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Zotz Thomas. Présentation et bilan de l'historiographie allemande de l'espace. In: Actes des congrès de la Société des
historiens médiévistes de l'enseignement supérieur public, 37ᵉ congrès, Mulhouse, 2006. Construction de l'espace au Moyen
Age : pratiques et représentations. pp. 57-71;
doi : 10.3406/shmes.2006.1912
http://www.persee.fr/doc/shmes_1261-9078_2007_act_37_1_1912
de l'historiographie allemande
de l'espace
Thomas Zotz
* Afin de rendre plus facile l'aperçu historiographique, principal objet de cette contribution, les
références bibliographiques ont été regroupées en fin d'article.
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non seulement sur une certaine unité spatiale, mais aussi sur le facteur
constituant qu'est l'espace en tant que tel, à côté du temps. Il est tout à
fait remarquable que cette catégorie spatiale, si elle ne manque pas
totalement à l'appel, reste cependant étudiée de manière très partielle. C'est en
vain que l'on cherche un article sur l'espace dans l'ouvrage Geschichtliche
Grundbegriffe, consacré aux termes essentiels de la science historique et
initié par Otto Brunner, Werner Conze et Reinhard Kosseleck. Dans le
Lexikon des Mittelalters, tome 7, paru en 1995, on ne trouve que quelques
lignes du philosophe Wolfgang Breidert traitant des conceptions
médiévales de l'espace dans leur rapport avec la philosophie grecque et avec saint
Augustin. Or les conceptions de l'espace constituent sans aucun doute un
aspect important, mais n'en sont qu'un parmi beaucoup d'autres.
On pourrait encore alléguer qu'il n'existe pas de véritable
équivalent pour notre conception de l'espace en latin, la langue intellectuelle
du Moyen Âge, comme l'a déjà fait remarquer Alain Guerreau dans son
article « Structure et évolution des représentations de l'espace dans le haut
Moyen Âge occidental », paru en 2003 dans Uomo e Spazio. Spatium
signifie intervalle, locus lieu, le pluriel loca contrée. Aussi saint Augustin doit-il
avoir recours à une périphrase approximative dans La cité de Dieu (XI/5) :
on y lit spatia locorum à côté de spatia temporis. Il n'en est pas autrement
avec le terme vieil haut allemand ou moyen haut allemand rûmlroum que
l'on utilise indifféremment pour décrire le lieu dans lequel on se déplace
ou celui dans lequel on s'arrête. En raison de cette évolution des notions,
il n'est pas aisé d'adapter le thème de l'espace à l'analyse des territoires à
petite ou grande échelle.
Mais revenons à l'étude de l'historiographie allemande et à sa
relation avec la catégorie de l'espace dans la deuxième moitié du xxe siècle. À
côté des nombreux travaux d'histoire régionale concernant différentes
unités spatiales, que nous ne pouvons présenter ici en détail, on constate que
l'aspect topographique de l'espace, donc l'agencement spatial, est devenu
l'objet d'un grand intérêt à différents niveaux de la recherche.
Pour le Moyen Âge, on peut évoquer des travaux sur la
topographie sociale des villes, qui cherchent à savoir comment des groupes sociaux
qui différaient par leur rang et par leur mode de vie se classèrent les uns
par rapport aux autres. À titre d'exemple, je citerai ici l'ouvrage de Win-
frid Schich, Wùrzburg im Mittelalter, publié en 1977, et celui de Helge
Steenweg, Gôttingen um 1400. Sozialstruktur und Sozialtopographie einer
mittelalterlichen Stadt, paru en 1994. Ces questions préoccupent toujours
les médiévistes, comme l'illustrent les actes de colloque publiés en 2005 par
Matthias Meinhardt et Andreas Ranft sous le titre Die Sozialstruktur und
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orientale. S'il est un domaine dans lequel l'histoire régionale a produit des
impulsions décisives pour la recherche pluridisciplinaire dans la seconde
moitié du xxe siècle, c'est bien celui de l'espace au Moyen Âge.
Ces premiers signes d'une recherche historique sur l'espace ont été
mis en lumière, et cela de manière très féconde, lors du 36e Congrès des
historiens allemands à Trêves qui, comme on l'a vu, portait sur le thème
« Ràume der Geschichte - Geschichte des Raumes ». Plusieurs sections
furent consacrées au thème « Zwischen Gallia und Germania, Frankreich
und Deutschland. Konstanz und Wandel raumbestimmender Krâfte »,
laissant ainsi entrevoir le programme adopté ensuite par le programme
scientifique du Sonderforschungsbereich 235 à Trêves, « Zwischen Maas und
Rhein : Beziehungen, Begegnungen und Konflikte in einem europâischen
Kernraum von der Spâtantike bis zum 19. Jahrhundert » : ce programme
s'étala sur quinze ans entre 1987 et 2002. L'espace clé que constitua la
Lotharingie/Lorraine, en tant que zone frontière et lieu de rencontre
entre cultures différentes, offrit de nombreux points de départ pour une
recherche orientée vers l'espace, que ce soit d'un point de vue
administratif, ecclésiastico-religieux ou économique. Mais, par-delà les frontières
de cette région spécifique, je me dois encore d'évoquer ici les apports du
colloque de Trêves en 1998, portant sur le sujet « Stâdtelandschaft - Stâd-
tenetz - zentralôrtliches Gefiige ». Tous ces mots-clés « paysage urbain -
réseau de villes - lieux centraux » montrent bien que la recherche spatiale
des médiévistes allemands a un net accent urbain. Mais les questions
théoriques n'étaient pas absentes non plus au sein du progamme scientifique
de Trêves : en 1986, Franz Irsigler y discuta les concepts de l'espace dans
la recherche allemande et, en 1993, Alfred Heit s'y exprima sur le thème
« Raum — zum Erscheinungsbild eines geschichtlichen Grundbegriffs »,
comblant ainsi la lacune laissée par l'ouvrage collectif des Geschichtliche
te.
Le « renouveau de l'espace »
Malgré ces efforts importants de l'historiographie allemande en
matière de recherche spatiale dans des années 1980, la catégorie de
l'espace continua à susciter une certaine réserve, comme en témoignent les
ouvrages de référence cités au début de notre propos et repris à l'instant.
Dans une certaine mesure, l'ouvrage de Hans-Werner Goetz, Moderne
Mediâvistik. Stand und Perspektiven der Mittelalterforschung, paru en 1999,
était encore écrit dans cet esprit. Cette synthèse capitale de la recherche
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passe pour être, à côté de la géographie, la science qui, par excellence, est
orientée vers l'espace. La compromission de la discipline durant le régime
nazi joue probablement un rôle dans cette réticence face à la notion
d'espace : ainsi préfère-t-on parler ici de « groupes culturels » (« Kulturgrup-
pen ») et de « cercles culturels » (« Kulturkreise »), comme le fait Sebastian
Brather dans le même Reallexikon dergermanischenAltertumskun.de.
En analysant la perception du territoire seigneurial (« Landesbewufit-
sein ») vers la fin du Moyen Âge, Matthias Werner établit des ponts entre
l'histoire régionale et les phénomènes de prise de conscience de l'espace.
De même, les actes du colloque de la Reichenau qui fut consacré audit
« Landesbewufêtsein », parus récemment, firent bon accueil aux impulsions
qu'avait données la section « Régionale Identitât und soziale Gruppen im
deutschen Mittelalter », dirigée par Peter Moraw et Bernd Schneidmùller,
lors du Congrès des historiens tenu à Bochum en 1990. Ces innovations
de 1990 accompagnaient celles du colloque parisien de 1993 organisé par
Rainer Babel et Jean-Marie Moeglin, « Identité régionale et conscience
nationale en France et en .Allemagne du Moyen Âge à l'époque moderne ».
Et ce mot-clé d'« identité » m'offre une transition vers un autre point fort
de la recherche spatiale des médiévistes allemands, sur lequel je terminerai
cet exposé : il s'agit de la catégorie des frontières et de l'espace.
Alors que la notion de frontière avait été longtemps délaissée sous
prétexte qu'elle n'aurait joué aucun rôle dans le monde médiéval, elle a
fait sa réapparition avec le renouveau de l'espace. Déjà en 1987, Rein-
hard Schneider corrigea l'ancien point de vue dans son article « Grenzen
und Grenzregionen ». Celui-ci était publié dans le cadre d'un projet mené
à Sarrebrùck (ce qui n'est certainement pas un hasard), « Problème von
Grenzregionen », qui engendra plusieurs colloques sous l'égide de
Wolfgang Haubrichs, de Roland Marti et de Reinhard Schneider sur les sujets
suivants : « Grenzen und Grenzregionen - Frontières et régions
frontalières — Borders and Border Regions », « Sprachenpolitik in
Grenzregionen - Politique linguistique dans les régions frontalières », « Grenzgànger »
et « Grenzgànger - Mischkultur ? »
Depuis les années 1990, ce sujet n'a cessé d'intéresser la médiévis-
tique. À titre d'exemple, je citerai ici le colloque organisé par Guy P. Marchai
en 1995 à Lucerne, « Grenzen und Raumvorstellungen (1 1.-20. Jahrhun-
dert) ». On y aborda des thèmes tels que la représentation cartographique
des frontières seigneuriales au Moyen Âge, les concepts ecclésiologiques
et juridiques de définition des frontières au sein de l'Église médiévale,
la dimension spatiale de l'expulsion hors des villes durant le bas Moyen
Âge ou encore les « frontières dans les esprits », par exemple aux temps de
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Bibliographie
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