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croupion-20230315
La Tunisie retrouve un Parlement croupion

Par Maryline Dumas


Publié le 15/03/2023 à 18:02 , mis à jour le 16/03/2023 à 12:26
DÉCRYPTAGE - L’Assemblée, très mal élue et aux pouvoirs limités, a
rouvert vingt mois après avoir été suspendue par Kaïs Saïed.
Des menaces, une arrestation, des journalistes bloqués derrière un cordon policier
et des cafouillages : lundi, la première session de l’Assemblée des représentants
du peuple, élue en janvier, a attiré plus de critiques que d’espoirs. Pourtant, ce
13 mars, la Tunisie retrouvait un pouvoir législatif - diminué par une refonte totale
du système selon la volonté du président Kaïs Saïed - après presque vingt mois de
suspension.
Lundi matin, un impressionnant dispositif policier avait remplacé les véhicules
militaires qui fermaient le Parlement depuis le 25 juillet 2021 et le gel décrété par
le président de la République. Celui-ci avait alors instauré un état d’exception à
cause d’un « péril imminent » que représentait, à ses yeux, une Assemblée des
représentants du peuple (ARP) impotente et scène de toutes les chamailleries.
L’ancien professeur de droit élu en 2019 s’était ensuite octroyé les pleins pouvoirs
et a instauré, l’été dernier, une nouvelle constitution.

« Une dérive vers l’autoritarisme »

L’ARP, version IIIe République, a donc interdit, lundi, l’accès à la plénière aux
journalistes locaux et internationaux. Seules une télévision et l’agence de presse
publiques ont pu retrouver le magnifique palais beylical du Bardo. Les médias ont
protesté devant les barrières des policiers. Vice-présidente du syndicat des
journalistes, Amira Mohamed, a dénoncé un « scandale » : « Aujourd’hui, il y a
une dérive vers l’autoritarisme, le citoyen ne pourra pas savoir ce qui se passe
dans l’hémicycle. »
Fatma Mseddi, élue de Sfax, la capitale économique, a justifié ce choix de façon
à éviter de « véhiculer une image qui n’est pas appropriée du Parlement ». Peut-
être a-t-elle raison. La télévision nationale a baissé le son lorsque le doyen de
l’Assemblée, qui présidait la séance inaugurale, a hésité sur les modalités
d’élection du trio de la future présidence. L’arrestation d’un député accusé de faux
et usage de faux, juste après la prestation de serment, n’a pas été diffusée. « Je
suis pour l’application de la justice à tous, mais il faut respecter les institutions,
enrage le député Hichem Hosni. Nous avons passé trois barrages policiers avant
d’arriver dans la salle de la plénière, pourquoi n’a-t-il pas été arrêté avant ?».

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Pour Hatem Nafti, auteur de l’essai Tunisie. Vers un populisme autoritaire ? cette
arrestation n’était pas forcément organisée, mais reste un « message fort » qui fait
écho aux menaces proférées par le président Kaïs Saïed lors d’un déplacement
lundi matin : « Que les députés n’oublient pas qu’ils sont responsables devant le
peuple et que le peuple pourra leur retirer la confiance dans un an.» La
Constitution de 2021 prévoit en effet la révocabilité des élus. « Le président n’a
pas confiance dans ce Parlement, estime Hatem Nafti. La pluie de décrets
présidentiels, publiés à la veille de la séance inaugurale, en est la preuve. »

Le point commun des nouveaux députés, c’est qu’ils adhèrent tous – même
s’ils ne l’avouent pas - à l’idée que la Tunisie a besoin d’un pouvoir fort
Hatem Nafti, essayiste.

Kaïs Saïed perd effectivement son droit de légiférer dès le début des travaux de
l’Assemblée. Mais celle-ci va consacrer les quinze prochains jours à la rédaction
de son règlement intérieur. Avec une question, soulevée dimanche par le président
: y aura-t-il ou non des blocs parlementaires ? « Le président n’en veut pas. Il est
contre les strates intermédiaires car cela pervertit l’expression du peuple selon
lui », explique Hatem Nafti. Mais pour le député Hichem Hosni, ce n’est pas
envisageable et la déclaration du président a été mal interprétée : « Le chef de
l’État s’adressait aux groupes parlementaires formés par l’argent sale et la
corruption. »
Composé majoritairement d’élus indépendants - les partis politiques n’avaient pas
le droit de faire campagne -, ce quatrième Parlement depuis la révolution de 2011
a des reflets mauves, la couleur fétiche de l’autocrate Ben Ali au pouvoir de 1987
à 2011. « Le point commun des nouveaux députés, c’est qu’ils adhèrent tous -
même s’ils ne l’avouent pas - à l’idée que la Tunisie a besoin d’un pouvoir fort :
il faut un chef qui décide car le peuple n’est pas mûr pour la démocratie », juge
Hatem Nafti. Selon une enquête du média Alqatiba, une quarantaine de députés
parmi les 154 élus sur 161 sièges (sept circonscriptions n’ont pas organisé
d’élection, faute de candidat) auraient une filiation avec le Rassemblement
constitutionnel démocratique, parti unique de l’ancien régime. Deux députés ont
d’ailleurs déjà exercé ces fonctions avant 2011.

« Un bon petit soldat »

Les soutiens du président représenteraient moins d’une trentaine de sièges.


L’élection de Brahim Bouderbala, ancien bâtonnier, est d’ailleurs un signe : il a
emporté le perchoir face à Abdessalem Dahmani, candidat de l’initiative Pour que
le peuple triomphe soutenant le président. Brahim Bouderbala n’est pas pour
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autant un opposant. Celui qui s’est récemment présenté comme « un soldat de la
Tunisie » est décrit, par ses opposants, comme « un bon petit soldat de Kaïs Saïed.
» Pour Hatem Nafti, « c’est un homme qui sait s’adapter à chaque régime en
retournant sa veste ».
En cas de divergences, Kaïs Saïed devrait garder le contrôle. Il peut gouverner par
décret pendant les vacances parlementaires et dissoudre l’Assemblée dont les
pouvoirs se résument, selon les analystes, à celle d’une chambre d’enregistrement.

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