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5/23/23, 9:36 AM Condamnation de Rached Ghannouchi en Tunisie : cinq questions pour comprendre la descente aux enfers du patron d’Enn…

POLITIQUE
Condamnation de Rached Ghannouchi en Tunisie : cinq questions pour
comprendre la descente aux enfers du patron d’Ennahdha
Condamné mi-mai à un an de prison, le leader d’Ennahdha et ancien président du Parlement tunisien est visé par de
nombreuses enquêtes, qui pourraient lui valoir de lourdes peines.

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23 mai 2023 à 08:16

Par Frida Dahmani


Mis à jour le 23 mai 2023 à 08:16

LE DÉCRYPTAGE DE JA – Le temps de la reddition des comptes est venu pour l’homme politique tunisien le plus puissant et le plus craint entre
2011 à 2021. À 81 ans, le président et fondateur du parti islamo-conservateur Ennahdha vient d’écoper d’une peine d’un an de prison assortie
d’une amende de 1 000 dinars (environ 300 euros) pour « apologie du terrorisme ». Une première peine dans une série qui risque de
s’allonger, puisque la justice souhaite entendre l’ancien président de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) pour des plaintes qui le
visent directement, mais aussi dans le cadre d’instructions en cours où son nom est apparu.

À LIRE

Kaïs Saïed en a-t-il vraiment fini avec Rached Ghannouchi ?

Il faudra certainement beaucoup de temps et de patience pour démêler les fils de l’organisation mise progressivement en place par Rached
Ghannouchi et faire la lumière sur ses multiples implications. Ce moment judiciaire, néanmoins, est très attendu par une large partie de
l’opinion publique, qui escompte des sentences à la hauteur de la détestation qu’elle éprouve pour le leader islamiste, responsable selon elle
de la dérive de la Tunisie pendant une décennie.

Certains ne perdent pas de vue que si des procès retentissants participeraient sans doute à une catharsis collective, cette phase judiciaire
serait encore plus marquante si elle était accompagnée de dédommagements ou de restitution de fonds, tels que ceux perçus par les
islamistes en 2011 au titre de compensation de leur mise à l’écart sous la dictature de Ben Ali.

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5/23/23, 9:36 AM Condamnation de Rached Ghannouchi en Tunisie : cinq questions pour comprendre la descente aux enfers du patron d’Enn…

1- Que reproche-t-on à Rached Ghannouchi ?


La mise à l’écart de Rached Ghannouchi par Kaïs Saïed et le nouveau système politique, et sa perte d’influence – comme celle de son parti –
sur la scène sociale et politique tunisienne ne suffisent pas. Il faut aussi, pour beaucoup de Tunisiens, qu’il assume ses responsabilités et
réponde de ses actes pendant que lui et les siens étaient aux affaires. Il faut enfin, pour ses détracteurs, qu’il ne puisse plus jamais revenir au
pouvoir et que sa chute soit perçue comme la conséquence d’une certaine immoralité politique.

À LIRE

En Tunisie, Rached Ghannouchi écroué

Évidemment, la justice tunisienne ne pourra pas le poursuivre pour mauvaise gouvernance ou « atteinte à un pays fragilisé par une
révolution inachevée ». Mais elle est l’unique recours pour que les impairs de Rached Ghannouchi, qui ne jouit plus aujourd’hui d’aucune
sorte d’immunité, ne restent pas impunis.

Son tort aura été d’avoir considéré la Tunisie, non pas comme un bien commun à préserver mais comme un butin de guerre : la fameuse
« ghanima » qui, dans une certaine culture islamiste, est une sorte de droit exercé par les conquérants. Une attitude de prédation qui a indu
corruption et népotisme. Ce qui va se jouer dans les prétoires est de l’ordre du symbolique : il s’agit de faire en sorte que justice soit rendue à
une Tunisie mise à genoux par ses responsables.

2- Quelle est la portée de la première condamnation ?


En février 2022, Rached Ghannouchi avait, lors de l’éloge funèbre de Farhat el-Ghbar, membre d’Ennahdha, assuré que le défunt était
courageux et ne craignait pas le « taghout », terme péjoratif très usité dans le lexique jihadiste pour désigner « le tyran » et ses
représentants, assimilés à des mécréants. L’ancien secrétaire général du syndicat de la sûreté nationale avait alors porté plainte pour apolog
du terrorisme, déclenchant des poursuites par le ministère public.

À LIRE

Arrestation de Ghannouchi : le coup de grâce pour les islamistes en Tunisie ?

Cette première condamnation du leader d’Ennahdha, prononcée le 15 mai dernier, est importante. D’abord, elle permet de maintenir Rache
Ghannouchi en prison, au moins jusqu’à un éventuel appel. Ensuite, elle prouve à ceux qui en auraient douté que la machine judiciaire est
enclenchée malgré les difficultés que connaît la justice et sa lenteur si souvent décriée. « Pas de retour en arrière » : cette formule dont le
président Saïed a fait son mot d’ordre vaut aussi pour la justice, qui s’est défaite de l’emprise d’Ennahdha. Et pour Rached Ghannouchi lui-
même, qu’on pensait jusque-là intouchable. Inculpé, il a refusé de comparaître, considérant que cette affaire était « fabriquée et sans
fondement ».

3- Quelles sont les autres affaires dans lesquelles il est impliqué ?


Elles sont nombreuses et vont des plus futiles aux plus sérieuses. Parmi celles qui resteront sans suite : les plaintes déposées par Abir Moussi,
présidente du Parti destourien libre (PDL), qui dénonçait, en tant que députée, des abus de pouvoir de la part de Rached Ghannouchi
lorsqu’il était président du Parlement. Beaucoup plus sérieuse, l’accusation d’atteinte à la sûreté de l’État concerne l’organisation d’une
plénière à distance durant laquelle, malgré le gel de l’activité parlementaire, 116 députés avaient voté l’annulation des décrets émis depuis le
25 juillet 2021, date à laquelle le président Kaïs Saïed avait pris une série de mesures afin de s’assurer les pleins pouvoirs. L’affaire suit son
cours.

À LIRE

Vague d’arrestations en Tunisie, diversion ou complot ?

L’affaire Instalingo, du nom d’une entreprise de production de contenu digital, a elle aussi de quoi inquiéter les défenseurs de l’ancien
président du Parlement. Elle implique 46 personnes, dont des journalistes, des influenceurs et des hommes politiques, soupçonnés de
« complot contre la sûreté de l’État », « tentative de vouloir modifier le mode de gouvernance du pays » et « offense au président ». Rien de

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très précis pour les profanes, mais il semblerait que ces chefs d’accusation recouvrent des activités d’espionnage et de renseignement
soutenues par la Turquie. Un mandat de dépôt a été délivré contre Rached Ghannouchi dans le cadre de ce dossier, où est également cité son
gendre, Rafik Abdessalem.

4- Qu’en est-il des poursuites dans l’assassinat en 2013 des leaders de la gauche Chokri Belaïd et
Mohamed Brahmi ?
Réunis en collectif, les défenseurs de Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi, leaders de la gauche arabe assassinés en 2013, ont poursuivi leur
enquête en dépit des embûches semées par le parquet. Ils ont ainsi mis au jour l’existence d’une officine secrète d’Ennahdha dont Rached
Ghannouchi connaissait l’existence. Il était même, selon les relevés téléphoniques, l’un des interlocuteurs de Mustapha Kheder, l’homme qui
gérait ce département de l’ombre chargé de missions de renseignement.

Dans le cadre de l’enquête sur la mort de Belaïd et Brahmi, Rached Ghannouchi n’est pas directement cité comme l’un des protagonistes de
ces affaires, assimilées à un crime d’État. Mais il est difficile de croire qu’il n’ait pas été informé des dessous de l’affaire, même si Ennahdha
n’en a pas été l’instigatrice. Selon les avocats, la clé réside dans la nature des rapports, étroits mais difficiles à sérier, entre le mouvement
islamiste et les courants jihadistes, qui auraient pu être leur bras armé.

À LIRE

Tunisie : assassinat de Chokri Belaïd, l’ombre du scandale d’État

Dès juin 2022, le rôle du président d’Ennahdha avait été considéré comme majeur par le magistrat instructeur, qui lui a signifié une
interdiction de sortie du territoire (depuis, des mandats de dépôt ont été émis contre lui dans d’autres affaires).

Là encore, l’instruction est toujours en cours, tout comme celle concernant la plainte pour « infraction terroriste » déposée par le collectif en
février 2022 contre Rached Ghannouchi, son fils Moadh, son garde du corps Abdel Jalel Wal Ikram et le dirigeant du mouvement et ancien
chef du gouvernement, Ali Larayedh. Plus que sur les assassinats eux-mêmes, Rached Ghannouchi devra d’abord être entendu à propos de c
qu’il est désormais convenu d’appeler « le bras secret d’Ennahdha », et sur le rôle que celui-ci a pu jouer dans la vie politique et personnelle
des dirigeants tunisiens.

5- L’affaire Baghdadi Al-Mahmoudi peut-elle rattraper Ghannouchi ?


Dès le départ, en 2012, la gouvernance des dirigeants d’Ennahdha a été entachée par l’extradition de l’ancien Premier ministre de
Mouammar Kadhafi, Baghdadi Al-Mahmoudi. Réfugié en Tunisie après l’offensive rebelle sur Tripoli durant l’été 2011, celui-ci avait été arrêté
pour franchissement illégal de la frontière, condamné à six mois de prison et maintenu en détention après avoir purgé sa peine. Tripoli avait
demandé son extradition, mais le président tunisien de l’époque, Moncef Marzouki, avait opposé une fin de non recevoir. Le gouvernement
conduit par Ennahdha décidera pourtant de donner satisfaction aux autorités libyennes et de leur livrer l’ancien responsable le 24 juin 2012,
prenant de court la scène politique régionale.

À LIRE

Libye : la condamnation à mort de Baghdadi al-Mahmoudi suscite le malaise en Tunisie

D’après Me Marcel Ceccaldi, conseil de Baghadi Al-Mahmoudi en 2012, la livraison de son client à la Libye a été négociée au Fouquet’s, à
Paris, entre représentants tunisiens et libyens. C’est ce qu’indiquent les aveux de Saïd Ferjani, un proche de Rached Ghannouchi qui a condui
les discussions, notamment pour obtenir aux dirigeants tunisiens des dédommagements pour service rendu à la Libye. Il semble aussi que le
deux parties aient tenté d’obtenir les numéros des comptes bancaires de Kadhafi, dont les codes d’accès étaient connus d’Al-Mahmoudi.
Torturé puis condamné à mort en Libye avant d’être libéré en 2017, l’ancien Premier ministre et homme de confiance de Kadhafi envisage
aujourd’hui, selon ses conseils, d’engager des poursuites contre la Tunisie.

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