres, Paris,
Gallimard, La Pléiade, 1969, p. 388.
324 . S. Boiron, La Controverse née de la querelle des reliques à l’époque du
concile de Trente (1500-1640), Paris, PUF, 1989, p. 76-77.
325 . P. Boussel, Des reliques et de leur bon usage, Paris, Balland, 1971, p. 216.
326 . J. Delumeau, Rassurer…, op. cit., p. 232-233.
327 . J. Delumeau, La civilisation de la Renaissance, Paris, Arthaud, 1967, p.
490.
328 . F. Rabelais, Pantagruéline Prognostication, certaine, véritable et
infaillible pour l’an perpétuel (1533), Œuvres…, op. cit., p. 921.
329 . Ib., p. 927.
330 . L. Cornaro, op. cit., p. 78.
331 . Id.
332 . N. Machiavel, Le Prince (1513), Œuvres complètes, Paris, Gallimard, La
Pléiade, 1958, p. 367.

333 . G. Dom, L’anatomia delli corpi vivi (XVIe siècle), pl.


334 . G. F. Straparole, op. cit., t. II, p. 390.
335 . F. et T. Platter à Montpellier, 1552-1559, 1595-1599, notes de voyage de
deux étudiants bâlois, Montpellier, 1892, p. 13.
336 . M. de Montaigne, op. cit., p. 380.
337 . H. de Monteux, op. cit., p. 30.

338 . F. de Bassompierre, Journal de ma vie, Mémoires, Paris, 1870 (1re éd.


1665), t. I, p. 118.
339 . A. Paré, Discours de la licorne, op. cit., p. 129.
340 . Voir ici même p. 37.
341 . L. Joubert, op. cit., t. I, p. 11.
342 . A. Paré, Des distillations (1575), in Œuvres complètes, op. cit., t. III, p.
621.
343 . M. Lachiver, Vins, Vignes et Vignerons. Histoire du vignoble français,
Paris, Fayard, 1988, p. 261.
344 . R. Challes, Journal d’un voyage aux Indes (1690), Paris, Mercure de
France, 1979, p. 82, 188, 192.
345 . L. Cornaro, op. cit., p. 54.

346 . P. de Bourdeilles, dit Brantôme, Vies des dames galantes (mss fin XVIe
siècle), Paris, Gallimard, coll. « Folio », 1981, p. 204.
347 . J. Bodin, Les Dix Livres de la République, Paris, 1576.
348 . Sieur de La Framboisière, Le gouvernement nécessaire à chacun pour
vivre longuement, Paris, 1600.
349 . Voir G. B. Bracelli, Biarrie di varie figure, Florence, 1624.
350 . T. Tzara, « À propos de G. B. Bracelli » (1963), in M. Préaud, Bracelli,
gravures, Paris, Ed. du Chêne, 1975.

351 . M. et H. Mancini, Mémoires, Paris, Mercure de France, 1965 (1re éd.


1676), p. 101.

352 . Mme de Maintenon, Lettres, Paris, 1752, t. II, p. 42.


353 . Cité par G. Rattray Taylor, Histoire illustrée de la biologie, Paris,
Hachette, 1965 (1re éd. anglaise 1963), p. 50.
354 . C. de Saint-Evremond, Lettre de 1676, Œuvres mêlées, t. III,
Correspondance, Paris, 1866, p. 17.

355 . Mme de Sévigné, Lettre du 2 avril 1690, Correspondance, Paris,


Gallimard, La Pléiade, 1974, t. III, p. 856

356 . Mme de Maintenon, op. cit., t. IV, p. 159.


357 . P. Constant, Un monde à l’usage des demoiselles, Paris, Gallimard, 1987,
p. 150.
358 . L. de Saint-Simon, Mémoires, Boislisle éd., Paris, 1879-1928, t. XI, P –
21.
359 . L’abbé de Choisy insiste beaucoup, par exemple, sur ses « fruits d’hiver »
dont il a « une bonne provision » (Mémoires de l’abbé de Choisy habillé en femme,
ms du XVIIe siècle, Paris, Mercure de France, 1966, p. 351), alors que les fruits
sont accusés par les médecins de provoquer « des ventosités et douleurs de ventre »
(B. Pisanelli, Traité de la nature des viandes, Paris, 1620, p. 5).
360 . A. Baillet, Vie de Monsieur Descartes, Paris, 1691, t. II, p. 452 ; voir aussi
M. Grmek, La Première Révolution biologique, Paris, Payot, 1990, p. 141.
361 . R. Descartes, Entretien avec Burman, 16 avril 1648, Œuvres et Lettres,
Paris, Gallimard, La Pléiade, 1953, p. 1402.
362 . R. Descartes, Lettre au marquis de Newcastle, octobre 1645, Œuvres…,
op. cit., p. 329.
363 . G. Tallemant des Réaux (1619-1692), Historiettes, Paris, Gallimard, La
Pléiade, 1960, t. II, p. 437.
364 . Le Mercure galant, novembre 1702, p. 216.
365 . L. de Saint-Simon, op. cit., t. XXVII, p. 188.
366 . J. Grand Carteret, L’Histoire littéraire, les Mœurs, la Curiosité, 1450-
1900, Paris, Librairie de la curiosité, 1927, t. III, p. 83.
367 . L. de Saint-Simon, op. cit., t. XXVII, p. 187.
368 . G. Tallemant des Réaux, op. cit., 1.1, p. 301.
369 . L. de Saint-Simon, op. cit., t. VIII, p. 313.

370 . Mme de Sévigné, Lettre du 26 juin 1675, op. cit., 1.1, p. 743.
371 . G. Patin, Lettre du 18 janvier 1644, Lettres, Paris, 1846, t. I, p. 314.
372 . Id.
373 . Voir G. Comisso, Les Ambassadeurs vénitiens, Paris, Le Promeneur Quai
Voltaire, 1989, « Extrait de la relation d’Angelo Correr », p. 234.
374 . J. Héritier, La Sève de l’homme, de l’âge d’or de la saignée aux débuts de
l’hématologie, Paris, Denoël, 1987, p. 21.
375 . C. de Ribbe, Une grande dame dans son ménage au temps de Louis XIV,
Paris, 1889, p. 359.
376 . G. Tallemant des Réaux, op. cit., t. II, p. 329.
377 . Bibliothèque des sciences, Paris, Bureau d’adresses, 1668, t. VI, p. 170.
378 . Lettres de la princesse Palatine (1672-1722), Paris, Mercure de France,
1981, p. 201.
379 . A. Vallot, A. d’Aquin, G. C. Fagon, Journal de santé du roi Louis XIV de
l’année 1647 à l’année 1711, Paris, 1862, p. 113 ; voir aussi M. Caroly, Le Corps
du Roi-Soleil, Paris, Imago, 1990, en particulier « Le corps purgé », p. 59 sq.
380 . G. Aselli, De lactibus sive lacteils venis, Lyon, 1627.
381 . C. de Marais, Le Médecin de soi-même, Leyde, 1682, p. 57.
382 . D. Duncan, Avis salutaire à tout le monde sur l’abus des choses chaudes,
particulièrement du café, du chocolat et du thé, Rotterdam, 1705, p. 177.
383 . N. de Malebranche, De la recherche de la vérité (1674-1675), in Œuvres
complètes, Paris, Vrin, 1962,1.1, p. 491.
384 . lb., t. III, p. 197.
385 . Cité par G. R. Taylor, op. cit., p. 68.
386 . Id.
387 . P. La Martinière, Médée ressuscitée affirmant l’utilité de la transfusion du
sang, Paris, 1668, p. 5.
388 . J. Denis, Lettre à Monsieur Montmor conseiller du Roy en ses conseils,
Premier Maistre de Requestes touchant une nouvelle manière de guérir plusieurs
maladies par la transfusion du sang, Paris, 1667, p. 14.
389 . P. La Martinière op. cit., p. 11.

390 . Mme de Sévigné, Lettre du 25 janvier 1690, op. cit., t. III, p. 819.
391 . Ib., t. II, Lettre du 18 juin 1677, p. 470.
392 . Ib., t. III, Lettre du 23 avril 1690, p. 869.
393 . Ib., t. III, Lettre du 5 novembre 1684, p. 152.
394 . Ib., t. III, Lettre du 13 juillet 1689, p. 640.
395 . Ib., t. III, Lettre du 30 octobre 1689, p. 740.
396 . Ib., t. III, Lettre du 19 avril 1689, p. 580.
397 . N. A. de la Framboisière, op. cit., p. 134.
398 . C. Macherot, Journal de ce qui s’est passé à Langres et dans les environs
(1628-1658), Paris, 1880,1.1, p. 374.
399 . N. Goulas, Mémoires (1627-1643), Paris, 1879, p. 37.
400 . N. de Malebranche, op. cit., 1.1, p. 491.
401 . G. Tallemant des Réaux, op. cit., t. II, p. 451.
402 . M. Charas, Pharmacopée royale, Paris, 1718 (1ʳᵉ éd. 1676), p. 815.
403 . A. Robinet, Malebranche vivant : biographie, bibliographie, Paris, Vrin,
1967, p. 17.
404 . J.-C. Dausset, Histoire des médicaments des origines à nos jours, Paris,
Payot, 1985, p. 170.
405 . E. Renaudot, L’Antimoine justifié et l’Antimoine triomphant, Paris, 1653.
406 . M. Charas, op. cit., p. 812.
407 . Voir F. Millepierre, La Vie quotidienne des médecins au temps de Molière,
Paris, Hachette, 1983 (1re éd. 1967), p. 125.
408 . Domergue, Moyens faciles et assurés pour conserver la santé, Paris, 1687,
p. 93.
409 . Ib., p. 98.
410 . Ib., p. 104-105.
411 . Ib., p. 107.
412 . G. Patin, Traité de la conservation de la santé, Paris, 1632, p. 109.
413 . P. Jacquelot, L’Art de vivre longuement, Lyon, 1630, p. 175.

414 . Lettre de R. de Bussy-Rabutin du 16 août 1674, Mme de Sévigné,


Correspondance, op. cit., t. I, p. 697.
415 . M. de Saint-Martin, Moyens faciles et éprouvés dont Monsieur de Lorme
s’est servi pour vivre près de cent ans, Caen, 1682.
416 . L. Dalicourt, Le Bonheur de la vie ou le Secret de la santé, Paris, 1666, p.
85.
417 . J. de Renou, Institutions pharmaceutiques, Paris, 1626, p. 186.

418 . S. de Sanctori, La Médecine statique, 1722 (1re éd. latine 1614), p. 6.


419 . Ib., p. 14.
420 . Domergue, op. cit., p. 24.
421 . Un sire de Gouberville, op. cit., p. 260.

422 . Mme de Sévigné, Lettre du 6 mai 1689, op. cit., t. III, p. 601.
423 . Ib., t. III, Lettre du 5 novembre 1684, p. 152.
424 . Ib., t. III, Lettre du 29 juin 1689, p. 631.
425 . Le Mercure galant, avril 1693, p. 33-34.
426 . Ib., janvier 1681, p. 300.
427 . Ib., octobre 1689, p. 212.
428 . Ib., juillet 1687, p. 132.
429 . Ib., janvier 1693, p. 194.
430 . Id
431 . N. Chomel, Dictionnaire d’oeconomie domestique contenant divers
moyens d’augmenter son bien et de conserver sa santé, Paris, 1718 (1re éd. 1708),
t. I, p. 960.
432 . Id.
433 . Ib., 1.1, p. 961.

434 . Mme de Maintenon, op. cit., t. II, p. 247.

435 . Mme de Sévigné, Lettre du 14 février 1689, op. cit., t. III, p. 502-503.
436 . A. Porchon, Les Règles de la santé et le Régime de vivre, Paris, 1684, p.
43.
437 . Le Mercure galant, novembre 1682, p. 336.
438 . A. Vallot, A. d’Aquin, G. C. Fagon, op. cit., p. 88.
439 . L. H. Loménie de Brienne, Mémoires (1643-1682), Paris, 1916, p. 181.
440 . P. Bailly, Questions naturelles et curieuses, Paris, 1628, p. 377.
441 . Ib., p. 378.

442 . Mlle de Montpensier, Mémoires, 1735 (1re éd. 1728), 1.1, p. 157.
443 . Mme de Sévigné, Lettre du 11 mai 1689, op. cit., t. III, p. 594.
444 . M. Lister, Voyage à Paris en 1698, Paris, 1873, p. 44.
445 . A. Cabanes, Les Mœurs intimes du passé (deuxième série), la vie aux
bains, Paris, 1902, p. 243.

446 . Mlle de Montpensier, op. cit., t. II, p. 311.


447 . F. Herring, Certain Rules, Directions or Advertisements for This Time of
Pestilence and Contagion… First Published in the Last Visitation of 1603, and Now
Reprinted, Londres, 1625.
448 . T. Renaudot, Recueil général des questions traitées ès conférences du
bureau d’adresses (1655-1656), cité par H. Neveux et J. Céard, « Permanence des
fléaux », Les Malheurs du temps, op. cit., p. 312
449 . C. M. Cipola, Contre un ennemi invisible, épidémies et structures
sanitaires en Italie de la Renaissance au XVIIe siècle, Paris, Balland, 1992 (1ʳᵉ éd.
italienne 1985), p. 70.
450 . J.-N. Biraben, Les Hommes et la Peste en France et dans les pays
européens et méditerranéens, Paris, Mouton, 1976, t. II, p. 87.
451 . Ib., p. 86.
452 . Cité par E. Le Roy Ladurie, Les Paysans du Languedoc, Paris, SEDES,
1966,1.1, p. 551, note.

453 . S. Pepys, Journal (1660-1669), Paris, Mercure de France, 1985 (1re éd.
anglaise 1825), p. 341.
454 . Correspondance des Intendants, AN G7-84, 1690
455 . Id.
456 . Recommandations de 1621 citées par C. M. Cipola, op. cit., p. 72.
457 . P. Bourdelais, « Le paysage humain », Histoire de la France, sous la
direction de J. Revel et A. Burguière, 1.1, L’Espace français, Paris, Éd. du Seuil,
1989, p. 223.
458 . Ib., 1691.
459 . F. Blondel, Cours professé à l’Académie d’architecture, Paris, 1680, p. 1.
460 . Avis donné aux bourgeois de Paris pour la conservation de leur personne et
de leur famille, Paris, 1649, p. 4.
461 . F. de Motteville, Mémoires pour servir à l’histoire d’Anne d’Autriche
épouse de Louis XIII roi de France, Paris, 1851 (1re éd. 1676), 1.1, p. 179.

462 . Mlle de Montpensier, op. cit., 1.1, p. 301.


463 . F. Lebrun, op. cit., p. 267.
464 . J.-B. Poquelin, dit Molière, Le Malade imaginaire (1673), Théâtre
complet, Paris, Garnier, s.d., p. 1659.
465 . Mme de Sévigné, Lettre du 25 janvier 1690, op. cit., t. III, p. 820.

466 . B. Ramazzini, Essai sur les maladies des artisans, Paris, 1111 (1re éd.
latine 1700), p. 42.
467 . Mme de Maintenon, op. cit., 1.1, p. 309.
468 . Ib., t. II, p. 250.
469 . Ib., t. II, p. 256.

470 . Mlle de Montpensier, op. cit., 1.1, p. 342.


471 . R. Challe, op. cit., p. 455.
472 . Le Mercure galant, septembre 1684, p. 217.

473 . L. de Coulanges, Lettre du 1er septembre 1694, Mme de Sévigné, op. cit.,
t. III, p. 1057.
474 . G. Tallemant des Réaux, op. cit., 1.1, p. 173-174.

475 . Mme de Maintenon, op. cit., 1.1, p. 300.


476 . M. Lister, op. cit., p. 205.
477 . A. Paré, De la génération de l’homme (1573), Œuvres complètes, op. cit.,
t. II, p. 751.
478 . Dictionnaire de V Académie française, Paris, 1694, t. II, p. 613.
479 . A. Vallot, A. d’Aquin, G. C. Fagon, op. cit., p. 95.

480 . Mme de Sévigné, Lettre du 28 janvier 1689, op. cit., t. III : « L’opium ne le
fait plus dormir… Cela fait grand’pitié », p. 488.

481 . Mme de Maintenon, op. cit., 1.1, p. 200.

482 . J. de La Bruyère, Caractères, Paris, Garnier, 1954 (1re éd. 1688), p. 135 ;
voir le chapitre : « De la société et de la conversation ».
483 . R. Chartier et H. Neveux, « La ville dominante et soumise », Histoire de la
France urbaine, sous la direction de G. Duby, Paris, Éd. du Seuil, 1981, t. II, p.
183.
484 . R. Bary, U Art de plaire dans la conversation, Paris, 1701.

485 . Mme de Sévigné, Lettre du 16 mai 1676, op. cit., t. II, p. 292.

486 . D. Huet, Mémoires, Paris, 1853 (1re éd. latine 1690), p. 226.
487 . E. Fléchier, Mémoires sur les Grands-Jours d’Auvergne, 1665, Paris,
Mercure de France, 1984 (1re éd. 1845), p. 90.
488 . Le Mercure galant, mai 1678, p. 108.
489 . Almanach (1641), cité par G. Bollème, La Bibliothèque bleue, Paris,
Julliard, coll. « Archives », 1971, p. 12.
490 . Almanach de Milan (1679), cité par J. Grand Carteret, Les Almanachs
français, 1600-1895, Paris, 1896, p. XXIII.
491 . Almanach (1641), op. cit., cité par G. Bollème, op. cit., p. 30.
492 . N. Chomel, op. cit., 1.1, p. 915.
493 . La Médecine et la Chirurgie des pauvres, Paris, 1714, p. 313.
494 . J. Callot, Les Grandes Misères de la guerre (18 eaux-fortes éditées en
1633) ; voir G. Sadoul, J. Callot miroir de son temps, Paris, Gallimard, 1969, p.
271.
495 . J. de La Bruyère, op. cit., p. 295 : « Ils vivent de pain noir, d’eau et de
racines. »
496 . Journal de Le Caron, agent des affaires de l’évêché de Beauvais, cité par P.
Goubert, Beauvais…, op. cit., t. I, p. 303, note.
497 . A. J. Le Prestre de Vauban, « Description de l’élection de Vézelay », in A.
M. de Boislisle, Mémoires de la généralité de Paris, Paris, 1881, p. 740.
498 . « Mémoire des commissaires du roi sur la misère des peuples et les
moyens d’y remédier », A. M. de Boislisle, op. cit., p. 783.

499 . H. Pratelle, Journal d’un curé de campagne au XVIIe siècle (1686-1739),


Paris, 1965, p. 156.
500 . De Bouville, intendant de Limoges, Lettre au contrôleur général du 12
janvier 1692, A. M. de Boislisle, Correspondance des contrôleurs généraux des
finances avec les intendants, Paris, 1897,1.1, p. 274.
501 . G. Bollème, La Bible bleue, Paris, Flammarion, 1971, p. 22.
502 . « Les Mémoires de voyage de sieur de L’Hermine » (1674-1676 et 1680),
in M. Magdelaine, Guerre et Paix en Alsace au XVIIe siècle, Toulouse, Privât,
1981, p. 187.
503 . D’Angevilliers, intendant du Dauphiné, Lettre au contrôleur général du 16
avril 1709, A. M. de Boislisle, Correspondance…, op. cit., t. III, p. 127.
504 . Daguesseau, procureur général au Parlement de Paris, Lettre au contrôleur
général du 22 janvier 1710, in ib., t. III, p. 264.
505 . Saint François de Sales, Introduction à la vie dévote, Œuvres, Paris,
Gallimard, La Pléiade, 1969 (1ʳᵉ éd. 1609), p. 42.
506 . Ordonnance du lieutenant civil du 31 mai 1631, citée par J.-P. Baud, « Les
maladies exotiques », in Sida et Libertés, la régulation d’une épidémie dans un État
de droit, Arles, Actes Sud, 1991, p. 24.

507 . N. J. Foucault, Mémoires (XVIIe siècle), Paris, 1885, p. 25.


508 . E. Fléchier, op. cit., p. 104.
509 . Ordonnance du roi du 7 mai 1657.
510 . Ordonnance du roi du 18 mars 1687.
511 . Arrêt du Conseil d’État du 18 mars 1713.
512 . M. Foucault, Histoire de la folie à l’âge classique, Paris, Gallimard, 1972,
p. 78.
513 . Édit de 1682, cité par M. Foucault, op. cit., p. 109.
514 . P. Goubert, op. cit., p. 40 ; P. Deyon, Amiens capitale provinciale, étude
comparée sur la société urbaine du XVIIe siècle, Paris, Arthaud, 1967, p. 36.
515 . F. Lebrun, « Le mariage et la famille », Histoire de la population
française, op. cit., t. II, De la Renaissance à 1789, Paris, PUF, 1988, p. 305.
516 . Id.

517 . J.-M. Mauriceau, La Population du sud de Paris aux XVIe et XVIIe siècles,
Université de Paris-I, 1978.

518 . D. Turrel, Bourg-en-Bresse au XVIe siècle, Société de démographie


historique, 1986, p. 203.
519 . F. Lebrun, op. cit., p. 305.
520 . P. Chaunu, La Civilisation de l’Europe classique, Paris, Arthaud, 1966, p.
33.
521 . L. de Saint-Simon, op. cit., t. X, p. 131-132.
522 . G. F. Straparole, op. cit., 1.1, p. 111.

523 . M. de Navarre, L’Heptaméron (1559), Conteurs français du XVIe siècle,


Paris, Gallimard, La Pléiade, 1956, p. 728.
524 . Ici même p. 35.
525 . Le Cuisinier français, textes présentés par J.-L. Flandrin, P. et M. Hyman,
Paris, Montalba, 1983, p. 16-17.
526 . J. Meyer, Histoire du sucre, Paris, Desjonquières, 1989, p. 95.
527 . Ib., p. 124-125.

528 . A. Croix, La Bretagne aux XVIe et XVIIe siècles, la vie, la mort, la foi,
Paris, Maloine, 1981, t. II, p. 834.
529 . A. Dürer, Journal de voyage dans les anciens Pays-Bas (1520-1521),
Bruxelles, La Connaissance, 1970, p. 63.
530 . Ib., p. 93.
531 . P. Pomet, Histoire générale des drogues, 1695, p. 7.
532 . M. Charas, op. cit., p. 115.
533 . Voir A. Pardailhé-Galabrun, La Naissance de l’intime, 3 000 foyers
parisiens aux XVIIe-XVIIIe siècles, Paris, PUF, 1988, p. 297.
534 . N. de Bonnefons, Les Délices de la campagne, Paris, 1654, p. 313.
535 . Y. Deslandes et J. Pinset, Histoire des soins de beauté, Paris, PUF, coll.
« Que sais-je ? », 1960, p. 56-57.
536 . N. de Blégny, Secrets concernant la beauté et la santé, Paris, 1689, t. I, p.
683 ; voir aussi A. Le Guerrer, Les Pouvoirs de l’odeur, Paris, F. Bourin, 1988.
537 . M. Charas, op. cit., p. 427.
538 . Grimmelshausen, Les Aventures de Simplex Simplicissimus, Paris, Aubier,
1983 (1re éd. 1668), p. 211.
539 . G. de Balzac, Lettres, Paris, 1626, p. 52.
540 . Cité par J. Charlier, La Peste à Bruxelles de 1667 à 1669, Bruxelles, 1969,
p. 15.

541 . Mme de Maintenon, op. cit., t. II, p. 284.


542 . N. Lémery, « Préservatif contre les maladies contagieuses », Recueil des
plus beaux secrets de médecine, Amsterdam, 1709, p. 360-361.
543 . Cité par P. Butel, Histoire du thé, Paris, Jonquières, 1989, p. 48.
544 . Voir P. Beaussant, Versailles, Opéra, Paris, Gallimard, 1987, p. 92-93.
545 . L. Chabouis, Le Livre du café, Paris, Bordas, 1988, p. 24.
546 . N. de Blégny, Le Bon Usage du thé, du café et du chocolat pour la
préservation et la guérison des maladies, Paris, 1687, p. 181.
547 . Citée par A. Franklin, La Vie privée d’autrefois, t. XIII, Le Café, le Thé, le
Chocolat, Paris, 1893, p. 79-80.
548 . Le Mercure galant, mai 1696, p. 28-29.
549 . C. Dufresny, La Malade sans maladie (1699), Œuvres, Paris, 1731, t. II, p.
19.

550 . W. Schivelbusch, Histoire des stimulants, Paris, Le Promeneur, 1991 (1re


éd. allemande 1980), p. 28.
551 . M. Thévenot, Voyages en Europe, Asie et Afrique, Paris, 1727 (1ʳᵉ éd.
1689), t. I, p. 103.
552 . Poème anonyme de 1674 cité par W. Schivelbusch, op. cit., p. 28.
553 . M. Lachiver, op. cit., p. 276.
554 . R. Lovelace, Lucasta, Londres, 1649, p. 99.
555 . L. de Saint-Simon, op. cit., t. XXVII, p. 183.
556 . A. Vallot, A. d’Aquin, G. C. Fagon, op. cit., p. 211, note.
557 . Question agitée le cinquième mai de l’année 1700 aux écoles de médecine
de Reims, si le vin de Reims est plus agréable et plus sain que le vin de Bourgogne,
Reims, 1700.
558 . Cité par P. Butel, op. cit., p. 50.

559 . C. Bontekoe, Suite des nouveaux éléments de médecine, Paris, 1698 (1re
éd. 1685), p. 186.
560 . D. Huet, op. cit., p. 189.
561 . J. Royer de Prade, Histoire du tabac où il est traité particulièrement du
tabac en poudre, Paris, 1677, p. 20 : avec l’usage du tabac, « la tête est plus saine et
mieux disposée ».
562 . J. Baudry, Jean Nicot à T origine du tabac en France, Lyon, La
Manufacture, 1988, p. 88.
563 . F. Ortiz, Cuban Couterpoint, Tabacco and Sugar, New York, Vintage
Books, 1970 (1ʳᵉ éd. 1940), p. 119.
564 . Arrêt du Parlement de Paris, 1624, Dom M. Félibien, Histoire de la ville
de Paris, Paris, 1707, t. III, p. 736.
565 . A. Benedicenti, Malati, medici et fermacisti, Milan, 1947, p. 659.
566 . Les Fumeurs, gravure de Saint-Igny, Paris, BN, Cabinet des Estampes.
567 . Les Fumeurs, gravure d’Abraham Bosse, Paris, BN, Cabinet des
Estampes.
568 . N. de Vigneul-Marville, Mélanges d’histoire et de littérature, Paris, 1725,
t. II, p. 32-33.
569 . C. Bontekoe, Suite…, op. cit., p. 112.
570 . J. Brunet, Le Bon Usage du tabac en poudre…, Paris, 1700, p. 35.
571 . J.-B. Poquelin, dit Molière, Dom Juan ou le Festin de pierre, 1665,
Théâtre complet, op. cit., p. 715.
572 . Cité par S. Blondel, Le Tabac, le livre des fumeurs et des priseurs, Paris,
1891, p. 197.
573 . E. Gondolffe, Le Tabac dans le Nord de la France. Historique 1587-1814,
Vesoul, 1910, p. 102.
574 . H. de La Garenne, Les Bacchanales ou les Lois de Bacchus, Paris, 1667, p.
58.
575 . J. Royer de Prade, op. cit., p. 127.
576 . Ib., p. 105.
577 . Cité par J. Néander, Traité du tabac, Lyon, 1626, p. 55.
578 . Ib., p. 53-54.
579 . R. d’Argenson, Rapports inédits (1697-1715), Paris, 1891, p. 134.
580 . Lettre du 5 août 1713, in Mélanges historiques, anecdotiques et critiques
sur la fin du règne de Louis XIV, Paris, 1807, p. 324.
581 . J.-B. Labat, op. cit., p. 256.
582 . O. de Préfontaine, Le Poète extravagant, avec l assemblée des filous et des
filles de joie, Paris, 1670, cité par E. Gondolffe, op. cit., p. 26.
583 . L. Ferrant, Traité du tabac en sternutatoire, Bourges, 1655, p. 23.
584 . « Lettre sur le remède anglais », Le Mercure galant, octobre 1680, p. 262
sq.
585 . L. F. de Bausset, Histoire de J.-B. Bossuet, Versailles, 1814, t. III, p. 336.
586 . J. Racine, Lettre du 24 août 1682, Lettres, Paris, 1747,1.1, p. 138.
587 . A. Vallot, A. d’Aquin, G. C. Fagon, op. cit., p. 211.
588 . L. de Saint-Simon, op. cit., t. XXIII, p. 197.
589 . J. Racine, Lettre, op. cit., 1.1, p. 138.
590 . N. de Blégny, Le Bon Usage…, op. cit., p. 143.
591 . G. d’Avenel, op. cit., t. V, p. 83.
592 . C. Bontekoe, Suite…, op. cit., p. 111.
593 . J. Brunet, op. cit., p. 3.
594 . L. de Saint-Simon, op. cit., t. XV, p. 242.
595 . Ib., t. VI, p. 41-42.
596 . Abbé de Choisy, op. cit., p. 297.
597 . Cité par A. Pardailhé-Galabrun, op. cit., p. 394.
598 . Id.
599 . Mémoires sur les fermes au xvme siècle, BN, ms français 7728.
600 . L. Chabouis, op. cit., p. 31.
601 . W. Schivelbush, op. cit., p. 36-37.
602 . J. C. Neimetz, Séjour à Paris, Leyde, 1727, p. 111.
603 . Cité par L. Chabouis, op. cit., p. 33.

604 . M. Wortley Montagu, Lettre du 1er avril 1717, citée par J.-F. de Raymond,
Querelle de l’inoculation ou Préhistoire de la vaccination, Paris, Vrin, 1982, p. 43.
605 . Ad.
606 . C. Maitland, Account of Inoculing the Small Pox, London, 1722, cité par
J.-F. de Raymond, op. cit., p. 44. Maitland est le chirurgien de Mary Montagu.
607 . M. Wortley Montagu, Lettre…, op. cit., p. 45.
608 . G. Buchan, Médecine domestique ou Traité complet des moyens de se
conserver en santé et de prévenir les maladies par le régime et les simples remèdes,
Paris, 1792 (1re éd. anglaise 1772), t. II, p. 198.
609 . J.-F. de Raymond, op. cit., p. 35.
610 . F. M. Arouet, dit Voltaire, Lettres philosophiques (1734), Œuvres
complètes, Paris, 1879, t. XXII, p. 115.
611 . M. Mathieu, Journal et Mémoires (1715-1737), Paris, 1863, t. III, p. 1.
612 . P. Darmon, La Longue Traque de la variole, les pionniers de la médecine
préventive, Paris, Librairie académique Perrin, 1986, p. 60.
613 . M. Marais, op. cit., t. III, p. 38.
614 . J. Buvat, Journal de la Régence (1715-1723), Paris, 1865, p. 431.
615 . P. Darmon, op. cit., p. 58.
616 . Dr Faust, Communication au congrès de Rastadt sur l’extirpation de la
petite vérole, 1798, cité par P. Darmon, op. cit., p. 39.
617 . Grimmelshausen, op. cit., p. 665.

618 . Mme de Sévigné, Lettre du 5 janvier 1674, Correspondance…, op. cit.,


1.1, p. 658.
619 . F. J. de Pierre, cardinal de Bernis, Mémoires et Lettres, 1715-1758, Paris,
1878,1.1, p. 180.
620 . J. Allen, Synopsiae medicinae, Londres, 1733, p. 81.
621 . G. Wagstaffe, Lettre au docteur Freind montrant les dangers et
l’incertitude d’insérer la petite vérole, Paris, 1722, p. 74.
622 . P. V. Dubois, Observations et réflexions sur la petite vérole et sur un
remède préservatif contre cette maladie, Paris, 1725, p. 74.
623 . G. Wagstaffe, op. cit., p. 17.
624 . Ib., p. 25.
625 . P. V. Dubois, op. cit., p. 76.
626 . G. Wagstaffe, op. cit., p. 10.
627 . P. V. Dubois, op. cit., p. 18.
628 . G. Buchan, op. cit., t. II, p. 230.
629 . J. Jurin, Relation du succès de l’inoculation de la petite vérole dans la
Grande-Bretagne, Paris, 1725 (1re éd. anglaise 1724), p. 14.
630 . « En 1727, les pères de famille ont choisi. Les inoculations ont cessé », P.
Darmon, op. cit., p. 86.
631 . C. de Montesquieu, Mes pensées. Œuvres complètes, Paris, Gallimard, La
Pléiade, 1956, t. I, p. 1200.
632 . C. de La Condamine, Mémoires sur l’inoculation de la petite vérole, Paris,
1754, p. 28.
633 . F. Dezoteux et L. Valentin, Traité historique et pratique de l’inoculation,
Paris, 1800, p. 55-57.
634 . J.-F. de Raymond, op. cit., p. 76-77.
635 . Ib., p. 76.
636 . Cité par l’abbé Nollet, « Expériences de l’électricité appliquée à des
paralytiques », Histoire de l’Académie des sciences, 1749, p. 28.
637 . J. Torlais, L’abbé Nollet, un physicien au siècle des Lumières, Paris,
Sipuco, 1954, p. 180.
638 . P. Bertholon, De l’électricité du corps humain dans l’état de santé et de
maladie, Paris, 1779, p. 100.
639 . G. Desbois de Rochefort, Matière médicale, Paris, 1.1, p. 24.
640 . D. Diderot, Éléments de physiologie (manuscrit 1780), Paris, Didier, 1964,
p. 311.
641 . Ib., p. 63 ; voir aussi sur ce thème R. Rey, « Hygiène et souci de soi dans
la pensée médicale des Lumières », Communication, Le Gouvernement du corps,
1993, n° 56.
642 . D. Diderot, Le Rêve de D’Alembert (1769), in Œuvres philosophiques,
Paris, Pauvert, 1964, p. 198.
643 . « Devant l’homme de l’Encyclopédie il faut dire le fibreux, comme les
anciens Grecs disaient l’humide ou le chaud ou le rond : une certaine essence de la
matière est ici affirmée » (R. Barthes, « Image, raison, déraison », L’Univers de
l’Encyclopédie, Paris, Les Libraires associés, 1964, P – 14).
644 . P. Dionis, Démonstrations anatomiques faites au Jardin du Roy, Paris,
1703, p. 388, pl. XIV.
645 . Cité par C. Malouin, Traité des corps solides et des fluides, Paris, 1718, p.
78.
646 . J. d’Alembert, Lettre du 3 novembre 1780, Œuvres complètes, Paris, 1832,
t. V, p. 434.
647 . L. de Préville, Méthode aisée pour conserver sa santé, Paris, 1762 ; J.-B.
Pressavin, L’art de prolonger la vie et de conserver sa santé, Paris, 1884 ; P.
Roussel, Système physique et moral de la femme, Paris, 1788.
648 . P. H. d’Holbach, Le Système de la Nature, Amsterdam, 1770, p. 255, note.
649 . Ib., p. 214.
650 . T. de Bordeu, Recherches sur les maladies chroniques (1775), Œuvres,
Paris, 1818, t. II, p. 832.
651 . D. de La Roche, Analyse des fonctions du système nerveux, Genève, 1778,
t. I, p. 13.
652 . Ib., p. 19.

653 . Mme d’Epinay, Les Contre-confessions, histoire de Madame de


Montbrillant, Paris, Mercure de France, 1989, p. 1253. Sur l’histoire de ce texte et
sa valeur de témoignage culturel, voir la préface d’Élisabeth Badinter, p. ix.
654 . Dictionnaire de l’Académie…, 1694, op. cit., t. II, p. 613.

655 . Mme d’Épinay, op. cit., p. 1074.


656 . Art. « Vapeurs », J. d’Alembert et D. Diderot, Encyclopédie, op. cit., t.
XVI, p. 836.
657 . P. Roussel, op. cit., éd. de 1813, p. 56.
658 . P. Pomme, Essai sur les affections vaporeuses des deux sexes, Paris, 1760,
p. 184.
659 . C. F. Hufeland, La Macrobiotique ou l’Art de prolonger la vie de l’homme,
Paris, 1838 (1re éd. allemande 1795), p. 407.
660 . Id.
661 . S.-A. Tissot, L’Onanisme. Dissertation sur les maladies produites par la
masturbation, Paris, La Différence, 1991 (1ʳᵉ éd. 1775), p. 44-45.
662 . Ib., p. 50.
663 . Ib., p. 39.
664 . S.-A. Tissot, Traité des nerfs et de leurs maladies, Paris, 1782, 4 vol.
665 . G. Daignan, Tableau des variétés de la vie humaine, Paris, 1786, p. VIII.
666 . G. Buchan, op. cit., 1.1, p. 266.
667 . G. T. Raynal, Histoire philosophique et politique des établissements et du
commerce des Européens dans les deux Indes, Genève, 1780 (1re éd. 1770), t. IV, p.
68.
668 . G. Buchan, op. cit., t. IV, p. 472-473.
669 . Ib., 1.1, p. 269.
670 . W. Hogarth, The Gin Lane (1750-1751), BN, Cabinet des Estampes.
671 . J.-C. Sournia, Histoire de l’alcoolisme, Paris, Flammarion, 1986, p. 40.
672 . G. Buchan, op. cit., t. IV, p. 269.
673 . N. Rétif de La Bretonne, Les Nuits de Paris, Paris, Laffont, coll.
« Bouquins », 1990 (1re éd. 1788), p. 643.
674 . J.-B. Pressavin, op. cit., p. 154 ; d’où le conseil insistant : « Il ne faut point
rechercher les voitures à ressorts bien liants » (id.).
675 . J. Faignet de Villeneuve, L’Économie politique, projet pour enrichir et
perfectionnerl’espèce humaine, Paris, 1763 ; C. A. Vandermonde, Essai sur la
manière de perfectionner l’espèce humaine, Paris, 1766 ; J. A. Mil-lot, L’art
d’améliorer et de perfectionner les hommes, Paris, 1801.
676 . « La perfectibilité de l’homme est réellement indéfinie », J. A. N. de
Condorcet, Esquisse d’un tableau historique des progrès de l’esprit humain, Paris,
Éditions sociales, 1971 (1re éd. 1794), p. 77.
677 . G. Buchan, op. cit., t. I, p. 21.
678 . D. de La Roche, op. cit., p. 246.
679 . L. S. Mercier, Le Tableau de Paris, 1782-1788, t. X, p. 150.

680 . T. Tronchin, Lettre de 1762, H. Tronchin, Un médecin du XVIIIe siècle


Théodore Tronchin, Paris, 1906, p. 45.
681 . L. S. Mercier, op. cit., t. IX, p. 90.
682 . G. Buchan, op. cit., t. IV, p. 312.

683 . J. N. Dufort de Cheverny, Mémoires (1731-1774), Paris, Perrin, 1990 (1re


éd. 1886), p. 377.
684 . Ib., p. 222.
685 . J. Torlais, op. cit., p. 88.
686 . Ib., p. 97.
687 . N. Rétif de La Bretonne, Les Nuits…, op. cit., p. 1106.
688 . D. Diderot, Lettre du 25 octobre 1773, Œuvres complètes, Paris, Le Club
français du livre, 1971, t. X, p. 1090.
689 . B. Franklin, L’art d’avoir des songes agréables (1798), Mélanges de
morale, d’économie et de politique, Paris, 1824,1.1, p. 174.
690 . Voir ci-dessus, p. 100.
691 . C. de Montesquieu, De l’esprit des lois (1748), in Œuvres complètes, op.
cit., p. 476.
692 . A. Corbin, Le Territoire du vide, l’Occident et le Désir du rivage, 1750-
1840, Paris, Aubier, 1988.
693 . Ib., p. 80.
694 . P. C. de Marivaux, Le Paysan parvenu, Paris, 1734 ; N. Rétif de La
Bretonne, Le Paysan et la Paysane pervertis, Paris, 1787.

695 . G. L. de Buffon, Œuvres, Paris, PUF, 1954 (1re éd. 1749-1767), p. 396.
696 . Abbé Galiani, Lettre du 5 septembre 1772, publiée in D. Diderot,
Œuvres…, op. cit., t. X, p. 951.
697 . C. de Peyssonnel, Les Numéros, Amsterdam, 1783, t. II, p. 12. Voir aussi :
« Dégradation de l’espèce par l’usage du corps à baleine », Journal oeconomique,
1771, p. 541.
698 . J. N. Dufort de Chevemy, op. cit., p. 186.
699 . Ib., p. 349.

700 . G. L. de Buffon, De l’homme, Œuvres complètes, Paris, 1836 (11e éd.


1749-1767), t. IV, p. 70-71.
701 . Ib., t. IV, p. 102.
702 . « L’Ami des pauvres », Journal oeconomique, 1766, p. 464.
703 . J. Faignet de Villeneuve, op. cit., p. 113.
704 . C. A. Vandermonde, op. cit., 1.1, p. 48.
705 . F. Furet, Penser la Révolution française, Paris, Gallimard, 1978 ; R.
Chartier, Les Origines culturelles de la Révolution française, Paris, Ed. du Seuil,
1991 ; P. Goubert et D. Roche, Les Français et l’Ancien Régime, Paris, Colin, 1984,
2 vol.
706 . T. Tronchin, Lettre du 3 septembre 1759, H. Tronchin, op. cit., p. 59.

707 . Mme d’Epinay, op. cit., p. 1282.


708 . F. M. Arouet, dit Voltaire, Lettre du 3 décembre 1757, Œuvres complètes,
Paris, 1827, t. III, p. 1340-1341.
709 . J. de Lespinasse, Lettre de 1776, Lettres, Paris, 1876, p. 305.
710 . G. L. de Buffon, Lettre du 2 avril 1771, Correspondance générale, Paris,
1885,1.1, p. 197.
711 . « Ombrages frais, ruisseaux, bosquets, verdure, venez purifier mon
imagination », J.-J. Rousseau, Rêveries du promeneur solitaire, Paris, Garnier, 1931
(1re éd. 1779), p. 272.
712 . C. J. de Ligne, Mémoires, Lettres et Pensées, Paris, F. Bourin, 1989 (1ʳᵉ
éd. 1928), p. 104.
713 . G. G. Casanova de Seingalt, Mémoires, Bruxelles, 1860 (1ʳᵉ rééd. 1797), t.
V, p. 205.
714 . C. de Montesquieu, Mes pensées, op. cit., 1.1, p. 1195.
715 . « Le diaphragme joue un des premiers rôles dans l’histoire de
l’irritabilité », P. V. de Sèze, Recherches physiologiques sur la sensibilité, Paris,
1786, p. 94.
716 . C. Rabiqueau, Nouveau Manège mécanique, Paris, 1778.
717 . D. Diderot, Les Plans et les Statuts des différents établissements ordonnés
par Sa Majesté impériale (1775), in Œuvres…, op. cit., t. XI, p. 118.

718 . J.-J. Rousseau, Julie ou la Nouvelle Héloïse, Paris, Garnier, 1960 (1re éd.
1760), p. 435.
719 . G. L. de Buffon, Correspondance générale, op. cit., t. II, p. 431, note.
720 . Gazette de santé, 1781, p. 73.
721 . J.-B. Pressavin, op. cit., p. 77.
722 . G. Buchan, op. cit., 1.1, p. 165.
723 . Cité par M. Onfray, Le Ventre des philosophes, critique de la raison
diététique, Paris, Grasset, 1989, p. 56.
724 . C. de Peyssonnel, op. cit., t.1, p. 83-84.
725 . G. Buchan, op. cit., t.1, p. 196.
726 . A. C. Cocchi, Régime de Pythagore, Paris, 1762, p. 40.
727 . Cité par K. Thomas, Dans le jardin de la nature, la mutation des
sensibilités en Angleterre à l’époque moderne, Paris, Gallimard, 1985 (1re éd.
anglaise 1983), p. 215.
728 . J. Cook, Voyages autour du monde (1772), J.-F. de La Harpe, Histoire
abrégée des voyages, Paris, 1780, t. XX, p. 212.
729 . N. Rétif de La Bretonne, Les Nuits…, op. cit., p. 942-943.
730 . L. A. de Bougainville, Voyage autour du monde par la frégate du roi la
Boudeuse… (1772), J.-F. de La Harpe, op. cit., t. XIX, p. 180-181.
731 . J.-B. Pressavin, op. cit., p. 69.
732 . J. F. Blumenbach, De l’unité du genre humain et de ses variétés, Paris,
1804 (1re éd. latine 1795), p. 80.
733 . H. L. Duhamel du Monceau, Moyens de conserver la santé des équipages
des vaisseaux avec la manière de purifier les salles d’hôpitaux, Paris, 1759, p. 151.
734 . L. S. Mercier, op. cit., t. XII, p. 150.
735 . H. L. Duhamel de Monceau, op. cit., p. 153.
736 . M. Toussaint Samat, Histoire naturelle et morale de la nourriture, Paris,
Bordas, 1987, p. 524.
737 . Varenne de Béost, Cuisine du pauvre, Dijon, 1772, p. 12.
738 . « Machine pour réduire en pâte des pommes de terre cuites pour en faire
du pain », ib., p. 23.
739 . A. A. Parmentier, Examen chimique de la pomme de terre, Paris, 1773.
740 . L. S. Mercier, op. cit., t. XII, p. 151.
741 . A. A. Parmentier, Rapport au ministre de l’Intérieur sur les soupes de
légumes dites à la Rumford (an VIII), A. A. Parmentier, Decandolle, Delessert,
Money, Recueil de rapports, de mémoires et d’expérience sur les soupes
économiques, Paris, 1801, p. 66.
742 . Affiches, Annonces et Avis divers, 1775, p. 187.
743 . Gazette de santé, 1785, p. 104.
744 . M. Toussaint Samat, op. cit., p. 525.
745 . F. Lebran, « La circulation des blés », in J. Delumeau et Y. Lequin, op. cit.,
p. 349.
746 . M. Gresset, Gens de justice à Besançon, 1674-1789, Paris, Bibliothèque
nationale, 1978, t. I, p. 312.
747 . G. Buchan, op. citv, t. I, p. 1.

748 . J.-J. Rousseau, L’Émile, Paris, Garnier, 1951 (1re éd. 1762), p. 39.

749 . Mme de Genlis, Leçon d’une gouvernante à ses élèves, Paris, 1791, t. II, p.
18.
750 . J.-J. Rousseau, L’Émile, op. cit., p. 38.
751 . Id.

752 . Mme de Genlis, op. cit., t. II, p. 18.


753 . J. Verdier, Cours d’éducation à l’usage des élèves destinés aux premières
professions et aux grands emplois de l’État, Paris, 1772, p. 3.
754 . J.-L. de Fourcroy de Guillerville, Les Enfants élevés dans l’ordre de la
nature, Paris, 1774, p. 81.
755 . Ib., p. 108.
756 . Voir ici même p. 95.
757 . N. Andry de Boisregard, L’Orthopédie ou Art de prévenir et de corriger
dans les enfants les difformités du corps, Paris, 1741,1.1, p. 100.
758 . C. G. Hufeland, Avis aux mères sur tous les points les plus importants de
l’éducation physique des enfants, Paris, 1801 (1re éd. allemande 1793), p. 18-19.
759 . Cité par P. Chaunu, op. cit., p. 157.
760 . F. Lebran, La Mort en Anjou, op. cit., p. 182.

761 . Mme de Maraise, Lettre du 20 décembre 1779, S. Chassagne, Une femme


d’affaires au XVIIIe siècle, Toulouse, Privât, 1981, p. 102.
762 . Lettre du 13 janvier 1786, ib., p. 130.

763 . Mme de Sévigné, Lettre du 6 mai 1676, Correspondance, op. cit., t. II, p.
284.
764 . Lettre du 26 juin 1675, ib., 1.1, p. 743.
765 . « Gardez-vous bien de faire raser le petit marquis », ib., p. 741.
766 . M. Chevreul, Le Précis de l’art des accouchements, en faveur des sages-
femmes et des élèves en cet art, Angers, 1782, p. vu. Voir aussi J.-J. Baudelocque,
Principes sur l’art des accouchements par demandes et réponses en faveur des
sages femmes de la campagne…, Paris, 1775.
767 . F. Lebran, La Mort en Anjou, op. cit., p. 213-214.

768 . Cité par M. El Kordi, Bayeux aux XVIIe et XVIIIe siècles, Paris, Mouton,
1970, p. 113, n. 56 ; voir aussi J.-C. Perrot, Genèse d’une ville moderne, Caen au
XVIIIe siècle, Paris, Mouton, 1975, t. II, p. 896.

769 . S. A. Tissot, Avis au peuple sur sa santé, Paris, 1782 (1re éd. 1762), t. II,
p. 330.
770 . Cité par J.-C. Perrot, op. cit., t. II, p. 828.

771 . M. Lachiver, Vin, Vigne et Vigneron en région parisienne du XVIIe au


XIXe siècle, Paris, Société historique de Pontoise, 1982, p. 612.
772 . A. Bideau, J.-P. Bardet et J. Houdaille, « La fécondité », Histoire des
populations françaises, op. cit., t. II, p. 391.
773 . P. Chaunu, Histoire science sociale, la durée, l’espace et l’homme à
l’époque moderne, Paris, SEDES, 1974, p. 379.
774 . Le Mercure galant, mars 1694, p. 33.

775 .S. Haies, La Statique des végétaux et l’Analyse de l’air, Paris, 1735 (1re éd.
anglaise 1727) ; J. Arbuthnot, Essai sur les effets de l’air sur le corps humain,
Paris, 1742 (1re éd. anglaise 1733) ; A. Boissier de Sauvages, Dissertation où l’on
recherche comment l’air suivant ses différentes qualités agit sur le corps humain,
Paris, 1754.
776 . S. Haies, Description des ventilateurs par le moyen desquels on peut
renouveler facilement et en grande quantité l’air des mines, des prisons, des
hôpitaux…, Paris, 1744 (1re éd. anglaise 1743), p. XX.
777 . Lavoisier découvre le rôle de ce gaz en 1777, voir ici même p. 190.
778 . N. Gauger, La Mécanique du feu ou l’Art d’en augmenter les effets et d’en
diminuer la dépense, Paris, 1713, p. 29.
779 . Ib., p. 55.
780 . J. F. Blondel, L’Architecture française ou Recueil de plans, Paris, 1752-
1756, t. I, p. 239.
781 . Ib., t. I, p. 259. Voir l’état antérieur de certains de ces hôtels dans P. J.
Mariette, Architecture française, Paris, 1727, 2 vol.
782 . Ib., t. III, p. 87.
783 . « Soufflets pour appartements », Journal économique, 1770, p. 325.
784 . J. C. Pingeron, Manuel des gens de mer, Paris, 1789, t. II, p. 460.
785 . Ib., t. II, p. 357.
786 . S. A. Tissot, Avis au peuple…, op. cit., t. II, p. 60.
787 . A. Boissier de Sauvages, op. cit., p. 56.
788 . J. Arbuthnot, op. cit., p. 137.
789 . Gazette de santé, 1773, p. 201. Voir aussi A. Corbin, Le Miasme et la
Jonquille, Paris, Aubier, 1982, p. 29-30.
790 . Cité par G. Rattray Taylor, op. cit., p. 87.
791 . « La ventilation des vaisseaux », Gazette de santé, 1773, p. 222.
792 . A. Corbin, Le Miasme et la Jonquille, op. cit., p. 56.
793 . « La ventilation… », Gazette de santé, op. cit., p. 221.
794 . J. C. Pingeron, op. cit., t. II, p. 367.
795 . N. Jacquin, De la santé, ouvrage utile à tout le monde, Paris, 1762, p. 79.
796 . H. L. Duhamel du Monceau, op. cit., p. 80.
797 . L. S. Mercier, op. cit., t. VIII, p. 310.
798 . J. B. Baumes, De la phtisie pulmonaire, Montpellier, 1783, t. I, p. 1.
799 . J. D. Duplanil, note au texte de G. Buchan, op. cit., t. II, p. 113.
800 . B. Bender, Essai théorique et pratique sur la phtisie, Paris, 1759, p. 34.
801 . G. Buchan, op. cit., t. II, p. 113.
802 . La Gazette de santé, 1778, p. 87.

803 . C. Gozzi, Mémoires inutiles, chroniques indiscrètes de Venise au XVIIIe


siècle, Paris, Phébus, 1987 (1re éd. italienne 1797), p. 212.
804 . S. A. Tissot, Avis au peuple…, op. cit., 1.1, p. 95.
805 . Art. « Phtisie », Dictionnaire portatif de santé, Paris, 1761, t. II, p. 282.
806 . Le livre de C. Herzlich et J. Pierret, Malades d’hier et Malades
d’aujourd’hui (Paris, Payot, 1984), a bien marqué ces différences et oppositions.
807 . J.-B. Louvet de Couvray, Amours du chevalier de Faublas (1786),
Romanciers du XVIIIe siècle, Paris, Gallimard, La Pléiade, 1965, t. II, p. 594.
808 . Dictionnaire portatif de santé, op. cit., t. II, p. 283-284.
809 . B. Bender, op. cit., p. 5.
810 . Dictionnaire portatif de santé, op. cit., t. II, p. 295.
811 . E. Gilchrist, Utilité des voyages sur mer pour la cure des différentes
maladies et notamment pour la consumption, Londres, 1770.
812 . J. B. Baumes, op. cit., p. 213.
813 . L. Lepecq de La Clôture, Collection d’observations sur les maladies et
constitutions épidémiques, Rouen, 1778, p. 172.
814 . J. de Lespinasse, Lettre du 28 février 1775, Lettres, op. cit., p. 183.
815 . Affiches, Annonces et Avis divers, 1766, p. 123.
816 . J. B. Baumes, op. cit., p. 221-222.
817 . H. Meister, Souvenirs de mes voyages en Angleterre, Paris, 1795, p. 32.
818 . J. Meyer, « L’enquête de l’Académie de médecine sur les épidémies, 1774-
1789 », Médecins, Climat et Épidémies à la fin du XVIIIe siècle, Paris, Mouton,
1972, p. 9.
819 . P. Rosanvallon, L’État en France de 1789 à nos jours, Paris, Éd. du Seuil,
coll. « Points Essais », 1993 (1re éd. 1990), p. 121.
820 . G. Cabanis, Rapport du physique et du moral de l’homme (1802), Œuvres
philosophiques de Cabanis, Paris, PUF, coll. « Corpus des philosophes français »,
1956,1.1, p. 356-357.
821 . F. E. Fodéré, Traité de médecine légale et d’hygiène publique, Paris, 1813
(1re éd. 1802), 1.1, p. 48.
822 . Le R. P. Cotte, « Topographie médicale de Monmorenci », Histoire et
Mémoires de la Société royale de médecine, 1779, p. 83.
823 . M. de Brieude, « Topographie médicale de la Haute-Auvergne », ib., 1782-
1783, p. 299.
824 . Raymond, « Topographie médicale de la ville de Marseille », ib., 1777, p.
105.
825 . Ib., p. 130.
826 . N. Hallé, « Visite le long de la Bièvre », ib., 1789, p. LXXXVIII.
827 . J. B. Banau et A. F. Turben, Mémoire sur les épidémies du Languedoc,
Paris, 1786, p. 29, 53, 84.
828 . C. N. Ledoux, L’Architecture considérée sous le rapport de l’art, des
mœurs et de la législation, Paris, 1804,1.1., p. 70.
829 . Gazette de santé, Mil, p. 136.
830 . L. S. Mercier, op. cit., t. IX, p. 192.
831 . Mouillefarine, Mémoire présenté à l’Assemblée nationale le 9 avril 1790,
AN, N III Seine 87 ; voir aussi R. Etlin, « L’air dans l’urbanisme des Lumières »,
Dix-huitième siècle, 1977, n° 9, p. 128.
832 . J. J. Menuret de Chambaut, Essai sur l’histoire médico-topographique de
Paris, Paris, 1786, p. 87.
833 . J. B. Banau et A. F. Turben, op. cit., p. 50.
834 . C. Maillé-Virole, « La naissance d’un personnage, le médecin parisien à la
fin de l’Ancien Régime », La Médicalisation de la société française, 1770-1890,
Waterloo, 1982, p. 154.
835 . J. C. Perrot, op. cit., t. II, p. 882.
836 . J. N. Dufort de Chevemy, op. cit., p. 153.

837 . J. Meyer, « Le personnel médical en Bretagne à la fin du XVIIIe siècle »,


Médecins, Climat et Épidémies…, oprcit., p. 196-201.
838 . J.-C. Perrot, op. cit., t. II, p. 888.
839 . F. Huguet, Les Professeurs de la faculté de médecine de Paris,
dictionnaire biographique, 1794-1935, Paris, INRP, CNRS, 1991, p. 223.
840 . Gazette de santé, 1773, p. 1.
841 . Ib., 1776, p. 212.
842 . Id.
843 . « Les travaux du corps », in É. Tourtelle, Éléments d’hygiène ou de
l’influence des choses physiques et morales sur l’homme, et des moyens de
conserver la santé, Strasbourg, 1797, t. II, p. 221.
844 . J. B. Winslow, « Mémoire sur les mauvais effets de l’usage des corps à
baleines », Mémoires de l’Académie des sciences, Paris, 1741, p. 239. La traduction
en France du livre de B. Ramazzini, Les Maladies des artisans (Paris 1772, 1ʳᵉ éd.
1700), resté longtemps sans équivalent, a sans aucun doute joué un rôle dans ces
analyses.
845 . D. Diderot, Réfutation d’Helvétius, Œuvres…, op. cit., t. XI, p. 458.
846 . J.-P. Goubert, Malades et Médecins en Bretagne, 1770-1790, Paris,
Klincksieck, p. 193.
847 . Sellier, « Topographie médicale d’Amiens », Le Journal encyclopédique,
1981, t. II, p. 503.
848 . J. B. Banau et A. F. Turben, op. cit., p. 20.
849 . Cité par J.-P. Goubert, op. cit., p. 161.

850 . J. Gélis, L’Arbre et le Fruit, la naissance dans l’Occident moderne (XVIe-


XIXe siècle), Paris, Fayard, 1984, p. 217.
851 . A. L. Lavoisier, Mémoire sur la respiration, Paris, 1790, p. 142.
852 . Id.
853 . J. Priestley, Expériences et Observations sur différentes espèces d’air,
Paris, 1777-1780 (1re éd. anglaise 1774-1777), 1.1, p. 126.
854 . Id.
855 . Gazette de santé, 1783, p. 38.
856 . Ib., 1788, p. 67.
857 . Voir ici même p. 180.
858 . Voir ici même p. 188.
859 . J. Jurin, op. cit., p. 14.
860 . Voir ici même p. 183.
861 . G. Buchan, op. cit., t. II, p. II.
862 . « Établissement charitable des maîtres tailleurs de Londres », Journal
économique, 1770, p. 369.
863 . Id.
864 . C. P. Oberkampf, « Proclamation du 17 mars 1792 », citée par S.
Chassagne, Oberkampf, un entrepreneur capitaliste au siècle des Lumières, Paris,
Aubier, p. 254.
865 . Comtesse de Dash, Mémoires des autres, Paris, s.d., t. I, p. 256.
866 . L. Blanc, Histoire de dix ans, 1830-1840, Lausanne, 1850, p. 177, t. III.
867 . E Delaporte, Le Savoir de la maladie, Paris, PUF, 1990, p. 46.
868 . Cité par F. E. Fodéré, op. cit., t. V, p. 457.
869 . M. Poujalat, Religion, Histoire, Poésie, Tours, 1843, p. 300.
870 . P. Rosanvallon, op. cit., p. 121.
871 . Voir ici même, p. 117.
872 . P. Bûchez et U. Trélat, Précis élémentaire d’hygiène, Paris, 1825, p. 33.
873 . L.-F. Benoiston de Châteauneuf, Recherche sur la consommation de tout
genre de la ville de Paris en 1817 comparée à ce qu’elle était en 1789, Paris, 1820 ;
A.-J.-B. Parent-Duchâtelet, De la prostitution dans la ville de Paris, Paris, 1836, 2
vol. ; H.-A. Frégier, Des classes dangereuses de la population dans les villes et des
moyens de les rendre meilleures, Paris, 1840, 2 vol. ; L.-R. Villermé, Enquête sur le
travail et la condition des enfants dans les mines de Grande-Bretagne, Batignolles,
1843.
874 . B. P. Lecuyer, « L’hygiène en France avant Pasteur, 1750-1850 », in C.
Salomon-Bayet, Pasteur et la révolution pastorienne, Paris, Payot, 1986, p. 125-
126.
875 . Conseil de salubrité de la Seine, année 1825, Archives de la préfecture de
Police de Paris.
876 . B. P. Lecuyer, op. cit., p. 84.
877 . Art. « Hygiène », Dictionnaire abrégé de médecine, op. cit., t. IX, p. 357.
878 . Ib., p. 180.
879 . Rapport au Conseil de salubrité, 1825, op. cit.
880 . L. Blanc, op. cit., p. 176.
881 . L. F. Benoiston de Châteauneuf, Rapport sur la marche et les effets du
choléra morbus dans Paris, Paris, 1834, p. 119.
882 . B. P. Lecuyer, op. cit., p. 91-92.
883 . Art. « Vaccine », Dictionnaire abrégé de médecine, op. cit., t. XV, p. 377.
884 . J. Thomtor, Preuves de l’efficacité de la vaccine, Paris, 1807, p. 51.
885 . P. Darmon, La Longue Traque…, op. cit., p. 159.
886 . J. Thorutor, op. cit., p. 41.
887 . F. E. Fodéré, op. cit., t. V, p. 459.
888 . C. F. A. Grassi, Manuel des vaccinateurs, Paris, 1817, p. 39.
889 . Cité par F. E. Fodéré, op. cit., 1.1, p. 466, note.
890 . Ib., t. V, p. 460.
891 . « Rapport à la Société médicale d’Indre-et-Loire » (1801), cité par C.
Beauchamp, Délivrez-nous du mal, épidémies, endémies, médecine et hygiène au
XIXe siècle…, Maulévrier, Hérault-Éditions, 1990, p. 236.
892 . J. Ségaud, Précis historique de la vaccination pratiquée à Marseille,
Marseille, 1812, p. 17-18.
893 . Cité par C. Beauchamp, op. cit., p. 237.
894 . Art. « Vaccine », Dictionnaire abrégé de médecine, op. cit., p. 379.
895 . P. Darmon, La Longue Traque…, op. cit., p. 229.
896 . F. E. Fodéré, op. cit., t. V, p. 462.
897 . P. Darmon, La Longue Traque…, op. cit., p. 207.
898 . Lettre du ministre de l’Intérieur du 13 novembre 1810, citée par C.
Beauchamp, op. cit., p. 240.
899 . A. J. C. Quetelet, Sur l’homme et le développement de ses facultés ou
Essai de physique sociale, Bruxelles, 1835, p. 21.
900 . H. Daumier, « Les banquistes », Les Français peints par eux-mêmes, les
provinces, Paris, 1841,1.1, p. 130.
901 . E. Gigault de la Bédolière, « Les banquistes », in ib., p. 133.
902 . F. Péron, Voyage de découverte aux terres australes, Paris, 1807, p. 449.
903 . Ib., p. 448.
904 . J.-J. Virey, Histoire naturelle du genre humain, Paris, 1824, 1.1, p. XXVI.
905 . Ib., 1.1, p. XXV.
906 . A. d’Angeville, Essai sur la statistique de la population française
considérée sous quelques-uns de ses aspects physiques et moraux, Paris, 1836, p.
49.
907 . Recherches statistiques sur la ville de Paris et le département de la Seine,
Paris, 1821, tableau II.
908 . A. d’Angeville, op. cit., p. 49.
909 . P. H. Clias, Gymnastique élémentaire, ou cours gradué d’exercices
physiques propres à développer et à fortifier l’organisme humain, Berne, 1819, cité
par P. Bûchez et U. Trélat, op. cit., p. 306.
910 . F. Amoros, Manuel de gymnastique, Paris, 1830, atlas, planche 17.
911 . C. Dupin, Géométrie et mécanique des arts et métiers et des beaux-arts,
Paris, 1826, t. III, p. 125.
912 . Art. « Manufacture », E. M. Courtin, Encyclopédie moderne, Paris, 1823,
t. XXIII, p. 28.
913 . Voir ib., tomes de planches.
914 . Sur Amoros, voir M. Spivak, « Francisco Amoros y Ondeano », Le Corps
en mouvement, sous la direction de P. Arnaud, Toulouse, Privât, 1981.
915 . H. de Balzac, La Rabouilleuse (1841), Œuvres complètes, Paris, 1867,1.1,
p. 25.
916 . Archives nationales, F 17 2647.
917 . V. Considérant, Les Conditions sociales de l’architecture, Paris, 1834.
918 . Ib., p. 44.
919 . F. Béguin, « Les machineries anglaises du confort », Recherches, n° 29,
décembre 1977 ; voir aussi Du luxe au confort, sous la direction de J.-P. Goubert,
Paris, Belin, 1988.
920 . A. Dubourg en donne de bons exemples dans son Dictionnaire des
ménages, Paris, 1836.
921 . Hygie, 7 octobre 1827, s.p.
922 . Le Journal des connaissances utiles, 1835, p. 312.
923 . Ib., 1833, p. 16.
924 . Gazette hebdomadaire de santé, 1823, p. 60-61.
925 . Hygie, 1ᵉʳ février 1827, s.p.
926 . Id.
927 . P. de Kock, « Les bains à domicile », La Grande Ville, nouveau tableau de
Paris, Paris, 1842,1.1, p. 170.
928 . A. Hugo, La France pittoresque, Paris, 1835, t. II, p. 122.

929 . « C’est dans le premier tiers du XIXe siècle que commence à se répandre
l’usage de carreaux aux fenêtres et éventuellement aux portes, protection non
négligeable contre l’invasion des moustiques », C. Beau-champ, op. cit., p. 225.
930 . A. d’Angeville, op. cit., p. 49.
931 . J. B. G. Barbier, Traité d’hygiène appliquée à la thérapeutique, Paris,
1811, t. II, p. 24.

932 . L. Rostan, Cours élémentaire d’hygiène, Paris, 1828 (1re éd. 1820), 1.1, p.
197.
933 . H. de Balzac, Le Médecin de campagne (1833), Œuvres complètes, op.
cit., t. II, p. 7.
934 . Ib., p. 10.
935 . Ib., p. 12.
936 . Ib., p. 9.
937 . Art. « Osmazone », Dictionnaire abrégé de sciences médicales, op. cit., t.
XII, p. 138.
938 . P. Bûchez et U. Trélat, op. cit., p. 128.
939 . Art. « Osmazone », Dictionnaire…, op. cit., p. 139.
940 . Hygie, 4 février 1826, s.p.
941 . Art. « Osmazone », Dictionnaire…, op. cit., p. 139.
942 . A. Gautier, Traité des aliments, Paris, 1828, p. 25.

943 . A. Brillat-Savarin, Physiologie du goût, Paris, Hermann, 1975 (1re éd.


1826), p. 130.

944 . A. Dumas, Mes Mémoires, Paris, Laffont, coll. « Bouquins », 1989 (1re éd.
1853), 1.1, 1802-1830, p. 229.
945 . J. A. D. Ingres, Le Cavalier florentin, 1823, Courtesy of the Fogg Art
Muséum, Harvard University.
946 . E. Poe, L’homme qui était refait (1839), Contes, Essais, Poèmes, Paris,
Laffont, 1989, p. 398.
947 . Voir J. M. Moreau le Jeune, Rendez-vous pour Marly, env. 1770, BN,
Cabinet des Estampes.
948 . Voir « Jeune homme en habit et pantalon clair », Modes françaises, 1823,
BN, Cabinet des Estampes.
949 . G. N. Byron, Lettre du 15 juin 1811, citée par G. Matzneff, La Diététique
de Lord Byron, Paris, La Table ronde, 1984, p. 24.
950 . Lady Blesington, citée par G. Matzneff, ib., p. 29.
951 . H. de Balzac, « Le notaire », Les Français peints par eux-mêmes, op. cit.,
t. II, p. 105.
952 . E. Briffault, « Le député », ib., 1.1, p. 185.
953 . A. de Viguy, Journal (année 1831), Œuvres complètes, Paris, Gallimard,
La Pléiade, 1960, t. II, p. 937.
954 . H. Monnier, Les Mœurs administratives (1828), cité par R. Searle, C. Roy,
B. Bomeman, La Caricature, Art et Manifeste du XVIᵉ siècle à nos jours, Genève,
Skira, 1974, p. 145.

955 . Cité par J. Léonard, Archives du corps, la santé au XIXe siècle, Rennes,
Ouest-France, 1986, p. 206.
956 . Cité par H. Peyre, « Romantisme », Encyclopaedia Universalis, Paris,
1968, t. 14, p. 369.
957 . A. de Musset, La Confession d’un enfant du siècle (1836), Œuvres,
Genève, Fagot, 1973, p. 596.
958 . A. de Musset, A la Malibran, stances (1836), Œuvres complètes, Paris, t.
II, 1887, p. 149.
959 . H. de Balzac, La Peau de chagrin, Paris, Gallimard, coll. « Folio », (1ʳᵉ
éd. 1831), p. 62.
960 . A. Maurois, Prométhée ou la Vie de Balzac, Paris, Hachette, 1965, p. 181.
961 . L’inquiétude de Maine de Biran : « Je ne suis bien nulle part parce que je
porte en moi ou dans mon organisation une source d’affliction, de trouble, ou de
mal être permanents », M. F. P. Gontier (surnommé Maine) de Biran, Journal
intime (année 1818), Paris, 1927, t. II, p. 109. Voir aussi P. Pachet, Les Baromètres
de l’âme, naissance du Journal intime, Paris, Hatier, 1990.
962 . L. Figuier, « La race prussienne », L’Année scientifique, 1871, p. 199.
963 . « Le recensement de la population française », ib., 1867, p. 377, et
« Décroissance de la population française », ib., 1869, p. 412.
964 . G. Duveau, La Vie ouvrière en France sous le Second Empire, Paris,
Gallimard, 1946, p. 275.
965 . J. P. Thouvenin, Hygiène populaire, Paris, 1842, p. 18.
966 . T. Bécour, Des dangers de l’écrémage du lait, Lille, 1879, p. 26.
967 . J. Simon, L’Ouvrière, Paris, 1861, p. 138.
968 . P. Broca, Sur la prétendue dégénérescence de la population française,
Paris, 1867, p. 28.
969 . G. Lagneau, Situation de la population en France, Paris, 1873, p. 8.
970 . G. Le Bon, La Vie, physiologie humaine appliquée à l’hygiène et à la
médecine, Paris, 1874, p. 113.
971 . P. Bûchez, « Le traité des dégénérescences de B. A. Morel », in Annales
médico-psychologiques, 1857, p. 456.
972 . B. A. Morel, Traité des dégénérescences physiques, intellectuelles et
morales, Paris, 1857, 2 vol.
973 . E. Michelet, L’Amour, Paris, 1858, t. II, p. 124.
974 . « Arbre généalogique des Rougon-Macquart », É. Zola, Histoire naturelle
et sociale d’une famille sous le Second Empire, Paris, Laffont, coll. « Bouquins »,
1991 (1re éd. 1893), 1.1.
975 . P. Broca, op. cit., p. 28.
976 . Ib., p. 3.

977 . M. Garden, « La mortalité », Histoire des Français, XIXe-XXe siècles,


Paris, Armand Colin, 1984,1.1, Le Peuple et son pays, p. 300.

978 . A. Armengaud, « Industrialisation et démographie dans la France du XIXe


siècle », L’industrialisation en Europe au XIXe siècle, Colloque international du
CNRS, Lyon, 7-10 octobre 1970, Paris, 1972, p. 196.
979 . P. Jolly, Le Tabac et l’Absynthe, leur influence sur la santé publique et
l’ordre moral et social, Paris, 1887, p. 186.
980 . Les Mondes, revue hebdomadaire des sciences, 1869, t. 21, p. 149.
981 . E. Lancereaux, De l’alcoolisme et de ses conséquences au point de vue
physique, intellectuel et moral des populations, Paris, 1878, p. 27.
982 . Cité par M.-C. Delahaye, L’Absynthe, histoire de la fée verte, Paris,
Berger-Levrault, 1983, p. 144.
983 . L. J. Renaudin, « De l’alcoolisme chronique », Annales médico-
psychologiques, 1853, p. 60. Le premier article sur Magnus Huss écrit en France.

984 . D. Nourrisson, Le Buveur du XXe siècle, Paris, Albin-Michel, 1990, p. 87.


985 . L. Lunier, De la production et de la consommation des boissons
alcooliques et de leur influence sur la santé physique et morale des populations,
Paris, 1877, p. 170.
986 . L. Jacquet, L’Alcool, étude économique générale, Paris, 1912, p. 755.
987 . G. Flaubert, L’Éducation sentimentale, histoire d’un jeune homme (1869),
Paris, Gallimard, La Pléiade, 1952, t. Il, p. 70.
988 . A. Becquerel, Traité élémentaire d’hygiène privée et publique, Paris, 1877
re
(1 éd. 1851), p. 697.
989 . J. Arnould, Nouveaux Eléments d’hygiène, Paris, 1895 (1ʳᵉ éd. 1881), p.
625.
990 . E. Zola, L’Assommoir, Paris, Le Livre de poche, 1978 (1re éd. 1878), p.
50.
991 . E. Lancereaux, op. cit., p. 35.
992 . Cité par M. C. Delahaye, op. cit., p. 131.
993 . J. Arnould, op. cit., p. 625.
994 . J. Garin, De la police sanitaire et de l’assistance publique, dans leur
rapport avec l’extinction des maladies vénériennes, Paris, 1866, p. VI.

995 . M. Lévy, Traité d’hygiène publique et privée, Paris, 1857 (1re éd. 1845), t.
II, p. 747.
996 . Ib., t. II, p. 748.
997 . J. Garin, op. cit., p. V.
998 . A. M. Barthélemy, Syphilis, Paris, 1840, p. 18.
999 . M. Lévy, op. cit., t. II, p. 750.

1000 . A. Bouchardat, Traité d’hygiène publique et privée, Paris, 1883 (1re éd.
1880), p. 938.
1001 . P. Yvaren, Des métamorphoses de la syphilis, Paris, 1854, p. 16.
1002 . J.-P. Rioux, Chronique d’une fin de siècle, France, 1889-1900, Paris, Éd.
du Seuil, 1991, p. 212.

1003 . J.-K. Huysmans, A rebours, Paris, Gallimard, coll. « Folio », 1991 (11e
éd. 1884), p. 193.
1004 . P. Yvaren, op. cit., p. 16.
1005 . Ib., p. 17.
1006 . A. Bouchardat, op. cit., p. 901.
1007 . Ib., p. 308.
1008 . J. P. Troncin, Préservation de la syphilis, Paris, 1851, p. 144.
1009 . F. Carlier, Études de pathologie sociale, les deux prostitutions, Paris,
1887, p. 121.
1010 . A. J. B. Parent-Duchâtelet, De la prostitution dans la ville de Paris,
considérée sous le rapport de l’hygiène publique, de la morale et de
l’administration, Paris, 1836,1.1.
1011 . Cité par C. Quétel, op. cit., p. 295.
1012 . D. Nourrisson, op. cit., p. 278.
1013 . M. Lévy, op. cit., t. II, p. 757.
1014 . H. Homo, Étude sur la prostitution dans la ville de Château-Gontier,
Château-Gontier, 1872, p. 42.
1015 . A. Riant, L’Instruction et la Santé, Paris, 1869, p. 38.
1016 . L. Figuier, L’Année scientifique, Paris, 1861, p. 345.
1017 . Cité par A. Becquerel, op. cit., p. 696.
1018 . La Tempérance, 1875, p. 384.
1019 . R. Picard, Dangers et Abus des boissons alcooliques, Paris, 1874.
L’ouvrage est tiré à 9 600 exemplaires.
1020 . Voir D. Nourrisson, op. cit., p. 241.
1021 . « Faire toucher du doigt tous les bénéfices résultant d’une vie régulière et
calme », in La Tempérance, 1873, p. 362.
1022 . J. Comby, « Physiologie et hygiène de l’enfance », Traité des maladies de
l’enfance, direction collective, Paris, 1897,1.1, p. 71.
1023 . Cité par J.-P. Rioux, op. cit., p. 168.
1024 . A. Riant, op. cit., p. 29.
1025 . P. Chevalier et B. Grospérin, L’Enseignement français de la Révolution à
nos jours, Paris, Mouton, 1971, t. II, Documents, p. 274.
1026 . Voir D. Nourrisson, op. cit., p. 247.
1027 . A. David-S au vageot, Monsieur Prévôt, Paris, 1894, p. 141.
1028 . La Tempérance, 1874, p. 292.
1029 . Cité par J.-P. Rioux, op. cit., p. 207.
1030 . M. Pagnol, La Gloire de mon père, Monte-Carlo, Pastorelly, p. 17.
1031 . P. Bert, La Machine humaine, Bordeaux, 1867, p. 6.
1032 . J. Marcy, La Machine animale, Paris, 1873, p. 12.
1033 . S. Carnot, Réflexions sur la puissance motrice du feu et sur les machines
propres à développer cette puissance, Paris, 1824.
1034 . M. Lévy, op. cit., 1.1, p. 240.
1035 . A. Bouchardat, op. cit., p. 648.
1036 . Ib., p. 651.
1037 . C. Boillet, « L’huile de foie de morue », Journal d’hygiène, 1877, p. 140.
1038 . C. Boillet, op. cit., p. 140.
1039 . A. Bouchardat, op. cit., p. 89.
1040 . Publicité « Dragées Meynet », Journal d’hygiène, 1ᵉʳ octobre 1875.

1041 . J. von Liebig, Traité de chimie organique, Paris, 1840-1843 (1re éd.
allemande 1838), 3 vol.
1042 . L. Figuier, L’Année scientifique, 1865, p. 346.
1043 . G. Le Bon, op. cit., p. 117.
1044 . A. Payen, Des substances alimentaires, Paris, 1853, p. 353-354 ; voir
aussi J. Cyr, Traité de l’alimentation, Paris, 1869, p. 302, et H. Letheby, Les
Aliments, Paris, 1869, p. 120.

1045 . A. P. de Gasparin, Cours d’agriculture, 1846 (1re éd. 1843), t. V, p. 395,


et J. Cyr, op. cit., p. 254.
1046 . G. A. Him, Esquisse élémentaire de la théorie mécanique de la chaleur et
ses conséquences philosophiques, Paris, 1865.
1047 . Voir ici même p. 212.
1048 . J. Cyr, op. cit., p. 312.
1049 . I. Geoffroy Saint-Hilaire, cité par C. Husson, L’Alimentation animale,
Paris, 1881, p. 47.
1050 . C. Husson, op. cit., p. 47.
1051 . J. Rochard, Traité d’hygiène publique et privée, Paris, 1897, p. 810.
1052 . Ib., p. 893.
1053 . H. J. Davenne, Régime dans les hôpitaux et hospices, Paris, 1865, 1.1, p.
292.
1054 . Voir M. Roland, « Détruisons la misère », Journal d’hygiène, Paris, 1877,
p. 423.
1055 . H. Letheby, op. cit., p. 118.
1056 . Ib., p. 110.
1057 . L. Figuier, « Les nouvelles boucheries de cheval établies à Paris et
l’alimentation au moyen de la viande de cheval », L’Année scientifique, Paris, 1867,
p. 389.
1058 . Voir Le Journal des débats, 1874, cité par L. Figuier, L’Année
scientifique, 1874, p. 384.
1059 . Id.
1060 . Ib., p. 395.
1061 . Statistiques de la France, nouvelle série, Paris, 1881, t. VIII, p. XXXIX.
1062 . X.-É. Lejeune, Calicot (1845-1912), Paris, Montalba, 1984, p. 124.
1063 . Cité par A. Bouchardat, op. cit., p. 657.
1064 . Ib., p. 658.
1065 . G. Lagneau, Des mesures d’hygiène publique propres à diminuer la
fréquence de la phtisie, Paris, 1875, cité par L. Figuier, L’Année scientifique, 1877,
p. 334.
1066 . S. Jaccoud, Curabilité et Traitement de la phtisie pulmonaire, Paris,
1881, p. 119.
1067 . Art. « Trompe », M. Durand-Faradel, E. Le Bret, J. Lefort, Dictionnaire
général des eaux minérales et d’hydrologie médicale, Paris, 1860, t. II, p. 858.
1068 . Les thèses de médecine sont nombreuses sur le thème après 1860 : F. J.
de France, De l’entraînement, thèse de médecine, Paris, 1859 ; T. Amourel, Essai
sur l’entraînement et ses applications en médecine, thèse de médecine, Montpellier,
1860 ; A. Dambax, De l’entraînement, thèse de médecine, Paris, 1866.
1069 . A. Bouchardat, op. cit., p. 512.
1070 . A. Proust, Traité d’hygiène publique et privée, Paris, 1877, p. 499-500, et
J. Rochard, Traité d’hygiène publique et privée, Paris, 1897, p. 829-830.
1071 . J.-B. Hillairet, Rapport à Son Excellence le Ministre de l’Instruction
publique sur l’enseignement de la gymnastique dans les lycées, collèges, écoles
normales et écoles primaires, Paris, 1869, p. 29.
1072 . Ib., p. 47.
1073 . E. Paz, La Gymnastique raisonnée, moyen infaillible de prévenir les
maladies et de prolonger l’existence, Paris, 1872, p. 45.
1074 . Annuaire du commerce, Paris, 1860 et 1880 ; voir aussi J. Defrance,
L’Excellence corporelle, la formation des activités physiques et sportives modernes,
1770-1914, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 1987, p. 106-107.
1075 . « Le grand gymnase dirigé par Eugène Paz », Almanach formulaire du
contribuable, Paris, 1867, page de couverture intérieure.
1076 . T. Grimm, « La gymnastique médicale », Le Petit Journal, Paris, 25
janvier 1875, p. 1.
1077 . C’est le sous-titre de l’ouvrage d’E. Paz, op. cit.
1078 . G. Flaubert, Bouvard et Pécuchet, Œuvres, op. cit., t. II, p. 880.
1079 . J. Defrance, op. cit., voir « La gymnastique dans l’espace parisien », p.
106-107.
1080 . M. Lévy, op. cit., t. II, p. 238-239.
1081 . Ce coefficient de Pignet est longuement évoqué par L. Mayet, La Fiche
médicale des enfants envoyés dans les colonies de vacances et la Valeur de
robusticité, Lyon, 1906.
1082 . T. Gallard, Notions d’hygiène à l’usage des instituteurs primaires, Paris,
1868, p. 28.
1083 . P. Yvaren, Entretiens d’un vieux médecin sur l’hygiène et la morale,
Paris, 1882, p. 56.
1084 . A. Becquerel, op. cit., p. 539. Les chiffres, sans doute moins précis,
d’Abel Hugo donnaient une moyenne de trois bains par Parisien et par an en 1835,
voir ici même p. 210.
1085 . A. Debay, Hygiène et Physiologie du mariage, Paris, 1873 (1ʳᵉ éd. 1853),
p. 94.
1086 . Ib., p. 73.
1087 . G. E. Haussmann, Mémoire sur les eaux de Paris, Paris, 1.1, p. 75.
1088 . L. Figuier, Les Merveilles de l’industrie, Paris, (env. 1875), t. III, p. 335.
1089 . C. Grimaud de Caux, Des eaux publiques et de leur application aux
besoins des grandes villes, des communes et des habitations rurales, Paris, 1863, p.
297.
1090 . G. E. Haussmann, op. cit., 1.1, p. 53.
1091 . Bouchut, « Mémoire sur les eaux de Paris », communiqué à l’Académie
de médecine le 17 juin 1860, cité par L. Figuier, Les Merveilles… Op. cit., t. III, p.
320.
1092 . Les Mondes, revue hebdomadaire des sciences, 1875, n° 38, p. 639.
1093 . A. Meyer, « La canalisation souterraine de Paris », Paris Guide. Paris,
1868, t. II, p. 1614.
1094 . P. Cébron de Lisle, « Les eaux et les égouts à Paris, évolutions
techniques », Paris et ses réseaux, naissance d’un mode de vie urbain, XIXe-XXe
siècle, Paris, Bibliothèque historique de la Ville de Paris, 1980, p. 116.
1095 . L. Figuier, L’Année scientifique, 1874, p. 293, et Les Mondes, revue
hebdomadaire des sciences, 1875, p. 47.
1096 . Les Mondes, revue hebdomadaire des sciences, 1877, n° 42, p. 410.
1097 . G. Tissandier, L’Eau, Paris, 1869, p. 329.
1098 . Note du directeur des travaux de Paris sur la situation du service des
eaux d’égouts, Paris, 1879, p. 68.
1099 . L. Figuier, L’Année scientifique, 1868, p. 370.
1100 . L. Figuier, Les Merveilles…, op. cit., t. III, p. 386 et 370.
1101 . J.-P. Goubert, La Conquête de Veau, Paris, Laffont, 1986, p. 198.
1102 . Cité par J.-P. Goubert, ib., p. 199.
1103 . Voir ici même p. 119.
1104 . V. Turgan, Les Grandes Usines, Paris, t. VI, p. 1.

1105 . J. Verne, Les 500 millions de la Bégum, Paris, Hachette, 1966 (1re éd.
1877), p. 158.
1106 . M. Nadeau, Mémoires de Léonard, ancien garçon maçon, Paris,
Hachette, 1976 (1re éd. 1895), p. 487.
1107 . L. Reybaud, Le Fer et la Houille, Paris, 1874, p. 46.

1108 . Andréas, « La misère », Le Prisme, Encyclopédie morale du XIXe siècle,


Paris, 1841, p. 187.
1109 . Arrêt de la Cour de cassation, 7 janvier 1878, cité par F. Ewald, op. cit.,
p. 239.
1110 . A. Proust, op. cit., éd. de 1902, p. 1219.
1111 . Id. Une ordonnance du 23 octobre 1823 imposait toutefois des normes
aux moteurs pour garantir la « sécurité publique » comme l’indique M. E. de
Chabrol-Chaméane dans son Dictionnaire de législation usuelle, Paris, 1835, t. II,
p. 135. Exemple rare encore, alors que le décret de 1880 porte sur l’espace global
de l’atelier.
1112 . F. Ewald, op. cit., p. 248.
1113 . A. Proust, op. cit., éd. de 1877, p. 194.
1114 . L. Poincaré, Traité d’hygiène industrielle, Paris, 1886.
1115 . C’est toute l’opposition entre le jugement d’A. Bouchardat en 1880 :
« L’ivrognerie est devenue la plus grande cause de la misère » (op. cit., p. 310) et
celui de G. Le Bon au même moment : « Plaignons le buveur mais ne l’accusons
pas… L’eau-de-vie est l’opium de la misère » (op. cit., p. 115).
1116 . A. de Mun, Chambre des députés, Journal officiel, 17 mai 1888, p. 1425.
1117 . Almanach de l’Illustration, Paris, 1864, p. 65.
1118 . Almanach de France et du Musée des Familles, Paris, 1867, p. 155.
1119 . Ih., page de couverture.
1120 . Ih., p. 155.
1121 . Almanach de France, 1868, op. cit., p. 149.
1122 . Ih., 1867, op. cit., p. 155.
1123 . Journal d’hygiène, Paris, 1875, publicités, p. 3.
1124 . Ih., 1876, p. 44.
1125 . Publicité sur les dragées Dominique, ih., 1875, p. 3.
1126 . Publicité sur le fer hématique L.-J. Michel, id.
1127 . Publicité pour le vin de Saint-Raphaël, Gazette hebdomadaire de
médecine et de chirurgie, Paris, 1876.
1128 . Publicité pour le vin de Dusart, ih., 1876.
1129 . J. Rochard, op. cit., p. 897.
1130 . J. Rochard, Questions d’hygiène sociale, Paris, 1891, p. 6.
1131 . A. Périer, Les Vins de quinquina, Paris, 1890, p. 40.
1132 . Publicité pour le vin de J. Bain, in Journal d’hygiène, 1879.
1133 . E. Gautié, journaliste au Figaro en 1903, cité par P. Eyguesier, Quand
Freud était drogman, Paris, Navarin, 1963, planches.
1134 . Id.
1135 . G. G. Toudouze, Madame Lambelle, Paris, 1880 ; La Séductrice, Paris,
1882.
1136 . Cité par P. Eyguesier, op. cit., p. 96.
1137 . P. Sorlin, La Société française, 1.1, 1840-1914, Paris, Arthaud, p. 192.
1138 . F. Dagognet, Méthodes et Doctrine dans l’œuvre de Pasteur, Paris, PUF,
1967, p. 171.
1139 . J. Tyndall, Les Microbes, Paris, 1882 (1re éd. anglaise 1880), p. 10 et 23.
1140 . J. Rochard, Traité…, op. cit., p. 672.
1141 . Id.
1142 . L. Cornet, « Transmission de la tuberculose par la poussière », Revue
scientifique, 1890,1.1, p. 222.
1143 . « Empoisonnement par un confit de dinde avarié », Revue sanitaire de
Bordeaux et de la province, 1884, p. 23.
1144 . A. Grancher et J. Richard, « Action du sol sur les germes pathogènes »,
Congrès d’hygiène, Paris, 1889, p. 448.
1145 . B. Latour, Les Microbes, guerre et paix, Paris, A.-M. Métaillé, 1984, p.
56.
1146 . R. Koch, « Les maladies infectieuses et l’armée », Revue scientifique,
1888, p. 563.
1147 . J. Tyndall, op. cit., p. 10.
1148 . « Circulaire du ministère de l’Instruction publique » (1889-1890), citée
par la Revue d’hygiène, 1891, p. 274.
1149 . A. Proust, op. cit., éd. de 1902, p. 193.
1150 . Voir L. Figuier, L’Année scientifique, Paris, 1878, p. 313.
1151 . P. Bouloumié, « Prophylaxie des maladies évitables », Revue d’hygiène,
1896, p. 897.
1152 . J. Arnould, op. cit., p. 1161.
1153 . A. B. Marfan, Traité de l’allaitement et de l’alimentation des enfants du
premier âge, Paris, 1902 (1re éd. 1898), p. 376.
1154 . P. Juillerat et A. Fillassier, « Dix années de mortalité infantile », Revue
philosophique, juin 1914.
1155 . E. Galtier-Boissière, Hygiène nouvelle, Paris, 1909, p. 66.
1156 . Id.
1157 . P. Bouloumié, op. cit., p. 899.
1158 . S. Arloing, « L’extinction des épidémies et les désinfectants », Revue
d’hygiène, 1891, p. 79.
1159 . É. Duclaux, Traité de microbiologie, Paris, 1898, t. 1, p. 52.
1160 . P. Bouloumié, op. cit., p. 898.
1161 . L. Martin, « Etude de prophylaxie pratique de la diphtérie », Revue
d’hygiène, 1899, p. 119.
1162 . P. Bouloumié, op. cit., p. 898.
1163 . « Désinfection des instruments et des mains », Annales de micrographie,
1888, p. 275 sq.
1164 . E. Duclaux, op. cit., p. 414.
1165 . Ib., p. 455.
1166 . « Wagons et maladies infectieuses à Berlin », Revue d’hygiène, Paris,
1894, p. 566.
1167 . H. Vincent, « Microbes existant à la surface des pièces de monnaie », ib.,
1895, p. 695.
1168 . « La peau et les microbes », ib., 1894, p. 717.
1169 . W. Vignal, « Recherche sur les micro-organismes de la bouche »,
Archives de physiologie, 1886.
1170 . « Antisepsie de la bouche et du pharynx par le savon », Revue d’hygiène,
Paris, 1894, p. 622.
1171 . « La peau et les microbes », op. cit., p. 717.
1172 . « Respiration nasale », Revue sanitaire de Bordeaux et de la province,
1885, p. 78.
1173 . A. Grancher et J. Richard, op. cit., p. 464.
1174 . H. Dauchez, « Délire de contagion », Revue générale de clinique et de
thérapeutique, Paris, 1891, p. 606.
1175 . Id.

1176 . J. Renard, Journal 1887-1910, Paris, Gallimard, La Pléiade, 1960 (1re éd.
1925), p. 117.

1177 . R. Boylesve, L’Enfant à la balustrade, Paris, « 10/18 », 1988 (1re éd.


1903), p. 65.
1178 . E. Baudot, « Rapport aux Chemins de fer de l’Est », Revue d’hygiène,
1900, p. 1106.
1179 . J. Jousseaume, Influence des microbes sur l’organisme humain, Paris,
1890, p. 4.
1180 . M. Bashkirtseff, op. cit., t. II, p. 76.
1181 . Ib., t. II, p. 167.
1182 . Ces vaccins sont encore peu nombreux à la fin du siècle, limités tout au
plus à ceux de la variole, de la rage ou de la diphtérie, d’où, bien sûr aussi, cette
insistance sur les gestes de précaution dans les comportements quotidiens.
1183 . A. Proust, op. cit., éd. de 1877, p. 492.
1184 . J. Arnould, op. cit., p. 693.

1185 . Le Temps, Paris, 1er novembre 1893, p. 2.


1186 . G. Dujardin-Beaumetz, L’Hygiène prophylactique, Paris, 1889, p. 4.
1187 . R. Virchow, La Pathologie cellulaire basée sur l’étude physiologique et
pathologique des tissus, Paris, 1861 (1re éd. allemande 1858).
1188 . É. Metchnikoff, L’Immunité dans les maladies infectieuses, Paris, 1901.
1189 . G. Dujardin-Beaumetz, op. cit., p. 2.
1190 . L. Pasteur, « Pourquoi la France n’a pas trouvé d’homme supérieur au
moment du péril », Revue scientifique, Paris, juillet 1871, p. 73.
1191 . J. Rochard, op. cit., p. 934.
1192 . L. Poincaré, Prophylaxie et Géographie médicale des principales
maladies tributaires de l’hygiène, Paris, 1884, p. 25.
1193 . « La ligue contre le choléra », Le Temps, 13 avril 1894, p. 1.
1194 . « Le musée d’hygiène à Londres », La Semaine des constructeurs, 1883,
p. 44.
1195 . J. Arnould, op. cit., p. 947.
1196 . S. S. Hellyer, Traité pratique de la salubrité des maisons, Paris, 1889, p.
36.
1197 . Voir « Plomberie d’eau et sanitaire », E. Barberot, Traité des
constructions civiles, Paris, 1895, p. 501.
1198 . L. A. Barré et P. Barré, Le Génie sanitaire, la Maison salubre, Paris,
1898.
1199 . F. Richard qui cite la production de Pouilly distingue le « grès cérame »
pour les carreaux du sol, le « grès vernissé » pour les tuyaux, le « grès émaillé »
pour les éviers, cuvettes et baignoires (Précis d’hygiène appliquée, Paris, 1891, p.
16 et 140-141).
1200 . Exposition universelle internationale, Catalogue général officiel, Paris,
1889, t. III, publicité de Jeauménil et Rambervillers.
1201 . La Semaine des constructeurs, Paris, 1886, p. 556.
1202 . F. Richard, op. cit., p. 167.
1203 . A. Becquerel, op. cit., p. 425.
1204 . S. Giedon, La Mécanisation au pouvoir, Paris, Centre Georges-
Pompidou, 1980 (1re éd. New York, 1948), p. 556 ; voir aussi « Une diffusion de
masse » in J.-P. Goubert, La Conquête…, op. cit., p. 111.
1205 . Loi du 15 février 1902, art. 1, citée par E. Macé et E. Imbeaux, A. Bluzet,
p. Adam, Hygiène générale des villes et des agglomérations communales, Paris,
1910, p. 221.
1206 . La Semaine des constructeurs, 1888, p. 414.
1207 . Baronne Staffe, Le Cabinet de toilette, Paris, 1892, p. 4.
1208 . J. Renard, op. cit., p. 318.
1209 . « La préfecture d’Oran », La Semaine des constructeurs, Paris, 1880, p.
480.
1210 . S. Strasser, Never Done, a History of American Housework, New York,
Panthéon Books, 1982 (1re éd. 1948), p. 101-102.
1211 . V. Rendu, Mœurs pittoresques des insectes, Paris, 1880, p. 288.
1212 . J. Rochard, op. cit., p. 348.
1213 . Id.
1214 . O. Du Mesnil, L’Hygiène à Paris, T habitation du pauvre, Paris, 1890, p.
55 ; voir aussi « Des logements insalubres », M. Nadeau, op. cit., p. 485.
1215 . J. Rochard, op. cit., p. 346.
1216 . A. Raffalovitch, Le Logement de l’ouvrier, Paris, 1887, p. 339.
1217 . J. Simon cité par L. Murard et P. Zylberman, op. cit., p. 59.
1218 . L. Colin, Paris, étude hygiénique et médicale, Paris, 1885, p. 151.
1219 . J. Rochard, op. cit., p. 347.
1220 . « Logements insalubres », Revue d’hygiène, 1900, p. 1102.
1221 . Loi du 30 novembre 1894, citée par L. A. Barré et P. Barré, op. cit., p. 23.
1222 . J. Rochard, op. cit., p. 349.
1223 . Le thème est plus largement celui d’une « demande sociale d’État », celle
dont parle P. Rosanvallon dans La Crise de l’État-Providence, Paris, Éd. du Seuil,
coll. « Points Politique », 1984 (1re éd. 1981), p. 113.
1224 . J. B. Duroselle, La France et les Français, 1900-1914, Paris, Richelieu,
1972, p. 65.
1225 . Ib., p. 66 ; voir aussi le livre fondamental sur le thème : R. Guerrand, Les
Origines du logement social en France, Paris, Éditions ouvrières, 1966.
1226 . É. Duclaux, op. cit., 1.1, p. 423.
1227 . J. Brenot, Cent cinquante ans de chemin de fer de Bordeaux à La Teste et
à Arcachon, Le Bouscat, L’esprit du temps, 1991, p. 84.
1228 . É. Flament, « La naissance de l’activité touristique sur le littoral picard »,
Oisiveté et Loisirs dans les sociétés occidentales au XIXe siècle, Colloque
pluridisciplinaire, Amiens 19-20 novembre 1982, Abbeville, Paillait, 1983, p. 211.
1229 . « Chemin de fer du Nord, saison balnéaire », affiche 1900, Paris, Musée
de l’affiche.
1230 . A. La Fare et M. Serpeille, Les Petits Trous pas chers, Paris, 1895, p.
116.
1231 . C. A. d’Arnoux, dit Bertall, Les Plages de France, Paris, 1886, « Veules-
en-Caux », p. 17.
1232 . Voir en particulier l’affiche de Gray pour Le Tréport-Mers, citée par J.
Durry, Le Sport à l’affiche, Paris, Hoëbeke, 1988, p. 134.
1233 . C. A. d’Arnoux, dit Bertall, op. cit., « Le baigneur d’Étretat », p. 5.
1234 . A. Monteuuis, L’Usage chez soi des bains de lumière et de soleil, Nice,
1911, p. 4L
1235 . « Des expériences probantes démontrent que les radiations lumineuses
déterminent un développement plus rapide des embryons et des différents
organes », E. Onimus, L’Hiver dans les Alpes-Maritimes, Paris, 1891, p. 300-301.
1236 . J. Renard, op. cit., p. 168.

1237 . H. Rebell, Les Nuits chaudes du Cap français, Paris, « 10/18 », 1985 (1re
éd. 1901), p. 420.
1238 . Le Charivari, 20 juillet 1876.
1239 . J. Bois, La Femme inquiète, Paris, 1897, p. 115.
1240 . M. Bashkirtseff, op. cit., 1.1, p. 257.
1241 . G. Sée soutient vigoureusement l’usage de boissons abondantes dans les
« régimes d’amaigrissement », voir son Du régime alimentaire, traitement
hygiénique des maladies, Paris, 1887, p. 544.
1242 . P. Bourget, Cosmopolitis, Paris, 1893, p. 152.
1243 . M. Bashkirtseff, op. cit., 1.1, p. 257.
1244 . Le Petit Parisien, 11 juillet 1910.
1245 . Id.
1246 . É. Monin, Le Trésor médical de la femme, Paris, Maloine, 1910, p. 100.
1247 . G. Prouteau, Anthologie des textes sportifs de la littérature française,
Paris, 1948, p. 8.
1248 . M. Proust, À l’ombre des jeunes filles en fleurs (1918), A la recherche du
temps perdu, Paris, Gallimard, La Pléiade, 1962,1.1, p. 791.
1249 . La Bicyclette (1893-1895), citée par C. Pasteur, Les Femmes à bicyclette
à la Belle Époque, Paris, France Empire, 1986, p. 196.
1250 . G. Audiot, Lettres à ma cousine, Paris, 1897, p. 75.
1251 . J. Isaac, Expérience de ma vie, Péguy, Paris, 1959, p. 126 ; voir aussi P.
Charreton, Les Fêtes du corps, histoire et tendances de la littérature à thème sportif
en France, 1870-1970, Saint-Étienne, CIEREC, Université de Saint-Étienne, 1985,
p. 35.
1252 . P. Daryl, « Les jeux scolaires », Le Temps, 3 octobre 1888.
1253 . Le Temps, 16 mai 1891.
1254 . La Vie au grand air, 1900, p. 570.
1255 . Ib., p. 582.
1256 . P. de Coubertin, Essais de psychologie sportive, Grenoble, Millon, 1992
(1re éd. 1913), p. 44.
1257 . Id.

1258 . G. Saint-Clair, Les Sports athlétiques, Paris, 1889 (1re éd. 1887), p. VII.
1259 . Voir G. Denis, Encyclopédie générale des sports et sociétés sportives en
France, Paris, 1946, p. 33 et 548.
1260 . Le Gaulois littéraire, 15 juin 1912.
1261 . Les études sont devenues nombreuses sur ce thème, voir, entre autres, P.
Arnaud, Le Militaire, l’Écolier, le Gymnaste, naissance de l’éducation physique en
France (1869-1889), Lyon, Presses universitaires de Lyon, 1991, et A. Rauch, Le
Souci du corps, histoire de l’hygiène en éducation physique, Paris, PUF, 1983.
1262 . Manuel d’exercices physiques et de jeux scolaires, Paris, Ministère de
l’Instruction publique et des Beaux-Arts, 1892.
1263 . Le Temps, 28 novembre 1888.
1264 . L. Pasteur, Lettre à la Ligue nationale de l’éducation physique, Le Temps,
10 novembre 1888.
1265 . A. Collineau, La Gymnastique, Paris, 1884, p. 1.
1266 . Manuel d’exercices physiques, op. cit., p. 1.
1267 . Cité par E. Plantet et A. Delpy, Colonies de vacances et Œuvres du grand
air en France et à l’étranger, Paris, 1910, p. 27.
1268 . Ib., p. 27. Sur les colonies de vacances, voir A. Rauch, Vacances et
Pratiques corporelles, Paris, PUF, 1988.
1269 . E. Plantet et A. Delpy, op. cit., p. 78 et 129.
1270 . « Colonies de vacances », Revue d’hygiène, 1901, p. 810 ; voir aussi E.
Plantet et A. Delpy, op. cit., p. 29.
1271 . M. E. Cheysson, Préface au livre de L. Delpérier, Les Colonies de
vacances, Paris, 1908, p. 2.
1272 . L. Mayet, La Fiche médicale, op. cit.
1273 . Ib., p. 9.
1274 . P. Tissié, La Fatigue et l’Entraînement physique, Paris, 1897, p. 163-164.
1275 . E. Galtier-Boissière, op. cit., p. 46.
1276 . Le dispensaire antituberculeux est un centre de dépistage imaginé par R.
Philip à Londres en 1887. L’institution se charge de « conduire l’enquête médico-
sociale dans l’entourage du malade, donner des conseils d’hygiène et de
prophylaxie » (P. Sédaillan et R. Sohier, Précis d’hygiène et d’épidémiologie, Paris,
1949, p. 447). Le premier dispensaire français est créé par Calmette à Lille en 1901.
1277 . N. Murard, « Genèses de la protection sociale : l’assurance maladie »,
L’Homme et la Santé, op. cit., p. 71.
1278 . M. Ozouf, « Liberté, égalité, fraternité », Les Lieux de mémoire, sous la
direction de P. Nora, t. III, La France, 3, De l’archive à l’emblème, Paris,
Gallimard, 1992, p. 609.
1279 . E. Caustier et Mme Moreau-Bérillon, Hygiène à l’usage des élèves de
quatrième et de cinquième année de l’enseignement secondaire de jeunes filles,
Paris, 1910, p. 168.
1280 . L. Bourgeois, La Politique de la prévoyance, Paris, 1914, t. I, p. 57.

1281 . E. Caustier et Mme Moreau-Bérillon, op. cit., p. 168.


1282 . « Les assurances ouvrières », A. C. Tartarin, Tuberculose et Sanatorium,
Paris, 1902, p. 10.

1283 . P. Courmont et A. Rochaix, Précis d’hygiène, Paris, 1932 (1re éd. 1912),
p, 870.
1284 . É. Duclaux, L’Hygiène sociale, Paris, 1902, p. 144.
1285 . H. Landouzy, Cure de sanatorium simple et associée, Paris, 1899, cité par
A. C. Tartarin, op. cit., p. 4.
1286 . L. Bourgeois, op. cit., 1.1, p. 32.
1287 . « Résultats obtenus dans les sanatoriums », Le Bulletin médical,
1900,1.1, p. 360 sq.
1288 . J. Courmont et A. Rochaix, op. cit., p. 874.
1289 . É. Duclaux, L’Hygiène sociale, op. cit., p. 94 sq.
1290 . Voir ici même p. 193.
1291 . F. Ewald, op. cit., p. 336.
1292 . N. Murard, op. cit., p. 69.
1293 . F. Netter, La Sécurité sociale et ses principes, Paris, Sirey, 1959, p. 17.
1294 . F. Ewald, op. cit., p. 344.
1295 . Art. 6 de l’arrêté du 18 décembre 1848, cité par A. Palmberg, Traité
d’hygiène publique, Paris, 1891, p. 292.
1296 . A. Éilassier, Détermination des pouvoirs publics en matière d’hygiène,
Paris, 1899, p. 136.
1297 . L. Dufestel, Guide pratique du médecin-inspecteur des écoles, Paris,
1910.
1298 . Art. 8 de la loi du 15 février 1902 « relative à la protection de la santé
publique », cité par J. Courmont et A. Rochaix, op. cit., p. 41.
1299 . L. Bourgeois, Discours au comité consultatif d’hygiène publique de la
France (14 juin 1889), cité par H. Monod, La Santé publique, législation sanitaire
de la France, Paris, 1904, p. 9.
1300 . L. Bourgeois, op. cit., t. II, p. 178.
1301 . H. Monod, op. cit., p. 8.
1302 . La Santé publique, le titre du livre d’H. Monod, op. cit., en est l’exemple,
de même que le titre de la loi de 1902 sur la « santé publique ».
1303 . L. Duguit, Traité de droit constitutionnel, Paris, 1924, t. III, p. 459.
1304 . M. de Fleury, Introduction à la médecine de l’esprit, Paris, 1898, p. 210.
1305 . J.-K. Huysmans, op. cit., p. 169.
1306 . O. Mirbeau, Les Vingt et Un Jours du neurasthénique, Paris, 1901, p.
201.
1307 . Cité par P. Tissié, La Fatigue et l’Entraînement physique, Paris, 1897, p.
121.
1308 . Voir ib., p. 122.
1309 . M. Guyau, Éducation et Hérédité, Paris, 1889, p. 103.
1310 . A. Mosso, La Fatigue intellectuelle et physique, Paris, 1896, p. 185 sq.
1311 . A. Proust et G. Ballet, Hygiène du neurasthénique, Paris, 1895.
1312 . Ib., p. 10.
1313 . Cité par M. Guyau, op. cit., p. 95.
1314 . Y. Lequin, « Les chances inégales d’une nouvelle société », in Histoire
des Français, op. cit., t. II, p. 329.
1315 . Le Temps, 26 juillet 1890.

1316 . E. White et A. Mars-Jones, L’Écharde, Paris, « 10-18 », 1988 (1re éd.


américaine 1987), p. 335.
1317 . Ib., p. 11.
1318 . Ib., p. 321 et 335.
1319 . « On avait oublié l’existence de tels fléaux », M. Grmek, Histoire du
sida, Paris, Payot, 1989, p. 82.
1320 . Le Monde, 4-5 octobre 1992.
1321 . Le Monde, 26 janvier 1991.
1322 . Le Quotidien du médecin, 21 septembre 1992. La mortalité annuelle par
sida représente en 1991, en France, 1,1 % de décès chez les hommes et 0,2 % chez
les femmes (ib.). Mais l’atteinte des femmes s’accroît, s’élevant en 1993 à un quart
des cas de sida (Libération, 5 août 1993).
1323 . Le Monde, 20 février 1992.
1324 . Évaluer la prévention du sida en France, un inventaire des données
disponibles, Paris, Agence nationale de recherche sur le sida, novembre 1990, p. 25.
1325 . C.-B. Blouin, É. Chimot, J. Launère, Sida Story, Paris, Éditions
universitaires, 1986, p. 23.
1326 . Enquête du CREDOC, 1990, citée par M. Houvenaeghel, Autrement,
n° 130, L’Homme contaminé, mai 1992, p. 161.
1327 . C. Got, Rapport sur le sida, Paris, Flammarion, 1989, p. 17.
1328 . J.-B. Brunet et J.-P. Lévy, « Les véritables chiffres du sida », Le Monde, 9
janvier 1991.
1329 . Id.
1330 . N. Nixon, photographe ayant enregistré mois après mois les
transformations physiques d’un malade atteint du sida, cité dans SIDA, Libération
collection, n° 3, novembre 1989, p. 32.

1331 . S. Sontag, Le Sida et ses métaphores, Paris, Bourgois, 1989 (1re éd.
américaine 1988), p. 113.
1332 . C.-B. Blouin, É. Chimot, J. Launère, op. cit., p. 167.
1333 . J. Boyer, Précis de médecine préventive et d’hygiène, Paris, Baillère,
1973, p. 586.
1334 . Ib., p. 619.
1335 . B. Asselain, « Cancers », Santé publique, sous la direction de G. Brucker
et D. Fassin, Paris, Ellipse, 1989, p. 369.
1336 . Libération, 20 janvier 1992.
1337 . C. Got, La Santé, Paris, Flammarion, 1992, p. 159.
1338 . Marc Houvenaeghel, « Le dernier des fléaux », Autrement, n° 130,
L’Homme contaminé, op. cit.
1339 . « En Alabama, le sida fait prison à part », Libération, 8 février 1988.
1340 . Le Monde, 19 octobre 1992.
1341 . Ib., 10 septembre 1992.
1342 . M. Pollak, Les Homosexuels et le Sida, sociologie d’une épidémie, Paris,
A.-M. Métaillé, 1988, p. 178.
1343 . « Le confort bourgeois des maisons closes », Le Monde, 13 juin 1990.
1344 . Libération, 12 février 1992.
1345 . Interview de Catherine Breton, directrice d’un centre de dépistage
anonyme et gratuit, Libération, 1er avril 1992.
1346 . Interview de Willy Rozenbaum, Unité de maladies infectieuses, hôpital
Rothschild, Santé-Magazine, août 1992, p. 47.

1347 . Libération, 1er avril 1992.


1348 . Évaluer la prévention du sida en France…, op. cit., 1991, p. 15.
1349 . Ib., 1992, p. 42.
1350 . Voir « Des images de troisième type », SIDA, Libération collection, op.
cit., p. 77.
1351 . Ib., p. 76.
1352 . Évaluer la prévention du sida en France…, op. cit., 1991, p. 14.
1353 . « Le gouvernement a freiné en 1985 et 1986 le dépistage du virus du
sida », Le Monde, 19 octobre 1991.
1354 . « Sida : les effets pervers du dépistage obligatoire », Libération, 14
février 1992.
1355 . Ce texte datant de 1993 n’a pas été modifié. Voir, en revanche, l’ajout
pour la présente édition : « Procès, réformes, responsabilités, les interrogations
d’aujourd’hui », p. 317.
1356 . A.-M. Casteret, L’Affaire du sang, Paris, La Découverte, 1992, p. 73.
1357 . Le Monde, 23 juin 1992. Il faut insister sur le fait que la technique a créé
cette situation jusque-là inconnue : la fabrication de dérivés du sang porteurs de
virus longtemps non décelés. Une note intitulée « Morbidité virale
transfusionnelle » émanant du Centre national de transfusion sanguine, le 11 août
1989, chiffre le nombre de contaminations post-transfusionnelles survenues avant
que certains tests de dépistage aient été mis en place (celui contre l’hépatite C, entre
autres, en 1988) à plusieurs centaines de mille (Le Monde, 22 octobre 1991).
1358 . Cité par Le Monde, id.
1359 . Voir note 1354.
1360 . Libération, 22 juin 1992.
1361 . Extrait du jugement du 23 octobre 1992, Libération, 24-25 octobre 1992.
1362 . Cité par A.-M. Casteret, op. cit., p. 100.
1363 . Le Monde, 15 octobre 1991.
1364 . « Le silence des médecins », Le Monde, 16 février 1993.
1365 . Id. Voir encore sur cette « humilité » le Rapport de la commission
d’enquête sur l’état des connaissances scientifiques et des actions menées à l’égard
de la transmission du sida (Paris, UGE, coll. « 10/18 », 1993) et le livre de Michel
Setbon, Pouvoirs contre sida. De la transfusion sanguine au dépistage : décisions et
pratiques en France, Grande-Bretagne et Suède (Paris, Éd. du Seuil, 1993).
1366 . « L’Afrique seule face au sida », Libération, 12-13 décembre 1992.
1367 . Id.
1368 . « A Gisenyi, les morts en douce d’un sida sans nom », Libération, 6
janvier 1993.
1369 . « La course folle des sidéens de Kinshasa », Libération, 7 février 1991.
1370 . Libération, 12-13 décembre 1992.
1371 . Voir ici même p. 258.
1372 . L. Montagner, « Le sida dix ans après », Le Monde, 24-25 janvier 1993.
1373 . Id.
1374 . O. Mongin, La Peur du vide, Paris, Éd. du Seuil, 1991 (en particulier
« Violences d’ailleurs : l’obscénité », p. 175 sq.).
1375 . G. Lipovetsky, L’Ère du vide, essai sur l’individualisme contemporain,
Paris, Gallimard, 1983 ; L. Ferry et A. Renaut, 68-86, Itinéraires de l’individu,
Paris, Gallimard, 1987.
1376 . « Le cholestérol, c’est la vie », Santé-Magazine, Paris, octobre 1992, p.
37.
1377 . Id.
1378 . A. Keys et al., « Sérum cholestérol to change in the diet », Metabolism,
n° 14, 1965.
1379 . « Protégez-vous avec Urimho », Santérama, Paris, n° 6, 1992, p. 75.
1380 . Id.
1381 . Id.
1382 . J. Attali, Lignes d’horizon, Paris, Fayard, 1990, p. 153-154.
1383 . J. Fechner et L. Guillevin, « Maladies cardiovasculaires », Santé
publique, op. cit. ; voir aussi W. Dab, « Apport et limites de l’épidémiologie »,
L’Homme et la Santé, Paris, Éd. du Seuil et La Villette, 1992, p. 247.
1384 . B. Asselain, op. cit., p. 375.
1385 . J. Fechner et L. Guillevin, op. cit., p. 392.
1386 . B. Asselain, op. cit., p. 377.
1387 . « Les examens au masculin », Réponse à tout santé, juillet 1992, p. 35.
1388 . « La génétique sur les traces de l’infarctus », Libération, 15 octobre
1992.
1389 . H.-J. Garchon, P. Bedossa, L. Eloy, J.-F. Bach, « Les gènes du diabète »,
Nature, septembre 1991.
1390 . M.-J. Imbault-Huart, « L’approche scientifique de la maladie et de la
santé : constitution du champ moderne de la pathologie », L’Homme et la Santé, op.
cit., p. 107.

1391 . J. Ruffié, « Vers une médecine prédictive », Le Monde, 1er fév. 1989.
1392 . Publicité pour le magazine Que choisir, Que choisir santé, Paris,
septembre 1992, p. 53.
1393 . L’Audience de la presse magazine, résultats du cumul, 5 vagues, mai
1991-avril 1992, Paris, Centre d’études des supports de publicité, 2 juillet 1992.
1394 . Ib., 11 février 1993 (cumul de cinq vagues, janvier 1992 et décembre
1992).
1395 . Santé-Magazine, Paris, octobre 1992, p. 46.
1396 . Prévention santé, Paris, août 1992, p. 84.
1397 . Santé-Magazine, Paris, septembre 1992.
1398 . Réponse à tout santé, Paris, août 1992, p. 8.
1399 . Réponse à tout santé, Paris, juillet 1992, p. 34.
1400 . P. Aïach, « Morbidité », Santé publique, op. cit., p. 360-361.
1401 . « Tendances démographiques », L’État de la France 1998, Paris, La
Découverte, 1992, p. 16.
1402 . « Éditorial », Santé-Magazine, août 1992, p. 9.
1403 . Santé-Magazine, septembre 1992, p. 59.
1404 . Ib., août 1992, p. 113.
1405 . Santérama, n° 6, 1992, p. 78.
1406 . Top santé, juin 1992, p. 81.
1407 . « Divertissez-vous avec nos jeux santé », Le Journal des Français, santé,
sept.-octobre 1992, p. 25.
1408 . « Gagnez des séjours dans des écoles du dos », Santé-Magazine, août
1992, p. 38.
1409 . Ib., août 1992, p. 70.
1410 . Ib., septembre 1992, p. 16.
1411 . Ib., février 1992, p. 99.
1412 . Vrai santé, n° 3, 1992.
1413 . Ib., octobre 1992, p. 48.
1414 . Plante santé, juill.-août 1992, p. 81.
1415 . Affiche pour le magazine Réponse à tout santé, janvier 1993.
1416 . Mieux être en 1 000 questions, sous la direction de Josette Rousselet-
Blanc, Paris, Flammarion, 1992.
1417 . Que choisir santé, n° 22, 1992, p. 55.
1418 . Santé-Magazine, septembre 1992, p. 46.
1419 . Vital, août 1992, p. 50.
1420 . Santé-Magazine, juillet 1992, p. 10.
1421 . Réponse à tout santé, juillet 1992, p. 7.
1422 . Santé-Magazine, août 1992, p. 31.
1423 . « Nous sommes voués à vivre désormais à nu et dans l’angoisse ce qui
nous fut plus ou moins épargné depuis le début de l’aventure humaine par la grâce
des dieux », M. Gauchet, Le Désenchantement du monde, une histoire politique de
la religion, Paris, Gallimard, 1985, p. 302.
1424 . Santé-Magazine, octobre 1992, p. 22.
1425 . Santé plus, juillet 1992, p. 19.
1426 . J.-J. Courtine, « Les stakhanovistes du narcissisme », Communication,
n° 56, Le Gouvernement du corps, 1993, p. 241.
1427 . Réponse à tout santé, juillet 1992, p. 37.
1428 . Dynasteurs, décembre 1991, p. 3.
1429 . Manageurs Afrique, févr.-mars 1993, p. 16.
1430 . 300 médicaments pour se surpasser physiquement et intellectuellement,
Paris, Balland, 1988 ; voir sur ce thème le livre d’Alain Ehrenberg, Le Culte de la
performance, Paris, Calmann-Lévy, 1991, en particulier « L’individu sous
perfusion », p. 252.
1431 . Ib., p. 15.
1432 . B. Lucchini, « Le marché de la réussite », Challenge, octobre 1986, cité
par A. Ehrenberg, op. cit., p. 211.
1433 . A. Ehrenberg, op. cit., p. 203. A. Ehrenberg ajustement insisté sur cette
dernière figure de la réussite : « Avoir pour ambition de devenir soi-même,
identifier être soi-même et être le meilleur… c’est souligner aussi que les modèles
de réussite qu’on vous présente ne sont pas lointains » (Ib., p. 200).
1434 . Défis, entreprendre et réussir, n° 103, février 1993, p. 24.
1435 . A. Ehrenberg, op. cit., p. 200.
1436 . Top santé, juin 1992, p. 73.
1437 . D. Bell oppose justement l’hédonisme consommatoire et « la rationalité
fonctionnelle » qui le permet, voir Les Contradictions culturelles du capitalisme,
Paris, PUF, 1979 (1re éd. américaine 1976), p. 94.
1438 . « Autoportrait d’un hédoniste », publicité pour Honda, Dynasteurs,
décembre 1991, p. 23.
1439 . « La France tranquillisée », Le Monde, 9 janvier 1991.
1440 . J.-F. Solal, « Les médicaments psychotropes ou la dépendance
confortable », Individus sous influence, drogues, alcools, médicaments
psychotropes, sous la direction d’A. Ehrenberg, Paris, Editions Esprit, 1991, p. 212.
Pour le cas des sédatifs et la mise à distance de sollicitations devenues trop
pressantes, voir aussi l’analyse d’O. Mongin, op. cit. (en particulier « La passion
extrême, la grande glissade du toxico », p. 89).
1441 . Cité par R. Issaad et M. Grémillon, La Dictature d’Hippocrate, Paris,
Denoël, 1992, p. 105.
1442 . Plante santé, juill.-août 1992, p. 15.
1443 . Ib., p. 13.
1444 . Plante santé, sept.-octobre, 1992, p. 16.
1445 . « Les médicaments », in C. Got, La Santé, op. cit., p. 314 sq.
1446 . J. Vautrin, « Rosa, comment dire », Nouvelles Nouvelles, n° 10, 1988, p.
90.
1447 . Top santé, juillet 1992, p. 15.
1448 . Santéplus, n° 6, 1992, p. 15.
1449 . Réponse à tout santé, août 1992, p. 84.
1450 . G. Simenon, Maigret à Vichy, Paris, Gallimard, 1968.
1451 . C. Rihoit, Le Bal des débutantes, Paris, Gallimard, 1978.
1452 . L. Bichon, « Les produits allégés », in H. Dupin et al., Alimentation et
Nutrition humaines, Paris, E. S. F., 1992, p. 1117.
1453 . C. Fishler, L H omnivore, Paris, Odile Jacob, 1989, voir « La société
lipophobe », p. 297.
1454 . Cuisinons, idées recettes, n° 11, 1992, p. 1.
1455 . S. et J. de Rosnay, La Malbouffe, comment se nourrir pour mieux vivre,
Paris, Éd. du Seuil, coll. « Points Actuels », 1981, p. 65-66.
1456 . Ib., p. 50.
1457 . Top santé, n° 21, 1992, p. 98.
1458 . J. Rousselet-Blanc, op. cit., p. 339.
1459 . M.-J. Houareau, « Les techniques du corps », L’Encyclopédie pour mieux
vivre, op. cit., p. 405.

1460 . M. Feldenkrais, La Conscience du corps, Paris, Laffont, 1971 (1re éd. Tel
Aviv 1967), p. 57.
1461 . J. Syer et C. Connoly, La Préparation psychique du sportif, le mental
pour gagner, Paris, Laffont, 1988 (1re éd. anglaise 1984), p. 62.
1462 . Vrai santé, n° 1, 1992, p. 18.
1463 . R. M. Pirsig, Traité du zen et de l’entretien des motocyclettes, Paris, Éd.
du Seuil, 1978 (1re éd. américaine 1974), p. 273.
1464 . K. Tokitsu, Méthode des arts martiaux à mains nues, Paris, Robert
Laffont, 1987, p. 54.
1465 . J.-M. Salètes, « Les techniques de relaxation », L’Encyclopédie pour
mieux vivre, op. cit., p. 70.
1466 . J.-M. Bourre, La Diététique du cerveau, de l’intelligence et du plaisir,
Paris, Odile Jacob, 1990.
1467 . Ib., texte de couverture.
1468 . « Interview du professeur Jean-Marie Bourre », Top santé, juin 1992, p.
20-21.
1469 . J.-J. Brochier, Je fume et alors ?, Paris, Les Belles-Lettres, 1990, p. 84.
1470 . M. Rosenheim, « Tabagisme », Santé publique, op. cit., p. 568 et 570.
1471 . Le Monde, 2 sept. 1992.
1472 . « Ordonnance européenne et cancer, sida et drogue », Libération, 14
novembre 1989.
1473 . A. K. Armitage et al., La Fumée des autres, Paris, Manya, 1991.
1474 . J.-F. Lemaire, Le Tabagisme, Paris, PUF, coll. « Que sais-je ? », 1992
(1re éd. 1980), p. 58.
1475 . Titre du Point, 24 juin 1985.
1476 . Libération, 8 avril 1989.
1477 . P. Bruckner, La Mélancolie démocratique, Paris, Éd. du Seuil, « Points
Roman », 1992, p. 88-89.
1478 . « Tabac, cohabitation », Libération, 16 février 1992.
1479 . Le Monde, 5 juillet 1990.
1480 . Id. ; voir aussi P. Rayaud, « No smoking », Le Débat, nov.-décembre
1990, et G. Lipovetsky, Le Crépuscule du devoir, V éthique indolore des nouveaux
temps démocratiques, Paris, Gallimard, 1992 (en particulier « La croisade
antitabac », p. 106). Une réflexion d’ensemble est proposée dans Santé publique et
Libertés individuelles, sous la direction d’É. Malet, Paris, Passages, 1993.
1481 . Le Monde, 15 novembre 1989.
1482 . R. Marteau, « Alcoolisme », Santé publique, op. cit., p. 559.
1483 . P. W. Hubert, Liability, the Legal Révolution and its Conséquences, New
York, Basic Books Inc. Publishers, 1988.
1484 . Voir ici même p. 245.
1485 . L. Engel, Les Nouvelles Frontières de la responsabilité civile, Paris, Note
de la fondation Saint-Simon, 1993. Le texte de L. Engel est central sur ce thème.
1486 . Ib., p. 18.
1487 . « Les risques thérapeutiques restent sans loi », Libération, 17 mars 1993.
1488 . F. Ewald, Le Problème français des accidents thérapeutiques, enjeux et
solutions, rapport à M. Bernard Kouchner, ministre de la Santé et de l’Action
humanitaire, Paris, 1992.
1489 . « Une société sur la défensive », Le Monde, 19 mars 1993.
1490 . F. Ewald, cité par Libération, 17 mars 1993.
1491 . L’État de la France et de ses habitants, Paris, La Découverte, 1987, p.
38.
1492 . J.-M. Normand, Les Mains dans le cambouis pour réparer la Sécu, Paris,
Régine Desforges, 1992, p. 16.
1493 . Le Monde, 16 octobre 1992.
1494 . M. Lépinay, SECU, faillite sur ordonnance, Paris, Calmann-Lévy, 1991,
p. 233.
1495 . Le Monde, 16 octobre 1992.
1496 . Voir note 40.
1497 . C. Got, interview, Le Monde, 17 juin 1992.
1498 . W. Dab, « Épidémiologie », Santé publique, op. cit., p. 30.
1499 . I. Chapellière, Où va la protection sociale ?, Paris, Syros Alternative,
1989, p. 126.
1500 . Ib., p. 73.
1501 . S. Nora, « Sécurité sociale : de l’impasse à la réforme ? », Le Débat,
septembre 1983, p. 144.
1502 . « Le rapport de P. Lazar », Le Monde, 16 novembre 1990. Voir encore le
constat d’Alexandre Vatimbella : « Actuellement, malgré les déclarations
fracassantes, les pouvoirs publics consacrent moins de 3 % du total des dépenses de
santé en faveur de la médecine prédictive et préventive » (Santé et Économie, Paris,
Syros, coll. « Alternative économique », 1993, p. 122)
1503 . Texte ajouté pour la présente édition de 1999.
1504 . Voir M. Tubiana, « D’une médecine de soins à une médecine de santé »,
Les Chemins d’Esculape, histoire de la pensée médicale, Paris, Flammarion, 1995,
chap. vin.
1505 . J.-F. Girard, avec la collab. de J.-M. Eymeri, Quand la santé devient
publique, Paris, Hachette, 1998, p. 203.
1506 . Voir ici-même, p. 296 et la note 48.
1507 . Le Procès du sang contaminé, Le Monde, tiré à part, mars 1999, p. 8.
Jean Baptiste Brunet, épidémiologiste, était en charge du sida à la direction de la
santé en 1985.
1508 . A. Morelle, La Défaite de la santé publique, Paris, Flammarion, 1996, p.
118. Voir aussi M. Setbon, Pouvoir contre sida, op. cit. qui, le tout premier,
évoquait déjà ces conséquences dans un ouvrage de 1993.
1509 . Voir « Les cinq grands dossiers de l’affaire », Le Monde, Le procès…, op.
cit., p. 15. Ces cinq affaires, autant le rappeler, portent sur : 1, la sélection chez les
donneurs de sang, 2, le dépistage des dons du sang, 3, le chauffage des produits
antihémophiliques, 4, le rappel des stocks (non inactivés ou non testés) après la
publication des arrêtés de juillet 1985, 5, le rappel des transfusés.
1510 . J.-F. Girard, op. cit., p. 132.
1511 . B. Kriegel, Le Sang, la Justice, la Politique, Paris, Plon, 1999, p. 11.
1512 . W. Rozembaum et al., Sida, réalités et fantasmes, Paris, POL, 1984, p.
126 et 127.
1513 . Voir ici même « Le scénario du fléau majeur », p. 288.
1514 . J. Bernard, Audition devant la commission d’enquête de l’Assemblée
nationale, 2 décembre 1992.
1515 . « Chronique d’une négligence d’État », Le Monde, 6 avril 1996.
1516 . Id.
1517 . Voir J.-F., Girard, op. cit., p. 170.
1518 . Voir, entre autres, D. Fassin, L’Espace politique de la santé. Essai de
généalogie, Paris, PUF, 1996, en particulier « L’expansion de la santé publique », p.
256.
1519 . « Un arrêt de la Cour de cassation modifie le cours de l’affaire du sang
contaminé », Le Monde, 4 juillet 1998.
1520 . Voir O. Beaud, Le Sang contaminé, Paris, PUF, 1999, entre autres, le
chap. « Du drame au procès des ministres ».
1521 . Voir les jugements de 1992 et 1993 cités ici même p. 295.
1522 . Bull, de la cour de cassation, 2 juillet 1998.
1523 . « Le fait d’accepter par avance ces morts inéluctables du fait du grand
nombre d’acquéreurs de ces produits caractérise l’intention homicide », affirme le
juge M.-O. Bertella-Geffroy dans son ordonnance de renvoi du 20 mai 1999, Le
Monde, 22 mai 1999.
1524 . « Action de lobbying au mépris des intérêts de la santé publique », dit
encore la même ordonnance de renvoi, id.
1525 . Voir O. Beaud, op. cit., p. 66.
1526 . Voir P. Mazeaud, « Le sens des mots », Le Monde, 8 octobre 1993.
1527 . I. Théry, « Sida : l’emballement », Esprit, août-septembre 1995, p. 218.
1528 . « L’affaire du sang contaminé devenait le terreau idéal pour l’éclosion
d’un mouvement de diabolisation », A. Morelle, op. cit., p. 167.
1529 . B. Kriegel, op. cit., p. 112.
1530 . R. Badinter, Les Ministres d’avant la justice, Association française pour
l’histoire de la justice, Paris, Actes Sud, 1997, Préface, p. 15.
1531 . Procureur général Burgelin, Réquisitoire, Cour de justice de la
République, 11 mars 1997, p. 79.
1532 . A. Garapon, « Pour une responsabilité civique », Esprit, mars-avril 1999,
p. 245.
1533 . Id.
1534 . Voir Code de la santé publique, Paris, Dalloz, 1997, p. 446.
1535 . Voir ib., p. 461.
1536 . Voir ib., p. 1121.
1537 . Voir ib., p. 329.
1538 . Voir « Sang contaminé et responsabilité politique », Le Monde, 28 juillet
1998.
1539 . Loi n° 98-535, Journal officiel, 2 juillet 1998.
1540 . « Après la vache folle les légumes mutants ? », Courrier international,
n° 439, avril 1999.
1541 . F. Stasse, « Comment maîtriser les dépenses de santé ? », État-
providence, arguments pour une réforme, ouvr. coll., Paris, Gallimard, coll. « Le
Débat », 1996, p. 281.
1542 . J.-F. Girard, op. cit., p. 223.
1543 . Voir « Réformer enfin l’assurance-maladie », Le Monde des Débats, mai
1999.
1544 . Les Échos, 14-15 mai 1999.
1545 . Voir, entre autres, J.-N. Kapferer, « Comportements du consommateur-
médecin », La Revue française de marketing, 1998, n° 165.
1546 . G. Johanet, « Sécurité sociale : une réforme sous condition », Esprit,
février 1997, p. 18.
1547 . Ib., p. 19.
1548 . B. Majnoni d’Intignano, « La performance qualitative du système de
santé français », Rapport de M. Mougeot, Régulation du système de santé, Paris, La
Documentation française, 1999, p. 112.
1549 . F. Stasse, « Assurance maladie : l’état d’urgence », État providence,
arguments…, op. cit., p. 363.
1550 . Voir J.-F. Girard, op. cit., p. 224.
1551 . B. Roussille, « Introduction », Éducation pour la santé pour mieux vivre.
Baromètre santé adultes, 95-96, sous la dir. de F. Baudier et J. Arènes, Vanves, éd.
CFES, 1997, p. 9.
1552 . B. Kouchner, « La santé est un tout », Préface, La Santé en France, 1994-
1998, Paris, La Documentation française, 1998, p. 4.
1553 . F. Stevens et al., « Health life-styles, health concern and social position in
Germany and The Netherlands », European Journal of Public Health, 1995, n° 5, p.
28.
1554 . J. Arènes, P. Guibert, M.-P. Janvrin, « Approche globale des attitudes et
comportements de santé », Éducation pour la santé pour mieux vivre, op. cit., p. 32.
1555 . Voir sur le thème des comportements à risques des jeunes et des
adolescents en particulier, Haut Comité de la santé publique, Santé des enfants,
santé des jeunes, Paris, HCSP, 1997.
1556 . Voir « De la nécessité d’une démarche éthique », D. Castiel, Économie et
Santé, quel avenir ?, Paris, éd. Management, 1999, p. 92.
1557 . Voir « Étude globale des interrelations entre les comportements et les
attitudes de santé », J. Arènes, P. Guibert, M.-P. Janvrin, « Approche globale… »,
op. cit., p. 51.
1558 . Service de promotion de la santé en faveur des élèves du Val-de-Marne,
Créteil, Rapport annuel, année 1993-1994, Créteil, 1994, p. 67-68.
1559 . Nos jeunes et leur santé, opinions, comportements des 11, 13 et 15 ans au
Canada et dans 10 autres pays, Ministère de la santé et du bien-être social, Ottawa,
1992.
1560 . Voir G. Vigarello, « L’éducation pour la santé, une nouvelle attente
scolaire », Esprit, février 1997.
1561 . L. Sfez, La Santé parfaite, Paris, Seuil, 1995.
Table of Contents
Préface
Introduction
PREMIÈRE PARTIE - OBÉIR AU COSMOS XIIIe-XVIe
SIÈCLE
CHAPITRE I - La force des contacts
1. Un mal exemplaire
D’un mal repérable au mal obscur
L’analogie du cadavre
Les humeurs font le corps
2. Les joyaux de santé
Le contact préservateur
Poudres de perles et liqueurs d’or
3. Épices et aromates
Les épices et l’épurement
Une résonance mythique
La force du goût
La boisson « extrême »
Une valorisation sociale
CHAPITRE II - L’ordre du monde
1. Le régime et les astres
« Modération » et choix alimentaire
Les références cosmiques
La vertu des bombances
Les deux pôles défensifs : densité et
épurement
2. Fléaux et corps ouverts
Le venin de l’air
Les corps poreux
CHAPITRE III - Contre le cosmos, le régime
1. L’air ou la contagion ?
Le premier principe contagieux
Le choix de l’air
2. La faim adoucie ?
Les lourdeurs jugées excessives
La « moindre » valorisation de
l’aliment
3. Modération et amour de la vie
L’inquiétude et l’éphémère
Une tempérance profane
Présence du régime alimentaire
La médecine de soi-même
4. Un régime des pauvres ?
L’image du pauvre
Nourritures sordides
5. Les voies d’un affranchissement
La dénonciation des joyaux
protecteurs
Un affranchissement du cosmos
6. Analogies « mécaniques »
L’alambic et la distillation
La « république » du corps
DEUXIÈME PARTIE - ÉVACUER LES HUMEURS XVIIe
SIÈCLE
CHAPITRE I - Mécanique corporelle et évacuation
1. La régulation mécanique
Le régime alimentaire ou
l’évacuation ?
La force et la saignée
Machine et régulation
2. Flux plus divers, flux plus subtils
La diversification des flux
Les évacuations invisibles
De l’élixir au linge blanc
3. La graduation des maux
Épidémie et représentation «
immobile »
Le fourmillement de l’air
L’ « état » des vaporeux
4. L’épurement des humbles
La santé des almanachs
Un modèle de pensée
Le poids de la vie
CHAPITRE II - Plantes épurantes et consommations
d’agrément
1. L’« adoucissement » des aromates
Compotes et sirops
Diversité des parfums
2. Les plantes spirituelles
La fève du Levant
La « prise » et la fumée
L’effet prime le goût
3. Du remède à l’agrément
Consommations instituées
L’excitant et la sociabilité
TROISIÈME PARTIE - RÉSISTER ET ENDURCIR XVIIIe
SIÈCLE
CHAPITRE I - La force des fibres
1. Le « courage » d’inoculer
Une figure du mal
La querelle de l’inoculation et le
prosélytisme
Un geste symbole
2. Un corps fait de fibres
La fibre et l’humeur
Les formes nerveuses de l’inquiétude
CHAPITRE II - Endurcir
1. L’affermissement et le progrès
L’évacuation et l’affaiblissement
La nature et le froid
Dégénération et progrès
L’exercice et la fibre
2. L’aliment rustique
Frugivores et carnirores
Féculents du pauvre
3. Une pédagogie réactive
Le renforcement graduel
Âges et vie
CHAPITRE III - Les ressources de l’air
1. Le renouvellement de l’air
Les « commodités »
Le souffle des foules
2. Prévenir le mal des poitrinaires
La morphologie inquiétante
L’air préservateur de phtisie
3. Le triomphe de l’espace et de l’air
La différence des lieux
Les médecins de la prévention
Les médecins du social
L’air qui « prolonge la vie »
4. Assurances et prévisions
Chiffrer le risque
L’assurance et l’ouvrier
QUATRIÈME PARTIE - LA FORCE DE SOI, LA FORCE
DES AUTRES XIXe SIÈCLE
CHAPITRE I - Espace intime et espace public
1. L’état « industriel » et l’initiative publique
Décisions de gouvernement
La vaccine et le réseau
2. La puissance vitale et le travail
La force des citadins
La « force » organique
3. Les prémices du confort
Premiers objets du « confort »
Civilisation et « force » alimentaire
La santé romantique
CHAPITRE II - L’invention de l’énergie
1. Le spectre d’une dégénérescence
Les hérédités malsaines
Fléaux dégénératifs et morale
préventive
Protection de soi, protection de l’État
De la moralisation des maux à la
pédagogie
2. L’énergie qui protège
L’aliment, le poumon, l’énergie
Travail et viande de cheval
Les métamorphoses du souffle
Un principe « total »
3. L’énergie, la ville, le travail
La ville drainée
Du travail régénéré au travail «
protégé »
4. L’archaïsme de l’élixir
Les potions publicitaires
L’ambiguïté des toniques
CHAPITRE III - De l’hygiène des lieux à l’hygiène
mentale
1. « Maladies évitables »
Les dangers invisibles
Une invasion ?
Les microbes et les mœurs
2. L’espace « sanitaire »
Le « génie sanitaire »
Habitation et initiatives publiques
3. Le « malingre » et le « charnu »
Sveltesses et dénudements
Les « sommets de l’extrême santé
1247 »
L’assistance et le malingre
4. Concurrence et solidarité, psychologie fin de
siècle
L’assurance maladie
Le resserrement du réseau
Concurrence et prévention
psychologique
CINQUIÈME PARTIE - MIEUX-ÊTRE ? XXe SIÈCLE
Mieux-être ?
1. Le sida, la prévention, la responsabilité
Le scénario du fléau majeur
« Responsabiliser »
Éduquer
Zones d’ombre
2. La santé « indéfinie »
« Faites votre auto-contrôle 1376 »
Des facteurs de risque à
l’individualisation génétique
Une santé « consommée »
Les exigences du « mieux-être »
Une combinaison de modèles
3. Le défi politique
Un conflit de libertés
Le renouvellement des risques et la
responsabilité
Un conflit de solidarités
Procès, réformes, responsabilités Les interrogations
d’aujourd’hui
1. Affaires nouvelles, modèles anciens
2. Des « catastrophes » sanitaires à l’imbroglio
judiciaire
3. Les dépenses de santé, réforme impossible ?
4. Une culture en mal d’unité
Conclusion
Du même auteur

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