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LES INCAPACITÉS DE TRAVAIL

Des mots pour des maux


Par Morane KEIM-BAGOT, Professeur de droit privé,
Université de Bourgogne, CID EA 7531

PLAN Handicap, invalidité, inaptitude, incapacité, autant d’expressions qui


I. Notions voisines et
« appartiennent au langage des évidences quotidiennes » selon la formule de
homonymes Serge Ebersold (1), au sein d’une constellation de termes parmi lesquels on
A. Homonymes retrouve, entre autres : infirmité, impotence, faiblesse, diminution. Si elles
juridiques
sont, dans le langage courant, parfaitement synonymes, elles recouvrent
B. Notions voisines pourtant, une fois le seuil de la sphère juridique franchi, des situations diffé-
II. Porosités et rentes.
hermétismes
Il ne semble pas exister un terme dans le langage courant qui permette de
A. Porosités
rassembler l’ensemble des situations visées par ces concepts (2). Est-ce « parce
B. Hermétismes
qu’on dégrade l’inexprimable à vouloir l’exprimer (3) » ? Ou parce qu’il s’agit de
réalités tellement disparates qu’elles ne sauraient être rassemblées sous un
étendard unique ? Aussi, ce sont certains mots que le droit a choisi d’employer
limitativement pour appréhender l’infirmité, la blessure, la maladie, qu’il
s’agisse de l’affection d’origine accidentelle ou congénitale, qu’elles entraînent
un affaiblissement ou la suppression totale d’une fonction.

Par strates successives sans être nécessairement liés entre eux, sans vision
d’ensemble, sans cohérence, se sont déployés les régimes juridiques de l’inva-
lidité, de l’incapacité, de l’inaptitude et du handicap ; mécanismes dispa-
rates aux régimes juridiques distincts, éparpillés entre droit du travail, droit
de la Sécurité sociale, droit de l’aide sociale et droit de l’emploi. Le juriste en
mal de classifications et de catégories est rapidement dérouté par ce tableau
quasi surréaliste. Pourquoi sont-elles si difficiles à distinguer de prime abord ?
Pourquoi dès que l’on essaye d’en saisir une, de la définir, en surgit-il néces-
sairement une autre ? Quelle qu’en soit la raison, ce que Pierre-Yves Verkindt
et Mathilde Caron ont si magistralement analysé sous le vocable d’« image du
manque (4) » ne se présente assurément pas sous la forme d’un tableau harmo-
nieux, mais bien comme fractionnée.

Confidentielle, la question est tout de même abordée sporadiquement,


comme à l’occasion des réformes des retraites (5) ou des débats sur la création
d’une cinquième branche de la Sécurité sociale (6). À cet égard, il a été rappelé
qu’il faut reconnaître qu’il y a une « communauté de destin social, de statut
social entre les personnes âgées et les personnes infirmes (7) ». Dans les sociétés
industrielles, il semblerait ainsi que la notion de vieillesse a été longtemps
largement assimilée à une inaptitude physique au travail, du fait de l’âge.

(1) S. Ebersold, L’Invention du handicap : La Normalisation de l’infirme, (4) M. Caron, P.-Y. Verkindt, « Inaptitude, invalidité, handicap : l’image
PUF, 1992, p. 7. du “manque” en droit social », RDSS, 2011, p. 862.
(2) V. cependant l’article de Thierry Tauran dans lequel il réunit toutes (5) P. Aballea, E. Marie, « L’évaluation de l’état d’invalidité en France :
ces réalités sous le terme « invalidité », Th. Tauran, « Assurance réaffirmer les concepts, homogénéiser les pratiques et refondre le
invalidité : les régimes de Sécurité sociale, l’invalide et le juge », pilotage du risque », IGAS, RM2012-059P, mai 2012.
RDSS, 2008, p. 1128.
(6) Sur la perte d’autonomie, v. le dossier publié à la RDSS en janvier
(3) S. Weil, 1re lettre à Albertine Thévenon, février 1935 (Œuvres, 2021 : « Le risque de perte d’autonomie en question(s) », p. 3 et s.
Éditions Gallimard, 1999, coll. « Quatro », p. 141).
(7) H.-J. Stiker, « Vieillesse, pauvreté et handicap dans l’Histoire »,
Revue d’histoire de la protection sociale, no 8, 2015/1, p. 132.

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Aussi, chaque concept renvoie à un régime « mesures de sécurité sociale, de droit du travail
juridique particulier et à des règles contenues ou de droit de l’emploi ». Cet embrouillamini peut
dans des ensembles normatifs différents. alors être perçu comme un obstacle tout à la fois à
Fragmentée entre différentes branches du droit, la prise en charge des personnes placées dans ces
« l’image du manque » appert comme le miroir situations mais également à l’insertion profession-
de la fragmentation du corps lui-même. Comme nelle. Ce vide dévoile à tout le moins une absence
si, la meurtrissure du corps ou de l’esprit devait de vision d’ensemble, dont on ne peut qu’es-
se traduire par un droit éclaté. Comme si, ces pérer qu’elle ne soit pas le témoin d’une absence
brèches dans la santé devaient se traduire par un d’intérêt de la puissance publique.
éclatement de la personne entre ses différentes
Comprendre les différents mots qui régissent les
qualités, chacune devant se voir appliquer un droit
maux impose alors de procéder par étape. D’abord,
distinct.
de dévoiler ce que chaque terme vise, en ayant à
Or, si ces différents régimes juridiques mobilisent l’esprit au cours du processus la phrase de Renée
des mécanismes de compensation du manque, Canuet-Ouellet selon laquelle « l’essentiel est de ne
voire de réparation du dommage, ils occultent pas se laisser handicaper par un sentiment d’inca-
en grande partie la question du maintien dans pacité face aux déficiences terminologiques (8) » (I).
l’emploi de la personne diminuée dans sa chair. Ensuite, de soulever les porosités mais également
Et, il nous faut convenir avec Valérie Lacoste-Mary, les quelques hermétismes qui existent entre les
que le plus souvent, aucun lien n’est fait entre les différentes notions (9) (II).

I. Notions voisines et homonymes

Éparpillée entre différentes branches du droit, juridiques qui n’ont aucunement la même finalité.
« l’image du manque » peut être rendue particu- C’est le cas de l’« inaptitude ».
lièrement inintelligible lorsque, sous le même
Celle-ci désigne, dans le langage courant, « l’état
vocable, ce sont deux régimes juridiques différents
d’une personne qui n’a pas les aptitudes ou les disposi-
qui sont applicables. L’on peut alors évoquer l’exis-
tions pour quelque chose (10) ».
tence d’« homonymes juridiques » pour décrire ce
phénomène qui est l’exemple parfait de la complexité La notion a fait son apparition dans le Code du
d’un enchevêtrement qui n’a pas été pensé comme travail par la loi du 7 janvier 1981 pour protéger les
système (A). Différente est la difficulté rencontrée travailleurs victimes de risque professionnel (11). Elle
lorsqu’il est question d’appréhender des notions a ensuite été étendue aux travailleurs affectés d’une
voisines, c’est-à-dire des notions exprimées dans des inaptitude d’origine non professionnelle (12).
termes qui ne sont pas suffisamment éloignés pour Aux articles L. 1226-2 et suivants, elle constitue
que se dégage à leur lecture le sentiment de leur diffé- la seule dérogation à la prise en compte de l’état
rence (B). de santé du salarié (13) pour procéder à son licen-
ciement (14). Dans ce cadre, elle n’est pas définie.
A. Homonymes juridiques
Tout au plus peut-on estimer que l’inaptitude est
À la plus grande stupéfaction de celui qui se d’appréciation relative et temporaire. Relative au
penche sur « l’image du manque » en droit social, poste de travail ou aux postes de travail dans l’entre-
il lui arrivera de croiser un même terme utilisé pour prise voire du groupe de reclassement ; relative
qualifier deux notions distinctes dans deux branches également parce que suspendue à l’avis du médecin
du droit distinctes pour désigner deux qualifications du travail. Temporaire parce qu’elle a vocation à

(8) R. Canuet-Ouellet, L’Actualité terminologique, vol. 33, no 2, 2000, (12) L. no 90-602, 12 juil. 1990, relative à la protection des personnes
p. 19. contre les discriminations en raison de leur état de santé ou de
leur handicap, JORF, no 161, 13 juil. 1990 ; L. no 92-1446, 31 déc.
(9) Du point de vue de, il s’agit plus de notions que de concepts, v.
1992, relative à l’emploi, au développement du travail à temps
sur la distinction, A. Comte-Sponville, Dictionnaire philosophique,
partiel et à l’assurance chômage, JORF, no 1, 1er janv. 1993.
PUF, 2013, coll. « Quadrige ».
(13) C. trav., art. L. 1132-1, et L. 1133-3 selon lequel : « Les différences
(10) Trésor de la langue française, atilf.atilf.fr
de traitement fondées sur l’inaptitude constatée par le médecin du
(11) L. no 81-3, du 7 janv. 1981, relative à la protection de l’emploi des travail en raison de l’état de santé ou du handicap ne constituent
salariés, JORF, 8 janv. 1981 ; P.-Y. Verkindt, « La réparation du risque pas une discrimination lorsqu’elles sont objectives, nécessaires et
professionnel par le retour dans l’emploi », Regards, EN3S, no 51, appropriées. »
2017/1, p. 99 ; D. Asquinazi-Bailleux, « Le risque professionnel et la
(14) C. trav., art. L. 1226-2 et s.
protection de l’emploi », th. Université Nice, 1995.

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disparaître dès le reclassement ou le licenciement du Ces notions voisines sont l’incapacité, l’invalidité
salarié concerné (15). et le handicap. On pourrait chercher à les classer : les
deux premières concernent le travailleur, alors que
L’inaptitude emporte également des incidences en
le statut de travailleur est indifférent à la condition
droit de l’emploi, l’aptitude au travail étant une des
de personne handicapée. Mais ces classifications ne
conditions du bénéfice des allocations de retour à
permettraient pas une meilleure compréhension des
l’emploi prévues par l’article L. 5421-1. Cette aptitude
différentes notions. Une présentation au regard de
est présumée remplie par la simple attestation d’ins-
leurs finalités respectives – indemnitaire ou alimen-
cription comme demandeur d’emploi.
taire – ne permettrait pas plus de saisir la distinction
Moins connue est la notion d’« inaptitude » qui opérée entre les différentes notions.
existe également en droit de la Sécurité sociale, en
1. L’incapacité ou la privation de capacité
matière de pension de retraite. En effet, l’assuré dont
l’inaptitude est reconnue bénéficie, dès l’âge légal de Il est intéressant de constater que l’usage du terme
départ à la retraite, du taux plein de retraite quelle « incapacité » peut donner à penser au civiliste qu’il
que soit sa durée de cotisation (16), autrement dit, s’agit là du versant en droit social de l’accompa-
une pension de retraite substituée pour inaptitude. Là gnement des majeurs incapables du Code civil (22).
encore, l’inaptitude est relative : elle est appréciée au Intuitivement, en effet, celui qui doit bénéficier d’une
regard du poste de travail du travailleur au moment protection, en raison de son défaut de capacité, ne
où il saisit la caisse de sa demande. S’il n’est alors pas devrait-il pas être le même dont l’accompagnement
en emploi, l’on prendra en considération le dernier devrait être pris en charge au titre du risque social ?
emploi exercé dans les cinq années qui ont précédé Faut-il voir là la marque d’une différence profonde
entre vulnérabilité et infirmité ?
la demande et s’il n’y en a pas eu, au regard d’une
activité professionnelle quelconque (17). En somme, Or, de même que le droit social ne coordonne pas
son évaluation ne se rapporte pas aux mêmes critères les régimes afférant aux différentes notions voisines
que l’inaptitude en droit du travail (18). au sein de ses diverses branches, le droit civil n’a pas
semble-t-il lié de contact avec son lointain parent
Cette inaptitude nécessite une incapacité au travail
dans une telle perspective.
définitive (19) d’au moins 50 % (20), constatée médica-
lement. En droit de la Sécurité sociale, l’incapacité désigne,
au sens large, l’empêchement de travail que rencontre
En définitive, les notions d’inaptitude en droit de
une personne en raison d’une altération de son état
la Sécurité sociale et en droit du travail ne coïncident
de santé. Empêchement qui sera décrit comme une
pas. Une même personne pourra être déclarée inapte
« inaptitude », de sorte que l’intrication des termes
à tout poste dans son entreprise, sans pour autant
demeure totale.
remplir la condition de 50 % d’inaptitude exigée en
droit de la Sécurité sociale. L’Assurance-maladie connaît de la notion dès
lors qu’elle justifie l’arrêt de travail du travailleur
B. Notions voisines incapable de le poursuivre. Ainsi, elle exige de celui
Alors que l’homonymie juridique crée un imbroglio qui revendique le versement d’indemnités journa-
quasi inextricable, l’existence de notions voisines lières qu’il soit non seulement dans l’incapacité totale
n’est pas plus de nature à clarifier la situation pour de se livrer à son travail mais encore qu’il soit dans
les personnes qui y sont confrontées. Ainsi, les inapti- l’incapacité totale de se livrer à une activité profes-
sionnelle quelconque (23).
tudes précédemment décrites ne se confondent ni
avec l’invalidité, ni avec le handicap, ni même avec En droit des risques professionnels plus particu-
l’incapacité, ce qui amenait Valérie Lacoste-Mary à lièrement, on distingue classiquement incapacité
s’interroger : « Ni invalides, ni handicapés, parfois les temporaire et incapacité permanente. La première
deux, ne faudrait-il pas inventer un statut du salarié court pendant la phase traumatique subie par
inapte (21) ? » l’assuré, la seconde intervient lorsque des séquelles

(15) V. Lacoste-Mary, précit. (21) Précit.


(16) CSS, art. L. 351-8. (22) V. les articles 415 et s. du Code civil.
(17) Ibid. (23) Soc., 31 mai 2001, no 00-12.299, non publié. La même solution
(18) Sur les modalités d’instruction de la demande de retraite pour a été affirmée en matière d’indemnités journalières dues en cas
inaptitude, v. CSS, art. R. 351-22. d’arrêt faisant suite à un accident du travail, v. Soc., 16 nov. 1983,
no 82-12.684, Bull. civ., V, no 557 et plus récemment Civ. 2e, 21 juin
(19) CSS, art. L. 351-7. 2018, no 17-18687.
(20) CSS, art. R. 351-21.

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permanentes sont à déplorer. Pendant la période 2. L’invalidité ou la privation de validité
traumatique, la victime percevra des indemnités
Parent pauvre du droit de la Sécurité sociale pour
journalières destinées à compenser la perte de salaire
les auteurs du Précis (32), « angle mort de la protection
alors que l’incapacité temporaire oblige le salarié à
sociale » pour les auteurs d’un rapport de l’IGAS,
interrompre son travail (24).
l’assurance invalidité n’est pas celle qui concentre les
Les incapacités permanentes partielles sont regards ou les politiques publiques. Ce d’autant plus
d’importance extrêmement variables ; elles vont de qu’il existe de nombreux régimes différents d’inva-
la perte presque complète de l’aptitude à tout travail lidité répondant à des critères tout à fait différents,
jusqu’à la simple gêne dans l’exercice de certaines qu’il s’agisse de l’invalidité du travailleur salarié, du
professions. L’incapacité permanente partielle a été fonctionnaire, du militaire (33).
conçue au xixe siècle comme « la diminution réputée
L’invalidité vise, dans le régime général, la
incurable de l’aptitude au travail (25) ». Il ne s’agit pas
réduction d’une perte de gains ou de travail des deux
de prendre en considération la personne humaine
tiers (34). La cause de l’invalidité ne réside pas dans
dans toutes ses dimensions, seulement d’indemniser
l’activité professionnelle de l’assuré, pas plus qu’il ne
la différence existant entre le salaire qu’elle gagnait
dans le passé et celui qu’elle pourra se procurer s’agit d’une diminution originelle de la personne qui
dans l’avenir (26). L’on pourrait alors considérer qu’à aurait alors à relever des prestations aux personnes
l’instar de l’incapacité ordinaire, il s’agit de se référer handicapées. Elle vise les situations dans lesquelles
à l’incapacité d’exercer une profession quelconque. une personne voit sa capacité de travail ou de gains
Toutefois, il appert que l’incapacité permanente est diminuée, parce qu’elle connaît une altération de son
évaluée en prenant comme « référence et paradigme état de santé qui n’a pas d’origine professionnelle. Le
la perte de capacité de gains d’un ouvrier de l’industrie régime intervient pour compenser cette perte, sans
accidenté (27) ». L’incapacité du travailleur est visée indemnitaire ou alimentaire.
alors appréciée seulement à l’aune de la force de Tout au plus, l’assuré doit-il justifier d’une durée
travail d’une « machine à travailler (28) », d’un corps minimale de cotisations pour pouvoir bénéficier
laborieux (29). Si des séquelles demeurent, le salarié de cette prise en charge (35) qui se traduit par le
se verra reconnaître un taux d’incapacité permanente versement mensuel d’une pension d’invalidité (36).
partielle ou totale qui lui ouvrira droit à un capital ou Il est à noter que c’est dans une certaine indifférence
à une rente viagère en fonction du taux retenu (30). que la notion d’invalidité a été modifiée par la loi de
Le taux de l’incapacité permanente est déterminé au financement de la Sécurité sociale pour 2020. En effet,
regard d’un barème indicatif d’« invalidité » (sic) et la reconnaissance de la qualité de personne invalide
« d’après la nature de l’infirmité, l’état général, l’âge,
nécessitait jusqu’alors que la perte de capacité de
les facultés physiques et mentales de la victime ainsi
gains ou de travail soit évaluée au regard d’une
que d’après ses aptitudes et sa qualification profession-
profession quelconque. Dorénavant, l’on se réfère à
nelle (31) ».
la profession qu’il exerçait à la date de l’interruption
Ainsi, l’incapacité temporaire est celle totale de travail. Ainsi, l’invalidité se voit opérer un rappro-
d’exercer une activité quelconque, mais l’incapacité chement avec l’inaptitude en droit du travail mais
permanente est celle théorique dont serait affligé un se déconnecte un peu plus de l’indemnité journa-
manœuvre de la seconde moitié du xxe siècle. L’on ne lière maladie qui continue à se référer à la profession
sauve même pas ici les apparences de cohérence. quelconque.

(24) CSS, art. L. 431-1, 2o. (30) CSS, art. L. 431-1, 4o et L. 434-1 et s.
(25) A. Sachet, Traité théorique et pratique de la législation sur les (31) CSS, art. L. 434-2.
accidents du travail et les maladies professionnelles, F. Casteil
(32) M. Borgetto, R. Lafore, Droit de la Sécurité sociale, Dalloz, 2019,
(éd), Librairie du Recueil Sirey, 1934, t. I, p. 449, 8e éd.
coll. « Précis », 19e éd.
(26) A. Sachet, Traité théorique et pratique de la législation sur les
(33) Pour une approche globale des questions liées à l’invalidité,
accidents du travail et les maladies professionnelles, Librairie du
v. P. Aballea, E. Marie, IGAS, précit.
Recueil Sirey, 1921, t. I, p. 334, 6e éd.
(34) CSS, art. L. 341-1.
(27) Y. Lambert-Faivre, S. Porchy-Simon, Droit du dommage corporel,
Dalloz, coll. « Précis », p. 115, 8e éd. (35) CSS, art. L. 341-2.
(28) G. Lyon-Caen, « Les victimes d’accidents du travail, victimes aussi (36) V. l’article R. 341-4 du Code de la Sécurité sociale. Le versement
d’une discrimination », Dr. soc., 1990, p. 737. de la pension d’invalidité prend fin avec la retraite du salarié. Si
elle s’arrêtait automatiquement aux 60 ans de l’assuré, elle peut
(29) M. Bonnechère, « Le corps laborieux : Réflexions sur la place
se poursuivre, depuis le 1er mars 2010, jusqu’à 65 ans.
du corps humain dans le contrat de travail », Dr. ouv., mai
1994. V. également, F. Meyer, « Accidents du travail et maladies
professionnelles : la longue quête des victimes pour obtenir une
meilleure réparation du dommage corporel », Dr. ouv., 2016, p. 603.

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Une fois reconnu invalide, l’assuré est classé suivant ainsi la séquence de Wood (43) : déficience,
dans une des trois catégories d’invalidité prévues à incapacité et désavantage. La déficience est la perte
l’article L. 341-4 du Code de la Sécurité sociale. Dans de substance ou l’altération d’une structure ou d’une
la première catégorie, l’on retrouve les invalides fonction psychologique, physiologique ou anato-
capables d’exercer une activité professionnelle ; dans mique. La déficience correspond à l’aspect lésionnel
la deuxième, ceux absolument incapables d’exercer et équivaut, dans sa définition du handicap, à la
une profession quelconque ; dans la troisième, ceux notion d’altération de fonction. L’incapacité (44), dont
qui nécessitent en plus l’assistance d’une tierce
on voit qu’elle n’a décidément rien à voir avec celle
personne pour effectuer les actes ordinaires de la vie.
précitée en droit de la Sécurité sociale, est la réduction
Malgré la définition ainsi posée des différentes résultant d’une déficience, partielle ou totale, de la
catégories d’invalidité, l’assuré placé en deuxième capacité d’accomplir une activité d’une façon ou dans
catégorie, décision justifiée par son incapacité totale les limites considérées comme normales pour un être
à exercer une activité professionnelle quelconque, humain. L’incapacité correspond ici alors à l’aspect
pourra continuer à exercer une activité profession- fonctionnel dans toutes ses composantes physiques
nelle. Et, en ce qui concerne la troisième catégorie, la ou psychiques et équivaut, dans la définition du
Cour de cassation a déjà exprimé par le passé sa diffi- handicap, à la notion de limitation d’activité. Elle
culté à dégager une notion claire d’actes ordinaires de peut être comprise comme « transitive » et relative
la vie tout en préservant l’appréciation souveraine des
dans la mesure où il s’agit toujours d’une incapacité
juges du fond (37).
à faire quelque chose (45). Le désavantage représente
En 2017, il y avait 822 000 personnes en France qui les limitations, voire l’impossibilité, de l’accomplis-
bénéficiaient d’une pension d’invalidité (38). sement d’un rôle social normal en rapport avec l’âge, le
sexe, les facteurs sociaux et culturels. Le désavantage,
3. Le handicap (39)
et donc la situation concrète de handicap, résulte de
Inscrit pour sa part dans le Code de l’action sociale l’interaction entre la personne porteuse de déficience
et des familles, le handicap nécessite de se familia- et/ou d’incapacités et son environnement.
riser à de nouveaux termes. Il a pu poser de très
nombreuses difficultés, d’abord, parce qu’il s’agit Puis, elle a adopté une approche plus générique
d’un anglicisme peu signifiant pour une oreille du terme handicap, comprenant les déficiences, les
française (40). Ensuite, parce que c’est « à travers le limitations d’activité et les restrictions de partici-
langage du handicap que l’on aborde communément pation en élaborant la classification internationale
la problématique de la différence, de l’altérité. C’est du fonctionnement (CIF) entérinée en 2001 par
celui que l’on retient généralement pour opposer le l’Assemblée mondiale de la santé (46).
normal au pathologique, les normaux à ceux qui sont
En droit interne, pour en finir avec les difficultés
atteints d’une déficience, d’une particularité (41) ».
posées par le terme « handicap », la loi du 11 février
Selon l’OMS, le terme « handicap », générique, 2005 en a donné la définition suivante : « constitue
recouvrirait toutes les déficiences, limitations un handicap […] toute limitation d’activité ou de
d’activité et restrictions de participation. Sous cette restriction de participation à la vie en société subie dans
bannière, ce sont près d’un milliard d’êtres humains, son environnement par une personne en raison d’une
sur les sept milliards qui peuplaient la planète en
altération substantielle, durable, définitive, d’une ou
2011, qui seraient rassemblés (42).
plusieurs fonctions physiques, sensorielles, mentales,
L’organisation avait d’abord défini le handicap cognitives, ou psychiques, d’un polyhandicap ou d’un
en opérant la distinction entre trois terminologies, trouble de santé invalidant (47) ».

(37) Cour de cassation, Rapport annuel, 2018, p. 59. (43) P. H. N. Wood, « Classification of Impairments and Handicaps »,
World Health Organization (WHO/ICD 9/REV. CONF/75, 15), 1975.
(38) Cour des comptes, rapport « Sécurité sociale », 2019, chapitre IV.
(44) Sur la notion d’incapacité dans la sphère du handicap,
(39) Sur la notion de handicap et son traitement, v. la thèse de L. Joly,
v. E. Cambois, J.-M. Robine, « Concepts et mesure de l’incapacité :
L’Emploi des personnes handicapées entre discrimination et
Définitions et application d’un modèle à la population
égalité, Dalloz, 2015, coll. « Nouvelle Bibliothèque de thèses »,
française », Retraite et société, no 39, 2003/2, p. 59.
vol. 147 ; v. également N. Marquis, « Le handicap, révélateur
des tensions de l’autonomie », Revue interdisciplinaire d’études (45) N. Marquis, précit.
juridiques, vol. 74, 2015/1, p. 109.
(46) https://www.who.int/classifications/international-classification-
(40) S. Ebersold, L’Invention du handicap : La Normalisation de of-functioning-disability-and-health
l’infirme, C. de Montlibert (préf.), PUF, 1992.
(47) L. no 2005-102, 11 février 2005, pour l’égalité des droits et des
(41) Ibid. chances, la participation et la citoyenneté des personnes
handicapées, JORF, 12 févr. 2005.
(42) OMS, « Rapport mondial sur le handicap 2011 » (disponible sur le
site Internet www.who.int.).

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Il ne s’agit pas d’une approche psycho-médicale. Outre les questions de prestations d’aide sociale,
Elle s’attache, au contraire, à définir le handicap à la question du handicap vient se poser avec acuité
partir de ses conséquences potentielles ou réelles (48). dès lors qu’il s’agit, notamment dans le volet droit
du travail, de prévenir ou de sanctionner les discrimi-
En conséquence, la personne peut se voir accorder,
entre autres, le versement de l’allocation aux adultes nations dont seraient victimes les personnes handi-
handicapés (AAH) décidée par la Commission des capées (50). C’est là une approche qui n’est pas
droits et de l’autonomie des personnes handicapées retrouvée en matière d’incapacité ou d’invalidité.
(CDAPH), sur avis du médecin de la maison départe- Ainsi, le handicap s’appuyait sur l’incapacité, qui
mentale des personnes handicapées. L’allocation est continue à s’appuyer, quant à elle sur l’inaptitude, de
versée à la personne soit parce qu’elle justifie d’un même que l’invalidité.
taux d’incapacité supérieur ou égal à 80 %, soit qu’il
soit compris entre 50 et 79 % auquel vient s’ajouter La clarification des notions semblant impossible,
une restriction substantielle d’accès à l’emploi (49). nous avons tenté d’en poser au moins les éléments
Elle peut également demander la reconnaissance de la saillants. Une fois ce travail fait, il reste à révéler les
qualité de travailleur handicapé (RQTH) qui s’adresse porosités mais également les poches d’hermétisme
aux personnes qui sont en « capacité » de travailler entre elles.
mais qui rencontrent des difficultés pour certaines
activités professionnelles en raison de leur handicap.

II. Porosités et hermétismes

S’il semble déjà particulièrement difficile de le régime juridique applicable à leur situation et
distinguer les notions entre elles parce que les mots bénéficier du régime le plus favorable.
n’ont pas été adaptés aux maux, force est de constater
1. Confusions
qu’existent entre elles des porosités les rendant plus
difficiles à appréhender, mais également des poches Dans le dédale des confusions qui sont induites
d’hermétisme tout aussi incompréhensibles. par les définitions intriquées des différentes notions,
l’on trouve à la fois l’usage indifférencié des différents
A. Porosités termes au mépris de toute cohérence et la possibilité
Dans son inventaire, Prévert faisait se suivre une de cumuler les prestations (51).
douzaine d’huîtres, un citron, un pain, un rayon de Ainsi, concernant l’inaptitude-retraite, il est acquis
soleil sans qu’une cohérence semble se dégager de qu’elle nécessite la reconnaissance d’un taux d’inca-
cette suite de mots. C’est un peu le sentiment que pacité de 50 % (52). Pourtant, cette condition de
peut éprouver le lecteur qui s’attache aux porosités taux est écartée pour les salariés dont l’invalidité
qui existent entre les différentes formes d’infirmités. a été reconnue avant leurs 60 ans (53), et pour les
Il en résulte une profonde confusion. personnes qui bénéficient d’une allocation adulte
Celle-ci est critiquable à deux égards. D’abord, handicapé (AAH), leur handicap étant reconnu
parce que le droit doit tendre à l’intelligibilité pour supérieur à 80 % (54). Ainsi, l’invalidité et le handicap
peuvent caractériser l’inaptitude, dans la sphère de
garantir l’effectivité des droits. Ensuite, parce qu’en
l’assurance-vieillesse.
l’occurrence, outre le fait que cet objectif ne semble
pas être poursuivi, toute intelligibilité est perdue, ce Que penser, par ailleurs, de l’ancienne carte d’inva-
alors que ces règles s’adressent et s’appliquent à ceux lidité, aujourd’hui « carte mobilité inclusion » avec
qui au sein de notre société sont, le plus souvent, les mention « invalidité », qui nécessite pour son octroi,
plus précaires. Confusion que certains pourraient être que la personne se voie reconnaître un taux de
tentés de transformer en avantage pour contourner handicap de plus de 80 % (55) ?

(48) M. Borgetto, R. Lafore, Droit de l’aide et de l’action sociales, (53) V. les articles L. 341-1 et s. du Code de la Sécurité sociale.
Éditions Lextenso, 2018, coll. « Précis Domat droit public », 19e éd.
(54) L’allocation aux adultes handicapés est versée aux personnes
(49) CASF, art. L. 244-1 ; CSS, art. L. 821-1. présentant un handicap. V. ensemble les articles L. 821-1 et
(50) L. Joly, précit. D. 821-1 du Code de la Sécurité sociale.

(51) Sur ce point, v. S. Selusi, « Pluralité des acteurs et des procédures : (55) CASF, art. L. 241-3.
cohérence ou concurrence ? », v. ce dossier.
(52) CSS, art. R.351-21.

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Que penser encore de ce que l’incapacité perma- associée à une nette diminution de force, ne pourrait
nente partielle du salarié ayant subi un accident du plus élever ou sceller un mur de parpaings. Il sera sans
travail ou une maladie professionnelle est évaluée doute inapte au poste de travail et licencié faute de
au regard du barème indicatif d’« invalidité » des pouvoir être reclassé. Or, son taux d’incapacité sera
accidents du travail et des maladies profession- au mieux évalué à 20 % ce qui donne droit à une rente
nelles (56) ? équivalente à 10 % de son salaire antérieur, tout au
plus. Dans la mesure où le risque de désinsertion
Et que penser enfin de cet attendu de principe d’un
professionnelle et le risque économique en découlant
arrêt de la deuxième chambre civile selon lequel :
est redouté, certains vont renoncer à une telle décla-
« l’incapacité qui ouvre droit aux indemnités journa-
ration pour lui préférer une demande d’invalidité.
lières en cas d’accident du travail ou de maladie
professionnelle, s’entend non de l’inaptitude de la D’autres devront déterminer s’ils préfèrent une
victime à reprendre son emploi antérieur à l’arrêt de pension d’invalidité plus avantageuse sur le plan
travail mais de celle d’exercer une activité salariée financier mais s’arrêtant à la retraite, ou une rente AT,
quelconque (57) » ? moins élevée mais viagère (60).

2. Stratégies de contournement Un autre exemple peut être trouvé dans les patho-
logies psychologiques, dont la reconnaissance au
Face à la complexité de chacun des régimes, mais titre du risque professionnel fait figure de parcours
grâce aux porosités précitées, la personne affectée du combattant (61). En ce cas, certaines victimes
d’une infirmité ou d’une déficience peut être tentée d’une souffrance psychique d’origine profession-
de demander le bénéfice d’un autre régime, soit nelle ne déclarent pas leurs troubles psychologiques
parce qu’elle craint les conséquences de son régime au titre des maladies professionnelles lui préférant
d’origine, soit parce que le bénéfice de l’autre régime le régime juridique de l’invalidité, plus accessible et
est plus aisé. leur permettant d’accéder à un niveau plus élevé de
Ainsi, ce sont de véritables stratégies, fondées prestations. Plus largement, les rapports successifs
notamment sur le benchmark, entre les différents de la Cour des comptes mettent en exergue la sous-
régimes qui peuvent être marginalement observées. déclaration des dommages corporels survenus au
travail, qui est également le fait des travailleurs qui ne
Dans la hiérarchie des images du manque, il est souhaitent pas relever de ce régime.
certainement plus intéressant de demander l’inva-
Dans la comparaison entre les régimes, l’AAH serait,
lidité que de faire reconnaître l’accident du travail, et
par ailleurs, tout à la fois plus attractive et plus aisée
plus intéressant de demander le bénéfice de l’AAH que
à obtenir qu’une pension d’invalidité. L’on est ainsi
celui de l’invalidité.
passé, sans que les stratégies l’expliquent à elles
Le système de reconnaissance des accidents seules, de 122 000 bénéficiaires de l’AAH en 1976,
du travail et des maladies professionnelles peut année de son entrée en vigueur, à 471 000 en 1983 et,
ainsi receler des éléments dissuasifs (58). En ce qui en 2017, à 1 160 000.
concerne les rentes accidents du travail et maladies
Ainsi un rapport de la Cour des comptes pointait-il
professionnelles, le taux d’incapacité ne viendra
déjà, en 1993, que cette situation emporte des effets
indemniser que les séquelles fonctionnelles et non
nocifs « d’abord parce qu’elle aboutit à traiter diffé-
le préjudice économique ou la perte d’emploi en cas
remment des personnes souffrant d’une incapacité
de licenciement pour inaptitude consécutif à la surve-
identique ; ensuite parce qu’elle détourne l’AAH de
nance du dommage (59).
son but : le fait que cette dernière soit accordée très
Le rapport Diricq donne un exemple saisissant : un libéralement ayant pour résultat qu’elle cesse d’être
maçon qui aurait une épaule dont l’amplitude serait le minimum de ressources réservé aux personnes
réduite à une élévation antérieure de 60o, avec une handicapées dépourvues d’une couverture sociale,
gêne fonctionnelle douloureuse du membre supérieur pour devenir un complément voire un substitut à une

(56) Annexé au Code de la Sécurité sociale. JCP S., 2015, p. 1082, note D. Asquinazi-Bailleux ; Soc., 6 oct.
2015, no 13-26.052, Dr. soc., 2015, p. 1043, note M. Keim-Bagot.
(57) Civ. 2e, 21 juin 2018, no 17-18587 ; BJT, oct. 2018, no 110h1, note
M. Keim-Bagot. (60) J. Norowczyk, P. Dharéville, « Rapport fait au nom de la commission
d’enquête sur les maladies et pathologies professionnelles dans
(58) N. Diricq (prés.), « Rapport de la commission instituée par l’article
l’industrie (risques chimiques, psychosociaux ou physiques) et
L. 176-2 du Code de la Sécurité sociale », La Documentation
les moyens à déployer pour leur élimination ».
française, 2011.
(61) C. Willmann, « Pathologies psychiques : le tableau sombre des
(59) 
Ch. mixte, 9 janv. 2015, no 13-12.310, D., 2015, p. 2283,
maladies professionnelles », Dr. soc., 2020, p. 995.
obs. M. Bacache, A. Guégan-Lécuyer et S. Porchy-Simon ;

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pension d’invalidité ; enfin parce que ce détournement reposait sur une cause réelle et sérieuse. Elle affirme
d’objet profite à ceux qui ont les ressources les plus que : « seul le médecin du travail est habilité à apprécier
importantes et donc contrarie le caractère redistributif l’aptitude du salarié à un poste de travail (67) ».
de l’AAH (62) ».
La Cour de cassation avait déjà invalidé le raison-
Ce constat est fait à nouveau par la Cour des nement qui consistait à considérer que l’invalide
comptes dans son rapport de 2019 sur la Sécurité de deuxième catégorie ne pouvait percevoir une
sociale (63). Elle relève ainsi une attraction croissante allocation de l’assurance-chômage (68). L’article
de l’AAH pour les titulaires de pension d’invalidité les L. 5421-1 (69) du Code du travail prévoit la possibilité
plus modestes. pour les travailleurs privés d’emploi de bénéficier
d’un revenu de remplacement (70). Mais ce texte vise
Il peut, par ailleurs, se trouver que la personne se
les travailleurs « aptes au travail ». La cour d’appel
trouve dans une situation de conflit négatif de législa-
de Bordeaux avait considéré que le salarié qui s’était
tions de prise en charge de l’infirmité. Ainsi les profes-
vu reconnaître la deuxième catégorie d’invalidité,
seurs Borgetto et Lafore pointent-ils l’hypothèse dans
ne remplissait pas, par conséquent, cette condition
laquelle l’assuré ne parvient pas à remplir l’exigence
d’aptitude, et ne pouvait dès lors bénéficier de
d’une invalidité des deux tiers. Malgré l’invalidité
l’allocation chômage. La chambre sociale décidait
dont il est alors frappé, l’empêchant de retrouver un
que : « l’attribution d’une pension d’invalidité de la
emploi, l’assuré est inexorablement entraîné vers
deuxième catégorie par un organisme de Sécurité
l’assurance-chômage qui procèdera à son indemni-
sociale n’implique pas que son bénéficiaire soit inapte
sation, non à raison de son état de santé mais de la
au travail (71) ». Pas plus, « une convention collective ne
privation d’emploi qui le frappe (64).
peut-elle prévoir une résiliation de plein droit du contrat
B. Hermétismes de travail en raison du classement du salarié dans une
catégorie d’invalidité déterminée et dispenser en ce cas
La Cour de cassation a été amenée à préciser que
l’employeur de l’avis du médecin du travail (72) ».
la reconnaissance de l’état d’invalidité de l’assuré
n’impliquait pas la reconnaissance automatique Ces décisions consacrent l’autonomie du droit de la
de l’état d’inaptitude du salarié, et ne justifiait pas Sécurité sociale (73) et du droit du travail. Mais pour
de facto son licenciement pour inaptitude (65). Il le salarié comme pour l’employeur, elles sont incom-
s’agissait, en l’espèce, du cas d’un salarié qui avait préhensibles.
introduit une demande de bénéfice de la législation
Comment peut-on décemment espérer d’une
des personnes invalides. À la suite de la décision de la
personne qu’elle comprenne ces subtilités ? Comment
CPAM, il saisissait un tribunal du contentieux de l’inca-
attendre d’un salarié licencié pour inaptitude qu’il
pacité qui lui reconnaissait le bénéfice de la deuxième
comprenne qu’il n’a pas droit à l’inaptitude au sens
catégorie d’invalidité. Celle-ci implique que le salarié
du droit de la sécurité sociale ?
présente une perte de capacité de gain ou de travail
des deux tiers, associée à l’impossibilité d’exercer une L’on peut soulever les mêmes interrogations dans le
profession quelconque (66). L’employeur, se fondant contentieux de la Sécurité sociale. Comment attendre
sur cette décision du TCI, s’était estimé dispensé de d’un assuré qu’il comprenne qu’on lui a reconnu un
rechercher les possibilités de reclassement du salarié. taux de 66,6 % de perte de capacité de gains dans le
La Cour de cassation censure la solution dégagée par cadre de l’invalidité, qu’il n’a droit qu’à 5 % d’IPP en
la cour d’appel de Dijon qui avait jugé que le licen- accident du travail et qu’à 50 % au titre de l’allocation
ciement pour inaptitude, prononcé sur ce fondement, aux adultes handicapés ? Ces subtilités atteignent

(62) Cour des comptes, « Rapport public particulier : Politiques (68) V. Soc., 22 févr. 2005, no 03-11.467, Bull. civ., V, no 60, Dr. soc., 2005,
sociales en faveur des personnes handicapées adultes », nov. p. 592, note P.-Y. Verkindt.
1993, v. spéc., p. 146 et s.
(69) Anciennement article L. 351-1 du Code du travail.
(63) https://www.ccomptes.fr/system/files/2019-10/20191008-rapport-
(70) V. également l’article L. 5422-1 du Code du travail.
securite-sociale-2019-2.pdf
(71) V. Soc., 22 févr. 2005, op. cit.
(64) M. Borgetto, R. Lafore, Droit de la Sécurité sociale, Dalloz, 2019,
coll. « Précis », 19e éd. (72) V. également Soc., 7 déc. 2011, no 10-15.222, Bull. civ., V, no 294,
JCP S, 2012, p. 1109, note N. Dauxerre.
(65) Soc., 20 mars 2006, no 05-40.526, Bull. civ., V, no 283 ; v. M. Pierchon,
« Invalidité, inaptitude et reclassement ou l’autonomie du juge (73) Sur l’autonomie du droit de la Sécurité sociale, v. J. Barthélémy,
du travail vis-à-vis du juge du contentieux de l’incapacité », fiche « Peut-on dissocier le droit du travail et le droit de la Sécurité
pratique, JCP S, 2007, p. 1073. sociale ? Contribution à la théorie des vases communicants »,
Libres propos, Dr. soc., p. 787 et s., spéc. p. 789 ; O. Kuhnmunch,
(66) V. l’article L. 341-4 2o du Code de la Sécurité sociale.
« Essai sur les relations entre le droit du travail et le droit de la
(67) V. également Soc., 25 janv. 2011, no 09-42.776, Bull. civ., V, no 30, Sécurité sociale » in J. Barthélémy (dir.), Droit social français :
JCP S, 2011, p. 1152, note C. Leborgne Ingelaere. L’Année 1997, Éditions Litec 1998, p. 11.

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leur paroxysme si l’on confronte les régimes juridiques juges sont ainsi amenés à traiter des mêmes questions
de l’invalidité, du handicap, et de l’accident du travail. mais sous des angles différents (74). Les juridictions
Une même personne peut relever potentiellement des de la sécurité sociale traitent de la reconnaissance et
trois régimes. Mais dans ce cas, elle se verrait recon- de la réparation des lésions professionnelles, tandis
naître des taux d’incapacité et d’invalidité différents que le conseil de prud’hommes connaît des répercus-
selon le régime envisagé, pour sa plus grande incom- sions de l’incapacité du salarié sur son emploi (75).
préhension. Cet éclatement du travailleur devant les juridictions,
alternativement comme un salarié, ou comme un
Les litiges concernant la santé au travail sont
assuré, voire comme un bénéficiaire, ne permet pas
éclatés entre le conseil de prud’hommes et les juridic-
de penser la personne dans son unité, ni de penser
tions de la Sécurité sociale, dès lors que le salarié a
l’image du manque dans la cohérence.
été victime de la réalisation d’un risque professionnel
qui a engendré des conséquences sur son emploi. Les Morane Keim-Bagot

(74) V. J. Barthélémy, précit., spéc. p. 789-790. à une autre juridiction par la loi, notamment par le Code de la
Sécurité sociale en matière d’accidents du travail et de maladies
(75) V. l’article L. 1411-1 du Code du travail. V. également l’article
professionnelles ».
L. 1411-4 du Code du travail qui prévoit l’incompétence du
conseil de prud’hommes « pour connaître des litiges attribués

LORRAINE CŒUR D’ACIER


Histoire d’une radio pirate,
libre et populaire (1979-1981)
Par Tristan Thil (Scénario) et
Vincent Bailly (Dessin)
C’est l’histoire d’une radio pirate qui défie le
pouvoir : il y a quarante ans, Lorraine Coeur
d’Acier posait, pour toujours, un jalon essentiel
dans l’histoire des luttes et des radios libres.
Une radio populaire qui libère la parole d’une
population tout entière. Lorraine Coeur d’Acier ?
Le 12 décembre 1978, sous la présidence de
Valéry Giscard d’Estaing, est annoncé le plan
Davignon qui va liquider la sidérurgie dans le
bassin lorrain. Début mars 1979 débarquent à
Longwy les journalistes Marcel Trillat et Jacques
Dupont : à l’instigation de la CGT, les deux
journalistes vont animer des mois durant ce qui
allait devenir une radio à nulle autre pareille,
une radio de lutte, une radio illégale défiant
le pouvoir giscardien, mais aussi une radio
Editeur : Futuropolis « libre », au sens plein de ce terme. Une radio
Avril 2021 ouverte à tous. « Y compris aux gauchistes et
ISBN-9782754828871 à la droite ? », s’étrangle Eugène. C’est juré, il
88 pages – 17 euros n’y mettra jamais les pieds. Camille, à rebours
de son père, la fréquentera chaque jour, et pas
seulement pour la belle voix de Mathilde...

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