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POLITIQUE
Condamnation de Rached Ghannouchi en Tunisie : cinq questions pour
comprendre la descente aux enfers du patron d’Ennahdha
Condamné mi-mai à un an de prison, le leader d’Ennahdha et ancien président du Parlement tunisien est visé par de
nombreuses enquêtes, qui pourraient lui valoir de lourdes peines.
LE DÉCRYPTAGE DE JA – Le temps de la reddition des comptes est venu pour l’homme politique tunisien le plus puissant et le plus craint entre
2011 à 2021. À 81 ans, le président et fondateur du parti islamo-conservateur Ennahdha vient d’écoper d’une peine d’un an de prison assortie
d’une amende de 1 000 dinars (environ 300 euros) pour « apologie du terrorisme ». Une première peine dans une série qui risque de
s’allonger, puisque la justice souhaite entendre l’ancien président de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) pour des plaintes qui le
visent directement, mais aussi dans le cadre d’instructions en cours où son nom est apparu.
À LIRE
Il faudra certainement beaucoup de temps et de patience pour démêler les fils de l’organisation mise progressivement en place par Rached
Ghannouchi et faire la lumière sur ses multiples implications. Ce moment judiciaire, néanmoins, est très attendu par une large partie de
l’opinion publique, qui escompte des sentences à la hauteur de la détestation qu’elle éprouve pour le leader islamiste, responsable selon elle
de la dérive de la Tunisie pendant une décennie.
Certains ne perdent pas de vue que si des procès retentissants participeraient sans doute à une catharsis collective, cette phase judiciaire
serait encore plus marquante si elle était accompagnée de dédommagements ou de restitution de fonds, tels que ceux perçus par les
islamistes en 2011 au titre de compensation de leur mise à l’écart sous la dictature de Ben Ali.
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À LIRE
Évidemment, la justice tunisienne ne pourra pas le poursuivre pour mauvaise gouvernance ou « atteinte à un pays fragilisé par une
révolution inachevée ». Mais elle est l’unique recours pour que les impairs de Rached Ghannouchi, qui ne jouit plus aujourd’hui d’aucune
sorte d’immunité, ne restent pas impunis.
Son tort aura été d’avoir considéré la Tunisie, non pas comme un bien commun à préserver mais comme un butin de guerre : la fameuse
« ghanima » qui, dans une certaine culture islamiste, est une sorte de droit exercé par les conquérants. Une attitude de prédation qui a indu
corruption et népotisme. Ce qui va se jouer dans les prétoires est de l’ordre du symbolique : il s’agit de faire en sorte que justice soit rendue à
une Tunisie mise à genoux par ses responsables.
À LIRE
Cette première condamnation du leader d’Ennahdha, prononcée le 15 mai dernier, est importante. D’abord, elle permet de maintenir Rache
Ghannouchi en prison, au moins jusqu’à un éventuel appel. Ensuite, elle prouve à ceux qui en auraient douté que la machine judiciaire est
enclenchée malgré les difficultés que connaît la justice et sa lenteur si souvent décriée. « Pas de retour en arrière » : cette formule dont le
président Saïed a fait son mot d’ordre vaut aussi pour la justice, qui s’est défaite de l’emprise d’Ennahdha. Et pour Rached Ghannouchi lui-
même, qu’on pensait jusque-là intouchable. Inculpé, il a refusé de comparaître, considérant que cette affaire était « fabriquée et sans
fondement ».
À LIRE
L’affaire Instalingo, du nom d’une entreprise de production de contenu digital, a elle aussi de quoi inquiéter les défenseurs de l’ancien
président du Parlement. Elle implique 46 personnes, dont des journalistes, des influenceurs et des hommes politiques, soupçonnés de
« complot contre la sûreté de l’État », « tentative de vouloir modifier le mode de gouvernance du pays » et « offense au président ». Rien de
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très précis pour les profanes, mais il semblerait que ces chefs d’accusation recouvrent des activités d’espionnage et de renseignement
soutenues par la Turquie. Un mandat de dépôt a été délivré contre Rached Ghannouchi dans le cadre de ce dossier, où est également cité son
gendre, Rafik Abdessalem.
4- Qu’en est-il des poursuites dans l’assassinat en 2013 des leaders de la gauche Chokri Belaïd et
Mohamed Brahmi ?
Réunis en collectif, les défenseurs de Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi, leaders de la gauche arabe assassinés en 2013, ont poursuivi leur
enquête en dépit des embûches semées par le parquet. Ils ont ainsi mis au jour l’existence d’une officine secrète d’Ennahdha dont Rached
Ghannouchi connaissait l’existence. Il était même, selon les relevés téléphoniques, l’un des interlocuteurs de Mustapha Kheder, l’homme qui
gérait ce département de l’ombre chargé de missions de renseignement.
Dans le cadre de l’enquête sur la mort de Belaïd et Brahmi, Rached Ghannouchi n’est pas directement cité comme l’un des protagonistes de
ces affaires, assimilées à un crime d’État. Mais il est difficile de croire qu’il n’ait pas été informé des dessous de l’affaire, même si Ennahdha
n’en a pas été l’instigatrice. Selon les avocats, la clé réside dans la nature des rapports, étroits mais difficiles à sérier, entre le mouvement
islamiste et les courants jihadistes, qui auraient pu être leur bras armé.
À LIRE
Dès juin 2022, le rôle du président d’Ennahdha avait été considéré comme majeur par le magistrat instructeur, qui lui a signifié une
interdiction de sortie du territoire (depuis, des mandats de dépôt ont été émis contre lui dans d’autres affaires).
Là encore, l’instruction est toujours en cours, tout comme celle concernant la plainte pour « infraction terroriste » déposée par le collectif en
février 2022 contre Rached Ghannouchi, son fils Moadh, son garde du corps Abdel Jalel Wal Ikram et le dirigeant du mouvement et ancien
chef du gouvernement, Ali Larayedh. Plus que sur les assassinats eux-mêmes, Rached Ghannouchi devra d’abord être entendu à propos de c
qu’il est désormais convenu d’appeler « le bras secret d’Ennahdha », et sur le rôle que celui-ci a pu jouer dans la vie politique et personnelle
des dirigeants tunisiens.
À LIRE
D’après Me Marcel Ceccaldi, conseil de Baghadi Al-Mahmoudi en 2012, la livraison de son client à la Libye a été négociée au Fouquet’s, à
Paris, entre représentants tunisiens et libyens. C’est ce qu’indiquent les aveux de Saïd Ferjani, un proche de Rached Ghannouchi qui a condui
les discussions, notamment pour obtenir aux dirigeants tunisiens des dédommagements pour service rendu à la Libye. Il semble aussi que le
deux parties aient tenté d’obtenir les numéros des comptes bancaires de Kadhafi, dont les codes d’accès étaient connus d’Al-Mahmoudi.
Torturé puis condamné à mort en Libye avant d’être libéré en 2017, l’ancien Premier ministre et homme de confiance de Kadhafi envisage
aujourd’hui, selon ses conseils, d’engager des poursuites contre la Tunisie.
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