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réalités pédiatriques # 175_Décembre 2012

Revues générales
Maltraitance

Comment diagnostiquer
un syndrome des enfants battus ?

RÉSUMÉ : La clinique des aspects dermatologiques des maltraitances de l’enfant est diverse. Si certaines
lésions peuvent être facilement évocatrices d’un mécanisme susceptible d’avoir induit une maltraitance,
d’autres peuvent évoquer des lésions dermatologiques d’origines différentes.
Il convient dans tous les cas de recueillir les éléments du contexte de la consultation, seuls susceptibles de
relier à leur origine probable des lésions suspectes et d’induire des mesures de signalements administratifs
(CRIP) ou judiciaires les plus appropriés.

“ L a protection judiciaire des


mineurs telle que définie
par l’article 375 du code civil
privilégie la notion de danger à celle de
maltraitance.”
de violences physiques (les violences
sexuelles ne seront pas traitées dans cet
article).

Les manifestations cutanées évoquées


prioritairement dans ce chapitre sont les
Les enfants maltraités sont parmi les plus fréquentes des maltraitances phy-
deux sous-catégories constituant celles siques. Elles peuvent être sources d’er-
des enfants en danger, ceux qui sont vic- reurs diagnostiques par excès comme par
times de violences physiques, d’abus défaut et s’intègrent dans une démarche
sexuels, de violences psychologiques ou diagnostique globale de prise en charge
de négligences lourdes ayant des consé- dans le contexte de maltraitance [3].
quences graves sur le développement
physique et psychologique [1].

➞ A. BOURRILLON [ Les conditions de l’examen [4]


Service de Pédiatrie générale,
Hôpital Robert Debré,
PARIS.
[ Epidémiologie L’examen doit être complet et conduit
sur un enfant totalement déshabillé et
La complexité des systèmes de signale- mis en confiance.
ment puis de suivi des prises en charge
des enfants en danger justifie que l’Ob- Il vise à :
servatoire national de l’enfance en dan- – observer le comportement et les réac-
ger (Oned), créé à la date du 1er janvier tions générales de l’enfant (irritabilité,
2004, n’a pu encore mettre en cohérence hostilité, indifférence),
les chiffres des diverses sources [2]. – analyser l’aspect physique, la qualité de
l’éveil psychomoteur, la qualité d’hygiène,
Au prix de ces incertitudes, on peut – examiner les téguments en évitant tout
évaluer que parmi les 95 000 enfants geste douloureux ou susceptible d’appa-
signalés en 2005, 20 000 environ étaient raître agressif,
réellement maltraités (75 % âgés de – rechercher toute mobilité douloureuse
moins de 3 ans) ; 6 600 étaient victimes des membres (fractures),

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– palper éventuellement la fontanelle l Les ecchymoses


antérieure si celle-ci est encore per-
méable (nourrisson). Ce sont les manifestations cutanées les
plus fréquentes. Leur identification est
1. Lésions tégumentaires évocatrices banale chez l’enfant dans un contexte
de maltraitance [4-5] traumatique de fréquence accidentelle
(courses et jeux).
Ces lésions regroupent les ecchymoses,
les brûlures, les morsures, les atteintes Leur topographie habituelle se situe sur
Fig. 4 : Brûlure de cigarette.
des phanères, les lésions des muqueuses les membres inférieurs (face antérieure
(buccales). des tibias), voire sur les avant-bras. bien délimitées évoquant des brûlures
par cigarettes (fig. 4). Les brûlures sup-
Leur caractère insolite (signes d’alerte) posées intentionnelles sont uniques ou
[6] est lié à : multiples, et siègent le plus habituelle-
– leur siège (visage, cuir chevelu, ment sur la face des mains et des pieds.
oreilles) ; parties couvertes (thorax,
région dorsale), Les brûlures par contact avec de l’eau
– leur morphologie : linéaire (fil, tringle) ; bouillante sont les plus fréquentes. Elles
évocatrice d’une empreinte des doigts ; peuvent être consécutives à une immer-
semi-ovalaire ou en boucle (coup de cra- sion forcée (lésions symétriques à bords
vache ou de ceinture) (fig. 1), nets), volontiers localisées au siège et aux
– le caractère régulièrement circonfé- extrémités (en gants et en chaussettes).
rentiel (poignet, cheville : enfant ligoté)
(fig. 2), Les lésions situées sur les faces dorsales
Fig. 1 : Flagellations.
– l’âge des lésions parfois difficile à des mains sont plus évocatrices de brû-
préciser, car elles peuvent être récentes lures intentionnelles que de brûlures
(lésions douloureuses, tendues, œdéma- accidentelles généralement situées sur
tiées) ou plus anciennes selon l’évolu- la face plantaire des doigts.
tion de la coloration des ecchymoses.
Les brûlures sont à différencier de lésions
Il ne faut pas confondre les ecchymoses dermatologiques : cellulite ou érythème
avec : solaire (brûlures du 1er degré) ; lésions
– d’autres lésions purpuriques liées à des vésicobulleuses d’origine infectieuse ou
troubles de l’hémostase, allergique (brûlures du 2e degré).
– des taches mongoloïdes, des héman-
Fig. 2 : Enfant ligoté. giomes… l Morsures [8]
– des hématomes liés à des rituels d’en-
dormissement (fig. 3), Les morsures intentionnelles évoquant
– des indices de pratiques culturelles des sévices infligés par un adulte sont
(cao-giao des Asiatiques). caractérisées par un écart entre les traces
d’incisives supérieur à 3 cm.
Etre toujours en alerte devant des ecchy-
moses multiples d’âges différents et loca- l Atteintes des phanères
lisées dans une même région du corps.
Une alopécie peut être le cas de mal-
l Les brûlures [7] traitance lié à une traction des cheveux
(fig. 5). Cette hypothèse diagnostique
Il convient de différencier les brûlures doit être différenciée des alopécies liées
accidentelles généralement superfi- à la teigne ou à la pelade ou intégrées au
cielles ayant en général des bordures contexte parfois trompeur d’une tricho-
inégales, et les brûlures supposées inten- tillomanie (cheveux cassés avec zones
Fig. 3 : Rituel d’endormissement. tionnelles : brûlures circonscrites, rondes de repousses régulières).

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>>> Associés à d’autres manifestations signes et la date de la première consulta-


évocatrices de maltraitance : tion médicale,
– douleurs évoquant une atteinte osseuse – l’incohérence entre le motif invoqué
(radiographies du squelette complet de la consultation et les signes cliniques
chez le nourrisson), observés,
– manifestations neurologiques, notam- – la responsabilité reportée sur une
ment si convulsions + pâleur, évoca- tierce personne,
trices d’un hématome sous-dural ou – surtout le manque d’intérêt manifesté
d’un “enfant secoué”, par la famille face à un pronostic évalué
– manifestations viscérales, révélant chez l’enfant comme sévère.
des anomalies de l’examen abdominal
Fig. 5 : Alopécie.
imposant en premier lieu une échogra-

L’arrachement des ongles est évocateur


phie abdominale. [ Orientation et prise en charge
de maltraitance s’il siège au niveau des Le syndrome de Silverman est carac- >>> Orientation ambulatoire
parties proximales. L’arrachement acci- térisé par la coexistence de lésions
dentel peut être lié à un doigt coincé osseuses (fractures multiples ; arrache- Le médecin traitant peut choisir d’in-
dans une porte ou dans un autre contexte ments métaphysaires ; décollements tervenir dans un premier temps auprès
bien précisément décrit. périostés) d’âges différents avec cals des structures administratives de la CRIP
osseux. (Cellule de recueil des informations
l Lésions des muqueuses buccales préoccupantes), des services de PMI
3. Les facteurs de risque ou de l’ASE (Aide sociale à l’enfance)
Elles correspondent souvent à des brû- ou orienter l’enfant vers une structure
lures thermiques, et sont fortement Ils permettent de cibler l’orientation hospitalière.
évocatrices d’une origine exogène non étiologique d’une maltraitance, et peu-
accidentelle (fig. 6). vent être : >>> Orientation hospitalière
>>> propres au responsable de l’enfant :
Quels que soient les signes cutanés anor- – contexte socio-économique difficile, L’hospitalisation est souhaitable devant
maux évocateurs de sévices à enfant, – contexte familial vulnérable : jeune âge toute suspicion de maltraitance.
l’argumentation étiologique peut être parental ; famille monoparentale…,
difficile. – contexte psychologique : psychose, Elle est obligatoire en cas de maltraitance
dépression, sévices au cours de l’en- physique avérée ou de complications
fance, sévères de celle-ci.
– contexte addictif : éthylisme, toxico-
manie. Elle est au mieux consentie par la
famille dans un climat de confiance et
>>> propres à l’enfant : d’alliance thérapeutique. Elle est facili-
– prématurité, handicap, séparation tée par l’accord de l’un des deux parents,
familiale précoce, que la justification soit véritable ou un
– pleurs incessants, troubles du compor- prétexte.
tement ou du sommeil.
Fig. 6 : Brûlure thermique linguale.
En cas de refus de ceux-ci, et dans
>>> propres à la fratrie : une situation de danger immédiat, ou
2. Les indices de suspicion – hospitalisations répétées, si existent des menaces de retrait de
– mort subite inexpliquée, l’enfant de l’hôpital, il est nécessaire
>>> Dermatologiques : – antécédents administratifs : placement, de faire appel en urgence au procureur
– morphologie évoquant un objet trau- décision judiciaire. de la République ou à son substitut, et
matisant, de formuler, s’il y a lieu, une demande
– topographie peu compatible avec une Retenir comme éléments d’orientation d’OPP (ordonnance de placement pro-
cause accidentelle, anamnestique les plus précis mais à éva- visoire), permettant le maintien légal
– coexistence de lésions polymorphes ou luer de façon non interprétative : de l’enfant au sein de la structure hos-
d’âges différents. – le délai inexplicable entre le début des pitalière.

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Exemple de signalement [9]


POINTS FORTS
SIGNALEMENT
(Ecrire en lettre d’imprimerie)
û Les lésions tégumentaires les plus évocatrices de maltraitance sont :
Je certifie avoir examiné ce jour (en toutes
– les hématomes, selon leur aspect morphologique, leur topographie
lettres) :
inhabituelle, leur coexistence à des âges différents,
– date ( jour de la semaine, chiffre du mois)
– les brûlures, selon leur aspect, leur topographie et leur profondeur,
– année
– les lésions évoquant griffures et morsures.
– heure
û Les éléments d’orientation sont avant tout :
– l’incohérence entre le motif invoqué de la consultation et les lésions L’enfant
observées, – nom
– le délai de consultation et la responsabilité des lésions reportée sur – prénom
tierce personne, – date de naissance (en toutes lettres)
– le manque d’intérêt des parents pour la gravité potentielle des lésions – sexe
observées. – adresse
– nationalité
û L’hospitalisation permet le plus facilement un temps d’évaluation
partagé (équipes soignantes et sociales, hospitalières et extra- Accompagné de (noter s’il s’agit d’une per-
hospitalières au premier rang desquelles les services de PMI). sonne majeure ou mineure, indiquer si pos-
sible les coordonnées de la personne et les
û Les mesures de signalement (CRIP le plus souvent, procureur de la liens de parenté éventuels avec l’enfant) :
République dans les cas les plus sévères) doivent être adaptées à chaque cas. La personne accompagnatrice nous a dit que :
“……………………………………………………………………”
L’enfant nous a dit que
“……………………………………………………………………”

Examen clinique fait en présence de la per-


>>> Prise en charge administrative le dossier), et dont l’objectif est l’infor-
sonne accompagnatrice :
mation d’une situation de danger, basée (rayer la mention inutile)
Elle comporte : sur des faits établis. oui
– systématiquement : la rédaction d’un non
certificat médical initial descriptif et non
interprétatif ; Exemple de certificat médical initial Description du comportement de l’enfant
pendant la consultation :
– selon les faits et la coopération de la
Identité et qualité du médecin signataire, “……………………………………………………………………”
famille : une OPP et un signalement.
signature, cachet.
Identité du patient (si doute : “déclarant se Description des lésions s’il y a lieu (noter le
Le certificat médical (cf. exemple) ini- nommer…”), date de naissance, adresse. siège et les caractéristiques sans en préju-
tial est descriptif et non interprétatif. Identité du destinataire du certificat. ger l’origine) :
Le médecin doit se montrer vigilant Date et heure de l’examen. “……………………………………………………………………”
lors de sa rédaction, en se limitant aux
Faits allégués par l’enfant, rapportés sur le Compte tenu de ce qui précède et conformé-
constatations objectives des lésions,
mode déclaratif (l’enfant rapporte “…”). ment à la loi, je vous adresse ce signalement
et en transcrivant sans interprétation
Antécédents susceptibles d’aggraver les
personnelle les déclarations de l’enfant Signalement adressé au procureur de la
lésions ou d’apprécier la vulnérabilité
et/ou de son accompagnant. Il doit être médico-légale. République
systématiquement rédigé, au terme de
l’examen clinique, par un docteur en Lésions constatées après examen physique Fait à ……………….., le ……………….
médecine. (± photos), rapportées sur le mode descrip- Signature du médecin ayant examiné l’en-
tif et non interprétatif. fant :

Le signalement (cf. exemple) est un Constatations négatives (pas de…).


document dont le destinataire est exclu-
sivement une autorité administrative
Résultats des examens complémentaires [ Conclusion
réalisés.
(Conseil général : CRIP) ou judiciaire Tout médecin peut se trouver confronté
(procureur de la République), remis sans Soins éventuellement apportés. à la reconnaissance de lésions, notam-
intermédiaire à celui-ci (avec copie dans ment dermatologiques, évocatrices

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d’une maltraitance à enfant. Il est donc cins doivent apprendre à reconnaître. La 7. Holls when are burns not accidental ? Arch
Revue du Praticien, 2011 ; 6 : 652. Dis Child, 1986 ; 61 : 357-361.
essentiel à chacun de performer son
3. BOURRILLON A, CHAUMIEN A, TALLEC Y. Enfants 8. KELLOGS N. Oral and dental aspect of child
approche diagnostique, d’identifier les victimes de sévices. Pediatrie pour le abuse and neglect. Pediatrics, 2005 ; 116 :
facteurs de risques et de contribuer à Praticien, 2011. 1 565-1 568.
mettre en œuvre les mesures de protec- 4. VABRES N, FLEURY J, PICHEROT G. Repérage des 9. CHEYMOL J. Quelle attitude doit adopter
signes cliniques évocateurs de maltraitance le praticien face à une suspicion de mal-
tion adaptées. chez le petit enfant. La Revue du Praticien, traitance chez un petit enfant. La Revue du
2011 ; 61 : 655-656. Praticien, 2011, 61 : 660-662.
5. LASEK DURIEZ A, LEAUTE LABREZE C. Sévices
Bibliographie cutanés des sévices à enfant (à l’exclusion des
1. ROUSSEY M, KREMP O. Pédiatrie sociale ou sévices sexuels). Annales de Dermatologie et
l’enfant dans l’environnement. Paris, Doin de Vénérologie, 2009 ; 136 : 838-844.
ED, 2010. 6. JOHNSON CF. Inflicted injury versus acciden-
2. TURSZ A. Maltraitance à la petite enfance. tal injury. Pediatr Clin North Am, 1990 ; 37 : L’auteur a déclaré ne pas avoir de conflits d’intérêts
Un phénomène sous-estimé que les méde- 791-814. concernant les données publiées dans cet article.

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